roman - Lettres québécoises

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roman - Lettres québécoises
lettres québécoises
revue fondée en 1976
FONDATEUR: Adrien Thério †
DIRECTEUR : André Vanasse
ADJOINT AU DIRECTEUR :
Jean-François Crépeau
COMITÉ DE RÉDACTION :
Jean-François Crépeau, Michel Lord,
Hélène Rioux, André Vanasse
COLLABORATEURS :
DES IMAGES, DES MOTS :
François Cloutier
ESSAI ET ÉTUDES LITTÉRAIRES :
Carlos Bergeron, Michel Gaulin,
Francis Langevin, Claudine Potvin
LITTÉRATURE ET SPORT : Renald Bérubé
POÉSIE : Hugues Corriveau,
Rachel Leclerc, Jacques Paquin
lettres québécoises
entrevue • Louise Cotnoir : un appel à la lumière
ROMAN : André Brochu, Normand Cazelais,
Hugues Corriveau, Jean-François Crépeau,
Marie-Michèle Giguère, Hélène Rioux
RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ :
Michèle Vanasse
DIRECTION ARTISTIQUE :
Alexandre Vanasse • ZIRVAL design
RESPONSABLE DE LA PRODUCTION :
Michèle Vanasse
Lettres québécoises est une revue trimestrielle
publiée en février, mai, août et novembre
par Lettres québécoises inc.
La revue est subventionnée par le Conseil des Arts du
Canada (CAC), le Conseil des arts de Montréal (CAM)
et par le Conseil des arts et des lettres du Québec
(CALQ). «Nous reconnaissons l'aide financière accordée par le gouvernement du Canada pour nos coûts
d'envoi postal, nos coûts de production et nos dépenses rédactionnelles par l'entremise du Programme
d'aide aux publications et du Fonds du Canada pour
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Lettres québécoises est répertoriée dans Point de repère,
MLA International Bibliography et L’Index des périodiques canadiens et est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois
(SODEP). [email protected] • www.sodep.qc.ca
Les collaborateurs de Lettres québécoises
sont entièrement responsables des idées
et des opinions exprimées dans leurs articles.
Louise Cotnoir, trente ans de publications, tout un
parcours! Celui d’une écriture que je qualifierais de
dense, d’intense, dans laquelle il est possible d’apercevoir plusieurs niveaux de lecture. J’ai vu, pour ma
part, ce trajet à l’image d’une spirale en continuelle
évolution où chaque livre semble renouer avec une
douleur des profondeurs, que finissent toujours par
contrebalancer un désir de vivre, un appel vers la
conscience d’être.
LOUISE COTNOIR
dossier • Du conte au slam, les mots qu’on se dit
À une époque où l’identité se vit comme une crise pour une nation qui plonge ses
racines dans le terreau riche d’une tradition orale, une redécouverte de l’oralité
était sans doute tout indiquée. Au détour du siècle, nous avons assisté à ce que plusieurs ont appelé «un renouveau du conte», entre autres porté par un petit gars de
la Mauricie, belle surprise issue du village de Saint-Élie-de-Caxton, un certain Fred
Pellerin. Mais n’est-ce pas toute l’oralité qui a repris l’avant-scène? Un phénomène
qui dépasse nos frontières, certes, mais qui prend ses teintes propres au Québec.
Entre le renouveau du conte et les résistantes soirées de poésie, l’avènement du
slam et les pratiques hybrides, l’oralité interpelle un public de plus en plus grand.
traduction • Correspondance à sens unique
PAGE 30
Sidéré, et profondément blessé, par le mépris que Stephen Harper, premier
ministre du Canada, semblait témoigner à la culture en général et à la littérature en particulier, Yann Martel a décidé de lui envoyer une lettre toutes les
deux semaines, et ce, depuis le 16 avril 2007. Dans chaque lettre, il commente
le livre qu’il lui fait parvenir dans le même envoi. Le premier ministre, hélas,
ne répond pas.
YA N N M A R T E L
INFOGRAPHIE :
Alexandre Vanasse/ZIRVAL design
PA R Y VO N PA R É
Numéro ISSN : 0382-084X
Envoi de Poste-publications no 41868016
Enregistrement PAP no 08959 • mai 2010
FRED PELLERIN
PA R H É L È N E R I O U X
récit • Roland Bourneuf réinvente le présent
PHOTO DE LA PAGE COUVERTURE :
Alexis K. Laflamme
PAGE 14
PA R J E A N - F R A N Ç O I S CA R O N
DISTRIBUTION : LMPI
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Tél. : 514.355.56.74 • Téléc. : 514.355.56.76
Courriel : [email protected]
IMPRESSION : Marquis
PAGE 6
PA R A N N I E M O L I N VA S S E U R
RÉCIT ET NOUVELLE :
Sébastien Lavoie, Michel Lord, Yvon Paré
REVUES : Carlos Bergeron
NUMÉRO 138
été 2010
Arnaud Bermane est retrouvé mort sur la grève. Dans son sac à dos, des carnets et un passeport. Rien d’autre! Catherine reconnaît son père dans l’entrefilet du journal. Ces carnets racontent les voyages d’Arnaud, s’attardent à ses
réflexions et à ses errances. Par l’écriture, il remet en question sa vie et son
passé. C’est peut-être la seule voix qui le berçait quand il s’arrêtait après une
journée de marche ou de travail. Celle qui s’imposait quand il inventait des
mondes à partir de ses figurines.
PAGE 32
ROLAND BOURNEUF
lettres québécoises • C.P. 48058, succursale Bernard, Montréal (Québec) H2V 4S8 • Téléphone : 1-866-992-0637
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lettres québécoises • été 2010 •
1
sommaire
NUMÉRO 138
été 2010
ÉDITORIAL
AUPORTRAIT
ENTREVUE
PROFIL
DOSSIER
ROMAN
PAT R I C K
DROLET
FRANCE
D U CA S S E
POLAR
PRÉSENTATION
TRADUCTION
RÉCIT
NOUVELLE
HÉLÈNE
H A R B EC
POÉSIE
LUC
LAROCHELLE
PRÉSENTATION
ÉTUDES LITTÉRAIRES
ESSAI
MICHEL
LO R D
DES IMAGES, DES MOTS
LES REVUES EN REVUE
ALICE
MUNRO
ÉVÉNEMENT
NOUS ONT QUITTÉS
INFORMATIONS EXPRESS
COUP DE CŒUR
LIVRES EN FORMAT POCHE
DITS ET FAITS
PRIX ET DISTINCTIONS
PIERRE
NEPVEU
LIVRES REÇUS
INDEX
PROCHAIN NUMÉRO
ANTHONY
PHELPS
2 • lettres québécoises • été 2010
Le projet « Érudit », André Vanasse, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3
Gauchère de naissance, Louise Cotnoir, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5
Louise Cotnoir : un appel à la lumière, Annie Molin Vasseur, . . . . . . . . . . . . . . . p. 6
Les nouvelles de Louise Cotnoir : une esthétique de la déambulation,
Christiane Lahaie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 10
L’invention de l’écriture, Claudine Potvin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11
Du conte au slam, les mots qu’on se dit, Jean-François Caron, . . . . . . . . . . . . . p. 14
Gilles Archambault, Danielle Dumais, André Brochu, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19
France Ducasse, Patrick Nicol, Pierre Samson, Hugues Corriveau, . . . . . . . . . p. 21
Nelly Arcan, Myriam Beaudoin, Maryse Latendresse,
Jean-François Crépeau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 23
Patrick Drolet, Marie-Noëlle Gagnon, Benoît Quessy,
Marie-Michèle Giguère, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25
Jean-Jacques Pelletier, Jean Lemieux, Normand Cazelais, . . . . . . . . . . . . . . . . p. 27
Scott Symons, Hélène Rioux, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29
Alice Munro, Yann Martel, Miguel Almeyda Morales, Hélène Rioux, . . . . . . . p. 30
Roland Bourneuf, Hélène Harbec, Bïa Krieger, Yvon Paré, . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32
Maurice Henrie, Luc LaRochelle, Claudine Dugué, Sébastien Lavoie, . . . . . . . p. 34
Louise Cotnoir, Diane-Monique Daviau, Anthony Phelps, Michel Lord, . . . . . p. 36
Élisabeth Vonarburg, Danielle Fournier, Paul Chamberland,
Hugues Corriveau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 38
Pierre Nepveu, Bernard Pozier, Réjean Thomas, Rachel Leclerc, . . . . . . . . . . . p. 40
Lyne Richard, Jean Désy, Jean Yves Collette et Michel Gay,
Jacques Paquin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 42
Michel Lord, Michel Gaulin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 44
Gilles Marcotte, Michel Gaulin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 45
Marie-Andrée Beaudet et coll., Claude Lévesque, Yuho Chang,
Claudine Potvin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46
Nicolas Lévesque, Pierre Joncas, Marie-Paule Villeneuve,
Carlos Bergeron, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 49
Jean-François Nadeau, Jean-Claude Germain, Saïd Khalil,
Renald Bérubé, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 51
Michel Rabagliati, Philippe Girard, Pascal Colpron, François Cloutier, . . . . . . p. 54
Alibis, Art Le Sabord, Liaison, Québec français, Carlos Bergeron, . . . . . . . . . . p. 56
Et toutes ses dents, Sébastien Lavoie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 61
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Prix littéraire des collégiens, André Vanasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 63
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 66
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éditorial
A N D R É VA N A S S E
Le projet
« Érudit »
Il y a plus d’une décennie, les revues scientifiques ont décidé
de ne plus imprimer les résultats de leurs recherches en
version papier. Elles ont choisi la numérisation. Puis les revues
savantes du secteur des sciences humaines ont emboîté le
pas. Maintenant, c’est au tour des revues culturelles de le
faire.
ans le cadre de son mandat qui est de promouvoir les revues culturelles québécoises, la SODEP a jugé qu’il était temps que les revues
membres de cette association montent dans l’astronef qu’est Internet
et qu’elles puissent bénéficier du support informatique pour la diffusion du
contenu numérique.
D
Le projet, qui avait fait l’objet d’une étude auparavant, a été déposé en mai 2009
et subventionné par Patrimoine Canada. La quasi-totalité des membres de la
SODEP a décidé de s’engager dans le projet. En fait, vingt-sept revues ont choisi
d’y participer, alors que sept autres en faisaient déjà partie. Au total donc, des
quarante-quatre revues susceptibles d’être intéressées par le projet, trentequatre ont jugé que le jeu en valait la
chandelle.
« Avant d’approcher des fournisseurs,
nous a confié Nadia Roy, responsable de
la promotion et des communications, la
SODEP a évalué ses besoins compte tenu
du nombre de membres et de leurs collections (nombre de numéros publiés
depuis la fondation). La SODEP a déterminé que les membres avaient publié
4 950 numéros, environ 110 000 articles, soit 520 000 pages ! » C’est énorme et
c’est surtout un trésor culturel inestimable qui sera très bientôt disponible
dans Internet pour tous les abonnés.
C’est le groupe Érudit qui a été choisi pour numériser tous les numéros des
revues qui participent au projet. Ce groupe acceptait de prendre sous son aile
toutes les revues participantes, ce qui n’était pas le cas des autres — notamment
BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) — et, de surcroît, Érudit
avait déjà une longue expertise dans le domaine et une liste de 200 clients institutionnels au Québec et à l’étranger. En outre, le groupe Érudit fonctionne entièrement en français contrairement à certains fournisseurs.
POURQUOI NUMÉRISER ?
La numérisation comporte plusieurs avantages et non des moindres.
Dans un premier temps, les revues numérisées diminuent grandement le coût de
l’entreposage. Plus besoin de conserver des centaines de numéros de revues
puisqu’elles sont accessibles sur support électronique. Bien sûr, il faut tenir
compte des collectionneurs qui voudraient compléter leur collection, mais ces
gens-là sont peu nombreux. En fait, Lettres québécoises offre la collection complète de la revue depuis une décennie ou même plus. Des acheteurs, il y en a,
mais ils se comptent sur les doigts de la main si on fait le calcul sur une base
annuelle.
L’autre avantage, et sans doute le plus important, est que les abonnés institutionnels au format électronique pourront faire des recherches par thème ou
par mot clé dans l’ensemble des numéros produits. Par ailleurs, les revues ellesmêmes pourront offrir les mêmes avantages à leurs abonnés privés. Ces abonnements seront gérés par les revues ou la SODEP (pour les revues qui lui en
auront confié la gestion). Il s’agit d’un avantage énorme pour les chercheurs, les
étudiants ou les simples amateurs parce qu’ils n’auront pas à feuilleter chaque
numéro pour en connaître le contenu. Un clic sur Dany Laferrière par exemple
et l’abonné aura accès à toutes les occurrences qui le concernent. Voilà un instrument de recherche extrêmement appréciable puisque l’abonné institutionnel
comme le privé auront non seulement accès rapidement à la référence, mais au
texte lui-même.
Le troisième avantage est aussi de taille. L’envoi d’un abonnement par Internet
ne comporte aucuns frais de poste. Bien sûr, il y a l’entrée des données, mais le
coût en est moindre que lorsqu’on emballe une revue et qu’on la met à la poste.
À vrai dire, l’économie est importante si l’on prend en considération l’envoi
postal à l’étranger.
A -T- O N D R O I T À U N E C O M P E N S AT I O N ?
On nous dira : « C’est bien beau, mais un abonnement institutionnel donne
accès à la revue à des milliers d’étudiants, n’est-ce pas une perte pour l’éditeur?»
Le fait est qu’il faudrait sans doute que soit créé un volet spécial pour la consultation des revues dans les bibliothèques. La Commission du droit de prêt public
(CDPP) donne une compensation aux auteurs pour l’utilisation de leurs œuvres
faite en bibliothèque. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose pour les revues?
La question vaut la peine d’être posée et le fait est
qu’elle a été posée par Francine Bergeron, directrice de
la SODEP, dès la mise en place du projet. Et si on avait
gain de cause, on pourrait augmenter la rétribution
accordée aux chroniqueurs.
Quoi qu’il en soit, les revues étaient de toute façon
consultées lorsqu’elles étaient disponibles en format
papier. Sans doute ne le seront-elles plus autant à cause
de la rapidité et de la facilité d’accès sous format numérique, mais c’est un
moindre mal.
REJOINDRE UN NOUVEAU PUBLIC
Un autre aspect positif à la numérisation des revues culturelles est que ce changement pourrait avoir un effet bénéfique sur nos abonnements. Actuellement, les
abonnés des revues culturelles appartiennent au groupe d’âge des cinquante ans
et plus. C’est en tout cas ce que révélait une étude de marché faite en 2003 par
l’Institut national de recherche scientifique (INRS) pour cinq revues culturelles
québécoises (Art Le Sabord, Cahiers de théâtre Jeu, CV photo, Espace culture et
Lettres québécoises). Ce résultat, même s’il semble surprenant, correspond à ce
qu’on sait déjà, à savoir que ce groupe d’âge est à l’aise financièrement, connaît
ses goûts et veut recevoir sa revue chez lui.
Or, la possibilité de s’abonner à la version électronique (avec moteur de
recherche) pourrait séduire non seulement le groupe des cinquante ans et plus,
mais plus particulièrement le groupe des jeunes qui ne carburent qu’aux iPod et
autres gadgets comme s’ils étaient des prolongations de leurs membres. Ils sont
nés avec un ordinateur portable et un téléphone cellulaire et ne peuvent s’en passer. Si on réussissait à rejoindre une partie de cette clientèle en jouant sur son
propre terrain, ce serait incontestablement une victoire pour nous.
Pour le savoir, il faut essayer. C’est ce que font les membres de la SODEP.
Attendons la suite…
lettres québécoises • été 2010 •
3
LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE VOUS PASSIONNE ?
A B O N N E Z -V O U S À
lettres québécoises
Entrevues, portraits d’auteurs, critiques
et comptes rendus de romans, de recueils
de nouvelles et de poésie, d’essais et plus !
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4 • lettres québécoises • été 2010
•
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autoportrait
LOUISE COTNOIR
Gauchère
de naissance
Est-il si évident que cette histoire
soit la mienne1 ?
ai toujours détesté être photographiée. Alors, écrire un autoportrait…
D’abord, m’asseoir à la table de cuisine : objet domestique, utilitaire.
Puis m’éloigner de ma «chambre à moi», des bibliothèques qui recouvrent presque entièrement les murs de la maison. M’obliger à oublier les mots
des autres. Car il arrive souvent que dans leurs paroles se glissent de mes propres
pensées, ce qui parfois me fait craindre de ne pas me tenir au plus près de la
mienne. Mais je sais fort bien que « l’une ne bouge pas sans l’autre2 ». Enfin,
prendre mon temps, me laisser travailler par des figures, des scènes qui sentent
l’humidité de la cuisine première, les lundis de lavage, ou l’odeur prégnante
des bouillis de novembre. Je cherche ce qui reste vivant en moi, comme un
murmure de mémoires accumulées. De l’ombre à la lumière, des images de ce
« moi » reviennent pour mieux s’inscrire en « elle ».
J’
Un père illettré. Elle étudiera le latin au couvent avec les autres « premières
filles d’ouvriers » à accéder au cours classique, fera un baccalauréat, moitié en
linguistique, moitié en lettres, puis elle fera une maîtrise en Sciences médiévales
pour apprendre l’ancien français ; elle gardera une fascination constante pour
l’origine des mots, perdra souvent la
tête devant les atlas, les encyclopédies,
les dictionnaires… passionnée par les
mots. Elle sera toujours consciente
Botanique, ornithologie,
qu’ils servent à faire exister les choses
cinéma, danse contemporaine,
et surtout les personnes.
théâtre et flâneries dans les musées,
tout me sollicite.
Un frère aîné. Il volait les livres. Alors
qu’elle était adolescente, il lui a ouvert
les univers américains et français, et
surtout certains livres mis à l’Index
qu’elle lira à la chapelle sous la couverture en cuir de son livre de prières…
L’aîné rêvait d’être écrivain. Il passera toute sa vie à noyer son rêve dans l’alcool.
Elle aura longtemps le sentiment de lui avoir volé son destin. Elle aura « un
petit frère » comme Duras. Et huit ans après sa naissance, une petite sœur,
comme Simone de Beauvoir. Au confluent de la rivière Richelieu et du fleuve
Saint-Laurent, elle vivra une enfance heureuse de « garçon manqué ». L’eau lui
servira pour toujours d’engramme.
Treize ans : une révélation douloureuse et une prise de conscience radicale liées
aux premières menstruations. Ces « premières règles », associées dès lors à
toutes les autres, seront imposées à son être-femme, à sa différence. Pour empêcher ce sabotage d’elle-même, elle découvrira des lectures salvatrices venues des
écrivaines de France et des États-Unis. S’ajouteront plus tard les propos des
Québécoises. Toutes ces « paroles de femmes » pour la dire et permettre ainsi sa
venue à l’écriture : « elle a peur bien sûr mais elle aime prendre des risques.
Celui-là est son plus grand3. »
Trente ans déjà en écriture à se colletailler avec les mots, la langue, à tenter de renommer le réel, pour en donner une vision au féminin. Travail de survie, certes.
Travail éthique également parce que son histoire ressemble à celles de tant
d’autres « voleuses de langue4 ». Engagée dans son époque, et engagée envers la
parole des femmes au sein de quelques collectifs : La Nouvelle Barre du Jour,
LOUISE COTNOIR
Arcade, Tessera. Ce présent texte lui donne l’impression de revenir sur ses pas, d’entendre quelqu’un d’autre parler d’« elle ».
Alors, « elle » dit : j’écris au crayon à mine, pour pouvoir effacer,
jamais certaine de ce que j’avance. J’utilise des feuilles quadrillées pour encadrer les idées, pour qu’elles ne s’éparpillent pas. Je me méfie
des mots, de leur duplicité. Gauchère de naissance, j’écris de travers. Surtout de
la poésie, pour le rythme, la « musique des mots ». La musique accompagne
l’écriture de tous mes livres et se retrouve aussi en eux. J’aurais aimé savoir jouer
d’un instrument, j’aurais voulu être chanteuse… La poésie parce qu’elle m’engage à explorer des géographies intérieures qui me lient à celles des autres
humains. Elle me permet de penser « mot à mot », me procure une sensation
étrange de moi et, à la fois, m’oblige à prendre conscience de la précarité de l’humain. C’est une sorte de méditation.
Botanique, ornithologie, cinéma, danse contemporaine, théâtre et flâneries dans
les musées, tout me sollicite. Voyager m’enthousiasme, et mon rêve serait de
vivre, durant six mois, dans chacune des capitales du monde. Ce sont d’ailleurs
les voyages qui m’ont conduite à l’écriture de nouvelles. Il y a une sorte d’adhérence entre mes personnages en état de déstabilisation et l’état dans lequel me
jette parfois l’écriture. Ces histoires « me » traduisent. Car tous les jours, je me
raconte ma vie. Au présent du verbe, dans l’éphémère vivant.
1. Danielle Fournier, effleurés de lumière, Montréal, l’Hexagone, coll. « Écritures », 2009, p. 75.
2. Luce Irigaray, et l’une ne bouge pas sans l’autre, Paris, Minuit, 1979.
3. Louise Cotnoir, L’audace des mains, Montréal, Remue-ménage, 1987, p. 93.
4. Claudine Herrmann, Les voleuses de langue, Paris, Des femmes, 1976.
lettres québécoises • été 2010 •
5
A N N I E M O L I N VA S S E U R
entrevue
Louise Cotnoir :
un appel
à la lumière
Louise Cotnoir, trente ans de publications, tout un parcours !
Celui d’une écriture que je qualifierais de dense, d’intense,
dans laquelle il est possible d’apercevoir plusieurs niveaux de
lecture. J’ai vu, pour ma part, ce trajet à l’image d’une spirale
en continuelle évolution où chaque livre semble renouer
avec une douleur des profondeurs, que finissent toujours
par contrebalancer un désir de vivre, un appel vers la
conscience d’être.
AMV — Si Cendrillon pouvait mourir, livre publié
en 1980, retranscrit une création théâtrale collective.
Que reste-t-il de cet événement après toutes ces
années ?
LC — Cette aventure reste marquante. Pour la première
fois, j’écrivais un texte qui était présenté devant public.
C’est une expérience fondamentale parce qu’elle se situe
à l’intérieur d’un collectif de femmes et que cette pièce a
été publiée par des éditions féministes, à une époque où
ce mouvement était très fort. Pour moi, ce fut le point de
départ de ma signature publique.
AMV — Les années 1980 à 1984 ont été marquées par
votre participation à la revue La Nouvelle Barre du Jour (NBJ) dont vous
étiez codirectrice.
LC — La NBJ m’a aidée à connaître de l’intérieur le monde de l’édition et m’a permis de donner la parole aux femmes. Élise Turcotte, Carole David, Danielle
Fournier et bien d’autres y ont publié parmi leurs premiers textes. C’est une
satisfaction de savoir que le public y a découvert celles qui allaient devenir de
grandes auteures.
AMV — Dans Plusieures, vous semblez privilégier une
démarche analytique par rapport à la langue, au féminisme,
à la lecture du monde. Peut-on dire que cette approche était
avant tout théorique ? On y trouve une langue fragmentée
comme dans d’autres recueils qui suivront. Toute l’intensité
déjà mentionnée avec une descente dans «la géographie des
profondeurs » ?
LC — En effet, dans Plusieures, ajouter un «e» féminin à un pronom indéfini et pluriel, c’était entreprendre un travail acharné
contre cette langue où les femmes sont soumises à des détournements de sens. Par exemple, on dira d’une femme courageuse
et tenace qu’elle a «la tête dure». J’ai voulu redonner aux femmes
l’usage positif du langage, le travailler au corps, si je peux dire. Ce
que j’aborderai également avec Asiles, de façon différente. Je
voulais qu’il parle de moi, du conditionnement qu’on inflige aux
6 • lettres québécoises • été 2010
LOUISE COTNOIR
petites filles à travers lui. C’est de l’écriture avant tout, une
écriture de «monstration».
AMV — En 1984, plusieurs ouvrages paraissent. Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms semblent confirmer deux voies d’écriture: d’une part, la prose
poétique ; d’autre part, la poésie. Dans ce livre sur les
relations épistolaires entre femmes, j’ai relevé cette
phrase : « Qu’est-ce qui me fait mal, là, sur l’écran de
l’imaginaire mâle ? » Un constat douloureux ?
LC — Effectivement, on y trouve deux approches différentes: la prose poétique où
je me suis toujours inscrite et le vers libre. Mais les textes ne sont pas uniquement
douloureux. J’ai voulu valoriser le mode de la correspondance qui a permis pendant des siècles à des femmes de «(s’)écrire, de (se) parler». Dans l’histoire littéraire, on retient, entre autres, madame de Sévigné pour une correspondance
mère-fille. Mon livre pose la problématique de l’écriture au féminin et redonne ses
lettres de noblesse au journal intime et aux diverses formes d’écriture de femmes.
S’y instaurent des échanges silencieux, dus à la distance et à
l’écart, qui permettent la réflexion sur elles-mêmes, leur entourage, leurs conditions de vie. Sont ainsi abordées des questions
féministes, sans avoir l’air d’y toucher.
AMV — En même temps, les références historiques, mythologiques, voire bibliques y sont nombreuses.
LC — Peut-être un besoin d’assises, d’aller chercher des références. Sans doute, l’urgence de dire : « Voilà, je vous donne
vos lettres de noblesse.» Je crois qu’il y a des étapes à franchir
en création avant de s’affranchir. Creuser son univers avant de
trouver sa voix, de parler son lieu. Je voulais qu’on me trouve
crédible. En même temps, la deuxième partie intitulée Les prénoms rend hommage aux femmes qui m’ont inspirée, qui ont
nourri mon travail d’écriture: des femmes d’autres époques ou
des contemporaines.
A N N I E M O L I N VA S S E U R
entrevue
dans sa vision. À cette époque, les
femmes étaient éduquées pour se
marier et avoir des enfants. Il ne pouPour ma part, je refuse, dans mes fictions,
vait pas comprendre que je veuille
de perpétuer le mythe des femmes victimes.
faire des études en littérature médiévale. Il ne parlait pas. Je restais muette
Je cherche à redessiner des figures positives.
quand il mettait son poing sur la
Ce que je vois tous les jours est très loin de ce que
table… Tension est le décor de nos
nous avions imaginé et rêvé, mais nous rêvions
LC — Avec Louky Bersianik, France
colères silencieuses. Mais le biograen fonction de notre réalité.
Théoret, Nicole Brossard, Louise
phique n’est qu’anecdotique. L’imDupré et Gail Scott, on a eu de vraies
portant, c’est la manière dont j’ai
rencontres d’intellectuelles. J’avais
perçu mon père à ce moment-là. Cela
baptisé le groupe « Les cervelles » !
s’est joué symboliquement au plan du
Nous avons écrit des «essais» sur le langage, l’univers fémirapport d’autorité et de pouvoir. Le seul domaine où je pensais
nin, mais nous tenions aux textes de « création » que nous y
être capable de me mesurer à lui était le territoire du savoir.
avons ajoutés. Je viens d’apprendre que le livre est repris, à New
York, par Rachel Levitsky des Éditions Belladonna. Mon texte y
AMV — A-t-il reconnu votre démarche avant de mourir ?
sera traduit par Erica Weitzman. C’est une belle continuité.
LC — J’ai fini par savoir qu’il était content que je réussisse,
AMV — « La sujette d’intérêt » dont vous parlez dans ce
bien qu’il ne me l’ait jamais dit. Il me reste le souvenir d’une
livre, le je / femme dit : « Je ne peux me penser femme que
relation d’amour avec mon père, de beaucoup de moments prédans une intellection fictive du monde. » Est-ce que cette
cieux partagés avec lui. Aimer le vivant, avoir une tête de
évaluation conceptuelle du langage et de l’univers tentait
cochon, cette ténacité que j’ai à écrire, à défendre mes convicde préfigurer un nouveau paradigme ?
tions, cela lui ressemble. Ni jugement, ni pardon, ni condamnation, seulement l’acceptation de ses limites et des miennes.
LC — À mon avis, il n’y a pas eu de métamorphose sociale
mais beaucoup de grandes avancées. Des recherches se pourAMV — Dans L’audace des mains, en 1987, on retrouve
suivent à travers la multiplicité des voix actuelles de femmes. On
«une figure du noir [qui] rassemble des fragments». On trapeut bien sûr s’inquiéter quand on voit certaines jeunes femmes
verse la folie, la mort et, en même temps, on touche à la
penser que tout est gagné, alors que les acquis sont fragiles et
jouissance des femmes.
peuvent être perdus demain. Des préjugés persistent. Les
femmes ont peut-être plus de possibilités, mais tout n’est cerLC — L’audace de vivre, c’est vraiment la thématique de ce
tainement pas «rose». Il y a à peu près le même pourcentage de
livre-là, malgré tout le noir qu’il fallait traverser. Avec le recul, je
femmes qui se questionnent aujourd’hui qu’hier. Ce sont aux
pense qu’il préparait le recueil Comme une chienne à la mort,
jeunes femmes, pour utiliser une expression guerrière, de garces longs textes de prose poétique. Il rejoue le rapport difficile
der le terrain qu’on a conquis de haute lutte, de poursuivre,
à l’univers. D’où peut-être cette couleur noire, là où la
dans leur vie et leurs activités, leurs revendications, de se quesconscience est de plus en plus éveillée à ce qui cerne ce pertionner. Certaines reprennent le flambeau dans le domaine de
sonnage féminin tentant de vivre sa douleur mêlée à la douleur
l’écriture, des arts, du cinéma… Pour ma part, je refuse, dans
du monde afin, sans doute, de la surmonter.
mes fictions, de perpétuer le mythe des femmes victimes. Je
cherche à redessiner des figures positives. Ce que je vois tous les
AMV — Comment comprendre dans votre écriture ces
jours est très loin de ce que nous avions imaginé et rêvé, mais
« douleurs » précisément ? Je me suis demandé si l’auteure
nous rêvions en fonction de notre réalité. Continuer à défendre
voilait des drames indicibles de l’enfance en y greffant les
les valeurs féministes me semble important. Je suis fière d’être
douleurs du monde.
féministe, au sens où l’entendait Virginia Woolf, c’est-à-dire
«quelqu’un qui souffre du traitement réservé aux femmes et
LC — Ce ne sont pas nécessairement les miennes, cela peut
qui plaide leurs droits[, ce qui] apporte dans les écrits de
être celles de toute femme. Il faut établir une distanciation.
femmes un élément totalement absent des écrits des hommes».
C’est une question qui revient souvent à la lecture de mes
Je n’aurais pas pu, je ne pourrais pas être qui je suis, et je n’autextes. Les lecteurs sont persuadés que j’ai dû être battue, viorais sans doute pas écrit si je n’avais pas été et n’étais pas fémilée… ou avoir eu une vie de misère. Non, vraiment pas du
niste.
tout.
AMV — Entre 1984 et 1988, c’est
l’époque des rencontres avec d’autres
écrivaines autour de La théorie, un
dimanche, livre qui sera publié en
1988. Une période où on analyse
l’écriture, les textes de femmes, leur
rapport au vécu.
AMV — Le troisième titre paru en 1984, Tension, marque le
deuil du père. Est-ce que je me trompe si j’y décèle un conflit
avec la figure masculine ?
AMV — Comment alors expliquer cette tourmente intérieure à laquelle vous revenez continuellement dans la spirale dont nous avons parlé ?
LC — Au plan biographique, j’ai eu des relations difficiles avec
mon père. Il représentait l’autorité, mais c’était un homme
illettré et très démuni qui s’expliquait le monde comme il pouvait. Avoir une fille qui voulait faire des études classiques, à
qui il devait acheter de nombreux livres, était problématique
LC — Cela vient peut-être en partie de l’influence du mensonge et du silence de mon milieu. Pendant treize ans, j’ai été
élevée comme mes deux frères. Il semble que j’étais un garçon
manqué, je jouais aux mêmes jeux et ne percevais pas la différence entre être une fille et être un garçon, jusqu’au jour…
lettres québécoises • été 2010 •
7
A N N I E M O L I N VA S S E U R
entrevue
jusqu’à l’âge des menstruations. On m’a fait
croire pendant toutes ces années que j’étais
pleinement un être humain, et je découvrais
soudainement toutes les restrictions réservées à mon sexe.
AMV — Une découverte violente ?
LC — Cela dépend de notre manière de percevoir cette conscience-là. Tout ce que j’ai mis
dans mes livres est à la fois personnel et parle
du destin de toute femme. Le discours
ambiant nous emprisonne dans des rôles stéréotypés. Ce sont les mots qui nous marquent.
AMV — Donc il va falloir s’occuper des
mots ? (rires)
LC — Questions de langage toujours! Sinon,
pourquoi ai-je appris le latin et l’ancien français (je regrette de ne pas avoir appris le
grec)? Sinon, pourquoi écrire?
AMV — Comme une chienne à la mort
(1987) a été pour moi un grand coup de
cœur. Je l’ai perçu comme un livre sur la
douleur de l’enfance, un livre où il n’y
aurait aucune volonté rationnelle de dire,
un livre où l’intuition créatrice coulait.
LC — C’est magnifique qu’il soit vu ainsi !
C’est mon livre le plus lourd de souffrances et, en même temps, son écriture
venait simplement. Il s’est écrit rapidement durant l’été, dans le jaillissement.
J’étais incapable de l’abandonner. Il a été retravaillé, mais c’est comme si l’écriture
avait ramassé tout ce qui l’avait précédé. C’était un souffle. Bien que j’aie essayé,
j’ai été incapable de réécrire un tel recueil. Je me suis demandé dans quel univers
j’étais au moment de cette écriture…
AMV – En 1989 paraît en poésie Signature païenne. Le thème de la mémoire,
qu’on y retrouve souvent, est particulièrement présent avec la figure de la
grand-mère. Les poèmes éclatent dans l’espace. La nécessité formelle de «dire
sans suffocation » ?
LC — C’est un livre bien particulier. Depuis longtemps, je tournais autour de
Laetitia Sigman, la grand-mère paternelle juive que je n’ai pas connue. Ma mère
racontait que je l’aurais embrassée dans son cercueil vers l’âge de deux ou trois
ans. Je possède seulement une photo d’elle dans son jardin. En fait, je l’ai inventée: une sensorielle, une grande vivante, une figure symbolique, emblématique de
la force au féminin. Cette sorcière traverse les mémoires, elle traverse le temps et
je l’emmène avec moi. Elle est cette figure positive que je me suis donnée pour
dire: si une femme avait la possibilité d’être entièrement elle-même avec tout son
savoir et ses capacités, on aurait cette figure de la grand-mère, cette signature
païenne, cette liberté.
AMV — Avec Asiles, en 1991, on part des murs pour arriver aux fenêtres, à
l’ouverture. Peut-on dire que, chaque fois, on gagne un peu plus sur l’histoire
pour rejoindre « l’être » ?
LC — Oui, il y a toute la charge de ces murs qui sont remplis de livres, de toutes
les écritures qui ont eu lieu avant nous, donc l’Histoire qui peut nous emprison-
8 • lettres québécoises • été 2010
LOUISE COTNOIR
ner. Comment, dès lors, inscrire une parole, la
mienne? J’étais à l’époque dans la lecture des
œuvres de Sylvia Plath avec un intérêt particulier pour la notion d’asile, d’enfermement,
de folie… Je cherchais un de ses titres,
Asylum piece, dont je la pensais l’auteure. En
fait, je ne savais pas encore qu’Anna Kavan
en était la véritable auteure. Croyant alors que
ce livre n’existait pas, je me suis dit que j’allais
l’écrire. J’ai pris le mot « Asile » dans toutes
ses acceptions. Je voulais cerner les asiles, à
l’origine, comme des endroits de repos, ou
des hospices qui recueillaient les malades, les
plus démunis et les non-conformes de la
société, tout en interrogeant le côté négatif de
ces lieux d’enfermement. Mon questionnement visait à savoir où se situaient, dans
notre vie, les véritables asiles. Est-ce que ce
monde, cet univers, ce réel qui nous entourent représentent mon asile ? J’ai cherché à
ouvrir ces endroits clos du côté de la lumière.
AMV — On arrive à La déconvenue en
1993, mon deuxième grand coup de cœur.
LC — Quand j’ai commencé à écrire La
déconvenue, en 1992, j’étais à Paris pour six
mois dans le studio du Québec. J’écrivais précisément un recueil de poésie qui allait devenir Dis-moi que j’imagine (publié en 1996). Et
c’est parallèlement que j’ai commencé à rédi-
entrevue
A N N I E M O L I N VA S S E U R
ger les nouvelles de La déconvenue, dans la
brasserie Louis-Philippe voisine du studio.
L’écriture de ce livre fut un pur plaisir. C’est
un livre de fiction. Malgré tout, les personnages qu’on y trouve sont le miroir de
vraies personnes. Le soir, je m’installais
avec mes cahiers à la brasserie et j’observais. Par exemple, j’ai vraiment vu passer
un homme qui portait des cornes mais,
bien sûr, je l’ai transposé dans la fiction,
par l’entremise du Minotaure et de la
mythologie grecque. Dans l’écriture, je pars
toujours de la réalité comme support de
réflexion pour apporter une autre dimension, une autre vision.
AMV — Ce n’est pas toujours « convenu » dans votre œuvre, ces états de
grâce où l’écriture nous transporte vers des gestes, des odeurs, des présences
si touchantes. Y a-t-il eu réconciliation de l’auteure avec le monde environnant et l’univers masculin ?
LC — Je n’aime pas le mot «réconciliation»,
je préfère le mot « apaisement ». Oui, le
regard s’est modifié par rapport à l’univers,
par rapport aux hommes également. Je les
vois eux-mêmes pris dans certains carcans.
C’est peut-être la différence avec les écritures précédentes qui donnaient la priorité à
la vision du féminin. Il y a dans ces nouvelles un accomplissement de la figure féminine qui fait en sorte qu’elle peut accueillir
l’autre. Elle est moins en lutte, d’où cette
notion de calme, presque de joie sereine que
l’on perçoit chez tous les personnages féminins du recueil. J’ai toujours eu cette perspective d’écrire l’ouverture, cette façon
d’être délestée d’un univers où les femmes
ont si peu de place. Dans ce livre, elles (s’)inscrivent et comprennent leur relation
au monde.
AMV — Une question sur Des nuits qui créent le déluge paru en 1994: le mot
« âme » y apparaît, peut-on parler de spiritualité ?
LC — C’est aller trop loin pour moi! L’ontologie m’intéresse davantage en ce
qu’elle a trait fondamentalement à l’être humain. Je parlerais plutôt d’intelligences sensibles qui se rencontrent dans leur ressemblance et leur différence.
AMV — Dis-moi que j’imagine, paru en
1996, est entre autres un livre sur la
musique. On y trouve une poésie écrite
en forme musicale, avec de petites
touches impressionnistes chantantes.
LC — C’est une entreprise formelle. Une
certaine contrainte avec laquelle je jouais.
J’ai écouté différents Stabat mater dont
celui, incontournable, de Pergolèse. J’étais
totalement enthousiasmée par ces vingt
tercets qui les constituent tous. Dans les
voix des mères, il y a les réminiscences de
l’opéra. J’entends ces voix qui se cassent.
Être à l’étranger m’aide à écrire autrement.
Nous sommes en alarme parce que nous sommes
une société en danger et je l’ai particulièrement
senti à New York. Ce n’était pas une menace
personnelle, j’étais bien dans cette ville,
mais cet univers si plein d’énergie et d’effervescence
semblent contenir sa propre destruction.
Elles traduisent des personnages excessifs de femmes qui meurent dans ces tragédies-là. Je suis entrée dans les Stabat mater pour dire à la mère: «Ne laisse plus
mourir tes enfants.» Avec la référence aux «Nocturnes», j’ai voulu l’espace de la
nuit propice à l’intimité. C’est léger, c’est fragile.
AMV — Nous sommes en alarme paraît en 2000. Peut-on résumer ce livre
par la citation de Clarice Lispector : « Se perdre est une façon dangereuse de
se trouver » ?
LC — Il a été écrit en même temps que le Carnet américain quand j’habitais le
studio du Québec à New York, en 1995. Être à l’étranger m’aide à écrire autrement.
Nous sommes en alarme parce que nous sommes une société en danger et je l’ai
particulièrement senti à New York. Ce n’était pas une menace personnelle, j’étais
bien dans cette ville, mais cet univers si plein d’énergie et d’effervescence semble
contenir sa propre destruction. Chaotique, cruel et désorganisé, ce lieu est aussi
très bouleversant et très stimulant au plan de l’écriture. Me sont venues en même
temps des ébauches du Carnet américain. Tous les personnages d’hommes qu’il
met en jeu, à l’exception du dernier, sont, pour la plupart, des natifs américains
avec des racines parentales provenant d’autres pays. C’est une quête des origines. Peut-on, avec cette autre part de soi, se choisir et devenir entièrement
américain? C’est leur rêve. C’est le rêve américain que j’interroge.
AMV — Les îles (en 2005) nous parlent d’un retour à l’enfance, avec cette
figure des « haussières ». Vers des terres non encore immergées ?
LC — C’est pour moi un livre de maturité, au sens où je n’avais pas vraiment
encore abordé cette période de l’enfance, de l’adolescence et de l’apprentissage.
Retour à mes origines. Les îles nommées appartiennent à l’archipel de Sorel où
j’ai grandi. Il y a toujours eu de l’eau dans ma vie, dans mes textes. Un ancrage
résurgent.
AMV — Le cahier des villes est sorti en 2009. Dans ce recueil de nouvelles,
qui clôt la trilogie, les références à la culture sont nombreuses.
LC — À la suite des deux premiers tomes, je suis allée chercher dans mes
«cahiers» ce que j’avais écrit durant des voyages antérieurs. Je voulais que, dans
ce dernier volet de La trilogie des villes, se rejoue la même approche structurale
que dans les précédents. Volontairement, les personnages masculins et féminins qui y figurent ont partie liée avec diverses expressions artistiques. C’est
l’occasion d’interroger des métiers liés aux arts, d’y articuler diverses interrogations qu’ils posent.
AMV — Quel serait le bilan de ce trajet d’écriture, de présence littéraire, de
vie ?
LC — C’est une aventure fabuleuse que j’ai vécue comme un rêve avec des
voyages, des rencontres stimulantes dans un entourage riche intellectuellement,
et à une époque qui s’y prêtait. Finalement, peut-être que mon écriture m’aura
servi à trouver un calme intérieur, une certaine sérénité, à créer la personne que
je suis.
lettres québécoises • été 2010 •
9
profil
CHRISTIANE LAHAIE
LES NOUVELLES
DE LOUISE COTNOIR :
une esthétique
de la
déambulation
ouise Cotnoir manie les mots avec une rare efficacité. Sa poésie libre de
toute entrave, parfois dure, voire cruelle, trahit le regard impitoyable
qu’elle pose sur les êtres et les choses. Mais ce regard n’est pas pour
autant dépourvu de générosité et de tendresse, de sorte que les personnages de son
univers nouvellier s’avèrent éminemment humains tant ils
savent se montrer forts ou se révéler faibles. Ces hommes et ces
femmes semblent tous prisonniers d’une quête — identité,
amour, reconnaissance, paix — qui aboutit rarement. Telle une
carte postale au style elliptique qui laisse deviner plus qu’elle ne
dit, la nouvelle chez Louise Cotnoir a tout de la déambulation
réflexive, comme en témoigne sa Trilogie des villes.
L
Occuper l’espace et prendre la mesure du temps, tout en espérant n’être jamais dépossédé de l’un ou de l’autre, constitue le
dilemme des protagonistes de Cotnoir, lesquels restent écartelés entre les lieux familiers ou étrangers qu’ils arpentent et
ceux, fuyants et souvent idéalisés, de leurs souvenirs. Il en va
ainsi de La déconvenue1, premier recueil de nouvelles de
Cotnoir, où des femmes évoluent dans des lieux parisiens: terrasses, cafés, gares. Toujours, une étrangère solitaire observe ses
semblables et tente de décrypter leurs secrets, quitte à leur
inventer un passé, un présent, un avenir. Toujours, un espacetemps autre hante les êtres qu’elle scrute. La banalité du quotidien côtoie la beauté fulgurante du mythe, et les douleurs
d’antan ne manquent pas de refaire surface.
Dans «Les cahiers maudits», par exemple, une femme attablée
dans un hôtel parisien écrit. Insatisfaite, elle arrache à mesure
les pages qu’elle écrit, puis les déchire après les avoir lues une
dernière fois. Et elle recommence. La narratrice, en train de
l’épier, croit voir en elle une juive rescapée des camps de la
mort qui tenterait d’exorciser ses démons au moyen des mots.
Toutefois, «Dans le corridor» représente encore mieux le travail
nouvellier de Cotnoir: une femme en proie à de sombres pensées sort d’une chambre pour aller se poster à la fenêtre, au
bout d’un corridor. Son regard croise celui d’un peintre, installé
dans l’immeuble d’en face. Pendant un moment, tous deux
semblent s’inspirer mutuellement : la femme écrit, l’homme fait un croquis.
Bientôt, la femme s’en va, laissant le peintre à ses pinceaux et à sa solitude. Tels des
fantômes qui marchent à côté de leur vie, les personnages de La déconvenue progressent, à la recherche d’eux-mêmes, en espérant que l’art, l’écriture, les sauvent.
Alors que le premier recueil de la Trilogie des villes donne préséance au regard
féminin, le deuxième, Carnet américain2, épouse le point de vue de protagonistes masculins. Situé cette fois à New York, haut lieu du melting-pot américain,
il aborde lui aussi «la douleur humaine, [le] déracinement, […] l’errance, […]
10 • lettres québécoises • été 2010
Toujours, une étrangère
solitaire observe ses
semblables et tente de
décrypter leurs secrets
[…]
la perte3 ». Des hommes d’origines
diverses essaient tant bien que mal de
vivre au jour le jour, tout en tenant à
distance le souvenir de la terre natale.
Autour d’eux, la mégalopole étale ses
nombreux quartiers, les zones
franches comme les secteurs à éviter.
Dans «Le croyant», on s’aventure sur le terrain de chasse d’un vétéran du Viêtnam
pris de folie meurtrière et qui, tel un justicier des temps modernes, entend nettoyer
la ville de tout ce qui l’encombre, à commencer par ses sans-abri. «Archives» met
également en scène un personnage troublé, un photographe japonais qui se suicide
en s’immolant, recouvert de ses œuvres telles des bandelettes mortuaires. Quant
à la nouvelle éponyme, elle relate la promenade d’un Américain qui comprend peu
à peu à quel point il est demeuré étranger à sa propre ville.
Si les personnages de La déconvenue occupent le territoire de manière statique,
ceux de Carnet américain privilégient l’errance, physique ou psychologique. Cela
va de pair avec le statut particulier des protagonistes, tous aux prises avec l’exil
vécu par eux ou leur famille, et supportant le poids du passé.
Bref, en narrant la quête incessante de ces êtres mal incarnés,
Cotnoir « parvient à fixer la fugacité des souvenirs de ses
personnages vivant sous la chape de plomb de l’histoire, des
origines et de la mémoire culturelle 4 ».
Troisième volet de la trilogie nouvellière de Cotnoir, Le cahier
des villes boucle la boucle en quelque sorte, car il entremêle
les points de vue d’hommes et de femmes qui visitent, eux
aussi, des cités familières ou étrangères. À l’image du protagoniste du texte d’ouverture, ils le font dans le but de s’inscrire à même la trame du monde. Encore une fois, l’espace ne
saurait se dissocier du temps car, chaque mois, une ville se
voit prise d’assaut par divers personnages. En août, un père
et sa fille adoptive se promènent dans Amsterdam ; en
novembre, une touriste suit la trace de sa grand-mère en
marchant dans Berlin. Le recueil se déroule de juin à mai;
Copenhague, Dachau, Limoges, Londres, Paris, Venise,
Vienne et Tolède, notamment, deviennent des lieux de passage où des individus perdent ou retrouvent des bribes de
leur vérité. Enfin, la nouvelle clausule réunit l’Amérique et
l’Europe, alors que Charles et Emma, chacun sur son continent, cherchent à conférer à leur cité un peu de chaleur
humaine.
La Trilogie des villes est maintenant complète, avec ses paysages urbains truffés d’intrigues à la fois minimalistes et
denses, avec son cortège d’âmes esseulées et de destins tordus. On pourrait n’y déceler que pessimisme et désolation. Il
n’en est rien pourtant car, au terme de ce périple, il faut
reconnaître que les nouvelles de Louise Cotnoir composent,
comme autant de cartes postales rédigées d’une main
fébrile, une séduisante invitation au voyage: un voyage intérieur, aux confins de la conscience «imaginante», de la mémoire affabulatrice…
et des mots pour les dire toutes deux.
1. Québec, L’instant même, 1993.
2. Québec, L’instant même, 2003.
3. Lord, Michel, « Des nouvelles qui brillent d’un sombre éclat », Lettres québécoises, no 112,
hiver 2003, p. 32.
4. Saget, Florence, «Carnet américain. Méandres de la métropole», Voir, vol. 17, no 34, 28 août
2003, p. 22.
profil
CLAUDINE POTVIN
L’invention
de l’écriture
Le parcours poétique de Louise Cotnoir passe par un travail
acharné sur le mot, la phrase, la voix. L’auteure inscrit la résistance dans l’image au fur et à mesure que le sens déboule sur
les lèvres de celle qui écrit et de celles qui parlent.
folles. […] À la fin, ne plus contenir la rage. Apprendre à défaire les fictions»
(p. 58). La poésie déplace la fiction, repense le viol, la violence, la torture, le
meurtre, la page déchirée, le discours abject des corps tus trop tôt: «Atteinte de
glossite. Ça draine le désir. Ça conforte. Ça soutient le rituel et ça écrit: corps de
femme. » (p. 90)
« J ’ É C R I S , C ’ E S T U N T R AVA I L D É M E N T »
Comme une chienne à la mort (1987) place la femme dans le contexte de la mort.
Suite de poèmes en prose, ce recueil d’une force remarquable aborde les voix du
féminin qui tendent à plonger dans le vide et le silence de l’histoire, ce qu’on
nomme également la «vacuité du monde». Le geste inscrit la douleur de vivre de
la mort, de composer avec la mort:
Louise Cotnoir a publié une quinzaine de
livres (du théâtre, des nouvelles, des essais
théoriques, mais surtout de la poésie). De
Plusieures (1984) à Les îles (2005), elle
explore dans ses recueils la langue, le féminin, la violence, la sensualité, le corps, l’art.
Sa démarche poétique se caractérise par
l’invention de sa propre syntaxe, la rupture
de la phrase, et conséquemment par la
création de sa propre logique sémantique.
Cotnoir privilégie les tournures elliptiques,
créant une prose au rythme dansant, pleine
de détours stylistiques. Des phrases nominales et verbales, parfois extrêmement
brèves et sèches, hachures, cris, évoquent la
douleur des mots.
Le savoir du monde se donne dans la souffrance de la guerre, les désastres, les
tueries, les fusillades, les mutilations, les exterminations, les massacres. Au delà
de ce savoir et de la souffrance, «[e]lle craint de devenir à son tour un document
humain, une chronique» (p. 91). Un moindre mal quand l’histoire s’affiche dans
le registre des morts, quand «[l]es livres ne lui apprennent rien qu’elle ne sache
déjà » (p. 55), quand l’art se travestit en musée des horreurs. Sur la page se
couche l’abject et, paradoxalement, l’auteure installe une force, un courage, une
tendresse unique. Le lecteur ressort donc de cette lassitude avec malgré tout un
désir d’«entrer en amour» (p. 94).
A U C O M M E N C E M E N T, U N E F E M M E
JE NOMME, JE SIGNE
Premier recueil, Plusieures (1984) se donne
à travers le motif de l’escalier et de la peur
de tomber. Le premier livre rappelle la
famille, l’enfance, la domesticité, la femme,
et déjà le désir de l’écriture. Effacer le sang
pour que surgissent la tache, l’odeur et
l’écriture: «Une femme crue morte fait respirer l’écriture. Saccadant le rythme, débridant les virgules: elle souffle dans le texte»
(p. 46) pour ne pas se souvenir, pour
qu’« une femme existe », pour se « soustraire à la transaction, la faculté d’être une
marchandise » (p. 48). Louise Cotnoir
reprendra la séduction du sujet écrivant et
de la lettre dans Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms (1984).
Ici, le mode épistolaire permet de repenser
l’échange, la rencontre, la conversation. C’est entre les mots et les lignes que la narratrice manipule la feuille, l’encre, l’enveloppe, à la recherche de la boîte aux
lettres et d’une adresse inconnue, et qu’elle cherche à lier connaissance. Encore
une fois, le rendez-vous avec l’autre étreint le féminin: «Certains jours, être un
sujet féminin me tue au pied de la lettre.» (p. 37) Dans ce cadre, le prénom ou la
signature déplacent l’histoire et la grammaire: «J’écris amoure au féminin singulier: / on dit encore que je fais une erreur.» (p. 94)
La mort, le tragique logent encore au cœur des recueils qui suivent (Signature
païenne [1989], Asiles [1991], Des nuits qui créent le déluge [1994]). Or, c’est
dans la végétation (jardin, fleurs, vivaces, épices) et la géographie ou le territoire
que l’histoire du féminin s’invente et que l’auteure signe. Dans Signature païenne,
«[e]lle écrit: femme, un nom déposé» (p. 65). Le je perce donc parfois et la signature se double dans le voyage, les villes comme lieux de résistance et la contemplation esthétique (dessins, tableaux, galeries). L’image devient vocable, lèvres,
langues, et les allusions au corps (cuisses, seins, sang) et occasionnellement à la
toile (Miró) font que «[l]a nuit tamise l’âge / Et le désespoir des femmes» (Des
nuits qui créent le déluge, p. 97).
L’audace des mains (1987) apostrophe le nom de la FEMME à la suite d’un ELLE
qui n’en finit plus d’envahir le texte. Démentes, les femmes «se noient, s’étranglent, se poignardent en fondu enchaîné. […] Formes épouvantées, décharnées,
Marquée au front, une douleur qu’elle nomme simplement femme.
Lamento. Oui. Lamentation. La forme lui convient. Parfaitement adhérente à sa frayeur. Car regarder en face l’état du monde, répète-t-elle à
qui veut l’entendre, m’est insupportable. Au-delà de ce savoir tragique
dans la chair, cette souffrance m’est intolérable. Il arrive que sa gorge se
noue et plus rien ne sort ou cela vient en vomissures. (p. 13)
PROMENADES AU PHARE : LA LANGUE,
LA VILLE ET LE MUSÉE
La forme du poème en prose domine dans la majorité des premiers recueils de
Louise Cotnoir. Néanmoins, dans les trois derniers (Dis-moi que j’imagine [1996];
Nous sommes en alarme [2000]; Les îles [2005]), elle utilise à la fois la prose et le
vers libre. Il faut y voir une écriture renouvelée, moins fortement ancrée dans la
thématique antérieure, quoique la référence persiste, mais plutôt dans une
recherche théorique (théorie / fiction) condensée dans une érudition présente
depuis le début et nettement accentuée. Si les motifs du tableau, de la géométrie,
de l’ailleurs (les îles, les cités étrangères, les musées, etc.) reprennent les compositions antécédentes, ils servent d’affirmation, de passage. La répétition de l’image
permet la transition du pronom elle, constant dans les débuts, au tu de Dis-moi
que j’imagine et au nous de Nous sommes en alarme. Le «[t]u parles toutes les
langues» de Dis-moi (p. 13) fait écho aux «[l]angues de feu en quête d’éblouissement» de Nous sommes (p. 65). La répétition se situe hors de la reproduction,
hors de la copie. Au contraire, répéter, reprendre, redire, revenir sur le propos
lettres québécoises • été 2010 •
11
CLAUDINE POTVIN
profil
inscrivent et positionnent le sujet écrivant dans le langage et la conscience du
moi. En ce sens, écrire «nous ne nous habituons pas», «nous nous abandonnons», «nous envisageons», «nous existons», «nous sommes en alarme», «nous
résistons», renforce la voix poétique et collectivise les je, tu, elle. Dans son dernier
recueil, Les îles (2005), Louise Cotnoir explore la réalité insulaire. S’approchant de
l’océan, de la grève, du navire, la narratrice nomme l’île qui l’habite, se nomme à
partir de l’île et plonge dans le corps de l’archipel aux noms multiples: «Les
lèvres des femmes impuissantes / À maudire / Baisent leur rondeur / Par-dessus
l’écho-océan.» (p. 26)
Chambre 503
Hélène Harbec
FINALISTE
PRIX DES LECTEURS
RADIO-CANADA 2010
récit
Lire Louise Cotnoir pour le plaisir des mots. Chacun de ses recueils est comme un
épisode qui nous permet d’apprécier chaque fois un peu plus la langue de l’auteure. La poésie de Louise Cotnoir révèle une extrême conscience de l’être et une
écriture fluide, vagabonde, fragile, intelligente. Lire Louise Cotnoir, c’est partir en
voyage. Toutes les destinations nous ramènent à la séduction de l’origine.
BIBLIOGRAPHIE
POÉSIE
Les îles (nomination au Prix du Gouverneur général du Canada 2006), Montréal, Le Noroît,
2005.
Nous sommes en alarme, Montréal, Le Noroît, 2000.
Dis-moi que j’imagine (nomination au prix de poésie Alain-Grandbois de l’Académie des lettres
du Québec 1997 et au Prix de poésie du Gouverneur général du Canada 1996), Montréal, Le
Noroît, 1996.
Des nuits qui créent le déluge, Montréal, l’Hexagone, coll. «Poésie», 1994.
Asiles, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1991.
Signature païenne, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1989.
Comme une chienne à la mort, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1987.
L’audace des mains, avec six dessins de Célyne Fortin, Montréal, Le Noroît, 1987.
Tension, Montréal, NBJ, 1984. (épuisé)
Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms (deuxième prix au prix AlfredDesrochers 1984 et mise en nomination au prix Émile-Nelligan 1984), Montréal, Remue-ménage,
coll. «Connivences», 1984.
Plusieures, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Les rivières», 1984.
NOUVELLES
Trilogie des villes:
Le cahier des villes, Québec, L’instant même, 2009.
Carnet américain (mention spéciale du jury au prix Adrienne-Choquette 2004 et 2e prix au
prix Alfred-Desrochers 2003), Québec, L’instant même, 2003.
La déconvenue (mention spéciale du jury du Grand Prix de la nouvelle, Salon du livre du Mans
(France), et mise en nomination au prix Desjardins de la nouvelle 1994), Québec, L’instant
même, 1993.
ESSAI
«des rêves pour cervelles humaines» (essai), dans La théorie, un dimanche, (avec Louky Bersianik,
Nicole Brossard, Louise Dupré, Gail Scott et France Théoret), Montréal, Remue-ménage, coll.
«Itinéraires féministes», 1988.
THÉÂTRE
Si cendrillon pouvait mourir! (le show des femmes de Thetford-Mines, collectif), (deuxième prix
au prix Alfred-Desrochers 1984), Montréal, Remue-ménage, coll. «Théâtre», no 5, 1980.
LIVRES D’ARTISTE
«À la dérive» (poèmes), dans De la mer au fleuve, conception visuelle et réalisation de la couverture de Josée Roberge, toiles découpées et calligraphie sur toile de Ginette Trépanier, SainteMélanie, Création Bell’arte, Champs Vallons, édition tirée à 7 exemplaires, couverture papier
népalais, œuvres visuelles sur toile, aquarelle, encre de Chine, peinture à l’huile, 2005, n.p.
«Il y a des nuages», accompagnant une photo de Stéphane Lemire, dans Lumières de saisons,
sous la direction et avec des photos d’Arlette Vittecoq et de Stéphane Lemire, Sherbrooke,
Arlette Vittecoq éditrice, 1998.
Théorie (livre-objet, poésie), conception artistique et réalisation Azélie, Zee Artand, Montréal,
Éditions-Zélastiques, 1983, n.p.
12 • lettres québécoises • été 2010
312 p. / 22,95 $
«Écriture délicate, épurée et vibrante de lumière. Le style,
en apparence léger et presque buissonnier est trompeur.
Le propos, lui, ne l’est pas. Tout est à l’intérieur. […]
La quatrième œuvre de fiction de l’auteure est un cri d’amour
qui laisse sans voix. »
Suzanne Giguère, Le Devoir
Chacal, mon frère
Gracia Couturier
NOUVEAUTÉ
roman
270 p. / 22,95 $
Deux frères que tout oppose endurent tant bien que mal
l’existence de l’autre. La succession du père, qui a fondé
une scierie prospère, vient cristalliser leur rivalité. Incapable
de prendre la relève, l’aîné camoufle sa jalousie dans une
fébrile activité poétique, où la puissance des mots esquisse
toutefois des plans meurtriers.
EDITIONSDAVID.CO M
lettres québécoises • été 2010 •
13
JEAN-FRANÇOIS CARON
Du conte au slam
dossier
D O S S I E R D E L’ O R A L I T É
Du conte au slam,
les mots qu’on se dit
À une époque où l’identité se vit comme une crise pour une
nation qui plonge ses racines dans le terreau riche d’une tradition orale, une redécouverte de l’oralité était sans doute
tout indiquée. Au détour du siècle, nous avons assisté à ce
que plusieurs ont appelé « un renouveau du conte », entre
autres porté par un petit gars de la Mauricie, belle surprise
issue du village de Saint-Élie-de-Caxton, un certain Fred
Pellerin. Mais n’est-ce pas toute l’oralité qui a repris l’avantscène ? Un phénomène qui dépasse nos frontières, certes,
mais qui prend ses teintes propres au Québec. Entre le
renouveau du conte et les résistantes soirées de poésie,
l’avènement du slam et les pratiques hybrides, l’oralité interpelle un public de plus en plus grand.
LA PETITE HISTOIRE DU CONTE
Dès les premiers balbutiements de l’Amérique française, le conte a fait partie des mœurs populaires, tradition perpétuée depuis le Vieux Continent. En
Nouvelle-France, le conte n’était alors pas un simple
divertissement, mais une expression de la sagesse
populaire. Longtemps le seul vecteur de transmission
des savoirs, il a tout abordé, de la morale jusqu’à l’art, en
passant par la philosophie. Prise de parole, il a aussi
été le seuil de la contestation des pouvoirs politiques ou
religieux.
blés en différentes institutions, dont l’Université Laval2. Fondées en 1944 par
Luc Lacourcière, qui a d’abord travaillé de concert avec Marius Barbeau et FélixAntoine Savard, les Archives de folklore et d’ethnologie élargiront leur champ
d’intérêt au delà de la littérature orale pour s’intéresser aussi à la chanson, aux
coutumes et à la culture populaire.
Dans les années 1970, les Archives profiteront d’une vague nationaliste qui leur
amènera de nouveaux collaborateurs, multipliant les travaux de recherche touchant l’ethnologie, l’histoire, l’anthropologie, la linguistique et le folklore.
Aujourd’hui, les Archives de folklore et d’ethnologie regroupent 1500 fonds et collections privées, ce qui représente 150 mètres linéaires de documents manuscrits
et imprimés, plusieurs centaines de volumes, 10000 heures
d’enregistrements sonores, 15 000 photographies et diapositives ainsi qu’une collection de 50000 objets représentant notre patrimoine religieux.
LE RENOUVEAU DU CONTE
C’est donc au cours des années 1970, à l’époque de cette
grande quête identitaire qui allait mener à l’élection du
Parti québécois et au premier référendum sur la souveraineté, qu’on a vu renaître un certain intérêt pour le conte
oral. Dans ce mouvement de retour aux racines, quelques
jeunes ont repris goût à la tradition. Ils s’appelaient Michel
Faubert, Alain Lamontagne, Jocelyn Bérubé… On ne peut
toutefois pas encore parler de renouveau du conte.
En Europe, le phénomène est déjà véritablement entamé
C’était avant que l’écriture ne s’arroge tous les droits,
dans les années 1980. Le Québec en aura d’ailleurs un
trouvant dans sa démocratisation les assises d’un trône
aperçu avec le Festival Les Haut-Parleurs, qui se tiendra au
d’où elle n’a jamais voulu redescendre depuis, toujours
Musée des civilisations à Québec, en 1985. Pour Mariebr il lante au sommet de son règ ne. S elon le
MARIE-FLEURETTE BEAUDOIN
Fleurette Beaudoin, directrice de la maison d’édition
Regroupement du conte au Québec1, ce serait l’exode
rural, coïncidant avec l’ère de l’industrialisation du XIXe siècle, qui aurait poussé
Planète rebelle, la création de ce festival aura eu une forte incidence sur les
le conte oral vers son déclin. Alors cristallisée comme une relique du temps
décennies à venir: «Ils ont fait venir des conteurs qui eux étaient justement en
passé, la tradition aurait peu à peu perdu sa voix au profit de celles plus jeunes du
train de vivre un renouveau de la littérature orale. Ç’a impressionné beaucoup.
théâtre, du cinéma, de la radio et de la télévision. Le conte aurait ensuite été
Les conteurs actuels viennent de différentes disciplines artistiques comme le
considéré au mieux comme une curiosité, voire une pratique révolue, à mesure
théâtre et l’écriture. Ils ont eu envie eux aussi de monter sur scène pour raconter
que les conteurs disparaissaient, emportant avec eux leur mémoire.
des histoires.» Malgré cette étincelle, le feu prendra son temps avant de briller. Il
faudra encore plus d’une dizaine d’années pour que nous puissions trouver chez
L E G R A N D C O L L E C TA G E
nous un véritable engouement pour le conte.
Ironiquement, c’est en partie l’écriture qui aura sauvé notre culture orale. Déjà au
XIXe siècle, les Louis Fréchette et Honoré Beaugrand avaient reconnu l’importance
de garder des traces du patrimoine oral québécois. Par la suite, au XXe siècle, le collectage effectué par certains écrivains et ethnologues a permis d’accumuler un
nombre impressionnant de documents (écrits ou sonores) aujourd’hui rassem-
14 • lettres québécoises • été 2010
À la fin des années 1990, on voit s’organiser des veillées de contes en contexte
urbain, un phénomène qui se déploie dans quelques bars et dans des lieux
improvisés de la capitale (on pense au travail de Bernard Grondin) et de la
métropole québécoises (dont les Dimanches du conte, une initiative d’André
Lemelin et Jean-Marc Massie, qui ont vu le jour en 1998 à la microbrasserie du
JEAN-FRANÇOIS CARON
les mots qu’on se dit
dossier
Sergent recruteur3). Lemelin se souvient: «Il s’est passé deux choses. D’abord, il
s’est créé une communauté de conteurs, ce qui n’existait pas avant. Il y avait
jusque-là des individus qui faisaient du conte de façon isolée et qui se retrouvaient ensemble ponctuellement, mais il n’y avait pas de communauté. Ensuite,
il y a eu une communauté parmi le public. Des gens qui venaient voir et entendre
des conteurs, qui se reconnaissaient, qui avaient un esprit d’appartenance. Pas
une foule anonyme. Et surtout, ces deux communautés-là étaient intimement
liées.» Puis, avec le temps, le public et les artistes du conte se sont multipliés et
dispersés, charriant dans leurs bagages des univers éclatés, propres à leur personnalité, riches et diversifiés.
De bouche à oreille, comme il se doit, cette pratique s’est propagée un peu partout au Québec,
donnant naissance à de nombreux événements
et festivals, avec des répercussions qu’on n’aurait alors pas pu imaginer. « À Saint-Élie,
explique Fred Pellerin, on avait le café La Pierre
Angulaire qui programmait du conte de temps
en temps. C’est là que j’ai découvert les Michel
Faubert, Alain Lamontagne et Jocelyn Bérubé.
Bientôt, j’ai eu vent des soirées du Sergent recruteur à Montréal. Assez de vent pour m’y rendre!
Et pour me rendre compte qu’il y en avait, de
mon âge, à tâter du jasage comme moi.» Le premier conteur-vedette du grand public et des
médias québécois s’en venait changer les
choses.
ANDRÉ LEMELIN
Québec4 ». Prisant lui-même les contes tragiques, il s’est inquiété de
voir inoculer « le virus de l’humour » au genre… Ou encore à
André Lemelin qui, s’il reconnaît que le jeune conteur de la
Mauricie est un prodige et lui accorde même d’apporter du renouveau au sein de la pratique du conte («sa manière de jouer dans la
forme du conte, ce n’est que du positif qu’il est en train d’apporter
au conte de tradition orale; il le pousse intelligemment, le développe, c’est un très beau modèle», révélera-t-il en entrevue), s’inquiète plus largement d’une propension très répandue à la théâtralisation et à la spectacularisation chez les néoconteurs, ce qui
selon lui atrophierait le conte de l’extérieur et de l’intérieur.
Christian-Marie Pons, professeur titulaire et chercheur en comDepuis le début de ce phénomène qu’on a
munications à l’Université de Sherbrooke, comprend ces préoccuappelé le «renouveau du conte», il est vrai que la
JEAN-MARC MASSIE
pations qui ne sont pas circonscrites à nos frontières: «De récents
situation a beaucoup évolué. Devant l’explosion
voyages en France m’ont permis de confirmer, d’une part, la très forte propension
du nombre d’activités liées au conte, le milieu a senti le besoin de se donner une
du spectacle de contes à se théâtraliser; mais d’autre part, et surtout — d’où l’instructure pour promouvoir les spécificités de son art. Déjà en 2001, les particiquiétude —, le fait que cette propension s’impose de plus en plus comme règle
pants à une table de concertation sectorielle portant sur le conte avaient signifié
dominante avec, en corollaire, le renvoi du “bon vieux conte” (un conteur, une
leur désir de s’organiser. C’est en août 2003 que sera enfin incorporé le
chaise, une parole) comme figure indigente5.»
Regroupement du conte du Québec, qui rassemble aujourd’hui 82 membres
réguliers.
Même la pratique de certains artistes qui se réclament de tradition contée, attirés dans le milieu par le nouveau souffle de l’oralité, serait souvent à mille lieues
En 2004, le Conseil des arts et des lettres du Québec reconnaissait officiellement
du conte oral traditionnel. Pour bien comprendre les enjeux de cette réflexion, il
le statut du conteur qui, depuis quelques années, se médiatise, mais surtout, se
faut savoir que, pour les puristes, le conte oral n’est absolument pas l’équivalent
professionnalise: le conteur profite de circuits de diffusion plus ou moins dédiés
du conte littéraire. Certains conteurs optent même pour le choix d’un nouveau
à son art, exige une rémunération. Son travail de recherche et de création n’est
concept pour remplacer celui de littérature lorsqu’ils parlent du conte oral :
plus accessoire, et il ne se produit plus anonymement, comme le survenant qui
l’«orature», qui permet d’effacer le disgracieux oxymore que représente l’idée
jadis colportait des histoires d’un village à l’autre pour profiter de l’âtre des
même de «littérature orale».
hôtes qui acceptaient de l’accueillir.
Selon André Lemelin, qui vit aujourd’hui des revenus qu’il tire de ses activités
liées au conte, cette professionnalisation n’est pas sans risque. «Il y a toujours
deux côtés à une médaille. Évidemment, quand tu ne fais que ça, tu en es dépendant. Ça peut devenir problématique au niveau éthique. C’est ton revenu, tu dois
payer ton loyer, alors il y a des contrats que tu ne ferais pas dans une situation
idéale et que tu te vois obligé de faire. C’est le côté pervers de la chose.»
EN MANQUE DE DÉFINITION
L’extraordinaire popularité et la couverture par les médias qu’a connues le travail
de Fred Pellerin ont suscité quelques inquiétudes dans le milieu des conteurs.
Sans jamais remettre en question le talent de l’irréductible Caxtonien, on s’est
interrogé quant à la perception que le public pourrait entretenir vis-à-vis du
conte après un tel raz-de-marée. Qu’on pense à Michel Faubert, qui a déjà attaché
à Pellerin la glorieuse étiquette d’« instigateur de la renaissance du conte au
Même si le mot «orature» ne jouit toujours pas d’une acception dans nos dictionnaires, plusieurs auteurs spécialisés ont d’ores et déjà adopté ce terme. Selon
Bertrand Bergeron, ethnologue et conteur, il caractérise «l’ensemble du patrimoine qui se transmet de bouche à oreille sans recours à l’écrit6 ». Tel qu’il la
conçoit, l’«orature» «constitue un champ conceptuel distinct de la littérature. Sa
composition, immédiate ou différée, recourt exclusivement à l’engrammation
mémorielle. Sa performance implique nécessairement une interaction avec un
milieu. Son mode de transmission enfin est spécifique: l’orature se constitue dans
la variation7.»
Le conte n’est donc pas figé, ni dans la mémoire du conteur ni sur le papier.
Celui qui conte travaille à partir d’un canevas, ici décrit par Lemelin comme
«un plan mental détaillé, qui a été répété de nombreuses fois. On n’est donc pas
en improvisation, on répète la même histoire, mais de façon plus ou moins différente. Il reste des ouvertures qui vont tirer leur intérêt de la relation qu’on
lettres québécoises • été 2010 •
15
JEAN-FRANÇOIS CARON
Du conte au slam
dossier
mettant à l’écrit et à l’oral de se répondre, et donnant entre autres à entendre la
parole des conteurs (Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Renée Robitaille, etc.).
C’est d’ailleurs cette maison d’édition, qui a publié, depuis 2001, trois livres CD
qui proposent différentes «versions» des contes de Pellerin, qui semble réussir à
séduire autant de lecteurs que de spectateurs — ce qui n’est pas peu dire. «Pour
certains titres, explique le conteur, on aura vendu plus de livres que de billets;
pour d’autres, l’inverse. D’après moi, au bout de la grille, on doit balancer sur les
deux colonnes. Sont-ce les mêmes mondes? Je sais pas, mais ça doit pas être loin.
Je sais que des gens achètent mes livres après avoir vu le show, pour s’en
rapporter un bout à la maison.» Difficile d’isoler, toutefois, entre le livre et
le CD, celui qui convainc le «lecteur» d’acheter.
M I C H E L FA U B E R T
créera avec l’autre, avec l’auditoire». C’est
un long apprentissage, avouera celui dont
l’expérience s’est établie sur des centaines de veillées de contes: «Au début,
moi aussi j’ai appris des textes par cœur
et j’avais l’impression d’être un conteur.
Avec le temps, j’ai appris que ce n’est pas
le contenu qui définit le conte, mais sa
forme, la manière de le raconter.»
Ainsi, tout spectacle de conte soumis au
joug d’une scène — qui impose par
A L A I N L A M O N TA G N E
exemple une durée, un ordre, des artifices ou des accessoires — s’éloignerait du conte et de l’« orature » pour se
situer plutôt du côté du théâtre et de la littérature. De la même façon, celui qui
apprend par cœur un texte et le récite, même s’il s’agit d’un conte reconnu, et
même s’il le fait avec les moyens les plus dépouillés, est plutôt interprète que
conteur. Car si, comme le précise Bergeron, l’« orature » se constitue dans la
variation, on ne peut conter deux fois de la même façon.
Et Pellerin dans tout ça? Il ne s’enfarge pas dans les fleurs des définitions, on s’en
doutait: «J’utilise l’humour, c’est venu naturellement et ça a fini par me coller. La
spectacularisation, ça y est aussi, encore que je ne crois pas être le conteur le plus
spectacularisé. J’en pense quoi? En fait, je me questionne aussi. Pour moi, le but
de l’affaire, ça reste de passer une histoire. En ce sens, je me dis que je suis un
conteur. Et puis des conteurs, il y en a de toutes sortes, de tous les styles. C’est ce
qui rend l’expérience d’assister à une soirée de contes intéressante, à mon avis. Il
existe des conteurs qui travaillent au texte, des conteurs qui se déguisent, des
conteurs qui font peur, des conteurs, des conteuses… Alors un conteur qui fait
rire. Je sais pas trop… Il faudrait peut-être se pencher sur la définition du mot,
puis on verrait qui tient encore dans le mot.»
L’ È R E D E L’ O R A L I T É
Lorsque les rideaux se sont ouverts sur les années 2000, est-ce véritablement à un
renouveau du conte que nous avons assisté? Car il n’est pas le seul genre à avoir
profité d’un nouvel élan. C’est tout le spectre de l’oralité qui a trouvé un nouveau
souffle au détour du siècle. On l’a vu récemment avec l’évolution du marché du
livre audio8, facilité entre autres par les développements récents des nouvelles
technologies d’enregistrement et de diffusion.
On a aussi vu naître une maison d’édition toute particulière, qui ne fait ni vraiment dans le livre, ni plus dans le livre audio. Planète rebelle, fondée en 1997 par
André Lemelin et acquise en 2002 par Marie-Fleurette Beaudoin, propose en
effet un produit hors norme, sorte d’hybride entre le livre et l’audiolivre, per-
16 • lettres québécoises • été 2010
Si Planète rebelle s’intéresse au conte, elle flirte aussi avec plusieurs autres
genres (poésie, littérature jeunesse, mais aussi des hommages, du roman,
de la nouvelle et d’autres formes de récits), offrant des œuvres qui ont
toutes l’oralité comme caractéristique commune. Dans un article proposé à la revue La Grande Oreille, intitulé «De la parole à l’écriture aux éditions Planète rebelle», l’éditrice parle «d’expériences narratives qui, si
elles ne sont pas tant du registre du conte, partagent avec celui-ci l’hommage à la parole, tant du côté de la poésie et du slam que de celui du spoken word9 ». Et l’instinct ne semble pas lui faire défaut: une culture de
l’oralité continue de se déployer, phénomène qui se situe bien au delà du
conte et de la simple édition sonore.
LA POÉSIE SE PRONONCE
Est-ce une coïncidence? Au moment où l’on assistait à ce que nous avons
appelé le «renouveau du conte», des poètes ont aussi senti le besoin de se
mettre en bouche leurs mots, et d’en entendre les échos. Ainsi seront
créés en différentes régions québécoises10 des événements inspirés de la célèbre
Nuit de la poésie du 27 mars 1970, qui avait réuni les Gaston Miron, Claude
Gauvreau, Raoul Duguay, Paul Chamberland, Pauline Julien, Michèle Lalonde et
autres. Les versions plus récentes auront même fait entendre aux confins du
Saguenay une multitude d’auteurs en provenance de toute la province, parmi lesquels José Acquelin, Tony Tremblay, Dany Plourde, Jean-Marc Desgent, Jean-Paul
Daoust, Yolande Villemaire, etc.
L’un des organisateurs des Nuittes de poésie au Saguenay, Jonathan Lafleur, était
aussi aux premières loges lors de la création de la Ligue québécoise de slam
(LIQS). Il a toutefois très tôt quitté l’organisation, insatisfait de l’importance
que prenait la performance scénique au sein des soirées de slam, parfois au
détriment de la qualité des textes récités. Ivy, connu dans les médias comme le
créateur et fer de lance de la LIQS, reconnaît que le slam ne fait pas avancer la
poésie. «Je ne crois pas au poème slam s’il est écrit. En terme d’avancement, le
poème slamé n’a rien à dire. C’est plutôt un événement social. C’est la démocratisation de la poésie.»
Toujours dans l’oralité, mais à l’extrême opposé du conte, le slam est donc essentiellement une interprétation, voire plus encore une véritable récitation. Il se
Si Planète rebelle s’intéresse au conte, elle flirte
aussi avec plusieurs autres genres (poésie, littérature
jeunesse, mais aussi des hommages, du roman, de la
nouvelle et d’autres formes de récits), offrant des
œuvres qui ont toutes l’oralité comme caractéristique
commune.
JEAN-FRANÇOIS CARON
les mots qu’on se dit
dossier
rapproche en cela beaucoup plus du théâtre, exigeant de la part du slameur une
performance remarquable, même s’il ne s’agit pas nécessairement d’incarner
un personnage. «L’idée, c’est moins de propager un poème que la poésie ellemême, exprime Ivy. Le slam illustre avec grand fracas que les deux sont différents.
C’est d’autant plus vrai que les poètes fuient le slam. Alors on sacrifie le poète
pour s’approcher de la poésie.»
Pour remporter cette compétition qui se termine en fin de saison par un grand
championnat national, le slameur a trois minutes pour réciter son texte, peu
importe son genre de prédilection, et ainsi convaincre un jury choisi au hasard
parmi le public de voter pour lui. Le tout se produit dans le dépouillement le plus
complet, sans aucun artifice, ni musique, ni accessoires. «Les contraintes ont en
quelque sorte l’effet d’exacerber l’aspect compétitif d’une soirée, qui n’est là que
pour le divertissement, la poudre aux yeux. C’est la rencontre de l’interprétation
scénique et du poème. Ce n’est pas dans l’esprit du slam de lire des poèmes destinés à n’être que lus. L’effet spectacle reste déterminant.»
Depuis la création de la LIQS en 2007, alors que seules les villes de Montréal
(Slamontréal, organisme instauré par Ivy après des bancs d’essai en
octobre 2006) et de Québec (SlamCap, animé par André Marceau et présenté par
le Tremplin d’actualisation de la poésie) étaient membres de la ligue, quatre
autres organisations se sont jointes au noyau de départ (Le slam du Tremplin de
Sherbrooke, Slamoutaouais de Gatineau, Slam Mauricie de Trois-Rivières, et
Slam Lanaudière de Joliette). Deux autres pourraient bientôt voir le jour: la ligue
est sur sa lancée.
TES ENREGISTREMENTS, POÈTE ?
Jonathan Lafleur, qui avait d’abord cru reconnaître dans le slam la réponse à son
désir d’une oralisation de la poésie, a cherché ailleurs à donner une voix aux
poèmes. Friand d’événements où elle prend la scène pour s’effeuiller, il a eu
l’idée de conserver les traces de ces instants de partage, s’adonnant à un collectage proche de celui qui a permis de rassembler les Archives de folklore et d’ethnologie, mais en s’intéressant à la littérature orale actuelle.
Ce n’est toutefois que grâce au partenariat de NT2 (Nouvelles technologies, nouvelles textualités) et du Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire Figura, ainsi
qu’avec l’aide de plusieurs collaborateurs chevronnés, que le projet a pu voir le
jour. Se présentant sous la forme d’un site Internet (voixdici.ca), lancé en
février 2009 pendant le Festival Voix d’Amérique, la plateforme de diffusion
propose les enregistrements de lectures effectuées pendant des soirées de poésie
et autres événements de lecture publique. Détenant les permissions de toutes les
personnes concernées (auteurs, éditeurs et organisateurs d’événements), Voix
d’ici, qui en est encore à ses balbutiements, donne déjà accès aux lectures d’une
cinquantaine d’auteurs, d’autres se trouvant en processus d’archivage.
Fait intéressant: le choix d’un auteur à diffuser ne dépend pas de sa popularité ou
du nombre de recueils qu’il a publiés. Au contraire, la publication préalable d’un
livre ne fait absolument pas partie des critères de sélection. L’objectif est plutôt de
documenter des instants qui autrement s’évanouiraient sans laisser de traces. «Il
y a une rencontre qui se fait entre un lecteur et un poème. Ce n’est pas la même
rencontre qui a lieu lorsque la lecture est faite par l’auteur lui-même, qui propose
sa propre interprétation. Je ne veux pas dire que l’une est meilleure que l’autre.
Mais le fait d’entendre le poème provoque quelque chose…»
L A PA R L U R E D E M E U R E R A
Le conte a-t-il un avenir? Avec l’hypermédiatisation de nos rapports sociaux et le
développement fulgurant de la technologie, la question aurait pu se poser. Or,
même si pour certains il peut être menacé par une propension à la spectacularisation du conte oral, tous ne sont pas aussi pessimistes. «J’ai pas peur, nous ras-
J O C E LY N B É R U B É
sure Fred Pellerin. Le conte dure depuis des lustres, il restera encore quand on
aura fini de parler. Peut-être qu’il reprendra son format intime, peut-être qu’il
deviendra une forme internetée. La parlure demeurera. À s’infiltrer dans les
journaux sous forme de légendes urbaines, à habiter les soirs de pétage de
broue… Peu importe. Trop besoin de s’en conter pour arrêter de le faire, je
pense.»
Il profitera sans doute, comme la poésie et toutes ses déclinaisons, d’une nouvelle
mouvance qui tend vers l’oralité. Et peu importe que ce soit en réaction au relâchement du tissu social provoqué par la présence massive des technologies dans
nos vies ou par la simple résurgence du désir enfantin de se raconter ou de se
faire raconter le monde et ses beautés. La parole est là pour rester.
1. «Bref historique du conte au Québec», dans Mémoire présenté au Conseil des arts et des lettres
du Québec, Regroupement du conte au Québec (RCQ), août 2005.
2. On en trouve aussi au Musée canadien des civilisations, à l’Université Laurentienne et à
l’Université de Moncton.
3. «Les Dimanches du conte» proposent encore aujourd’hui une programmation, ils sont toujours animés par Jean-Marc Massie et présentés par les productions DiableVert au Cabaret du
Roy, à Montréal. Pour plus d’informations: www.dimanchesduconte.com.
4. Robert Leduc, «Le conteur Michel Faubert au Centre Henri-Lemieux», dans Le Messager
Lasalle, 31 janvier 2009.
5. «De l’âtre au théâtre», Revue de théâtre JEU, no 131, «Dossier contes et conteurs»,
février 2009, p. 68.
6. L’italique est de nous.
7. Bertrand Bergeron, «L’orature», Boutique de menteries.
(www.sagamie.org/iql/boutique/BoutiqueDeMenteries.html)
8. Voir à ce sujet notre dossier «La parole au livre», qui traite du livre audio, Lettres québécoises no 131, automne 2008.
9. «De la parole à l’écriture aux éditions Planète rebelle», La Grande Oreille, mai 2010.
10. Depuis 2000, on parle de plusieurs Nuits de poésie organisées à Rouyn-Noranda et au
Saguenay, ainsi que de la Nuit de poésie 2009 présentée à la Cinémathèque québécoise en
novembre dernier.
ERRATA
Dans le dernier numéro de Lettres québécoises
(137), il y a eu confusion : la corédactrice en chef de
la revue Québec français ne s'appelle pas Geneviève
Gingras, mais bien Chantale Gingras. Nos excuses à
Mme Gingras.
lettres québécoises • été 2010 •
17
18 • lettres québécoises • été 2010
roman
ANDRÉ BROCHU
III 1/2
Gilles Archambault, Nous étions jeunes encore,
Montréal, Boréal, 2009, 168 p., 19,95 $.
La vie au passé
Autofictions ou pas, les romans de Gilles Archambault nous
rejoignent toujours par le clair miroir qu’ils tendent de nos
existences.
uoi qu’il en soit de la vie de l’auteur dont on connaît surtout la
carrière radiophonique et le
considérable talent d’écrivain, l’histoire de
son personnage principal semble se
modeler en bonne partie sur celle de son
créateur. Pierre-André est aussi romancier
(mais sans beaucoup de succès), il est un
homme sensible et tourné vers lui-même,
Q
Pierre-André est un être timoré, contrairement à Maxime qui a abordé la grande
carrière internationale comme metteur en scène, et qui a constamment reproché
à son ami écrivain la timidité de ses projets. Par bonheur, Pierre-André reçoit les
encouragements d’un jeune disciple, Philippe Turmel, qui lui manifeste une
admiration indéfectible, sauf vers la fin du livre où il sombre à son tour dans la
suffisance du gagnant et se détache de son mentor.
D I R E L’ E X I S T E N C E S A N S E S P O I R
«Ce qu’il faut trouver, c’est une façon qui paraît inédite d’exprimer ce désarroi qui
vous habite. » Voilà le projet narratif de Pierre-André et, sans doute, celui de
l’auteur. Que le désarroi procède des débâcles de l’amour ou des menaces de la
vieillesse, il est la substance même de nos vies et doit être celle de nos livres.
Pierre-André partage l’estime de son créateur pour des écrivains rares tels que
Toulet, Vialatte, Perros, Calaferte, Cioran, Canetti, Calet, Des Forêts… Écrivains
opposés au triomphalisme, dénués d’esbroufe, souvent «professeurs de désespoir» selon l’expression de Nancy Huston, mais qui trouvent, dans l’écriture, la
suffisante passion qui permet de vivre malgré tout et de tenir en échec les
démons de l’existence.
III
Danielle Dumais, La femme fragment,
Montréal, Québec Amérique, 2009, 420 p., 22,95 $.
G I L L E S A R C H A M B A U LT
tout en étant ouvert à l’amour et
à l’amitié. L’évocation atteint le
lecteur dans ce que ce dernier
peut avoir de simple et de
modeste. Tous les lecteurs, en
effet, ne sont pas d’abominables
gagnants! Une complicité s’établit avec le narrateur dans le
sentiment d’être une victime du
temps, de la passion et des plus
nobles ambitions ; bref, d’être
«pitoyable» (p. 13).
UNE HISTOIRE D’AMOUR
C’est depuis la plateforme que constitue la mort de Maxime, le grand ami de
Pierre-André, que le récit prend son élan. Il est l’histoire, reconstituée par
fragments, d’un trio que cimentent l’amour et l’amitié. Pierre-André a
épousé Marthe, que lui a présentée Maxime, leur condisciple à l’université. Après quelques années de mariage marquées par la naissance d’une
fille, Marthe, maintenant journaliste politique en vue, quitte Pierre-André
pour aller vivre avec Maxime. L’idylle dure dix ans, avec des hauts et des
bas, après quoi Marthe revient vers Pierre-André, mais sans reprendre la vie
commune. Ces péripéties nous amènent jusqu’au temps présent où les personnages, maintenant septuagénaires, affrontent la vieillesse et la perspective de la mort, soutenus par ce qu’il reste de leur amour et de leurs souvenirs.
Le présent, qui est avant tout un état affectif, est donc fait du passé, de ses défaites
et de ce qui, malgré tout, vit en lui, grâce au souvenir.
La chaîne
des passions
S’il fallait des signes d’un renouveau du roman au Québec, on
en trouverait dans plusieurs romans récents, et notamment
dans La femme fragment, où habileté narrative et beauté
d’écriture s’imposent à égalité.
out n’est sans doute pas parfait
dans ce livre considérable, qui
s’ouvre assez malheureusement
sur un prologue maladroit et mélodramatique, mais il présente dans l’ensemble de
solides qualités. Les personnages sont
fouillés, l’histoire est bien menée et la composition, sans renier la tradition, comporte
sa part de nouveauté.
T
L’ E N F O N C E M E N T
DANS LE MALHEUR
Née d’une mère détruite par l’échec de son
mariage et, plus exactement, par la violence
du conjoint qu’elle a finalement assassiné;
d’un père aimant mais vieux et bourru, lui aussi victime de la société; fille donc
de ce couple impossible et aussitôt disloqué, Caroline échappe d’abord à un destin malheureux et développe sa confiance en la vie. Mais peu à peu, au fil des
amours assez insatisfaisantes qu’elle vit et à la suite de la connaissance qu’elle
prend du journal laissé par sa mère, elle fait l’apprentissage de la fatalité héréditaire et doit affronter la part d’ombre énorme qui gît au fond de son existence et
qui compromet sa capacité d’aimer.
lettres québécoises • été 2010 •
19
ANDRÉ BROCHU
roman
Tout gravite autour de l’amour dans ce livre de plus de 400 pages, qu’on pourrait
classer parmi les romans sentimentaux, donc populaires, si la dimension de
l’analyse n’était pas si développée et, à bien des égards, si remarquable. Le personnage revit constamment des situations semblables, au cours de ses nombreux démêlés amoureux, mais il s’enfonce de plus en plus dans l’enfer intime
que lui ont légué ses parents, d’une part; d’autre part, l’analyse permet d’échapper à la répétition et à la lassitude, tant elle renouvelle la peinture des tumultes de
l’âme et la magie de l’écriture.
UN STYLE INVENTIF
En effet, on s’arrête souvent devant la beauté et
l’ingéniosité des descript i ons , au s s i bi e n du
monde matériel que de
l’univers intérieur: «Indécise, je ballottais entre le
sommeil et l’appel du jour
qui inondait la chambre
par la fenêtre entrouverte.
Hubert reposait, silencieux, ses yeux gris soudés à mon visage, le bras
replié sous la tête, son
long corps gisant dans les
draps défaits de l’aprèsplaisir. » (p. 361) Le
rythme et l’image concourent également à l’enDANIELLE DUMAIS
chantement. Quant à la
narration, elle est faite d’un grand nombre de courts chapitres — formule qui a un
rapport avec la «fragmentation» qui caractérise le personnage principal — dont
environ la moitié ont pour narratrice Caroline, alors que les autres sont confiés aux
personnages secondaires, plus ou moins récurrents selon les exigences du récit. Ce
procédé narratif éloigne le texte du conformisme propre à la tradition, sans ébranler plus qu’il ne faut les conventions.
Le défaut qu’on pourrait reprocher à ce premier roman, ce serait l’excès d’application, qui réduit la part de la spontanéité et occasionne une grande uniformité
de développement. Mais ce défaut est le support de bien des qualités.
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20 • lettres québécoises • été 2010
roman
HUGUES CORRIVEAU
IIII
France Ducasse, Valdera, Québec,
L’instant même, 2009, 252 p., 25 $.
Chant des
harmonies
Joyeusement écrit, ce roman nous fait entrer dans le monde
insolite d’une écrivaine, mère de famille, membre d’une chorale, attentive au temps jusqu’à l’essoufflement.
tantes. Du moins quand on est certain de l’appui de l’autre, celui qui à côté joue
le jeu de piste.
MORTE PRÉCIEUSE
Comment résister, par exemple, à la beauté créée par ces cendres d’Adrienne,
répandues au-dessus de la rivière proche, quand, «mêlée à de la poussière de diamant, Adrienne brille de tous ses feux. Le feu est dans l’eau. Sous l’ardeur
pétillante des cendres de la vieille dame, l’eau scintille, l’eau des yeux et l’eau vive,
l’eau des ruisseaux, des rivières, des lacs, des fleuves, des mers et des océans»
(p. 227). Ce n’est donc pas sans poésie que se déroule cette histoire et c’est heureux, et c’est jouissif. Roman à lire, vraiment, pour sa magie et la folie douce de ses
dérapages imaginaires.
IIII
epuis La vie de Léonce et Léonil
(Les Herbes rouges, 1986),
France Ducasse nous prouve son
amour des mots ou des jeux que le langage
peut suggérer. Elle a une manière personnelle de mélanger les genres, de faire s’entrecroiser des éléments de vie réelle et de
pure fiction. Rares sont les histoires qui
Patrick Nicol, Nous ne vieillirons pas,
Montréal, Leméac, 2009, 136 p., 13,95 $.
D
L’âge incertain
La précision de la prose méticuleuse et économe de Patrick
Nicol convainc plus que jamais de son talent exceptionnel
dans Nous ne vieillirons pas. On le dit parfois, mais là, il y a
bien une véritable petite musique qui témoigne d’un véritable écrivain.
transpirent le plaisir à ce point,
qui transfigurent, en quelque
sorte, même la mort de certains protagonistes. Tout y est
investi dans une sorte de
déferlement de l’imaginaire,
d’un jeu amoureux qui relance
les personnages d’aventure en
passion.
ette histoire tient à presque rien, à quelques souffles un soir de désœuvrement, car l’inquiétude est venue à ce professeur qui ne s’en remet pas
d’avoir quarante ans et qui se questionne sur les effets à long terme de ce
vieillissement inéluctable. S’additionnent alors les soupçons devant le délabrement quotidien, sur les fidélités continues, sur les rencontres éphémères ou les
amours permanentes. On pourrait croire cette thématique usée ou obsolète tellement elle a été investie. Or, chez Nicol, c’est la manière d’aborder les tourments
les plus insidieux qui entraîne l’adhésion. Car se mettent en place, dans le présent
dissolu, les aléas venus de la jeunesse du narrateur, les origines de ce qui se
déconstruit lentement mais irrévocablement.
JEU DE MIROIR
L E R E G A R D E T L A PA R O L E
FRANCE DUCASSE
Valdera a une sœur, Valderi.
Cette dernière a un grand talent pour le chant qu’elle n’exploitera pas. Or, Valdera
l’envie, souhaiterait avoir cette qualité de voix qui transcende le quotidien. Elle
deviendra membre d’une chorale afin d’égaler, peut-être, cette sœur admirée.
Ainsi apprendra-t-elle avec minutie la partition du Cantique des Cantiques de
Giovanni Pierluigi Da Palestrina. Musique sous-jacente qui rythme le style formidable de l’auteure. C’est un prétexte pour ouvrir les diverses figures d’un
Janus démultiplié au plan familial. Comme on dit: chacun a sa chacune qui lui est
attachée de façon subtile en une œuvre presque alchimique retraçant les liens du
sang. Complémentaires les uns les autres, les personnages forment une smala
inextricable qui engendre amour et soutien, regard impératif et pensée analogue. Ainsi en est-il d’Adrienne, mère de Ludovic ou de Ludivine (énigme ambiguë, porteuse de ce roman, voyageuse-amoureuse), de Chère-Élise et CherEugène, ou encore de Pierre-Pol, fils d’Anatole et de Barbara. Ils sont nombreux
dans cette famille élargie à tenir les uns aux autres, à vivre en une harmonie au
cœur d’une nature presque bienheureuse. Il n’y a pas à vraiment parler d’histoire
palpitante dans ce très beau roman, plutôt des quêtes identitaires, des manières
contournées de s’approcher de vérités obscures mais jamais vraiment inquié-
C
Le narrateur, donc, professeur lui-même,
se rappelle avoir été en contact, de façon
privilégiée durant ses études universitaires, avec un professeur désolant et
désolé qui attirait à la fois son admiration
la plus vive et sa consternation la plus
refoulée. Longtemps ils eurent des discussions à propos de la vie, de l’efficacité
d’une parole transmise souvent en pure
perte, de la fragilité des contacts
humains. Pendant ce temps, il fréquente
une jeune fille à lunettes. Devenu luimême un olibrius se produisant devant
des classes plus ou moins amorphes, il
se questionne sur son métier, sur sa vie
de couple, sur son rôle de père d’une ado
de quinze ans, sur ses relations avec une
étudiante moche, « poche» et nunuche,
lettres québécoises • été 2010 •
21
roman
HUGUES CORRIVEAU
sur les tâches ménagères et les
trahisons à la petite semaine.
Tout cela est franc, direct, troublant de vérité, dérangeant
même à force d’une sorte de
petite cruauté fuyante dans
l’analyse intrinsèque des sentiments délétères qui viennent à
ceu x qu i t r ave rs e nt u n e
période de remise en question.
LE CHANT DE
L’ Â M E E N P E I N E
Ainsi, l’angoisse fouit l’âme.
Regardant son professeur
d’université au moment d’une
rencontre dans son bureau, le
narrateur ne peut s’empêcher
PAT R I C K N I C O L
de se dire: «Je risque de vieillir
comme ça.» (p. 47) La constatation effraie, creuse l’abîme vers ce qui, inéluctable,
s’ouvre de l’avenir. Ne se dit-il pas, fataliste : « Le professeur ne raconte rien
d’autre que ma propre vie, mais située dans un autre décor» (p. 88)? L’avenir tout
entier sous les traits de cet être emporté par les petites défaites journalières et
professionnelles, mauvais professeur et mauvais vivant. La question essentielle,
il la posera au professeur au cours d’un appel téléphonique: «Comment se faitil qu’en vieillissant les hommes comme nous deviennent insignifiants?» (p. 105)
Le roman tourne autour de cette faille qu’il faut transgresser pour savoir vivre à
la mesure de ses espoirs, de la considération qu’on a de nous-même, de l’ambition
qui nous soutient vers la réussite, tout aléatoire soit-elle, de notre existence.
Roman superbe de finesse et d’un style parfaitement accordé au propos qu’il
tient, voici une voix que je suis depuis longtemps avec un intérêt jamais démenti.
II 1/2
Pierre Samson, Arabesques, Montréal,
Les Herbes rouges, 2010, 510 p., 29,95 $.
Quartier privé
Confondant, Arabesques tient de l’entourloupette savantissime, dont le style, presque amphigourique parfois, restreint
l’espace au cœur de l’excès.
ue de préciosité dans ce roman! Le jeu que propose Pierre Samson est
à la limite du supportable tellement les phrases en sont tarabiscotées à
force de se vouloir ciselées telles des mignardises. Par exemple, dans
«Margot vous présente Yvonne», on a droit à ceci: «Bottée et sanglée cette fois
dans sa canadienne à brandebourgs usés et à bûchettes d’os oblongues et veinées
de bistre, la tignasse enfournée dans un schapska d’homme, elle retrouva
novembre.» (p. 350) La précision est sans doute à ce prix! D’habitude, je ne suis
pas si frileux.
Q
UNE MANIÈRE DE COMPOSITION
Protégés dans un quadrilatère de Montréal, les personnages vivent repliés sur des
lois mémorielles qui en assurent la pérennité. De vilains spéculateurs veulent
raser le lieu pour laisser place à l’autoroute devant remplacer l’actuelle rue Notre-
22 • lettres québécoises • été 2010
Il y a beaucoup de monde
là-dedans, entre autres
Pax et Margot y tiennent
le plus souvent le crachoir,
et quand ils se taisent,
c’est pour passer la parole
à Édith, à Bastien et à
combien d’autres qui, pour
la plupart, s’interrogent sur
l’opportunité d’accepter en
leur rang un nouveau venu
du nom de Youssi.
Dame (on connaît la saga). Mais l’endroit protège des dieux tutélaires empêchant
les habitants de trop s’égarer. C’est le cas du «Divin Escalier» décrit sobrement
par Samson, dont je prélève ici
la substantifique moelle dans
ce monologue de l’escalier luimême : « Se retrouver dans
mon dédale, c’est savoir se rappeler. Pour vous venir en aide,
il y a, bien entendu, un langage
géométrique composite: […]
trapans décorés de chutes d’ornements ou nus; volée s’élançant dextrorsum ou en sens
contraire, branchue ou non,
raide ou brise-cou deux quarts
tournants, ou en fer à cheval,
ou en caracole, hélicoïdale, en
hêtre, en chêne, en érable, en
tauari exotique ; balustres en
gorgerin, à rinceaux, hathoriques ou campaniformes; tréPIERRE SAMSON
mie hexagonale; limon à crémaillère ou uni ; vermiculure
tracée […].» (p. 456)
DES ZINZINS ZIGOTOS
Il y a beaucoup de monde là-dedans, entre autres Pax et Margot y tiennent le plus
souvent le crachoir, et quand ils se taisent, c’est pour passer la parole à Édith, à
Bastien et à combien d’autres qui, pour la plupart, s’interrogent sur l’opportunité
d’accepter en leur rang un nouveau venu du nom de Youssi. Ce dernier est en fait
le cheval de Troie envoyé par les méchants spéculateurs pour convaincre la tribu
de quitter les lieux. L’histoire n’est pas sans intérêt, n’étaient les trop nombreux
écarts, parfaitement assumés par l’auteur qui présente son œuvre comme «touffue, voire monstrueuse, composée de digressions et trouée de fuites […]». C’est
que voilà, à force de vouloir que son roman soit «un vibrant plaidoyer pour une
langue libre de déployer ses trésors», on perd ses référents, on s’égare un peu
dans les méandres tarabiscotés de paragraphes souvent superflus (quoique
beaux, sans aucun doute, voués au beau français fleuri) mais, ô combien! lourdingues. Je me prends à penser à l’exceptionnel roman de Jean-Simon
DesRochers qui nous propose, dans La canicule des pauvres, un semblable microcosme composite mais, ô combien ! plus dynamique, quoique écrit dans une
langue infiniment moins châtiée (même souvent fautive), mais qui garde en elle
la force des œuvres foisonnantes.
roman
JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU
IIIII
Nelly Arcan, Paradis, clef en main, Montréal,
Coups de tête, 2009, 148 p., 14,95 $.
Ni putain
ni folle,
mais une grande
écrivaine
Je m’étais refusé de lire Nelly Arcan. Je la croyais une luciole
qui avait éclairé quelques saisons littéraires, sans plus. En
refermant Paradis, clef en main, œuvre posthume s’il en est,
je reconnais m’être trompé. Son départ hâtif laisse un
espace inoccupé au registre de la société des écrivains où
son immense talent et l’univers romanesque qu’elle a créé
l’ont inscrite.
Force m’est donné de reconnaître le sérieux
de son propos et les qualités réelles de son talent
d’écrivaine : relisons Nelly Arcan et apprécions
pleinement ce qu’elle a laissé en héritage.
CLEF EN MAIN
C’est Léon, cet oncle qu’elle a aimé par-dessus tout, qui lui a conseillé la société du
docteur Paradis, un médecin qui sauvait ses patients de cancers mortels jusqu’au
jour où son fils unique s’est suicidé. Cependant, pour que la société que le médecin dirige intervienne, il faut respecter un code, un protocole. La première étape
consiste à rencontrer le comité de sélection qui sonde les véritables intentions du
client, entre autres le moyen qu’il préfère pour mettre fin à sa vie. Ensuite, il y a
une rencontre avec un psychiatre. Précisons ici que chacune des étapes est précédée d’épreuves que le client doit franchir. Par exemple, pour rencontrer le psychiatre, Antoinette a dû visiter « Chez Parée », le « bar de soldates de l’amour
dont l’unique arme était leur corps» (p.76), avant qu’on l’amène au médecin spécialiste.
Parallèlement au récit de sa course vers la mort, la narratrice raconte les événements de sa vie actuelle, celle d’une femme alitée, à la merci d’une mère envahissante, incertaine de ce qu’elle fera de son avenir.
C’est lors d’un retour au temps présent
qu’Antoinette se souvient de Léon, « le seul
homme qu[’elle] ait aimé dans [s]a vie» (p. 116).
C’est avec lui qu’elle a abordé le suicide en tout
premier lieu de façon sérieuse. Avant, comme elle
le dit: «J’ai voulu mourir souvent dans ma vie.
Mais pour mourir, il faut attendre la maladie, ou
l’accident, il faut attendre de s’endormir de
fatigue à force d’être vieux ou encore il faut se
prendre en charge et se tuer. J’ai essayé plusieurs
fois. Ça n’a jamais marché. Mon corps s’est toujours dérobé à ma volonté et à mes plans. »
(p. 141-142)
aradis, clef en main, c’est l’histoire d’Antoinette
Beauchamp. La jeune femme est devenue paraplégique
à la suite d’un incident de parcours de la société
«Paradis, clef en main», spécialiste du suicide assisté.
P
TA R E FA M I L I A L E
Comment vivre après l’échec qui a décuplé son non-intérêt à
vivre? L’héroïne raconte d’abord son existence avant cet événement. Fille unique de Micheline Beauchamp, une femme qui a
mis sa richesse dans «The Truth», une compagnie de cosmétiques, symbole de son refus de vieillir, Antoinette ne se souvient pas avoir voulu vivre. Cet état d’esprit semble inscrit dans
ses gènes, son grand-père maternel et son oncle Léon s’étant
eux-mêmes suicidés.
Toinette, comme la surnomme sa mère,
vit maintenant dans «une cage dorée et
exiguë», une chambre dont le plafond lui
sert d’écran sur lequel elle peut « écrire
avec le son de [s]a voix ». « Le plafond,
c’est aussi ma tête et les pensées qui s’y
bousculent, qui jouent des coudes dans la
promiscuité, ce sont mes mains, ma
bouche, le reflet de ma mobilité perdue.»
(p. 15)
Une chose est certaine : la jeune femme
n’a plus «envie de mourir» (p. 33) et s’occupe au «rappel du passé, [au] présent de
la paraplégie et [à] l’alcool: voilà ce qui
constitue l’espace de [s]a vie, [s]on carré
de sable, [s]on terrain de jeu» (p. 35-36).
Or, même si la narratrice a recours à un spécialiste du suicide assisté, la part du hasard dans la
réussite de son projet reste probable. Pas étonnant alors qu’une partie de poker soit une des
obligations que Paradis impose à sa clientèle.
Cette métaphore m’apparaît très puissante, car
elle s’applique à la vie comme à la mort.
N E L LY A R C A N
ESPOIR RETROUVÉ
Paradis, clef en main est un roman de l’espoir retrouvé. Le suicide assisté ayant
échoué, la situation a forcé la jeune femme à faire une profonde réflexion sur la
vie, la mort et ce qu’il y a entre ce début et cette fin. Cela est remarquable, car Nelly
Arcan, dont les qualités d’écriture m’ont semblé, dans ce dernier roman, transcender le sujet de Putain, ou de Folle, fait avec son héroïne une rétrospective de
l’avant et de l’après suicide. Il a fallu qu’Antoinette soit clouée au lit pour apprécier ce que l’existence peut lui offrir, même en fauteuil roulant.
J’ai lu tout Arcan avant de terminer Paradis, clef en main. Cela m’a permis de
mettre cette œuvre en perspective. Force m’est donné de reconnaître le sérieux de
son propos et les qualités réelles de son talent d’écrivaine: relisons Nelly Arcan et
apprécions pleinement ce qu’elle a laissé en héritage.
lettres québécoises • été 2010 •
23
roman
JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU
II
II
Myriam Beaudoin, 33, chemin de la Baleine,
Montréal, Leméac, coll. « Roman », 2009, 192 p., 21,95 $.
Maryse Latendresse, Pas de mal à une mouche,
Montréal, Hurtubise, coll. « AmÉrica », 2009, 288 p., 24,95 $.
Au bout
de la route,
la déraison
Danger :
triangle
amoureux
Myriam Beaudoin fait reposer la trame de son troisième
roman, 33, chemin de la Baleine, sur une suite de lettres qui
développent les thèmes de la joie et de la peine amoureuses,
de la folie, du vieillissement et du deuil. Qu’en est-il vraiment ?
Les premiers romans de Maryse Latendresse lui ont valu
l’estime de la critique et l’attention des lecteurs. On a dit
qu’elle était le nouveau porte-étendard de l’histoire d’amour.
Avec la parution de Pas de mal à une mouche, l’espoir d’une
œuvre marquante était grand, comme un tournant dans
l’aventure littéraire.
Le récit gravite autour d’Éva Paradis, une dame âgée vivant à la Résidence Jardin.
Sans Solène, l’infirmière qui prend soin d’elle, et Julio, le jardinier, elle serait
seule au monde. Un jour pourtant, elle reçoit la visite d’un étranger, Jacques
Lenoir; il lui apporte un album de photos accompagné d’une abondante correspondance relatant quelques mois dans la vie d’Éva et d’Onil Lenoir, son mari.
L E S L E T T R E S D ’ É VA
Dès la première visite de Jacques, la
vieille dame lui demande de lire les
lettres qu’il lui a apportées, la première
datant du 6 janvier 1953. Le roman est
ensuite une succession de séances de
lecture jusqu’à la missive du 23 septembre 1953.
La correspondance raconte qu’Éva,
une jeune femme de condit ion
modeste travaillant en usine, a rencontré, au parc Belmont, Onil Lenoir,
un écrivain célèbre. Le père d’Éva
connaît les livres de Lenoir et accepte
de lui donner la main de sa fille, malgré la différence d’âge. Marié le 13 juin
1951, le couple fréquente le milieu littéraire montréalais et rencontre, entre autres, Claude-Henri (Grignon), Marcel
(Dubé), Jovette (Bernier), Alain (Grandbois).
Pas de mal à une mouche, c’est le récit de l’urgent désir de Marie Matte: avoir un
enfant avant la quarantaine. Célibataire, elle rencontre Vincent Lucas, un redoutable homme d’affaires, séducteur invétéré et peut-être candidat à la paternité.
N A R R AT E U R O U N A R R AT E U R S ?
Une question s’impose rapidement: qui est, qui sont les narrateurs? Marie Matte,
certes. Mais, pour identifier le second narrateur, il faut attendre qu’apparaisse
Richard Kilanowicz, le psychothérapeute de Vincent, l’autre narrateur. Connaissant
Vincent mieux que lui-même, il s’intègre aux péripéties sans difficulté.
Les monologues de Marie et de Richard illustrent leurs préoccupations, face à
eux-mêmes, à la passion amoureuse qui s’installe entre eux, à leurs rapports
avec Vincent. Ainsi, Richard suggère à Vincent de rencontrer Marie dont il lui
parle tant; le coup de foudre entre Marie et Richard est immédiat. Entre temps,
Marie tente de convaincre Vincent de lui faire un enfant. Devant le refus répété de
ce dernier, elle part seule pour faire le point, mais Richard, sans prévenir, la
rejoint.
MARIE, VINCENT ET LES AUTRES
La suite du roman néglige la vraisemblance. Marie, enceinte, croit que Vincent est
le père, n’ayant eu qu’une relation protégée avec Richard. Théo naît, ce qui plonge
Vincent dans un profond désarroi, l’enfant lui rappelant un souvenir douloureux
de sa propre enfance.
Onil a vite besoin de solitude pour écrire et il se retire à Isle-aux-Coudres, laissant
sa jeune épouse aux bons soins de Simone, à la fois domestique et dame de
compagnie. C’est à partir de ce moment-là qu’Éva entreprend d’écrire presque
quotidiennement à son mari, lui racontant la lente et douloureuse dérive de son
amour pour lui jusqu’aux limites de la folie.
Maryse Latendresse a mis en place une tension extrême entre les personnages,
hélas! elle a cousu de fil blanc leurs rapports improbables. Voilà pourquoi, lorsque
Vincent découvre par hasard les lettres que Marie écrit à Richard, il est déjà trop
tard pour changer quoi que ce soit: il ne peut rien à la macabre découverte du
corps de ses parents lorsqu’il était enfant et, maintenant, au fait qu’il n’est pas le
père de Théo.
Que de détails auxquels nous avons droit! Ils en viennent à alourdir inutilement
le récit. D’autres éléments de la trame sont par contre négligés, par exemple les
origines de Jacques ou sa relation avec Solène qui sont à peine évoquées.
Heureusement, la chute du roman est un des temps forts de l’histoire, qui nous
permet de comprendre la fin tragique d’un amour d’autrefois.
Il n’est pas simple de raconter un triangle amoureux, surtout quand un des personnages croit que l’amour entre ses parents les a unis jusque dans la mort. La
romancière y parvient de façon maladroite, parfois invraisemblable. La lecture de
Pas de mal à une mouche ne m’a pas ennuyé, j’ai seulement cessé d’y croire après
une quarantaine de pages.
24 • lettres québécoises • été 2010
roman
MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE
III 1/2
Patrick Drolet, J’ai eu peur d’un quartier autrefois,
Montréal, Hurtubise, coll. « Textures », 2009, 112 p., 18,95 $.
Magnifique
délire
J’ai eu peur d’un quartier autrefois distille une certaine horreur
en déployant d’agiles ressorts narratifs. Hypnotique.
ne rue, baignée de la même
lumière opaque et diffuse que
celle qui enveloppe certains
souvenirs. Et un homme, chez lui. Pensif,
lascivement nerveux, il guette son voisinage. Un homme qui, le temps d’un
roman, va nous plonger dans son angoissante solitude.
U
terrorisent l’homme. Il ne comprend pas ce que fait cet enfant, si légèrement vêtu,
appuyé contre une porte de garage derrière chez lui et «l’anxiété trac[e] tranquillement son chemin» de son cœur à son esprit. Les choses ont changé autour
de lui. Ou est-ce lui?
« BEAUTÉ OBSCÈNE »
On avale les brefs chapitres et le talent de l’auteur se confirme, le délire du personnage s’impose. L’anxiété qui l’accompagne dans ses menus déplacements
dicte le mouvement de ses doigts sur sa cigarette, l’empêche de bien lire les
signes de la faim. Il traîne, fait les cent pas. Il boit. Au fil de ses petits gestes
alourdis par une angoisse indicible apparaissent les souvenirs heureux d’une
adolescence passée au pensionnat. Les lits en métal, la grande salle des repas, les
messes en plein air durant la belle saison, tout lui revient. Corps automate et
esprit aiguisé, il se rappelle chaque détail et, surtout, cet enseignant qu’il aimait
bien, le père Fulton, fumeur de gitanes blondes sans filtre, grand marcheur et
amoureux de la nature.
Ces quelques éclats de lumière n’empêcheront pas la mort de rôder encore, de
réitérer sa présence. Au contraire, elle insiste. Si le narrateur tente pour une rare
fois de quitter son logis et sa solitude de plus en plus délirante, de plus en plus
obsessive, elle le traque, «prêt[e] à bondir».
Et l’on se réconforte dans ces verbes à l’imparfait, à ce «autrefois» qui traîne sur
la couverture. Car même si elles sont psychotiques, les craintes de ce personnage
solitaire et névrosé nous ont happés, portés par cette écriture singulière, nerveusement belle et intelligente.
II 1/2
Marie-Noëlle Gagnon, L’hiver retrouvé,
Montréal, Triptyque, 2009, 160 p., 18 $.
Depuis le meurtre d’un voisin,
« éventré honteusement », la
mort rôde autour de chez lui,
« mordill[e]les marches des
perrons comme un rat qui
cherche sa pitance à l’aurore».
Obsédé par son quartier, par sa
rue, il l’observe méticuleusement. Parfois, il n’ose l’épier de
face. Dos à la fenêtre, il croit
PAT R I C K D R O L E T
deviner les ombres qui se
meuvent dans les maisons avoisinantes. Les voitures stationnées, les pas dans la
neige, l’homme a tout remarqué, décelé chaque incongruité. Au fil de ses journées
lentes, il décortique ce microcosme autour de l’antre où il vit reclus. L’écriture
libre et souple brouille les pistes entre la réalité plate de son quotidien solitaire et
ses obsessions inquiétantes. Fascinés, on se laisse vite happer, aspirer par cet univers menaçant.
L’âme du narrateur et le quartier qui l’obsède sont ici disséqués avec la même
dextérité. L’écriture s’impose, précise et élégante, malgré les images brunes et
sombres qu’elle donne à voir. Les fils électriques autour de la maison du voisin
L’anxiété qui l’accompagne dans ses menus déplacements dicte le mouvement de ses doigts sur sa cigarette,
l’empêche de bien lire les signes de la faim. Il traîne, fait
les cent pas. Il boit.
Sentiments
insulaires
Diptyque à la frontière du conte et de l’intrigue, L’hiver
retrouvé magnifie la fatigue et une forme d’errance au fil d’un
récit qui fait une large place aux symboles.
eureux d’avoir trouvé «un endroit neuf où tenter d’oublier les défaites
et d’échapper à [ses] farouches lâchetés», un homme arrivé par hasard
à Sili trouve refuge en cette ville qui ne connaît plus l’hiver et que la mer
a inexplicablement désertée. Tout de suite accueilli par Dave dans une maison
éclectique qu’il partage avec quatre femmes — la vieille Betie, la laide
Emmanuelle, la jeune Prile et la douce Cerise —, le nouveau venu s’y installe. Et
il se construit un quotidien, bercé par l’idée de retrouver la mer qui bordait jadis
la petite ville et qui s’en est allée. Il fait la promesse folle aux habitants de leur
ramener cette mer dont seul le sol encore salé rappelle l’existence passée. Mais
leurs espoirs sont grands et sa volonté à lui, molle et friable.
H
Dans ses recherches bâclées comme dans sa relation avec l’adorable Cerise, qui
l’aime avec un dévouement qu’il ne s’efforce pas de mériter, l’homme fait preuve
du même enthousiasme nonchalant. Si cette mollesse peut s’expliquer par un mal
de vivre maintes fois évoqué, par une immense fatigue et un désir de fuite adroitement illustrés, peu de clés sont offertes pour la comprendre. Ce mal à l’âme
lettres québécoises • été 2010 •
25
roman
MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE
SE NOURRIR
DE CHAIR
titille pourtant plus la
curiosité que cette mer
disparue que s’obstin e nt à p l eu re r l e s
vieux villageois.
Le roman tangue entre
la fable et l’intrigue. Les
personnages — colorés et féeriques comme
dans les contes — ont
toutefois des contours
incertains, des desseins
théâtraux mais flous.
Le suspense qui semble
vouloir nous tenir en
haleine adhère mal à
ces contours peu défiMARIE-NOËLLE GAGNON
n i s , ces st r uc t u re s
agréables mais trop ouatées. Où est passée la mer? Quels sont ces secrets que
cache la vieille Betie? Qui est ce meurtrier qui décime les vieillards du village dans
une mise en scène si explicite? Si l’on accepte avec un certain plaisir de se laisser
porter par cette écriture qui connaît quelques belles envolées, la plume agace lorsqu’elle suggère lourdement que nous devrions être impatients de connaître l’issue
de ces intrigues.
1/2
Benoît Quessy, À Juillet, toujours nue dans mes pensées, Montréal,
Québec Amérique, coll. « Première impression », 2009, 176 p., 16,95 $.
Cybersexe,
clichés et
kamikazes
Ambiance de fin du monde, jeunesse en manque de repères
et abondance de nouveaux gadgets… À Juillet, toujours nue
dans mes pensées est un roman d’anticipation qui ressasse de
vieilles idées.
La seconde partie de ce diptyque est
la plus réussie, c’est là que la plume
séduit réellement. On y dépeint
l’amour d’une ogresse, seule sur une
île envahie par l’hiver, pour un
homme qui ignore son passé cannibale. « Échoué sur [son] île et dans
[sa] vie silencieuse avec [son] propre
fardeau de silence », il fait le bonheur
doux de l’ogresse. Leur quotidien,
ponctué par la recherche de nourriture et les aléas de l’hiver éternel,
laisse découvrir une ogresse pleine
de douceurs. « Te regarder me donne
des envies depuis longtemps refroidies de chocolat et de batailles
d’oreillers », ainsi aime-t-on son homme quand notre chair est épaissie par
celle des autres.
Si la première partie de l’œuvre nous laisse mitigés, la seconde diffuse des images
blanches et poétiques, malgré le caractère sanglant des habitudes alimentaires
d’une ogresse.
dilection des trop nombreuses et malhabiles discussions entre Frank et son ami
Lou, attablés autour d’une bière. Ils auront aussi à plusieurs reprises l’occasion de
discuter de Lol, la jeune amie et amante de Juillet qui, bien sûr, s’avère plutôt inspirante aux yeux de Lou.
Tel qu’il est dépeint, «ce monde débile» rassemble des idées sur le futur maintes
fois développées par d’autres, de la littérature aux «blockbusters» américains:
une météo complètement perturbée, l’espèce humaine aux prises avec de sérieux
problèmes de fertilité et incapable de gérer le flux des réfugiés climatiques. Et sur
cette planète en péril, une société qui ne va guère mieux. On souligne à gros traits
son obsession pour les questions sanitaires, son penchant pour la surconsommation, sa fascination pour les corps à peine pubères ainsi que l’égocentrisme et
l’hypersexualisation des rapports humains qui la construisent. Ces critiques
trop faciles, plaquées dans le récit, agacent par leurs effluves moralisateurs et peu
subtils. On aurait pu user de plus de finesse pour camper le destin tragique de
l’héroïne, établi dès les premières pages.
SEXE 3.0., MÊMES CLICHÉS
E
Préoccupée elle aussi par l’agonie de la planète, Juillet lance un «site trash d’écoloporn underground» grâce auquel elle souhaite amasser des fonds pour une organisation écologique, offrant ainsi au récit un autre prétexte pour des scènes érotiques,
grotesques et banales malgré la modernité des moyens. Le vocabulaire ennuie lorsqu’il est explicite, mais frôle le risible lorsqu’il se pare d’images: une érection est alors
«un petit lever de soleil»; le sexe féminin, une commune «chapelle ardente».
Avant de faire la rencontre de Juillet — qu’il séduira avec des courriels érotiques
—, Frank multiplie les ébats virtuels, notamment avec la représentation d’une
rousse présentatrice météo. En effet, grâce à un «slip avec membrane stimulante
muni de senseurs pour les fesses», les internautes peuvent maintenant ressentir
de manière très convaincante les plaisirs du cybersexe. Ces nouvelles possibilités
sensuelles — de même que les plus ancestrales — font partie des sujets de pré-
Si les mésaventures de cette énième jeunesse perdue s’avèrent par moments
attendrissantes, les trop nombreux éléments irritants balaient cette première
impression. On pourrait concéder que le triste destin de Juillet interroge les
mécanismes du désespoir et les rouages de l’endoctrinement au service d’une
cause aussi noble que l’environnement. C’est peut-être ce qui a séduit en ce
roman — il était de la liste préliminaire au Prix des libraires —, mais, trop agacée par tout le reste, j’ai été incapable de me laisser émouvoir.
n 2033, le terrorisme se décline en différentes tendances écologistes et
les avancées technologiques ont permis de décupler les possibilités du
cybersexe. C’est dans « ce monde où rien ne s’arrange » que se joue
l’histoire d’amour entre Frank, musicien «Trad», et Juillet, «jeune comtesse de
Ségur hardcore» qui tient un site porno.
26 • lettres québécoises • été 2010
polar
NORMAND CAZELAIS
IIII 1/2
Jean-Jacques Pelletier, Les gestionnaires de l’Apocalypse 4,
La faim de la Terre, tomes 1 et 2, Québec, Alire, 2009, 770 p., 19,95 $.
Question
de pouvoir
Le pouvoir du romancier est d’abord celui de l’imagination. C’est encore mieux quand s’y greffe un
réel talent de narrateur. Ni l’un ni l’autre ne font
défaut à Jean-Jacques Pelletier. À preuve, les succès de librairie que connaissent ses cycles romanesques.
es deux tomes de La faim de la Terre complètent la série des
Gestionnaires de l’Apocalypse. Des pavés, en format poche,
de plus de 750 pages chacun, ce n’est pas rien. Peut-être
avez-vous lu les précédents: La chair disparue, L’argent du monde, Le
bien des autres. L’auteur y met en scène, à l’échelle macroscopique,
des chassés-croisés politiques, financiers, commerciaux, militaires,
mafieux, ce qui n’est pas rien non plus. Le tout constitue évidemment, en filigrane, une réflexion sur notre destin collectif.
L
La recherche documentaire est impressionnante, comme l’est la
réflexion qui la sous-tend et l’organise. Car il ne s’agit pas ici que
d’un seul thriller conçu pour divertir, mais d’un projet, celui de dresser un portrait d’ensemble du monde contemporain et de jauger les
grandes forces susceptibles d’orienter son avenir… pour le meilleur
mais surtout pour le pire, à en croire les avertissements sous-jacents
de l’auteur. Heureusement, il y a les impondérables du hasard.
Si l’intrigue est complexe à souhait, enfilant complots, chaussestrappes, trahisons et faux-semblants, nombreux personnages à
triple fond et autres manifestations de la malignité humaine, le corpus est
assez classique : deux puissances occultes s’opposent par voies et voix interposées. D’une part, le Consortium, groupe restreint mais international de « criminels en col blanc»; d’autre part, l’Institut, organisation se concentrant sur les
« formes majeures de criminalité » et que dirige F, une femme « énigmatique »
et solitaire. Entre elles se retrouvent la planète tout entière, des médias qui
font de l’information thrash… et Gonzague Théberge, inspecteur de la police de
Montréal — à l’humour acide — qui aspire à la retraite… et qui a développé
une aptitude à parler aux morts.
Dirigé par un homme au nom prédestiné — Killmore —, qui lui-même s’alimente à des «auteurs du désespoir», le Consortium ne lésine pas sur les moyens.
Il a un objectif clair: «Nous allons manipuler l’extinction planétaire de manière
à favoriser l’émergence d’une nouvelle humanité. Une humanité rationnelle,
débarrassée de ses délires et de ses illusions. [...] Notre tâche sera de veiller à ce
que le passage s’effectue de manière efficace.» Ce progrès, si l’on peut employer
un tel terme, passera par le chaos, un «chaos créateur», issu de la manipulation
tous azimuts car, seule «l’Apocalypse peut faire accéder l’humanité à un stade
plus avancé d’organisation (et) dissoudre les rigidités sociales et culturelles qui
empêchent l’évolution de notre espèce». Et de se demander Killmore, en regardant le groupe des quelques rares « Initiés » : « Quand viendrait le temps de
l’Exode, combien d’entre eux trouveraient place dans la cohorte des Essentiels?»
JEAN-JACQUES PELLETIER
En d’autres temps et dans d’autres contextes, ces images
toutes bibliques ont trouvé pour noms et expressions le
nazisme et la solution finale, Pol Pot et le nettoyage idéologique, le Surhomme, Metropolis, La guerre des étoiles. Ou
encore l’appât du gain et du pouvoir, la guerre du Bien et du
Mal, de la Vie et de la Mort qui se nourrissent l’un l’autre. Et
le vieux rêve: dégager à jamais le genre humain de ses scories qui pèsent si lourd, éliminer l’autre qui gêne. Comme les
romans qui l’ont précédé, La faim de la Terre est celui d’une
chimère. Et aussi de l’humanité analysée globalement,
comme vue de l’extérieur.
Le genre policier a évolué, reléguant souvent le mystère du
coupable à démasquer derrière celui de l’âme à débusquer.
Pourquoi l’être humain en arrive-t-il à de telles extrémités, à
de telles folies? Des historiens — pensons à Edward Gibbon
dans sa célèbre History of the Decline and Fall of the Roman
Empire — ont voulu comprendre le processus de dégénérescence sociale. Des écrivains — pensons à la Comédie
humaine de Balzac, aux Rougon-Macquart de Zola — ont
pris un autre chemin. Aujourd’hui, de larges pans du policier
et du roman de mœurs à grand déploiement ont évolué vers le thriller qui ne
dédaigne pas adapter à l’occasion des techniques puisées à la science-fiction, à la
fantasy. On parle maintenant, vous le savez, de littérature «transgenre».
Afin de toucher un plus large lectorat, nombre d’auteurs ont choisi le thriller pour
traiter d’interrogations sociales, de problèmes philosophiques et planétaires.
L’approche de Jean-Jacques Pelletier s’inscrit dans cette veine. Il entraîne son lecteur tambour battant, parcourt le globe, plonge dans les dédales de l’informatique
la plus sophistiquée, déploie une pensée claire et un style vif qui évitent les
écueils d’une intrigue qui aurait pu être nébuleuse à force d’être touffue.
L’ambition romanesque de Pelletier ne relève pas du deux de pique, et il la sert
bien. Chapeau!
En tournant les pages, il m’est toutefois venu une double réserve, liée d’abord à la
forte rationalité du roman qui, paradoxalement, prédit l’échec d’un monde trop
rationnel. Réserve liée également à une comparaison: je n’ai pu m’empêcher de
penser à Edward Whittemore, mort trop tôt, et à son éblouissant Quatuor de
Jérusalem. La faim de la Terre m’a beaucoup plu mais ne m’a pas ébloui. Peut-être
à cause de la réticence de l’auteur à fouiller en profondeur, comme l’a fait
Whittemore, la psyché humaine. Sûrement parce que l’équivalent de sa démesure
— sinon de son génie — n’y est pas.Mais, ne nous y trompons pas, le travail de
Jean-Jacques Pelletier est nettement au-dessus de la moyenne.
lettres québécoises • été 2010 •
27
polar
NORMAND CAZELAIS
IIII 1/2
Chargé de l’enquête, le sergentdétective André Surprenant, l’esprit
«toujours un peu ailleurs» et en proie à
des déboires sentimentaux, attend de
quitter les Îles et d’être muté à Québec,
comme il en a fait la demande. Pour
ne rien arranger, ses relations avec son
patron immédiat, Mad Dog Dépelteau,
ne sont guère empreintes d’aménité.
« Pour se sortir du trou, il ne peut
compter que sur lui-même.» Même le
chat ne peut l’aider. Mais il est un policier: il fera son travail par devoir, aussi
poussé par une volonté de comprendre
pourquoi. Pourquoi? Telle est la question qui l’anime et le guide. Il en est
convaincu, « on ne tue pas un violoneux pour de l’argent».
Jean Lemieux, Le mort du chemin des Arsène,
Montréal, La courte échelle, 2009, 452 p., 29,95 $.
Vu de
l’intérieur
Ici, Jean Lemieux nous livre un polar de facture classique : un
meurtre, un lieu clos insulaire, des suspects, un mystère. Un
homme, en proie à des tiraillements, essaie de dénouer les
fils. Pour ce faire, il regarde vers l’intérieur des êtres : quels
mobiles derrière tout cela ? Une enquête qui révèle plus que
l’identité d’un assassin, à savoir les non-dits d’un tissu social.
Une belle réussite.
«Le grand, l’unique» Romain Leblanc, violoneux madelinot «au sommet de sa
gloire», trouve une mort violente dans sa maison. Rapidement, malgré une certaine mise en scène, l’hypothèse du suicide est écartée. Cet homme enclin aux
excès n’a pas fait que des heureux dans sa vie: des enfants négligés, une épouse
délaissée, un frère relégué toute sa vie au second plan, des amis abusés, des maîtresses larguées sans ménagement. Et, quand on remonte dans le temps, émergent
des jalousies, un mari disparu, des acquisitions de propriétés en coulisse, un
héritage ambigu, des dettes à acquitter.
Porté par des images marines et des références musicales disposées en contrepoint, Le mort du chemin des Arsène démontre une belle qualité d’écriture, un
vocabulaire précis et une affection manifeste pour cette créature à la fois si frêle
et si forte qu’est l’homme. Créant d’emblée une complicité avec le lecteur, Jean
Lemieux a une démarche qui lui appartient. Avec lui, la beauté s’associe à une
forme de morale: on fréquente des chemins qu’a explorés P. D. James. C’est un
compliment.
P.S. Procurez-vous à l’avance une carte détaillée des Îles-de-la-Madeleine pour
mieux suivre.
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28 • lettres québécoises • été 2010
HÉLÈNE RIOUX
Scott Symons, Place d’Armes, traduit de l’anglais, présenté et annoté
par Michel Gaulin, Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 348 p., 28 $.
Mises en abyme
présentation
Et pourtant, dit-il encore,
Tout ce que je veux, c’est le droit d’aimer mon pays, ma femme, mon
peuple, le monde dans lequel je vis. […] C’est la raison pour laquelle je
suis venu ici… parce que je suis incapable de vivre privé de ce droit.
(p. 126)
Un écrivain, Scott Symons, écrit un roman intitulé Place
d’Armes. Ce roman raconte l’histoire d’un écrivain, Andrew
Harrison, qui écrit un roman intitulé Place d’Armes.
L’auteur a puisé dans ses propres expériences tumultueuses la matière vive de son
roman.
André Gide à Marcel Proust, en passant par Italo Calvino et John
Irving, pour ne nommer que ceux-là, les écrivains sont nombreux à
avoir été tentés par la mise en abyme — André Gide serait d’ailleurs
à l’origine de l’expression. Des dramaturges comme Pirandello, des cinéastes
comme François Truffaut, des peintres comme Vélasquez ont également utilisé le
processus dans certaines de leurs œuvres. Scott Symons occupe toutefois une
place à part. Dans son roman, Place d’Armes, un deuxième
regard, celui de Hugh Anderson, en quelque sorte l’alter ego
de Symons, se juxtapose à celui du narrateur, et chacun
raconte à sa façon la même histoire. La mise en abyme est
donc double, puisque l’écrivain regarde ici l’écrivain se regarder. Mais plus encore, Hugh commente, critique, juge le
roman d’Andrew en cours d’écriture. L’un écrit son journal
— Symons a d’ailleurs inséré des extraits de celui qu’il tenait
pendant qu’il écrivait Place d’Armes, et qu’il appelait «journal
de combat». Les points de vue sont donc multipliés. Un effet
de miroir brisé où la même image se reflète à l’infini.
Né dans un quartier huppé de Toronto en 1933, rejeton d’une famille de tradition
loyaliste, Scott Symons fréquente les meilleurs collèges privés ontariens avant
d’aller terminer ses études à Oxford, puis à la Sorbonne, où il étudie la grammaire
et la littérature française. À 25 ans, il épouse une jeune fille de la haute bourgeoisie
torontoise avec laquelle il a un fils, Graham. Journaliste à l’emploi de différents
quotidiens — notamment à La Presse —, il est ensuite chargé de cours à
l’Université de Toronto et conservateur adjoint au Royal
Ontario Museum. Jusque-là, Hugh et Andrew ont à peu près
le même passé. Mais voilà qu’il renonce brusquement à tous
ses privilèges pour prendre la fuite avec son amant âgé de
17 ans, issu, lui aussi, de la meilleure société. Poursuivi par la
GRC, le couple maudit trouve refuge au Mexique. Après la
rupture avec son amant, Symons s’installe au Maroc. En 2000,
la maladie et les dettes le forcent à revenir au Canada, où il
s’éteindra en 2009 dans l’anonymat presque total.
D’
LE GRAND ROMAN CANADIEN
À l’instar de Hugh MacLennan, qu’il rejetait absolument,
Scott Symons rêvait d’écrire le « grand roman canadien »,
une œuvre qu’il voulait iconoclaste, visionnaire et révolutionnaire — tout le contraire des Deux solitudes, en fait. Son
but était de se libérer, et de libérer en même temps les lecteurs, du carcan dans
lequel la société canadienne-anglaise bien-pensante de l’après-guerre était enfermée. Vaste entreprise.
Divisé en vingt-deux jours — le temps que Scott Symons lui-même mit à écrire
son roman —, Place d’Armes commence dans le train qui conduit l’auteur de
Toronto à Montréal. Presque aussitôt arrivé à Montréal, celui-ci a une aventure
homosexuelle, qui se révélera une sorte de catalyseur, avec deux prostitués francophones rencontrés au hasard de ses errances aux alentours de la place d’Armes,
lieu qu’il veut comme personnage principal du roman.
Au fil des jours, fébrile — il a la grippe et peut-être quelque autre virus attrapé au
cours de l’épisode homosexuel du début —, il déambule dans cette place qui lui
résiste, décrit l’architecture de ses édifices, ses monuments et leur histoire, médite
dans l’église Notre-Dame, observe, sans aucune complaisance, le plus souvent
avec rage et dégoût, les passants. Il mange dans différents restaurants du quartier
avec différentes personnes, poètes, journalistes, propriétaires de galerie d’art,
tant francophones qu’anglophones. Et surtout, seul ou avec ses commensaux, il
s’interroge sur le sens de l’identité canadienne, et sur sa propre identité homosexuelle.
… je savais que je ne pouvais plus différer davantage le moment de me
jeter à l’eau. Que je ne pouvais plus rester «à l’extérieur» de tout cela. Je
savais que je faisais partie de ce milieu canadien que je détestais tant
mais que j’aimais en même temps. (p. 186)
UNE VIE SCANDALEUSE
Michel Gaulin, professeur émérite à l’Université de Carleton,
à Ottawa, nous offre ici une traduction remarquable de cette
œuvre ambitieuse, résolument hors du commun. Le texte
fourmillant d’allusions tirées de la littérature et de la culture
anglaises, le traducteur l’a soigneusement annoté «afin d’en
amplifier le plaisir de la lecture».
Paru en 1967, alors que l’homosexualité était encore considérée comme un crime, Place d’Armes a été accueilli par un chœur de critiques
outragées. N’empêche que, par la suite, Literary Review of Canada l’a classé
parmi les cent meilleurs livres publiés au Canada.
I N FO CA P S U L E
Que doit-on enseigner ?
Au début de l’année, il y a eu un branle-bas de combat à propos de l’enseignement de la littérature, particulièrement au secondaire. Que doit-on
enseigner ? Le débat a créé de vives discussions tout simplement parce
qu’au Québec, il n’y a pas de règles fixes, sinon des suggestions: couvrir trois
genres différents (le conte et la nouvelle étant privilégiés), faire lire cinq
œuvres par année (oeuvres écrites par au moins trois auteurs), dont la
moitié doivent être québécoises. Pour le reste, à la grâce de Dieu ! Ce qui a
pour résultat que, d’un professeur à l’autre, d’une classe à l’autre dans la
même école, on peut assister à des écarts considérables.
Nous sommes loin des programmes réglementés à la virgule près par un
ministère de l’Éducation pointilleux. Doit-on revenir à cette rigueur ? Pas
facile de répondre à cette question quand la littérature a littéralement
explosé depuis un demi-siècle au point que la France et la Belgique sont tout
aussi laxistes que nous.
lettres québécoises • été 2010 •
29
traduction
HÉLÈNE RIOUX
IIII
Alice Munro, Du côté de Castle Rock, traduit de l’anglais par Jacqueline Huet
et Jean-Pierre Carasso, Montréal, Boréal, 2009, 352 p., 27,95 $.
Histoires
d’une famille
Le dernier titre d’Alice Munro est
présenté comme un recueil de
nouvelles. Moi, je l’ai lu comme
un roman.
…si la femme aux moutons de poussière sous les lits avait lu les gros
livres, eût-elle été pardonnée? Je ne le crois pas. C’étaient les femmes qui
la jugeaient, et les femmes jugeaient les femmes plus durement qu’elles ne
jugeaient les hommes. (p. 139)
La narratrice est au centre de la deuxième partie. Dans «Des pères», un texte
troublant, nous la retrouvons enfant, avec deux camarades de classe: l’une déteste
son père, l’autre est trop aimée du sien. À l’adolescence, elle connaît l’éveil de sa
sexualité avec un garçon un peu étrange. Plus tard, elle travaille un été comme
bonniche dans une famille peu sympathique qui habite sur une île. Elle se marie.
Et à la fin, comme par magie — celle de l’écriture —, la boucle est bouclée,
tous les fragments s’emboîtent. On est émerveillés devant la fresque.
cause, sans doute, de l’unité parfaite de l’ensemble, ce fil qui relie
chacun des textes. Au fond, ces
définitions ont de moins en moins d’importance. Les genres ont désormais tendance à se confondre, et c’est parfois pour le
mieux. Quoi que j’en pense, l’auteure, elle,
considère ses textes comme des nouvelles.
À
IIII
Yann Martel, Mais que lit Stephen Harper ?, traduit de l’anglais
par Émile et Nicole Martel, Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 262 p., 25 $.
Au cours de ces années, j’étais
aussi occupée à écr ire un
ensemble de nouvelles différentes des autres. Elles ne furent pas incluses
dans les livres de fiction que j’assemblais à intervalles irréguliers.
Pourquoi? J’avais le sentiment qu’elles n’y avaient pas leur place. Sans
être des mémoires, elles étaient plus proches de ma propre vie […], j’y
explorais une vie, la mienne, mais pas d’une manière austère ni avec un
respect rigoureux des faits. C’était moi-même que je plaçais au centre et
j’écrivais au sujet de ce moi…
(p. 10), nous confie Alice
Munro dans l’avant-propos.
Donc, des nouvelles librement
autobiographiques qui se lisent
comme un roman.
UNE LONGUE
HISTOIRE
FRAGMENTÉE
L’auteure élabore son récit à
partir de lettres, d’extraits de
journaux intimes, d’inscriptions sur des pierres tombales.
Le tout débute dans la vallée
de l’Ettrick, en Écosse, d’où
sont originaires les ancêtres de
ALICE MUNRO
la narratrice. En voyage là-bas,
celle-ci se rend au cimetière où repose Robert Laidlaw, son arrière-arrièrearrière-grand-père. Du côté de Castle Rock nous raconte, par fragments, l’histoire
de cette famille emblématique.
La première partie se déroule avant la naissance de la narratrice. Nous croisons,
en Écosse, des personnages hauts en couleur, bergers comme ce Will O’Phaup et
30 • lettres québécoises • été 2010
sa ribambelle d’enfants, puis les enfants de ces derniers. Ils sont parfois illuminés,
parfois cocasses, souvent pathétiques, toujours profondément humains. Nous
apprenons comment leurs descendants ont un jour, poussés par la misère et
l’espoir d’une vie meilleure, traversé l’océan et se sont installés en Ontario. Leurs
amours, leurs espoirs et leurs déceptions nous sont racontés. L’auteure glisse
parfois une observation, toujours juste, sur les mœurs de l’époque.
Correspondance
à sens unique
Sidéré, et profondément blessé, par le mépris que Stephen
Harper, premier ministre du Canada, semblait témoigner à la
culture en général et à la littérature en particulier, Yann
Martel a décidé de lui envoyer une lettre toutes les deux
semaines, et ce, depuis le 16 avril 2007. Dans chaque lettre,
il commente le livre qu’il lui fait parvenir dans le même envoi.
Le premier ministre, hélas, ne répond pas.
ommage, parce qu’on aurait bien
aimé, à l’occasion, savoir si
M. Harper avait lu le livre proposé, connaître sa réaction. Un dialogue
aurait pu s’amorcer. L’image glacée, figée, se
serait peut-être humanisée. On pense à
Voltaire et autres philosophes du Siècle des
Lumières qui correspondaient avec les
grands de leur époque — Catherine de
Russie, Frédéric de Prusse. Despotes éclairés ou non, au moins ces gens-là répondaient à leurs lettres. Aux lecteurs que nous
sommes, ce plaisir sera refusé.
D
Au fond, qu’importe, puisque cette correspondance à sens unique est à présent
réunie, du moins jusqu’au 20 juillet 2009,
dans un recueil paru sous le titre de Mais que lit Stephen Harper? Nous ne le saurons pas, mais nous apprendrons ce que lit l’auteur, Yann Martel, et pourquoi.
traduction
HÉLÈNE RIOUX
III
M A I S Q U E L I T YA N N M A R T E L ?
On apprend beaucoup sur une personne quand on sait ce qu’elle lit. Est-ce
pour cela que le premier ministre répugne à répondre ? Craindrait-il de trop se
livrer en confiant ce qu’il lit ? Yann Martel, lui, le dit avec une grande simplicité
— beaucoup d’humilité aussi. Et on apprend beaucoup sur lui.
Conscient qu’un premier ministre est très occupé, Martel s’est donné comme
contrainte de ne lui envoyer que des livres courts. N’empêche que l’éventail des
œuvres proposées est vaste et éclectique. D’Agatha Christie à Larry Tremblay en
passant par Tolstoï, Mishima, Voltaire, Marc Aurèle — sans oublier Michael
Ignatieff —, il suggère sans rien discriminer romans, nouvelles, poésie,
théâtre, biographies, albums pour
enfants, scénarios, bandes dessinées.
Les auteurs, morts ou vivants, sont
canadiens, québécois, russes, suédois, américains, japonais, colombiens, français, anglais et autres.
Chaque lettre est suivie d’une notice
biographique.
Il propose des livres qu’il a aimés,
bien sûr, La mort d’Ivan Ilitch de
Tolstoï, par exemple, pour «la clarté
et la précision» de l’observation, l’aspect actuel et universel de ce livre
écrit en Russie en 1882 ; ou The
Uncommon Reader, pour l’ironie,
l’humour et la légèreté non dénuée
YA N N M A R T E L
de substance du propos. Mais il suggère aussi des livres qu’il n’aime pas. Écoutons-le parler de Fictions, de Jorge
Luis Borges, un recueil de nouvelles qu’il avait peu apprécié il y a vingt ans, et
dont la relecture ne l’a pas davantage impressionné:
Miguel Almeyda Morales, Le barrio, traduit de l’espagnol (Pérou)
par Pierrette Richard, Québec, L’instant même, 2009, 129 p., 20 $.
Le théâtre
comme thérapie
Interné dans un hôpital psychiatrique, Ángel Morales, sujet à de
graves crises d’angoisse, se voit confier la responsabilité de former une troupe de théâtre avec ses compagnons d’infortune.
ntre première et troisième
personne, ce roman polyphonique, traduit avec beaucoup de sensibilité par Pierrette
Richard, alterne les extraits du journal
d’Ángel, l’élaboration d’une création
collective avec les patients, les souvenirs du barrio — ou bidonville. Les
personnages, tous des écorchés vifs,
finiront par exprimer, chacun à sa
manière, l’insoutenable douleur de
vivre qui est la leur. Il sera question de
trahisons, des séquelles de la guerre
fratricide qui a déchiré le pays, des
obsessions des protagonistes. Cela ne
se fait pas sans heurt. Mais la délivrance doit emprunter ce chemin, et il faut qu’à
la fin la vérité éclate. La vérité ? Ángel en doute parfois.
E
Je n’ai aucune putain d’envie
d’écouter ces fous pitoyables
raconter leur vie, des vies qui ne
sont peut-être même pas les leurs,
mais plutôt une projection de
leurs cauchemars. (p. 78)
Il y a chez Borges un échec à s’engager dans les complexités de la vie, les
complexités de la vie matrimoniale ou parentale, ou même, dans n’importe
quel autre engagement émotif. […] Et donc, ma conclusion cette fois-ci,
tout comme ma déduction initiale déconcertée, reste: c’est du travail juvénile, ça. Pourquoi donc vous envoyer un livre que je n’aime pas? (p. 200)
Dans la préface, Robert Lepage
se dit impressionné par ceux qui
ont choisi de donner une voix
aux exclus.
Il y a les valeurs sûres, Le petit prince, Lettres à un jeune poète, Le vieil homme et
la mer, disons. Mais il y a aussi des surprises. Ainsi, Yann Martel a envoyé Los Boys
de Junot Díaz, dont il n’avait «jamais entendu parler, non plus que de son auteur».
Il a par la suite appris que celui-ci venait de remporter le prix Pulitzer. Il y a des
livres achetés dans des librairies d’occasion — dans l’un d’eux, une photo de
groupe, neuf inconnus, s’échappe. Il y en a un autre qu’il fait dédicacer par l’auteur. Des trésors, quoi.
Ce livre est également irrésistible pour une autre raison : bien que les lettres
soient toutes adressées à Stephen Harper — l’auteur lui donne parfois son avis
sur des décisions politiques, le félicite d’avoir gagné ses élections, lui souhaite un
joyeux Noël —, on en vient presque, à cause du ton intimiste, sans doute, à avoir
l’impression d’en être le destinataire. On a hâte de lire — j’allais dire d’ouvrir —
la suivante, on voudrait répondre qu’on a aussi apprécié tel roman, moins tel
autre, qu’on va certainement lire celui-ci, mais que celui-là ne nous convient
pas. On s’étonne qu’il ait négligé tel titre qui nous a tellement marqué, on voudrait
faire à notre tour des suggestions.
Pour ceux qui connaissent peu la littérature, c’est une excellente initiation. Et pour
ceux qui, comme moi, l’aiment d’amour, un pur enchantement.
Quand je pense que, pour plusieurs, créer veut dire résister et
que résister signifie, malheureusement dans bien des régimes,
mettre sa vie en danger, ma fascination pour ces artistes se transforme en admiration… (p. 11)
MIGUEL ALMEYDA MORALES
En ce sens, Le barrio est certes
un livre admirable.
Conteur, poète et scénariste, Miguel Almeyda Morales a lui-même fondé une
troupe de théâtre à Lima. Désormais coopérant volontaire, il partage son temps
entre le Québec et le Pérou, où il travaille comme animateur dans les bidonvilles de la capitale.
lettres québécoises • été 2010 •
31
récit
Y V O N PA R É
III
Roland Bourneuf, L’ammonite, Québec,
L’instant même, 2009, 234 p., 25 $.
Roland Bourneuf
réinvente
le présent
devine qu’il séjourne dans les pays nordiques et en Amérique centrale. Son lieu de
prédilection demeure l’Europe cependant.
Roland Bourneuf décrit l’univers des paysans, des petits commerçants pour qui
chaque geste marque les jours, les tâches qui usent le corps et finissent par étouffer les rêves.
L’écrivain ramène à la vie ces oubliés de l’histoire. Un monde qui ne peut survivre
que dans la mémoire et les souvenirs.
À la lecture de L’ammonite, j’ai souvent pensé à Marie Rouanet, cette écrivaine
admirable qui a su si bien cultiver l’art de la mémoire. Signalons surtout son
magnifique Quatre temps du silence. Roland Bourneuf est de cette lignée.
Arnaud Bermane est retrouvé mort sur la grève. Dans son
sac à dos, des carnets et un passeport. Rien d’autre !
Catherine reconnaît son père dans l’entrefilet du journal.
es carnets racontent les voyages d’Arnaud, s’attardent à ses réflexions et
à ses errances. Par l’écriture, il remet en question sa vie et son passé.
C’est peut-être la seule voix qui le berçait quand il s’arrêtait après une
journée de marche ou de travail. Celle qui s’imposait quand il inventait des
mondes à partir de ses figurines.
C
L’idée me vint de compulser des encyclopédies, des mémoires, des brochures jaunies, de vieux catalogues de mode, des cartes géographiques,
de constituer des dossiers, puis d’ébaucher des récits. Je rapprochais,
appariais, risquais des assemblages, composais des familles, des lignées.
(p. 15)
C’est ainsi qu’Arnaud part à la recherche de ses proches. Son père Charles, producteur de vin; Odile, sa mère, qui a tourné le dos à toutes ses aspirations. Son
frère Marc-Antoine, un idéaliste qui veut changer le monde. Un oncle explorateur,
des religieux qui ont consacré leur vie aux plus démunis. Il y a aussi le grand-père
Théo, un paysan têtu qui ne vit que pour sa terre. Jusqu’à la fin. Et ces secrets de
famille qui hantent le petit garçon et qui ont été emportés dans la mort. Les
guerres aussi, ces grands délires humains.
GENS ORDINAIRES
Roland Bourneuf s’attarde dans des
régions peu connues de la France, des
agglomérations qui gardent un pied dans
le passé tout en se tournant vers la
modernité.
Arnaud observe, écoute, tente de vivre
l’ici maintenant. Il connaît des amours
éphémères, se questionne sur cette
lignée qui a fait ce qu’il est. Parce que
l’humain, chez Bourneuf, est le fruit à la
fois du passé et du présent.
Il a connu l’amour avec Olivia. Elle s’est
enfuie alors qu’elle était enceinte. Ils ne
se sont jamais revus. Lui, après une vie
discrète, part sur les routes. Il vit d’expédients, effectue de menus travaux, va d’un
pays à l’autre pour surprendre les gens dans leur vie et leurs amours. C’est surtout
une façon de s’inventer une histoire, un passé et de tolérer le présent. Le lecteur
32 • lettres québécoises • été 2010
III
Hélène Harbec, Chambre 503,
Ottawa, David, 2009, 312 p., 22,95 $.
Hélène Harbec
fixe la mort
Certaines périodes de la vie sont plus difficiles que d’autres.
Le dernier couloir, la dernière chambre qui mènent à la mort,
qui veut s’y attarder ?
élène Harbec, dans Chambre 503, assiste aux derniers jours de son
père atteint d’un cancer. Son état demande des attentions continues.
Incontinence, pertes de mémoire, vision diminuée, locomotion réduite.
La mort est proche, il le sait, il le sent.
H
Il dit qu’il n’aperçoit pas la mort à l’horizon, mais qu’il n’a rien contre. Il
espère au moins avoir le temps de voir le nouveau bébé qui naîtra dans
la famille. (p. 69)
Hélène Harbec note les changements chez son père jour après jour. Ses colères
contre les contentions, les mots qui se bousculent et ne disent plus ce qu’ils
disaient. Il s’accroche pourtant.
Je ne sais pas à quoi il sourit, sa
vue est si faible. Peut-être perçoit-il à l’instant la mesure de
son infortune. Il sait bien qu’il
n’est pas au bout de ses peines. Il
voit sa vie qui s’en va là-bas. Qui
marche au loin. Son visage s’assombrit. Il se retient de pleurer
et décide de faire demi-tour, c’est
trop loin. (p. 77)
La fille écrit pendant les heures de veille,
ces moments où elle a l’impression de
s’égarer dans un repli du temps. L’écriture
comme une bouée de sauvetage. Cela n’empêche pas l’écrivaine d’exprimer des
doutes.
récit
Y V O N PA R É
Que vaut un livre qui s’écrit quand un père se meurt? La vie ne précède-t-elle pas
les mots? (p. 193)
Apprentissage des
langues, découverte de
la différence, Bïa Krieger
témoigne de son vécu
simplement.
FA M I L L E
Les autres patients deviennent des familiers. M. Veilleux qui s’accroche à son
passé, Alice qui ne sait plus que hurler et Mme Granger si touchante et effarouchée.
Tous sont vieux d’une vie et si près de l’enfance.
Une ressemblance étrange entre le vieil homme qu’il est devenu et un
nouveau-né. Comme si être prêt à naître ou à mourir faisait ressortir les
mêmes traits, les mêmes postures, les mêmes regards. (p. 40)
Un récit qui remuera bien des souvenirs pour celui ou celle qui a connu semblable situation. J’ai revu ma mère dans son lit ou encore ma sœur qui combattait le cancer…
Le récit est rendu avec une belle simplicité. Une description clinique qui bouleverse souvent.
L E G O Û T D E L’ E X I L
Marina prend goût à ces exils qui la
m è n e ront d a ns d i f f é re nt s p ays
d’Amérique du Sud. Particulièrement le
Chili pendant le court règne de Salvador
Allende. Ses parents y trouvent du travail et peuvent enfin vivre au grand jour, n’ayant plus à dissimuler leurs idées et
leurs croyances. Tout semble possible pendant cette période d’euphorie.
J’aimai le Chili. Son air froid et sec qui faisait geler les crottes de nez, provoquant sans cesse des saignements de narines. Son peuple si taciturne,
grave, mélancolique et assoiffé de poésie, ces visages homogènes, cette
parfaite chiliennitude faite de cheveux noirs de jais, d’yeux légèrement
bridés, de pommettes hautes et de peaux mates, de femmes sérieuses et
sans fard et d’hommes introspectifs épargnés par la calvitie. (p. 69)
Conscient, confus, supportant à peu près tout avec stoïcisme, attentif à son
épouse et à sa fille qui ne fabule jamais pour entretenir l’espoir, Jean-Paul Harbec
devient un héros admirable devant l’inéluctable. Sa fille lui rend un bel hommage
dans Chambre 503.
III
Bïa Krieger, Les révolutions de Marina,
Montréal, Boréal, 2009, 280 p., 25,95 $.
Bïa Krieger crée
une surprise
Le rêve ne durera pas. Il faudra s’exiler au Portugal cette fois, composer avec une
société sclérosée.
LE BRÉSIL
Et après bien des déplacements, des escales chez les grands-parents, elle retrouve
le Brésil à l’âge de l’adolescence.
Bïa s’est imposée comme chanteuse au Québec. Si le prénom est familier, il faut maintenant tenir compte de Krieger,
son nom de famille. Les révolutions de Marina nous plongent dans les pérégrinations qui ont marqué son enfance.
M
ilitants engagés, ses parents devaient changer d’identité et se déplacer constamment
pour échapper à la police et à la dictature.
Les migrations peuvent faire en sorte que l’on devient étranger dans son propre pays.
Ceux, qui, comme mes parents, ne croyaient
pas à la violence comme moyen pouvant
servir des fins légitimes, vouaient leur existence à la diffusion d’organes d’information illégaux, à l’organisation de syndicats,
à la sensibilisation des masses laborieuses et
à la pénétration des idées libertaires tant
dans les couches opprimées que chez les
intellectuels du pays. (p. 14)
Pendant ces disparitions, la jeune Marina se retrouvait
chez ses grands-parents maternels. Un couple conservateur, mais des gens généreux qui n’hésitaient jamais
à aider leurs enfants.
Je débarquai au pays du dévergondage, où l’on expose les rondeurs
charnues sans y penser, où l’on s’appelle «mon amour» et «chéri» à la
caisse du supermarché ou dans l’autobus. «Tu n’as pas l’appoint chérie?» «Ah, désolée, mon cœur! Je n’ai aucune monnaie!» Le langage
corporel, le ton de voix langoureux et les attouchements triviaux du
plus banal échange carioca seraient passés à Lisbonne pour une invitation à la débauche; et sous ces gais tropiques les bikinis tenaient moins
de place qu’une balle de ping-pong dans une main fermée.
J’étais dépaysée dans mon propre pays. (p. 35)
TÉMOIGNAGE
Apprentissage des langues, découverte de la différence, Bïa
Krieger témoigne de son vécu simplement. La fillette montre
une capacité de résilience et d’adaptation exceptionnelle.
Le récit passe de la vie de l’enfant à celle de l’adolescente
qui connaît ses premiers émois avec des garçons pour
replonger dans ses premières années. Une fois familiarisé
avec ces allers et ces retours, on suit la narratrice avec plaisir.
BÏA KRIEGER
Bïa Krieger est plus qu’une chanteuse. Elle démontre dans
Les révolutions de Marina un talent d’écrivaine.
lettres québécoises • été 2010 •
33
nouvelle
S É B A S T I E N L AV O I E
III
L’aspect superfétatoire de toute chose est
dans le sous-texte, qui se tient en périphérie
d’un monde où priment la cruauté et le
désenchantement. Un monde où le loup est
un loup même pour le loup («Sonatine») et
où le côté dérisoire de tout est souligné à
gros traits. On y trouve quelques comparaisons savoureuses : « C’est comme si on
menait une charge de cavalerie dans un
marais. » (p. 110) Ainsi que quelques irrévérences: «Un jour, contre toute attente, un
politicien se mit à penser.» (p. 136)
Maurice Henrie, Le jour qui tombe, Ottawa,
L’Interligne, 2009, 224 p., 18,95 $.
Conformisme
et rébellion
Le côté dérisoire du monde apparaît teinté d’une
ironie plus détachée que grinçante… Le jour qui
tombe aurait gagné à s’appeler La vie secrète des
grands bureaucrates, mais son auteur a jadis publié
un livre sous ce titre.
MAURICE HENRIE
ernand « s’intéressait surtout à
l’infiniment petit» (p.47). Un jour,
il remarque que l’axe de la couronne de sa montre-bracelet en or est
décentré et il en est fort troublé. Il va
demander conseil à son ami, l’horloger
Bertrand, et décide de faire changer ladite
couronne. Les jours passent et l’insatisfaction de Fernand augmente. Il réalise, après
avoir tenté de gommer quelques aspérités
de sa nouvelle couronne, qu’elle n’est qu’en
or plaqué. Il finit par se brouiller avec son
ami horloger puis, à la suite d’une « idée
de génie» (p. 51), il peinture sa couronne
couleur or. L’opération est un succès, et
notre héros peut désormais marcher dans
la rue la tête haute, sans que les passants se moquent intérieurement de lui,
«conscient de porter en lui-même cette parcelle de génie qui le distingu[e] si clairement des autres humains» (p. 52).
F
Un homme se met à jouer au bon Dieu : « J’adore imiter le Bon Dieu, je le
prends pour modèle, je m’inspire de lui, de ses actions, de toute sa création. »
(p. 153) Un jour, il marche délibérément sur une grenouille ; un autre tantôt,
c’est un chat avec une patte cassée qu’il recueille et soigne. Une autre fois,
marchant près de la marina municipale, il décide de détacher une chaloupe
verte, « pensant à la surprise et, surtout, à la colère du proprio lorsqu’il
s’aperce[vra] de sa disparition» (p. 156), mais son geste lui vaut de sauver la vie
d’un nageur en difficulté… Notre homme a beau faire des « geste[s] illogique[s] et sans aucun motif » (p. 157), est-il un disciple digne du bon Dieu
pour autant (« Le disciple ») ?
N É V R O S E S Y M PAT H I Q U E
E T D É S I R S S AT I S FA I T S
C’est dans le monde du désir comblé et de la névrose sympathique que nous
sommes conviés. Un monde qu’il est préférable de voir par le petit bout de la lorgnette («La quatrième puissance»), un monde où la vieillesse est asphyxiée par
le progrès («Oxygène»), où ce ne sont plus les rebelles, mais les bonnes gens
désœuvrés qui sont désormais sans cause (« Barbotes », « Le donneur »), où
l’autre — c’est-à-dire celui ou celle qui était appelé jadis l’«être aimé» — est
interchangeable («Jet set», entre autres), mais où le pays est enraciné dans le
cœur («Saguaros»).
34 • lettres québécoises • été 2010
Si j’étais moi, j’achèterais ce livre comme il se
doit: sans grande espérance que cela change
quoi que ce soit à mon malheur ordinaire ou
à mes prétentions. Mais je parle pour parler.
Je l’ai reçu en service de presse.
II
Luc LaRochelle, Hors du bleu,
Montréal, Triptyque, 2009, 152 p., 19 $.
Mosaïque
byzantine
« T’es trop vieux pour les jeunes. T’es trop jeune pour les
vieux », chantait jadis Plume Latraverse. Trop vieux pour les
jeunes ? Pas toujours ! Trop jeune pour Hors du bleu ? C’est
peut-être bien ça…
l est toujours extrêmement agaçant de lire un
livre et de sentir que le
moteur de l’auteur nous
échappe. L’an dernier, j’ai tenté
d’exprimer à Naïm Kattan la
frustration que j’avais ressentie
à la lecture d’un passage de
L’amour reconnu dans lequel
ses deux protagonistes riaient
de l’amour d’un couple de
jeunes qui s’embrassaient sous
leurs yeux à bouche que veuxtu… Le narrateur disait qu’à
leur âge ces jeunes ne pouvaient pas comprendre le vrai
sens de l’amour, qu’il leur fallait atteindre un certain âge…
sans jamais qu’il ne donne sa
vraie définition de l’amour.
I
LUC LAROCHELLE
Ici, le choc n’est pas si frontal, mais je sais bien que je n’ai souvent pas pu me
pénétrer totalement des sentiments véhiculés par les personnages de cette trentaine de nouvelles, personnages souvent jeunes quinquagénaires et presque
nouvelle
S É B A S T I E N L AV O I E
toujours en train de faire des bilans. Je n’ai donc pas tout à
fait saisi l’âme de ce recueil en quatre parties. Il ne me reste
qu’à en livrer une analyse clinique, façon autopsie.
du genre «Elles sentaient la sueur et le parfum bon marché»
(p. 49) sont à noter, ainsi que deux phrases amputées, dont
l’une me fait dire que l’éditeur n’a pas su mener à bien son
ultime relecture («Daniel une pause», p. 39; page 119 pour
l’autre amputation). Sinon, on note généralement au dossier
de l’auteur un énorme talent pour planter un décor, pour
caractériser ses personnages rapidement sans jamais sombrer
dans les archétypes et arrivant parfois même à les déjouer. On
lui accorde aussi des points pour les chutes de ses histoires.
BILAN
Notre sujet est petit et parfois mince. Il est composé de trente
et une nouvelles réparties en quatre sections. L’action est
principalement située au sud des États-Unis et au Québec,
mais on y rêve aussi de l’Afrique. Il est à noter que la
deuxième partie, qui compte deux courtes nouvelles, est écrite
en anglais. L’écriture est sobre, directe, nécessairement économe vu la brièveté des histoires, et repose presque toujours
sur la chute qui est rarement ouverte (ce qui ne me déplaît pas
tant que je peux m’imaginer, en cours de lecture, que le punch
puisse être d’un autre ordre…) De facture réaliste, les récits
ne s’attardent sur des détails que lorsqu’il s’agit de singulariser les histoires ou le décor. Elles peuvent parfois virer à l’onirisme… sans que l’auteur en prévienne le lecteur. Une ou deux formules clichés
✖
Claudine Dugué, Poisons en fleurs,
Montréal, Triptyque, 2009, 155 p., 19 $.
We are
not amused
Dans Écriture, Stephen King disait qu’il arrive qu’un aspirant
écrivain se rebiffe devant une œuvre particulièrement mauvaise en s’écriant : « Quoi ? On publie ça ? Ce que j’écris en
cachette est cent fois meilleur!» À toutes ces chenilles sur le
point d’éclore, je dis : allez lire Poisons en fleurs.
ai cherché longtemps, mais je n’ai pas
trouvé trace de canular. J’ai cherché
des qualités à ce recueil, et je me suis
résolu à vanter un certain vocabulaire, puisque
j’ai tout de même cherché quelques mots dans
le dictionnaire, mais je ne cache pas que je
vante cet aspect comme il m’arrive de complimenter la ponctualité des gens qui ne m’inspirent rien de bon.
J’
E N D I R E C T D E N U L L E PA R T
L’auteure est née en France, ça au moins on le
sait, mais on est bien en peine de situer, ne
serait-ce que sur un continent, la plupart de ses
vingt-deux histoires. Je veux bien faire semblant de considérer l’idée qu’en gommant les
références locales, on s’ouvre des possibilités
sur le marché international, mais il y a aussi des limites à l’assujettissement à des
principes abstraits et brumeux, limites clairement atteintes ici:
Per mettez un hour ra ! pour la nouvelle int itulée
«Introduction» (p. 119-120) où l’auteur ridiculise en peu de
mots un type bien particulier de roman: «[...] j’ai décidé d’aller dans une direction nouvelle: un roman de l’ennui. Vous me
direz que cela risque de ressembler à du nouveau roman. Mais
non.» (p. 130)
Quant à me lier aux états d’âme des personnages, comme je
l’ai dit en ouverture, ce n’est pas ma tasse de thé.
[Dans un taxi.]
— Je vous dépose à quel endroit?
— Au magasin de musique.
— Lequel, monsieur?
— Le plus réputé. Celui qui vend des instruments de marque et de qualité professionnelle (p. 119)
Mais me voilà à ergoter alors que je devrais rendre compte de problèmes plus fondamentaux. Du côté déstructuré de plusieurs nouvelles, par exemple. Ou d’apartés impromptus, de ruptures de ton, de personnages ou de situations qui surgissent comme une roche sur la soupe… Disons que ça splouche beaucoup. Prenons
«La bouteille d’huile d’olive». Celle-là a l’heur d’être située, puisqu’il s’agit d’un
quadragénaire probablement puceau de la Nouvelle-Écosse qui se met en tête
d’«écrire une lettre d’amour à une inconnue» (p. 96). Il ne boit «ni vin ni bière»
(p. 97) et c’est donc dans une bouteille d’huile d’olive qu’il confie ses haïkus
sentimentaux à l’océan (le projet a évolué légèrement). Huit ans plus tard,
alors que les «grammairiens se sont enfin entendus sur la féminisation de
l’orthographe des professions» (p. 97), une sculpteure trouve la bouteille en
se piquant le doigt sur un clou rouillé. Le docteur, qui lui fait une injection
contre le tétanos, lui trouve un air pâlot et la convainc de passer quelques
tests. Puis, elle prend contact avec ce puceau qui a piqué sa curiosité, le
rejoint et ils passent l’essentiel des pages à se rapprocher du moment des
mamours… Ce moment venu, elle retourne chez elle, prétextant des obligations professionnelles, où elle trouve une lettre de son médecin qui lui
annonce qu’elle a le sida. Fin. Voilà de quoi réveiller l’adolescent en nous:
Rapport?
Pour tout dire, on croise même en ces pages un bon sauvage, un Africain qui
répond dans un très beau nègre à une petite fille qui lui demande s’il sait
lire: «Les mots sur le papier brûlent tel un feu de brousse, mais les paroles
mêlées au souffle instruisent d’homme à homme.» (p. 140)
Il faudrait aussi parler des personnages qui ont une trop bonne mémoire, des
rêves hyperréalistes, des clichés qui s’incarnent de toutes les manières possibles…
mais je n’en jetterai plus, car la cour est dans l’état que vous constatez.
lettres québécoises • été 2010 •
35
nouvelle
MICHEL LORD
IIII
Louise Cotnoir, Le cahier des villes, Québec,
L’instant même, 2009, 114 p., 15 $.
D’errance
en déshérence
Le troisième recueil de nouvelles de « La trilogie des villes »
de Louise Cotnoir porte bien son titre, chacune des douze
nouvelles se passant dans une ou plusieurs villes, démultipliant ainsi l’impression d’errance spatiale et temporelle de
ces personnages en mal de vivre.
oin du simple carnet de voyage, les textes sont porteurs d’un certain
désespoir, les personnages pour la plupart étant hantés par la mort,
le deuil, la perte. Ces motifs suivent les personnages pendant toute
une vie parfois et servent également de rappel douloureux de l’histoire
contemporaine. Comme un calendrier qui va de juin à mai, chaque nouvelle porte au surplus la mention d’un mois, comme une scansion chronique imparable.
L
Dans le premier texte, « Le cabinet
des curiosités (Juin) », un enfant
décide de collectionner les cimetières le jour de l’enterrement de sa
grand-mère bien-aimée. Devenu
adulte, il voyage à travers le monde, y
visite les plus beaux endroits où se
trouvent enterrés les morts. Après la
mort de sa mère, il est si malheureux
qu’il semble vouloir disparaître lors
d’une visite à un cimetière marin à
Bonifacio, en Corse. Le récit laisse
croire un instant qu’il va mourir, se
perdre dans la mer / la mère / la mort
pour échapper à « cette affliction
d’exister » (p. 21). Mais son heure
n’est pas encore venue. La nouvelle
est portée par une écriture d’une grande beauté. La mort revient hanter un
homme qui fait une promenade avec une fillette à Amsterdam dans «Elle avait
cinq ans et un papa (Août)». Il se sent lourd, vieux, est toujours endeuillé par la
perte de son père, veut mourir, mais résiste pour la petite.
C’est plutôt l’érotisme et la fragilité qui prévalent dans «Limoges, comme une
porcelaine (Septembre)», où une femme et un homme se promènent dans les
rues de Limoges, se suivent, s’épient tout en flânant. Lui a «les yeux fragiles de la
porcelaine» (p. 37), elle est en «déroute» (p. 35), «néglige les repères qui pourraient la sauver de lui» (p. 35). S’agit-il de relation entre ces deux personnages
seulement ou y en a-t-il un troisième, un homme aimé, mais maintenant détesté,
parce que violent? D’où viennent la détresse, l’amertume de la femme? La discrétion demeure suprême, mais la densité, l’intensité émotives sont bien présentes.
La relation érotique tourne au bizarre dans «Madame Pinto, charges incluses
(Octobre)», avec ce beau jeune homme, slave, violoniste, qui résiste puis suc-
36 • lettres québécoises • été 2010
combe aux caresses de sa propriétaire, Mme Pinto, vieille et laide, mais qui lui fait
oublier le concours de violon pour lequel il se prépare fébrilement.
Comme dans d’autres nouvelles de son premier recueil, La déconvenue (1993),
des relents de l’Holocauste refont étrangement surface. Ainsi, dans «Carnet de
voyage (Novembre)», la narratrice est à Berlin après un passage à Vienne. Elle
revient sur le lieu des souffrances de ses grands-parents juifs allemands. Son
grand-père semble être mort lors de la célèbre Nuit de Cristal, victime des fascistes. Dans «À Dachau, on entend la mer (Avril)», le discours pénètre au cœur
même de la conscience juive en acte avec ce narrateur, prisonnier juif emmené
avec beaucoup d’autres dans un wagon de train à Dachau. Il fait état de sa maigreur, de ses souffrances et de la douleur née de cette déchéance. Puis tout à coup
survient la libération.
Certaines nouvelles dévient de cette thématique, pour explorer les méandres
de la création et de la conscience heureuse ou malheureuse qui l’accompagne.
Dans « La ville sortilège (Février) », le narrateur, sculpteur, est plutôt serein et
rêve « de créer une œuvre qui [le] distingue » (p. 75), quitte Montréal pour
s’installer un temps à Venise, « ville où tout est œuvre d’art » (p. 77). Côté
moins heureux, dans « Sans voix (Mars) », une femme arrive à Copenhague
pour donner une conférence sur la création littéraire, se sent tout à coup un
peu perdue, vulnérable, pétrie d’angoisse, mais cherche à combattre cette
déshérence.
Si l’urbanité est loin de toute exubérance chez Louise Cotnoir, elle est porteuse
d’une conscience de la finalité de toute chose et portée par une écriture tout en
finesse.
IIII
Diane-Monique Daviau, Là (petites détresses géographiques),
Montréal, Québec Amérique, 2009, 137 p., 17,95 $.
De la difficulté
d’être (encore)
Comme pour fêter ses trente ans en tant que nouvellière,
Diane-Monique Daviau offre un recueil de treize nouvelles
conçues dans la continuité de l’imaginaire de l’auteure, qui
gravite autour des motifs de l’enfance, de la difficulté d’être,
des rapports difficiles entre les êtres, surtout entre ceux qui
devraient être familiers et qui ne parviennent pas à s’entendre, autour de la perte aussi, de l’angoisse, du temps qui
passe et de la disparition. Cet univers, toujours dense, est
soutenu par une écriture épurée, digne d’un des meilleurs
nouvelliers du Québec.
a première nouvelle, «Voir», travaille littéralement dans la matière de
l’angoisse, avec cette mère qui veille la nuit sur son enfant, habitée par la
peur de le perdre. Elle passe son temps à vérifier à l’aide d’un miroir s’il
respire bien, répétant le même geste inlassablement. Dans «Des voitures automobiles», l’enfant est au contraire cruellement abandonné, mis dans les poubelles, sauvé, puis adopté, mais mal aimé. Il trouve refuge dans le rêve de voitures,
symbole d’une fuite désirée.
L
nouvelle
MICHEL LORD
Les adultes ne sont pas en
reste, et l’humour noir peut
être de la partie, comme dans
«Quelques heures de gym avec
Giovanni Giovanelli », où la
narratrice se voit forcée de
faire de l’exercice pour contrer
l’arthrose et l’ostéoporose. Les
scènes du gymnase contrastent avec le côté sombre du
recueil. Il y a bien aussi ce vieil
homme, dans « Petit nœud
gordien », qui craint la mort,
mais qui trouve le tour de lui
Les dix textes contiennent presque tous des zones de sens opaque, légèrement
hermétique, mais qui laissent le champ libre à la réflexion et à l’interprétation. Le
récit d’ouverture, «Osiris», se présente comme un discours de vases communicants. Un homme et une femme déambulent dans un musée d’art ancien. Ils vont
entre les œuvres et un café, en parlant doucement, font l’amour, discutent du principe du triangle égyptien, de sérénité. Puis, dans la finale, retour au musée où la
femme est devant une œuvre, satisfaite de « sa reproduction de l’offrande à
Osiris» (p. 16). Onirique? Poétique certainement.
D I A N E - M O N I Q U E D AV I A U
faire un pied de nez, et, dans «Yaourt»,
cette femme, abandonnée et profondément malheureuse, qui se questionne sur
le sens de la vie, mais qui décide d’aller
s’acheter simplement du yaourt.
C’est sur une note des plus désespérées
que se termine le recueil, le narrateur de
« Cherche-étoiles » suivant le parcours
d’un homme qui en a assez de la vie, et
qui, après avoir dit à sa vieille mère
qu’elle n’a plus à craindre les assauts d’un
mari violent, rentre chez lui où il semble
se suicider.
La mort a certes le dernier mot, comme la vie qui passe, là où nous sommes, et la
nouvelle a cette capacité formelle de transmettre cette préoccupation sans pour
autant assommer son sujet. C’est là tout l’art de Daviau.
IIII
Anthony Phelps, Le mannequin enchanté,
Montréal, Leméac, 2009, 117 p., 17,95 $.
Tremblements
de réel(s)
J’ai lu en décembre 2009 le premier recueil de nouvelles
d’Anthony Phelps, qui n’en est pas à sa première œuvre, car
il a depuis 1960 publié pas moins de vingt livres, surtout de la
poésie et des romans.
rebours, après le tremblement de terre du 12 janvier en Haïti, je me dis
que Le mannequin enchanté est une sorte de tremblement de réel et
d’irréel, tant la réalité semble instable et traversée d’onirisme, d’étrange,
de magique, de maléfique et de représentations archétypales dans ces nouvelles
aux accents fortement poétiques. Rien d’étonnant chez ce poète, né en Haïti en
1928 et exilé au Québec en 1964.
À
Le réel est bel et bien représenté dans «Elles seront toutes rouges», où le narrateur revient clandestinement dans son pays, le Brésil, pour découvrir qui a trahi
leur mouvement révolutionnaire qui se bat contre le Borgne. Une femme l’accueille à l’aéroport. À la fin, ils semblent être assaillis par des tueurs et il semble
que la femme soit victime de cet assaut. Cela est lié à un souvenir d’enfance où le
narrateur avait trop mangé de cerises vertes qui lui avaient brûlé l’estomac, ce
souvenir créant ainsi des liens subtils avec les derniers instants de la femme
abattue, des balles dans le ventre.
Toujours en mode politique, « Hier, hier encore !… » est tout autant remplie
d’onirisme, de magie, de vaudou, d’évocation de la violence sous le régime de
Papa Doc. Il s’agit en fait d’un type de réalisme magique. En Haïti, un homme,
simple commis, est arrêté, battu, mis en prison par les macoutes. On le prend
pour le Doc Marcel. Il proteste, mais un Chat, avec qui il a des échanges, le
convainc de faire semblant de se prendre pour le Doc. Il charme son geôlier,
mais un jour celui-ci l’appelle Tête-Chat. Dans ce labyrinthe de transformations,
le Doc devient un chat attiré par les cris d’une femelle et s’échappe de sa prison
en passant entre les barreaux de sa fenêtre.
Au trop-plein baroque — qui paradoxalement thématise le manque — succède le vide dans «Portrait», texte bref de quinze lignes où un Homme dessine,
réveille son passé qui, chaque midi, s’efface, retourne au néant. Il espère qu’un
jour Midi ne vienne pas. Également archétypale, «Dans un espace pantin», chapeautée d’une épigraphe des Poèmes (1976) de Beckett, s’offre comme une métaphore de la traversée de la vie, de l’âge tendre où l’on ne voit rien jusqu’à la
découverte du rêve, de la poésie, de tout.
Puis arrivé au septième palier de cette
maison étrange où tout se déroule, il
ouvre une porte par laquelle il est happé
dans le vide gluant, et redevient comme
un fœtus, en position lovée.
Comme le titre en fait indirectement
mention, le recueil exploite aussi le
mythe de Pygmalion, cela, dans la nouvelle de clôture. Dans « Le mannequin
enchanté», qui se situe entre la sciencefiction, le mythe et le merveilleux, un
vieil homme, « Veilleur de Nuit de
l’Union des Poupées» (p. 101), dialogue
avec son magnétoscope à qui il a tout
appris. Celui-ci le convainc de parler au
mannequin que le veilleur s’est procuré
après la mort de son chat. La nouvelle se termine dans un dialogue à trois et une
danse, le vieil homme ayant retrouvé la souplesse de ses muscles et poussé magiquement les murs pour avoir de l’espace et danser avec le mannequin enchanté.
Le rêve suprême: le réel aménagé au gré de la fantaisie.
Voilà bien une des œuvres les plus étonnantes dans le champ de la nouvelle
contemporaine au Québec, avec son discours profondément métissé en terme de
genres et d’esthétiques, et sorti de l’imaginaire d’un écrivain au sommet de sa
maturité.
lettres québécoises • été 2010 •
37
poésie
HUGUES CORRIVEAU
III 1/2
Élisabeth Vonarburg, Slow Dance, Montréal,
Les Herbes rouges, 2009, 64 p., 14,95 $.
À pas lents
LUCIDITÉ
Rester vivante et en alerte, surseoir peut-être à l’envie de ne pas contrer l’angoisse.
Mais reste à l’abri, dans l’âme, quelque part enfoui, ce désir impérieux de renouer
avec la pulsation du cœur:
Loin des fureurs d’eau et de sucre
au bord des rivières de femmes
après l’irrépressible
voyage de la chair perdue
après le mirage et l’obscur
j’entends l’appel
l’hiver marche vers la douceur des choses
odeur humaine du soir
en toute joie la solitude
la vie se recueille en la vie (p. 56)
Élisabeth Vonarburg n’est pas une poète bruyante. Elle fait
une œuvre poétique en marge de sa passion pour la sciencefiction et le fantastique. Œuvre pourtant de qualité qui mérite
une attention particulière.
n ne s’étonnera pas de trouver l’auteure dans les platesbandes du surréalisme, elle
qui nage dans l’étrangeté des eaux cosmiques. D’entrée de jeu, elle affirme
« [qu]’un œil de verre est posé sur la
table / avec la main et le marteau» (p. 9).
Ce n’est pas sans évoquer cette phrase
O
Ce beau recueil de maturité, ces vers qui fouissent l’avers et le revers des certitudes, qui joue prodigieusement des doutes, met en lumière la qualité intrinsèque
d’une œuvre qui s’inscrit d’emblée dans les préoccupations de notre époque.
III
Danielle Fournier, effleurés de lumière, Montréal,
l’Hexagone, coll. « Écritures », 2009, 152 p., 18,95 $.
Complexe
du double
illustre de Lautréamont qui
parle de « […] la rencontre
fortuite sur une table de dissection d’une machine à
coudre et d’un parapluie ». Il
s’agit, bien sûr, de jeter un
regard affûté sur les aléas du
monde actuel, à travers des
ÉLISABETH VONARBURG
images violentes ou incongrues mais qui dessinent en nous les contours d’une certaine horreur qui couve.
Le texte est constamment soutenu par une volonté d’exactitude, je dirais même
d’une acuité dans les vers qui tracent le tableau morcelé de la vie en péril.
EN DÉCOUDRE
«Éclat de tendresse et de haine / à côté de l’autre qui dort / et qui geint / à la fin de
mon histoire / de ma chair / immense verrou / il me faudra résister / corps au
poing» (p. 23). Le programme est tracé: savoir réconcilier ce qui se délite et ce
besoin de surgir d’entre le sang vivant qui nous irrigue. C’est simple, en fait:
«insister: la vie / et nous jusqu’au bout» (p. 27); «Parfois tout est gris // parfois /
rumeurs de bonté» (p. 28). Vif éclat de conscience, donc, en cette manière d’appréhender beauté et laideur, avancée et recul; en somme: «la poésie à l’abordage»
(p. 43) des grands élans aléatoires qui dessinent dans la pupille des cercles propices à la survivance. Elle dit: «Il fait bleu autour de mes yeux» (p. 45). Mais ne
nous y trompons pas, la poète ne succombe à aucun leurre et se réfugie dans la
conscience aiguë qui sait affronter tous les dangers: «Assez / le temps ne prête
rien / à travers les cymbales des os / je refuse l’absolution // éparpillée entre les
lignes / j’écoute plutôt davantage / indispensable / la noirceur» (p. 49).
38 • lettres québécoises • été 2010
Dans effleurés de lumière, Danielle Fournier nous propose, en
de longs poèmes en prose, une narratrice qui porte en elle à
la fois un je et deux identités secondaires, à savoir « Soie » et
« Florence », alors qu’elle s’adresse à un « autre » innommé et
masculin.
ue peu facile d’approche est ce nouveau recueil de Danielle Fournier! Le
contrat de lecture en est souvent exigeant puisque, à force de chercher
la clarté de ces textes, on se perd un peu dans les couches identitaires et
les personnalités multiples qui sont ici en cause. Je n’y peux rien mais, constamment, j’ai cherché à différencier « Soie » de « Florence », me demandant un
moment si la première n’était pas la part sexuelle de la narratrice alors que
«Florence» en aurait représenté plutôt la part positive. Et puis non, tout se mêle
en un flou artistique que je n’ai pu vraiment décoder, sans angoisse pourtant,
porté que je fus par le flux incessant de cette prose profuse qui cherche à cerner
la profondeur impalpable d’une vie presque schizoïde.
Q
DÉSIR D’ÊTRE AUTRE ?
Essayons de comprendre l’exercice. Le recueil débute par un texte imprimé en
colonne plus étroite que la page. Un je s’adresse à un vous (l’autre masculin). Suit
un texte, à largeur de page, qui investit une entité dite « Personne » (que j’ai
immédiatement associée, sans raison, à la narratrice). Alors nous arrive un paragraphe en italique qui parle d’un ils, collectif que le communiqué de presse présente comme le chœur (?). Viendront plus tard les paragraphes consacrés à
«Soie» dont l’auteure nous dit qu’elle «[…] parle tous les pronoms réfléchis d’un
poésie
HUGUES CORRIVEAU
présent décliné au conditionnel indéfini » (p. 20) ! La narratrice écrit, en
une incantation récurrente: «j’aurais
aimé écrire Soie » (p. 21 et autres),
sans qu’on puisse saisir réellement ce
désir impératif. Et quand surgit
« Florence », l’auteure précise : « elle /
me vient d’ailleurs, du plus loin,
d’avant la langue» (p. 49). Voici tous
les protagonistes en place pour accéder à la parole dans cet opéra désirant qui, du flou au concret, multiplie
ses pistes.
À T R AV E R S L E
BROUILLARD
plexité d’une conscience vivante et parfaitement accordée aux ambiguïtés propres à l’esprit humain. On sera moins étonné de retrouver là
des personnalités multiples qui chacune cherche sa voix, si on prend
en compte cette confidence de l’auteure: «le mot écriture constitue un
rempart contre la folie, et sa terreur; sans doute ai-je été écorchée
par des mots de glace, des mots iceberg quand la violence sourd
depuis des gouffres immémoriaux […] »
(p. 45).
UNE QUÊTE DE GLOBALIS AT I O N
«[L]e livre de Soie et de Florence va dans tous
les sens, les phrases se perdent, s’envolent dans
le désordre ; tout peut arriver » (p. 103). Et
«tout» arrive, aux visages multiples, aux sens
complexes. Ce « tout » s’abîmant dans cette
constatation lapidaire: «et maintenant, nous
sommes, maintenant // je» (p. 52). En bout de
course, s’il y a une chose à retenir de cette traversée des couches d’une âme fragmentée,
c’est cet aveu d’un je peut-être enfin réconcilié:
«je sortirai de cette histoire // vivante» (p. 67).
DA N I E L L E FO U R N I E R
On veut bien se perdre un peu, mais quelques points de repère font plaisir. Ainsi
ai-je été content de lire: «Je suis Personne» en page 99. Hélas! en page 77, on avait
appris que «Personne n’est allé», mais écrit au masculin! Oh là là! Sans doute
nous faudra-t-il nous abreuver aveuglément à cette prose dont la richesse est
absolument incontestable, dont le plaisir ludique ne cesse de s’étaler à pleine page.
La poète aime les fouilles «endophasiques», essaie de pénétrer dans la com-
II 1/2
Touche, trouve en toi. » (p. 31) Avouons qu’on en a
quelques frissons secrets de désolation, et comme il l’écrit
lui-même, on se «[…] staccatise d’effroi» (p. 55). Peutêtre est-ce pour cela que « ouaouaronne [notre] réplétion» (p. 46).
Paul Chamberland, Comme une seule chair,
Montréal, Le Noroît, 2009, 64 p., 14,95 $.
Poèmes de
l’insoumis
Qu’est donc venu faire Chamberland dans
cette galère ? Même si le livre est beau,
soigné, avec une illustration de Louis-Pierre
Bougie en couverture, bien peu de concessions à la beauté stylistique dans cette
œuvre presque anonyme.
n le sait, Paul Chamberland va souvent là
où on ne l’attend pas, n’ayant pas craint les
pistes multiples depuis les premiers textes
de Terre Québec ou de L’afficheur hurle. Mais dans
Comme une seule chair, il s’engage souvent sur la
route de la sécheresse, du morcelé, de la coupure
quelque peu improductive: «Aaah là / ah l’arrachhe/chair! // Bel instrument!// Avec ça hon / on scalpe /
des continents entiers.» (p. 24) Oui, mais alors? Il ne
suffit pas à Chamberland de s’emberlificoter dans
les onomatopées, il va droit dans le langage populaire, avec une certaine complaisance: «Tu leur tords
la touffe d’affects / et ils s’ébrouent mal dégrisés dans
leur solo bavard.» (p. 23) Parfois même, un ton de
prédicateur ou de motivateur vient ternir ses propos : « Touche… / De la lumière se détache… /
O
R É V O LT E S O U T E N U E
PA U L
Une chance qu’il n’y a pas que cela dans ce recueil, sinon
nous serions bien tristes. Si la manière ne suit pas toujours
le dessein, la tension, elle, qui porte Chamberland en poésie, reste vive et constante quand on sait prendre la piste de
la protestation, de la revendication. Cet élan d’insoumission, le poète l’a bien ancré au cœur, et c’est avec une certaine part de cette détermination que s’écrit son indignation. En effet, ne sommes-nous pas «[à] l’époque où le
carnassier impérial se pourlèche les babines, / crocs pointés depuis ses Maisons Blanches ou ses Kremlins, / à l’idée
qu’il pourrait ne faire qu’une bouchée de tout ce qu’ont
CHAMBERLAND
jamais promis / l’Art de la fugue, le Quichotte ou la Joconde»
(p. 43)? L’art est en danger, comme l’être humain, comme ce qui survit
aux massacres. Il nous faut, aux aguets, tenir bon devant la menace.
TRANSITOIRE
Ceux qui mettent le monde à mal «[…] font haut-le-corps / étinceler la
tragédie» (p. 19). Cela est bien suffisant pour alarmer les consciences.
Mais pourquoi donc notre Chamberland trouve-t-il important de faire
précéder ces deux vers d’une rare efficacité par ces facéties oiseuses:
« Tragou, trogodie, / transgourdis d’aiguilles de peur, / gourds de liens
moi-je solides / empoignés à coupe-souffle / et hisses trachées tordues»
(p. 19)? Il me semble que d’autres poètes ont donné avant lui dans ces
assonances révélatrices. Ce n’est pas vide, évidemment, mais je répète la
question qui m’a hanté durant les lectures de ce recueil: «Est-ce bien
nécessaire?» Allons, attendons le prochain Chamberland qui saura sans
aucun doute nous étonner encore.
lettres québécoises • été 2010 •
39
poésie
RACHEL LECLERC
IIIII
Pierre Nepveu, Les verbes majeurs,
Montréal, Le Noroît, 2009, 104 p., 17,95 $.
Parfaite
empathie
Nous sommes des humains du XXIe siècle, sur la Terre qui est
dans l’Univers. Et il y a une chose qu’on peut faire quand on
est seul, ou quand c’est la nuit et qu’un glissement de balai
dans un bureau, une étoile qui file, un râle qui monte ou un
émoi de branchie morutière fait bouger le silence : on peut
penser, ressentir tout. Alors, on sait qu’on est « groundé ».
écriture de Pierre Nepveu a
quelque chose de profondément réaliste, et l’univers où
l’on entre n’est jamais désincarné, ni
incongru, ni intime au point de confiner
au nombrilisme. Vous vous dites que
toutes ces phrases, elles sont de votre
manière tant elles vous ouvrent la
feuille. Vous êtes peu à peu transporté
dans le meilleur de vous-même : ce
livre, vous l’avez sûrement écrit. Voilà
le don de la grande poésie.
L’
Il y a d’abord «La femme qui dort dans
le métro » (p. 9). L’observant, le poète
suggère une vie de femme de ménage
dans des tours à bureaux. Pour le
monde effréné, elle n’est qu’une Maria
comme tant d’autres, mais pourquoi ne
pas la suivre dans sa tâche solitaire?
Elle a comme des chevaux dans le corps
et des ânes mélancoliques, elle se souvient
des os violents sous leurs poils
de leurs grands sexes orphelins (p. 12)
ÉPIER, COMPRENDRE
Les poèmes sont des escaliers où la phrase se déroule jusqu’à une chute qui ne
laisse rien au hasard et qui sait chaque fois ce qui doit être dit: en amont de la
forme, le thème appelle le mot précis et le vers accompli, et l’effet de sens se
dévoile autant pour celui qui écrit que pour l’autre qui lit, pour tous ceux qui veulent descendre les marches et creuser au calme — loin de l’écorchure à vif
(Nepveu est l’antipoète maudit, il serait plutôt le poète chéri par excellence) — les
motifs de leur empathie, comme si leur propre humanité était en jeu, ce qui est
bien le cas.
Mais la personne qui inspire des vers comme «J’incline à croire la femme qui
dort» (p. 23), la personne qui nous «tire vers les étages de la nuit» (p. 26), cellelà ne saura jamais ce que lui doit le poète, et c’est bien là le drame de leurs deux
conditions.
40 • lettres québécoises • été 2010
PIERRE NEPVEU
Plus loin dans le livre, c’est la figure de l’amante que suggère un alignement de
cailloux ramenés de voyage. D’où vient que les pierres nous parlent tant, que nous
leur faisons dire ce qu’elles n’auraient jamais pu dire? Et d’où vient que l’éloignement est nécessaire à l’invention poétique? C’est comme si on tirait l’autre de
ce néant où il s’est réengouffré après notre départ. On ferme les yeux, on se
redessine un visage sous les paupières, on écrit une page et l’on y met beaucoup
de soi-même, car on voudrait encore la proximité.
L E S E N S D E L A FA M I L L E
Les années 1990 et 2000 auront souvent été celles du poète boomer qui veut
ajouter sa Lettre au père à toutes celles que contient déjà la poésie québécoise
— laquelle en déborde déjà —, ou encore le Poème à la mère, ou un tombeau
pour ce couple mystérieux qu’on appelle ses parents.
Nepveu consacre une partie de son livre au père assis dans la perspective de sa
disparition et à la mère qui a tant cru à l’invisible. Ici comme ailleurs chez ce
poète ayant raflé deux fois le Prix du Gouverneur général avec ses plus récents
recueils, l’image est parfaite et généreuse. Nepveu s’est créé un style unique, un
style qui est personnel parce qu’il puise aux mêmes centres d’intérêt, aux
mêmes racines que les sujets de recherche de l’universitaire en lui. Dans ces
vases communicants — la création et les travaux universitaires — s’amalgament les thèmes de l’américanité, de la modernité, de la solitude dans la
métropole, des terres et des maisons à l’abandon, de notre devenir comme
espèce.
Le soir et la nuit dominent, la pénombre percée d’appels de phares, le silence d’où
un certain bruit de fond n’est jamais absent. Et ce n’est pas tant la communion
avec les semblables qui compte que l’essence de ces derniers: le poète regarde en
biais ces humains dont il fait partie pour les analyser et s’analyser dans le même
mouvement. On n’a pas l’instinct si grégaire après tout, on peut choisir de ne pas
se perdre au cœur du troupeau, de ne pas être affaibli par lui, on peut le quitter,
lui qui, à d’autres précieux moments, aura pourtant décuplé nos forces. La foule,
c’est notre rage; son absence est notre espace de liberté, là où la réflexion nous
appelle.
poésie
RACHEL LECLERC
III
III
Bernard Pozier, Agonique agenda,
Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2009, 80 p., 10 $.
Réjean Thomas, Œuvre complète, Montréal,
Poètes de brousse, 2008, 179 p., 15 $.
Il faut aimer
L’auteure et éditrice Louise Blouin nous a quittés il y a presque
trois ans après un pénible combat contre le cancer. Son compagnon de vie et de travail, Bernard Pozier, retrace ici les
semaines et les jours de cette exemplaire et discrète agonie.
Ce livre profondément amoureux nous montre
un homme en train de faire son deuil et de
rassembler ses forces pour la vie qui continue.
L’auteur, après trente ans de vie commune, se
demande s’il lui faudra maintenant devenir
«égoïste». Il fait là un apprentissage terrible,
celui de la distance infranchissable. Mais nous
savons que la distance n’efface pas l’autre, elle
le fait miroiter là-bas et révèle sa beauté, c’est
ainsi qu’elle devient le lieu de l’écriture. Voilà
pour l’homme face à lui-même dans sa maison
finalement désolée, là où des images d’enfant
pensionnaire, d’enfant « prisonnier », lui
reviennent comme un boomerang.
Munitions
pour l’au-delà
Il avait un peu la gueule de Richard Widmark, le cow-boy
œdipien de Backlash, celui qui poursuit l’assassin de son
papa mais qui découvre à la fin… que son papa est bien
vivant et très à l’aise dans la peau du salaud.
éjean Thomas a publié son premier
livre en 2006, à 56 ans. Peut-être que
sa vie, pas si anticonformiste que ça
et plus bourgeoise qu’on veut le faire croire
(longue carrière de professeur au cégep, vaste
connaissance de la planète nommée Banlieue
— ses poèmes le donnent à penser en tout
cas), l’aura finalement convaincu de ne pas
s’installer dans ce que Jean-Marc Desgent, dans
sa préface, appelle une posture de «salopes et
de salopards patentés, institutionnalisés,
salopes et salopards professionnels» (p. 11)?
R
Mais il a fallu avant cela s’accrocher avec
Louise dans sa descente vers le
grand rien ni personne. Beaucoup
d’entre nous, poètes, avons assisté
de loin à son accompagnement,
presque ahuris devant celui-ci qui
déployait une énergie souvent
proche de la joie, une joie qu’il aurait
voulu, certainement, communiquer
à sa compagne — mais peut-être
était-ce l’inverse, peut-être lui insufflait-elle la sérénité, cette femme qui
s’en allait. C’est ce que l’auteur laisse
entendre à plusieurs reprises dans
ces pages de vers et de prose chargées d’admiration pour l’agonisante.
Sa dernière année d’existence lui
aura permis de lancer un second
recueil, Œuvre complète, dans la
mare de «la poésie québécoise moribonde » (préface, p. 9) comme une
bouée inespérée pour les aficionados.
BERNARD POZIER
SEUL POUR
L A P R E M I È R E FO I S
La solitude peut effrayer autant que la mort, mais la mort nous apprend encore
une chose: rien n’est indissociable, et le poète se dit: «seule mon ombre maintenant m’est inséparable» (p.51). On peut ne pas avoir eu l’occasion, dans une vie
faite de travail, d’envisager la non-permanence de l’amour et de tout le reste; et
comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on a toujours vécu à deux?
Maintenant, que reste-t-il? Il reste de la vie partout, de la lucidité aussi, et l’intime
conviction que la matière et la lumière — et donc le temps — sont plus que
jamais interchangeables. « Soudain ce n’est plus du sang, mais du temps qui
coule dans tes veines.» (p. 13) Le poète le dit d’ailleurs en toutes lettres, lui qui
s’aperçoit que «le rien prend petit à petit toute la place / et l’on voit bien que c’est
quelque chose / le rien» (p. 66).
Le livre est tout à fait touchant et
sympathique. Réjean Thomas s’y
dévoile comme un homme extralucide, un homme presque déjà vieillissant qui n’avait pas les yeux dans sa
poche et qui ne manquait pas une
chance d’électrocuter (?) l’univers
RÉJEAN THOMAS
des bien-pensants. Primesautières et
friponnes, ces pages s’élancent à l’assaut des conventions avec une audace, une
naïveté qui rafraîchit l’atmosphère fétide où s’est étendue la règle du libéralisme
à tout crin, celle qui encourage à louvoyer sans vergogne pour son seul profit.
Il ressort notamment de l’ensemble que Thomas avait la franchise de se reconnaître comme un consommateur averti. « Je mange du thon / du solide thon
entier blanc entier / en son bouillon de légumes et de huile.» (sic) (p. 54) Il se sait
victime d’une société hyper matérialiste et se débat pour ne pas y sombrer tout
entier, attendu que l’amour est ce qui pave le vrai chemin, ce chemin sur lequel il
n’arrive pas toujours à rester droit.
«Il y a toujours une petite fille / paumes et palmes tournées vers le ciel / dérivant
dans mon insomnie.» (p. 40) Pour paraphraser Nepveu (voir plus haut), j’incline
à croire le poète qui dort si mal, car c’est ainsi qu’il convient de ne pas trouver le
repos.
lettres québécoises • été 2010 •
41
poésie
J A C Q U E S PA Q U I N
III 1/2
Lyne Richard, Marcher pieds nus sur nos disparitions,
Ottawa, David, coll. « Voix intérieures », 2009, 78 p., 15,95 $.
Plaisir des sens
Le lyrisme de Lyne Richard, s’il est largement tributaire de la
parole amoureuse génération de l’Hexagone s’en distingue
par la part essentielle que prend la sensualité, voire l’érotisme,
dans la majorité de ses écrits.
ssociée à la ville de Québec, la
poète, après avoir publié ses
cinq premiers recueils chez le
Loup de Gouttière, fait désormais paraître
ses recueils aux Éditions David, tout
comme Michel Pleau, également de
Québec. Si bien que cette maison d’édition franco-ontarienne possède un cata-
A
vers «la certitude que les roses / reviendront par dizaines / palper la soie du désir»
(p. 44).
PLAISIRS DE LA LANGUE
Suit «Au creux du rouge», typique de la palette érotique qui caractérise la poésie
de Lyne Richard, que j’avais découverte dans le recueil au titre presque explicite,
Agenouillée dans vos bouches (Cornac, 1999). Si quelqu’un devait publier une
anthologie de poésie érotique au Québec ou même ailleurs, il faudrait faire figurer cette partie dans son intégrité. Rien de vulgaire ou de platement pornographique, c’est bel et bien la poésie qui humecte la langue : « ma langue est un
archet / à la pointe engorgée / tu dérives dans la joie des salives» (p.49). Cette halte
au cœur du recueil comme de l’instant suggère un intermède entre la parole
nostalgique et la dernière partie, cri du cœur qui en appelle à une forme d’état de
grâce qui sauverait de la haine et de la destruction.
Ce n’est ni par l’innovation formelle ni par l’invention thématique que se singularise cette écriture, celle-ci réside dans la maîtrise des images (à part quelques
facilités) et une sensualité palpable qui trame tous les poèmes.
III
Jean Désy, Toundra, Tundra, encres de Pierre Lussier,
Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 134 p., 25 $.
Fresque boréale
logue déjà assez bien garni,
avec une belle qualité matérielle qui attire non seulement
les auteurs francophones mais
aussi des poètes québécois
désirant publier hors de la
métropole. Mais revenons au
recueil lui-même.
LY N E R I C H A R D
LE CORPS SE SOUVIENT
Marcher pieds nus sur nos disparitions trace un parcours divisé en quatre étapes,
où domine, dans les deux premières, le regard nostalgique de la maturité, alors
que l’énonciatrice, à l’aube de ses cinquante ans, fait le bilan d’un amour révolu.
La présence des objets et des choses sensibles sur fond de paysage automnal
donne consistance à ce lamento qui ne dépasse jamais la mesure:
existait-il un coin de l’âme
où les cercueils restaient debout
à murmurer les chants perdus
des mots très doux
qui bavaient dans la gorge
avant de condamner le cœur
aux châssis de novembre? (p. 26)
Dans une perspective ouvertement influencée par Gaston Miron, la seconde partie («Murmures de lumière») module une douloureuse marche à l’amour tendue
42 • lettres québécoises • été 2010
Jean Désy, médecin de profession, est reconnu pour ses
écrits qui témoignent de son expérience dans le Grand Nord
et aussi pour sa prédilection pour le nomadisme. Les écrits
de Toundra, Tundra sont le fruit de choses vécues dont le
poète se fait le chantre, dans un hommage exalté à un pays
de mousse et de lichen à perte de vue.
e belle facture, le recueil
à la maquette glacée et
couleur neige est ponctué d’encres de Pierre Lussier,
toutes enfermées dans une sphère
parfaite, comme un hublot qui
donne accès à la fantasmagorie
boréale. En vis-à-vis des poèmes
en français, leur traduction en
anglais avec, toujours, sur la page
de gauche, un vers en inuit, traduit dans les deux autres langues.
L’auteur a pris le soin d’ajouter un
lexique pour que le lecteur apprécie davantage les nombreuses références à la vie du peuple du Grand Nord. En ce
recueil se mêlent donc le souci du réalisme et du pittoresque de ces grandes
bandes de blanc et un exotisme assuré pour nos yeux de peuple du Sud:
D
J’arrive!
Vallées de la Kongut et de la Kogaluk
Lacs à l’eau claire et Qalluviartuuq
Vos cieux effarants m’obligent
Vos sources mêmes sont ma vie (p. 35)
poésie
J A C Q U E S PA Q U I N
U N E S AVA N T E N O R D I C I T É
Désy ne dédaigne pas non plus
l’usage de mots plus spécialisés
ou même savants pour rendre
compte de la terre qu’il arpente, ce
qui le rapproche par certains
côtés du poète géographe Camille
Laverdière (Ce froid longuement
descendu, 1995). Outre la description des paysages nordiques, le
poète, devant le silence de ces
grands espaces parfois effrayants,
JEAN DÉSY
médite aussi sur sa propre existence d’homme du Sud fasciné par le pays du froid. La fin du recueil donne lieu
à une série de poèmes consacrés à Dieu, la mort, le mal qui donnent une dimension mystique à ce qui pouvait laisser croire à une simple apologie de la vie
nomade. Il faut cependant, pour aimer Désy, accepter de mettre en veilleuse les
lunettes de la modernité, bien qu’il dédicace un texte au groupe de rappeurs
Loco Locass. L’expérience «vécue» dicte à elle seule les voies du poème.
III
Jean Yves Collette et Michel Gay, Sensations et autres textes,
Montréal, Éditions de la Pleine Lune, 2009, 108 p., 18,95 $.
Joueurs
de poker
teur sportif et ex-joueur des
Expos de Montréal). À la «poésie », vocable que les formalistes ont ouvertement en
grippe, ils substituent la «textualisation», à une époque où
on clame haut et fort la mort
du genre. Les auteurs ont
cependant préféré laisser tomber le mot lors de cette réédition, si bien que l’un des titres,
«Locomotive. Textualisation»,
est délesté de son label formaliste, tandis que «Disposition»
se lit maintenant au pluriel.
« Joker », qui étale un jeu de
cartes, dont chacune est associée à un tercet, complète la
série d’écrits déjà publiés mais
M I C H E L G AY
qui sont passés inaperçus aux
yeux de la critique. Les influences conjuguées de l’Oulipo qui a donné ses lettres
de noblesse aux textes à contrainte et du «Coup de dé…» de Mallarmé se sont
faites plus rares après les années 1980. Les auteurs ont beau avoir conservé leur
passion pour les mécaniques langagières, leur ludisme reste empreint d’une
nostalgie pour une époque révolue, y compris leur propre activité littéraire,
beaucoup plus clairsemée depuis.
DES AMUSE-GUEULES
Le tandem Jean Yves Collette et Michel Gay,
après 25 ans d’intervalle, s’est de nouveau
amusé à jouer aux dés avec le langage.
vec Sensations et autres textes, ils rééditent trois
séries de publications parues au milieu des années
1980 à la Nouvelle Barre du Jour (NBJ), sous le
pseudonyme de Claude Raymond (du nom du commenta-
A
Le lecteur est
devant cette petite
prose festive
comme on assiste
à un happy hour,
où ça se passe
entre copains, qui
rient entre eux
d’un air entendu,
en faisant un pied
de nez à toute
prétention à la
quête du sens.
Misant sur «le dé effrayant du lu toujours lancé» (p. 18), les
deux compères s’amusent ferme, bâtissant, avec «Sensations»,
seul texte inédit du recueil, un abécédaire dont le prétexte est
une phrase, la plus banale possible, tirée d’un classique français que, par ailleurs, ils avouent n’avoir pas pris le temps de
lire. Le plus beau passage orne la quatrième de couverture:
Faut-il toujours aller à l’essentiel? Ne vaut-il pas mieux, la plupart du temps, tout simplement s’en passer? Ne devrait-on pas
préférer, la plupart du temps, marcher dans un parc, regarder la
mer, écouter le vent dans un arbre….Ça va, arbre? (p. 76)
Le lecteur est devant cette petite prose festive comme on
assiste à un happy hour, où ça se passe entre copains, qui
rient entre eux d’un air entendu, en faisant un pied de nez à toute prétention à la
quête du sens. L’épigraphe de Perec qui ferme le recueil résume bien l’esprit de
cette sympathique aventure qui clôt le cycle des écrits de Claude Raymond: «Ils
rêvaient de repartir à zéro de tout / recommencer sur de nouvelles bases» (p. 104)
On verra bien.
I N FO CA P S U L E
Effets pervers de la numérisation
La révolution du livre se poursuit sans qu’il n’y paraisse trop et la numérisation est devenue monnaie courante. Bien sûr, le géant Google s’impose,
mais des centaines d’autres acteurs saisissent le contenu de livres qui échappent au droit d’auteur. Dans une décennie, personne n’achètera plus Molière,
Rimbaud ou Proust, on les téléchargera. Ce sera une perte immense pour les
éditeurs qui vivaient des grands classiques. On comprend alors pourquoi ces
derniers ruent dans les brancards. Leur survie est en jeu.
JEAN YVES COLLETTE
lettres québécoises • été 2010 •
43
présentation
MICHEL GAULIN
Michel Lord, Brèves implosions narratives. La nouvelle québécoise 1940-2000,
Québec, Nota bene, 2009, 340 p., 28,95 $.
La nouvelle
comme forme
éclatée
Un ouvrage qui se penche sur l’évolution, au Québec, d’un
genre littéraire qui s’est puissamment imposé à l’attention
au cours des quelque soixante dernières années.
ichel Lord est un universitaire qui n’a pas craint de laisser de côté les
sentiers battus pour s’intéresser à des genres littéraires longtemps
considérés comme indignes d’un discours savant. La bibliographie de
ses œuvres en témoigne éloquemment : des ouvrages sur la science-fiction, le
fantastique, le roman gothique, et une longue série d’articles, sur près de vingt
ans, consacrés au genre de la nouvelle et à ses praticiens au Québec. Ce sont, pour
la plupart, ces études, remaniées, amplifiées qui forment la matière du livre
présenté ici et qui, prises ensemble, finissent par constituer une véritable rhétorique
de ce genre encore trop mal
connu. Ce que démontre en
outre son ouvrage, c’est que
cette forme est encore en
pleine évolution au Québec, et
qu’elle a presque autant d’incarnations qu’on y compte de
nouvelliers.
M
neur par les fictions brèves de l’abbé Camille Roy, des Lionel Groulx et MarieVictorin, ainsi que par les sujets imposés par les concours littéraires de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Certes, il y aura bien, dans les années qui suivront, quelques œuvres remarquées, sous la plume, notamment, de Jean-Aubert
Loranger, de Louis Dantin, de Jean-Charles Harvey, mais il faudra attendre le
moment de la Seconde Guerre mondiale pour que le genre se fasse enfin une
place dans l’histoire littéraire, grâce, notamment, aux Contes pour un homme
seul d’Yves Thériault (1944) et à l’Avant le chaos d’Alain Grandbois (1945). Mais
le genre ne trouvera véritablement sa vitesse de croisière qu’à partir des années
1960 et des bouleversements provoqués par la Révolution tranquille. Lentement
s’établira une infrastructure, caractérisée, notamment, par la création de revues
consacrées exclusivement au genre (XYZ. La revue de la nouvelle, Stop) ou ouvrant
leurs portes à ces récits courts (Mœbius, Le Sabord), ou encore de maisons d’édition où les nouvelliers trouveront bon accueil (L’instant même).
L’ouvrage s’appuie en outre sur une solide armature critique qui permet à Lord
d’élaborer les lois du genre et de proposer quelques éléments d’analyse analytique: Jean-Michel Adam (pour la syntagmatique narrative), Mikhaïl Bakhtine,
André Belleau, Vladimir Propp, Paul Ricœur, Tzvetan Todorov, etc. Certes, la loi
fondamentale du genre est le court, mais le court peut se réaliser de bien des
façons, de sorte que l’on pourrait presque dire que la règle consiste souvent à n’en
pas avoir. «Sans doute pourrait-on parler, écrit Lord, de la lente mise en place
d’une forme de dialogisme constant entre la doxa de la tradition et la doxa de l’innovation […] la nouvelle est lentement devenue le territoire de l’expérimentation
et de la fragmentation discursive.» (p. 28-29)
Par après, le gros de l’ouvrage est consacré à des études spécifiques portant sur
l’œuvre nouvellistique de seize écrivains qui, depuis les années 1940 jusqu’à
aujourd’hui, se sont distingués dans le genre. L’on retrouvera ici, à part les deux
noms déjà mentionnés ci-dessus (Yves Thériault et Alain Grandbois), les suivants: Andrée Maillet, Claire Martin (dont Avec ou sans amour, paru en 1958,
nous dit Lord dans son «Introduction», lui «servira de phare» [p. 24]), Adrien
Thério, Jean Éthier-Blais, Gilles Archambault, Aude [Claudette CharbonneauTissot], Gaëtan Brulotte, Pierre Karch, Jean-Pierre April, Jacques Brossard, André
Carpentier, Esther Rochon, Hugues Corriveau et Diane-Monique Daviau.
Une brève conclusion résume les acquis de cette étude, dans laquelle Lord a
voulu montrer, par le choix des auteurs retenus, que, collectivement, ils représentent «la quintessence de ce qui fait la nouvelle, soit cette manière de faire taire
de grands pans d’information tout en en donnant juste assez pour que l’on
puisse voir des fragments de vie en mouvement ou non» (p. 303).
I N FO CA P S U L E
MICHEL LORD
L’ouvrage s’ouvre sur une solide introduction qui passe en revue les balbutiements du genre (qui n’en est pas
encore vraiment un) depuis les origines : fictions narratives brèves qui
commencent à s’imposer vers le milieu
du XIXe siècle, parfois fortement teintées
d’idéologie, comme on en trouve dans
les récits de l’abbé Casgrain, inspiration d’ordre folklorique dans d’autres cas
(Joseph-Charles Taché), ou nouvelles de mœurs, déjà (Eugène Lécuyer), cela
sans oublier les nouvelles d’Honoré Beaugrand ou les contes de Pamphile Le
May, ni l’apport féminin (Laure Conan, Mme Raoul Dandurand, Françoise et
Madeleine). Un certain repli, en revanche, semble caractériser les premières quarante années du XXe siècle, hantées par les thèmes du terroir maintenus en hon-
44 • lettres québécoises • été 2010
Bibliothèques : un grand pas en avant
Le Québec, qui fait figure de parent pauvre depuis des dizaines de décennies
quant au nombre de livres disponibles dans nos bibliothèques publiques,
vient de faire des pas de géant en ce domaine. La progression est évidente en
ce qui a trait à l’accès à des bibliothèques publiques dans une périphérie
raisonnable. La population concernée est passée de 91,1 % en 1995 à 95,3 %
en 2007, ce qui classe le Québec nez à nez avec l’Ontario. Même progression
en ce qui concerne la quantité de livres disponibles : les bibliothèques contiennent dorénavant 21,8 millions de livres, soit plus que partout ailleurs en
Amérique du Nord. Grâce aux efforts du gouvernement, le budget par personne est passé de 23,60 $ en 1995 à 39,82 $ en 2007. Tout ce qu’on peut
souhaiter, c’est que les abonnés suivent le même rythme, ce qui n’est
actuellement pas le cas. En effet, seulement 36 % des Québécois fréquentent
les bibliothèques en comparaison de 50 % pour la Colombie-Britannique.
études littéraires
MICHEL GAULIN
IIIII
Gilles Marcotte, La littérature est inutile, Montréal,
Boréal, coll. « Papiers collés », 2009, 238 p., 24,95 $.
Relire nos
classiques
Un ouvrage qui, tant par la qualité du propos que par l’élégance et la limpidité de l’écriture, confirme, s’il en était besoin,
le statut de Gilles Marcotte comme l’un de nos meilleurs
critiques.
oilà, peu ou prou,
soixante ans que
Gilles Marcotte pratique, sous diverses incarnations, le métier de critique littéraire : comme journaliste
tout d’abord, puis universitaire
et, maintenant, dans le loisir du
grand âge, comme un lecteur
fervent qui aime revenir sur les
œuvres du passé tant pour en
évaluer la persistance à travers
le temps que leur jeter un
V
mage, par de courts textes, au souvenir d’amis qui l’ont accompagné dans son parcours intellectuel (Jean Le Moyne, Pierre Vadeboncœur, Claude Hurtubise, au premier rang, mais également des personnalités, tels Frank Scott ou Philip Stratford).
I N U T I L E , L A L I T T É R AT U R E ?
Délibérément provocateur, le titre de l’ouvrage nous invite, par ailleurs, à réfléchir
sur le rôle de la littérature au sein de la société éclatée dans laquelle nous vivons.
La littérature est, à bien des égards, devenue aujourd’hui un divertissement comme
un autre souvent l’objet d’une simple mention dans une émission de variétés à la
radio ou à la télévision, parmi une foule d’autres réclames plus inutiles (ou sottes)
les unes que les autres. Elle a, ce faisant, perdu le statut aristocratique qui fut
longtemps le sien, bien que pour des raisons qui n’étaient pas nécessairement les
bonnes. Oui, estime Gilles Marcotte, la littérature est «inutile» si l’on prend ce mot
dans l’acception qui est aujourd’hui la sienne (voulant qu’elle ne serve à rien
dans l’immédiat du monde utilitaire qu’est devenu le nôtre), ou encore, si on lui
assigne, comme c’est souvent le cas, le rôle de nous moraliser. Et, s’appuyant sur
une affirmation du poète américain Wallace Stevens, voulant que le poète n’ait
aucune obligation à l’égard de la société, Marcotte d’ajouter pour sa part:
Non, la littérature n’est pas utile. Elle est, plus modestement et plus
orgueilleusement, nécessaire. Elle nous apprend à lire dans le monde ce
que, précisément, les discours dominants écartent avec toute l’énergie
dont ils sont capables: la complexité, l’infinie complexité de l’aventure
humaine. (p. 9)
Une compagnie de Quebecor Media
Comment ne pas dire «Amen» à pareille affirmation, qui sert de point de départ
à un livre resplendissant, tout imprégné de l’esprit de finesse qu’affectionnait
Pascal?
GILLES MARCOTTE
Fidèle à l’esprit de la collection dans
laquelle il paraît, La littérature est inutile
reprend (avec quelques inédits), sous
forme parfois légèrement modifiée ou
augmentée, des textes qui ont paru, au
cours des quelque vingt dernières
années, dans des périodiques, des collectifs ou des journaux, soit encore à
titre de préface (ou de postface) à certaines œuvres phares (Les Anciens
Canadiens d’Aubert de Gaspé, le
Journal dénoué de Fernand Ouellette,
La main au feu de Roland Giguère, les deux Galarneau de Jacques Godbout, dans la
collection du Nénuphar… sans parler des Hypocrites de Berthelot Brunet, qui
acquièrent par là, pour ainsi dire, une nouvelle vie, ou encore d’une œuvre plus
récente qui fit du bruit en son temps, Maryse, de Francine Noël). Seul le théâtre
semble, ici tout au moins, échapper à son emprise. Autrement, Marcotte donne
l’impression de se sentir également à l’aise dans tous les genres, qu’il s’agisse du
roman, de la poésie ou de l’essai, et de pouvoir produire un papier, par exemple, sur
une seule nouvelle de Gabrielle Roy («Où iras-tu Sam Lee Wong?», dans Un jardin
au bout du monde) ou encore, aux deux extrémités du temps, construire un texte de
synthèse consacré à l’œuvre de Réjean Ducharme ou à l’Histoire du Canada de
François-Xavier Garneau. Ce livre, enfin, est pour lui l’occasion de rendre hom-
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regard neuf, mais sans laisser de côté,
pour autant, les œuvres plus récentes
qui font avancer la littérature dans le
sens d’un constant renouvellement.
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lettres québécoises • été 2010 •
45
essai
CLAUDINE POTVIN
IIII
Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert, Élisabeth Nardout-Lafargue (dir.),
Présences de Ducharme, Québec, Nota bene,
coll. « Convergences », 2009, 351 p., 29,95 $.
Sous le charme
de Gallimard
Quarante ans plus tard, faut-il encore s’interroger sur la place
qu’occupe l’œuvre de Réjean Ducharme dans l’institution littéraire ou sur le charme continu de son écriture ? Faut-il
encore se demander si l’écrivain est toujours présent ?
résences de Ducharme réunit les actes d’un colloque international qui
s’est tenu à Montréal en avril 2007. «Ce colloque — curieusement le
premier consacré à l’œuvre de Ducharme — est né du désir de souligner et d’interroger les quarante ans de sa “présence”, à partir du double objectif de mesurer sa durée et l’actualité de ses effets.» (p. 6)
P
Ce livre ne nous permet pas seulement de redécouvrir
ou de relire Ducharme, mais autorise un cheminement
avec les voix plurielles qui ont accompagné le lecteur
assidu au cours de ces quarante ans dans son
émerveillement face au verbe de l’écrivain et à l’infinie
richesse de son répertoire culturel.
La quatrième série («Lectures») propose une suite de trois lectures axées sur le
psychanalytique et la jouissance du dire (Anne Élaine Cliche), le lieu de la lecture
comme tel (Marilyn Randall) et finalement l’insularité comme métaphore
(Réjean Beaudoin). Dans la dernière section («Scènes»), on s’attarde à la dimension extra-littéraire de Ducharme: mises en scène, rédaction de scénarios de
films, paroles de chansons, dessins, sculptures et tableaux (trophoux). Gilbert
David, Claire Jaubert, Chantal Savoie et Serge Lacasse, André Gervais, Rolf Puls se
sont intéressés à cet aspect de la créativité de l’artiste.
Finalement, l’ensemble de ces contributions permet de revoir Ducharme sous un
angle renouvelé et de retravailler l’œuvre à partir de nouvelles perspectives, ce qui
nous rend la «présence» de l’écrivain tangible et actuelle. Cette collection remet
Ducharme sur la scène, lui qui au fond ne l’a jamais quittée.
IIII
L E S M U LT I P L E S FA C E T T E S D E D U C H A R M E
Témoignages et analyses venus d’intervenants des milieux de l’édition, de l’université, du théâtre, des médias, de la musique
et des arts visuels, de l’informatique, des
recherches archivistiques, témoignent de
la présence de l’auteur et d’un désir de
repenser l’histoire et le texte ducharmien.
Ce livre ne nous permet pas seulement de
redécouvrir ou de relire Ducharme, mais
autorise un cheminement avec les voix plurielles qui ont accompagné le lecteur assidu
au cours de ces quarante ans dans son
émerveillement face au verbe de l’écrivain
et à l’infinie richesse de son répertoire culturel. En effet, lira-t-on dans l’introduction : « Abondamment commentée par la
critique journalistique et universitaire,
reconnue tant au Québec qu’en France par de nombreux prix, enseignée, transmise, rapidement classicisée, souvent utilisée comme emblème, l’œuvre a-t-elle
conservé la force subversive que lui reconnaissent ces premiers commentateurs?» (p. 5)
L’ A U T E U R C O M P L I C E
Cinq volets sur l’œuvre de Ducharme forment cet ouvrage qui offre une vision
fort enrichissante, peu connue dans bien des cas, et originale. Dans un premier
temps («Profils perdus»), Roger Grenier et Monique Ogilvy nous introduisent aux
débuts de l’écrivain (édition, archives). Véronique Dassas se penche sur les
déguisements de l’auteur, alors que Gilles Marcotte explore les paradoxes de sa
réception en France. La deuxième partie («Complicités») met bien en scène le
rapport complice et l’intertexte, qui ont joué un rôle dans l’imaginaire de
Ducharme (Élisabeth Haghebaert, Petr Vurm, Gilles Lapointe). En troisième lieu,
«Langue et voix» affiche le travail d’écriture: traduction (Ivan Maffezzini), poétique du blasphème (Marie-Hélène Larochelle), politique et loi (Stéphane Inkel),
altérité (Kenneth Meadwell).
46 • lettres québécoises • été 2010
Claude Lévesque, La poésie comme expérience,
Montréal, Hurtubise, 2009, 172 p., 19,95 $.
Voleurs de mots
« Et si c’était le mot juste, mais aussi la phrase chantée — la
phrase, la stance, la scansion, le vers ? » (p. 77), s’interroge
Madeleine Gagnon, qui retient trois mots : le dit, le chant, le
devoir pour interpeller le poème. Le poète écrit et réfléchit
sous le couvert de la philosophie, de l’expérience et à la
limite de l’accomplissement.
our reprendre à nouveau les mots
de Madeleine Gagnon, il faut ajouter : « Et si la poésie, c’était le dit
juste et son chant alliés au devoir de ramener
sur la scène du poème l’éthique d’une
conscience se sachant partie prenante d’une
résistance contre une guerre faite à la pensée
qui ne dit pas son nom?» (p. 81) Ce sont ces
mots que l’on qualifie de « justes » que La
poésie comme expérience tente de faire
entendre par la voix de nos chantres au nom
de l’expérience de la poésie et de l’entreligne.
P
AU COLLOQUE
DES POÈTES
Claude Lévesque a réuni dans cette collection les propos d’une douzaine de
poètes connus qui ont participé au 25e Colloque des écrivains tenu sous l’égide de
l’Académie des lettres du Québec à Montréal en 2007 (Paul Bélanger, Pierre
Ouellet, André Brochu, Paul Chanel Malenfant, Madeleine Gagnon, Élise Turcotte,
essai
CLAUDINE POTVIN
faits familiaux à appréhender » (p. 18).
Cette analyse se veut avant tout partielle et
non pas exhaustive. Il s’agit d’une sociologie des contenus fondée sur les travaux
de chercheurs sociologues et historiens.
Chang s’intéresse à la structure et aux
fonctions de la famille, à son évolution au
cours du siècle antérieur, à la mentalité et
aux valeurs de la société québécoise, à l’influence de la religion, aux fondements du
Paul Chamberland, Louise Dupré, Antoine Boisclair, François Charron, Thierry
Dimanche, Normand de Bellefeuille).
L A PA G E E N C R E U X
Dans son avant-propos, Claude Lévesque présente le travail poétique à partir
d’une réflexion d’ordre philosophique fort pertinente sur la métaphore du vide,
l’absence, la béance du réel et le silence étrangement propres au langage.
L’impossibilité dans ce contexte n’en débouche pas moins sur la limite et la
démesure, mot emprunté à Chamberland. Il faudrait sans doute ajouter l’expérience de la douleur à laquelle se réfère Louise Dupré. Selon Lévesque, «[l]’expérience serait donc la traversée d’une épreuve, d’un danger, […] une mise en
danger, une épreuve limite, une plongée dans l’abîme» (p. 14), d’où la conception
de l’art comme un travail en profondeur et le risque de jouer sans se perdre et la
lucidité d’une logique du sens inscrite dans «une certaine violence faite au langage, dans l’architecture de la page, les caractères choisis, les blancs, les rythmes,
les tonalités, les allitérations, les ruptures syntaxiques et le reste» (p. 25).
L E S I N G U L I E R , L’ U N I Q U E
Il va de soi qu’un tel recueil, multidimensionnel, offre des inégalités. C’est précisément ce qui rend La poésie comme expérience intéressant. Chaque individu
situant sa pratique dans un registre à la fois unique et multiple, l’exercice poétique
s’affirme comme un mouvement solitaire, d’une part, qui se veut parallèlement
pluriel, d’autre part. Or, parler, écrire le poème, revient à plonger au cœur de la
résistance, soit dans l’entre-deux. Le discontinu des propos de ces trouvères se
fond dans la rencontre des écrivains, celle de l’écriture et de la lecture. À ce propos, François Charron invite à l’ouverture et à la conversation : « LA POÉSIE
COMME EXISTENCE: se donner l’occasion d’un singulier dialogue qui est celui
de l’être et du don qu’à lui-même il se fait, surprenant dialogue où le poète
apprend mieux que le groupe qu’il n’est séparable de personne.» (p. 131)
mariage, aux rapports entre les
membres de la famille. Cette
division lui sert de modèle
pour son examen de tous les
romans. L’auteur utilise précisément le terme « exemple »
qui constitue avant tout une
description de l’histoire. Seul
Myriam première échappe en
partie à ces catégories étant
donné le changement des
valeurs dans l’univers représenté.
YUHO CHANG
LE TEXTE COMME « EXEMPLE »
II
Yuho Chang, Famille et identité dans le roman québécois du XXe siècle,
Québec, Septentrion, 2009, 270 p., 27,95 $.
Sociologie
de la famille
Dans le «bon vieux temps», les familles québécoises n’étaient
pas moins dysfonctionnelles que celles d’aujourd’hui, ce que
l’étude de Yuho Chang du roman québécois du XXe siècle
montre bien.
est à travers l’examen de huit romans québécois dits fondateurs que
Yuho Chang se penche sur la tradition, la famille, l’identité québécoise et une certaine conception du passé. C’est également à partir
d’une approche sociologique que l’auteur «essaie de faire un bilan des expériences sur le plan identitaire acquises durant le XXe siècle par la société québécoise lors de sa modernisation» (p. 8).
C’
FA M I L L E E T T R A D I T I O N
La famille est le point central de l’étude de Chang. Celui-ci remarque qu’«[i]l n’y
a pas de différence entre la sociologie de la famille et [son] étude quant aux
Yuho Chang a choisi pour son propos un corpus susceptible de lui fournir d’abondants renseignements identitaires et familiaux lui permettant d’explorer la transition d’une société rurale à une société urbaine: Trente arpents, Le Survenant et
Marie-Didace, Bonheur d’occasion, Les Plouffe, Le Cabochon, enfin Maryse et
Myriam première. Le corpus est intéressant, mais l’approche retenue n’est aucunement soutenue par l’abondante critique littéraire existante sur ces romans. De
plus, l’ouvrage est presque exclusivement descriptif et n’offre que très peu de
commentaires analytiques et théoriques. En outre, l’identité ne sera discutée
que très brièvement dans le dernier chapitre, et encore une fois sans références
aux nombreux ouvrages critiques publiés dans le domaine. Enfin, Chang n’ajoute
rien de neuf sur le sujet.
I N FO CA P S U L E
Un genre pour les hommes
Il est de notoriété publique que les hommes lisent moins que les femmes,
mais ils lisent tout de même. En général, il préfère la littérature technique,
ce qui expliquerait leur engouement pour la science-fiction et la fantasy.
L’Actusf (je n’ai pas trouvé le sens exact de ce nom, sans doute l’Actualité
science-fiction) a dressé le portrait du lecteur de l’imaginaire, à la suite
d’une enquête (1 045 répondants) auprès des intéressés, pour en arriver au
portrait suivant : en France, le lecteur de ce genre littéraire est un homme
dans 72 % des cas. Il est jeune. Il lit entre 4 et 10 livres par mois dont 50 %
sont empruntés à la bibliothèque. Il achète ses livres dans une proportion de
70 % dans une librairie indépendante plutôt que dans les mégalibrairies.
lettres québécoises • été 2010 •
47
Triptyque
NOUVEAUTÉS
HIVER
2010
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PATRICK DOUCET
L UCIE J OUBERT
J ANIS L OCAS
CAMILLE A LLAIRE
Foucault et les extraterrestres
L’envers du landau
La maudite québécoise
Celle qui manque
essai, 105 p., 18 $
roman, 215 p., 22 $
nouvelles, 96 p., 18 $
roman, 104 p., 18 $
48 • lettres québécoises • été 2010
essai
CARLOS BERGERON
IIII
Nicolas Lévesque, (…) Teen spirit. Essai sur notre époque, Québec,
Nota bene, coll. « Nouveaux essais Spirale », 2009, 124 p., 22,95 $.
Psychanalyser
le Québec
Il est facile d’être cynique quand vient le moment d’interpréter l’esprit de son époque. Nicolas Lévesque remet
en question sa société, poétise les psychoses qui la définissent, se demande ce qui reste lorsque l’on prend
conscience que Dieu est mort. Devenir adulte serait-il,
finalement, être heureux?
n dit que la poésie est proche de l’essai. En tout cas, dans son Teen
Spirit, Nicolas Lévesque propose une transcendance textuelle, c’està-dire qu’il alimente sa réflexion en l’empêchant d’être totalement arrêtée par le cadre lexical, laissant plutôt au lecteur le soin d’interpréter un propos
«ouvert». La voix de ce texte «spectaculaire» assemble ce qui paraît être des fragments d’anthologie cousus les uns aux autres: un patchwork créatif et intelligent.
Tout écrivain pourrait ainsi y trouver un
exergue pour une œuvre en chantier, car,
d’une certaine façon, toute œuvre pourrait, de près ou de loin, y être liée, entrer
en convergence avec elle, tellement sa
portée tend vers l’universalité. Trois parties divisent le Teen Spirit.
O
S’AFFRANCHIR
Dès la première partie, «Le rituel de passage» (p. 5-14), l’énonciateur manifeste
son désir de témoigner, et ce désir fait
suite à une impression d’avoir transgressé
un stade de son évolution sur lequel il
entend bien porter un regard poéticoanalytique. Ainsi, il relève le pari de se
« déclarer heureux » (p. 9), acte révolutionnaire s’il en est un! S’affranchir, devenir responsable, passer à l’âge adulte est
l’apanage de l’individu prenant conscience de sa liberté de parole. La société
québécoise, elle, toujours adolescente (métaphore centrale de l’essai), tarderait à
s’affranchir et en serait encore à la difficile étape de la puberté.
DÉFINIR
Dans «De l’esprit adolescent» (p. 15-104), la partie la plus substantielle du texte,
le narrateur définit les tenants et les aboutissants de sa métaphore centrale, de ce
Teen Spirit vécu collectivement: «Tout se passe comme si nous vivions collectivement dans la chambre d’un adolescent en rut […], un adolescent géant et
difforme, obsédé par l’image qu’il projette, son potentiel de séduction, aux prises
avec le jaillissement d’élans sexuels et agressifs difficiles à contrôler.» (p. 17) Et
ce sujet, parfois noyé dans des considérations trop larges (vraiment trop), dérive
dans de la pure poésie, seule façon d’échapper au manque langagier, ce vide, celui
de dire sans avoir ce qu’il faut pour le faire: «À la source de ce livre, il y avait la
profonde conviction que nous manquions de métaphores pour nous représenter
ce que nous vivons.» (p. 21) Si certaines
affirmations gratuites restent discutables
(«On sait tous, d’une certaine manière,
que le clown est triste », p. 24), si le
recours à un grand mythe surexploité
par le discours de la psychanalyse sert
bien l’argumentaire (« Les enfants de
Narcisse», p. 27-36), si les exemples sont
fondés sur des principes clés qui
devraient idéalement être familiers au
lecteur avant qu’il s’aventure dans ce
texte («Au deuil de Dieu, nous donnons
notamment une réponse maniaque qui
ne parvient à distraire notre mélancolie
que de façon éphémère», [p.46]; «le diagnostic psychiatrique de notre époque
est celui de borderline ou d’état limite»,
[p. 54]), nous « jouissons » toutefois de
NICOLAS LÉVESQUE
parcourir cette pensée névrotique à
laquelle, tel un miroir, on s’identifie peut-être trop, malgré le silence laissé par les
nombreuses métaphores.
P S Y C H A N A LY S E R
«En ces temps d’apocalypse, de toutes les agonies, je prends plaisir à affirmer que
ma pratique psychanalytique (en tant que psychologue en bureau privé) se porte
bien» (p. 109), est le constat auquel arrive l’énonciateur qui, dans cette dernière
partie, commente le statut de la psychanalyse. Le chapitre intitulé «La toxicomanie collective» (p. 127-142) est particulièrement frappant, puisqu’il fait état
d’un monde «répondant à sa détresse par la médication» (p. 128), par l’usage
répandu de psychotropes.
Finalement, dans Teen Spirit, texte inspirant, il revient au lecteur de répondre au
transcendant, à ce manque qui, comme l’énonciateur, le «traverse» lorsque le sens
lui fait défaut. Il lui faut le transgresser, ce sens, aller de l’avant et s’affranchir, lui
aussi, de ses ornières…
II
Pierre Joncas, Les accommodements raisonnables :
entre Hérouxville et Outremont. La liberté de religion dans un État de droit,
Québec, PUL, 2009, 118 p., 19,95 $.
Liberté
de religion ?
Joncas nous présente une série d’essais visant à nous faire
réfléchir sur la pratique des accommodements raisonnables.
À la lumière de ce qu’est notre société québécoise, qu’en estil de la liberté de religion, des effets du multiculturalisme et
des conflits qu’il engendre ?
P
ierre Joncas, ce retraité de la fonction publique fédérale se portant à
défense de la société québécoise, veut mettre les pendules à l’heure
dans son recueil réunissant quatre essais bien documentés. Les deux
lettres québécoises • été 2010 •
49
essai
CARLOS BERGERON
premiers, «Des stéréotypes et des effets délétères de leur propagation » (p. 1-13) et
«Destination incertaine, toute piégée: le multiculturalisme» (p. 15-31), ont déjà paru dans
la revue Cité libre en 1994 et en 1995; les deux
derniers, « Vous avez dit “accommodements
raisonnables”?» (p. 33-74) et «Appréciation
critique du rapport Bouchard-Taylor et de certaines réactions à sa publication dans les
médias et à l’Assemblée nationale » (p. 75111), sont inédits. Pour Joncas, «[l]e moment
est arrivé de dresser un bilan de [s]es observations et de [s]es fréquentations» (p. xvii).
PORTRAIT DE LA SOCIÉTÉ
QUÉBÉCOISE ACTUELLE
Premièrement, il s’agit de contester deux principaux stéréotypes véhiculés à
propos des Québécois, ceux qui voudraient que ces derniers soient antiautochtones et antisémites, «image fausse, injuste et insultante» (p. 12) ayant été propagée un peu partout à travers le monde. Deuxièmement, après avoir défini ce
qu’est le « multiculturalisme », Joncas montre très bien que les Québécois ne
sont pas xénophobes, mais que leur position déjà précaire, notamment par rap-
I
Marie-Paule Villeneuve, Le tiers-monde au fond de nos bois,
Montréal, Fides, 2009, 144 p., 19,95 $.
Quand il s’agit
de dénoncer !
L’honnêteté de Marie-Paule Villeneuve ne fait aucun doute.
Son désir de donner la parole aux travailleurs forestiers, surexploités dans de sombres campagnes québécoises, est tout
à fait noble. Est-ce qu’un tel plaidoyer peut réellement faire
évoluer les conditions de travail des débroussailleurs ?
a spécialiste de la dénonciation des travailleurs exploités
est de retour et son discours vise à nous faire prendre
conscience de l’esclavagisme dans lequel sont plongés de
nouveaux arrivants et des Québécois de souche: «J’ai voulu faire
connaître leur statut, leurs racines, leur vie. De sorte qu’on se
souvienne de ces travailleurs alors même que le métier de
débroussailleur n’existera peut-être plus.» (p. 13) Marie-Paule
Villeneuve a fait du véritable journalisme d’enquête et s’est rendue sur le terrain pour constater le drame de ces travailleurs.
Celle qui se trouve devant une forêt qui sent «l’essence, la gomme
d’épinette et les feuilles labourées» (p. 19) et qui doit aller uriner
dans un buisson «au milieu d’un monde d’hommes» (p. 23) est
ahurie face à ce qu’elle découvre : conditions de travail misérables, salaires minables, main-d’œuvre faisant du «temps» pour
gagner ses semaines d’assurance-chômage… Selon certains
contremaîtres, «pour être débroussailleur, il faut accepter la misère» (p. 43). La
L
50 • lettres québécoises • été 2010
PIERRE JONCAS
port à leur langue et à leur culture, leur fait craindre un
manque de reconnaissance
similaire à ce qu’ils ont vécu
dans le passé. Troisièmement,
on en vient aux accommodements raisonnables, fil conducteur du présent recueil, afin de
montrer que, comme certains
l’ont prétendu, il ne s’agit pas
d’empêcher les différentes
communautés de respecter
leurs croyances religieuses,
mais plutôt de leur assigner les
mêmes devoirs qu’aux autres
citoyens. Quatrièmement,
Joncas analyse le rapport
Bouchard-Taylor et les commentaires qu’il a suscités dans
les médias.
En somme, ce portrait efficace d’une actualité qui a fait couler beaucoup d’encre
propose un point de vue restreint, un peu trop orienté…
matière de l’essai est mince, de sorte
que le sujet est épuisé après les trentesix premières pages. Tout ce qui suit est
répétition, mais cette répétition est
organisée à partir de la voix de différents locuteurs.
L A PA R O L E
A U X T R AVA I L L E U R S
Marie-Paule Villeneuve tente de dresser
un fidèle portrait de la profession en
donnant la parole aux travailleurs. En
effet, elle en interroge quelques-uns qui,
à tour de rôle, viennent nous raconter
leur histoire d’horreur. Un ex-journaM A R I E - PA U L E V I L L E N E U V E
liste recyclé en ouvrier sylvicole (chapitre 3), Jean-Baptiste Mailloux, cet ancien professeur d’université détenant deux
maîtrises (chapitre 5), Stann-Simon Mahoua, originaire du CongoBrazzaville (chapitre 6) et un cardiologue moldave, Andrei Topalov
(chapitre 7), défilent pour expliquer dans le détail le fait que les
conditions de travail inhumaines menant à un salaire de crèvela-faim sont, ou ont été, leur lot pendant un certain temps. Bien
évidemment, l’échantillonnage présenté a tout pour illustrer que le
profil du débroussailleur n’est pas nécessairement celui auquel
on pense spontanément, c’est-à-dire l’illettré qui va travailler avec
sa boîte à lunch ou l’étudiant gagnant ses études! Il a plusieurs
visages, ce pauvre travailleur, différentes personnalités…
Enfin, faut-il lever notre chapeau à Marie-Paule Villeneuve pour
avoir consacré toute cette énergie afin de nous informer sur la
pratique d’un métier qu’on ne voit pas? Ou alors doit-on lui dire
que, malgré sa ferveur à défendre la veuve et l’orphelin, elle
gagnerait à s’exprimer dans un média autre que la littérature, un
média où sa voix serait beaucoup plus entendue?
essai
RENALD BÉRUBÉ
IIII 1/2
Jean-François Nadeau, Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, Montréal,
Lux, coll. « Histoire politique », 2009, 411 p., 34, 95 $.
Ouvrage
remarquable,
« héros » trouble
Robert Rumilly est bien connu au Québec pour son Histoire
de la province de Québec en 41 volumes parus entre 1940
et 1969, l’histoire de cette « province » commençant par la
Confédération. Mais il est aussi connu pour avoir soutenu
sans jamais ciller l’aventure Duplessis. Ce n’était pas les premières « aventures » auxquelles il prenait part, même que…
isons nettement les choses,
même s’il faut limiter la courtoisie à la portion congrue :
Robert Rumilly ne suscite pas d’emblée
une admiration totale. Ce sont plutôt les
réserves qui, dans son cas, méritent l’ad-
D
Tenté par le mouvement anarchiste du début des années 1920, il se retrouve
bientôt à l’Action française de Maurras, les deux mouvements témoignant des
immenses désillusions de la jeunesse d’alors. Rumilly sera un Camelot du roi du
journal éponyme d’Action française, un camelot qui organisa des manifestions
où la violence pouvait être au rendez-vous. Déçu de son pays, il quitte la France
pour le Québec en 1928. Il sera naturalisé Canadien en 1934.
SON QUÉBEC D’ANCIEN RÉGIME ET SELON MAURRAS
Le Québec des années 1930, pour Rumilly, est une sorte de réitération de la
France d’Ancien Régime, de la France monarchiste et catholique que le mouvement maurrassien veut remettre au pouvoir. La France rêvée du maître à penser
de Rumilly est réactionnaire, la démocratie constitue pour elle le système à
abattre ; c’est la France anti-dreyfusarde et raciste, qui mène à Pétain et à la
Collaboration.
Nadeau ne s’épargne aucune recherche, ne prive son lecteur d’aucune précision.
Les premiers chapitres (1-6) décrivent admirablement la situation de la France
des origines de Rumilly et fournissent un cours brillant sur la pensée maurrassienne dont L’Action française de Lionel Groulx, devenue L’Action nationale après
la condamnation par Rome (1926) des théories de Maurras, n’est pas innocente.
Si Rumilly a d’abord vu en Henri Bourassa le chef possible d’un Québec d’Ancien
Régime, il comprend vite que le fondateur du Devoir est trop âgé pour cette
tâche. Et de jeter son dévolu sur Camillien Houde puis sur Duplessis, son rapport
aux deux hommes étant par ailleurs différent. S’il eut de la sympathie pour l’indépendantisme québécois, l’Union nationale étant devenue obsolète malgré ses
efforts, il changera vite d’avis: le socialisme, la gauche, la démocratie avaient là
grande importance, ce qui était contraire aux caractéristiques de «son» Québec.
Rumilly est un polygraphe comme il s’en trouve peu; les tomes de son Histoire de
la province de Québec ne sont qu’une partie de son œuvre qui a aussi fait dans le
journalisme et les «catéchismes» à destination de l’UN. Le maurrassien a su
amasser un joli pécule dans l’immobilier, il n’a jamais rougi d’aider nazis ou collabos à échapper à la justice. Et si un mouvement anti-avortement qui préconise
la messe en latin, dont le «siège social» se trouve dans le rang 8 de Notre-Damedes-Bois (Estrie), se réclame aujourd’hui de son nom, alors que Rumilly n’a
jamais abordé cette question, on peut dire qu’il a peut-être couru après.
JEAN-FRANÇOIS NADEAU
jectif « total ». Ce qui ne l’empêche pas de fournir à JeanFrançois Nadeau, qui sait fouiller
et écrire, l’occasion d’un livre du
plus grand intérêt, un ouvrage
documenté qui se lit, selon l’expression, «comme un roman».
Et comme un modèle de biographie.
LA FRANCE D’EMPIRE
Né à Fort-de-France en Martinique en 1897, son père Georges étant de l’armée
française aux colonies, Robert Rumilly est fils de la France d’empire. En 1903,
il se retrouve avec sa famille au Tonkin (Viêtnam). Assigné à combattre les trafiquants d’opium chinois, son père mourra en 1910, empoisonné probablement, ainsi qu’il était alors fréquent chez les militaires français en Indochine.
« Après la mort de son mari, Léontine [de Bellavoine] et ses trois enfants quittent la colonie pour trouver refuge en France auprès d’un oncle, le général
[...]. » (p. 29) Robert va donc étudier dans la mère patrie, puis participer à la
Grande Guerre.
Superbe ouvrage, qui souligne l’apport de Rumilly au développement de la discipline «histoire» au Québec et explique les biais de la pensée de l’historien.
Les notes et l’index (p. 339-410) disent aussi la qualité de l’entreprise.
I N FO CA P S U L E
BoD – Books on demand
L’autoédition est devenue une mode qui prend de plus en plus d’ampleur. Au
Salon du livre de Paris, en mars dernier, BoD annonçait sa présence en se
présentant comme le leader du marché de livres en ligne. BoD offre tout
pour éditer son propre livre, ce qui inclut bien sûr le ISBN. Il propose un
nouveau programme «easyBook» et permet à tout individu de jouer à l’éditeur. Ainsi pour publier un livre de 200 pages à 100 exemplaires, il en
coûterait 8,40 €(11,50 $). Ce chiffre ne comprend que l’impression, d’autres
frais s’y ajoutent à coup sûr pour la production du livre (et il doit y en avoir
beaucoup !). BoD prétend qu’il a à son actif plus de 150 000 livres produits,
ce qui est tout de même impressionnant. Difficile de savoir où loge BoD
puisqu’il œuvre dans différents pays: la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la
Suède, la Norvège et la Suisse.
lettres québécoises • été 2010 •
51
essai
RENALD BÉRUBÉ
III 1/2
Jean-Claude Germain, Nous étions le Nouveau Monde. Le feuilleton des origines,
Montréal, Hurtubise, 2009, 256 p., 22,95 $.
Un auteur
qui sait conter
Nous avons déjà dit (Lettres québécoises, no 134) le plaisir lié
à la lecture de La nuit rouge de la bohème. Historiettes de ma
première jeunesse, qui faisait suite à La rue Fabre, centre de
l’univers (2007). Germain s’y racontait, d’enfance en « première jeunesse ». Il raconte ici nos enfance et prime jeunesse
collectives.
n auteur qui sait
conter, cela ne va pas
de soi. De merveilleux écrivains sont les premiers à reconnaître que raconter n’est pas nécessairement
leur talent premier. Osons ceci:
un conteur, un vrai, c’est de la
même famille qu’un violoneux,
ça joue des mots avec sa plume
comme l’autre des cordes avec
son archet. Ça fait giguer et
danser, rire et pleurer, comme
si tel talent allait de soi.
U
depuis 1867 s’est incarnée dans les tribulations orthographiques du vocable
“canadien français”. Son retour en force
sur les ondes radio-canadiennes à la
suite du revers du dernier référendum
n’est pas innocent. Surtout lorsqu’on
note qu’en parallèle, on ne fait plus
référence au “Québec” mais à la “province”. » (p. 11)
C O N T R E « L’ I N C O N N A I S S A N C E »
De l’évocation de Jeanne Mance, «femme moderne de 1640», jusqu’à «l’échec
diplomatique» de B. Franklin à Québec en 1776, en passant par l’opposition, dès
1694, entre le gouverneur Frontenac et Mgr de Saint-Vallier au sujet du Tartuffe,
par la « Grande paix du Rat », c’est-à-dire la Paix des Braves de 1700, ou la
« Grande couillonnade », soit l’opposition entre le gouverneur Vaudreuil et le
hautain et pleutre général Montcalm qui mena aux plaines d’Abraham, Germain
raconte, historien et auteur d’historiettes, notre histoire. Avec un humour toujours
au rendez-vous et un souci de faire entendre que «l’inconnaissance» (p.9) n’a pas
droit de cité. Son éloge du Rat (surnom du chef huron Kondiaronk) et des interprètes, Nicolas Perrot («l’homme aux jambes de fer») en tête, comme passeurs
entre Amérindiens et Français, mérite plus d’une lecture. «Les interprètes, sans
autre but que d’établir de bonnes relations commerciales, ont réussi là où les missionnaires en mal de conversion ont échoué lamentablement.» (p. 84)
Vingt brefs chapitres, suivis d’une précieuse chronologie et d’un fort utile index
des noms: à lire avec un (sou) rire aux diverses couleurs.
II 1/2
Saïd Khalil, Bruny Surin, le lion tranquille,
Montréal, Libre Expression, 2009, 256 p., 27,95 $.
JEAN-CLAUDE GERMAIN
Depuis un bon moment déjà, qui
remonte entre autres au Pays dont la
devise est je m’oublie (1976), Germain a
fait la preuve de son talent de conteur, à
la scène comme en ses textes aux
diverses destinations. Ne pas bouder
son plaisir: là où Germain, quand il se
raconte, utilise le vocable «historiette» à
très haute saveur du Ferron racontant
des aléas de notre Histoire-la-petite, il
utilise le vocable «feuilleton», populaire
en ce qu’il renvoie à un lectorat continu,
pour raconter notre venue au monde
dans cet ouest de l’Europe jusque-là «inexistant», pour narrer ces années où nous
fûmes le Nouveau Monde.
CANADIEN FRANÇAIS ?
Ce que furent bel et bien la Nouvelle-France et l’Acadie: le Nouveau Monde. Qui
s’exprimait alors en langue française (pour nous; pas pour les Autochtones). Il faut
lire avec l’attention nécessaire les lignes suivantes: «Toute l’histoire québécoise
52 • lettres québécoises • été 2010
Germain a fait la
preuve de son talent
de conteur, à
la scène comme en
ses textes aux
diverses destinations.
Un héros
attachant,
un ouvrage trop
« tranquille »
Né en Haïti en 1967, Bruny Surin arrive au Québec en janvier 1975 par -20 °C : « Regarde, je fume sans cigarette », ne
cessait-il de dire à son père. À compter de 1987 et des
Championnats du monde tenus cette année-là à Rome (où il
rencontre — en compétition — Carl Lewis son idole) et jusqu’à sa retraite en 2002, « le petit / le pasteur / l’animal »
(p. 19-45) aura profondément marqué l’athlétisme québécois.
une certaine façon, Bruny Surin a révélé le 100 mètres et l’athlétisme
au Québec. Nous avions eu des marathoniens et des hommes forts,
Gérard Côté et Louis Cyr, Étienne Desmarteau aussi (médaille d’or au
D’
RENALD BÉRUBÉ
essai
JEAN-PAUL DAOUST
CARNETS DE MONCTON
Scènes de la vie ordinaire
BRUNY SURIN
ET SAÏD KHALIL
lancer du poids aux Jeux olympiques de Saint Louis en 1904). Mais l’accélération
et nous, au stade ou ailleurs?
GÉNÉROSITÉ, EGO ET COMPÉTITION
Bruny Surin est un homme sensible, généreux, dont l’ego, certes pas inexistant,
sait reconnaître d’où il vient; sait reconnaître aussi quelles gens, comme malgré
lui au départ, alors qu’il faisait dans le saut en longueur, ont permis l’éclosion puis
le développement de sa carrière: son premier entraîneur, Daniel Saint-Hilaire, qui
a vu en lui plus que Surin ne voyait, et cet autre, Don Pfaff «le magicien», avec qui
Surin regrette de ne pas avoir travaillé plus tôt. Et Claude Chagnon de Vidéotron
au support financier désintéressé, et l’apport multiple de Bianelle, l’épouseporte-parole-agente…
Ouvrage qui relate les enchantements et
les déceptions, les frictions des egos
canadiens entre Surin et Ben Johnson
ou Donovan Bailey, la relation avec ce
dernier étant fort intéressante, relation
d’amis compétiteurs. Et quand Surin
admet avoir pleuré de déception en
apprenant que Marion Jones se dopait,
on sait clairement où il a toujours logé.
Quand Jean-Paul Daoust pose son regard sur Moncton
et les gens qui l’animent, il en résulte une poésie urbaine
du quotidien où se côtoient l’humour, l’amitié et une
tendre loyauté, libre de toute complaisance.
Jean-Paul Daoust a passé trois mois d’hiver à Moncton
pour y écrire des carnets dans le sillage du départ de
Gérald Leblanc, le poète regretté dont l’œuvre rayonne
au cœur de cette ville qu’il a tant aimée.
Deux regrets: que l’écriture du livre soit
trop sage, grise disons, qu’elle n’ait pas la
vivacité de qui courait le 100 mètres. Et
que le livre ne mentionne jamais cet
ancêtre canadien de Surin dans le 100
mètres (100 verges!), Harry Jerome.
I N FO CA P S U L E
Piratage : bien évidemment !
Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que le mal qui a frappé l’industrie du disque se propagerait comme la peste au domaine du livre.
Pourquoi payer un livre qu’on peut se procurer gratuitement dans Internet?
À la limite, on peut accepter que des livres qui appartiennent au domaine
public soient offerts dans Internet, mais que ce soit le cas pour des livres
récents, c’est plus inquiétant. Récemment, The Year of the Flood de Margaret
Atwood l’était. Les Amazon de tout acabit auront beau bloquer la copie de
leurs livres vendus par des moyens techniques, ils ne pourront freiner l’apparition de sites illégaux qui vendent à qui mieux mieux des auteurs connus.
ISBN 978-2-922992-58-8
Poésie, 66 pages, 14,95 $
lettres québécoises • été 2010 •
53
FR ANÇOIS CLOUTIER
des images, des mots
IIII
Michel Rabagliati, Paul à Québec, Montréal,
La Pastèque, 2009, 184 p., 27,95 $.
Paul et la vie
Depuis quelques années, la bande dessinée québécoise
connaît une effervescence sans pareil. Des maisons d’édition
s’y consacrent totalement et d’autres ont créé des collections
particulières consacrées au « 9e art », terme utilisé par plusieurs amateurs de bédé.
ichel Rabagliati, illustrateur de formation, en est sûrement la figure de
proue et son ambassadeur médiatique. Son personnage de Paul, qui n’a
strictement rien à voir avec Tintin, qui, lui, vivait des aventures hors de
l’ordinaire, est un antihéros dont les aventures sont ancrées dans le quotidien. Le
lecteur assiste à des tranches de vie illustrées, passant d’un premier travail d’été
à la naissance d’un enfant. Dans le sixième livre, Paul à Québec, le personnage doit
faire face à la maladie, à l’attente de la mort, à son arrivée, et doit accompagner
ceux qui restent.
M
Le récit central tourne autour de la
maladie de Roland, beau-père de Paul,
atteint d’un cancer du pancréas intraitable. Toutes les étapes de ce drame
sont exposées au lecteur : l’annonce
du diagnostic, la perte d’autonomie,
le passage obligé aux soins palliatifs et
l’acceptation de la mort qui gruge l’in-
au récit. L’auteur joue avec les dimensions des cases, se permet des planches
entières d’une seule case, s’amuse à reproduire la réalité (les trois premières
planches se déroulent au Madrid, institution légendaire de l’autoroute 20), mais
ne tombe jamais dans le piège facile de s’admirer dessiner.
Ce qui rend le récit si émouvant, c’est la simplicité qui s’en dégage. Les dialogues, quoique parfois longuets, ne tentent pas à tout prix de reproduire la
langue québécoise dans ses moindres détails. Certaines planches, les plus touchantes, sont d’ailleurs dépourvues de phylactères. À ce sujet, les cinq planches
qui illustrent le trajet de Paul et de sa fille, de Montréal vers Saint-Nicolas, à la
maison de soins palliatifs, sont une totale réussite. À travers les cases, les personnages traversent des zones urbaines chargées de panneaux publicitaires pour
finalement arriver en campagne, à la chambre de Roland qui vient de décéder.
Rabagliati montre l’absurdité de notre environnement face à la cruauté de la
vie. Les trois cases de la planche où Paul et Rose se présentent, trop tard, dans la
chambre de Roland sont sobres et chargées d’émotion. Les filles et la femme de
Roland demeurent immobiles autour du lit du défunt à la première case, Lucie
s’aperçoit que Paul et Rose sont arrivés à la deuxième, alors que la troisième les
montre tous les trois s’enlaçant. L’auteur opte pour l’immobilisme des autres
personnages, mettant ainsi l’accent sur l’accablement de nos héros.
BÉMOLS
Si on peut faire un reproche à Michel Rabagliati, c’est parfois d’en mener un peu
trop large sur le plan du récit. Paul qui regarde des diapositives afin d’indiquer au
lecteur ce qui s’était passé depuis un an, c’est un peu gros. Les personnages qui
discutent de la souveraineté du Québec, ça n’amène rien de nouveau sous le
soleil. Roland qui, en douze planches, raconte sa vie, aurait pu se voir amputer une
partie de son discours sans que cela le rende moins humain aux yeux des lecteurs.
Ces quelques réserves n’enlèvent cependant rien au plaisir de se plonger dans
l’univers de Paul et des siens. Paul ne sera jamais Tintin, et c’est tant mieux.
III
Philippe Girard, Tuer Vélasquez, Montréal,
Glénat Québec, 2009, 192 p., 19,95 $.
térieur. L’album se divise en
chapitres qui situent les lecteurs dans la chronologie de la
maladie. Après l’annonce du
diagnostic, on se propulse un
an plus tard, le récit devient
mensuel pour se terminer avec
les derniers jours de la vie de
Roland. Parallèlement, la vie
continue pour Paul, Lucie et
leur fille Rose. Entre l’achat
M I C H E L R A B A G L I AT I
d’une nouvelle maison, les
réunions familiales, l’efficacité terrifiante du service à la clientèle des grandes
compagnies, les personnages font leur bout de chemin en apprivoisant, à leur
façon, le départ imminent d’un des leurs.
L’art de
l’autobiographie
Philippe Girard en est à son neuvième album. Autrefois
connu sous le pseudonyme Philippe Grrrd, l’auteur continue
ici sa série de récits autobiographiques entrepris avec Les
ravins, qui racontaient son périple à Moscou en compagnie
de Jimmy Beaulieu, autre bédéiste important de la scène
locale. Cette fois-ci, Girard se souvient d’une période trouble
de son adolescence, alors qu’il doit faire face au divorce de
ses parents, à un déménagement et à un curé pédophile.
UN DESSIN SIMPLE ET EFFICACE
Le talent premier de Michel Rabagliati réside dans la façon particulière qu’il a de
mener son histoire. Ici, le dessin ne vise pas à épater le lecteur. Entièrement en
noir et blanc, les différents plans choisis par le dessinateur ajoutent de la fluidité
54 • lettres québécoises • été 2010
près avoir appris qu’un curé québécois s’était fait écrouer à Lieurey, tout
près de Paris, pour avoir commis des agressions envers des jeunes garçons, Philippe Girard revit une partie douloureuse de son adolescence.
Après son déménagement de Loretteville à Sainte-Foy, le personnage principal se
A
FR ANÇOIS CLOUTIER
des images, des mots
III
Pascal Colpron, Mon petit nombril, http://monpetitnombril.wordpress.com
Illustration de
la vie familiale
PHILIPPE GIRARD
retrouve isolé, nouvel arrivant dans
une école étrangère, avec seulement
sa mère à qui se rattacher. Celle-ci
l’incite à joindre un groupe de
jeunes garçons dont les réunions
sont animées par un prêtre pour le
moins particulier. Philippe se rendra rapidement compte que les
soupçons qu’il avait développés
envers le curé Grandmaison s’avèrent réels, lors d’une fin de semaine de groupe
où le prêtre abusera de son pouvoir de manipulation pour assouvir ses pulsions
pédophiles. Ce drame se jouera avec en filigrane un questionnement sur qui de
Vélasquez ou de Picasso est le plus grand peintre et une identification du personnage principal à Jack Bowmore, héros de roman inspiré de Bob Morane.
L’ I M P O R TA N C E D E L’ A R T
La grande réussite de cet album est sans contredit la façon qu’a Girard de raconter son histoire et les moyens esthétiques dont il use pour y arriver. Les planches
sont en noir et blanc, les personnages sont dessinés assez grossièrement et les
décors dans lesquels ils évoluent restent sommaires, surtout dans la première partie de l’album. Cependant, l’auteur se permet quelques planches plus fouillées
graphiquement. Lors d’une séquence onirique d’une quinzaine de planches,
Philippe Girard arrive à mêler Picasso, La chasse-galerie et Vélasquez afin d’illustrer le cauchemar horrible dans lequel son héros se trouve. De plus, il illustre des
portions des aventures de Jack Bowmore et permet à son personnage de Philippe
de vaincre ses peurs en prenant les traits de Jack. Ces planches, dont les cases
conservent une disposition classique, rappellent les adaptations (qui ne furent pas
si heureuses, précisons-le) en bande dessinée des romans de Bob Morane.
La grande réussite de cet
album est sans contredit la
façon qu’a Girard de
raconter son histoire et
les moyens esthétiques
dont il use pour y arriver.
À travers le drame que Philippe
Girard évoque, c’est son ode à
l’importance de la paralittérature qui nous a semblé la plus
réussie. Le protagoniste de
Girard s’accroche comme à une
bouée aux aventures de Jack
Bowmore, prouvant ainsi que la
plongée dans le vaste monde de
la littérature (et de l’art) peut se
faire à partir de plusieurs quais.
La popularité des blogues de toute sorte ne se dément pas,
nous assistons à un nouveau moyen de diffusion de contenu
à saveur littéraire. Les bédéistes savent aussi profiter du
médium. En Europe, Lewis Trondheim, chef de file de la nouvelle bédé française, a mis en ligne de nombreuses planches
sous le pseudonyme de Frantico, qui sont maintenant
publiées dans un album. Pascal Colpron, lui, publie Mon petit
nombril sur la Toile depuis 2008. Sa façon de faire est assez
simple: des tranches de vie d’un père de famille de 35 ans en
une planche, le plus souvent en noir et blanc.
ne des fonctions premières du blogue est de pouvoir partager un certain nombre de renseignements avec de parfaits étrangers. Le blogue de
Pascal Colpron comporte son nombre de liens avec d’autres sites jugés
d’intérêt par l’auteur, des réflexions sur sa vie professionnelle et un récit appelé
Dynamoville. Le premier attrait de ce site se situe cependant dans les nombreuses planches (plus de 200) qui s’y retrouvent. Le personnage principal est le
blogueur, qui nous permet de découvrir son quotidien. Le dessin peut rappeler
parfois celui de Gotlib (noble référence), mais les récits demeurent très personnels. Pascal Colpron ne tombe pas
dans le piège de faire à tout prix «joli»,
les planches ne sont pas toutes réussies (certaines contiennent trop de
cases pour ce qu’elles racontent,
d’autres pas assez), mais le plus souvent, il arrive à nous faire sourire ou
encore à nous émouvoir.
U
S U J E T S VA R I É S
La famille nucléaire est une source
d’inspiration à la mode pour plusieurs
créateurs, ceux-ci insistant sur certains
changements sociaux, tel le père de
famille devenu travailleur autonome à
la maison. Le dessinateur s’en inspire,
certes, mais ne se cantonne pas à ce seul sujet. On voit le personnage en interaction avec sa fille, les affres qu’apporte un ordinateur au quotidien, la vie de couple
qui en prend parfois pour son rhume, la nostalgie du temps qui passe, etc.
Colpron informe aussi le lectorat de ses activités professionnelles à venir, de ses
publications et de ses collaborations.
Pascal Colpron a le sens du punch, primordial dans ce genre de bédé axé sur la
chute de la dernière case. Le bédéiste se met en scène honnêtement, ne se donnant pas nécessairement le beau rôle, ce qui le rend doublement sympathique et
charismatique. Les comparaisons avec les «strips» américains mettant en scène
des familles et qui sont publiés dans les journaux nationaux sont inévitables, mais
Mon petit nombril se démarque par l’originalité et l’honnêteté de son propos.
lettres québécoises • été 2010 •
55
CARLOS BERGERON
les revues en revue
Alibis • Polar, Noir et Mystère, no 32, vol. 8, no 4, « Cinq fictions
Liaison • no 146, hiver 2009-2010,
à se ronger les ongles », Québec, automne 2009, 144 p., 10 $.
10 $.
Ce numéro comporte un petit bijou qu’il ne faut pas
manquer! Le premier texte, «Nous sommes du même
sang» (p. 7-21), de Sébastien Aubry, exploite une narration par alternance qui réussit à maintenir le suspense jusqu’à la chute, moment où les histoires racontées se rencontrent. Difficile, cependant, de résumer de
quoi il s’agit sans vendre la mèche… Sur une trame
historique se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale (aspect réussi), la nouvelle de Maxime Houde,
«Matricule 53083» (p.35-72), raconte comment l’amitié trahie à cause d’une relation amoureuse peut mener
aux pires abominations. Les clichés succèdent aux clichés dans un récit mélangeant une histoire d’amour à l’eau de rose («incapables tous les deux de résister
plus longtemps à la marée de passion qui montait dans leurs veines, ils s’embrassèrent», p. 58) à un scénario de vengeance qui, loin de tenir la route, devient
carrément risible. Élisabeth Vonarburg nous révèle son exceptionnel talent d’écrivaine dans un genre autre que la science-fiction, avec la nouvelle «Défense d’y
voir» (p. 89-107), le petit bijou en question du présent numéro. Tirant tout ce
qu’elle peut de l’ellipse, elle mène son lecteur, le piège même, au cœur d’une péripétie amoureuse tordue (encore un trio) où la fin compte peu, car on la soupçonne
dès les premières pages, et lui réserve aussi des surprises de taille (vraiment) en
cours de lecture. C’est la technique narrative qui, dans le cas présent, est suffisamment puissante pour faire oublier une thématique qui s’apparente à un soap
américain à la thématique «guimauve» (amour, richesse, tromperie), façon qu’a
sans doute trouvée l’auteure pour porter un regard sarcastique sur le genre.
Art Le Sabord • no 84, «Oui», premier volet du triptyque
« Oui, Non, Peut-être », Trois-Rivières, automne 2009, 64 p., 9,95 $.
Une autre revue pluridisciplinaire a attiré mon
attention. Art Le Sabord présente le premier volet
d’un triptyque (Oui, Non et Peut-être). Le Oui et
tout ce qu’il implique, c’est-à-dire l’affirmation,
l’évasion, la liberté de parole, l’ouverture absolue,
etc., a servi de thématique à l’expression des
auteurs et artistes faisant partie du présent numéro.
A priori, il me semble que si le Oui offre un champ
conceptuel presque infini, au Québec, il est malheureusement restreint à une incontournable
connotation politique, «piège» dans lequel certains
auteurs ont sauté à pieds joints. Entre le passé et le présent, la narratrice du texte
de Marjolaine Deschênes, «Ta vie est un incendie» (p. 9-12), réduit l’homme à
deux aspects: le père violent et l’amant empathique. Cette prose poétique, loin
d’être banale, ne «lève» pourtant pas. France Théoret affiche ses couleurs politiques dans son article intitulé «Pourquoi je dirai oui une troisième fois à un prochain référendum national» (p. 25-33), texte tout au plus «honnête» dans lequel
elle tend à nous expliquer, en nous racontant d’abord, et poétiquement, ses origines familiales, pourquoi elle refuse «de contribuer à l’effacement du Québec
francophone et de [s]es familles» (p. 33). La finale qui détonne, et dont le propos
presque antisémite nous laisse sans mots, mérite ici d’être citée: «Si les Québécois
de souche donnent un appui massif, plébiscitent le oui, notre force d’attraction
aura une influence irréversible sur l’ensemble de la population québécoise. »
(p. 33) Hédi Bouraoui interroge le «oui» identitaire faisant partie de son nom,
mais aussi celui de l’immigré en terre canadienne dans un texte brillant intitulé
«Le Oui pas trop Catho égalise!» (p. 36-41). En finale, ajoutons que ce numéro
reproduit certaines des photographies de Robert Polidori, artiste s’inspirant du
drame pour créer une œuvre d’une esthétique renversante.
56 • lettres québécoises • été 2010
Pour faire changement et pour créer un peu de diversité dans cette chronique, pourquoi ne pas présenter
une revue dont je n’ai jamais parlé jusqu’à présent, soit
Liaison, qui se consacre aux arts de l’Acadie, de
l’Ontario et de l’Ouest. Cette dernière a comme ambition de couvrir des événements, d’importance ou non,
ayant lieu un peu partout dans la francophonie canadienne se trouvant hors du Québec. L’expression d’une culture francophone, supposément «foisonnante» et se voulant forcément minoritaire, en est donc la préoccupation centrale. La question thématique de ce numéro pourrait se résumer à la
suivante: «Quelle est la place de la culture dans nos vies?» Le dossier ayant pour titre
«La culture et moi» est en effet lancé grâce à l’éditorial de Suzanne Richard qui interroge l’accessibilité à la culture (probablement en milieu anglophone), y allant d’une
comparaison avec la France où, contrairement au Canada, différentes politiques
encouragent les gens à en consommer davantage. L’article de Paul Savoie, le plus intéressant de ce numéro, examine la «visibilité» de l’art, miroir de toute individualité,
et précise que la qualité n’est pas toujours à associer à une grande médiatisation.
Même le phénomène de la téléréalité s’y trouve brièvement commenté. La culture
doit être «incarnée», elle «doit s’imposer, comme des mitaines et une tuque en
hiver» (p.7), précise-t-il. J’ai été surpris de constater qu’un test bien bidon (cochez
«a», «b», ou «c» dans les vingt questions posées et, selon votre cumulatif, votre profil correspond à X), visant à évaluer quelle place prend l’art dans notre vie, occupe les
pages 16 à 19. Finalement, il me semble que la revue, dont l’esthétique irréprochable laisse beaucoup plus d’espace au texte qu’à l’image (bravo!), fait un peu trop
de place à l’Ontario (oh! fort peuplée, dit-on) au détriment des autres bourgades
arborant fièrement leur identité francophone malgré la résistance.
Québec français
• no 155,
« Littérature et sexualité », Sainte-Foy,
automne 2009, 116 p., 7,95 $.
La célébration de deux plaisirs sensuels, soit la littérature et la sexualité, est au cœur de ce numéro nous
offrant un dossier bien chaud. Comment, en effet,
parler encore de sexualité sans ressasser, dans une
sempiternelle masturbation linguistique, ce qui en
constitue les principaux lieux communs? Québec
français joue plutôt dans la perversion, c’est-à-dire
contourne «l’attendu», en nous présentant presque une thématique centrale axée
sur la «pornographie», donc, littéralement, sur «l’écriture» (graphie) de la sexualité. Bien entendu, on a droit à un article portant sur le père Sade, cet incontournable qu’on ressort des boules à mites quand vient le temps d’explorer ce genre de
thématique («Qui a vraiment lu Sade», p. 35-37), mais plus que la philosophie
noire issue des lointaines Lumières, on a droit à un article portant sur L’inévitable
de Jean-Paul Roger: «L’ogre mangeur d’enfants» (p. 39-42). L’article en question, même s’il présente une lecture personnelle d’une autofiction traitant d’un
sujet grave, l’inceste père-fils, va plus loin et frôle l’absurde dithyrambe en faisant
de l’œuvre de Roger un «palimpseste du paradis perdu» (p. 41). Marie Fradette
signe «La sexualité dans la production littéraire destinée à la jeunesse» (p.45-49),
texte vraiment captivant qui nous fait découvrir les enjeux «délicats» de ce genre
littéraire méconnu. Comment, en effet, aborder puis exposer la question pour un
jeune lectorat? Quels thèmes sont à privilégier? Le témoignage de Geneviève
Ouellet, «Moment(s) de grâce. Oser l’osé en classe» (p.56-57), expose la réflexion
d’une enseignante qui, justement, ose aborder la question de la sexualité, à travers
l’analyse d’extraits de textes érotiques, en classe de littérature. Finalement, la
fiche de lecture portant sur Borderline de Marie-Sissi Labrèche (p. 95-97) est un
incontournable signé Aurélien Boivin.
MARQUIS
À P O S I T I O N N E R PA R E U X
AT T E N T I O N
G A R D E R L E FO L I O
lettres québécoises • été 2010 •
57
événement
S É B A S T I E N L AV O I E
Et toutes
ses dents
La Révolution tranquille a cinquante ans ?
La maison d’édition Hurtubise en a tout
autant. Si d’aucuns pensent que la première s’est sclérosée avec le temps, personne ne peut en dire autant de la
deuxième…
n dit de Claude Hurtubise qu’il ne savait que
fonder des revues et des maisons d’édition,
mais c’est faux. Il a aussi dirigé une agence de
distribution, Fomac. Il a d’abord créé, en 1934, avec plusieurs autres personnes, dont Saint-Denys Garneau, la
revue La Relève, devenue La Nouvelle Relève en 1941.
O
puisque la fondation de la maison a coïncidé précisément avec l’institutionnalisation universitaire de la
recherche dans les sciences sociales et humaines3.»
C’est sous ces auspices que naît la collection d’essais
« Constantes », « […] la collection par excellence de la
nouvelle pensée canadienne-française4 ». Au chapitre littéraire, mis à part une réédition du Torrent d’Anne
Hébert, la maison permet de découvrir Monique Bosco,
Jacques Ferron, Madeleine Ferron, Naïm Kattan, Jean
O’Neil (et, plus tard, André Carpentier, Noël Audet et
Diane-Monique Daviau). La maison publie aussi les premières traductions de Marshall McLuhan, Northrop Frye,
Hugh MacLennan et Mordecai Richler.
L’associé Hatier, lui, se spécialise dans le livre scolaire.
En matière d’édition, on se rappelle que, pendant la
Hurtubise HMH a toujours eu une composante étrangère
Seconde Guerre mondiale, c’est toute la francophonie
dans une partie ou l’autre de son activité. […] Mais aussi,
CLAUDE HURTUBISE
en perdition qui vint trouver refuge à Montréal après la
très tôt dans son histoire, la maison distribue ou coédite
déroute de l’édition française. Les gens de l’édition d’ici
des titres produits en France, notamment par l’un ou
ont cru que c’était parce qu’ils étaient bons. Ils ne l’étaient pas, et la bulle éclatera
l’autre de ses propriétaires français. Ainsi, la maison distribue dès sa
rapidement après la guerre. On ne s’étonnera donc pas que M. Hurtubise ait
création un titre important de Hatier, L’art de conjuguer, connu aussi
plongé dans l’aventure de l’édition en fondant les Éditions de l’Arbre, dès 1940, où
sous le nom de Bescherelle5.
il fit paraître les premiers écrits d’auteurs comme Anne Hébert, Yves Thériault et
La maison a commencé à s’investir dans le secteur scolaire très tôt dans son hisRoger Lemelin. Cette première maison d’édition fit faillite l’année où la Nouvelle
toire, en adaptant des ouvrages français. Créé en 1966, ce secteur est d’abord
Relève ferma ses portes, en 1948. Deux cents livres publiés en huit années d’exisdirigé par Thierry Viellard («apparenté à la famille Mame et représentant des
tence, c’était sans doute beaucoup trop. Tout de même, cette première maison
intérêts de celle-ci6 »), qui succédera à Claude Hurtubise à la direction de HMH de
d’édition du natif de Westmount aura aussi été la première maison canadienne1975 à 1979.
française à publier des traductions d’auteurs canadiens-anglais et états-uniens.
C’est sans doute aussi la seule à avoir publié Léon Blum…
En 1954, Claude Hurtubise compte parmi les fondateurs des Écrits du Canada
français (aujourd’hui Les Écrits) en compagnie des Pierre Elliott Trudeau, Gérard
Pelletier et autres Marcel Dubé. Puis, en 1960, il fonde les Éditions HMH en compagnie de Roger Mame, un éditeur de Tours qui fait dans le livre catholique, et
avec l’aide des Éditions Hatier (HMH = Hurtubise, Mame et Hatier) ainsi que
d’une pléthore de très petits actionnaires. C’est en 1969 (ou 1970, les sources
divergent à ce sujet1) que la maison deviendra les Éditions Hurtubise HMH ltée.
Le premier succès d’HMH ne tarde pas. « La Révolution tranquille venait de
commencer, porteuse d’un désir de pensée, de création qui devait nécessairement
se donner une expression écrite. Aussi bien le tout premier livre de la maison futil un essai, le très fort Convergences de Jean Le Moyne [...].2 »
« Au moment où la recherche
sociale prenait son essor, à la fin
des années 1950, la diffusion des
connaissances acquises posait
problème. Celle ou celui qui
entreprendra un jour d’étudier
cette histoire ne pourra pas ne
pas rencontrer la contribution
première et essentielle des Éditions Hurtubise HMH. Première,
58 • lettres québécoises • été 2010
C’est en 1973
qu’entre en scène
Hervé Foulon,
qui rachètera la maison
en 1979.
H C O M M E DA N S H E R V É FO U LO N ,
N O N PA S H AT I E R
C’est en 1973 qu’entre en scène Hervé Foulon, qui rachètera la maison en 1979.
Pour la petite histoire, mentionnons qu’Hervé Foulon est l’arrière-petit-fils
d’Alexandre Hatier, fondateur des Éditions Hatier, et neveu du propriétaire d’alors
des Éditions Hatier, dont il rachète les parts ainsi que celles de Roger Mame.
C’est lui qui développera considérablement le secteur de la distribution (administrativement autonome depuis maintenant plus d’un an). «Le problème, souvent, de l’édition, me dira-t-il, c’est aussi un problème de diffusion, de distribution. Et en France, les gros diffuseurs sont propriété de gros éditeurs.» Le mérite
de M.Foulon aura été d’avoir compris tôt ce principe. En 1982, la maison acquiert
les Éditions Marcel Didier Canada, une maison spécialisée dans le matériel d’enseignement et d’apprentissage des langues (que Hatier possédait alors, faut-il le
préciser). À part les Bescherelle, tout ce qui relève de l’édition scolaire ou pédagogique est depuis lors publié sous ce nom.
Ce secteur des activités d’Hurtubise a subi une forte baisse qui a coïncidé avec
l’implantation de la réforme en éducation, laquelle a fortement déplu à M.Foulon.
Auparavant, ce secteur représentait 70 % du chiffre d’affaires. Dix ans plus tard,
80 % de celui-ci se fait ailleurs. «L’édition scolaire n’était plus de l’édition; c’était
un peu de l’alchimie; trois gouttes de ceci, une goutte de cela…, dit-il pour illustrer son sentiment selon lequel l’éditeur a été marginalisé dans tout le processus.
événement
S É B A S T I E N L AV O I E
affaires, par ailleurs, il convient que des économies d’échelle peuvent être faites,
un haussement d’épaules dans le ton.
E T L’ A V E N I R ?
«La consolidation du secteur littéraire, dit Hervé Foulon spontanément. Offrir le
plus large éventail de livres possible aux lecteurs tout en conservant une qualité
maximale à tous les niveaux», précise-t-il avant de rebondir sur les nouvelles
technologies et les possibilités qu’elles ouvrent, selon lui, au monde de l’édition
(«bien malin qui pourra prédire ce qu’il en sera dans cinq ou dix ans!»). Alors
que l’on soupçonne l’instantanéité des médias électroniques d’avoir influencé les
auteurs à écrire des phrases et des chapitres de plus en plus courts, M.Foulon voit
plutôt pointer la résurgence du roman-feuilleton.
H E R V É FO U LO N
Ce type d’édition est maintenant l’affaire de grands groupes, dit-il, de ceux qui
fixent eux-mêmes les règles.» Hurtubise n’était-il pas l’un de ces grands groupes?
Eh non, les grands groupes s’appellent Chenelière-McGraw-Hill, CEC, ERPI… Qu’à
cela ne tienne, la maison n’a jamais fait dans la monoculture, s’assurant toujours de
publier au moins une dizaine de titres qui ne relevaient pas du secteur scolaire.
M. Foulon crédite M. Jacques Allard, une vieille connaissance du temps des
Cahiers du Québec, d’une partie du mérite de ce revirement réussi d’Hurtubise
vers la littérature «à caractère plus large». M.Allard avait invité M. Foulon à lui
faire signe s’il voulait relancer le secteur littéraire d’Hurtubise, ce que ce dernier
a fait en le nommant directeur. Débute alors une série de publications à caractère
historique avec la saga de Nicole Fyfe-Martin sur Hélène de Champlain. Les
Michel David et autres Jean-Pierre Charland ont suivi.
En parallèle, la collection «amÉrica» fut mise sur pied, une collection qualifiée
par son PDG de «plus moderne que les autres collections littéraires», écrite par
des auteurs de tous les horizons mais reflétant davantage un côté nord-américain.
«Le choix des textes est basé sur leur intérêt, mais on ne cherche pas à faire de la
littérature populaire.»
Une autre collection, «Texture», a été créée quelques années plus tard; elle est
dirigée par François Couture. «Une orientation beaucoup plus littéraire, nouvelle
écriture, afin d’offrir aux lecteurs de nouvelles avenues.» En quoi le travail de
M.Couture diffère-t-il de celui qu’il faisait à sa défunte maison l’Effet Pourpre? En
rien, au dire de M. Foulon: «Nous, on trouvait ça dommage que ça s’arrête…».
X Y Z , S T R AT É G I E O U O P P O R T U N I T É ?
Quel sens donner à l’achat de XYZ? L’arrière-petit-fils d’un grand éditeur rompu
à la logique du métier, ayant déjà racheté d’autres maisons d’édition, dont la
sienne, obéissait-il à un coup de cœur, ou ne faisait-il que saisir une belle opportunité? Son achat répondait-il à une stratégie, s’inscrivait-il dans un grand plan
d’ensemble?
«Il peut y avoir une stratégie, mais en même temps il y a toujours des occasions
qui se présentent», me dit-il après une seconde ou deux d’hésitation. Et de me
parler de Marcel Didier («soufflé aux Français») et des liens d’affaires qui existaient déjà entre leurs deux entreprises, longtemps avant le rachat. En ce qui
concerne XYZ, il dira que son achat tient de sa volonté de renforcer le secteur littéraire… «Par contre, je ne veux pas renforcer n’importe comment, et avec n’importe qui…» Des maisons l’ont déjà approché, dont il n’a pas voulu, non par
manque de respect, mais par manque d’affinités. Le nouveau proprio affirme
qu’XYZ a «un fonds superbe» qu’il veut contribuer à pérenniser. Sur le plan des
L’avenir n’est pas écrit mais réserve assurément de bonnes choses à M. Foulon et
à quelques-uns des arrière-arrière-petits-enfants d’Alexandre Hatier… Je n’annonce rien ici.
1. Martin Doré, Une maison d’édition canadienne dans la francophonie internationale: examen
d’un cas, http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2006/actes2006/PDF/II-3 % 20Martin %
20DORE. pdf, p. 3 et http://data2.archives.ca/pdf/pdf001/p000000674.pdf, p. IV.
2. Gilles Marcotte, 40 ans d’Hurtubise HMH, document promotionnel, p. 7.
3. Guy Rocher, 40 ans d’Hurtubise HMH, document promotionnel, p. 8.
4. Gilles Marcotte, op. cit. Marcotte fut aussi l’un des directeurs de collection de HMH.
5. Martin Doré, Une maison d’édition canadienne dans la francophonie internationale: examen
d’un cas, http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2006/actes2006/PDF/II-3 % 20Martin %
20DORE. pdf, p. 4.
6. Ibid.
L I T T É R AT U R E Q U É B É C O I S E
[email protected]
www.voixetimages.uqam.ca
La revue Voix et Images publie trois numéros par année qui comprennent des analyses
approfondies et variées sur la production ancienne et contemporaine, des textes inédits
et des entrevues avec des écrivains du Québec ainsi que des chroniques sur l’actualité.
Chaque numéro de Voix et Images comprend trois rubriques principales : un dossier,
des études et des chroniques.
DOSSIER « LOUISE DUPRÉ », vol. XXXIV, n o 2 (101), hiver 2008
Le sujet féminin : de l’intime à la mémoire ¶ JANET M. PATERSON et NATHALIE WATTEYNE
Entretien avec Louise Dupré ¶ JANET M. PATERSON
Inédit. La porte fermée ¶ LOUISE DUPRÉ
De la maturité à l’accomplissement. La trajectoire poétique de Louise Dupré ¶
ANDRÉ BROCHU
Fenêtre sur corps. L’esthétique du recueillement dans la poésie de Louise Dupré ¶
DENISE BRASSARD
Narration, temps et espace dans les romans de Louise Dupré ¶ JAAP LINTVELT
Dans les moindres détails. La fiction de Louise Dupré ¶ SANDRINA JOSEPH
Tout comme elle. L’intime et le non-dit ¶ NATHALIE WATTEYNE
Bibliographie de Louise Dupré ¶ MÉLANIE BEAUCHEMIN et NATHALIE WATTEYNE
ABONNEMENT
(INCLUANT LES TAXES ET/OU LES FRAIS DE PORT ET DE MANUTENTION)
Q U É B E C / C A NA DA
1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 29 $
individu 45 $
institution 90 $
ÉTRANGER
1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 35 $
individu 55 $
institution 95 $
lettres québécoises • été 2010 •
59
félicitations à kim thúy,
lauréate du prix rtl-lire 2010
décerné par les libraires et les
lecteurs au Salon du livre de Paris !
PHOTO
© BENOIT LEVAC
60 • lettres québécoises • été 2010
Libre Expression | Trécarré | Stanké | Logiques | Publistar
groupelibrex.com
nous ont quittés
Claire de
Lamirande
franco-ontariennes, René Dionne a
accompli une œuvre remarquable qui
en fait une figure de proue de sa communauté.
Georges
Anglade
La romancière québécoise Claire de
Lamirande, née Bourget, est décédée
le 15 décembre 2009. Née en 1929,
M me de Lamirande était l’auteure
d’une douzaine de romans, dont
Neige de mai paru en 1988. Ce dernier ouvrage posait la question de la
foi. Claire de Lamirande a par ailleurs
touché tant au genre policier qu’au
roman historique, entre autres avec
Papineau, paru en 1980.
René Dionne
M. René Dionne, professeur titulaire
et émérite au Département de lettres
françaises de la Faculté des arts de
l’Université d’Ottawa est décédé le
29 décembre 2009, à l’âge de 80 ans.
René Dionne a été l’un des premiers à
proposer un cours sur la littérature
franco-ontarienne. Il a été aussi responsable de la page littéraire du quotidien Le Droit d’Ottawa de 1976 à
1988. Au cours de sa carrière, il a écrit
une vingtaine de livres sur les littératures franco-ontarienne, québécoise et acadienne. L’Université York
de Toronto et l’Université de Montréal
avaient d’ailleurs reconnu sa contribution en lui décernant des doctorats
honoris causa. Pionnier des études
L’écrivain québécois d’origine haïtienne Georges Anglade et sa femme
Mireille sont décédés le 12 janvier
dernier, à Port-au-Prince, lors du
séisme qui a ébranlé Haïti.
Né à Port-au-Prince en 1944, Georges
Anglade a immigré au Québec en
1969. Il a notamment contribué à fonder l’Université du Québec où il a été
professeur de géographie sociale jusqu’en 2002. Il a été conseiller spécial
auprès du président Aristide et, plus
tard, auprès du gouvernement Préval
en Haïti. Il a écrit de nombreux livres
où Haïti occupait une place capitale.
Sa femme et lui étaient en Haïti pour
visiter des proches.
Françoise
Lepage
Lepage. Franco-ontarienne d’adoption, Françoise Lepage habitait
Ottawa depuis une trentaine d’années ; elle a notamment enseigné la
littérature jeunesse à l’Université
d’Ottawa durant plus de 10 ans et
dirigé les collections « Voix didactiques » aux Éditions David et
«Cavales» aux Éditions L’Interligne.
Publiée en 2000, son Histoire de la littérature pour la jeunesse avait valu à
Françoise Lepage le prix GabrielleRoy (2000), le prix Champlain (2001)
ainsi que le Prix du livre de la Ville
d’Ottawa (2002). Elle avait aussi
obtenu le Prix du livre d’enfants
Trillium, le Prix littéraire Le Droit —
jeunesse ainsi qu’une nomination au
Prix du Gouverneur général pour son
roman jeunesse Poupeska, publié en
2006 aux Éditions L’Interligne.
Ville de Montréal en 1979, le prix
Ludger-Duvernay en 1971, le prix
Athanase-David, le prix Victor-Barbeau
en 2001 et la Médaille de l’Académie
des lettres du Québec en 2008.
Pierre
Vadeboncœur
Georges Laberge s’est éteint le 13 février
2010. Âgé de 78 ans, M.Laberge fut un
grand pionnier du milieu du livre québécois et canadien.
L’écrivain et syndicaliste Pierre
Vadeboncœur est mort le 11 février
2010. Né le 28 juillet 1920, Pierre
Vadeboncœur a obtenu sa licence en
droit en 1943. Militant dans ses
jeunes années, il a rédigé des textes
publiés dans les revues intellectuelles
Cité libre, Maintenant et Liberté. Il a
aussi exercé sa plume incisive dans
des lettres ouvertes publiées dans les
journaux Le Devoir et Le Jour.
De 1950 à 1975, il a travaillé à titre de
conseiller syndical à la CSN. Il y portera
aussi le titre d’adjoint du président et
participera à plusieurs luttes ouvrières,
côtoyant notamment le bouillant syndicaliste Michel Chartrand et l’ancien
président Gérald Larose.
La littérature franco-ontarienne est
en deuil à la suite du décès, le 23 janvier 2010, de l’auteure Françoise
Pierre Vadeboncœur a reçu de nombreux prix: le Grand prix littéraire de la
Georges
Laberge
Sollicité par le père Paul-Aimé Martin,
Georges Laberge a amorcé sa carrière
de gérant à la librairie Fides de SaintBoniface, au Manitoba, en 1959. Il a
quitté sa région natale pour s’établir
dans la ville de Québec où il a assumé
la direction des Presses de l’Université
Laval de 1966 à 1972. Il a développé,
de 1972 à 1978, ce qui deviendra le
premier réseau des librairies de
langue française au Canada: les librairies Garneau. Georges Laberge a
continué sans relâche son travail pour
l’accessibilité du livre, et c’est en 1978,
à la demande du Conseil des Arts du
Canada, qu’il a créé la première
Semaine nationale du livre et qu’il a
conçu le Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition
(PADIÉ). À la fin de ce mandat, en
1981, il a fait l’acquisition de la maison de distribution Bordas Dunod
Montréal, renommée Diffulivre. Ce
diffuseur se démarqua notamment
par la fondation des Éditions du
Trécarré. Fort de son expertise, il a été
l’un des acteurs primordiaux dans la
remise sur pied l’Association des distributeurs exclusifs en langue française (ADELF) en 1998. Le prix
Fleury-Mesplet lui a été décerné, en
1994, afin de souligner sa contribution à l’édition québécoise.
lettres québécoises • été 2010 •
61
informations express
B R U N E T -W E I N M A N N, M O N I Q U E
Simone Mary Bouchard
et Louise Gadbois
Rodolphe Mathieu. Les derniers occupants furent
les peintres de la Montée Saint-Michel dirigés par
Ernest Aubin.
Dumas, nous offre ici des illustrations pleines d’humour qui sont en quelque sorte des histoires dans
les histoires.
L O R D , M A R I E L I N DA
SICOTTE, ANNE-MARIE
ET DENIS BOURQUE
Gratien Gélinas en images
Paysages imaginaires d’Acadie
Un p’tit comique à la stature d’un géant
Un atlas littéraire
Montréal, VLB éditeur, 2009, 180 p., 36,95 $.
L’art naïf dans la modernité
Saint-Sauveur, Marcel Broquet éditeur, coll.
« Profils », 2009, 155 p., 39,95 $.
En publiant ce livre, l’éditeur Marcel Bro quet
renoue avec la tradition
du beau livre et du livre
d’art. Cette monographie
est la première étude
consacrée à Simone Mary
Bouchard dont l’œuvre
picturale est habituellement rangée parmi les
peintres populaires de
Charlevoix. L’auteure, Monique Brunet-Weinmann,
a eu accès à des documents inédits: lettres de Mary
Bouchard à Louise Gadbois, journal intime, photographies de Mme Gadbois et archives de la famille
Bouchard.
Moncton, Institut d’études acadiennes et Chaire de
recherche en études acadiennes, Université de
Moncton, coll. « Pascal-Poirier », 2009, 144 p.,
49,95 $.
Cet atlas littéraire est une
invitation à découvrir une
Acadie des villes et villages, des terres et forêts,
de mer et de côtes ; une
Acadie du présent et de la
modernité, de la mémoire
et de la tradition, du rêve
et de l’utopie.
Du village de Saint-Tite
aux lumières de
Broadway, la destinée de
Gratien Gélinas fut une
étonnante odyssée. Un
p’tit comique à la stature
de géant raconte cette
aventure au moyen d’un
florilège d’images qui
brossent un portrait de ce
parcours exceptionnel et
de la société qu’il dévoile en filigrane. Ces documents variés témoignent de la vie hors du commun
de la plus grande vedette du Québec tout entier jusqu’à la Révolution tranquille. Gélinas fut artiste dans
la moindre fibre de son être et, du début à la toute fin
de sa vie, avec ce que cela implique de démesure et
d’égocentrisme. De «roi des amuseurs» à dramaturge, de Bousille à Tit-Coq, l’aventure de Gélinas et
de ses héros devient une véritable épopée, celle de
l’affirmation de l’identité canadienne-française.
Grâce à ces images d’un monde révolu et méconnu,
le XXe siècle québécois prend vie de manière touchante et sensible.
F O I S Y, R I C H A R D
En effet, depuis cinquante
a n s , A nt o n i n e Ma i l l e t , G é r a l d L e b l a n c ,
Herménégilde Chiasson, Jacques Savoie, France
Daigle et Serge Patrice Thibodeau reconstruisent,
avec leurs romans, leurs recueils de poésie, leurs
pièces de théâtre, l’espace acadien en nommant
divers lieux emblématiques où la mémoire collective
est vivante, en laissant dans leurs textes fictifs des
traces reconnaissables de la géographie et en créant
et recréant des paysages qui forgent l’identité et les
relations entre ceux et celles qui y habitent.
L’Arche, un atelier d’artistes
dans le Vieux-Montréal
P I N E T, J O C E LY N
Peintres juifs de Montréal
Montréal, VLB éditeur, 2008, 208 p., 39,95 $.
Nature humaine
Témoins de leur époque, 1930-1948
illustrations de Véronique Dumas, Montréal, Isabelle
Quentin éditeur, 2010, 64 p., 19,95 $.
Montréal, Éditions de l’Homme, 2010, 288 p., 49,95 $.
À partir d’éléments biographiques, l’auteure renseigne sur l’histoire de l’art du Québec, antérieure
à la parution de Refus global et qui correspond à
celle de la Société d’art contemporain et aux
années de guerre. Ainsi, on découvre que Louise
Gadbois a introduit la jeune artiste parmi les
Indépendants de la Société dont elle était des
membres fondateurs.
Important retour sur un
regroupement d’artistes
que celui de Richard
Foisy!
Aujourd’hui, en passant
devant le 26-28, rue NotreDame Est, à Montréal, on
ne peut soupçonner qu’à
partir de 1904 et pendant
une vingtaine d’années,
l’endroit fut un atelier de peintres, poètes, romanciers, journalistes, musiciens et comédiens.
L’Arche a connu trois périodes. Celle où le peintre et
poète Émile Vézina accueillit Marc-Aurèle Fortin,
Georges Delfosse, Edmond-Joseph Massicotte,
Albert Ferland et d’autres. Celle de la Tribu des
Casoars, groupe littéraire animé par Roger Maillet et
dont faisaient entre autres partie Victor Barbeau,
Marcel Dugas, Philippe Panneton (Ringuet), LéoPaul Desrosiers, René Chopin, Rob er t de
Roquebrune et des musiciens tels Léo-Pol Morin et
62 • lettres québécoises • été 2010
T R É PA N I E R , E S T H E R
Nature humaine nous rappelle que nous faisons
partie de la nature et rassemble des exemples pour
nous aider à comprendre
la vie en général et la nôtre
en particulier. Dans la
nature, les choses sont ce
qu’elles sont; elles ne font
pas d’efforts pour cacher
leur façon d’être ou leur
façon de faire. La nature réagit aux changements et
aux perturbations en toute logique, sans prétention et
sans excès. Et, depuis toujours, les humains y trouvent
un modèle pour donner du sens à leur vie.
Le travail de l’auteur, Jocelyn Pinet, auprès de gens
de toutes les cultures et de toutes les langues lui a
appris que l’utilisation d’analogies de la nature rendait souvent plus facile la compréhension d’un problème ou d’une situation. L’illustratrice, Véronique
Une des caractéristiques
principales de l’apport des
peintres de la communauté juive, impliqués
dans le milieu artistique
professionnel durant les
années 1930 et 1940, est
d’avoir été des témoins de
leur époque. Ils ont dépeint la ville où ils vivaient,
représenté la condition des
classes populaires, mais aussi la misère engendrée par
la crise économique. Plusieurs ont aussi porté un
témoignage inestimable de la vie durant la guerre. Ils
ont exploré les diverses facettes de la figure humaine
contemporaine à travers une recherche artistique
tournée vers la compréhension de la modernité,
démarche nouvelle à cette époque sur la scène artistique canadienne. Riche de plus de deux cents reproductions d’œuvres, cet ouvrage analyse la contribution
d’une quinzaine d’artistes juifs de Montréal au développement de l’art moderne avant l’abstraction.
coup de cœur
A N D R É VA N A S S E
Prix littéraire
des collégiens
son ouverture d’esprit, réussit à rallier tout le monde et à donner des assises
financières solides au prix de même qu’à trouver un partenaire de poids en
associant Le Devoir à cet événement.
Au Salon du livre de Québec d’avril dernier a eu lieu le dévoilement du gagnant du Prix littéraire des collégiens. Il y avait foule.
e fut dans la joie et les cris de reconnaissance que fut présentée la cinquantaine de membres étudiants du jury sélectionnés partout au
Québec. À chaque annonce, on acclamait avec éclat leur présence. Et cela
me plaisait énormément. Quelque chose comme un souffle nouveau et le sentiment que cette assemblée ressemblait peu à celle qu’on fréquente habituellement
dans les salons du livre.
C
UN PEU D’HISTOIRE
Le Prix littéraire des collégiens est inspiré directement du Goncourt des lycéens
en France, une forme de contestation du prix Goncourt visant à « décommercialiser » un prix où les jeux de coulisses l’emportent largement sur la véritable
valeur littéraire, au point qu’on a souvent qualifié ce prix de « galligrasseuil »
(Gallimard, Grasset, Seuil).
Ici, au Québec, deux cégeps lancent l’idée du Prix des collégiens. D’abord au
cégep de Sherbrooke en 2000, sous la gouverne de Bruno Lemieux, puis au
cégep Montmorency en 2001, à l’instigation de Francine D’Amour. Mais ce n’est
qu’en 2002-2003 que le prix prend vraiment une envergure nationale sous l’impulsion de Mme Claude Bourgie-Bovet, qui, grâce à son sens diplomatique et à
Dès l’attribution du premier prix, dans sa nouvelle version, on assiste à un événement grandiose. Le seul fait d’être choisi signifie des ventes importantes, puisque
la Fondation achète 700 livres pour les distribuer aux lecteurs et lectrices à travers
la province de Québec (se sont joints au groupe un collège de Suède et un lycée de
France). Déjà, c’est un événement de taille, car les ventes à vie de la grande majorité
des auteurs dépassent rarement 500 exemplaires. Dès le départ donc, le Prix littéraire des collégiens est une manne tout autant pour l’auteur que pour l’éditeur. Sans
compter que plusieurs cégeps mettent les œuvres au programme, ce qui peut
signifier, au fil des ans, plusieurs milliers d’exemplaires vendus.
U N C H O I X AT Y P I Q U E
Le Prix littéraire des collégiens est l’expression exacte de ce qu’on souhaitait à
l’origine, à savoir un choix fondé essentiellement sur le plaisir et la passion, sans
aucune arrière-pensée de retour d’ascenseur.
On en a eu la preuve encore une fois cette année. Alors que Dany Laferrière paraissait le choix «naturel» des cégepiens étant donné son immense «valeur symbolique», lui qui a non seulement raflé le Médicis, mais qui a été au cœur de la
tourmente haïtienne, eh bien, il a été battu en fin de piste par un illustre inconnu
nommé Marc Séguin, auteur d’un premier roman intitulé La foi du braconnier.
Ce refus de marcher au pas fait du Prix littéraire des collégiens l’un des plus crédibles et des plus importants de nos prix littéraires. On ne peut que lui souhaiter
longue vie, car c’est un vent de fraîcheur au sein de notre institution littéraire.
Annie Lafleur
Handkerchief
Une écriture qui «participe du caractère
profondément irrésolu de la poésie, ne cesse
d'en témoigner, de l'illustrer.»
Jonathan Lamy, Spirale
La porte
poèmes de Margaret Atwood,
dans une superbe traduction
de Louise Desjardins
« Rares sont les auteurs qui parviennent à
tisser une poésie à la fois intemporelle et
profondément ancrée dans leur époque. »
Tristan Malavoy-Racine, Voir
François Charron
La difficulté d’apparaître
« Même le plus grand amour n'échappe pas à
la séparation de la mort »
lettres québécoises • été 2010 •
63
livres en format poche
A R C A N, N E L LY
À ciel ouvert
Paris, Seuil, coll. « Points »,
2010, 256 p., 14,95 $.
de se remémorer ou de découvrir des
moments impor tants de notre
mémoire collective. Beaucoup plus
qu’un guide, cet ouvrage rend un
vibrant hommage à la chanson québécoise, des refrains de la NouvelleFrance aux productions les plus
récentes. Aucun style, aucun genre n’y
est oublié par l’auteur, qui propose
pour chaque pièce un commentaire
toujours éclairant ou amusant.
FA L A R D E A U, P I E R R E
Les bœufs sont lents
mais la terre est
patiente
Montréal, Typo, 2009,
256 p., 17,95 $.
B E R G E R O N, B E R T R A N D
Maisons pour touristes
Québec, L’instant même, coll.
« Poche », 2010, 144 p., 12 $.
Sur le toit brûlant d’un immeuble de
Montréal où elles sont montées se
faire bronzer, deux femmes font
connaissance et engagent un duel
dont va dépendre leur survie. Rose
Dubois vit en couple avec Charles,
photographe de mode. Très vite, Julie
O’Brien souffre le martyre, mais
considère les soins qu’elle s’inflige
comme obligatoires. Dans un monde
de harcèlement publicitaire où le
corps des femmes est sans cesse
exposé, la beauté est une guerre. Chez
Nelly Arcan, la beauté est toujours
sujet et objet de maltraitance.
B A I L L A R G E O N, R I C H A R D
401 petits et grands
chefs-d’œuvre de la
chanson et de la
musique québécoises
Québec, Varia, 2010, 206 p., 19,95 $.
production littéraire contemporaine
offre d’ailleurs maints exemples de
textes qui fictionnalisent l’activité
critique et, plus largement, interprétative. Les fictions, traductions, biographies plus ou moins libres et
énigmes littéraires en tous genres foisonnent.
FA L A R D E A U, P I E R R E
La liberté
n’est pas
une marque
de yogourt
Montréal, Typo, 2009, 256 p.,
17,95 $.
Paru en 1988, ce recueil de nouvelles a
valu à son auteur le prix AdrienneChoquette de la nouvelle. Aujourd’hui
encore, la lecture de ces treize récits
démontre l’intemporalité de l’œuvre.
Que ce soit par la fuite vers un ailleurs
anonyme («Parmi d’autres») ou lors
des premières étreintes d’un jeune
couple («Dans un miroir, avec quelqu’un»), les personnages se dévoilent
avec une sensibilité et une pudeur
qu’équilibre un style littéraire d’une
exigeante précision.
Cet essai regroupe des lettres, des
articles et des projets de films écrits
pour la plupart entre 1995 et 1999, et
qui constituent autant d’expression
de la liberté de pensée. On y retrouve
le polémiste qui ne mâchait pas ses
mots pour clamer son indignation.
Parlant d’un projet de film, Falardeau
disait : « Évidemment le projet a été
refusé une fois de plus. Comme d’habitude. Pis chu là aujourd’hui à écrire
c’te crisse de texte pour la radio pour
gagner ma vie, au lieu de tourner des
films.»
F O U R N I E R , C LAU D E
Les tisserands
du pouvoir
Montréal, Libre Expression,
coll. « 10/10 », 2010, 528 p., 19,95 $.
D I O N, R O B E R T
Le moment critique
de la fiction
Les interprétations
de la littérature que
proposent les fictions
québécoises contemporaines
2e édition, Québec, Nota bene,
coll. « NB poche », 2009, 260 p.,
14,95 $.
Ces 401 petits et grands chefs-d’œuvre
de la chanson et de la musique québécoises constituent le meilleur moyen
64 • lettres québécoises • été 2010
La critique ne se borne pas aux textes
regroupés sous cette dénomination :
elle est partout dans la littérature, et
au premier chef dans les œuvres. La
Pierre Falardeau, figure unique du
cinéma québécois, savait également
manier les mots avec adresse et en se
donnant toute liberté. En 1995, il
avait réuni sa production des trente
années précédentes : articles, lettres
ouvertes, dénonciations des patenteux de subventions, répliques aux
critiques, mais également témoignages d’amitié et hommages à ses
mentors. Ce livre offre une combinaison d’esprit, de réalisme, de sensibilité et d’ironie.
Au début du XXe siècle, le Canada paie
pour faire venir des immigrants allemands, polonais ou ukrainiens, mais
livres en format poche
il laisse des milliers de Canadiens
français s’exiler aux États-Unis.
Quatre-vingts ans plus tard, un descendant de ceux-ci, Jean-Baptiste
Lambert, menace de se faire sauter
avec deux otages, à moins que ses
compatriotes ne consentent à retourner aux racines de leur histoire.
Commence alors le récit des tribulations d’un peuple d’exilés en lutte
contre l’assimilation et la misère, le
récit des conflits de race et de religion.
sont évoqués : leur environnement
(rues et maisons), leurs besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, se
vêtir), leurs activités sociales et culturelles, leur instruction, leurs loisirs
(cabaret, théâtre, musique, chant et
danse) et leur sécurité dans l’enceinte
de la ville.
Même si cet épisode de sa vie est bien
réel, l’auteur insiste: «C’est de la fiction. C’est de l’écriture.» Une autofiction qui secoue, un livre coup de poing
qui rappelle que, non, 20 ans n’est pas
toujours le plus bel âge de la vie.
miers Incas. Là, des forces occultes
provoqueront chez lui une étonnante
métamorphose…
O H L , PA U L
Montréal, Libre Expression,
coll. « 10/10 », 2010,
160 p., 12,95 $.
Soleil noir
MOUTIER,
Le roman de la conquête
MAXIME-OLIVIER
Montréal, Libre Expression,
coll. « 10/10 », 2010,
504 p., 19,95 $.
Marie-Hélène
au mois de mars
S AV O I E , J A C Q U E S
Raconte-moi
Massabielle
Roman d’amour
LACHANCE, ANDRÉ
Vivre à la ville
en Nouvelle-France
Montréal, Triptyque, 2010,
218 p., 13 $.
Montréal, Libre Expression,
coll. « 10/10 », 2010, 288 p., 16,95 $.
Dans cet ouvrage, l’auteur nous fait
découvrir comment vivaient les citadins — bourgeois et nobles, mais
aussi le petit peuple — de Québec,
de Trois-Rivières et de Montréal
entre 1680 et 1760. Plusieurs aspects
I N FO CA P S U L E
Le prix unique :
ça recommence
Il y a dix ans, le débat faisait rage.
Lettres québécoises avait fait son
choix : oui pour le prix unique. La
raison invoquée était simple et reposait sur le soutien aux petites librairies, particulièrement celles qui
œuvrent en province. Agnès Maltais,
ministre de la Culture à l’époque,
avait refusé d’avaliser le projet.
Il faut dire que plusieurs joueurs
n’étaient pas convaincus de son utilité,
Mars 1995. Moutier a 23 ans et vit
plus ou moins avec Marie-Hélène qui,
un soir, le trompera. Alors la douleur
puis l’irrépressible jalousie s’emparent du jeune homme et il décide de
mourir: «La mort, puis, au réveil, le
désir fou d’une seconde vie. » Il ne
mourra pas et la vie lui donnera cette
seconde chance.
entre autres Québec Amérique dont
le Dictionnaire visuel se vendait par
milliers. On craignait sans doute de
perdre des ventes si Costco et Zeller’s
faisaient disparaître le livre des
tablettes de ses succursales. Mais
cela aurait-il été le cas? Cette question, personne ne peut y répondre à
moins que la loi ne soit votée.
Dans tous les cas, l’Adelf (Association
des distributeurs exclusifs de livres en
langue française) revient à la charge.
Le but? Toujours le même: préserver
la survie des petites librairies.
Les détracteurs du projet ne manquent pas de signaler que les petites
En 1532, l’effondrement de l’Empire
inca aux mains des conquistadores
marqua le début d’un opéra de terreur dont les dernières notes résonnent encore aux confins des Amériques… En 1986, Vadim Herzog
entreprend une quête étrange qui le
mènera du Pérou en Bolivie, jusqu’à la
redoutable mine de Potosí, nombril de
la misère humaine, puis dans l’île du
Soleil, sur le lac Titicaca, dont la
légende veut qu’y soient nés les pre-
librairies en France sont dans l’impasse. Leurs ventes sont en baisse
constante alors que les gros (FNAC
en tête) tirent leurs marrons du feu.
Alors pourquoi un remède de cheval
pour sauver des librairies en perte
de vitesse parce qu’elles perdent une
clientèle qui quitte les commerces de
quartier pour fréquenter les grandes
surfaces?
Pourtant en France, il y a des inconditionnels du prix unique parmi les
très gros joueurs, par exemple Lafon,
éditeur des Chevaliers d’émeraude
d’Anne Robillard dont les œuvres ont
été vendues à un million cinq cent
mille exemplaires en Europe. Pour
Massabielle, village acadien exproprié
depuis peu pour permettre l’exploitation d’une mine, ne compte désormais plus qu’un habitant, Pacifique
Haché, dit « le fou du village », qui
refuse de quitter les lieux.
Pacifique reçoit la visite régulière de
l’avocat de la compagnie minière, qui
cherche coûte que coûte à le déloger.
Un beau matin, employant dans un
dernier effort une nouvelle ruse,
l’avocat lui offrira un magnifique téléviseur. Pacifique résistera-t-il au pouvoir insidieux de la télévision?
lui, le prix unique est une bénédiction. On le comprend: vendre un million et demi d’exemplaires au plein
prix au lieu du 30 % de réduction
que consentent les grandes surfaces,
cela signifie des millions dans ses
poches.
Lafon n’est pas le seul à profiter du
prix unique, car c’est toute la chaîne
du livre qui en bénéficie depuis l’éditeur en passant par le distributeur
jusqu’aux libraires.
Pour dire vrai, c’est un pensez-y bien.
Le seul hic est que le consommateur,
lui, y perd au change! Le débat reste
donc ouvert…
lettres québécoises • été 2010 •
65
dits et faits
G A S PA R D E T L E S V E N T E S D E L I V R E S
Attendu par le milieu de l’édition, Gaspard, outil de mesure informatique de
ventes de livres, est entré en fonction en novembre dernier. Sa mission
ultime: réduire les retours et le pilonnage de livres. Jusqu’ici, les éditeurs
organisent leurs stratégies de vente et les réimpressions de livres sur la base
de données imprécises: un aperçu des stocks et des chiffres de ventes calculés selon un système maison, par le distributeur. Gaspard donne le pouls
des ventes réelles, en temps réel. S’il ne peut éliminer complètement le phénomène du pilonnage, il en réduira l’ampleur en diminuant substantiellement les retours grâce aux décisions plus éclairées des éditeurs.
JEAN BARBE NE SERA PLUS DIRECTEUR CHEZ LEMÉAC
Jean Barbe a quitté en début de
2010 son poste de directeur de
l’éditorial chez Leméac. Il continuera cependant d’œuvrer à l’édition chez Leméac en tant que collaborateur externe. La directrice
générale de Leméac, Lise Bergevin,
a évoqué des raisons de santé pour
justifier ce départ, en plus du désir
de Jean Barbe de consacrer plus de
temps à l’écriture.
LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE, DÉJÀ 5 ANS
NON À GOOGLE
L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) continue d’inciter
ses membres à se retirer du règlement « Google Recherche de livres »,
malgré une entente à l’amiable survenue dans l’État de New York qui réglerait la poursuite de l’Association américaine des éditeurs et de la Guilde
américaine des auteurs contre Google.
Le 29 avril 2010 fut le 5 e anniversaire de l’ouverture de la Grande
Bibliothèque, la bibliothèque la plus fréquentée de la Francophonie. L’année
2009 a marqué un record de fréquentation: 3 millions de visiteurs en ont
franchi les portillons pour la première fois en une seule année. Depuis l’ouverture en 2005, plus de 13,5 millions de visiteurs y sont passés. L’institution
fait dorénavant partie du quotidien de milliers de Québécois de toutes les
régions grâce aux nombreux services et collections sur place et à distance,
accessibles sur le portail de BAnQ (www.banq.qc.ca). On peut également
suivre l’actualité de BAnQ sur Facebook et sur Twitter.
L E S É TO N N A N T S VOYAG E U R S À S A I N T- M A LO
Le Festival Étonnants voyageurs devait avoir lieu pour la deuxième fois à
Port-au-Prince, au moment où plusieurs écrivains haïtiens avaient remporté des prix littéraires internationaux. Le séisme du 12 janvier 2010 en a
décidé autrement. Or, Étonnants voyageurs, par solidarité pour les auteurs
du pays ravagé, a décidé de reprendre la programmation haïtienne à SaintMalo, du 22 au 24 mai.
Rappelons que plusieurs personnalités du milieu littéraire haïtien, résidants de l’île ou membres de la diaspora, étaient sur place lors du séisme.
Parmi eux, Dany Laferrière, accompagné de la critique Chantal Guy et d’un
photographe du quotidien montréalais La Presse.
DOMINIQUE DEMERS : ENCORE DU CINÉMA
Un autre roman de Dominique Demers sera porté à l’écran. Après La mystérieuse Mademoiselle C. et L’incomparable Mademoiselle C., Maïna fera son
entrée au cinéma, scénarisé par Pierre Billon (Séraphin, Nouvelle-France) et
réalisé par Michel Poulette (Louis 19, La conciergerie).
66 • lettres québécoises • été 2010
L’entente amendée n’inclut plus que les ouvrages enregistrés aux États-Unis
ou publiés en Angleterre, en Australie et au Canada. L’Irlande et la NouvelleZélande, pays anglophones, sont exclues de l’entente, leurs représentants
ayant dit «non merci». Le tribunal new-yorkais devait rendre une décision
sans appel en février mais, quelle que soit la décision, selon Aline Côté de
l’ANEL, les éditeurs québécois ne trouveront jamais leur compte dans cette
entente où «Google ne cherche qu’un avantage concurrentiel».
K I M T H U Y FA I T D E S V A G U E S E N H E X A G O N E
L’écrivaine Kim Thuy, Québécoise d’origine vietnamienne, a semé l’émoi dans le
milieu et la presse littéraires de l’Hexagone
lors de la rentrée d’hiver 2010 avec Ru
(Libre Expression au Québec et Liana Lévy
en France), son premier roman tiré à 10000
exemplaires. La jeune femme a une histoire
personnelle inhabituelle et semble avoir du
succès dans tout ce qu’elle entreprend
depuis que, faisant partie des « boat
people » d’une autre époque, elle s’est
retrouvée dans la Belle Province.
CLAUDE ROBINSON, ÇA RECOMMENCE
Claude Robinson est sans doute l’auteur le plus médiatisé ces temps-ci.
Voici donc le nouveau chapitre amorcé de la saga Robinson-Cinar: devant le
désir avoué des intimés d’avoir Claude Robinson à l’usure, ce dernier riposte.
Non, il ne se laissera pas faire par des gens qui ont tout l’argent voulu pour
le mettre à genoux et cela même s’il est au bord de la faillite. Grâce à l’initiative de son ami Pierre Paquet, de Sylvie Lussier et de la SARTEC, le regroupement a amassé plus de 280000 $ au moment où ces lignes sont écrites.
Claude Robinson aura donc les coudées franches pour se défendre jusqu’au
bout et que justice soit faite contre «ces bandits à cravates» (selon le juge
Claude Auclair).
prix et distinctions
PRIX DU PUBLIC
DU SALON DU LIVRE
DE MONTRÉAL
PRIX JACQUES-CARTIER
création publiée au Québec n’avait
réussi à mettre la main sur un de ces
prix convoités par les créateurs d’histoires en cases.
Michel Tremblay a remporté, pour
la troisième année consécutive, le Prix
du public du Salon du livre de
Montréal pour son livre La traversée
de la ville, le deuxième d’une trilogie
dont le troisième tome s’intitule La
traversée des sentiments. Le gagnant
du Prix de l’essai et du livre pratique,
également remis par le public, est
Richard Béliveau, pour son livre La
santé par le plaisir de bien manger
(Trécarré, 2009). Ces deux prix,
accompagnés d’une bourse de
2 000 $, sont remis en collaboration
avec La Presse.
La romancière Monique LaRue a
remporté la première édition du prix
Jacques-Cartier pour son roman L’œil
de Marquise (Boréal). Ce prix, créé
pour célébrer le 25e anniversaire du
Centre Jacques-Cartier, à Lyon, est
assorti d’une bourse de 10000 $. Les
œuvres soumises étaient, cette année,
les mêmes qui avaient été présentées
au Grand Prix du livre de la Ville de
Montréal, qui agit en partenariat avec
le Centre Jacques-Cartier.
Le prix Spirale Eva-Le-Grand 2009
revient à David Solway pour son
recueil Le Bon Prof. Essais sur l’éducation (Éditions Bellarmin). Le magazine culturel Spirale a retenu cet
ouvrage «pour sa force d’écriture et
de style, pour l’importance et la qualité de la réflexion qui traverse ses
pages».
PERSONNALITÉ DE LA
SEMAINE LA PRESSE
Après être entrée par la grande porte
du monde littéraire québécois, c’està-dire en recevant le prix RobertCliche 2009 du premier roman pour
Les murs (VLB éditeur), Olivia
Tapiero est devenue la personnalité
de la semaine La Presse le 25 janvier
dernier. L’article que lui a consacré la
PRIX OLIVIER-LE JEUNE
L’ORDRE DE L’ONTARIO
PRIX SPIRALE
EVA-LE-GRAND
PRIX DE LA
CONTRIBUTION
ARTISTIQUE
HORS DU COMMUN
La Fondation Club Avenir est une
organisation philanthropique dont la
mission est d’aider à l’intégration, par
l’excellence, des immigrants d’origine
maghrébine. Lors d’un gala annuel, la
fondation honore des personnalités
ayant accompli des réalisations exceptionnelles en leur décernant prix et
distinctions. En novembre 2009, la
fondation rendait hommage à Salah
Benlabed, professeur et écrivain, en
lui attribuant le Prix de la Contribution
artistique hors du commun. Ses
œuvres sont parues chez Pleine Lune.
journaliste et écrivaine Anne Richer
vaut d’être lu.
Jacques Flamand est récemment
devenu membre de l’Ordre de
l’Ontario. M.Flamand a publié plus de
cinquante livres (poésie, nouvelles,
essais, livres pour enfants). Il a fondé
les Éditions du Vermillon, l’Association des auteures et auteurs de
l’Ontario français, L’Atelier littéraire
des Outaouais. En 2000, il a reçu, avec
Andrée Christensen, le prix Trillium
de poésie pour leur recueil coécrit
Lithochronos. La France lui a rendu
hommage pour son ouvrage La
langue française, son état actuel, son
avenir, lauréat du Grand Prix du
Bicentenaire de l’Académie de Mâcon.
Il a beaucoup contribué à l’essor de la
littérature francophone en Ontario.
PRIX FAUVE DU FESTIVAL
INTERNATIONAL DE
BANDE DESSINÉE
À ANGOULÊME
Une première dans l’histoire de la
bande dessinée québécoise : le
bédéiste Michel Rabagliati, avec son
personnage Paul, a décroché à
Angoulême, en France, un prestigieux
prix Fauve, prix qui célèbre, à l’occasion du Festival international de
bande dessinée, les œuvres marquantes du 9e art. À ce jour, aucune
Décerné par l’Association des communautés culturelles et des artistes
de Québec, le prix Olivier-Le Jeune
se veut un hommage à une personne
qui représente un modèle d’intégration, quelqu’un qui contribue à
l’amélioration de l’image des immigrants. Neil Bissoondath, auteur
entre autres de Cartes postales de l’enfer (Boréal), est le lauréat de l’édition
2010 du prix.
PRIX RENÉ-CHALOULT
Ce prix, remis par l’Amicale des
anciens parlementaires du Québec,
entend souligner l’exemplarité de la
carrière d’un ex-parlementaire. Le
prix a été remis à Denis Vaugeois.
Le même organisme a décerné le prix
Jean-Noël-Lavoie à Fabien Roy,
auteur du livre Député du Québec et à
Ottawa… mais toujours Beauceron
(Septentrion), pour son engagement
particulier au sein de l’Amicale des
anciens parlementaires du Québec.
lettres québécoises • été 2010 •
67
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courriel
veuillez m’abonner à partir du numéro
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8E , Outremont (F8) =KK
68 • lettres québécoises • été 2010
livres reçus
ROMANS
NOUVELLES
Bellefeuille de, Normand, Un poker à Lascaux, Montréal,
Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2009,
200 p., 19,95 $.
Chalifour, Nicolas, Vu d’ici tout est petit, Montréal,
Héliotrope, 2009, 216 p., 21,95 $.
Chassay, Jean-François, Sous pression. Tragédie potentielle
annoncée en neuf tableaux, un prélude et une fin de journée,
Montréal, Boréal, 2010, 232 p., 22,95 $.
Cloutier, Annie, La chute du mur, Montréal, Triptyque,
2010, 301 p., 23 $.
Courtemanche, Gil, Le monde, le lézard et moi, Montréal,
Boréal, 2009, 232 p., 22,95 $.
Doucet, Patrick, Foucault et les extraterrestres, Montréal,
Triptyque, 2010, 104 p., 18 $.
Dupuy, Marie-Bernadette, Les fiancés du Rhin, Chicoutimi,
JCL, 2010, 790 p., 29,95 $.
Gagnon, Maurice, L’Isle silencieuse, Montréal, Fides, 2010,
272 p., 24,95 $.
Georgescu, Ioana, L’homme d’Asmara, Montréal, Marchand
de feuilles, 2010, 232 p., 23,95 $.
Gougeon, Richard, Le roman de Laura Secord, tome 1, La
naissance de l’héroïne, Marieville, Les Éditeurs réunis, 2010,
296 p., 21,95 $.
Hébert, Louis-Philippe, Buddha airlines, Montréal, Les
Herbes rouges, 2009, 234 p., 18,95 $.
Laban, Henri, La caravane des pantins, Chicoutimi, JCL,
2010, 442 p., 24,95 $.
Lachapelle, Lucie, Rivière Mékiskan, Montréal, Les Éditions
XYZ, 2010, 160 p., 21 $.
Lazin, Anica, Tisza, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles,
2010, 284 p., 27,95 $.
Legault, Michel, Hochelaga, mon amour, Laval, Guy SaintJean éditeur, 2010, 160 p., 19,95 $.
Lemieux-Fournier, Christian, Marie et les deux François,
Montréal, Sémaphore, 2010, 168 p., 18,95 $.
Major, Isabelle, La dame blanche, Montréal, VLB éditeur,
coll. «Roman», 2010, 320 p., 27,95 $.
Marois, André, Sa propre mort, Montréal, La courte échelle,
coll. «Roman adulte», 2010, 272 p., 24,95 $.
Massé, Carole, L’arrivée au monde, Montréal, VLB éditeur,
coll. «Fictions», 2010, 80 p., 15,95 $.
Michaud, Martin, Il ne faut pas parler dans l’ascenseur,
Saint-Bruno-de-Montarville, Goélette, 2009, 400 p., 24,95 $.
Moore, Lisa, Février, traduit de l’anglais par Dominique
Fortier, Montréal, Boréal, 2010, 296 p., 24,95 $.
Morales, Miguel Almeyda, Le barrio, traduit de l’espagnol
(Pérou) par Pierrette Richard, Québec, L’instant même,
2009, 132 p., 20 $.
Poissant, Alain, Heureux qui comme Ulysse, Montréal,
Sémaphore, 2010, 103 p., 16,95 $.
Portal, Louise, La promeneuse du Cap, Montréal, Hurtubise,
2010, 176 p., 18,95 $.
Prenoveau, Serge, Autopsie d’un tireur fou, Montréal, Fides,
2010, 200 p., 24,95 $.
Reed, Fred A., Images brisées, Montréal, VLB éditeur, 2010,
312 p., 29,95 $.
Rousseau, Jacques, ROM: read only memory, Montréal,
Triptyque, coll. «L’épaulard», 2010, 214 p., 22 $.
Samson, Pierre, Arabesques, Montréal, Les Herbes rouges,
2009, 510 p., 29,95 $.
Symons, Scott, Place d’Armes, traduit de l’anglais, présenté
et annoté par Michel Gaulin, Montréal, Les Éditions XYZ,
2009, 348 p., 28 $.
Trottier, Yves, Nevada est mort, Montréal, Hurtubise, coll.
«AmÉrica», 2010, 324 p., 25,95 $.
Vigo, Hector, À la poursuite de Jonas 1, Belle-Bite le hobo,
Montréal, Les Éditions XYZ, 2010, 220 p., 23 $.
Bilodeau, Josée, Incertitudes, Montréal, Québec Amérique,
coll. «Littérature d’Amérique», 2009, 136 p., 16,95 $.
Pierre, Émeline, Bleu d’orage, Montréal, Pleine Lune, coll.
«Plume», 2010, 132 p., 20,95 $.
Contes/Récits
Carpentier, André, Extraits de café, Montréal, Boréal, 2010,
344 p., 25,95 $.
Corbeil, Normand, Les années-tennis, Montréal, VLB éditeur, 2009, 208 p., 24,95 $.
Filion, Sylvie Maria, Mary-Jane la tueuse, Sudbury, Prise de
parole, 2009, 102 p., 14,95 $.
Rondeau, Daniel, J’écris parce que je chante mal, Québec,
Septentrion, coll. «Hamacs-carnets», 2010, 210 p., 19,95 $.
POÉSIE
Acquelin, José, Dans l’œil de la luciole, illustrations de
Guillaume Massicotte, Trois-Rivières, Art Le Sabord, 2009,
52 p., 12 $.
Asfour, John, Nisan, traduit de l’anglais par Nadine Ltaif,
Montréal, Le Noroît, 104 p., 17,95 $.
Atwood, Margaret, La porte, traduit de l’anglais par Louise
Desjardins, Québec, Le lézard amoureux, 2010, 152 p.,
18,95 $.
Berrouët-Oriol, Robert, Poème du décours, Montréal,
Triptyque, 2010, 93 p., 16 $.
Catalano, Francis, Qu’une lueur des lieux, Montréal,
l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2010, 96 p., 17,95 $.
Croisetière, Mathieu, La fin des mots, Trois-Rivières, Art Le
Sabord, coll. «Recto Verso», 2009, 64 p., 14,95 $.
Geddes, Gary, L’armée de terre cuite, traduit de l’anglais par
Bruno Sibona, Montréal, le Noroît, 60 p., 15,95 $.
Jean, Guy, En partance, Trois-Rivières, Art Le Sabord, coll.
«Excentriq», 2009, 64 p., 14,95 $.
La Frenière, Jean-Marc, Un feu me hante, illustrations de
Lino, Trois-Rivières, Art Le Sabord, coll. «Excentriq», 2009,
96 p., 24,95 $.
Lalonde, Étienne, Histoires naturelles, Montréal, Les Herbes
rouges, 2010, 78 p., 14,95 $.
Murphy, Serge, La vie quotidienne est éternelle, Montréal,
l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2010, 88 p., 16,95 $.
Porta, Antonio, Yellow, traduit de l’italien par Francis
Catalano, Montréal, Le Noroît, 2009, 112 p., 17,95 $.
Sharang, Hossein, Livre sauvage, traduit du persan par
Houman Zolfaghari, Montréal, Le Noroît, 2009, 128 p.,
17,95 $.
Vonarburg, Élisabeth, Slow dance, Montréal, Les Herbes
rouges, 2009, 64 p., 14,95 $.
ESSAIS,
ÉTUDES LITTÉRAIRES
Boisclair, Antoine, L’École du regard. Poésie et peinture chez
Saint-Denys Garneau, Roland Giguère et Robert Melançon,
Montréal, Fides, coll. «Nouvelles études québécoises», 2010,
432 p., 29,95 $.
Cardinal, Mario, Pourquoi j’ai fondé Le Devoir. Henri
Bourassa et son temps, Montréal, Libre Expression, 2010,
400 p., 36,95 $.
Denault, Todd, Jacques Plante. L’homme qui a changé la face
du hockey, Montréal, Éditions de l’Homme, 2009, 448 p.,
34,95 $.
Dorais, Michel, Petit traité de l’érotisme, Montréal, VLB éditeur, coll. «Sexualités et sociétés», 2010, 120 p., 16,95 $.
Grutman, Rainier et Christian Milat (dir.), Lecture, rêve,
hypertexte. Liber amicorum Christian Vandendorpe, Ottawa,
David, coll. «Voix savantes», 2009, 278 p., 30 $.
Hotte, Lucie et Guy Poirier (dir.), Habiter la distance.
Études en marge de La distance habitée, Sudbury, Prise de
parole, coll. «Agora», 2010, 192 p., 23,95 $.
Joubert, Lucie, L’envers du landau. Regard extérieur sur la
maternité et ses débordements, Montréal, Triptyque, 2010,
105 p., 19 $.
Lachance, Jocelyn, Hugues Paris, Sébastien Dupont
(dir.), Films cultes et culte du film chez les jeunes. Penser
l’adolescence avec le cinéma, Québec, Presses de l’Université
Laval, coll. «Sociologie au coin de la rue», 2009, 168 p.,
19,95 $.
Larocque, Martin, Papa pure laine, Montréal, de la Bagnole,
coll. «Édition spéciale», 2010, 128 p., 19,95 $.
Le Cam, Florence, Le journalisme imaginé. Histoire d’un
projet professionnel au Québec, Montréal, Leméac, coll.
«Domaine histoire», 2009, 256 p., 24,95 $.
Morisset, Jean, Les chiens s’entre-dévorent… Indiens,
Blancs, Métis dans le Grand Nord canadien, réédition revue
et augmentée, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009, 232 p.,
24,50 $.
Nevert, Michèle (cor.), Textes de l’internement. Textes asilaires de Saint-Jean-de-Dieu (vol. 1), Montréal, Les Éditions
XYZ, coll. «Documents», 2010, 192 p., 24 $.
Oakes, Leigh, Jane Warren, Langue, citoyenneté et identité
au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, coll.
«Langue française en Amérique du Nord», 2009, 310 p.,
29,95 $.
Quentin, Isabelle (dir), Le guide des tendances 2010,
Montréal, Isabelle Quentin éditrice, coll. «Guides IQ», 2009,
128 p., 16,95 $.
Ricalens-Pourchot, Nicole, Les facéties de la francophonie.
Dictionnaire de mots et locutions courantes, familières et
même voyoutes, Montréal, Armand Colin-Bayard Canada,
2010, 416 p., 34,95 $.
Sirois, Bob, Le Québec mis en échec. La discrimination
envers les Québécois dans la LNH, Montréal, Éditions de
l’Homme, 2009, 288 p., 22,95 $.
Théoret, France, Écrits au noir, Montréal, Remue-ménage,
2009, 168 p., 21,95 $.
Usereau, Alain, L’époque glorieuse des Expos, Sainte-Angèlede-Monnoir, Les Éditeurs réunis, 2009, 344 p., 24,95 $.
BEAUX LIVRES
Brunet-Weinmann, Monique, Simone Mary Bouchard et
Louise Gadbois. L’art naïf dans la modernité, Saint-Sauveur,
Marcel Broquet éditeur, coll. «Profils», 2009, 155 p., 39,95 $.
Foisy, Richard, L’Arche, un atelier d’artistes dans le VieuxMontréal, Montréal, VLB éditeur, 2008, 208 p., 39,95 $.
Jodoin Keaton, Valérie, Backstage, portraits, Québec, Varia,
2009, 112 p., 34,95 $.
Landry, Geneviève et Sébastien Raymond, Enquête de
paternité, Montréal, Éditions de l’Homme, 2009, 232 p.,
39,95 $.
Lord, Marie Linda et Denis Bourque, Paysages imaginaires d’Acadien. Un atlas littéraire, Moncton, Institut
d’études acadiennes et Chaire de recherche en études acadiennes, Université de Moncton, coll. «Pascal-Poirier»,
2009, 144 p., 49,95 $.
Pinet, Jocelyn, Nature humaine, illustrations de Véronique
Dumas, Montréal, Isabelle Quentin éditrice, 2010, 64 p.,
19,95 $.
Sicotte, Anne-Marie, Gratien Gélinas en images. Un p’tit
comique à la stature d’un géant, Montréal, VLB éditeur, 2009,
180 p., 36,95 $.
Trépanier, Esther, Peintres juifs de Montréal. Ttémoins de
leur époque, 1930-1948, Montréal, Éditions de l’Homme,
2010, 288 p., 49,95 $.
Livres de poche
Arcan, Nelly, À ciel ouvert, Paris, Seuil, coll. «Points», 2010,
256 p., 14,95 $.
lettres québécoises • été 2010 •
69
livres reçus
Un monde dense,
dans lequel on
plonge sans
retenue, où un
homme se met
à nu.
Baillargeon, Richard, 401 petits et grands chefs-d’œuvre de la chanson et
de la musique québécoises, Québec, Varia, 2010, 206 p., 19,95 $.
Bergeron, Bertrand, Maisons pour touristes, Québec, L’instant même,
coll. «Poche», 2010, 144 p., 12 $.
Bouchard, Louise, Les images, Montréal, Les Herbes rouges, coll.
«Territoires», 2009, 138 p., 10,95 $.
Dion, Robert, Le moment critique de la fiction. Les interprétations de la
littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines, 2e édition,
Québec, Nota bene, coll. «NB poche», 2009, 260 p., 14,95 $.
Falardeau, Pierre, La liberté n’est pas une marque de yogourt, Montréal,
Typo, 2009, 256 p., 17,95 $.
Falardeau, Pierre, Les bœufs sont lents mais la terre est patiente,
Montréal, Typo, 2009, 256 p., 17,95 $.
Fournier, Claude, Les tisserands du pouvoir, Montréal, Libre Expression,
coll. «10/10», 2010, 528 p., 19,95 $.
Lachance, André, Vivre à la ville en Nouvelle-France, Montréal, Libre
Expression, coll. «10/10», 2010, 288 p., 16,95 $.
Moutier, Maxime-Olivier, Marie-Hélène au mois de mars. Roman
d’amour, Montréal, Triptyque, 2010, 218 p., 13 $.
Ohl, Paul, Soleil noir. Le roman de la conquête, Montréal,
Libre Expression, coll. «10/10», 2010, 504 p., 19,95 $.
Savoie, Jacques, Raconte-moi Massabielle, Montréal, Libre Expression,
coll. «10/10», 2010, 160 p., 12,95 $.
Serge Prenoveau
Autopsie
d’un tireur fou
200 pages • 24,95 $ • roman
Un noyé sur la
batture de l’île
aux Grues,
en face de
Montmagny.
Nous sommes
en 1947, c’est
l’automne.
REVUES
Alibis. Polar, Noir et Mystère, no 33, vol. 9, no 1, «Meurtres et mystères»,
Québec, hiver 2010, 144 p., 10 $.
Art Le Sabord, no 84, «Oui», premier volet du triptyque «Oui, Non,
Peut-être», Trois-Rivières, automne 2009, 64 p., 9,95 $.
Exit, revue de poésie, no 57, «En attendant la tempête», Montréal,
Gaz Moutarde, 2009, 114 p., 10 $.
Nuit blanche, no 117, «Féminisme au XXIe siècle: témoignages et essais»,
Québec, janvier-février- mars 2010, 72 p., 8,95 $.
Québec français, no 156, «Poésie contemporaine. Enseigner la
grammaire: d’hier à aujourd’hui», Sainte-Foy, hiver 2010, 112 p., 7,95 $.
Solaris, science- fiction et fantastique, no 173, «Jeu: théâtre
et textes à relais», Québec, hiver 2010, 160 p., 10 $.
Zinc, no 19, «Spécial naissances», quatrième trimestre 2009, 84 p., 6,95 $.
Maurice Gagnon
L’isle silencieuse
276 pages • 24,95 $ • roman
Sa passion
pour les livres
anciens l’amènera
encore bien loin.
Trop loin ?
Infographie • Mise en pages
Pierre Caron
Letendre
et les âmes mortes
352 pages • 24,95 $ • roman
[email protected] • 1.450.292.0637
70 • lettres québécoises • été 2010
www.editionsfides.com
F
lettres québécoises • été 2010 •
71
index
INDEX DES AUTEURS
Alibis, p. 56 • Almeyda Morales, Miguel, Le barrio, p. 31 • Arcan, Nelly, À ciel
ouvert, p. 64 • Arcan, Nelly, Paradis, clef en main, p. 23 • Archambault, Gilles,
Nous étions jeunes encore, p. 19 • Art Le Sabord, p. 56 • Baillargeon, Richard,
401 petits et grands chefs-d’œuvre de la chanson et de la musique québécoises,
p. 64 • Beaudet, Marie-Andrée et coll. (dir.), Présences de Ducharme, p. 46 •
Beaudoin, Myriam, 33, chemin de la Baleine, p. 24 • Bergeron, Bertrand,
Maisons pour touristes, p. 64 • Bourneuf, Roland, L’ammonite, p. 32 • BrunetWeinmann, Monique, Simone Mary Bouchard et Louise Gadbois. L’art naïf
dans la modernité, p. 62 • Chamberland, Paul, Comme une seule chair, p. 39 •
Chang, Yuho, Famille et identité dans le roman québécois du XXe siècle, p. 47 •
Colette, Jean Yves et Michel Gay, Sensations et autres textes, p. 43 • Colpron,
Pascal, Mon petit nombril, p. 55 • Cotnoir, Louise, p. 5; Le cahier des villes, p. 36
• Daviau, Diane-Monique, Là (petites détresses géographiques), p. 36 • Désy,
Jean, Toundra, Tundra, p. 42 • Dion, Robert, Le moment critique de la fiction. Les
interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines, p. 64 • Drolet, Patrick, J’ai eu peur d’un quartier autrefois, p. 25 • Ducasse,
France, Valdera, p. 21 • Dugué, Claudine, Poisons en fleurs, p. 35 • Dumais,
Danielle, La femme fragment, p. 19 • Falardeau, Pierre, La liberté n’est pas une
marque de yogourt, p. 64 • Falardeau, Pierre, Les bœufs sont lents mais la terre est
patiente, p. 64 • Foisy, Richard, L’Arche, un atelier d’artistes dans le VieuxMontréal, p. 62 • Fournier, Claude, Les tisserands du pouvoir, p. 64 • Fournier,
Danielle, effleurés de lumière, p. 38 • Gagnon, Marie-Noëlle, L’hiver retrouvé,
p. 25 • Germain, Jean-Claude, Nous étions le Nouveau Monde. Le feuilleton des
origines, p. 52 • Girard, Philippe, Tuer Vélasquez, p. 54 • Harbec, Hélène,
Chambre 503, p. 32 • Henrie, Maurice, Le jour qui tombe, p. 34 • Hurtubise
HMH, p. 58 • Joncas, Pierre, Les accommodements raisonnables : entre
Hérouxville et Outremont, La liberté de religion dans un État de droit, p. 49 •
Khalil, Saïd, Bruny Surin, le lion tranquille, p. 52 • Krieger, Bïa, Les révolutions de Marina, p. 33 • Lachance, André, Vivre à la ville en Nouvelle-France,
p. 65 • LaRochelle, Luc, Hors du bleu, p. 34 • Latendresse, Maryse, Pas de mal
à une mouche, p. 24 • Lemieux, Jean, Le mort du chemin des Arsène, p. 28 •
Lévesque, Claude, La poésie comme expérience, p. 46 • Lévesque, Nicolas, (…)
Teen spirit. Essai sur notre époque, p. 49 • Liaison, p. 56 • Lord, Marie Linda et
Denis Bourque, Paysages imaginaires d’Acadie. Un atlas littéraire, p. 62 • Lord,
Michel, Brèves implosions narratives. La nouvelle québécoise 1940-2000, p. 44 •
Marcotte, Gilles, La littérature est inutile, p. 45 • Martel, Yann, Mais que lit
Stephen Harper ?, p. 30 • Moutier, Maxime-Olivier, Marie-Hélène au mois de
mars. Roman d’amour, p. 65 • Munro, Alice, Du côté de Castle Rock, p. 30 •
Nadeau, Jean-François, Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, p. 51 • Nepveu,
Pierre, Les verbes majeurs, p. 40 • Nicol, Patrick, Nous ne vieillirons pas, p. 21 •
Ohl, Paul, Soleil noir. Le roman de la conquête, p. 65 • Pelletier, Jean-Jacques, Les
gestionnaires de l’Apocalypse 4, La faim de la Terre, t. 1 et 2, p. 27 • Phelps,
Anthony, Le mannequin enchanté, p. 37 • Pinet, Jocelyn, Nature humaine, p. 62
• Pozier, Bernard, Agonique agenda, p. 41 • Québec français, p. 56 • Quessy,
Benoît, À Juillet, toujours nue dans mes pensées, p. 26 • Rabagliati, Michel,
Paul à Québec, p. 54 • Richard, Lyne, Marcher pieds nus sur nos disparitions, p. 42
• Samson, Pierre, Arabesques, p. 22 • Savoie, Jacques, Raconte-moi Massabielle,
p. 65 • Sicotte, Anne-Marie, Gratien Gélinas en images. Un p’tit comique à la stature d’un géant, p. 62 • Symons, Scott, Place d’Armes, p. 29 • Thomas, Réjean,
Œuvre complète, p. 41 • Trépanier, Esther, Peintres juifs de Montréal. Témoins de
leur époque, 1930-1948, p. 62 • Villeneuve, Marie-Paule, Le tiers-monde au
fond de nos bois, p. 50 • Vonarburg, Élisabeth, Slow Dance, p. 38
INDEX DES PHOTOGRAPHES
Almeyda Morales, Miguel, Studio Luz y sombram Lima, p. 31 • Anglade,
Georges, André Parent, p. 61 • Arcan, Nelly, Marcelo Troche, p. 23 •
Archambault, Gilles, Pierre Longtin, p. 19 • Barbe, Jean, Joanne Comte, p. 66 •
Beaudoin, Marie-Fleurette, Rouge, p. 14 • Benlabed, Salah, Josée Lambert,
p. 67 • Berube, Joceyn, Le Soleil, p. 17 • Bissoondath, Neil, Élyssa Marcoux-
72 • lettres québécoises • été 2010
Bissoondath, p. 67 • Bourneuf, Roland, Anne-Marie Guérineau, p. 1 • BrunetWeinmann, Monique, Michel Julien, p. 62 • Chamberland, Paul, Josee Lambert,
p. 39 • Colette, Jean-Yves, Martine Doyon, p. 43 • Cotnoir, Louise, Alexis
K. Laflamme, page couverture, 1, 5, 6, 9 • Daviau, Diane-Monique, Martine
Doyon, p. 37 • Désy, Jean, Isabelle Duval, p. 43 • Dionne, René, Studio Von
Dulong, p. 61 • Drolet, Patrick, Nicolas Pinson, p. 2, 25 • Ducasse, France,
Claudel Huot, p. 2, 21 • Dumais, Danielle, Martine Doyon, p. 20 • Faubert,
Michel, Georges Dutil, p. 16 • Flamand, Jacques, Jean-Emmanuel Allard, p. 67
• Fournier, Claude, Groupe Librex, p. 39 • Fournier, Danielle, Josée Lambert,
p. 39 • Foisy, Richard, Frédéric Knerr, p. 62 • Gay, Michel, Martine Doyon,
p. 43 • Germain, Jean-Claude, Jean-Guy Thibodeau, p. 52 • Girard, Philippe,
Linda Lemelin, p. 55 • Harbec, Hélène, Monique LeBlanc, p. 2 • Joncas Pierre,
Carlos Lopez, p. 50 • Krieger, Bia, Martine Doyon, p. 33 • Laberge, Georges,
Groupe Librex, p. 61 • Lamontagne, Alain, Pierre Charbonneau, p. 16 • LaRue,
Monique, Norbert Robitaille, p. 67 • Lemelin, André, Yannick B. Gelinas, p. 15
• Lepage, Francoise, Jules Villemaire, p. 61 • Levesque, Nicolas, Vicky
McDermott, p. 49 • Lord, Marie-Linda, Dolores Breau, p. 2, 62 • Marcotte,
Gilles, Dominique Thibodeau, p. 45 • Martel, Yann, Christine Bourgier, p. 1, 31
• Massie, Jean-Marc, Danielle Berard, p. 15 • Moutier, Maxime-Olivier, François
Couture, p. • Munro, Alice, Jerry Bauer, p. 2, 30 • Nadeau, Jean-Francois. Le
Devoir, p. 51 • Nepveu, Pierre, Dominic Gauthier, p. 2, 40 • Nicol, Patrick,
Marie-Claude Lapointe, p. 22 • Pellerin, Fred, Denis Baril, p. 1 • Pelletier, JeanJacques, Éric Piché, p. 27, 72 • Phelps, Anthony, Simone Lissade-Metellus,
p. 2 • Pinet, Jocelyn, Paul Berryman, p. 62 • Rabagliati, Michel, Jacques Grenier,
p. 54, 67 • Samson, Pierre, Robert Laliberté, p. 22 • Sicotte, Anne-Marie, Josée
Lambert, p. 62 • Surin, Bruny et Said Khalil, Jacques Mignault, p. 53 • Tapiero,
Olivia, Olivier Hanigan, p. 67 • Thuy, Kim, Benoît Levac, p. 66 • Tremblay,
Michel, Tony Hauser, p. 67 • Trépanier, Esther, Jean-François Leblanc, p. 62 •
Quessy, Benoît, Martine Doyon, p. • Vadeboncœur, Pierre, Josee Lambert, p. 61
• Vonarburg, Élisabeth, Éliane Brodeur, p. 38
lettres québécoises
À N E PA S M A N Q U E R D A N S
LE PROCHAIN NUMÉRO :
une entrevue avec
JEAN-JACQUES PELLETIER
no 139

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