lithiases rénales et déminéralisation osseuse dues à des anomalies

Transcription

lithiases rénales et déminéralisation osseuse dues à des anomalies
LITHIASES RÉNALES
ET DÉMINÉRALISATION OSSEUSE
DUES À DES ANOMALIES DU TRANSPORT RÉNAL
DE PHOSPHATE
par
D. PRIÉ*, **, V. HUART*, N. BAKOUH***, C. SILVE*,
G. PLANELLES***, B. GRANDCHAMP**** et G. FRIEDLANDER*, **
Le phosphate est l’un des anions les plus abondants de l’organisme. Il se répartit de façon inégale entre trois compartiments. L’os contient 85 p. 100 du phosphate total sous forme de phosphate de calcium. Ce cristal forme la partie
minérale qui se fixe sur la partie organique constituée de différentes protéines
(collagène de type 1, ostéocalcine, ostéonectine, Bone-GLA protéine). Près de
15 p. 100 du phosphate total sont présents dans le milieu intracellulaire. Dans la
cellule, le phosphate est lié à du ribose, du déoxyribose, des lipides, des protéines,
ou est libre sous forme de phosphate de potassium essentiellement. Le phosphate
contenu dans le milieu extracellulaire représente moins de 1 p. 100 du phosphate
de l’organisme et est présent sous forme de phosphate de sodium principalement
(tableau I). Bien que quantitativement faible au regard du phosphate total, la
concentration de phosphate dans ce compartiment est un reflet, probablement partiel, de la quantité de phosphate présent dans l’organisme. En effet, il existe un
échange permanent de phosphate entre l’os et le milieu extracellulaire, et entre
les milieux intra- et extracellulaires [1].
La phosphatémie est un paramètre régulé qui varie relativement peu chez un
individu donné en dehors de circonstances pathologiques. La phosphatémie suit
un rythme circadien dont le nadir est situé le matin. La sécrétion d’insuline liée à
la prise alimentaire peut entraîner une entrée de phosphate dans le milieu intra-
* Unité INSERM U426, Faculté de Médecine X Bichat, Paris.
** Service de Physiologie-Explorations fonctionnelles, hôpital Bichat, Paris.
*** Unité INSERM U467, Faculté de Médecine Necker-Enfants Malades, Paris.
**** Service de Biochimie B, hôpital Bichat et Unité INSERM U409, Faculté de Médecine X
Bichat, Paris.
FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES
— ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2004
(www.medecine.flammarion.com)
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D. PRIÉ ET COLL.
TABLEAU I. — DISTRIBUTION
TISSU
Squelette
Tissus mous
Dents
Liquide interstitiel
DU PHOSPHATE DANS L’ORGANISME
QUANTITÉ
QUANTITÉ
EN
p. 100
EN MILLIMOLES
DU PHOSPHATE TOTAL
19 000 0
85 00
3 200 0
14 00
100 0
0,50
10 0
0,05
Globules rouges
6,5
0,03
Plasma
3,5
0,02
cellulaire et diminuer ainsi transitoirement la phosphatémie, il est donc préférable
de réaliser les dosages de phosphatémie le matin à jeun.
Les apports digestifs en phosphate varient beaucoup d’un individu à l’autre en
fonction du type d’alimentation. Le phosphate est absorbé essentiellement dans
l’intestin grêle par deux mécanismes : l’un passif et l’autre actif. Le mécanisme
passif dépend directement du gradient de phosphate entre le bol alimentaire et le
milieu interstitiel. Le processus actif, saturable implique un transporteur spécifique
du phosphate nécessitant la présence de sodium pour fonctionner. Ce cotransporteur sodium phosphate appelé NPT2b voit son activité augmentée par le calcitriol [2, 3]. Contrairement au calcium, en l’absence de calcitriol environ 60 p. 100
du phosphate ingérer sous forme libre est absorbé. Cette valeur est majorée en
présence de calcitriol.
Bien que l’absorption digestive de phosphate soit bonne, la richesse en phosphate de l’alimentation modifie peu la phosphatémie. Cela est dû au rein qui adapte
les sorties urinaires de phosphate aux entrées de façon à maintenir la phosphatémie
dans des valeurs normales. Cette adaptation est un phénomène complexe dont tous
les détails ne sont pas encore connus.
La quasi-totalité du phosphate circulant dans le plasma est filtré au niveau du
glomérule. Chez un individu dont le débit de filtration glomérulaire (DFG) est
normal, la phosphatémie dépend donc de la capacité des tubules à réabsorber le
phosphate car il n’a pas été décrit de sécrétion tubulaire. La réabsorption de phosphate se fait principalement dans le tubule proximal, le phosphate qui n’a pas été
réabsorbé dans cette portion tubulaire se retrouvera donc dans l’urine définitive
[4]. Sur un plan « macroscopique », il est assez facile de déterminer la capacité
maximale des reins à réabsorber le phosphate, normalisée par le DFG (TmPi/DFG)
à partir de la phosphatémie et de l’excrétion urinaire de phosphate en utilisant le
nomogramme décrit par Walton et Bijvoët [5, 6]. Lorsque les apports alimentaires
en phosphate sont bas le TmPi/DFG augmente de façon à prévenir une baisse de
la phosphatémie, à l’opposé lorsque les apports alimentaires de phosphate sont
élevés, le TmPi/DFG s’abaisse. Chez un patient présentant une anomalie de la
phosphatémie, il est donc possible de déterminer si la réponse du rein est adaptée
ou non. La coexistence d’une hypophosphatémie et d’un TmPi/DFG abaissé signe
l’existence d’une fuite rénale de phosphate. Celle-ci peut être secondaire à une
hypersécrétion hormonale, comme on l’observe au cours de l’hyperparathyroïdie
primaire ou secondaire, ou être primitive.
LITHIASES RÉNALES ET DÉMINÉRALISATION OSSEUSE
109
RELATIONS ENTRE EXCRÉTION URINAIRE
DE PHOSPHATE ET LITHIASES RÉNALES CALCIQUES
La survenue de lithiases rénales calciques est un phénomène fréquent de mécanisme complexe et plurifactoriel. Le facteur de risque le plus fréquemment associé
à la constitution de calculs est l’augmentation de saturation des urines qui dépend
entre autres choses de la quantité de calcium, de phosphate et d’eau éliminée.
L’association entre la phosphaturie et le risque de formation de calculs rénaux
a été mis en évidence chez l’animal et chez l’homme. Bushinski a établi une lignée
de rats spontanément hypercalciuriques et lithiasiques. Il a étudié l’effet de la
richesse en phosphate du régime et montré que la réduction des apports alimentaires en phosphate chez ces animaux diminuait l’excrétion urinaire de phosphate
et prévenait l’apparition de lithiases rénales malgré l’augmentation concomitante
de la calciurie [7].
Les souris dont le gène codant pour le transporteur rénal de phosphate NPT2a
a été invalidé font également des lithiases [8]. Le phénotype de ces souris est présenté plus loin dans cet article.
Enfin chez l’homme, nous avons comparé la distribution du TmPi/DFG chez
des sujets témoins et chez des sujets lithiasiques. Nous avons montré que cette
variable se distribue suivant une courbe de Gauss dans les deux populations, mais
que la courbe est décalée vers la gauche dans la population lithiasique à distance
des épisodes d’obstruction et en dehors de toute hyperparathyroïdie, suggérant que
la diminution de la capacité des reins à réabsorber le phosphate favorise la survenue de calculs calciques [9].
Les études épidémiologiques montrent également une agrégation familiale de cas
de survenue de lithiases rénale calcique suggérant l’intervention de facteurs génétiques. À partir de ces constations nous avons émis l’hypothèse que des modifications
de séquences de gènes codant pour des protéines impliquées dans le métabolisme
du phosphate pourraient être responsables de la fuite rénale de phosphate observée
chez des sujets souffrant de lithiases rénales calciques de façon récurrente.
Le phosphate étant un des composants majeurs de la trame minérale osseuse, et
les sujets lithiasiques ayant en moyenne une minéralisation osseuse plus faible
qu’une population de référence, nous avons également émis l’hypothèse que des
altérations de gènes intervenant dans le métabolisme du phosphate pourraient également altérer la qualité de la minéralisation osseuse. Compte tenu de la diversité
vraisemblable des gènes impliqués et de la difficulté à suivre des familles comprenant un grand nombre d’individus dont le phénotype soit connu, pour tester
notre hypothèse nous avons privilégié une approche de type gène candidat.
Nous avons sélectionné des gènes candidats à partir des données connues
concernant la physiologie dans le domaine du métabolisme phosphocalcique.
MÉCANISMES MOLÉCULAIRES
DU TRANSPORT RÉNAL DE PHOSPHATE
Le transport transépithélial de phosphate dans le tubule proximal rénal se fait
par voie transcellulaire essentiellement et comprend deux étapes : l’entrée du phosphate dans la cellule au pôle apical puis sa sortie au pôle basolatéral. L’étape
110
D. PRIÉ ET COLL.
apicale est l’étape limitante de la réabsorption et nécessite de l’énergie. En effet,
bien que la concentration de phosphate soit moins importante dans la cellule que
dans l’urine primitive, le potentiel de membrane négatif du côté cytoplasmique
s’oppose à l’entrée d’anions, et le phosphate intracellulaire se trouve en fait audessus de sa concentration d’équilibre [10, 11]. Seuls les mécanismes d’entrée du
phosphate dans la cellule sont connus et sont présentés ici. La sortie du phosphate
au pôle basolatéral est un phénomène qui ne consomme pas d’énergie, les transporteurs éventuellement impliqués sont inconnus. Différents transporteurs de
phosphate ont été décrits dans le tubule proximal, tous utilisent le gradient de
sodium comme source d’énergie.
Transporteur NPT2a
Le rôle central de cette molécule dans la régulation de l’homéostasie du phosphate a pu être établi grâce à de nombreuses expériences in vitro et in vivo [10, 11].
La bonne affinité de la protéine NPT2a pour le phosphate et ses caractéristiques
stoechiométriques sont compatibles avec les caractéristiques du transport de phosphate mesuré dans des bordures en brosse rénales [12]. Des études de modélisations confirmées par des expériences d’identification d’épitopes ont permis de
préciser la structure de cette protéine. Elle présente 8 domaines transmembranaires,
les extrémités amino- et carboxy-terminales étant situées dans le cytoplasme cellulaire (fig. 1). Différents sites de régulation ont également été identifiés sur cette
protéine. Le transporteur NPT2a est rhéogénique, c’est-à-dire qu’il induit la création d’un courant proportionnel à son activité. Cela est dû au fait qu’il transporte
3 ions Na+ et un ion HPO42– à chaque cycle [12].
L’activité de ce transporteur est contrôlée par l’hormone parathyroïdienne
(PTH) qui induit une diminution d’expression de la protéine NPT2a dans la bordure en brosse des cellules tubulaires proximales. À l’opposé, la parathyroïdectomie entraîne une augmentation de l’expression membranaire de ce transporteur.
La PTH ne modifie pas la transcription du gène NPT2a [10, 11].
Au cours d’un régime pauvre en phosphate, on observe une augmentation de
l’expression rénale de ce transporteur [13].
Enfin l’étude du phénotype d’une lignée de souris dont le gène NPT2a a été
invalidé à permis de préciser le rôle du NPT2a. À l’état homozygote, ces souris
présentent en effet une hypophosphatémie, une augmentation de l’excrétion
rénale de phosphate et de calcium, une augmentation de la concentration plasmatique de calcitriol, des anomalies de minéralisation osseuse et des lithiases
rénales calciques. À l’état hétérozygote, ces anomalies se limitent à une augmentation de l’excrétion urinaire de phosphate et de la concentration sérique de
calcitriol [8, 14].
Transporteur NPT2c
Ce transporteur de phosphate a été isolé plus récemment, ses caractéristiques
sont donc moins bien connues. Son activité n’est pas modifiée par la PTH. Son
expression est importante chez le jeune rat puis diminue à l’âge adulte. Contrairement au NPT2a, ce cotransporteur est électroneutre, il transporte autant de
charges positives que de charges négatives [15].
LITHIASES RÉNALES ET DÉMINÉRALISATION OSSEUSE
111
FIG. 1. — Représentation schématique de la structure du cotransporteur rénal NPT2a chez
l’homme. Les boucles impliquées dans la régulation par le pH ou la PTH sont indiquées
en grisé ainsi que le domaine de liaison avec les domaines PDZ. Les acides aminés pour
lesquels des mutations ont été décrites sont indiqués en gris et noir.
Transporteur NPT2b
Ce transporteur est exprimé dans l’intestin mais pas dans le rein [16], ses caractéristiques ne seront donc pas détaillées ici. L’expression de ce transporteur est
augmentée par le calcitriol et le régime pauvre en phosphate [17-19].
Transporteur NPT1
Il s’agit du premier transporteur de phosphate cloné dans le rein. Son activité
est insensible à la PTH et aux apports digestifs en phosphate [20]. En plus du
phosphate, il semble que le NPT1 puisse transporter d’autres molécules comme
des anions organiques (le para-amino-hippurate par exemple) [21, 22]. L’absence
de modèle de souris invalidées pour ce gène ne permet pas de connaître avec précision la place de transporteur dans la réabsorption rénale de phosphate.
112
D. PRIÉ ET COLL.
IMPLICATIONS DES TRANSPORTEURS RÉNAUX
DU PHOSPHATE EN PATHOLOGIE
À partir des données cliniques et physiologiques exposées ci-dessus, nous avons
choisi deux gènes candidats susceptibles de contenir des mutations chez nos
patients : les gènes codant pour le NPT2a et le NPT1.
Nous avons sélectionné 20 patients, 13 hommes et 7 femmes, présentant une
diminution du TmPi/DFG et une hypophosphatémie sans anomalie de la fonction
parathyroïdienne et avec une calcémie ionisée plasmatique normale. Le phénotype
attendu de ces patients devrait être proche de celui des souris invalidées pour le
cotransporteur NPT2a.
Parmi ces 20 patients, nous avons isolé 2 mutations à l’état hétérozygote chez
deux sujets non reliés génétiquement [23]. Une mutation modifiant l’alanine en
position 48 en une phénylalanine (A48F) a été isolée chez un homme faisant des
lithiases rénales à répétition et présentant une baisse modérée de la minéralisation
osseuse lombaire. L’acide aminé modifié se trouve dans le domaine aminoterminal
intracytoplasmique de la protéine. Nous avons identifié une autre mutation modifiant la valine en position 147 en une méthionine (V147M) chez une femme présentant une déminéralisation osseuse sévère. Cette mutation touche un acide aminé
situé dans le second domaine transmembranaire. La fille et deux des petites filles
de cette patiente sont porteuses de la même mutation et présentent une diminution
de leur minéralisation osseuse. Nous n’avons pas retrouvé ces mutations dans un
panel de sujets contrôles. La comparaison des séquences du NPT2a clonées dans
différentes espèces montre que les deux acides aminés mutés sont conservés au
cours de l’évolution ce qui suggère qu’ils jouent un rôle important dans la fonction
du transporteur.
ÉTUDE DES CONSÉQUENCES FONCTIONNELLES
DES MUTATIONS DU NPT2a CHEZ L’HOMME
Afin d’apprécier les conséquences de ces mutations sur la fonction de la protéine
NPT2a, nous les avons introduites dans l’ARN messager (ARNm) codant pour le
NPT2a et nous avons injecté l’ARNm sauvage ou les ARNm mutés dans des œufs
de Xénope. Dans ce système d’expression, nous avons mesuré le transport de phosphate marqué au 32P et le courant induit par la présence de phosphate dans le milieu
extracellulaire. Ces deux méthodes de mesure montrent une diminution concordante de l’activité du cotransporteur NPT2a lorsqu’il est porteur d’une des mutations par comparaison avec la protéine sauvage. Cette diminution d’activité
persiste à toutes les concentrations d’ARNm que nous avons testées. La comparaison des résultats d’électrophysiologie, de transport de phosphate marqué et
l’étude de l’influence de la concentration extracellulaire de phosphate sur ces paramètres suggèrent que ces mutations diminuent l’affinité du transporteur pour le
phosphate sans modifier sa stoechiométrie [23].
Comme nous l’avons souligné précédemment les deux mutations que nous
avons identifiées sont présentes à l’état hétérozygote chez les patients qui ont tous
cependant une diminution significative de la capacité de leur rein à réabsorber le
113
LITHIASES RÉNALES ET DÉMINÉRALISATION OSSEUSE
phosphate. Nous avons donc recherché si les protéines mutées pouvaient exercer
un effet dominant négatif sur le transporteur sauvage. Pour tester cette hypothèse
nous avons co-injecté des ARNm sauvages et porteurs d’une mutation dans des
œufs de Xénope et nous avons mesuré le courant induit par le transport de phosphate. Ces expériences montrent que le transport de phosphate est plus faible dans
les œufs de Xénope coexprimant les protéines sauvages et mutées que dans ceux
exprimant la protéine sauvage seule (fig. 2). Cet effet dominant négatif pourrait
indiquer que le transporteur NPT2a fonctionne comme un multimère. Les données
de la littérature sur ce sujet sont peu nombreuses et contradictoires [24, 25].
L’effet dominant négatif peut également impliquer une étape limitante dans
l’adressage du NPT2a (l’entrée en compétition avec une molécule tierce par
exemple).
L’analyse des résultats montre également que la mutation A48F, exprimée seule
ou avec l’ARNm sauvage, entraîne un défaut fonctionnel plus sévère que la mutation V147M [23]. Cette constatation est en accord avec l’analyse du phénotype
des patients. Les anomalies biologiques observées chez le patient porteur de la
mutation A48F sont plus prononcées que celles présentées par les patientes porteuses de la mutation V147M (fig. 3).
– 20
– 18
– 16
Ip nA
– 14
– 12
#
– 10
#
–8
*
–6
–4
ARN / oocyte
–2
0
WT
20 ng
10 ng
0
0
10 ng
10 ng
V147M
0
0
10 ng
0
10 ng
0
A48F
0
0
0
10 ng
0
10 ng
FIG. 2. — Mesure du courant induit par la présence de phosphate dans des œufs de Xénopes
injectés avec de l’ARNm codant pour le NPT2a. Les œufs ont été injectés avec un seul
type d’ARN, sauvage ou muté, ou avec les deux simultanément pour rechercher un effet
dominant négatif. Les barres au-dessus des deux colonnes de droite représentent les
valeurs de courant attendues en absence d’interaction entre les protéines sauvages et
mutées. # p < 0,001 par rapport à 20 ng d’ARN sauvage et aux valeurs théoriques attendues. * p < 0,001 par rapport à 10 ng d’ARN sauvage. WT = ARN sauvage.
114
D. PRIÉ ET COLL.
0,52
1,24
0,8
0,7
0,6
1,22
1,20
1,18
1,16
1,14
0
0
0
60
1,4
70
40
30
20
10
0
1
0,6
0,2
0
Calcitriol sérique (ngl/l)
0,5
[Ca/creat]urinaire (mmol/mmol)
0,40
50
PTH sérique (ng/l)
1,26
Calcémie ionisée (mmol/l)
0,64
1,40
Phosphatémie (mmol/l)
TmPi/DFG
1,40
60
50
40
30
0
FIG. 3. — Principales données biologiques des patients ayant une mutation dans le gène
codant pour NPT2a (cercles gris et noirs) comparées à celles recueillies chez des patients
ayant une fuite rénale de phosphate sans mutation retrouvée du NPT2a (cercles blancs).
ANALYSE DU PHÉNOTYPE DES PATIENTS PORTEURS
D’UNE MUTATION DE NPT2a
Les patients présentent une diminution du TmPi/DFG, une hypophosphatémie,
une hypercalciurie, une calcémie et une concentration sérique de PTH normales,
une augmentation du calcitriol plasmatique.
LITHIASES RÉNALES ET DÉMINÉRALISATION OSSEUSE
115
Ces anomalies sont « cohérentes » avec ce que l’on connaît du métabolisme
phosphocalcique chez l’homme. L’hypophosphatémie induit normalement une augmentation de l’activité de la 1-alpha-hydroxylase rénale ce qui augmente la concentration de calcitriol plasmatique [26]. Le calcitriol stimule l’absorption digestive de
phosphate et de calcium générant ainsi une hypercalciurie d’absorption.
Le phénotype clinique des patients est plus complexe. Les sujets porteurs de la
mutation V147M présentent principalement une déminéralisation osseuse alors
que le sujet porteur de la mutation A48F présente essentiellement des lithiases
rénales calciques à répétition, la baisse de minéralisation osseuse étant peu
importante. Plusieurs hypothèses peuvent être faites concernant ces différences.
La nature de la mutation elle-même pourrait être en cause, on sait en effet que
le transporteur NPT2a est exprimé dans les ostéoclastes [27]. Les conséquences
fonctionnelles des deux mutations pourraient donc différer suivant le type et l’environnement cellulaires.
Il est possible que les conséquences d’une fuite rénale de phosphate puissent
être influencées par le sexe. Nous avons observé les déminéralisations chez la
femme et les lithiases rénales chez l’homme, mais le nombre de patients est trop
faible pour que nous puissions tirer des conclusions.
Enfin il est possible que d’autres gènes modificateurs interviennent dans le
phénotype de ces patients.
VERS LA RECHERCHE DE MUTATIONS
DANS D’AUTRES GÈNES
La majorité des patients que nous avons explorés ne sont pas porteurs de mutations
dans la partie codante du gène NPT2a, pourtant leur phénotype est similaire à celui
des patients présentant une mutation du NPT2a. Différents auteurs ont recherché
sans succès des mutations du NPT2a dans des familles présentant un rachitisme
hypophosphatémique autosomique récessif (ADHR) [28, 29]. Tous ces éléments
suggèrent que d’autres gènes sont probablement impliqués dans la survenue de fuites
rénales de phosphate. Plusieurs gènes peuvent être considérés comme candidat.
Nous avons recherché des mutations dans le gène NPT1 dont les caractéristiques
ont été présentées ci-dessus. Nous avons retenu ce gène car les souris invalidées
pour le gène codant pour le facteur de transcription Hepatocyte Nuclear Factor 1
alpha (HNF1 alpha) présentent une fuite rénale de phosphate et une diminution
de l’expression du NPT1. Nous n’avons pas trouvé de modifications d’acides aminés
associées à une fuite rénale de phosphate chez nos patients.
En dehors des différents transporteurs rénaux cités précédemment des mutations
touchant des molécules régulant l’activité des transporteurs pourraient être responsables d’un défaut de réabsorption rénale de phosphate.
L’existence de mutations activatrices du récepteur de la PTH sont peu probables.
De telles mutations ont déjà été isolées et donnent des phénotypes sévères. Nous
avons recherché sans succès une modification du récepteur PTH dont les conséquences fonctionnelles attendues pouvaient être compatibles avec le phénotype de
nos patients.
Le Fibroblast Growth Factor 23 (FGF23) et le secreted Frizzled Related
Protein 4 (sFRP4) sont deux protéines qui ont récemment été isolées et dont on a
116
D. PRIÉ ET COLL.
montré qu’elles inhibaient le transporteur rénal NPT2a [30-32]. Cependant leur
surexpression inhibe également l’expression de la 1-alpha-hydroxylase ce qui rend
peu vraisemblable l’implication de ces protéines pour expliquer le phénotype de
nos patients.
Le cotransporteur NPT2a interagit par son extrémité carboxy-terminale avec différentes protéines contenant des domaines PDZ : les protéines NHERF, PDZK1,
NaPi Cap [33-35], etc. Ces protéines sont connues pour réguler l’activité de
différents transporteurs ou récepteurs hormonaux. L’invalidation du gène codant
pour la protéine PDZK1 n’entraîne pas de fuite rénale de phosphate [36, 37], en
revanche les souris dont le gène codant pour NHERF1 a été invalidé ont un
phénotype proche de celui des souris n’exprimant pas la protéine NPT2a [38]. Cela
s’explique par un défaut d’adressage spécifique du cotranporteur NPT2a à la membrane apicale de la cellule tubulaire proximale. Il a également été montré dans des
systèmes de culture cellulaire que la protéine NHERF2 régule la transduction du
signal du récepteur de la PTH en réponse à cette hormone [39].
CONCLUSION
L’étude du phénotype de patients présentant des lithiases rénales calciques et
une déminéralisation osseuse, et la comparaison à des anomalies observées dans
différents modèles animaux ont permis de mettre en évidence le rôle du dysfonctionnement de la réabsorption rénale de phosphate dans la genèse de ces pathologies. Les connaissances acquises en physiologie à partir de modèles cellulaires
ou d’animaux génétiquement modifiés nous ont permis de sélectionner des gènes
susceptibles d’être modifiés au cours des fuites rénales de phosphate et de la
lithiase rénale calcique. Nous avons isolé des mutations chez l’homme dans le
gène codant pour le transporteur NPT2a, et nous recherchons actuellement des
mutations dans d’autres gènes.
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