fp milles et unes nuits

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fp milles et unes nuits
Les Mille et une nuits
Un Orient de clichés ?
Quel Orient a filmé Pasolini ? Je me souviens d’une Iranienne, pas du tout islamiste, qui
était choquée de voir le cinéaste utiliser une célèbre mosquée pour le décor d’un palais (la
scène des noces). Or, ce palais, dans l’imaginaire de Pasolini, n’est pas un palais ancré dans
un souci historique ou géographique ; il sort d’un livre qui fait partie du patrimoine culturel
mondial. Borges a fait cette subtile remarque que les diverses traductions des Mille et Une
Nuits, toutes infidèles à l’« original » (et qui niera que cet ouvrage n’existe, dans la pensée
et l’âme de l’Occident, que par ses traductions ?) « ne se conçoivent que venant après une
littérature. Ces œuvres (…) supposent des antécédents considérables ». Pasolini qui se
vante d’une « extravagante connaissance du Tiers Monde », d’une « connaissance existentielle du monde arabe », va créer son Orient en s’attachant à « une représentation quasi
ethnologique du monde arabe antique ». N’oublions pas que son film (1973-1974) fut tourné à une époque où l’intégrisme islamique ne posait pas encore problème en Occident. Persuadé de plus que « l’Islam vit hors de l’histoire », son Orient arabe est une vision méditerranéenne d’un Occidental. « L’important n’est pas de voir l’Inde telle qu’elle est, d’après
les Européens ou les Indiens – c’est d’ailleurs une ambition absurde. Il faut voir l’Inde avec
le même parti pris que Corneille ou Barrès ont vu l’Espagne » écrit l’écrivain ethnologue
Jean Grenier. C’est pourquoi Pasolini ose l’ardent lyrisme et le sentiment hédoniste dans
son Orient, suivant en cela Gide ou Genêt. C’est ce qui explique un casting incluant autant
d’acteurs européens que d’interprètes autochtones. De cette fusion (en cela Pasolini a anticipé la mode world, avec vingt ans d’avance), découle la présence de Ninetto Davoli et de
Franco Citti, ses acteurs fétiches. Davoli, crépu, plus brun qu’une olive, rapide et lent, lourd
et léger, et Citti en djinn après avoir été le diable, font le lien entre l’Italie méridionale et
l’Orient dont elle fit partie.
Quelques thèmes à étudier avec les élèves :
-la structure du conte.
-quelle(s) image(s) les élèves ont-ils aujourd’hui de l’Orient, de l’Inde ?
Les Mille et Une Nuits Il fiore delle mille e una notte
Pier Paolo Pasolini
Italie – 1974- 127mn- VOST
Synopsis :
Niveau
à partir de la
2nde
Disciplines :
Français,
histoire,
arabe,
arts plastiques,
musique
Zumurrud, esclave semi-affranchie, choisit son maître au
marché : le beau Nur-ed-Din. Ils se marient mais sont aussitôt séparés par la faute du jeune homme, qui part à la
recherche de sa belle. Sur son chemin, Nur-ed-Din lit, dans
un grand livre, l’histoire du roi Haroun El-Rachid et de la
reine Berhame qui font un pari sur l’amour des deux jeunes
gens. Chez la jeune Munis, Nur-ed-Din écoute le conte de
Tadji et Dunja (qui contient lui-même les trois dernières
histoires). Tadji rencontre Aziz qui lui raconte sa propre
aventure : prêt à se marier avec Aziza, Aziz tombe amoureux d’une belle inconnue, Boudour, qui finira par le punir
de son infidélité. Ensuite, Aziz montre à Tadji une toile
peinte où figure Dunja ; évidemment Tadji en tombe
amoureux. Ils se rendent au palais de Dunja et apprennent
qu’elle reste cloîtrée à la suite d’un cauchemar qui lui ordonne de demeurer à jamais éloignée des mâles. Grâce au
jardinier, ils se font embaucher comme mosaïstes et écoutent l’histoire de deux collègues : Shahzaman, le prince
dépouillé, qui, à la suite de son amour pour une jeune fille,
est métamorphosé en singe par le djinn qui la séquestre,
mais sera sauvé par le sacrifice de la fille d’un monarque ;
et Yunan, qui tue dans son sommeil un adolescent enfermé
dans un souterrain. Grâce à la sagesse du jardinier : « La
vérité se trouve dans beaucoup de rêves », Dunja est délivrée de son sortilège, et s’apprête à épouser Tadji. Nur-edDin retrouve par hasard son épouse qui s’est faite passer
pour un sultan ; happy end.
Réalisation : Pier Paolo Pasolini. Scénario : Pier Paolo Pasolini et Dacia Mariani, d’après Les Mille et une Nuits.
Image : Giuseppe Ruzzolini (Technicolor). Cadreur : Giovanni Carlo. Décor : Dante Ferretti. Costumes : Danilo
Donati. Son : Luciano Welisch. Musique : Ennio Morricone. Montage : Nino Baragli. Production : Alberto Grimaldi. Interprètes : Franco Merli (Nur-ed-Din), Ines Pellegrini (Zumurrud), Tessa Bouché (Aziza), Franco Citti (le
djinn), Nino Davoli (Aziz), Gian Idris (Giana), Abadit Ghidei (la princesse Dunja), Alberto Argentini (Shahzaman),
Francesco Paolo Governale (Tadji), Margareth Clémenti (Boudour).
Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes (avec une version de 149 mn)
INTERDIT aux moins de 16 ans
Réalisateur: voir fiche : Pier Paolo Pasolini
Fiche pédagogique éditée par la maison de l’image
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Fiche pédagogique éditée par la maison de l’image
Les Mille et une nuits
Le recueil de contes :
À l'origine, au VIIIe-IXe siècles, un livre persan intitulé Hezar Afsane ou Mille Légendes qui a
été traduit en arabe et a pris le titre de Les Mille et Une Nuits (Elf leïla wa leïla ). L'ouvrage
perse, qui relevait du genre « miroir des princes », contenait vraisemblablement des récits
exemplaires et était destiné à l'éducation des gouvernants. Il n'appartenait pas à une littérature
populaire ou au folklore et avait le même statut que le recueil de fables animalières Kalila et
Dimna (par exemple). Seulement, à côté d'un récit-cadre qui est resté stable (l'histoire de Shahrazâd, qui encadre toutes les autres), le reste des contes a considérablement changé (comme
le titre persan d'ailleurs) et une nouvelle matière y a été introduite. Selon Abdelfattah Kilito,
cette compilation de récits anonymes ne remplit aucun des critères classiques de la littérature
arabe: un style noble, un auteur précis et une forme fixe; de plus elle met en avant de nombreux particularismes et dialectes locaux, bien éloignés de l'horizon des lettrés. De fait, aujourd'hui, les Nuits sont constituées d'un noyau fixe, une trentaine d'histoires (le récit-cadre ou
l'histoire de Shahrazâd, le marchand et le génie, le pêcheur et le djinn, les dames de Bagdad,
les trois pommes, le bossu, et les histoires qui y sont incluses) et d'un ensemble de récits extrêmement variés qui relèvent aussi bien de la littérature savante que d'une littérature plus
« populaire ». On y rencontre par exemple des djinns, des éfrits et des goules. Mais s'il fallait
caractériser les Nuits, il faudrait les associer aux centaines d'autres recueils de contes du
même genre qui étaient en circulation dans le domaine arabe (les Nuits ne sont naturellement
pas un livre isolé) et qui appartiennent à ce qu'il faudrait appeler une littérature moyenne.
Certains contes ne sont pas issus des plus anciens manuscrits connus, mais ont été ajoutés par
la suite. C'est le cas des 7 voyages de Sindbad de marin, d'Ali Baba (probablement turc),
d'Aladin et la lampe merveilleuse (d’origine indienne ou chinoise).
Le scénario
Nul n’ignore de nom de la sultane qui, pour sauver sa
tête, dut entamer une narration de contes merveilleux
pendant 1001 nuits. Le film de Pasolini repose ainsi sur
une parole de femme : Pasolini engagea donc Dacia
Maraini, la deuxième épouse de Moravia, pour manifester cette présence de Shéhérazade. Dans ce film alternent le point de vue féminin et le point de vue masculin.
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ANALYSE :
A l’instar des Mille et Une Nuits et, plus généralement, de la poésie arabe, le film de Pasolini procède à une érotisation de l’art (la littérature orale) et à une littérarisation de l’érotisme. D’où la place essentielle des récits, des vers, des jeux de devinette (Nur-ed-Din au
bain avec trois jouvencelles), des duels poétiques (Abou Nouas, Nur-ed-Din et Zumurrud),
des énigmes et des charades (Aziz et Aziza, Aziz et Boudour), dans cette histoire d’une
initiation amoureuse. La vie tend au poème; le poème veut être la vie. C’est ainsi que le
tournoi commencé sous forme poétique pendant la marche de la caravane royale se change,
à la nuit, en tournoi physique, concours de faits quand, sous les yeux du sultan et de son
épouse, le bel Hassan et la belle Sitt vont trancher, par les actes, le débat-enjeu du poème :
lequel de la fille ou du garçon est-il le plus beau ? Tout comme les 1001 nuits ménage entre
Shéhérazade et le roi Shahriyâr mille jeux érotiques variés, du moins dans les versions non
expurgées, ainsi chaque nuit n’ayant que sa part d’histoire et sa part d’étreintes, s’opère une
relance érotique qui diffère toujours la satiété à un lendemain.
Dans le film, cette relance ne se fait pas de nuit en nuit, de récit partiel en récit partiel ; elle
se fait de personnage en personnage. Quand nous voudrions -désir- retourner au point de
départ, achever une histoire -plaisir-, le récit s’engage, s’encastre dans un autre récit –
déception/excitation. Car Pasolini n’inaugure pas son film par l’intervention d’une narratrice (son adaptation ignore Shéhérazade) ; il se donne des narrateurs intercalaires, provisoires, des relayeurs qui pratiquent cependant les mêmes fuites dans la fuite générale. Chez
lui, les parenthèses « littéraires » s’ouvrent dans une histoire au présent de la narration, qui
n’est pas l’histoire d’un conteur (Shéhérazade) mais déjà celle -l’une de celles- du livre
(Zumurrud et Nur-ed-Din). Dans la quatrième séquence (Nur-ed-Din s’y dispose, de mauvais gré, à donner à manger au chrétien aux yeux clairs), Zumurrud lit à son maître l’histoire de Haroun El-Rachid et le la reine Zubeida. Elle n’invente pas le livre (ce que faisait
Shéhérazade) ; elle s’en sert. Tout comme fait Pasolini.
Bien que ce dernier film représente l’aboutissement d’une quête, Pasolini ne l’isole pas des
deux volets qui l’ont précédé : « Cette trilogie constitue pour moi une expérience fascinante et merveilleuse dont le sens profond a sans doute échappé aux critiques » (A Cannes,
certaines langues ironisaient sur une pub pour le Club Med !) Le bas Moyen-Âge du Décaméron et de Canterbury offre au cœur de Pasolini le temps d’une fin qui est aussi celui
d’un commencement ; l’idéal d’un monde ancien, révolu, dans lequel un esprit moderne
peut néanmoins se reconnaître. Il y a poursuivi, selon ses propres termes, « la recherche
dégradée de valeurs authentiques dans un monde dégradé ». Et, de fait, dans Les 1001
nuits, la dégradation a pratiquement disparu. Dans l’érotologie musulmane –perse, turque,
arabe, indoue-, la vie et l’acte de procréer s’expriment avec un entier abandon et une joie
totale. Laissons le mot de la fin à Pasolini : « L’idéologie, dans Les 1001 nuits, est profondément cachée : elle ne se dégage pas de ce qui est dit explicitement, mais de ce qui est
représenté. Je fais voir un monde, le monde féodal, où l’éros est vécu de manière particulièrement profonde, violente et heureuse, et où il n’y a pas un seul homme –même le plus
misérable des mendiants- qui n’ait pas le sens profond de sa dignité. J’évoque ce monde et
je dis : voilà, comparez, ce monde je vous le présente, je vous le dis, je vous le rappelle. »
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