Le transfert d`un apprentissage de durée d`action chez le
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Le transfert d`un apprentissage de durée d`action chez le
Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ENF&ID_NUMPUBLIE=ENF_542&ID_ARTICLE=ENF_542_0141 Le transfert d’un apprentissage de durée d’action chez le jeune enfant : l’effet facilitateur de la variété des actions ? par Anne-Claire RATTAT et Sylvie DROIT-VOLET | Presses Universitaires de France | Enfance 2002/2 - Volume 54 ISSN 0013-7345 | ISBN 2130526764 | pages 141 à 153 Pour citer cet article : — Rattat A.-C. et Droit-Volet S.Le transfert d’un apprentissage de durée d’action chez le jeune enfant : l’effet facilitateur de la variété des actions ?, Enfance 2002/2, Volume 54, p. 141-153. Distribution électronique Cairn pour Presses Universitaires de France . © Presses Universitaires de France . Tous droits réservés pour tous pays. 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Des enfants âgés de 3 et 5 ans sont soumis à un apprentissage par imitation-copie d’une durée (5 s) avec une ou plusieurs actions. Puis, ils doivent transférer cette durée à une nouvelle action. Les résultats montrent que seuls les enfants âgés de 5 ans parviennent à transférer la durée apprise d’une action à l’autre, qu’ils aient fait l’expérience d’une ou de plusieurs actions. En revanche, à 3 ans, ils ne parviennent pas à abstraire la durée de son action d’origine. Ces résultats sont discutés dans le cadre de la distinction entre une connaissance procédurale implicite du temps à l’âge de 3 ans et un concept de temps émergent vers l’âge de 5 ans. Mots clés : Temps, Développement, Production temporelle, Transfert d’apprentissage. SUM M ARY The transfer of a learned duration of an action in young children : A facilitation effect of the variety of actions ? The aim of this study was to see whether experience one duration with several actions facilitated the transfer of this duration to a new action. Three- and 5-year-old children were initially trained by simultaneous imitation to produce a duration (5 s) ** Nous tenons à remercier tout particulièrement les directrices et les enseignantes des Écoles maternelles Jules-Ferry et Nestor-Perret de Clermont-Ferrand pour leur accueil, ainsi que M. Amrein, inspecteur de l’Éducation nationale, pour avoir donné un accord favorable au déroulement de cette recherche. ** Laboratoire de psychologie sociale de la cognition, CNRS UPRESA 6024, Université Blaise-Pascal, 34, avenue Carnot, 63037 Clermont-Ferrand Cedex, France. E-mail : [email protected]. ENFANCE, no 2/2002, p. 141 à 153 142 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET with one or several actions. Then, they had to transfer this duration to a new action. The results showed that it was only at the age of 5 that children succeeded in transferring the learned duration, even when they only experienced one action. In contrast, at 3 years old, children failed to abstract one duration from its original action. These findings were discussed in the framework of a shift between a procedural implicit knowledge of time at the age of 3 and a concept of time that emerged at about 5 years old. Key-words : Time, Development, Time production, Transfer of learning. INTRODUCTION Chez le jeune enfant, l’imitation est non seulement un moyen de communication privilégié (Nadel, 1986 ; Nadel et Baudonnière, 1980), mais il est aussi un instrument d’acquisition de nouvelles conduites (pour une revue, voir Winnykamen, 1990). C’est ce qu’attestent, de nouveau, les récents travaux dans le domaine de la psychologie du développement du temps. Les recherches mettent toujours en exergue les difficultés des jeunes enfants âgés de 3 ans à mettre en œuvre des conduites temporelles précises (pour une revue, voir Levin, 1992 ; Droit-Volet, 2000 a b). Quand on leur demande, par exemple, de produire une durée donnée, afin qu’un personnage atteigne sa maison ou finisse de s’habiller, ils produisent toujours des durées trop courtes ou trop longues (Matsuda et Matsuda, 1983, 1987 ; Macar, 1988 ; Droit-Volet, 1999). De plus, l’apport de feed-back, de consignes verbales, ou encore de démonstration améliorent peu leurs productions temporelles. Il faut attendre finalement l’âge de 4-5 ans pour qu’émergent des conduites de régulations temporelles précises (Droit, Pouthas et Jacquet, 1990 ; Pouthas, 1985 ; Pouthas et Jacquet, 1987). Toutefois, Droit (1995, 1998) a montré qu’avec un apprentissage par imitation, les enfants de 3 ans sont également capables de productions temporelles précises. Dans son expérience, avant la tâche de production temporelle, l’enfant est soumis à un apprentissage par imitation-copie où il doit synchroniser une durée de réponse (appui sur un bouton) sur celle de l’expérimentateur. Dans cette condition, non seulement il synchronise le début et la fin de son action avec celle de l’expérimentateur, mais il est aussi obligé de prolonger son action dans le temps en suivant celle de l’expérimentateur. C’est donc dans la simultanéité des flux d’action que le jeune enfant apprendrait le mieux à produire des durées d’action précises. Le problème reste alors de savoir si l’apprentissage d’une durée d’action par imitation-copie permet ou non une prise de conscience de la durée ainsi produite. De nombreux travaux suggèrent qu’à l’âge de 3 ans, il n’y a pas de dissociation claire entre le temps et l’action. En effet, à cet âge, la durée d’un événement est évaluée différemment selon les caractéristiques de celuici (Fraisse et Vautrey, 1952 ; Matsuda, 1989, 1991). Plus une lumière est LE TRANSFERT D’UN APPRENTISSAGE DE DURÉE D’ACTION 143 intense, par exemple, plus sa durée est jugée longue (Levin, 1982, 1992). Selon les piagétiens, c’est cette absence de dissociation temps-action qui constitue chez le jeune enfant un obstacle à l’estimation correcte du temps (Levin, 1992 ; Montangero, 1979 ; Piaget, 1937, 1946). Mais, les résultats de Friedman (1990), ainsi que ceux de Droit-Volet et ses collaborateurs (Droit, 1994, 1995 ; Droit-Volet et Gautier, 2000 ; Droit-Volet et Rattat, 1999) tendent à réfuter une telle conception. Malgré une signification du temps peu différenciée de l’action, à 3 ans, l’enfant s’avère effectivement capable de productions temporelles précises. Toutefois, compte tenu que ces productions requièrent un apprentissage préalable par imitation, Droit (1995) considère que les connaissances construites dans cette condition sont des connaissances de type « procédural implicite ». En d’autres termes, à l’âge de 3 ans, l’enfant saurait faire du temps sans savoir qu’il fait du temps. Le temps ne serait donc pas encore abstrait de son action. Il s’agirait plus précisément d’un temps spécifique à chaque action dont l’enfant a fait l’expérience. Par opposition au concept de temps homogène, où le temps existe indépendamment d’actions particulières et permet dès lors de les mesurer quelles que soient leurs caractéristiques, Droit-Volet (2000 a b) parle d’une sorte de « temps éclaté ». Afin de tester l’hypothèse selon laquelle l’enfant âgé de 3 ans posséderait une connaissance implicite du temps, Droit-Volet et Rattat (1999) ont mis au point une nouvelle procédure expérimentale basée sur les techniques du transfert d’apprentissage. En l’occurrence, des enfants âgés de 3 et 5 ans sont soumis à 4 phases d’imitation-copie de la durée d’une action donnée (appui sur une poire en caoutchouc), suivies d’une phase de rappel immédiat permettant d’évaluer l’acquisition de cette durée d’action. Puis, dans une dernière phase expérimentale, ils doivent reproduire cette durée soit avec la même action (groupe contrôle), soit avec une nouvelle action (appui sur un bouton-réponse : groupe expérimental). Les résultats montrent que les enfants âgés de 3 ans ne parviennent pas à transférer la durée apprise d’une action à l’autre. C’est seulement à l’âge de 5 ans 1/2 qu’un tel transfert devient possible, témoignant de la construction d’une règle de production temporelle. À l’âge de 3 ans, l’absence de transfert de la durée d’une action à l’autre confirme donc que la durée n’est pas dissociée de son action d’origine. Mais, dans l’étude de Droit-Volet et Rattat (1999), au cours de l’apprentissage, l’enfant fait l’expérience d’une seule action. Or, le fait d’être confronté à plusieurs exemples pourrait favoriser la construction d’une règle temporelle générale ne se réduisant pas à un contexte particulier. En effet, il est maintenant reconnu que la présentation de divers exemples facilite l’induction correcte de connaissances plus abstraites et flexibles (Brown, 1989 ; Catrambone et Holyoak, 1989 ; Cormier, 1987 ; Gick et Holyoak, 1983 ; Goswami, 1992). Ainsi, dans notre étude, l’expérience d’actions variées quant à leurs caractéristiques de surface mais similaires quant à leur durée devrait faciliter chez les enfants de 3 ans l’extraction d’une règle tem- 144 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET porelle généralisable à plusieurs actions. Représentée sous une forme abstraite, cette règle leur permettrait alors de transférer la durée apprise à une nouvelle action. Aussi l’objectif de notre expérience est-il de voir, chez le jeune enfant, l’effet sur le transfert de la durée d’une action à l’autre, d’un apprentissage par imitation-copie de cette durée avec une ou plusieurs actions. Des enfants âgés de 3 et 5 ans sont donc soumis à un apprentissage d’une durée (5 s) par imitation-copie en 4 phases expérimentales, suivies d’un rappel immédiat. Puis, lors d’un test expérimental, ils doivent reproduire cette durée avec une nouvelle action. Au cours des différentes phases d’apprentissage, ils sont confrontés soit à une action (groupe un exemple), soit à plusieurs actions (groupe plusieurs exemples). Nous faisons l’hypothèse que les productions temporelles des enfants âgés de 3 ans seront plus précises et moins variables dans le groupe avec plusieurs exemples que dans celui avec un seul exemple. En revanche, compte tenu que les enfants âgés de 5 ans sont déjà capables d’élaborer une règle temporelle en situation d’apprentissage par imitation (Droit-Volet et Rattat, 1999), leurs productions temporelles ne devraient pas différer selon les groupes expérimentaux. MÉTHODE Participants La population est composée de 60 enfants recrutés en école maternelle, dont 30 âgés de 3 ans (16 garçons et 14 filles ; M. = 3,11, SD = .30), et 30 âgés de 5 ans (9 garçons et 21 filles ; M. = 5,43, SD = .30). Douze enfants supplémentaires n’ont pas été intégrés à cette population pour des critères de performance (cf. p. 146). Matériel Chaque enfant est assis, à côté de l’expérimentateur, à une table sur laquelle se trouve 1 des 5 systèmes de réponse possibles : 1 / une poire en caoutchouc ; 2 / un élastique ; 3 / un ressort ; 4 / un pistolet ; et 5 / un bouton-réponse. Pour chaque système de réponse, l’action demandée est : d’écraser dans une main une poire en caoutchouc, d’étendre un élastique entre ses deux mains, d’écraser un ressort, de maintenir la gâchette d’un pistolet enfoncée et d’appuyer sur un bouton-réponse. Pour les 4 premiers systèmes de réponse, les durées d’appui sont contrôlées par un sablier électronique, les durées d’appui sur le bouton-réponse étant enregistrées par un ordinateur. LE TRANSFERT D’UN APPRENTISSAGE DE DURÉE D’ACTION 145 En face de l’enfant se trouve également un écran sur lequel apparaît, pendant 3 s, une diapositive faisant office de feed-back positif ou négatif. Pour le feed-back négatif, il s’agit d’une diapositive noire, et pour le feedback positif d’une diapositive d’un dessin animé changeant d’une phase expérimentale à l’autre : Le roi lion, Le bossu de Notre-Dame, Pocahontas, Peter Pan, Blanche-Neige... Procédure Quelles que soient les phases expérimentales, la tâche de l’enfant consiste à produire une durée de réponse comprise entre 4 et 6 s. Si la durée produite est correcte, l’enfant reçoit un feed-back positif, et si elle est incorrecte, un feed-back négatif. L’expérience est composée de 7 phases expérimentales reparties sur 3 séances, une par jour, selon la procédure présentée dans le tableau 1. Chaque phase expérimentale comprend 20 essais successifs. TABLEAU 1. — Procédure expérimentale. Systèmes de réponse utilisés lors des différentes phases expérimentales pour les sujets du groupe contrôle et des groupes avec un et plusieurs exemples Groupes Séance 1 Séance 2 Séance 3 Contrôle Un exemple Plusieurs exemples (1) Phase 1. Ligne de base (20 essais) Phase 2. Apprentissage par imitation (20 essais) Poire Poire Poire Poire Poire Poire Phase 3. Apprentissage par imitation (20 essais) Poire Poire Élastique Phase 5. Apprentissage par imitation (20 essais) Phase 6. Rappel immédiat (20 essais) Phase 7. Test expérimental (20 essais) Poire Poire Poire Poire Poire Bouton Pistolet Pistolet Bouton (1) Pour les différentes phases d’apprentissage par imitation-copie, l’ordre de présentation des systèmes de réponse est aléatoire. Dans la première phase (Ligne de base. Séance 1), on enregistre les durées de réponse produites de façon spontanée par l’enfant. L’expérimentateur dit : « Tu dois jouer à faire venir les images d’un dessin animé. Pour gagner, tu dois écraser cette poire en caoutchouc entre les mains pendant un certain temps. Si tu joues bien, une image de dessin animé appa- 146 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET raît. Mais, si tu ne joues pas très bien, tu as une image toute noire. Allez, essaie. » Après cette phase de ligne de base, l’enfant est soumis à 4 phases d’apprentissage par imitation-copie (i.e., phases 2 à 5. Séances 2 et 3) où il doit synchroniser sa durée de réponse avec celle de l’expérimentateur, celuici ayant un système de réponse similaire à celui de l’enfant. Aussi l’expérimentateur dit-il : « Regarde, je vais t’apprendre à faire venir les images. Pour bien jouer, il faut écraser la “poire en caoutchouc”1 pendant un certain temps. Fais exactement comme moi. » Puis, il écrase cette « poire en caoutchouc » pendant 5 s, en s’assurant que l’enfant synchronise bien son action avec la sienne. Avant chaque essai, l’expérimentateur répète : « Tu es prêt ? Essayons encore. » Immédiatement après la dernière phase d’apprentissage par imitationcopie, l’enfant est soumis à un test de rappel immédiat (i.e., phase 6), dont l’objectif est d’évaluer l’impact de cet apprentissage sur ses productions de durées. L’expérimentateur introduit cette phase en disant : « Maintenant, tu dois faire apparaître les images de dessin animé tout seul. » Lors du rappel immédiat, 12 enfants (8 âgés de 3 ans et 4 âgés de 5 ans) n’ont pas atteint un niveau de performance temporelle témoignant d’une maîtrise suffisante de la durée de réponse cible, en l’occurrence : a / 50 % de durées de réponse comprises entre 3 et 7, s dont au moins 35 % entre 4 et 6 s, et b / une distribution des réponses modale, centrée sur la durée cible (5 s), qui correspond à une bonne régulation temporelle (Droit, 1994, 1995). Ces enfants n’ont donc pas été soumis à la dernière phase de l’expérience, c’est-à-dire au test expérimental (i.e., phase 7). Celui-ci est réalisé à la troisième séance, immédiatement après le rappel immédiat (tabl. 1). Il permet d’évaluer le transfert de la durée apprise par imitation-copie d’une action à l’autre. De plus, les enfants âgés de 3 et 5 ans sont répartis en 3 sous-groupes selon les systèmes de réponse auxquels ils sont confrontés (tabl. 1). Dans le premier sous-groupe (groupe contrôle), le système de réponse reste le même au cours des différentes phases expérimentales. En revanche, pour les deuxième et troisième sous-groupes, il change. Pour le deuxième (groupe un exemple), comme dans l’expérience de Droit-Volet et Rattat (1999), il change seulement au test de production, et pour le troisième (groupe plusieurs exemples), à chaque phase d’apprentissage par imitation-copie. Dans cette dernière condition, les enfants font donc l’expérience de plusieurs actions partageant la même durée (5 s). Au début du test de production, les enfants de chaque groupe reçoivent une consigne explicite sur la nécessité de transférer la durée apprise d’une action à l’autre. Plus précisément, l’expérimentateur dit : « Pour avoir une 1. Dans le groupe avec plusieurs exemples, le système de réponse change à chaque phase d’apprentissage, la consigne est adaptée en conséquence (poire en caoutchouc vs. élastique vs. pistolet vs. ressort). LE TRANSFERT D’UN APPRENTISSAGE DE DURÉE D’ACTION 147 image de dessin animé, tu dois appuyer sur “le bouton” (groupes un et plusieurs exemples) ou sur “la poire en caoutchouc” (groupe contrôle) pendant le même temps que sur “ ...”2. » RÉSULTATS 1 / Rappel immédiat : analyse de l’apprentissage La figure 1 montre, pour chaque phase expérimentale, le pourcentage moyen de durées de réponse correctes (i.e., durées comprises entre 4 et 6 s) obtenu par les enfants de 3 et 5 ans dans les groupes contrôle, un exemple et plusieurs exemples. Afin de s’assurer d’une certaine équivalence des performances après l’apprentissage par imitation-copie dans les différents groupes, des analyses de variance (ANOVA) ont été réalisées sur : 1 / le pourcentage de durées 80 70 Pourcentage de durées correctes 60 Contrôle 3 Un exemple 3 Plusieurs exemples 3 Contrôle 5 1/2 Un exemple 5 1/2 Plusieurs exemples 5 1/2 50 40 30 20 10 0 LB RI TE Phases expérimentales Fig. 1. — Pourcentage de durées de réponse correctes obtenus par les enfants âgés de 3 et de 5 ans dans le groupe contrôle et dans les groupes avec un ou plusieurs exemples, pour chaque phase expérimentale : Ligne de Base (LB), Rappel Immédiat (RI) et Test expérimental (TE). 148 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET correctes ; 2 / la moyenne ; et 3 / le coefficient de variation1 des durées produites en rappel immédiat, avec 3 facteurs intersujets (âge, groupe, sexe). Les ANOVAS sur le pourcentage de durées correctes et la moyenne des durées ne révèlent ni effet principal ni effet d’interaction. En revanche, pour le coefficient de variation, un effet principal du sexe apparaît, F(1, 48) = 5,11, p = .028. Les productions temporelles des filles s’avèrent donc plus variables que celles des garçons (38 vs .31). Quoi qu’il en soit, ces résultats suggèrent que dans les différents groupes, les enfants âgés de 3 ans et de 5 ans obtiennent, en rappel immédiat, des performances temporelles relativement similaires. 2 / Test expérimental : analyse du transfert d’apprentissage Afin de voir l’évolution de la performance des enfants au cours du test expérimental, les 20 essais ont été regroupés en 4 blocs successifs de 5 essais. Mais, les ANOVAs n’ont pas révélé d’effet principal du bloc, ni d’effet d’interaction entre le bloc et d’autres facteurs. De la même façon, le facteur sexe ne s’est pas avéré significatif. Aussi les ANOVAs ci-dessous ontelles été réalisées avec seulement deux facteurs intersujets : l’âge et le groupe. A / Durées de réponse correctes L’analyse de variance sur les durées de réponse correctes révèle un effet principal de l’âge, F(1,54) = 74,35, p = .0001, et du groupe, F(2, 54) = 8.72, p = .001. L’interaction Âge × Groupe n’est quant à elle pas significative. Ainsi, les enfants de 3 ans produisent moins de durées correctes que ceux de 5 ans (20 % vs 59 %). En outre, quel que soit l’âge, ceux du groupe contrôle produisent, ou ont tendance à produire plus de durées correctes que ceux du groupe avec (a) un ou (b) plusieurs exemples ((a) t (57) = 2,73, p = .008 ; (b) t (57) = 1,80, p = .077). Par contre, aucune différence n’apparaît entre les groupes un et plusieurs exemples. Toutefois, à 3 ans, et non à 5 ans, on assiste à une chute importante des performances au cours du test expérimental, qui a lieu après la phase de rappel immédiat constituée de 20 essais, cela quel que soit le groupe de sujets (rappel immédiat vs test expérimental2 : groupe contrôle, t (9) = 4.82, p = .001 ; groupe un exemple, t(9) = 7,80, p = .0001 ; groupe plusieurs exemples, t(9) = 8,04, p = .0001). Néanmoins, à 3 ans, le pourcentage de durées correctes reste, pour le groupe contrôle, supérieur à celui obtenu en phase de ligne de base (test de Wilcoxon pour deux échantillons 1. Le coefficient de variation correspond à l’écart type des durées de réponse divisé par la moyenne de ces durées. Il est utilisé pour rendre compte de la variabilité des productions temporelles. 2. T-tests pour échantillons appariés. 149 LE TRANSFERT D’UN APPRENTISSAGE DE DURÉE D’ACTION appariés, Z = – 2,80, p = .005), tandis que pour les groupes un et plusieurs exemples, il diminue au point d’être comparable à celui obtenu en ligne de base. B / Moyennes des durées et coefficients de variation Compte tenu de la non homogénéité des variances, des analyses statistiques non paramétriques ont été réalisées sur la moyenne des durées de réponse et le coefficient de variation. Pour la moyenne des durées, les tests de Kruskal-Wallis révèlent un effet de l’âge, c2(1) = 15,29, p = .0001, mais pas d’effet du groupe. Quel que soit le groupe (tabl. 2), les enfants produisent donc des durées plus longues à l’âge de 5 ans qu’à l’âge de 3 ans (5,10 s vs 3,25 s). Comme pour la moyenne des durées, pour le coefficient de variation, seul un effet de l’âge apparaît, c2(1) = 19,23, p = .0001. Ainsi, à l’âge de 3 ans, les enfants sont plus variables dans leurs productions temporelles qu’à l’âge de 5 ans (tabl. 2). TABLEAU 2. — Moyennes et coefficients de variation des durées produites (en secondes) par les enfants âgés de 3 et 5 ans dans le groupe contrôle et les groupes avec un et plusieurs exemples Groupes Contrôle 3 ans 5 ans Un exemple Plusieurs exemples M. Coeff. M. Coeff. M. Coeff. 4,01 4,94 .54 .29 2,03 5,59 .81 .33 3,71 4,76 .58 .36 DISCUSSION Les résultats de cette étude montrent que, quelles que soient les conditions expérimentales, la performance temporelle des enfants au test expérimental est plus faible à 3 qu’à 5 ans. En effet, les enfants de 3 ans produisent moins de durées de réponse correctes que ceux de 5 ans, et leurs productions temporelles sont plus variables. Les résultats montrent également qu’à 3 ans comme à 5 ans, le pourcentage de durées correctes est supérieur dans le groupe contrôle que dans les groupes avec un ou plusieurs exemples, alors qu’aucune différence n’apparaît entre ces deux derniers groupes. La variabilité des exemples rencontrés ne semble donc pas faciliter le transfert de la durée apprise d’une action à l’autre. Cependant, que ce soit avec une ou plusieurs actions, à 5 ans le pourcentage de durées correctes reste élevé, alors qu’à 3 ans il reste faible. 150 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET À l’âge de 5 ans, la capacité des enfants à transférer la durée apprise d’une action à l’autre confirme que le temps est dissocié de l’action, c’est-àdire que la durée est conçue comme relativement indépendante des événements et de leurs caractéristiques. Par conséquent, qu’ils fassent l’expérience d’une ou de plusieurs actions durant l’apprentissage, ils parviennent toujours à transférer la durée apprise à une nouvelle action. Ce transfert positif suggère que les enfants aient extrait une règle de production temporelle qu’ils appliquent à des actions différentes. Dans le domaine du développement des connaissances relatives à l’action (Richard, 1990), l’enfant accéderait aux résultats de l’action avant d’accéder aux procédures sous-jacentes à cette action. Ainsi, dès l’âge de 5 ans, les enfants accéderaient au niveau de l’élaboration d’une procédure temporelle applicable à plusieurs actions. L’expérience par imitation d’une seule action, qui dure un certain temps, leur suffirait donc pour comprendre qu’ils doivent produire une durée et l’attribuer à diverses actions. En situation de transfert d’apprentissage, un effet plafond similaire à celui obtenu chez les enfants de 5 ans a déjà été observé, notamment chez l’adulte dans le cas d’un apprentissage de calcul d’intérêts par de futurs banquiers (Renkl, Stark, Gruber et Mandl, 1998 ; Stark, Mandl, Gruber et Renkl, soumis). Qu’ils bénéficient d’exemples uniformes, issus d’un même contexte, ou de multiples exemples, issus de divers contextes, ces apprentis banquiers obtiennent en effet les mêmes performances lors d’une tâche de transfert avec des problèmes complexes situés dans un nouveau contexte. Comme l’expliquent Ahn, Brewer et Mooney (1992), au-delà d’un certain niveau de maîtrise dans un domaine donné, il suffit d’un exemple pour que les sujets parviennent à construire des connaissances généralisables, non liées à une utilisation particulière. La multiplication des exemples en cours d’apprentissage s’avère dès lors d’une moindre utilité. À 5 ans, la connaissance du temps a donc atteint un niveau d’abstraction tel qu’il n’est pas nécessaire pour l’enfant d’être confronté à plusieurs exemples de durées d’action pour comprendre que la durée d’une action peut être évaluée et que celle-ci est transférable à une nouvelle action. Cependant, comme le suggère la différence de performance temporelle observée entre le groupe contrôle et les deux autres groupes, la notion de temps n’est pas entièrement indépendante du système de réponse utilisé dans la mesure où la nouveauté de l’action peut perturber la récupération de l’information temporelle en mémoire. Contrairement aux enfants de 5 ans, ceux de 3 ans échouent dans le transfert de la durée apprise d’une action à l’autre, et ce même si on multiplie les exemples d’action partageant une même durée. Aussi les résultats de notre expérience chez les enfants de 3 ans sont-ils conformes à ceux obtenus par Droit-Volet et Rattat (1999). Cependant, dans notre expérience, les enfants du groupe contrôle obtiennent de moins bonnes performances temporelles au test expérimental qu’au rappel immédiat. DroitVolet et Rattat (1999) n’observent pas de chute de performance dans cette LE TRANSFERT D’UN APPRENTISSAGE DE DURÉE D’ACTION 151 condition expérimentale. Dans leur expérience, vingt-quatre heures séparaient le rappel immédiat du test expérimental. Mais, dans notre expérience, pour éviter un oubli de l’apprentissage pouvant pénaliser les enfants des groupes expérimentaux, ces 2 phases expérimentales ont été réalisées l’une à la suite de l’autre. Plus précisément, les enfants ont été soumis à 60 essais consécutifs. Or, cela a probablement entraîné chez eux une certaine fatigue cognitive. D’ailleurs, lors du test final, certains enfants expriment leur lassitude dans les termes suivants : « On a joué longtemps aujourd’hui » ; « On arrête, j’ai plus envie de jouer tout de suite. » Quoi qu’il en soit, les résultats de notre étude, comme ceux de DroitVolet et Rattat (1999), montrent qu’à l’âge de 3 ans, les connaissances relatives à la durée d’action sont dépendantes du système de réponse utilisé. Ainsi, la variabilité des actions rencontrées au cours de l’apprentissage ne permettrait pas aux enfants d’abstraire la durée de son action d’origine. Dans notre étude, cette absence de dissociation du temps de l’action ne proviendrait pas de la difficulté des enfants à établir une relation entre la tâche d’apprentissage et celle de transfert, compte tenu de la similarité entre ces deux tâches et de la consigne explicite de transfert. Comme le proposent Droit-Volet et Rattat (1999), elle pourrait provenir, à l’âge de 3 ans, du statut implicite des connaissances relatives au temps. Selon Berry et Dienes (1993), la caractéristique centrale de l’apprentissage implicite, qui se fait à l’insu du sujet, est précisément une « spécificité de transfert », c’est-à-dire que la connaissance acquise de manière implicite est plus difficile à manipuler et davantage liée au contexte d’apprentissage que la connaissance acquise de façon explicite. Dans ce cas, le transfert d’apprentissage est presque impossible (Berry et Dienes, 1993 ; Logan, 1988, 1990 ; Seger, 1994). Notre expérience conforte donc l’idée que l’enfant âgé de 3 ans possède une connaissance procédurale implicite du temps de l’action. Dans une perspective développementale, il semble alors légitime de s’interroger sur les liens entre cette première forme de connaissance procédurale-implicite de la durée et le concept de temps qui émerge vers l’âge de 5 ans. Mounoud (1994), Karmiloff-Smith (1986, 1994) et de nombreux autres auteurs défendent aussi l’idée de la « primauté » de l’implicite sur l’explicite. Plus précisément, selon Karmiloff-Smith, les connaissances sont d’abord encodées dans une forme procédurale. Puis, par un processus de redescription, elles deviennent progressivement plus flexibles et manipulables par le système cognitif, rendant alors possible leur généralisation à de nouvelles situations. Dans le cadre du domaine des connaissances temporelles relatives à l’action, on peut penser que ce passage d’une connaissance implicite à une connaissance plus explicite s’effectue, comme le montre notre expérience, entre 3 et 5 ans. Selon Droit-Volet (1998), ce passage entre un « temps procédural » et la notion de temps homogène serait médiatisé par un sentiment d’effort : « C’est lorsque l’enfant a le sentiment que quelque chose lui résiste à travers son action qu’il prend conscience de la durée » (p. 247). 152 ANNE-CLAIRE RATTAT ET SYLVIE DROIT-VOLET Notre expérience sur le transfert de la durée d’une action à l’autre a permis de montrer que, dans le domaine du temps agi, les connaissances temporelles des enfants âgés de 3 ans seraient de nature implicite, chaque durée étant associée à une action spécifique. En revanche, à 5 ans, les enfants possèderaient une connaissance explicite du temps où la durée est dissociée de l’action. Toutefois, des expériences supplémentaires s’avèrent nécessaires afin de mieux cerner la transition entre ces deux types de connaissances relatives au temps agi. RÉFÉRENCES Ahn, W., Brewer, W. F., & Mooney, J. R. (1992). Schema acquisition from a single example. 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