S - Bankexam.fr

Transcription

S - Bankexam.fr
TEAM_p118a150:TEAM
S UJET
S
15/11/10
11:21
Page 130
SYNTHÈSE DE TEXTES
En 2011, l’épreuve de synthèse de textes comptera 7 documents.
Deuxième épreuve
Durée : 2 heures 30.
MÉTHODOLOGIE ET CONSIGNES
Tout dossier détérioré ou comprenant une page arrachée entraînera l’exclusion du
candidat et/ou l’annulation de ses résultats.
Après une lecture approfondie des documents proposés, vous devez effectuer une
synthèse de textes structurée d’une page et demie environ.
S YNTHÈSE
DE TEXTES
Votre travail consistera à :
1. Dégager l’idée générale commune aux documents, explicitement formulée ou
non dans chacun d’entre eux.
2. Organiser de façon synthétique la confrontation des thèses en présence, en
nommant à chaque fois les auteurs.
Ce travail de synthèse est centré sur l’exposé et la mise en relation des idées
figurant dans les documents. Il exclut toute prise de position personnelle de votre part.
130
Recommandations
• Nous vous suggérons de commencer par la lecture attentive de l’ensemble des
textes et d’utiliser – pour que votre brouillon soit clair et efficace – la méthode
en colonnes : la colonne par texte.
• Dans chaque colonne, notez les idées essentielles, les mots-clés.
• Vous construirez une synthèse ordonnée et précise qui confronte les idées
principales contenues dans chaque texte.
• Votre maîtrise de l’expression écrite (orthographe, syntaxe) et votre aptitude à
employer un vocabulaire précis et adapté font également partie des éléments
d’appréciation.
SUJET
« L’introduction du numérique dans l’enseignement :
la technologie de pointe améliore-t-elle la transmission ? »
• Document 1 : « La pensée Internet : comment Internet bouleverse le savoir »
Jean-François Dortier (journaliste), Sciences humaines, n° 186,
octobre 2007.
15/11/10
11:21
Page 131
• Document 2 : « Ecole : guide de survie »
Maryline Baumard (journaliste et écrivain), Sciences humaines,
n° 203, avril 2009.
S
S UJET
TEAM_p118a150:TEAM
• Document 3 : « L’Ecole désinstitutionnalisée »
Gilbert Molinier (professeur de philosophie), Oser enseigner, Paris,
PUF, 2000.
• Document 4 : « Fabriquons-nous des barbares ? »
Jean-Claude Guillebaud (écrivain, journaliste et éditeur), in TéléObs,
n° 2348, 5-11 novembre 2009.
Document 1
La pensée Internet : comment Internet bouleverse le savoir
1. Nouvelles technologies de l’information et de la communication.
2. Apprentissages et documents numériques, Belin, 2007.
S YNTHÈSE
Les effets cognitifs des NTIC1 ont fait l’objet de nombreuses recherches. Leurs
résultats sont paradoxaux et mitigés. Le Web est un hypermédia qui mêle textes, images,
sons, vidéos. A priori cette riche palette de modes d’information offre la possibilité de
construire de beaux exposés avec textes explicatifs, documents, schémas, etc. Or les études
de psychologie montrent que les hypermédias ne sont pas forcément meilleurs que les
autres pour l’apprentissage. La sollicitation de plusieurs sources perceptives (lecture,
image, son…) peut même parfois nuire à la compréhension d’un document. De même,
les bénéfices de l’hypertexte, qui permet de bondir d’un texte à l’autre à la recherche
d’une information, sont loin d’être évidents. Les résultats des études sur les effets de
l’hypertexte sur l’apprentissage sont « mitigés », « sinon décevants » selon le psychologue Alain Tricot2. Une des raisons tient en ceci : les psychologues ont découvert récemment l’importance de l’inhibition dans l’apprentissage. Il est nécessaire de mettre en
sommeil certaines compétences et savoirs pour en acquérir de nouveaux. Or la surabondance informationnelle entraine un coût cognitif élevé, qui peut provoquer des phénomènes de surcharges mentales.
DE TEXTES
Apprentissage, créativité et stress informationnel
131
TEAM_p118a150:TEAM
S UJET
S
15/11/10
11:21
Page 132
On commence à s’inquiéter de nouvelles formes de pathologie de l’intelligence,
comme celle de ces hikikomori3 du savoir qui s’engouffrent dans des labyrinthes documentaires toujours plus spécialisés, où ils se retrouvent seuls, comme absorbés par un
trou noir cognitif dévorant tout leur temps et leur énergie. Le déluge informationnel
pourrait donc avoir des effets pervers : stress informationnel, cyberdépendance, dérives
cognitives et brouillage de la pensée.
S YNTHÈSE
DE TEXTES
Les sirènes des mémoires externes
132
Internet change également notre rapport à la connaissance. La caractéristique la
plus évidente d’Internet est sans doute de ressembler à un eldorado de la connaissance :
il n’y a qu’à se pencher pour ramasser. Qui plus est, l’information disponible sur Internet
n’a pas seulement la forme inerte de documents électroniques. Elle a aussi une dimension humaine et interactive, c’est une communauté d’information, de connaissances,
d’expériences, matérialisée par des blogs, des forums ou des groupes de messageries
instantanées. En rendant accessible à tout moment une multitude d’informations,
Internet modifie profondément notre relation au savoir. Il serait pourtant tout à fait illusoire d’imaginer que ce qui est accessible sur la toile n’a pas besoin d’être appris pour
la simple raison de sa disponibilité permanente, car posséder tous les livres du monde,
comme pouvoir accéder à tous les sites du monde, ne se substitue pas à la connaissance.
[…]
La disponibilité des mémoires externes que permet Internet place cette question
de l’appropriation au centre du débat, car acquérir des connaissances conduit effectivement à les structurer au moyen de catégories, qui ont une structure complexe et sont liées
les unes aux autres. Avoir accès par la toile aux mêmes informations ne compense absolument pas l’absence d’apprentissage.
La question du rôle de l’enseignement dans ses dimensions informatives versus
structurantes est donc posée avec une acuité nouvelle par Internet, car l’essentiel n’est pas
seulement l’information apprise – de toute manière aisément disponible sur la toile – mais
ce quelle structure mentalement. En outre, de la même manière que l’on peut apprendre
seulement ce que l’on est prêt à apprendre, c’est-à-dire ce pour quoi l’on a construit les
structures cognitives adéquates, on ne peut rechercher que ce pour quoi l’on a identifié
les dimensions pertinentes de recherche : l’espoir est ténu de trouver une information
pertinente sans connaissance du domaine. Ainsi s’amorce un phénomène circulaire, cercle
vicieux ou cercle vertueux selon son sens d’expansion, qui rend la connaissance d’autant
plus accessible qu’elle est déjà riche, et d’autant moins qu’elle est lacunaire. Une métaphore intéressante d’Internet en tant que mémoire externe pour chaque individu est celle
d’une couche supplémentaire autour d’un tronc d’arbre : si le tronc est large, la couche
ajoute un périmètre important, si le tronc est rachitique, l’ajout est mineur.
Jean-François Dortier4
3. Au Japon, on appelle « emmurés » les jeunes gens cyberdépendants qui ont coupé les ponts avec la vie
réelle, et qui vivent cloîtrés dans leur chambre, face à leur écran. En Occident, on les surnomme parfois les
no life (sans vie…).
4. Journaliste.
15/11/10
11:21
Page 133
Document 2
Ecole : guide de survie
S
S UJET
TEAM_p118a150:TEAM
Générations digitales
L’innovation vient aussi souvent dans cette génération d’une utilisation subtile
de l’outil informatique. L’usage en classe d’ordinateurs est une autre façon de décentrer
le cours, de casser la relation fermée entre maîtres et élèves, de créer une géographie différente du groupe et des savoirs mais aussi de placer les élèves en position de chercheurs.
S YNTHÈSE
Les jeunes enseignants qui arrivent aujourd’hui dans les classes ont fourbi1 leurs
armes pour faire vivre les savoirs, faire réussir les élèves et, avant toute chose, les intéresser. Les générations précédentes le faisaient aussi, bien sûr, mais l’approche n’est pas
la même. Parce qu’ils sont eux-mêmes le produit de la massification des lycées, la
gestion de l’hétérogénéité et des difficultés de concentration de leurs élèves va pour eux
de soi. Et comme les querelles de chapelles ont moins prise sur eux, ils n’hésitent plus à
se composer une mallette pédagogique où l’éclectisme2 est de mise.
Comme Vincent D., professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT), dans
un collège du Rhône, ils sont nombreux à tester des formes de cours innovantes et
variées. « Il leur faut du concret, il faut qu’ils fabriquent […]. Parfois je leur propose de
prendre des notes à partir d’une vidéo, pour que nous reconstituions un cours ensemble
ensuite. » Puis l’heure suivante, les collégiens doivent cette fois composer une affiche
résumant une leçon. « Il faut varier, innover, sans cesse les surprendre », ajoute l’enseignant. Ce qui explique que les classes deviennent de véritables laboratoires où toutes les
expériences convergent vers ce but unique : accrocher des élèves de plus en plus réfractaires aux savoirs scolaires. « Si je peux noter une évolution depuis mon entrée en poste
ici il y a six ans, ajoute le même enseignant, c’est bien celle-là. Il est de plus en plus difficile de capter l’intérêt des élèves. Il faut faire preuve de plus en plus d’imagination ».
Et ils n’en manquent pas. Ni d’audace, d’ailleurs ; au point d’oser même
s’attaquer de front à ce fondement de l’institution qu’est le cours magistral. Yann B.,
professeur de mathématiques en collège, a un principe simple : le limiter à vingt
minutes. Et encore… « Parfois pour varier les approches, je les fais copier mais leur
projette mon cours sur écran… J’essaie toujours de mettre en lien ce que je vais leur
enseigner et leur vie, leurs centres d’intérêt. »
DE TEXTES
Les nouveaux profs vont-ils changer l’école ?
1. Nettoyé, préparé avec soin.
2. Attitude d’esprit qui touche à tous les domaines, touche-à-tout.
133
TEAM_p118a150:TEAM
S UJET
S
15/11/10
11:21
Page 134
Une autre manière de revoir la notion même de leçon et de créer de l’interactivité avec
une génération d’élèves qui a grandi à l’ombre des écrans et passé beaucoup plus d’heures
connectée sur Internet que plongée dans les livres. Cette proximité culturelle entre les
« digital natives » que sont les élèves et les plus initiés des « digital migrants » que sont
les jeunes enseignants fait qu’ils partagent un langage et, plus que cela, une approche du
monde.
[…]
Hugo, enseignant d’histoire-géographie en lycée a créé son blog pédagogique,
qui précise des notions, en donne un peu plus que le cours et surtout relie son programme
à l’actualité. Une pratique que l’on peut estimer extérieure à la classe, mais qui rejaillit
sur le cours puisque la discussion démarre souvent du contenu d’un post du professeur.
Pour tous, le maître mot reste bien d’intéresser ce public difficile parce que
gavé d’images et de savoirs plus alléchants que ceux que propose l’école. Il s’agit ni plus
ni moins de les détourner de ces ombres et, comme dans le mythe de Platon, de leur faire
goûter à d’autres fruits.
Et si l’on creuse sous ces pratiques, la métamorphose de la classe enseignante
ne s’arrête pas là. Sous ce foisonnement d’expérimentations, de tâtonnements et
d’inventions, il s’agit en effet aussi pour les jeunes professeurs de se trouver soi-même,
d’être heureux dans la classe.
Maryline Baumard3
3. Journaliste et écrivain.
Document 3
S YNTHÈSE
DE TEXTES
L’Ecole désinstitutionnalisée
134
La marchandisation de l’enseignement
Derrière ces incantations sirupeuses, il y a l’inévacuable réalité : citant l’ERT1
(European Round Table), Gérard de Sélys et Nico Hirtt écrivent que « l’éducation et la
formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l’entreprise2 » et, plus loin, se référant à un « document de travail » de la
Commission européenne sur « l’éducation et la formation à distance », que « l’enseignement à distance […] est particulièrement utile […] pour assurer un enseignement et une
formation rentables […]. Le monde des affaires devient de plus en plus actif dans ce
domaine, soit en tant qu’utilisateur et bénéficiaire de l’enseignement multimédia et à
distance, soit en tant que concepteur et négociant en matériel de formation de ce type3 »
1. L’ERT regroupe une cinquantaine des plus importants dirigeants industriels européens.
2. Tableau noir. Résister à la privation de l’enseignement, Bruxelles, EPO, 1998, p. 26.
3. Ibid., p. 29.
15/11/10
11:21
Page 135
et, plus loin encore, qu’une réunion extraordinaire du G7 consacrée à la « société de
l’information » indique que « la responsabilité de la formation doit en définitive être
assumée par l’industrie [… parce que…] le monde de l’éducation semble ne pas bien
percevoir le profil des collaborateurs nécessaires à l’industrie [… et que…] l’éducation
doit être considérée comme un service rendu au monde économique4 ».
La formation est assimilée à une marchandise et entre donc dans le circuit des
marchandises, à tel point que « dans la pratique de la Commission européenne, l’élève
est devenu un “client” et le cours un “produit”.
Se voulant moderne, l’Ecole s’est « ouverte sur la vie » ; c’est la voie qu’elle a
choisie pour mieux réaliser ses objectifs ambitieux, la livrer aux appétits du marché. Que
se passe-t-il alors ? Un lieu relativement protégé, où le savoir avait trouvé refuge, est
envahi par les marchands dont l’objectif est de réaliser des profits. Insensiblement les
lycées se transforment en marchés, marchés aux drogues organisés par des bandes
mafieuses installées dans les établissements, marchés aux ordinateurs, multimédias, aux
cours clefs en mains : car l’éducation et la formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l’entreprise5 ». Insensiblement,
les lycées se transforment en centre d’accueil ou salles d’attente ou lieux de parcage, et
les enseignements sont chargés, malgré eux, d’anesthésier les jeunes lentement, afin de
tuer en eux toute volonté de révolte. On transforme les lycées et les collèges en lieux de
plaisir et de convivialité : « Il s’agit avant tout de dresser la jeunesse moderne à la
consommation généralisée6. »
[…]
S
S UJET
TEAM_p118a150:TEAM
4. J.-C. Michéa, L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Castelneau-Le Lez, éd. Climats,
1999, p. 72.
5. G. de Sélys, N. Hirtt, « L’Ecole, grand marché du XXe siècle », in Le Monde diplomatique, juin 1998.
6. J.-C. Michéa, op. cit., p. 75.
7. Des disciplines vidées de leur sens.
8. H. Boillot, M. Le Du, La Pédagogie du vide. Critique du discours pédagogique contemporain, Paris, PUF,
1993, p. 17.
9. L. Jospin, « Propositions pour la rénovation du lycée », conférence de presse, 22 avril 1991.
10. R. Chapuis, « Propositions pour la rénovation du lycée », conférence de presse, 22 avril 1991.
S YNTHÈSE
Le nom d’école est resté ; le contenu est radicalement transformé. L’école est
gérée comme une entreprise. On traite les élèves comme matière première à transformer
aux fins de remplir des tableaux statistiques. Le tout visant à « confectionner des sujets
dont on n’attend même plus au fond qu’ils soient adaptés à des fonctions instituées et
déterminées mais qu’ils le soient à l’injonction même, permanente et multiforme, de
s’adapter8 ».
Elle consiste à faire accroire que l’enseignement doit « partir de l’élève luimême9 », « assurer aide et suivi personnalisés en s’appuyant sur les goûts, les motivations et les choix des jeunes10 ». L’enseignement autrefois centré sur les disciplines et
DE TEXTES
L’évidage7 du sens des disciplines
135
TEAM_p118a150:TEAM
S UJET
S
15/11/10
11:21
Page 136
leur rationalité propre l’est désormais sur les goûts des élèves, notion très problématique
de la psychologie néobehavioriste11, c’est-à-dire que les programmes sont sans cesse
réajustés à leur supposé niveau. Voilà pour l’esbroufe […]. Mais il y a, là aussi, la
réalité. La pédagogie, dont le modèle est celui du comportementalisme, est pensée
comme technologie visant au dressage : « Ce que nous savons, à la lumière des travaux
de laboratoire, des mécanismes de l’apprentissage, devrait nous pousser à nous attaquer
aux réalités de la classe et à les changer radicalement. L’éducation scolaire est sans doute
la branche la plus importante de la technologie scientifique. Elle influence profondément
la vie de chacun […]. Les nouvelles méthodes visant à modeler le comportement et à le
maintenir en vigueur représentent un progrès considérable sur les procédés classiques en
usage chez le dresseur d’animaux12. » Est-il alors étonnant de constater que des phénomènes inquiétants s’installent dans les établissements d’enseignement : conformisme
exacerbé, rigorisme pédagogique, raidissement moral, démission politique, appauvrissement
intellectuel…
Il s’agit ni plus ni moins d’un crime organisé contre la jeunesse qui, pour l’instant, fonctionne comme « crime légal contre les nouvelles générations ». La loi de rénovation pédagogique oblige les enseignants, au nom de la modernité, à faire le contraire
de ce que vingt-cinq siècles de culture occidentale avaient laborieusement bâti en matière
de philosophie de l’éducation et de pédagogie. Gigantesque entreprise de déstructuration
psychique, l’institution scolaire est devenue une machine folle à rendre les jeunes fous.
Les experts en management sont incapables de réaliser leur fantasme de toute-puissance
sans casser les hommes. Qu’y a-t-il d’étonnant de constater que les jeunes soient en
manque de repères ! Cette absence de repères est politiquement organisée. En attendant,
on maintient les jeunes générations sous narcose, et pour cela toutes les drogues sont
bonnes. Aujourd’hui, l’anesthésie se fait par consentement.
S YNTHÈSE
DE TEXTES
Gilbert Molinier13
136
11. Le behaviorisme ou comportementalisme se veut une science du comportement, étudié selon sa
« mécanique » extérieure, indépendamment de toute psychologie.
12. B. F. Skinner, La Révolution scientifique de l’enseignement.
13. Professeur de philosophie.
15/11/10
11:21
Page 137
Document 4
Fabriquons-nous des barbares ?
S
S UJET
TEAM_p118a150:TEAM
S YNTHÈSE
La question est à la fois toute simple et troublante : faut-il interdire les écrans aux
enfants ? Formulée autrement, elle revient à se demander quelle sorte d’avenir se prépare
une société dont les enfants passent 1 200 heures par an devant leurs divers écrans (télévision, ordinateur, console de jeu ou téléphone portable) alors qu’ils n’en réservent que 900 à
l’école. Elle conduit à s’interroger pareillement sur l’irresponsabilité de ces opérateurs de
télévision qui ciblent, via des chaînes comme Baby First TV, une clientèle constituée de téléspectateurs âgés de 3 mois à 3 ans. Question plus générale : l’omniprésence des écrans dans
notre quotidien ne génère-t-il pas un phénomène d’addiction, potentiellement destructeur ?
Ces questions, en vérité, sont trop souvent contournées tant chacun redoute de
paraître réac ou moralisateur. Le moins que l’on puisse dire, cependant, c’est qu’elles
deviennent brûlantes. Un petit livre récemment paru1 propose deux types de réponses à
ces interrogations inquiètes : celle, plutôt rassurante, du pédopsychiatre Serge Tisseron et
celle, bien plus alarmiste, du philosophe Bernard Stiegler. Les deux textes juxtaposés
permettent de se faire une idée assez claire de ce débat nécessaire et trop souvent escamoté.
Pour Tisseron, la panique des éducateurs n’est pas justifiée. Il refuse d’évoquer
un concept comme celui d’addiction que l’on devrait réserver, dit-il, à des dépendances
chimiques comme celle des vrais drogués ou des alcooliques. Plutôt accommodant à
l’égard de cette « écran-mania », il estime que les enfants et les adolescents sont bien
moins passifs qu’on ne le prétend et savent parfaitement gérer leur relation à l’écran.
Autrement dit, ceux que les Anglo-Saxons appellent les digital natives (nés dans une
société numérique) savent élaborer des stratégies autonomes, y compris sur le terrain de
la sociabilité. Familiers des écrans, ils parviennent assez tôt – pas tous mais la plupart
d’entre eux – à échapper à cette prétendue aliénation évoquée par les adultes. Au demeurant, ajoute-t-il, « l’omniprésence des images agressives et sexuelles a surtout pour effet
d’empêcher le refoulement », au sens freudien du terme. Bref, si on a bien calculé qu’un
enfant arrivé à l’âge de 12 ans aura été témoin d’environ 8 000 meurtres télévisés, n’en
déduisons pas que ce matraquage aura fait de lui un violent en puissance.
A ce point de vue rasséréné, Bernard Stiegler oppose une analyse bien plus alarmiste
et, surtout, plus radicalement combative. D’après lui, l’addiction aux écrans – il revendique
l’usage de ce terme – participe d’une stratégie délibérée, d’un marketing insidieux grâce
auquel la société marchande se fabrique des consommateurs dociles chez qui la pulsion aura
remplacé le désir, au sens où l’entendait Lacan. Ce psycho-pouvoir au service du tout-marché
installe ainsi une bêtise systémique à laquelle personne n’échappe tout à fait. Elle favorise
l’arrivée de générations boulimiques de plus en plus dépendantes et simultanément dépressives.
[…]
DE TEXTES
L’addiction des enfants aux divers écrans ne se révèle-t-elle pas, à terme,
destructrice ?
1. Faut-il interdire les écrans aux enfants ?, Bernard Stiegler et Serge Tisseron, éditions Mordicus.
137
TEAM_p118a150:TEAM
CORRIGÉ
C
15/11/10
11:21
Page 138
C’est en ce sens, ajoute Stiegler, que la nouvelle hégémonie des écrans, et cela
dès la petite enfance, transforme le « pharmakon » des Grecs (le « remède » de la culture)
en un poison aux effets irréversibles. A la différence de Tisseron, il invite donc les adultes
à résister bec et ongles – sur le terrain de la citoyenneté – à une question qui procède, au
bout du compte, de la politique. Du moins celle qui devrait, idéalement, gouverner la cité.
Jean-Claude Guillebaud2
2. Ecrivain, journaliste et éditeur.
S YNTHÈSE
DE TEXTES
CORRIGÉ
138
Le numérique peut-il faire office d’instrument de la culture ? Ce bouleversement de notre rapport au savoir est-il inoffensif ou, au contraire, préoccupant ?
Les conclusions éminemment contradictoires faites à ce sujet prêtent à controverse : c’est non seulement le rapport au savoir qui est transformé, mais le contenu de la
culture qui s’en trouverait chamboulé. Jean-François Dortier convoque les psychologues, selon lesquels cette nouvelle technologie n’améliorerait pas vraiment la qualité de
la transmission. A cette tiédeur, Maryline Baumard se fait l’écho de jeunes enseignants
contraints de distraire leurs élèves, à l’attention de plus en plus difficile à capter, par des
subterfuges technologiques comme supports de leurs cours. Une démagogie, selon le
professeur Molinier, qui accuse et dénonce là une pure et simple volonté étatique de
rentabiliser les dernières prouesses du numérique, réduisant la formation à un pur produit
de consommation… Guillebaud en atteste, fustigeant l’omniprésence des écrans dès le
plus jeune âge, au risque de braver les moqueries de ceux qui s’échinent à nier le problème, de peur de ne pas être à la page.
Si la controverse est aussi vive, c’est que l’esprit progresse moins vite que la
technologie, et ne répond sans doute pas aux mêmes critères ni aux mêmes exigences.
Les psychologues s’inquiètent, poursuit Dortier, de la surabondance d’informations délivrées par l’image et le son, les systèmes de liens et de renvois, constants zapping de
l’attention qui encombrent le mental, et le rendent dépendant plus qu’ils ne le cultivent…
Comment faire autrement, rapporte M. Baumard qui se fait l’écho des nouveaux enseignants : les élèves, nourris à l’image et au divertissement, ne s’intéressent plus aux cours
et à l’instruction, encore moins à la lecture. Le problème ne vient pas des élèves, corrige
Molinier, mais du système économique marchand lui-même, qui sacrifie l’instruction et
le savoir sur l’autel du tout-profit, au risque de tuer dans l’œuf l’intelligence et le sens
critique des jeunes. Et ce, dès le plus jeune âge, poursuit Guillebaud, avant même que
les tout-petits puissent avoir la capacité de s’en défendre et de juger le contenu de ce qui
est émis.
Un certain malaise entoure cette question. Bien que modéré dans le ton de son
argumentation, J.-F. Dortier se risque à reconnaître qu’une bonne utilisation du net et du
numérique nécessite une bonne connaissance préalable du sujet sur lequel on cherche
des informations…, réduisant quasiment à néant l’avancée culturelle invoquée pour légitimer cette technologie. Faute de quoi les informations obtenues demeurent plus que
superficielles… Baumard semble faire chorus avec les professeurs contemporains,

Documents pareils