part i: how did bobbin lace begin

Transcription

part i: how did bobbin lace begin
An Early Lace Workbook
PREMIERES DENTELLES AUX FUSEAUX, UNE ETUDE
Bobbin Lace Techniques before the Baroque
TECHNIQUES DE DENTELLE AUX FUSEAUX AVANT LA
PERIODE BAROQUE
Rosemary Shepherd
Traduction de la Partie I
Réalisée par Josette Martin Favelier
A la mémoire de notre amie Vibeke Ervø
Lace Press Australia
Préface
Ce livre est le compte- rendu de mon voyage de dentellière, qui aura duré
presque 40 ans. Pendant toutes ces années, j’ai étudié les premières dentelles
dans un grand nombre de collections en Australie et à l’étranger, et réalisé de
nombreuses reconstructions. L’identification, dans les portraits, des
passements qui pouvaient être soit de la dentelle aux fuseaux soit une des
techniques antérieures, a ajouté une autre dimension à ma recherche et fourni
des preuves par l’image de l’utilisation de la dentelle dans le costume. En
outre, l’étude de livres de modèles du 16ème siècle m’a permis de faire la
distinction entre les premières dentelles à usage domestique et les dentelles
plus élaborées à la mode dans les années ultérieures.
Parce que l’accent a été mis sur la dentelle et sa fabrication, il n’est fait
référence qu’en passant à de nombreux autres aspects de l’histoire de la
dentelle, quand bien même ils m’ont apporté les données nécessaires à la
recherche. Par exemple, la mode ne fait pas l’objet d’une étude spécifique, et il
n’y a pas de référence directe aux premiers inventaires, aux contenus des
trousseaux ni aux testaments. De même, je fais peu référence aux hommes et
femmes du monde de la soie, qui, pourtant, jouèrent un rôle majeur dans la
manufacture de toutes sortes de parements de soie et de fils métalliques, y
compris ceux qui pouvaient préexister à la dentelle aux fuseaux. D’autres
auteurs ont brillamment traité de tous ces sujets et certains sont référencés
dans la bibliographie.
L’éloignement des sources d’information, la difficulté et le coût liés à
l’obtention de matériau de référence depuis l’étranger, sont des handicaps
évidents pour une historienne de la dentelle de ce côté-ci du monde, en
particulier lorsqu’elle ne parle que l’Anglais. D’un autre côté, l’étude de la
dentelle dans les nombreuses collections disponibles a développé mon
attention pour le détail, ce qui ne serait pas arrivé si j’avais eu plus facilement
accès aux informations écrites. Le fait que la recherche personnelle soit
devenue une démarche nécessaire bien avant l’avènement d’Internet présentait
un avantage supplémentaire.
Je sais surtout que cet ouvrage ne représente qu’une petite partie de
l’histoire de la dentelle aux fuseaux. Il a été rédigé avec l’espoir que d’autres
personnes seront encouragées à poursuivre leur propre recherche et
participeront à la discussion sur les origines de la dentelle aux fuseaux et le
développement des techniques. J’attends avec impatience des nouvelles de
mes lectrices, ou lecteurs, tout particulièrement ceux qui détiennent des
informations dans une autre langue que l’Anglais.
Rosemary Shepherd OAM
Leura, Australia
March 2009
ii
Introduction
Peu de temps après mes premiers cours de dentelle aux fuseaux en
Angleterre en 1970, nous avons déménagé et je cessai d’avoir accès à
l’enseignement. Quand nous avons ré-emménagé en Australie en 1975, j’avais
encore de nombreuses questions restées sans réponses et plus personne à
consulter. Puis je perçus mon isolement comme un avantage, en dépit des
frustrations rencontrées. Ayant une expérience des différents textiles, dont le
tissage, le sprang, la broderie et d’autres formes de dentelle, j’avais l’habitude
de chercher des informations dans les livres et dans les musées, si bien que
j’utilisai la même stratégie pour la dentelle aux fuseaux.
Mes questions les plus pressantes portaient sur le fil que j’utilisais ; mon
professeur avait conseillé du fil à crocheter pour les premiers exercices mais le
résultat ne me plaisait pas. Ma dentelle était lourde et le fil semblait dominer
au lieu de se fondre dans le motif comme dans la dentelle ancienne.
Comme je voulais également comprendre ce qu’il advenait de chaque fil, je
fis l’expérience avec les couleurs. Les résultats furent une révélation ; je
comprenais mieux le processus et j’étais fascinée par les motifs que les fils de
couleur faisaient dans la dentelle. Cette expérience influença ma façon
d’enseigner aux débutantes et a eu un rôle majeur lorsque je faisais de la
dentelle et aussi pour ma recherche. Depuis, bien entendu, j’ai appris que
l’usage de la couleur dans l’enseignement était courant dans les écoles de
dentelle européennes, il y a beaucoup à dire sur le fait qu’il faut faire ses
propres découvertes.
Comme je disposais de fils à broder, j’eus recours au coton perlé pour mes
premières expériences avec la couleur. Il était plaisant à travailler et j’avais
remarqué que la torsion était différente de celle du fil à crocheter. C’est à ce
moment que je pus acquérir un peu de fil de lin pour dentelle, et découvris
qu’il avait la même torsion que le coton perlé, bien qu’il fût filé plus serré, et
qu’il était merveilleux à travailler.
Lorsque je me mis au filage à la main, je compris ce qu’était la torsion du fil
quand on en vient à la dentelle. Le fil tordu en S (coton perlé, lin, etc.) donne
un meilleur résultat que le Z (par exemple les fils à crocheter ou à coudre),
parce que le mouvement de torsion de la dentelle est dans la direction Z, pour
tous les points sauf le mat. Par conséquent, au bout d’un moment, le fil est
trop tordu et tend à se retordre sur lui-même, si bien que la dentelle n’a pas un
iii
aspect régulier. J’ai déjà parlé de ce sujet en 1981 1, et ce sujet, qui me
préoccupe depuis, est le thème de la discussion sur le fil dans la Partie I.
Les premières expériences avec la couleur m’amenèrent à souhaiter en
apprendre plus sur la structure des différentes dentelles aux fuseaux.
J’empruntai tous les livres que je pouvais trouver à la bibliothèque locale (au
début des années 1970, il n’y avait pas de nouveaux livres) et essayai de
reproduire les dentelles anciennes-du moins des morceaux- à partir
d’échantillons trouvés dans les ventes de charité. Lorsque je me mis à
l’enseignement de la dentelle, j’encourageai mes élèves à faire la même chose
pour apprendre la technique et le dessin. Ce procédé développa mes capacités
d’analyse ; l’habitude que j’avais prise depuis longtemps de noter la
construction, et l’aspect du fil me furent d’une grande utilité quand j’entrepris
le catalogue de la collection de dentelles du Powerhouse Museum.
Je m’intéressai à la recherche historique pour la première fois en
découvrant l’ouvrage du Baron Alfred von Henneberg Art and Craft of Old
Lace2 à la fin des années 1970. L’analyse de la structure de la dentelle de Von
Henneberg et la qualité de ses diagrammes, étaient très en avance sur leur
temps et m’apportaient tout particulièrement une connaissance de fond pour
l’étude des techniques dentellières du 18ème siècle.
A mesure qu’augmentait ma curiosité pour la dentelle aux fuseaux, je
tentais des reconstructions de dentelles de plus en plus anciennes. La période
avant les années 1650 est dorénavant l’objet de ma recherche. Inutile de dire
qu’il se trouve un nombre limité de ce type de dentelles en Australie, mais, au
cours de la dernière décade, grâce à la générosité de collègues conservateurs
ou chercheurs du monde entier, j’ai pu examiner et photographier plusieurs
centaines de dentelles anciennes.
1 Parkin (now Shepherd) Rosemary; ‘Linen thread and Lacemaking’, Textile Fibre Forum,The Australian Forum for Textile
Arts, Australia, Vol 1, no 2, 1981.
2 Batsford, London, 1931. Réimprimé par Lacis Publications, Berleley, California, in 1999.
iv
PARTIE I: DENTELLE AUX FUSEAUX- LES PREMIERES
ANNEES
I - 1: L’apparition de la dentelle.
Il est généralement admis que la
dentelle apparut pour la première fois
comme article de haute mode au début du
16ème siècle, évoluant des simples
techniques utilisées pour le décor du linge
de maison et du mobilier. Le port de sousvêtements de lin fin comme la chemise ou
la camisole devint un indicateur de la
richesse et du statut d’une personne, et à
mesure qu’avançait le siècle, la décoration
des parties visibles de ces vêtements
devint de plus en plus importante. Assez
rapidement, les cols, en particulier,
devinrent si élaborés qu’ils furent conçus
comme des vêtements à part entière. Au
cours du règne d’Elizabeth I, ceux-ci se
développèrent jusqu’à cet extraordinaire
accessoire de mode que l’on appelle la
fraise. La plupart des fraises étaient
bordées de dentelle, parfois des dizaines
de mètres, et si lourdement empesées qu’il
semblait que la tête de celui qui l’arborait
était présentée sur un plat. C’est sans
doute cet accessoire spectaculaire qui
contribua à faire de la dentelle
l’embellissement indispensable à toute
garde-robe à la mode.
Le développement de la dentelle à
l’aiguille est relativement facile à suivre à
partir des différents points de broderie
découpée qui apparurent au début du 16ème
siècle comme décoration des vêtements et
accessoires de lin devenus à la mode.
Les savoir-faire féminins, depuis des
siècles, ont inclus le filage, le tissage et la
couture des textiles domestiques. Comme
le lin, à cette époque, était souvent tissé en
petites largeurs, la plupart des femmes
étaient capables d’assembler les lés de
façon décorative afin d’obtenir des pièces
plus larges comme des draps et des
tentures de lits. Quand la mode exigeait
quelque chose de plus élaboré, il suffisait
de développer les savoir-faire existants.
Les portraits et les journaux intimes de
l’époque, les nombreux livres de modèles
de travaux d’aiguille, à partir des années
1520, indiquent clairement que la broderie
et la dentelle à l’aiguille étaient des passetemps appréciés, voire essentiels pour les
femmes bien éduquées.
Le développement de la dentelle aux
fuseaux n’est pas aussi connu, ni aussi
documenté, mais elle a probablement été
utilisée sur le linge de maison bien avant
que la dentelle à l’aiguille ait émergé de la
broderie.
Les bordures
qui
peuvent être
indéniablement
identifiées
comme
dentelles aux fuseaux apparaissent dans les
tableaux du milieu du 15ème siècle, mais les
techniques avaient probablement apparu
un peu avant. Les tresses, les franges et les
« boucles » faits de soies de couleur et de
fils de métal (qui apparaissaient sous le
vocable général de passementerie)
décoraient communément les coutures et
les bords des lourdes robes au Moyen Age.
Il y a peu de doute que nombre de ces
bordures étaient tressées de manières
variées, comme l’étaient les premières
dentelles aux fuseaux.
La possibilité qu’une forme de dentelle
aux fuseaux ait existé dès le 15ème siècle
1
soulève des questions sur la technique
dont elle est issue, les matériaux et
équipements utilisés et on peut se
demander si les techniques étaient les
mêmes que celles que nous utilisons
aujourd’hui.
En
particulier,
les
mouvements de base étaient-ils exécutés
de la même manière ? Si c’est le cas, est ce
que cela désigne un seul lieu d’origine,
étant donné que la direction des
mouvements est identique dans tous les
exemplaires qui ont survécu ? Une autre
question est de savoir si la dentelle s’est
développée directement à partir de la
passementerie, ce qui est évident dans des
tableaux aussi anciens que le milieu du
15ème siècle, ou si elle a subi une évolution
complètement à part, à partir des entredeux entre les coutures qui se sont
développés à cette période ?
Il existait des méthodes variées pour
réaliser des tresses décoratives, ou des
dentelles pour faire des liens, bien avant
l’avènement de la dentelle aux fuseaux,
telle que nous la connaissons. Pour bon
nombre d’entre elles, on utilisait des
fuseaux pour organiser et lester les fils, et
ces méthodes sont toujours utilisées dans
un grand nombre de pays européens, et
bien entendu pour le kumihimo au Japon.
D’autres méthodes de tressage, ainsi que la
dentelle à l’aiguille, requéraient un coussin
lourd, comme le coussin à dentelle pour
ancrer
l’ouvrage
et
faciliter
la
manipulation. Nombre de ces techniques
anciennes partagent des caractéristiques
structurelles avec la dentelle aux fuseaux.
Les connections anciennes
possibles.
Alors que l’on peut se laisser tenter
par de possibles connections entrevues
entre la dentelle aux fuseaux et d’autres
structures textiles, aucun antécédent direct
satisfaisant n’a été encore identifié.
Cependant, je traite ici de celles qui
méritent d’être étudiées de plus près, dans
l’espoir que mes lecteurs ou lectrices
partageront leurs idées et recherches.
Tresse nouée aux doigts
Le tressage noué aux doigts ne requiert
aucun équipement, sinon les mains et les
doigts et est probablement une technique
très primitive. Dans une conférence
donnée en 1881, A.S. Cole, 3 enseignant et
historien de la dentelle reconnu au 19ème
siècle, a parlé d’un manuscrit Harleien4 de
1471 environ, dans lequel des instructions
étaient données
« Pour la réalisation d’une dentelle Bascon, d’une
dentelle dentée, une dentelle bordée, de la dentelle
voilée, une dentelle ronde, une dentelle fine, une
dentelle à trous, de la dentelle pour Hattys, et
autres » Le manuscrit commence par une
majuscule enluminée, dans laquelle on voit la
silhouette d’une femme occupée à réaliser ces
ouvrages. Mais ses outils ne sont pas ceux avec
lesquels la dentelle de qualité ornementale a été
réalisée depuis le 16ème siècle. Une description
claire est donnée pour des fils organisés par
deux, trois, quatre, cinq, jusqu’à quinze, qui
étaient tordus et tressés ensemble. Au lieu du
coussin que l’on connaît bien, des fuseaux et des
Cole, Alan S; Cantor Lectures, Proceedings of the Royal Society,
1881, p 790 ff.
3
4 Manuscrits collectés par la famille Harley et maintenant
conservés à la British Library. La citation de Cole provient
probablement de Harley 2320, ff. 52-70v, qui est le sujet de
l’article de E G Stanley “Informations pour réaliser de
nombreuses sortes de dentelle” in Chaucer and Middle English Studies
in Honour of Rossell Hope Robbins, Allen and Unwin 1974, pp 89-103.
2
épingles avec lesquels on fabrique actuellement la
dentelle, on utilisait la main. »
Selon Cole, chaque doigt servait de fiche
ou d’ancrage pour une petite pelote de fil.
Une seule personne pouvait réaliser une
tresse simple, mais pour des réalisations
plus élaborées, on pouvait avoir besoin
des mains de plusieurs personnes. Après
avoir lu le chapitre sur la tresse nouée aux
doigts dans Speiser5 il semble que l’on
manipulait probablement des boucles,
non des pelotes de fils : Cole peut avoir
mal interprété le manuscrit.
Sans doute, il vint un moment dans le
développement des tresses nouées où
l’utilisation de plus de paires de mains
devint plus lourde à gérer, ou bien on avait
besoin d’une tresse plus longue : c’est alors
que d’autres moyens de manipulation et
d’organisation des fils devinrent
nécessaires, mais pour ce qui est du
moment exact, et de la technique, on ne
peut que faire des supputations. Speiser a,
depuis, consacré une publication entière à
la tresse nouée, et nombre d’autres
chercheurs sont maintenant impliqués
dans l’étude de cette technique fascinante.
Un des modèles du livre de Speiser- la
recette de Lady Bindloss- informe le
lecteur de la nécessité de
Cependant, le lien avec certaines
dentelles anciennes de métal est
intéressant, si l’on considère celles qui ont
été réalisées avec des fils doublés, telle la
dentelle d’ameublement en fil d’argent de
la collection7 de Hardwick Hall, et la
dentelle qui orne la boîte brodée au
Victoria and Albert Museum. 8
Le lien avec le sprang
L’ancienne technique du sprang est
probablement la technique la plus
ancienne connue dans le textile, datant
probablement au moins de l’Age de
Bronze9. Elle utilise un ensemble de fils
de chaîne fixés aux deux extrémités, et pas
de trame. Le tressage et la torsion de fils
adjacents à une extrémité, produisent les
mouvements inverses à l’autre extrémité.
Chaque rang de torsions doit être fixé en
insérant un bâton entre deux couches de la
chaîne à chaque bout pour repousser les
torsions et les tenir en place jusqu’à ce que
le rang suivant de torsions soit terminé.
En fin de compte les deux extrémités
de tissu se rejoignent au milieu de la
chaîne et la jointure doit être arrêtée d’une
manière ou d’une autre pour empêcher
l’ensemble de se défaire. On peut produire
un tissu assez large, avec toutes sortes
d’épaisseurs de fils, et lorsqu’on l’étire, il a
un aspect de dentelle à jours. Le sprang
semble s’être développé indépendamment
dans des régions très éloignées les unes
des autres et était utilisé dans les
vêtements et pour des sacs. La technique
était toujours utilisée à la fin du 20ème siècle
6
(prendre vingt fuseaux comme ceux utilisés pour
la « bone lase »)
Cela peut vouloir indiquer une
transition de la tresse nouée aux doigts à la
dentelle aux fuseaux, mais comme il s’agit
d’une référence du 17ème siècle, elle est
trop tardive pour pouvoir confirmer un
lien assuré avec les origines de la dentelle
aux fuseaux.
7 Levey, Santina M, An Elizabethan Inheritance; the Hardwick
Hall Textiles, National Trust, 1998, p 31.
8 Browne, Clare, Lace from the Victoria and Albert Museum, V&A
Publications, 2004, p 28, Planche 1 (reconstruite page 45).
9 Hald, Margarethe, Ancient Danish Textiles from Bogs and Burials,
National Museum of Denmark, [1980] p 245 ff.
Speiser, Noemi Manual of Braiding, publié par l’auteur, 1983
Speiser, Noemi, Old English Pattern Books for Loop Braiding, publié
par l’auteur, 2000, p 130
5
6
3
dans certaines régions d’Europe, dans le
subcontinent indien et les Iles Salomon.
De nombreux historiens de la
dentelle ancienne affirment qu’il y a un
lien entre le sprang et le développement de
la dentelle aux fuseaux. 10 Comme j’avais
expérimenté le sprang avant de découvrir
la dentelle aux fuseaux, je fus tentée de
suivre cette idée en utilisant la méthode
d’entrelacs du sprang11. Comme les autres
chercheurs dans ce domaine, je trouvai
que, bien qu’il soit possible de reproduire
tous les fonds de dentelle aux fuseaux,
ainsi que le point de toile travaillé en
diagonale, cela me semblait limité. Le
sprang entrelacé est le plus rare des trois
structures existantes de sprang, et aucun
des exemplaires qui nous sont parvenus ne
permet d’établir un lien avec la dentelle
aux fuseaux.
La technique « vers l’intérieur » pour
faire une tresse à trois brins est
probablement celle qui vient tout
naturellement à celles d’entre nous qui ont
tressé leurs cheveux ou ceux de leurs
enfants. En d’autres termes, les deux fils
de gauche sont croisés gauche par-dessus
droite (S), et les deux fils de droite sont
tordus droite par-dessus gauche (Z). Si un
fil supplémentaire est ajouté et que l’on
continue à tresser avec le même
mouvement d’entrelacement par-dessus –
un-par-dessous-un, cela ne nécessite de
répéter que le mouvement S ou le
mouvement Z avec la seconde paire de
fuseaux, selon le côté de la tresse où se
trouve le fil supplémentaire. Si le fil
supplémentaire est ajouté à gauche de la
tresse, c’est le mouvement en Z qui sera
répété, s’il est ajouté sur la droite, c’est le
mouvement en S qui sera répété. Le
premier donnera une tresse à quatre
ressemblant à celle des dentellières, alors
que le second aura des mouvements
inversés
La tresse à trois brins.
Un autre lien peut être établi avec la
forme la plus simple de la tresse, c’est-àdire la tresse à trois brins, dans laquelle
l’entrelacement en diagonale est réalisé en
alternant des mouvements en S et en Z
avec les fils adjacents. Il s’agit
probablement de l’une des manipulations
les plus anciennes de la fibre textile, qui
peut même avoir précédé le filage pour la
production de cordes et cordages. (Il est
possible également qu’elle ait conduit au
sprang quand on a constaté que
l’enchevêtrement aux extrémités avait en
fait une structure que l’on pouvait utiliser
si les extrémités étaient arrêtées)
‘
Tresse vers l’intérieur
La technique “vers l’extérieur”
pour tresser trois éléments (tordre la
paire de gauche et croiser la paire de
droite) est également citée en
archéologie textile et peut rester la
manière instinctive de tresser dans
certaines cultures de nos jours. Les
images ci-dessous montrent qu’en
10 De nombreux auteurs ont perpétué cette notion, sans doute
parce qu’elle semble bien plausible à une époque où peu d’
historiens de la dentelle avaient une expérience personnelle de la
technique.
11Collingwood, Peter; The Technique of Sprang, Faber and Faber pp
184 ff. Dans ce travail fructueux Collingwood a identifié trois
structures différentes de sprang s; lier, entremêléer et entrelacer.
Seule la dernière a le genre d’entrelacement que l’on trouve dans
les premières dentelles.
4
fragments qui subsistent représentent deux grandes
franges tressées découpées à la base d’un tissu
moucheté. Autre hypothèse, l’objet peut avoir été
un réseau en losange avec des bordures tissées.
Dans ce cas, il a probablement été réalisé avec une
méthode similaire au sprang. 13
Walton rapporte qu’elle n’a eu aucun
mal à reproduire l’un des fragments avec la
ajoutant un élément supplémentaire sur
un côté ou sur un autre d’une tresse
« vers l’extérieur » on arrive de façon
évidente à l’inverse de ce qui se produit
pour la tresse « vers l’intérieur ».
Tresse vers l’extérieur
Fragment d’une tresse en polytric commun (=une
mousse), 1448, fouilles de York
Reproduit avec la permission de York Archaeological
Trust
On verra plus loin que au moins un, peut
être deux, des modèles du Nüw Modelbuch
indique l’usage de la tresse à trois brins, et
on retrouve de petites portions de cette
technique dans nombre de dentelles de
métal anciennes. La dentelle au Musée
Juif, page 51, en est un exemple. Bien plus
tard, on la remarque aussi dans le fond de
certaines dentelles de Valenciennes . 12 Au
Danemark, certaines bordures décoratives
des serviettes du 18ème et 19ème siècles
comportent également des réseaux faits
avec des tresses à trois brins.
Parmi les découvertes archéologiques, il
y a également des exemples de tresses à
trois brins. Walton décrit deux fragments
textiles dans lesquels le tressage forme un
réseau en losange au dessus d’une bordure
tissée mouchetée. Ils ont été découverts
dans une strate Anglo-Scandinave du 10ème
siècle lors de fouilles à York.
La combinaison du tissage moucheté avec le réseau
en losange, 1327 (ill. 147) n’a pas de parallèle
connu actuellement et sa méthode de fabrication est
difficile à concevoir . Il est possible que les
technique du sprang mais reconnaît qu’il
n’y a pas d’autre exemple connu de ce
genre de tissu en sprang.
Dans ces trouvailles de York (objets
1447 à 1455) il se trouve également des
fragments Anglo-Scandinaves médiévaux
de tresses à trois brins faites avec des
paquets de fibres de mousse 14 (du polytric
commun). Elles font entre 15 et 40 mm de
largeur. On considère que ces tresses de
mousse servaient de cordes, si l’on se base
sur une comparaison faite avec des
exemplaires plus longs issus d’autres sites
en Europe.
13 Walton, Penelope; Textiles, Cordage and Raw Fibre from 16-22
Coppergate; the Small Finds, York Archaeological Trust, 1989,
fig. 147.
14 Walton, Penelope; op. cit. , p 395, ill. 166.
12 Cook, Bridget and Geraldine Stott; The Book of Bobbin Lace
Stitches, Batsford/Reed 1980, p 117.
5
Les fragments de York de réseau en losange en chanvre
carbonise, avec une bordure mouchetée, 1327, analyse
réalisée par Walton (le dessin n’est pas à l’échelle)
Reproduit avec la permission de York Archaeological
Trust
Tresse à quatre brins
Parmi les autres réseaux tressés qui
n’ont pas de lien apparent avec la dentelle
aux fuseaux, il se trouve un sac Afghan qui
a été analysé par Collingwood. 15 La
technique de base du sac est semblable au
réseau en losange de la dentelle aux
fuseaux : des groupes de quatre fils sont
tressés le long de diagonales opposées,
mais les mouvements sont inverses de
ceux de la dentelle.
Le sac est fait de laine brute qui
semble être filée en S et il n’est pas daté. Il
serait intéressant de savoir s’il s’agit d’une
pièce courante parmi les textiles afghans et
si les mouvements sont faits dans la même
direction que la dentelle aux fuseaux.
Détail du tressage du sac Afghan de Collingwood
15 Collingwood, Peter; Textile and Weaving Structures, Batsford,
1987, p 51, figure 47.
6
I - 2: Les origines des dessins et les livres de modèles
occidentale sur les motifs géométriques
islamiques.
Les motifs celtiques et islamiques
influencèrent la décoration de toutes
sortes de textiles du Moyen Age et de la
Renaissance, ainsi que le mobilier, la
céramique et l’architecture. Il reste des
exemples des deux influences dans
l’Europe entière.
Il n’est pas surprenant alors que
nombre de dessins des premiers livres de
modèles- pour la broderie comme pour la
dentelle- en témoignent. Le point coupé
géométrique
communément
appelé
Reticella convenait parfaitement à
l’interprétation des dessins islamiques et
celtiques. Par exemple dans le livre de
modèles de Matio Pagano, vers 1550, les
motifs angulaires en S et en Z, ainsi que
les losanges, les étoiles et les entrelacs sont
tous représentés, et modifiés un peu plus
tard pour la dentelle aux fuseaux. De tels
dessins furent appréciés par tous pendant
tout le 16ème siècle, et sont toujours
populaires auprès d’artisans de toutes
sortes de nos jours.
Le nœud celtique du genre de celui
que l’on voit sur les pierres gravées
monumentales et les bordures des
manuscrits enluminés ont longtemps
intrigué les historiens de la dentelle. Il est
difficile de croire qu’il n’a pas été basé sur
de vraies structures de cordes. Quelques
exemples comme la grande croix (à
gauche) sont exactement l’entrelacement
de la tresse à quatre, faite par la dentellière.
D’autres sont comme les tresses à trois,
ou à quatre avec les directions inversées.
Avant l’apparition des livres de modèle.
Comme
Abegg
l’a
signalé,
l’impression à la planche sur les textiles
était pratiquée en Egypte au 6ème siècle et
était bien connue en Europe au Moyen
Age ; ce savoir-faire fut repris pour
l’impression sur papier quand elle devint
plus courante. Au 15ème siècle, les presses
d’imprimerie furent installées partout en
Europe et la dissémination des savoirs de
toutes sortes devint possible, y compris les
dessins pour la broderie et le tissage.
Auparavant…
… Les précurseurs immédiats des livres de
modèles imprimés…étaient indubitablement les
cahiers dans lesquels les brodeurs et les tisserands
dessinaient leurs propres inventions et celles qu’ils
empruntaient. 16
Les hommes et les femmes du monde
de la soie qui faisaient de la passementerie
et autres bordures (avant et après
l’avènement de la dentelle aux fuseaux)
travaillaient certainement à partir de livres
d’échantillons et d’instructions consignées
à la main. Il est évident que les influences
dans le domaine du dessin étaient les
mêmes pour tous les artisans, et
évidemment modifiées pour chaque corps
de métier.
Le dessin des premières dentelles aux
fuseaux, sinon la structure, était clairement
influencé par l’ancien nouage celtique. 17
Le commerce et les conquêtes attirèrent
également l’attention de l’Europe
16 Abegg, Margaret; Apropos Patterns for Embroidery, Lace and Woven
Textiles, Abegg –Stifftung, Bern, 1978; p 17.
17 On dit qu’il a son origine en Chine bien avant qu’il soit utilisé
par les peuples celtes.
7
Haut de la réplique de plâtre d’une grande croix
Anglo Danoise dans le cimetière de Gosford, Cumbria, fin
ème
Du 9
Les célèbres fûts de cheminées du
château de Hampton Court sont des
vestiges du genre de tesselles islamiques
qui abondent dans les premiers livres de
modèles, en particulier le Nüw
Modelbuch.
siècle. L’envers de la croix a la même décoration
« tressée »
. Victoria and Albert Museum Plaster Court, 1882-258.
8
du coussin pour faire la dentelle à la mode
devait être bien établi au moment où les
livres furent publiés, sinon, ils n’auraient
pas eu de clientèle. En Italie au moins, la
dentelle aux fuseaux devait avoir acquis un
meilleur statut que lorsqu’elle n’avait
qu’un usage domestique, puisque Le Pompe
s’adresse aux « belles femmes virtuoses »
et suggère que les dessins peuvent être
réalisés avec de luxueux fils de soie, métal
ou lin. Il semblerait indiquer que la
dentelle était devenue un passe-temps
acceptable pour les femmes de statut
social supérieur à celui des décennies
précédentes.
Les premiers livres de modèles.
Comme Levey le souligne, la
séparation entre le dessin et la réalisation
pour tous les arts décoratifs, fut facilitée
par l’invention des presses à imprimer au
15èmesiècle. 18 Pour les dessinateurs
professionnels d’ornementations il fut
possible de faire imprimer leur travail et le
faire circuler dans toute l’Europe,
probablement sans avoir à se déplacer
personnellement.
La plupart des historiens sont
d’accord : les premières dentelles aux
fuseaux furent exécutées en Italie, soit à
Milan qui était un centre de manufactures
de passementerie, soit à Venise où toutes
Couverture de Nüw Modelbuch, allerley
gattungen Dantelschnur publié à Zurich vers 1561
par Christopher Froschauer.
Page titre de Le Pompe, Book I, publié
pour la première fois par les Frères Sessa
brothersià Venise en 1557.
Nuw Modelbuch, allerley Gattungen
Dantelschnur20 fut publié à Zürich vers
1561. Ce livre de modèles est l’œuvre
d’une dentellière inconnue aux initiales de
R.M. qui affirmait dans la préface que ce
savoir-faire nous était venu de Venise en
1536, et était devenu extrêmement
populaire en Suisse parce qu’il s’apprenait
très rapidement, et que les matériaux et le
matériel étaient relativement bon marché.
Quand elle était réalisée en fil de lin
(plutôt qu’en fil de métal ou en soie) la
dentelle remplaça bientôt les bordures
brodées parce qu’elle était réalisée plus
rapidement et coûtait donc moins cher.
De nombreuses femmes en Suisse, disaitelle, pouvaient gagner un bon salaire avec
sortes de textiles étaient échangées entre
l’Orient et l’Occident. Malgré la conviction
d’autres chercheurs que son origine est en
Flandres, la piste italienne est soutenue par
la publication à Venise du premier livre de
modèles pour la dentelle aux fuseaux,
Livre I de Le Pompe - en 1557 suivi de
Livre II en 1559. 19 L’usage des fuseaux et
Levey, Santina M; dans le facsimile de Richard Shorleyker’s
Scholehouse for the Needle, R J L Smith and Associates for John and
Elizabeth Mason, 1998.
19 La page titre du livre I est traduite par Angharad Rixon comme
cidessous
Le Pompe
Un nouvel ouvrage dans lequel on trouve de nombreuses et
divers es sortes de représentations/modèles /pour permettre la
réalisation de petites cordes ou de tresses d’or, de soie, de fils ou
autres. Où les belles et vertueuses femmes pourront faire toutes
sortes de travaux…… et toutes autres choses qu’elles aimeront.
Technique qui n’est pas moins belle qu’elle est utile et nécessaire,
et pas encore bien connue.
18
20 Publié par Christopher Froschauer, Zurich, en 1561Il s’agit du
premier livre de modèles de dentelle aux fuseaux publié en langue
allemande.
9
leurs fuseaux (et sans doute des femmes
d’autres pays). En accord avec l’éthique
protestante de Zürich, les modèles sont
plus discrets que ceux de Le Pompe et un
seul modèle indique l’utilisation de fil
d’or. Cela peut avoir été un ajout apporté à
contre cœur, si l’on en croit le
commentaire de RM.
Hélas, il n’y a rien sous le soleil, qui soit
utile et bon, qui ne soit détourné. Certaines
dentelles sont déjà devenues luxueuses, faites d’or
et de soie richement agrémentées de paillettes d’or.
Cependant il n’y a pas de raison de condamner cet
art de la dentelle, ni cesser de l’enseigner. De la
même manière, le vigneron continuera à cultiver sa
vigne, même si de nombreux dommages sont causés
quotidiennement par le mauvais usage du vin. 21
Plus de cent livres de modèles furent
publiés en Europe au 16ème siècle, mais
seuls Nüw Modelbuch et Le Pompe
comportaient des dessins exclusivement
créés pour la dentelle aux fuseaux. Comme
l’écrit Levey
manipulé avec des « poignées » en fuseau
signifiait que la douceur de la peau n’était
pas aussi essentielle que pour les
dentellières à l’aiguille et les brodeuses. Les
dentellières pauvres et dépendantes
pouvaient ne pas représenter une clientèle
intéressante pour les livres de modèles
imprimés, mais les livres pouvaient être
des ressources utiles pour ceux qui
s’occupaient d’organiser leur travail ou leur
enseigner le savoir-faire.
Les premières dentelles suisses étaient
géométriques et plus adaptées pour border
le linge de maison en lin, alors que de
nombreux modèles des Livres I et II de Le
Pompe étaient des dentelles librement
créées et plus élaborées, qui pouvaient être
réalisées en fil de métal ou de soie. Bien
que de telles bordures ne soient pas
facilement identifiables comme de la
dentelle aux fuseaux dans les portraits, la
tresse d’or qui orne le col de la chemise
d’Henri VII dans le tableau de Holbein en
1536, est presque certainement une
dentelle de ce type. 23
Ce déséquilibre est révélateur : il n’est pas
le résultat de vestiges fortuits d’un groupe
de publications éphémères mais reflète les
réelles différences entre deux groupes
majeurs de dentelle et l’attitude de la
société à leur endroit.22
Bien que la fabrication de dentelle ait
probablement perduré en tant qu’
industrie artisanale, elle fit l’objet de
l’attention et de l’appui des femmes de la
haute société du 16ème siècle, parce qu’elle
pouvait être réalisée plus rapidement et
par conséquent était moins coûteuse que
les dentelles géométriques à l’aiguille qui
avaient alors atteint leur apogée. De
nombreux livres de modèles de cette
époque annonçaient que leurs dessins
pouvaient être utilisés à la fois aux fuseaux
et à l’aiguille, et on en retrouve des
exemples, par exemple les Dentelles
Il semble que la dentelle aux fuseaux, au
tout début de son développement, était
essentiellement une activité domestique,
ou une activité des femmes qui
contribuaient à leur subsistance dans les
couvents, orphelinats ou hospices. Des
tâches autres que la dentelle auraient aussi
été requises de la part des femmes dans
ces circonstances. Le fait que le fil était
21 Burkhard, Claire; Fascinating Bobbin Lace, Paul Haupt, Berne,
1986, p 21. (Traduction en Anglais de la préface en Allemand de
Nüw Modelbuch.)
22 Levey, Santina, and Patricia Payne; Le Pompe, patterns for
Venetian bobbin lace, Ruth Bean, Bedford, 1983 p 7 (comprenant un
facsimile de l’original de la Partie I et d’un partie de la Partie II,
qui furent publiés à Venise par les Frères Sessa en 1557-9).
23 Henry VIII, Hans Holbein Le Jeune, vers 1536. Thyssen
Bornemisza Collection, Madrid. La National Portrait Gallery,
London, possède une copie du tableau ainsi que le dessin du Roi
par Holbein qui avait été préparé pour une fresque de la dynastie
Tudor.
10
paires tressées. 24 Parfois les noms
suggèrent un usage possible ou décrivent
les éléments décoratifs. Dans d’autres, il
est dit que l’on peut utiliser de la couleur,
ou dans un seul cas, un fil d’or.
La gravure en frontispice est
probablement la première illustration de
dentellières à l’ouvrage. Les gros fuseaux
accrochés à leurs coussins indiquent
qu’elles travaillent « en l’air », ce qui est la
meilleure méthode pour tresser, et
probablement avec un gros fil. Il est
possible également qu’elles utilisent ce que
l’on nomme actuellement la méthode
« ouverte », dans laquelle tous les points, y
compris le demi-point, se terminent par un
croisement. (Voir page vii) Les très gros
coussins arrondis parlent en faveur de
cette notion, parce que la méthode
« fermée », dans laquelle les points se
terminent par une torsion nécessite un
coussin plat, pour y déposer les fuseaux et
s’assurer que la torsion finale ne se défera
pas.
Triangles, page 71. Et il est certain que la
dentelle aux fuseaux fit de son mieux pour
suivre ou compléter les modèles de
broderie et de dentelle à l’aiguille pour la
raison très pragmatique qu’il y en eut une
plus grande demande, dans une bonne
partie du 17ème siècle.
Pourquoi l’accent a-t’il été mis sur Nüw
Modelbuch?
Les modèles du Nüw Modelbuch
semblent indiquer un stade du
développement de la dentelle aux fuseaux
antérieur à de nombreux modèles de Le
Pompe et par conséquent représente plus
d’intérêt pour une discussion sur les
techniques anciennes.
L’auteur R.M. écrit que les patrons
sont déjà une évolution de ceux de 1536,
lorsque la technique est arrivée de Venise.
Cela pourrait suggérer que même les
modèles les plus basiques étaient
disponibles à cette date, ou plus
simplement, qu’elle a ajouté les
développements les plus récents aux
modèles anciens.
Les modèles choisis pour la
reproduction dans ce livre sont donc ceux
qui ont des dessins très simples, et qui
pourraient illustrer les premiers pas du
développement de la dentelle aux fuseaux.
Ce que les gravures sur bois du Nüw Modelbuch
nous enseignent
Les modèles en gravure sur bois de
Le Pompe présentent le dessin et rien
d’autre, alors que ceux du Nüw Modelbuch
nous indiquent au moins le nombre de fils
utilisés, ce qui aide au travail de base, et
montre de façon claire si la ligne du patron
représente une paire tordue ou deux paires
tressées, ou, dans de nombreux cas, trois
24 Toutes les références aux modèles du Nüw Modelbuch sont
extraites du facsimile qui accompagne le livre de Claire Burkhard
Fascinating Bobbin Lace. Si les nombres de fuseaux donnés sont
vraiment une indication des fuseaux nécessaires, le premier et le
neuvième modèles de la page XIIII indiquent l’usage de la tresse à
trois fils. (Les nombres de fuseaux erronés peuvent être des
erreurs faites par l’imprimeur ou indiquer un mélange de travail à
deux, quatre ou trois fils).
11
quelques exemples restants de dentelle,
bien que plus tardifs, sont simples et
étroits. Ils pourraient tout à fait avoir été
réalisés sans modèle, en utilisant un tissu à
carreaux ou à rayures sous le travail, ou
même simplement le tissage d’un tissu uni,
pour guider la pose des épingles du bord.
27
(La traduction anglaise du livre de
Tornehave suggère que l’origine du terme
“torchon” utilisé pour les dentelles
artisanales simples pourrait se trouver dans
l’usage de ce textile simple plutôt que
l’idée commune selon laquelle la dentelle
bordait des textiles de ce genre. 28 )
Nous savons que la dentelle sans
carton a perduré pendant des centaines
d’années, développant lentement des styles
régionaux dans différentes parties
d’Europe. Elle est toujours réalisée dans
certains pays et dans d’autres, elle fait
l’objet d’une renaissance et d’une étude
sérieuse.
Au 19ème siècle, les premières
dentelles artisanales ont inspiré les
dentelles torchons et autres dentelles aux
fuseaux simples, qui se développèrent en
réponse à la menace que représentaient les
répliques mécaniques des dentelles
élaborées à la mode. (Celles-ci suivirent un
développement tout à fait à part à partir
du milieu du 16ème siècle)
Dentelle sans carton?
Bien que la gravure du Nüw Modelbuch
woodcut ne soit pas bien claire, il apparait
que la dentelle est faite sans modèle.
Tornehave25 pense que les femmes
travaillaient selon ce que l’on nomme
maintenant la « dentelle sans carton », car
l’usage de la méthode ouverte (sa méthode
2) et le travail sans carton en sont les
caractéristiques les plus importantes. 26
Apparemment, une autre caractéristique
de la dentelle sans carton est l’usage
d’épingles posées avec la main gauche sur
le bord gauche et avec la main droite sur le
bord droit. Tornehave pense que c’est ce
que font les dentellières de la gravure.
Cependant, il est tout à fait possible que la
gravure ne soit pas la représentation exacte
des méthodes de travail de l’époque parce
que les deux dentellières tiennent un
fuseau au bord opposé à celui où elles
placent l’épingle. Cela suggère que c’est là
que se trouve le dernier point fait.
Pourquoi alors mettraient-elles une épingle
sur le bord opposé ?
La dentelle sans carton est considérée
par de nombreux chercheurs, y compris
Tornehave, comme la manifestation la
plus ancienne de la dentelle aux fuseaux en
fil de lin, apparue probablement au cours
du quinzième siècle pour les entre-deux
étroits des coutures des chemises de lin,
des camisoles et linges de maison. Ceci est
tout à fait recevable étant donné que les
La préparation des cartons au 16ème
siècle.
Il est sûr que certaines des dentelles
anciennes étudiées pour le présent ouvrage
ont le genre d’irrégularités qui pouvaient
se produire si la dentellière travaillait
directement sur le tissu du coussin à partir
d’un dessin ou d’un échantillon plutôt que
Tornehave, Bodil, Danske Frihåndskniplinger, 1987, Notabene,
Denmark. Traduction anglaise du texte, de 1998 par S Barry,
Avril Bayne, Vibeke Ervø, et Gerd Stevnhoved pour le Groupe
d’Etude de la Dentelle SansCarton (maintenant Groupe de
Recherche sur la Dentelle Sans Carton) .
26 Tornehave, op. cit., ills 4 et 5 page 21 montre que la méthode 1
est” tourner croiser” pour faire un demi point et la méthode 2
est “croiser tourner” . Ces deux mouvements sont plus
généralement connus comme la « méthode ouverte » et la
« méthode fermée ». Voir également page vii de ce livre.
25
27Il est possible que c’était également le cas de certains passements
faits à cette période.
28 Tornehave, op. cit., page 1 de la traduction anglaise.
12
sur un modèle ; l’habitude regrettable des
collectionneurs du 19ème siècle de
n’acquérir que de petits morceaux fait qu’il
y a généralement trop peu de longueur de
dentelle dans les collections que j’ai
examinées pour pouvoir me permettre
d’être plus affirmative.
Quoiqu’il se fût produit à cette période,
il est probable que la publication des livres
de modèles a encouragé l’utilisation de
quelque chose comme des piquages, tels
que nous les connaissons de nos jours, ne
serait- ce que pour s’assurer que les
modèles étaient reproduits avec fidélité et
constance. Si c’est vraiment le cas, il serait
bien de savoir avec certitude comment les
modèles étaient reproduits.
Il est possible que les dentellières et les
brodeuses utilisaient une forme ancienne
de papier calque que Cennini a décrit,
probablement dès le début du 15ème siècle,
en relation avec la peinture et le dessin29.
Apparemment, il y avait de nombreuses
techniques de réalisation, y compris en
recouvrant du papier avec de l’huile de lin,
Bien que RM écrive que la taille de la
dentelle peut varier en utilisant plus ou
moins de fils, ou en variant la taille du fil,
elle ne dit pas comment on peut changer
la taille du modèle. Si l’on s’en tient à une
pratique antérieure, il est possible que l’on
n’utilisait aucun modèle, et que les
dentellières se servaient d’un tissu à
carreaux pour changer la taille ou l’échelle
de leur dentelle. Si un modèle était dessiné,
il est possible que l’échelle devait être
modifiée selon une autre méthode
utilisée par les brodeuses, comme le décrit
Richard Schorleyker, dans sa charmante
préface à Scholehouse for the Needle.
….A la fin de ce livre, j’ai fait deux échelles, ou
modèles au carreau, avec lesquels, en élargissant,
ou réduisant en plus grands ou plus petits carrés,
vous pouvez agrandir ou réduire n’importe lesquels
des patrons et exemples de ce livre, ou autre. 31
Etant donné l’utilisation ultérieure de
papier millimétré par les dentellières, c’est
bien là une vraie possibilité.
Comment le dessin était alors transposé
en modèle de travail est une autre
question. Mais encore une fois, une
technique de broderie vient à l’esprit, c’està-dire le « piquage et ponçage » dans lequel
des trous sont faits le long du tracé du
dessin, laissant la poudre de graphite
passer par frottement par les trous pour
créer un léger contour sur le tissu en
dessous. Le contour est ensuite passé à
l’encre. Il n’y a pas de raison pour que
cette méthode n’ait pas été utilisée pour
transférer le dessin au parchemin que les
dentellières utilisaient probablement. (Le
piquage et le ponçage apparaissent
… le papier, pour commencer, étant très
mince, lisse et bien blanc.
Une gravure du Libro Primo de Ricami
de Pagnino montre une autre méthode de
dessin pour les brodeuses, en utilisant le
rétro éclairage. Au premier plan de la
gravure, une femme utilise une chandelle
sous un cadre horizontal, et au second
plan, une femme tient le cadre
verticalement devant une fenêtre 30
comme on utiliserait maintenant une boîte
à lumière.
29 Cennini, Cennino D' Andrea; in The Craftsman's Handbook. The
Italian "Il Libro dell' Arte." Traduit par Daniel V. Thompson, Jr.
New York: Dover Publications, Inc. 1933, Yale University Press,
pp 13-14. Les dates de Cennini ne sont pas certaines mais
généralement admises entre 1370 et 1430 environ.
30 Toscalano, Italy, vers 1532, tel que reproduit dans Abegg.
31 Première publication en 1632, mais comportant des modèles de
publications antérieures pour les dentelles aux fuseaux et à
l’aiguille ainsi que la broderie. Un facsimile du livre a été publié en
1998 par RJL Smith and Associates pour Jon etElizabeth Mason,
propriétaires de l’ original d’un livre de modèles . (For ſ read s.)
13
également sur la gravure de Paganino, et
une variante est toujours utilisée de nos
jours par les brodeuses).
On doit noter que tous les modèles de
dentelle ancienne sont des versions
gravées sur bois de dessins au trait, sans
indication de trous d’épingles. Cela
implique que la pose des épingles était
laissée à la discrétion de la dentellière, mais
à quel moment du processus le modèle
était piqué, nous ne pouvons rien affirmer.
Si le modèle était vraiment dessiné sur un
parchemin raide, il était probablement
plus facile de le
piquer avant de
commencer la dentelle, peut être avec un
outil semblable au piquoir que l’on utilise
de nos jours. D’autre part, si l’on utilisait
un vélin, le modèle pouvait être piqué au
fur et à mesure du travail.
Au moment où les trous d’épingles
étaient faits il est probable qu’une épingle
était placée dessous, ou à côté d’un
croisement de fils, plutôt qu’à travers. Il
est aussi probable qu’il était utilisé moins
d’épingles
qu’actuellement,
pour
économiser du temps, et éviter
d’interrompre le flux du travail.
Il est possible aussi que les dessins aient
été imprimés sur du tissu, utilisé alors
directement sur le coussin à dentelle. Cela
permettait de simplifier considérablement
le processus, permettant à la dentellière de
travailler comme elle l’aurait fait avec la
dentelle sans carton, ne mettant que les
épingles nécessaires, disposant alors d’un
dessin sous son ouvrage plutôt que d’un
tissu uni. Comme Abegg le souligne, le
tissu imprimé à la planche est apparu bien
avant l’usage courant du papier. 32
32
Abegg, op.cit., p 17.
14
I – 3: Le matériel – le fil
A part la taille, l’attribut le plus
évident du fil est la torsion effectuée au
moment où le fil est créé à partir du
paquet de fibres brutes. La direction, ainsi
que le nombre de torsions sont
importants. A moins que la dentelle ne
soit faite que de point de toile, sans
torsions supplémentaires, les points
interférent avec la torsion du fil, parce
qu’il y a toujours plus de mouvements de
torsion que de croisement. Les dentelles
continues avec un fond réseau, en
particulier le tulle, en sont grandement
affectées, alors que les dentelles en motifs,
comme le Honiton et le Withof, sont
visiblement moins affectées.
Le fil moderne de lin utilisé pour
faire de la dentelle aux fuseaux est
composé de deux ou trois 35 fils simples,
filés en Z, et pliés ensemble avec une
torsion en S pour le fil fini. Le fil à
dentelle nécessite plus de torsions que le
fil à broder, par exemple, parce que
l’équilibre de la plupart des points, excepté
le point de toile, est dans la direction Z.
Cela signifie qu’une partie de la torsion en
S est perdue au cours du processus qui
permet le bon « ancrage » des points car le
fil tend à retrouver sa torsion. (Voir
l’explication d’Earnshaw à la page
suivante.)
Si le fil était fini (plié), en Z, la
dentelle serait trop tordue par les
mouvements de base et aurait tendance à
s’entortiller, si bien que la dentelle se
recroquevillerait au moment où on retire
les épingles, ou après le lavage. L’effet
ressemble plutôt à la sur-torsion utilisée
Le lin et les autres fibres “souples”.
Les indications de mouvement,
croisement et torsion, sont fondamentales
dans toutes les discussions sur le
développement de la dentelle aux fuseaux.
Le fait que ces mouvements soient les
mêmes dans toutes les régions dentellières
peut indiquer une seule région
géographique d’où la technique est
originaire, ou bien être liée à d’autres
facteurs comme les propriétés des fils
utilisés.
Le fil pour dentelle aux fuseaux de nos
jours 33
D’abord, il y a quelques faits fondateurs
de la technique de production du fil. Toute
production de fil commence par la
torsion et le filage de paquets de fibre
brute, que ce soit du coton, du lin, de la
soie, de la laine ou toute fibre synthétique
extrudée. Autrefois, le processus était
réalisé à la main avec un fuseau en bois,
mais dès le 15ème siècle34, le rouet était
largement répandu ; de nos jours, bien
entendu, la plupart des fils sont filés à la
machine. Le fil qui résulte du premier
filage des fibres brutes est appelé fil
simple, qui, pour la plupart des
applications pratiques a besoin d’être
tordu, ou plié, avec au moins un autre fil
simple pour en augmenter la force et
l’usage. (On fait habituellement référence
à la torsion initiale par « le filage », et à
la torsion finale par « le pli »).
Edité par Shepherd, Rosemary; ‘Choice of Thread for Bobbin
Lacemaking’, News and Views, New South Wales Branch of the
Australian Lace Guild, March 2000. pp 9-11.
34Feldhaus, F. M. in Rehtmeier’s Chronicle of Brunswick-Lueneberg,
[19th century].
33
35 Il est probable que le fil à dentelle -trois plis est une création
relativement moderne.
15
pour faire une corde, et, comme je l’ai
expliqué
antérieurement,
est
plus
prononcée dans les dentelles à fond tulle
où le ratio des torsions est supérieur aux
croisements.
La sur-torsion est bien plus
prononcée si le fil fini en Z utilisé est un
fil câblé, tel que ceux fabriqués d’ordinaire
pour le crochet et la frivolité. En termes
de filage ces fils câblés spéciaux sont
composés de trois fils pliés (chacun filé en
Z, et plié en S) filés de nouveau ensemble
pour faire un fil fini en Z. En d’autres
termes, deux lots de torsions en Z
produisent un fil qui est fortement tordu
dans la mauvaise direction pour la dentelle
aux fuseaux, et, par conséquent, nécessite
d’être utilisé avec beaucoup de
précautions. C’est l’aspect du fil que j’ai
utilisé en tant que débutante qui m’a
donné envie d’en apprendre plus sur la
production du fil à dentelle.
.
était en S, parce que les fibres tournent
dans la direction S en séchant, contribuant
ainsi au filage.
En dehors de l’Egypte, et du Nord de la
Méditerranée en particulier, le filage initial
était généralement fait dans la direction du
Z (bien que cela ne soit pas considéré
comme étant aussi net que la littérature
veut bien le suggérer). Barber apporte une
explication possible38 qui considère que les
différences entre les appareils de filage et
la façon dont ils étaient utilisés, et la
constatation incontournable que quatrevingt-dix pour cent de la population a
toujours été droitière. Apparemment, les
Egyptiens utilisaient un fuseau avec le lest
(le contrepoids circulaire) près du sommet
du manche, alors qu’ailleurs le lest se
trouvait près de la base du manche.
…les Egyptiens utilisaient un fuseau avec un lest
haut placé que l’on voit se déplacer (presque
certainement vers le bas) le long de la cuisse, avec
la main droite. Faire rouler le fuseau le long de la
cuisse ne peut que produire une torsion en S. Les
fileuses européennes, cependant, avec leurs fuseaux
lestés en bas, commencent traditionnellement avec
une chiquenaude du pouce et des doigts, comme on
lancerait une toupie. 39 Donnez une toupie à des
droitiers et ils la lanceront invariablement vers la
droite : une fibre attachée à la toupie se tordrait
toujours en Z.
Filé en Z, plié en S ( à gauche), et filé
en S, et plié en Z ( à droite).
Comme cela a été noté par Bellinger36
and Geijer37, certaines propriétés du lin
ont influencé la manière dont il a été filé
depuis l’Antiquité. Il semble que la fibre
de lin ait toujours été filée mouillée,
d’abord en Egypte, où le filage initial
Earnshaw 40 apporte l’explication
suivante qui montre pourquoi la torsion en
Z des Européens ne contredit pas
nécessairement les « lois de la nature ».
Les fibres de lin –quand on regarde du côté librese tordent en Z, à mesure qu’elles absorbent
l’humidité, et en S quand elles sèchent…
Et plus loin
36 Bellinger, Louisa, Threads of History, catalogue, American
Federation of Arts travelling exhibition, June 1965 à 1967, page
28.
37Geijer, Agnes, A History of Textile Art, Pasold Fund, 1982, pages
116-118.
38 Barber, E. J. W.; Prehistoric Textiles, Princeton University Press,
1991: pages 65-68 et ill. 2.32.
39 Barber, op. cit., p 45, ill. 2.5 et 2.6.
40Earnshaw, Pat; Threads of Lace from Source to Sink, Gorse
Publications, Guildford, Surrey, 1989, pages 36 et 60-61.
Le fil de lin: notes historiques
16
Un fil tordu humide en Z se détordra petit à petit
quand l’eau disparaîtra, et il y a un risque que
les fibres se redressent jusqu’à ce qu’elles se
séparent. Néanmoins, si une torsion en Z est
suivie d’un pli en S, elles resteront fermement liées
ensemble.
avec certitude avec d’autres échantillons
issus d’une collection dont on connaissait
parfaitement la provenance, en Italie, elle
espérait « obtenir des informations sur les
origines géographiques et sociales » de la
dentelle. Après une analyse au microscope
électronique de onze échantillons, on fit la
découverte surprenante que 9 d’entre eux,
y compris les dentelles du Batavia,
contenaient du coton et du lin. Ces fibres
étaient visiblement filées, pas pliées, avec
le lin : comme le coton a des fibres très
courtes il ne pouvait avoir été filé qu’avec
de la filasse, qui est obtenue par peignage
des fibres longues avant le filage.
On émit l’hypothèse que ces dentelles
n’étaient pas de très grande qualité, mais
l’analyse au Microscope Electronique de
30 échantillons supplémentaires issus de la
collection du Powerhouse Museum
montra que certaines des prestigieuses
dentelles contenaient également du coton
ou d’autres fibres mélangées au lin. .43
Il est évident que ceci pourrait soutenir
la recherche dans d’autres collections.
En d’autres termes, mouiller les fibres
assure vraiment la torsion en Z sur le
court terme, mais, à plus long terme, le
processus supplémentaire-le pli en S- est
nécessaire pour la solidité.
L’implication de ce phénomène dans le
processus de la dentelle aux fuseaux est le
suivant : bien que l’équilibre de la torsion
soit en Z, ce qui défera partiellement la
torsion en S du fil, le mouvement naturel
de la fibre sera de refaire une torsion
légère et permettre au fil de mieux
s’intégrer dans les points. C’est cet aspect
du lin qui en fait le matériau idéal pour la
dentelle.
Recherches récentes
Une découverte récente d’importance
devrait être mentionnée : ce qui apparait
être du lin n’en est pas forcément. Les
travaux de Rixon remettent en cause une
idée reconnue depuis des années, selon
laquelle toutes les dentelles ont été faites
avec du fil de lin jusqu’au 19ème siècle.41
Dans son premier projet, à la suite des
travaux de Shepherd (décrit pages 77-79),
elle commence par l’étude de la fibre qui
compose les fragments de dentelle
découverts dans les vestiges du naufrage
du Batavia, parti d’Amsterdam en Octobre
1628. 42 En comparant ces fibres datées
La dentelle en fil métallique : histoire et
reconstruction
Et il fabriqua l’éphod avec de l’or, du bleu, du
pourpre et de l’écarlate, et du lin finement filé. Et
ils battirent l’or en fines plaques, les coupèrent en
fils pour le marier avec le bleu, le pourpre, et
l’écarlate, et le fil de lin fin, avec beaucoup
d’adresse. 44
Ce passage de l’Ancien Testament est
souvent cité comme preuve de l’usage du
métal pour l’embellissement des textiles
Verenigde Oostendische Compagnie retourschip BATAVIA,
Western Australia 1629 – An excavation report and catalogue of artefacts;
BAR International Series 489, British Archeological Reports,
Oxford 1989.
43 Rixon, Angharad; A fault in the thread? North American Textile
Conservation Conference, Conference Preprints, Philadelphia,
2002, pp 101-109.
44 Ancien Testament, Exodus 39: 2-3.
41 Rixon, Angharad; In Search of the Batavia Lace, Honours Thesis,
Creative Arts Department, University of Wollongong, New South
Wales, 2000.
42 Il existe beaucoup de rapports sur ce naufrage et ses suites
sanglantes. Les objets furent retrouvés dans les années 1980. Pour
le catalogue complet voir Green, Jeremy N., The Loss of the
17
pendant des milliers d’années. Il est fort
probable que le métal était utilisé sous la
forme de bandes ou de fils sans autre
transformation au début, comme ce fut le
cas en Europe jusqu’au 6ème siècle environ.
De même que l’or, l’argent, le vermeil, on
utilisait parfois des alliages comportant
une grande quantité de cuivre
La période la plus intéressante pour la
production de dentelle aux fuseaux est
celle qui a été étudiée par Járó 46, plus
précisément du 11ème au 14ème siècles en
Europe, à la fin de laquelle la technologie
existait pour fabriquer le type de fil que
nous retrouvons dans les dentelles aux
fuseaux en fil de métal du 16ème siècle qui
existent encore.
D’après Stewart, le tissage et la broderie au
fil d’or venaient d’Inde et ont voyagé vers
l’Ouest jusqu’à ce que Constantinople et
même Venise deviennent des centres
célèbres de productions tenues en haute
estime. 45 Ils’agit là, certainement d’une
simplification exagérée étant donné que la
Chine utilisait le fil de métal depuis des
temps reculés.
D’après Járó, l’usage de bande et de fil
d’or céda la place à la bandelette d’or
enroulée autour d’une âme de fibre au 9ème
et au 10ème siècle, probablement parce qu’il
était plus flexible. A partir du 11ème
jusqu’au 14ème siècle, les fils membranes
ont été également utilisés, pour réduire le
poids et le coût du tissu fini, et aussi parce
qu’ils étaient plus faciles à tisser. Les fils
membranes étaient à l’origine importés de
Byzance ou d’Asie Occidentale via
Chypre, ainsi que d’Afrique du Nord par
les ports d’Europe de Sud. Ils avaient été
largement utilisés en Asie, et, de nos jours,
le
fil
membrane
est
encore
traditionnellement réalisé en Chine et au
Japon à partir de bandes de papier doré ou
avec une membrane plastique métallisée.
Les premiers écrivains présentent une
image confuse et opposée de la
construction des fils de métal, qui a
commencé à être clarifiée depuis
seulement quelques dizaines d’années par
des étudiants qui utilisent la technologie
sophistiquée
actuellement
à
leur
disposition.
De façon générale le fil de métal dans les
textiles se classe en trois catégories :
- Les bandes de métal et les fils,
généralement en or
- Les bandes de métal ou les fils
enroulés autour d’une âme de fibres,
à
l’origine
en
or,
mais,
ultérieurement en argent, ou en
vermeil (argent couvert d’or)
« L’Or de Chypre » était le nom
générique utilisé pour le fil membrane,
mais à partir du 13ème ou du 14ème siècle ,
il était fabriqué en Europe.47 Il était
rarement utilisé à cette époque pour la
broderie, mais il peut l’avoir été plus tard.
- Un substrat couvert d’or, tel que des
bandes de boyaux d’animaux, du
cuir ou du parchemin, utilisé à plat
ou enroulé autour d’une âme de
fibres- dans une catégorie appelée
« fils membranes ».
Dès le 11ème siècle, le fil fabriqué à partir
de bandelette de métal enroulée était
46 Járó, Márta, ‘Gold Embroidery and Fabrics in Europe: XI XIV Centuries, Gold Bulletin, 1990, 23 (2), pp 40-57.
47 Le fil membrane européen est probablement ce que l’on appelait
“l’or de Venise”dans les inventaires mais les opinions divergent..
Il est certain que l’or de Chypre est mentionné moins souvent à la
période Tudor mais l’or de Venise apparaît fréquemment.
45 Stewart, Horace; History of the Worshipful Company of Gold
and silver Wyre-drawers and of the Origin and Development of
the Industry which the Company Represents, Leadenhall, 1891, p
13.
18
probablement en argent doré. Theophilus
Presbyter décrit comment les feuilles
d’argent et d’or étaient soudées l’une à
l’autre, puis martelées et découpées en
bandelettes 48. Il affirme que cela
permettait aux pauvres comme aux riches
de s’offrir des textiles décorés avec de l’or.
Járó donne les résultats de l’analyse
scientifique de 20 bandelettes de ce type
enroulées autour d’une âme en soie et sur
toutes on ne voit le doré que sur un côté
seulement - ce qui confirme la description
de Presbyter. Le fil membrane a été
éliminé
progressivement
avec
le
49
développement de ce fil argent doré .
procédé ait été manuel au début, mais
bien avant la fin du 15ème siècle, on utilisait
la force de l’eau, qui, sans aucun doute
facilitait la production d’un fil bien plus
fin.
Beckmann salua deux autres avancées
sans savoir qui en était à l’origine, ni où
elles avaient eu lieu. La première fut
l’invention de ce que l’on connaît
actuellement sous le vocable de
« laminoir » qui « aplatissait » le fil si
parfaitement qu’il pouvait couvrir trois
fois plus de fil de soie que ne le faisait le fil
rond. Cela rendait le fil non seulement
meilleur marché, disait-il, mais également
« plus beau ». (Il est probable que cela le
rendait également plus léger.)
Le tréfilage et “l’aplatissage” du fil de métal
La seconde avancée que Beckmann
mentionne est la « machine à filer » qui
transformait le métal aplati et la soie en fil,
une invention si ingénieuse que son
inventeur « mérite d’être immortalisé ».
Malgré ce dithyrambe, il ne décrit pas le
fonctionnement de la machine à filer.
On estime que le grand progrès suivant
dans la production du fil de métal est
apparu au milieu du 14ème siècle quand le
tréfilage a été introduit en Allemagne.
Quand Beckmann a écrit à ce sujet au
18ème siècle, 50 il a dit que les artisans qui
produisaient le fil à partir de feuilles
battues et coupées étaient appelés
forgerons de fil,
Le fil « doré étiré » à la fin de la
période médiévale peut avoir été en argent
doré produit par l’étirement d’une barre en
argent doré. Tant que la dorure était assez
épaisse, même le fil le plus fin était
complètement couvert d’or. (Lorsqu’il
était aplati pour le filage, l’or était visible
sur les deux faces, à la différence des
bandelettes battues et coupées d’argent
doré.)
Mais après l’invention du fil étiré, ou tréfilage, ils
furent appelés tréfileurs.
Il data cet évènement en 1351 à Augsberg
et 1360 à Nuremberg. Le processus de
tréfilage impliquait le passage d’une mince
tige d’or ou d’argent à travers des trous de
plus en plus petits dans une plaque
métallique d’étirage. Il semble que le
Certains considèrent que cette méthode
était en usage à la fin du 14ème siècle, mais,
malgré la richesse du matériau historique
qui mentionne le tréfilage et le fil d’or,
peu de faits vérifiables ressortent car les
premiers écrits ne font pas la distinction
entre les fils d’or pur et les fils d’argent
doré. En outre, la dentelle et la broderie de
Járó, op. cit., 1990, p 47. Theophilus Presbyter était un moine
bénédictin et un artisan, probablement de Byzance. .Il a écrit De
diversis artibus vers 1120. On considère qu’il a écrit à propos de
son expérience personnelle du travail du métal. Les copies
manuscrites les plus anciennes de son manuscrit en latin sont
conservées dans les bibliothèques à Vienne, Autriche, et
Wolfenbüttel, Allemagne.
49 Járó, op. cit., 1990, p 50.
50 Beckmann, Johann. A History of inventions and discoveries, traduit de
l’Allemand par William Johnson, London 1797, vol 2, pages 224247.
48
19
métal qui nous sont parvenues peuvent
désormais être classées comme argent
doré, mais la méthode de dorure et les
autres détails concernant la fabrication du
fil ne sont généralement décrits que par
ceux qui ont entrepris une analyse
scientifique. Seuls quelques écrits récents
notent la différence visible au microscope
entre les bords arrondis du fil rond aplati,
et le profil nettement rectangulaire des
bandelettes coupées.
Wyre Drawers ( Confrèrie des Tréfileurs
d’Or et d’Argent) se vit attribuer sa charte
à la fin du 17ème siècle52, il y eut de
nombreuses pétitions adressées au
Parlement et au Roi pour demander la
régulation de la production du fil d’or, et
tout autant de pétitions opposées
envoyées par ceux qui cherchaient à
préserver le statu quo.
En dépit de l’enregistrement
méticuleux de cette activité, les méthodes
de production restent obscures, le secret
étant l’unique moyen à la disposition des
artisans du 17ème siècle pour protéger leur
activité des taxes et de la concurrence. Il
lui semble évident que le processus
d’étirage du fil à partir d’une barre d’argent
doré se faisait depuis longtemps et que la
barre d’argent était faite selon les
standards de l’argent sterling.
Jusqu’à 1974, la composition légale
du fil d’argent doré était de 2.5% d’or sur
une base de 88% d’argent et 9.5%
d’alliage.53Actuellement, le taux légal est
très différent à 2% d’or, sur une base de
1% d’argent et 97% de métal blanc, le
métal blanc étant constitué de 90% de
cuivre, 5% de nickel et 5% de zinc. 54
Il est intéressant de noter que les
compagnies britanniques qui produisent
encore ce fil de métal y font référence
sous le nom de « fils métalliques » à broder
et l’ont probablement fait pendant des
siècles, sans doute parce que le fil de métal
était le composant le plus important du fil.
Nous savons avec certitude que le
tréfilage de fil d’or et d’argent s’est
développé à partir de l’Allemagne vers de
nombreuses villes européennes vers la
première moitié du 15ème siècle, et que son
premier usage était la production du fil
métallique. Nous savons maintenant que
Londres avait au moins deux tréfileurs de
fil d’or vers 1441, ou peut-être plus tôt 51.
Les frères Effamatos eurent le droit de
s’installer à Londres en venant de Byzance,
parce qu’ils étaient spécialisés dans
fabrication d’un
fil d’or de qualité
supérieure à celui produit localement. Cela
en fit des émigrants hautement considérés
dans une ville qui devenait un centre
reconnu pour la fourniture de toutes
sortes de produits de luxe.
Les standards du fil de métal
L’Angleterre, s’est souciée depuis
longtemps d’établir des standards pour la
production des articles d’or et d’argent.
Dès le 12ème siècle, le standard de l’argent
en Angleterre avait été établi par la loi à
92.5% d’argent pour 7% de cuivre- norme
de l’argent sterling qui prévaut
actuellement. A l’époque où
la
Worshipful Company of Gold and Silver
52 Stewart, op. cit., p 24 ff. La compagnie n’a pas été incorporée
avant 1693, mais des membres individuels étaient actifs bien avant
cette date, généralement comme membres des Guildes des
orfèvres d’or et d’argent..
53 Glover, Elizabeth; The Gold and Silver Wyre-drawers, Phillimore,
1979, pp 1-3. Cet ouvrage est une mise à jour simplifiée de
l’histoire de la Worshipful Company par Stewart.
54 Le fil en question est le descendant direct du premier fil
d’argent doré , qui était utilisé pour le tissage, la broderie et la
dentelle.
51 Harris, Jonathan; ‘Two Byzantine Craftsmen in Fifteenth
Century London’, Journal of Medieval history, 21/1995, p 387 ff.
20
… La soie qui composait le plus souvent l’âme du
fil de métal n’était pas toujours filé à l’avance. Au
contraire il consistait en un écheveau de soie teinte
qui était elle-même légèrement tordue étant donné
qu’elle était enveloppée de bandelettes de métal ou
de boyaux dorés. 56
Le filage de l’or et de l’argent
En théorie, le filetage du fil de métal et
le filage de l’or étaient des occupations
distinctes, mais en pratique une seule
personne faisait souvent les deux.
Dans le contexte de la dentelle aux
fuseaux, la direction dans laquelle le métal
est filé (ou enveloppé) autour de l’âme de
fibres est au moins aussi important que sa
composition. Grâce aux recherches de
nombreux auteurs, on sait maintenant
avec certitude que le fil de métal dans les
textiles du Moyen Orient est la plupart du
temps enroulé en Z, alors que dans les
textiles européens l’enroulement est en S.
Il semble que cela a été le cas dès le début
du Haut Moyen Age, pour le fil membrane
et la bandelette de métal, 55 et continua
sans doute aussi longtemps que le métal
précieux fut utilisé dans les textiles.
Cela pourrait nous amener à penser que
toute dentelle aux fuseaux en fil de métal
serait faite avec du fil enroulé en S et c’est
effectivement le cas. En plus de deux
décennies de recherche, je n’ai pas trouvé
d’exceptions. La dentelle la plus ancienne
est argentée et date du milieu du 16ème
siècle.
Ces auteurs fournissent également un
excellent croquis du genre d’outil de filage
manuel qui produisait ce genre de fil de
métal. En terme de filage, le fil de métal
est guipé, ce qui veut dire qu’un fil (l’âme)
est maintenue sous tension pour la
ralentir, laissant le fil enveloppant, non
tendu, recouvrir l’âme complètement. 57 Il
est facile de comprendre comment cette
méthode de filage pouvait fournir le genre
de fil métal souple requis pour le tissage, la
broderie ou la dentelle aux fuseaux.
Certains fils modernes en métal
synthétique sont produits selon le
même procédé, mais ils sont
généralement tordus en Z. Le seul vrai
fil de métal d’or et d’argent disponible
pour réaliser les échantillons de ce livre
était un fil à broder appelé ‘Smooth
Passing’ qui est fabriqué en enroulant
une bandelette de métal en S autour
d’une âme en fils de coton pliés 2 fois et
légèrement filés ensemble en Z. Bien
que l’enrobant métallique soit en S, la
pré-torsion excessive de l’âme rend le fil
très raide. Les échantillons finis étaient
décevants et ne rendaient pas bien en
L’âme du fil métallique
Les illustrations de la publication de
Járó montrent clairement que le paquet de
fibres de l’âme (généralement de la soie)
ne sont pas tordues ou bien ont une légère
torsion dans la même direction que
l’enveloppe extérieure (l’enrobant). Cela a
également été observé par d’autres qui ont
étudié les premiers textiles en fils
métalliques, y compris Bernsted et Folsach
qui expliquent que
Bernsted, Anne-Marie, and Folsach, Keld von; Woven Treasures –
Textiles from the World of Islam, The David Collection, Copenhagen
1993, p 91.
57 Inévitablement, une légère torsion (identique) était donnée aux
fils de l’âme au cours du processus, ce qui était également fait
pour la soie et autres fibres pour produire les fils guipés utilisés
pour certaines broderies ou dentelles. ( Cela représentait un
avantage pour la dentelle aux fuseaux, parce qu’une partie de la
torsion en S est perdue au cours du travail, comme cité plus haut,
et n’aurait pas été rétablie par des forces naturelles comme c’est le
cas de la fibre de lin). Le vrai fil guipé est encore utilisé de nos
jours, mais le cordonnet utilisé pour la dentelle est généralement
une version plus épaisse du fil plié selon la méthode traditionnelle.
56
55 Járó, op. cit.., 1990, extrapolation à partir des Tables 1, 2 and 3.
Elle disposait de moins d’information sur les fils enveloppés de
métal que sur les fils membranes.
21
photographie comparés à ceux faits
avec du fil argenté du début du 20ème
siècle qui a une âme de soie douce et
non filée. J’en déduis que cela venait des
facettes créées sur le métal par la texture
de l’âme : cela rendait le fil trop
scintillant et masquait les détails du
travail. Le fil utilisé par les brodeuses
appelé “wavy passing” exploite cette
tendance et l’augmente en utilisant des
fils d’âme de différentes épaisseurs et
pliés.
Ainsi, par un chemin détourné,
m’est apparue la raison possible pour
laquelle on file l’âme et l’enrobant de
métal en une seule opération.
l’apparition de la dentelle aux fuseaux. Les
textiles conservés, certains très anciens, en
témoignent. En général, le fil soie était
aussi en S.
Si la dentelle aux fuseaux puisait ses
origines dans diverses sortes de
passementeries du Moyen Age, il est tout à
fait plausible de penser que c’est la torsion
finale des fils de soie et de métal qui a
déterminé les mouvements de croisement
et de torsion.
Conséquences de la torsion du fil pour
le montage des fuseaux.
La plupart des dentellières européennes
montent leurs fuseaux dans le sens contraire
des aiguilles d’une montre et cela convient
parfaitement au fil en S qui, nous l’avons
vu, est celui qui convient le mieux pour la
dentelle aux fuseaux. Enrouler un fil plié
en S défait en partie cette torsion.
Il ne semble pas y avoir de raison
pour que les dentellières anglaises et
certaines françaises (et sans doute d’autres
que je ne connais pas) montent leurs
fuseaux dans le sens des aiguilles d’une montre.
Autrefois, on pensait que cela remontait
au coton filé en Z utilisé pour la
fabrication de la dentelle au 19ème siècle.
Cependant, bien avant la gravure de la
dentelle aux fuseaux, l’Encyclopédie de
Diderot, au 18ème siècle, montre un fuseau
monté dans le sens des aiguilles d’une
montre. 60
.
La torsion du fil et les mouvements de
base de la dentelle aux fuseaux
Sonday 58 et Levey & Sonday 59
soutiennent que le filage de la fibre de lin
en Europe du Nord est en Z, l’écheveau
plié en S étant le seul facteur déterminant
pour la direction des mouvements de base
de la dentelle aux fuseaux.
Fil d’or moderne avec une âme pré-tordue et (dessous) fil
ancien avec une âme non filée. Notez la différence subtile de
l’aspect lisse.
Il est clair que le filage et la direction
sont interdépendants comme ils le
suggèrent, mais on peut se demander si les
mouvements ont été utilisés au début pour
le lin.
Il est tout à fait certain que le fil de
métal a été également filé en S en Europe
pendant de nombreux siècles avant
En outre, une étude de dentelles de
coton anglaises et françaises du 19ème
siècle ne vient pas étayer la théorie du
filage en Z puisque toutes les dentelles
examinées étaient réalisées avec du fil fini
58 Sonday, Milton, ‘Natural Forces and their effect on basic lace
laws’ Kant van de textieldag van 25 april 1985, in het Museum
Boymans-van Beuningen te Rotterdam, in sammenweking met de
Vereniing ‘Het Kantselet’ pp 61–73. Il discute également de
l’importance de la direction du filage pour la dentelle à l’aiguille.
59 Levey, Santina and Milton Sonday, ‘Emergence of the two
basic lace techniques’ in Crossover, Contact and Continuity;
proceedings of the Textile Society of America, inc, Fourth
Biennial Symposium, 1994; publié en 1995.
Diderot et d' Alembert, Encyclopedie, 1751-1780, Recueil De
Planches,Vo1. IV, Paris, 1763. Les dentellières de la région du
Puy-en-Velay montent toujours leurs fuseaux dans le sens des
aiguilles d’une montre.
60
22
en S. D’après Philip Sykas, le fil de coton
filé à la machine était plié en Z au 19ème
siècle, essentiellement pour la fabrication
du fil à coudre à la machine. 61
Ce qui semble notable, en particulier
vers la fin du 19ème siècle, est la quantité de
torsions données au fil. Dans de
nombreuses pièces de dentelle anglaise de
Bedfordshire, on trouvait des fils câblés
avec 4 fils en S, pliés en Z, qui étaient
repliés en S pour produire un fil très
ferme. Il aurait pu gagner à perdre un peu
de cette torsion lors du montage des
fuseaux dans le sens des aiguilles d’une
montre.
Quelle que soit la raison des
habitudes différentes de montage des
fuseaux, comme Jean Leader le montre
bien clairement, 62 la direction de
l’enroulement n’importe pas si le fil est
enroulé sur le fuseau, à la main ou avec un
bobinoir, et l’axe long de la bobine est
parallèle au col du fuseau. Les
représentations que l’on voit d’anciens
bobinoirs ne semblent pas le prévoir, mais
c’était une variable admise dans le filage
industriel du 19ème siècle.
Banc pré-industriel pour fileter le métal fin à la main.
Une tête de fuseau simple montrant les fibres de
l’âme tendues, ce qui permet l’enroulement régulier
de la bande de métal
Les deux diagrammes sont extraits de Bernsted
and Folsach (note 56. Or note 57 in original English
text).
Les différentes méthodes de travail
Les dentellières européennes qui
montent leurs fuseaux dans le sens
contraire des aiguilles d’une montre
utilisent généralement ce que l’on appelle
la méthode « ouverte » ce qui assure que
quel que soit le point travaillé, il se termine
par un croisement. Par exemple, le demipoint est travaillé en torsion, croisement
au lieu de croisement, torsion. Les
dentellières savent que c’est la meilleure
façon de réaliser une jolie tresse bien plate,
peut être alors que c’est ainsi que s’est
instaurée la convention - si nous estimons
que les dentelles tressées furent les
premières à être réalisées.
Les dentellières qui montent leurs
fuseaux dans le sens des aiguilles d’une
montre utilisent généralement la méthode
« fermée » selon laquelle les fils restent
tordus à la fin d’un point ; comme
expliqué plus haut, c’est la seule méthode
possible quand le coussin a une surface de
travail plate. La raison de cette différence
dans les méthodes de travail peut nous
être
inconnue,
mais
elle
n’a
vraisemblablement rien à voir avec la
torsion du fil.
See ‘Re-threading; Notes Towards a History of Sewing Thread
in Britain’ from MaryBrooks (ed.), Textiles Revealed; object lessons in
historic textile and costume research, Archetype, London 2000. pp 123135
62 Winding & Twist Direction, article que l’on peut trouver sur son
site web jeanleader.co.uk. Brenda Paternoster a également rédigé
un article à ce sujet paternoster.orpheusweb.co.uk
61
23
I – 4: Le matériel pour les premières dentelles
indiquant que le fil utilisé alors était plutôt
gros.
Tornehave présente une image de
sept fuseaux anciens, découverts lors de
fouilles faites à Copenhague. Deux furent
trouvés à Bremerholm: le plus ancien, daté
de 1550, est un petit fuseau fin en os
tourné, qui est supposé avoir été utilisé
pour faire de la dentelle plutôt fine, peutêtre celle qui nécessitait le crochetage.( Un
certain nombre de modèles de Le Pompe,
par exemple, ne peuvent pas être faits sans
crochetages) L’autre, de 1570, est un
fuseau de bois bien plus gros,
grossièrement taillé au couteau, et
visiblement plus adapté pour un fil lourd.
Il n’y a, hélas, plus de traces écrites des
aspects pratiques de la vie d’une dentellière
professionnelle avant le 18ème siècle, par
conséquent, on sait peu de choses de
l’équipement utilisé dans les premières
années. On trouvera ci-dessous des
quelques faits aisément collectables. Il est
indéniable que plus d’informations seront
disponibles un jour.
Le cousin à dentelle et les fuseaux
Mrs Bury Palliser63 décrit une nappe
d’autel de 1495 par Quentin Matsys dans
une chapelle adjacente de l’Eglise St Pierre
à Louvain.
…Sur laquelle est représentée une jeune fille
faisant de la dentelle avec des fuseaux sur un
coussin avec un tiroir, semblable à celui que l’on
utilise encore.
Jourdain et Dryden l’ont contesté avec
force dans leur révision de 1911 de
l’ouvrage de Palliser.
Il semble donc que l’illustration la
plus ancienne de dentellières au travail est
l’illustration à la planche, datant de 1561,
sur la couverture du Nüw Modelbuch. Il est
possible que cela se situe tardivement
dans l’histoire de la dentelle, mais cela
nous montre bien que l’équipement de
base est très semblable à ce que nous
utilisons aujourd’hui, excepté la taille du
coussin et des fuseaux. Les fuseaux sont
vraiment très gros et le coussin est plus
volumineux que celui sur lequel nous
travaillons aujourd’hui, ces éléments
64
L’Annonciation d’Allori, datée de
1603, montre l’archange Gabriel apportant
la bonne nouvelle à Marie, et interrompant
apparemment son travail de dentelle. 65 Le
coussin et les fuseaux sont différents de
ceux du Nüw Modelbuch: en fait les fuseaux
sont très différents de ceux que les
dentellières utilisaient, du moins à notre
connaissance. L’explication d’Ervø à ce
sujet est plausible. 66
.
Tornehave, op. cit., fig 3, p 17.
Alessandro Allori , 1535-1607; The Annunciazione, 1603, Galleria
Accademia, Florence, inv. 1890/131.
66 Ervø, Vibeke; ‘A Lacepillow in Firenze’, Bulletin OIDFA,
1993/4, pp 22-23. La navette “flûte” de basse lisse a été dessinée
par Ervø, d’après les fuseaux du tableau . Les navettes pour la
tapisserie de haute lisse (‘broches’) – ont des extrémités pointues
et un col plutôt comme les gros fuseaux de Honiton.
64
65
63 Palliser, Mrs Bury; History of Lace, Sampson and Low, London.
1865 edition, p 94. Louvain est maintenant en Belgique et connue
sous le nom de Leuven.
24
Les fuseaux [de Mary] ne ressemblent pas à des
fuseaux ordinaires. Je pense qu’elle utilise des
fuseaux à tapisserie, pas la broche du métier de
haute lisse…mais la « flûte » du métier de basse
lisse.
fuseaux, mais il est difficile de dire si l’on
fabrique de la dentelle ou de la tresse.
Il y a un certain nombre de portraits
de dentellières flamandes et hollandaises,
de la fin du 17ème siècle, les plus
connues étant celles de Vermeer,
Netscher et Van Brekelenkam. La plupart
représente un coussin à dentelle avec une
surface en pente et un tiroir, comme on
peut encore en voir de nos jours. La forme
des fuseaux est très semblable à ceux que
l’on a retrouvés après le naufrage du
Batavia, seulement ils sont plus grands.
Ce raisonnement est étayé par le fait qu’
Allori était en charge de l’atelier de
tapisserie des Médicis à Florence, tout en
étant également un peintre maniériste
reconnu.
Pour autant que je sache, il y a, au
moins, deux autres représentations d’un
coussin à dentelle et de fuseaux entre
l’illustration à la
planche du Nüw
Modelbuch et le tableau d’Allori. L’une
d’entre elles est la gravure d’après Martin
de Vos que Palliser présente comme
datant de 1581. 67 La seconde, également
Le fuseau du tableau d’Allori
dessiné par Vibeke Ervø. Les petites
bosses au sommet et en bas
maintenaient le fuseau en place dans
la navette d’un métier à tapisserie
de basse lisse.
dans Palliser, est ce qu’elle a appelé
« l’Atelier ». C’est un détail d’une gravure
de Galle d’après Stradan 68, de la fin du
16ème siècle. Les deux gravures montrent
un tambour en forme de coussin et des
Palliser op.cit., 1865, p 95, fig 49. Martin de Vos est né en 1532
et mort en 1603. Catalogue d’information du British Museum
pour les légendes complètes ‘Vénus: elle s’appuie contre un
nuage et prend une flèche à Cupidon ; en bas, sur terre, un
homme présente un aigle perché sur son doigt à côté de
‘diligentia’, une femme tissant [ou faisant du sprang?] et une jeune
fille faisant de la dentelle.’
68 Palliser op. cit., 1865, p 79, fig 41. Johannes Stradano ou
Stradanus est né à Bruges en 1523 et mort à Florence en 1605.
C’était un artiste de la Cour des Médicis. Une partie de la gravure a
été reprise sur la couverture du Catalogue de l’Exposition
Itinérante du Victoria and Albert Museum The Needle's Excellency,
1973.
67
25
Des fuseaux du même type sont
suspendus au coussin de la dentellière
dans une œuvre de Bernhard Keil. 69 Keil
est né au Danemark mais il a vécu et
travaillé en Flandres avec Rembrandt, puis
en Italie. Le coussin est un très gros
tambour, plutôt semblable aux coussins de
la gravure à la planche du Nüw Modelbuch
et les fuseaux sont aussi assez gros.
soient plus faciles. De plus, la taille des
fuseaux était déterminée par la taille du fil
utilisé, comme c’est le cas pour les
dentellières modernes. Le style et la finesse
de la dentelle étaient à leur tour
Détail de la gravure Septem Planetae;Venus,
(illustration 3, Les Ages de l’Homme: Adolescence) qui a
été simplifié dans Palliser. Adriaen Collaert after Marten
de Vos, 1581.
© Trustees of the British Museum 1862,0712.323,
AN188236.
déterminés par les changements de la
mode. En dépit de ces considérations, les
fuseaux actuels semblent très peu
différents des styles régionaux d’origine,
ce qui est plutôt étonnant.
Fuseaux à dentelle en bois retrouvés sur le VOC
retourschip Batavia qui a quitté les Pays Bas en
1628.Il a coulé au large de la côte occidentale de
l’Australie en 1629. Les fuseaux font 93 mm et 98
mm de long. (Voir la reconstitution des fragments
de dentelle pages 77-79.)
Western Australian Maritime Museum, BAT 6351
and 6352; photographie de Patrick Baker.
La forme des coussins à dentelle.
Les quelques illustrations disponibles de
coussins à dentelle du 16ème siècle,
présentent des formes simples, plutôt
comme de gros coussins. En fait, ils sont
comme des versions, en plus large, du
coussin utilisé par la lingère, pour
accrocher le tissu lorsqu’elle fait des
ourlets ou des fronces. Le coussin du Nüw
Modelbuch est particulièrement large,
signe que l’on fabriquait une dentelle
plutôt lourde. Les deux gravures de
Palliser, qui sont de la fin du 16ème,
montrent des coussins plus petits et des
fuseaux qui font penser qu’il y avait déjà
un certain raffinement des techniques.
De nombreuses dentellières anglaises
continuèrent à travailler sur des carreaux
en forme de coussin de différentes tailles
jusque tardivement dans le 19ème siècle, ce
qui les amenait à devoir « monter » leur
ouvrage quand elles atteignaient la base de
leur modèle. Cela pouvait être
extrêmement contraignant, les obligeant à
enlever toutes les épingles (tout en
soutenant les fuseaux et la dentelle pour
D’après Tornehave les cinq autres
fuseaux de l’image qu’elle présente sont en
fait flamands, bien qu’ils aient été trouvés
au Danemark. Quatre sont en bois tourné
et un a été taillé. Ils datent des années
1630 - 1680. Ces fuseaux peuvent venir
appuyer l’argumentation de Linnove selon
laquelle l’art de la dentelle aux fuseaux
(c’est-à-dire, la dentelle de mode, pas la
dentelle sans carton) a voyagé jusqu’à
certaines régions de Scandinavie à partir
des Flandres, lorsque les dentellières ont
fui les persécutions religieuses. 70
Plus tard, les styles de fuseaux
évolueront pour s’adapter à la fabrication
des différentes sortes de dentelle. Par
exemple, les fuseaux pour faire les
dentelles en morceaux séparés devaient
être très lisses pour que les crochetages
69 Bernhard Keil (1624-1687) The Lacemaker; Metropolitan
Museum of Art, 1971.115.2. Pris en compte par Ervø pour dater
sa période italienne.
70 Tornehave, op. cit.; p 8 de la traduction anglaise. La Flandre
n’existe plus en tant que pays à part entière. A l’origine, c’est la
somme de ce qui est actuellement la partie méridionnale des Pays
Bas, la Belgique et le Nord Est de la France.
26
éviter la déformation), puis à les repiquer
au sommet du modèle.
Dans le tableau d’Allori, le coussin était
un gros polochon, ce qui rendait le
déplacement inutile, si deux sections
identiques du modèle était utilisées, et
pouvaient tourner autour de la
circonférence du polochon jusqu’à la fin
de la dentelle. C’est le genre de polochon
qui est encore utilisé en Italie et dans
d’autres régions d’Europe.
Dans d’autres pays, les dentellières ont
découvert l’avantage de travailler sur un
coussin avec un petit cylindre inclus au
milieu, autour duquel le piquage (ou
modèle piqué) est accroché. Si nécessaire,
le cylindre peut être molletonné, pour que
les deux extrémités du modèle puissent se
raccorder parfaitement, ce qui permet aux
dentellières de travailler sans avoir à
procéder au déplacement de leur ouvrage.
La gravure de Diderot mentionnée page
14 illustre ce genre de coussin à dentelle.
Dans une certaine mesure, la forme du
coussin dépendait du type de dentelle qui y
était réalisé- si elle était continue, ou si
c’était une dentelle en morceaux qui
nécessitait que l’on tourne le coussin sous
différents angles pour faciliter les
crochetages. Un coussin plat était
évidemment le plus adaptable au
maximum de types, et le coussin avec un
cylindre inclus le plus limité. Les gros
coussins pouvaient, et c’est encore le cas,
s’adapter aux deux genres de dentelles, par
exemple, en Italie et dans certaines régions
d’Europe de l’Est.
mis à part les matériaux synthétiques bien
entendu. Des sources ultérieures
mentionnent la paille et le foin, mais on
utilisait également le crin de cheval et sans
doute tout autre matériau bon marché ou
facilement disponible, qui pouvait être
facilement compressé pour tenir
fermement les épingles. Une couverture de
tissu solide ainsi que le piquage (s’il était
utilisé) assuraient encore plus l’ancrage des
épingles.
Les fuseaux pour le fil de métal
Il est possible que le tableau d’Allori
donne une représentation précise des
fuseaux utilisés pour le fil d’or, bien qu’il
soit plutôt étrange que le fil soit enroulé
autour de la partie inférieure du fuseau, où
il se trouve ainsi en contact permanent
avec les mains de la dentellière. A d’autres
égards, ces fuseaux pourraient être
parfaitement adaptés parce que le bout est
assez épais pour empêcher tout dommage
à la gaine métallique du fil au cours du
bobinage et de nouage.
On a une preuve de l’usage ultérieur de
fuseaux à crochet, qui sont toujours
populaire et pratique pour le fil métallique
(et fil de fer) parce qu’ils évitent d’avoir à
pratiquer un nouage.
Y avait-il des fuseaux en os?
Les plus anciennes références anglaises
à la dentelle aux fuseaux utilisent le terme
de « dentelle à l’os », apparemment parce
que l’on utilisait des os de petits animaux
en guise de fuseaux. Jackson mentionne
également la dentelle à l’os (‘lavoro ad
ossa’) en relation avec l’Italie71, et le terme
est courant dans les inventaires de garde
robes au début de la Renaissance ainsi que
Le contenu du coussin.
Bien que nous ne puissions en être
parfaitement sûrs, il n’y a pas de raison de
supposer que les premiers coussins étaient
remplis différemment des coussins actuels,
Jackson, Mrs Neville and Ernesto Jesurum; History of Hand-made
Lace, L Upcott Gill, 1900, p 14. ( Voir également les notes 104 et
105 page 31 de ce livre.)
71
27
siècle. 74 (L’usage postérieur de dentelle
aux fuseaux peut faire reference à la
finesse des fuseaux et de la dentelle.)
Si l’on se base sur l’information fournie
par le fuseau trouvé dans les fouilles de
Copenhague, certains fuseaux d’os étaient
fabriqués au tour, alors que d’autres
peuvent avoir été de simples petits os
entiers. Si les fuseaux tournés étaient
plutôt courants, on pourrait imaginer qu’il
pourrait espérer en trouver un plus grand
nombre, alors que des petits os d’animaux
non travaillés peuvent échapper à
l’identification comme étant liés à la
fabrication de dentelle. Dans leur grande
majorité, les vestiges du 16ème et du 17ème
siècle semblent avoir été du bois tourné ou
taillé. Nous savons avec certitude que l’os
était un matériau apprécié dans la période
suivante, en particulier chez les dentellières
anglaises dont les fuseaux étaient très
minces. (Il aurait été plus difficile de
tourner les fuseaux à bulbe européens à
partir d’os.)
dans la littérature de cette période. Ceci
n’est pas surprenant puisque l’os était une
marchandise bon marché et facile à
trouver, qui, sinon, aurait été jetée.
En outre, il a été utilisé depuis la
préhistoire pour réaliser de petits outils
quotidiens tels que des fuseaux, des
peignes, des aiguilles et des épingles. Il ne
manque pas de fouilles où l’on n’ait mis à
jour des fuseaux de toutes sortes, et l’on
rapporte qu’un trésor découvert à
Kourion, en Chypre contenait de petits
fuseaux d’os, que les femmes locales ont
identifiés comme étant des fuseaux à
dentelle. Ils sont grossièrement taillés et,
d’après leur forme, on peut penser qu’il
s’agit de fuseaux à tapisserie, ce qui
n’aurait pas été étonnant pour la période et
le lieu. 72 On pense qu’ils datent de la
période romaine tardive (le 4ème siècle
après JC) mais ils peuvent être antérieurs.
Les fuseaux de tapisserie pour les métiers
de haute lisse ont des extrémités pointues
avec lesquelles on peut tasser les fils. Les
fuseaux de Kourion, plutôt petits, peuvent
avoir servi à confectionner les bandes de
tapisserie qui ornaient souvent les
vêtements romains.
Palliser suggère que le terme « dentelle à
l’os » a été initialement utilisé pour
distinguer la dentelle de fil de la
passementerie de métal et de soie.73
Arnold, dans un écrit plus récent, utilise
également le terme de “dentellière à l’os”
.
Dessin d’un fuseau en os, fouilles de Kourion.
Un fuseau moderne à crochet - 11cm de long environ.
pour désigner les femmes qui faisaient de
la dentelle en fil de lin au cours du 16ème
72 Soren, David,‘The Day the World Ended At Kourion’, National
Geographic: July 1988, Vol.174, No. 1, p.30-53; les fuseaux sur
illustrés page 47.
73Palliser, op. cit. p 271 (p 296, 1911 revision)
74 Arnold, Janet with Santina Levey and Jenny Tiramani; Patterns
of Fashion 4: la coupe et la fabrication de cols en smocks de chemises de lin,
coiffures et accessoires pour hommes et femmes vers 1540 – 1660; Pan
Macmillan, 2008. p 7
28
On a longtemps supposé que les
épingles, à la fin de la période médiévale,
étaient à la fois rares et grossières, mais les
recherches des dernières décennies nous
ont prouvé que ce n’était pas le cas.
On dit que la fille d’Edouard III, la
Princesse Joan, possédait dans son
trousseau de 1348 12.000 épingles pour
ses voiles, et en 1440, deux galères
vénitiennes ont accosté à Southampton,
lors d’un voyage retour depuis les
Flandres, avec 83.000 épingles parmi
d’autres chargements. 75
Egan et Pritchard ont étudié 800
épingles parmi de nombreuses autres
découvertes dans des fouilles à Londres
dans les dernières décennies du 20ème
siècle. Trois épingles de laiton de la fin du
12ème siècle sont particulièrement
remarquables pour leur finesse, car elles
font environ 5 mm d’épaisseur. Ce sont les
plus fines que l’on ait découvert pour
l’ensemble de la période médiévale ; en
comparaison, les épingles de laiton les plus
fines que l’on puisse se procurer de nos
jours font 5.5 mm d’épaisseur.
D’autres épingles illustrées sont fines
et semblables à la taille des épingles vues
sur les voiles des femmes dans des
portraits du 15ème siècle. Par exemple, le
portrait par Robert Campin, Une Femme,
1435, montre nettement deux épingles
dans son lourd voile plissé, et le Portrait
d’une Dame, vers 1465, de l’atelier de
Rogier van der Weyden (étudié dans la
Partie II, page 25) montre une petite
épingle dans son voile et une autre au col
de sa camisole. Le même genre d’épingle
peut avoir été utilisé pour la dentelle aux
fuseaux vers la fin du 15ème siècle, tout en
étant également un outil essentiel pour la
lingère.
Le fait que les épingles aient été
abondantes dès le 14ème siècle, au moins,
peut- être dû aux progrès du filetage qui
joua un rôle dans la production du fil d’or
et d’argent. Fileter le laiton peut avoir été
difficile avant l’avènement des moulins à
eau, car le métal est très dur.
Bien qu’elles aient été produites en
grand nombre, les épingles restèrent
pourtant chères jusqu’à leur production de
masse au 19ème siècle, car le travail à la
main était à la fois long et exigeant. Palliser
dit que, lorsque la dentelle aux fuseaux a
été introduite dans le Devon, les épingles
étaient bien trop coûteuses pour les
dentellières. Comme il s’agissait
majoritairement de femmes de marins,
elles utilisaient les arêtes en guise
d’épingles. Bien qu’il soit difficile
d’imaginer qu’elles soient assez solides, à
moins d’être très grosses, d’autres auteurs
ont perpétué cette idée pendant tant
d’années qu’il est difficile de savoir
exactement si cela a été le cas.
L’usage cité d’autres matériaux tels que
des éclats de bois ou des os de poulet,
ainsi que des épines de différentes sortes,
est plus plausible. Davydoff note que les
dentellières russes n’utilisaient que les
épines en guise d’épingles - celles du
poirier sauvage. 76 (Pour ce qui est de mon
expérience dans mon propre jardin, je sais
qu’elles sont très grandes, pointues et
solides.) Selon Gwynne, les épines noires
du prunus spinosa se trouvaient facilement
dans les haies en Angleterre, et peuvent
avoir fourni un substitut idéal aux
épingles. Elle cite également Radmila
Zuman qui a vu des dentellières
Egan, Geoff, and Francis Pritchard; Dress Accessories 1150 –
1450, Museum of London, Boydell. 2002 edition. p 207, citing
Nicholas, 1846, and Cobb, 1961.
76
Les épingles
75
29
Davydoff, Sophie; La Dentelle Russe, Hiersman, Liepzig 1895.
brésiliennes actuelles utiliser des épines de
cactus. 77
qui pouvait se monter, à mesure que la
bougie se consumait. Elle était entourée de
six loupes d’eau, une pour deux ou trois
dentellières. Une loupe d’eau était une
bouteille de verre sphérique contenant
l’eau la plus pure possible, souvent de l’eau
de neige : lorsqu’elle était posée devant
une bougie ou une lampe à huile, elle
concentrait la lumière de la flamme sur
une petite zone de travail. L’eau devait être
pure pour éviter les ombres de particules
en suspension.
De nombreux auteurs, y compris
Thomas Wright, ont expliqué comment ce
type d’éclairage était utilisé.
Souvent, il y avait trois cercles de dentellières
autour du porte bougie- d’où les termes Première,
Seconde et Troisième Lumières ; et les tabourets
des [dentellières] étaient parfois de hauteurs
différentes, les plus proches de la lumière étant les
plus hauts. Sur un rayon, à petite distance du
porte-bougie, on pouvait voir la boîte d’amadou,
qui était généralement ronde et en étain. Au fond,
se trouvait l’amadou (du chiffon brûlé), et audessus de l’amadou se trouvait un couvercle
circulaire sur lequel étaient posés les silex et le
marteau de fer. Dans le couvercle de la boîte, il y
avait un bougeoir. Pour obtenir de la lumière, il
fallait produire une étincelle, pour qu’elle tombe
sur l’amadou. Un petit bout de bois avec une
extrémité garnie de soufre était approché de
l’étincelle, et l’on pouvait allumer ainsi la bougie.
L’éclairage.
La lumière du jour était la meilleure
lumière pour nos ancêtres dentellières, il
est donc significatif que la couverture du
Nüw Modelbuch montre deux dentellières au
travail près de fenêtres hautes et larges.
Cependant, au cours des hivers européens,
les jours sont courts, et il est possible
qu’une forme de lumière artificielle ait été
essentielle ; la seule lumière du feu dans
l’âtre pouvait à peine suffire, et la plupart
des dentellières ne pouvaient se permettre
de rester assises inoccupées dans le noir.
De nos jours, la dentellière dispose
d’un choix époustouflant de lampes pour
éclairer son travail, elle peut même en
choisir une avec une loupe incorporée. Il
est donc difficile d’imaginer comme il
pouvait être difficile pour les premières
dentellières de voir ce qu’elles faisaient
alors qu’elles ne disposaient que de la
lumière des bougies ou des lampes à huile
pour travailler après la tombée du jour.
Bien que la plupart des écrits traitant de
cet aspect de la fabrication de la dentelle
ne relate que les 18ème et 19ème siècles, nous
savons que des bougies ont été utilisées
pendant des siècles.
Les meilleures bougies pour une
dentellière étaient faites de cire d’abeille
qui se consumait proprement, cependant,
elles étaient les plus chères et
probablement hors de portée de la plupart
des premières dentellières qui travaillaient
seules dans leurs chaumières. Nous savons
que vers le 19ème siècle, si ce n’est plus tôt,
elles travaillaient en groupe autour d’une
grosse bougie sur une sorte de support,
78
Les dentellières n’étaient pas les
seules artisanes à utiliser ce type de
lumière. Les horlogers, les joaillers et les
cordonniers avait aussi besoin du même
type de lumière concentrée sur un point.
Au 18ème siècle, on fabriqua des lampes en
verre soufflé décoratives. Elles sont
souvent appelées à tort « lampes de
Gwynne, Judith; The Illustrated History of Lace, Batsford, 1997,
p 7.
78 Wright, Thomas; The Romance of the Lace Pillow, H H Armstrong,
UK, 1919, p 111-112.
77
30
dentellières », étant utilisées plus souvent
par d’autres artisans ou par d’autres
personnes dans les salles de dessin. Elles
consistaient en un support en verre
soufflé, avec une bouteille d’huile ouverte
en haut et une mèche flottante. Elle était
accompagnée d’une bouteille d’eau séparée
sur un support décoratif identique.
Bien que nous ne sachions pas avec
certitude ce que les premières dentellières
utilisaient, les notes des catalogues pour ce
type de lampe de la collection du
Powehouse Museum stipulent que :
Ce genre d’appareil a été utilisé sous une
forme ou une autre depuis le Moyen Age. Le
concept est toujours utilisé dans certaines régions
rurales de Scandinavie où l’accès à l’électricité est
limité, et où les jours sont courts. 79
En Europe, l’histoire a probablement
commencé vers l’an 1000, avec la « pierre
à lire » qui était une loupe faite d’un
morceau de boule de verre. Son côté plat
était déplacé sur la page d’écriture pour
grossir les lettres.
Plus tard, les Vénitiens fabriquèrent
une loupe dans un cadre monté sur un
manche pour qu’elle puisse être tenue
devant les yeux plutôt que posée sur la
page. La fresque de Tomaso da Modena,
1352, représente le Cardinal de Rouen
lisant avec ce type de loupe. 81 Au cours
du 15ème siècle, de nombreux portraits
montrent des lunettes : apparemment une
paire de lentilles montées de façon à
pouvoir être pincées sur le nez comme
dans la peinture de Crivelli, 1490, Saint
Pierre et Saint Paul. 82 Dès le 16ème siècle,
des
lentilles
correctrices
étaient
disponibles pour la vue de loin et de près.
Le problème suivant était de pouvoir
garder les lunettes confortablement en
place. On peut voir un portrait d’un
cardinal83, par El Greco, vers 1600, qui
porte de grosses lunettes cerclées de noir,
retenues par des boucles passées derrière
ses oreilles ; une bonne solution sans
doute, mais fort peu esthétique. Ce n’est
pas avant le début des années 1700 que
des branches rigides furent créées pour
reposer sur le haut de l’oreille.
De nombreux auteurs affirment que
certains personnages étaient représentés
avec des lunettes pour signifier leur
sagesse et leur sérieux, sans considérer s’ils
en avaient vraiment besoin pour voir.
.
Grossissement et lunettes
On dispose d’une foule d’information
sur l’histoire des loupes grossissantes et
des lunettes. Le développement moderne
de ces deux objets aurait étonné les
premières dentellières. Il est fort probable
que les Chinois aient eu des loupes (ainsi
que d’autres techniques) bien avant
qu’elles aient apparu en Occident et
certains disent que les premiers Egyptiens
avaient créé une sorte de lentille à partir de
pierres semi-précieuses. 80
79 Annette Keenan, Curator of Glass, Powerhouse Museum, c.
1985 .Notes de catalogue pour l’objet n° A11088.
80 Je suis heureuse de faire savoir que cette petite section a été
créée à partir de nombreuses sources internet et références écrites
glanées au cours d’un grand nombre d’années. Elles contiennent
des informations à la fois semblables et contradictoires . J’ai donc
essayé de faire une approche modérée et très simplifiée.Le texte de
la conférence What Man Devised That He Might See par Dr Richard
D Drewry de University of Tennesee, Hamilton Eye Centre offre
un point de vue intéressant..
Carlo Crivelli, 1435-1495; Chapter House, San Niccolò, Treviso
Galerie dell Accademia, Venice.
83 Thought to be Don Fernando Ninõ de Guevara. Metropolitan
Museum of Art, New York, H O Havemeyer Collection,
1929.100.5.
81
82
31
Il est également courant de dire que
les lunettes contribuèrent au renouveau de
l’enseignement, puisque les étudiants qui
avaient dû auparavant renoncer à la lecture
lorsque leur vue devenait défaillante,
pouvaient désormais continuer leur travail
à l’infini.
Selon Norman Davies, l’invention
des lunettes que l’on pouvait utiliser « sans
les mains » prolongèrent de plus du double
la vie des artisans qualifiés, en particulier
ceux qui faisaient un travail de précision. 84
Cette observation perspicace peut
également s’appliquer aux dentellières aux
fuseaux mais on peut se demander si elles
avaient les moyens de s’offrir un tel luxe,
ou, vraiment, si elles vivaient assez
longtemps pour voir leur vue se détériorer.
Comme Gil Dye le souligne, ce n’est pas
que la dentelle aux fuseaux était un métier
particulièrement dangereux, mais plutôt
que « à l’apogée de la fabrication de la
dentelle, l’espérance de vie n’excédait pas
40 ans. » 85 Il est possible également que
les premières dentelles aux fuseaux
n’étaient pas faites avec du fil très fin si
bien qu’elles ne fatiguaient pas autant la
vue que la dentelle à l’aiguille ou la
broderie, par exemple.
Autant que je sache, il n’existe pas de
document iconographique du 16ème siècle
représentant une dentellière avec des
lunettes, mais on peut voir une brodeuse
portant des lunettes sur la gravure qui orne
la couverture du livre de modèles de
Siebmacher de 1597. 86
84 Davies Norman; Europe: a History, Oxford University Press,
1996. p 369.
85 Dye, Gil; ‘Specs and the Lacemaker’, Lace, UK, April 1994, p 15
86 Siebmacher, Johann; Neues Modelbuch, Nuremberg, 1597.
32