m Vous avez composé un recueil de poèmes, en prose ou en vers
Transcription
m Vous avez composé un recueil de poèmes, en prose ou en vers
m Vous avez composé un recueil de poèmes, en prose ou en vers, faisant une large part au rêve et à l’imaginaire, à la manière d’Aloysius Bertrand. Vous écrivez à un éditeur pour le convaincre de publier cet ouvrage et défendre votre démarche poétique. Vous pouvez vous appuyer sur les textes du corpus pages suivantes. LES CLÉS DU SUJET • Composez, d’après la consigne, la « définition » du texte à produire. Repérez les contraintes et la marge de liberté qui vous est laissée. Ici : – Objet d’étude : « recueil de poèmes […] en prose ou en vers » : poésie. Mais aussi « convaincre / défendre » → « Convaincre, persuader, délibérer ». – Sujet du texte à produire (de quoi vous devez « parler ») : « publier cet ouvrage » : « votre démarche poétique », mais plus précisément dans son choix de la forme : « poèmes en prose ou en vers » ? – Genre : « vous écrivez » : lettre. Vous devez respecter les caractéristiques formelles de ce genre (formule d’adresse et de congé, date, lieu…). – Type (ou forme de discours) : « défendre votre démarche poétique » → texte argumentatif. La thèse est précisément : « Mon recueil est digne d’être publié » → c’est une sorte d’éloge, de plaidoyer ; mais plus généralement : « Ma conception de la poésie est la bonne » ; vous faites donc une sorte d’art poétique dans lequel vous exposez vos principes poétiques. Vous devez donc choisir entre la poésie en prose ou la poésie en vers. Alors votre thèse deviendra : « La poésie doit être en prose » OU « La poésie doit être en vers ». – Registre : il n’est pas précisé ; vous en avez le choix. ©HATIER • « Définition » du texte : Lettre (genre) à un éditeur (situation d’énonciation) qui veut convaincre (type de texte) de la valeur d’un recueil et de la pertinence de principes poétiques (thèse et thème) ? (registre) pour défendre une conception de la poésie (buts). – Situation d’énonciation : qui ? « vous » qui deviendra « je » ; à qui ? « un éditeur » qui deviendra « vous » ; il s’agit donc de quelqu’un qui a le souci de la qualité de sa collection, mais aussi de sa commercialisation et de son succès de vente. – Niveau de langue : courant ou soutenu. ■ Chercher des idées Divers éléments de la lettre • Formule d’adresse : niveau soutenu ; vous ne connaissez pas cet éditeur personnellement. • Présentation : – de vous-même : vous devez préciser qui vous êtes ; – de votre œuvre (le « recueil »). • Formulation de la demande : vous sollicitez le soutien de l’éditeur. • Arguments en faveur de vos choix d’écriture poétique. • Formule de congé (niveau de langue soutenu). Vous pouvez – c’est judicieux – intégrer dans votre lettre un de vos poèmes comme exemple concret de vos choix d’écriture. Votre identité • Dans la mesure où elle n’est pas précisée, vous pouvez garder votre identité d’élève (indiquez en quelle classe…), ou prendre celle d’un écrivain. • Faites apparaître votre personnalité, vos goûts, notamment en matière de poésie : comment avez-vous découvert la poésie ? Quels sont vos poètes préférés ? Quelle conception de la poésie avez-vous ?… La nature et la présentation du recueil • Il vous faut préalablement imaginer le recueil que vous défendez : imaginez son titre, ses thèmes, vos choix de forme (en prose ? en vers ?). ©HATIER • Vous pouvez : indiquer ce qui vous a déterminé à écrire le recueil ; préciser vos objectifs. • Définissez votre conception de la poésie : ses fonctions ; ses bienfaits… Les arguments « commerciaux » : des stratégies pour persuader • N’oubliez pas qu’il peut aussi être utile, pour convaincre votre destinataire, de lui faire des compliments de sa collection : cela le mettra dans de bonnes dispositions. • Vous pouvez solliciter des conseils de votre éditeur pour lui donner l’impression qu’il a son mot à dire ; vous pouvez vous montrer prêt à suivre ses conseils et à apporter des corrections à votre recueil. • Incitation à donner leur chance aux jeunes ; publier un auteur jeune et nouveau amène un public jeune (potentiel commercial). Des arguments d’autorité Vous pouvez : – si vous choisissez d’être un lycéen, rappeler que c’est l’audace de jeunes poètes illustres qui vous a donné envie de vous faire connaître comme eux : Rimbaud écrivant tout jeune à Verlaine pour lui présenter son « Bateau ivre » et à qui Verlaine a répondu : « Venez, chère grande âme ; on vous attend » ; – vous inscrire dans une lignée de poètes qui seraient vos modèles et revendiquer leur paternité (vous devez alors bien les connaître, ainsi que leur œuvre que vous pouvez citer). Les arguments de fond Si vous choisissez • L’écriture en prose : indiquez ce que la prose apporte à la poésie : liberté formelle, souplesse dans la mise en page et dans le maniement du paragraphe ; mention éventuelle de la qualité graphique jusqu’aux calligrammes ; élan donné à l’imagination, à l’inverse de la forme versifiée, contraignante et bridant l’élan créateur ; nécessité de modernité en poésie ; la prose rend la poésie plus accessible à toutes sortes de lecteurs, mais aussi à de futurs poètes ; elle permet l’expression de l’inconscient ; le jeu sur le langage et les images est plus important que la forme. • L’écriture en vers : indiquez les bienfaits de cette contrainte : dimension esthétique du langage favorisée et sublimée par la mise en forme versifiée ; variété des types de vers, adaptables à tous sujets ; le vers permet de jouer avec les contraintes, de les déjouer, de faire preuve ©HATIER d’ingéniosité ; insertion dans une tradition littéraire (rappeler que les poètes actuels continuent à écrire en vers et que même les poètes qui écrivent en prose ont écrit des vers : Baudelaire, Rimbaud…). • Le sujet semblait exclure le mélange de vers et de prose, mais vous pouvez le suggérer comme une modification possible dans votre recueil. Les références, les exemples • Bien que le sujet n’y incite pas, vous devez citer des exemples autres que ceux de votre recueil (fictif). Comment faire ? • Quand vous indiquez comment vous avez découvert la poésie, quand vous revendiquez des modèles poétiques, vous pouvez citer des auteurs et leurs poèmes ; quand vous définissez votre conception de la poésie aussi (cf. les poèmes du corpus). Montrez que vous connaissez de la poésie ! La construction, la progression, le ton et le reste… Mais vous ne devez pas présenter vos arguments comme dans une dissertation sous forme d’arguments ordonnés ; il faut les « habiller » de façon à rendre votre lettre convaincante, pleine d’enthousiasme, naturelle. Il faut que le lecteur sente une vraie personne derrière celui qui écrit. ©HATIER « Douze magiciens dansaient une ronde… » Documents A – Aloysius Bertrand, « La ronde sous la cloche », Gaspard de la nuit, 1842. B – Arthur Rimbaud, « Les Ponts », Illuminations, 1886. C – Arthur Rimbaud, « Aube », Illuminations, 1886. D – Henri Michaux, « La Jetée », Mes propriétés, l’espace du dedans, 1930. E – Francis Ponge, « Le pain » Le Parti pris des choses, 1942. m Comment justifiez-vous que ces textes appartiennent à la poésie ? Montrez qu’ils sont tous construits selon une progression comparable. Document A La ronde sous la cloche C’était un bâtiment lourd, presque carré, entouré de ruines, et dont la tour principale, qui possédait encore son horloge, dominait tout le quartier. Fenimore Cooper 5 Douze magiciens dansaient une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean1. Ils évoquèrent l’orage l’un après l’autre, et du fond de mon lit je comptai avec épouvante douze voix qui traversèrent processionnellement2 les ténèbres. Aussitôt la lune courut se cacher derrière les nuées, et une pluie mêlée d’éclairs et de tourbillons fouetta ma fenêtre, tandis que les ©HATIER 10 15 20 girouettes criaient comme des grues en sentinelle sur qui crève l’averse dans les bois. La chanterelle3 de mon luth, appendu à la cloison, éclata ; mon chardonneret battit de l’aile dans sa cage ; quelque esprit curieux tourna un feuillet du Roman de la Rose qui dormait sur mon pupitre. Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s’évanouirent frappés à mort, et je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher. Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l’enfer les murailles de la gothique église, et prolongeait sur les maisons voisines l’ombre de la statue gigantesque de SaintJean. Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées gris de perle ; la pluie ne tomba plus que goutte à goutte des bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l’orage. Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842. 1. Saint-Jean : nom de la cathédrale de Dijon. Par ailleurs, saint Jean est l’auteur de l’Apocalypse, dernier livre de la Bible, qui décrit la fin du monde. 2. Processionnellement : à la façon d’un cortège. 3. Chanterelle : corde la plus fine et la plus aiguë d’un instrument à cordes et à manche. Document B 5 10 Les Ponts Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d’autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives chargées de dômes s’abaissent et s’amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D’autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d’autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d’hymnes publics ? L’eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. – Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie. Arthur Rimbaud, Illuminations, 1886. ©HATIER Document C 5 10 15 Aube J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombre ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise1 fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall2 blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. Arthur Rimbaud, Illuminations, 1886. 1. La première entreprise : la première à qui je m’adressai. 2. Wasserfall : chute d’eau en allemand. Document D 5 10 La Jetée Depuis un mois que j’habitais Honfleur, je n’avais pas encore vu la mer, car le médecin me faisait garder la chambre. Mais hier soir, lassé d’un tel isolement, je construisis, profitant du brouillard, une jetée jusqu’à la mer. Puis, tout au bout, laissant pendre mes jambes, je regardai la mer, sous moi, qui respirait profondément. Un murmure vint de droite. C’était un homme assis comme moi, les jambes ballantes, et qui regardait la mer. « À présent, dit-il, que je suis vieux, je vais en retirer tout ce que j’y ai mis depuis des années. » Il se mit à tirer en se servant de poulies. Et il sortit des richesses en abondance. Il en tirait des capitaines d’autres âges en grand uniforme, des caisses cloutées de toutes sortes de choses précieuses et des femmes habillées richement mais ©HATIER 15 20 25 comme elles ne s’habillent plus. Et chaque être ou chose qu’il amenait à la surface, il le regardait attentivement avec grand espoir, puis sans mot dire, tandis que son regard s’éteignait, il poussait ça derrière lui. Nous remplîmes ainsi toute l’estacade1. Ce qu’il y avait, je ne m’en souviens pas au juste, car je n’ai pas de mémoire, mais visiblement ce n’était pas satisfaisant, quelque chose en tout était perdu, qu’il espérait retrouver et qui s’était fané. Alors, il se mit à rejeter tout à la mer. Un long ruban ce qui tomba et qui, vous mouillant, vous glaçait. Un dernier débris qu’il poussait l’entraîna lui-même. Quant à moi, grelottant de fièvre, comment je pus regagner mon lit, je me le demande. Henri Michaux, Mes propriétés. L’espace du dedans, 1930. 1. Estacade : digue, jetée. Document E 5 10 15 Le pain La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, – sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation. Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942. ©HATIER