Syndrome de Gougerot-Sjogren et biologie_FE PREST 1094 (01)

Transcription

Syndrome de Gougerot-Sjogren et biologie_FE PREST 1094 (01)
informations biologiques
N°50 - DECEMBRE 2002
Quoi de neuf, Docteur ?
Syndrome de Goujerot-Sjögren et biologie
INTRODUCTION
Le syndrome de Goujerot-Sjögren, maintenant appelé dans
l’ensemble de la littérature syndrome de Sjögren, est une maladie
auto-immune caractérisée par un infiltration lymphoïde des glandes
salivaires et lacrymales, responsable d’une sécheresse buccale
(xérostomie) et oculaire (xérophtalmie), et par la production de
différents auto-anticorps.
Le syndrome de Sjögren peut être primitif ou secondaire à une
autre maladie systémique (polyarthrite rhumatoïde, lupus
érythémateux disséminé, dermatopolymyosite ou sclérodermie).
D’autre part, le syndrome de Sjögren peut s’associer à des
maladies auto-immunes spécifiques d’organes, principalement les
thyroïdites auto-immunes et la cirrhose biliaire primitive.
L’origine de cette affection, comme la plupart des maladies autoimmunes, est inconnue. Une interaction entre facteurs génétiques et
facteurs d’environnement est nécessaire.
DEFINITION
La définition du syndrome de Sjögren primitif a longtemps souffert
de l’absence de critères diagnostiques précis et reconnus par tous.
Ces critères sont importants à définir, car les symptômes présentés
par les malades (sécheresse, fatigue et douleurs) sont fréquents
dans la population générale et peuvent être présents en dehors de
toute maladie auto-immune du fait de la prise de nombreux
médicaments, d’un syndrome anxio-dépressif ou même tout
simplement du vieillissement. On notera aussi que l’infection
chronique par des virus sialotropes comme le virus de l’hépatite C,
le virus HTLV1 ou le virus VIH peut entraîner un syndrome sec.
Très récemment, la plupart des experts de la maladie se sont mis
d’accord pour utiliser les critères européens dits « révisés » ou
internationaux présentés ci-dessous, qui exigent la présence d’une
anomalie immunologique objective :
1-symptômes oculaires
Au moins un des trois critères suivants :
-sensation quotidienne, persistante et gênante d’yeux secs depuis
plus de 3 mois
-sensation fréquente de « sable dans les yeux »
-utilisation de larmes artificielles plus de 3 fois par jour
2-symptômes buccaux
Au moins un des trois critères suivants :
-sensation quotidienne de bouche sèche depuis plus de 3 mois.
-A l’âge adulte, épisodes récidivants ou permanents de gonflement
parotidien
-consommation fréquente de liquides pour avaler les aliments secs.
3-signes objectifs d’atteinte oculaire
Au moins un des deux tests ci-dessous positifs :
-test de Schrimer < 5 mm/5 min
-score de Van Bijsterveld > 4 (après examen au vert de Lissamine)
4-signes objectifs d’atteinte salivaire
Au moins un des trois tests ci-dessous positifs :
-scintigraphie salivaire
-scintigraphie parotidienne
-flux salivaire sans stimulation < 1,5 ml/15 min
5-signes histologiques
Sialadénite avec focus score > 1 sur la biopsie de glandes salivaires
accessoires (focus score = nombre de foyers par 4 mm2 de tissu
glandulaire, un foyer étant défini par l’agglomérat d’au moins 50
cellules mononucléées) ou grade 3 ou 4 de Chisholm.
6-auto-anticorps
Présence d’Ac anti-SSA (Ro) ou anti-SSB (La).
Le diagnostic de syndrome de Goujerot-Sjögren est retenu
lorsque 4 critères sur 6 sont présents avec au moins le critère
5 ou le critère 6 présent.
Référence : “Classification criteria for Sjögren’s syndrome : a
revised version of the European criteria proposed by the American
European Consensus Group”.
Ann Rheum Dis 61: 554-558, 2002.
EPIDEMIOLOGIE
La maladie est fréquente. Elle touche 0,1 à 0,4% de la population
en fonction des critères diagnostiques utilisés, c'est-à-dire 100 000
à 200 000 malades en France. Une prévalence souvent supérieure
est décrite dans d’autres pays (0,5 à 2%). Il s’agit, par ordre de
fréquence, de la deuxième maladie auto-immune systémique,
derrière la polyarthrite rhumatoïde. Elle touche plus souvent les
femmes, avec un rapport de 9 femmes pour un homme. Le pic de
fréquence de la maladie se situe autour de 50 ans.
CLINIQUE
Les circonstances de découverte sont variables. Les principales
sont l’association d’une sécheresse oculaire et d’une sécheresse
buccale, l’augmentation du volume des glandes parotides ou des
glandes sous-maxillaires, une polyarthrite non destructive, souvent
« séropositive ».
Le diagnostic peut faire suite à la découverte d’une hyper-gammaglobulinémie découverte devant une accélération isolée de la VS,
sans syndrome inflammatoire.
Plus rarement, un syndrome de Sjögren peut être suspecté devant
l’une de ses manifestations viscérales ou de ses complications.
La sécheresse
Elle peut être buccale, oculaire, vaginale, cutanée mais aussi
bronchique ou nasale, responsable des symptômes suivants :
-bouche sèche, envie de boire, langue collée au palais
-sensation de sable dans les yeux, douleurs, rougeurs
-démangeaisons, brûlures, douleurs pendant les rapports
sexuels
-peau sèche, démangeaisons, rougeurs
-toux sèche persistante
Les douleurs articulaires ou musculo-articulaires
Les douleurs sont un signe fréquent de la maladie. Souvent, elles
siègent dans les articulations et dans les muscles, sans gonflement
articulaire. Elles peuvent être dues à une polyarthrite non
destructrice. Le rhumatisme précède généralement les troubles
exocriniens de plusieurs années (en moyenne 10 ans).
La fatigue
Une grande fatigue est un signe fréquemment retrouvé.
Cette triade de signes (sécheresse, douleurs et fatigue), est
responsable d’une importante altération de la qualité de vie chez
beaucoup de malades.
Les complications les plus fréquentes
hDans le syndrome sec buccal : caries, déchaussement des
dents, mycose (candidose) de la bouche
hDans le syndrome sec oculaire : kératoconjonctivite sèche.
Cependant, il n’y a pas de risque de perte de la vision, la rétine
n’étant habituellement pas touchée par la maladie.
hL’hypertrophie parotidienne (souvent indolore) peut parfois poser
le problème du diagnostic différentiel avec un lymphome salivaire
de bas grade.
hLe syndrome de Raynaud : dans 25% des cas.
hL’atteinte du système nerveux périphérique, souvent
exclusivement sensitive, ou plus rarement sensitivo-motrice.
hLe purpura vasculaire, parfois lié à une hypergammaglobulinémie et/ou une cryoglobulinémie.
hLa myosite, dont l’expression est souvent modérée. Une
importante myolyse est rarement observée. Cette complication doit
faire rechercher une cryoglobulinémie.
hL’apparition d’un syndrome dépressif est fréquente, sans doute
en partie liée au caractère pénible des symptômes persistants que
sont la sécheresse, les douleurs et la fatigue.
Les complications plus graves sont plus rares
hLa pneumopathie lymphoïde, infiltration lymphocytaire
pulmonaire pouvant évoluer vers la fibrose pulmonaire.
Contrairement au lupus, les pleurésies sont exceptionnelles.
hL’atteinte rénale : néphropathie interstitielle (la plus fréquente),
ou glomérulonéphrite en rapport avec une cryoglobulinémie.
hLes atteintes sévères du système nerveux périphérique sont
rares. Il s’agit de polyneuropathies sensitivo-motrices ou surtout de
mononeuropathies.
hLes atteintes inflammatoires du système nerveux central sont
exceptionnelles.
hLes lymphomes non hodgkiniens qui surviennent chez 5% des
patients. Ces lymphomes sont souvent extra-ganglionnaires, de
type MALT (parotides, estomac, poumon). Les signes d’appel
peuvent être cliniques ou biologiques (apparition de cytopénies,
baisse de l’hypergammaglobulinémie).
Cliniquement, la parotidomégalie et le purpura seraient plus
fréquents chez les malades à risque de développer un lymphome.
La grossesse
Dans le syndrome de Sjögren, la grossesse ne pose aucun
problème pour la mère et ne doit pas être déconseillée. Le seul
risque est de voir apparaître un bloc auriculo-ventriculaire chez le
fœtus de femmes ayant des Ac anti-SSA. Cependant, ce risque est
faible, 2% des grossesses chez les femmes ayant des Ac anti-SSA.
Ce risque nécessite une surveillance de l’échographie fœtale à
partir de la seizième semaine.
Les différentes causes de syndrome sec :
-les médicaments, surtout les psychotropes
-le vieillissement
-le port prolongé de lentilles de contact
-certains syndromes anxio-dépressifs
-les antécédents de radiothérapie cervico-faciale
-le diabète décompensé
-l’amylose
-la sarcoïdose
-la réaction du greffon contre l’hôte
-une infection chronique par le virus de l’hépatite C, le VIH ou le
virus HTLV1
-le syndrome de Goujerot-Sjögren primitif ou secondaire
DIAGNOSTIC
1-la biologie
-Des cytopénies (lymphopénie surtout, mais aussi thrombopénie et
neutropénie) peuvent être observées chez 20 à 30% des patients.
-Le syndrome inflammatoire est minime (CRP le plus souvent
normale ou subnormale) mais la VS est souvent accélérée en
raison d’une hypergammaglobulinémie polyclonale parfois
importante, qui peut être la circonstance de découverte de la
pathologie. On discutera alors, en présence de signes articulaires
et/ou ORL, la possibilité d’un diagnostic différentiel avec une
sarcoïdose.
-Un pic monoclonal ou une cryoglobulinémie peut être détecté dans
le sérum.
Les grandes causes d’hypergammaglobulinémie polyclonale
(> 20 g/l)
-parasitoses chroniques (leishmanioses)
-infection par le virus HIV
-hépatopathies chroniques non spécifiques et auto-immunes
(cirrhose, cirrhose biliaire primitive, hépatites chroniques autoimmunes…)
-sarcoïdose
-infections bactériennes chroniques (endocardites…)
-syndrome de Sjögren
-Lupus érythémateux disséminé
-Lympho-proliférations chroniques (maladie de Castleman…)
-présence d’auto-Ac
Les facteurs rhumatoïdes sont détectés dans 50 à 80% des cas de
syndrome de Sjögren primitif, c'est-à-dire presque aussi souvent
que dans la polyarthrite rhumatoïde.
La prévalence des Ac anti-nucléaires varie entre 50 et 80% selon
les auteurs (fluorescence de type moucheté). Les 2 Ac les plus
utiles pour établir le diagnostic sont les Ac anti-SSA/Ro et antiSSB/La.
Les Ac anti-SSA sont présents dans 50 à 80% des cas. A noter
qu’ils ne sont pas spécifiques du syndrome de Sjögren, puisqu’on
les retouve également dans 30 à 50% environ des cas de lupus.
Les Ac anti-SSB apparaissent quasi exclusivement chez des
malades ayant déjà des Ac anti-SSA et correspondent donc à une
diversification épitopique. Il sont retrouvés dans 30 à 60% des cas
de syndrome de Sjögren primitif, dont ils sont assez spécifiques.
De nouveaux Ac comme les Ac anti-fodrine semblent prometteurs
dans le diagnostic du syndrome de Sjögren (sensibilité de l’ordre de
70% et spécificité de 93%), mais leur recherche n’est pas encore
réalisable en routine.
2-les tests salivaires
-La mesure du flux salivaire s’effectue par le recueil de la salive en
demandant au malade de cracher dans une éprouvette pendant 5
minutes.
-La scintigraphie salivaire et la sialographie sont peu utilisées, car
peu spécifique et coûteuse pour l’une et douloureuse pour l’autre.
3-les tests ophtalmiques
-Examen au vert de Lissamine et score de Van Bijsterveld :
Ce test, qui évalue aussi l’existence d’une kératoconjonctive sèche,
a remplacé le test au rose bengale, qui n’est plus utilisé parce qu’il
est souvent douloureux. Un colorant vert est appliqué sur la cornée.
En cas de kératite, certaines zones de la cornée ne sont pas
colorées de façon régulière. Chaque partie de la cornée (nasale,
centrale, temporale) est cotée de 0 à 3. La somme des différents
scores constitue le score de Van Bijsterveld, qui s ‘échelonne donc
de 0 à 9. Il est considéré comme un critère diagnostique s’il est
supérieur ou égal à 4.
-Le test de Schirmer :
Une bandelette de papier buvard est insérée sous la paupière
inférieure. La sécrétion des larmes va progressivement humidifier la
bandelette. Le test, qui mesure la quantité de larmes, est considéré
comme un critère diagnostique si la bandelette est humidifiée sur
moins de 5 mm en 5 minutes.
-Le Break-up time (BUT) :
Ce test mesure le temps en secondes entre l’ouverture des
paupières et la visualisation de la première rupture du film lacrymal.
Pour déterminer le BUT, on instille une goutte de fluorescéine et
l’on demande au patient de cligner des yeux, puis de maintenir les
paupières ouvertes aussi longtemps que possible. La valeur
normale du BUT est supérieure à 10 secondes, un
raccourcissement du BUT est le témoin d’une instabilité du film
lacrymal. Ce n’est pas un test spécifique du syndrome de Sjögren,
mais il fait partie du bilan de toute sécheresse oculaire.
4-la biopsie des glandes salivaires accessoires
-C’est un examen indispensable pour faire le diagnostic de
syndrome de Sjögren s’il n’existe pas d’Ac antiSSA (Ro) ou antiSSB (La) dans le sérum. Des glandes salivaires accessoires sont
prélevées à la face endobuccale de la lèvre inférieure après une
anesthésie locale.
TRAITEMENT
Les traitements symptomatiques du syndrome sec
Les seuls médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité sur la
production de salive, et dans une moindre mesure sur la production
de larmes, sont les médicaments agonistes des récepteurs
muscariniques (à action cholinergique), le principal médicament de
cette classe étant le chlorhydrate de pilocarpine (SALAGEN®) : Le
principal effet indésirable de ce médicament est la survenue de
sueurs, présentes chez environ la moitié des patients. L’AMM de ce
médicament pour le syndrome de Goujerot-Sjögren est en cours
d’obtention en France.
Les larmes artificielles peuvent être utilisées sans restriction en
fonction de la gêne.
Les gels à base de carbomère peuvent avoir une action un peu plus
prolongée que les larmes, mais ils entraînent un brouillage de la
vision pendant les premières minutes. Il faut aussi privilégier les
gels unidoses sans conservateur.
La mastication de chewing-gum sans sucre et des substituts
salivaires peuvent entraîner une amélioration chez certains
malades.
Les traitements symptomatiques de la douleur
Les antalgiques simples doivent être utilisés en privilégiant le
paracétamol qui n’a pas d’effet asséchant.
Les AINS sont parfois efficaces comme la corticothérapie à petites
doses.
Les benzodiazépines comme le clonazépam (RIVOTRIL®) ou les
anti-dépresseurs tricycliques comme l’amitriptyline (LAROXYL®), à
petite dose pour ne pas aggraver le syndrome sec, peuvent être
efficaces sur les douleurs neurologiques et les troubles
psychologiques associés.
Les traitements de fond
Aujourd’hui, aucun traitement de fond n’a fait la preuve de son
efficacité pour diminuer la sévérité des signes cliniques de la
maladie.
Cependant le PLAQUENIL® (hydroxychloroquine) est souvent
utilisé. Le méthotrexate a été proposé. L’IMUREL® (azathioprine)
est parfois prescrit.
Des espoirs sont suscités par les inhibiteurs du TNF alpha. Le TNF
alpha pourrait jouer un rôle clé dans la physiopathologie de la
maladie. La première étude humaine a utilisé en ouvert l’infliximab
(REMICADE®), anticorps monoclonal chimérique anti-TNF alpha,
chez 16 patientes ayant un syndrome de Goujerot-Sjögren et ayant
eu des signes extra-glandulaires. Les résultats de cette première
étude ouverte montrent une diminution spectaculaire de la
sécheresse buccale, de l’asthénie et des douleurs.
SUIVI BIOLOGIQUE DES
SYNDROME DE SJOGREN
PATIENTS
ATTEINTS
D’UN
La survenue d’un lymphome est la complication la plus grave de la
maladie. Les signes biologiques qui font craindre la transformation
lymphomateuse sont l’apparition d’une Ig monoclonale, d’une
cryoglobulinémie ou de chaînes légères libres dans les urines
(protéines de Bence Jones), la diminution des taux des
gammaglobulines ou des facteurs rhumatoïdes, ou encore
l’élévation brutale de la béta 2 microglobulinémie.
Une surveillance annuelle de certains paramètres biologiques paraît
donc souhaitable même en dehors de l’apparition de signes
cliniques :
-NF (surveillance de l’apparition d’une anémie inflammatoire et
d’une leucopénie)
-VS, CRP, électrophorèse des protéines sériques et immunofixation
des protéines sériques (suivi du syndrome inflammatoire et
recherche d’un pic monoclonal) avec éventuellement recherche
d’une cryoglobulinémie (que l’on trouve dans 20% des cas) en cas
d’apparition de syndrome de Raynaud ou de signes de vacularites.
-protéinurie de 24 heures (du fait de l’apparition possible d’une
néphropathie caractérisée par une infiltration lymphocytaire du tissu
interstitiel) et recherche de protéines de Bence Jones.
-dosage de la béta 2 microglobulinémie.
CONSEILS AUX PATIENTS
Il est fortement conseillé aux patients d’entrer en contact avec
l’association AFGS (Association Française du Gougerot-Sjögren et
des syndromes secs) qui est très active et qui permettra aux
patients d’échanger leur expérience sur cette pathologie où
l’incompréhension de l’entourage et les retentissements
psychologiques nécessitent un soutien important.
Association Française du Gougerot-Sjögren et des syndromes secs
150, rue de Verdun
76230 BOIS GUILLAUME
Tél./Fax. : 02-35-61-11-99
e-mail : [email protected]
Ce QDND ? reprend en grande partie un article de Mr le Pr Xavier
Mariette : « Physiopathologie du syndrome de Sjögren » mt vol. 8
n°5, septembre-octobre 2002, p 247-254.
J.-P. BOUILLOUX – F. HAMIDA
Prochain sujet : Démarche diagnostique devant une cortisolémie
basse