La Trinité vue par des maîtres spirituels Sainte Thérèse d`Avila et

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La Trinité vue par des maîtres spirituels Sainte Thérèse d`Avila et
La Trinité vue par des maîtres spirituels
Sainte Thérèse d’Avila et Saint jean de la croix
A partir des saints du carmel, le Vénérable Père Marie-Eugène met en lumière que l’intimité avec la
Trinité Sainte est pour tous les chrétiens. Dieu Amour, Dieu Trinité nous invite à entrer dans son
mouvement d’Amour.
Dans son message pour le carême 2012, Benoît XVI commentant un extrait de la lettre aux
Hébreux, au chapitre 10, versets 22 à 25, nous rappelait que cette lettre offre un enseignement
précieux et toujours actuel sur trois aspects de la vie chrétienne : l’attention à l’autre, la réciprocité
et la sainteté personnelle. Concernant cet appel à la sainteté, il écrivait : « Les maîtres spirituels
rappellent que dans la vie de la foi, celui qui n’avance pas recule. (…) Accueillons l’invitation
toujours actuelle à tendre au ‘haut degré de la vie chrétienne’. »1
Cet appel à la sainteté, n’est-ce pas aussi l’appel que nous a lancé le Concile Vatican
II il y a 50 ans et ce que nous disent les Saintes Ecritures ? Dans le Lévitique nous lisons : « Vous
serez saints parce que je suis saint »2 et Jésus lui-même reprenant le texte du Lévitique dit : « Soyez
parfaits comme votre Père céleste est parfait. »3 Jésus exprime à nouveau cet appel à la perfection
dans sa grande prière sacerdotale que nous trouvons en St Jean : « Je leur ai donné la gloire que tu
m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu’ils
soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m’as envoyé et que je les aimés comme tu m’as
aimé. Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi, pour qu’ils
contemplent la gloire que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la création du monde. »4
Jésus demande pour nous l’union, l’union parfaite avec lui qui soit une union de fond, une
union de tout notre être, une ressemblance parfaite. Il veut que chacun de nous ait cette
ressemblance d’amour avec lui par ce que nous avons de plus profond en nous, par la grâce déposée
en nous à notre baptême. Nous sommes faits pour cela. Voilà ce qu’est la sainteté. C’est la
ressemblance parfaite avec Jésus qui nous fait Un avec lui, avec la Trinité Sainte toute entière.
Cet appel à la sainteté est contenu dans notre grâce baptismale. Nous avons été baptisés ‘au
nom du Père, du Fils et du Saint Esprit’. Dans cet énoncé des trois Personnes divines, il y a notre
destinée, l'énumération de notre famille comme aimait le dire le vénérable Père Marie-Eugène, et en
recevant cette grâce baptismale, nous sommes introduits comme fils dans la vie trinitaire. La Trinité
sainte est au principe de tout, elle est aussi le sommet de notre vie spirituelle et le terme de notre vie
temporelle. Le Père Marie-Eugène lors d’une fête de la Sainte Trinité disait :
« Nous venons de la Trinité Sainte, nous avons été créés par la Trinité Sainte. C’est vers la Trinité
Sainte que nous marchons. Pour qu’elle soit une vie chrétienne, notre vie ici-bas doit être une vie
avec la Trinité Sainte »5.
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique au n° 265 nous le rappelle : « Par la grâce du baptême
“ au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ”, nous sommes appelés à partager la vie de la
Bienheureuse Trinité, ici-bas dans l’obscurité de la foi, et au-delà de la mort, dans la lumière
éternelle. »6 Le but de notre vie, de notre marche sur la terre, est donc d’entrer de plus en plus dans
la Trinité Sainte par la foi. « La perfection chrétienne, c'est cela : atteindre Dieu, le saisir, être en
relation avec lui et, déjà dès ici-bas, dans toute la mesure qui nous est possible, réaliser notre vie
trinitaire au moyen de la grâce. »7 Ce mystère de la Sainte Trinité, mystère le plus élevé qui soit,
ne doit pas nous faire peur. C’est une réalité que nous pouvons contempler, que nous pouvons
1
. Benoît XVI, message pour le carême 2012
. Lev 11, 44
3
. Mt 5, 48
4
. Jn 17, 22-24
5
. Homélie pour la Ste Trinité, 1959, Inédit, © l’Olivier F. 84210 Venasque
6
. CEC, n° 265
7
. Au souffle de l’Esprit, p. 86
2
découvrir expérimentalement comme nous l’affirment Ste Thérèse d’Avila et St Jean de la Croix car
cette expérience repose uniquement sur le développement de notre grâce baptismale.
«Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime ; or celui qui
m’aime sera aimé de mon Père ; et nous l’aimerons et nous nous manifesterons à lui. (..) Si
quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous
nous ferons une demeure chez lui. »8
Ces paroles de Jésus dans son discours après la Cène que nous trouvons en St Jean, Ste
Thérèse d’Avila les a expérimentées dès le début de sa vie spirituelle. La découverte de la présence
de Dieu au plus profond de son âme sera fondamentale pour Ste Thérèse et la base de tout son
enseignement :
« Il y a un point que j'ignorais au début, nous dit-elle dans le livre de sa vie. Je ne savais pas que
Dieu est réellement dans toutes les créatures. Et il me semblait qu'une présence qui me paraissait si
intime à mon âme était impossible. D'un autre côté, cesser de croire qu'il fût là, je ne le pouvais
pas. Car d'après ce que je croyais avoir clairement compris, Dieu était là vraiment présent. »9.
Cette présence de Dieu dans l’âme est une réalité pour Ste Thérèse. Elle comprend que Dieu
tout entier, Dieu Trinité habite en nous et aspire à nous sanctifier pour nous unir à Lui. Désormais,
« c’est vers les profondeurs de son âme qu’elle va s’orienter pour voir Dieu. Toute sa spiritualité
est dans ce mouvement vers Dieu présent dans l’âme pour s’unir parfaitement à Lui. »10. Lorsqu’il
lui sera demandé d’écrire sur l’oraison, Dieu la favorisera de la vision d’une âme juste :
« Dieu lui montra un magnifique globe de cristal en forme de château, ayant 7 demeures. Dans la
septième, placée au centre, se trouvait le Roi de gloire, brillant d’un éclat merveilleux, dont toutes
ces demeures jusqu’à l’enceinte se trouvaient illuminées et embellies. Plus elles étaient proches du
centre, plus elles participaient à cette lumière... »11
C’est Dieu tout entier, c'est-à-dire les trois Personnes divines qui sont présentes dans le
centre de l’âme et lorsque nous prions nous descendons dans le silence de notre cœur, le centre de
notre âme nous dirait Ste Thérèse, pour y retrouver Dieu qui est là présent et qui nous attend. Que
se passe-t-il ? Une relation d’amour entre Dieu et moi, une relation d’alliance qui fait grandir la vie
de Dieu en moi. Ecoutons ce que nous en dit le Père Marie-Eugène :
« En cette âme, Dieu réside comme en son temple préféré ici-bas (…), il lui communique sa vie
comme un père à son enfant, et avec sa vie il lui livre ses secrets et ses trésors. Devenue fille de
Dieu par la participation à la vie divine, l'âme juste peut recevoir en elle son Dieu comme un père,
remonter vers Lui et l'aimer d'un amour filial comme un enfant. »12
« L'oraison de recueillement nous fait chercher Dieu au centre de notre âme. Où pourrions-nous le
trouver plus intimement pour établir nos relations surnaturelles avec Lui, qu'en ces profondeurs de
nous-mêmes où il communique sa vie divine, faisant de chacun de nous personnellement son
enfant ? Ce Dieu présent et agissant en moi est véritablement mon Père, car il m'engendre sans
cesse par la diffusion de sa vie ; je puis L'étreindre moi-même d'une étreinte filiale en ces régions
où Il se donne. Mon Seigneur et mon Dieu réside véritablement en moi. (…) Le ciel vit tout entier
dans mon âme. En me faisant tenir compagnie à la Trinité sainte qui y habite, l'oraison de
recueillement est plus qu'une préparation à la vie céleste, elle en est l'exercice réel sous le voile de
la foi. »13
Dieu Trinité nous invite donc, chacun d’entre nous à entrer dans son mouvement d’Amour
afin de le connaître et de l’aimer, afin de recevoir tout l’Amour dont il désire nous combler. En
effet, le grand bonheur de Dieu, c’est de donner son Amour, c’est de répandre sa miséricorde.
8
. Jn 14, 21. 23
. Vie, ch. XVIII, pp. 179-180.
10
. Je veux voir Dieu, p. 26
11
. Déposition de Diego de Yepès au procès de canonisation (JVVD p. 18)
12
. Je veux voir Dieu, p. 29
13
. Je veux voir Dieu, pp. 192-193
9
Notre marche vers Dieu, vers la sainteté sera donc une intériorisation progressive jusqu’à
l’union avec Dieu dans le centre de notre âme. Cette union est une union par ressemblance d’amour,
une union qui se perfectionne et qui donne une certaine expérience de la Trinité Sainte comme nous
le décrit Ste Thérèse :
« Il me parut, que semblable à une éponge toute pénétrée et imbibée d'eau, mon âme était
imprégnée de la Divinité, et que, d'une certaine manière, elle jouissait vraiment de la présence des
trois Personnes et les possédait en elle14.
Cette expérience de Dieu décrite par Ste Thérèse peut prendre des formes diverses, comme
par exemple en St Jean de la Croix où il parle volontiers du Verbe de Dieu reposant comme
endormi dans le sein de l’âme et qui se réveille parfois pour révéler ses secrets et faire briller ses
trésors. En Ste Thérèse de l’EJ, une autre grande sainte du Carmel, docteur de l’Eglise comme le
sont Ste Thérèse d’Avila et St Jean de la Croix, nous retrouvons une expérience de même nature,
décrite sous le voile de la simplicité qui la caractérise et qui pourrait nous en dissimuler la
profondeur et la richesse. Quelques jours après s’être offerte à la Miséricorde qui est, remarquonsle, une offrande à la Trinité Sainte, Ste Thérèse de l’EJ écrit :
« Ah ! Depuis cet heureux jour, il me semble que l’Amour me pénètre et m’environne, il me semble
qu’à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et n’y laisse aucune
trace de péché. »15
N’est-il pas frappant de remarquer que les deux Thérèse ont fait une expérience comparable,
chacune l’exprimant à sa manière ? Mais en Ste Thérèse de l’EJ l’accent est mis surtout sur Dieu
Amour, Dieu Miséricorde.
Ste Thérèse d’Avila découvre aussi que ce Dieu qui l’habite est vivant. Il n’est pas quelqu’un gisant
dans un coin de l’âme, mais il en est la Vie, il en est la Lumière et il communique ses trésors, son
Amour.
En 1572 dans une de ses relations, elle nous confie :
« Ce qui fut représenté à mon esprit, ce sont trois personnes distinctes, qu’on peut voir et à qui on
peut parler séparément. (…) Ces trois personnes s’aiment, agissent en commun et se connaissent.
(…) Ces 3 personnes n’ont qu’une seule volonté, qu’un seul pouvoir, qu’une seule autorité. Aussi
l’une ne peut rien sans l’autre, et toutes les créatures n’ont qu’un seul Créateur. Le Fils pourrait-il
sans le Père créer une fourmi ? Non ; car ils n’ont qu’un seul pouvoir ; il en est de même du Saint
Esprit. Il n’y a donc qu’un seul Dieu Tout-Puissant, et les trois personnes ne sont qu’une même
Majesté. Quelqu’un pourrait-il aimer le Père sans aimer le Fils et le Saint Esprit ? Non ; celui qui
honore l’une de ces trois personnes les honore toutes les trois ; celui qui en offense une offense les
trois. Le Père peut-il être sans le Fils et sans le Saint Esprit ? Non ; parce qu’ils ne sont qu’une
seule essence, et là où se trouve l’un d’entre eux, ils se trouvent tous les trois ; on ne saurait les
séparer.»16
Ce que nous confessons dans le Credo, Ste Thérèse nous le livre comme une expérience
vivante et rejoint cette affirmation du Catéchisme de l’Eglise Catholique : « Inséparables dans ce
qu’elles sont, les personnes divines sont aussi inséparables dans ce qu’elles font. Mais dans
l’unique opération divine chacune manifeste ce qui lui est propre dans la Trinité, surtout dans les
missions divines de l’Incarnation du Fils et du don du Saint-Esprit. »17
De façon poétique mais exprimant la même réalité, St Jean de la Croix écrit dans la 2ème
strophe de la Vive Flamme d’Amour :
« O brûlure suave, O plaie délicieuse, ô douce main, ô touche délicate ! Qui a la saveur de la vie
éternelle, qui paye toute dette ! Qui donne la mort et change la mort en vie !»
Commentant lui-même ce poème, St Jean de la croix nous dit :
14
. Relation, juin 1571, ed. du Seuil, pp. 540-541.
. Man. Autob., A. folio 84 r°
16
. Relation, 22 septembre 1572, ed du Seuil, p.550
17
. CEC, n° 267
15
« L’âme expose dans cette strophe comment les trois Personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils
et le Saint Esprit accomplissent en elle cette œuvre divine de l’union. Ainsi la main, la brûlure et la
touche sont substantiellement une seule et même chose ; mais ces noms qu’elle donne désignent les
Personnes divines en raison des effets qui sont produits par chacune d’elles. La brûlure est
attribuée à l’Esprit Saint, la main au Père et la touche au Fils. »18
Le Père Marie-Eugène explicite cet enseignement de St Jean de la Croix :
« L’âme regarde les Personnes divines. Elles sont dans l’âme, distinctes dans l’unité de nature. Ce
sont elles qui font cet embrasement d’amour mais leur distinction est perçue jusque dans leur
opération unique. Le brasier est le fruit d’une brûlure attribuée à l’Esprit-Saint ; la brûlure
procède elle-même d’une touche délicate du Verbe. La touche procède elle-même de la main qui
symbolise le Père éternel qui est plein de miséricorde et tout-puissant. (…) Ces trois personnes sont
distinctes, mais leur opération de sanctification est unique. »19
A entendre ces textes, nous pourrions penser que cela n’est pas pour nous ! Cependant,
n’ayons pas peur. Nous sommes tous appelés à cette sainteté. La promesse faite par Jésus : « Si
quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera, nous viendrons à Lui et nous nous manifesterons à lui »20
est pour tout chrétien. Personne n’est exclu de cette promesse. Pour qu’elle se réalise, il suffit de
« laisser la grâce nous prendre par la main »21comme le disait le Bienheureux JP II dans sa lettre
pour le 3ème millénaire. Comment cela ? En prenant le temps de la prière pour retrouver le Christ par
la Foi, dans un moment quotidien de silence, de confiance et d’abandon à son Amour. Cette fidélité
toute simple permet à Dieu de se donner à nous et à nous de nous laisser guider par Lui. Cette prière
ne nous détourne pas de notre engagement quotidien mais elle le perfectionne si nous savons
demander humblement le secours de l’Esprit-Saint et les dispositions du cœur du Christ pour
obtenir la grâce de transformation du cœur et de réalisation pratique de cette présence de Dieu dans
notre vie. Ainsi nous mettrons en œuvre une foi aimante, dans nos relations, dans notre travail et
c’est par cette simplicité de notre vie d’enfant uni à son Père que notre être rayonnera. Ainsi, notre
vie sera belle, notre vie sera grande, notre vie portera du fruit en abondance car emportés dans le
mouvement d’amour trinitaire, nous participerons à la diffusion de la vie de Dieu dans les âmes, en
étant non plus serviteurs mais amis comme le déclare le Christ dans son discours après la Cène.
Alors ce soir, en terminant, faisons avec le Père Marie-Eugène cette prière à la Trinité
Sainte :
« Ô Père, Ô Fils, Ô Esprit d’Amour… Donnez à chacune de nos âmes, cette beauté, cette
grandeur, que vous avez rêvées pour elles de toute éternité. Nous vous le demandons humblement, ô
Père Source de toute lumière, ô Jésus notre frère, notre Maître, notre Roi, ô Esprit Saint, Amour
substantiel, architecte et ouvrier des desseins de Dieu. Réalisez toute entière cette pensée de Dieu.
Que pas une étincelle de cet amour que vous nous destinez ne reste inemployée, mais qu’elle
descende ici-bas.
Unissez-nous à vous, entrevoyez déjà toute notre participation à votre vie trinitaire. Nous y
trouverons notre bonheur, et je sais que vous aussi vous y trouverez une gloire, secondaire c’est
vrai, mais dans laquelle vous saurez cependant vous complaire.
Voilà la prière que nous faisons, ô Trinité Sainte. Elle est pour votre gloire, votre joie, pour
l’expansion de votre vie trinitaire. Assurez son efficacité par une nouvelle emprise de l’Esprit Saint.
Que chaque jour, chaque instant de notre vie marque une croissance de votre emprise. Et lorsque
vous dominerez sur chacun de nous, nous porterons témoignage de vous, là où vous nous enverrez,
comme vous nous enverrez. Et dans cet apostolat de témoignage, nous trouverons notre raison
d’être, ô Père, ô Fils, ô Esprit Saint. »22
18
. Vive Flamme, Ed. du Seuil, p. 944
. Je veux voir Dieu, p.985
20
. Jn 14, 21. 23
21
. Novo millennio ineunte, n° 20
22
. Homélie, Pentecôte 1963
19