roman - Lettres québécoises
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lettres québécoises revue fondée en 1976 FONDATEUR: Adrien Thério † DIRECTEUR : André Vanasse ADJOINT AU DIRECTEUR : Jean-François Crépeau COMITÉ DE RÉDACTION : Jean-François Crépeau, Michel Lord, Hélène Rioux, André Vanasse COLLABORATEURS : DES IMAGES, DES MOTS : François Cloutier ESSAI ET ÉTUDES LITTÉRAIRES : Carlos Bergeron, Michel Gaulin, Francis Langevin, Claudine Potvin LITTÉRATURE ET SPORT : Renald Bérubé POÉSIE : Hugues Corriveau, Rachel Leclerc, Jacques Paquin lettres québécoises entrevue • Louise Cotnoir : un appel à la lumière ROMAN : André Brochu, Normand Cazelais, Hugues Corriveau, Jean-François Crépeau, Marie-Michèle Giguère, Hélène Rioux RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Michèle Vanasse DIRECTION ARTISTIQUE : Alexandre Vanasse • ZIRVAL design RESPONSABLE DE LA PRODUCTION : Michèle Vanasse Lettres québécoises est une revue trimestrielle publiée en février, mai, août et novembre par Lettres québécoises inc. La revue est subventionnée par le Conseil des Arts du Canada (CAC), le Conseil des arts de Montréal (CAM) et par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). «Nous reconnaissons l'aide financière accordée par le gouvernement du Canada pour nos coûts d'envoi postal, nos coûts de production et nos dépenses rédactionnelles par l'entremise du Programme d'aide aux publications et du Fonds du Canada pour les magazines. » Lettres québécoises est répertoriée dans Point de repère, MLA International Bibliography et L’Index des périodiques canadiens et est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP). [email protected] • www.sodep.qc.ca Les collaborateurs de Lettres québécoises sont entièrement responsables des idées et des opinions exprimées dans leurs articles. Louise Cotnoir, trente ans de publications, tout un parcours! Celui d’une écriture que je qualifierais de dense, d’intense, dans laquelle il est possible d’apercevoir plusieurs niveaux de lecture. J’ai vu, pour ma part, ce trajet à l’image d’une spirale en continuelle évolution où chaque livre semble renouer avec une douleur des profondeurs, que finissent toujours par contrebalancer un désir de vivre, un appel vers la conscience d’être. LOUISE COTNOIR dossier • Du conte au slam, les mots qu’on se dit À une époque où l’identité se vit comme une crise pour une nation qui plonge ses racines dans le terreau riche d’une tradition orale, une redécouverte de l’oralité était sans doute tout indiquée. Au détour du siècle, nous avons assisté à ce que plusieurs ont appelé «un renouveau du conte», entre autres porté par un petit gars de la Mauricie, belle surprise issue du village de Saint-Élie-de-Caxton, un certain Fred Pellerin. Mais n’est-ce pas toute l’oralité qui a repris l’avant-scène? Un phénomène qui dépasse nos frontières, certes, mais qui prend ses teintes propres au Québec. Entre le renouveau du conte et les résistantes soirées de poésie, l’avènement du slam et les pratiques hybrides, l’oralité interpelle un public de plus en plus grand. traduction • Correspondance à sens unique PAGE 30 Sidéré, et profondément blessé, par le mépris que Stephen Harper, premier ministre du Canada, semblait témoigner à la culture en général et à la littérature en particulier, Yann Martel a décidé de lui envoyer une lettre toutes les deux semaines, et ce, depuis le 16 avril 2007. Dans chaque lettre, il commente le livre qu’il lui fait parvenir dans le même envoi. Le premier ministre, hélas, ne répond pas. YA N N M A R T E L INFOGRAPHIE : Alexandre Vanasse/ZIRVAL design PA R Y VO N PA R É Numéro ISSN : 0382-084X Envoi de Poste-publications no 41868016 Enregistrement PAP no 08959 • mai 2010 FRED PELLERIN PA R H É L È N E R I O U X récit • Roland Bourneuf réinvente le présent PHOTO DE LA PAGE COUVERTURE : Alexis K. Laflamme PAGE 14 PA R J E A N - F R A N Ç O I S CA R O N DISTRIBUTION : LMPI 8155, rue Larrey, Anjou (Québec) H1J 2L5. Tél. : 514.355.56.74 • Téléc. : 514.355.56.76 Courriel : [email protected] IMPRESSION : Marquis PAGE 6 PA R A N N I E M O L I N VA S S E U R RÉCIT ET NOUVELLE : Sébastien Lavoie, Michel Lord, Yvon Paré REVUES : Carlos Bergeron NUMÉRO 138 été 2010 Arnaud Bermane est retrouvé mort sur la grève. Dans son sac à dos, des carnets et un passeport. Rien d’autre! Catherine reconnaît son père dans l’entrefilet du journal. Ces carnets racontent les voyages d’Arnaud, s’attardent à ses réflexions et à ses errances. Par l’écriture, il remet en question sa vie et son passé. C’est peut-être la seule voix qui le berçait quand il s’arrêtait après une journée de marche ou de travail. Celle qui s’imposait quand il inventait des mondes à partir de ses figurines. PAGE 32 ROLAND BOURNEUF lettres québécoises • C.P. 48058, succursale Bernard, Montréal (Québec) H2V 4S8 • Téléphone : 1-866-992-0637 Adresse électronique : [email protected] • Site Internet : www.lettresquebecoises.qc.ca lettres québécoises • été 2010 • 1 sommaire NUMÉRO 138 été 2010 ÉDITORIAL AUPORTRAIT ENTREVUE PROFIL DOSSIER ROMAN PAT R I C K DROLET FRANCE D U CA S S E POLAR PRÉSENTATION TRADUCTION RÉCIT NOUVELLE HÉLÈNE H A R B EC POÉSIE LUC LAROCHELLE PRÉSENTATION ÉTUDES LITTÉRAIRES ESSAI MICHEL LO R D DES IMAGES, DES MOTS LES REVUES EN REVUE ALICE MUNRO ÉVÉNEMENT NOUS ONT QUITTÉS INFORMATIONS EXPRESS COUP DE CŒUR LIVRES EN FORMAT POCHE DITS ET FAITS PRIX ET DISTINCTIONS PIERRE NEPVEU LIVRES REÇUS INDEX PROCHAIN NUMÉRO ANTHONY PHELPS 2 • lettres québécoises • été 2010 Le projet « Érudit », André Vanasse, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 Gauchère de naissance, Louise Cotnoir, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5 Louise Cotnoir : un appel à la lumière, Annie Molin Vasseur, . . . . . . . . . . . . . . . p. 6 Les nouvelles de Louise Cotnoir : une esthétique de la déambulation, Christiane Lahaie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 10 L’invention de l’écriture, Claudine Potvin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11 Du conte au slam, les mots qu’on se dit, Jean-François Caron, . . . . . . . . . . . . . p. 14 Gilles Archambault, Danielle Dumais, André Brochu, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19 France Ducasse, Patrick Nicol, Pierre Samson, Hugues Corriveau, . . . . . . . . . p. 21 Nelly Arcan, Myriam Beaudoin, Maryse Latendresse, Jean-François Crépeau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 23 Patrick Drolet, Marie-Noëlle Gagnon, Benoît Quessy, Marie-Michèle Giguère, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25 Jean-Jacques Pelletier, Jean Lemieux, Normand Cazelais, . . . . . . . . . . . . . . . . p. 27 Scott Symons, Hélène Rioux, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29 Alice Munro, Yann Martel, Miguel Almeyda Morales, Hélène Rioux, . . . . . . . p. 30 Roland Bourneuf, Hélène Harbec, Bïa Krieger, Yvon Paré, . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32 Maurice Henrie, Luc LaRochelle, Claudine Dugué, Sébastien Lavoie, . . . . . . . p. 34 Louise Cotnoir, Diane-Monique Daviau, Anthony Phelps, Michel Lord, . . . . . p. 36 Élisabeth Vonarburg, Danielle Fournier, Paul Chamberland, Hugues Corriveau, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 38 Pierre Nepveu, Bernard Pozier, Réjean Thomas, Rachel Leclerc, . . . . . . . . . . . p. 40 Lyne Richard, Jean Désy, Jean Yves Collette et Michel Gay, Jacques Paquin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 42 Michel Lord, Michel Gaulin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 44 Gilles Marcotte, Michel Gaulin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 45 Marie-Andrée Beaudet et coll., Claude Lévesque, Yuho Chang, Claudine Potvin, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46 Nicolas Lévesque, Pierre Joncas, Marie-Paule Villeneuve, Carlos Bergeron, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 49 Jean-François Nadeau, Jean-Claude Germain, Saïd Khalil, Renald Bérubé, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 51 Michel Rabagliati, Philippe Girard, Pascal Colpron, François Cloutier, . . . . . . p. 54 Alibis, Art Le Sabord, Liaison, Québec français, Carlos Bergeron, . . . . . . . . . . p. 56 Et toutes ses dents, Sébastien Lavoie, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 61 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 62 Prix littéraire des collégiens, André Vanasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 63 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 66 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 67 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 69 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 72 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 72 éditorial A N D R É VA N A S S E Le projet « Érudit » Il y a plus d’une décennie, les revues scientifiques ont décidé de ne plus imprimer les résultats de leurs recherches en version papier. Elles ont choisi la numérisation. Puis les revues savantes du secteur des sciences humaines ont emboîté le pas. Maintenant, c’est au tour des revues culturelles de le faire. ans le cadre de son mandat qui est de promouvoir les revues culturelles québécoises, la SODEP a jugé qu’il était temps que les revues membres de cette association montent dans l’astronef qu’est Internet et qu’elles puissent bénéficier du support informatique pour la diffusion du contenu numérique. D Le projet, qui avait fait l’objet d’une étude auparavant, a été déposé en mai 2009 et subventionné par Patrimoine Canada. La quasi-totalité des membres de la SODEP a décidé de s’engager dans le projet. En fait, vingt-sept revues ont choisi d’y participer, alors que sept autres en faisaient déjà partie. Au total donc, des quarante-quatre revues susceptibles d’être intéressées par le projet, trentequatre ont jugé que le jeu en valait la chandelle. « Avant d’approcher des fournisseurs, nous a confié Nadia Roy, responsable de la promotion et des communications, la SODEP a évalué ses besoins compte tenu du nombre de membres et de leurs collections (nombre de numéros publiés depuis la fondation). La SODEP a déterminé que les membres avaient publié 4 950 numéros, environ 110 000 articles, soit 520 000 pages ! » C’est énorme et c’est surtout un trésor culturel inestimable qui sera très bientôt disponible dans Internet pour tous les abonnés. C’est le groupe Érudit qui a été choisi pour numériser tous les numéros des revues qui participent au projet. Ce groupe acceptait de prendre sous son aile toutes les revues participantes, ce qui n’était pas le cas des autres — notamment BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) — et, de surcroît, Érudit avait déjà une longue expertise dans le domaine et une liste de 200 clients institutionnels au Québec et à l’étranger. En outre, le groupe Érudit fonctionne entièrement en français contrairement à certains fournisseurs. POURQUOI NUMÉRISER ? La numérisation comporte plusieurs avantages et non des moindres. Dans un premier temps, les revues numérisées diminuent grandement le coût de l’entreposage. Plus besoin de conserver des centaines de numéros de revues puisqu’elles sont accessibles sur support électronique. Bien sûr, il faut tenir compte des collectionneurs qui voudraient compléter leur collection, mais ces gens-là sont peu nombreux. En fait, Lettres québécoises offre la collection complète de la revue depuis une décennie ou même plus. Des acheteurs, il y en a, mais ils se comptent sur les doigts de la main si on fait le calcul sur une base annuelle. L’autre avantage, et sans doute le plus important, est que les abonnés institutionnels au format électronique pourront faire des recherches par thème ou par mot clé dans l’ensemble des numéros produits. Par ailleurs, les revues ellesmêmes pourront offrir les mêmes avantages à leurs abonnés privés. Ces abonnements seront gérés par les revues ou la SODEP (pour les revues qui lui en auront confié la gestion). Il s’agit d’un avantage énorme pour les chercheurs, les étudiants ou les simples amateurs parce qu’ils n’auront pas à feuilleter chaque numéro pour en connaître le contenu. Un clic sur Dany Laferrière par exemple et l’abonné aura accès à toutes les occurrences qui le concernent. Voilà un instrument de recherche extrêmement appréciable puisque l’abonné institutionnel comme le privé auront non seulement accès rapidement à la référence, mais au texte lui-même. Le troisième avantage est aussi de taille. L’envoi d’un abonnement par Internet ne comporte aucuns frais de poste. Bien sûr, il y a l’entrée des données, mais le coût en est moindre que lorsqu’on emballe une revue et qu’on la met à la poste. À vrai dire, l’économie est importante si l’on prend en considération l’envoi postal à l’étranger. A -T- O N D R O I T À U N E C O M P E N S AT I O N ? On nous dira : « C’est bien beau, mais un abonnement institutionnel donne accès à la revue à des milliers d’étudiants, n’est-ce pas une perte pour l’éditeur?» Le fait est qu’il faudrait sans doute que soit créé un volet spécial pour la consultation des revues dans les bibliothèques. La Commission du droit de prêt public (CDPP) donne une compensation aux auteurs pour l’utilisation de leurs œuvres faite en bibliothèque. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose pour les revues? La question vaut la peine d’être posée et le fait est qu’elle a été posée par Francine Bergeron, directrice de la SODEP, dès la mise en place du projet. Et si on avait gain de cause, on pourrait augmenter la rétribution accordée aux chroniqueurs. Quoi qu’il en soit, les revues étaient de toute façon consultées lorsqu’elles étaient disponibles en format papier. Sans doute ne le seront-elles plus autant à cause de la rapidité et de la facilité d’accès sous format numérique, mais c’est un moindre mal. REJOINDRE UN NOUVEAU PUBLIC Un autre aspect positif à la numérisation des revues culturelles est que ce changement pourrait avoir un effet bénéfique sur nos abonnements. Actuellement, les abonnés des revues culturelles appartiennent au groupe d’âge des cinquante ans et plus. C’est en tout cas ce que révélait une étude de marché faite en 2003 par l’Institut national de recherche scientifique (INRS) pour cinq revues culturelles québécoises (Art Le Sabord, Cahiers de théâtre Jeu, CV photo, Espace culture et Lettres québécoises). Ce résultat, même s’il semble surprenant, correspond à ce qu’on sait déjà, à savoir que ce groupe d’âge est à l’aise financièrement, connaît ses goûts et veut recevoir sa revue chez lui. Or, la possibilité de s’abonner à la version électronique (avec moteur de recherche) pourrait séduire non seulement le groupe des cinquante ans et plus, mais plus particulièrement le groupe des jeunes qui ne carburent qu’aux iPod et autres gadgets comme s’ils étaient des prolongations de leurs membres. Ils sont nés avec un ordinateur portable et un téléphone cellulaire et ne peuvent s’en passer. Si on réussissait à rejoindre une partie de cette clientèle en jouant sur son propre terrain, ce serait incontestablement une victoire pour nous. Pour le savoir, il faut essayer. C’est ce que font les membres de la SODEP. Attendons la suite… lettres québécoises • été 2010 • 3 LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE VOUS PASSIONNE ? A B O N N E Z -V O U S À lettres québécoises Entrevues, portraits d’auteurs, critiques et comptes rendus de romans, de recueils de nouvelles et de poésie, d’essais et plus ! 1 AN / 4 NUMÉROS INDIVIDU INSTITUTION Canada 30 $ États-Unis 45 $ Étranger 60 $ Canada 40 $ États-Unis 60 $ Étranger 80 $ Nom 2 ANS / 8 NUMÉROS Adresse Ville Code postal Tél. INDIVIDU INSTITUTION Canada 50 $ États-Unis 75 $ Étranger 100 $ Canada 70 $ États-Unis 100 $ Étranger 135 $ Courriel Ci-joint ❑ Chèque ❑ Visa 3 ANS / 12 NUMÉROS ❑ Mastercard INDIVIDU N0 Exp. Signature Date ATTENTION : SVP libeller votre chèque à : SODEP / Lettres québécoises INSTITUTION Canada 72 $ Canada 95 $ États-Unis 108 $ États-Unis 144 $ Étranger 144 $ Étranger 192 $ Les prix sont toutes taxes comprises et sont sujets à changement sans préavis. RETOURNER À : SODEP • Service d’abonnement • Lettres québécoises • C.P. 786, succ. Place d’Armes, Montréal (Québec) H2Y 3J2 tél. : 514-397-8670 • téléc. : 514-397-6887 • [email protected] Faites partie de notre histoire, abonnez-vous ! LEDEVOIR.com 4 • lettres québécoises • été 2010 • 514 985 3355 • 1 800 463-7559 autoportrait LOUISE COTNOIR Gauchère de naissance Est-il si évident que cette histoire soit la mienne1 ? ai toujours détesté être photographiée. Alors, écrire un autoportrait… D’abord, m’asseoir à la table de cuisine : objet domestique, utilitaire. Puis m’éloigner de ma «chambre à moi», des bibliothèques qui recouvrent presque entièrement les murs de la maison. M’obliger à oublier les mots des autres. Car il arrive souvent que dans leurs paroles se glissent de mes propres pensées, ce qui parfois me fait craindre de ne pas me tenir au plus près de la mienne. Mais je sais fort bien que « l’une ne bouge pas sans l’autre2 ». Enfin, prendre mon temps, me laisser travailler par des figures, des scènes qui sentent l’humidité de la cuisine première, les lundis de lavage, ou l’odeur prégnante des bouillis de novembre. Je cherche ce qui reste vivant en moi, comme un murmure de mémoires accumulées. De l’ombre à la lumière, des images de ce « moi » reviennent pour mieux s’inscrire en « elle ». J’ Un père illettré. Elle étudiera le latin au couvent avec les autres « premières filles d’ouvriers » à accéder au cours classique, fera un baccalauréat, moitié en linguistique, moitié en lettres, puis elle fera une maîtrise en Sciences médiévales pour apprendre l’ancien français ; elle gardera une fascination constante pour l’origine des mots, perdra souvent la tête devant les atlas, les encyclopédies, les dictionnaires… passionnée par les mots. Elle sera toujours consciente Botanique, ornithologie, qu’ils servent à faire exister les choses cinéma, danse contemporaine, et surtout les personnes. théâtre et flâneries dans les musées, tout me sollicite. Un frère aîné. Il volait les livres. Alors qu’elle était adolescente, il lui a ouvert les univers américains et français, et surtout certains livres mis à l’Index qu’elle lira à la chapelle sous la couverture en cuir de son livre de prières… L’aîné rêvait d’être écrivain. Il passera toute sa vie à noyer son rêve dans l’alcool. Elle aura longtemps le sentiment de lui avoir volé son destin. Elle aura « un petit frère » comme Duras. Et huit ans après sa naissance, une petite sœur, comme Simone de Beauvoir. Au confluent de la rivière Richelieu et du fleuve Saint-Laurent, elle vivra une enfance heureuse de « garçon manqué ». L’eau lui servira pour toujours d’engramme. Treize ans : une révélation douloureuse et une prise de conscience radicale liées aux premières menstruations. Ces « premières règles », associées dès lors à toutes les autres, seront imposées à son être-femme, à sa différence. Pour empêcher ce sabotage d’elle-même, elle découvrira des lectures salvatrices venues des écrivaines de France et des États-Unis. S’ajouteront plus tard les propos des Québécoises. Toutes ces « paroles de femmes » pour la dire et permettre ainsi sa venue à l’écriture : « elle a peur bien sûr mais elle aime prendre des risques. Celui-là est son plus grand3. » Trente ans déjà en écriture à se colletailler avec les mots, la langue, à tenter de renommer le réel, pour en donner une vision au féminin. Travail de survie, certes. Travail éthique également parce que son histoire ressemble à celles de tant d’autres « voleuses de langue4 ». Engagée dans son époque, et engagée envers la parole des femmes au sein de quelques collectifs : La Nouvelle Barre du Jour, LOUISE COTNOIR Arcade, Tessera. Ce présent texte lui donne l’impression de revenir sur ses pas, d’entendre quelqu’un d’autre parler d’« elle ». Alors, « elle » dit : j’écris au crayon à mine, pour pouvoir effacer, jamais certaine de ce que j’avance. J’utilise des feuilles quadrillées pour encadrer les idées, pour qu’elles ne s’éparpillent pas. Je me méfie des mots, de leur duplicité. Gauchère de naissance, j’écris de travers. Surtout de la poésie, pour le rythme, la « musique des mots ». La musique accompagne l’écriture de tous mes livres et se retrouve aussi en eux. J’aurais aimé savoir jouer d’un instrument, j’aurais voulu être chanteuse… La poésie parce qu’elle m’engage à explorer des géographies intérieures qui me lient à celles des autres humains. Elle me permet de penser « mot à mot », me procure une sensation étrange de moi et, à la fois, m’oblige à prendre conscience de la précarité de l’humain. C’est une sorte de méditation. Botanique, ornithologie, cinéma, danse contemporaine, théâtre et flâneries dans les musées, tout me sollicite. Voyager m’enthousiasme, et mon rêve serait de vivre, durant six mois, dans chacune des capitales du monde. Ce sont d’ailleurs les voyages qui m’ont conduite à l’écriture de nouvelles. Il y a une sorte d’adhérence entre mes personnages en état de déstabilisation et l’état dans lequel me jette parfois l’écriture. Ces histoires « me » traduisent. Car tous les jours, je me raconte ma vie. Au présent du verbe, dans l’éphémère vivant. 1. Danielle Fournier, effleurés de lumière, Montréal, l’Hexagone, coll. « Écritures », 2009, p. 75. 2. Luce Irigaray, et l’une ne bouge pas sans l’autre, Paris, Minuit, 1979. 3. Louise Cotnoir, L’audace des mains, Montréal, Remue-ménage, 1987, p. 93. 4. Claudine Herrmann, Les voleuses de langue, Paris, Des femmes, 1976. lettres québécoises • été 2010 • 5 A N N I E M O L I N VA S S E U R entrevue Louise Cotnoir : un appel à la lumière Louise Cotnoir, trente ans de publications, tout un parcours ! Celui d’une écriture que je qualifierais de dense, d’intense, dans laquelle il est possible d’apercevoir plusieurs niveaux de lecture. J’ai vu, pour ma part, ce trajet à l’image d’une spirale en continuelle évolution où chaque livre semble renouer avec une douleur des profondeurs, que finissent toujours par contrebalancer un désir de vivre, un appel vers la conscience d’être. AMV — Si Cendrillon pouvait mourir, livre publié en 1980, retranscrit une création théâtrale collective. Que reste-t-il de cet événement après toutes ces années ? LC — Cette aventure reste marquante. Pour la première fois, j’écrivais un texte qui était présenté devant public. C’est une expérience fondamentale parce qu’elle se situe à l’intérieur d’un collectif de femmes et que cette pièce a été publiée par des éditions féministes, à une époque où ce mouvement était très fort. Pour moi, ce fut le point de départ de ma signature publique. AMV — Les années 1980 à 1984 ont été marquées par votre participation à la revue La Nouvelle Barre du Jour (NBJ) dont vous étiez codirectrice. LC — La NBJ m’a aidée à connaître de l’intérieur le monde de l’édition et m’a permis de donner la parole aux femmes. Élise Turcotte, Carole David, Danielle Fournier et bien d’autres y ont publié parmi leurs premiers textes. C’est une satisfaction de savoir que le public y a découvert celles qui allaient devenir de grandes auteures. AMV — Dans Plusieures, vous semblez privilégier une démarche analytique par rapport à la langue, au féminisme, à la lecture du monde. Peut-on dire que cette approche était avant tout théorique ? On y trouve une langue fragmentée comme dans d’autres recueils qui suivront. Toute l’intensité déjà mentionnée avec une descente dans «la géographie des profondeurs » ? LC — En effet, dans Plusieures, ajouter un «e» féminin à un pronom indéfini et pluriel, c’était entreprendre un travail acharné contre cette langue où les femmes sont soumises à des détournements de sens. Par exemple, on dira d’une femme courageuse et tenace qu’elle a «la tête dure». J’ai voulu redonner aux femmes l’usage positif du langage, le travailler au corps, si je peux dire. Ce que j’aborderai également avec Asiles, de façon différente. Je voulais qu’il parle de moi, du conditionnement qu’on inflige aux 6 • lettres québécoises • été 2010 LOUISE COTNOIR petites filles à travers lui. C’est de l’écriture avant tout, une écriture de «monstration». AMV — En 1984, plusieurs ouvrages paraissent. Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms semblent confirmer deux voies d’écriture: d’une part, la prose poétique ; d’autre part, la poésie. Dans ce livre sur les relations épistolaires entre femmes, j’ai relevé cette phrase : « Qu’est-ce qui me fait mal, là, sur l’écran de l’imaginaire mâle ? » Un constat douloureux ? LC — Effectivement, on y trouve deux approches différentes: la prose poétique où je me suis toujours inscrite et le vers libre. Mais les textes ne sont pas uniquement douloureux. J’ai voulu valoriser le mode de la correspondance qui a permis pendant des siècles à des femmes de «(s’)écrire, de (se) parler». Dans l’histoire littéraire, on retient, entre autres, madame de Sévigné pour une correspondance mère-fille. Mon livre pose la problématique de l’écriture au féminin et redonne ses lettres de noblesse au journal intime et aux diverses formes d’écriture de femmes. S’y instaurent des échanges silencieux, dus à la distance et à l’écart, qui permettent la réflexion sur elles-mêmes, leur entourage, leurs conditions de vie. Sont ainsi abordées des questions féministes, sans avoir l’air d’y toucher. AMV — En même temps, les références historiques, mythologiques, voire bibliques y sont nombreuses. LC — Peut-être un besoin d’assises, d’aller chercher des références. Sans doute, l’urgence de dire : « Voilà, je vous donne vos lettres de noblesse.» Je crois qu’il y a des étapes à franchir en création avant de s’affranchir. Creuser son univers avant de trouver sa voix, de parler son lieu. Je voulais qu’on me trouve crédible. En même temps, la deuxième partie intitulée Les prénoms rend hommage aux femmes qui m’ont inspirée, qui ont nourri mon travail d’écriture: des femmes d’autres époques ou des contemporaines. A N N I E M O L I N VA S S E U R entrevue dans sa vision. À cette époque, les femmes étaient éduquées pour se marier et avoir des enfants. Il ne pouPour ma part, je refuse, dans mes fictions, vait pas comprendre que je veuille de perpétuer le mythe des femmes victimes. faire des études en littérature médiévale. Il ne parlait pas. Je restais muette Je cherche à redessiner des figures positives. quand il mettait son poing sur la Ce que je vois tous les jours est très loin de ce que table… Tension est le décor de nos nous avions imaginé et rêvé, mais nous rêvions LC — Avec Louky Bersianik, France colères silencieuses. Mais le biograen fonction de notre réalité. Théoret, Nicole Brossard, Louise phique n’est qu’anecdotique. L’imDupré et Gail Scott, on a eu de vraies portant, c’est la manière dont j’ai rencontres d’intellectuelles. J’avais perçu mon père à ce moment-là. Cela baptisé le groupe « Les cervelles » ! s’est joué symboliquement au plan du Nous avons écrit des «essais» sur le langage, l’univers fémirapport d’autorité et de pouvoir. Le seul domaine où je pensais nin, mais nous tenions aux textes de « création » que nous y être capable de me mesurer à lui était le territoire du savoir. avons ajoutés. Je viens d’apprendre que le livre est repris, à New York, par Rachel Levitsky des Éditions Belladonna. Mon texte y AMV — A-t-il reconnu votre démarche avant de mourir ? sera traduit par Erica Weitzman. C’est une belle continuité. LC — J’ai fini par savoir qu’il était content que je réussisse, AMV — « La sujette d’intérêt » dont vous parlez dans ce bien qu’il ne me l’ait jamais dit. Il me reste le souvenir d’une livre, le je / femme dit : « Je ne peux me penser femme que relation d’amour avec mon père, de beaucoup de moments prédans une intellection fictive du monde. » Est-ce que cette cieux partagés avec lui. Aimer le vivant, avoir une tête de évaluation conceptuelle du langage et de l’univers tentait cochon, cette ténacité que j’ai à écrire, à défendre mes convicde préfigurer un nouveau paradigme ? tions, cela lui ressemble. Ni jugement, ni pardon, ni condamnation, seulement l’acceptation de ses limites et des miennes. LC — À mon avis, il n’y a pas eu de métamorphose sociale mais beaucoup de grandes avancées. Des recherches se pourAMV — Dans L’audace des mains, en 1987, on retrouve suivent à travers la multiplicité des voix actuelles de femmes. On «une figure du noir [qui] rassemble des fragments». On trapeut bien sûr s’inquiéter quand on voit certaines jeunes femmes verse la folie, la mort et, en même temps, on touche à la penser que tout est gagné, alors que les acquis sont fragiles et jouissance des femmes. peuvent être perdus demain. Des préjugés persistent. Les femmes ont peut-être plus de possibilités, mais tout n’est cerLC — L’audace de vivre, c’est vraiment la thématique de ce tainement pas «rose». Il y a à peu près le même pourcentage de livre-là, malgré tout le noir qu’il fallait traverser. Avec le recul, je femmes qui se questionnent aujourd’hui qu’hier. Ce sont aux pense qu’il préparait le recueil Comme une chienne à la mort, jeunes femmes, pour utiliser une expression guerrière, de garces longs textes de prose poétique. Il rejoue le rapport difficile der le terrain qu’on a conquis de haute lutte, de poursuivre, à l’univers. D’où peut-être cette couleur noire, là où la dans leur vie et leurs activités, leurs revendications, de se quesconscience est de plus en plus éveillée à ce qui cerne ce pertionner. Certaines reprennent le flambeau dans le domaine de sonnage féminin tentant de vivre sa douleur mêlée à la douleur l’écriture, des arts, du cinéma… Pour ma part, je refuse, dans du monde afin, sans doute, de la surmonter. mes fictions, de perpétuer le mythe des femmes victimes. Je cherche à redessiner des figures positives. Ce que je vois tous les AMV — Comment comprendre dans votre écriture ces jours est très loin de ce que nous avions imaginé et rêvé, mais « douleurs » précisément ? Je me suis demandé si l’auteure nous rêvions en fonction de notre réalité. Continuer à défendre voilait des drames indicibles de l’enfance en y greffant les les valeurs féministes me semble important. Je suis fière d’être douleurs du monde. féministe, au sens où l’entendait Virginia Woolf, c’est-à-dire «quelqu’un qui souffre du traitement réservé aux femmes et LC — Ce ne sont pas nécessairement les miennes, cela peut qui plaide leurs droits[, ce qui] apporte dans les écrits de être celles de toute femme. Il faut établir une distanciation. femmes un élément totalement absent des écrits des hommes». C’est une question qui revient souvent à la lecture de mes Je n’aurais pas pu, je ne pourrais pas être qui je suis, et je n’autextes. Les lecteurs sont persuadés que j’ai dû être battue, viorais sans doute pas écrit si je n’avais pas été et n’étais pas fémilée… ou avoir eu une vie de misère. Non, vraiment pas du niste. tout. AMV — Entre 1984 et 1988, c’est l’époque des rencontres avec d’autres écrivaines autour de La théorie, un dimanche, livre qui sera publié en 1988. Une période où on analyse l’écriture, les textes de femmes, leur rapport au vécu. AMV — Le troisième titre paru en 1984, Tension, marque le deuil du père. Est-ce que je me trompe si j’y décèle un conflit avec la figure masculine ? AMV — Comment alors expliquer cette tourmente intérieure à laquelle vous revenez continuellement dans la spirale dont nous avons parlé ? LC — Au plan biographique, j’ai eu des relations difficiles avec mon père. Il représentait l’autorité, mais c’était un homme illettré et très démuni qui s’expliquait le monde comme il pouvait. Avoir une fille qui voulait faire des études classiques, à qui il devait acheter de nombreux livres, était problématique LC — Cela vient peut-être en partie de l’influence du mensonge et du silence de mon milieu. Pendant treize ans, j’ai été élevée comme mes deux frères. Il semble que j’étais un garçon manqué, je jouais aux mêmes jeux et ne percevais pas la différence entre être une fille et être un garçon, jusqu’au jour… lettres québécoises • été 2010 • 7 A N N I E M O L I N VA S S E U R entrevue jusqu’à l’âge des menstruations. On m’a fait croire pendant toutes ces années que j’étais pleinement un être humain, et je découvrais soudainement toutes les restrictions réservées à mon sexe. AMV — Une découverte violente ? LC — Cela dépend de notre manière de percevoir cette conscience-là. Tout ce que j’ai mis dans mes livres est à la fois personnel et parle du destin de toute femme. Le discours ambiant nous emprisonne dans des rôles stéréotypés. Ce sont les mots qui nous marquent. AMV — Donc il va falloir s’occuper des mots ? (rires) LC — Questions de langage toujours! Sinon, pourquoi ai-je appris le latin et l’ancien français (je regrette de ne pas avoir appris le grec)? Sinon, pourquoi écrire? AMV — Comme une chienne à la mort (1987) a été pour moi un grand coup de cœur. Je l’ai perçu comme un livre sur la douleur de l’enfance, un livre où il n’y aurait aucune volonté rationnelle de dire, un livre où l’intuition créatrice coulait. LC — C’est magnifique qu’il soit vu ainsi ! C’est mon livre le plus lourd de souffrances et, en même temps, son écriture venait simplement. Il s’est écrit rapidement durant l’été, dans le jaillissement. J’étais incapable de l’abandonner. Il a été retravaillé, mais c’est comme si l’écriture avait ramassé tout ce qui l’avait précédé. C’était un souffle. Bien que j’aie essayé, j’ai été incapable de réécrire un tel recueil. Je me suis demandé dans quel univers j’étais au moment de cette écriture… AMV – En 1989 paraît en poésie Signature païenne. Le thème de la mémoire, qu’on y retrouve souvent, est particulièrement présent avec la figure de la grand-mère. Les poèmes éclatent dans l’espace. La nécessité formelle de «dire sans suffocation » ? LC — C’est un livre bien particulier. Depuis longtemps, je tournais autour de Laetitia Sigman, la grand-mère paternelle juive que je n’ai pas connue. Ma mère racontait que je l’aurais embrassée dans son cercueil vers l’âge de deux ou trois ans. Je possède seulement une photo d’elle dans son jardin. En fait, je l’ai inventée: une sensorielle, une grande vivante, une figure symbolique, emblématique de la force au féminin. Cette sorcière traverse les mémoires, elle traverse le temps et je l’emmène avec moi. Elle est cette figure positive que je me suis donnée pour dire: si une femme avait la possibilité d’être entièrement elle-même avec tout son savoir et ses capacités, on aurait cette figure de la grand-mère, cette signature païenne, cette liberté. AMV — Avec Asiles, en 1991, on part des murs pour arriver aux fenêtres, à l’ouverture. Peut-on dire que, chaque fois, on gagne un peu plus sur l’histoire pour rejoindre « l’être » ? LC — Oui, il y a toute la charge de ces murs qui sont remplis de livres, de toutes les écritures qui ont eu lieu avant nous, donc l’Histoire qui peut nous emprison- 8 • lettres québécoises • été 2010 LOUISE COTNOIR ner. Comment, dès lors, inscrire une parole, la mienne? J’étais à l’époque dans la lecture des œuvres de Sylvia Plath avec un intérêt particulier pour la notion d’asile, d’enfermement, de folie… Je cherchais un de ses titres, Asylum piece, dont je la pensais l’auteure. En fait, je ne savais pas encore qu’Anna Kavan en était la véritable auteure. Croyant alors que ce livre n’existait pas, je me suis dit que j’allais l’écrire. J’ai pris le mot « Asile » dans toutes ses acceptions. Je voulais cerner les asiles, à l’origine, comme des endroits de repos, ou des hospices qui recueillaient les malades, les plus démunis et les non-conformes de la société, tout en interrogeant le côté négatif de ces lieux d’enfermement. Mon questionnement visait à savoir où se situaient, dans notre vie, les véritables asiles. Est-ce que ce monde, cet univers, ce réel qui nous entourent représentent mon asile ? J’ai cherché à ouvrir ces endroits clos du côté de la lumière. AMV — On arrive à La déconvenue en 1993, mon deuxième grand coup de cœur. LC — Quand j’ai commencé à écrire La déconvenue, en 1992, j’étais à Paris pour six mois dans le studio du Québec. J’écrivais précisément un recueil de poésie qui allait devenir Dis-moi que j’imagine (publié en 1996). Et c’est parallèlement que j’ai commencé à rédi- entrevue A N N I E M O L I N VA S S E U R ger les nouvelles de La déconvenue, dans la brasserie Louis-Philippe voisine du studio. L’écriture de ce livre fut un pur plaisir. C’est un livre de fiction. Malgré tout, les personnages qu’on y trouve sont le miroir de vraies personnes. Le soir, je m’installais avec mes cahiers à la brasserie et j’observais. Par exemple, j’ai vraiment vu passer un homme qui portait des cornes mais, bien sûr, je l’ai transposé dans la fiction, par l’entremise du Minotaure et de la mythologie grecque. Dans l’écriture, je pars toujours de la réalité comme support de réflexion pour apporter une autre dimension, une autre vision. AMV — Ce n’est pas toujours « convenu » dans votre œuvre, ces états de grâce où l’écriture nous transporte vers des gestes, des odeurs, des présences si touchantes. Y a-t-il eu réconciliation de l’auteure avec le monde environnant et l’univers masculin ? LC — Je n’aime pas le mot «réconciliation», je préfère le mot « apaisement ». Oui, le regard s’est modifié par rapport à l’univers, par rapport aux hommes également. Je les vois eux-mêmes pris dans certains carcans. C’est peut-être la différence avec les écritures précédentes qui donnaient la priorité à la vision du féminin. Il y a dans ces nouvelles un accomplissement de la figure féminine qui fait en sorte qu’elle peut accueillir l’autre. Elle est moins en lutte, d’où cette notion de calme, presque de joie sereine que l’on perçoit chez tous les personnages féminins du recueil. J’ai toujours eu cette perspective d’écrire l’ouverture, cette façon d’être délestée d’un univers où les femmes ont si peu de place. Dans ce livre, elles (s’)inscrivent et comprennent leur relation au monde. AMV — Une question sur Des nuits qui créent le déluge paru en 1994: le mot « âme » y apparaît, peut-on parler de spiritualité ? LC — C’est aller trop loin pour moi! L’ontologie m’intéresse davantage en ce qu’elle a trait fondamentalement à l’être humain. Je parlerais plutôt d’intelligences sensibles qui se rencontrent dans leur ressemblance et leur différence. AMV — Dis-moi que j’imagine, paru en 1996, est entre autres un livre sur la musique. On y trouve une poésie écrite en forme musicale, avec de petites touches impressionnistes chantantes. LC — C’est une entreprise formelle. Une certaine contrainte avec laquelle je jouais. J’ai écouté différents Stabat mater dont celui, incontournable, de Pergolèse. J’étais totalement enthousiasmée par ces vingt tercets qui les constituent tous. Dans les voix des mères, il y a les réminiscences de l’opéra. J’entends ces voix qui se cassent. Être à l’étranger m’aide à écrire autrement. Nous sommes en alarme parce que nous sommes une société en danger et je l’ai particulièrement senti à New York. Ce n’était pas une menace personnelle, j’étais bien dans cette ville, mais cet univers si plein d’énergie et d’effervescence semblent contenir sa propre destruction. Elles traduisent des personnages excessifs de femmes qui meurent dans ces tragédies-là. Je suis entrée dans les Stabat mater pour dire à la mère: «Ne laisse plus mourir tes enfants.» Avec la référence aux «Nocturnes», j’ai voulu l’espace de la nuit propice à l’intimité. C’est léger, c’est fragile. AMV — Nous sommes en alarme paraît en 2000. Peut-on résumer ce livre par la citation de Clarice Lispector : « Se perdre est une façon dangereuse de se trouver » ? LC — Il a été écrit en même temps que le Carnet américain quand j’habitais le studio du Québec à New York, en 1995. Être à l’étranger m’aide à écrire autrement. Nous sommes en alarme parce que nous sommes une société en danger et je l’ai particulièrement senti à New York. Ce n’était pas une menace personnelle, j’étais bien dans cette ville, mais cet univers si plein d’énergie et d’effervescence semble contenir sa propre destruction. Chaotique, cruel et désorganisé, ce lieu est aussi très bouleversant et très stimulant au plan de l’écriture. Me sont venues en même temps des ébauches du Carnet américain. Tous les personnages d’hommes qu’il met en jeu, à l’exception du dernier, sont, pour la plupart, des natifs américains avec des racines parentales provenant d’autres pays. C’est une quête des origines. Peut-on, avec cette autre part de soi, se choisir et devenir entièrement américain? C’est leur rêve. C’est le rêve américain que j’interroge. AMV — Les îles (en 2005) nous parlent d’un retour à l’enfance, avec cette figure des « haussières ». Vers des terres non encore immergées ? LC — C’est pour moi un livre de maturité, au sens où je n’avais pas vraiment encore abordé cette période de l’enfance, de l’adolescence et de l’apprentissage. Retour à mes origines. Les îles nommées appartiennent à l’archipel de Sorel où j’ai grandi. Il y a toujours eu de l’eau dans ma vie, dans mes textes. Un ancrage résurgent. AMV — Le cahier des villes est sorti en 2009. Dans ce recueil de nouvelles, qui clôt la trilogie, les références à la culture sont nombreuses. LC — À la suite des deux premiers tomes, je suis allée chercher dans mes «cahiers» ce que j’avais écrit durant des voyages antérieurs. Je voulais que, dans ce dernier volet de La trilogie des villes, se rejoue la même approche structurale que dans les précédents. Volontairement, les personnages masculins et féminins qui y figurent ont partie liée avec diverses expressions artistiques. C’est l’occasion d’interroger des métiers liés aux arts, d’y articuler diverses interrogations qu’ils posent. AMV — Quel serait le bilan de ce trajet d’écriture, de présence littéraire, de vie ? LC — C’est une aventure fabuleuse que j’ai vécue comme un rêve avec des voyages, des rencontres stimulantes dans un entourage riche intellectuellement, et à une époque qui s’y prêtait. Finalement, peut-être que mon écriture m’aura servi à trouver un calme intérieur, une certaine sérénité, à créer la personne que je suis. lettres québécoises • été 2010 • 9 profil CHRISTIANE LAHAIE LES NOUVELLES DE LOUISE COTNOIR : une esthétique de la déambulation ouise Cotnoir manie les mots avec une rare efficacité. Sa poésie libre de toute entrave, parfois dure, voire cruelle, trahit le regard impitoyable qu’elle pose sur les êtres et les choses. Mais ce regard n’est pas pour autant dépourvu de générosité et de tendresse, de sorte que les personnages de son univers nouvellier s’avèrent éminemment humains tant ils savent se montrer forts ou se révéler faibles. Ces hommes et ces femmes semblent tous prisonniers d’une quête — identité, amour, reconnaissance, paix — qui aboutit rarement. Telle une carte postale au style elliptique qui laisse deviner plus qu’elle ne dit, la nouvelle chez Louise Cotnoir a tout de la déambulation réflexive, comme en témoigne sa Trilogie des villes. L Occuper l’espace et prendre la mesure du temps, tout en espérant n’être jamais dépossédé de l’un ou de l’autre, constitue le dilemme des protagonistes de Cotnoir, lesquels restent écartelés entre les lieux familiers ou étrangers qu’ils arpentent et ceux, fuyants et souvent idéalisés, de leurs souvenirs. Il en va ainsi de La déconvenue1, premier recueil de nouvelles de Cotnoir, où des femmes évoluent dans des lieux parisiens: terrasses, cafés, gares. Toujours, une étrangère solitaire observe ses semblables et tente de décrypter leurs secrets, quitte à leur inventer un passé, un présent, un avenir. Toujours, un espacetemps autre hante les êtres qu’elle scrute. La banalité du quotidien côtoie la beauté fulgurante du mythe, et les douleurs d’antan ne manquent pas de refaire surface. Dans «Les cahiers maudits», par exemple, une femme attablée dans un hôtel parisien écrit. Insatisfaite, elle arrache à mesure les pages qu’elle écrit, puis les déchire après les avoir lues une dernière fois. Et elle recommence. La narratrice, en train de l’épier, croit voir en elle une juive rescapée des camps de la mort qui tenterait d’exorciser ses démons au moyen des mots. Toutefois, «Dans le corridor» représente encore mieux le travail nouvellier de Cotnoir: une femme en proie à de sombres pensées sort d’une chambre pour aller se poster à la fenêtre, au bout d’un corridor. Son regard croise celui d’un peintre, installé dans l’immeuble d’en face. Pendant un moment, tous deux semblent s’inspirer mutuellement : la femme écrit, l’homme fait un croquis. Bientôt, la femme s’en va, laissant le peintre à ses pinceaux et à sa solitude. Tels des fantômes qui marchent à côté de leur vie, les personnages de La déconvenue progressent, à la recherche d’eux-mêmes, en espérant que l’art, l’écriture, les sauvent. Alors que le premier recueil de la Trilogie des villes donne préséance au regard féminin, le deuxième, Carnet américain2, épouse le point de vue de protagonistes masculins. Situé cette fois à New York, haut lieu du melting-pot américain, il aborde lui aussi «la douleur humaine, [le] déracinement, […] l’errance, […] 10 • lettres québécoises • été 2010 Toujours, une étrangère solitaire observe ses semblables et tente de décrypter leurs secrets […] la perte3 ». Des hommes d’origines diverses essaient tant bien que mal de vivre au jour le jour, tout en tenant à distance le souvenir de la terre natale. Autour d’eux, la mégalopole étale ses nombreux quartiers, les zones franches comme les secteurs à éviter. Dans «Le croyant», on s’aventure sur le terrain de chasse d’un vétéran du Viêtnam pris de folie meurtrière et qui, tel un justicier des temps modernes, entend nettoyer la ville de tout ce qui l’encombre, à commencer par ses sans-abri. «Archives» met également en scène un personnage troublé, un photographe japonais qui se suicide en s’immolant, recouvert de ses œuvres telles des bandelettes mortuaires. Quant à la nouvelle éponyme, elle relate la promenade d’un Américain qui comprend peu à peu à quel point il est demeuré étranger à sa propre ville. Si les personnages de La déconvenue occupent le territoire de manière statique, ceux de Carnet américain privilégient l’errance, physique ou psychologique. Cela va de pair avec le statut particulier des protagonistes, tous aux prises avec l’exil vécu par eux ou leur famille, et supportant le poids du passé. Bref, en narrant la quête incessante de ces êtres mal incarnés, Cotnoir « parvient à fixer la fugacité des souvenirs de ses personnages vivant sous la chape de plomb de l’histoire, des origines et de la mémoire culturelle 4 ». Troisième volet de la trilogie nouvellière de Cotnoir, Le cahier des villes boucle la boucle en quelque sorte, car il entremêle les points de vue d’hommes et de femmes qui visitent, eux aussi, des cités familières ou étrangères. À l’image du protagoniste du texte d’ouverture, ils le font dans le but de s’inscrire à même la trame du monde. Encore une fois, l’espace ne saurait se dissocier du temps car, chaque mois, une ville se voit prise d’assaut par divers personnages. En août, un père et sa fille adoptive se promènent dans Amsterdam ; en novembre, une touriste suit la trace de sa grand-mère en marchant dans Berlin. Le recueil se déroule de juin à mai; Copenhague, Dachau, Limoges, Londres, Paris, Venise, Vienne et Tolède, notamment, deviennent des lieux de passage où des individus perdent ou retrouvent des bribes de leur vérité. Enfin, la nouvelle clausule réunit l’Amérique et l’Europe, alors que Charles et Emma, chacun sur son continent, cherchent à conférer à leur cité un peu de chaleur humaine. La Trilogie des villes est maintenant complète, avec ses paysages urbains truffés d’intrigues à la fois minimalistes et denses, avec son cortège d’âmes esseulées et de destins tordus. On pourrait n’y déceler que pessimisme et désolation. Il n’en est rien pourtant car, au terme de ce périple, il faut reconnaître que les nouvelles de Louise Cotnoir composent, comme autant de cartes postales rédigées d’une main fébrile, une séduisante invitation au voyage: un voyage intérieur, aux confins de la conscience «imaginante», de la mémoire affabulatrice… et des mots pour les dire toutes deux. 1. Québec, L’instant même, 1993. 2. Québec, L’instant même, 2003. 3. Lord, Michel, « Des nouvelles qui brillent d’un sombre éclat », Lettres québécoises, no 112, hiver 2003, p. 32. 4. Saget, Florence, «Carnet américain. Méandres de la métropole», Voir, vol. 17, no 34, 28 août 2003, p. 22. profil CLAUDINE POTVIN L’invention de l’écriture Le parcours poétique de Louise Cotnoir passe par un travail acharné sur le mot, la phrase, la voix. L’auteure inscrit la résistance dans l’image au fur et à mesure que le sens déboule sur les lèvres de celle qui écrit et de celles qui parlent. folles. […] À la fin, ne plus contenir la rage. Apprendre à défaire les fictions» (p. 58). La poésie déplace la fiction, repense le viol, la violence, la torture, le meurtre, la page déchirée, le discours abject des corps tus trop tôt: «Atteinte de glossite. Ça draine le désir. Ça conforte. Ça soutient le rituel et ça écrit: corps de femme. » (p. 90) « J ’ É C R I S , C ’ E S T U N T R AVA I L D É M E N T » Comme une chienne à la mort (1987) place la femme dans le contexte de la mort. Suite de poèmes en prose, ce recueil d’une force remarquable aborde les voix du féminin qui tendent à plonger dans le vide et le silence de l’histoire, ce qu’on nomme également la «vacuité du monde». Le geste inscrit la douleur de vivre de la mort, de composer avec la mort: Louise Cotnoir a publié une quinzaine de livres (du théâtre, des nouvelles, des essais théoriques, mais surtout de la poésie). De Plusieures (1984) à Les îles (2005), elle explore dans ses recueils la langue, le féminin, la violence, la sensualité, le corps, l’art. Sa démarche poétique se caractérise par l’invention de sa propre syntaxe, la rupture de la phrase, et conséquemment par la création de sa propre logique sémantique. Cotnoir privilégie les tournures elliptiques, créant une prose au rythme dansant, pleine de détours stylistiques. Des phrases nominales et verbales, parfois extrêmement brèves et sèches, hachures, cris, évoquent la douleur des mots. Le savoir du monde se donne dans la souffrance de la guerre, les désastres, les tueries, les fusillades, les mutilations, les exterminations, les massacres. Au delà de ce savoir et de la souffrance, «[e]lle craint de devenir à son tour un document humain, une chronique» (p. 91). Un moindre mal quand l’histoire s’affiche dans le registre des morts, quand «[l]es livres ne lui apprennent rien qu’elle ne sache déjà » (p. 55), quand l’art se travestit en musée des horreurs. Sur la page se couche l’abject et, paradoxalement, l’auteure installe une force, un courage, une tendresse unique. Le lecteur ressort donc de cette lassitude avec malgré tout un désir d’«entrer en amour» (p. 94). A U C O M M E N C E M E N T, U N E F E M M E JE NOMME, JE SIGNE Premier recueil, Plusieures (1984) se donne à travers le motif de l’escalier et de la peur de tomber. Le premier livre rappelle la famille, l’enfance, la domesticité, la femme, et déjà le désir de l’écriture. Effacer le sang pour que surgissent la tache, l’odeur et l’écriture: «Une femme crue morte fait respirer l’écriture. Saccadant le rythme, débridant les virgules: elle souffle dans le texte» (p. 46) pour ne pas se souvenir, pour qu’« une femme existe », pour se « soustraire à la transaction, la faculté d’être une marchandise » (p. 48). Louise Cotnoir reprendra la séduction du sujet écrivant et de la lettre dans Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms (1984). Ici, le mode épistolaire permet de repenser l’échange, la rencontre, la conversation. C’est entre les mots et les lignes que la narratrice manipule la feuille, l’encre, l’enveloppe, à la recherche de la boîte aux lettres et d’une adresse inconnue, et qu’elle cherche à lier connaissance. Encore une fois, le rendez-vous avec l’autre étreint le féminin: «Certains jours, être un sujet féminin me tue au pied de la lettre.» (p. 37) Dans ce cadre, le prénom ou la signature déplacent l’histoire et la grammaire: «J’écris amoure au féminin singulier: / on dit encore que je fais une erreur.» (p. 94) La mort, le tragique logent encore au cœur des recueils qui suivent (Signature païenne [1989], Asiles [1991], Des nuits qui créent le déluge [1994]). Or, c’est dans la végétation (jardin, fleurs, vivaces, épices) et la géographie ou le territoire que l’histoire du féminin s’invente et que l’auteure signe. Dans Signature païenne, «[e]lle écrit: femme, un nom déposé» (p. 65). Le je perce donc parfois et la signature se double dans le voyage, les villes comme lieux de résistance et la contemplation esthétique (dessins, tableaux, galeries). L’image devient vocable, lèvres, langues, et les allusions au corps (cuisses, seins, sang) et occasionnellement à la toile (Miró) font que «[l]a nuit tamise l’âge / Et le désespoir des femmes» (Des nuits qui créent le déluge, p. 97). L’audace des mains (1987) apostrophe le nom de la FEMME à la suite d’un ELLE qui n’en finit plus d’envahir le texte. Démentes, les femmes «se noient, s’étranglent, se poignardent en fondu enchaîné. […] Formes épouvantées, décharnées, Marquée au front, une douleur qu’elle nomme simplement femme. Lamento. Oui. Lamentation. La forme lui convient. Parfaitement adhérente à sa frayeur. Car regarder en face l’état du monde, répète-t-elle à qui veut l’entendre, m’est insupportable. Au-delà de ce savoir tragique dans la chair, cette souffrance m’est intolérable. Il arrive que sa gorge se noue et plus rien ne sort ou cela vient en vomissures. (p. 13) PROMENADES AU PHARE : LA LANGUE, LA VILLE ET LE MUSÉE La forme du poème en prose domine dans la majorité des premiers recueils de Louise Cotnoir. Néanmoins, dans les trois derniers (Dis-moi que j’imagine [1996]; Nous sommes en alarme [2000]; Les îles [2005]), elle utilise à la fois la prose et le vers libre. Il faut y voir une écriture renouvelée, moins fortement ancrée dans la thématique antérieure, quoique la référence persiste, mais plutôt dans une recherche théorique (théorie / fiction) condensée dans une érudition présente depuis le début et nettement accentuée. Si les motifs du tableau, de la géométrie, de l’ailleurs (les îles, les cités étrangères, les musées, etc.) reprennent les compositions antécédentes, ils servent d’affirmation, de passage. La répétition de l’image permet la transition du pronom elle, constant dans les débuts, au tu de Dis-moi que j’imagine et au nous de Nous sommes en alarme. Le «[t]u parles toutes les langues» de Dis-moi (p. 13) fait écho aux «[l]angues de feu en quête d’éblouissement» de Nous sommes (p. 65). La répétition se situe hors de la reproduction, hors de la copie. Au contraire, répéter, reprendre, redire, revenir sur le propos lettres québécoises • été 2010 • 11 CLAUDINE POTVIN profil inscrivent et positionnent le sujet écrivant dans le langage et la conscience du moi. En ce sens, écrire «nous ne nous habituons pas», «nous nous abandonnons», «nous envisageons», «nous existons», «nous sommes en alarme», «nous résistons», renforce la voix poétique et collectivise les je, tu, elle. Dans son dernier recueil, Les îles (2005), Louise Cotnoir explore la réalité insulaire. S’approchant de l’océan, de la grève, du navire, la narratrice nomme l’île qui l’habite, se nomme à partir de l’île et plonge dans le corps de l’archipel aux noms multiples: «Les lèvres des femmes impuissantes / À maudire / Baisent leur rondeur / Par-dessus l’écho-océan.» (p. 26) Chambre 503 Hélène Harbec FINALISTE PRIX DES LECTEURS RADIO-CANADA 2010 récit Lire Louise Cotnoir pour le plaisir des mots. Chacun de ses recueils est comme un épisode qui nous permet d’apprécier chaque fois un peu plus la langue de l’auteure. La poésie de Louise Cotnoir révèle une extrême conscience de l’être et une écriture fluide, vagabonde, fragile, intelligente. Lire Louise Cotnoir, c’est partir en voyage. Toutes les destinations nous ramènent à la séduction de l’origine. BIBLIOGRAPHIE POÉSIE Les îles (nomination au Prix du Gouverneur général du Canada 2006), Montréal, Le Noroît, 2005. Nous sommes en alarme, Montréal, Le Noroît, 2000. Dis-moi que j’imagine (nomination au prix de poésie Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec 1997 et au Prix de poésie du Gouverneur général du Canada 1996), Montréal, Le Noroît, 1996. Des nuits qui créent le déluge, Montréal, l’Hexagone, coll. «Poésie», 1994. Asiles, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1991. Signature païenne, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1989. Comme une chienne à la mort, Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1987. L’audace des mains, avec six dessins de Célyne Fortin, Montréal, Le Noroît, 1987. Tension, Montréal, NBJ, 1984. (épuisé) Les rendez-vous par correspondance suivi de Les prénoms (deuxième prix au prix AlfredDesrochers 1984 et mise en nomination au prix Émile-Nelligan 1984), Montréal, Remue-ménage, coll. «Connivences», 1984. Plusieures, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Les rivières», 1984. NOUVELLES Trilogie des villes: Le cahier des villes, Québec, L’instant même, 2009. Carnet américain (mention spéciale du jury au prix Adrienne-Choquette 2004 et 2e prix au prix Alfred-Desrochers 2003), Québec, L’instant même, 2003. La déconvenue (mention spéciale du jury du Grand Prix de la nouvelle, Salon du livre du Mans (France), et mise en nomination au prix Desjardins de la nouvelle 1994), Québec, L’instant même, 1993. ESSAI «des rêves pour cervelles humaines» (essai), dans La théorie, un dimanche, (avec Louky Bersianik, Nicole Brossard, Louise Dupré, Gail Scott et France Théoret), Montréal, Remue-ménage, coll. «Itinéraires féministes», 1988. THÉÂTRE Si cendrillon pouvait mourir! (le show des femmes de Thetford-Mines, collectif), (deuxième prix au prix Alfred-Desrochers 1984), Montréal, Remue-ménage, coll. «Théâtre», no 5, 1980. LIVRES D’ARTISTE «À la dérive» (poèmes), dans De la mer au fleuve, conception visuelle et réalisation de la couverture de Josée Roberge, toiles découpées et calligraphie sur toile de Ginette Trépanier, SainteMélanie, Création Bell’arte, Champs Vallons, édition tirée à 7 exemplaires, couverture papier népalais, œuvres visuelles sur toile, aquarelle, encre de Chine, peinture à l’huile, 2005, n.p. «Il y a des nuages», accompagnant une photo de Stéphane Lemire, dans Lumières de saisons, sous la direction et avec des photos d’Arlette Vittecoq et de Stéphane Lemire, Sherbrooke, Arlette Vittecoq éditrice, 1998. Théorie (livre-objet, poésie), conception artistique et réalisation Azélie, Zee Artand, Montréal, Éditions-Zélastiques, 1983, n.p. 12 • lettres québécoises • été 2010 312 p. / 22,95 $ «Écriture délicate, épurée et vibrante de lumière. Le style, en apparence léger et presque buissonnier est trompeur. Le propos, lui, ne l’est pas. Tout est à l’intérieur. […] La quatrième œuvre de fiction de l’auteure est un cri d’amour qui laisse sans voix. » Suzanne Giguère, Le Devoir Chacal, mon frère Gracia Couturier NOUVEAUTÉ roman 270 p. / 22,95 $ Deux frères que tout oppose endurent tant bien que mal l’existence de l’autre. La succession du père, qui a fondé une scierie prospère, vient cristalliser leur rivalité. Incapable de prendre la relève, l’aîné camoufle sa jalousie dans une fébrile activité poétique, où la puissance des mots esquisse toutefois des plans meurtriers. EDITIONSDAVID.CO M lettres québécoises • été 2010 • 13 JEAN-FRANÇOIS CARON Du conte au slam dossier D O S S I E R D E L’ O R A L I T É Du conte au slam, les mots qu’on se dit À une époque où l’identité se vit comme une crise pour une nation qui plonge ses racines dans le terreau riche d’une tradition orale, une redécouverte de l’oralité était sans doute tout indiquée. Au détour du siècle, nous avons assisté à ce que plusieurs ont appelé « un renouveau du conte », entre autres porté par un petit gars de la Mauricie, belle surprise issue du village de Saint-Élie-de-Caxton, un certain Fred Pellerin. Mais n’est-ce pas toute l’oralité qui a repris l’avantscène ? Un phénomène qui dépasse nos frontières, certes, mais qui prend ses teintes propres au Québec. Entre le renouveau du conte et les résistantes soirées de poésie, l’avènement du slam et les pratiques hybrides, l’oralité interpelle un public de plus en plus grand. LA PETITE HISTOIRE DU CONTE Dès les premiers balbutiements de l’Amérique française, le conte a fait partie des mœurs populaires, tradition perpétuée depuis le Vieux Continent. En Nouvelle-France, le conte n’était alors pas un simple divertissement, mais une expression de la sagesse populaire. Longtemps le seul vecteur de transmission des savoirs, il a tout abordé, de la morale jusqu’à l’art, en passant par la philosophie. Prise de parole, il a aussi été le seuil de la contestation des pouvoirs politiques ou religieux. blés en différentes institutions, dont l’Université Laval2. Fondées en 1944 par Luc Lacourcière, qui a d’abord travaillé de concert avec Marius Barbeau et FélixAntoine Savard, les Archives de folklore et d’ethnologie élargiront leur champ d’intérêt au delà de la littérature orale pour s’intéresser aussi à la chanson, aux coutumes et à la culture populaire. Dans les années 1970, les Archives profiteront d’une vague nationaliste qui leur amènera de nouveaux collaborateurs, multipliant les travaux de recherche touchant l’ethnologie, l’histoire, l’anthropologie, la linguistique et le folklore. Aujourd’hui, les Archives de folklore et d’ethnologie regroupent 1500 fonds et collections privées, ce qui représente 150 mètres linéaires de documents manuscrits et imprimés, plusieurs centaines de volumes, 10000 heures d’enregistrements sonores, 15 000 photographies et diapositives ainsi qu’une collection de 50000 objets représentant notre patrimoine religieux. LE RENOUVEAU DU CONTE C’est donc au cours des années 1970, à l’époque de cette grande quête identitaire qui allait mener à l’élection du Parti québécois et au premier référendum sur la souveraineté, qu’on a vu renaître un certain intérêt pour le conte oral. Dans ce mouvement de retour aux racines, quelques jeunes ont repris goût à la tradition. Ils s’appelaient Michel Faubert, Alain Lamontagne, Jocelyn Bérubé… On ne peut toutefois pas encore parler de renouveau du conte. En Europe, le phénomène est déjà véritablement entamé C’était avant que l’écriture ne s’arroge tous les droits, dans les années 1980. Le Québec en aura d’ailleurs un trouvant dans sa démocratisation les assises d’un trône aperçu avec le Festival Les Haut-Parleurs, qui se tiendra au d’où elle n’a jamais voulu redescendre depuis, toujours Musée des civilisations à Québec, en 1985. Pour Mariebr il lante au sommet de son règ ne. S elon le MARIE-FLEURETTE BEAUDOIN Fleurette Beaudoin, directrice de la maison d’édition Regroupement du conte au Québec1, ce serait l’exode rural, coïncidant avec l’ère de l’industrialisation du XIXe siècle, qui aurait poussé Planète rebelle, la création de ce festival aura eu une forte incidence sur les le conte oral vers son déclin. Alors cristallisée comme une relique du temps décennies à venir: «Ils ont fait venir des conteurs qui eux étaient justement en passé, la tradition aurait peu à peu perdu sa voix au profit de celles plus jeunes du train de vivre un renouveau de la littérature orale. Ç’a impressionné beaucoup. théâtre, du cinéma, de la radio et de la télévision. Le conte aurait ensuite été Les conteurs actuels viennent de différentes disciplines artistiques comme le considéré au mieux comme une curiosité, voire une pratique révolue, à mesure théâtre et l’écriture. Ils ont eu envie eux aussi de monter sur scène pour raconter que les conteurs disparaissaient, emportant avec eux leur mémoire. des histoires.» Malgré cette étincelle, le feu prendra son temps avant de briller. Il faudra encore plus d’une dizaine d’années pour que nous puissions trouver chez L E G R A N D C O L L E C TA G E nous un véritable engouement pour le conte. Ironiquement, c’est en partie l’écriture qui aura sauvé notre culture orale. Déjà au XIXe siècle, les Louis Fréchette et Honoré Beaugrand avaient reconnu l’importance de garder des traces du patrimoine oral québécois. Par la suite, au XXe siècle, le collectage effectué par certains écrivains et ethnologues a permis d’accumuler un nombre impressionnant de documents (écrits ou sonores) aujourd’hui rassem- 14 • lettres québécoises • été 2010 À la fin des années 1990, on voit s’organiser des veillées de contes en contexte urbain, un phénomène qui se déploie dans quelques bars et dans des lieux improvisés de la capitale (on pense au travail de Bernard Grondin) et de la métropole québécoises (dont les Dimanches du conte, une initiative d’André Lemelin et Jean-Marc Massie, qui ont vu le jour en 1998 à la microbrasserie du JEAN-FRANÇOIS CARON les mots qu’on se dit dossier Sergent recruteur3). Lemelin se souvient: «Il s’est passé deux choses. D’abord, il s’est créé une communauté de conteurs, ce qui n’existait pas avant. Il y avait jusque-là des individus qui faisaient du conte de façon isolée et qui se retrouvaient ensemble ponctuellement, mais il n’y avait pas de communauté. Ensuite, il y a eu une communauté parmi le public. Des gens qui venaient voir et entendre des conteurs, qui se reconnaissaient, qui avaient un esprit d’appartenance. Pas une foule anonyme. Et surtout, ces deux communautés-là étaient intimement liées.» Puis, avec le temps, le public et les artistes du conte se sont multipliés et dispersés, charriant dans leurs bagages des univers éclatés, propres à leur personnalité, riches et diversifiés. De bouche à oreille, comme il se doit, cette pratique s’est propagée un peu partout au Québec, donnant naissance à de nombreux événements et festivals, avec des répercussions qu’on n’aurait alors pas pu imaginer. « À Saint-Élie, explique Fred Pellerin, on avait le café La Pierre Angulaire qui programmait du conte de temps en temps. C’est là que j’ai découvert les Michel Faubert, Alain Lamontagne et Jocelyn Bérubé. Bientôt, j’ai eu vent des soirées du Sergent recruteur à Montréal. Assez de vent pour m’y rendre! Et pour me rendre compte qu’il y en avait, de mon âge, à tâter du jasage comme moi.» Le premier conteur-vedette du grand public et des médias québécois s’en venait changer les choses. ANDRÉ LEMELIN Québec4 ». Prisant lui-même les contes tragiques, il s’est inquiété de voir inoculer « le virus de l’humour » au genre… Ou encore à André Lemelin qui, s’il reconnaît que le jeune conteur de la Mauricie est un prodige et lui accorde même d’apporter du renouveau au sein de la pratique du conte («sa manière de jouer dans la forme du conte, ce n’est que du positif qu’il est en train d’apporter au conte de tradition orale; il le pousse intelligemment, le développe, c’est un très beau modèle», révélera-t-il en entrevue), s’inquiète plus largement d’une propension très répandue à la théâtralisation et à la spectacularisation chez les néoconteurs, ce qui selon lui atrophierait le conte de l’extérieur et de l’intérieur. Christian-Marie Pons, professeur titulaire et chercheur en comDepuis le début de ce phénomène qu’on a munications à l’Université de Sherbrooke, comprend ces préoccuappelé le «renouveau du conte», il est vrai que la JEAN-MARC MASSIE pations qui ne sont pas circonscrites à nos frontières: «De récents situation a beaucoup évolué. Devant l’explosion voyages en France m’ont permis de confirmer, d’une part, la très forte propension du nombre d’activités liées au conte, le milieu a senti le besoin de se donner une du spectacle de contes à se théâtraliser; mais d’autre part, et surtout — d’où l’instructure pour promouvoir les spécificités de son art. Déjà en 2001, les particiquiétude —, le fait que cette propension s’impose de plus en plus comme règle pants à une table de concertation sectorielle portant sur le conte avaient signifié dominante avec, en corollaire, le renvoi du “bon vieux conte” (un conteur, une leur désir de s’organiser. C’est en août 2003 que sera enfin incorporé le chaise, une parole) comme figure indigente5.» Regroupement du conte du Québec, qui rassemble aujourd’hui 82 membres réguliers. Même la pratique de certains artistes qui se réclament de tradition contée, attirés dans le milieu par le nouveau souffle de l’oralité, serait souvent à mille lieues En 2004, le Conseil des arts et des lettres du Québec reconnaissait officiellement du conte oral traditionnel. Pour bien comprendre les enjeux de cette réflexion, il le statut du conteur qui, depuis quelques années, se médiatise, mais surtout, se faut savoir que, pour les puristes, le conte oral n’est absolument pas l’équivalent professionnalise: le conteur profite de circuits de diffusion plus ou moins dédiés du conte littéraire. Certains conteurs optent même pour le choix d’un nouveau à son art, exige une rémunération. Son travail de recherche et de création n’est concept pour remplacer celui de littérature lorsqu’ils parlent du conte oral : plus accessoire, et il ne se produit plus anonymement, comme le survenant qui l’«orature», qui permet d’effacer le disgracieux oxymore que représente l’idée jadis colportait des histoires d’un village à l’autre pour profiter de l’âtre des même de «littérature orale». hôtes qui acceptaient de l’accueillir. Selon André Lemelin, qui vit aujourd’hui des revenus qu’il tire de ses activités liées au conte, cette professionnalisation n’est pas sans risque. «Il y a toujours deux côtés à une médaille. Évidemment, quand tu ne fais que ça, tu en es dépendant. Ça peut devenir problématique au niveau éthique. C’est ton revenu, tu dois payer ton loyer, alors il y a des contrats que tu ne ferais pas dans une situation idéale et que tu te vois obligé de faire. C’est le côté pervers de la chose.» EN MANQUE DE DÉFINITION L’extraordinaire popularité et la couverture par les médias qu’a connues le travail de Fred Pellerin ont suscité quelques inquiétudes dans le milieu des conteurs. Sans jamais remettre en question le talent de l’irréductible Caxtonien, on s’est interrogé quant à la perception que le public pourrait entretenir vis-à-vis du conte après un tel raz-de-marée. Qu’on pense à Michel Faubert, qui a déjà attaché à Pellerin la glorieuse étiquette d’« instigateur de la renaissance du conte au Même si le mot «orature» ne jouit toujours pas d’une acception dans nos dictionnaires, plusieurs auteurs spécialisés ont d’ores et déjà adopté ce terme. Selon Bertrand Bergeron, ethnologue et conteur, il caractérise «l’ensemble du patrimoine qui se transmet de bouche à oreille sans recours à l’écrit6 ». Tel qu’il la conçoit, l’«orature» «constitue un champ conceptuel distinct de la littérature. Sa composition, immédiate ou différée, recourt exclusivement à l’engrammation mémorielle. Sa performance implique nécessairement une interaction avec un milieu. Son mode de transmission enfin est spécifique: l’orature se constitue dans la variation7.» Le conte n’est donc pas figé, ni dans la mémoire du conteur ni sur le papier. Celui qui conte travaille à partir d’un canevas, ici décrit par Lemelin comme «un plan mental détaillé, qui a été répété de nombreuses fois. On n’est donc pas en improvisation, on répète la même histoire, mais de façon plus ou moins différente. Il reste des ouvertures qui vont tirer leur intérêt de la relation qu’on lettres québécoises • été 2010 • 15 JEAN-FRANÇOIS CARON Du conte au slam dossier mettant à l’écrit et à l’oral de se répondre, et donnant entre autres à entendre la parole des conteurs (Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Renée Robitaille, etc.). C’est d’ailleurs cette maison d’édition, qui a publié, depuis 2001, trois livres CD qui proposent différentes «versions» des contes de Pellerin, qui semble réussir à séduire autant de lecteurs que de spectateurs — ce qui n’est pas peu dire. «Pour certains titres, explique le conteur, on aura vendu plus de livres que de billets; pour d’autres, l’inverse. D’après moi, au bout de la grille, on doit balancer sur les deux colonnes. Sont-ce les mêmes mondes? Je sais pas, mais ça doit pas être loin. Je sais que des gens achètent mes livres après avoir vu le show, pour s’en rapporter un bout à la maison.» Difficile d’isoler, toutefois, entre le livre et le CD, celui qui convainc le «lecteur» d’acheter. M I C H E L FA U B E R T créera avec l’autre, avec l’auditoire». C’est un long apprentissage, avouera celui dont l’expérience s’est établie sur des centaines de veillées de contes: «Au début, moi aussi j’ai appris des textes par cœur et j’avais l’impression d’être un conteur. Avec le temps, j’ai appris que ce n’est pas le contenu qui définit le conte, mais sa forme, la manière de le raconter.» Ainsi, tout spectacle de conte soumis au joug d’une scène — qui impose par A L A I N L A M O N TA G N E exemple une durée, un ordre, des artifices ou des accessoires — s’éloignerait du conte et de l’« orature » pour se situer plutôt du côté du théâtre et de la littérature. De la même façon, celui qui apprend par cœur un texte et le récite, même s’il s’agit d’un conte reconnu, et même s’il le fait avec les moyens les plus dépouillés, est plutôt interprète que conteur. Car si, comme le précise Bergeron, l’« orature » se constitue dans la variation, on ne peut conter deux fois de la même façon. Et Pellerin dans tout ça? Il ne s’enfarge pas dans les fleurs des définitions, on s’en doutait: «J’utilise l’humour, c’est venu naturellement et ça a fini par me coller. La spectacularisation, ça y est aussi, encore que je ne crois pas être le conteur le plus spectacularisé. J’en pense quoi? En fait, je me questionne aussi. Pour moi, le but de l’affaire, ça reste de passer une histoire. En ce sens, je me dis que je suis un conteur. Et puis des conteurs, il y en a de toutes sortes, de tous les styles. C’est ce qui rend l’expérience d’assister à une soirée de contes intéressante, à mon avis. Il existe des conteurs qui travaillent au texte, des conteurs qui se déguisent, des conteurs qui font peur, des conteurs, des conteuses… Alors un conteur qui fait rire. Je sais pas trop… Il faudrait peut-être se pencher sur la définition du mot, puis on verrait qui tient encore dans le mot.» L’ È R E D E L’ O R A L I T É Lorsque les rideaux se sont ouverts sur les années 2000, est-ce véritablement à un renouveau du conte que nous avons assisté? Car il n’est pas le seul genre à avoir profité d’un nouvel élan. C’est tout le spectre de l’oralité qui a trouvé un nouveau souffle au détour du siècle. On l’a vu récemment avec l’évolution du marché du livre audio8, facilité entre autres par les développements récents des nouvelles technologies d’enregistrement et de diffusion. On a aussi vu naître une maison d’édition toute particulière, qui ne fait ni vraiment dans le livre, ni plus dans le livre audio. Planète rebelle, fondée en 1997 par André Lemelin et acquise en 2002 par Marie-Fleurette Beaudoin, propose en effet un produit hors norme, sorte d’hybride entre le livre et l’audiolivre, per- 16 • lettres québécoises • été 2010 Si Planète rebelle s’intéresse au conte, elle flirte aussi avec plusieurs autres genres (poésie, littérature jeunesse, mais aussi des hommages, du roman, de la nouvelle et d’autres formes de récits), offrant des œuvres qui ont toutes l’oralité comme caractéristique commune. Dans un article proposé à la revue La Grande Oreille, intitulé «De la parole à l’écriture aux éditions Planète rebelle», l’éditrice parle «d’expériences narratives qui, si elles ne sont pas tant du registre du conte, partagent avec celui-ci l’hommage à la parole, tant du côté de la poésie et du slam que de celui du spoken word9 ». Et l’instinct ne semble pas lui faire défaut: une culture de l’oralité continue de se déployer, phénomène qui se situe bien au delà du conte et de la simple édition sonore. LA POÉSIE SE PRONONCE Est-ce une coïncidence? Au moment où l’on assistait à ce que nous avons appelé le «renouveau du conte», des poètes ont aussi senti le besoin de se mettre en bouche leurs mots, et d’en entendre les échos. Ainsi seront créés en différentes régions québécoises10 des événements inspirés de la célèbre Nuit de la poésie du 27 mars 1970, qui avait réuni les Gaston Miron, Claude Gauvreau, Raoul Duguay, Paul Chamberland, Pauline Julien, Michèle Lalonde et autres. Les versions plus récentes auront même fait entendre aux confins du Saguenay une multitude d’auteurs en provenance de toute la province, parmi lesquels José Acquelin, Tony Tremblay, Dany Plourde, Jean-Marc Desgent, Jean-Paul Daoust, Yolande Villemaire, etc. L’un des organisateurs des Nuittes de poésie au Saguenay, Jonathan Lafleur, était aussi aux premières loges lors de la création de la Ligue québécoise de slam (LIQS). Il a toutefois très tôt quitté l’organisation, insatisfait de l’importance que prenait la performance scénique au sein des soirées de slam, parfois au détriment de la qualité des textes récités. Ivy, connu dans les médias comme le créateur et fer de lance de la LIQS, reconnaît que le slam ne fait pas avancer la poésie. «Je ne crois pas au poème slam s’il est écrit. En terme d’avancement, le poème slamé n’a rien à dire. C’est plutôt un événement social. C’est la démocratisation de la poésie.» Toujours dans l’oralité, mais à l’extrême opposé du conte, le slam est donc essentiellement une interprétation, voire plus encore une véritable récitation. Il se Si Planète rebelle s’intéresse au conte, elle flirte aussi avec plusieurs autres genres (poésie, littérature jeunesse, mais aussi des hommages, du roman, de la nouvelle et d’autres formes de récits), offrant des œuvres qui ont toutes l’oralité comme caractéristique commune. JEAN-FRANÇOIS CARON les mots qu’on se dit dossier rapproche en cela beaucoup plus du théâtre, exigeant de la part du slameur une performance remarquable, même s’il ne s’agit pas nécessairement d’incarner un personnage. «L’idée, c’est moins de propager un poème que la poésie ellemême, exprime Ivy. Le slam illustre avec grand fracas que les deux sont différents. C’est d’autant plus vrai que les poètes fuient le slam. Alors on sacrifie le poète pour s’approcher de la poésie.» Pour remporter cette compétition qui se termine en fin de saison par un grand championnat national, le slameur a trois minutes pour réciter son texte, peu importe son genre de prédilection, et ainsi convaincre un jury choisi au hasard parmi le public de voter pour lui. Le tout se produit dans le dépouillement le plus complet, sans aucun artifice, ni musique, ni accessoires. «Les contraintes ont en quelque sorte l’effet d’exacerber l’aspect compétitif d’une soirée, qui n’est là que pour le divertissement, la poudre aux yeux. C’est la rencontre de l’interprétation scénique et du poème. Ce n’est pas dans l’esprit du slam de lire des poèmes destinés à n’être que lus. L’effet spectacle reste déterminant.» Depuis la création de la LIQS en 2007, alors que seules les villes de Montréal (Slamontréal, organisme instauré par Ivy après des bancs d’essai en octobre 2006) et de Québec (SlamCap, animé par André Marceau et présenté par le Tremplin d’actualisation de la poésie) étaient membres de la ligue, quatre autres organisations se sont jointes au noyau de départ (Le slam du Tremplin de Sherbrooke, Slamoutaouais de Gatineau, Slam Mauricie de Trois-Rivières, et Slam Lanaudière de Joliette). Deux autres pourraient bientôt voir le jour: la ligue est sur sa lancée. TES ENREGISTREMENTS, POÈTE ? Jonathan Lafleur, qui avait d’abord cru reconnaître dans le slam la réponse à son désir d’une oralisation de la poésie, a cherché ailleurs à donner une voix aux poèmes. Friand d’événements où elle prend la scène pour s’effeuiller, il a eu l’idée de conserver les traces de ces instants de partage, s’adonnant à un collectage proche de celui qui a permis de rassembler les Archives de folklore et d’ethnologie, mais en s’intéressant à la littérature orale actuelle. Ce n’est toutefois que grâce au partenariat de NT2 (Nouvelles technologies, nouvelles textualités) et du Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire Figura, ainsi qu’avec l’aide de plusieurs collaborateurs chevronnés, que le projet a pu voir le jour. Se présentant sous la forme d’un site Internet (voixdici.ca), lancé en février 2009 pendant le Festival Voix d’Amérique, la plateforme de diffusion propose les enregistrements de lectures effectuées pendant des soirées de poésie et autres événements de lecture publique. Détenant les permissions de toutes les personnes concernées (auteurs, éditeurs et organisateurs d’événements), Voix d’ici, qui en est encore à ses balbutiements, donne déjà accès aux lectures d’une cinquantaine d’auteurs, d’autres se trouvant en processus d’archivage. Fait intéressant: le choix d’un auteur à diffuser ne dépend pas de sa popularité ou du nombre de recueils qu’il a publiés. Au contraire, la publication préalable d’un livre ne fait absolument pas partie des critères de sélection. L’objectif est plutôt de documenter des instants qui autrement s’évanouiraient sans laisser de traces. «Il y a une rencontre qui se fait entre un lecteur et un poème. Ce n’est pas la même rencontre qui a lieu lorsque la lecture est faite par l’auteur lui-même, qui propose sa propre interprétation. Je ne veux pas dire que l’une est meilleure que l’autre. Mais le fait d’entendre le poème provoque quelque chose…» L A PA R L U R E D E M E U R E R A Le conte a-t-il un avenir? Avec l’hypermédiatisation de nos rapports sociaux et le développement fulgurant de la technologie, la question aurait pu se poser. Or, même si pour certains il peut être menacé par une propension à la spectacularisation du conte oral, tous ne sont pas aussi pessimistes. «J’ai pas peur, nous ras- J O C E LY N B É R U B É sure Fred Pellerin. Le conte dure depuis des lustres, il restera encore quand on aura fini de parler. Peut-être qu’il reprendra son format intime, peut-être qu’il deviendra une forme internetée. La parlure demeurera. À s’infiltrer dans les journaux sous forme de légendes urbaines, à habiter les soirs de pétage de broue… Peu importe. Trop besoin de s’en conter pour arrêter de le faire, je pense.» Il profitera sans doute, comme la poésie et toutes ses déclinaisons, d’une nouvelle mouvance qui tend vers l’oralité. Et peu importe que ce soit en réaction au relâchement du tissu social provoqué par la présence massive des technologies dans nos vies ou par la simple résurgence du désir enfantin de se raconter ou de se faire raconter le monde et ses beautés. La parole est là pour rester. 1. «Bref historique du conte au Québec», dans Mémoire présenté au Conseil des arts et des lettres du Québec, Regroupement du conte au Québec (RCQ), août 2005. 2. On en trouve aussi au Musée canadien des civilisations, à l’Université Laurentienne et à l’Université de Moncton. 3. «Les Dimanches du conte» proposent encore aujourd’hui une programmation, ils sont toujours animés par Jean-Marc Massie et présentés par les productions DiableVert au Cabaret du Roy, à Montréal. Pour plus d’informations: www.dimanchesduconte.com. 4. Robert Leduc, «Le conteur Michel Faubert au Centre Henri-Lemieux», dans Le Messager Lasalle, 31 janvier 2009. 5. «De l’âtre au théâtre», Revue de théâtre JEU, no 131, «Dossier contes et conteurs», février 2009, p. 68. 6. L’italique est de nous. 7. Bertrand Bergeron, «L’orature», Boutique de menteries. (www.sagamie.org/iql/boutique/BoutiqueDeMenteries.html) 8. Voir à ce sujet notre dossier «La parole au livre», qui traite du livre audio, Lettres québécoises no 131, automne 2008. 9. «De la parole à l’écriture aux éditions Planète rebelle», La Grande Oreille, mai 2010. 10. Depuis 2000, on parle de plusieurs Nuits de poésie organisées à Rouyn-Noranda et au Saguenay, ainsi que de la Nuit de poésie 2009 présentée à la Cinémathèque québécoise en novembre dernier. ERRATA Dans le dernier numéro de Lettres québécoises (137), il y a eu confusion : la corédactrice en chef de la revue Québec français ne s'appelle pas Geneviève Gingras, mais bien Chantale Gingras. Nos excuses à Mme Gingras. lettres québécoises • été 2010 • 17 18 • lettres québécoises • été 2010 roman ANDRÉ BROCHU III 1/2 Gilles Archambault, Nous étions jeunes encore, Montréal, Boréal, 2009, 168 p., 19,95 $. La vie au passé Autofictions ou pas, les romans de Gilles Archambault nous rejoignent toujours par le clair miroir qu’ils tendent de nos existences. uoi qu’il en soit de la vie de l’auteur dont on connaît surtout la carrière radiophonique et le considérable talent d’écrivain, l’histoire de son personnage principal semble se modeler en bonne partie sur celle de son créateur. Pierre-André est aussi romancier (mais sans beaucoup de succès), il est un homme sensible et tourné vers lui-même, Q Pierre-André est un être timoré, contrairement à Maxime qui a abordé la grande carrière internationale comme metteur en scène, et qui a constamment reproché à son ami écrivain la timidité de ses projets. Par bonheur, Pierre-André reçoit les encouragements d’un jeune disciple, Philippe Turmel, qui lui manifeste une admiration indéfectible, sauf vers la fin du livre où il sombre à son tour dans la suffisance du gagnant et se détache de son mentor. D I R E L’ E X I S T E N C E S A N S E S P O I R «Ce qu’il faut trouver, c’est une façon qui paraît inédite d’exprimer ce désarroi qui vous habite. » Voilà le projet narratif de Pierre-André et, sans doute, celui de l’auteur. Que le désarroi procède des débâcles de l’amour ou des menaces de la vieillesse, il est la substance même de nos vies et doit être celle de nos livres. Pierre-André partage l’estime de son créateur pour des écrivains rares tels que Toulet, Vialatte, Perros, Calaferte, Cioran, Canetti, Calet, Des Forêts… Écrivains opposés au triomphalisme, dénués d’esbroufe, souvent «professeurs de désespoir» selon l’expression de Nancy Huston, mais qui trouvent, dans l’écriture, la suffisante passion qui permet de vivre malgré tout et de tenir en échec les démons de l’existence. III Danielle Dumais, La femme fragment, Montréal, Québec Amérique, 2009, 420 p., 22,95 $. G I L L E S A R C H A M B A U LT tout en étant ouvert à l’amour et à l’amitié. L’évocation atteint le lecteur dans ce que ce dernier peut avoir de simple et de modeste. Tous les lecteurs, en effet, ne sont pas d’abominables gagnants! Une complicité s’établit avec le narrateur dans le sentiment d’être une victime du temps, de la passion et des plus nobles ambitions ; bref, d’être «pitoyable» (p. 13). UNE HISTOIRE D’AMOUR C’est depuis la plateforme que constitue la mort de Maxime, le grand ami de Pierre-André, que le récit prend son élan. Il est l’histoire, reconstituée par fragments, d’un trio que cimentent l’amour et l’amitié. Pierre-André a épousé Marthe, que lui a présentée Maxime, leur condisciple à l’université. Après quelques années de mariage marquées par la naissance d’une fille, Marthe, maintenant journaliste politique en vue, quitte Pierre-André pour aller vivre avec Maxime. L’idylle dure dix ans, avec des hauts et des bas, après quoi Marthe revient vers Pierre-André, mais sans reprendre la vie commune. Ces péripéties nous amènent jusqu’au temps présent où les personnages, maintenant septuagénaires, affrontent la vieillesse et la perspective de la mort, soutenus par ce qu’il reste de leur amour et de leurs souvenirs. Le présent, qui est avant tout un état affectif, est donc fait du passé, de ses défaites et de ce qui, malgré tout, vit en lui, grâce au souvenir. La chaîne des passions S’il fallait des signes d’un renouveau du roman au Québec, on en trouverait dans plusieurs romans récents, et notamment dans La femme fragment, où habileté narrative et beauté d’écriture s’imposent à égalité. out n’est sans doute pas parfait dans ce livre considérable, qui s’ouvre assez malheureusement sur un prologue maladroit et mélodramatique, mais il présente dans l’ensemble de solides qualités. Les personnages sont fouillés, l’histoire est bien menée et la composition, sans renier la tradition, comporte sa part de nouveauté. T L’ E N F O N C E M E N T DANS LE MALHEUR Née d’une mère détruite par l’échec de son mariage et, plus exactement, par la violence du conjoint qu’elle a finalement assassiné; d’un père aimant mais vieux et bourru, lui aussi victime de la société; fille donc de ce couple impossible et aussitôt disloqué, Caroline échappe d’abord à un destin malheureux et développe sa confiance en la vie. Mais peu à peu, au fil des amours assez insatisfaisantes qu’elle vit et à la suite de la connaissance qu’elle prend du journal laissé par sa mère, elle fait l’apprentissage de la fatalité héréditaire et doit affronter la part d’ombre énorme qui gît au fond de son existence et qui compromet sa capacité d’aimer. lettres québécoises • été 2010 • 19 ANDRÉ BROCHU roman Tout gravite autour de l’amour dans ce livre de plus de 400 pages, qu’on pourrait classer parmi les romans sentimentaux, donc populaires, si la dimension de l’analyse n’était pas si développée et, à bien des égards, si remarquable. Le personnage revit constamment des situations semblables, au cours de ses nombreux démêlés amoureux, mais il s’enfonce de plus en plus dans l’enfer intime que lui ont légué ses parents, d’une part; d’autre part, l’analyse permet d’échapper à la répétition et à la lassitude, tant elle renouvelle la peinture des tumultes de l’âme et la magie de l’écriture. UN STYLE INVENTIF En effet, on s’arrête souvent devant la beauté et l’ingéniosité des descript i ons , au s s i bi e n du monde matériel que de l’univers intérieur: «Indécise, je ballottais entre le sommeil et l’appel du jour qui inondait la chambre par la fenêtre entrouverte. Hubert reposait, silencieux, ses yeux gris soudés à mon visage, le bras replié sous la tête, son long corps gisant dans les draps défaits de l’aprèsplaisir. » (p. 361) Le rythme et l’image concourent également à l’enDANIELLE DUMAIS chantement. Quant à la narration, elle est faite d’un grand nombre de courts chapitres — formule qui a un rapport avec la «fragmentation» qui caractérise le personnage principal — dont environ la moitié ont pour narratrice Caroline, alors que les autres sont confiés aux personnages secondaires, plus ou moins récurrents selon les exigences du récit. Ce procédé narratif éloigne le texte du conformisme propre à la tradition, sans ébranler plus qu’il ne faut les conventions. Le défaut qu’on pourrait reprocher à ce premier roman, ce serait l’excès d’application, qui réduit la part de la spontanéité et occasionne une grande uniformité de développement. Mais ce défaut est le support de bien des qualités. Un espace publicitaire dans lettres québécoises ? C o n t a c t e z M I C H È L E VA NA S S E Responsable de la publicité mvanasse@lett resqueb ecoises.qc.ca 20 • lettres québécoises • été 2010 roman HUGUES CORRIVEAU IIII France Ducasse, Valdera, Québec, L’instant même, 2009, 252 p., 25 $. Chant des harmonies Joyeusement écrit, ce roman nous fait entrer dans le monde insolite d’une écrivaine, mère de famille, membre d’une chorale, attentive au temps jusqu’à l’essoufflement. tantes. Du moins quand on est certain de l’appui de l’autre, celui qui à côté joue le jeu de piste. MORTE PRÉCIEUSE Comment résister, par exemple, à la beauté créée par ces cendres d’Adrienne, répandues au-dessus de la rivière proche, quand, «mêlée à de la poussière de diamant, Adrienne brille de tous ses feux. Le feu est dans l’eau. Sous l’ardeur pétillante des cendres de la vieille dame, l’eau scintille, l’eau des yeux et l’eau vive, l’eau des ruisseaux, des rivières, des lacs, des fleuves, des mers et des océans» (p. 227). Ce n’est donc pas sans poésie que se déroule cette histoire et c’est heureux, et c’est jouissif. Roman à lire, vraiment, pour sa magie et la folie douce de ses dérapages imaginaires. IIII epuis La vie de Léonce et Léonil (Les Herbes rouges, 1986), France Ducasse nous prouve son amour des mots ou des jeux que le langage peut suggérer. Elle a une manière personnelle de mélanger les genres, de faire s’entrecroiser des éléments de vie réelle et de pure fiction. Rares sont les histoires qui Patrick Nicol, Nous ne vieillirons pas, Montréal, Leméac, 2009, 136 p., 13,95 $. D L’âge incertain La précision de la prose méticuleuse et économe de Patrick Nicol convainc plus que jamais de son talent exceptionnel dans Nous ne vieillirons pas. On le dit parfois, mais là, il y a bien une véritable petite musique qui témoigne d’un véritable écrivain. transpirent le plaisir à ce point, qui transfigurent, en quelque sorte, même la mort de certains protagonistes. Tout y est investi dans une sorte de déferlement de l’imaginaire, d’un jeu amoureux qui relance les personnages d’aventure en passion. ette histoire tient à presque rien, à quelques souffles un soir de désœuvrement, car l’inquiétude est venue à ce professeur qui ne s’en remet pas d’avoir quarante ans et qui se questionne sur les effets à long terme de ce vieillissement inéluctable. S’additionnent alors les soupçons devant le délabrement quotidien, sur les fidélités continues, sur les rencontres éphémères ou les amours permanentes. On pourrait croire cette thématique usée ou obsolète tellement elle a été investie. Or, chez Nicol, c’est la manière d’aborder les tourments les plus insidieux qui entraîne l’adhésion. Car se mettent en place, dans le présent dissolu, les aléas venus de la jeunesse du narrateur, les origines de ce qui se déconstruit lentement mais irrévocablement. JEU DE MIROIR L E R E G A R D E T L A PA R O L E FRANCE DUCASSE Valdera a une sœur, Valderi. Cette dernière a un grand talent pour le chant qu’elle n’exploitera pas. Or, Valdera l’envie, souhaiterait avoir cette qualité de voix qui transcende le quotidien. Elle deviendra membre d’une chorale afin d’égaler, peut-être, cette sœur admirée. Ainsi apprendra-t-elle avec minutie la partition du Cantique des Cantiques de Giovanni Pierluigi Da Palestrina. Musique sous-jacente qui rythme le style formidable de l’auteure. C’est un prétexte pour ouvrir les diverses figures d’un Janus démultiplié au plan familial. Comme on dit: chacun a sa chacune qui lui est attachée de façon subtile en une œuvre presque alchimique retraçant les liens du sang. Complémentaires les uns les autres, les personnages forment une smala inextricable qui engendre amour et soutien, regard impératif et pensée analogue. Ainsi en est-il d’Adrienne, mère de Ludovic ou de Ludivine (énigme ambiguë, porteuse de ce roman, voyageuse-amoureuse), de Chère-Élise et CherEugène, ou encore de Pierre-Pol, fils d’Anatole et de Barbara. Ils sont nombreux dans cette famille élargie à tenir les uns aux autres, à vivre en une harmonie au cœur d’une nature presque bienheureuse. Il n’y a pas à vraiment parler d’histoire palpitante dans ce très beau roman, plutôt des quêtes identitaires, des manières contournées de s’approcher de vérités obscures mais jamais vraiment inquié- C Le narrateur, donc, professeur lui-même, se rappelle avoir été en contact, de façon privilégiée durant ses études universitaires, avec un professeur désolant et désolé qui attirait à la fois son admiration la plus vive et sa consternation la plus refoulée. Longtemps ils eurent des discussions à propos de la vie, de l’efficacité d’une parole transmise souvent en pure perte, de la fragilité des contacts humains. Pendant ce temps, il fréquente une jeune fille à lunettes. Devenu luimême un olibrius se produisant devant des classes plus ou moins amorphes, il se questionne sur son métier, sur sa vie de couple, sur son rôle de père d’une ado de quinze ans, sur ses relations avec une étudiante moche, « poche» et nunuche, lettres québécoises • été 2010 • 21 roman HUGUES CORRIVEAU sur les tâches ménagères et les trahisons à la petite semaine. Tout cela est franc, direct, troublant de vérité, dérangeant même à force d’une sorte de petite cruauté fuyante dans l’analyse intrinsèque des sentiments délétères qui viennent à ceu x qu i t r ave rs e nt u n e période de remise en question. LE CHANT DE L’ Â M E E N P E I N E Ainsi, l’angoisse fouit l’âme. Regardant son professeur d’université au moment d’une rencontre dans son bureau, le narrateur ne peut s’empêcher PAT R I C K N I C O L de se dire: «Je risque de vieillir comme ça.» (p. 47) La constatation effraie, creuse l’abîme vers ce qui, inéluctable, s’ouvre de l’avenir. Ne se dit-il pas, fataliste : « Le professeur ne raconte rien d’autre que ma propre vie, mais située dans un autre décor» (p. 88)? L’avenir tout entier sous les traits de cet être emporté par les petites défaites journalières et professionnelles, mauvais professeur et mauvais vivant. La question essentielle, il la posera au professeur au cours d’un appel téléphonique: «Comment se faitil qu’en vieillissant les hommes comme nous deviennent insignifiants?» (p. 105) Le roman tourne autour de cette faille qu’il faut transgresser pour savoir vivre à la mesure de ses espoirs, de la considération qu’on a de nous-même, de l’ambition qui nous soutient vers la réussite, tout aléatoire soit-elle, de notre existence. Roman superbe de finesse et d’un style parfaitement accordé au propos qu’il tient, voici une voix que je suis depuis longtemps avec un intérêt jamais démenti. II 1/2 Pierre Samson, Arabesques, Montréal, Les Herbes rouges, 2010, 510 p., 29,95 $. Quartier privé Confondant, Arabesques tient de l’entourloupette savantissime, dont le style, presque amphigourique parfois, restreint l’espace au cœur de l’excès. ue de préciosité dans ce roman! Le jeu que propose Pierre Samson est à la limite du supportable tellement les phrases en sont tarabiscotées à force de se vouloir ciselées telles des mignardises. Par exemple, dans «Margot vous présente Yvonne», on a droit à ceci: «Bottée et sanglée cette fois dans sa canadienne à brandebourgs usés et à bûchettes d’os oblongues et veinées de bistre, la tignasse enfournée dans un schapska d’homme, elle retrouva novembre.» (p. 350) La précision est sans doute à ce prix! D’habitude, je ne suis pas si frileux. Q UNE MANIÈRE DE COMPOSITION Protégés dans un quadrilatère de Montréal, les personnages vivent repliés sur des lois mémorielles qui en assurent la pérennité. De vilains spéculateurs veulent raser le lieu pour laisser place à l’autoroute devant remplacer l’actuelle rue Notre- 22 • lettres québécoises • été 2010 Il y a beaucoup de monde là-dedans, entre autres Pax et Margot y tiennent le plus souvent le crachoir, et quand ils se taisent, c’est pour passer la parole à Édith, à Bastien et à combien d’autres qui, pour la plupart, s’interrogent sur l’opportunité d’accepter en leur rang un nouveau venu du nom de Youssi. Dame (on connaît la saga). Mais l’endroit protège des dieux tutélaires empêchant les habitants de trop s’égarer. C’est le cas du «Divin Escalier» décrit sobrement par Samson, dont je prélève ici la substantifique moelle dans ce monologue de l’escalier luimême : « Se retrouver dans mon dédale, c’est savoir se rappeler. Pour vous venir en aide, il y a, bien entendu, un langage géométrique composite: […] trapans décorés de chutes d’ornements ou nus; volée s’élançant dextrorsum ou en sens contraire, branchue ou non, raide ou brise-cou deux quarts tournants, ou en fer à cheval, ou en caracole, hélicoïdale, en hêtre, en chêne, en érable, en tauari exotique ; balustres en gorgerin, à rinceaux, hathoriques ou campaniformes; tréPIERRE SAMSON mie hexagonale; limon à crémaillère ou uni ; vermiculure tracée […].» (p. 456) DES ZINZINS ZIGOTOS Il y a beaucoup de monde là-dedans, entre autres Pax et Margot y tiennent le plus souvent le crachoir, et quand ils se taisent, c’est pour passer la parole à Édith, à Bastien et à combien d’autres qui, pour la plupart, s’interrogent sur l’opportunité d’accepter en leur rang un nouveau venu du nom de Youssi. Ce dernier est en fait le cheval de Troie envoyé par les méchants spéculateurs pour convaincre la tribu de quitter les lieux. L’histoire n’est pas sans intérêt, n’étaient les trop nombreux écarts, parfaitement assumés par l’auteur qui présente son œuvre comme «touffue, voire monstrueuse, composée de digressions et trouée de fuites […]». C’est que voilà, à force de vouloir que son roman soit «un vibrant plaidoyer pour une langue libre de déployer ses trésors», on perd ses référents, on s’égare un peu dans les méandres tarabiscotés de paragraphes souvent superflus (quoique beaux, sans aucun doute, voués au beau français fleuri) mais, ô combien! lourdingues. Je me prends à penser à l’exceptionnel roman de Jean-Simon DesRochers qui nous propose, dans La canicule des pauvres, un semblable microcosme composite mais, ô combien ! plus dynamique, quoique écrit dans une langue infiniment moins châtiée (même souvent fautive), mais qui garde en elle la force des œuvres foisonnantes. roman JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU IIIII Nelly Arcan, Paradis, clef en main, Montréal, Coups de tête, 2009, 148 p., 14,95 $. Ni putain ni folle, mais une grande écrivaine Je m’étais refusé de lire Nelly Arcan. Je la croyais une luciole qui avait éclairé quelques saisons littéraires, sans plus. En refermant Paradis, clef en main, œuvre posthume s’il en est, je reconnais m’être trompé. Son départ hâtif laisse un espace inoccupé au registre de la société des écrivains où son immense talent et l’univers romanesque qu’elle a créé l’ont inscrite. Force m’est donné de reconnaître le sérieux de son propos et les qualités réelles de son talent d’écrivaine : relisons Nelly Arcan et apprécions pleinement ce qu’elle a laissé en héritage. CLEF EN MAIN C’est Léon, cet oncle qu’elle a aimé par-dessus tout, qui lui a conseillé la société du docteur Paradis, un médecin qui sauvait ses patients de cancers mortels jusqu’au jour où son fils unique s’est suicidé. Cependant, pour que la société que le médecin dirige intervienne, il faut respecter un code, un protocole. La première étape consiste à rencontrer le comité de sélection qui sonde les véritables intentions du client, entre autres le moyen qu’il préfère pour mettre fin à sa vie. Ensuite, il y a une rencontre avec un psychiatre. Précisons ici que chacune des étapes est précédée d’épreuves que le client doit franchir. Par exemple, pour rencontrer le psychiatre, Antoinette a dû visiter « Chez Parée », le « bar de soldates de l’amour dont l’unique arme était leur corps» (p.76), avant qu’on l’amène au médecin spécialiste. Parallèlement au récit de sa course vers la mort, la narratrice raconte les événements de sa vie actuelle, celle d’une femme alitée, à la merci d’une mère envahissante, incertaine de ce qu’elle fera de son avenir. C’est lors d’un retour au temps présent qu’Antoinette se souvient de Léon, « le seul homme qu[’elle] ait aimé dans [s]a vie» (p. 116). C’est avec lui qu’elle a abordé le suicide en tout premier lieu de façon sérieuse. Avant, comme elle le dit: «J’ai voulu mourir souvent dans ma vie. Mais pour mourir, il faut attendre la maladie, ou l’accident, il faut attendre de s’endormir de fatigue à force d’être vieux ou encore il faut se prendre en charge et se tuer. J’ai essayé plusieurs fois. Ça n’a jamais marché. Mon corps s’est toujours dérobé à ma volonté et à mes plans. » (p. 141-142) aradis, clef en main, c’est l’histoire d’Antoinette Beauchamp. La jeune femme est devenue paraplégique à la suite d’un incident de parcours de la société «Paradis, clef en main», spécialiste du suicide assisté. P TA R E FA M I L I A L E Comment vivre après l’échec qui a décuplé son non-intérêt à vivre? L’héroïne raconte d’abord son existence avant cet événement. Fille unique de Micheline Beauchamp, une femme qui a mis sa richesse dans «The Truth», une compagnie de cosmétiques, symbole de son refus de vieillir, Antoinette ne se souvient pas avoir voulu vivre. Cet état d’esprit semble inscrit dans ses gènes, son grand-père maternel et son oncle Léon s’étant eux-mêmes suicidés. Toinette, comme la surnomme sa mère, vit maintenant dans «une cage dorée et exiguë», une chambre dont le plafond lui sert d’écran sur lequel elle peut « écrire avec le son de [s]a voix ». « Le plafond, c’est aussi ma tête et les pensées qui s’y bousculent, qui jouent des coudes dans la promiscuité, ce sont mes mains, ma bouche, le reflet de ma mobilité perdue.» (p. 15) Une chose est certaine : la jeune femme n’a plus «envie de mourir» (p. 33) et s’occupe au «rappel du passé, [au] présent de la paraplégie et [à] l’alcool: voilà ce qui constitue l’espace de [s]a vie, [s]on carré de sable, [s]on terrain de jeu» (p. 35-36). Or, même si la narratrice a recours à un spécialiste du suicide assisté, la part du hasard dans la réussite de son projet reste probable. Pas étonnant alors qu’une partie de poker soit une des obligations que Paradis impose à sa clientèle. Cette métaphore m’apparaît très puissante, car elle s’applique à la vie comme à la mort. N E L LY A R C A N ESPOIR RETROUVÉ Paradis, clef en main est un roman de l’espoir retrouvé. Le suicide assisté ayant échoué, la situation a forcé la jeune femme à faire une profonde réflexion sur la vie, la mort et ce qu’il y a entre ce début et cette fin. Cela est remarquable, car Nelly Arcan, dont les qualités d’écriture m’ont semblé, dans ce dernier roman, transcender le sujet de Putain, ou de Folle, fait avec son héroïne une rétrospective de l’avant et de l’après suicide. Il a fallu qu’Antoinette soit clouée au lit pour apprécier ce que l’existence peut lui offrir, même en fauteuil roulant. J’ai lu tout Arcan avant de terminer Paradis, clef en main. Cela m’a permis de mettre cette œuvre en perspective. Force m’est donné de reconnaître le sérieux de son propos et les qualités réelles de son talent d’écrivaine: relisons Nelly Arcan et apprécions pleinement ce qu’elle a laissé en héritage. lettres québécoises • été 2010 • 23 roman JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU II II Myriam Beaudoin, 33, chemin de la Baleine, Montréal, Leméac, coll. « Roman », 2009, 192 p., 21,95 $. Maryse Latendresse, Pas de mal à une mouche, Montréal, Hurtubise, coll. « AmÉrica », 2009, 288 p., 24,95 $. Au bout de la route, la déraison Danger : triangle amoureux Myriam Beaudoin fait reposer la trame de son troisième roman, 33, chemin de la Baleine, sur une suite de lettres qui développent les thèmes de la joie et de la peine amoureuses, de la folie, du vieillissement et du deuil. Qu’en est-il vraiment ? Les premiers romans de Maryse Latendresse lui ont valu l’estime de la critique et l’attention des lecteurs. On a dit qu’elle était le nouveau porte-étendard de l’histoire d’amour. Avec la parution de Pas de mal à une mouche, l’espoir d’une œuvre marquante était grand, comme un tournant dans l’aventure littéraire. Le récit gravite autour d’Éva Paradis, une dame âgée vivant à la Résidence Jardin. Sans Solène, l’infirmière qui prend soin d’elle, et Julio, le jardinier, elle serait seule au monde. Un jour pourtant, elle reçoit la visite d’un étranger, Jacques Lenoir; il lui apporte un album de photos accompagné d’une abondante correspondance relatant quelques mois dans la vie d’Éva et d’Onil Lenoir, son mari. L E S L E T T R E S D ’ É VA Dès la première visite de Jacques, la vieille dame lui demande de lire les lettres qu’il lui a apportées, la première datant du 6 janvier 1953. Le roman est ensuite une succession de séances de lecture jusqu’à la missive du 23 septembre 1953. La correspondance raconte qu’Éva, une jeune femme de condit ion modeste travaillant en usine, a rencontré, au parc Belmont, Onil Lenoir, un écrivain célèbre. Le père d’Éva connaît les livres de Lenoir et accepte de lui donner la main de sa fille, malgré la différence d’âge. Marié le 13 juin 1951, le couple fréquente le milieu littéraire montréalais et rencontre, entre autres, Claude-Henri (Grignon), Marcel (Dubé), Jovette (Bernier), Alain (Grandbois). Pas de mal à une mouche, c’est le récit de l’urgent désir de Marie Matte: avoir un enfant avant la quarantaine. Célibataire, elle rencontre Vincent Lucas, un redoutable homme d’affaires, séducteur invétéré et peut-être candidat à la paternité. N A R R AT E U R O U N A R R AT E U R S ? Une question s’impose rapidement: qui est, qui sont les narrateurs? Marie Matte, certes. Mais, pour identifier le second narrateur, il faut attendre qu’apparaisse Richard Kilanowicz, le psychothérapeute de Vincent, l’autre narrateur. Connaissant Vincent mieux que lui-même, il s’intègre aux péripéties sans difficulté. Les monologues de Marie et de Richard illustrent leurs préoccupations, face à eux-mêmes, à la passion amoureuse qui s’installe entre eux, à leurs rapports avec Vincent. Ainsi, Richard suggère à Vincent de rencontrer Marie dont il lui parle tant; le coup de foudre entre Marie et Richard est immédiat. Entre temps, Marie tente de convaincre Vincent de lui faire un enfant. Devant le refus répété de ce dernier, elle part seule pour faire le point, mais Richard, sans prévenir, la rejoint. MARIE, VINCENT ET LES AUTRES La suite du roman néglige la vraisemblance. Marie, enceinte, croit que Vincent est le père, n’ayant eu qu’une relation protégée avec Richard. Théo naît, ce qui plonge Vincent dans un profond désarroi, l’enfant lui rappelant un souvenir douloureux de sa propre enfance. Onil a vite besoin de solitude pour écrire et il se retire à Isle-aux-Coudres, laissant sa jeune épouse aux bons soins de Simone, à la fois domestique et dame de compagnie. C’est à partir de ce moment-là qu’Éva entreprend d’écrire presque quotidiennement à son mari, lui racontant la lente et douloureuse dérive de son amour pour lui jusqu’aux limites de la folie. Maryse Latendresse a mis en place une tension extrême entre les personnages, hélas! elle a cousu de fil blanc leurs rapports improbables. Voilà pourquoi, lorsque Vincent découvre par hasard les lettres que Marie écrit à Richard, il est déjà trop tard pour changer quoi que ce soit: il ne peut rien à la macabre découverte du corps de ses parents lorsqu’il était enfant et, maintenant, au fait qu’il n’est pas le père de Théo. Que de détails auxquels nous avons droit! Ils en viennent à alourdir inutilement le récit. D’autres éléments de la trame sont par contre négligés, par exemple les origines de Jacques ou sa relation avec Solène qui sont à peine évoquées. Heureusement, la chute du roman est un des temps forts de l’histoire, qui nous permet de comprendre la fin tragique d’un amour d’autrefois. Il n’est pas simple de raconter un triangle amoureux, surtout quand un des personnages croit que l’amour entre ses parents les a unis jusque dans la mort. La romancière y parvient de façon maladroite, parfois invraisemblable. La lecture de Pas de mal à une mouche ne m’a pas ennuyé, j’ai seulement cessé d’y croire après une quarantaine de pages. 24 • lettres québécoises • été 2010 roman MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE III 1/2 Patrick Drolet, J’ai eu peur d’un quartier autrefois, Montréal, Hurtubise, coll. « Textures », 2009, 112 p., 18,95 $. Magnifique délire J’ai eu peur d’un quartier autrefois distille une certaine horreur en déployant d’agiles ressorts narratifs. Hypnotique. ne rue, baignée de la même lumière opaque et diffuse que celle qui enveloppe certains souvenirs. Et un homme, chez lui. Pensif, lascivement nerveux, il guette son voisinage. Un homme qui, le temps d’un roman, va nous plonger dans son angoissante solitude. U terrorisent l’homme. Il ne comprend pas ce que fait cet enfant, si légèrement vêtu, appuyé contre une porte de garage derrière chez lui et «l’anxiété trac[e] tranquillement son chemin» de son cœur à son esprit. Les choses ont changé autour de lui. Ou est-ce lui? « BEAUTÉ OBSCÈNE » On avale les brefs chapitres et le talent de l’auteur se confirme, le délire du personnage s’impose. L’anxiété qui l’accompagne dans ses menus déplacements dicte le mouvement de ses doigts sur sa cigarette, l’empêche de bien lire les signes de la faim. Il traîne, fait les cent pas. Il boit. Au fil de ses petits gestes alourdis par une angoisse indicible apparaissent les souvenirs heureux d’une adolescence passée au pensionnat. Les lits en métal, la grande salle des repas, les messes en plein air durant la belle saison, tout lui revient. Corps automate et esprit aiguisé, il se rappelle chaque détail et, surtout, cet enseignant qu’il aimait bien, le père Fulton, fumeur de gitanes blondes sans filtre, grand marcheur et amoureux de la nature. Ces quelques éclats de lumière n’empêcheront pas la mort de rôder encore, de réitérer sa présence. Au contraire, elle insiste. Si le narrateur tente pour une rare fois de quitter son logis et sa solitude de plus en plus délirante, de plus en plus obsessive, elle le traque, «prêt[e] à bondir». Et l’on se réconforte dans ces verbes à l’imparfait, à ce «autrefois» qui traîne sur la couverture. Car même si elles sont psychotiques, les craintes de ce personnage solitaire et névrosé nous ont happés, portés par cette écriture singulière, nerveusement belle et intelligente. II 1/2 Marie-Noëlle Gagnon, L’hiver retrouvé, Montréal, Triptyque, 2009, 160 p., 18 $. Depuis le meurtre d’un voisin, « éventré honteusement », la mort rôde autour de chez lui, « mordill[e]les marches des perrons comme un rat qui cherche sa pitance à l’aurore». Obsédé par son quartier, par sa rue, il l’observe méticuleusement. Parfois, il n’ose l’épier de face. Dos à la fenêtre, il croit PAT R I C K D R O L E T deviner les ombres qui se meuvent dans les maisons avoisinantes. Les voitures stationnées, les pas dans la neige, l’homme a tout remarqué, décelé chaque incongruité. Au fil de ses journées lentes, il décortique ce microcosme autour de l’antre où il vit reclus. L’écriture libre et souple brouille les pistes entre la réalité plate de son quotidien solitaire et ses obsessions inquiétantes. Fascinés, on se laisse vite happer, aspirer par cet univers menaçant. L’âme du narrateur et le quartier qui l’obsède sont ici disséqués avec la même dextérité. L’écriture s’impose, précise et élégante, malgré les images brunes et sombres qu’elle donne à voir. Les fils électriques autour de la maison du voisin L’anxiété qui l’accompagne dans ses menus déplacements dicte le mouvement de ses doigts sur sa cigarette, l’empêche de bien lire les signes de la faim. Il traîne, fait les cent pas. Il boit. Sentiments insulaires Diptyque à la frontière du conte et de l’intrigue, L’hiver retrouvé magnifie la fatigue et une forme d’errance au fil d’un récit qui fait une large place aux symboles. eureux d’avoir trouvé «un endroit neuf où tenter d’oublier les défaites et d’échapper à [ses] farouches lâchetés», un homme arrivé par hasard à Sili trouve refuge en cette ville qui ne connaît plus l’hiver et que la mer a inexplicablement désertée. Tout de suite accueilli par Dave dans une maison éclectique qu’il partage avec quatre femmes — la vieille Betie, la laide Emmanuelle, la jeune Prile et la douce Cerise —, le nouveau venu s’y installe. Et il se construit un quotidien, bercé par l’idée de retrouver la mer qui bordait jadis la petite ville et qui s’en est allée. Il fait la promesse folle aux habitants de leur ramener cette mer dont seul le sol encore salé rappelle l’existence passée. Mais leurs espoirs sont grands et sa volonté à lui, molle et friable. H Dans ses recherches bâclées comme dans sa relation avec l’adorable Cerise, qui l’aime avec un dévouement qu’il ne s’efforce pas de mériter, l’homme fait preuve du même enthousiasme nonchalant. Si cette mollesse peut s’expliquer par un mal de vivre maintes fois évoqué, par une immense fatigue et un désir de fuite adroitement illustrés, peu de clés sont offertes pour la comprendre. Ce mal à l’âme lettres québécoises • été 2010 • 25 roman MARIE-MICHÈLE GIGUÈRE SE NOURRIR DE CHAIR titille pourtant plus la curiosité que cette mer disparue que s’obstin e nt à p l eu re r l e s vieux villageois. Le roman tangue entre la fable et l’intrigue. Les personnages — colorés et féeriques comme dans les contes — ont toutefois des contours incertains, des desseins théâtraux mais flous. Le suspense qui semble vouloir nous tenir en haleine adhère mal à ces contours peu défiMARIE-NOËLLE GAGNON n i s , ces st r uc t u re s agréables mais trop ouatées. Où est passée la mer? Quels sont ces secrets que cache la vieille Betie? Qui est ce meurtrier qui décime les vieillards du village dans une mise en scène si explicite? Si l’on accepte avec un certain plaisir de se laisser porter par cette écriture qui connaît quelques belles envolées, la plume agace lorsqu’elle suggère lourdement que nous devrions être impatients de connaître l’issue de ces intrigues. 1/2 Benoît Quessy, À Juillet, toujours nue dans mes pensées, Montréal, Québec Amérique, coll. « Première impression », 2009, 176 p., 16,95 $. Cybersexe, clichés et kamikazes Ambiance de fin du monde, jeunesse en manque de repères et abondance de nouveaux gadgets… À Juillet, toujours nue dans mes pensées est un roman d’anticipation qui ressasse de vieilles idées. La seconde partie de ce diptyque est la plus réussie, c’est là que la plume séduit réellement. On y dépeint l’amour d’une ogresse, seule sur une île envahie par l’hiver, pour un homme qui ignore son passé cannibale. « Échoué sur [son] île et dans [sa] vie silencieuse avec [son] propre fardeau de silence », il fait le bonheur doux de l’ogresse. Leur quotidien, ponctué par la recherche de nourriture et les aléas de l’hiver éternel, laisse découvrir une ogresse pleine de douceurs. « Te regarder me donne des envies depuis longtemps refroidies de chocolat et de batailles d’oreillers », ainsi aime-t-on son homme quand notre chair est épaissie par celle des autres. Si la première partie de l’œuvre nous laisse mitigés, la seconde diffuse des images blanches et poétiques, malgré le caractère sanglant des habitudes alimentaires d’une ogresse. dilection des trop nombreuses et malhabiles discussions entre Frank et son ami Lou, attablés autour d’une bière. Ils auront aussi à plusieurs reprises l’occasion de discuter de Lol, la jeune amie et amante de Juillet qui, bien sûr, s’avère plutôt inspirante aux yeux de Lou. Tel qu’il est dépeint, «ce monde débile» rassemble des idées sur le futur maintes fois développées par d’autres, de la littérature aux «blockbusters» américains: une météo complètement perturbée, l’espèce humaine aux prises avec de sérieux problèmes de fertilité et incapable de gérer le flux des réfugiés climatiques. Et sur cette planète en péril, une société qui ne va guère mieux. On souligne à gros traits son obsession pour les questions sanitaires, son penchant pour la surconsommation, sa fascination pour les corps à peine pubères ainsi que l’égocentrisme et l’hypersexualisation des rapports humains qui la construisent. Ces critiques trop faciles, plaquées dans le récit, agacent par leurs effluves moralisateurs et peu subtils. On aurait pu user de plus de finesse pour camper le destin tragique de l’héroïne, établi dès les premières pages. SEXE 3.0., MÊMES CLICHÉS E Préoccupée elle aussi par l’agonie de la planète, Juillet lance un «site trash d’écoloporn underground» grâce auquel elle souhaite amasser des fonds pour une organisation écologique, offrant ainsi au récit un autre prétexte pour des scènes érotiques, grotesques et banales malgré la modernité des moyens. Le vocabulaire ennuie lorsqu’il est explicite, mais frôle le risible lorsqu’il se pare d’images: une érection est alors «un petit lever de soleil»; le sexe féminin, une commune «chapelle ardente». Avant de faire la rencontre de Juillet — qu’il séduira avec des courriels érotiques —, Frank multiplie les ébats virtuels, notamment avec la représentation d’une rousse présentatrice météo. En effet, grâce à un «slip avec membrane stimulante muni de senseurs pour les fesses», les internautes peuvent maintenant ressentir de manière très convaincante les plaisirs du cybersexe. Ces nouvelles possibilités sensuelles — de même que les plus ancestrales — font partie des sujets de pré- Si les mésaventures de cette énième jeunesse perdue s’avèrent par moments attendrissantes, les trop nombreux éléments irritants balaient cette première impression. On pourrait concéder que le triste destin de Juillet interroge les mécanismes du désespoir et les rouages de l’endoctrinement au service d’une cause aussi noble que l’environnement. C’est peut-être ce qui a séduit en ce roman — il était de la liste préliminaire au Prix des libraires —, mais, trop agacée par tout le reste, j’ai été incapable de me laisser émouvoir. n 2033, le terrorisme se décline en différentes tendances écologistes et les avancées technologiques ont permis de décupler les possibilités du cybersexe. C’est dans « ce monde où rien ne s’arrange » que se joue l’histoire d’amour entre Frank, musicien «Trad», et Juillet, «jeune comtesse de Ségur hardcore» qui tient un site porno. 26 • lettres québécoises • été 2010 polar NORMAND CAZELAIS IIII 1/2 Jean-Jacques Pelletier, Les gestionnaires de l’Apocalypse 4, La faim de la Terre, tomes 1 et 2, Québec, Alire, 2009, 770 p., 19,95 $. Question de pouvoir Le pouvoir du romancier est d’abord celui de l’imagination. C’est encore mieux quand s’y greffe un réel talent de narrateur. Ni l’un ni l’autre ne font défaut à Jean-Jacques Pelletier. À preuve, les succès de librairie que connaissent ses cycles romanesques. es deux tomes de La faim de la Terre complètent la série des Gestionnaires de l’Apocalypse. Des pavés, en format poche, de plus de 750 pages chacun, ce n’est pas rien. Peut-être avez-vous lu les précédents: La chair disparue, L’argent du monde, Le bien des autres. L’auteur y met en scène, à l’échelle macroscopique, des chassés-croisés politiques, financiers, commerciaux, militaires, mafieux, ce qui n’est pas rien non plus. Le tout constitue évidemment, en filigrane, une réflexion sur notre destin collectif. L La recherche documentaire est impressionnante, comme l’est la réflexion qui la sous-tend et l’organise. Car il ne s’agit pas ici que d’un seul thriller conçu pour divertir, mais d’un projet, celui de dresser un portrait d’ensemble du monde contemporain et de jauger les grandes forces susceptibles d’orienter son avenir… pour le meilleur mais surtout pour le pire, à en croire les avertissements sous-jacents de l’auteur. Heureusement, il y a les impondérables du hasard. Si l’intrigue est complexe à souhait, enfilant complots, chaussestrappes, trahisons et faux-semblants, nombreux personnages à triple fond et autres manifestations de la malignité humaine, le corpus est assez classique : deux puissances occultes s’opposent par voies et voix interposées. D’une part, le Consortium, groupe restreint mais international de « criminels en col blanc»; d’autre part, l’Institut, organisation se concentrant sur les « formes majeures de criminalité » et que dirige F, une femme « énigmatique » et solitaire. Entre elles se retrouvent la planète tout entière, des médias qui font de l’information thrash… et Gonzague Théberge, inspecteur de la police de Montréal — à l’humour acide — qui aspire à la retraite… et qui a développé une aptitude à parler aux morts. Dirigé par un homme au nom prédestiné — Killmore —, qui lui-même s’alimente à des «auteurs du désespoir», le Consortium ne lésine pas sur les moyens. Il a un objectif clair: «Nous allons manipuler l’extinction planétaire de manière à favoriser l’émergence d’une nouvelle humanité. Une humanité rationnelle, débarrassée de ses délires et de ses illusions. [...] Notre tâche sera de veiller à ce que le passage s’effectue de manière efficace.» Ce progrès, si l’on peut employer un tel terme, passera par le chaos, un «chaos créateur», issu de la manipulation tous azimuts car, seule «l’Apocalypse peut faire accéder l’humanité à un stade plus avancé d’organisation (et) dissoudre les rigidités sociales et culturelles qui empêchent l’évolution de notre espèce». Et de se demander Killmore, en regardant le groupe des quelques rares « Initiés » : « Quand viendrait le temps de l’Exode, combien d’entre eux trouveraient place dans la cohorte des Essentiels?» JEAN-JACQUES PELLETIER En d’autres temps et dans d’autres contextes, ces images toutes bibliques ont trouvé pour noms et expressions le nazisme et la solution finale, Pol Pot et le nettoyage idéologique, le Surhomme, Metropolis, La guerre des étoiles. Ou encore l’appât du gain et du pouvoir, la guerre du Bien et du Mal, de la Vie et de la Mort qui se nourrissent l’un l’autre. Et le vieux rêve: dégager à jamais le genre humain de ses scories qui pèsent si lourd, éliminer l’autre qui gêne. Comme les romans qui l’ont précédé, La faim de la Terre est celui d’une chimère. Et aussi de l’humanité analysée globalement, comme vue de l’extérieur. Le genre policier a évolué, reléguant souvent le mystère du coupable à démasquer derrière celui de l’âme à débusquer. Pourquoi l’être humain en arrive-t-il à de telles extrémités, à de telles folies? Des historiens — pensons à Edward Gibbon dans sa célèbre History of the Decline and Fall of the Roman Empire — ont voulu comprendre le processus de dégénérescence sociale. Des écrivains — pensons à la Comédie humaine de Balzac, aux Rougon-Macquart de Zola — ont pris un autre chemin. Aujourd’hui, de larges pans du policier et du roman de mœurs à grand déploiement ont évolué vers le thriller qui ne dédaigne pas adapter à l’occasion des techniques puisées à la science-fiction, à la fantasy. On parle maintenant, vous le savez, de littérature «transgenre». Afin de toucher un plus large lectorat, nombre d’auteurs ont choisi le thriller pour traiter d’interrogations sociales, de problèmes philosophiques et planétaires. L’approche de Jean-Jacques Pelletier s’inscrit dans cette veine. Il entraîne son lecteur tambour battant, parcourt le globe, plonge dans les dédales de l’informatique la plus sophistiquée, déploie une pensée claire et un style vif qui évitent les écueils d’une intrigue qui aurait pu être nébuleuse à force d’être touffue. L’ambition romanesque de Pelletier ne relève pas du deux de pique, et il la sert bien. Chapeau! En tournant les pages, il m’est toutefois venu une double réserve, liée d’abord à la forte rationalité du roman qui, paradoxalement, prédit l’échec d’un monde trop rationnel. Réserve liée également à une comparaison: je n’ai pu m’empêcher de penser à Edward Whittemore, mort trop tôt, et à son éblouissant Quatuor de Jérusalem. La faim de la Terre m’a beaucoup plu mais ne m’a pas ébloui. Peut-être à cause de la réticence de l’auteur à fouiller en profondeur, comme l’a fait Whittemore, la psyché humaine. Sûrement parce que l’équivalent de sa démesure — sinon de son génie — n’y est pas.Mais, ne nous y trompons pas, le travail de Jean-Jacques Pelletier est nettement au-dessus de la moyenne. lettres québécoises • été 2010 • 27 polar NORMAND CAZELAIS IIII 1/2 Chargé de l’enquête, le sergentdétective André Surprenant, l’esprit «toujours un peu ailleurs» et en proie à des déboires sentimentaux, attend de quitter les Îles et d’être muté à Québec, comme il en a fait la demande. Pour ne rien arranger, ses relations avec son patron immédiat, Mad Dog Dépelteau, ne sont guère empreintes d’aménité. « Pour se sortir du trou, il ne peut compter que sur lui-même.» Même le chat ne peut l’aider. Mais il est un policier: il fera son travail par devoir, aussi poussé par une volonté de comprendre pourquoi. Pourquoi? Telle est la question qui l’anime et le guide. Il en est convaincu, « on ne tue pas un violoneux pour de l’argent». Jean Lemieux, Le mort du chemin des Arsène, Montréal, La courte échelle, 2009, 452 p., 29,95 $. Vu de l’intérieur Ici, Jean Lemieux nous livre un polar de facture classique : un meurtre, un lieu clos insulaire, des suspects, un mystère. Un homme, en proie à des tiraillements, essaie de dénouer les fils. Pour ce faire, il regarde vers l’intérieur des êtres : quels mobiles derrière tout cela ? Une enquête qui révèle plus que l’identité d’un assassin, à savoir les non-dits d’un tissu social. Une belle réussite. «Le grand, l’unique» Romain Leblanc, violoneux madelinot «au sommet de sa gloire», trouve une mort violente dans sa maison. Rapidement, malgré une certaine mise en scène, l’hypothèse du suicide est écartée. Cet homme enclin aux excès n’a pas fait que des heureux dans sa vie: des enfants négligés, une épouse délaissée, un frère relégué toute sa vie au second plan, des amis abusés, des maîtresses larguées sans ménagement. Et, quand on remonte dans le temps, émergent des jalousies, un mari disparu, des acquisitions de propriétés en coulisse, un héritage ambigu, des dettes à acquitter. Porté par des images marines et des références musicales disposées en contrepoint, Le mort du chemin des Arsène démontre une belle qualité d’écriture, un vocabulaire précis et une affection manifeste pour cette créature à la fois si frêle et si forte qu’est l’homme. Créant d’emblée une complicité avec le lecteur, Jean Lemieux a une démarche qui lui appartient. Avec lui, la beauté s’associe à une forme de morale: on fréquente des chemins qu’a explorés P. D. James. C’est un compliment. P.S. Procurez-vous à l’avance une carte détaillée des Îles-de-la-Madeleine pour mieux suivre. DÉCOUVREZ les nouveautés du printemps ! NEVADA EST MORT SOMBRE PEUPLE COVENTRY HISTOIRES DE LIVRES Yves Trottier Marie Christine Bernard Helen Humphreys Collectif 28 • lettres québécoises • été 2010 HÉLÈNE RIOUX Scott Symons, Place d’Armes, traduit de l’anglais, présenté et annoté par Michel Gaulin, Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 348 p., 28 $. Mises en abyme présentation Et pourtant, dit-il encore, Tout ce que je veux, c’est le droit d’aimer mon pays, ma femme, mon peuple, le monde dans lequel je vis. […] C’est la raison pour laquelle je suis venu ici… parce que je suis incapable de vivre privé de ce droit. (p. 126) Un écrivain, Scott Symons, écrit un roman intitulé Place d’Armes. Ce roman raconte l’histoire d’un écrivain, Andrew Harrison, qui écrit un roman intitulé Place d’Armes. L’auteur a puisé dans ses propres expériences tumultueuses la matière vive de son roman. André Gide à Marcel Proust, en passant par Italo Calvino et John Irving, pour ne nommer que ceux-là, les écrivains sont nombreux à avoir été tentés par la mise en abyme — André Gide serait d’ailleurs à l’origine de l’expression. Des dramaturges comme Pirandello, des cinéastes comme François Truffaut, des peintres comme Vélasquez ont également utilisé le processus dans certaines de leurs œuvres. Scott Symons occupe toutefois une place à part. Dans son roman, Place d’Armes, un deuxième regard, celui de Hugh Anderson, en quelque sorte l’alter ego de Symons, se juxtapose à celui du narrateur, et chacun raconte à sa façon la même histoire. La mise en abyme est donc double, puisque l’écrivain regarde ici l’écrivain se regarder. Mais plus encore, Hugh commente, critique, juge le roman d’Andrew en cours d’écriture. L’un écrit son journal — Symons a d’ailleurs inséré des extraits de celui qu’il tenait pendant qu’il écrivait Place d’Armes, et qu’il appelait «journal de combat». Les points de vue sont donc multipliés. Un effet de miroir brisé où la même image se reflète à l’infini. Né dans un quartier huppé de Toronto en 1933, rejeton d’une famille de tradition loyaliste, Scott Symons fréquente les meilleurs collèges privés ontariens avant d’aller terminer ses études à Oxford, puis à la Sorbonne, où il étudie la grammaire et la littérature française. À 25 ans, il épouse une jeune fille de la haute bourgeoisie torontoise avec laquelle il a un fils, Graham. Journaliste à l’emploi de différents quotidiens — notamment à La Presse —, il est ensuite chargé de cours à l’Université de Toronto et conservateur adjoint au Royal Ontario Museum. Jusque-là, Hugh et Andrew ont à peu près le même passé. Mais voilà qu’il renonce brusquement à tous ses privilèges pour prendre la fuite avec son amant âgé de 17 ans, issu, lui aussi, de la meilleure société. Poursuivi par la GRC, le couple maudit trouve refuge au Mexique. Après la rupture avec son amant, Symons s’installe au Maroc. En 2000, la maladie et les dettes le forcent à revenir au Canada, où il s’éteindra en 2009 dans l’anonymat presque total. D’ LE GRAND ROMAN CANADIEN À l’instar de Hugh MacLennan, qu’il rejetait absolument, Scott Symons rêvait d’écrire le « grand roman canadien », une œuvre qu’il voulait iconoclaste, visionnaire et révolutionnaire — tout le contraire des Deux solitudes, en fait. Son but était de se libérer, et de libérer en même temps les lecteurs, du carcan dans lequel la société canadienne-anglaise bien-pensante de l’après-guerre était enfermée. Vaste entreprise. Divisé en vingt-deux jours — le temps que Scott Symons lui-même mit à écrire son roman —, Place d’Armes commence dans le train qui conduit l’auteur de Toronto à Montréal. Presque aussitôt arrivé à Montréal, celui-ci a une aventure homosexuelle, qui se révélera une sorte de catalyseur, avec deux prostitués francophones rencontrés au hasard de ses errances aux alentours de la place d’Armes, lieu qu’il veut comme personnage principal du roman. Au fil des jours, fébrile — il a la grippe et peut-être quelque autre virus attrapé au cours de l’épisode homosexuel du début —, il déambule dans cette place qui lui résiste, décrit l’architecture de ses édifices, ses monuments et leur histoire, médite dans l’église Notre-Dame, observe, sans aucune complaisance, le plus souvent avec rage et dégoût, les passants. Il mange dans différents restaurants du quartier avec différentes personnes, poètes, journalistes, propriétaires de galerie d’art, tant francophones qu’anglophones. Et surtout, seul ou avec ses commensaux, il s’interroge sur le sens de l’identité canadienne, et sur sa propre identité homosexuelle. … je savais que je ne pouvais plus différer davantage le moment de me jeter à l’eau. Que je ne pouvais plus rester «à l’extérieur» de tout cela. Je savais que je faisais partie de ce milieu canadien que je détestais tant mais que j’aimais en même temps. (p. 186) UNE VIE SCANDALEUSE Michel Gaulin, professeur émérite à l’Université de Carleton, à Ottawa, nous offre ici une traduction remarquable de cette œuvre ambitieuse, résolument hors du commun. Le texte fourmillant d’allusions tirées de la littérature et de la culture anglaises, le traducteur l’a soigneusement annoté «afin d’en amplifier le plaisir de la lecture». Paru en 1967, alors que l’homosexualité était encore considérée comme un crime, Place d’Armes a été accueilli par un chœur de critiques outragées. N’empêche que, par la suite, Literary Review of Canada l’a classé parmi les cent meilleurs livres publiés au Canada. I N FO CA P S U L E Que doit-on enseigner ? Au début de l’année, il y a eu un branle-bas de combat à propos de l’enseignement de la littérature, particulièrement au secondaire. Que doit-on enseigner ? Le débat a créé de vives discussions tout simplement parce qu’au Québec, il n’y a pas de règles fixes, sinon des suggestions: couvrir trois genres différents (le conte et la nouvelle étant privilégiés), faire lire cinq œuvres par année (oeuvres écrites par au moins trois auteurs), dont la moitié doivent être québécoises. Pour le reste, à la grâce de Dieu ! Ce qui a pour résultat que, d’un professeur à l’autre, d’une classe à l’autre dans la même école, on peut assister à des écarts considérables. Nous sommes loin des programmes réglementés à la virgule près par un ministère de l’Éducation pointilleux. Doit-on revenir à cette rigueur ? Pas facile de répondre à cette question quand la littérature a littéralement explosé depuis un demi-siècle au point que la France et la Belgique sont tout aussi laxistes que nous. lettres québécoises • été 2010 • 29 traduction HÉLÈNE RIOUX IIII Alice Munro, Du côté de Castle Rock, traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Montréal, Boréal, 2009, 352 p., 27,95 $. Histoires d’une famille Le dernier titre d’Alice Munro est présenté comme un recueil de nouvelles. Moi, je l’ai lu comme un roman. …si la femme aux moutons de poussière sous les lits avait lu les gros livres, eût-elle été pardonnée? Je ne le crois pas. C’étaient les femmes qui la jugeaient, et les femmes jugeaient les femmes plus durement qu’elles ne jugeaient les hommes. (p. 139) La narratrice est au centre de la deuxième partie. Dans «Des pères», un texte troublant, nous la retrouvons enfant, avec deux camarades de classe: l’une déteste son père, l’autre est trop aimée du sien. À l’adolescence, elle connaît l’éveil de sa sexualité avec un garçon un peu étrange. Plus tard, elle travaille un été comme bonniche dans une famille peu sympathique qui habite sur une île. Elle se marie. Et à la fin, comme par magie — celle de l’écriture —, la boucle est bouclée, tous les fragments s’emboîtent. On est émerveillés devant la fresque. cause, sans doute, de l’unité parfaite de l’ensemble, ce fil qui relie chacun des textes. Au fond, ces définitions ont de moins en moins d’importance. Les genres ont désormais tendance à se confondre, et c’est parfois pour le mieux. Quoi que j’en pense, l’auteure, elle, considère ses textes comme des nouvelles. À IIII Yann Martel, Mais que lit Stephen Harper ?, traduit de l’anglais par Émile et Nicole Martel, Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 262 p., 25 $. Au cours de ces années, j’étais aussi occupée à écr ire un ensemble de nouvelles différentes des autres. Elles ne furent pas incluses dans les livres de fiction que j’assemblais à intervalles irréguliers. Pourquoi? J’avais le sentiment qu’elles n’y avaient pas leur place. Sans être des mémoires, elles étaient plus proches de ma propre vie […], j’y explorais une vie, la mienne, mais pas d’une manière austère ni avec un respect rigoureux des faits. C’était moi-même que je plaçais au centre et j’écrivais au sujet de ce moi… (p. 10), nous confie Alice Munro dans l’avant-propos. Donc, des nouvelles librement autobiographiques qui se lisent comme un roman. UNE LONGUE HISTOIRE FRAGMENTÉE L’auteure élabore son récit à partir de lettres, d’extraits de journaux intimes, d’inscriptions sur des pierres tombales. Le tout débute dans la vallée de l’Ettrick, en Écosse, d’où sont originaires les ancêtres de ALICE MUNRO la narratrice. En voyage là-bas, celle-ci se rend au cimetière où repose Robert Laidlaw, son arrière-arrièrearrière-grand-père. Du côté de Castle Rock nous raconte, par fragments, l’histoire de cette famille emblématique. La première partie se déroule avant la naissance de la narratrice. Nous croisons, en Écosse, des personnages hauts en couleur, bergers comme ce Will O’Phaup et 30 • lettres québécoises • été 2010 sa ribambelle d’enfants, puis les enfants de ces derniers. Ils sont parfois illuminés, parfois cocasses, souvent pathétiques, toujours profondément humains. Nous apprenons comment leurs descendants ont un jour, poussés par la misère et l’espoir d’une vie meilleure, traversé l’océan et se sont installés en Ontario. Leurs amours, leurs espoirs et leurs déceptions nous sont racontés. L’auteure glisse parfois une observation, toujours juste, sur les mœurs de l’époque. Correspondance à sens unique Sidéré, et profondément blessé, par le mépris que Stephen Harper, premier ministre du Canada, semblait témoigner à la culture en général et à la littérature en particulier, Yann Martel a décidé de lui envoyer une lettre toutes les deux semaines, et ce, depuis le 16 avril 2007. Dans chaque lettre, il commente le livre qu’il lui fait parvenir dans le même envoi. Le premier ministre, hélas, ne répond pas. ommage, parce qu’on aurait bien aimé, à l’occasion, savoir si M. Harper avait lu le livre proposé, connaître sa réaction. Un dialogue aurait pu s’amorcer. L’image glacée, figée, se serait peut-être humanisée. On pense à Voltaire et autres philosophes du Siècle des Lumières qui correspondaient avec les grands de leur époque — Catherine de Russie, Frédéric de Prusse. Despotes éclairés ou non, au moins ces gens-là répondaient à leurs lettres. Aux lecteurs que nous sommes, ce plaisir sera refusé. D Au fond, qu’importe, puisque cette correspondance à sens unique est à présent réunie, du moins jusqu’au 20 juillet 2009, dans un recueil paru sous le titre de Mais que lit Stephen Harper? Nous ne le saurons pas, mais nous apprendrons ce que lit l’auteur, Yann Martel, et pourquoi. traduction HÉLÈNE RIOUX III M A I S Q U E L I T YA N N M A R T E L ? On apprend beaucoup sur une personne quand on sait ce qu’elle lit. Est-ce pour cela que le premier ministre répugne à répondre ? Craindrait-il de trop se livrer en confiant ce qu’il lit ? Yann Martel, lui, le dit avec une grande simplicité — beaucoup d’humilité aussi. Et on apprend beaucoup sur lui. Conscient qu’un premier ministre est très occupé, Martel s’est donné comme contrainte de ne lui envoyer que des livres courts. N’empêche que l’éventail des œuvres proposées est vaste et éclectique. D’Agatha Christie à Larry Tremblay en passant par Tolstoï, Mishima, Voltaire, Marc Aurèle — sans oublier Michael Ignatieff —, il suggère sans rien discriminer romans, nouvelles, poésie, théâtre, biographies, albums pour enfants, scénarios, bandes dessinées. Les auteurs, morts ou vivants, sont canadiens, québécois, russes, suédois, américains, japonais, colombiens, français, anglais et autres. Chaque lettre est suivie d’une notice biographique. Il propose des livres qu’il a aimés, bien sûr, La mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï, par exemple, pour «la clarté et la précision» de l’observation, l’aspect actuel et universel de ce livre écrit en Russie en 1882 ; ou The Uncommon Reader, pour l’ironie, l’humour et la légèreté non dénuée YA N N M A R T E L de substance du propos. Mais il suggère aussi des livres qu’il n’aime pas. Écoutons-le parler de Fictions, de Jorge Luis Borges, un recueil de nouvelles qu’il avait peu apprécié il y a vingt ans, et dont la relecture ne l’a pas davantage impressionné: Miguel Almeyda Morales, Le barrio, traduit de l’espagnol (Pérou) par Pierrette Richard, Québec, L’instant même, 2009, 129 p., 20 $. Le théâtre comme thérapie Interné dans un hôpital psychiatrique, Ángel Morales, sujet à de graves crises d’angoisse, se voit confier la responsabilité de former une troupe de théâtre avec ses compagnons d’infortune. ntre première et troisième personne, ce roman polyphonique, traduit avec beaucoup de sensibilité par Pierrette Richard, alterne les extraits du journal d’Ángel, l’élaboration d’une création collective avec les patients, les souvenirs du barrio — ou bidonville. Les personnages, tous des écorchés vifs, finiront par exprimer, chacun à sa manière, l’insoutenable douleur de vivre qui est la leur. Il sera question de trahisons, des séquelles de la guerre fratricide qui a déchiré le pays, des obsessions des protagonistes. Cela ne se fait pas sans heurt. Mais la délivrance doit emprunter ce chemin, et il faut qu’à la fin la vérité éclate. La vérité ? Ángel en doute parfois. E Je n’ai aucune putain d’envie d’écouter ces fous pitoyables raconter leur vie, des vies qui ne sont peut-être même pas les leurs, mais plutôt une projection de leurs cauchemars. (p. 78) Il y a chez Borges un échec à s’engager dans les complexités de la vie, les complexités de la vie matrimoniale ou parentale, ou même, dans n’importe quel autre engagement émotif. […] Et donc, ma conclusion cette fois-ci, tout comme ma déduction initiale déconcertée, reste: c’est du travail juvénile, ça. Pourquoi donc vous envoyer un livre que je n’aime pas? (p. 200) Dans la préface, Robert Lepage se dit impressionné par ceux qui ont choisi de donner une voix aux exclus. Il y a les valeurs sûres, Le petit prince, Lettres à un jeune poète, Le vieil homme et la mer, disons. Mais il y a aussi des surprises. Ainsi, Yann Martel a envoyé Los Boys de Junot Díaz, dont il n’avait «jamais entendu parler, non plus que de son auteur». Il a par la suite appris que celui-ci venait de remporter le prix Pulitzer. Il y a des livres achetés dans des librairies d’occasion — dans l’un d’eux, une photo de groupe, neuf inconnus, s’échappe. Il y en a un autre qu’il fait dédicacer par l’auteur. Des trésors, quoi. Ce livre est également irrésistible pour une autre raison : bien que les lettres soient toutes adressées à Stephen Harper — l’auteur lui donne parfois son avis sur des décisions politiques, le félicite d’avoir gagné ses élections, lui souhaite un joyeux Noël —, on en vient presque, à cause du ton intimiste, sans doute, à avoir l’impression d’en être le destinataire. On a hâte de lire — j’allais dire d’ouvrir — la suivante, on voudrait répondre qu’on a aussi apprécié tel roman, moins tel autre, qu’on va certainement lire celui-ci, mais que celui-là ne nous convient pas. On s’étonne qu’il ait négligé tel titre qui nous a tellement marqué, on voudrait faire à notre tour des suggestions. Pour ceux qui connaissent peu la littérature, c’est une excellente initiation. Et pour ceux qui, comme moi, l’aiment d’amour, un pur enchantement. Quand je pense que, pour plusieurs, créer veut dire résister et que résister signifie, malheureusement dans bien des régimes, mettre sa vie en danger, ma fascination pour ces artistes se transforme en admiration… (p. 11) MIGUEL ALMEYDA MORALES En ce sens, Le barrio est certes un livre admirable. Conteur, poète et scénariste, Miguel Almeyda Morales a lui-même fondé une troupe de théâtre à Lima. Désormais coopérant volontaire, il partage son temps entre le Québec et le Pérou, où il travaille comme animateur dans les bidonvilles de la capitale. lettres québécoises • été 2010 • 31 récit Y V O N PA R É III Roland Bourneuf, L’ammonite, Québec, L’instant même, 2009, 234 p., 25 $. Roland Bourneuf réinvente le présent devine qu’il séjourne dans les pays nordiques et en Amérique centrale. Son lieu de prédilection demeure l’Europe cependant. Roland Bourneuf décrit l’univers des paysans, des petits commerçants pour qui chaque geste marque les jours, les tâches qui usent le corps et finissent par étouffer les rêves. L’écrivain ramène à la vie ces oubliés de l’histoire. Un monde qui ne peut survivre que dans la mémoire et les souvenirs. À la lecture de L’ammonite, j’ai souvent pensé à Marie Rouanet, cette écrivaine admirable qui a su si bien cultiver l’art de la mémoire. Signalons surtout son magnifique Quatre temps du silence. Roland Bourneuf est de cette lignée. Arnaud Bermane est retrouvé mort sur la grève. Dans son sac à dos, des carnets et un passeport. Rien d’autre ! Catherine reconnaît son père dans l’entrefilet du journal. es carnets racontent les voyages d’Arnaud, s’attardent à ses réflexions et à ses errances. Par l’écriture, il remet en question sa vie et son passé. C’est peut-être la seule voix qui le berçait quand il s’arrêtait après une journée de marche ou de travail. Celle qui s’imposait quand il inventait des mondes à partir de ses figurines. C L’idée me vint de compulser des encyclopédies, des mémoires, des brochures jaunies, de vieux catalogues de mode, des cartes géographiques, de constituer des dossiers, puis d’ébaucher des récits. Je rapprochais, appariais, risquais des assemblages, composais des familles, des lignées. (p. 15) C’est ainsi qu’Arnaud part à la recherche de ses proches. Son père Charles, producteur de vin; Odile, sa mère, qui a tourné le dos à toutes ses aspirations. Son frère Marc-Antoine, un idéaliste qui veut changer le monde. Un oncle explorateur, des religieux qui ont consacré leur vie aux plus démunis. Il y a aussi le grand-père Théo, un paysan têtu qui ne vit que pour sa terre. Jusqu’à la fin. Et ces secrets de famille qui hantent le petit garçon et qui ont été emportés dans la mort. Les guerres aussi, ces grands délires humains. GENS ORDINAIRES Roland Bourneuf s’attarde dans des régions peu connues de la France, des agglomérations qui gardent un pied dans le passé tout en se tournant vers la modernité. Arnaud observe, écoute, tente de vivre l’ici maintenant. Il connaît des amours éphémères, se questionne sur cette lignée qui a fait ce qu’il est. Parce que l’humain, chez Bourneuf, est le fruit à la fois du passé et du présent. Il a connu l’amour avec Olivia. Elle s’est enfuie alors qu’elle était enceinte. Ils ne se sont jamais revus. Lui, après une vie discrète, part sur les routes. Il vit d’expédients, effectue de menus travaux, va d’un pays à l’autre pour surprendre les gens dans leur vie et leurs amours. C’est surtout une façon de s’inventer une histoire, un passé et de tolérer le présent. Le lecteur 32 • lettres québécoises • été 2010 III Hélène Harbec, Chambre 503, Ottawa, David, 2009, 312 p., 22,95 $. Hélène Harbec fixe la mort Certaines périodes de la vie sont plus difficiles que d’autres. Le dernier couloir, la dernière chambre qui mènent à la mort, qui veut s’y attarder ? élène Harbec, dans Chambre 503, assiste aux derniers jours de son père atteint d’un cancer. Son état demande des attentions continues. Incontinence, pertes de mémoire, vision diminuée, locomotion réduite. La mort est proche, il le sait, il le sent. H Il dit qu’il n’aperçoit pas la mort à l’horizon, mais qu’il n’a rien contre. Il espère au moins avoir le temps de voir le nouveau bébé qui naîtra dans la famille. (p. 69) Hélène Harbec note les changements chez son père jour après jour. Ses colères contre les contentions, les mots qui se bousculent et ne disent plus ce qu’ils disaient. Il s’accroche pourtant. Je ne sais pas à quoi il sourit, sa vue est si faible. Peut-être perçoit-il à l’instant la mesure de son infortune. Il sait bien qu’il n’est pas au bout de ses peines. Il voit sa vie qui s’en va là-bas. Qui marche au loin. Son visage s’assombrit. Il se retient de pleurer et décide de faire demi-tour, c’est trop loin. (p. 77) La fille écrit pendant les heures de veille, ces moments où elle a l’impression de s’égarer dans un repli du temps. L’écriture comme une bouée de sauvetage. Cela n’empêche pas l’écrivaine d’exprimer des doutes. récit Y V O N PA R É Que vaut un livre qui s’écrit quand un père se meurt? La vie ne précède-t-elle pas les mots? (p. 193) Apprentissage des langues, découverte de la différence, Bïa Krieger témoigne de son vécu simplement. FA M I L L E Les autres patients deviennent des familiers. M. Veilleux qui s’accroche à son passé, Alice qui ne sait plus que hurler et Mme Granger si touchante et effarouchée. Tous sont vieux d’une vie et si près de l’enfance. Une ressemblance étrange entre le vieil homme qu’il est devenu et un nouveau-né. Comme si être prêt à naître ou à mourir faisait ressortir les mêmes traits, les mêmes postures, les mêmes regards. (p. 40) Un récit qui remuera bien des souvenirs pour celui ou celle qui a connu semblable situation. J’ai revu ma mère dans son lit ou encore ma sœur qui combattait le cancer… Le récit est rendu avec une belle simplicité. Une description clinique qui bouleverse souvent. L E G O Û T D E L’ E X I L Marina prend goût à ces exils qui la m è n e ront d a ns d i f f é re nt s p ays d’Amérique du Sud. Particulièrement le Chili pendant le court règne de Salvador Allende. Ses parents y trouvent du travail et peuvent enfin vivre au grand jour, n’ayant plus à dissimuler leurs idées et leurs croyances. Tout semble possible pendant cette période d’euphorie. J’aimai le Chili. Son air froid et sec qui faisait geler les crottes de nez, provoquant sans cesse des saignements de narines. Son peuple si taciturne, grave, mélancolique et assoiffé de poésie, ces visages homogènes, cette parfaite chiliennitude faite de cheveux noirs de jais, d’yeux légèrement bridés, de pommettes hautes et de peaux mates, de femmes sérieuses et sans fard et d’hommes introspectifs épargnés par la calvitie. (p. 69) Conscient, confus, supportant à peu près tout avec stoïcisme, attentif à son épouse et à sa fille qui ne fabule jamais pour entretenir l’espoir, Jean-Paul Harbec devient un héros admirable devant l’inéluctable. Sa fille lui rend un bel hommage dans Chambre 503. III Bïa Krieger, Les révolutions de Marina, Montréal, Boréal, 2009, 280 p., 25,95 $. Bïa Krieger crée une surprise Le rêve ne durera pas. Il faudra s’exiler au Portugal cette fois, composer avec une société sclérosée. LE BRÉSIL Et après bien des déplacements, des escales chez les grands-parents, elle retrouve le Brésil à l’âge de l’adolescence. Bïa s’est imposée comme chanteuse au Québec. Si le prénom est familier, il faut maintenant tenir compte de Krieger, son nom de famille. Les révolutions de Marina nous plongent dans les pérégrinations qui ont marqué son enfance. M ilitants engagés, ses parents devaient changer d’identité et se déplacer constamment pour échapper à la police et à la dictature. Les migrations peuvent faire en sorte que l’on devient étranger dans son propre pays. Ceux, qui, comme mes parents, ne croyaient pas à la violence comme moyen pouvant servir des fins légitimes, vouaient leur existence à la diffusion d’organes d’information illégaux, à l’organisation de syndicats, à la sensibilisation des masses laborieuses et à la pénétration des idées libertaires tant dans les couches opprimées que chez les intellectuels du pays. (p. 14) Pendant ces disparitions, la jeune Marina se retrouvait chez ses grands-parents maternels. Un couple conservateur, mais des gens généreux qui n’hésitaient jamais à aider leurs enfants. Je débarquai au pays du dévergondage, où l’on expose les rondeurs charnues sans y penser, où l’on s’appelle «mon amour» et «chéri» à la caisse du supermarché ou dans l’autobus. «Tu n’as pas l’appoint chérie?» «Ah, désolée, mon cœur! Je n’ai aucune monnaie!» Le langage corporel, le ton de voix langoureux et les attouchements triviaux du plus banal échange carioca seraient passés à Lisbonne pour une invitation à la débauche; et sous ces gais tropiques les bikinis tenaient moins de place qu’une balle de ping-pong dans une main fermée. J’étais dépaysée dans mon propre pays. (p. 35) TÉMOIGNAGE Apprentissage des langues, découverte de la différence, Bïa Krieger témoigne de son vécu simplement. La fillette montre une capacité de résilience et d’adaptation exceptionnelle. Le récit passe de la vie de l’enfant à celle de l’adolescente qui connaît ses premiers émois avec des garçons pour replonger dans ses premières années. Une fois familiarisé avec ces allers et ces retours, on suit la narratrice avec plaisir. BÏA KRIEGER Bïa Krieger est plus qu’une chanteuse. Elle démontre dans Les révolutions de Marina un talent d’écrivaine. lettres québécoises • été 2010 • 33 nouvelle S É B A S T I E N L AV O I E III L’aspect superfétatoire de toute chose est dans le sous-texte, qui se tient en périphérie d’un monde où priment la cruauté et le désenchantement. Un monde où le loup est un loup même pour le loup («Sonatine») et où le côté dérisoire de tout est souligné à gros traits. On y trouve quelques comparaisons savoureuses : « C’est comme si on menait une charge de cavalerie dans un marais. » (p. 110) Ainsi que quelques irrévérences: «Un jour, contre toute attente, un politicien se mit à penser.» (p. 136) Maurice Henrie, Le jour qui tombe, Ottawa, L’Interligne, 2009, 224 p., 18,95 $. Conformisme et rébellion Le côté dérisoire du monde apparaît teinté d’une ironie plus détachée que grinçante… Le jour qui tombe aurait gagné à s’appeler La vie secrète des grands bureaucrates, mais son auteur a jadis publié un livre sous ce titre. MAURICE HENRIE ernand « s’intéressait surtout à l’infiniment petit» (p.47). Un jour, il remarque que l’axe de la couronne de sa montre-bracelet en or est décentré et il en est fort troublé. Il va demander conseil à son ami, l’horloger Bertrand, et décide de faire changer ladite couronne. Les jours passent et l’insatisfaction de Fernand augmente. Il réalise, après avoir tenté de gommer quelques aspérités de sa nouvelle couronne, qu’elle n’est qu’en or plaqué. Il finit par se brouiller avec son ami horloger puis, à la suite d’une « idée de génie» (p. 51), il peinture sa couronne couleur or. L’opération est un succès, et notre héros peut désormais marcher dans la rue la tête haute, sans que les passants se moquent intérieurement de lui, «conscient de porter en lui-même cette parcelle de génie qui le distingu[e] si clairement des autres humains» (p. 52). F Un homme se met à jouer au bon Dieu : « J’adore imiter le Bon Dieu, je le prends pour modèle, je m’inspire de lui, de ses actions, de toute sa création. » (p. 153) Un jour, il marche délibérément sur une grenouille ; un autre tantôt, c’est un chat avec une patte cassée qu’il recueille et soigne. Une autre fois, marchant près de la marina municipale, il décide de détacher une chaloupe verte, « pensant à la surprise et, surtout, à la colère du proprio lorsqu’il s’aperce[vra] de sa disparition» (p. 156), mais son geste lui vaut de sauver la vie d’un nageur en difficulté… Notre homme a beau faire des « geste[s] illogique[s] et sans aucun motif » (p. 157), est-il un disciple digne du bon Dieu pour autant (« Le disciple ») ? N É V R O S E S Y M PAT H I Q U E E T D É S I R S S AT I S FA I T S C’est dans le monde du désir comblé et de la névrose sympathique que nous sommes conviés. Un monde qu’il est préférable de voir par le petit bout de la lorgnette («La quatrième puissance»), un monde où la vieillesse est asphyxiée par le progrès («Oxygène»), où ce ne sont plus les rebelles, mais les bonnes gens désœuvrés qui sont désormais sans cause (« Barbotes », « Le donneur »), où l’autre — c’est-à-dire celui ou celle qui était appelé jadis l’«être aimé» — est interchangeable («Jet set», entre autres), mais où le pays est enraciné dans le cœur («Saguaros»). 34 • lettres québécoises • été 2010 Si j’étais moi, j’achèterais ce livre comme il se doit: sans grande espérance que cela change quoi que ce soit à mon malheur ordinaire ou à mes prétentions. Mais je parle pour parler. Je l’ai reçu en service de presse. II Luc LaRochelle, Hors du bleu, Montréal, Triptyque, 2009, 152 p., 19 $. Mosaïque byzantine « T’es trop vieux pour les jeunes. T’es trop jeune pour les vieux », chantait jadis Plume Latraverse. Trop vieux pour les jeunes ? Pas toujours ! Trop jeune pour Hors du bleu ? C’est peut-être bien ça… l est toujours extrêmement agaçant de lire un livre et de sentir que le moteur de l’auteur nous échappe. L’an dernier, j’ai tenté d’exprimer à Naïm Kattan la frustration que j’avais ressentie à la lecture d’un passage de L’amour reconnu dans lequel ses deux protagonistes riaient de l’amour d’un couple de jeunes qui s’embrassaient sous leurs yeux à bouche que veuxtu… Le narrateur disait qu’à leur âge ces jeunes ne pouvaient pas comprendre le vrai sens de l’amour, qu’il leur fallait atteindre un certain âge… sans jamais qu’il ne donne sa vraie définition de l’amour. I LUC LAROCHELLE Ici, le choc n’est pas si frontal, mais je sais bien que je n’ai souvent pas pu me pénétrer totalement des sentiments véhiculés par les personnages de cette trentaine de nouvelles, personnages souvent jeunes quinquagénaires et presque nouvelle S É B A S T I E N L AV O I E toujours en train de faire des bilans. Je n’ai donc pas tout à fait saisi l’âme de ce recueil en quatre parties. Il ne me reste qu’à en livrer une analyse clinique, façon autopsie. du genre «Elles sentaient la sueur et le parfum bon marché» (p. 49) sont à noter, ainsi que deux phrases amputées, dont l’une me fait dire que l’éditeur n’a pas su mener à bien son ultime relecture («Daniel une pause», p. 39; page 119 pour l’autre amputation). Sinon, on note généralement au dossier de l’auteur un énorme talent pour planter un décor, pour caractériser ses personnages rapidement sans jamais sombrer dans les archétypes et arrivant parfois même à les déjouer. On lui accorde aussi des points pour les chutes de ses histoires. BILAN Notre sujet est petit et parfois mince. Il est composé de trente et une nouvelles réparties en quatre sections. L’action est principalement située au sud des États-Unis et au Québec, mais on y rêve aussi de l’Afrique. Il est à noter que la deuxième partie, qui compte deux courtes nouvelles, est écrite en anglais. L’écriture est sobre, directe, nécessairement économe vu la brièveté des histoires, et repose presque toujours sur la chute qui est rarement ouverte (ce qui ne me déplaît pas tant que je peux m’imaginer, en cours de lecture, que le punch puisse être d’un autre ordre…) De facture réaliste, les récits ne s’attardent sur des détails que lorsqu’il s’agit de singulariser les histoires ou le décor. Elles peuvent parfois virer à l’onirisme… sans que l’auteur en prévienne le lecteur. Une ou deux formules clichés ✖ Claudine Dugué, Poisons en fleurs, Montréal, Triptyque, 2009, 155 p., 19 $. We are not amused Dans Écriture, Stephen King disait qu’il arrive qu’un aspirant écrivain se rebiffe devant une œuvre particulièrement mauvaise en s’écriant : « Quoi ? On publie ça ? Ce que j’écris en cachette est cent fois meilleur!» À toutes ces chenilles sur le point d’éclore, je dis : allez lire Poisons en fleurs. ai cherché longtemps, mais je n’ai pas trouvé trace de canular. J’ai cherché des qualités à ce recueil, et je me suis résolu à vanter un certain vocabulaire, puisque j’ai tout de même cherché quelques mots dans le dictionnaire, mais je ne cache pas que je vante cet aspect comme il m’arrive de complimenter la ponctualité des gens qui ne m’inspirent rien de bon. J’ E N D I R E C T D E N U L L E PA R T L’auteure est née en France, ça au moins on le sait, mais on est bien en peine de situer, ne serait-ce que sur un continent, la plupart de ses vingt-deux histoires. Je veux bien faire semblant de considérer l’idée qu’en gommant les références locales, on s’ouvre des possibilités sur le marché international, mais il y a aussi des limites à l’assujettissement à des principes abstraits et brumeux, limites clairement atteintes ici: Per mettez un hour ra ! pour la nouvelle int itulée «Introduction» (p. 119-120) où l’auteur ridiculise en peu de mots un type bien particulier de roman: «[...] j’ai décidé d’aller dans une direction nouvelle: un roman de l’ennui. Vous me direz que cela risque de ressembler à du nouveau roman. Mais non.» (p. 130) Quant à me lier aux états d’âme des personnages, comme je l’ai dit en ouverture, ce n’est pas ma tasse de thé. [Dans un taxi.] — Je vous dépose à quel endroit? — Au magasin de musique. — Lequel, monsieur? — Le plus réputé. Celui qui vend des instruments de marque et de qualité professionnelle (p. 119) Mais me voilà à ergoter alors que je devrais rendre compte de problèmes plus fondamentaux. Du côté déstructuré de plusieurs nouvelles, par exemple. Ou d’apartés impromptus, de ruptures de ton, de personnages ou de situations qui surgissent comme une roche sur la soupe… Disons que ça splouche beaucoup. Prenons «La bouteille d’huile d’olive». Celle-là a l’heur d’être située, puisqu’il s’agit d’un quadragénaire probablement puceau de la Nouvelle-Écosse qui se met en tête d’«écrire une lettre d’amour à une inconnue» (p. 96). Il ne boit «ni vin ni bière» (p. 97) et c’est donc dans une bouteille d’huile d’olive qu’il confie ses haïkus sentimentaux à l’océan (le projet a évolué légèrement). Huit ans plus tard, alors que les «grammairiens se sont enfin entendus sur la féminisation de l’orthographe des professions» (p. 97), une sculpteure trouve la bouteille en se piquant le doigt sur un clou rouillé. Le docteur, qui lui fait une injection contre le tétanos, lui trouve un air pâlot et la convainc de passer quelques tests. Puis, elle prend contact avec ce puceau qui a piqué sa curiosité, le rejoint et ils passent l’essentiel des pages à se rapprocher du moment des mamours… Ce moment venu, elle retourne chez elle, prétextant des obligations professionnelles, où elle trouve une lettre de son médecin qui lui annonce qu’elle a le sida. Fin. Voilà de quoi réveiller l’adolescent en nous: Rapport? Pour tout dire, on croise même en ces pages un bon sauvage, un Africain qui répond dans un très beau nègre à une petite fille qui lui demande s’il sait lire: «Les mots sur le papier brûlent tel un feu de brousse, mais les paroles mêlées au souffle instruisent d’homme à homme.» (p. 140) Il faudrait aussi parler des personnages qui ont une trop bonne mémoire, des rêves hyperréalistes, des clichés qui s’incarnent de toutes les manières possibles… mais je n’en jetterai plus, car la cour est dans l’état que vous constatez. lettres québécoises • été 2010 • 35 nouvelle MICHEL LORD IIII Louise Cotnoir, Le cahier des villes, Québec, L’instant même, 2009, 114 p., 15 $. D’errance en déshérence Le troisième recueil de nouvelles de « La trilogie des villes » de Louise Cotnoir porte bien son titre, chacune des douze nouvelles se passant dans une ou plusieurs villes, démultipliant ainsi l’impression d’errance spatiale et temporelle de ces personnages en mal de vivre. oin du simple carnet de voyage, les textes sont porteurs d’un certain désespoir, les personnages pour la plupart étant hantés par la mort, le deuil, la perte. Ces motifs suivent les personnages pendant toute une vie parfois et servent également de rappel douloureux de l’histoire contemporaine. Comme un calendrier qui va de juin à mai, chaque nouvelle porte au surplus la mention d’un mois, comme une scansion chronique imparable. L Dans le premier texte, « Le cabinet des curiosités (Juin) », un enfant décide de collectionner les cimetières le jour de l’enterrement de sa grand-mère bien-aimée. Devenu adulte, il voyage à travers le monde, y visite les plus beaux endroits où se trouvent enterrés les morts. Après la mort de sa mère, il est si malheureux qu’il semble vouloir disparaître lors d’une visite à un cimetière marin à Bonifacio, en Corse. Le récit laisse croire un instant qu’il va mourir, se perdre dans la mer / la mère / la mort pour échapper à « cette affliction d’exister » (p. 21). Mais son heure n’est pas encore venue. La nouvelle est portée par une écriture d’une grande beauté. La mort revient hanter un homme qui fait une promenade avec une fillette à Amsterdam dans «Elle avait cinq ans et un papa (Août)». Il se sent lourd, vieux, est toujours endeuillé par la perte de son père, veut mourir, mais résiste pour la petite. C’est plutôt l’érotisme et la fragilité qui prévalent dans «Limoges, comme une porcelaine (Septembre)», où une femme et un homme se promènent dans les rues de Limoges, se suivent, s’épient tout en flânant. Lui a «les yeux fragiles de la porcelaine» (p. 37), elle est en «déroute» (p. 35), «néglige les repères qui pourraient la sauver de lui» (p. 35). S’agit-il de relation entre ces deux personnages seulement ou y en a-t-il un troisième, un homme aimé, mais maintenant détesté, parce que violent? D’où viennent la détresse, l’amertume de la femme? La discrétion demeure suprême, mais la densité, l’intensité émotives sont bien présentes. La relation érotique tourne au bizarre dans «Madame Pinto, charges incluses (Octobre)», avec ce beau jeune homme, slave, violoniste, qui résiste puis suc- 36 • lettres québécoises • été 2010 combe aux caresses de sa propriétaire, Mme Pinto, vieille et laide, mais qui lui fait oublier le concours de violon pour lequel il se prépare fébrilement. Comme dans d’autres nouvelles de son premier recueil, La déconvenue (1993), des relents de l’Holocauste refont étrangement surface. Ainsi, dans «Carnet de voyage (Novembre)», la narratrice est à Berlin après un passage à Vienne. Elle revient sur le lieu des souffrances de ses grands-parents juifs allemands. Son grand-père semble être mort lors de la célèbre Nuit de Cristal, victime des fascistes. Dans «À Dachau, on entend la mer (Avril)», le discours pénètre au cœur même de la conscience juive en acte avec ce narrateur, prisonnier juif emmené avec beaucoup d’autres dans un wagon de train à Dachau. Il fait état de sa maigreur, de ses souffrances et de la douleur née de cette déchéance. Puis tout à coup survient la libération. Certaines nouvelles dévient de cette thématique, pour explorer les méandres de la création et de la conscience heureuse ou malheureuse qui l’accompagne. Dans « La ville sortilège (Février) », le narrateur, sculpteur, est plutôt serein et rêve « de créer une œuvre qui [le] distingue » (p. 75), quitte Montréal pour s’installer un temps à Venise, « ville où tout est œuvre d’art » (p. 77). Côté moins heureux, dans « Sans voix (Mars) », une femme arrive à Copenhague pour donner une conférence sur la création littéraire, se sent tout à coup un peu perdue, vulnérable, pétrie d’angoisse, mais cherche à combattre cette déshérence. Si l’urbanité est loin de toute exubérance chez Louise Cotnoir, elle est porteuse d’une conscience de la finalité de toute chose et portée par une écriture tout en finesse. IIII Diane-Monique Daviau, Là (petites détresses géographiques), Montréal, Québec Amérique, 2009, 137 p., 17,95 $. De la difficulté d’être (encore) Comme pour fêter ses trente ans en tant que nouvellière, Diane-Monique Daviau offre un recueil de treize nouvelles conçues dans la continuité de l’imaginaire de l’auteure, qui gravite autour des motifs de l’enfance, de la difficulté d’être, des rapports difficiles entre les êtres, surtout entre ceux qui devraient être familiers et qui ne parviennent pas à s’entendre, autour de la perte aussi, de l’angoisse, du temps qui passe et de la disparition. Cet univers, toujours dense, est soutenu par une écriture épurée, digne d’un des meilleurs nouvelliers du Québec. a première nouvelle, «Voir», travaille littéralement dans la matière de l’angoisse, avec cette mère qui veille la nuit sur son enfant, habitée par la peur de le perdre. Elle passe son temps à vérifier à l’aide d’un miroir s’il respire bien, répétant le même geste inlassablement. Dans «Des voitures automobiles», l’enfant est au contraire cruellement abandonné, mis dans les poubelles, sauvé, puis adopté, mais mal aimé. Il trouve refuge dans le rêve de voitures, symbole d’une fuite désirée. L nouvelle MICHEL LORD Les adultes ne sont pas en reste, et l’humour noir peut être de la partie, comme dans «Quelques heures de gym avec Giovanni Giovanelli », où la narratrice se voit forcée de faire de l’exercice pour contrer l’arthrose et l’ostéoporose. Les scènes du gymnase contrastent avec le côté sombre du recueil. Il y a bien aussi ce vieil homme, dans « Petit nœud gordien », qui craint la mort, mais qui trouve le tour de lui Les dix textes contiennent presque tous des zones de sens opaque, légèrement hermétique, mais qui laissent le champ libre à la réflexion et à l’interprétation. Le récit d’ouverture, «Osiris», se présente comme un discours de vases communicants. Un homme et une femme déambulent dans un musée d’art ancien. Ils vont entre les œuvres et un café, en parlant doucement, font l’amour, discutent du principe du triangle égyptien, de sérénité. Puis, dans la finale, retour au musée où la femme est devant une œuvre, satisfaite de « sa reproduction de l’offrande à Osiris» (p. 16). Onirique? Poétique certainement. D I A N E - M O N I Q U E D AV I A U faire un pied de nez, et, dans «Yaourt», cette femme, abandonnée et profondément malheureuse, qui se questionne sur le sens de la vie, mais qui décide d’aller s’acheter simplement du yaourt. C’est sur une note des plus désespérées que se termine le recueil, le narrateur de « Cherche-étoiles » suivant le parcours d’un homme qui en a assez de la vie, et qui, après avoir dit à sa vieille mère qu’elle n’a plus à craindre les assauts d’un mari violent, rentre chez lui où il semble se suicider. La mort a certes le dernier mot, comme la vie qui passe, là où nous sommes, et la nouvelle a cette capacité formelle de transmettre cette préoccupation sans pour autant assommer son sujet. C’est là tout l’art de Daviau. IIII Anthony Phelps, Le mannequin enchanté, Montréal, Leméac, 2009, 117 p., 17,95 $. Tremblements de réel(s) J’ai lu en décembre 2009 le premier recueil de nouvelles d’Anthony Phelps, qui n’en est pas à sa première œuvre, car il a depuis 1960 publié pas moins de vingt livres, surtout de la poésie et des romans. rebours, après le tremblement de terre du 12 janvier en Haïti, je me dis que Le mannequin enchanté est une sorte de tremblement de réel et d’irréel, tant la réalité semble instable et traversée d’onirisme, d’étrange, de magique, de maléfique et de représentations archétypales dans ces nouvelles aux accents fortement poétiques. Rien d’étonnant chez ce poète, né en Haïti en 1928 et exilé au Québec en 1964. À Le réel est bel et bien représenté dans «Elles seront toutes rouges», où le narrateur revient clandestinement dans son pays, le Brésil, pour découvrir qui a trahi leur mouvement révolutionnaire qui se bat contre le Borgne. Une femme l’accueille à l’aéroport. À la fin, ils semblent être assaillis par des tueurs et il semble que la femme soit victime de cet assaut. Cela est lié à un souvenir d’enfance où le narrateur avait trop mangé de cerises vertes qui lui avaient brûlé l’estomac, ce souvenir créant ainsi des liens subtils avec les derniers instants de la femme abattue, des balles dans le ventre. Toujours en mode politique, « Hier, hier encore !… » est tout autant remplie d’onirisme, de magie, de vaudou, d’évocation de la violence sous le régime de Papa Doc. Il s’agit en fait d’un type de réalisme magique. En Haïti, un homme, simple commis, est arrêté, battu, mis en prison par les macoutes. On le prend pour le Doc Marcel. Il proteste, mais un Chat, avec qui il a des échanges, le convainc de faire semblant de se prendre pour le Doc. Il charme son geôlier, mais un jour celui-ci l’appelle Tête-Chat. Dans ce labyrinthe de transformations, le Doc devient un chat attiré par les cris d’une femelle et s’échappe de sa prison en passant entre les barreaux de sa fenêtre. Au trop-plein baroque — qui paradoxalement thématise le manque — succède le vide dans «Portrait», texte bref de quinze lignes où un Homme dessine, réveille son passé qui, chaque midi, s’efface, retourne au néant. Il espère qu’un jour Midi ne vienne pas. Également archétypale, «Dans un espace pantin», chapeautée d’une épigraphe des Poèmes (1976) de Beckett, s’offre comme une métaphore de la traversée de la vie, de l’âge tendre où l’on ne voit rien jusqu’à la découverte du rêve, de la poésie, de tout. Puis arrivé au septième palier de cette maison étrange où tout se déroule, il ouvre une porte par laquelle il est happé dans le vide gluant, et redevient comme un fœtus, en position lovée. Comme le titre en fait indirectement mention, le recueil exploite aussi le mythe de Pygmalion, cela, dans la nouvelle de clôture. Dans « Le mannequin enchanté», qui se situe entre la sciencefiction, le mythe et le merveilleux, un vieil homme, « Veilleur de Nuit de l’Union des Poupées» (p. 101), dialogue avec son magnétoscope à qui il a tout appris. Celui-ci le convainc de parler au mannequin que le veilleur s’est procuré après la mort de son chat. La nouvelle se termine dans un dialogue à trois et une danse, le vieil homme ayant retrouvé la souplesse de ses muscles et poussé magiquement les murs pour avoir de l’espace et danser avec le mannequin enchanté. Le rêve suprême: le réel aménagé au gré de la fantaisie. Voilà bien une des œuvres les plus étonnantes dans le champ de la nouvelle contemporaine au Québec, avec son discours profondément métissé en terme de genres et d’esthétiques, et sorti de l’imaginaire d’un écrivain au sommet de sa maturité. lettres québécoises • été 2010 • 37 poésie HUGUES CORRIVEAU III 1/2 Élisabeth Vonarburg, Slow Dance, Montréal, Les Herbes rouges, 2009, 64 p., 14,95 $. À pas lents LUCIDITÉ Rester vivante et en alerte, surseoir peut-être à l’envie de ne pas contrer l’angoisse. Mais reste à l’abri, dans l’âme, quelque part enfoui, ce désir impérieux de renouer avec la pulsation du cœur: Loin des fureurs d’eau et de sucre au bord des rivières de femmes après l’irrépressible voyage de la chair perdue après le mirage et l’obscur j’entends l’appel l’hiver marche vers la douceur des choses odeur humaine du soir en toute joie la solitude la vie se recueille en la vie (p. 56) Élisabeth Vonarburg n’est pas une poète bruyante. Elle fait une œuvre poétique en marge de sa passion pour la sciencefiction et le fantastique. Œuvre pourtant de qualité qui mérite une attention particulière. n ne s’étonnera pas de trouver l’auteure dans les platesbandes du surréalisme, elle qui nage dans l’étrangeté des eaux cosmiques. D’entrée de jeu, elle affirme « [qu]’un œil de verre est posé sur la table / avec la main et le marteau» (p. 9). Ce n’est pas sans évoquer cette phrase O Ce beau recueil de maturité, ces vers qui fouissent l’avers et le revers des certitudes, qui joue prodigieusement des doutes, met en lumière la qualité intrinsèque d’une œuvre qui s’inscrit d’emblée dans les préoccupations de notre époque. III Danielle Fournier, effleurés de lumière, Montréal, l’Hexagone, coll. « Écritures », 2009, 152 p., 18,95 $. Complexe du double illustre de Lautréamont qui parle de « […] la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Il s’agit, bien sûr, de jeter un regard affûté sur les aléas du monde actuel, à travers des ÉLISABETH VONARBURG images violentes ou incongrues mais qui dessinent en nous les contours d’une certaine horreur qui couve. Le texte est constamment soutenu par une volonté d’exactitude, je dirais même d’une acuité dans les vers qui tracent le tableau morcelé de la vie en péril. EN DÉCOUDRE «Éclat de tendresse et de haine / à côté de l’autre qui dort / et qui geint / à la fin de mon histoire / de ma chair / immense verrou / il me faudra résister / corps au poing» (p. 23). Le programme est tracé: savoir réconcilier ce qui se délite et ce besoin de surgir d’entre le sang vivant qui nous irrigue. C’est simple, en fait: «insister: la vie / et nous jusqu’au bout» (p. 27); «Parfois tout est gris // parfois / rumeurs de bonté» (p. 28). Vif éclat de conscience, donc, en cette manière d’appréhender beauté et laideur, avancée et recul; en somme: «la poésie à l’abordage» (p. 43) des grands élans aléatoires qui dessinent dans la pupille des cercles propices à la survivance. Elle dit: «Il fait bleu autour de mes yeux» (p. 45). Mais ne nous y trompons pas, la poète ne succombe à aucun leurre et se réfugie dans la conscience aiguë qui sait affronter tous les dangers: «Assez / le temps ne prête rien / à travers les cymbales des os / je refuse l’absolution // éparpillée entre les lignes / j’écoute plutôt davantage / indispensable / la noirceur» (p. 49). 38 • lettres québécoises • été 2010 Dans effleurés de lumière, Danielle Fournier nous propose, en de longs poèmes en prose, une narratrice qui porte en elle à la fois un je et deux identités secondaires, à savoir « Soie » et « Florence », alors qu’elle s’adresse à un « autre » innommé et masculin. ue peu facile d’approche est ce nouveau recueil de Danielle Fournier! Le contrat de lecture en est souvent exigeant puisque, à force de chercher la clarté de ces textes, on se perd un peu dans les couches identitaires et les personnalités multiples qui sont ici en cause. Je n’y peux rien mais, constamment, j’ai cherché à différencier « Soie » de « Florence », me demandant un moment si la première n’était pas la part sexuelle de la narratrice alors que «Florence» en aurait représenté plutôt la part positive. Et puis non, tout se mêle en un flou artistique que je n’ai pu vraiment décoder, sans angoisse pourtant, porté que je fus par le flux incessant de cette prose profuse qui cherche à cerner la profondeur impalpable d’une vie presque schizoïde. Q DÉSIR D’ÊTRE AUTRE ? Essayons de comprendre l’exercice. Le recueil débute par un texte imprimé en colonne plus étroite que la page. Un je s’adresse à un vous (l’autre masculin). Suit un texte, à largeur de page, qui investit une entité dite « Personne » (que j’ai immédiatement associée, sans raison, à la narratrice). Alors nous arrive un paragraphe en italique qui parle d’un ils, collectif que le communiqué de presse présente comme le chœur (?). Viendront plus tard les paragraphes consacrés à «Soie» dont l’auteure nous dit qu’elle «[…] parle tous les pronoms réfléchis d’un poésie HUGUES CORRIVEAU présent décliné au conditionnel indéfini » (p. 20) ! La narratrice écrit, en une incantation récurrente: «j’aurais aimé écrire Soie » (p. 21 et autres), sans qu’on puisse saisir réellement ce désir impératif. Et quand surgit « Florence », l’auteure précise : « elle / me vient d’ailleurs, du plus loin, d’avant la langue» (p. 49). Voici tous les protagonistes en place pour accéder à la parole dans cet opéra désirant qui, du flou au concret, multiplie ses pistes. À T R AV E R S L E BROUILLARD plexité d’une conscience vivante et parfaitement accordée aux ambiguïtés propres à l’esprit humain. On sera moins étonné de retrouver là des personnalités multiples qui chacune cherche sa voix, si on prend en compte cette confidence de l’auteure: «le mot écriture constitue un rempart contre la folie, et sa terreur; sans doute ai-je été écorchée par des mots de glace, des mots iceberg quand la violence sourd depuis des gouffres immémoriaux […] » (p. 45). UNE QUÊTE DE GLOBALIS AT I O N «[L]e livre de Soie et de Florence va dans tous les sens, les phrases se perdent, s’envolent dans le désordre ; tout peut arriver » (p. 103). Et «tout» arrive, aux visages multiples, aux sens complexes. Ce « tout » s’abîmant dans cette constatation lapidaire: «et maintenant, nous sommes, maintenant // je» (p. 52). En bout de course, s’il y a une chose à retenir de cette traversée des couches d’une âme fragmentée, c’est cet aveu d’un je peut-être enfin réconcilié: «je sortirai de cette histoire // vivante» (p. 67). DA N I E L L E FO U R N I E R On veut bien se perdre un peu, mais quelques points de repère font plaisir. Ainsi ai-je été content de lire: «Je suis Personne» en page 99. Hélas! en page 77, on avait appris que «Personne n’est allé», mais écrit au masculin! Oh là là! Sans doute nous faudra-t-il nous abreuver aveuglément à cette prose dont la richesse est absolument incontestable, dont le plaisir ludique ne cesse de s’étaler à pleine page. La poète aime les fouilles «endophasiques», essaie de pénétrer dans la com- II 1/2 Touche, trouve en toi. » (p. 31) Avouons qu’on en a quelques frissons secrets de désolation, et comme il l’écrit lui-même, on se «[…] staccatise d’effroi» (p. 55). Peutêtre est-ce pour cela que « ouaouaronne [notre] réplétion» (p. 46). Paul Chamberland, Comme une seule chair, Montréal, Le Noroît, 2009, 64 p., 14,95 $. Poèmes de l’insoumis Qu’est donc venu faire Chamberland dans cette galère ? Même si le livre est beau, soigné, avec une illustration de Louis-Pierre Bougie en couverture, bien peu de concessions à la beauté stylistique dans cette œuvre presque anonyme. n le sait, Paul Chamberland va souvent là où on ne l’attend pas, n’ayant pas craint les pistes multiples depuis les premiers textes de Terre Québec ou de L’afficheur hurle. Mais dans Comme une seule chair, il s’engage souvent sur la route de la sécheresse, du morcelé, de la coupure quelque peu improductive: «Aaah là / ah l’arrachhe/chair! // Bel instrument!// Avec ça hon / on scalpe / des continents entiers.» (p. 24) Oui, mais alors? Il ne suffit pas à Chamberland de s’emberlificoter dans les onomatopées, il va droit dans le langage populaire, avec une certaine complaisance: «Tu leur tords la touffe d’affects / et ils s’ébrouent mal dégrisés dans leur solo bavard.» (p. 23) Parfois même, un ton de prédicateur ou de motivateur vient ternir ses propos : « Touche… / De la lumière se détache… / O R É V O LT E S O U T E N U E PA U L Une chance qu’il n’y a pas que cela dans ce recueil, sinon nous serions bien tristes. Si la manière ne suit pas toujours le dessein, la tension, elle, qui porte Chamberland en poésie, reste vive et constante quand on sait prendre la piste de la protestation, de la revendication. Cet élan d’insoumission, le poète l’a bien ancré au cœur, et c’est avec une certaine part de cette détermination que s’écrit son indignation. En effet, ne sommes-nous pas «[à] l’époque où le carnassier impérial se pourlèche les babines, / crocs pointés depuis ses Maisons Blanches ou ses Kremlins, / à l’idée qu’il pourrait ne faire qu’une bouchée de tout ce qu’ont CHAMBERLAND jamais promis / l’Art de la fugue, le Quichotte ou la Joconde» (p. 43)? L’art est en danger, comme l’être humain, comme ce qui survit aux massacres. Il nous faut, aux aguets, tenir bon devant la menace. TRANSITOIRE Ceux qui mettent le monde à mal «[…] font haut-le-corps / étinceler la tragédie» (p. 19). Cela est bien suffisant pour alarmer les consciences. Mais pourquoi donc notre Chamberland trouve-t-il important de faire précéder ces deux vers d’une rare efficacité par ces facéties oiseuses: « Tragou, trogodie, / transgourdis d’aiguilles de peur, / gourds de liens moi-je solides / empoignés à coupe-souffle / et hisses trachées tordues» (p. 19)? Il me semble que d’autres poètes ont donné avant lui dans ces assonances révélatrices. Ce n’est pas vide, évidemment, mais je répète la question qui m’a hanté durant les lectures de ce recueil: «Est-ce bien nécessaire?» Allons, attendons le prochain Chamberland qui saura sans aucun doute nous étonner encore. lettres québécoises • été 2010 • 39 poésie RACHEL LECLERC IIIII Pierre Nepveu, Les verbes majeurs, Montréal, Le Noroît, 2009, 104 p., 17,95 $. Parfaite empathie Nous sommes des humains du XXIe siècle, sur la Terre qui est dans l’Univers. Et il y a une chose qu’on peut faire quand on est seul, ou quand c’est la nuit et qu’un glissement de balai dans un bureau, une étoile qui file, un râle qui monte ou un émoi de branchie morutière fait bouger le silence : on peut penser, ressentir tout. Alors, on sait qu’on est « groundé ». écriture de Pierre Nepveu a quelque chose de profondément réaliste, et l’univers où l’on entre n’est jamais désincarné, ni incongru, ni intime au point de confiner au nombrilisme. Vous vous dites que toutes ces phrases, elles sont de votre manière tant elles vous ouvrent la feuille. Vous êtes peu à peu transporté dans le meilleur de vous-même : ce livre, vous l’avez sûrement écrit. Voilà le don de la grande poésie. L’ Il y a d’abord «La femme qui dort dans le métro » (p. 9). L’observant, le poète suggère une vie de femme de ménage dans des tours à bureaux. Pour le monde effréné, elle n’est qu’une Maria comme tant d’autres, mais pourquoi ne pas la suivre dans sa tâche solitaire? Elle a comme des chevaux dans le corps et des ânes mélancoliques, elle se souvient des os violents sous leurs poils de leurs grands sexes orphelins (p. 12) ÉPIER, COMPRENDRE Les poèmes sont des escaliers où la phrase se déroule jusqu’à une chute qui ne laisse rien au hasard et qui sait chaque fois ce qui doit être dit: en amont de la forme, le thème appelle le mot précis et le vers accompli, et l’effet de sens se dévoile autant pour celui qui écrit que pour l’autre qui lit, pour tous ceux qui veulent descendre les marches et creuser au calme — loin de l’écorchure à vif (Nepveu est l’antipoète maudit, il serait plutôt le poète chéri par excellence) — les motifs de leur empathie, comme si leur propre humanité était en jeu, ce qui est bien le cas. Mais la personne qui inspire des vers comme «J’incline à croire la femme qui dort» (p. 23), la personne qui nous «tire vers les étages de la nuit» (p. 26), cellelà ne saura jamais ce que lui doit le poète, et c’est bien là le drame de leurs deux conditions. 40 • lettres québécoises • été 2010 PIERRE NEPVEU Plus loin dans le livre, c’est la figure de l’amante que suggère un alignement de cailloux ramenés de voyage. D’où vient que les pierres nous parlent tant, que nous leur faisons dire ce qu’elles n’auraient jamais pu dire? Et d’où vient que l’éloignement est nécessaire à l’invention poétique? C’est comme si on tirait l’autre de ce néant où il s’est réengouffré après notre départ. On ferme les yeux, on se redessine un visage sous les paupières, on écrit une page et l’on y met beaucoup de soi-même, car on voudrait encore la proximité. L E S E N S D E L A FA M I L L E Les années 1990 et 2000 auront souvent été celles du poète boomer qui veut ajouter sa Lettre au père à toutes celles que contient déjà la poésie québécoise — laquelle en déborde déjà —, ou encore le Poème à la mère, ou un tombeau pour ce couple mystérieux qu’on appelle ses parents. Nepveu consacre une partie de son livre au père assis dans la perspective de sa disparition et à la mère qui a tant cru à l’invisible. Ici comme ailleurs chez ce poète ayant raflé deux fois le Prix du Gouverneur général avec ses plus récents recueils, l’image est parfaite et généreuse. Nepveu s’est créé un style unique, un style qui est personnel parce qu’il puise aux mêmes centres d’intérêt, aux mêmes racines que les sujets de recherche de l’universitaire en lui. Dans ces vases communicants — la création et les travaux universitaires — s’amalgament les thèmes de l’américanité, de la modernité, de la solitude dans la métropole, des terres et des maisons à l’abandon, de notre devenir comme espèce. Le soir et la nuit dominent, la pénombre percée d’appels de phares, le silence d’où un certain bruit de fond n’est jamais absent. Et ce n’est pas tant la communion avec les semblables qui compte que l’essence de ces derniers: le poète regarde en biais ces humains dont il fait partie pour les analyser et s’analyser dans le même mouvement. On n’a pas l’instinct si grégaire après tout, on peut choisir de ne pas se perdre au cœur du troupeau, de ne pas être affaibli par lui, on peut le quitter, lui qui, à d’autres précieux moments, aura pourtant décuplé nos forces. La foule, c’est notre rage; son absence est notre espace de liberté, là où la réflexion nous appelle. poésie RACHEL LECLERC III III Bernard Pozier, Agonique agenda, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2009, 80 p., 10 $. Réjean Thomas, Œuvre complète, Montréal, Poètes de brousse, 2008, 179 p., 15 $. Il faut aimer L’auteure et éditrice Louise Blouin nous a quittés il y a presque trois ans après un pénible combat contre le cancer. Son compagnon de vie et de travail, Bernard Pozier, retrace ici les semaines et les jours de cette exemplaire et discrète agonie. Ce livre profondément amoureux nous montre un homme en train de faire son deuil et de rassembler ses forces pour la vie qui continue. L’auteur, après trente ans de vie commune, se demande s’il lui faudra maintenant devenir «égoïste». Il fait là un apprentissage terrible, celui de la distance infranchissable. Mais nous savons que la distance n’efface pas l’autre, elle le fait miroiter là-bas et révèle sa beauté, c’est ainsi qu’elle devient le lieu de l’écriture. Voilà pour l’homme face à lui-même dans sa maison finalement désolée, là où des images d’enfant pensionnaire, d’enfant « prisonnier », lui reviennent comme un boomerang. Munitions pour l’au-delà Il avait un peu la gueule de Richard Widmark, le cow-boy œdipien de Backlash, celui qui poursuit l’assassin de son papa mais qui découvre à la fin… que son papa est bien vivant et très à l’aise dans la peau du salaud. éjean Thomas a publié son premier livre en 2006, à 56 ans. Peut-être que sa vie, pas si anticonformiste que ça et plus bourgeoise qu’on veut le faire croire (longue carrière de professeur au cégep, vaste connaissance de la planète nommée Banlieue — ses poèmes le donnent à penser en tout cas), l’aura finalement convaincu de ne pas s’installer dans ce que Jean-Marc Desgent, dans sa préface, appelle une posture de «salopes et de salopards patentés, institutionnalisés, salopes et salopards professionnels» (p. 11)? R Mais il a fallu avant cela s’accrocher avec Louise dans sa descente vers le grand rien ni personne. Beaucoup d’entre nous, poètes, avons assisté de loin à son accompagnement, presque ahuris devant celui-ci qui déployait une énergie souvent proche de la joie, une joie qu’il aurait voulu, certainement, communiquer à sa compagne — mais peut-être était-ce l’inverse, peut-être lui insufflait-elle la sérénité, cette femme qui s’en allait. C’est ce que l’auteur laisse entendre à plusieurs reprises dans ces pages de vers et de prose chargées d’admiration pour l’agonisante. Sa dernière année d’existence lui aura permis de lancer un second recueil, Œuvre complète, dans la mare de «la poésie québécoise moribonde » (préface, p. 9) comme une bouée inespérée pour les aficionados. BERNARD POZIER SEUL POUR L A P R E M I È R E FO I S La solitude peut effrayer autant que la mort, mais la mort nous apprend encore une chose: rien n’est indissociable, et le poète se dit: «seule mon ombre maintenant m’est inséparable» (p.51). On peut ne pas avoir eu l’occasion, dans une vie faite de travail, d’envisager la non-permanence de l’amour et de tout le reste; et comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on a toujours vécu à deux? Maintenant, que reste-t-il? Il reste de la vie partout, de la lucidité aussi, et l’intime conviction que la matière et la lumière — et donc le temps — sont plus que jamais interchangeables. « Soudain ce n’est plus du sang, mais du temps qui coule dans tes veines.» (p. 13) Le poète le dit d’ailleurs en toutes lettres, lui qui s’aperçoit que «le rien prend petit à petit toute la place / et l’on voit bien que c’est quelque chose / le rien» (p. 66). Le livre est tout à fait touchant et sympathique. Réjean Thomas s’y dévoile comme un homme extralucide, un homme presque déjà vieillissant qui n’avait pas les yeux dans sa poche et qui ne manquait pas une chance d’électrocuter (?) l’univers RÉJEAN THOMAS des bien-pensants. Primesautières et friponnes, ces pages s’élancent à l’assaut des conventions avec une audace, une naïveté qui rafraîchit l’atmosphère fétide où s’est étendue la règle du libéralisme à tout crin, celle qui encourage à louvoyer sans vergogne pour son seul profit. Il ressort notamment de l’ensemble que Thomas avait la franchise de se reconnaître comme un consommateur averti. « Je mange du thon / du solide thon entier blanc entier / en son bouillon de légumes et de huile.» (sic) (p. 54) Il se sait victime d’une société hyper matérialiste et se débat pour ne pas y sombrer tout entier, attendu que l’amour est ce qui pave le vrai chemin, ce chemin sur lequel il n’arrive pas toujours à rester droit. «Il y a toujours une petite fille / paumes et palmes tournées vers le ciel / dérivant dans mon insomnie.» (p. 40) Pour paraphraser Nepveu (voir plus haut), j’incline à croire le poète qui dort si mal, car c’est ainsi qu’il convient de ne pas trouver le repos. lettres québécoises • été 2010 • 41 poésie J A C Q U E S PA Q U I N III 1/2 Lyne Richard, Marcher pieds nus sur nos disparitions, Ottawa, David, coll. « Voix intérieures », 2009, 78 p., 15,95 $. Plaisir des sens Le lyrisme de Lyne Richard, s’il est largement tributaire de la parole amoureuse génération de l’Hexagone s’en distingue par la part essentielle que prend la sensualité, voire l’érotisme, dans la majorité de ses écrits. ssociée à la ville de Québec, la poète, après avoir publié ses cinq premiers recueils chez le Loup de Gouttière, fait désormais paraître ses recueils aux Éditions David, tout comme Michel Pleau, également de Québec. Si bien que cette maison d’édition franco-ontarienne possède un cata- A vers «la certitude que les roses / reviendront par dizaines / palper la soie du désir» (p. 44). PLAISIRS DE LA LANGUE Suit «Au creux du rouge», typique de la palette érotique qui caractérise la poésie de Lyne Richard, que j’avais découverte dans le recueil au titre presque explicite, Agenouillée dans vos bouches (Cornac, 1999). Si quelqu’un devait publier une anthologie de poésie érotique au Québec ou même ailleurs, il faudrait faire figurer cette partie dans son intégrité. Rien de vulgaire ou de platement pornographique, c’est bel et bien la poésie qui humecte la langue : « ma langue est un archet / à la pointe engorgée / tu dérives dans la joie des salives» (p.49). Cette halte au cœur du recueil comme de l’instant suggère un intermède entre la parole nostalgique et la dernière partie, cri du cœur qui en appelle à une forme d’état de grâce qui sauverait de la haine et de la destruction. Ce n’est ni par l’innovation formelle ni par l’invention thématique que se singularise cette écriture, celle-ci réside dans la maîtrise des images (à part quelques facilités) et une sensualité palpable qui trame tous les poèmes. III Jean Désy, Toundra, Tundra, encres de Pierre Lussier, Montréal, Les Éditions XYZ, 2009, 134 p., 25 $. Fresque boréale logue déjà assez bien garni, avec une belle qualité matérielle qui attire non seulement les auteurs francophones mais aussi des poètes québécois désirant publier hors de la métropole. Mais revenons au recueil lui-même. LY N E R I C H A R D LE CORPS SE SOUVIENT Marcher pieds nus sur nos disparitions trace un parcours divisé en quatre étapes, où domine, dans les deux premières, le regard nostalgique de la maturité, alors que l’énonciatrice, à l’aube de ses cinquante ans, fait le bilan d’un amour révolu. La présence des objets et des choses sensibles sur fond de paysage automnal donne consistance à ce lamento qui ne dépasse jamais la mesure: existait-il un coin de l’âme où les cercueils restaient debout à murmurer les chants perdus des mots très doux qui bavaient dans la gorge avant de condamner le cœur aux châssis de novembre? (p. 26) Dans une perspective ouvertement influencée par Gaston Miron, la seconde partie («Murmures de lumière») module une douloureuse marche à l’amour tendue 42 • lettres québécoises • été 2010 Jean Désy, médecin de profession, est reconnu pour ses écrits qui témoignent de son expérience dans le Grand Nord et aussi pour sa prédilection pour le nomadisme. Les écrits de Toundra, Tundra sont le fruit de choses vécues dont le poète se fait le chantre, dans un hommage exalté à un pays de mousse et de lichen à perte de vue. e belle facture, le recueil à la maquette glacée et couleur neige est ponctué d’encres de Pierre Lussier, toutes enfermées dans une sphère parfaite, comme un hublot qui donne accès à la fantasmagorie boréale. En vis-à-vis des poèmes en français, leur traduction en anglais avec, toujours, sur la page de gauche, un vers en inuit, traduit dans les deux autres langues. L’auteur a pris le soin d’ajouter un lexique pour que le lecteur apprécie davantage les nombreuses références à la vie du peuple du Grand Nord. En ce recueil se mêlent donc le souci du réalisme et du pittoresque de ces grandes bandes de blanc et un exotisme assuré pour nos yeux de peuple du Sud: D J’arrive! Vallées de la Kongut et de la Kogaluk Lacs à l’eau claire et Qalluviartuuq Vos cieux effarants m’obligent Vos sources mêmes sont ma vie (p. 35) poésie J A C Q U E S PA Q U I N U N E S AVA N T E N O R D I C I T É Désy ne dédaigne pas non plus l’usage de mots plus spécialisés ou même savants pour rendre compte de la terre qu’il arpente, ce qui le rapproche par certains côtés du poète géographe Camille Laverdière (Ce froid longuement descendu, 1995). Outre la description des paysages nordiques, le poète, devant le silence de ces grands espaces parfois effrayants, JEAN DÉSY médite aussi sur sa propre existence d’homme du Sud fasciné par le pays du froid. La fin du recueil donne lieu à une série de poèmes consacrés à Dieu, la mort, le mal qui donnent une dimension mystique à ce qui pouvait laisser croire à une simple apologie de la vie nomade. Il faut cependant, pour aimer Désy, accepter de mettre en veilleuse les lunettes de la modernité, bien qu’il dédicace un texte au groupe de rappeurs Loco Locass. L’expérience «vécue» dicte à elle seule les voies du poème. III Jean Yves Collette et Michel Gay, Sensations et autres textes, Montréal, Éditions de la Pleine Lune, 2009, 108 p., 18,95 $. Joueurs de poker teur sportif et ex-joueur des Expos de Montréal). À la «poésie », vocable que les formalistes ont ouvertement en grippe, ils substituent la «textualisation», à une époque où on clame haut et fort la mort du genre. Les auteurs ont cependant préféré laisser tomber le mot lors de cette réédition, si bien que l’un des titres, «Locomotive. Textualisation», est délesté de son label formaliste, tandis que «Disposition» se lit maintenant au pluriel. « Joker », qui étale un jeu de cartes, dont chacune est associée à un tercet, complète la série d’écrits déjà publiés mais M I C H E L G AY qui sont passés inaperçus aux yeux de la critique. Les influences conjuguées de l’Oulipo qui a donné ses lettres de noblesse aux textes à contrainte et du «Coup de dé…» de Mallarmé se sont faites plus rares après les années 1980. Les auteurs ont beau avoir conservé leur passion pour les mécaniques langagières, leur ludisme reste empreint d’une nostalgie pour une époque révolue, y compris leur propre activité littéraire, beaucoup plus clairsemée depuis. DES AMUSE-GUEULES Le tandem Jean Yves Collette et Michel Gay, après 25 ans d’intervalle, s’est de nouveau amusé à jouer aux dés avec le langage. vec Sensations et autres textes, ils rééditent trois séries de publications parues au milieu des années 1980 à la Nouvelle Barre du Jour (NBJ), sous le pseudonyme de Claude Raymond (du nom du commenta- A Le lecteur est devant cette petite prose festive comme on assiste à un happy hour, où ça se passe entre copains, qui rient entre eux d’un air entendu, en faisant un pied de nez à toute prétention à la quête du sens. Misant sur «le dé effrayant du lu toujours lancé» (p. 18), les deux compères s’amusent ferme, bâtissant, avec «Sensations», seul texte inédit du recueil, un abécédaire dont le prétexte est une phrase, la plus banale possible, tirée d’un classique français que, par ailleurs, ils avouent n’avoir pas pris le temps de lire. Le plus beau passage orne la quatrième de couverture: Faut-il toujours aller à l’essentiel? Ne vaut-il pas mieux, la plupart du temps, tout simplement s’en passer? Ne devrait-on pas préférer, la plupart du temps, marcher dans un parc, regarder la mer, écouter le vent dans un arbre….Ça va, arbre? (p. 76) Le lecteur est devant cette petite prose festive comme on assiste à un happy hour, où ça se passe entre copains, qui rient entre eux d’un air entendu, en faisant un pied de nez à toute prétention à la quête du sens. L’épigraphe de Perec qui ferme le recueil résume bien l’esprit de cette sympathique aventure qui clôt le cycle des écrits de Claude Raymond: «Ils rêvaient de repartir à zéro de tout / recommencer sur de nouvelles bases» (p. 104) On verra bien. I N FO CA P S U L E Effets pervers de la numérisation La révolution du livre se poursuit sans qu’il n’y paraisse trop et la numérisation est devenue monnaie courante. Bien sûr, le géant Google s’impose, mais des centaines d’autres acteurs saisissent le contenu de livres qui échappent au droit d’auteur. Dans une décennie, personne n’achètera plus Molière, Rimbaud ou Proust, on les téléchargera. Ce sera une perte immense pour les éditeurs qui vivaient des grands classiques. On comprend alors pourquoi ces derniers ruent dans les brancards. Leur survie est en jeu. JEAN YVES COLLETTE lettres québécoises • été 2010 • 43 présentation MICHEL GAULIN Michel Lord, Brèves implosions narratives. La nouvelle québécoise 1940-2000, Québec, Nota bene, 2009, 340 p., 28,95 $. La nouvelle comme forme éclatée Un ouvrage qui se penche sur l’évolution, au Québec, d’un genre littéraire qui s’est puissamment imposé à l’attention au cours des quelque soixante dernières années. ichel Lord est un universitaire qui n’a pas craint de laisser de côté les sentiers battus pour s’intéresser à des genres littéraires longtemps considérés comme indignes d’un discours savant. La bibliographie de ses œuvres en témoigne éloquemment : des ouvrages sur la science-fiction, le fantastique, le roman gothique, et une longue série d’articles, sur près de vingt ans, consacrés au genre de la nouvelle et à ses praticiens au Québec. Ce sont, pour la plupart, ces études, remaniées, amplifiées qui forment la matière du livre présenté ici et qui, prises ensemble, finissent par constituer une véritable rhétorique de ce genre encore trop mal connu. Ce que démontre en outre son ouvrage, c’est que cette forme est encore en pleine évolution au Québec, et qu’elle a presque autant d’incarnations qu’on y compte de nouvelliers. M neur par les fictions brèves de l’abbé Camille Roy, des Lionel Groulx et MarieVictorin, ainsi que par les sujets imposés par les concours littéraires de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Certes, il y aura bien, dans les années qui suivront, quelques œuvres remarquées, sous la plume, notamment, de Jean-Aubert Loranger, de Louis Dantin, de Jean-Charles Harvey, mais il faudra attendre le moment de la Seconde Guerre mondiale pour que le genre se fasse enfin une place dans l’histoire littéraire, grâce, notamment, aux Contes pour un homme seul d’Yves Thériault (1944) et à l’Avant le chaos d’Alain Grandbois (1945). Mais le genre ne trouvera véritablement sa vitesse de croisière qu’à partir des années 1960 et des bouleversements provoqués par la Révolution tranquille. Lentement s’établira une infrastructure, caractérisée, notamment, par la création de revues consacrées exclusivement au genre (XYZ. La revue de la nouvelle, Stop) ou ouvrant leurs portes à ces récits courts (Mœbius, Le Sabord), ou encore de maisons d’édition où les nouvelliers trouveront bon accueil (L’instant même). L’ouvrage s’appuie en outre sur une solide armature critique qui permet à Lord d’élaborer les lois du genre et de proposer quelques éléments d’analyse analytique: Jean-Michel Adam (pour la syntagmatique narrative), Mikhaïl Bakhtine, André Belleau, Vladimir Propp, Paul Ricœur, Tzvetan Todorov, etc. Certes, la loi fondamentale du genre est le court, mais le court peut se réaliser de bien des façons, de sorte que l’on pourrait presque dire que la règle consiste souvent à n’en pas avoir. «Sans doute pourrait-on parler, écrit Lord, de la lente mise en place d’une forme de dialogisme constant entre la doxa de la tradition et la doxa de l’innovation […] la nouvelle est lentement devenue le territoire de l’expérimentation et de la fragmentation discursive.» (p. 28-29) Par après, le gros de l’ouvrage est consacré à des études spécifiques portant sur l’œuvre nouvellistique de seize écrivains qui, depuis les années 1940 jusqu’à aujourd’hui, se sont distingués dans le genre. L’on retrouvera ici, à part les deux noms déjà mentionnés ci-dessus (Yves Thériault et Alain Grandbois), les suivants: Andrée Maillet, Claire Martin (dont Avec ou sans amour, paru en 1958, nous dit Lord dans son «Introduction», lui «servira de phare» [p. 24]), Adrien Thério, Jean Éthier-Blais, Gilles Archambault, Aude [Claudette CharbonneauTissot], Gaëtan Brulotte, Pierre Karch, Jean-Pierre April, Jacques Brossard, André Carpentier, Esther Rochon, Hugues Corriveau et Diane-Monique Daviau. Une brève conclusion résume les acquis de cette étude, dans laquelle Lord a voulu montrer, par le choix des auteurs retenus, que, collectivement, ils représentent «la quintessence de ce qui fait la nouvelle, soit cette manière de faire taire de grands pans d’information tout en en donnant juste assez pour que l’on puisse voir des fragments de vie en mouvement ou non» (p. 303). I N FO CA P S U L E MICHEL LORD L’ouvrage s’ouvre sur une solide introduction qui passe en revue les balbutiements du genre (qui n’en est pas encore vraiment un) depuis les origines : fictions narratives brèves qui commencent à s’imposer vers le milieu du XIXe siècle, parfois fortement teintées d’idéologie, comme on en trouve dans les récits de l’abbé Casgrain, inspiration d’ordre folklorique dans d’autres cas (Joseph-Charles Taché), ou nouvelles de mœurs, déjà (Eugène Lécuyer), cela sans oublier les nouvelles d’Honoré Beaugrand ou les contes de Pamphile Le May, ni l’apport féminin (Laure Conan, Mme Raoul Dandurand, Françoise et Madeleine). Un certain repli, en revanche, semble caractériser les premières quarante années du XXe siècle, hantées par les thèmes du terroir maintenus en hon- 44 • lettres québécoises • été 2010 Bibliothèques : un grand pas en avant Le Québec, qui fait figure de parent pauvre depuis des dizaines de décennies quant au nombre de livres disponibles dans nos bibliothèques publiques, vient de faire des pas de géant en ce domaine. La progression est évidente en ce qui a trait à l’accès à des bibliothèques publiques dans une périphérie raisonnable. La population concernée est passée de 91,1 % en 1995 à 95,3 % en 2007, ce qui classe le Québec nez à nez avec l’Ontario. Même progression en ce qui concerne la quantité de livres disponibles : les bibliothèques contiennent dorénavant 21,8 millions de livres, soit plus que partout ailleurs en Amérique du Nord. Grâce aux efforts du gouvernement, le budget par personne est passé de 23,60 $ en 1995 à 39,82 $ en 2007. Tout ce qu’on peut souhaiter, c’est que les abonnés suivent le même rythme, ce qui n’est actuellement pas le cas. En effet, seulement 36 % des Québécois fréquentent les bibliothèques en comparaison de 50 % pour la Colombie-Britannique. études littéraires MICHEL GAULIN IIIII Gilles Marcotte, La littérature est inutile, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2009, 238 p., 24,95 $. Relire nos classiques Un ouvrage qui, tant par la qualité du propos que par l’élégance et la limpidité de l’écriture, confirme, s’il en était besoin, le statut de Gilles Marcotte comme l’un de nos meilleurs critiques. oilà, peu ou prou, soixante ans que Gilles Marcotte pratique, sous diverses incarnations, le métier de critique littéraire : comme journaliste tout d’abord, puis universitaire et, maintenant, dans le loisir du grand âge, comme un lecteur fervent qui aime revenir sur les œuvres du passé tant pour en évaluer la persistance à travers le temps que leur jeter un V mage, par de courts textes, au souvenir d’amis qui l’ont accompagné dans son parcours intellectuel (Jean Le Moyne, Pierre Vadeboncœur, Claude Hurtubise, au premier rang, mais également des personnalités, tels Frank Scott ou Philip Stratford). I N U T I L E , L A L I T T É R AT U R E ? Délibérément provocateur, le titre de l’ouvrage nous invite, par ailleurs, à réfléchir sur le rôle de la littérature au sein de la société éclatée dans laquelle nous vivons. La littérature est, à bien des égards, devenue aujourd’hui un divertissement comme un autre souvent l’objet d’une simple mention dans une émission de variétés à la radio ou à la télévision, parmi une foule d’autres réclames plus inutiles (ou sottes) les unes que les autres. Elle a, ce faisant, perdu le statut aristocratique qui fut longtemps le sien, bien que pour des raisons qui n’étaient pas nécessairement les bonnes. Oui, estime Gilles Marcotte, la littérature est «inutile» si l’on prend ce mot dans l’acception qui est aujourd’hui la sienne (voulant qu’elle ne serve à rien dans l’immédiat du monde utilitaire qu’est devenu le nôtre), ou encore, si on lui assigne, comme c’est souvent le cas, le rôle de nous moraliser. Et, s’appuyant sur une affirmation du poète américain Wallace Stevens, voulant que le poète n’ait aucune obligation à l’égard de la société, Marcotte d’ajouter pour sa part: Non, la littérature n’est pas utile. Elle est, plus modestement et plus orgueilleusement, nécessaire. Elle nous apprend à lire dans le monde ce que, précisément, les discours dominants écartent avec toute l’énergie dont ils sont capables: la complexité, l’infinie complexité de l’aventure humaine. (p. 9) Une compagnie de Quebecor Media Comment ne pas dire «Amen» à pareille affirmation, qui sert de point de départ à un livre resplendissant, tout imprégné de l’esprit de finesse qu’affectionnait Pascal? GILLES MARCOTTE Fidèle à l’esprit de la collection dans laquelle il paraît, La littérature est inutile reprend (avec quelques inédits), sous forme parfois légèrement modifiée ou augmentée, des textes qui ont paru, au cours des quelque vingt dernières années, dans des périodiques, des collectifs ou des journaux, soit encore à titre de préface (ou de postface) à certaines œuvres phares (Les Anciens Canadiens d’Aubert de Gaspé, le Journal dénoué de Fernand Ouellette, La main au feu de Roland Giguère, les deux Galarneau de Jacques Godbout, dans la collection du Nénuphar… sans parler des Hypocrites de Berthelot Brunet, qui acquièrent par là, pour ainsi dire, une nouvelle vie, ou encore d’une œuvre plus récente qui fit du bruit en son temps, Maryse, de Francine Noël). Seul le théâtre semble, ici tout au moins, échapper à son emprise. Autrement, Marcotte donne l’impression de se sentir également à l’aise dans tous les genres, qu’il s’agisse du roman, de la poésie ou de l’essai, et de pouvoir produire un papier, par exemple, sur une seule nouvelle de Gabrielle Roy («Où iras-tu Sam Lee Wong?», dans Un jardin au bout du monde) ou encore, aux deux extrémités du temps, construire un texte de synthèse consacré à l’œuvre de Réjean Ducharme ou à l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau. Ce livre, enfin, est pour lui l’occasion de rendre hom- ___MLPM`IOWVMKWU regard neuf, mais sans laisser de côté, pour autant, les œuvres plus récentes qui font avancer la littérature dans le sens d’un constant renouvellement. 8W]ZZM\ZW]^MZ TI^WQ`^Q^MLM /I[\WV5QZWV lettres québécoises • été 2010 • 45 essai CLAUDINE POTVIN IIII Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert, Élisabeth Nardout-Lafargue (dir.), Présences de Ducharme, Québec, Nota bene, coll. « Convergences », 2009, 351 p., 29,95 $. Sous le charme de Gallimard Quarante ans plus tard, faut-il encore s’interroger sur la place qu’occupe l’œuvre de Réjean Ducharme dans l’institution littéraire ou sur le charme continu de son écriture ? Faut-il encore se demander si l’écrivain est toujours présent ? résences de Ducharme réunit les actes d’un colloque international qui s’est tenu à Montréal en avril 2007. «Ce colloque — curieusement le premier consacré à l’œuvre de Ducharme — est né du désir de souligner et d’interroger les quarante ans de sa “présence”, à partir du double objectif de mesurer sa durée et l’actualité de ses effets.» (p. 6) P Ce livre ne nous permet pas seulement de redécouvrir ou de relire Ducharme, mais autorise un cheminement avec les voix plurielles qui ont accompagné le lecteur assidu au cours de ces quarante ans dans son émerveillement face au verbe de l’écrivain et à l’infinie richesse de son répertoire culturel. La quatrième série («Lectures») propose une suite de trois lectures axées sur le psychanalytique et la jouissance du dire (Anne Élaine Cliche), le lieu de la lecture comme tel (Marilyn Randall) et finalement l’insularité comme métaphore (Réjean Beaudoin). Dans la dernière section («Scènes»), on s’attarde à la dimension extra-littéraire de Ducharme: mises en scène, rédaction de scénarios de films, paroles de chansons, dessins, sculptures et tableaux (trophoux). Gilbert David, Claire Jaubert, Chantal Savoie et Serge Lacasse, André Gervais, Rolf Puls se sont intéressés à cet aspect de la créativité de l’artiste. Finalement, l’ensemble de ces contributions permet de revoir Ducharme sous un angle renouvelé et de retravailler l’œuvre à partir de nouvelles perspectives, ce qui nous rend la «présence» de l’écrivain tangible et actuelle. Cette collection remet Ducharme sur la scène, lui qui au fond ne l’a jamais quittée. IIII L E S M U LT I P L E S FA C E T T E S D E D U C H A R M E Témoignages et analyses venus d’intervenants des milieux de l’édition, de l’université, du théâtre, des médias, de la musique et des arts visuels, de l’informatique, des recherches archivistiques, témoignent de la présence de l’auteur et d’un désir de repenser l’histoire et le texte ducharmien. Ce livre ne nous permet pas seulement de redécouvrir ou de relire Ducharme, mais autorise un cheminement avec les voix plurielles qui ont accompagné le lecteur assidu au cours de ces quarante ans dans son émerveillement face au verbe de l’écrivain et à l’infinie richesse de son répertoire culturel. En effet, lira-t-on dans l’introduction : « Abondamment commentée par la critique journalistique et universitaire, reconnue tant au Québec qu’en France par de nombreux prix, enseignée, transmise, rapidement classicisée, souvent utilisée comme emblème, l’œuvre a-t-elle conservé la force subversive que lui reconnaissent ces premiers commentateurs?» (p. 5) L’ A U T E U R C O M P L I C E Cinq volets sur l’œuvre de Ducharme forment cet ouvrage qui offre une vision fort enrichissante, peu connue dans bien des cas, et originale. Dans un premier temps («Profils perdus»), Roger Grenier et Monique Ogilvy nous introduisent aux débuts de l’écrivain (édition, archives). Véronique Dassas se penche sur les déguisements de l’auteur, alors que Gilles Marcotte explore les paradoxes de sa réception en France. La deuxième partie («Complicités») met bien en scène le rapport complice et l’intertexte, qui ont joué un rôle dans l’imaginaire de Ducharme (Élisabeth Haghebaert, Petr Vurm, Gilles Lapointe). En troisième lieu, «Langue et voix» affiche le travail d’écriture: traduction (Ivan Maffezzini), poétique du blasphème (Marie-Hélène Larochelle), politique et loi (Stéphane Inkel), altérité (Kenneth Meadwell). 46 • lettres québécoises • été 2010 Claude Lévesque, La poésie comme expérience, Montréal, Hurtubise, 2009, 172 p., 19,95 $. Voleurs de mots « Et si c’était le mot juste, mais aussi la phrase chantée — la phrase, la stance, la scansion, le vers ? » (p. 77), s’interroge Madeleine Gagnon, qui retient trois mots : le dit, le chant, le devoir pour interpeller le poème. Le poète écrit et réfléchit sous le couvert de la philosophie, de l’expérience et à la limite de l’accomplissement. our reprendre à nouveau les mots de Madeleine Gagnon, il faut ajouter : « Et si la poésie, c’était le dit juste et son chant alliés au devoir de ramener sur la scène du poème l’éthique d’une conscience se sachant partie prenante d’une résistance contre une guerre faite à la pensée qui ne dit pas son nom?» (p. 81) Ce sont ces mots que l’on qualifie de « justes » que La poésie comme expérience tente de faire entendre par la voix de nos chantres au nom de l’expérience de la poésie et de l’entreligne. P AU COLLOQUE DES POÈTES Claude Lévesque a réuni dans cette collection les propos d’une douzaine de poètes connus qui ont participé au 25e Colloque des écrivains tenu sous l’égide de l’Académie des lettres du Québec à Montréal en 2007 (Paul Bélanger, Pierre Ouellet, André Brochu, Paul Chanel Malenfant, Madeleine Gagnon, Élise Turcotte, essai CLAUDINE POTVIN faits familiaux à appréhender » (p. 18). Cette analyse se veut avant tout partielle et non pas exhaustive. Il s’agit d’une sociologie des contenus fondée sur les travaux de chercheurs sociologues et historiens. Chang s’intéresse à la structure et aux fonctions de la famille, à son évolution au cours du siècle antérieur, à la mentalité et aux valeurs de la société québécoise, à l’influence de la religion, aux fondements du Paul Chamberland, Louise Dupré, Antoine Boisclair, François Charron, Thierry Dimanche, Normand de Bellefeuille). L A PA G E E N C R E U X Dans son avant-propos, Claude Lévesque présente le travail poétique à partir d’une réflexion d’ordre philosophique fort pertinente sur la métaphore du vide, l’absence, la béance du réel et le silence étrangement propres au langage. L’impossibilité dans ce contexte n’en débouche pas moins sur la limite et la démesure, mot emprunté à Chamberland. Il faudrait sans doute ajouter l’expérience de la douleur à laquelle se réfère Louise Dupré. Selon Lévesque, «[l]’expérience serait donc la traversée d’une épreuve, d’un danger, […] une mise en danger, une épreuve limite, une plongée dans l’abîme» (p. 14), d’où la conception de l’art comme un travail en profondeur et le risque de jouer sans se perdre et la lucidité d’une logique du sens inscrite dans «une certaine violence faite au langage, dans l’architecture de la page, les caractères choisis, les blancs, les rythmes, les tonalités, les allitérations, les ruptures syntaxiques et le reste» (p. 25). L E S I N G U L I E R , L’ U N I Q U E Il va de soi qu’un tel recueil, multidimensionnel, offre des inégalités. C’est précisément ce qui rend La poésie comme expérience intéressant. Chaque individu situant sa pratique dans un registre à la fois unique et multiple, l’exercice poétique s’affirme comme un mouvement solitaire, d’une part, qui se veut parallèlement pluriel, d’autre part. Or, parler, écrire le poème, revient à plonger au cœur de la résistance, soit dans l’entre-deux. Le discontinu des propos de ces trouvères se fond dans la rencontre des écrivains, celle de l’écriture et de la lecture. À ce propos, François Charron invite à l’ouverture et à la conversation : « LA POÉSIE COMME EXISTENCE: se donner l’occasion d’un singulier dialogue qui est celui de l’être et du don qu’à lui-même il se fait, surprenant dialogue où le poète apprend mieux que le groupe qu’il n’est séparable de personne.» (p. 131) mariage, aux rapports entre les membres de la famille. Cette division lui sert de modèle pour son examen de tous les romans. L’auteur utilise précisément le terme « exemple » qui constitue avant tout une description de l’histoire. Seul Myriam première échappe en partie à ces catégories étant donné le changement des valeurs dans l’univers représenté. YUHO CHANG LE TEXTE COMME « EXEMPLE » II Yuho Chang, Famille et identité dans le roman québécois du XXe siècle, Québec, Septentrion, 2009, 270 p., 27,95 $. Sociologie de la famille Dans le «bon vieux temps», les familles québécoises n’étaient pas moins dysfonctionnelles que celles d’aujourd’hui, ce que l’étude de Yuho Chang du roman québécois du XXe siècle montre bien. est à travers l’examen de huit romans québécois dits fondateurs que Yuho Chang se penche sur la tradition, la famille, l’identité québécoise et une certaine conception du passé. C’est également à partir d’une approche sociologique que l’auteur «essaie de faire un bilan des expériences sur le plan identitaire acquises durant le XXe siècle par la société québécoise lors de sa modernisation» (p. 8). C’ FA M I L L E E T T R A D I T I O N La famille est le point central de l’étude de Chang. Celui-ci remarque qu’«[i]l n’y a pas de différence entre la sociologie de la famille et [son] étude quant aux Yuho Chang a choisi pour son propos un corpus susceptible de lui fournir d’abondants renseignements identitaires et familiaux lui permettant d’explorer la transition d’une société rurale à une société urbaine: Trente arpents, Le Survenant et Marie-Didace, Bonheur d’occasion, Les Plouffe, Le Cabochon, enfin Maryse et Myriam première. Le corpus est intéressant, mais l’approche retenue n’est aucunement soutenue par l’abondante critique littéraire existante sur ces romans. De plus, l’ouvrage est presque exclusivement descriptif et n’offre que très peu de commentaires analytiques et théoriques. En outre, l’identité ne sera discutée que très brièvement dans le dernier chapitre, et encore une fois sans références aux nombreux ouvrages critiques publiés dans le domaine. Enfin, Chang n’ajoute rien de neuf sur le sujet. I N FO CA P S U L E Un genre pour les hommes Il est de notoriété publique que les hommes lisent moins que les femmes, mais ils lisent tout de même. En général, il préfère la littérature technique, ce qui expliquerait leur engouement pour la science-fiction et la fantasy. L’Actusf (je n’ai pas trouvé le sens exact de ce nom, sans doute l’Actualité science-fiction) a dressé le portrait du lecteur de l’imaginaire, à la suite d’une enquête (1 045 répondants) auprès des intéressés, pour en arriver au portrait suivant : en France, le lecteur de ce genre littéraire est un homme dans 72 % des cas. Il est jeune. Il lit entre 4 et 10 livres par mois dont 50 % sont empruntés à la bibliothèque. Il achète ses livres dans une proportion de 70 % dans une librairie indépendante plutôt que dans les mégalibrairies. lettres québécoises • été 2010 • 47 Triptyque NOUVEAUTÉS HIVER 2010 www.triptyque.qc.ca tél. : 514.597.1666 PATRICK DOUCET L UCIE J OUBERT J ANIS L OCAS CAMILLE A LLAIRE Foucault et les extraterrestres L’envers du landau La maudite québécoise Celle qui manque essai, 105 p., 18 $ roman, 215 p., 22 $ nouvelles, 96 p., 18 $ roman, 104 p., 18 $ 48 • lettres québécoises • été 2010 essai CARLOS BERGERON IIII Nicolas Lévesque, (…) Teen spirit. Essai sur notre époque, Québec, Nota bene, coll. « Nouveaux essais Spirale », 2009, 124 p., 22,95 $. Psychanalyser le Québec Il est facile d’être cynique quand vient le moment d’interpréter l’esprit de son époque. Nicolas Lévesque remet en question sa société, poétise les psychoses qui la définissent, se demande ce qui reste lorsque l’on prend conscience que Dieu est mort. Devenir adulte serait-il, finalement, être heureux? n dit que la poésie est proche de l’essai. En tout cas, dans son Teen Spirit, Nicolas Lévesque propose une transcendance textuelle, c’està-dire qu’il alimente sa réflexion en l’empêchant d’être totalement arrêtée par le cadre lexical, laissant plutôt au lecteur le soin d’interpréter un propos «ouvert». La voix de ce texte «spectaculaire» assemble ce qui paraît être des fragments d’anthologie cousus les uns aux autres: un patchwork créatif et intelligent. Tout écrivain pourrait ainsi y trouver un exergue pour une œuvre en chantier, car, d’une certaine façon, toute œuvre pourrait, de près ou de loin, y être liée, entrer en convergence avec elle, tellement sa portée tend vers l’universalité. Trois parties divisent le Teen Spirit. O S’AFFRANCHIR Dès la première partie, «Le rituel de passage» (p. 5-14), l’énonciateur manifeste son désir de témoigner, et ce désir fait suite à une impression d’avoir transgressé un stade de son évolution sur lequel il entend bien porter un regard poéticoanalytique. Ainsi, il relève le pari de se « déclarer heureux » (p. 9), acte révolutionnaire s’il en est un! S’affranchir, devenir responsable, passer à l’âge adulte est l’apanage de l’individu prenant conscience de sa liberté de parole. La société québécoise, elle, toujours adolescente (métaphore centrale de l’essai), tarderait à s’affranchir et en serait encore à la difficile étape de la puberté. DÉFINIR Dans «De l’esprit adolescent» (p. 15-104), la partie la plus substantielle du texte, le narrateur définit les tenants et les aboutissants de sa métaphore centrale, de ce Teen Spirit vécu collectivement: «Tout se passe comme si nous vivions collectivement dans la chambre d’un adolescent en rut […], un adolescent géant et difforme, obsédé par l’image qu’il projette, son potentiel de séduction, aux prises avec le jaillissement d’élans sexuels et agressifs difficiles à contrôler.» (p. 17) Et ce sujet, parfois noyé dans des considérations trop larges (vraiment trop), dérive dans de la pure poésie, seule façon d’échapper au manque langagier, ce vide, celui de dire sans avoir ce qu’il faut pour le faire: «À la source de ce livre, il y avait la profonde conviction que nous manquions de métaphores pour nous représenter ce que nous vivons.» (p. 21) Si certaines affirmations gratuites restent discutables («On sait tous, d’une certaine manière, que le clown est triste », p. 24), si le recours à un grand mythe surexploité par le discours de la psychanalyse sert bien l’argumentaire (« Les enfants de Narcisse», p. 27-36), si les exemples sont fondés sur des principes clés qui devraient idéalement être familiers au lecteur avant qu’il s’aventure dans ce texte («Au deuil de Dieu, nous donnons notamment une réponse maniaque qui ne parvient à distraire notre mélancolie que de façon éphémère», [p.46]; «le diagnostic psychiatrique de notre époque est celui de borderline ou d’état limite», [p. 54]), nous « jouissons » toutefois de NICOLAS LÉVESQUE parcourir cette pensée névrotique à laquelle, tel un miroir, on s’identifie peut-être trop, malgré le silence laissé par les nombreuses métaphores. P S Y C H A N A LY S E R «En ces temps d’apocalypse, de toutes les agonies, je prends plaisir à affirmer que ma pratique psychanalytique (en tant que psychologue en bureau privé) se porte bien» (p. 109), est le constat auquel arrive l’énonciateur qui, dans cette dernière partie, commente le statut de la psychanalyse. Le chapitre intitulé «La toxicomanie collective» (p. 127-142) est particulièrement frappant, puisqu’il fait état d’un monde «répondant à sa détresse par la médication» (p. 128), par l’usage répandu de psychotropes. Finalement, dans Teen Spirit, texte inspirant, il revient au lecteur de répondre au transcendant, à ce manque qui, comme l’énonciateur, le «traverse» lorsque le sens lui fait défaut. Il lui faut le transgresser, ce sens, aller de l’avant et s’affranchir, lui aussi, de ses ornières… II Pierre Joncas, Les accommodements raisonnables : entre Hérouxville et Outremont. La liberté de religion dans un État de droit, Québec, PUL, 2009, 118 p., 19,95 $. Liberté de religion ? Joncas nous présente une série d’essais visant à nous faire réfléchir sur la pratique des accommodements raisonnables. À la lumière de ce qu’est notre société québécoise, qu’en estil de la liberté de religion, des effets du multiculturalisme et des conflits qu’il engendre ? P ierre Joncas, ce retraité de la fonction publique fédérale se portant à défense de la société québécoise, veut mettre les pendules à l’heure dans son recueil réunissant quatre essais bien documentés. Les deux lettres québécoises • été 2010 • 49 essai CARLOS BERGERON premiers, «Des stéréotypes et des effets délétères de leur propagation » (p. 1-13) et «Destination incertaine, toute piégée: le multiculturalisme» (p. 15-31), ont déjà paru dans la revue Cité libre en 1994 et en 1995; les deux derniers, « Vous avez dit “accommodements raisonnables”?» (p. 33-74) et «Appréciation critique du rapport Bouchard-Taylor et de certaines réactions à sa publication dans les médias et à l’Assemblée nationale » (p. 75111), sont inédits. Pour Joncas, «[l]e moment est arrivé de dresser un bilan de [s]es observations et de [s]es fréquentations» (p. xvii). PORTRAIT DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE ACTUELLE Premièrement, il s’agit de contester deux principaux stéréotypes véhiculés à propos des Québécois, ceux qui voudraient que ces derniers soient antiautochtones et antisémites, «image fausse, injuste et insultante» (p. 12) ayant été propagée un peu partout à travers le monde. Deuxièmement, après avoir défini ce qu’est le « multiculturalisme », Joncas montre très bien que les Québécois ne sont pas xénophobes, mais que leur position déjà précaire, notamment par rap- I Marie-Paule Villeneuve, Le tiers-monde au fond de nos bois, Montréal, Fides, 2009, 144 p., 19,95 $. Quand il s’agit de dénoncer ! L’honnêteté de Marie-Paule Villeneuve ne fait aucun doute. Son désir de donner la parole aux travailleurs forestiers, surexploités dans de sombres campagnes québécoises, est tout à fait noble. Est-ce qu’un tel plaidoyer peut réellement faire évoluer les conditions de travail des débroussailleurs ? a spécialiste de la dénonciation des travailleurs exploités est de retour et son discours vise à nous faire prendre conscience de l’esclavagisme dans lequel sont plongés de nouveaux arrivants et des Québécois de souche: «J’ai voulu faire connaître leur statut, leurs racines, leur vie. De sorte qu’on se souvienne de ces travailleurs alors même que le métier de débroussailleur n’existera peut-être plus.» (p. 13) Marie-Paule Villeneuve a fait du véritable journalisme d’enquête et s’est rendue sur le terrain pour constater le drame de ces travailleurs. Celle qui se trouve devant une forêt qui sent «l’essence, la gomme d’épinette et les feuilles labourées» (p. 19) et qui doit aller uriner dans un buisson «au milieu d’un monde d’hommes» (p. 23) est ahurie face à ce qu’elle découvre : conditions de travail misérables, salaires minables, main-d’œuvre faisant du «temps» pour gagner ses semaines d’assurance-chômage… Selon certains contremaîtres, «pour être débroussailleur, il faut accepter la misère» (p. 43). La L 50 • lettres québécoises • été 2010 PIERRE JONCAS port à leur langue et à leur culture, leur fait craindre un manque de reconnaissance similaire à ce qu’ils ont vécu dans le passé. Troisièmement, on en vient aux accommodements raisonnables, fil conducteur du présent recueil, afin de montrer que, comme certains l’ont prétendu, il ne s’agit pas d’empêcher les différentes communautés de respecter leurs croyances religieuses, mais plutôt de leur assigner les mêmes devoirs qu’aux autres citoyens. Quatrièmement, Joncas analyse le rapport Bouchard-Taylor et les commentaires qu’il a suscités dans les médias. En somme, ce portrait efficace d’une actualité qui a fait couler beaucoup d’encre propose un point de vue restreint, un peu trop orienté… matière de l’essai est mince, de sorte que le sujet est épuisé après les trentesix premières pages. Tout ce qui suit est répétition, mais cette répétition est organisée à partir de la voix de différents locuteurs. L A PA R O L E A U X T R AVA I L L E U R S Marie-Paule Villeneuve tente de dresser un fidèle portrait de la profession en donnant la parole aux travailleurs. En effet, elle en interroge quelques-uns qui, à tour de rôle, viennent nous raconter leur histoire d’horreur. Un ex-journaM A R I E - PA U L E V I L L E N E U V E liste recyclé en ouvrier sylvicole (chapitre 3), Jean-Baptiste Mailloux, cet ancien professeur d’université détenant deux maîtrises (chapitre 5), Stann-Simon Mahoua, originaire du CongoBrazzaville (chapitre 6) et un cardiologue moldave, Andrei Topalov (chapitre 7), défilent pour expliquer dans le détail le fait que les conditions de travail inhumaines menant à un salaire de crèvela-faim sont, ou ont été, leur lot pendant un certain temps. Bien évidemment, l’échantillonnage présenté a tout pour illustrer que le profil du débroussailleur n’est pas nécessairement celui auquel on pense spontanément, c’est-à-dire l’illettré qui va travailler avec sa boîte à lunch ou l’étudiant gagnant ses études! Il a plusieurs visages, ce pauvre travailleur, différentes personnalités… Enfin, faut-il lever notre chapeau à Marie-Paule Villeneuve pour avoir consacré toute cette énergie afin de nous informer sur la pratique d’un métier qu’on ne voit pas? Ou alors doit-on lui dire que, malgré sa ferveur à défendre la veuve et l’orphelin, elle gagnerait à s’exprimer dans un média autre que la littérature, un média où sa voix serait beaucoup plus entendue? essai RENALD BÉRUBÉ IIII 1/2 Jean-François Nadeau, Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, Montréal, Lux, coll. « Histoire politique », 2009, 411 p., 34, 95 $. Ouvrage remarquable, « héros » trouble Robert Rumilly est bien connu au Québec pour son Histoire de la province de Québec en 41 volumes parus entre 1940 et 1969, l’histoire de cette « province » commençant par la Confédération. Mais il est aussi connu pour avoir soutenu sans jamais ciller l’aventure Duplessis. Ce n’était pas les premières « aventures » auxquelles il prenait part, même que… isons nettement les choses, même s’il faut limiter la courtoisie à la portion congrue : Robert Rumilly ne suscite pas d’emblée une admiration totale. Ce sont plutôt les réserves qui, dans son cas, méritent l’ad- D Tenté par le mouvement anarchiste du début des années 1920, il se retrouve bientôt à l’Action française de Maurras, les deux mouvements témoignant des immenses désillusions de la jeunesse d’alors. Rumilly sera un Camelot du roi du journal éponyme d’Action française, un camelot qui organisa des manifestions où la violence pouvait être au rendez-vous. Déçu de son pays, il quitte la France pour le Québec en 1928. Il sera naturalisé Canadien en 1934. SON QUÉBEC D’ANCIEN RÉGIME ET SELON MAURRAS Le Québec des années 1930, pour Rumilly, est une sorte de réitération de la France d’Ancien Régime, de la France monarchiste et catholique que le mouvement maurrassien veut remettre au pouvoir. La France rêvée du maître à penser de Rumilly est réactionnaire, la démocratie constitue pour elle le système à abattre ; c’est la France anti-dreyfusarde et raciste, qui mène à Pétain et à la Collaboration. Nadeau ne s’épargne aucune recherche, ne prive son lecteur d’aucune précision. Les premiers chapitres (1-6) décrivent admirablement la situation de la France des origines de Rumilly et fournissent un cours brillant sur la pensée maurrassienne dont L’Action française de Lionel Groulx, devenue L’Action nationale après la condamnation par Rome (1926) des théories de Maurras, n’est pas innocente. Si Rumilly a d’abord vu en Henri Bourassa le chef possible d’un Québec d’Ancien Régime, il comprend vite que le fondateur du Devoir est trop âgé pour cette tâche. Et de jeter son dévolu sur Camillien Houde puis sur Duplessis, son rapport aux deux hommes étant par ailleurs différent. S’il eut de la sympathie pour l’indépendantisme québécois, l’Union nationale étant devenue obsolète malgré ses efforts, il changera vite d’avis: le socialisme, la gauche, la démocratie avaient là grande importance, ce qui était contraire aux caractéristiques de «son» Québec. Rumilly est un polygraphe comme il s’en trouve peu; les tomes de son Histoire de la province de Québec ne sont qu’une partie de son œuvre qui a aussi fait dans le journalisme et les «catéchismes» à destination de l’UN. Le maurrassien a su amasser un joli pécule dans l’immobilier, il n’a jamais rougi d’aider nazis ou collabos à échapper à la justice. Et si un mouvement anti-avortement qui préconise la messe en latin, dont le «siège social» se trouve dans le rang 8 de Notre-Damedes-Bois (Estrie), se réclame aujourd’hui de son nom, alors que Rumilly n’a jamais abordé cette question, on peut dire qu’il a peut-être couru après. JEAN-FRANÇOIS NADEAU jectif « total ». Ce qui ne l’empêche pas de fournir à JeanFrançois Nadeau, qui sait fouiller et écrire, l’occasion d’un livre du plus grand intérêt, un ouvrage documenté qui se lit, selon l’expression, «comme un roman». Et comme un modèle de biographie. LA FRANCE D’EMPIRE Né à Fort-de-France en Martinique en 1897, son père Georges étant de l’armée française aux colonies, Robert Rumilly est fils de la France d’empire. En 1903, il se retrouve avec sa famille au Tonkin (Viêtnam). Assigné à combattre les trafiquants d’opium chinois, son père mourra en 1910, empoisonné probablement, ainsi qu’il était alors fréquent chez les militaires français en Indochine. « Après la mort de son mari, Léontine [de Bellavoine] et ses trois enfants quittent la colonie pour trouver refuge en France auprès d’un oncle, le général [...]. » (p. 29) Robert va donc étudier dans la mère patrie, puis participer à la Grande Guerre. Superbe ouvrage, qui souligne l’apport de Rumilly au développement de la discipline «histoire» au Québec et explique les biais de la pensée de l’historien. Les notes et l’index (p. 339-410) disent aussi la qualité de l’entreprise. I N FO CA P S U L E BoD – Books on demand L’autoédition est devenue une mode qui prend de plus en plus d’ampleur. Au Salon du livre de Paris, en mars dernier, BoD annonçait sa présence en se présentant comme le leader du marché de livres en ligne. BoD offre tout pour éditer son propre livre, ce qui inclut bien sûr le ISBN. Il propose un nouveau programme «easyBook» et permet à tout individu de jouer à l’éditeur. Ainsi pour publier un livre de 200 pages à 100 exemplaires, il en coûterait 8,40 €(11,50 $). Ce chiffre ne comprend que l’impression, d’autres frais s’y ajoutent à coup sûr pour la production du livre (et il doit y en avoir beaucoup !). BoD prétend qu’il a à son actif plus de 150 000 livres produits, ce qui est tout de même impressionnant. Difficile de savoir où loge BoD puisqu’il œuvre dans différents pays: la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Suède, la Norvège et la Suisse. lettres québécoises • été 2010 • 51 essai RENALD BÉRUBÉ III 1/2 Jean-Claude Germain, Nous étions le Nouveau Monde. Le feuilleton des origines, Montréal, Hurtubise, 2009, 256 p., 22,95 $. Un auteur qui sait conter Nous avons déjà dit (Lettres québécoises, no 134) le plaisir lié à la lecture de La nuit rouge de la bohème. Historiettes de ma première jeunesse, qui faisait suite à La rue Fabre, centre de l’univers (2007). Germain s’y racontait, d’enfance en « première jeunesse ». Il raconte ici nos enfance et prime jeunesse collectives. n auteur qui sait conter, cela ne va pas de soi. De merveilleux écrivains sont les premiers à reconnaître que raconter n’est pas nécessairement leur talent premier. Osons ceci: un conteur, un vrai, c’est de la même famille qu’un violoneux, ça joue des mots avec sa plume comme l’autre des cordes avec son archet. Ça fait giguer et danser, rire et pleurer, comme si tel talent allait de soi. U depuis 1867 s’est incarnée dans les tribulations orthographiques du vocable “canadien français”. Son retour en force sur les ondes radio-canadiennes à la suite du revers du dernier référendum n’est pas innocent. Surtout lorsqu’on note qu’en parallèle, on ne fait plus référence au “Québec” mais à la “province”. » (p. 11) C O N T R E « L’ I N C O N N A I S S A N C E » De l’évocation de Jeanne Mance, «femme moderne de 1640», jusqu’à «l’échec diplomatique» de B. Franklin à Québec en 1776, en passant par l’opposition, dès 1694, entre le gouverneur Frontenac et Mgr de Saint-Vallier au sujet du Tartuffe, par la « Grande paix du Rat », c’est-à-dire la Paix des Braves de 1700, ou la « Grande couillonnade », soit l’opposition entre le gouverneur Vaudreuil et le hautain et pleutre général Montcalm qui mena aux plaines d’Abraham, Germain raconte, historien et auteur d’historiettes, notre histoire. Avec un humour toujours au rendez-vous et un souci de faire entendre que «l’inconnaissance» (p.9) n’a pas droit de cité. Son éloge du Rat (surnom du chef huron Kondiaronk) et des interprètes, Nicolas Perrot («l’homme aux jambes de fer») en tête, comme passeurs entre Amérindiens et Français, mérite plus d’une lecture. «Les interprètes, sans autre but que d’établir de bonnes relations commerciales, ont réussi là où les missionnaires en mal de conversion ont échoué lamentablement.» (p. 84) Vingt brefs chapitres, suivis d’une précieuse chronologie et d’un fort utile index des noms: à lire avec un (sou) rire aux diverses couleurs. II 1/2 Saïd Khalil, Bruny Surin, le lion tranquille, Montréal, Libre Expression, 2009, 256 p., 27,95 $. JEAN-CLAUDE GERMAIN Depuis un bon moment déjà, qui remonte entre autres au Pays dont la devise est je m’oublie (1976), Germain a fait la preuve de son talent de conteur, à la scène comme en ses textes aux diverses destinations. Ne pas bouder son plaisir: là où Germain, quand il se raconte, utilise le vocable «historiette» à très haute saveur du Ferron racontant des aléas de notre Histoire-la-petite, il utilise le vocable «feuilleton», populaire en ce qu’il renvoie à un lectorat continu, pour raconter notre venue au monde dans cet ouest de l’Europe jusque-là «inexistant», pour narrer ces années où nous fûmes le Nouveau Monde. CANADIEN FRANÇAIS ? Ce que furent bel et bien la Nouvelle-France et l’Acadie: le Nouveau Monde. Qui s’exprimait alors en langue française (pour nous; pas pour les Autochtones). Il faut lire avec l’attention nécessaire les lignes suivantes: «Toute l’histoire québécoise 52 • lettres québécoises • été 2010 Germain a fait la preuve de son talent de conteur, à la scène comme en ses textes aux diverses destinations. Un héros attachant, un ouvrage trop « tranquille » Né en Haïti en 1967, Bruny Surin arrive au Québec en janvier 1975 par -20 °C : « Regarde, je fume sans cigarette », ne cessait-il de dire à son père. À compter de 1987 et des Championnats du monde tenus cette année-là à Rome (où il rencontre — en compétition — Carl Lewis son idole) et jusqu’à sa retraite en 2002, « le petit / le pasteur / l’animal » (p. 19-45) aura profondément marqué l’athlétisme québécois. une certaine façon, Bruny Surin a révélé le 100 mètres et l’athlétisme au Québec. Nous avions eu des marathoniens et des hommes forts, Gérard Côté et Louis Cyr, Étienne Desmarteau aussi (médaille d’or au D’ RENALD BÉRUBÉ essai JEAN-PAUL DAOUST CARNETS DE MONCTON Scènes de la vie ordinaire BRUNY SURIN ET SAÏD KHALIL lancer du poids aux Jeux olympiques de Saint Louis en 1904). Mais l’accélération et nous, au stade ou ailleurs? GÉNÉROSITÉ, EGO ET COMPÉTITION Bruny Surin est un homme sensible, généreux, dont l’ego, certes pas inexistant, sait reconnaître d’où il vient; sait reconnaître aussi quelles gens, comme malgré lui au départ, alors qu’il faisait dans le saut en longueur, ont permis l’éclosion puis le développement de sa carrière: son premier entraîneur, Daniel Saint-Hilaire, qui a vu en lui plus que Surin ne voyait, et cet autre, Don Pfaff «le magicien», avec qui Surin regrette de ne pas avoir travaillé plus tôt. Et Claude Chagnon de Vidéotron au support financier désintéressé, et l’apport multiple de Bianelle, l’épouseporte-parole-agente… Ouvrage qui relate les enchantements et les déceptions, les frictions des egos canadiens entre Surin et Ben Johnson ou Donovan Bailey, la relation avec ce dernier étant fort intéressante, relation d’amis compétiteurs. Et quand Surin admet avoir pleuré de déception en apprenant que Marion Jones se dopait, on sait clairement où il a toujours logé. Quand Jean-Paul Daoust pose son regard sur Moncton et les gens qui l’animent, il en résulte une poésie urbaine du quotidien où se côtoient l’humour, l’amitié et une tendre loyauté, libre de toute complaisance. Jean-Paul Daoust a passé trois mois d’hiver à Moncton pour y écrire des carnets dans le sillage du départ de Gérald Leblanc, le poète regretté dont l’œuvre rayonne au cœur de cette ville qu’il a tant aimée. Deux regrets: que l’écriture du livre soit trop sage, grise disons, qu’elle n’ait pas la vivacité de qui courait le 100 mètres. Et que le livre ne mentionne jamais cet ancêtre canadien de Surin dans le 100 mètres (100 verges!), Harry Jerome. I N FO CA P S U L E Piratage : bien évidemment ! Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que le mal qui a frappé l’industrie du disque se propagerait comme la peste au domaine du livre. Pourquoi payer un livre qu’on peut se procurer gratuitement dans Internet? À la limite, on peut accepter que des livres qui appartiennent au domaine public soient offerts dans Internet, mais que ce soit le cas pour des livres récents, c’est plus inquiétant. Récemment, The Year of the Flood de Margaret Atwood l’était. Les Amazon de tout acabit auront beau bloquer la copie de leurs livres vendus par des moyens techniques, ils ne pourront freiner l’apparition de sites illégaux qui vendent à qui mieux mieux des auteurs connus. ISBN 978-2-922992-58-8 Poésie, 66 pages, 14,95 $ lettres québécoises • été 2010 • 53 FR ANÇOIS CLOUTIER des images, des mots IIII Michel Rabagliati, Paul à Québec, Montréal, La Pastèque, 2009, 184 p., 27,95 $. Paul et la vie Depuis quelques années, la bande dessinée québécoise connaît une effervescence sans pareil. Des maisons d’édition s’y consacrent totalement et d’autres ont créé des collections particulières consacrées au « 9e art », terme utilisé par plusieurs amateurs de bédé. ichel Rabagliati, illustrateur de formation, en est sûrement la figure de proue et son ambassadeur médiatique. Son personnage de Paul, qui n’a strictement rien à voir avec Tintin, qui, lui, vivait des aventures hors de l’ordinaire, est un antihéros dont les aventures sont ancrées dans le quotidien. Le lecteur assiste à des tranches de vie illustrées, passant d’un premier travail d’été à la naissance d’un enfant. Dans le sixième livre, Paul à Québec, le personnage doit faire face à la maladie, à l’attente de la mort, à son arrivée, et doit accompagner ceux qui restent. M Le récit central tourne autour de la maladie de Roland, beau-père de Paul, atteint d’un cancer du pancréas intraitable. Toutes les étapes de ce drame sont exposées au lecteur : l’annonce du diagnostic, la perte d’autonomie, le passage obligé aux soins palliatifs et l’acceptation de la mort qui gruge l’in- au récit. L’auteur joue avec les dimensions des cases, se permet des planches entières d’une seule case, s’amuse à reproduire la réalité (les trois premières planches se déroulent au Madrid, institution légendaire de l’autoroute 20), mais ne tombe jamais dans le piège facile de s’admirer dessiner. Ce qui rend le récit si émouvant, c’est la simplicité qui s’en dégage. Les dialogues, quoique parfois longuets, ne tentent pas à tout prix de reproduire la langue québécoise dans ses moindres détails. Certaines planches, les plus touchantes, sont d’ailleurs dépourvues de phylactères. À ce sujet, les cinq planches qui illustrent le trajet de Paul et de sa fille, de Montréal vers Saint-Nicolas, à la maison de soins palliatifs, sont une totale réussite. À travers les cases, les personnages traversent des zones urbaines chargées de panneaux publicitaires pour finalement arriver en campagne, à la chambre de Roland qui vient de décéder. Rabagliati montre l’absurdité de notre environnement face à la cruauté de la vie. Les trois cases de la planche où Paul et Rose se présentent, trop tard, dans la chambre de Roland sont sobres et chargées d’émotion. Les filles et la femme de Roland demeurent immobiles autour du lit du défunt à la première case, Lucie s’aperçoit que Paul et Rose sont arrivés à la deuxième, alors que la troisième les montre tous les trois s’enlaçant. L’auteur opte pour l’immobilisme des autres personnages, mettant ainsi l’accent sur l’accablement de nos héros. BÉMOLS Si on peut faire un reproche à Michel Rabagliati, c’est parfois d’en mener un peu trop large sur le plan du récit. Paul qui regarde des diapositives afin d’indiquer au lecteur ce qui s’était passé depuis un an, c’est un peu gros. Les personnages qui discutent de la souveraineté du Québec, ça n’amène rien de nouveau sous le soleil. Roland qui, en douze planches, raconte sa vie, aurait pu se voir amputer une partie de son discours sans que cela le rende moins humain aux yeux des lecteurs. Ces quelques réserves n’enlèvent cependant rien au plaisir de se plonger dans l’univers de Paul et des siens. Paul ne sera jamais Tintin, et c’est tant mieux. III Philippe Girard, Tuer Vélasquez, Montréal, Glénat Québec, 2009, 192 p., 19,95 $. térieur. L’album se divise en chapitres qui situent les lecteurs dans la chronologie de la maladie. Après l’annonce du diagnostic, on se propulse un an plus tard, le récit devient mensuel pour se terminer avec les derniers jours de la vie de Roland. Parallèlement, la vie continue pour Paul, Lucie et leur fille Rose. Entre l’achat M I C H E L R A B A G L I AT I d’une nouvelle maison, les réunions familiales, l’efficacité terrifiante du service à la clientèle des grandes compagnies, les personnages font leur bout de chemin en apprivoisant, à leur façon, le départ imminent d’un des leurs. L’art de l’autobiographie Philippe Girard en est à son neuvième album. Autrefois connu sous le pseudonyme Philippe Grrrd, l’auteur continue ici sa série de récits autobiographiques entrepris avec Les ravins, qui racontaient son périple à Moscou en compagnie de Jimmy Beaulieu, autre bédéiste important de la scène locale. Cette fois-ci, Girard se souvient d’une période trouble de son adolescence, alors qu’il doit faire face au divorce de ses parents, à un déménagement et à un curé pédophile. UN DESSIN SIMPLE ET EFFICACE Le talent premier de Michel Rabagliati réside dans la façon particulière qu’il a de mener son histoire. Ici, le dessin ne vise pas à épater le lecteur. Entièrement en noir et blanc, les différents plans choisis par le dessinateur ajoutent de la fluidité 54 • lettres québécoises • été 2010 près avoir appris qu’un curé québécois s’était fait écrouer à Lieurey, tout près de Paris, pour avoir commis des agressions envers des jeunes garçons, Philippe Girard revit une partie douloureuse de son adolescence. Après son déménagement de Loretteville à Sainte-Foy, le personnage principal se A FR ANÇOIS CLOUTIER des images, des mots III Pascal Colpron, Mon petit nombril, http://monpetitnombril.wordpress.com Illustration de la vie familiale PHILIPPE GIRARD retrouve isolé, nouvel arrivant dans une école étrangère, avec seulement sa mère à qui se rattacher. Celle-ci l’incite à joindre un groupe de jeunes garçons dont les réunions sont animées par un prêtre pour le moins particulier. Philippe se rendra rapidement compte que les soupçons qu’il avait développés envers le curé Grandmaison s’avèrent réels, lors d’une fin de semaine de groupe où le prêtre abusera de son pouvoir de manipulation pour assouvir ses pulsions pédophiles. Ce drame se jouera avec en filigrane un questionnement sur qui de Vélasquez ou de Picasso est le plus grand peintre et une identification du personnage principal à Jack Bowmore, héros de roman inspiré de Bob Morane. L’ I M P O R TA N C E D E L’ A R T La grande réussite de cet album est sans contredit la façon qu’a Girard de raconter son histoire et les moyens esthétiques dont il use pour y arriver. Les planches sont en noir et blanc, les personnages sont dessinés assez grossièrement et les décors dans lesquels ils évoluent restent sommaires, surtout dans la première partie de l’album. Cependant, l’auteur se permet quelques planches plus fouillées graphiquement. Lors d’une séquence onirique d’une quinzaine de planches, Philippe Girard arrive à mêler Picasso, La chasse-galerie et Vélasquez afin d’illustrer le cauchemar horrible dans lequel son héros se trouve. De plus, il illustre des portions des aventures de Jack Bowmore et permet à son personnage de Philippe de vaincre ses peurs en prenant les traits de Jack. Ces planches, dont les cases conservent une disposition classique, rappellent les adaptations (qui ne furent pas si heureuses, précisons-le) en bande dessinée des romans de Bob Morane. La grande réussite de cet album est sans contredit la façon qu’a Girard de raconter son histoire et les moyens esthétiques dont il use pour y arriver. À travers le drame que Philippe Girard évoque, c’est son ode à l’importance de la paralittérature qui nous a semblé la plus réussie. Le protagoniste de Girard s’accroche comme à une bouée aux aventures de Jack Bowmore, prouvant ainsi que la plongée dans le vaste monde de la littérature (et de l’art) peut se faire à partir de plusieurs quais. La popularité des blogues de toute sorte ne se dément pas, nous assistons à un nouveau moyen de diffusion de contenu à saveur littéraire. Les bédéistes savent aussi profiter du médium. En Europe, Lewis Trondheim, chef de file de la nouvelle bédé française, a mis en ligne de nombreuses planches sous le pseudonyme de Frantico, qui sont maintenant publiées dans un album. Pascal Colpron, lui, publie Mon petit nombril sur la Toile depuis 2008. Sa façon de faire est assez simple: des tranches de vie d’un père de famille de 35 ans en une planche, le plus souvent en noir et blanc. ne des fonctions premières du blogue est de pouvoir partager un certain nombre de renseignements avec de parfaits étrangers. Le blogue de Pascal Colpron comporte son nombre de liens avec d’autres sites jugés d’intérêt par l’auteur, des réflexions sur sa vie professionnelle et un récit appelé Dynamoville. Le premier attrait de ce site se situe cependant dans les nombreuses planches (plus de 200) qui s’y retrouvent. Le personnage principal est le blogueur, qui nous permet de découvrir son quotidien. Le dessin peut rappeler parfois celui de Gotlib (noble référence), mais les récits demeurent très personnels. Pascal Colpron ne tombe pas dans le piège de faire à tout prix «joli», les planches ne sont pas toutes réussies (certaines contiennent trop de cases pour ce qu’elles racontent, d’autres pas assez), mais le plus souvent, il arrive à nous faire sourire ou encore à nous émouvoir. U S U J E T S VA R I É S La famille nucléaire est une source d’inspiration à la mode pour plusieurs créateurs, ceux-ci insistant sur certains changements sociaux, tel le père de famille devenu travailleur autonome à la maison. Le dessinateur s’en inspire, certes, mais ne se cantonne pas à ce seul sujet. On voit le personnage en interaction avec sa fille, les affres qu’apporte un ordinateur au quotidien, la vie de couple qui en prend parfois pour son rhume, la nostalgie du temps qui passe, etc. Colpron informe aussi le lectorat de ses activités professionnelles à venir, de ses publications et de ses collaborations. Pascal Colpron a le sens du punch, primordial dans ce genre de bédé axé sur la chute de la dernière case. Le bédéiste se met en scène honnêtement, ne se donnant pas nécessairement le beau rôle, ce qui le rend doublement sympathique et charismatique. Les comparaisons avec les «strips» américains mettant en scène des familles et qui sont publiés dans les journaux nationaux sont inévitables, mais Mon petit nombril se démarque par l’originalité et l’honnêteté de son propos. lettres québécoises • été 2010 • 55 CARLOS BERGERON les revues en revue Alibis • Polar, Noir et Mystère, no 32, vol. 8, no 4, « Cinq fictions Liaison • no 146, hiver 2009-2010, à se ronger les ongles », Québec, automne 2009, 144 p., 10 $. 10 $. Ce numéro comporte un petit bijou qu’il ne faut pas manquer! Le premier texte, «Nous sommes du même sang» (p. 7-21), de Sébastien Aubry, exploite une narration par alternance qui réussit à maintenir le suspense jusqu’à la chute, moment où les histoires racontées se rencontrent. Difficile, cependant, de résumer de quoi il s’agit sans vendre la mèche… Sur une trame historique se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale (aspect réussi), la nouvelle de Maxime Houde, «Matricule 53083» (p.35-72), raconte comment l’amitié trahie à cause d’une relation amoureuse peut mener aux pires abominations. Les clichés succèdent aux clichés dans un récit mélangeant une histoire d’amour à l’eau de rose («incapables tous les deux de résister plus longtemps à la marée de passion qui montait dans leurs veines, ils s’embrassèrent», p. 58) à un scénario de vengeance qui, loin de tenir la route, devient carrément risible. Élisabeth Vonarburg nous révèle son exceptionnel talent d’écrivaine dans un genre autre que la science-fiction, avec la nouvelle «Défense d’y voir» (p. 89-107), le petit bijou en question du présent numéro. Tirant tout ce qu’elle peut de l’ellipse, elle mène son lecteur, le piège même, au cœur d’une péripétie amoureuse tordue (encore un trio) où la fin compte peu, car on la soupçonne dès les premières pages, et lui réserve aussi des surprises de taille (vraiment) en cours de lecture. C’est la technique narrative qui, dans le cas présent, est suffisamment puissante pour faire oublier une thématique qui s’apparente à un soap américain à la thématique «guimauve» (amour, richesse, tromperie), façon qu’a sans doute trouvée l’auteure pour porter un regard sarcastique sur le genre. Art Le Sabord • no 84, «Oui», premier volet du triptyque « Oui, Non, Peut-être », Trois-Rivières, automne 2009, 64 p., 9,95 $. Une autre revue pluridisciplinaire a attiré mon attention. Art Le Sabord présente le premier volet d’un triptyque (Oui, Non et Peut-être). Le Oui et tout ce qu’il implique, c’est-à-dire l’affirmation, l’évasion, la liberté de parole, l’ouverture absolue, etc., a servi de thématique à l’expression des auteurs et artistes faisant partie du présent numéro. A priori, il me semble que si le Oui offre un champ conceptuel presque infini, au Québec, il est malheureusement restreint à une incontournable connotation politique, «piège» dans lequel certains auteurs ont sauté à pieds joints. Entre le passé et le présent, la narratrice du texte de Marjolaine Deschênes, «Ta vie est un incendie» (p. 9-12), réduit l’homme à deux aspects: le père violent et l’amant empathique. Cette prose poétique, loin d’être banale, ne «lève» pourtant pas. France Théoret affiche ses couleurs politiques dans son article intitulé «Pourquoi je dirai oui une troisième fois à un prochain référendum national» (p. 25-33), texte tout au plus «honnête» dans lequel elle tend à nous expliquer, en nous racontant d’abord, et poétiquement, ses origines familiales, pourquoi elle refuse «de contribuer à l’effacement du Québec francophone et de [s]es familles» (p. 33). La finale qui détonne, et dont le propos presque antisémite nous laisse sans mots, mérite ici d’être citée: «Si les Québécois de souche donnent un appui massif, plébiscitent le oui, notre force d’attraction aura une influence irréversible sur l’ensemble de la population québécoise. » (p. 33) Hédi Bouraoui interroge le «oui» identitaire faisant partie de son nom, mais aussi celui de l’immigré en terre canadienne dans un texte brillant intitulé «Le Oui pas trop Catho égalise!» (p. 36-41). En finale, ajoutons que ce numéro reproduit certaines des photographies de Robert Polidori, artiste s’inspirant du drame pour créer une œuvre d’une esthétique renversante. 56 • lettres québécoises • été 2010 Pour faire changement et pour créer un peu de diversité dans cette chronique, pourquoi ne pas présenter une revue dont je n’ai jamais parlé jusqu’à présent, soit Liaison, qui se consacre aux arts de l’Acadie, de l’Ontario et de l’Ouest. Cette dernière a comme ambition de couvrir des événements, d’importance ou non, ayant lieu un peu partout dans la francophonie canadienne se trouvant hors du Québec. L’expression d’une culture francophone, supposément «foisonnante» et se voulant forcément minoritaire, en est donc la préoccupation centrale. La question thématique de ce numéro pourrait se résumer à la suivante: «Quelle est la place de la culture dans nos vies?» Le dossier ayant pour titre «La culture et moi» est en effet lancé grâce à l’éditorial de Suzanne Richard qui interroge l’accessibilité à la culture (probablement en milieu anglophone), y allant d’une comparaison avec la France où, contrairement au Canada, différentes politiques encouragent les gens à en consommer davantage. L’article de Paul Savoie, le plus intéressant de ce numéro, examine la «visibilité» de l’art, miroir de toute individualité, et précise que la qualité n’est pas toujours à associer à une grande médiatisation. Même le phénomène de la téléréalité s’y trouve brièvement commenté. La culture doit être «incarnée», elle «doit s’imposer, comme des mitaines et une tuque en hiver» (p.7), précise-t-il. J’ai été surpris de constater qu’un test bien bidon (cochez «a», «b», ou «c» dans les vingt questions posées et, selon votre cumulatif, votre profil correspond à X), visant à évaluer quelle place prend l’art dans notre vie, occupe les pages 16 à 19. Finalement, il me semble que la revue, dont l’esthétique irréprochable laisse beaucoup plus d’espace au texte qu’à l’image (bravo!), fait un peu trop de place à l’Ontario (oh! fort peuplée, dit-on) au détriment des autres bourgades arborant fièrement leur identité francophone malgré la résistance. Québec français • no 155, « Littérature et sexualité », Sainte-Foy, automne 2009, 116 p., 7,95 $. La célébration de deux plaisirs sensuels, soit la littérature et la sexualité, est au cœur de ce numéro nous offrant un dossier bien chaud. Comment, en effet, parler encore de sexualité sans ressasser, dans une sempiternelle masturbation linguistique, ce qui en constitue les principaux lieux communs? Québec français joue plutôt dans la perversion, c’est-à-dire contourne «l’attendu», en nous présentant presque une thématique centrale axée sur la «pornographie», donc, littéralement, sur «l’écriture» (graphie) de la sexualité. Bien entendu, on a droit à un article portant sur le père Sade, cet incontournable qu’on ressort des boules à mites quand vient le temps d’explorer ce genre de thématique («Qui a vraiment lu Sade», p. 35-37), mais plus que la philosophie noire issue des lointaines Lumières, on a droit à un article portant sur L’inévitable de Jean-Paul Roger: «L’ogre mangeur d’enfants» (p. 39-42). L’article en question, même s’il présente une lecture personnelle d’une autofiction traitant d’un sujet grave, l’inceste père-fils, va plus loin et frôle l’absurde dithyrambe en faisant de l’œuvre de Roger un «palimpseste du paradis perdu» (p. 41). Marie Fradette signe «La sexualité dans la production littéraire destinée à la jeunesse» (p.45-49), texte vraiment captivant qui nous fait découvrir les enjeux «délicats» de ce genre littéraire méconnu. Comment, en effet, aborder puis exposer la question pour un jeune lectorat? Quels thèmes sont à privilégier? Le témoignage de Geneviève Ouellet, «Moment(s) de grâce. Oser l’osé en classe» (p.56-57), expose la réflexion d’une enseignante qui, justement, ose aborder la question de la sexualité, à travers l’analyse d’extraits de textes érotiques, en classe de littérature. Finalement, la fiche de lecture portant sur Borderline de Marie-Sissi Labrèche (p. 95-97) est un incontournable signé Aurélien Boivin. MARQUIS À P O S I T I O N N E R PA R E U X AT T E N T I O N G A R D E R L E FO L I O lettres québécoises • été 2010 • 57 événement S É B A S T I E N L AV O I E Et toutes ses dents La Révolution tranquille a cinquante ans ? La maison d’édition Hurtubise en a tout autant. Si d’aucuns pensent que la première s’est sclérosée avec le temps, personne ne peut en dire autant de la deuxième… n dit de Claude Hurtubise qu’il ne savait que fonder des revues et des maisons d’édition, mais c’est faux. Il a aussi dirigé une agence de distribution, Fomac. Il a d’abord créé, en 1934, avec plusieurs autres personnes, dont Saint-Denys Garneau, la revue La Relève, devenue La Nouvelle Relève en 1941. O puisque la fondation de la maison a coïncidé précisément avec l’institutionnalisation universitaire de la recherche dans les sciences sociales et humaines3.» C’est sous ces auspices que naît la collection d’essais « Constantes », « […] la collection par excellence de la nouvelle pensée canadienne-française4 ». Au chapitre littéraire, mis à part une réédition du Torrent d’Anne Hébert, la maison permet de découvrir Monique Bosco, Jacques Ferron, Madeleine Ferron, Naïm Kattan, Jean O’Neil (et, plus tard, André Carpentier, Noël Audet et Diane-Monique Daviau). La maison publie aussi les premières traductions de Marshall McLuhan, Northrop Frye, Hugh MacLennan et Mordecai Richler. L’associé Hatier, lui, se spécialise dans le livre scolaire. En matière d’édition, on se rappelle que, pendant la Hurtubise HMH a toujours eu une composante étrangère Seconde Guerre mondiale, c’est toute la francophonie dans une partie ou l’autre de son activité. […] Mais aussi, CLAUDE HURTUBISE en perdition qui vint trouver refuge à Montréal après la très tôt dans son histoire, la maison distribue ou coédite déroute de l’édition française. Les gens de l’édition d’ici des titres produits en France, notamment par l’un ou ont cru que c’était parce qu’ils étaient bons. Ils ne l’étaient pas, et la bulle éclatera l’autre de ses propriétaires français. Ainsi, la maison distribue dès sa rapidement après la guerre. On ne s’étonnera donc pas que M. Hurtubise ait création un titre important de Hatier, L’art de conjuguer, connu aussi plongé dans l’aventure de l’édition en fondant les Éditions de l’Arbre, dès 1940, où sous le nom de Bescherelle5. il fit paraître les premiers écrits d’auteurs comme Anne Hébert, Yves Thériault et La maison a commencé à s’investir dans le secteur scolaire très tôt dans son hisRoger Lemelin. Cette première maison d’édition fit faillite l’année où la Nouvelle toire, en adaptant des ouvrages français. Créé en 1966, ce secteur est d’abord Relève ferma ses portes, en 1948. Deux cents livres publiés en huit années d’exisdirigé par Thierry Viellard («apparenté à la famille Mame et représentant des tence, c’était sans doute beaucoup trop. Tout de même, cette première maison intérêts de celle-ci6 »), qui succédera à Claude Hurtubise à la direction de HMH de d’édition du natif de Westmount aura aussi été la première maison canadienne1975 à 1979. française à publier des traductions d’auteurs canadiens-anglais et états-uniens. C’est sans doute aussi la seule à avoir publié Léon Blum… En 1954, Claude Hurtubise compte parmi les fondateurs des Écrits du Canada français (aujourd’hui Les Écrits) en compagnie des Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier et autres Marcel Dubé. Puis, en 1960, il fonde les Éditions HMH en compagnie de Roger Mame, un éditeur de Tours qui fait dans le livre catholique, et avec l’aide des Éditions Hatier (HMH = Hurtubise, Mame et Hatier) ainsi que d’une pléthore de très petits actionnaires. C’est en 1969 (ou 1970, les sources divergent à ce sujet1) que la maison deviendra les Éditions Hurtubise HMH ltée. Le premier succès d’HMH ne tarde pas. « La Révolution tranquille venait de commencer, porteuse d’un désir de pensée, de création qui devait nécessairement se donner une expression écrite. Aussi bien le tout premier livre de la maison futil un essai, le très fort Convergences de Jean Le Moyne [...].2 » « Au moment où la recherche sociale prenait son essor, à la fin des années 1950, la diffusion des connaissances acquises posait problème. Celle ou celui qui entreprendra un jour d’étudier cette histoire ne pourra pas ne pas rencontrer la contribution première et essentielle des Éditions Hurtubise HMH. Première, 58 • lettres québécoises • été 2010 C’est en 1973 qu’entre en scène Hervé Foulon, qui rachètera la maison en 1979. H C O M M E DA N S H E R V É FO U LO N , N O N PA S H AT I E R C’est en 1973 qu’entre en scène Hervé Foulon, qui rachètera la maison en 1979. Pour la petite histoire, mentionnons qu’Hervé Foulon est l’arrière-petit-fils d’Alexandre Hatier, fondateur des Éditions Hatier, et neveu du propriétaire d’alors des Éditions Hatier, dont il rachète les parts ainsi que celles de Roger Mame. C’est lui qui développera considérablement le secteur de la distribution (administrativement autonome depuis maintenant plus d’un an). «Le problème, souvent, de l’édition, me dira-t-il, c’est aussi un problème de diffusion, de distribution. Et en France, les gros diffuseurs sont propriété de gros éditeurs.» Le mérite de M.Foulon aura été d’avoir compris tôt ce principe. En 1982, la maison acquiert les Éditions Marcel Didier Canada, une maison spécialisée dans le matériel d’enseignement et d’apprentissage des langues (que Hatier possédait alors, faut-il le préciser). À part les Bescherelle, tout ce qui relève de l’édition scolaire ou pédagogique est depuis lors publié sous ce nom. Ce secteur des activités d’Hurtubise a subi une forte baisse qui a coïncidé avec l’implantation de la réforme en éducation, laquelle a fortement déplu à M.Foulon. Auparavant, ce secteur représentait 70 % du chiffre d’affaires. Dix ans plus tard, 80 % de celui-ci se fait ailleurs. «L’édition scolaire n’était plus de l’édition; c’était un peu de l’alchimie; trois gouttes de ceci, une goutte de cela…, dit-il pour illustrer son sentiment selon lequel l’éditeur a été marginalisé dans tout le processus. événement S É B A S T I E N L AV O I E affaires, par ailleurs, il convient que des économies d’échelle peuvent être faites, un haussement d’épaules dans le ton. E T L’ A V E N I R ? «La consolidation du secteur littéraire, dit Hervé Foulon spontanément. Offrir le plus large éventail de livres possible aux lecteurs tout en conservant une qualité maximale à tous les niveaux», précise-t-il avant de rebondir sur les nouvelles technologies et les possibilités qu’elles ouvrent, selon lui, au monde de l’édition («bien malin qui pourra prédire ce qu’il en sera dans cinq ou dix ans!»). Alors que l’on soupçonne l’instantanéité des médias électroniques d’avoir influencé les auteurs à écrire des phrases et des chapitres de plus en plus courts, M.Foulon voit plutôt pointer la résurgence du roman-feuilleton. H E R V É FO U LO N Ce type d’édition est maintenant l’affaire de grands groupes, dit-il, de ceux qui fixent eux-mêmes les règles.» Hurtubise n’était-il pas l’un de ces grands groupes? Eh non, les grands groupes s’appellent Chenelière-McGraw-Hill, CEC, ERPI… Qu’à cela ne tienne, la maison n’a jamais fait dans la monoculture, s’assurant toujours de publier au moins une dizaine de titres qui ne relevaient pas du secteur scolaire. M. Foulon crédite M. Jacques Allard, une vieille connaissance du temps des Cahiers du Québec, d’une partie du mérite de ce revirement réussi d’Hurtubise vers la littérature «à caractère plus large». M.Allard avait invité M. Foulon à lui faire signe s’il voulait relancer le secteur littéraire d’Hurtubise, ce que ce dernier a fait en le nommant directeur. Débute alors une série de publications à caractère historique avec la saga de Nicole Fyfe-Martin sur Hélène de Champlain. Les Michel David et autres Jean-Pierre Charland ont suivi. En parallèle, la collection «amÉrica» fut mise sur pied, une collection qualifiée par son PDG de «plus moderne que les autres collections littéraires», écrite par des auteurs de tous les horizons mais reflétant davantage un côté nord-américain. «Le choix des textes est basé sur leur intérêt, mais on ne cherche pas à faire de la littérature populaire.» Une autre collection, «Texture», a été créée quelques années plus tard; elle est dirigée par François Couture. «Une orientation beaucoup plus littéraire, nouvelle écriture, afin d’offrir aux lecteurs de nouvelles avenues.» En quoi le travail de M.Couture diffère-t-il de celui qu’il faisait à sa défunte maison l’Effet Pourpre? En rien, au dire de M. Foulon: «Nous, on trouvait ça dommage que ça s’arrête…». X Y Z , S T R AT É G I E O U O P P O R T U N I T É ? Quel sens donner à l’achat de XYZ? L’arrière-petit-fils d’un grand éditeur rompu à la logique du métier, ayant déjà racheté d’autres maisons d’édition, dont la sienne, obéissait-il à un coup de cœur, ou ne faisait-il que saisir une belle opportunité? Son achat répondait-il à une stratégie, s’inscrivait-il dans un grand plan d’ensemble? «Il peut y avoir une stratégie, mais en même temps il y a toujours des occasions qui se présentent», me dit-il après une seconde ou deux d’hésitation. Et de me parler de Marcel Didier («soufflé aux Français») et des liens d’affaires qui existaient déjà entre leurs deux entreprises, longtemps avant le rachat. En ce qui concerne XYZ, il dira que son achat tient de sa volonté de renforcer le secteur littéraire… «Par contre, je ne veux pas renforcer n’importe comment, et avec n’importe qui…» Des maisons l’ont déjà approché, dont il n’a pas voulu, non par manque de respect, mais par manque d’affinités. Le nouveau proprio affirme qu’XYZ a «un fonds superbe» qu’il veut contribuer à pérenniser. Sur le plan des L’avenir n’est pas écrit mais réserve assurément de bonnes choses à M. Foulon et à quelques-uns des arrière-arrière-petits-enfants d’Alexandre Hatier… Je n’annonce rien ici. 1. Martin Doré, Une maison d’édition canadienne dans la francophonie internationale: examen d’un cas, http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2006/actes2006/PDF/II-3 % 20Martin % 20DORE. pdf, p. 3 et http://data2.archives.ca/pdf/pdf001/p000000674.pdf, p. IV. 2. Gilles Marcotte, 40 ans d’Hurtubise HMH, document promotionnel, p. 7. 3. Guy Rocher, 40 ans d’Hurtubise HMH, document promotionnel, p. 8. 4. Gilles Marcotte, op. cit. Marcotte fut aussi l’un des directeurs de collection de HMH. 5. Martin Doré, Une maison d’édition canadienne dans la francophonie internationale: examen d’un cas, http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2006/actes2006/PDF/II-3 % 20Martin % 20DORE. pdf, p. 4. 6. Ibid. L I T T É R AT U R E Q U É B É C O I S E [email protected] www.voixetimages.uqam.ca La revue Voix et Images publie trois numéros par année qui comprennent des analyses approfondies et variées sur la production ancienne et contemporaine, des textes inédits et des entrevues avec des écrivains du Québec ainsi que des chroniques sur l’actualité. Chaque numéro de Voix et Images comprend trois rubriques principales : un dossier, des études et des chroniques. DOSSIER « LOUISE DUPRÉ », vol. XXXIV, n o 2 (101), hiver 2008 Le sujet féminin : de l’intime à la mémoire ¶ JANET M. PATERSON et NATHALIE WATTEYNE Entretien avec Louise Dupré ¶ JANET M. PATERSON Inédit. La porte fermée ¶ LOUISE DUPRÉ De la maturité à l’accomplissement. La trajectoire poétique de Louise Dupré ¶ ANDRÉ BROCHU Fenêtre sur corps. L’esthétique du recueillement dans la poésie de Louise Dupré ¶ DENISE BRASSARD Narration, temps et espace dans les romans de Louise Dupré ¶ JAAP LINTVELT Dans les moindres détails. La fiction de Louise Dupré ¶ SANDRINA JOSEPH Tout comme elle. L’intime et le non-dit ¶ NATHALIE WATTEYNE Bibliographie de Louise Dupré ¶ MÉLANIE BEAUCHEMIN et NATHALIE WATTEYNE ABONNEMENT (INCLUANT LES TAXES ET/OU LES FRAIS DE PORT ET DE MANUTENTION) Q U É B E C / C A NA DA 1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 29 $ individu 45 $ institution 90 $ ÉTRANGER 1 AN (3 NUMÉROS) : étudiant 35 $ individu 55 $ institution 95 $ lettres québécoises • été 2010 • 59 félicitations à kim thúy, lauréate du prix rtl-lire 2010 décerné par les libraires et les lecteurs au Salon du livre de Paris ! PHOTO © BENOIT LEVAC 60 • lettres québécoises • été 2010 Libre Expression | Trécarré | Stanké | Logiques | Publistar groupelibrex.com nous ont quittés Claire de Lamirande franco-ontariennes, René Dionne a accompli une œuvre remarquable qui en fait une figure de proue de sa communauté. Georges Anglade La romancière québécoise Claire de Lamirande, née Bourget, est décédée le 15 décembre 2009. Née en 1929, M me de Lamirande était l’auteure d’une douzaine de romans, dont Neige de mai paru en 1988. Ce dernier ouvrage posait la question de la foi. Claire de Lamirande a par ailleurs touché tant au genre policier qu’au roman historique, entre autres avec Papineau, paru en 1980. René Dionne M. René Dionne, professeur titulaire et émérite au Département de lettres françaises de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa est décédé le 29 décembre 2009, à l’âge de 80 ans. René Dionne a été l’un des premiers à proposer un cours sur la littérature franco-ontarienne. Il a été aussi responsable de la page littéraire du quotidien Le Droit d’Ottawa de 1976 à 1988. Au cours de sa carrière, il a écrit une vingtaine de livres sur les littératures franco-ontarienne, québécoise et acadienne. L’Université York de Toronto et l’Université de Montréal avaient d’ailleurs reconnu sa contribution en lui décernant des doctorats honoris causa. Pionnier des études L’écrivain québécois d’origine haïtienne Georges Anglade et sa femme Mireille sont décédés le 12 janvier dernier, à Port-au-Prince, lors du séisme qui a ébranlé Haïti. Né à Port-au-Prince en 1944, Georges Anglade a immigré au Québec en 1969. Il a notamment contribué à fonder l’Université du Québec où il a été professeur de géographie sociale jusqu’en 2002. Il a été conseiller spécial auprès du président Aristide et, plus tard, auprès du gouvernement Préval en Haïti. Il a écrit de nombreux livres où Haïti occupait une place capitale. Sa femme et lui étaient en Haïti pour visiter des proches. Françoise Lepage Lepage. Franco-ontarienne d’adoption, Françoise Lepage habitait Ottawa depuis une trentaine d’années ; elle a notamment enseigné la littérature jeunesse à l’Université d’Ottawa durant plus de 10 ans et dirigé les collections « Voix didactiques » aux Éditions David et «Cavales» aux Éditions L’Interligne. Publiée en 2000, son Histoire de la littérature pour la jeunesse avait valu à Françoise Lepage le prix GabrielleRoy (2000), le prix Champlain (2001) ainsi que le Prix du livre de la Ville d’Ottawa (2002). Elle avait aussi obtenu le Prix du livre d’enfants Trillium, le Prix littéraire Le Droit — jeunesse ainsi qu’une nomination au Prix du Gouverneur général pour son roman jeunesse Poupeska, publié en 2006 aux Éditions L’Interligne. Ville de Montréal en 1979, le prix Ludger-Duvernay en 1971, le prix Athanase-David, le prix Victor-Barbeau en 2001 et la Médaille de l’Académie des lettres du Québec en 2008. Pierre Vadeboncœur Georges Laberge s’est éteint le 13 février 2010. Âgé de 78 ans, M.Laberge fut un grand pionnier du milieu du livre québécois et canadien. L’écrivain et syndicaliste Pierre Vadeboncœur est mort le 11 février 2010. Né le 28 juillet 1920, Pierre Vadeboncœur a obtenu sa licence en droit en 1943. Militant dans ses jeunes années, il a rédigé des textes publiés dans les revues intellectuelles Cité libre, Maintenant et Liberté. Il a aussi exercé sa plume incisive dans des lettres ouvertes publiées dans les journaux Le Devoir et Le Jour. De 1950 à 1975, il a travaillé à titre de conseiller syndical à la CSN. Il y portera aussi le titre d’adjoint du président et participera à plusieurs luttes ouvrières, côtoyant notamment le bouillant syndicaliste Michel Chartrand et l’ancien président Gérald Larose. La littérature franco-ontarienne est en deuil à la suite du décès, le 23 janvier 2010, de l’auteure Françoise Pierre Vadeboncœur a reçu de nombreux prix: le Grand prix littéraire de la Georges Laberge Sollicité par le père Paul-Aimé Martin, Georges Laberge a amorcé sa carrière de gérant à la librairie Fides de SaintBoniface, au Manitoba, en 1959. Il a quitté sa région natale pour s’établir dans la ville de Québec où il a assumé la direction des Presses de l’Université Laval de 1966 à 1972. Il a développé, de 1972 à 1978, ce qui deviendra le premier réseau des librairies de langue française au Canada: les librairies Garneau. Georges Laberge a continué sans relâche son travail pour l’accessibilité du livre, et c’est en 1978, à la demande du Conseil des Arts du Canada, qu’il a créé la première Semaine nationale du livre et qu’il a conçu le Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ). À la fin de ce mandat, en 1981, il a fait l’acquisition de la maison de distribution Bordas Dunod Montréal, renommée Diffulivre. Ce diffuseur se démarqua notamment par la fondation des Éditions du Trécarré. Fort de son expertise, il a été l’un des acteurs primordiaux dans la remise sur pied l’Association des distributeurs exclusifs en langue française (ADELF) en 1998. Le prix Fleury-Mesplet lui a été décerné, en 1994, afin de souligner sa contribution à l’édition québécoise. lettres québécoises • été 2010 • 61 informations express B R U N E T -W E I N M A N N, M O N I Q U E Simone Mary Bouchard et Louise Gadbois Rodolphe Mathieu. Les derniers occupants furent les peintres de la Montée Saint-Michel dirigés par Ernest Aubin. Dumas, nous offre ici des illustrations pleines d’humour qui sont en quelque sorte des histoires dans les histoires. L O R D , M A R I E L I N DA SICOTTE, ANNE-MARIE ET DENIS BOURQUE Gratien Gélinas en images Paysages imaginaires d’Acadie Un p’tit comique à la stature d’un géant Un atlas littéraire Montréal, VLB éditeur, 2009, 180 p., 36,95 $. L’art naïf dans la modernité Saint-Sauveur, Marcel Broquet éditeur, coll. « Profils », 2009, 155 p., 39,95 $. En publiant ce livre, l’éditeur Marcel Bro quet renoue avec la tradition du beau livre et du livre d’art. Cette monographie est la première étude consacrée à Simone Mary Bouchard dont l’œuvre picturale est habituellement rangée parmi les peintres populaires de Charlevoix. L’auteure, Monique Brunet-Weinmann, a eu accès à des documents inédits: lettres de Mary Bouchard à Louise Gadbois, journal intime, photographies de Mme Gadbois et archives de la famille Bouchard. Moncton, Institut d’études acadiennes et Chaire de recherche en études acadiennes, Université de Moncton, coll. « Pascal-Poirier », 2009, 144 p., 49,95 $. Cet atlas littéraire est une invitation à découvrir une Acadie des villes et villages, des terres et forêts, de mer et de côtes ; une Acadie du présent et de la modernité, de la mémoire et de la tradition, du rêve et de l’utopie. Du village de Saint-Tite aux lumières de Broadway, la destinée de Gratien Gélinas fut une étonnante odyssée. Un p’tit comique à la stature de géant raconte cette aventure au moyen d’un florilège d’images qui brossent un portrait de ce parcours exceptionnel et de la société qu’il dévoile en filigrane. Ces documents variés témoignent de la vie hors du commun de la plus grande vedette du Québec tout entier jusqu’à la Révolution tranquille. Gélinas fut artiste dans la moindre fibre de son être et, du début à la toute fin de sa vie, avec ce que cela implique de démesure et d’égocentrisme. De «roi des amuseurs» à dramaturge, de Bousille à Tit-Coq, l’aventure de Gélinas et de ses héros devient une véritable épopée, celle de l’affirmation de l’identité canadienne-française. Grâce à ces images d’un monde révolu et méconnu, le XXe siècle québécois prend vie de manière touchante et sensible. F O I S Y, R I C H A R D En effet, depuis cinquante a n s , A nt o n i n e Ma i l l e t , G é r a l d L e b l a n c , Herménégilde Chiasson, Jacques Savoie, France Daigle et Serge Patrice Thibodeau reconstruisent, avec leurs romans, leurs recueils de poésie, leurs pièces de théâtre, l’espace acadien en nommant divers lieux emblématiques où la mémoire collective est vivante, en laissant dans leurs textes fictifs des traces reconnaissables de la géographie et en créant et recréant des paysages qui forgent l’identité et les relations entre ceux et celles qui y habitent. L’Arche, un atelier d’artistes dans le Vieux-Montréal P I N E T, J O C E LY N Peintres juifs de Montréal Montréal, VLB éditeur, 2008, 208 p., 39,95 $. Nature humaine Témoins de leur époque, 1930-1948 illustrations de Véronique Dumas, Montréal, Isabelle Quentin éditeur, 2010, 64 p., 19,95 $. Montréal, Éditions de l’Homme, 2010, 288 p., 49,95 $. À partir d’éléments biographiques, l’auteure renseigne sur l’histoire de l’art du Québec, antérieure à la parution de Refus global et qui correspond à celle de la Société d’art contemporain et aux années de guerre. Ainsi, on découvre que Louise Gadbois a introduit la jeune artiste parmi les Indépendants de la Société dont elle était des membres fondateurs. Important retour sur un regroupement d’artistes que celui de Richard Foisy! Aujourd’hui, en passant devant le 26-28, rue NotreDame Est, à Montréal, on ne peut soupçonner qu’à partir de 1904 et pendant une vingtaine d’années, l’endroit fut un atelier de peintres, poètes, romanciers, journalistes, musiciens et comédiens. L’Arche a connu trois périodes. Celle où le peintre et poète Émile Vézina accueillit Marc-Aurèle Fortin, Georges Delfosse, Edmond-Joseph Massicotte, Albert Ferland et d’autres. Celle de la Tribu des Casoars, groupe littéraire animé par Roger Maillet et dont faisaient entre autres partie Victor Barbeau, Marcel Dugas, Philippe Panneton (Ringuet), LéoPaul Desrosiers, René Chopin, Rob er t de Roquebrune et des musiciens tels Léo-Pol Morin et 62 • lettres québécoises • été 2010 T R É PA N I E R , E S T H E R Nature humaine nous rappelle que nous faisons partie de la nature et rassemble des exemples pour nous aider à comprendre la vie en général et la nôtre en particulier. Dans la nature, les choses sont ce qu’elles sont; elles ne font pas d’efforts pour cacher leur façon d’être ou leur façon de faire. La nature réagit aux changements et aux perturbations en toute logique, sans prétention et sans excès. Et, depuis toujours, les humains y trouvent un modèle pour donner du sens à leur vie. Le travail de l’auteur, Jocelyn Pinet, auprès de gens de toutes les cultures et de toutes les langues lui a appris que l’utilisation d’analogies de la nature rendait souvent plus facile la compréhension d’un problème ou d’une situation. L’illustratrice, Véronique Une des caractéristiques principales de l’apport des peintres de la communauté juive, impliqués dans le milieu artistique professionnel durant les années 1930 et 1940, est d’avoir été des témoins de leur époque. Ils ont dépeint la ville où ils vivaient, représenté la condition des classes populaires, mais aussi la misère engendrée par la crise économique. Plusieurs ont aussi porté un témoignage inestimable de la vie durant la guerre. Ils ont exploré les diverses facettes de la figure humaine contemporaine à travers une recherche artistique tournée vers la compréhension de la modernité, démarche nouvelle à cette époque sur la scène artistique canadienne. Riche de plus de deux cents reproductions d’œuvres, cet ouvrage analyse la contribution d’une quinzaine d’artistes juifs de Montréal au développement de l’art moderne avant l’abstraction. coup de cœur A N D R É VA N A S S E Prix littéraire des collégiens son ouverture d’esprit, réussit à rallier tout le monde et à donner des assises financières solides au prix de même qu’à trouver un partenaire de poids en associant Le Devoir à cet événement. Au Salon du livre de Québec d’avril dernier a eu lieu le dévoilement du gagnant du Prix littéraire des collégiens. Il y avait foule. e fut dans la joie et les cris de reconnaissance que fut présentée la cinquantaine de membres étudiants du jury sélectionnés partout au Québec. À chaque annonce, on acclamait avec éclat leur présence. Et cela me plaisait énormément. Quelque chose comme un souffle nouveau et le sentiment que cette assemblée ressemblait peu à celle qu’on fréquente habituellement dans les salons du livre. C UN PEU D’HISTOIRE Le Prix littéraire des collégiens est inspiré directement du Goncourt des lycéens en France, une forme de contestation du prix Goncourt visant à « décommercialiser » un prix où les jeux de coulisses l’emportent largement sur la véritable valeur littéraire, au point qu’on a souvent qualifié ce prix de « galligrasseuil » (Gallimard, Grasset, Seuil). Ici, au Québec, deux cégeps lancent l’idée du Prix des collégiens. D’abord au cégep de Sherbrooke en 2000, sous la gouverne de Bruno Lemieux, puis au cégep Montmorency en 2001, à l’instigation de Francine D’Amour. Mais ce n’est qu’en 2002-2003 que le prix prend vraiment une envergure nationale sous l’impulsion de Mme Claude Bourgie-Bovet, qui, grâce à son sens diplomatique et à Dès l’attribution du premier prix, dans sa nouvelle version, on assiste à un événement grandiose. Le seul fait d’être choisi signifie des ventes importantes, puisque la Fondation achète 700 livres pour les distribuer aux lecteurs et lectrices à travers la province de Québec (se sont joints au groupe un collège de Suède et un lycée de France). Déjà, c’est un événement de taille, car les ventes à vie de la grande majorité des auteurs dépassent rarement 500 exemplaires. Dès le départ donc, le Prix littéraire des collégiens est une manne tout autant pour l’auteur que pour l’éditeur. Sans compter que plusieurs cégeps mettent les œuvres au programme, ce qui peut signifier, au fil des ans, plusieurs milliers d’exemplaires vendus. U N C H O I X AT Y P I Q U E Le Prix littéraire des collégiens est l’expression exacte de ce qu’on souhaitait à l’origine, à savoir un choix fondé essentiellement sur le plaisir et la passion, sans aucune arrière-pensée de retour d’ascenseur. On en a eu la preuve encore une fois cette année. Alors que Dany Laferrière paraissait le choix «naturel» des cégepiens étant donné son immense «valeur symbolique», lui qui a non seulement raflé le Médicis, mais qui a été au cœur de la tourmente haïtienne, eh bien, il a été battu en fin de piste par un illustre inconnu nommé Marc Séguin, auteur d’un premier roman intitulé La foi du braconnier. Ce refus de marcher au pas fait du Prix littéraire des collégiens l’un des plus crédibles et des plus importants de nos prix littéraires. On ne peut que lui souhaiter longue vie, car c’est un vent de fraîcheur au sein de notre institution littéraire. Annie Lafleur Handkerchief Une écriture qui «participe du caractère profondément irrésolu de la poésie, ne cesse d'en témoigner, de l'illustrer.» Jonathan Lamy, Spirale La porte poèmes de Margaret Atwood, dans une superbe traduction de Louise Desjardins « Rares sont les auteurs qui parviennent à tisser une poésie à la fois intemporelle et profondément ancrée dans leur époque. » Tristan Malavoy-Racine, Voir François Charron La difficulté d’apparaître « Même le plus grand amour n'échappe pas à la séparation de la mort » lettres québécoises • été 2010 • 63 livres en format poche A R C A N, N E L LY À ciel ouvert Paris, Seuil, coll. « Points », 2010, 256 p., 14,95 $. de se remémorer ou de découvrir des moments impor tants de notre mémoire collective. Beaucoup plus qu’un guide, cet ouvrage rend un vibrant hommage à la chanson québécoise, des refrains de la NouvelleFrance aux productions les plus récentes. Aucun style, aucun genre n’y est oublié par l’auteur, qui propose pour chaque pièce un commentaire toujours éclairant ou amusant. FA L A R D E A U, P I E R R E Les bœufs sont lents mais la terre est patiente Montréal, Typo, 2009, 256 p., 17,95 $. B E R G E R O N, B E R T R A N D Maisons pour touristes Québec, L’instant même, coll. « Poche », 2010, 144 p., 12 $. Sur le toit brûlant d’un immeuble de Montréal où elles sont montées se faire bronzer, deux femmes font connaissance et engagent un duel dont va dépendre leur survie. Rose Dubois vit en couple avec Charles, photographe de mode. Très vite, Julie O’Brien souffre le martyre, mais considère les soins qu’elle s’inflige comme obligatoires. Dans un monde de harcèlement publicitaire où le corps des femmes est sans cesse exposé, la beauté est une guerre. Chez Nelly Arcan, la beauté est toujours sujet et objet de maltraitance. B A I L L A R G E O N, R I C H A R D 401 petits et grands chefs-d’œuvre de la chanson et de la musique québécoises Québec, Varia, 2010, 206 p., 19,95 $. production littéraire contemporaine offre d’ailleurs maints exemples de textes qui fictionnalisent l’activité critique et, plus largement, interprétative. Les fictions, traductions, biographies plus ou moins libres et énigmes littéraires en tous genres foisonnent. FA L A R D E A U, P I E R R E La liberté n’est pas une marque de yogourt Montréal, Typo, 2009, 256 p., 17,95 $. Paru en 1988, ce recueil de nouvelles a valu à son auteur le prix AdrienneChoquette de la nouvelle. Aujourd’hui encore, la lecture de ces treize récits démontre l’intemporalité de l’œuvre. Que ce soit par la fuite vers un ailleurs anonyme («Parmi d’autres») ou lors des premières étreintes d’un jeune couple («Dans un miroir, avec quelqu’un»), les personnages se dévoilent avec une sensibilité et une pudeur qu’équilibre un style littéraire d’une exigeante précision. Cet essai regroupe des lettres, des articles et des projets de films écrits pour la plupart entre 1995 et 1999, et qui constituent autant d’expression de la liberté de pensée. On y retrouve le polémiste qui ne mâchait pas ses mots pour clamer son indignation. Parlant d’un projet de film, Falardeau disait : « Évidemment le projet a été refusé une fois de plus. Comme d’habitude. Pis chu là aujourd’hui à écrire c’te crisse de texte pour la radio pour gagner ma vie, au lieu de tourner des films.» F O U R N I E R , C LAU D E Les tisserands du pouvoir Montréal, Libre Expression, coll. « 10/10 », 2010, 528 p., 19,95 $. D I O N, R O B E R T Le moment critique de la fiction Les interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines 2e édition, Québec, Nota bene, coll. « NB poche », 2009, 260 p., 14,95 $. Ces 401 petits et grands chefs-d’œuvre de la chanson et de la musique québécoises constituent le meilleur moyen 64 • lettres québécoises • été 2010 La critique ne se borne pas aux textes regroupés sous cette dénomination : elle est partout dans la littérature, et au premier chef dans les œuvres. La Pierre Falardeau, figure unique du cinéma québécois, savait également manier les mots avec adresse et en se donnant toute liberté. En 1995, il avait réuni sa production des trente années précédentes : articles, lettres ouvertes, dénonciations des patenteux de subventions, répliques aux critiques, mais également témoignages d’amitié et hommages à ses mentors. Ce livre offre une combinaison d’esprit, de réalisme, de sensibilité et d’ironie. Au début du XXe siècle, le Canada paie pour faire venir des immigrants allemands, polonais ou ukrainiens, mais livres en format poche il laisse des milliers de Canadiens français s’exiler aux États-Unis. Quatre-vingts ans plus tard, un descendant de ceux-ci, Jean-Baptiste Lambert, menace de se faire sauter avec deux otages, à moins que ses compatriotes ne consentent à retourner aux racines de leur histoire. Commence alors le récit des tribulations d’un peuple d’exilés en lutte contre l’assimilation et la misère, le récit des conflits de race et de religion. sont évoqués : leur environnement (rues et maisons), leurs besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, se vêtir), leurs activités sociales et culturelles, leur instruction, leurs loisirs (cabaret, théâtre, musique, chant et danse) et leur sécurité dans l’enceinte de la ville. Même si cet épisode de sa vie est bien réel, l’auteur insiste: «C’est de la fiction. C’est de l’écriture.» Une autofiction qui secoue, un livre coup de poing qui rappelle que, non, 20 ans n’est pas toujours le plus bel âge de la vie. miers Incas. Là, des forces occultes provoqueront chez lui une étonnante métamorphose… O H L , PA U L Montréal, Libre Expression, coll. « 10/10 », 2010, 160 p., 12,95 $. Soleil noir MOUTIER, Le roman de la conquête MAXIME-OLIVIER Montréal, Libre Expression, coll. « 10/10 », 2010, 504 p., 19,95 $. Marie-Hélène au mois de mars S AV O I E , J A C Q U E S Raconte-moi Massabielle Roman d’amour LACHANCE, ANDRÉ Vivre à la ville en Nouvelle-France Montréal, Triptyque, 2010, 218 p., 13 $. Montréal, Libre Expression, coll. « 10/10 », 2010, 288 p., 16,95 $. Dans cet ouvrage, l’auteur nous fait découvrir comment vivaient les citadins — bourgeois et nobles, mais aussi le petit peuple — de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal entre 1680 et 1760. Plusieurs aspects I N FO CA P S U L E Le prix unique : ça recommence Il y a dix ans, le débat faisait rage. Lettres québécoises avait fait son choix : oui pour le prix unique. La raison invoquée était simple et reposait sur le soutien aux petites librairies, particulièrement celles qui œuvrent en province. Agnès Maltais, ministre de la Culture à l’époque, avait refusé d’avaliser le projet. Il faut dire que plusieurs joueurs n’étaient pas convaincus de son utilité, Mars 1995. Moutier a 23 ans et vit plus ou moins avec Marie-Hélène qui, un soir, le trompera. Alors la douleur puis l’irrépressible jalousie s’emparent du jeune homme et il décide de mourir: «La mort, puis, au réveil, le désir fou d’une seconde vie. » Il ne mourra pas et la vie lui donnera cette seconde chance. entre autres Québec Amérique dont le Dictionnaire visuel se vendait par milliers. On craignait sans doute de perdre des ventes si Costco et Zeller’s faisaient disparaître le livre des tablettes de ses succursales. Mais cela aurait-il été le cas? Cette question, personne ne peut y répondre à moins que la loi ne soit votée. Dans tous les cas, l’Adelf (Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française) revient à la charge. Le but? Toujours le même: préserver la survie des petites librairies. Les détracteurs du projet ne manquent pas de signaler que les petites En 1532, l’effondrement de l’Empire inca aux mains des conquistadores marqua le début d’un opéra de terreur dont les dernières notes résonnent encore aux confins des Amériques… En 1986, Vadim Herzog entreprend une quête étrange qui le mènera du Pérou en Bolivie, jusqu’à la redoutable mine de Potosí, nombril de la misère humaine, puis dans l’île du Soleil, sur le lac Titicaca, dont la légende veut qu’y soient nés les pre- librairies en France sont dans l’impasse. Leurs ventes sont en baisse constante alors que les gros (FNAC en tête) tirent leurs marrons du feu. Alors pourquoi un remède de cheval pour sauver des librairies en perte de vitesse parce qu’elles perdent une clientèle qui quitte les commerces de quartier pour fréquenter les grandes surfaces? Pourtant en France, il y a des inconditionnels du prix unique parmi les très gros joueurs, par exemple Lafon, éditeur des Chevaliers d’émeraude d’Anne Robillard dont les œuvres ont été vendues à un million cinq cent mille exemplaires en Europe. Pour Massabielle, village acadien exproprié depuis peu pour permettre l’exploitation d’une mine, ne compte désormais plus qu’un habitant, Pacifique Haché, dit « le fou du village », qui refuse de quitter les lieux. Pacifique reçoit la visite régulière de l’avocat de la compagnie minière, qui cherche coûte que coûte à le déloger. Un beau matin, employant dans un dernier effort une nouvelle ruse, l’avocat lui offrira un magnifique téléviseur. Pacifique résistera-t-il au pouvoir insidieux de la télévision? lui, le prix unique est une bénédiction. On le comprend: vendre un million et demi d’exemplaires au plein prix au lieu du 30 % de réduction que consentent les grandes surfaces, cela signifie des millions dans ses poches. Lafon n’est pas le seul à profiter du prix unique, car c’est toute la chaîne du livre qui en bénéficie depuis l’éditeur en passant par le distributeur jusqu’aux libraires. Pour dire vrai, c’est un pensez-y bien. Le seul hic est que le consommateur, lui, y perd au change! Le débat reste donc ouvert… lettres québécoises • été 2010 • 65 dits et faits G A S PA R D E T L E S V E N T E S D E L I V R E S Attendu par le milieu de l’édition, Gaspard, outil de mesure informatique de ventes de livres, est entré en fonction en novembre dernier. Sa mission ultime: réduire les retours et le pilonnage de livres. Jusqu’ici, les éditeurs organisent leurs stratégies de vente et les réimpressions de livres sur la base de données imprécises: un aperçu des stocks et des chiffres de ventes calculés selon un système maison, par le distributeur. Gaspard donne le pouls des ventes réelles, en temps réel. S’il ne peut éliminer complètement le phénomène du pilonnage, il en réduira l’ampleur en diminuant substantiellement les retours grâce aux décisions plus éclairées des éditeurs. JEAN BARBE NE SERA PLUS DIRECTEUR CHEZ LEMÉAC Jean Barbe a quitté en début de 2010 son poste de directeur de l’éditorial chez Leméac. Il continuera cependant d’œuvrer à l’édition chez Leméac en tant que collaborateur externe. La directrice générale de Leméac, Lise Bergevin, a évoqué des raisons de santé pour justifier ce départ, en plus du désir de Jean Barbe de consacrer plus de temps à l’écriture. LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE, DÉJÀ 5 ANS NON À GOOGLE L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) continue d’inciter ses membres à se retirer du règlement « Google Recherche de livres », malgré une entente à l’amiable survenue dans l’État de New York qui réglerait la poursuite de l’Association américaine des éditeurs et de la Guilde américaine des auteurs contre Google. Le 29 avril 2010 fut le 5 e anniversaire de l’ouverture de la Grande Bibliothèque, la bibliothèque la plus fréquentée de la Francophonie. L’année 2009 a marqué un record de fréquentation: 3 millions de visiteurs en ont franchi les portillons pour la première fois en une seule année. Depuis l’ouverture en 2005, plus de 13,5 millions de visiteurs y sont passés. L’institution fait dorénavant partie du quotidien de milliers de Québécois de toutes les régions grâce aux nombreux services et collections sur place et à distance, accessibles sur le portail de BAnQ (www.banq.qc.ca). On peut également suivre l’actualité de BAnQ sur Facebook et sur Twitter. L E S É TO N N A N T S VOYAG E U R S À S A I N T- M A LO Le Festival Étonnants voyageurs devait avoir lieu pour la deuxième fois à Port-au-Prince, au moment où plusieurs écrivains haïtiens avaient remporté des prix littéraires internationaux. Le séisme du 12 janvier 2010 en a décidé autrement. Or, Étonnants voyageurs, par solidarité pour les auteurs du pays ravagé, a décidé de reprendre la programmation haïtienne à SaintMalo, du 22 au 24 mai. Rappelons que plusieurs personnalités du milieu littéraire haïtien, résidants de l’île ou membres de la diaspora, étaient sur place lors du séisme. Parmi eux, Dany Laferrière, accompagné de la critique Chantal Guy et d’un photographe du quotidien montréalais La Presse. DOMINIQUE DEMERS : ENCORE DU CINÉMA Un autre roman de Dominique Demers sera porté à l’écran. Après La mystérieuse Mademoiselle C. et L’incomparable Mademoiselle C., Maïna fera son entrée au cinéma, scénarisé par Pierre Billon (Séraphin, Nouvelle-France) et réalisé par Michel Poulette (Louis 19, La conciergerie). 66 • lettres québécoises • été 2010 L’entente amendée n’inclut plus que les ouvrages enregistrés aux États-Unis ou publiés en Angleterre, en Australie et au Canada. L’Irlande et la NouvelleZélande, pays anglophones, sont exclues de l’entente, leurs représentants ayant dit «non merci». Le tribunal new-yorkais devait rendre une décision sans appel en février mais, quelle que soit la décision, selon Aline Côté de l’ANEL, les éditeurs québécois ne trouveront jamais leur compte dans cette entente où «Google ne cherche qu’un avantage concurrentiel». K I M T H U Y FA I T D E S V A G U E S E N H E X A G O N E L’écrivaine Kim Thuy, Québécoise d’origine vietnamienne, a semé l’émoi dans le milieu et la presse littéraires de l’Hexagone lors de la rentrée d’hiver 2010 avec Ru (Libre Expression au Québec et Liana Lévy en France), son premier roman tiré à 10000 exemplaires. La jeune femme a une histoire personnelle inhabituelle et semble avoir du succès dans tout ce qu’elle entreprend depuis que, faisant partie des « boat people » d’une autre époque, elle s’est retrouvée dans la Belle Province. CLAUDE ROBINSON, ÇA RECOMMENCE Claude Robinson est sans doute l’auteur le plus médiatisé ces temps-ci. Voici donc le nouveau chapitre amorcé de la saga Robinson-Cinar: devant le désir avoué des intimés d’avoir Claude Robinson à l’usure, ce dernier riposte. Non, il ne se laissera pas faire par des gens qui ont tout l’argent voulu pour le mettre à genoux et cela même s’il est au bord de la faillite. Grâce à l’initiative de son ami Pierre Paquet, de Sylvie Lussier et de la SARTEC, le regroupement a amassé plus de 280000 $ au moment où ces lignes sont écrites. Claude Robinson aura donc les coudées franches pour se défendre jusqu’au bout et que justice soit faite contre «ces bandits à cravates» (selon le juge Claude Auclair). prix et distinctions PRIX DU PUBLIC DU SALON DU LIVRE DE MONTRÉAL PRIX JACQUES-CARTIER création publiée au Québec n’avait réussi à mettre la main sur un de ces prix convoités par les créateurs d’histoires en cases. Michel Tremblay a remporté, pour la troisième année consécutive, le Prix du public du Salon du livre de Montréal pour son livre La traversée de la ville, le deuxième d’une trilogie dont le troisième tome s’intitule La traversée des sentiments. Le gagnant du Prix de l’essai et du livre pratique, également remis par le public, est Richard Béliveau, pour son livre La santé par le plaisir de bien manger (Trécarré, 2009). Ces deux prix, accompagnés d’une bourse de 2 000 $, sont remis en collaboration avec La Presse. La romancière Monique LaRue a remporté la première édition du prix Jacques-Cartier pour son roman L’œil de Marquise (Boréal). Ce prix, créé pour célébrer le 25e anniversaire du Centre Jacques-Cartier, à Lyon, est assorti d’une bourse de 10000 $. Les œuvres soumises étaient, cette année, les mêmes qui avaient été présentées au Grand Prix du livre de la Ville de Montréal, qui agit en partenariat avec le Centre Jacques-Cartier. Le prix Spirale Eva-Le-Grand 2009 revient à David Solway pour son recueil Le Bon Prof. Essais sur l’éducation (Éditions Bellarmin). Le magazine culturel Spirale a retenu cet ouvrage «pour sa force d’écriture et de style, pour l’importance et la qualité de la réflexion qui traverse ses pages». PERSONNALITÉ DE LA SEMAINE LA PRESSE Après être entrée par la grande porte du monde littéraire québécois, c’està-dire en recevant le prix RobertCliche 2009 du premier roman pour Les murs (VLB éditeur), Olivia Tapiero est devenue la personnalité de la semaine La Presse le 25 janvier dernier. L’article que lui a consacré la PRIX OLIVIER-LE JEUNE L’ORDRE DE L’ONTARIO PRIX SPIRALE EVA-LE-GRAND PRIX DE LA CONTRIBUTION ARTISTIQUE HORS DU COMMUN La Fondation Club Avenir est une organisation philanthropique dont la mission est d’aider à l’intégration, par l’excellence, des immigrants d’origine maghrébine. Lors d’un gala annuel, la fondation honore des personnalités ayant accompli des réalisations exceptionnelles en leur décernant prix et distinctions. En novembre 2009, la fondation rendait hommage à Salah Benlabed, professeur et écrivain, en lui attribuant le Prix de la Contribution artistique hors du commun. Ses œuvres sont parues chez Pleine Lune. journaliste et écrivaine Anne Richer vaut d’être lu. Jacques Flamand est récemment devenu membre de l’Ordre de l’Ontario. M.Flamand a publié plus de cinquante livres (poésie, nouvelles, essais, livres pour enfants). Il a fondé les Éditions du Vermillon, l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, L’Atelier littéraire des Outaouais. En 2000, il a reçu, avec Andrée Christensen, le prix Trillium de poésie pour leur recueil coécrit Lithochronos. La France lui a rendu hommage pour son ouvrage La langue française, son état actuel, son avenir, lauréat du Grand Prix du Bicentenaire de l’Académie de Mâcon. Il a beaucoup contribué à l’essor de la littérature francophone en Ontario. PRIX FAUVE DU FESTIVAL INTERNATIONAL DE BANDE DESSINÉE À ANGOULÊME Une première dans l’histoire de la bande dessinée québécoise : le bédéiste Michel Rabagliati, avec son personnage Paul, a décroché à Angoulême, en France, un prestigieux prix Fauve, prix qui célèbre, à l’occasion du Festival international de bande dessinée, les œuvres marquantes du 9e art. À ce jour, aucune Décerné par l’Association des communautés culturelles et des artistes de Québec, le prix Olivier-Le Jeune se veut un hommage à une personne qui représente un modèle d’intégration, quelqu’un qui contribue à l’amélioration de l’image des immigrants. Neil Bissoondath, auteur entre autres de Cartes postales de l’enfer (Boréal), est le lauréat de l’édition 2010 du prix. PRIX RENÉ-CHALOULT Ce prix, remis par l’Amicale des anciens parlementaires du Québec, entend souligner l’exemplarité de la carrière d’un ex-parlementaire. Le prix a été remis à Denis Vaugeois. Le même organisme a décerné le prix Jean-Noël-Lavoie à Fabien Roy, auteur du livre Député du Québec et à Ottawa… mais toujours Beauceron (Septentrion), pour son engagement particulier au sein de l’Amicale des anciens parlementaires du Québec. lettres québécoises • été 2010 • 67 67DCC:B:CIEDJGFJ6IG:() CJBGDHE6G6CC:IG6CHEDGI>C8AJH I6G>; an ans ans G<JA>:G IG6C<:G (+ taxes) (sauf É.-U. ) (64+ taxes) (sauf É.-U. ) (92+ taxes) nom adresse code poal téléphone télécopieur courriel veuillez m’abonner à partir du numéro 67DCC:B:CI Euaire 8E , Outremont (F8) =KK 68 • lettres québécoises • été 2010 livres reçus ROMANS NOUVELLES Bellefeuille de, Normand, Un poker à Lascaux, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2009, 200 p., 19,95 $. Chalifour, Nicolas, Vu d’ici tout est petit, Montréal, Héliotrope, 2009, 216 p., 21,95 $. Chassay, Jean-François, Sous pression. Tragédie potentielle annoncée en neuf tableaux, un prélude et une fin de journée, Montréal, Boréal, 2010, 232 p., 22,95 $. Cloutier, Annie, La chute du mur, Montréal, Triptyque, 2010, 301 p., 23 $. Courtemanche, Gil, Le monde, le lézard et moi, Montréal, Boréal, 2009, 232 p., 22,95 $. Doucet, Patrick, Foucault et les extraterrestres, Montréal, Triptyque, 2010, 104 p., 18 $. Dupuy, Marie-Bernadette, Les fiancés du Rhin, Chicoutimi, JCL, 2010, 790 p., 29,95 $. Gagnon, Maurice, L’Isle silencieuse, Montréal, Fides, 2010, 272 p., 24,95 $. Georgescu, Ioana, L’homme d’Asmara, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 232 p., 23,95 $. Gougeon, Richard, Le roman de Laura Secord, tome 1, La naissance de l’héroïne, Marieville, Les Éditeurs réunis, 2010, 296 p., 21,95 $. Hébert, Louis-Philippe, Buddha airlines, Montréal, Les Herbes rouges, 2009, 234 p., 18,95 $. Laban, Henri, La caravane des pantins, Chicoutimi, JCL, 2010, 442 p., 24,95 $. Lachapelle, Lucie, Rivière Mékiskan, Montréal, Les Éditions XYZ, 2010, 160 p., 21 $. Lazin, Anica, Tisza, Notre-Dame-des-Neiges, Trois-Pistoles, 2010, 284 p., 27,95 $. Legault, Michel, Hochelaga, mon amour, Laval, Guy SaintJean éditeur, 2010, 160 p., 19,95 $. Lemieux-Fournier, Christian, Marie et les deux François, Montréal, Sémaphore, 2010, 168 p., 18,95 $. Major, Isabelle, La dame blanche, Montréal, VLB éditeur, coll. «Roman», 2010, 320 p., 27,95 $. Marois, André, Sa propre mort, Montréal, La courte échelle, coll. «Roman adulte», 2010, 272 p., 24,95 $. Massé, Carole, L’arrivée au monde, Montréal, VLB éditeur, coll. «Fictions», 2010, 80 p., 15,95 $. Michaud, Martin, Il ne faut pas parler dans l’ascenseur, Saint-Bruno-de-Montarville, Goélette, 2009, 400 p., 24,95 $. Moore, Lisa, Février, traduit de l’anglais par Dominique Fortier, Montréal, Boréal, 2010, 296 p., 24,95 $. 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Les interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines, 2e édition, Québec, Nota bene, coll. «NB poche», 2009, 260 p., 14,95 $. Falardeau, Pierre, La liberté n’est pas une marque de yogourt, Montréal, Typo, 2009, 256 p., 17,95 $. Falardeau, Pierre, Les bœufs sont lents mais la terre est patiente, Montréal, Typo, 2009, 256 p., 17,95 $. Fournier, Claude, Les tisserands du pouvoir, Montréal, Libre Expression, coll. «10/10», 2010, 528 p., 19,95 $. Lachance, André, Vivre à la ville en Nouvelle-France, Montréal, Libre Expression, coll. «10/10», 2010, 288 p., 16,95 $. Moutier, Maxime-Olivier, Marie-Hélène au mois de mars. Roman d’amour, Montréal, Triptyque, 2010, 218 p., 13 $. Ohl, Paul, Soleil noir. Le roman de la conquête, Montréal, Libre Expression, coll. «10/10», 2010, 504 p., 19,95 $. Savoie, Jacques, Raconte-moi Massabielle, Montréal, Libre Expression, coll. «10/10», 2010, 160 p., 12,95 $. Serge Prenoveau Autopsie d’un tireur fou 200 pages • 24,95 $ • roman Un noyé sur la batture de l’île aux Grues, en face de Montmagny. Nous sommes en 1947, c’est l’automne. REVUES Alibis. Polar, Noir et Mystère, no 33, vol. 9, no 1, «Meurtres et mystères», Québec, hiver 2010, 144 p., 10 $. Art Le Sabord, no 84, «Oui», premier volet du triptyque «Oui, Non, Peut-être», Trois-Rivières, automne 2009, 64 p., 9,95 $. Exit, revue de poésie, no 57, «En attendant la tempête», Montréal, Gaz Moutarde, 2009, 114 p., 10 $. Nuit blanche, no 117, «Féminisme au XXIe siècle: témoignages et essais», Québec, janvier-février- mars 2010, 72 p., 8,95 $. Québec français, no 156, «Poésie contemporaine. Enseigner la grammaire: d’hier à aujourd’hui», Sainte-Foy, hiver 2010, 112 p., 7,95 $. Solaris, science- fiction et fantastique, no 173, «Jeu: théâtre et textes à relais», Québec, hiver 2010, 160 p., 10 $. Zinc, no 19, «Spécial naissances», quatrième trimestre 2009, 84 p., 6,95 $. Maurice Gagnon L’isle silencieuse 276 pages • 24,95 $ • roman Sa passion pour les livres anciens l’amènera encore bien loin. Trop loin ? Infographie • Mise en pages Pierre Caron Letendre et les âmes mortes 352 pages • 24,95 $ • roman [email protected] • 1.450.292.0637 70 • lettres québécoises • été 2010 www.editionsfides.com F lettres québécoises • été 2010 • 71 index INDEX DES AUTEURS Alibis, p. 56 • Almeyda Morales, Miguel, Le barrio, p. 31 • Arcan, Nelly, À ciel ouvert, p. 64 • Arcan, Nelly, Paradis, clef en main, p. 23 • Archambault, Gilles, Nous étions jeunes encore, p. 19 • Art Le Sabord, p. 56 • Baillargeon, Richard, 401 petits et grands chefs-d’œuvre de la chanson et de la musique québécoises, p. 64 • Beaudet, Marie-Andrée et coll. (dir.), Présences de Ducharme, p. 46 • Beaudoin, Myriam, 33, chemin de la Baleine, p. 24 • Bergeron, Bertrand, Maisons pour touristes, p. 64 • Bourneuf, Roland, L’ammonite, p. 32 • BrunetWeinmann, Monique, Simone Mary Bouchard et Louise Gadbois. 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Les interprétations de la littérature que proposent les fictions québécoises contemporaines, p. 64 • Drolet, Patrick, J’ai eu peur d’un quartier autrefois, p. 25 • Ducasse, France, Valdera, p. 21 • Dugué, Claudine, Poisons en fleurs, p. 35 • Dumais, Danielle, La femme fragment, p. 19 • Falardeau, Pierre, La liberté n’est pas une marque de yogourt, p. 64 • Falardeau, Pierre, Les bœufs sont lents mais la terre est patiente, p. 64 • Foisy, Richard, L’Arche, un atelier d’artistes dans le VieuxMontréal, p. 62 • Fournier, Claude, Les tisserands du pouvoir, p. 64 • Fournier, Danielle, effleurés de lumière, p. 38 • Gagnon, Marie-Noëlle, L’hiver retrouvé, p. 25 • Germain, Jean-Claude, Nous étions le Nouveau Monde. Le feuilleton des origines, p. 52 • Girard, Philippe, Tuer Vélasquez, p. 54 • Harbec, Hélène, Chambre 503, p. 32 • Henrie, Maurice, Le jour qui tombe, p. 34 • Hurtubise HMH, p. 58 • Joncas, Pierre, Les accommodements raisonnables : entre Hérouxville et Outremont, La liberté de religion dans un État de droit, p. 49 • Khalil, Saïd, Bruny Surin, le lion tranquille, p. 52 • Krieger, Bïa, Les révolutions de Marina, p. 33 • Lachance, André, Vivre à la ville en Nouvelle-France, p. 65 • LaRochelle, Luc, Hors du bleu, p. 34 • Latendresse, Maryse, Pas de mal à une mouche, p. 24 • Lemieux, Jean, Le mort du chemin des Arsène, p. 28 • Lévesque, Claude, La poésie comme expérience, p. 46 • Lévesque, Nicolas, (…) Teen spirit. Essai sur notre époque, p. 49 • Liaison, p. 56 • Lord, Marie Linda et Denis Bourque, Paysages imaginaires d’Acadie. Un atlas littéraire, p. 62 • Lord, Michel, Brèves implosions narratives. 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Laflamme, page couverture, 1, 5, 6, 9 • Daviau, Diane-Monique, Martine Doyon, p. 37 • Désy, Jean, Isabelle Duval, p. 43 • Dionne, René, Studio Von Dulong, p. 61 • Drolet, Patrick, Nicolas Pinson, p. 2, 25 • Ducasse, France, Claudel Huot, p. 2, 21 • Dumais, Danielle, Martine Doyon, p. 20 • Faubert, Michel, Georges Dutil, p. 16 • Flamand, Jacques, Jean-Emmanuel Allard, p. 67 • Fournier, Claude, Groupe Librex, p. 39 • Fournier, Danielle, Josée Lambert, p. 39 • Foisy, Richard, Frédéric Knerr, p. 62 • Gay, Michel, Martine Doyon, p. 43 • Germain, Jean-Claude, Jean-Guy Thibodeau, p. 52 • Girard, Philippe, Linda Lemelin, p. 55 • Harbec, Hélène, Monique LeBlanc, p. 2 • Joncas Pierre, Carlos Lopez, p. 50 • Krieger, Bia, Martine Doyon, p. 33 • Laberge, Georges, Groupe Librex, p. 61 • Lamontagne, Alain, Pierre Charbonneau, p. 16 • LaRue, Monique, Norbert Robitaille, p. 67 • Lemelin, André, Yannick B. Gelinas, p. 15 • Lepage, Francoise, Jules Villemaire, p. 61 • Levesque, Nicolas, Vicky McDermott, p. 49 • Lord, Marie-Linda, Dolores Breau, p. 2, 62 • Marcotte, Gilles, Dominique Thibodeau, p. 45 • Martel, Yann, Christine Bourgier, p. 1, 31 • Massie, Jean-Marc, Danielle Berard, p. 15 • Moutier, Maxime-Olivier, François Couture, p. • Munro, Alice, Jerry Bauer, p. 2, 30 • Nadeau, Jean-Francois. Le Devoir, p. 51 • Nepveu, Pierre, Dominic Gauthier, p. 2, 40 • Nicol, Patrick, Marie-Claude Lapointe, p. 22 • Pellerin, Fred, Denis Baril, p. 1 • Pelletier, JeanJacques, Éric Piché, p. 27, 72 • Phelps, Anthony, Simone Lissade-Metellus, p. 2 • Pinet, Jocelyn, Paul Berryman, p. 62 • Rabagliati, Michel, Jacques Grenier, p. 54, 67 • Samson, Pierre, Robert Laliberté, p. 22 • Sicotte, Anne-Marie, Josée Lambert, p. 62 • Surin, Bruny et Said Khalil, Jacques Mignault, p. 53 • Tapiero, Olivia, Olivier Hanigan, p. 67 • Thuy, Kim, Benoît Levac, p. 66 • Tremblay, Michel, Tony Hauser, p. 67 • Trépanier, Esther, Jean-François Leblanc, p. 62 • Quessy, Benoît, Martine Doyon, p. • Vadeboncœur, Pierre, Josee Lambert, p. 61 • Vonarburg, Élisabeth, Éliane Brodeur, p. 38 lettres québécoises À N E PA S M A N Q U E R D A N S LE PROCHAIN NUMÉRO : une entrevue avec JEAN-JACQUES PELLETIER no 139