L`influence arabe sur la langue des jeunes - UvA-DARE
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L`influence arabe sur la langue des jeunes - UvA-DARE
L’influence arabe sur la langue des jeunes Nom d’étudiant: Khadija Badouri Numéro d’étudiant: 6214819 Mémoire de Master Sous la direction de Dr. A.P. Sleeman Département de français Université d’Amsterdam Août 2011 Table des matières Avant-propos 3 1. Introduction 4 2. Histoire des Arabes depuis 700 6 2.1. Les Arabes en Septimanie, le sud de la France 6 2.2. Les Arabes en Andalusie 7 3. Les emprunts 10 3.1. Les emprunts indirects 10 3.1.1. Par le canal du latin 10 3.1.2. Par les langues méridionales 11 3.2. Les emprunts directs 11 3.3. Recherche des mots empruntés à partir du Xie siècle jusqu’au XIXe siècle 12 4. L’influence de l’arabe sur le langage des jeunes français 21 4.1. L’existence des banlieues 21 4.2. Le langage des jeunes dans les banlieues 23 4.3. Les problèmes d’identité conduisent vers une langue 24 4.3.1. Le mot grossier comme contre-culture 26 4.3.2. Le rap : une façon de s’exprimer 28 4.3.3. Le verlan 29 4.4. L’influence arabe 30 5. La recherche 33 5.1. Le mélange des langues 33 5.2. La culture « intersticielle » 36 5.3. Traits linguistiques 39 1 5.4. Langes des rues partout 44 5.4.1. La langue des jeunes en Hollande 45 5.5. Le rap 48 5.5.1. Le commencement du rap en France 49 5.5.2. Les traits identitaires dans le rap 50 5.5.3. Les traits linguistiques du rap 50 5.6. Recherche sur les mots arabes dans le rap 52 5.6.1. Les emprunts arabes dans les paroles 52 5.6.2. Les résultats 59 5.7. Recherche sur les mots arabes dans la langue des jeunes 60 6. Conclusion 64 Bibliographie 66 2 Avant-propos Le mémoire du Master devant vous est le résultat d’une recherche sur les mots empruntés à l’arabe dans la langue des jeunes qui pourraient être lexicalisés si l’utilisation de ces mots devient une routine pour la plupart des jeunes en France et donc si l’emploi de ces mots augmente. Je voulais savoir si la langue des jeunes enrichira le lexique français. Etant bilingue, mon intérêt dans les langues, surtout en français, a grandi. C’est pour cela j’ai choisi d’étudier une langue au niveau académique. Arrivée à la fin de mes études je suis désolée que ce mémoire signifie vraiment la fin de mes études en lettres. Le Master Linguistique du français m’appris beaucoup de choses. Je suis très contente d’avoir choisi ce Master. Pendant cette année je devais choisir un sujet pour mon mémoire. J’ai proposé deux sujets à mes amis et à mes soeurs. Tous ont choisi l’influence arabe sur la langue des jeunes. Comme cela, j’ai donc décidé d’écrire mon mémoire sur la langue des rues. Mon mémoire de BA portait sur les emprunts arabes en français depuis le Xe siècle jusqu’au XIXe siècle. Il s’agissait de l’histoire des Arabes qui venaient en Europe et qui ils ont laissé leurs traces dans la culture européenne. Les traces qu’ils ont laissées sur le plan linguistique étaient mon sujet principal. Je voulais continuer la recherche en me penchant sur le XXe siècle et sur la question de savoir si l’arabe joue toujours un rôle dans la langue française. Je n’ai jamais compris les jeunes français venant des cités quand ils parlaient français. Maintenant je comprends pourquoi je ne les comprenais pas. Ils parlent une langue qui n’est pas du tout le français tel qu’on le connaît. En travaillant sur ce sujet, j’ai découvert que la langue des jeunes est très diverse et fréquente. La façon dont les jeunes jouent avec la langue est vraiment une chose particulière. L’arabe est une langue qui influence cette parlure des jeunes, car la plupart des jeunes dans les banlieues sont d’origine maghrébine. Mon mémoire est enfin fini et je suis contente d’avoir fini le Master. Je veux également remercier dans cet avant-propos mon professeur Madame Sleeman pour ses corrections et son soutien, qui m’a aidée pendant le travail, et à qui je pouvais faire confiance. Et je souhaite adresser mes remerciements à mes amis et à ma famille qui m’ont écoutée et qui m’ont encouragée à finir vite mon mémoire. Merci. 3 1. Introduction La langue est un moyen par lequel on peut communiquer. On peut communiquer d'une façon formelle et informelle. Chacun parle de sa propre manière, parfois on change même l'accent ou on utilise un autre registre de langue. Avec des amis on utilise d’autres mots que quand on parle avec des profs. Chaque langue connaît différentes manières dont on peut s'exprimer. Surtout quand on veut s'exprimer de manière codée. Le français est une langue qui connaît un grand lexique de mots codés. Ces mots codés c'est ce que l'on appelle l'argot. Il y a plusieurs raisons de parler l'argot, mais on le fait surtout parce que les non-initiés ne comprennent pas ou pas bien par jeu.1 Toute époque a son argot. Autrement dit, aujourd'hui on parle d'une façon différente qu’autrefois. Ce qui est le plus intéressant aujourd’hui c'est l’argot issu de diverses communautés immigrées. Ce type d’argot est le plus parlé par des jeunes dans les banlieues. La langue des jeunes ou bien la langue de la rue en Europe occidentale est très influencée par d'autres langues. Quand on regarde la langue des jeunes aux Pays-Bas on pourrait dire que cette langue codée a été influencée par le surinamien parlé dans la banlieue d’Amsterdam ou le marocain. En France, on remarque que l'on emprunte parfois également des mots à des groupes minoritaires. L'une des ces langues étrangères, c'est l'arabe. L'arabe est une langue qui n'a pas seulement touché le français au niveau académique, mais également au niveau populaire. La langue des jeunes sert à créer un nouveau lexique. Le français connaît des emprunts directs et indirects à l'arabe. Les mots français qui ont été empruntés à l'arabe et qui sont considérés comme des mots français sont les mots qui sont mis dans les dictionnaires français. Il y a aussi des mots qui sont créés et qui pourraient être lexicalisés un jour ou l’autre. Dans ce mémoire je me concentrerai en particulier sur les emprunts nouveaux à l’arabe, c’est-à-dire les mots arabes récemment lexicalisés en français, et sur l'influence potentielle de l'arabe sur le français. La question de recherche de mon mémoire sera : La langue des jeunes peut-elle contribuer à enrichir le français par des mots arabes ? Avant de pouvoir de donner une réponse à la question de recherche, je vais sous-diviser le travail en plusieurs parties. Tout d'abord, dans le chapitre deux, je vais traiter l'histoire des Arabes depuis 700 qui sont partis vers l'Europe pour conquérir le sud de la France et de 1 Pierre Merle, „Argot, verlan, et tchatches‟ (2006) : 5 4 l'Espagne pour influencer les peuples et leur culture après que l'Islam avait été révélé. Ensuite, dans le chapitre 3, je traiterai la distinction entre les emprunts directs et indirects des mots arabes. Après, dans le même chapitre, je vais faire une recherche des mots empruntés à l'arabe qui se sont intégrés dans la langue française depuis le XIe siècle jusqu'au XIXe siècle et au XXe siècle pour trouver des mots nouveaux qui ont été récemment mis dans le dictionnaire. Pour chaque siècle du XIe siècle jusqu'au XIXe siècle j’étudierai des mots afin de savoir d'où viennent ces mots et quel est leur contexte historique. Pour les mots nouveaux, le contexte historique sera expliqué dans le quatrième chapitre qui suivra après. Le quatrième chapitre porte aussi sur l'influence arabe sur le langage des jeunes français. D'abord je vais traiter l'existence des banlieues, et puis je vais montrer que le langage des jeunes français se trouve surtout dans les banlieues. Ensuite je vais parler des problèmes d'identité et de l'influence arabe sur le langage des jeunes. Dans le chapitre 5 je traiterai la recherche. Je vais parler de la recherche que j’ai faite pour montrer que le langage des jeunes contient beaucoup de mots arabes qui pourraient être lexicalisés dans la langue française un jour. En travaillant sur ces points j'essaierai de donner une réponse à ma question de recherche. Dans la conclusion le lecteur trouvera une réponse concrète. 5 2. L'histoire des Arabes depuis 700 Pour mieux évaluer la situation actuelle, je vais traiter quelques points de l’histoire des Arabes du VIIIe siècle jusqu’au XVIe siècle, qui sont venus en Europe et qui ont influencé les modes de vie. Je ne vais pas m’attarder sur les croisades ni sur la période coloniale car il s'agit plus particulièrement des voyages des musulmans en Europe. 2.1. Les Arabes en Septimanie, le sud de la France En 718, l’armée musulmane pénétra dans la ville de Nîmes sans avoir l’intention de faire la guerre. Peu après, ils allèrent à Narbonne et y établirent une garnison forte. En 725, les musulmans bougièrent jusqu’à Autun, qui est une commune du département de Saône-etLoire et de la région Bourgogne. Le roi Eudes, le duc d’Aquitaine, avait perdu la ville de Bordeaux pendant une bataille et Charles Martel voulait donc accourir à son secours. Ils y firent le combat avec l’armée musulmane dont le chef était Abdérame. Arles était occupé par le wali de Narbonne de 734 jusqu’en 735 et pour Avignon il en était de même. Mais Charles Martel qui était aidé par son frère Hildebrand, reprit Avignon. Après il reprit le chemin du Nord après avoir incendié les arènes de Nîmes et détruit Maguelonne. Les historiens signalent aussi plusieurs années où il eut des incursions sur la Côte de Provence et des rencontres en mer. En 838, une flotte « sarrasine » qui venait de Tarragone et des Baléares, lieux espagnols, fit une escale à Marseille et sur la côte. Arrivant aux SaintesMaries-de-la-Mer, ils combattirent les troupes de Rotland qui était l’archevêque d’Arles. De 813 jusqu’en 888 la ville de Toulon fut pillée sept fois par les Sarrasins. Egalement la ville de Nice fut occupée par les Arabes et même aujourd’hui l’un de ses quartiers porte encore le nom du « Canton des Sarrasins ». Mais en 923-933 les sarrasins subirent encore une perte. Le roi Hugues qui était occupé en Italie fit appel à son beau-frère, l’empereur de Constantinople, pour venir au secours des Provençaux. Il lui demanda de brûler les bateaux des Sarrasins, et comme cela ceux-ci furent attaqués de toutes parts par l’armée d’Hugues. Ensuite les Sarrasins allèrent en la haute Provence, en Dauphine, en Savoie et puis en Suisse. Un an plus tard, Guillaume Ier, déclara la guerre aux Sarrasins à Tourtour avec un résultat triste pour les Sarrasins, qui étaient presque tous massacrés. Il y en eut qui se baptisèrent pour échapper à l’esclavage et qui se mêlèrent avec la population française et il y en eut qui sont devinrent des esclaves. 6 Même si les Sarrasins ont occupé beaucoup de villes et de régions en France, comme la Provence, il n’est resté aucun vestige réel. L’influence des Sarrasins sur l’art et la littérature française est presque nulle, selon Fathi Nasser (1966). Cependant, l’invention de la tapisserie, l’emploi de larges tuiles, l’utilisation de herses sarrasines et la culture du blé noir sont tous des traces des Sarrasins en France. Et ce sont sans doute les combats dans le sud de la France qui ont laissé des souvenirs dans les chansons de geste. Les romans de chevalerie étaient pleins d’exploits de guerre et tous les héros des chansons de geste faisaient la guerre contre les Sarrasins. Les Sarrasins ont donc laissé bien des traces dans la littérature. Pendant trois siècles les Sarrasins ont lutté en France, ce qu’ils faisaient pour répandre leur religion, pour convertir le monde à l’islam et non pas pour piller, d’après Tanouti. 2 Comme ils n’y ont pas réussi, l’occupation par les Arabes dans le Midi de la France n’a été qu’un épisode insignifiant dans l’histoire de la civilisation.3 Ci-dessus j’ai traité l’histoire des Arabes dans le sud de la France. Au moment où les musulmans se trouvaient en France, ils étaient également en Espagne. L’histoire des Arabes en Andalousie est à mon avis plus connue que celle de la France car ils ont laissé plus de traces en Espagne dans plusieurs domaines qu’en France, ce que nous verrons dans la partie suivante. 2.2. Les Arabes en Andalousie L’arrivée des Arabes en Espagne se faisait en 711 grâce à l’un des principaux acteurs de la conquête islamique de la péninsule ibérique, Tariq Ibn Ziyad. Lorsque les Sarrasins pénétraient dans le Midi de la France, ils s’étaient déjà installés en Espagne. Depuis la victoire des troupes arabo-musulmanes dans la conquête de l’Espagne, le détroit de Gibraltar porte le nom de Tariq. Le mot Gibraltar est une déformation linguistique de « Jebel Tariq », qui signifie les montagnes de Tariq.4 Rapidement les Arabes prirent Sevilla, Ecija et enfin Cordoue (Cordoba), la capitale. La dernière devint le centre administratif et politique pour les musulmans de l’Espagne. A partir de 756, elle était la capitale de l’émirat de Cordoue, qui fut fondé par le prince Omeyyade Abd al-Rahman Ier et à partir de 929 c’était un califat indépendant, d’après Gerald 2 B. Tanouti, „Naissance de l‟islam et extension de l‟empire musulman‟ – 14.12.2009 Fathi Nasser, ‘Emprunts lexicologiques du français à l‟arabe‟ (1966) : 38 4 http://encyclopedia2.thefreedictionary.com/Jabal+Tariq - 15.12.2009 3 7 Hawting.5 Avec les règnes de Abd al-Rahman III (912-961), de son fils al-Hakam II (961976) et du vizir du palais du calife Mansur ibn Abi (981-1002), appelé par les chrétiens Almanzor (Le Victorieux) et qui était également celui qui a pris Barcelone en 986, on constate que c’était la période la plus glorieuses de l’histoire de cette ville-là. L’apogée de Cordoue était quand elle était une des villes les plus peuplées de l’Occident. De 785 à 987 les musulmans y construisirent la Grande Mosquée, qui est toujours le témoin de la présence des Arabes en Espagne. Les musulmans restaient à Cordoue jusqu’en 1236, également la date de la prise de la ville par Ferdinand III. Ayant des artisanats et une grande industrie de fabrication de papier et de livres, elle était sans doute une des villes les plus cultivées du monde de cette époque. Pendant cette époque, les juifs et les chrétiens sur le territoire des Arabes avaient rencontré quelques restrictions comme l’interdiction de construire des églises et des synagogues, mais elles ne se rapportaient pas à la vie religieuse quotidienne. Au contraire, les Juifs avaient même le droit d’avoir des positions élevées dans le califat régnant. A partir du XIème siècle la situation se détériorait pour les musulmans en Europe à cause des croisades des chrétiens. Je ne parle pas de croisades dont l’objectif était la Terre Sainte, mais de la Reconquête de la péninsule ibérique. La première croisade avait lieu en 1064. Elle était organisée par les papes sous l’influence des moines français afin de faire une guerre sainte contre les musulmans d’Espagne qui étaient donc dans leurs yeux des «infidèles». Ceux qui ont joué le rôle principal dans cette croisade, étaient les Français. En 1086 les Almoravides, une dynastie berbère du Sahara, étaient invités par les princes arabes d’Espagne pour les aider contre Alphonse VI de Castille. Une autre croisade, qui eut lieu en 1087, était celle de la réunion des Français de toutes les provinces. Le pape français Urbain II continuait le combat en Espagne. Ce fut à cette époque-ci que les mosquées furent rendues au culte chrétien. Toutefois, les Almoravides pénétraient toujours dans la presqu’île ibérique et continuaient de s’y implanter. Les Almoravides avaient même réussi à occuper les Iles Baléares en 1116. La période de 1147 jusqu’en 1149 était la reconquête des villes Almeria, Tortosa, Fraga et Lérida, qui étaient retombées dans les mains des chrétiens. Le terme en arabe Al-Andalus ou bien Andalousie signifie toutes les terres de la péninsule ibérique et de la Septimanie de 711 jusqu’en 1492. Aujourd’hui quand on parle de l’Andalousie ce n’est que de la région du sud de l’Espagne qui constitue l’une des dix-sept communautés autonomes dont la capitale est Séville. Les conquêtes musulmanes ont joué des rôles importants pour l’Espagne. Grâce à la 5 G. R. Hawting, ‘The First Dynasty of Islam: The Umayyad Caliphate AD 661-750‟ (2000) : 21 8 domination arabe, elle disposait d’une floraison scientifique et littéraire alors que le reste de l’Occident était toujours dans les ténèbres. La science qui existe toujours est « née » chez les Arabes (l’alchimie, l’astronomie et les mathématiques dont l’algèbre était la plus importante) et l’influence de la science arabe se révèle dans l’usage de termes et de mots arabes par des anatomistes. Aujourd’hui nous avons toujours les dix chiffres arabes du système de calcul décimal qui ont été introduits par Abou Djafar Mohammed Ibn Mousa, par rapport aux chiffres romains qui ne s’utilisent que quand on indique le nom d’une majesté ou d’un siècle. Selon Agius les connaissances et les techniques que les Arabes ont laissées en Espagne ont touché la France, mais également dans le domaine de l’architecture, de l’art et de la littérature les Arabes ont été immortalisés évidemment.6 Les savants chrétiens venaient de tous les coins de l’Europe vers l’Espagne pour apprendre l’arabe et traduire les textes arabes en latin. Ce ne sont pas seulement les Arabes qui ont étendu leurs traditions en Europe, mais les Occidentaux sont allés en Orient et ils y ont repris beaucoup à l’aide du commerce entre le monde oriental et occidental. Après avoir traité l’histoire des Arabes en Europe à partir de 700 afin de comprendre le contexte historique que je vais donner ci-dessous en traitant les mots empruntés dans chaque siècle, je passe au chapitre suivant qui porte sur les emprunts. Dans ce chapitre je vais distinguer les emprunts indirects et directs. La distinction entre ces deux types d’emprunt est faite dans l’intérêt de l’analyse des mots dans la partie 3.4, sauf pour les mots du XXe siècle. Ce que nous allons voir c’est que les emprunts directs se trouvent en particulier dans les derniers siècles. 6 Dionisius Agius, „The Arab influence in medieval Europe‟, Richard Hitchcock (1994): 25-26 9 3. Les emprunts Dans ce chapitre je vais traiter les emprunts indirects et directs. Les emprunts indirects sont passés par plusieurs langues avant d’être utilisés en français et les emprunts directs ont été directement empruntés par le français, ce que nous allons voir ci-dessous. 3.1. Les emprunts indirects Les emprunts indirects sont des mots empruntés à travers d’autres langues avant qu’ils soient utilisés en français. La plupart des emprunts indirects sont des termes savants sur le plan scientifique comme en médecine, en astronomie, en alchimie, etc. Ces mots empruntés au moyen-âge provenant de l’arabe sont passés d’abord par le latin ou par les langues méridionales. 3.1.1. Par le canal du latin Le latin était la langue véhiculaire de l’enseignement et de la littérature, selon Walter (1998). Même après la première mention de l’existence du français au IXème siècle on considérait le latin comme langue seconde pour l’écrit pour les « lettrés ». Comme la connaissance scientifique fut reprise en latin, le latin à son tour a emprunté des mots à l’arabe et en utilisant des mots arabes. Durant cet emprunt des mots il y a eu des changements des phonèmes arabes. Le latin ne connaît pas de phonèmes laryngiens et pharyngaux et ils les ont ignorés en transmettant les mots arabes en latin. Quelques-uns ont été remplacés par des phonèmes latins qui ne se prononcent pas de la même manière qu’en arabe. De plus, à cause de limitation des consonnes latines l’on devait faire correspondre plusieurs phonèmes arabes à un seul phonème latin. Egalement l’article arabe « ȃl », qui ne distingue pas la différence entre masculin ou féminin, est souvent omis en latin, sauf dans les termes d’alchimie et d’astronomie on le retrouve encore. Selon Nasser (1966), les mots empruntés de cette époque qui ont été transmis en latin proviennent de l’arabe de l’Espagne.7 Il y a de petits changements entre le latin et le français. Les mots ont été adaptés au français, par exemple on a ajouté un article et le e « muet » a remplacé le « a » à la fin des mots latins. 7 Nasser (1966), 127-129. 10 3.1.2. Par les langues méridionales Le français connaît également beaucoup de mots provenant des langues méridionales, qui sont les langues européennes du sud. Les mots espagnols et italiens empruntés à l’arabe ne rencontrent pas de problèmes en ce qui concerne les voyelles, sauf que la différence entre les voyelles brèves et longues était négligée. La voyelle brève disparaissait quand elle se trouvait entre une consonne et le « r vibrant ». Par exemple dans le mot arabe « ǎl-bǎrqūq » nous voyons que la voyelle brève est le « ǎ » entre la consonne « b » et le « r vibrant ». Cette voyelle disparaît dans les langues méridionales et le mot devient « albricoque ». Un autre exemple donné dans « Emprunts lexicologiques du français à l’arabe » de Nasser (1966) est le mot « kafir » qui devient en espagnol « cafre ». La voyelle brève arabe « i » disparaît. Un autre point remarquable est le « e épenthétique » qui se trouve entre deux consonnes dans les langues méridionales, là où l’arabe relie les deux. Ce « e épenthétique » ressemble beaucoup au « e » muet. Par exemple le mot arabe « qatran », qui devient en italien « caterane ». Normalement en arabe nous rencontrons deux consonnes l’une à côté de l’autre, mais en italien, on ajoute le « e épenthétique ». D’autre part, beaucoup de mots espagnols ne connaissent pas ce « e épenthétique » comme, le mot « kurkum » qui devient « curcuma » et « zarbatanah » qui devient « zarbatana ». A côté des emprunts indirects nous avons les emprunts directs que je vais traiter cidessous. Ces emprunts ne connaissent pas d’autres canaux, ils ont tout de suite été empruntés à l’arabe par le français. 3.2. Les emprunts directs Les emprunts directs sont des mots que l’on a empruntés directement à une autre langue. En néerlandais on connaît aussi des mots empruntés. Souvent il s’agit de mots qui ont été empruntés au français ou à l’allemand. Aujourd’hui on a beaucoup de mots anglais dans le vocabulaire du néerlandais. Mais dans ce mémoire il s’agit des mots empruntés dans la langue française qui ne sont pas d’origine française, mais d’origine arabe. Les mots empruntés arabes s’introduisent en français par le contact entre le monde arabe et le monde occidental. Le peuple français avait des contacts avec les Arabes qui connaissaient déjà beaucoup de produits et de termes scientifiques qui étaient encore inconnus en français comme nous avons vu cidessus. Les Français se mettaient en contact avec ce « nouveau monde ». Je peux commencer à faire la recherche des mots empruntés, maintenant que nous savons la différence entre les emprunts indirects et directs. 11 3.3. Recherche des mots empruntés à partir du XIe siècle jusqu'au XIXe siècle Cette partie comprend des mots dont la date de la première attestation en français est du XIe siècle jusqu’au XIXe siècle. A l’aide de cette recherche je voudrais savoir si la plupart des mots empruntés provenant de l’arabe ont été implantés en français d’une manière directe ou indirecte. Pour cette recherche je prendrai 5 mots de chaque siècle afin de montrer l’origine et le contexte dans lequel ils ont été implantés en français. En traitant les mots, je donnerai également les considérations phonétiques. Les mots empruntés suivants du XIe siècle jusqu’au XIXe siècle ont déjà été mis par Fathi Nasser dans son livre, ce n’est pas mon propre travail.8 Pour les mots du XXe siècle ce sont des mots venant du dictionnaire Le Petit Robert Electronique. A mon avis l’auteur a commencé au XIe siècle, parce que l’emprunt des mots a commencé au moment où une interaction « respectueuse » régnait entre les Arabes et les Occidentaux malgré les croisades. De plus on parle de l’ (ancien) français à partir du Xe siècle et la publication de textes français commençait vers le Xe siècle. XIe-XIIe siècle Sirop : Le mot vient du mot arabe classique: « šǎrāb » dont le sens propre est « boisson » et qui se disait de sirops de toutes sortes dans la médecine arabe. Le mot a été emprunté au latin médiéval du mot « sirupus ». Nous voyons que le « š » a été remplacé par le « s », qui a aussi été introduit par le latin. Mamelouk : le mot vient de l’arabe d’Egypte « mǎmlūm », un mot qui signifie les esclaves d’origine turque ou circassienne. En 1250 les milices de Mamelouks déposèrent le Sultan d’Egypte. Le français a repris ce mot pendant la période des croisades après 1064. Ce mot a été repris dans la forme du singulier arabe. Le mot « mamelouk » n’a pas connu pas changements en dérivant le mot de l’arabe sauf que le mot contient un « e épenthétique » là où en arabe les deux consonnes se suivent immédiatement. Sarrasin : le mot vient du mot arabe « šǎrqǐyyīn », qui veut dire « oriental » en arabe. Cet emprunt venait du latin médiéval « sarracenus » et il vient probablement du grec. En grec le mot indique une ville d’Arabie « Saraka ». Nous voyons que dans le mot « šǎrqǐyyīn » le « q » 8 Nasser (1966), 175-581. 12 a disparu en français alors qu’en latin il a été remplacé par « c ». Le « š » a été remplacé par le « s », qui a aussi été introduit par le latin. Hasard : le mot vient de l’arabe « ǎz-zǎhr », qui est un emprunt par l’intermédiaire de l’espagnol en 1150. Ce mot a été dérivé du jeu de dés. Dans le mot « hasard » le « ǎ » a été remplacé par le « h » et le « h » en arabe a été omis en français alors que normalement il doit être remplacé par « h » en langue méridionale. Le « z » a fait place au « s » en français en orthographe et en prononciation c’est toujours le « z », mais l’espagnol a gardé le « z » en orthographe. Haras : le mot a été emprunté au mot arabe « fǎrǎs » qui signifie « cheval », mais le mot connaît aussi une autre hypothèse. Probablement le mot a été dérivé du mot arabe « hārǐs » qui signifie « gardien ». XIIIe siècle Gazelle : le mot vient du « ġǎzālǎh » et l’italien a emprunté le mot « gazella » qui vient luimême de l’arabe. Ce mot a été introduit pendant les croisades au moment où les chrétiens allaient en Orient. Girafe : le mot est venu par l’intermédiaire italien « giraffa » de l’arabe « zǎrāfǎh ». Ce mot a été introduit pendant les croisades quand on avait rencontré ces animaux. La raison pour laquelle ce mot est passé par l’italien est que les Italiens ont joué un grand rôle dans le commerce en Orient. Le « z » en arabe pouvait être remplacé par le « g » et le « z ». La fin du mot a été remplacé par le « e muet » en français. Turbith : c’est un mot venant de l’arabo-persan « tŭrbǐd », mais son origine se trouve aussi en Hindi. Le français a emprunté ce mot au latin. Il s’agit d’un mot qui s’utilise en médecine. Les mots de la médecine sont passés par le latin. En ce qui concerne les correspondants c’est un cas inexplicable à cause de « th », car ni le latin ni les langues méridionales ne connaissent cette combinaison de lettres. C’est que normalement le « d » remplace le « d » en arabe. Alchimie : le mot « ǎl-kīmǐyāɔ » a été emprunté par le grec et aussi par le latin en 1275. Tout comme « turbith », c’est un mot scientifique. Il a été emprunté à l’époque où les musulmans 13 ont mis l’Europe dans un état cultivé comme la période florissante de Cordoue. Le « ch » vient clairement du latin qui remplace le « k » par le « ch » car dans les langues méridionales on trouve le « c » qui se prononce comme « k ». Il est étonnant que l’article ait été gardé. Orange : le mot vient de « nārǎndj », qui veut dire « orange amère ». Il vient du mot espagnol « naranja ». Avant d’arriver en espagnol, l’orange amère était transmise par les Arabes qui l’importaient en Sicile, d’où elle passait au reste de l’Europe méditerranéenne. C’est un cas spécial grâce à l’effacement des lettres « n » et « o ». XIVe siècle Bougie : le mot « bougie » est différent des autres mots car il a été dérivé d’un mot d’une ville nord-africaine « Bŭdjāyāh » (Algérie) dont la production était le cire. Après l’Orient, les Français allaient en Afrique du Nord pour son blé etc. au XIVe siècle. La fin du mot en arabe a changé. Guitare : le mot « guitare » vient du mot arabe « qǐṯārǎh » qui est d’origine grecque, mais le mot a été emprunté par l’intermédiaire de l’espagnol « guitarra ». Le « q » qui signifie la lettre arabe « » قa été remplacé par la lettre « g ». Limon : limon vient du mot arabo-persan « lǎymūn » emprunté avec le même sens. Selon quelques dictionnaires le mot a été emprunté directement à l’arabe et d’autres disent qu’il est venu de l’italien après les croisades. Les Italiens vendaient leurs produits venant de l’Orient aux Français. Le mot « limon » a été repris dans la même forme. Alcool : le mot était « ǎl-kŭhl » en arabe. Ce mot est connu dans la pharmacie et est un bon exemple des mots qui appartiennent au vocabulaire scientifique arabe et qui ont été empruntés par le latin dans les ouvrages scientifiques avec une influence espagnole dès 1278. Le mot a été emprunté dans la deuxième moitié du XIVe siècle par le français. Le mot « alcool » a gardé l’article, qui n’était pas utilisé en latin. Le « h » en latin a été omis en français. Le mot « alcool » a été emprunté selon Nasser (1966) vers 1370-1478, alors que le Petit Robert donne l’année 1586 comme date de la première attestation. Douane : mot d’origine persane devenu le mot arabe « dǐwān » et emprunté par le français par l’intermédiaire italien « doana ». Sofa désignait une estrade avec des coussins ou une banquette dans la mosquée. Un « divan » ressemble à un sofa, mais on utilisait celui-ci 14 comme canapé alors qu’un divan « diwan » signifiait un registre en persan. A partir de ce sens du mot, on utilisait ce mot pour indiquer le conseil d’Etat ou le greffe et de cette manière le mot a été emprunté par l’arabe. Les Arabes utilisaient le mot pour « bureau de péage » où se percevaient les droits de douane. Pour obtenir le mot « douane » on a bien remplacé des lettres à l’aide de l’usage des langues méridionales. Le « i » a été remplacé par « o » et il est étonnant que le « v » ait disparu en français et ait été remplacé par « ua ». XVe siècle Magasin : le mot « măhāzĭn » en arabe veut dire « lieu de dépot ». Le mot a été emprunté à l’italien « magazinno » ou au provençal, mais le latin connaît déjà ce mot qui est nommé dans une loi sur les contrats permettant aux Marseillais d’établir des entrepôts au Maghreb après le XIVe siècle. Le « n » dans le mot est devenu nasal en français. La lettre arabe « » خ, qui est le son <kh>, se remplace par « g, k, f, h » dans les langues méridionales comme dans « magasin ». Bazar : le mot est d’origine persane, mais l’emprunt a été fait à l’arabe. Le mot vient d’un lieu qui s’appelle Bathzar (marché public oriental) à Damas où l’on vendait des robes et des tocques. La Syrie était très populaire pour les marchandises, surtout pendant ce siècle-là. Le mot « bazar » n’a pas connu de changements lexicaux. Bazar : le mot est d’origine persane, mais le français l’a emprunté à l’arabe. La forme « bazar » a été emprunté à l’arabe d’Afrique du Nord. Toutefois l’arabe préfère le mot « souk ». Le mot ne connaît pas de changements dans la prononciation. Chiffre : Le mot vient de l’arabe « sǐfr » dont la signification est « zéro /vide » en arabe, et est venu en français par l’intermédiaire italien « cifra » ou par le latin « cifra ». Les chiffres étaient introduits en Occident vers l’an 1200, mais le mot a été introduit en français après, à cause des paiements du commerce. Quand nous regardons le mot latin et le mot italien, nous voyons que la première lettre dans ce mot arabe n’a pas été remplacée par un « c » dans la graphie. La prononciation était probablement « s » en latin. Zéro : le cas de ce mot est assez marrant car le mot arabe « sǐfr » a été repris deux fois, une fois dans un emprunt et l’autre fois dans le sens du mot. Par plusieurs intermédiaires probablement, par l’espagnol et l’italien « cero et zefiro » et par le latin « zephirum ». La 15 période d’emprunt de ce mot est la même que celle du mot chiffre. Il n’y a pas de sens comparable, car le mot « zéro » a obtenu le sens « vide », qui est le sens du mot arabe « sǐfr » XVIe siècle Abricot : le mot vient de l’arabe de l’Espagne « ǎl-bǎrqūq » qui a été repris par le mot catalan « abercoc ». Le mot a été dérivé assez tard, car l’arabe classique devait se mêler avec l’espagnol d’abord. Le mot « abricot » a gardé l’article, ce qui est souvent le cas quand l’espagnol dérive un mot de l’arabe, mais on voit que le mot commence par « a » au lieu de « al » qui réfère aussi à l’article. L’arabe connaît deux sorte de l’article dans la prononciation, l’un qui est prononcé comme « al » et l’autre comme « a » quand il est suivi d’une consonne avec l’accent de tension qui suit l’article directement (redoublement de la consonne, ‘emphasis’). On voit que le « q » a été remplacé par « c » en catalan et après le français a perdu l’autre « c ». Chérif : le mot vient du mot arabe « šǎrīf » dans le sens honnête /noble, qui désigne les descendants du prophète Mohamed. L’intermédiaire est le mot italien « sceriffo ». Probablement ce mot a été emprunté quand les contacts commerciaux s’amélioraient après le XIVe siècle et que les Occidentaux se mêlaient avec les Arabes en Syrie, en Egypte et en Palestine. Normalement le « š » ne correspond pas à des lettres dans les langues méridionales, mais l’italien a remplacé cette lettre par « sc » alors que le français l’a remplacé par « ch », qui correspondent toutes les deux à la prononciation de l’arabe. On voit que la voyelle longue en arabe a été négligée. Cafetan : le mot provient de l’arabe « qǎftān » et est le même en arabo-persan « ḫǎfān » qui a été emprunté à son tour au turc. Les Français ont en partie repris la mode arabe après être allés en Orient. Donc pas seulement la science, mais également la mode était un exemple pour ce mélange de cultures différentes. Le « q » en arabe a été remplacé par « c » et le français y a ajouté un « e muet ». Mufti : le mot « mufti » date de 1546 et signifie une personne qualifiée qui donne une consultation dans le monde musulman. L’emprunt de mots qui concernent la religion est fréquent dans cette période. Le monde occidental a fait la connaissance avec l’islam dès que les Arabes sont venus en Europe. Mais leur religion fut respectée après que les chrétiens pouvaient garder leurs églises en Orient. Cette preuve de paix s’est montrée dans la période où les chrétiens vivaient en paix en Orient. Le mot « mufti » n’a pas connu de changements. 16 Algèbre : le mot vient du mot « ǎl-djǎbr ». Ce terme arabe est passé en français par des livres de mathématiques dans lesquels le mot latin médiéval était « algebra ». Ce mot est passé d’abord par l’espagnol avant qu’il fût repris par le français et donc c’est là la cause du retard de cet emprunt alors que le mot existait déjà en latin en Europe. L’article est présent dans le mot « algèbre » et le « dj » a été remplacé par « g », ce qui est le cas dans les langues méridionales et le latin. Le « a » final en latin a été remplacé par le « e muet » en français. XVIIe siècle Minaret : le mot est venu du turc « menarat », qui vient du mot arabe « mǎnārǎh ». Le mot date de 1606 pour désigner la tour d’une mosquée dont l’Andalousie en était pleine dans cette période. Le mot français « minaret » a été dérivé du mot turc sans avoir trop changé, sauf que le « i » correspond à la prononciation turque « e ». Mesquin : le mot vient du mot arabe « mǐskīn » qui signifie « pauvre ». Le mot a été repris de l’italien du mot « meschino ». Ce mot ne connaît pas de changements phonétiques. Talisman : le mot est d’origine grecque et il vient de l’arabe « tǐlǎsm » et après il est passé au français par l’intermédiaire de l’italien et de l’espagnol. Il date de 1637. Ni la langue méridionale ni le français n’a connu des changements excessifs dans le mot « talisman ». La terminaison –an peut s’expliquer par l’hypothèse d’un emprunt au persan. Djinn : les Arabes ont emprunté le mot « djǐnn » en Inde et après il a été repris par le français de l’arabe et D’Herbelot a contribué à la diffusion de ce mot en France vers 1671. Le mot « djinn » n’as pas connu de changements car le mot a été emprunté directement à l’arabe par le français. Les Français ont emprunté ce mot à l’arabe et pas au Hindi, d’après Nasser (1966). Copte : le mot arabe s’utilise toujours en arabe « qŭbt » pour les chrétiens égyptiens. Le mot vient du mot grec « acgyptios ». Le mot apparaît en 1690 en français. Nous voyons que la lettre arabe « » قqui s’est transcrite par « c/qu » s’écrit par « c » dans le mot « copte ». 17 XVIIIe siècle Soda : mot emprunté en 1701 venant de l’arabe « sŭdāε » et qui a été introduit dans les langues européennes par des ouvrages de médecine. Probablement le mot a été emprunté au latin. La dernière lettre du mot arabe a été négligée par le latin et a souvent été remplacée par « a », ce qui est le cas ici. Moka : le mot vient du nom d’un port du Yemen « mŭḫā » d’où on exportait le café d’Arabie. La première parution était en 1751. Le café était donc l’un des produits qui sont venus en Europa grâce à la marchandise. Si un mot était emprunté par une langue méridionale on aurait des lettres comme « k, g, f, g » pour remplacer la lettre arabe qui est au milieu du mot. Le français l’a repris. Ottomane : le nom a été formé par les Arabes pour désigner les turques dont le fondateur de la dynastie s’appelait Uthman, qui régnait de 1259 à 1326. En 1780 le mot a été repris par le français pour désigner le siège pour s’y reposer à la manière des Orientaux. On a remplacé la lettre « th » par « t » dans le mot « ottomane ». Zircon: le mot vient du mot arabe « zarkūn ». C’est un cas intéressant car le mot n’a pas été emprunté à l’arabe mais au latin. Mais le français a indirectement emprunté ce terme à l’arabe, car ce sont les Arabes qui ont élaboré la chimie. Le mot date de 1793. Le mot « zircon » est un cas pareil que le mot « copte », parce que la lettre arabe « » ق, qui se transcrit par « c/qu », s’écrit par « c ». Raia : le mot vient en 1765 par le canal turc aux langues européennes et provient du mot arabe « rǎεǐyyǎh ». Le turc ne connaît pas la lettre « ε » comme les langues méridionales et le latin. Donc cette lettre a été négligée, comme en latin et les langues méridionales où cette lettre a été omise. XIXe siècle Divan : le mot est arabe, et est le mot dont le mot « douane » a été emprunté. Ici il signifie une sorte de sofa. Ce mot est passé au français en 1812 par le canal turc. Le sens en arabe d’Egypte est « sofa ». Il n’y a pas de changements dans le mot « divan » sauf que la lettre « v » représente la prononciation de la lettre arabe « » وdans les langues méridionales et probablement aussi en turc. 18 Razzia : le mot vient de l’arabe algérien « ġāzyǎh » qui a été dérivé de l’arabe classique. Ce mot a été emprunté pendant la conquête de l’Algérie et on l’emploie pour désigner les invasions faites par les soldats sur un territoire étranger ou ennemi. 9 Le mot « razzia » a été emprunté directement par le français à l’arabe et la lettre « » غa été remplacée par le « r » dorsal en français, qui ressemble beaucoup à la prononciation de la lettre arabe. Dans les langues méridionales ce serait plutôt le « g », qui correspond au « c » en français. Goule : le mot vient de l’arabe « gūl », qui signifie une sorte de démon, un ogre. Le mot a été rencontré dans la littérature française chez Victor Hugo en 1863. Casbah : le mot est toujours souvent utilisé. Le mot vient de l’arabe du Maghreb « qǎsbǎh » et il a été implanté en français au moment de la conquête de l’Algérie. Le mot espagnol vient aussi de l’arabe. Peut-être le français n’a pas eu d’intermédiaire dans ce cas et le mot date de 1845. Nous voyons que le mot « casbah » a été repris dans la même forme qu’en arabe, sauf que la première lettre a été remplacée par « c » en français comme dans les langues méridionales. Bled : le mot a été emprunté à la fin du XIXe siècle à l’arabe du Maghreb « bläd », qui est une dérivation de l’arabe classique « bǐlād ». Ce mot se représente en français par l’argot militaire qui indique « territoire, pays ». Le mot « bled » n’a pas connu de changements car il a été directement emprunté à l’arabe par le français. Après avoir traité les mots pour chaque siècle, je pourrais constater que la date de la première attestation en français diffère dans les dictionnaires. Nasser (1966) utilise d’autres dictionnaires que le Petit Robert. Parfois je rencontre des mots qui diffèrent selon le siècle de la première attestation. Dans ce cas-là, où l’apparition d’un mot est différente de celle du dictionnaire le Petit Robert, j’ai pris la date de la première attestation donnée dans le Petit Robert. Le siècle qui suivra contient des mots empruntés au XXe siècle. Le plus remarquable est que tous les mots soient des emprunts directs. Les mots ont été empruntés pendant la période coloniale, ou après, à cause de l’immigration arabe en France. Aucun de ces mots n’a été changé pendant l’emprunt du mot. En raison du fait que les mots ont été conservés dans leur 9 Nasser (1966), 548. 19 forme originale et que le sens ne va pas de soi, je donnerai également la signification pour chaque mot. J’ai cherché les mots dans le dictionnaire le Petit Robert. XXe siècle Aïd : le mot « aïd » a été emprunté par le français en 1936. Le mot signifie en arabe une fête religieuse. Ces derniers temps, le mot a souvent été utilisé pour indiquer la fête religieuse musulmane. Bendir : le mot date du début du XXe siècle. Le « bendir » est un tambourin rond en peau de chevreau ou de mouton que l’on trouve souvent dans les pays arabes de l’Afrique du Nord. Chorba : le dictionnaire donne une signification comme ‘soupe épaisse à base de viande de mouton, légumes secs, tomates et petites pâtes, parfumée à la menthe’. Littérairement « chorba » signifie tout ce qu’on peut boire. Le mot date de 1977. Je pense que le retard de l’introduction du mot s’explique par le fait que les femmes maghrébines sont venues en France dans les années 70 et ce sont les femmes qui ont introduit les repas maghrébins. Hidjab : le mot a été emprunté vers l’année 1984 à l’arabe. C’est un voile qui couvre les cheveux, les oreilles et le cou des femmes. Omra : le mot « omra » signifie la visite des lieux saints de l’islam, la Mecque et Médine, effectuée pendant la période de pèlerinage. Le lecteur a pu constater que j’ai essayé de prendre des mots qui sont toujours fréquents en français et pour chaque mot j’ai donné son contexte historique et son origine. A propos de ces mots je pourrais dire que les mots jusqu’au XVIe siècle sont surtout des emprunts indirects où plusieurs intermédiaires ont joué un rôle et après le XVIe siècle, les mots ont été empruntés directement à l’arabe par le français. De plus, nous avons vu que l’histoire des Arabes ne contient pas les dernières années des Arabes en France. Les mots du XXe siècle ne contiennent pas le contexte historique. Ce contexte sera traité dans le chapitre suivant. 20 4. L’influence de l’arabe sur le langage des jeunes français Dans cette partie je vais traiter l’influence de l’arabe sur le langage des jeunes en France. Non seulement, autrefois, l’arabe a joué un rôle dans le lexique français, mais également aujourd’hui, où les jeunes se rencontrent dans les rues. Le langage des jeunes existe évidemment dans les rues où la langue ne connaît pas de restrictions. Surtout dans les endroits où il y a beaucoup de langues différentes. Les banlieues sont un bon exemple pour cette « nouvelle » langue créée par les jeunes. Dans la sous-partie suivante je vais d’abord traiter l’existence des banlieues françaises avant de me concentrer sur l’influence arabe sur la langue française d’aujourd’hui. 4.1. L’existence des banlieues Quand on entend quelqu’un parler des banlieues on pense souvent à des ghettos comme aux Etats-Unis. Mais qu’est- ce que c’est qu’une banlieue ? La banlieue est un territoire qui n’a pas choisi son destin. Pour préciser la réponse à la question je prendrai la citation de Le Goaziou. « Elle est trop éloignée du centre pour prendre part aux décisions et trop près pour ne pas en subir l‟influence des pouvoirs ».10 Les banlieues dont on parle aujourd’hui ne sont pas seulement des endroits situés à la périphérie des grandes villes urbaines. Les problèmes qui touchent les « banlieues » touchent également certains quartiers des villes. Ce qu’on oublie souvent c’est l’origine des banlieues. L’exode qui a commencé vers les « banlieues », en particulier dans le sud et l’ouest de Paris, a été dominé par l’aristocratie à la fin du XVIIe siècle.11 C’étaient les grands du monde qui y sont allés chercher bon air, bienêtre et repos.12 Vivre dans les banlieues était s’offrir le luxe d’une vie rurale. Mais il ne faut pas non plus oublier que les banlieues populaires ont également une histoire. La banlieue au sens moderne du terme est issue de trois événements : l’exode de la population rurale, la Révolution Industrielle et le développement du transport dans les XIXe siècles et XXe siècles, mais également d’un grand changement sur le plan politique et sociologique.13 Avec l’arrivée 10 Véronique le Goaziou, „Les banlieues‟, Charles Rojzman (2006) : 10 Armstrong & Jamin, „Le français dans les banlieues: Uniformity and discontinuity in the French of the Hexogone‟ (2002): 115 12 Le Goaziou, 10. 13 Armstrong, 114. 11 21 de la Révolution Industrielle il y eut un grand exode rural et le peuple se plaça dans le nord et le nord-est de Paris où l’industrie commençait à développer. Autour de ces terrains d’industrie il y eut des zones peuplées par des gens venant des classes inférieures, les ouvriers. A la fin du XIXe siècle on connaissait trois types de banlieues parisiennes : 1). Les faubourgs de la classe ouvrière dans le nord et dans le nord-est. 2). Les quartiers de la classe moyenne dans l’ouest et dans le sud-ouest. 3). Des zones suburbaines d’agriculture dans le sud et dans le sud-est.14 Aujourd’hui on connaît toujours cette répartition à Paris, surtout le nord est devenu à travers le temps plus pauvre et plus industriel. La population de la banlieue « moderne » a augmenté, en particulier à cause du baby boom et de l’arrivée des immigrants nonmétropolitains. Cette augmentation du peuple a été la raison pour des bidonvilles dans les banlieues parisiennes. A cause de cela, le gouvernement devait créer des ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité) en 1958 15 . Les ZUP ont attiré beaucoup de gens et c’est ce qu’on appelle la période des grands ensembles, ce qui a donné la banlieue au sens moderne du terme. Mais cette idée des grands ensembles a échoué. Le but était de créer plus d’espace, mais malheureusement il n’a jamais été réalisé. Même le transport commun était négligé, alors que l’idée était que les gens pouvaient facilement voyager à leur travail. Un grand nombre des grands ensembles sont devenus des « zones sensibles » vers les années 80. Les problèmes s’accumulaient et causent des problèmes économiques et des tensions sociales. Un autre but des ces grandes ensembles était d’améliorer le confort. Mais avec l’arrivée des immigrants venant des pays différents l’idée de la vie collective changea. C’était à cause de leurs origines ethniques et de leur manière de vie qui était toute différente de celle des Français. Ceux qui avaient les moyens, quittèrent les grands ensembles pour aller habiter dans la « grande banlieue » dans les logements individuels et ils étaient remplacés par les immigrés dans les années 60 et 70. La plupart des immigrés sont d’origine maghrébine. La raison pour eux d’aller vivre dans les grands ensembles était les loyers modérés. Au bout de quelques années le nombre de jeunes augmenta fortement. De cette manière, une nouvelle génération naquit dans ces banlieues. On pourrait dire que cette génération attend un avenir d’or, mais rien n’est moins vrai malheureusement. Les jeunes connaissent quelques problèmes sociaux, comme le taux de chômage qui est plus élevé chez les jeunes dans les banlieues que le taux moyen national16. Non seulement le chômage dont les jeunes souffrent mais également la criminalité augmente. La criminalité peut être expliquée par le fait que les 14 Armstrong, 116. Ibidem, 117. 16 Ibidem, 118. 15 22 jeunes ne peuvent pas travailler à cause du chômage, comme j’ai mentionné ci-dessus, et par l’absence de compétence des parents de les aider avec leurs devoirs scolaires. L’additionnement de ces trois choses, résulte en une culture qui commence dans les rues et qu’on appelle en anglais « street culture ». Les jeunes s’ennuient et ils se rencontrent donc dans la rue. Cette rencontre est le début d’une nouvelle langue : la langue des jeunes. Je finis la partie qui traite brièvement l’histoire sur l’existence des banlieues et je passe à la partie qui portera sur le langage des jeunes dans les banlieues. Ce sont évidemment les jeunes qui sont importants pour mon mémoire. 4.2. Le langage des jeunes dans les banlieues Nous avons vu que la langue des jeunes en France trouve son origine dans les banlieues. Evidemment la France connaît depuis longtemps l’argot. Jouer avec les mots n’est pas une chose qui est nouvelle. Presque toutes les langues connaissent ce jeu de mots. Le français est quand même un peu plus excentrique que d’autres langues européennes. Surtout quand on regarde la nouvelle langue des jeunes d’aujourd’hui. Elle est large grâce au brassage des couches sociales et parfois non compréhensible pour « les étrangers ». En raison de la vie mixte dans les banlieues, il se crée une nouvelle langue. Nous nous concentrons pour plus de facilité sur la capitale. Paris peut être considéré comme un monde à part quand on regarde toutes les nationalités qui s’y trouvent. Elle connaît une population étrangère forte : 53 400 Portugais, 52 360 Algériens, 36 600 Espagnols, 31 780 Tunisiens, 24 020 Marocains, et 22 896 Asiatiques et beaucoup plus d’autres nationalités en 1982.17 On peut donc dire que ces « étrangers » parlent leur langue maternelle, soit le portugais, l’espagnol soit l’arabe etc. La langue maternelle est une langue qui est surtout parlée à la maison. Elle est souvent considérée comme personnel, comme quelque chose qui est partagée chez soi. Quelques exemples donnés par des jeunes français suivront ci-dessous :18 - l’espagnol, pour moi, c’est quelque chose qui est entre mes parents et moi. (MarieJosé) 17 18 - L’espagnol c’est ma langue mais c’est pas ce que je parle (Sylvie) - Le français c’est une langue, c’est pas la mienne (Kamel) - L’arabe c’est ma langue (Sélim) Louis-jean Calvet, „Les voix de la ville‟ (1994) : 253 Jacqueline Billiez, „La langue comme marqueur d‟identité‟ (1985) : 101 23 Quand je regarde ces deux derniers exemples, je pourrais dire que cela va bien de pair avec le fait que la langue maternelle est parlée à la maison. Mais quand je rencontre des jeunes maghrébins qui vivent en France, ils parlent pourtant plus le français que l’arabe avec leurs parents. C’est ce que l’auteur Calvet écrit aussi dans son article. Les enfants d’immigrés ont tendance à parler français en famille, surtout les jeunes d’origine maghrébine qui connaissent mal l’arabe. Même si les parents s’adressent aux enfants en arabe, ils leur répondent à leur tour en français.19 Mais qu’est-ce qui rend la langue arabe si importante pour ces jeunes qui admettent que le français n’est pas leur langue, mais qui parlent quand même le français chez eux. Cette opposition peut être expliquée par les problèmes qui se trouvent autour de la recherche de leur « vraie » identité. Je traiterai ceci dans la partie suivante. 4.3. Les problèmes d’identité conduisent vers une langue On distingue deux types de banlieue : la grande banlieue et la petite banlieue.20 La grande banlieue est une zone où la classe moyenne règne. Les petites banlieues sont des zones qui sont directement en rapport avec les villes et où la classe ouvrière règne. Ces banlieues évoquent des problèmes économiques et sociaux. Ces problèmes chez les jeunes comme le chômage de longue durée, précarité, crise du lien social, processus d’exclusion et de marginalisation jouent un grand rôle dans les problèmes d’identité.21 Il n’est pas si étonnant que les jeunes aient des problèmes d’identité si l’on regarde l’environnement dans lequel ils vivent. Il s’agit de jeunes qui vivent dans les banlieues populaires industrielles où la population ouvrière est relativement importante, comme nous avons vu ci-dessus.22 Le terme « la banlieue » représente aujourd’hui les jeunes en difficultés dans des zones sensibles. Quelle que soit son origine, qu’il soit Français d’origine française ou Français d’origine étrangère, tout le monde vit dans les mêmes conditions dans les banlieues. Les jeunes connaissent une vie de « galère ». Les banlieues ne connaissent pas le marqueur social.23 Le problème est que les jeunes n’ont pas d’endroits où ils peuvent aller. La distinction entre l’espace privée et l’espace publique est très peu. Dans les banlieues le nombre des jeunes est plus grand que celui des adultes et parce 19 Calvet, 256. Armstrong, 119. 21 Dominique Baillet, „La langue des banlieues entre appauvrissement culturel et exclusion sociale‟(2001) : 29 22 Ibidem 23 Armstrong, 120. 20 24 que les jeunes se rencontrent dans les rues car ils n’ont pas d’endroits où ils peuvent aller pour passer le temps, cela cause la tension sociale entre les jeunes et les adultes. Les adultes trouvent que les jeunes les dérangent. Ils se trouvent entre appauvrissement culturel et exclusion sociale. L’idée d’être perdus dans la vie sociale mène ces jeunes à une nouvelle création : le langage des jeunes. Quelle que soit la langue maternelle, ils utilisent un même langage. On pourrait dire que ce langage est une langue parlée dans les banlieues. Ce qui est si intéressant dans ce langage, c’est non seulement le lexique, mais également l’aspect socioculturel. Il faut se rendre compte que les jeunes ont des contacts mixtes. A cause des problèmes qu’ils partagent, ils font une nouvelle culture : « une culture du territoire : ils font du dehors, qui est la rue, un dedans qui devient alors leur propre territoire », ainsi Dominique Baillet. Ces jeunes connaissent un semi-échec scolaire, ils rencontrent des difficultés à l’école très tôt. De plus, leur situation à la maison n’est plus tranquille et rassurante. De cette manière ils se caractérisent par un « langage des banlieues ».24 Ils le parlent avec leurs camarades, au cours de leurs relations sociales qui se dévéloppent dans la rue. A part la vie dans la rue, la vie scolaire participe également à cette parlure. Je vais citer un élève qui a été interrogé sur son lexique par Bernard Seux: « je parle comme ça dans la rue, avec les copains, à l‟école aussi, on délire ». Le collège est donc directement concerné et devient parfois lieu d’apprentissage.25 Cette langue « codée » est employée à l’adolescence, mais ils apprennent à l’utiliser à un âge très jeune. Normalement le langage des jeunes, si je prends les Pays-Bas comme exemple, connaît un langage uniforme. Cela veut dire que dans les cités dans toutes les grandes villes où il y a beaucoup de jeunes d’origines étrangères ils utilisent presque le même langage des jeunes. La France connaît plusieurs « types » de langage des jeunes. Des enquêtes sociologiques ont montré que quelques expressions étaient employées dans une région ou dans une banlieue spécifique. 26 Les jeunes de Chambon-Feugerolles admettent cela: « On parle comme ça dans la rue, ouais mais pas dans la rue des autres, dans ta rue ». Certains jeunes considèrent leur langue comme « le reflet du quartier ». Je cite de nouveau : « Maintenant l‟argot des quartiers, tu vas, d‟un quartier à Brest, d‟un quartier à Bordeaux, d‟un quartier à Roanne, ils se comprennent pas les mecs », d’après Nasser (1966). Un autre jeune Chambonnaire qui s’appelle Djamel dit : « Eux, comme ils parlent à Lyon c‟est pas du tout pareil je comprends rien quoi, c‟est vraiment tout différent ». Nous pouvons donc 24 Baillet, 31. Bernard Seux, „Une parlure argotique de collégiens‟ (1997) : 84 26 Baillet, 31. 25 25 constater qu’une langue des banlieues n’existe pas vraiment, il y a plutôt un lexique des jeunes à des niveaux différents : celui du quartier, celui de la ville et celui de la zone urbaine dont la dernière nous mène alors à ce terme de « langage des banlieues ». 4.3.1. Le mot grossier comme contre-culture La communauté infantile et juvénile s’uniforme donc en parlant un langage qui n’est pas compréhensible pour nous, les non-parleurs du français des zones sensibles. Ces jeunes s’ennuient beaucoup, comme j’ai déjà remarqué ci-dessus, et ils jouent donc avec la langue, ils simplifient les règles du jeu et ils ignorent évidemment les tabous que les adultes imposent dans les quartiers plus chics, les quartiers avec lesquels ces jeunes n’ont rien en commun.27 Avoir l’idée que personne ne veut changer la situation dans les zones, que personne ne veut y améliorer la situation, rend les jeunes plus forts dans leur langage. Non seulement, le changement du lexique standard du français, mais également les mots grossiers se multiplient. Ils utilisent des insultes, parfois d’une manière ludique, et ils transgressent les règles dans certains lieux, comme dans les bibliothèques publiques, ils se parlent à haute voix. Ce ne sont pas toujours les jeunes d’origine maghrébine, mais également des jeunes d’origine européenne dont le motif n’est pas nécessairement de marquer leur appartenance au même groupe, mais plutôt d’exprimer une opposition à d’autres groupes. Cet usage de mots grossiers vient de l’idée d’être ignoré par les autres. Les jeunes contredisent les autres en affirmant une identité communautaire : ils forment un groupe, ceux qui sont stigmatisés, contre « eux », ceux qui sont des « normaux » : les adultes, les policiers, les hommes politiques, les journalistes et les professeurs. Ils s’expriment par le « nous » formé par ceux qui appartiennent à des classes populaires. Autrement dit, ils utilisent cette stratégie linguistique pour affirmer leur appartenance, leur existence.28 Une autre stratégie linguistique utilisée par les jeunes est le « parler interethnique ». Ce parler est un résultat des références communes, de conditions de vie et de pratiques d’adolescents semblables et il n’est pas compris par l’extérieur, car ce n’est ni du français, ni de l’arabe, ni une autre langue, mais une langue hybride propre au quartier, ainsi Azouz Begag (1997). A cause de cette attitude les adolescents créent une distinction sociale en se comportant d’une manière différente. Ils utilisent un lexique qui diffère du lexique français standard. Cela leur fait plaisir de maltraiter le français. Tout au moins, parce que cela correspond à une revendication d’auto-exclusion. Ayant le sentiment d’être exclus, les jeunes estiment que la façon dont ils parlent doit montrer 27 28 Jean-Marie Marconot, „Le français parlé dans un quartier HLM‟ (1990) : 76 Baillet, 34. 26 clairement une contre-culture qui est opposée à la culture dominante. 29 Ils s’opposent en utilisant des codes linguistiques pour être reconnus et pour obtenir une reconnaissance « estimée ». C’est pour cela qu’ils parlent vite, en mangeant les mots, par peur d’être compris par les autres et à la suite de cela par peur d’être rejetés de leur groupe. Ce comportement montre des ressemblances avec les ouvriers français, qui craignaient d’être attaqués par leurs pairs si leurs vies ressemblaient à la vie de la petite bourgeoisie.30 Selon Dominique Baillet, les stratégies linguistiques et identitaires de ces jeunes peuvent les conduire à créer une nouvelle communauté culturelle. Ils ont pris beaucoup de risques en rompant avec la population dominante, qui souvent rejette ces adolescents. C’est pour cela que leur langage accentue la discrimination sociale ou ethnique dont ils sont souvent les victimes et il est à l’origine de conflits culturels, de valeurs et de normes. Ces stratégies linguistiques identitaires peuvent également avoir un effet économique car elles risquent d’accentuer leurs difficultés d’insertion professionnelle.31 A cause de quelques difficultés les jeunes se disqualifient d’avance dans la course à l’emploi. Une de ces difficultés est la mauvaise maîtrise de la langue. Ces pratiques linguistiques peuvent augmenter le risque de précarité économique et de désaffiliation sociale, ce qui jette les jeunes plus dans l’exclusion. Egalement au niveau scolaire, cela ne promet rien de bon, car ils quittent le système scolaire sans aucune formation professionnelle ni diplômes. Cela est à cause de l’emploi d’un langage qui est très éloigné de la langue scolaire. Ce langage est aussi employé à un très jeune âge comme j’ai remarqué ci-dessus. Lorsqu’un groupe est rejeté et est exclu de la vie sociale, il se trouve dans la marginalité comme ces jeunes dont j’ai parlé. Le point culminant est que quand ce groupe marque lui-même les frontières le séparant des autres en glorifiant sa spécificité. Cette manière de glorifier ses caractéristiques de groupe n’est pas une chose nouvelle : on l’a vue chez les Noirs américains et on la voit aujourd’hui chez les musulmans/ des maghrébins. C’est en rapport avec la notion d’interstice, interstice géographique et social, lieu de passage culturel, lieu de transition. « C‟est cette notion qui nous servira ici : des jeunes entre deux cultures, celle de leurs parents et celle du pays d‟accueil, entre deux langues, cultures, et langues qu‟ils ne dominent pas, se donnent une « culture intersticielle » à des fins identitaires. »32 29 Ibidem, 35. Ibidem 31 Ibidem, 36. 32 Calvet, 269. 30 27 Les jeunes cherchent donc une manière de s’exprimer d’une façon subtile et culturelle en cherchant un endroit entre les deux mondes. Le rap est souvent une manifestation de cette tendance. La sous-section suivante sera consacrée au rap. 4.3.2. Le rap : une façon de s’exprimer Le rap au sens étymologique vient du verbe anglais « to rap » qui signifie « frapper à petits coups rapides et secs, mais en américain le mot en argot signifie « bavarder ». Le rap est un genre musical où on parle accompagnés par des rythmes musicaux. Le début du rap en France se trouve vers la fin des années quatre-vingts, développé par les jeunes qui vivaient à la périphérie des villes, dans des banlieues. Des problèmes que ces jeunes partagent sont l’échec scolaire et le chômage. Le rap s’accompagne des autres marqueurs sémiologiques avec la même fonction identitaire: des productions graphiques, des choix vestimentaires, la forme linguistique par des transformations formelles comme le verlan et l’accent et des sports comme le basketball.33 Tous ces marqueurs ensemble, y compris le rap, s’appellent le hiphop. Toutes ces choses ne sont pas nouvelles pour le monde car les Etats-Unis étaient le précurseur pour ses marqueurs identitaires. Les enfants d’immigrés en France peuvent se comparer avec les Noirs américains. Le rap est lié aux problèmes de l’intégration. Les « posses », mots anglais qui signifie troupe, a été emprunté par les banlieusards. Ce mot représente leurs « posses » : le nord (banlieue nord de Paris), la planète Mars (Marseille) etc. Dans ces territoires, la parole urbaine ou bien le rap apparaît comme l’expression de leurs problèmes personnels, mais surtout des problèmes en commun. On peut analyser le rap, sa musique et sa langue comme le résultat de la quête identitaire de jeunes qui se trouvent dans une situation culturelle intersticielle. Le rap est également une forme de solidarité, il sert à exprimer l’origine géographique des migrants. De plus, les paroles du rap jouent un rôle symbolique, cela veut dire que le rap sert de miroir identitaire à des jeunes qui ont des problèmes d’identité. Le lexique contient plusieurs tendances comme des termes d’argot ancien, quelques termes d’argot nouveau, de rares emprunts à l’arabe, lexicalisés depuis longtemps en français, quelques fragments de phrases en arabe, quelques fragments de phrases en anglais et quelques emprunts à l’anglais.34 Je suppose que l’arabe a influencé le rap de plus en plus depuis l’arrivée de nouveaux jeunes rappeurs dont les parents sont nés dans le Maghreb. Ce qui frappe le plus dans le rap c’est que les rappeurs verlanisent beaucoup. Le verlan fait partie de leur langage des jeunes, 33 34 Ibidem, 270. Ibidem, 281. 28 parlé dans les banlieues. Le verlan connaît un système qui doit être appris par les non-initiés avant de pouvoir l’appliquer. Ce n’est pas vraiment un jeu de mots, mais plutôt un jeu de syllabes. La sous-partie suivante portera sur le verlan. 4.3.3. Le verlan Le principe du verlan est simple. C’est la transformation des mots par inversion des syllabes à condition de considérer que toutes les syllabes de départ doivent être ouvertes du type CV (consonne+voyelle) et que si une syllabe est fermée CVC il faut la changer au type CVCV en ajoutant en « e » caduc après la dernière consonne. Pierre Léon (1992), considère ce « e » comme un « e caduc parasite » qui apparaît dans les groupes consonantiques trop complexes ou trop inhabituels de la langue. Il s’agit d’une « bourre phonétique », qui sert à faciliter l’articulation du mot verlanisé. 35 De plus, ce qui est important, c’est l’aspect ludique qui intervient pour une bonne part dans ces créations.36 Les syllabes sont inversées selon trois règles. Dans cette brève explication, je ne rends pas compte des exceptions. 1. Monosyllabes : a). Lorsque la syllabe est ouverte on inverse l’ordre des phonèmes, exemple : « fou » « ouf ». b). Lorsque la syllabe est fermée, on transforme le monosyllabe en dissyllabe par ajout de la bourre phonétique, exemple : « rap » « rapeu » « peura » ou « fête » « fêteu » «teuf » 2. Dissyllabes : la règle s’applique sans problème sur les mots du type CVCV par inversion de l’ordre des syllabes. S1, S2 devient S2, S1, exemple : « l’envers » donne « verlan ». Lorsque la deuxième syllabe est fermée on observe deux procédés : soit inverser les syllabes sans les modifier (bizarre donne zarbi), soit transformer la syllabe fermée en syllabe ouverte en ajoutant donc cette « bourre phonétique », exemple : « carbure » doit devenir d’abord « carbureu » avant de donner « reubucar ». 3. Trisyllabes : 1.) S1 S2 S3 donne S2 S3 S1, exemple : « racaille » « caillera ». 2.) S1 S2 S3 donne S3 S2 S1, exemple : on transforme carbure en trisyllabe par ajout d’un « eu final » qui donne « reubucar » avant d’être tronqué en « rebuc ». 3.) S1 S2 S3 donne S3 S1 S2, exemple: « arraché » « chéara ». 35 36 Ibidem, 282. André Borrell, „Le vocabulaire “jeune”, le parler « branché ». (1986) : 71 29 Cette description est donnée par l’auteur Louis-Jean Calvet. Nous voyons donc que la transformation est assez simple à appliquer. Ce qui rend le verlan un peu compliqué sont des mots verlan « reverlanisés ». Cela veut dire, un mot est verlanisé deux fois, comme l’exemple « beur » le verlan d’« arabe » et qui donne à son tour « rebeu », à l’aide de la règle 1.b. En traitant le verlan qui est indispensable dans le rap français nous avons vu qu’il s’agit d’un lexique changé d’une manière ludique et presque non-compréhensible. Le lexique est donc le domaine le plus exploité dans la langue des rues. Nous avons fait remarquer également cidessus que les jeunes ont des contacts mixtes. Ces contacts mixtes se chargent de faire une nouvelle langue qui est un mélange de langues différentes. L’une des langues très souvent utilisée dans cette parlure des banlieues et évidemment dans le rap (des dernières années) est l’arabe. L’arabe joue un rôle important dans la création de la langue des jeunes. Dans la partie suivante qui portera sur l’influence de l’arabe je vais entrer dans les détails de cette influence exotique. 4.4. L’influence arabe La deuxième partie de ce mémoire nous a montré que l’arabe a joué un rôle important dans l’évolution de la langue française, en particulier sur le plan scientifique. La culture et la cuisine orientale ont également laissé des traces dans le lexique. Aujourd’hui l’arabe participe toujours à enrichir le vocabulaire du français. Nous avons vu dans la deuxième partie du mémoire que le français a toujours emprunté des mots de l’arabe. Tous les siècles connaissent leurs emprunts. Cette fois-ci, en parlant du langage des jeunes et du rap, il s’agit de mots nouveaux sur le niveau populaire. Avant de continuer je vais donner une citation que j’ai trouvée sur un site web. Cette citation est représentative de la création de quelques mots nouveaux. Elle montre l’influence de la langue maternelle arabe qui joue aujourd’hui un rôle important dans les rues des banlieusards : « La mère, justement. Contrairement aux poncifs qui font de la femme arabe un être soumis, écrasé, la mère joue un rôle pivot dans l‟équilibre de la famille et de la société en général. Tant est qu‟elle devient un enjeu suprême en cas de conflit : l‟insulter, insulter celle de l‟Autre, c‟est lui infliger une ultime humiliation : Ta mère !! yemmâk !! Allier la grossièreté sexuelle, voire l‟inceste, c‟est faire encore plus fort : nike ta mère !!! Nike yemmâk !!! Qui a donné le fameux NTM. » 37 37 http://www.dilap.com/contributions/banlieue-beur/beur-vocabulaire.htm - 30.08.2011 30 Les mots nouveaux sont souvent utilisés par les jeunes pour s’identifier à un groupe et ils sont utilisés pour que le reste, c’est-à-dire la population dominante, ne les comprenne pas. Les jeunes entretiennent des contacts mixtes car dans les banlieues il y a plusieurs nationalités. Les enfants d’immigrés, soit d’origine maghrébine, soit d’origine européenne, se rencontrent dans les rues et ils se parlent. Ils jouent avec la langue française en ajoutant des mots nouveaux étranges. Le lexique est donc constitué d’apports de diverses langues étrangères : il contient beaucoup de termes arabes, quelques-uns gitans et africains. Les termes arabes sont souvent issus de l’arabe dialectal du Maroc et de l’Algérie. Cela tient au fait que la plupart des immigrés sont à l’origine des Maghrébins. Evidemment non seulement les gens d’origine arabe sont les habitants de ces quartiers. Il y a également beaucoup de Turcs en France, mais quand même l’influence turque n’est pas si forte que celle de l’arabe. Les jeunes dans la cité Romière-Bouchet, où la communauté turque tient une place numérique assez importante, en donnent des raisons : les Turcs sont probablement moins ouverts que les Maghrébins. Les jeunes pensent que cela résulte du fait que les Turcs sont arrivés en France plus tard, ils sont à la première génération, alors qu’eux, ils sont déjà à la deuxième ou la troisième génération.38 Malgré le grand nombre de Turcs, le vernaculaire du quartier utilise peu d’apports de leur langue. Je suppose que ce n’est pas si étonnant si on regarde la situation ailleurs dans l’Europe. Aux Pays-Bas, les Marocains sont moins traditionnels sur le plan socioculturel et ils s’attachent moins à leur langue et leur culture que les Turcs.39 Ce qui rend la langue marocaine plus proche du néerlandais. Les jeunes Hollandais de souche utilisent parfois l’expression marocaine pour s’exprimer l’étonnement ou la peur, ou bien plutôt le cri « wayoow ». Revenons aux jeunes en France, qui jouent un rôle important dans ce mémoire. L’arabe a donc une influence dans la réalisation de la parlure jeune. Non seulement les jeunes maghrébins utilisent ces mots dans leur vernaculaire, mais également les jeunes d’origine européenne utilisent des mots arabes. Les jeunes expliquent cette réalité par la vie commune dans les quartiers : « C‟est à force parce que on traîne avec eux depuis qu‟on est tout petit, quand on était en bande on parlait arabe et ils nous ont posé des questions qu‟est-ce que ça veut dire et tout ça et on leur expliquait... ».40 38 39 40 Seux, 95. http://www.elsevier.nl/web/Artikel/177619/Marokkanen-Gespleten-gemeenschap - 30.08.2011 Seux, 94. 31 A part des mots empruntés à l’arabe dans le langage des jeunes, on emprunte également des expressions arabes, comme dans l’exemple « coup de zit ». Cette expression est construite à partir du terme arabe « zit » qui désigne l’huile et signifie une blague. Beaucoup de termes en arabe dialectal sont empruntés directement dans le vernaculaire : il s’agit d’exclamations, d’insultes ou de formules de politesse. Parfois ces termes perdent leur sens premier pour en acquérir un nouveau. L’auteur, Bernard Seux (1997) note de bons exemples donnés par les jeunes pour le mot arabe [bəɌd] : « c‟est se promener », on va se balader en ville et on revient », « on va draguer », « ça veut dire refroidir », « nous ça veut dire prendre l‟air » etc. Personnellement, je traduirais le mot littérairement, en lui donnant le sens correct en arabe signifiant « froid ou il fait froid ». Les jeunes rejettent le premier sens du mot et ils y ajoutent un autre sens qui n’est pas dérivé du mot arabe. Parfois, les jeunes ne savent plus d’où viennent les mots qu’ils utilisent. Les mots qui ne sont pas à eux, c’est-à-dire les mots arabes, sont une source de débats. Nous avons vu que les jeunes jouent avec la langue, c’est une forme de s’exprimer d’une manière particulière. Ce que les jeunes y ajoutent pour utiliser ce jeu de mots, est la verlanisation des mots arabes dont le principe est expliqué ci-dessus. On rencontre des mots qui ne sont plus reconnaissables pour le locuteur du français standard. Même ceux qui sont doués en français ne savent pas reconnaître les mots ni les comprendre. On doit être des locuteurs de l’arabe et en plus, être jeunes et vivre en la banlieue afin de comprendre le langage « codé ». 32 5. La recherche Nous sommes arrivés à la partie qui portera sur la recherche des mots arabes. Après avoir traité l’influence de l’arabe sur le langage des jeunes, je vais entrer en détail sur le mélange des langues et les emprunts des mots dans la langue des jeunes. Nous avons vu ci-dessus que l’arabe joue un rôle important dans la parlure des jeunes en France. Non seulement l’arabe a joué un rôle dans l’évolution de la langue des cités françaises, mais également d’autres langues y ont contribué, à savoir l’arabe maghrébin, le berbère, diverses langues africaines et asiatiques, des langues tsiganes, des créoles des Départements et Territoires d’Outres-Mer, etc. Ce que l’on voit, c’est que la langue des jeunes est un mélange de langues. Dans la partie suivante je vais traiter le mélange des langues en général en me concentrant sur le mélange dans la langue des rues et je vais me poser surtout la question de savoir pourquoi on ressent la nécessité d’utiliser des mots étrangers et des mots empruntés. 5.1. Le mélange des langues « On connaît tous un peu de mots de tout le monde. On parle en français, avec des mots rebeus, créoles, africains, portugais, ritals ou yougoslaves. Blacks, gaulois, Chinois et Arabes, on a tous vécu ensemble », Raja.41 Le contact entre les langues différentes est le début de l’influence des langues l’une sur l’autre. Cette influence n’est pas toujours réciproque. Normalement la langue qui est la plus dominante et la plus représentative influence l’autre langue qui est inférieure et moins dominante : « Especially the borrowing of lexical items generally occurs from the « top » language to the « bottom » language. »42 41 42 Jean-Pierre Goudaillier, „Comment tu tchatches!‟ (1997) : 7 Appel & Schoonen, „Street language: A multilingual Youth Register in the Netherlands‟ (2005): 87 33 L’emprunt de mots se trouve donc généralement de la langue « au somment » vers la langue « au pied ». Nous voyons cela souvent dans les langues qui sont très dominantes dans des situations de contacts langagiers, comme, par exemple, l’anglais et le hindi. Cette règle générale ne s’applique pas toujours à d’autres situations de contacts langagiers, comme dans celle de la langue des rues. On connaît donc une autre règle : le français dans ce cas-là est la langue dominante, et nous voyons que le français contient des mots étrangers, comme par exemple dans la phrase suivante : « Ils sont partis herrek aux Caraïbes ». Le mot « herrek » n’appartient pas à la langue dominante, c’est un mot arabe qui est utilisé en français. Seuls les jeunes dans les banlieues comprendraient cette phrase. A mon avis, même les locuteurs de l’arabe ne comprendraient pas le sens du mot « herrek » dans une phrase comme celle-ci. Le mot vient de l’arabe et veut dire « se mettre en mouvement, bouger son corps », mais pour les jeunes des cités le mot veut dire « faire l’amour ». Le mélange de langues connaît plusieurs formes. Des contacts langagiers qui sont très forts peuvent naître de nouvelles langues, comme les langues pidgin, les créoles etc. Mais dans des langues comme la langue des rues, nous voyons qu’il y a deux langues ou plus qui se mêlent dans les discours en utilisant des expressions fixes ou des mots et c’est ce qu’on appelle « code switching ». Cette manière de parler n’arrive pas à créer une nouvelle langue. Donc dans les cas où l’on utilise des mots empruntés à une autre langue que celle qui est la « dominante », le code-switching est la forme la plus faible dans des situations de contacts langagiers. S’il y a beaucoup de locuteurs qui utilisent souvent des mots et des expressions de la langue A en parlant la langue B pour une longue période, cela peut causer des mots nouveaux dans le lexique de la langue B. D’après Romaine (1994), ces expressions et ces mots sont liés à la culture et représentent des activités culturelles.43 La langue des rues est donc une langue qui appartient à des jeunes qui empruntent des mots et des expressions des langues différentes qui sont parlées dans la communauté où ils vivent. Je vais donner quelques exemples de mots empruntés à diverses langues en français avec le sens en français des banlieues : 43 Appel & Schoonen (1995), 88 34 Mots d’origine arabe (littéraire/maghrébin) ou berbère : Mots d’origine tsigane : - ahchouma (honte) - bédo (joint) - casbah (maison) - bicrav (vendre) - haram (péché) - boule (postérieur, cul) - hralouf (porc) - choucard (bien, bon, chouette) - roumi (homme européen/français de souche) - gadjo (gars, homme) - zetla (haschisch) - racli (femme, fille) Mots d’origine africaine : Mots empruntés à l’argot anglo-américain (slang) : - go (fille) - biatch (bitch) -> devient tchébi en verlan - gorette (fille) - boss (chef de gang) - wolof (fille) - flipper (avoir peur) -> devient péfli en verlan - shit (drogue) - smok(er) (fumer) -> devient skémo en verlan - sniffer (inhaler une drogue) Le vieil argot français est un parler qui est toujours utilisé par des jeunes dans les banlieues. Beaucoup de ces mots servent de base à des formes verlanisées. Les mots issus de l’argot traditionnel français qui ont été verlanisé reprennent la place des mots non verlanisés, cela veut dire que les mots non verlanisés ne sont plus utilisés. Mots issus du vieil argot français : - calibre -> devient brelica - faucher -> devient chefo - tune -> devient neutu - mastoc -> devient stocma - oseille -> seillo - tireur -> reurti 35 Ce mélange de mots dans la parlure des jeunes nous mène à une interlangue. Cette interlangue est devenue l’outil de communication de populations qui considèrent à tort ou à raison être au ban de lieu, de la société, et par conséquent être en marge de la langue française circulante, selon Goudaillier (1997). Cette parlure des jeunes connaît une forme identitaire de la langue, que l’on trouve dans les banlieues, qui est construite à partir du français. La partie suivante portera sur cette forme identitaire. 5.2. La culture « intersticielle » La cause de la forme identitaire ou bien le marqueur identitaire est la crise économique actuelle qui a frappé les populations des cités. La langue utilisée est l’une des moyens qui lient les gens en groupe : « ...je suis musulmane et française d‟origine algérienne. Je m‟appelle Malika, ça parle de soi. Nous, les rebeus, quand on se réveille le matin, on ne se tape pas la tête contre les murs en regrettant d‟être rebeus...Entre nous quand on parle français on dit toujours quelques expressions arabes, ça nous rapproche, c‟est un signe d‟affection et de complicité. En plus, comme ça énerve les gens autour de nous, on en dit encore plus, on montre qu‟on est différent... », Malika.44 Un grand nombre de cités dans lesquelles vivent les jeunes sont considérées comme autant de ghettos non seulement économiques, culturels, mais également linguistiques (Goudaillier, 1997). On ne parle pas seulement d’une fracture sociale, mais aussi d’une fracture linguistique. Mais avant de me concentrer sur cette fracture linguistique, je veux d’abord discuter la culture « intersticielle » dont j’avais parlé plus tôt dans le mémoire. Cette notion de la culture « intersticielle » a été créée par le sociologue américain Frederic Thrasher. Ce concept « d’interstice » a été expliqué par le sociologue Ernest Burgess, qui a dessiné une ville théorique ce que nous pouvons voir dans la figure 1 ci-dessous. C’est une sorte de diagramme avec des cercles concentriques qui correspondent à une gradation des situations sociales. Nous voyons que le centre est appelé « loop », qui représente la partie la plus aisée 44 Goudaillier (1997), 8. 36 dans la société. Tout ce qui se trouve en dehors du « loop » est moins aisé, donc plus on s’éloigne, moins les gens sont aisés. Thrasher indique la zone entre le « loop » et le quartier résidentiel des classes moyennes comme « interstice ». Ce diagramme est basé sur la situation sociale de la ville de Chicago, mais d’après Calvet (1994) il peut aussi être utilisé pour la situation dans les banlieues en France. La zone « interstice » ne diffère pas de celle de Chicago. Cette zone « d’interstice » donne une culture « intersticielle » dans les banlieues, qui sont le résultat de l’auto-exclusion. Figure 1 45 Nous avons déjà parlé de l’exclusion, c’est quand un groupe dans la société est exclu ou bien rejeté. On appelle cela donc l’auto-exclusion. Les gens vivant dans la marginalité finissent par glorifier certaines de leurs spécificités. Cette culture « intersticielle » se montre sur le plan culturel, elle se manifeste par la revendication de l’identité dans plusieurs formes. Dans 45 Floor Ruygrok, „Immigration et identité dans le rap français‟ (2010) : 19 37 Calvet (1994), les « Blacks » et les « Beurs » développent la culture « intersticielle » dans quatre directions, à savoir : linguistique, vestimentaire, graphique et musicale. La première et la dernière sont pour mon mémoire les plus intéressantes Comme nous avons vu ci-dessus, sur le plan linguistique on connaît des transformations formelles comme le verlan et l’accent. Ces transformations sont souvent présentes aussi dans la musique, surtout dans le rap. En ce qui concerne l’accent, des changements de prononciation, et le rap, je vais en parler plus tard. Maintenant, je vais revenir à la fracture linguistique. Dans les quartiers populaires et dans les cités banlieusardes il y a une fracture sociale depuis quelques années due au taux élevé d’immigrés, qui est plus élevé qu’ailleurs, et le taux de chômage qui y joue un rôle important, surtout parmi les jeunes. Tout cela contribue à la fracture linguistique. La langue utilisée dans les banlieues peut donc contribuer à un mouvement de non-intégration. Des formules comme la suivante sont devenues de véritables stéréotypes que l’on entend quand on parle de la parlure dans les banlieues. « Ils ne parlent pas français ; ils n‟expriment que de la violence, leur violence ; il n‟y a que des mots grossiers dans ces parlers ; un malaise social est reflété par cette manière de s‟exprimer ; on ne sait plus parler français dans les banlieues »46 Cette violence verbale dont on parle dans ces formules stéréotypes ou l’impression ressentie d’une telle violence est une des raisons pour les fractures linguistique et sociale. En outre, si ces communautés dans les banlieues sont géographiquement, économiquement et sociologiquement isolées du reste de la société, cela peut grandir les fractures sociale et linguistique. Tous les linguistes ne sont d’ailleurs pas si négatifs sur la langue utilisée en banlieue. Il y en a qui prétendent que probablement ces parlers vont enrichir le français. Se poser des questions sur ce sujet est le travail d’un linguiste et c’est évidemment également ma question de recherche dans ce mémoire. Il faut donc faire un état des lieux et d’exprimer son point de vue au sujet de la situation linguistique, d’après Goudaillier (1997). Zsuzsanna Fagyal (2003), une linguiste hongroise/américaine, qui a fait une enquête de terrain pendant deux ans dans un collège de La Courneuve, a montré que les élèves issus de l’immigration qu’elle a rencontrés, maîtrisent le français. D’après elle la situation est donc plus positive que l’on ne pense souvent. 46 Goudaillier (1997), 6. 38 Maintenant je vais me concentrer sur l’aspect linguistique dans les banlieues. Comme nous avons vu ci-dessus, Calvet (1994) parle des directions dans lesquelles la culture « intersticielle » se développe. J’ai mentionné que la direction linguistique connaît des tranformations formelles comme le verlan et l’accent. La partie suivante portera sur la syntaxe et la prononciation des jeunes. 5.3. Traits linguistiques Dans cette partie je vais me concentrer sur le français oral des jeunes. Les études faites par Fagyal (2003) et Conein & Gadet (1998) portent sur les caractéristiques syntaxiques et lexicales et sur les structures prosodiques, c’est-à-dire rythmiques et intonatives, dans la parole des élèves dans les banlieues parisiennes. Ce sont partiellement des traits qui sont héréditaires, qui caractérisent le parler populaire, non seulement la langue des jeunes, mais aussi celle de leurs parents ouvriers. 1. La morphologie et la syntaxe Les phénomènes dans ce cas-là sont les détachements, l’absence de distinction entre interrogation directe et indirecte et quelques particularités dans la morphologie verbale conçues comme des fautes. Exemples : - les notes de ton stage/ tout ça/ on le garde/ nous - il regardait pas c’était qui - il faut que j’aye 1.a. Les subordonnées autres que relatives : Ici, Conein et Gadet nomment trois particularités : Extensions des usages de « que » : reprends donc vite le petit que je me suis trompé Créativité des conjonctions avec « que » : au lieu qu’elle travaille/ elle ferait mieux de s’occuper de sa gamine 39 Apparition d’une nouvelle conjonction, « comme quoi (que) » : je vais leur téléphoner comme quoi j’ai raté mon train. 1.b. Les relatives : En ce qui concerne les relatives, trois aspects saillants sont à signaler : La monotonie des types de relatives et l’évitement de la relative (le pronom relatif que est omniprésent): c’est une histoire que je me rappelle même plus Les formes de relatives dites de « français populaire » : je connais des mecs et même des meufs bon à partir de 16 ans qu’ils ont plus envie de rien foutre que/ personne s’intéresse à eux donc eux ils lâchent tout ils euh ils arrêtent l’école et tout ils se retrouvent à galérer dehors. 2. Le lexique Le lexique est le domaine le plus exploité dans la description de la langue des jeunes, comme nous avons remarqué ci-dessus. Quelques aspects sont typiques de la période actuelle, comme le verlan. Exemple : je rentre chez ouam et je fais rien/ je lèrega Une autre caratéristique sont les emprunts et surtout les langues auxquelles on emprunte : Exemple : on a bien chafrav (travaillé), maintenant c’est en teboi qu’on va 3. Aspects phonologiques Les aspects phonologiques sont les plus saillants pour identifier l’accent populaire héréditaire, comme l’intonation « faubourienne », débit rapide, flexibilité de l’intonation, spécificité de certains timbres vocaliques. Les auteurs discutent quelques phénomènes. 40 3.a. La simplification des groupes consonantiques : Ce phénomène a lieu à partir de deux consonnes, ce qu’on appelle syncope, soit en finale (finale absolue, ou finale d’un mot suivi d’un autre mot commençant par une consonne ou par une voyelle), soit à l’intérieur d’un mot. Exemples : - j’en veux quat(re) - quat(re) cents - quat(re) enfants - esprès - êt(re) balaize - tu regar(des) que ça - la prof elle nous a esplique et tout des fois c’est plus facile - si on te pose une ques(t)ion 3.b. L’assimilation consonantique : Cette assimilation a lieu quand deux consonnes successives (appartenant au même mot ou à deux mots distincts) sont de nature distincte: - [metsin] (médecin) - [Chpeupa] (je peux pas) - il foutait rien [tsa] vie (il foutait rien de sa vie) En fait, cette manière de parler n’est pas nécessairement celle de la langue populaire ou de la langue des jeunes. Ces phénomènes appairaissent dans toute forme courante de langue parlée. 3.c. La prosodie : Une prosodie héréditaire caractérisée par des écarts mélodiques, des accents d’intensité, et une accentuation sur l’avant-dernière syllabe d’un groupe, longue et intense. Exemples : 41 - tu ‘t’rends: compte - ça m’fait plaisir de fu:mer D’autres mots, par contre, manifestent un nouveau type d’accentuation. C’est soit la dernière syllabe du groupe qui est accentuée, d’une façon forte qui ne retrouve pas l’accent héréditaire du français sur la finale, soit l’initiale. Pour cette dernière il n’y a pas d’exemples. - si je me fais virer du ba’hut/ je sais même pas si je vais en retrou’ver L’étude de Fagyal (2003) sur la prosodie du français populaire des jeunes a donné des résultats frappants. Il y a plusieurs raisons pour allonger ou raccourcir une syllabe en français. L’emphase et la fin des phrases prosodiques constituent les conditions d’émergence les plus typiques des allongements, mais les voyelles et les consonnes qui forment la syllabe peuvent également contribuer à ce que certaines séquences de parole soient perçues comme longues, alors que d’autres paraissent courtes en comparaison, d’après Fagyal (2003). La règle en français standard est que la dernière syllabe d’une phrase prosodique est systématiquement allongée et frappée par un mouvement mélodique montant ou descendant. Mais quand on allonge l’avant-dernière syllabe, qui est aussi appelée la pénultième, et quand on raccourcit simultanément la syllabe finale qui devrait être plus longue que la précédente, cela représente donc un patron rythmique qui est complètement atypique pour le français. Je vais donner quelques exemples rencontrés dans l’étude de Fagyal (2003) : Laith, un garçon d’origine marocaine commente une photo montrant deux dames à la gare : « une dame elle dit au r(e)voir à sa coopine/ j(e) (ne) sais pas » Saleh, un garçon d’origine algérienne et un autre garçon d’origine congolaise, Mazin, se disputent à propos du vol de ses stylos dans la salle des cours : Saleh : « pourquoi tu touches à mes aaaffaire toi » Mazin : « j(e) (ne) saaais pas/ jjj‟(ai) cru qu(e) c‟(é)t(ait) à Aaahmed » Aurore, fille française de souche commentant l’image d’un ouvrier travaillant sur un chantier : 42 « et ses chaauussures sont remplies d(e) boue/ elles sont sales » Léa, fille d’origine marocaine commente une photo du footballeur Zinédine Zidane : « c‟est Ziiidane/ il tient un baaalon »47 On peut remarquer que l’allongement se trouve aussi dans des situations très spontanées, comme les disputes comme ci-dessus. Autre remarque est que non seulement les jeunes d’origine maghrébine allongent l’avant-dernière syllabe, mais également des jeunes de français de souche. L’exemple de Fagyal (2003) décrit dans son article, montre le contour montant et descendant de la prononciation du nom composé « étoile de mer » par un garçon français bilingue d’origine marocaine, illustré par la courbe mélodique et qui est s’accompagné d’un allongement de la pénultième, est récurrent chez les garçons d’origine maghrébine. Il est similaire à l’intonation des phrases déclaratives dans les variétés occidentales de l’arabe maghrébin. On sait avec certitude que cet allongement de la pénultième d’une phrase prosodique est typique de la parlure des jeunes dans les banlieues de Paris. Cet accent dans le français populaire des jeunes est lié à des langues parlées dans le même espace urbain. Cette prosodie du français des jeunes reflète des traits novateurs. Les innovations qui sont représentatives pour la parlure des jeunes proviennent de la langue des « Beurs ». La situation en France, en ce qui concerne la langue des jeunes, ne diffère pas beaucoup de celle d’ailleurs. Beaucoup de pays connaissent une parlure des jeunes. Dans la partie suivante je traiterai la langue des rues dans d’autres pays, dans laquelle je mets l’accent sur la situation aux Pays-Bas. 47 Zsuzsanna Fagyal, „La prosodie du français des jeunes : traits héréditaires et novateurs‟(2003) : 3 43 5.4. Langue des rues partout La langue des rues ne connaît pas de limites. Elle se trouve dans plusieurs pays. Quelques pays ont été le sujet de recherche, comme l’Angleterre, la Suède et l’Allemagne. A Londres les jeunes parlent une langue des jeunes qui est très variée. La langue de base est évidemment l’anglais, qui contient beaucoup de mots et d’expressions qui ont été empruntés à d’autres langues étrangères comme le jamaïcain, le créole et la punjabi. «…although it did not stand for seamless racial harmony, as a general practice language crossing was capable of carrying solidary interethnic meanings ».48 La variété est donc une expression d’avoir le sentiment que les jeunes sont un groupe. Ils se harmonisent par la langue qu’ils parlent et pour renforcer le « nous ». La situation langagière des jeunes à Rinkeby, une banlieue en Suède pas loin de Stockholm a été analysée. La langue qui est parlée là est caractérisée par trois points. Le premier est que la langue des jeunes est une variété simplifiée du suédois. Le deuxième point est que la langue des rues contient des mots et des expressions d’autres langues parlées dans la banlieue, comme le turc et le kurde et le dernier point est l’emprunt de mots anglais. En Allemagne il y a également beaucoup de Turcs et la langue des jeunes y est donc aussi influencée par la langue turque. D’autres mots venant de langues comme le sinti (dialecte de la langue Romani) jouent aussi un rôle dans l’emploi dans la langue des rues. Cependant l’identité est quand même marquée par l’identité allemande chez les jeunes, malgré les identités multiculturelles. Toutes les langues des jeunes que nous avons traitées sont des langues des jeunes en Europe. Non seulement l’Europe connaît cette parlure des jeunes, mais également d’autres pays hors de l’Europe connaissent une langue des rues. On a fait des recherches sur l’usage de l’indoubil ou bien l’argot de Zaïre, qui est un mélange de langues. Cette langue parlée par des jeunes a le swahili, la Lingua Franca africaine, comme base. Elle emprunte des mots à des langues européennes comme le français et l’anglais. Les jeunes donnent de nouveaux sens à des mots swahilis et ils créent de nouveaux mots en appliquant des stratégies inventives. L’une de ces stratégies souvent appliquée est la juxtaposition de la première syllabe d’un mot 48 Appel & Schoonen (2005), 88 44 français et la première syllabe de l’équivalent en swahili. Toutefois, il y a une différence considérable entre les parlures des jeunes en Europe et en Afrique. Celle de l’Europe emprunte des mots à des langues moins prestigieuses, sauf les mots empruntés à l’anglais et à l’américain, l’autre emprunte des mots à des langues prestigieuses, le français et l’anglais.49 Nous avons vu que d’autres pays européens connaissent des emprunts à des langues minoritaires chez eux, comme en France. Le français a emprunté des mots à l’arabe et les autres jeunes européens qui se trouvent ailleurs empruntent alors à des langues comme le turc et le punjabi. Le mélange des langues joue donc partout un rôle important. Ceci se fait aussi aux Pays-Bas. Après avoir traité des langues des rues dans d’autres pays en Europe, je passe à la situation aux Pays-Bas. 5.4.1. La langue des jeunes en Hollande La situation langagière aux Pays-Bas a complètement changé depuis les années 70. Avant les années 70 on ne connaissait que le néerlandais comme langue du pays, à part le frison, une langue parlée dans le nord des Pays-Bas, dans la province de la Frise. Pendant ces dernières dizaines d’années, la situation langagière a complètement changé. A l’arrivée des immigrés, on a fait la connaissance avec d’autres langues non-européennes. Ces immigrés peuvent être divisés en deux groupes principaux : le premier groupe contient des gens venant d’anciennes colonies comme le Surinam. Ces gens parlent le sranan, le néerlandais et ceux qui sont d’origine hindoustani, parlent le sarnami, qui est la variété surinamienne du hindi. Le deuxième groupe est les ouvriers étrangers dont la plupart venaient de la Turquie et du Maroc. Les Turcs parlent le turc et le kurde et les Marocains parlent l’arabe dialectal marocain ou le tamazight, qui est une langue berbère parlée dans le nord du Maroc.50 Aujourd’hui, les PaysBas sont donc une communauté très multiculturelle dans laquelle le néerlandais joue toujours un rôle important et qui est toujours la langue principale du pays. L’anglais a une position forte aux Pays-Bas. C’est une langue qui domine dans la culture musicale, dans le film et à la télévision. En ce qui concerne le langage des jeunes aux Pays-Bas, Appel (1999) et Nortier (2001) ont fait des recherches sur l’usage de la langue des rues chez les élèves à Amsterdam 49 50 Appel & Schoonen (2005), 88-89 Appel & Schoonen (2005), 90 45 et à Utrecht. A Amsterdam qui était le domaine à analyser d’Appel (1999), la situation est extraordinaire, à mon avis. Les élèves qui ont le sranan comme langue maternelle et qui parlent aussi le néerlandais étaient le plus grand groupe qui parlent la langue des rues. Ce groupe est suivi d’élèves qui ont le néerlandais comme langue maternelle. Les élèves qui parlent le moins la langue des rues étaient des jeunes d’origine marocaine et turque. Comparée à la situation en France, elle est toute différente. Là, ce sont les jeunes d’origine maghrébine qui sont les locuteurs de la langue des rues. Cependant, n’oublions pas que cette recherche est assez vieille et que ces 10 dernières années, les jeunes d’origine marocaine et turque pourraient aussi en grand nombre avoir commencé à parler la langue des jeunes. A l’arrivée de jeunes rappeurs d’origine marocaine ces derniers temps, comme Ali B, Yasser et Salah Edin, cela peut avoir changé la situation langagière. Revenons à la recherche d’Appel (1999). Il prétend que les jeunes qui sont venus aux Pays-Bas à un âge avancé ne parlent pas la langue des rues. Cela n’est pas étonnant évidemment, car on ne peut jouer avec la langue qu’à partir du moment où on a intériorisé la langue. Nous avons vu que les jeunes d’origine turque en France ne parlent pas beaucoup la langue des rues. Cela pourrait avoir plusieurs causes : ils sont venus en France à un âge avancé et ils se mêlent pas beaucoup avec d’autres gens. Cette dernière raison est aussi comparable avec leur situation aux Pays-Bas, mais leur arrivée aux Pays-Bas a eu lieu il y a longtemps comme les autres. Il se peut donc qu’ils ne parlent pas assez bien le néerlandais pour pouvoir parler la langue des jeunes. Un élève qui a été interrogé par Appel (1999) disait sur les jeunes qui ne parlent pas la langue des jeunes : « Of course they don‟t speak street language ; first they have to learn normal Dutch ».51 La langue des rues est également parlée à l’école pendant les interactions informelles. Les raisons données par des élèves pour le fait qu’ils parlent la langue des jeunes sont que cette parlure est populaire et que leurs amis parlent aussi cette langue.52 La plupart des mots et des expressions qui sont utilisées par les jeunes sont empruntés au sranan. Les mots empruntés à 51 52 Ibidem, 90 Ibidem, 90 46 l’anglais sont nombreux dans la langue des jeunes, également dans la langue des jeunes aux Pays-Bas. Pour le reste, les mots ont été empruntés au marocain et au turc. Egalement de nouveaux mots néerlandais ont été introduits dans la langue des rues. Le but de l’emploi des mots empruntés est d’adoucir le caractère agressif de quelques mots en néerlandais. Les noninitiés de cette parlure trouvent le contraire. Eux, ils trouvent que la langue des rues est une manière de parler agressive. Prenons la recherche de Nortier (2001). Cette recherche montre que le sranan est moins utilisé à Utrecht qu’à Amsterdam. Probablement c’est parce qu’à Utrecht il n’y pas beaucoup d’habitants qui sont d’origine surinamienne. D’après Nortier (2001), la langue des jeunes diffère d’une ville à l’autre. Dans la recherche d’Appel & Schoonen (2005), Les élèves dans le Randstad, une région dans la Hollande occidentale, ont mentionné la source des mots qu’ils utilisent dans leur parlure des jeunes. Les résultats se trouvent ci-dessous : Nous voyons que les mots ont pour la plupart été empruntés à l’anglais. Le sranan se trouve à la deuxième place. Mais probablement les élèves ne savent pas que les mots considérés comme mots anglais sont des mots sranan. Le marocain prend la troisième place, ce qui montre que le marocain joue un rôle important dans la langue des jeunes. Remarquons que le sranan est une langue à laquelle les jeunes empruntent souvent des mots, mais les surinamiens aux Pays-Bas ne parlent guère le sranan. Ils parlent la plupart du temps le néerlandais chez eux. Le nombre d’habitants surinamiens aux Pays-Bas est d’environ 290.000 et les Marocains en diffèrent avec 240.000 habitants. Ce qui est très remarquable, c’est le nombre d’habitants turcs qui est de 290.000. La raison que le sranan a quand même une grande influence sur la langue des rues est que les jeunes surinamiens sont les « trendsetters » quant à la mode, la musique et d’autres choses culturelles. Les « Blacks » ont partout, où la langue des rues existe et forme une identité, une grande influence en ce qui concerne les trois points j’ai nommés. 47 Une autre explication peut se trouver au niveau linguistique : la structure phonologique. La plupart des mots en sranan ont une structure CVCV comme le mot « duku » (argent).53 Selon Aitchison (1991), cette structure phonologique est la plus naturelle pour les appareils vocaux. Nous voyons donc que les Pays-Bas connaissent également sa langue des jeunes. Le mélange des langues est assez divers. Malheureusement l’article d’Appel & Schoonenberg (2005) ne traite pas en détail l’emploi de la langue des jeunes dans la musique. Le hip-hop et le rap sont les plus grands genres musicaux qui contiennent le langage des rues. Le rap peut être considéré comme le miroir de la vie personnelle des rappeurs ou des jeunes en général qui vivent dans la misère et de leur langue. La partie suivante porte sur le rap et dans cette partie je vais me concentrer sur le rap en France et ce que le rap veut dire pour les jeunes dans les banlieues. 5.5. Le rap Dans cette partie je vais parler du rap en France. Je ne vais pas me concentrer sur la signification du rap, mais je vais mettre l’accent sur le rap en France et l’identité et la langue qui se révèle dans le rap. Evidemment, les mots empruntés à l’arabe est la raison pour laquelle je veux analyser le rap français. On peut partir de cinq hypothèses selon lesquelles le rap est : 1). Révélatrice de certains aspects dynamiques de la situation sociolinguistique générale, c’est-à-dire des représentations et pratiques linguistiques. 2). Un lieu de créativité linguistique et une source de représentations et d’usages linguistiques. 3). Un lieu de production et d’usage de marques linguistiques exprimant les positionnements sociaux et, en particulier, identitaires, des jeunes. 4). Un espace de circulation et d’échanges de modèles de comportements et de pensée sur les plans nationaux et internationaux. 5). Un genre artistique qui implique une rencontre entre rythme de langues, rythme musical et métrique. 54 Dans cette partie qui porte sur le rap, le deuxième et le troisième point sont essentiels pour moi, car la créativité linguistique et les marques identitaires vont de pair quand on regarde la position des jeunes « beurs » dans les banlieues françaises. Mais d’abord je vais traiter le commencement du rap en France. 53 Appel & Schoonenberg (2005), 112 M. Auzanneau e.a. (red.), „Le rap en France et ailleurs : intérêt d‟une démarche pluridisciplinaire‟, (2003) : 110 54 48 5.5.1. Le commencement du rap en France Le rap en France est très populaire et il y a beaucoup de rappeurs en France. Le rap en France a commencé vers les années 80. Cette culture du rap trouve ses racines dans le rap américain. Les Noirs s’exprimaient par le rap comme contre-culture. Cette attitude est reprise par les jeunes français, car leur vie quotidienne dans la société devenait pénible dans les années 80 et 90. La situation des « Beurs » et des « Blacks » en France est comparable avec celle des Noirs américains. Les premiers enregistrements du rap en France se faisaient en 1985. L’un des premiers rappeurs qui a fait un album est Dee Nasty. Son album a été vendu dans les rues.55 D’autres rappeurs considérés comme les tout premiers dans le rap français sont Nec Plus Ultra et Lionel D. Le grand succès autour du rap français venait avec l’arrivée du groupe belge Benny B au début des années 90. Lalbum les « Rapattitudes » est une collection de toute la première génération de rappeurs français. C’était suivi de rappeurs comme Tonton David et MC Solaar qui marquaient une nouvelle étape dans la popularisation du rap.56 Au milieu des années 90, le rap a provoqué la discussion sur la situation dans les banlieues. Le succès du rap augmente de plus en plus et les jeunes rappeurs redécouvrent le rap d’une manière qui fait plaisir. Ils jouent avec la langue, ils donnent d’autres sens aux mots, etc. A travers les années le rap devient le rap politique. Les rappeurs se comportaient comme des porte-voix et ils s’adressent à des jeunes, mais en même temps à la politique. Les rappeurs qui font le rap politique sont Assassin, Rockin‟Squat, Kabal, Alien K, Medine, NTM, Sniper etc. Ces rappeurs chantent sur des thèmes comme le racisme, l’injustice, l’immigration, l’extrême-droite et les problèmes d’identité.57 On ne peut parler du rap sans impliquer les sujets dont j’ai parlé. Le rap est né comme une nouvelle identité et cette identité a été reprise par les jeunes dans les banlieues qui adaptent leur vie à celle dont les rappeurs parlent dans leurs paroles. Dans la partie suivante je vais parler du rap comme identité pour les jeunes qui s’attachent à cette culture du rap. 55 Bart, Van Aert, „C‟est tellement 2007! Une analyse de la langue des jeunes dans la musique rap de 2008-2009, (2009) : 5 56 http://fr.wikipedia.org/wiki/Rap_fran%C3%A7ais – 21.08.2011 57 Ibidem, 21.08.2011 49 5.5.2. Les traits identitaires dans le rap Comme nous avons remarqué plutôt, les jeunes dans les banlieues françaises aujourd’hui sont surtout des jeunes d’origine maghrébine. Ils se trouvent dans un monde de deux cultures. Celle du monde occidental et l’autre du monde arabe, ce qui constitue une culture « intersticielle ». Le rap n’est pas seulement une manière de jouer avec les talents musicaux, mais c’est également la façon de s’exprimer envers le monde. Les rappeurs mettent l’accent sur des sujets sensibles, qui touchent les banlieues. La plupart de temps, les paroles du rap portent un message entouré par un rythme musical et métrique pour rendre le message attrayant pour les jeunes. Le rap est donc porteur de stratégies identitaires, indissociables de stratégies sociales. Là, nous pouvons dire que les langues et les variétés de langue fonctionnent comme des marqueurs d’identité.58 Le rap est une « action collective » et une « recomposition identitaire » qui est une production d’une nouvelle collective.59 Selon Billiez (1998), les rappeurs se réapproprient et inventent de nouveaux modèles culturels et identitaires hybrides, qui s’opposent aux modèles dominants. Et les jeunes ne disposent pas que d’une seule identité, ils disposent d’une identité plurielle à cause de leur insertion dans différents réseaux sociaux : ils sont membres d’un quartier, d’une ethnie, d’un pays ou d’un groupe générationnel dans lesquels les jeunes se forment par la langue. La façon dont ils parlent la langue française est très importante pour le rap. C’est pour cela nous avons remarqué ci-dessus que le rap est un lieu de créativité linguistique et une source de représentations et d’usages linguistiques. Nous voyons que les limites entre les traits identitaires et les traits linguistiques sont presque transparentes. Je vais parler dans la sous-partie qui suivra des traits linguistiques dans le rap. 5.5.3. Les traits linguistiques du rap Nous avons vu que la langue joue un grand rôle dans la langue des rues. Le rap est une subculture dans les banlieues. La langue des jeunes est appliquée au rap, car le rap doit représenter l’image de la vie sociale des banlieusards. Pour avoir un lien il faut s’exprimer de la même manière que les autres. Non seulement dans le rap, mais également dans les rues, les 58 59 M. Auzanneau e.a. (red.) : 111 Cyril, Trimaille, „Rap français, humour et identité(s)‟, (2001) : 53 50 jeunes entre eux. Ils se font une relation en parlant la même langue. Un jeune algérien, Ahmed, que j’ai interrogé sur cet aspect de langue, il m’a répondu en donnant un bon exemple : « Par exemple j‟étais chez la Porte de Cliancourt et je devais acheter des All Stars, j‟allais au vendeur » : - Ey sahbie wesch j'vois que tu vends des pompes all star” - Bien sur mon refre pour oit je t'fait un p'tit prix 40 balle - Zy vas espece d un fejui tu ma pris pour un ristou fait les ouam 30'' - Nan nan t ouf 35 si non laisse beton - Zy va 30 keus en plus je vien du meme deble que oit, fait oim un bon prix!'' - Bon d‟ac pour 30 keus à la prochaine sahbie Nous voyons dans cette conversation dans le magasin entre le jeune algérien et le vendeur, que la langue s’attache aux jeunes d’une façon très forte. Nous voyons aussi que le verlan se trouve souvent dans ce discours et la variété de langues utilisées, comme l’arabe et le français. Revenons à des traits linguistiques dans le rap français. On peut remarquer que l’emprunt est l’une des stratégies linguistiques qui est appliquée au rap. L’emprunt est le procédé le plus utilisé dans les chansons raps. Nous avons vu dans le mémoire que l’emprunt a toujours été le plus important procédé dans le développement d’une langue. Depuis longtemps le français emprunte à d’autres langues jusqu’à aujourd’hui. La langue des jeunes est partiellement la raison pour laquelle le français connaît toujours des mots empruntés. La plupart des mots empruntés dans le langage des jeunes sont à l’origine des mots arabes. Ce qui est intéressant, c’est de savoir si le rap comporte aussi des mots arabes. On sait que le rap emploie beaucoup d’emprunts, mais est-ce qu’il emprunte aussi à l’arabe comme la langue des jeunes ? Vu que le rap est l’une des stratégies les plus importantes pour passer le message vers la société française, cela peut avoir pour conséquence que l’arabe se rend plus populaire chez les autres qui écoutent les paroles. En outre, je veux savoir si le rap utilise également des mots arabes qui n’ont pas encore été enregistrés dans les dictionnaires français. Donc, ce que je vais faire dans la partie suivante, c’est faire la recherche sur les mots arabes utilisés dans les paroles de rap. 51 5.6. Recherche sur les mots arabes dans le rap Je vais chercher des mots arabes dans les paroles du rap français. Je vais prendre des paroles de rappeurs d’origine maghrébine, mais également de rappeurs qui ne sont pas d’origine maghrébine. Je veux savoir si l’influence arabe joue aussi un rôle dans l’usage de ces autres rappeurs. Je vais chercher les textes sur l’internet et ensuite je vais chercher les mots trouvés dans le dictionnaire afin de savoir s’ils sont déjà lexicalisés. 5.6.1. Les emprunts arabes dans les paroles Pour trouver des mots arabes dans les paroles du rap, je les ai cherchés sur l’internet. J’ai pris des textes de rappeurs qui sont connus en France et surtout chez les banlieusards. Tous les chanteurs de rap que j’ai trouvés viennent des banlieues parisiennes ou marseillaises. J’ai analysé 20 chansons de rappeurs maghrébins et 20 chansons de rappeurs non-maghrébins. J’ai travaillé sur 17 chansons de rappeurs maghrébins et sur 11 chansons de rappeurs nonmaghrébins. Ci-dessous je vais donner les paroles dans lesquelles il y a des mots arabes. Parfois j’avais de la peine à trouver les mots arabes dans les textes, car les mots ne sont pas toujours reconnaissables. Je commence par des paroles des rappeurs d’origine maghrébine. Je mets les mots arabes en caractères gras et je nomme les rappeurs et le titre de la chanson. Paroles de rappeurs d’origine maghrébine : K-mel – Bitch : « Mais j'en suis une, melka » Ateko – A nos pères nos mères : « Tous créatures de Allah, me parle pas de chance me parle pas de choses bizarres » Ateko – Solo : « A la bellek pour pas changer, ya que ceux qui sont visés qui sont dérangés » Section d‟Assaut – Qui t‟as dit ?: « Jette moi les groupies comme Zahya, ça vient d'Paname » 52 « Wesh boy tu veux du flow, demande aux bonnes personnes » « En quête mon flow, ma tek', dit Wallah, Handeck, NO » « Ici c'est la hess qui pilote et si t'est och' vamos » Section d‟Assaut – T‟est bête ou quoi : « Si ça pète, vite cache tes gosses Akhi » « Il vous suffit d'un peu d'zetla, puis vous êtes là » « C'est Au-ch, Wesh, J'vois qu'tu perds tes veux-ch » Section d‟Assaut – Là j‟suis pas bien : « tu m‟conseilles j‟vois pas qui t‟es, va les donner à d‟autres t‟es con khey t‟as pas tilter » La Fouine – Papa : « Yeah, au square on m‟appelle Fouiny baby mais pour toi je reste Laouni Weld Bladi » La Fouine – On fait l‟taf : « J‟rappe tellement hallal qu‟on dit que j‟rappe haram » La Fouine – C‟est pas la peine : « J‟invite Keyliah au kefta » Algérino – Le rêve français : « Illusion solaire sur la caseba, ou alors sur la homa » Algérino – On est là : « fait péter la zargua » « y‟a d‟la sape dans les stands, y‟a les srhab qui attendent, c‟est l‟Algérino sur bande » Algérino – Avec le sourire : « Comme ça tue as arbi qui chante du reggae » Rim-K – On flirte: « on flirte avec les jnouns » « Chez moi on flirte avec les drogues dures, les coups durs, la double culture, les coups durs sur l'arcade, rap raï et roukou, l'odo, les rakaat, la hagra sur les rotules » 53 Rim-K – Rachid System : « vicieux dès le sbarr » « Les empreintes de mon bled m'imprègnent » Médine feat. Salif Tunisiano, Rim-K, Keny Arkana, la Fouine, Mac Tyer – Téléphone arabe : « Salam Salif c‟est Médine » « Non, ça va pas akhi non » « As Salamou Alaykoum frère » « Il en a marre des coups de shlef il est déter ! » « Fais sa guerre et son Jihad, une lyricale fusillade » « Pas d‟estime pour les paroles miskin de ceux qui nous gouvernent » « Pour l‟instant c‟est calme, veuglé par le Sheitan » « Paraît qu‟il quitte Don‟t Panik, donc j‟vais le signer chez Nhar Sheitan Click » « On s‟unifie, une accolade entre le boulahya et le grand méchant beur » « On scie des rimes on fait rimer Arabian et la rabia » S.I.N.I.K. feat Youssoupha – Collision : « J‟suis née au bled au Zair l‟Afrique ma béquille » Rim-K feat Mohamed Lamine et Sheryne – Clandestino: « mon plaizir kine koune maak » « Rim-K jamais nenssake » « klamek chiekh aita nasse » « clandestin fennane oukelbek ekbire » Paroles de rappeurs d’origine non-maghrébine : Soprano – Kamarades : « Chicha sur la bouche, les soucis sur la touche » « Comme ça passe l'été au bled pour pouvoir mieux cramer » 54 Soprano – Halla Halla : « J'ai à peine pris le mic que tu commences à faire la shahad » Soprano – Parle-Moi : « C'est pour que tu puisses savoir que ton père existe et qu'il s'appelle Saïd » Diam‟s – De la Boulette : « Y‟a comme un goût de fouleck, de boulette qui saute dans la foule » Diam‟s – Me revoilà : « Ne t'avise pas d'être mon ex ou tu finiras dans mes textes ! la hchouma ! » Diam‟s – Ma France à moi : « Elle vit en groupe, parle de bled et déteste les règles » Diam‟s – Rien à foutre : « Ici pour foutre mon souk, mon dawa, mon bordel » Sefyu – Mon public : « Qui passe un grand salam aux frères qui cantinent mon cd a l'aide de mandat cash » Sefyu feat. Joey Star – Saint Denis style Nouvelle série : « Je cogne comme la derbouka » « Coup z‟et blessure tu crouz comme un scoot » Sefyu feat. Sana – Vis ma vie : « Le quartier c‟est la misère chaud, l‟odeur des voitures michoui » IAM – Rap de droite : « Gros cigares et vodka, loin du merguez d‟antan » J’ai également analysé d’autres paroles de rappeurs connus d’origine non-maghrébine comme NTM, Mac Tyer etc., mais je ne pouvais pas trouver de mots arabes. Cependant, le nom du groupe NTM (Nique Ta Mère) a été dérivé de l’expression arabe. J’ai remarqué que les paroles contiennent beaucoup de mots verlanisés. 55 Après avoir cherché les mots arabes dans les paroles, je vais les mettre dans un tableau comme nous verrons ci-dessous. Je vais chercher les mots dans le dictionnaire, LePpetit Robert Electronique, afin de savoir s’ils existent déjà, sinon je vais les chercher dans les dicos de la langue des jeunes, comme celui de J.P. Goudaillier (1997) « Comment tu tchatches ! » et celui d’Alain Rey et Disiz la Peste « lexik des cités » (2007). Dans les cas où le mot n’est pas enregistré dans le dictionnaire, ni dans le dico de la langue des jeunes, je vais donner le sens moi-même. De plus, je vais également indiquer si j’ai trouvé le mot chez un rappeur d’origine maghrébine ou non-maghrébine. Il se peut que les mots soient utilisés par les deux groupes. J’indiquerai les données par les traits [+], [-]. Tableau : Les mots arabes trouvés dans les textes de rap et l’employeur du mot, la place de l’enregistrement et le sens du mot en cas où le mot n’a pas été enregistré. Les mots P.R arabes Goudaill Rey & maghréb Non- ier Disiz in maghrébin Sens du mot Melka _ _ _ + _ Qu’est-ce qu’il y a Allah + _ _ + _ Mot arabe pour Dieu Zahya _ _ _ + _ Nom propre d’une femme + + _ Quoi – que se passe-t-il ? + + _ Jurer au nom de Dieu _ + + _ Tient _ _ _ + _ Frère Zetla _ _ _ + _ _ Khey _ _ _ + _ Les frères Weld _ _ _ + _ Fils Wesh + Wallah _ Handeck _ Akhi _ 56 Hallal + _ _ + _ Permis par la loi par la loi islamique Harram _ + _ + _ Interdit islamique Kefta + _ _ + _ La viande hachée Caseba + + _ + _ Citadelle Halla _ + + _ + Désordre Homa _ _ _ + _ L’environnement Zargua _ _ _ + _ « les blancs », ceux qui ont les yeux bleus Srhab _ _ _ + _ « ceux qui.. » Arbi + + _ + _ Mot arabe pour arabe Jnouns _ _ _ + _ Le pluriel du mot « djinn » Roukou _ _ _ + _ L’inclinaison Odo _ _ _ + _ Se laver avant la prière d’une manière rituelle (wudu) Rakaat _ _ _ + _ Prosternation Hagra _ _ + + _ Mépris Sbarr _ _ _ + _ La patience Bled + + + + + Terrain, pays Salam/sala _ _ + + _ Que la paix soit sur vous m alaykoum 57 Shlef _ _ _ + _ _ Jihad + _ _ + _ Effort suprême Miskin/mes + + + + _ Pauvre Sheitan _ + _ + _ Le diable Nhar _ _ _ + _ Jou Boulahya _ _ _ + _ Un barbu Rabia _ _ _ + _ Verlan de arbi koun _ _ _ + _ Tout est avec toi quin Kine maak Nenssake _ _ _ + _ Je t’oublie Fennane _ _ _ + _ Artiste Kelbek _ _ _ + _ Ton cœur Ekbire _ _ _ + _ Grand Chicha + + _ _ + Argot pour haschisch ou pipe à eau Shahad _ _ _ _ + La confession de foi hchouma _ + _ _ + La honte Souk + + _ _ + Le marché Dawa _ _ + _ + L’acharnement, désordre Derbouka + _ _ _ + Tambour arabe Michoui + _ _ _ + Grille au feu Merguez + _ + _ + Petite saucisse pimentée 58 L’apparence d’un mot dans le tableau ne veut pas dire que le mot n’est pas utilisé par d’autres. Les mots que j’ai trouvés chez les rappeurs d’origine non-maghrébine ne réfèrent qu’aux textes que j’ai analysés, mais cela ne veut pas dire que ces mots ne sont pas utilisés par des rappeurs maghrébins. Et si un mot n’apparaît pas dans le tableau chez les rappeurs nonmaghrébins, cela ne veut pas dire non plus que les rappeurs ne l’emploient pas, notamment les mots qui ont été enregistré dans le dictionnaire officiel comme le mot « wesh ». Dans la partie suivante je vais traiter les résultats de la recherche sur les mots empruntés à l’arabe dans le rap français. 5.6.2. Les résultats Ce que nous voyons c’est que j’ai mis les mots trouvés dans les textes de rap dans un tableau. 14 mots sur 47 sont enregistrés dans le dictionnaire Le Petit Robert, 20 mots sur 47 sont enregistrés dans les dicos de la langue des jeunes. Cela veut dire que presque un tiers est déjà lexicalisé et presque la moitié est mis dans les dictionnaires de la langue des jeunes. Ce qui est remarquable, c’est que les 14 mots dans Le Petit Robert ne soient pas toujours considérés comme des mots qui appartiennent à la langue des jeunes. 6 mots sur 11 ne sont pas mis dans les dicos de la langue des jeunes, comme les mots « jihad », « méchoui » et « derbouka ». Ces mots ont été empruntés pendant les siècles derniers et ces mots sont donc considérés comme « français ». Les jeunes choisissent consciemment les mots non-français afin de s’exprimer d’une manière étrange et propre. La langue des rues est surtout une langue codée comme nous avons mentionné plus tôt et des mots français qui sont compréhensibles pour tout le monde ne relèvent pas de cette langue. Le garçon Ahmed, d’origine algérienne, que j’ai interrogé, m’avait répondu sur ma question sur l’aspect d’être codé : « ...heureusement les profs ne la parlent pas, sinon tu devrais chaque fois créer une nouvelle langue des rues. C‟est étendu et cette langue n‟a pas vraiment de règles. Si tu appliques des règles à la langue, elle ne sera plus accessible et les jeunes créeront une nouvelle langue des rues. » 59 Nous voyons également qu’il y a des mots qui se trouvent dans les dicos, mais qui ne sont pas dans le dictionnaire de la langue française. L’avenir de ces mots dépend de l’emploi par les autres. Si les rappeurs d’origine non-maghrébine utilisent ces mots assez souvent, les mots seront plus courants chez les écouteurs de leur musique. Ce que l’on voit aussi, c’est que les rappeurs de nationalités diverses font des chansons de rap ensemble, comme la chanson « Téléphone arabe ». Il y a des rappeurs arabes et non-arabes et cela rend la transition de mots d’une langue à l’autre plus facile. Cependant, l’emploi de mots empruntés à l’arabe dans le rap français est à mon avis moins fréquent que dans la parlure entre les jeunes dans les rues ou à l’école. Probablement les rappeurs veulent quand même passer leur message à d’autres en utilisant plus des mots français qu’arabes, mais cela reste une suggestion. De plus, je ne vais pas me concentrer sur cet aspect du rap. Après avoir présenté les résultats de la recherche sur les mots empruntés à l’arabe dans le rap français, je vais chercher de nouveaux mots empruntés dans la langue des jeunes. Je vais les chercher dans les dictionnaires « Lexik des Cités » de Rey & La Peste (2007) et « Dictionnaire du français contemporain des cités » de Goudaillier (1997) et sur l’internet aussi afin de trouver d’autres mots qui ne sont pas présents dans les dictionnaires que j’ai mentionné ci-dessus. 5.7. Recherche sur les mots arabes dans la langue des jeunes Dans cette partie je vais essayer de trouver d’autres mots qui ont été empruntés à l’arabe. Je mets les mots dans des colonnes ci-dessous en donnant les références et le sens actuel donné par les jeunes, lequel est courant dans les banlieues. Pour ce qui est des mots arabes que nous avons rencontrés dans les textes de rap, je ne vais pas les noter ici. 60 Mots arabes Référence Sens Arlbouche Internet Maghrébin Barka Goudaillier Verlan du mot arabe kahba qui signifie « pute » Bzez Goudaillier Poitrine de femme Babtou Rey & La Peste Celui qui est blanc de peau Bellek Rey & La Peste Attention Bezzaf Internet Beaucoup Blédard Rey & La Peste Celui qui vient du bled Chétan Goudaillier Diable Chouffer Goudaillier Regarder Daron Rey & La Peste Père Fatma Goudaillier Femme, fille Flouse Goudaillier Argent Foyi Rey & La Peste Rien Hard Rey & La Peste Génial, sensationnel Hella bellek Internet Expression « toi-même tu sais » Heps Goudaillier Prison Herrek Rey & La Peste Bouger Kahba Internet Pute Karlouch Rey & La Peste/Goudaillier Celui qui a la peau noire Khlass Rey & La Peste/Goudaillier Assez, ça suffit Kho Rey & La Peste Mec, pote, frère 61 Kiffer Goudaillier Aimer Lebess Internet Ça va Maboul Goudaillier Dingue, fou Merlich Rey & La Peste Ce n’est pas grave Msrot Goudaillier Fou, dingue Psartek Rey & La Peste Formules de félicitation Raaf Internet Il flippe Ramdam Internet Verlan de « Ramadan », bruit Rhali Internet Cher Rhouan Goudaillier Dérober, voler Rnouch Rey & La Peste Policier, flic Roumi Goudaillier Français de souche, européen, chrétien Sahbi Internet Mon ami, pote Seum Rey & La Peste Rage, colère Soua Goudaillier Fille, femme Starforlah Rey & La Peste Exprime le remords Tnah Goudaillier Bon à rien, conard Traâm Internet Couscous Walou Internet Rien du tout Zaama Internet C’est-à-dire/ t’es sûr que c’est vrai ?/ soit disant Zamel Internet Homosexuel Zeub Goudaillier Sexe masculin 62 Zga Rey & La Peste Beaucoup Zouz Goudaillier Fille, femme Nous voyons que le langage des jeunes est marquée par des mots empruntés à l’arabe. Parfois le sens du mot change ou bien le mot est utilisé pour indiquer d’autres choses d’une manière péjorative comme le mot « dawa » qui signifie littérairement « des musulmans qui vont chez les jeunes pour les inciter à fréquenter la mosquée », mais aujourd’hui c’est en termes de « désordre ». En outre, les mots que j’ai trouvés n’ont pas (encore) été lexicalisés. Mais les dictionnaires qui ont rassemblé les mots arabes dans la langue des jeunes, connaissent tous les mêmes mots et sur l’internet l’emploi de ces mots est fréquent parmi les jeunes sur des sites destinés aux jeunes français. Donc les mots sont connus chez les jeunes qui parlent le langage des rues et ils partagent les mêmes mots. La fréquence de ces mots nous mènera alors à la question de recherche du mémoire, à laquelle je vais essayer de répondre dans la conclusion. 63 6. Conclusion On peut conclure que la langue arabe a joué un très grand rôle dans la langue française. Non seulement ces derniers temps, mais également depuis longtemps depuis l’arrivée des Arabes en Europe occidental. L’arabe a laissé ses traces, en particulier sur le plan linguistique et cette langue ne cesse d’influencer le français. Autrefois, l’arabe a influencé la langue française au niveau scientifique. La science d’aujourd’hui connaît toujours des mots venant de l’arabe. Le XXe siècle a connu des mots qui ont été lexicalisés et qui sont enregistrés dans Le Petit Robert. Cela veut dire que cette évolution de mots empruntés à l’arabe est encore présente. Finalement nous sommes arrivés à la partie dans laquelle j’essaierai de donner une réponse concrète à la question de recherche de mon mémoire qui est formulée comme suit : « La langue des jeunes peut-elle contribuer à enrichir le français par des mots arabes ? ». Nous avons vu que la langue arabe a contribué à enrichir le lexique français depuis le XIe siècle. Le français d’aujourd’hui connaît relativement beaucoup de mots arabes dans la langue des jeunes. A cause de problèmes sociaux, les jeunes essaient de trouver une propre identité pour qu’ils puissent appartenir à un groupe social. Cette identité se trouve entre deux cultures et leur façon de s’exprimer est donc le résultat de leur langue : mélange de deux langues. Les mots empruntés à l’arabe sont très fréquents et pour les jeunes en France, ces mots ne posent presque pas de problèmes de compréhensibilité. En fait, la réponse à la question de recherche est déjà donnée ci-dessus, mais j’essaie d’y répondre brièvement. Tant que la quantité de mots empruntés à l’arabe continue à augmenter grâce au rap ou à la parlure des jeunes, le français sera être enrichi de mots arabes. L’interprétation du résultat de mon mémoire peut être le motif d’une discussion. Il y a relativement beaucoup de mots empruntés à l’arabe qui se trouvent sur l’internet. Ces mots sont souvent utilisés par les jeunes français. La plupart de ces mots sont enregistrés dans les dictionnaires qui ont rassemblé les mots arabes qui sont employés fréquemment dans la parlure des jeunes. La langue des jeunes est également la parlure des rappeurs français. Nous avons vu que le rap est un moyen d’exprimer la langue des rues. Le rap est une manifestation de la vie sociale des banlieusards. Le mémoire de Ruygrok (2010) a montré que l’immigration est représentée dans le rap français. Baillet (2001) discute la culture « intersticielle » dans laquelle les jeunes vivent : vivre entre deux cultures conduit les jeunes vers un mélange des langues. Les jeunes dans les banlieues françaises n’échappent pas à l’emploi de la langue 64 des rues. La France semble être le pays le plus connu quant à la langue des rues. Ce qui rend le langage des cités en France le plus intéressant est l’emploi de mots empruntés à des langues différentes. L’arabe, la langue maternelle de la plupart des jeunes dans les banlieues, souvent mal maîtrisée, est l’une des langues qui a le plus influencé cette parlure des rues. Mon but était donc de me pencher sur la question de savoir si l’arabe peut contribuer à enrichir le français. La réponse est que l’emploi fréquent d’emprunts arabes enrichira le lexique français. La réponse donnée à cette question de recherche nous mène alors à la discussion. Quelle sont les conditions pour que la lexicalisation ait lieu ? Généralement, une condition est que le mot doive être fréquemment utilisé par les gens. Si un mot arrive dans le monde des médias, cela ne prendra pas beaucoup de temps avant que l’on trouve le mot dans le dictionnaire. Aux Pays-Bas le mot doit être utilisé en néerlandais pendant trois ans environ avant que l’on lexicalise le mot. Cependant, les mots qui sont enregistrés par Goudaillier (1997) ne sont pas non plus nouveaux : ce sont des mots qui sont souvent utilisés par les jeunes. Pourtant, tous les mots ne sont pas enregistrés dans le dictionnaire officiel de la langue française. Il faut donc se poser la question de savoir quand on est prêt à lexicaliser un mot. De mon point de vue, l’emploi fréquent de mots empruntés à l’arabe est essentiel et si le mot est compréhensible pour tout le monde, par exemple en passant dans les médias, le mot est prêt à être lexicalisé. Mais la question concerne surtout les jeunes : est-ce que les jeunes veulent que les mots de la langue des rues soient enregistrés dans le dictionnaire ? Cela implique que ce serait la fin de leur langue codée et le début de la création d’une autre nouvelle langue des rues. Ce point de discussion est intéressant et pourra être une nouvelle question de recherche. 65 Bibliographie Aert, Bart. ‘C’est tellement 2007. Une analyse de la langue des jeunes dans la musique rap de 2008-2009’. Mémoire de licence, Université d’Amsterdam, 2009. 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