La cité des femmes Federico Fellini
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La cité des femmes Federico Fellini
Avril 2006 142 Federico Fellini Voyage au centre du désir Fiche d’analyse de film Marcello MASTROIANNI Ettore MANNI Anna PRUCNAL Bernice STEGERS Donatella DAMIANI Iole SILVANI La cité des femmes ITALIE / FRANCE ���1980 ���Couleurs ���2h14 Scénario Federico FELLINI, Bernadino ZAPPONI avec la collaboration de Brunello RONDI Photographie Giuseppe ROTUNNO Montage Ruggero MASTROIANNI Musique Luis BACALOV L’histoire Dans le wagon d’un train Marcello Snaporaz, un homme d’environ 50 ans, s’est endormi. En face de lui, une femme le regarde tranquillement. Réveillé par les soubresauts du train, il toise de haut en bas la belle inconnue qui le captive par son insistance insolente. La jeune femme se lève. Sans hésitation, il la rejoint dans les toilettes où, en effet, elle s’affirme disponible. Soudain, l’arrêt brutal du train stoppe tout. La femme se ressaisit, descend et s’éloigne dans la campagne. Dépité, Snaporaz descend à son tour et la suit, laissant le train repartir. Plus provocatrice que jamais, l’inconnue semble en même temps s’amuser du comportement puéril de l’homme et finit par le semer en pleine forêt. Egaré, Snaporaz parvient à une propriété nommée «MiraMare» et pénètre dans le hall d’un hôtel entièrement occupé par des femmes. Snaporaz aperçoit deux femmes qui s’embrassent, d’autres dansent ou font du yoga, d’autres encore discutent autour d’idées féministes. Dans ce brouhaha, Snaporaz continue à chercher la femme du train. Bien qu’il reçoive le conseil de partir, il s’avance vers d’autres pièces, tout en feignant d’approuver sur son passage les revendications féminines. Parvenu dans une grande salle où a lieu une sorte de meeting, Snaporaz est tout heureux de reconnaître enfin sa belle inconnue. Mais la femme ne lui prête aucune attention, pas même un sourire. Au contraire, le prenant à parti, elle l’accuse devant l’assemblée d’une quantité de maux et en particulier d’hypocrisie. Snaporaz recule, puis tente de se défendre. Mais les photos prises dans les bois à son insu achèvent de le ridiculiser. Il s’échappe sous les regards hostiles des femmes qui le chassent. Soudain, Snaporaz est interpellé par la voix douce d’une femme qui lui propose son aide. Il a une chance de pouvoir s’échapper à condition qu’il sache faire du patin à glace. Déconcerté par la proposition mais n’ayant guère le choix, Snaporaz se laisse conduire sur une piste de glace par la très sensuelle et maternelle Donatella. Mais à peine commence-t-il à patiner, il est effrayé par l’irruption d’un flot de femmes qui déboulent sur la piste et l’encerclent. Se dirigeant alors vers l’unique issue, il tombe dans un escalier. Une voix moqueuse l’accueille, celle d’une femme qui alimente la chaudière. Inoffensive, cette dernière accepte d’emmener Snaporaz à la gare, en moto. Sur la route de campagne qui les conduit vers la gare, la femme décide soudain de s’arrêter sous prétexte de récupérer des semences dans une serre. En fait, c’est pour assouvir un brûlant désir sexuel qu’elle force Snaporaz à descendre. L’arrivée de sa vieille mère met fin à l’épisode et Snaporaz repart à pied accompagné cette fois-ci d’une jeune fille chargée, elle aussi, de le conduire à la gare. Elle rejoint des copines qui prennent Snaporaz dans leur voiture. En fait, ce petit groupe s’avère rapidement sous l’emprise de la drogue. Leur comportement de plus en plus incontrôlé et bientôt déchaîné, au rythme d’une musique rock et psychédélique épouvante Snaporaz. En pleine nuit, perdu en rase campagne, il s’enfuit et tente d’échapper aux jeunes filles qui le poursuivent. Il atterrit dans l’étrange propriété d’un certain docteur Katzone lui aussi persécuté par les jeunes femmes qui exigent la démolition de sa maison. Le docteur l’accueille chez lui. A l’intérieur, Snaporaz découvre un décor très phallique et plus étonnant encore, une galerie de portraits de femmes - les conquêtes de Katzone - avec en prime une installation sonore permettant d’écouter le cri d’extase de chacune d’elle. Au bout de cette galerie, Snaporaz a la surprise de trouver Elena, son épouse, et de constater que son portrait est aussi affiché dans la galerie. Mais, le temps n’est pas aux explications. Le docteur Katzone les entraîne à rejoindre ses nombreux invités venus faire la fête. Parmi eux, Snaporaz reconnaît la charmante Donatella toujours bienveillante à son égard. Quant à Elena, elle en profite pour déverser tous ses griefs envers son mari qui ne semble guère les prendre au sérieux. En effet, Snaporaz oublie très vite ces fâcheuses récriminations auprès de deux magnifiques danseuses, cadeau envoyé par Katzone, qui l’accompagnent dans sa chambre et le bordent douillettement. Mais les belles créatures se dérobent au dernier moment laissant place à l’arrivée impromptue d’Elena dont l’incandescence hystérique le laisse totalement froid. Snaporaz s’échappe dans un long boyau qui le conduit à un long toboggan sur lequel il glisse voluptueusement vers les souvenirs de son enfance. Ce doux moment se clôt par l’éjection brutale dans une cage qui roule vers une cave où l’attend un tribunal de femmes. Après avoir écouté une litanie d’accusations, Snaporaz est finalement libéré. Mais au dernier moment, plutôt que partir, il choisit de se rendre de l’autre côté du mur, là où il lui sera possible de rencontrer la femme idéale. Snaporaz avance dans un étroit couloir puis escaladant une échelle, il sort à l’air libre et s’envole dans une montgolfière de laquelle il peut enfin contempler l’image idéale de son fantasme féminin. Pistes de réflexion Piste de réflexion «La cité des femmes» se présente comme un voyage onirique à travers lequel Fellini propose un état des lieux de la relation homme-femme mais aussi une exploration de l’inconscient masculin en quête du mystère que représente pour lui la femme. Pour commencer écoutons ce que Fellini a dit sur les femmes : «les femmes… je me sens complètement à leur merci, je ne me sens bien qu’avec elles : elles sont mythes, mystère, différence, fascination, désir de connaissance, regard pour se voir soi-même. Les femmes sont tout.» A la lumière de ces paroles, nous pourrons peut-être mieux interpréter le film. Tout d’abord, si «La cité des femmes» a suscité de vives réactions parmi ses détractrices, il semble difficile d’accuser le réalisateur d’anti-féministe. Certes, il s’amuse de certains propos tenus par les femmes, notamment sur la sexualité et surtout du désaccord qui existe entre elles. Evoquant les années de la «libération féminine», Fellini revisite toutes les tendances ayant fleuries à cette époque. Il donne ainsi librecours à tous les discours qui ont prévalu à cette époque aboutissant à un chaos, figure typique de son cinéma. Mais il n’est pas moins moqueur à l’encontre de son personnage masculin Marcello Snaporaz qui incarne presque à lui seul la condition de l’homme. Marcello est ridicule lorsqu’il suit l’inconnue dans le train et dans la forêt. Il se montre tour à tour goujat, grossier, frivole, lâche et hypocrite notamment envers sa femme Elena. Fellini procède donc plutôt à une mise dos-àdos des responsabilités qui incombe à chacun. Hommes et femmes ont la même difficulté à être à l’écoute de leurs différences respectives et ont la même propension à ne voir en l’autre que l’objet de leur désir. Pour Marcello le sommet de ce comportement est atteint lorsqu’il avance en frétillant dans la galerie de portraits qui rassemble les multiples conquêtes du Docteur Katzone ; pour Elena lorsqu’elle fait brusquement irruption dans la chambre de son mari et nonobstant l’indifférence de celui-ci, elle le chevauche en laissant libre court à son désir paroxystique. Si chez Antonioni, l’homme est souvent accusé de tout déformer et de tout salir, il semble plutôt chez Fellini que l’homme et la femme soient dans une attitude d’incompréhension l’un vis-à-vis de l’autre faute d’une écoute suffisante et d’une réelle curiosité à se connaître. Quoiqu’il en soit, le regard de Fellini envers l’un et l’autre est toujours plein d’humour et de tendresse. Comme dans la plupart de ses films, nous retrouvons les nombreux portraits de femmes sujets de fascination pour le réalisateur. L’épouse, tragique et hystérique, toujours malheureuse et délaissée, pleine de reproches envers son mari. Elle s’est affranchie en prenant un amant mais n’en continue pas moins à harceler Marcello. Le monstre, celle qui alimente la chaudière, dont l’ombre se fait menaçante. Plus tard, son désir a quelque chose de monstrueux lorsqu’elle montre ses gros seins à Marcello et l’oblige à les embrasser. Nous la retrouvons ensuite en agent de police nymphomane. La mère, sous les traits de Donatella qui apparaît très protectrice avec sa poitrine sensuelle et généreuse. C’est elle qui aide Marcello en l’attirant dans l’ascenseur, qui le borde dans son lit en forme d’une coquille qui nous renvoie à la mer, à nos plus lointaines origines. Et comme souvent dans l’univers fellinien, la relation à la mère est très équivoque. En effet, Donatella est aussi très sexy dans son costume de danseuse qui la rapproche de la putain. Ainsi, à travers elle, le réalisateur nous dit toute l’ambiguïté du désir qui travaille l’homme en profondeur, l’amour de la mère et une mystérieuse attirance vers la putain. Enfin, il y a la grand-mère qui sauve Marcello de la nymphomane. Domestique de Katzone, elle incarne une certaine sagesse. Et pour finir, la belle inconnue du train, femme fatale, inaccessible, elle est celle qui va mettre Marcello en marche, en quête de son idéal féminin. En fait, toutes ces femmes vont tour à tour lui permettre de s’acheminer vers les profondeurs de son désir afin de mieux le connaître. Ainsi le rêve de Marcello se révèle être un parcours initiatique et psychanalytique, sous la forme d’une longue divagation dans un univers labyrinthique. Une constante dans l’œuvre de Fellini. La première étape passe par la nécessité de se perdre. Elle s’effectue par la traversée d’une forêt, symbole de l’égarement, de la perte d’identité comme de nombreux contes l’ont si souvent mis en évidence. à une autre révélation. Double psychotique de Marcello, son machisme ne fait que masquer l’amour absolu qu’il voue à sa mère et dont il est prisonnier. Marcello le regarde embrasser le buste de sa mère érigé à l’entrée de la galerie érotique, puis se regarde dans le miroir. Ne serait-il pas semblable au docteur ? Ensuite, Snaporaz arrive à l’hôtel Miramare, temple de la femme. Véritable magma humain, où la femme s’y révèle sous ses visages multiples, ses oppositions et ses contradictions et au milieu duquel les voix se superposant les unes aux autres deviennent à peine audibles, et finissent par ne plus former qu’un chant cacophonique. Dans ce magma, Marcello achève de se perdre. Mais en même temps il lui donne l’occasion de se voir tel qu’il est. En effet, nous assistons à un véritable dévoilement en public lorsque la femme du train l’oblige à se regarder dans le miroir des photos qu’elle a prises. Honteux et furieux, Marcello quitte l’assemblée. Dès lors, il s’achemine vers une autre étape, l’épreuve du feu. Elle nous est signifiée par les tambours et la cracheuse de feu qui clôturent cette séquence. Peut-être le conduira-t-elle vers une purification. La régression vers l’enfance se poursuit. L’image de Marcello tenant une bougie et montant l’escalier derrière Donatella, rappelle celle d’un communiant. De même lorsqu’il est emmitouflé dans son lit, la blancheur et la douceur de la chambre évoquent un cocon, la chaleur du ventre maternel dans laquelle aime se tenir Snaporaz, tandis que les feuilles de palmier forment une barrière protectrice. Et toujours la présence ambiguë de la mère-putain. Peu après, dans la nudité et la blancheur de la piste de glace Marcello se regarde dans le miroir. Ne serait-il déjà plus sûr de son identité? Telle une mère, Donatella materne l’enfant qu’il semble être soudain redevenu, effrayé par les silhouettes noires qui ont envahi la piste de glace. S’ensuit une chute dans les escaliers. Souvent, il est question de chute, de naufrage, de trou noir chez Fellini, une façon sans doute de se perdre pour mieux se retrouver. En même temps, l’ombre de la femme qui alimente le feu continue de nous transporter vers l’univers de l’enfance et ses fantasmagories. Nous contacter Après l’épreuve de la nuit peuplée de femmes-oiseaux fantomatiques, la rencontre avec le docteur Katzone lui permettra d’accéder Dans le prolongement de ces images, la glissade sur le toboggan, durant laquelle Marcello revisite les souvenirs érotiques de son enfance, apparaît comme un long utérus duquel il est brutalement éjecté dans une cage. Une dernière épreuve attend Snaporaz dans un espace où le temps et les générations se télescopent. De l’antiquité, avec ses arènes et ses lutteurs, à nos jours, avec ses stades ou ses tribunes de spectacles, le combat de l’homme pour s’affranchir est toujours le même. Courageusement, Marcello franchit la dernière étape qui le conduit à monter dans le panier d’une montgolfière tenue par une immense poupée gonflable, mi-madonne mi-putain, au faux air de Donatella. Tel un oisillon dans son nid maintenu sous l’étroite surveillance de sa mère. Soudain, une femme terroriste mitraille la montgolfière, geste ultime de libération. Snaporaz peut alors se réveiller. Son voyage parmi «La cité des femmes» lui aura permis de comprendre l’image qui le hantait et d’en sourire. Christine FILLETTE U n r é s e a u d ’ am i s r é u n i s p a r l a p a s s i o n d u c i n é m a 6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE Tel/Fax : 04 91 85 07 17 E - mail : [email protected]