De l`aventurier au Prince

Transcription

De l`aventurier au Prince
Jordan Girardin
SCIENCES PO LYON
Institut d’études politiques de Lyon
Mémoire de recherche de Quatrième Année
De l’aventurier au Prince
Le retour de Napoléon de l’île d’Elbe :
le vol de l’Aigle de Grenoble à Lyon
7 – 13 mars 1815
Sous la direction de
Bruno Benoit
Professeur des Universités en histoire contemporaine
à l’Institut d’études politiques de Lyon
Jury également composé de
Gilles Vergnon
Maître de Conférences en histoire contemporaine
à l’Institut d’études politiques de Lyon
Juin 2012
Sommaire
Remerciements
3
Note sur les abréviations et sur l’orthographe ancienne
4
Introduction
6
Partie I : Défaire le Pouvoir
Chapitre 1 : Perceptions parisiennes d’une reconquête provinciale
15
Chapitre 2 : De Grenoble à Lyon, une semaine pour défaire le Pouvoir
25
Partie II : Regagner le Soutien de la France
Chapitre 3 : Deux villes, deux ovations
36
Chapitre 4 : L’indispensable appui de l’Armée
42
Partie III : Napoléon repolitisé, Bonaparte réimpérialisé
Chapitre 5 : Attitudes politiques d’un Empereur en (re)devenir
52
Chapitre 6 : Atouts et faiblesses de Napoléon au 13 mars 1815
60
Conclusion
64
Annexes
68
Bibliographie
87
Sources
89
~2~
Remerciements
De nombreuses personnes ont contribué personnellement et avec qualité à la
réalisation de ce mémoire. Parmi elles, je pense tout d’abord à Monsieur Bruno Benoit,
Professeur des Universités en Histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, qui depuis ma
première année dans l’Institut a toujours su me transmettre cette passion pour une période de
plus en plus lointaine et étrangère, et qui cette année m’a brillamment guidé à travers mes
recherches et la rédaction de ce travail.
Mes remerciements vont ensuite à Monsieur Gilles Vergnon, Maître de Conférences
en Histoire contemporaine à Sciences Po Lyon, membre du jury, qui a été d’une précieuse
aide à chaque fois que j’en avais besoin, et qui a témoigné un intérêt tout particulier à mon
sujet lors des séances de séminaire.
Je ne peux que remercier vivement les personnels du Centre d’Accueil et de Recherche
des Archives Nationales à Paris, des Archives départementales du Rhône et de l’Isère, des
Archives municipales de Lyon, de Grenoble et de Bourgoin-Jallieu, de la Bibliothèque
nationale de France et des Bibliothèques municipales de Lyon et Grenoble, qui ont tous
grandement facilité mes recherches en me guidant directement vers les sources nécessaires
grâce à leur connaissance parfaite des fonds de leurs institutions.
Au-delà de ces centres publics de documentation et de recherche, c’est à la Fondation
Napoléon et à sa bibliothécaire, Madame Chantal Prévot, que j’adresse mes vifs
remerciements. Je reste à ce jour impressionné par la richesse de la collection dont dispose la
Fondation dans ses locaux du Boulevard Haussmann ; je tiens à leur témoigner mon plus
sincère soutien et mon souhait de collaborer à l’enrichissement futur de leurs fonds.
Ensuite, je pense chaleureusement à Monsieur Paul-Napoléon Calland, ami doctorant
qui comme moi voue une grande passion à l’histoire de la dynastie Bonaparte ; m’ayant dirigé
vers certains travaux au début de mes recherches, il m’a témoigné un sincère soutien tout au
long de l’écriture de ce mémoire et je l’en remercie.
Mes remerciements tout particuliers vont à un professeur de lettres et de langues
anciennes habitant en région lyonnaise, qui par un heureux hasard m’a très aimablement offert
sa collection d’ouvrages traitant de l’Empire, et bien d’autres œuvres d’histoire religieuse et
de littérature gaullienne.
Enfin, c’est à mes amis et à ma famille que se destinent mes ultimes remerciements, en
particulier à celles et ceux qui ont manifesté à tous les instants un intérêt et un soutien sans
failles à ce mémoire, fruit d’une longue passion et déclencheur d’une ambition académique
qui me mènera à d’autres projets.
J.G.
~3~
Liste des abréviations utilisées dans ce mémoire
Arch. Nat.
Archives Nationales
Il s’agit de documents consultés sur le site de Paris dans le Quartier du
Marais, au premier semestre 2012. Ces fonds sont susceptibles d’être
déplacés lors de l’ouverture future du nouveau site de Pierrefitte-surSeine en Seine-Saint-Denis.
Arch. dép.
Archives départementales
Le département concerné sera écrit en toutes lettres.
(par exemple : Arch. dép. Rhône)
Arch. mun.
Archives municipales
La commune concernée sera écrite en toutes lettres.
(par exemple : Arch. mun. Lyon)
Note sur l’ancienne orthographe française
Les textes cités de manière explicite (soit par des guillemets, soit dans un paragraphe
entier tiré d’une source, d’un article ou d’un ouvrage) seront retranscrits dans leur
orthographe d’origine : plusieurs règles qui s’appliquaient en 1815 mais plus aujourd’hui
seront donc conservées. Il sera ainsi attendu de lire par exemple « habitans » et non
« habitants », « étoient » et non « étaient », et cetera.
~4~
Scène de la Rencontre de Laffrey (7 mars 1815)
Charles de Steuben (1788 – 1856), Retour de Napoléon d’Isle d’Elbe.
~5~
Introduction
« Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Charles Baudelaire
« L’Albatros »1
E
n avril 1814, c’est un Prince déchu et humilié qui se dirige vers la Méditerranée. En
effet, l’Empereur Napoléon Ier a vu à Fontainebleau, à quelques foulées des
Tuileries et de la Capitale, son Empire choir devant lui : ce territoire comme jamais
la France n’en avait possédé est récupéré par un Bourbon, ambassadeur d’un Ancien Régime
obsolète, frère d’un souverain dont le peuple osa trancher la tête. Napoléon n’est plus,
Bonaparte disparait, ne laissant que Buonaparte, petit capitaine corse désavoué vingt ans
auparavant par Paoli et les siens. Ce n’est pas sur son île que les alliés envoient l’ancien
empereur. C’est un territoire bien plus petit, aux conditions climatiques clémentes mais à la
taille humiliante, que le Traité de Fontainebleau lui accorde : l’île d’Elbe. Napoléon en
devient toutefois l’Empereur souverain, comme une ultime moquerie que l’Europe des
Monarchies adresse à son bourreau. Quand il traverse Lyon, il est encore acclamé par la foule ;
mais une fois engouffré dans la Vallée du Rhône profondément convaincue par les Bourbons,
c’est le spectacle horrifiant des foules enragées scandant « Vive le Roi ! » que Bonaparte doit
se résigner à regarder 2. Descendant d’une Révolution qu’il voulut conclure en fondant un
Empire républicain, c’est sur l’île d’Elbe qu’il continue ses réformes, tentant de moderniser
Isola d’Elba en construisant routes, systèmes d’irrigation et en optimisant la culture
méditerranéenne qui habite l’île3.
1. Ce poème publié dans le recueil Les Fleurs du Mal (1859) désigne par sa métaphore filée de l’albatros les
poètes, mais a été volontairement choisi ici car jugé judicieusement applicable à la période qui sera étudiée et à
la situation de Napoléon Bonaparte avant le retour de l’île d’Elbe.
2. Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001, p. 25.
3. André Castelot, Napoléon, Paris, Perrin, 1968, p. 666.
~6~
Mais naturellement, Napoléon s’ennuie : en contemplant son nouveau Royaume, il
s’exclame : « Ah ! Que mon île est petite ! » 1 . Il tient à être informé en permanence des
actualités du Continent, et au début 1815 lui parviennent les mécontentements d’une France
qui subit la Restauration et qui n’a toujours pas fait le deuil de l’Empire. Cette France connait
la montée du chômage avec la fin du blocus continental et la compétitivité accrue des produits
britanniques2. Le Congrès de Vienne, qui se charge alors en un texte de redécouper des années
de conquêtes napoléoniennes, veut définitivement exclure Napoléon de l’équilibre européen
des pouvoirs qu’il avait jusque-là bouleversé3 ; des rumeurs d’une déportation plus lointaine –
probablement l’île de Sainte-Lucie dans les Caraïbes – lui parviennent 4 . C’est dans cet
amoncellement de circonstances douteuses qu’il décide de s’envoler de ce nid auquel on
l’avait assigné : il embarque alors à bord de L’Inconstant le 26 février, accompagné d’un
millier de soldats, dans une entreprise paraissant encore aujourd’hui vaine et suicidaire5. Il
sera impératif que Paris et Vienne s’en rendent compte le plus tard possible : gardant en
mémoire le souvenir des foules provençales abandonnées à la cause monarchiste, Napoléon
sait qu’il faudra éviter la Vallée du Rhône qui l’aurait pourtant mené rapidement jusqu’à Lyon.
C’est à Golfe-Juan, sur le littoral cannois, qu’il pose de nouveau le pied sur le continent et
qu’il dit avec espoir à ses fidèles troupes : « l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de
clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame »6.
Aventurier loin d’être assuré d’un retour aux affaires, Napoléon se faufile dans les
Alpes en ce début de mars 1815. C’est dans le département des Basses-Alpes7 qu’il rencontre
les premières foules enthousiastes 8 . Mais rien ne peut alors l’assurer que ces sentiments
1. André Castelot, op. cit., p. 679.
2. Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard, 1977, p. 427.
3. Edward Vose Gulick, « Congress of Vienna: The Coalition Begins the Settlement » (Traduction par mes soins :
« Congrès de Vienne : la Coalition esquisse le nouveau système ») in Europe’s Classical Balance of Power, New
York, Norton, 1955, pp. 184 – 218.
4. Jean Tulard, op. cit., p. 427.
5. Dominique de Villepin, op. cit., p.113.
6. Déclaration de Napoléon Bonaparte à ses soldats à Golfe-Juan, 1er mars 1815, Arch. mun. Lyon,
cote 936 WP 1825.
7. Le département des Basses-Alpes correspond à l’actuel département des Alpes-de-Haute-Provence (04).
8. Dominique de Villepin, op. cit., pp. 128 – 129.
~7~
chaleureux le mèneront jusqu’à Paris. Seule une semaine au cours de ce voyage aura une telle
portée symbolique : l’entrée en Isère de l’aventurier Buonaparte marque le commencement
d’une période-clé, certes minuscule dans sa temporalité mais essentielle dans le retour au
pouvoir de l’Empereur. Jusqu’au 13 mars – et le départ de Lyon de Napoléon et de ses
hommes – une succession d’évènements et de situations favorables à l’Empire alimentent un
processus de « relégitimation » de Bonaparte en tant qu’Empereur et le replace dans une
situation qui pourrait le mener jusqu’à Paris. Le 7 mars dans l’après-midi, c’est sur la plaine
de Laffrey en Isère que les premières troupes royalistes jettent les armes et reconnaissent leur
Empereur. Le soir-même, la population grenobloise l’accueille triomphalement dans la
Capitale du Dauphiné. De Grenoble, il publie de premiers décrets visant à préparer déjà son
arrivée à Paris. Il quitte la ville le 9 mars, salué encore dans les villages dauphinois qu’il
traverse ; il reste la journée du 10 à Bourgoin d’où il entend préparer son arrivée à Lyon qui
s’annonce délicate. En effet, depuis le 8 mars le Comte d’Artois a réuni à Lyon de nombreux
bataillons et compte à la fois sur son Armée et sur la population lyonnaise pour ne pas
accorder à Bonaparte la légitimité qu’il cherche à retrouver. La défense de la ville s’organise
autour du blocage impératif du Pont de la Guillotière, seul moyen de franchir le Rhône et
d’arriver dans la Capitale des Gaules. C’est pourtant ce même pont que Napoléon parvient à
franchir le soir du 10 mars, encore une fois acclamé par la foule qui a contraint les personnes
encore loyales à Louis XVIII à fuir. En quittant Lyon trois jours plus tard, de nombreux
indices laissent espérer qu’une ovation attendra Napoléon à Paris, ce qu’il n’aurait jamais pu
concevoir une semaine auparavant1.
Ce rôle singulier conféré au passage en Isère et dans le Rhône n’est pas nouveau dans
les pensées historiennes : dans sa préface accordée en 1965 à l’œuvre de Sophie et Anthelme
Troussier, le Prince Napoléon, héritier de la Maison Bonaparte, écrivait déjà : « C’est à
Grenoble que ce retour, qui restera fameux dans l’histoire, a trouvé son moment décisif avant
l’embellie des Cent-Jours »2 . Les faits, eux aussi, sont connus et ont été contés dans des
formats historiques ou plus romancés : des histoires des Cent-Jours ont déjà été formulées par
des centaines d’historiens ou d’érudits, et le passage de Napoléon dans le Sud-Est a également
1. Une chronologie récapitulative des évènements du 7 au 13 mars se situe en annexe 1 afin d’assurer à tous une
connaissance temporelle des faits qui dans ce mémoire seront analysés de manière non-chronologique.
2. Sophie et Anthelme Troussier de l’Académie delphinale, Napoléon, la Chevauchée Héroïque du retour de l'île
d'Elbe, Grenoble, Allier, 1965.
~8~
suscité l’intérêt d’historiens locaux – dans le cas présent, dans les départements de l’Isère et
du Rhône. Mais un chaînon manque encore : celui de tisser une causalité entre des faits locaux
vraisemblablement passionnants et une trame générale acceptée par tous qui correspond au
retour au pouvoir de Napoléon : telle sera l’ambition de ce mémoire. Ce travail aura ainsi pour
objectif de questionner les mécanismes en eux-mêmes de cette semaine d’évènements :
comment construisent-ils une légitimité retrouvée à Napoléon ? Quelles conditions
conjoncturelles favorisent le retour de Bonaparte ? Quel rôle le pouvoir restauré a-t-il dans sa
propre déchéance ? La démarche proposée est celle d’une analyse locale, attentive à des flux
et à des dynamiques aux échelles spatio-temporelles limitées, menant à une compréhension
globale du retour de Napoléon de l’île d’Elbe à Paris. En effet, l’insoupçonnable importance
d’une période si temporellement et géographiquement courte, placée dans une dynamique
bien plus large, sera à la base de notre diagnostic.
Le terme bien connu des « Cent-Jours » aurait pu apparaître dès les premières lignes
de ce travail. Il semble pourtant trompeur de l’utiliser à outrance : Michel Mourre identifie les
Cent-Jours comme la période officielle du second règne de Napoléon, du 20 mars au 28 juin
18151. D’autres écrits internationaux en font de même2. Si cette période est en effet longue
d’une centaine de jours, celle qui sépare Golfe-Juan de Waterloo l’est également. Il
conviendra naturellement d’utiliser ce terme au long de notre travail, mais nous pourrons être
amenés à lui préférer « Vol de l’Aigle », expression plus imagée à l’intonation subjective,
mais couramment utilisée dans des écrits académiques pour désigner le retour à Paris de
Bonaparte3.
Ce travail de recherche n’aurait pu s’ancrer dans une progression chronologique : en
effet, la temporalité des évènements est bien trop courte, et bien que ce « Vol de l’Aigle »
puisse aux yeux de certains constituer un monolithe historique, son découpage est délicat. Ses
composantes sont presque atomiques : ce mémoire tentera alors de les regrouper et de leur
1. Michel Mourre, Le Petit Mourre, Dictionnaire de l’Histoire, Paris, Bordas, 1991, p. 134.
2. C’est le cas de Norman Rich, Great Power Diplomacy, 1814 – 1815, Boston, McGraw-Hill, 1992, p. 23, dans
lequel il écrit : « On March 20 he arrived in Paris (…) and took over the leadership of the French government.
Thus began the famous Hundred Days ». (Traduction par mes soins : « Le 20 mars, il arrive à Paris (…) et
reprend le pouvoir. Ici commencent les fameux Cent-Jours. »)
3. André Castelot dans son colossal Napoléon sépare en deux chapitres distincts le « Vol de l’Aigle » et les
« Cent-Jours ».
~9~
donner du sens. Il ne proposera pas un récit progressif des évènements qui se déroulent du 7
au 13 mars entre Grenoble et Lyon, mais les exposera à une analyse d’histoire politique basée
autour de plusieurs grands axes jugés essentiels. L’idée adjacente à ce choix est que plusieurs
enchaînements et dynamiques – aux progressions parallèles, sans ordre chronologique – ont
dû être nécessairement assemblés pour délivrer le résultat que nous connaissons.
Ainsi, dans une première partie, nous mettrons en lumière le rapport que ces
évènements ont avec le pouvoir en place : comment celui-ci réagit-il face à l’arrivée de
Buonaparte1 sur le continent, comment l’Empire réussit-il à défaire à distance la Restauration
Bourbon confortablement réinstallée à Paris.
Ensuite, nous nous efforcerons de mettre en exergue le rôle des soutiens dans le succès
que rencontre Napoléon sur le chemin qui le mène à Paris. En premier lieu, il s’agit du soutien
du peuple ; ce thème est essentiel car cher à Bonaparte : les diagnostics de la plupart des
évènements dans la vie publique de Napoléon peuvent trouver l’explication de leur réussite
dans l’approbation du peuple, et réciproquement dans l’intérêt porté par l’Empereur envers
ses concitoyens. Cette vision récurrente d’un bonapartisme populaire – voire populiste – ne
doit cependant pas tomber dans la caricature : le lien le plus essentiel au système napoléonien
n’est pas nécessairement celui des liesses populaires et de l’appui des masses, mais
notamment celui entretenu avec les notables de France qui constituent un fort atout
économique, social et administratif dans l’Empire 2 . Ce mémoire en prendra naturellement
compte en restant attentif à la volonté que Bonaparte a de renouer ce lien avec les
bourgeoisies locales. Dans un second temps, l’appui de l’Armée sera dévoilé comme
essentiel : non seulement comme un atout militaire, logistique et technique qui paraît évident,
mais également comme l’avantage d’obtenir d’un groupe bien particulier un soutien utile et
indispensable pour assurer la progression de Bonaparte à travers les territoires.
Enfin, nous nous attarderons sur le retour de l’exercice du pouvoir napoléonien.
Encore une fois, celui-ci est propre à l’Empereur, et la période que nous étudierons voit une
1. Comme nous le verrons, la version italienne du nom de Bonaparte est utilisée par le pouvoir afin de le
désigner comme étranger, voire de le réduire à son identité de naissance lorsqu’il n’était encore rien aux yeux de
la France. Ce mémoire utilisera le terme Buonaparte dans des situations similaires, quand nous voudrons le
présenter de cette même manière.
2. Jean Tulard consacre un chapitre entier de son ouvrage Napoléon ou le Mythe du Sauveur à mettre en lumière
« Le règne des notables » dans l’Empire (pp. 241 – 260).
~ 10 ~
évolution naturelle dans son attitude politique et politicienne. Nous garderons en tête tout au
long de ce travail les mots que Bonaparte écrira plus tard depuis Sainte-Hélène, « Avant
Grenoble j’étais aventurier. À Grenoble j’étais Prince », qui illustre l’idée selon laquelle
Napoléon débarque dans le Sud-Est incertain de son avenir et du pouvoir qu’il pourrait peutêtre ne plus jamais exercer, et en ressort particulièrement fort et déterminé à parvenir à ses
fins. Nous introduirons des nouveaux termes-clés tels que « repolitisation », « relégitimation »
ou « réimpérialisation », destinés à mettre en exergue le retour de Napoléon dans la sphère du
pouvoir légitime.
Nonobstant le fait que cette analyse tentera d’expliquer les facteurs du retour
victorieux de Napoléon, elle aura l’exigence de mettre de côté les exagérations et embellies
qui entourent la légende des Cent-Jours, et de manière plus générale les récits autour du
personnage de Bonaparte. En effet, ce retour au pouvoir de l’Aigle, célébré ou répugné par
beaucoup, est le fruit de circonstances délicates, de risques plus ou moins calculés et
d’évènements parfois imprévus. Et même dans des situations victorieuses, celles-ci sont à
prendre avec minutie car le « Vol de l’Aigle » possède ses propres codes, bien particuliers, où
le retour de l’Empire peut être accepté dans un village mais vivement repoussé à quelques
kilomètres de là. La « température politique », comme l’écrit François Furet, est à l’époque
essentielle et repose avant tout sur une tension croissante entre deux clans français, loin des
utopies plébiscitaires que les légendes bonapartistes voudraient imposer dans les souvenirs
collectifs1. Le défi de ce travail de recherche est donc d’accepter que malgré le fait qu’il
s’agisse d’un épisode passionnant et surprenant de l’Histoire de France, celui-ci est le résultat,
comme chaque fait historique, d’une configuration singulière, précise et délicate.
Ainsi l’ambition de ce mémoire de recherche est grande : il est peu récurrent
d’organiser d’une manière nouvelle des faits déjà connus, embellis ou entachés de passions
politiques et littéraires. Stendhal écrivait déjà en son temps que « d’ici à cinquante ans, il
faudra refaire l’histoire de Napoléon tous les ans, à mesure que paraîtront les mémoires de
1 . Dans son grand ouvrage La Révolution française (Paris, Gallimard, 2007 pour l’édition ici consultée),
François Furet écrit : « Non que le retour de l’Empereur soit triomphal, comme l’a voulu la légende bonapartiste.
Mais il est accepté. La vraie température politique de la France est un attentisme général, fait de lassitude des
luttes civiles et de la guerre, et nuancé aux deux extrémités par les partisans de la légitimité retrouvée et les
humiliés de la Restauration » (p. 512).
~ 11 ~
Fouché, Lucien, Réal, Regnault, Caulaincourt, Sieyès, Le Brun, etc.»1. Aujourd’hui ce sont
des nouvelles mécaniques, inspirées par une Histoire en constant renouvellement, qui
viennent apporter un nouvel éclairage à des problématiques que l’on croyait arrêtées. En 1965,
la Faculté des lettres de Grenoble interrogeait les Cent-Jours dans des perspectives encore
jamais expérimentées, mais toujours soucieuses de l’exactitude historique et du refus des
anachronismes idéologiques 2 . Cette année 2012 a vu une effervescence de nouveaux
questionnements autour de la Campagne de Russie à l’occasion de son bicentenaire. Les
moyens de ce mémoire sont ceux d’une formation universitaire en histoire, mais ils cherchent
déjà à dresser un état des lieux politique qui permettra de comprendre au mieux, à l’approche
de leur deux-centième anniversaire, comment les Cent-Jours se sont forgé et ont constitué un
épisode inédit dans l’exercice du pouvoir napoléonien.
1. Stendhal, Vie de Napoléon, texte établi par Henri Martineau, Le livre du Divan, 1930, p. 2.
2. Faculté des lettres de Grenoble, 150e anniversaire du Retour de l’île d’Elbe, Colloque, 3 – 4 avril 1965.
Ce programme est disponible en annexe 6.
~ 12 ~
Partie I
Défaire le pouvoir
~ 13 ~
Le « Vol de l’Aigle » est, comme beaucoup aiment à le rappeler, l’Histoire d’un
Homme provocant son propre nouveau rendez-vous avec la France. Chacun en connait l’issue
– momentanément – victorieuse. Or, il serait faux de considérer cette épopée comme un
enchaînement d’accueils triomphaux à travers villes et villages, qui seuls permettent à
Buonaparte de redevenir Napoléon. Le pouvoir monarchique des Bourbons, restauré depuis
les évènements de Fontainebleau en 1814, joue un rôle unique dans sa propre défaite. Son
assurance, sa confiance en la population française qui avait accueilli positivement la
Restauration un an auparavant, sa volonté de minimiser le débarquement de l’ « usurpateur
corse » auprès des populations parisiennes, le soutien dont il dispose à Vienne auprès des
Monarchies d’Europe et en lequel il a une forte confiance, sont autant de facteurs qui
contribuent en quelques jours à l’effondrement du Château sur ses propres fondations.
Cette partie s’attardera ainsi sur la réaction du pouvoir parisien face au débarquement
de Golfe-Juan, dans un premier temps, avant d’analyser les étapes progressives qui mènent à
la défaite annoncée de la Monarchie restaurée.
~ 14 ~
Chapitre 1
Perceptions parisiennes d’une reconquête provinciale
« Il s’expose à mourir de la mort des héros :
Dieu permettra qu’il meure de la mort des traîtres. »
Le Journal des Débats
Édition du 8 mars 1815 à propos du débarquement de Bonaparte
Mentionner des « perceptions parisiennes » renvoie principalement à deux éléments.
Le premier tend tout naturellement vers une réaction du pouvoir en lui-même, qui depuis les
Tuileries ne peut qu’attendre des nouvelles de la progression de Bonaparte et espérer que
celui-ci avance difficilement à travers les territoires du Sud-Est. Ces actions et réactions du
pouvoir parisien peuvent également être divisées entre l’attitude dans la capitale et celle dans
les territoires à travers les préfets et autres représentants de la Monarchie. La seconde
perception est bien plus délicate : elle désigne la retranscription dans la presse – parisienne
essentiellement – du voyage de Napoléon en direction de Paris. En quoi est-elle délicate ? La
liberté de la presse n’étant encore qu’à ses prémices, celle-ci fait l’objet d’un lien singulier
avec le pouvoir. Ainsi analyserons-nous de deux manières distinctes ces deux perceptions,
tout en gardant en considération que la première se traduit publiquement au moyen de la
seconde.
 Réactions du pouvoir monarchique face au retour de Bonaparte
Ce n’est que le 5 mars 1815 que la Cour reçoit la dépêche envoyée de Lyon annonçant
le débarquement de Bonaparte sur le sol français1. André Castelot décrit une réaction étrange
et singulière, à mi-chemin entre la sérénité ultime et l’état d’urgence : Louis XVIII ne
prévient pas immédiatement son frère le Comte d’Artois, et la nouvelle du retour de Napoléon
parcourt les ministères sans qu’aucune décision ferme ne soit prise. Cette journée du 5 mars,
par son indécision et son manque de cohérence, marque une première faiblesse du pouvoir qui
n’a su anticiper un tel évènement tout en feignant de conserver un calme institutionnel, alors
1. André Castelot, op. cit., p. 728.
~ 15 ~
que Napoléon et ses troupes ont déjà commencé leur remontée sur la route de Grenoble à
travers les Basses et Hautes Alpes.
La fin de journée amorce ce qui s’apparente à la reconnaissance d’une situation de
crise. Le Conseil des Ministres est convoqué1, et le soir-même le Comte d’Artois est envoyé à
Lyon, suivi quelques heures plus tard par le duc d’Orléans2. La publicisation de cette réaction
dans les décisions de la Cour, quant à elle, s’organise en plusieurs étapes. La première
réaction est de condamner le retour de Napoléon via une ordonnance royale en date du 7 mars,
en rendant l’ancien Empereur et ses compagnons hors-la-loi :
Article 1er. Napoléon Bonaparte est déclaré traître et rebelle pour s'être introduit à main armée dans le
département du Var. Il est enjoint à tous les gouverneurs, commandants de la force armée, gardes
nationales, autorités civiles et mêmes aux simples citoyens, de lui courir sus, de l'arrêter et de le traduire
incontinent devant un conseil de guerre qui, après avoir reconnu l'identité, provoquera contre lui
l'application des peines prononcées par la loi.3
Cette décision de condamner un tel évènement est certes nécessaire pour un pouvoir en
place mais ne constitue pas une réelle décision en elle-même, sinon celle d’exprimer le refus
d’un tel évènement. Il faut attendre le 9 mars – alors que Napoléon est déjà sur le point de
quitter Grenoble – pour retrouver dans les ordonnances du Roi une concrète réaction : Louis
XVIII introduit son texte en écrivant « l’Ennemi a pénétré dans l’intérieur » avant de
développer sur plus de quatre pages le plan de redéploiement de la Garde nationale4.
Comment peut-on expliquer une activité si peu ambitieuse ? Bien évidemment, il est
impensable de concevoir une quelconque négligence de la part de la Cour. De nombreux
facteurs – ceux qui aujourd’hui composent ce travail de recherche – pouvaient déjà au
moment des nouvelles du débarquement être pris en compte. L’envoi du Comte d’Artois à
Lyon est un élément essentiel qui est à considérer ; cet évènement semble néanmoins devoir
être compris comme le seul moyen d’action possible imaginé par les Bourbons. Ainsi, malgré
1. Thierry Lentz, Nouvelle Histoire du Premier Empire ; Tome 4, Les Cent-Jours, Paris, Fayard, 2010, p. 296.
2. On peut remarquer – certes de manière anachronique – que les trois actuels et futurs protagonistes principaux
de la Restauration (Louis XVIII ainsi que les futurs Charles X et Louis-Philippe Ier) sont directement réactifs et
concernés par l’arrivée de Bonaparte et jouent ainsi un rôle-clé dans cet épisode.
3. Ordonnance royale du 7 mars 1815, consultée en ligne le 21 mai 2012
< http://theses.univ-lyon3.fr/documents/getpart.php?id=lyon3.2009.arbey_p&part=268430 >
4. Ordonnance du Roi, 9 mars 1815, Arch. Nat., cote F1a 95 2.
~ 16 ~
la tension régnant à Paris, c’est vers la Province que la suite des incertitudes et des décisions
semblent se déplacer : Lyon devient le rempart de Paris.
C’est précisément dans le Sud-Est de la France que la plus grande interaction entre le
pouvoir Bourbon et, non pas Bonaparte, mais le spectre de sa probable progression vers Paris,
se met en place, du fait de la forte proximité géographique qui anime les évènements. Depuis
le 2 mars, le Préfet du Var avait informé le Préfet du Rhône de la remontée de Napoléon qui,
selon les informations données par quelques soldats, cherchait à rejoindre Lyon 1. Au-delà de
remaniements militaires visant à ralentir la progression de l’Armée reconstituée par Napoléon,
c’est une intrigante toile de déclarations, bien plus denses et bien plus explicites que les
hésitations provenant des Tuileries, qui se met en place afin d’assurer la loyauté du pouvoir
déconcentré envers son autorité souveraine à Paris. En Isère, le Préfet Joseph Fourier publie
dès le 5 mars son avertissement à la population :
Nous invitons tous les Citoyens, au nom du gouvernement du ROI, et pour l’intérêt évident de notre
Patrie, à donner aujourd’hui de nouveaux témoignage des sentimens qu’ils ont fait éclater dans des
circonstances beaucoup plus difficiles : si quelqu’un pouvait oublier que son premier devoir est d’obéir
aux Autorités, comme le nôtre est de maintenir le respect dû au gouvernement de Sa Majesté, et de
veiller à la sûreté des propriétés, il sera arrêté sur-le-champ et puni sévèrement, conformément aux lois
constitutionnelles.
Tout ce qui pourrait tendre à fomenter la guerre civile et à violer la Charte constitutionnelle de l’État,
doit exciter une indignation générale.2
Deux jours plus tard, le 7 mars, alors que Napoléon s’apprête à entrer dans Grenoble,
c’est le Préfet du Rhône qui publie son propre message aux Rhodaniens :
Une résolution aussi téméraire qu’insensée vient de jeter sur nos côtes un homme qui, au sein des
calamités qu’il avait fait peser sur la France, avait solennellement brisé tous les liens qui l’attachaient à
elle. Une poignée d’hommes l’accompagne, et cette troupe sans armes, sans vivres, sans munitions, se
trouve poursuivie dans toutes les directions par des soldats fidèles à leurs sermens et à l’honneur. La
Providence, qui semble l’avoir frappé d’aveuglement, paraît prête à consommer son ouvrage, et à
donner encore au Monde une grande et terrible leçon.3
Dans cette déclaration, le Préfet du Rhône annonce également aux Lyonnais le
rassemblement de troupes « sous [leurs] murs » dans les jours qui viennent, en référence à
1. Lettre du Préfet du Var au Préfet du Rhône (copie envoyée au Maire de Lyon), 2 mars 1815, Arch. mun. Lyon,
cote 1225 WP 017.
2. Proclamation du Préfet du Département de l’Isère, 5 mars 1815, source photocopiée et publiée dans Sophie et
Anthelme Troussier, op. cit..
3. Proclamation du Préfet du Département du Rhône, 7 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1821.
~ 17 ~
l’arrivée du Comte d’Artois dans la Capitale des Gaules afin de préparer une contre-offensive
contre Napoléon et son armée.
Plusieurs éléments sont à retenir de ces déclarations émanant des représentants du
pouvoir déconcentré. Le premier est la défense de la Monarchie à travers le respect de l’ordre,
mais surtout l’attachement aux Lois constitutionnelles et à la Charte. En d’autres termes, il
convient de souligner l’apaisement que les Français ont retrouvé avec Louis XVIII,
apaisement menacé par le trouble-fête Buonaparte. C’est justement ce bilan d’instabilité
internationale – puis nationale quand les Armées d’Europe sont prêtes à marcher sur Paris –
pendant le règne de l’Empereur que les préfets tiennent à mettre en exergue. L’objectif est
donc de refuser toute légitimité à Napoléon et de réaffirmer la confiance que le peuple doit
continuer d’accorder au pouvoir des Bourbons.
Le Congrès de Vienne lui aussi réagit à sa manière aux évènements. Quand bien même
Napoléon résidait encore avec langueur sur l’île d’Elbe, la Gazette d’Augsbourg écrivait déjà
qu’il fallait « éloigner le plus tôt possible un homme qui, sur le rocher de l’île d’Elbe, tenait
entre ses mains les fils de ces trames ourdies par son or, et qui, aussi longtemps qu’il resterait
à proximité des côtes d’Italie, ne laisserait pas les souverains de ces pays jouir tranquillement
de leurs possessions » 1 . Il faut attendre le 13 mars
2
pour qu’une déclaration soit
communément publiée par les Monarques réunis à Vienne :
En rompant ainsi la convention qui l’avoit établi à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal
auquel son existence se trouvoit attachée. En reparaissant en France avec des projets de trouble et de
bouleversement, il s’est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté à la face de l’univers
qu’il ne sauroit y avoir ni paix ni trêve avec lui.
Les puissances déclarent en conséquence que Napoléon Bonaparte s’est placé hors des relations civiles
et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte
publique.3
L’Europe est ainsi claire avec Bonaparte : bien plus précis que le Trône de France, le
Congrès de Vienne ne tient pas à négocier avec Bonaparte, même si celui-ci parvenait à se
1. Traduit et cité dans Félix Fleury, L’Enjambée Impériale, Grenoble, 1868, p. 3.
2. Là encore, la vitesse de la remontée de Bonaparte échappe totalement au pouvoir : Napoléon repart déjà
triomphant de Lyon quand cette déclaration est publiée. Cette publication tardive sera analysée en Chapitre 6.
3. Déclaration du Congrès de Vienne (copie conforme remise aux Préfets du Bas-Rhin et du Doubs), 13 mars
1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
~ 18 ~
hisser de nouveau au sommet du pouvoir français, ce qui, quand cette déclaration est publiée,
n’est plus une stupide supposition.
 Information et désinformation dans la Presse
La réaction de la Presse au débarquement de Bonaparte est un phénomène particulier
qu’il convient d’analyser et de comprendre. Comme nous l’avons présupposé, l’influence du
pouvoir sur la diffusion de l’information est une hypothèse très probable, bien que l’évolution
de l’attitude des journaux leur soit propre. Il est évident d’accepter l’idée selon laquelle
plusieurs courants composent déjà en 1815 les médias écrits. Ceci étant, une trame commune
aux médias favorables à la Monarchie – qui représentent une très forte majorité – peut être
remarquée et découpée en trois étapes communicationnelles bien distinctes.
Tout d’abord, l’annonce du débarquement de Bonaparte est relayée d’une manière très
alarmiste, malgré une réactivité semblable à celle des Tuileries, dans un registre sensationnel
ponctué d’un avertissement politique fort. En effet, le Journal des Débats écrit le 8 mars en
tête de son article : « Buonaparte s’est évadé de l’île d’Elbe » tout en continuant quelques
lignes plus tard :
Cet homme, qui en abdiquant le pouvoir n’a jamais abdiqué son ambition et ses fureurs ; cet homme,
tout couvert de sang des générations, vient, au bout d’un an écoulé en apparence dans l’apathie, essayer
de disputer, au nom de l’usurpation et des massacres, la légitimité et douce autorité du Roi de France.1
C’est un article identique dans le ton aux diverses proclamations présentées
précédemment qui continue sur une colonne et demie et qui dresse une analyse politique
biaisée de la situation, dans laquelle Bonaparte ne peut compter sur personne, « sur cette
même terre où il fut reçu, il y a quinze ans en libérateur par un peuple abusé, et détrompé
depuis par douze ans de tyrannie ».
Le même jour, La Quotidienne présente les évènements comme un acte vain duquel
Napoléon ne peut rien espérer :
On a les plus fortes raisons de croire que le débarquement de Buonaparte sur le territoire français n’est
qu’un acte de désespoir. Il paraît certain que le Congrès avait la résolution de fixer une autre résidence à
1. Le Journal des Débats, 8 mars 1815, p. 1.
~ 19 ~
Napoléon, dont, suivant toutes les apparences, les intrigues contribuaient à l’agitation de l’Italie 1. C’est
pour prévenir les effets de cette détermination qu’il s’est décidé à faire une entreprise de flibustier
contre quelques petites villes de la Provence, dépourvues de troupes et d’artillerie. 2
Ainsi, dans la presse parisienne, il n’y a à première vue rien à espérer ni à craindre de
ce débarquement de quelques soldats et d’un homme aux ambitions illusoires.
Or, rapidement s’installe un second climat dans la presse, le jour-même de la
publication de l’ordonnance royale du 9 mars. Le monde parisien semble alors se plonger
dans un jeu de fabulations et de désinformations qui perdure pendant la quasi-totalité de la
semaine que nous étudions. Le 9, le Journal des Débats consacre deux des quatre pages de
son édition à accumuler des faits, récits et analyses autour du retour de Bonaparte. Certaines
proclamations de préfets ou de militaires sont rapportées. Le Journal se justifie alors de la
lenteur de la diffusion de l’information de la manière suivante :
Nous avons retardé jusqu’à ce jour à donner des nouvelles du débarquement de Bonaparte sur les côtes
de la Provence, parce que les dépêches télégraphiques qui l’ont d’abord fait connoître, ne donnoient
encore aucuns détails.3
Pourtant, dans ce flot apparent d’informations non-détaillées, c’est une stricte
désinformation qui tend alors à s’institutionnaliser. Dans la fin de la même édition, il est
indiqué :
Les dernières nouvelles de Buonaparte sont d’hier 7 de Lyon. A cette date, Buonaparte étoit toujours
aux environs de Digne, dont on lui avoit refusé les portes. Personne ne s’étoit réuni à lui.4
Le 7 mars, Bonaparte est en réalité déjà en Dauphiné : son arrivée remarquée dans la
ville de Grenoble survient le soir-même. Quelques jours auparavant, il avait traversé Digne
sans que personne ne lui ferme les portes de la ville5. De telles fabulations continuent pendant
plusieurs jours. Le 10 mars, Le Journal Général publie dans ses colonnes : « Paris, 9 mars, 11
1. « L’agitation de l’Italie » mentionnée renvoie au lynchage du ministre des Finances Giuseppe Prina survenu le
20 avril 1814 à Milan, parallèlement à l’abdication de Bonaparte, que Le Journal d’Augsburg précédemment cité
met également en exergue.
2. La Quotidienne, 8 mars 1815, p. 1.
Article cité dans Jacques Berriat Saint-Prix, Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7 mars 1815, Grenoble,
Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
3. Le Journal des Débats, 9 mars 1815, p. 2.
4. Ibid., p. 4.
5. Dominique de Villepin, op. cit., p.125.
~ 20 ~
heures du soir. Le bruit court que Buonaparte a été enveloppé et fait prisonnier. Puisse cette
nouvelle se confirmer dès demain ! »1.
Enfin, aux alentours du 12 et 13 mars, alors que Napoléon est installé victorieusement
dans la ville de Lyon, les Journaux tendent à renouer avec de véritables informations quant à
sa progression, tout en entourant ces données de nuances approximatives. Par exemple, La
Quotidienne du 14 mars rend publique la dépêche suivante :
Paris, 13 mars. Une personne très-digne de foi, partie de Lyon le 11 au soir, annonce que Buonaparte
était encore ce jour-là dans cette ville ; que la population était consternée et que l’échappé de l’île
d’Elbe n’avait qu’un nombre considérable de soldats harassés de fatigue. 2
Dans le même registre, Le Journal des Débats du 13 mars concède que les troupes du
Général Macdonald ont dû quitter Lyon, mais que « [t]out fait espérer que la délivrance de
Lyon n’est pas éloignée »3.
En parallèle de ce traitement particulier et imprécis de l’information, les journaux se
livrent à un matraquage intellectuel visant à conserver chez le lecteur une sympathie intacte
pour le Monarque Bourbon. En effet, en prenant l’exemple du Journal des Débats, de
nombreux récits quotidiens sont publiés afin d’attester du soutien constant de la France envers
son Souverain. Le 7 mars, avant l’annonce du débarquement de Bonaparte – que ce journal
rapporte le lendemain – une page est consacrée au récit du Siège de Saragosse de 1808 qui
avait donné lieu à une victoire espagnole contre les troupes impériales. L’article explique la
défaite de l’Empire français par la force et la volonté du peuple saragossien :
Ce qui caractérise d’une manière bien singulière le siège de Saragosse, ce qui le distingue de tous les
autres faits d’armes du même genre, c’est la part active qu’y prit le peuple. (…) [C]e fut le peuple de
Saragosse qui fit tout, non pour le service militaire proprement dit, les bourgeois n’y étant employés
qu’auxiliairement, mais pour la direction et l’opiniâtreté de la défense. C’est le peuple qui, au premier
siège, alla enlever de force le général Palafox dans une maison de plaisance ; c’est lui qu’il nomma
capitaine-général, et sans lui, se mit en état de défense ; c’est lui qui, à l’époque du second siège 4, le
1. Le Journal Général, 10 mars 1815, p. 2.
2. La Quotidienne, 14 mars 1815, p. 1.
Cité dans J. Berriat Saint-Prix, op. cit.
3. Le Journal des Débats, 13 mars 1815, p. 1.
4. Le « second siège » dont il est question survient en 1809, un an après le premier. Les Français parviennent à
prendre la ville dans un combat souvent considéré comme l’un des plus brutaux de l’Histoire napoléonienne.
~ 21 ~
contraignit à s’enfermer dans la place avec son armée, au lieu de tenir la campagne. C’est Saragosse,
enfin, qui défendit Saragosse.1
Cet extrait tient à souligner deux éléments : le premier est simplement une preuve des
limites de l’invulnérabilité présumée de Napoléon durant son règne ; le second met en lumière
la force du peuple, qui ne saurait être négligeable, face à une armée. On peut penser que le
Journal, déjà averti de l’arrivée de Bonaparte, prépare l’opinion via ce récit avant de dévoiler
les nouvelles de Golfe-Juan le lendemain. L’indignation, mais aussi le sentiment d’être plus
fort que des troupes militaires, doivent emplir le peuple qui lit ces journaux. Le 11 mars, le
récit de la visite du Duc d’Angoulême à Bordeaux devient un véritable conte épique dans une
ville où « [l]es discours des magistrats, les acclamations des citoyens, portoient également
cette empreinte de sincérité, que depuis si long-temps on ne retrouvoit plus en France »2. Le
lendemain, le même journal revient avec surprise et de manière anachronique sur la
progression de Bonaparte une semaine auparavant (le 5 mars). Des évènements sans grande
exactitude ni utilité dans le traitement quotidien de l’information rapportent que « l’esprit des
Marseillais est toujours le même pour les Bourbons : il est même meilleur que jamais »3.
Le pluralisme des opinions au sein de la Presse étant officiellement légal, certains
journaux s’adonnent à accorder un certain regard sérieux, sinon de la sympathie, envers
l’éventualité du retour au pouvoir de Napoléon. C’est le cas du Censeur qui dans son édition
du 5 mars, remet en question la légitimité de Louis XVIII via l’attitude de la Royauté envers
le Royaume de Naples :
On sait que notre Almanach Royal ne reconnoît point la légitimité du Roi actuel de Naples, et que pour
désigner le chef légitime de cet état, il renvoie le lecteur au royaume des Deux-Siciles. Cette
impertinence de notre Almanach Royal nous a attirés, dit-on, de la part de celui de Naples, la
mortification la plus humiliante. On assure que ce dernier, usant de représailles, et ne comptant pour
rien, comme le nôtre, les sentimens et le vœu des peuples, a refusé de reconnoître Louis XVIII pour
notre légitime Roi ; et que, pour désigner notre chef véritable, il renvoie le lecteur à l’île d’Elbe. Il nous
semble qu’aucun bon Français ne doit pardonner à notre Almanach Royal de nous avoir exposés à une
pareille injure.4
1. Le Journal des Débats, 7 mars 1815, p. 3.
2. Le Journal des Débats, 11 mars 1815, p. 2.
3. Le Journal des Débats, 12 mars 1815, p. 2.
4. Le Censeur, 5 mars 1815.
~ 22 ~
Cet extrait est repris dans le Journal des Débats du 10 mars qui condamne vivement
les propos du Censeur. S’ensuit un long réquisitoire qui déplore les dérives de la liberté de la
presse, qui est pourtant « une des lois fondamentales de l’État » :
Jamais nous n’aurions pu croire que sous l’autorisation des lois on pût impunément manifester par écrit
des opinions aussi scandaleuses, des provocations aussi criminelles contre l’autorité légitime, que celle
qu’on lit depuis quelque temps dans le Censeur, et même dans le Nain Jaune1, quoique ce dernier
Journal paroisse sous l’approbation spéciale de la censure. 2
Il peut être ainsi facilement remarqué qu’une pression est faite auprès de ceux qui
tenteraient de discuter des effets positifs de l’éventuel retour au pouvoir de Napoléon. La
presse parisienne est ainsi absolument aux côtés du pouvoir en place pour dénoncer et railler
le débarquement de Bonaparte et de ses troupes.
Enfin, Le Moniteur Universel3 joue un rôle décisif dans les relations entre presse et
pouvoir. Organe de la Monarchie créé pendant le règne de Napoléon, celui-ci sert de référence
aux autres journaux parisiens et est directement cité. C’est lui qui relaye les ordonnances
royales qui dénoncent et mettent hors la loi le « bandit corse ». Pourtant, le Moniteur est aussi
frappé par l’approximation et la désinformation. Il indique par exemple le 11 mars : « Aucune
dépêche télégraphe et aucune lettre ne font connoître que Grenoble lui ait ouvert les portes »4
alors que le triomphe de Bonaparte en Dauphiné a été parfaitement rapporté à Paris.
*
C’est ainsi une situation délicate que le pouvoir Bourbon a mis en place dans l’urgence
de l’annonce du débarquement de Bonaparte. Panique qui n’en est pas une, avertissement à la
population travesti en négligence d’un petit capitaine corse isolé dans le Sud de la France, le
pouvoir ne parvient pas à créer une cohésion nationale qui aurait pu empêcher le « Vol de
l’Aigle » que nous connaissons aujourd’hui. Dans une configuration ainsi défavorable, ou en
1. Les positions du Nain Jaune sont ici tolérées car il s’agit d’un journal ouvertement satirique. Fondé par
Cauchois-Lemaire, il profite pourtant de son second degré pour laisser sous-entendre son soutien au retour de
Bonaparte.
2. Le Journal des Débats, 10 mars 1815, p. 1.
3. Le Moniteur Universel est à l’époque l’équivalent de notre actuel Journal Officiel.
4. Cité dans Le Journal des Débats, 11 mars 1815, p. 2.
~ 23 ~
tout cas qui n’a pas été optimisée, il ne reste à Napoléon qu’à pousser une carte pour que le
Château s’effondre.
~ 24 ~
Chapitre 2
De Grenoble à Lyon,
une semaine pour défaire la Monarchie
« L’enthousiasme qu’a fait éclater votre présence chez vos fidèles sujets de Bourgoin n’est
que le prélude des acclamations universelles du Peuple français. »
Adresse des habitants de Bourgoin à Napoléon
le 10 mars 18151
Comme nous venons de le démontrer, ce n’est pas tant la faiblesse qui caractérise le
pouvoir de la Monarchie aux alentours du 7 mars. Il s’agit avant tout d’une opportunité
manquée d’organiser le pays en menant une campagne de vive opposition à Napoléon. Si la
presse, comme nous l’avons analysée, ne soutient en aucun cas l’arrivée de Bonaparte,
personne ne parvient à préparer la population ni même l’armée à lui faire face. Ainsi, la
semaine du 7 au 13 mars, que ce mémoire de recherche tend à mettre en lumière comme la
semaine décisive dans le retour de l’Empereur, ne s’annonce pas positive pour les Bourbons.
L’envoi du Comte d’Artois et du Duc d’Orléans à Lyon apparaît comme une solution forte
pour se préparer à la remontée des troupes impériales. Hélas pour eux, deux éléments ne
jouent pas en leur faveur et mènent à la défaite rapide du pouvoir dans ce combat pour la
légitimité. D’une part, les représentants de la Monarchie dans les régions – en premier lieu les
préfets – ne parviennent pas à maîtriser l’évolution du tempérament de leur communauté et à
insuffler un esprit monarchiste face aux percées bonapartistes. D’autre part, l’expédition du
Comte d’Artois et du Duc d’Orléans à Lyon est un échec absolu résultant d’une trop grande
confiance en un peuple lyonnais qui, nous le verrons, reçoit la nouvelle du retour de
Bonaparte avec entrain et satisfaction.
 Les soutiens volatiles des préfets et des maires
Malgré les proclamations des différents préfets des départements du Sud-Est, ceux-ci
ne parviennent pas à résister à la progression de Napoléon ; les maires de Grenoble et Lyon ne
seront pas plus victorieux dans cette entreprise.
1. Citée dans Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 103.
~ 25 ~
À Grenoble, le préfet Joseph Fourier 1 apparaît comme un premier personnage
nébuleux dont il convient de comprendre la situation. Géomètre de profession, compagnon de
Bonaparte durant la Campagne d’Égypte, il avait été nommé préfet de l’Isère dès son retour
en France en 18022. Pourtant, il reçoit la Restauration avec beaucoup de loyauté envers le
Nouvel Ancien Régime. Son nom circule au sein de la Monarchie (l’indignation de Fourier et
de son département face au débarquement de Golfe-Juan est relayée dans le Journal des
Débats du 9 mars 1815) et il se retrouve dans ses échanges à formuler ses vœux de prospérité
au pouvoir en place3. Son attitude face à l’arrivée de Napoléon est, comme nous le savons,
alarmiste et horrifiée. Après sa déclaration du 5 mars – citée dans le précédent chapitre – il
s’en remet à l’armée et au Général Marchand qui se charge de l’organisation d’un conseil de
guerre et de l’organisation de Grenoble pour interdire l’accès à la ville des troupes de
l’Empire. Le 7 mars, alors que l’arrivée de Bonaparte à Grenoble est annoncée comme
imminente, Fourier s’enfuit4 de la capitale dauphinoise. Ce geste malheureux est un triple
affront. Tout d’abord un affront vis-à-vis du pouvoir en place, le Préfet étant le correspondant
légitime et légal du pouvoir central dans chaque département : c’est un abandon exprimé au
régime qu’il avait pourtant accepté d’épouser un an auparavant. Ensuite, c’est un affront à la
population dont il est censé représenter l’intermédiaire avec la Monarchie à Paris et qu’il
abandonne à l’Empire. Enfin, c’est un affront à Bonaparte, en organisant une résistance à sa
venue tout en fuyant la confrontation. Quelques jours durant lesquels nul ne sait vraiment où
il se trouve, il prend cependant contact avec Guillaume Sappey, sous-préfet de la-Tour-du-Pin
afin de rester informé de la progression de l’Empire : il sait alors que Napoléon a finalement
été reçu en héros dans Grenoble, et que l’Isère, département dont il est encore le préfet,
représente un premier bastion résolument bonapartiste. C’est le 10 mars vers onze heures du
matin que Fourier se présente à l’Hôtel du Parc de Bourgoin, où Napoléon a passé la nuit. De
1. On retrouve aussi dans certaines sources et certains ouvrages l’orthographe « Fourrier ».
2. Jacques-Joseph Champollion-Figeac, Fourier et Napoléon : l’Égypte et les Cent-Jours, Paris, Firmin-Didot
Frères, 1844.
3 . « Je regarderai, monsieur le Conseiller d’État, comme les circonstances les plus agréables de mon
administration, celles où je pourrai seconder vos vues, pour la prospérité des communes et l’accomplissement
des vues bienfaisantes du Roi. »
Lettre au Conseiller d’État Directeur Général de l’Administration des Communes quant à sa nomination par le
Roi, 12 février 1815, Arch. Nat., cote F1a 415.
4. Gustave Vellein, Retour de l'île d'Elbe, de Grenoble à Lyon : Séjour de Napoléon Ier à Bourgoin le 10 mars
1815, Bourgoin, Paillet, 1925, p. 23.
~ 26 ~
représentant de la Monarchie, Fourier est redevenu en quelques jours un citoyen capable de
faire des choix libres de toute affiliation et d’allégeance. C’est rapidement qu’il retrouve des
fonctions politiques, informé par courrier le 12 mars : il est nommé Préfet du Rhône par
Bonaparte. Il avait été suspendu de ses fonctions de Préfet de l’Isère le 9 mars par un décret
signé par Napoléon1. Le 15, c’est le Roi qui le renvoie de la Préfecture grenobloise, même si
cette décision n’a déjà plus aucune valeur2.
La municipalité de Grenoble fait elle aussi l’objet de fluctuations dans son
comportement politique. Sa réaction aux évènements de l’île d’Elbe et à l’arrivée programmée
de Bonaparte met en avant les exigences relatives à l’ordre public sans dénoncer
solennellement le retour de l’Aigle. Le 7 mars, alors que Napoléon est attendu en fin d’aprèsmidi aux portes de la cité, le Maire appelle des Gardes nationaux supplémentaires pour
assurer l’ordre en ville :
Les circonstances nécessitent que quelques postes soient occupés par la Garde nationale. Le maintien de
l’ordre et de la tranquillité publique exige ce service extraordinaire.3
Le Conseil municipal, rassemblé en conseil extraordinaire, ne fait également mention
que de maintien de l’ordre sans aucune opposition solennelle à Bonaparte :
[L]e Devoir de tous les membres du Conseil Municipal doit de se trouver à l’hôtel de ville en séance
permanente pour délibérer sur les moyens qu’il y aurait à prendre afin de maintenir l’ordre et la
tranquilité, faire respecter les personnes et les propriétés, qu’ils doivent même aider M. le Maire dans
ses opérations.4
Cette attitude laisse comprendre que l’opposition à l’arrivée de Napoléon à Grenoble
n’émane pas du pouvoir local. L’alchimie qui mène au succès de Bonaparte à Grenoble devra
ainsi reposer, comme nous le verrons dans notre deuxième partie, sur d’autres facteurs tels
que l’opposition plus ou moins vivace de l’armée ou encore le soutien du peuple grenoblois.
*
1. Décret Impérial donné à Grenoble le 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
2. Ordonnance du Roi, nomination de Joseph de St Chamond en tant que Préfet de l’Isère, 15 mars 1815, Arch.
Nat., cote F1a 95 2.
3. Arrêté du Maire de Grenoble, 7 mars 1815, Arch. mun. Grenoble, cote 2D1.
4. Délibération du Conseil municipal de Grenoble, 7 mars 1815, Arch. mun. Grenoble, cote 1D3.
~ 27 ~
Dans le département du Rhône, la Restauration semblait avoir été reçue avec un
enthousiasme certain. En 1814, les communes du Rhône déclaraient d’une seule voix :
Le fléau de la guerre a cessé. La France n’est plus sous le joug d’un homme qui avait fait lever contre
lui toutes les nations de l’Europe qu’il avait spoliée, et tous les souverains qu’il avait insultés.1
À Lyon, une poignée de notables avait signé une déclaration en mai 1814 dans
laquelle ils exprimaient leur soulagement :
Heureux enfin de trouver, sous la protection du Gouvernement légitime, la liberté de manifester leurs
sentimens, et de laver le nom Français de la honte dont il demeureroit entaché, si des coupables, encore
souillés du sang de la plus auguste victime, pouvoient paraître autorisés à prendre part aux affaires de
l’État.2
Le Comte Chabrol, Préfet du Rhône début mars 1815, ne semble pas présent sur la
scène politique que la ville de Lyon est devenue pendant ces quelques jours. On peut
l’expliquer par l’arrivée du frère et du cousin du Roi à Lyon – que nous allons analyser – qui
seuls suffisent à remplacer l’autorité du Préfet. Le pouvoir déconcentré n’a plus lieu d’être : il
est venu de Paris en personne pour siéger à Lyon.
Ceci étant, le Comte de Fargues, Maire de Lyon, tient absolument à faire preuve
d’autorité face à l’arrivée de Bonaparte. Résolument monarchiste, ses allocutions témoignent
d’un souhait motivé de favoriser la victoire des troupes royales. Il publie deux déclarations les
7 et 8 mars visant à organiser le logement des militaires chez les habitants lyonnais 3. Mais
deux déclarations, en date du 10 et 11 mars, doivent retenir notre attention comme elles ont
retenu celles de leurs contemporains. Le 10 mars, alors que la rumeur de l’arrivée de
Napoléon se répand dans toute la ville, le Comte de Fargues publie la déclaration suivante :
Habitans de la Ville de Lyon,
En acceptant les fonctions de Magistrat de la Cité, nous avons contracté l’engagement de nous dévouer,
pour assurer le calme et entretenir l’ordre et la tranquillité parmi ses Habitans.
Qu’ils se reposent sur nous de ce soin paternel ; notre devoir est de le remplir, y réussir sera notre
récompense.
1. Ralliement des communes du Rhône à la Monarchie, avril 1814, Arch. dép. Rhône, cote 1M111.
2. Adresse à son Altesse Royale Monsieur Lieutenant-Général du Royaume, Paris, 24 mai 1814, Arch. mun.
Lyon, cote I214.
3. Déclarations relatives aux « Logemens militaires », 7 et 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cotes 936 WP 18221823.
~ 28 ~
Habitans de Lyon ! restez calmes dans vos foyers ; surveillez vos établissemens, vos ateliers, vos
maisons, le reste est du ressort de vos Magistrats. 1
En réaffirmant ses prérogatives et compétences de Maire, le Comte de Fargues compte
asseoir son autorité, essentielle pour permettre la défaite de Bonaparte. La peur de voir le
peuple s’emparer de l’évènement dans une direction opposée – c’est ce que nous allons voir
dans le prochain chapitre – habite également le Comte de Fargues. Face à la défaite le
lendemain, il publie une deuxième déclaration commençant de la manière suivante :
Habitans de Lyon,
Napoléon revient dans cette Cité dont il effaça les ruines, dont il releva les édifices, dont il protégea le
commerce et les arts : il y retrouve, à chaque pas, des monumens de sa munificence : sur les champs de
bataille, comme dans ses palais, toujours il veilla sur vos intérêts les plus chers : toujours vos
Manufactures obtinrent des marques de sa généreuse sollicitude.2
Ce surprenant tournant dans l’attitude du maire de Lyon, à l’instar des autres
personnalités que nous avons examinées, peut être expliqué par la volonté d’embrasser un
nouveau pouvoir dont il savait qu’il parviendrait à ses fins une fois à Paris. Cela ne pouvant
être prouvé à travers des sources, on ne peut qu’émettre des suppositions en plaçant ces
comportements dans une dynamique d’abandon de la Royauté face à une victoire patente de
l’Empire. Cela n’empêche pas les afficheurs lyonnais de rire du « retournement de veste » du
Comte de Fargues : au lieu de recouvrir l’ancienne déclaration de la nouvelle, les voilà qu’ils
les juxtaposent pour rappeler aux Lyonnais que leurs représentants, même s’ils laissent la
victoire bonapartiste se répandre, n’ont pas toujours témoigné la même loyauté3.
 L’échec de la visite du Comte d’Artois à Lyon
En amont du triomphe de Napoléon à Lyon, un évènement se présente comme
moment-charnière dans cette semaine décisive. La venue du Comte d’Artois à Lyon doit
pouvoir organiser les troupes présentes sur place et celles appelées à se réunir dans la Capitale
des Gaules. Arrivé le 8 mars, il espère trouver ici un soutien infaillible à la fois dans les
troupes et dans la population. Tout semble leur indiquer que le peuple lyonnais est acquis à la
1. Déclaration du Maire de Lyon, 10 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1842.
2. Déclaration du Maire de Lyon, 11 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1843.
3. « Napoléon Ier » dans Bruno Benoit, Patrice Béghain et alii., Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Stéphane
Bachès, 2009, p. 896.
~ 29 ~
cause monarchiste. On rappelle dès que nécessaire les évènements tragiques de 1793, quand
Lyon « la Blanche » refusa les ordres de la Convention et dont la destruction fut annoncée.
Cet évènement fait avant tout l’objet d’une opposition constante entre l’entrain fragile
des Lyonnais vis-à-vis de la Monarchie et l’image rassurante, comparable à la « méthode
Coué », que le pouvoir vise à diffuser au sein de la ville.
Tout d’abord, les différentes déclarations relatives à l’organisation de la venue du
Comte d’Artois et de l’arrivée de troupes militaires supplémentaires mentionnent
l’hébergement obligatoire des soldats chez les habitants du Nord de la ville (dans les quartiers
de Saint-Clair et des Terreaux) en faisant toutefois passer cette obligation comme un acte de
volontariat enthousiaste de la part des riverains :
Nous sommes persuadés de l’empressement avec lequel ces braves seront reçus par les Lyonnais, qui se
feront un plaisir de les accueillir dans leurs propres habitations et de ne recourir aux logements étrangers,
qu’autant qu’il leur serait impossible de mieux faire. 1
Le même jour, le Maire publie une déclaration annonçant le passage en revue de la
Garde nationale sur la Place Louis-le-Grand2 :
SON ALTESSE ROYALE MONSIEUR, Frère du ROI, passera la revue de la Garde nationale, aujourd’hui
Mercredi à midi, sur la Place de Louis-le-Grand.3
Cette déclaration peut être interprétée comme une invitation à un rassemblement
autour de la place visant à consolider le soutien de la population lyonnaise à la Monarchie. Ce
premier évènement peut constituer pour le pouvoir une première mesure de la température
politique qui habite la ville de Lyon. Or, l’accueil réservé par les troupes et les Lyonnais sur la
Place Louis-le-Grand est très froid et réservé4. Le colonel de Montal, échappé de Grenoble,
rapporte au Comte d’Artois les évènements de Laffrey et de Grenoble survenus la veille. Fort
de ce constat, le frère du Roi tente le lendemain d’inverser la tendance en adressant deux
1. Déclaration du Maire de Lyon, « Logemens militaires », 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1822.
2. La Place Louis-le-Grand correspond à l’actuelle Place Bellecour, au centre de la Presqu’île de Lyon. Elle avait
été nommée Place Bonaparte puis Place Napoléon durant le Consulat et le Premier Empire.
3. Déclaration du Maire de Lyon, 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1824.
4. Gustave Vellein, op. cit., p. 16.
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messages. La première déclaration s’adresse aux habitants de Lyon. Plutôt longue, elle
comprend les mentions suivantes :
Aujourd’hui un ennemi audacieux, l’homme de l’île d’Elbe, s’avance, agitant les brandons de la guerre
civile, enhardi peut-être par quelques premiers succès que la Providence n’a permis que pour le
conduire plus sûrement à sa ruine, en l’aveuglant sur la faiblesse de ses moyens.
J’accours pour partager vos dangers !
Le Frère du ROI se confie à sa Ville fidèle.
N’est-ce pas ici qu’ont toujours été les véritables appuis du Trône ? Les Lyonnais de 1793 sont là, ou
revivent dans leurs enfans. Ce sont eux que j’ai revus dans cette brave Garde nationale, la force et
l’honneur de votre Cité.
Vous serez vaillamment secondés par l’Armée qui se rassemble ; des secours nombreux arrivent de
toutes parts, et c’est sous vos murs, LYONNAIS, si on ose les approcher, qu’échouera cette entreprise
impie.
Vous serez les Sauveurs de la France !1
Cette adresse au peuple de Lyon laisse entrevoir de nombreux objectifs voulus par le
Comte d’Artois. Le premier est naturellement de convaincre les Lyonnais que leur fidélité à la
Royauté, seul organe légitime face à « l’homme de l’île d’Elbe » est essentielle car les
évènements à Lyon auront un aspect décisif dans la progression de Buonaparte – il est
d’ailleurs remarquable que les contemporains de cette période mesurent déjà l’enjeu de ces
quelques jours à une échelle bien plus large. Il est intéressant de noter le lien établi avec
l’Armée, censée former une complémentarité avec le peuple nécessaire au succès d’un camp
ou de l’autre. C’est ainsi que la seconde déclaration, adressée aux soldats, reprend le même
registre persuasif :
BONAPARTE a débarqué sur nos côtes ! … Il conduit avec lui une poignée d’hommes associés à sa
mauvaise fortune, et c’est avec ces faibles qu’il prétend imposer de nouveau son joug à une grande
Nation qu’il a lui-même abandonnée, après l’avoir conduite sur le penchant de sa ruine.
SOLDATS, il vous calomnie !
(…)
Partout où vous verrez mon panache blanc, suivez-le, c’est le chemin de l’honneur.2
La presse aussi, comme nous avons déjà commencé de l’évoquer, contribue à créer un
artificiel climat favorable au pouvoir en place. Les feuilles parisiennes rapportent que le
Comte d’Artois « a trouvé les troupes et les habitants réunis dans un sentiment de dévouement
et de fidélité, dont elle a reçu les témoignages les plus éclatants »3.
1. Message de Charles-Philippe de France « Aux Lyonnais », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1834.
2. Message de Charles-Philippe de France « Aux Soldats », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1835.
3. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 27.
~ 31 ~
L’arrivée du Duc d’Orléans et du Général Macdonald le 9 mars doivent pouvoir
apporter une autorité supplémentaire visant à conserver – sinon reconquérir – le soutien du
peuple et de l’armée. La revue du lendemain est ainsi très attendue. Le Comte d’Artois et le
Duc d’Orléans se rendent alors dans les faubourgs de l’Est lyonnais en essayant de glaner des
informations quant à la progression de Bonaparte, tandis que la presse parisienne annonce
déjà que « Monseigneur le duc d’Orléans, à la tête de vingt mille hommes, avait repoussé
Buonaparte au-delà de Bourgoin »1. Ils peuvent alors compter sur certains militaires encore
fidèles au Roi, échappés de l’Isère pour rejoindre des troupes royalistes, qui sont les meilleurs
témoins pour informer leur camp beaucoup trop sensible aux rumeurs et mensonges. Dans la
nuit du 8 au 9 mars, l’aide de camp du Comte d’Artois, Jules de Polignac, se rend à l’Hôtel du
Parc de Bourgoin – où Bonaparte logera la nuit suivante – afin de vérifier si des voyageurs en
provenance de Grenoble ont dormi récemment dans l’établissement. Il y trouve Rostaing,
Inspecteur des Revues, royaliste échappé de Grenoble qui conte alors l’accueil réservé par les
Dauphinois à Bonaparte la veille2. Ces nouvelles ne font que renforcer la détermination du
Comte d’Artois, du Duc d’Orléans et du Général Macdonald de protéger Lyon. Le 10 mars,
ils passent en revue une nouvelle fois les troupes sur la Place Louis-le-Grand, mais à quelques
pas de la place, les Lyonnais attendent déjà Bonaparte devant le Pont de la Guillotière. Les
garnisons ne manifestent qu’une loyauté hésitante à la Monarchie. Quelques centaines de
soldats continuent de suivre les ordres du Général Macdonald mais d’autres se mutinent déjà.
Le Moniteur du 22 mars3 rapporte la conversation entre un vieux soldat membre d’un des
Régiments des Dragons et le Prince :
Allons, camarade, lui dit le prince, crie donc : Vive le Roi ! – Non, Monsieur, répond ce brave, aucun
soldat ne combattra contre son père. Je ne puis vous répondre qu’en criant : vive l’Empereur ! 4
C’est à ce moment-là que les représentants de Louis XVIII comprennent qu’il sera
difficile d’empêcher l’entrée dans la ville des troupes impériales. Malgré la fidélité de
1. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 27.
2. Gustave Vellein, op. cit., p. 17.
3. Napoléon étant officiellement de retour au pouvoir le 21 mars, il faut comprendre que ce numéro du Moniteur
est déjà sous l’influence et le contrôle directs de l’Empire. Le choix et la retranscription de la citation dans le
Moniteur peut avoir fait l’objet d’une certaine exagération.
4. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 30.
~ 32 ~
quelques centaines de soldats, ils sont contraints de fuir sur la route de Moulins. Le général
Macdonald, resté à Lyon, n’a plus d’autorité sur les soldats. Le champ est ainsi libre pour
l’Empire arrivant sur le Pont de la Guillotière. Lyon devait être la vitrine du pouvoir, la
personnification du soutien à la Monarchie ; la Capitale des Gaules voit finalement l’Empire
et l’Empereur entrer avec triomphe dans son enceinte. Le vendredi 10 mars 1815, au milieu
des sept jours que nous tentons de comprendre dans ce travail de recherche, la confrontation
directe avec la Monarchie n’est plus d’actualité pour Bonaparte et les siens. Il peut alors, dans
une ville aussi grande et riche en ressources et en soutiens que Lyon, commencer à
réorganiser les troupes dont il dispose et préparer le reste de son voyage vers Paris.
~ 33 ~
Partie II
Regagner le soutien
de la France
~ 34 ~
Il a été décidé au début de ce travail de décomposer le retour au pouvoir de Bonaparte
en trois dynamiques distinctes. Si la monarchie a été défaite car elle ne disposait pas en son
sein de structures suffisamment solides et de représentants assez fidèles, elle doit également
faire face à un peuple tenté par de nouveaux horizons impériaux. Ce peuple doit pouvoir
conférer à Bonaparte une nouvelle légitimité qui lui permettra de pouvoir se reposer sur une
base populaire forte.
L’Armée elle aussi est indispensable à Napoléon. Outil de ses plus grands triomphes
durant son règne, elle doit être en mesure de constituer un « laissez-passer » pour l’Empire sur
sa route vers Paris. Des oppositions fortes entre pro- et antibonapartistes prennent place
durant cette semaine et déterminent in fine le sort du « Vol de l’Aigle » dans leur soutien à
l’Empire, au-delà même de leur seule valeur militaire.
~ 35 ~
Chapitre 3
Deux villes, deux ovations
On peut dire de manière certes banale que le temps court joue en la faveur de
Napoléon. Comme nous le savons, les informations à Paris se répandent lentement. Pendant
ce temps, Napoléon a pu enfin quitter le Sud et éviter la Vallée du Rhône qui ne lui aurait
présenté que des bastions monarchistes déterminés à le faire tomber. Le plébiscite, on le sait,
est une thématique chère au bonapartisme et à son représentant. Celui-ci sait qu’il doit
retrouver cette providence dans l’accueil que la population lui réserve, sans quoi il ne peut
avec confiance espérer rejoindre Paris. Il se doit donc d’être au bon endroit au bon moment.
Durant sa traversée des Basses et Hautes-Alpes, Napoléon voit les premières foules
saluer son retour. Dans ces premiers moments de joie et de satisfaction, il quitte Gap le 6 mars
en laissant aux habitants des deux départements une déclaration dans laquelle il exprime son
émotion de trouver un sincère soutien populaire : « Vous avez raison de m’appeler Votre
Père ; je ne vis que pour l’honneur et le bonheur de la France »1. Le 7 mars s’offre à lui le
Dauphiné, début de cette semaine durant laquelle il retrouve sa pleine légitimité auprès du
peuple. Il sait qu’il sera amené en quelques jours à traverser Grenoble et Lyon, deux villes sur
lesquelles il est en mesure d’obtenir un vif soutien. Mais ces deux cités, sœurs dans le Vol de
l’Aigle,
présentent
des
caractéristiques
particulièrement
différentes
qui
s’avèrent
complémentaires dans le parcours de Napoléon.
 « Avant Grenoble j’étais aventurier. À Grenoble j’étais Prince. »
Le Dauphiné est connu pour ne pas accueillir la Restauration avec le plus grand
entrain. Cette ancienne province médiévale doit faire l’objet d’une distinction, comme
beaucoup de régions françaises, entre sa capitale d’une part, où l’influence des notables
bourgeois est forte après la Révolution, et le monde rural hors de Grenoble d’autre part, qui de
Napoléon garde le souvenir d’un héros et garant des vertus de la terre2. Mais la capitale du
1. Message de Napoléon « aux Habitans des Départemens des Hautes et Basses-Alpes », 6 mars 1815, Arch.
mun. Lyon, cote 936 WP 1826.
2. Jacques Berriat Saint-Prix, op. cit., p. 6.
~ 36 ~
Dauphiné n’est pas pourtant plus enthousiaste quant à la Monarchie restaurée : son surnom
« Grelibre » utilisé depuis 1793 est utilisé par Louis XVIII et souligne la méfiance que le
pouvoir a envers Grenoble1.
L’accueil dans les premiers villages du Dauphiné au matin du 7 mars est positif et est
resté ancré dans les symboliques collectives comme l’image d’un généreux sauveur du
peuple2. Mais c’est la fin de cette journée qui constitue un enjeu majeur pour Bonaparte. En
effet, la rencontre de Laffrey – que nous examinerons dans le chapitre suivant – constitue un
obstacle de masse dans sa progression, mais celle-ci concerne l’armée et non le peuple. Entrer
dans Grenoble est essentiel pour mesurer la température de la capitale dauphinoise. L’entrée
dans la ville par la Porte de Bonne en début de soirée, facilitée par l’Armée et par les
évènements de Laffrey quelques heures auparavant, est triomphale : les portes fermées par les
ordres politiques et militaires sont détruites à « coups de hache par dehors, et aussi par
dedans »3. De nombreuses gravures représentent Napoléon sur son cheval au milieu d’une
foule en liesse.
La dualité du Dauphiné se retrouve dans l’arrivée de Napoléon à Grenoble. D’une part,
deux notables grenoblois facilitent grandement le triomphe de Bonaparte en Isère. Jean
Dumoulin, descendant d’une riche famille de gantiers, est bouleversé par l’exil de l’Empereur
sur l’île d’Elbe en 18144. Le deuxième, également âgé de vingt-huit ans, est Joseph Emery,
chirurgien qui est admis dans les maigres troupes que le Traité de Fontainebleau accorde à
Bonaparte. Ce sont ces deux concitoyens qui conseillent à Bonaparte de passer par Grenoble
lors de sa remontée à travers les Alpes, où il pourra trouver un soutien de la part de la
population. À son arrivée le soir du 7 mars, Napoléon est accueilli à l’Auberge des Trois
Dauphins tenue par un ancien soldat de la Campagne d’Égypte nommé Labarre 5. D’autre part,
1. Paul Dreyfus, Histoire du Dauphiné, Paris, Que Sais-Je ?, Presses Universitaires de France, 1972.
2. Gilbert Bouchard, L’Histoire de l’Isère en BD (Grenoble, Glénat, 2004) présente dans son Tome 5 Napoléon
entouré d’une liesse populaire jetant des bourses aux maires des villages en leur adressant un court « Pour votre
hôpital ! ». Si l’accueil positif des Isérois n’est plus à prouver, cette image d’Épinal est à prendre évidemment
avec précaution.
3. Stendhal cité par Louis Comby, Histoire des Dauphinois : des origines à nos jours, Paris, Nathan, 1978, p.
102.
4. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 41.
5. Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble, Grenoble, Gratier, 1888, p. 666.
~ 37 ~
les paysans dauphinois assurent un soutien sans faille à Bonaparte. En 1836, ils se confient à
Stendhal et évoquent trois raisons de soutenir le retour de l’Empereur : « le souvenir des
exploits militaires de Napoléon, le désir d’une revanche après l’humiliation de la première
invasion, la volonté paysanne de garder les biens nationaux »1. La littérature locale retient la
description par le Général de la Houssaye des « milliers de torches » portées par les paysans
du Dauphiné accompagnant Napoléon dans son arrivée à Grenoble2.
Procédé surprenant, les Grenoblois adressent à Napoléon un message public dans
lequel ils expriment leur fierté d’accueillir l’Empereur retrouvé. Cette adresse commence de
la manière suivante :
Sire,
Les Habitans de Grenoble, fiers de posséder dans leurs murs le triomphateur de l’Europe, le Prince au
nom duquel sont attachés tant de souvenirs glorieux, viennent déposer aux pieds de Votre Majesté le
tribut de leur respect et de leur amour.
Associés à votre gloire et celle de l’armée, ils ont gémi, avec les braves, sur les évènements funestes qui
ont, quelques instans, voilé vos Aigles.3
Au-delà du soutien indispensable des citoyens, Napoléon doit leur restaurer leurs
symboles piétinés et laissés à Fontainebleau. C’est pourquoi dès son arrivée à Grenoble la
Cocarde tricolore est rétablie et devient alors le signe de l’approbation populaire de
l’Empereur4.
Napoléon quitte Grenoble le 9 mars au matin et laisse aux habitants du Dauphiné un
message dans lequel il adresse ses remerciements pour leur accueil chaleureux :
[J]e débarquai sur le sol de la Patrie, et je n’eus en vue que d’arriver avec la rapidité de l’aigle dans cette
bonne ville de Grenoble, dont le patriotisme et l’attachement à ma personne m’étaient particulièrement
connus.
Dauphinois ! Vous avez rempli mon attente.
1. Stendhal cité dans Louis Comby, op. cit., p. 102.
2. Cité dans Emmanuel de Waresquiel, op. cit., p. 89.
3. « Adresse des Habitans de la Ville de Grenoble, À sa Majesté l’Empereur des Français », Arch. mun. Lyon,
cote 936 WP 1831.
4. « Arborer la Cocarde » devient alors le symbole de la Chute des derniers bastions monarchiques. Par exemple,
une dépêche télégraphique en date du 27 mars, alors que Napoléon est déjà de retour aux Tuileries, indique qu’à
Nantes, Rennes et Brest, « La Cocarde Nationale a été arborée par tous aux cris de VIVE L’EMPEREUR ! ».
Dépêche télégraphique du Ministre de la Guerre, copie au Préfet de l’Isère, 27 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote
52 M 6.
~ 38 ~
(…)
Dauphinois, (…) j’ai senti le besoin de vous exprimer toute l’estime que m’ont inspirée vos sentimens
élevés. Mon cœur est tout plein des émotions que vous y avez fait naître ; j’en conserverai toujours le
souvenir.1
La suite de son périple à travers l’Isère est en tout point comparable à l’accueil que
Napoléon a reçu auparavant. Dans la soirée du 9 mars, les communes de Voreppe, Moirans,
Rives célèbrent le passage nocturne de leur Empereur2. L’arrivée à Bourgoin dans la nuit du 9
au 10 mars suscite de nombreuses célébrations dans la ville et d’agitation autour de l’Hôtel du
Parc où Napoléon loge pour une nuit et prépare son arrivée à Lyon.
 « Lyonnais, je vous aime »
Dans son message aux habitants de Grenoble le 9 mars, Napoléon précise que le
chemin doit le mener maintenant « dans [s]a bonne ville de Lyon » 3 . La relation que
Bonaparte entretient avec la Capitale des Gaules est particulière et a souvent éveillé la
curiosité des Historiens. Installé à l’Hôtel du Parc de Bourgoin pendant la journée du 10 mars,
il prépare son entrée à Lyon, et doit pouvoir être certain d’obtenir des Lyonnais qu’ils
s’opposent aux troupes du Général Macdonald qui tentent de détruire le pont de la Guillotière,
seul accès sur le Rhône à l’époque vers centre de Lyon.
Le peuple lyonnais fait l’objet de bien des convoitises. Comme nous l’avons vu, la
Monarchie voit en lui un peuple traumatisé par 1793 et qui n’a jamais pu épouser les idées de
la Révolution. Napoléon lui, reconnait dans Lyon une population profondément modérée, à la
fois catholique et sociale, bourgeoise et industrielle, dernière cité qui l’avait acclamé au
moment de son départ pour l’île d’Elbe avant l’humiliation de la Vallée du Rhône. À ce
moment-là, le maire de la Guillotière4 avait été rappelé à l’ordre par le Préfet du Rhône :
Monsieur, J’apprends que, dans le moment où la Nation entière abandonne Napoléon Bonaparte, et le
déclare déchu d’un trône d’où il vient de descendre lui-même, vous manifestez de l’attachement aux
choses qui rappellent le règne funeste de ce monarque. Comme il se pourrait que cette manifestation
1. « Napoléon aux Habitants du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1832.
2. Gustave Vellein, op. cit., pp. 6 – 10.
3. « Napoléon aux Habitants du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1832.
4. Aujourd’hui quartier intégré au 7e arrondissement de Lyon, la Guillotière constituait à l’époque un faubourg
populaire important de l’autre côté du Rhône.
~ 39 ~
devînt dans votre commune une occasion de trouble et de désordre, je vous rends responsable de tout
évènement fâcheux qui en proviendrait, et je vous invite à m’informer sans délai des faits qui peuvent
avoir donné lieu au rapport que l’on vient de me faire à votre égard.1
Au-delà des querelles politiques, les Lyonnais font preuve dans leur attitude d’une
indépendance qui effraie le pouvoir. Quelques semaines avant l’annonce du retour de
Napoléon, dans une affaire bien différente, le Préfet avait demandé que les crieurs de
journaux ne scandent que les titres des publications et non le contenu des articles, et ce afin
d’éviter toute éventuelle émotion populaire2. Le 9 mars, alors que l’arrivée de Bonaparte se
fait imminente, tout rassemblement dans les rues, sur les Quais ou dans les Ports est interdit
par le Maire3. Le lendemain, il demande aux Lyonnais « qu’ils se reposent sur nous de ce soin
paternel » 4 de veiller à leur sécurité. De manière évidente, les Lyonnais dérangent. Leur
soutien latent aux « bandits de l’île d’Elbe » ne cherche qu’à être exprimé. C’est ce qui arrive
finalement dans la journée du 10 mars : les troupes de Macdonald doivent se replier à l’Ouest
alors que la population attend déjà sur le Pont de la Guillotière Napoléon.
À l’instar des paysans du Dauphiné à Grenoble, les Canuts lyonnais forment un groupe
populaire cohérent et supérieur numériquement qui apporte son total soutien au retour de
Napoléon. L’intérêt que l’Empereur portait aux industries de la Soie en région lyonnaise ainsi
que la détérioration de l’économie sous la Restauration peuvent l’expliquer. Les canuts tentent
alors de démonter les barricades afin de faciliter le passage des troupes napoléoniennes 5 qui
réussissent en fin de journée du 10 mars à entrer dans la ville une heure avant leur Empereur
retrouvé.
Déjà expliqué précédemment, le soudain inversement d’attitude du Maire le Comte de
Fargues fait naître les déclarations les plus enthousiastes de sa part à l’idée d’accueillir
Bonaparte. Outre sa première déclaration, il publie le 11 mars une invitation publique à la fête
dans les rues de Lyon :
1. Lettre du Préfet du Rhône au Maire de la Guillotière, 11 avril 1814, Arch. dép. Rhône, cote 4 WP 057.
2. Lettre du Préfet du Rhône au Ministre de l’Intérieur, 4 mars 1815, Arch. dép. Rhône, cote 4 M 149.
3. Arrêté du Maire de Lyon, 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1836.
4. Déclaration du Maire de Lyon, 10 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1842.
5. Emmanuel de Waresquiel, Cent-Jours, la tentation de l’impossible, Paris, Fayard , 2008, p. 90.
~ 40 ~
Pour célébrer le retour de Sa Majesté l’Empereur dans sa bonne ville de Lyon, tous les édifices publics
et particuliers seront illuminés ce soir.
Nous n’avons pas besoin d’inviter nos concitoyens à se conformer à cette disposition. 1
Le séjour de l’Empereur à Lyon durant trois jours se transforme en bal permanent de
soutiens populaires et de notables. « Plus de 20,000 âmes stationnent sous ses fenêtres » écrit
Félix Fleury cinquante ans plus tard2. La culture populaire retranscrit cette liesse, notamment
à travers la musique3.
Napoléon quitte Lyon le 13 mars, après quatre jours de visites dans la ville et de
passage en revue des troupes. De ce départ reste gravée une déclaration que l’Empereur fait
afficher partout dans la ville :
Lyonnais,
Au moment de quitter votre Ville pour me rendre dans ma Capitale, j’éprouve le besoin de vous faire
connaître les sentimens que vous m’avez inspirés. Vous avez toujours été au premier rang dans mon
affectation. Sur le Trône, ou dans l’exil, vous m’avez toujours montré les mêmes sentimens. Ce
caractère élevé, qui vous distingue spécialement, vous a mérité toute mon estime. Dans des momens
plus tranquilles, je reviendrai pour m’occuper de vos besoins, et de la prospérité de vos Manufactures et
de votre Ville.
LYONNAIS, JE VOUS AIME.4
Ces mots restent encore à ce jour le parangon de la relation entre l’Empereur et Lyon,
au même titre que la reconstruction de la Place Bellecour en 1800, de l’organisation de la
Consulta italienne en 1802 au Collège de la Trinité ou encore du projet de Palais Impérial
dans le quartier de Perrache en 1804. Ce lien est appelé à rester fort et le retour de Napoléon à
Lyon dans les années qui suivent est attendu et espéré par les Lyonnais.
*
Le peuple a apporté, en Isère comme dans le Rhône, dans les villes comme à la
campagne, un soutien indéfectible au retour de Napoléon qui a contribué – comme nous
l’avons vu – au rejet de la Monarchie et qui prépare simultanément – nous le verrons dans la
dernière partie – un retour officiel au pouvoir de Bonaparte en tant qu’Empereur.
1. Avis du Maire de Lyon, 11 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1844.
2. Félix Fleury, op. cit., p. 8.
3. Les paroles de plusieurs chants se trouvent en annexe 4.
4. Déclaration de Napoléon aux Lyonnais, 13 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1859.
~ 41 ~
Chapitre 4
L’indispensable appui de l’Armée
« On ne peut arrêter l’eau de la mer avec ses mains »
Maréchal Ney
en référence à la progression de Napoléon, le 14 mars 18151
L’histoire militaire occupe un rôle prééminent durant tout le règne – voire la vie – de
Napoléon Bonaparte. Ancien élève de l’École de Brienne, reconnu comme fin stratège par ses
contemporains, père de nombreuses légendes militaires à la suite de ses victoires en Égypte, à
Austerlitz ou encore à Iéna, on peut discuter longuement de la corrélation entre ses conquêtes
militaires, la gestion de son Empire et son constant besoin d’étendre ce dernier. Or, il n’est
pas question ici de dresser une histoire militaire du « Vol de l’Aigle » ; au contraire, l’enjeu
est de retranscrire un soutien militaire en atout politique. En effet, les troupes doivent assurer
non seulement une sécurité pour Bonaparte mais aussi une capacité de progression dans les
terres et de conviction envers les citoyens et autres troupes militaires encore hostiles au retour
de l’Empereur. De très minces effectifs sont accordés à Buonaparte par le Traité de
Fontainebleau ; c’est avec ce millier de soldats que Napoléon quitte l’île d’Elbe fin février.
Déjà lors du débarquement à Golfe-Juan, il souligne l’importance d’attendre de ses soldats un
soutien sans failles :
Soldats ! Venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef ; son existence ne se compose que de la
vôtre ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres ; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont
autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge : l’Aigle,
avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher, jusqu’aux tours de Notre-Dame ; alors vous
pourrez montrer avec honneur vos cicatrices ; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait ;
vous serez les libérateurs de la Patrie.2
Comme toute histoire napoléonienne, celle du soutien de l’Armée pendant le « Vol de
l’Aigle » a son évènement-phare, embelli par la légende bonapartiste : la rencontre de Laffrey,
1. Cité dans Arthur Conte, Soldats de France : Les grandes heures de notre histoire, Plon, 2001, p. 268.
2. Message de Napoléon « à l’Armée » depuis Golfe-Juan, 1er mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1871.
~ 42 ~
le 7 mars 1815, quelques heures avant l’arrivée à Grenoble. Ce jour-ci, sur la plaine de
Laffrey, au bord d’un lac entouré par les Alpes, les troupes de l’Empire rencontrent celles de
la Monarchie qui, dans un extrême dilemme entre jeter les Armes et tirer sur Bonaparte, se
rallient à l’Empereur. En dépouillant cette scène de ses enluminures, elle conserve toutefois
une portée historique forte : elle marque le début des ralliements de bataillons à la cause
impériale. Ceux-ci sont vitaux car tout en apportant un nouveau soutien à Napoléon ils
abandonnent celui qu’ils ont envers la Royauté. Nous analyserons les actes de ce registre qui
surviennent de Grenoble à Lyon et qui constituent un appui décisif sur le chemin vers Paris.
 « Je suis votre Empereur, reconnaissez-moi ! » : la rencontre de Laffrey
À Grenoble, le Général Marchand prépare depuis le 5 mars la défense de la ville afin
d’immobiliser complètement la progression de Bonaparte. La 5 e de ligne du Commandant
Delessart est postée aux environs de la Mure, à trois heures au sud de Grenoble, et constitue le
premier obstacle aux troupes napoléoniennes. La légende ne conserve que la rencontre du 7
mars entre les deux régiments, prêts à mener la première bataille depuis le débarquement de
Golfe-Juan. Alors que les officiers royalistes ordonnent à leurs soldats paralysés de peur
d’ouvrir le feu, Bonaparte s’avance et s’exclame : « Soldats du 5e, je suis votre Empereur.
Reconnaissez-moi ! ». Et de poursuivre : « S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son
empereur, me voilà ! ». S’ensuit une scène de joie et de réconciliation entre cocardes blanches
et tricolores.
Cet évènement reste l’une des pierres angulaires de la légende napoléonienne des
Cent-Jours. Gabriel Faure écrit à la fin du XIXème siècle :
Tandis qu’à Grenoble, j’étais dans l’hôtel même où logea Napoléon ; on me montra la chambre que
garnissait encore le mobilier de l’époque ; je déjeunais dans la salle où il prit ses repas, en des
circonstances mémorables, il y avait quatre-vingts ans, le soir même de la rencontre de Laffrey : cela,
c’était de l’histoire.1
Ceci étant, l’Histoire dans sa signification scientifique est bien plus complexe. Cet
évènement ne résulte pas seulement d’une rencontre fortuite et du courage d’un Homme
convaincu de la fidélité d’une garnison entière, mais a été en vérité orchestré afin qu’il ne
reste qu’une place infime laissée à l’arbitraire. La rencontre dans la nuit du 6 au 7 mars entre
1. Gabriel Faure, Pèlerinages dauphinois, Grenoble, J. Rey, 1925, p. 94.
~ 43 ~
les adjudants-majors des deux camps1 ayant pour but de « faire le logement » – c’est-à-dire de
préparer la bataille – se transforme alors en mise en scène de l’évènement. « L’Empereur va
marcher vers vous. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour lui. Vous en
répondrez devant la France » dit Laborde à son homologue royaliste2. Sans bien sûr que ce
dernier ne se range immédiatement derrière le drapeau tricolore, les soldats royalistes étaient
autour des deux hommes et ont tout entendu. Le Commandant Delessart aurait alors dit :
« Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous leurs membres et qui
sont pâles comme la mort ? »3. Ainsi peut être introduite, conclue et résumée la Rencontre de
Laffrey : en mesurant le potentiel choix qui était le leur, les soldats n’ont osé tirer sur leur
ancien Empereur malgré les instructions du capitaine Randon, neveu du Général Marchand. Il
ne s’agit pourtant pas d’un soulèvement d’une armée contre ses dirigeants, ni d’une apparition
miraculeuse en la personne de Bonaparte. L’évènement est un subtil concours de
circonstances au sein duquel a pu se produire le dénouement que nous connaissons.
Au-delà de l’évènement per se, remarquable pour ceux qui scientifiquement
construisent l’histoire de l’Empire tout autant que pour ceux qui en admirent les symboles, ses
conséquences sont certainement encore plus notables car nombreuses et décisives.
L’opportunité du ralliement, illustrée par ces quelques mots prononcés à Laffrey, « Je suis
votre Empereur, reconnaissez-moi ! », va ainsi s’offrir à de nombreuses garnisons durant le
voyage de Napoléon vers Paris. Avant même l’arrivée à Grenoble le soir du 7 mars, c’est la
7ème de ligne menée par Charles de la Bédoyère qui se rallie à Bonaparte dans une euphorie
générale accompagnée de plusieurs chants : « Vive l’Empereur ! », mais aussi « Bon ! Bon !
Napoléon va rentrer dans sa maison ! »4.
 La suite du succès militaire à Grenoble et Lyon
Ainsi les troupes de Napoléon se sont-elles agrandies avant même l’arrivée de
l’Empereur à Grenoble. La Capitale du Dauphiné constitue une ressource logistique et
humaine de premier ordre, et dans le cas de notre analyse un soutien militaire potentiellement
1. Du côté de l’Empire, l’adjudant-major s’appelle Laborde.
2. Cité dans André Castelot, op. cit., p. 731.
3. Ibid, p. 732.
4. Ibid, p. 734.
~ 44 ~
colossal. Le Général Marchand avait depuis plus de deux jours organisé la défense de la ville
mais avait inclus dans son plan de défense l’appui indispensable des deux régiments postés à
La Mure (près de Laffrey) et à Vizille. Or, comme nous l’avons vu, ces troupes ont manifesté
leur ralliement à l’Empire et mettent ainsi en péril le plan de Marchand, contraint de prendre
la fuite par le nord de la ville1. L’accès à Grenoble permet alors de réorganiser dans un lieu
clos et sûr les équipements qui sont désormais à la disposition de l’Armée impériale, soit « un
parc de 200 pièces d’artillerie, (…) 60 000 fusils et (…) une immense quantité de
munitions »2. Le lien tissé avec l’Armée est également symboliquement marqué par le séjour
de Bonaparte à l’Auberge des Trois Dauphins tenue par Labarre, ancien soldat de la
campagne d’Égypte. L’entrée dans la capitale iséroise est perçue par de nombreux auteurs
comme une grande étape franchie sur la route de Paris, à l’image de Gustave Vellein qui en
1925 écrit :
Les cinq régimes qui avaient embrassé sa cause et s’étaient joints aux vétérans de l’Ile d’Elbe,
constituaient déjà une troupe capable de braver les forces que la royauté prétendait lui opposer ; mais à
voir l’enthousiasme avec lequel l’armée se rangeait sous l’étendard aux trois couleurs, il devenait de
plus en plus probable que l’aigle continuerait, sans obstacle, son vol, de clocher en clocher, jusqu’aux
tours de Notre-Dame.3
Alors que le Comte d’Artois passe en revue ses troupes à Lyon, Napoléon peut se
targuer de pouvoir faire de même à Grenoble. Les régiments qui ont rejoint l’Empire vont
constituer un atout majeur pour la suite des évènements car ceux-ci entreprennent une action à
l’impact capital : plusieurs régiments rédigent des lettres à l’attention de leurs frères d’armes
encore fidèles au Roi, dans lesquelles ils les invitent à rejoindre Napoléon :
Depuis le cinq Mars, les Aigles Impériales nous étaient annoncées, et leur vol rapide nous présageant
très-prochainement l’heureux jour où nous verrions l’auguste Souverain qui nous a conduits
constamment à la victoire, et qui eut toujours pour devise : Amour de la Patrie, honneur et gloire ; nos
cœurs étaient disposés d’avance à accueillir SA MAJESTE comme tous les bons Français doivent le faire.
(…)
Suivez notre exemple, camarades ! L’EMPEREUR ne veut que la gloire et l’honneur de la France, et à ces
rimes quiconque ne se rallierait point à lui, serait l’ennemi de sa Patrie.
Vous avez été habitués à estimer vos compagnons d’armes sur le champ de bataille ; ils ne peuvent donc
vous tromper.
1. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., pp. 58 – 59.
2. Auguste Prudhomme, op. cit.
3. Gustave Vellein, op. cit., p. 5.
~ 45 ~
Que Napoléon soit notre mot de ralliement !1
À leur Empereur aussi, les Soldats s’adressent pour leur déclarer officiellement leur
confiance et leur foi en son retour :
Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats de votre 11e régiment d’infanterie de ligne, ont éprouvé des
peines bien cruelles, lorsque, par la lâcheté et la perfidie de ceux que Votre Majesté avait daigné
combler de bienfaits, nous avons vu un moment l’Aigle française arrêter son vol rapide, elle qui naguère
faisait trembler toute l’Europe et lui dictait des lois ; nous n’avons jamais été séparés de Vous ; nos
cœurs et nos vœux vous ont suivi, nous n’aspirons qu’au bonheur de vous prouver notre dévoûment,
notre fidélité et notre attachement à votre Personne sacrée.
Nous jurons, Sire, de mourir pour votre service et pour le maintien de vos droits. 2
Ainsi, il semble que les régiments mesurent à Grenoble la portée de leur ralliement à
l’Empire durant ce vol de « l’Aigle française », comme ils aiment à le citer. Les faits survenus
à Grenoble ne constituent pas un évènement fini, et les risques qui les attendent à Lyon leur
sont bien sûr connus. Mais la première réelle victoire et ovation dans une grande ville –
Grenoble est peuplée de plus de 30 000 habitants en 1815 – confère un réel sentiment de
« retour » de Bonaparte, que les Soldats et la population peuvent ainsi saluer.
*
Prendre la ville de Lyon exprime à son paroxysme le dualisme qu’il existe dans cette
situation entre l’histoire militaire en elle-même et celle du soutien militaire que nous dressons
dans ce chapitre : le rassemblement de nombreuses garnisons à Lyon sous l’autorité du frère
du Roi constituerait, si les troupes de Bonaparte parvenaient à prendre la ville, un potentiel
fort pour l’Empire en termes de force de dissuasion afin de marcher sans violences jusqu’à
Paris, mais aussi un soutien massif afin d’insuffler au sein de l’Armée une réelle légitimité en
la personne de Napoléon.
Lors du passage à Lyon en 1814 de l’escorte impériale qui menait Bonaparte à l’île
d’Elbe, la population avait célébré la fameuse garde impériale sous le regard rétif des
monarchistes et des soldats de la Sixième Coalition3. Peu enthousiastes lors du passage en
1. « Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats du 4ème Régiment du Corps Impérial de l’Artillerie, À leurs
Camarades », 8 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1828.
2. « Les Officiers, Sous-Officiers et Soldats du 11ème Régiment d’infanterie de ligne, À Sa Majesté l’Empereur
des Français », Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1840.
3. G. Lenotre, Napoléon : Croquis de l’Épopée, Bernard Grasset, 1932, p. 181.
~ 46 ~
revue du Comte d’Artois, les troupes postées à Lyon en mars 1815 sont alors dirigées dès le 9
mars par le Général Macdonald, descendant d’une famille de Lords écossais1. Comme nous
l’avons évoqué, ce soutien s’effrite fortement, influencé par une population qui a déserté la
place Louis-le-Grand pour attendre devant le Pont de la Guillotière l’Armée impériale. Des
lettres de soldats publiées par Arthur Chuquet dans son ouvrage Lettres de 1815 décrivent le
chaos et l’abandon des régiments vis-à-vis de leur Monarque, qui lui préfèrent Bonaparte :
J’ai quitté, ou plutôt je me suis échappé de Lyon à deux heures et demie de l’après-midi, après avoir été
témoin, sur le pont de la Guillotière, de la défection des 20 e, 24e régiment de ligne et 13e de dragons qui,
à l’apparition de l’avant-garde de Napoléon, ont passé sous ses drapeaux aux cris de Vive l’Empereur,
cris répétés du faubourg de la Guillotière aux quais du Rhône, remplis d’une multitude sur les deux
rives.2
L’entrée victorieuse dans Lyon constitue une nouvelle étape militaire pour Napoléon
qui peut ainsi compter sur le nouveau soutien des mutins royalistes du 10 mars. Les journées
suivantes font l’objet de nombreux passages en revue et de réapprovisionnement des troupes.
À Paris, la Presse continue de sous-estimer les effectifs du corps armé impérial. Le Moniteur
du 14 mars décrit les évènements de Lyon de la manière suivante :
L’ennemi est cerné de toutes parts, il ne peut échapper à son juste châtiment, et c’est parce qu’il ne se
dissimule plus sa perte irrévocable, c’est parce qu’il ne peut plus marcher en avant, ni rétrograder, que
ce grand capitaine, jadis si actif, mais dont les facultés ont baissé, s’amuse à Lyon à passer la revue de
sa petite troupe.
C’est cette « petite troupe » qui, au départ de Napoléon, adresse à son Empereur le
même type de déclaration que celui publié à Grenoble :
Comme au retour de l’Égypte, comme après ces époques signalées dans nos annales, lorsque la Patrie
vous redemandait à grands cris ; seul… avec l’intérêt de la cause commune, les pressentimens du
courage, et guidé par le génie de Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna, de Montmirail ; Votre Arrivée fut une
victoire pour vos enfans ; vos paroles, des bienfaits ; votre marche, une pompe triomphale… Nous
avions reconnu l’homme de la Nation.
(…)
SIRE ! Vous avez dit, nous sommes maîtres chez nous ; oui, nous le serons. Que les peuples nous
laissent oublier que nous l’avons été chez eux, et qu’ils se rappellent ce que peuvent des Français
électrisés par l’enthousiasme, sollicités par des souvenirs, et conduits par N APOLEON.3
1. Arthur Conte, op. cit., p. 237.
2. Cité dans Gustave Vellein, op. cit., p. 38.
3. Lettre de la 19ème division militaire à Napoléon, 14 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP.
~ 47 ~
Ainsi retrouvons-nous le même type d’interaction que celui qui était entretenu entre
Napoléon et le peuple. Bien entendu, toutes les garnisons n’accompagnent pas Bonaparte
jusqu’à Paris : un maillage militaire des territoires est en pleine reconstitution, et c’est sur ce
réseau que l’Empereur doit pouvoir compter, au même titre que l’appui de la population. En
1815, Fleury de Chaboulon s’entretient à Vienne avec Werner et lui explique la
complémentarité du soutien du peuple et de l’armée dans le succès du retour de Napoléon :
S’il n’avait eu pour lui que le suffrage de quelques régimens insubordonnés, aurait-il traversé la France
sans obstacle ? Aurait-il recueilli sur son passage le témoignage unanime de dévouement et d’amour
que firent éclater à l’envi la population entière du Dauphiné, du Lyonnais et de la Bourgogne ?1
Ainsi avons-nous, au cours des deux chapitres de cette deuxième partie, insisté sur la
complexe combinaison de circonstances et de soutiens sur lesquels Napoléon peut compter :
d’une part un soutien fixe des populations locales au fur et à mesure du voyage de Bonaparte
et des siens ; d’autre part un appui mobile de la part des troupes militaires qui viennent
progressivement rejoindre les rangs de moins en moins maigres de l’Empire et qui sont
réorganisées pour à la fois éviter une reconquête et royaliste mais surtout préparer l’avenir des
Cent-Jours qui apparemment – et notre œil contemporain peut le confirmer – placeront de
nouveau l’Armée au centre des projets de l’Empereur. Cette Armée, dans les semaines qui
suivent, continuent de communiquer entre les régiments fidèles et ceux encore hostiles au
retour de Bonaparte. Par exemple, malgré le fort soutien des populations des Alpes, les
militaires basés dans le département du Mont-Blanc sont appelés au rassemblement et à
l’obéissance :
Comme Général, comme votre compatriote, je compte sur vous et vous attends tous à Chambéry.
Présentez-vous à vos Maires, qui vous délivreront des feuilles de route : ceux d’entre vous non encore
inscrits au 7e de ligne, seront dirigés sur les corps qu’ils choisiront.
Qu’un mouvement spontané vous rallie autour du faisceau national, contre lequel échouera toute
tentative étrangère. Par cette conduite, tout retard, toute désobéissance passés seront oubliés, et vous
resterez et serez toujours dignes de notre département, de notre Empereur et de la Patrie.2
De plus, l’annonce des ralliements de certaines troupes est rendue publique afin
d’accélérer le mouvement des autres garnisons encore réticentes. Début avril, certaines
1. Fleury de Chaboulon, Les Cent-Jours : Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du
règne de Napoléon en 1815, Londres, Roworth, 1820, p. 18.
2. Proclamation du Chevalier Songeon, 7e division militaire, département du Mont-Blanc, 26 mars 1815, Arch.
mun. Lyon, cote 936 WP 1871.
~ 48 ~
troupes de la Vallée du Rhône n’ont toujours pas arboré la cocarde tricolore : le ralliement
d’Avignon est donc largement publicisé afin de créer un mouvement global :
Les troupes des Divisions du Midi apprendront avec plaisir que le 10, les Habitans d’Avignon et la
Garnison ont arboré la Cocarde tricolore.
Le 10, le Maréchal Masséna, à Toulon, a fait prendre la Cocarde tricolore et arboré sur la Flotte et les
Forts le Drapeau national ; il a fait tirer cent coups de canon, et fait publier une Proclamation dans
laquelle il exprime les sentimens de tout bon Français pour l’Empereur et la Patrie. 1
*
Cette partie a voulu expliquer par des faits et des mouvements ce qui a souvent été
résumé en une légende, celle d’un Aigle volant de clocher en clocher de la Côte d’Azur à
Paris. Mais la vérité met en lumière les difficultés de progresser tout en faisant le nécessaire
pour garder hors de portée de nuire les opposants et en s’assurant du ralliement de toujours
plus d’habitants et de garnisons. L’image du « clocher », quant à elle, semble particulièrement
erronée car l’Église n’est pas la clé de voûte de ce retour de l’Aigle. Est-ce un premier indice
du tournant libéral que veut opérer Bonaparte ? Son attitude politique et son ambition
impériale semblent en effet être altérées durant ce voyage, et il convient de prendre le temps
de l’analyser.
1. « Ordre du jour » à Lyon le 13 avril 1815, version publiée par le Préfet de l’Isère dans le département le 14
avril 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 7.
~ 49 ~
Partie III
Napoléon repolitisé,
Bonaparte réimpérialisé.
~ 50 ~
Trois néologismes semblent définir le résultat des deux dynamiques que nous avons
expliquées précédemment.
Le premier terme, la « relégitimation » traduit la reconnaissance de Bonaparte par ses
soldats – dans un premier temps lors de la rencontre de Laffrey puis dans les villes de
Grenoble et Lyon – et par la population des territoires traversés.
Le deuxième substantif, la « repolitisation », peut être illustré par la citation de
Napoléon dans ses mémoires de Sainte Hélène : « Avant Grenoble j’étais aventurier. À
Grenoble j’étais Prince ». C’est dans l’attitude même de Bonaparte que les habitudes, les
déclarations et les choix retrouvent un ton politique et une ambition dignes d’une personne
publique.
Enfin, il s’agit d’une réelle « réimpérialisation » pour celui qui jusqu’alors n’était
encore plus que le souverain de l’île d’Elbe. Au-delà du retour dans la sphère politique, c’est
un Aigle que l’on voit revenir sur son trône petit à petit, alors que Paris parait encore éloignée.
Cette troisième et dernière partie est le fruit des deux précédentes : elle mènera une
analyse de l’évolution de l’attitude politicienne de Bonaparte durant cette semaine décisive
puis dressera un état des lieux des enjeux restants pour Napoléon au moment de quitter Lyon
le 13 mars.
~ 51 ~
Chapitre 5
Attitudes politiques d’un Empereur en (re)devenir
« À présent, la partie purement « aventureuse » de son épopée tirait à sa fin. »
Thierry Lentz
à propos de l’arrivée à Lyon de Napoléon1
En l’espace de sept jours, du 7 au 13 mars 1815, la certitude pour Bonaparte d’être en
mesure d’accéder de nouveau au trône se confirme, motivée par l’accueil que lui réservent les
villes qu’il traverse et le ralliement de nombreux régiments militaires. Fort de cette
dynamique, Napoléon retrouve alors une confiance politique que l’exil sur l’île d’Elbe lui
avait confisquée. À l’image des autres grandes mutations de son périple, c’est en particulier
durant cette semaine que l’évolution de son envergure politique se fait la plus patente.
L’hésitation d’un Homme lancé dans une aventure incertaine retrouve dans sa progression à
travers les Alpes une confiance qui lui confère à nouveau une verve impériale. Nonobstant le
fait que cette progression suive bien sûr un enchaînement chronologique, il nous faut pour la
comprendre au mieux la découper en thèmes et en éléments qui peuvent nous éclaircir sur les
caractéristiques de cette mutation.
 Un discours qui retrouve progressivement une tonalité impériale
Si un concept semble illustrer au mieux cet effort incroyable du « Vol de l’Aigle »,
c’est bien la légitimité. Comme l’écrit Emmanuel de Waresquiel, « en mars 1815, la question
de la légalité passe au second plan – puisqu’elle préexiste au retour de l’île d’Elbe – pour
laisser toute sa place à celle de la légitimité »2. Si celle du peuple – comme la deuxième partie
de ce mémoire l’a expliqué – semble acquise au cours du périple, Napoléon doit en retour agir
comme un personnage légitime et légitimé. Ainsi, ses déclarations retranscrivent
progressivement ce retour à la reconnaissance.
1. Thierry Lentz, op. cit., p. 302.
2. Emmanuel de Waresquiel, op. cit., p. 96.
~ 52 ~
En quittant Gap le 6 mars, il est épris d’un premier sentiment de représenter à nouveau
une population enthousiaste. « Vous avez raison de m’appeler Votre Père », dit-il aux
habitants des Hautes-Alpes. La rencontre de Laffrey le lendemain, que nous avons déjà
identifiée comme un moment-clé qui assure le commencement du soutien de l’Armée, est un
premier test à grandeur nature puisque Napoléon compte sur le bon sens de ses anciennes
troupes pour le reconnaître – pas seulement physiquement, mais hiérarchiquement et
symboliquement – comme leur Empereur. Si les récits conservent majoritairement de cet
évènement une forme de bravoure, la réalité politique est probablement plus proche de
l’exercice et de la tentative, car à ce stade rien n’est certain pour celui qui aspire à redevenir
Empereur.
C’est Grenoble et l’accueil triomphal réservé par les Dauphinois qui insufflent auprès
de Bonaparte l’assurance nécessaire pour retrouver son intact lexique impérial. Sa déclaration
aux habitants de l’Isère résonne comme le message d’un Père de la Nation à son peuple. En
leur adressant « Dauphinois ! Vous avez rempli mon attente ! »1, il ne se présente plus comme
un fugitif demandant la modeste aide d’une population, comme il l’avait fait dans les HautesAlpes. À ce moment-là, il avait adressé aux habitants de Gap un message plus empreint
d’émotion que de réel esprit de gouvernance : « J’ai été vivement touché de tous les sentimens
que vous m’avez montrés ; vos vœux seront exaucés. La cause de la Nation triomphera
encore !!! »2. À Grenoble s’exprime un dirigeant qui envers les villes qu’il traverse a des
exigences et des attentes, nécessaires à la réussite de son périple.
Ce sentiment n’est qu’amplifié par les évènements de Lyon. L’Empereur ne fera que
peu de déclarations durant son séjour à Lyon, malgré la dense actualité des journées qu’il
traverse. Son discours d’adieu aux Lyonnais s’affiche en parangon de ce que nous cherchons à
démontrer : en plus d’exprimer une sérieuse reconnaissance envers la ville de Lyon, Napoléon
prend un nouveau rendez-vous avec son peuple en leur adressant : « Dans des momens plus
tranquilles, je reviendrai pour m’occuper de vos besoins, et de la prospérité de vos
Manufactures et de votre Ville ». Cette pénultième phrase précédant le fameux « Lyonnais je
vous aime » est révélatrice de l’attitude de l’Empereur : il se projette dans un futur prospère
1. Napoléon « aux Habitans du Département de l’Isère », 9 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP.
2. Message de Napoléon « aux Habitans des Départemens des Hautes et Basses-Alpes », 6 mars 1815, Arch.
mun. Lyon, cote 936 WP 1826.
~ 53 ~
dans lequel les conflits sont vraisemblablement terminés, laissant à Napoléon le temps de
porter une attention particulière à la ville de Lyon. Cette attention est mise en exergue par la
volonté de revenir à Lyon pour y améliorer la ville et ses manufactures. Non seulement
protecteur, Bonaparte se veut être acteur et dirigeant : ce qui deviendra les Cent-Jours est à
l’époque le projet d’une refonte de l’Empire, d’une amélioration de la France.
Ainsi, il convient avant tout de comprendre que les discours de Napoléon durant cette
semaine, peu nombreux, sont en mesure de traduire une confiance, un sentiment à l’égard
d’une situation dans laquelle rien ne lui est acquis. Mais ces discours ne peuvent être les seuls
indices d’un tempérament plus complexe. Les actes de Bonaparte sont un enjeu essentiel,
aussi bien que les stratégies adoptées pour afficher de nouveau l’autorité que la Restauration
lui a arrachée.
 Être reçu comme un Empereur et agir de la sorte
L’accueil triomphal réservé à Bonaparte s’accompagne de nombreux protocoles qui
rapidement rappellent la position d’Empereur qui est celle de Napoléon. Le passage en revue
des troupes en est le volet militaire, mais de multiples actions d’une même envergure sont
entreprises sur le champ politique. Rencontrer les décideurs locaux – maires, préfets, souspréfets, membres des conseils généraux et municipaux – devient une norme à partir de
Grenoble. Et c’est sans naïveté politique que Napoléon réalise ces visites. Le 9 mars, le Maire
de Rives Jean Accoyer vient saluer l’Empereur traversant le village, mais celui-ci l’interrompt
immédiatement : en effet, le Maire avait adressé en octobre 1814 un long message de
remerciement au Comte d’Artois pour avoir « chassé l’usurpateur »1 . Napoléon veut alors
retisser à travers le territoire la toile impériale que la Restauration avait démontée.
Souvent oubliée, étouffée entre les mastodontes historiques que sont les évènements
de Grenoble et de Lyon, la journée passée à Bourgoin à l’Hôtel du Parc révèle de nombreux
indices quant à la « réimpérialisation » de Bonaparte. Arrivé tardivement dans la nuit du 9 au
10 mars, Napoléon est attendu par la population de Bourgoin et par les propriétaires de
l’Hôtel du Parc, grands admirateurs de l’Empereur 2 . Son accueil est, comme de coutume
1. Gustave Vellein, op. cit., pp. 7 – 8.
2. Ibid, p. 19.
Le propriétaire de l’hôtel avait appelé son fils Napoléon.
~ 54 ~
durant cette semaine, triomphal et chaleureux. Dès son installation dans l’auberge, des
émissaires en provenance de Lyon viennent apporter à Napoléon toutes les informations à
propos de l’évolution de la situation dans la Capitale des Gaules. L’Hôtel du Parc se
transforme alors en véritable Quartier Général dont le Chef est bien entendu Bonaparte. Le
lendemain matin, c’est l’ensemble des personnages officiels des environs qui se présentent à
lui, confirmant encore le statut d’Homme d’État qu’il est en train de regagner, à l’exception
du Maire de Bourgoin, Pamphile de Rozières, qui avait été décoré de la Légion d’Honneur par
le Comte d’Artois lors de son passage à Bourgoin en octobre 1814 1 . Ainsi, le personnel
politique tend petit à petit à se recentrer autour des éternels et réels fidèles de Bonaparte tout
en essayant de mettre à l’écart d’éventuels opportunistes. L’Hôtel du Parc était quartier
général durant la nuit, il est pendant la journée du 10 mars devenu la résidence officielle de
l’Empereur, les Tuileries de l’Isère, une Malmaison entre Grenoble et Lyon.
Les séjours de Napoléon à Grenoble et Lyon sont ainsi dignes de grandes visites
officielles. À Lyon, Napoléon occupe les appartements que le Comte d’Artois venait de fuir et
concrétise ainsi dans les symboles le progressif renversement de la Royauté. On joue au
Théâtres des Célestins une pièce pour l’Empereur. Cet esprit présent dans les villes est resté
dans les mémoires et histoires collectives au même titre que les précédents évènements dans
l’Histoire – par exemple les visites de Napoléon à Lyon au début des années 1800. À
Grenoble, une plaque2 célèbre l’entrée de Napoléon dans la ville le 7 mars 1815. Il en est de
même à Bourgoin qui note le soutien des habitants de la ville : « Arrivé à 3 heures du matin, il
quitta Bourgoin à 3 heures de l’après-midi escorté par des Bergusiens jusqu’à la Grive »3.
Reconnu comme Empereur, Napoléon est de nouveau souverain et son action va dans ce sens
à partir du 7 mars.
1. Gustave Vellein, op. cit., p. 22.
2. Cf. Annexe 3.
3. Roger Martin, Alain Chappet et alii, Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, Paris, SPM, 1993.
~ 55 ~
 Des suppositions aux décisions : les projets politiques de l’Empereur
Un élément illustre parfaitement le tournant politique dans l’attitude de Bonaparte.
Celui-ci est une réelle et intacte utilisation du système politique en lui-même : il s’agit de la
publication de décrets à Grenoble le 9 mars puis à Lyon les 12 et 13 mars. Cette quinzaine de
décrets est une preuve évidente de l’ambition de Bonaparte et de son assurance quant au
succès qu’il rencontrera jusqu’à Paris.
Les premiers décrets qu’il prépare à Grenoble et qu’il publie en quittant la ville le 9
mars visent ouvertement à mettre en place les conditions nécessaires à ses futures actions
législatives. Ainsi, il se charge tout d’abord de destituer les principaux représentants de la
Monarchie dans les départements qu’il a traversés. Ce mouvement est essentiel car jusque-là,
seul le soutien de la population constituait une base légitime pour affirmer que le département
était « acquis ». Napoléon cherche à transformer cette légitimité, si chère à Emmanuel de
Waresquiel et si vitale dans ce périple, en légalité. Le Préfet du département des Hautes-Alpes
est ainsi destitué et celui de l’Isère, Joseph Fourier, suspendu de ses fonctions1. En parallèle
de cette décomposition du pouvoir Bourbon dans les départements alpins du Sud-Est,
Bonaparte prévoit aussi le retour affirmé de l’Empire. Le même jour, il décrète la restauration
de la cocarde aux trois couleurs et annonce que « [l]e Pavillon tricolore sera arboré à la
Maison Commune des villes et sur les clochers des campagnes »2. Et l’Empereur d’ajouter
dans un décret supplémentaire que seul l’Empire sera légitime et légal dans ces départements :
La Justice sera rendue en notre nom dans les départements de l’Isère, des Hautes et Basses-Alpes, du
Mont-Blanc et de la Drôme, à dater du 13 mars.
Tous les actes de notaires et autres judiciaires, de quelque nature qu’ils soient, seront en notre nom, à
dater de la même époque. 3
Enfin, Napoléon réorganise au moyen de deux décrets la Garde nationale dans ces
départements et confirme tous les fonctionnaires militaires et employés de la 7ème division
militaire. Il est ainsi question à Grenoble de forger une base institutionnelle à l’Empire
retrouvé. Il n’est pas question de « grandes décisions » mais celles-ci sont tactiques et
1. Décrets impériaux de Grenoble, 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
2. Ce décret est présent dans les fonds d’archives en deux versions, l’une signée à Grenoble le 9 mars et l’autre à
Lyon le 13. Il semblerait qu’elle trouve sa résonnance dans le Rhône mais il est judicieux de montrer que cette
décision est déjà mûrement réfléchie dans la capitale dauphinoise.
3. Décrets impériaux de Grenoble, 9 mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
~ 56 ~
nécessaires pour créer une véritable consistance dans la foulée de l’accueil triomphal réservé à
l’Empereur.
Les décrets de Lyon sont d’une toute autre envergure. Thierry Lentz met en avant le
tournant opéré dans la Capitale des Gaules et qui met un terme définitif à « l’aventure » des
Alpes :
Pendant les trois jours qu’il passa à Lyon, Napoléon se sentit à nouveau empereur. Il avait certes déjà
pris nombre de décisions à Grenoble, mais elles concernaient les départements qu’il avait traversés
depuis son débarquement : organisation des gardes nationales, nominations, confirmations ou
révocations de fonctionnaires, mesures fiscales et judiciaires. À présent, la partie purement
« aventureuse » de son équipée tirait à sa fin. 1
Les neuf décrets publiés à Lyon ont pour projet de défaire complètement toute autorité
instituée depuis le retour des Bourbons en 1814. L’un d’eux est très général et peut être
présenté comme une nouvelle déclaration du 4 août. Son article premier stipule que « [l]a
Noblesse est abolie, et les Lois de l’Assemblée constituante seront mises en vigueur » avant
d’ajouter dans l’article suivant : « Les titres féodaux sont supprimés, les Lois de nos
Assemblées nationales seront mises en vigueur ». Sophie et Anthelme Troussier commentent
cette nécessaire réaffirmation de l’abolition des privilèges : « il aura fallu l’invasion de la
France, les Prussiens à Paris, Fontainebleau, l’exil, le retour de l’île d’Elbe pour restaurer et
consacrer les droits reconnus par la Révolution à l’Homme et au Citoyen ! » 2 . En effet,
Napoléon désire annoncer son retour comme une seconde révolution, puisque l’on avait laissé
le frère de Louis XVI restaurer l’Ancien Régime. À ce titre, le pillage des biens de la Cour est
de nouveau décrété le même jour : « Le séquestre sera apposé sur tous les biens qui forment
les apanages des Princes de la maison des Bourbons, et sur ceux qu’ils possèdent, à quelque
titre que ce soit ».
Les autres décrets sont de véritables mesures d’épuration des corps administratifs et
militaires : les nominations et décisions prises sous la Première Restauration sont ainsi
annulées. L’exemple de la Garde impériale peut être repris : « Aucun corps étrangers ne sera
admis à la garde du Souverain. La Garde impériale est rétablie dans ses fonctions. Elle ne
pourra être recrutée que parmi les hommes qui ont douze ans de service dans nos armées ».
1. Thierry Lentz, op. cit., p. 302.
2. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 110.
~ 57 ~
Les émigrés sont la première cible de Napoléon : dans un autre décret de Lyon, les Généraux
et Officiers de terre et de mer immigrés sont destitués sur-le-champ. Les nominations de la
Légion d’Honneur, distinction fondée par Bonaparte en personne en 1802, opérées sous le
règne de Louis XVIII sont elles aussi annulées. Au-delà d’une épuration simple des rangs
administratifs et militaires, Napoléon souhaite fortement consolider l’Empire fragile qui est à
sa disposition : il cherche ainsi à combattre l’arbitraire et les mutineries encore fortement
actives dans des régions comme la Provence.
Enfin, au-delà des décisions visant à mettre un terme à la Monarchie Bourbon, un
dernier décret consacre le besoin de renouer avec des institutions fortes, à l’image de l’œuvre
de Bonaparte durant ses années de règne en tant que consul puis Empereur. Après avoir
dissout la Chambre des Pairs et la Chambre des Communes, il convoque pour le mois de mai
1815 une « Assemblée extraordinaire du Champ de Mai » dont le but sera de « prendre les
mesures convenables pour corriger et modifier nos Constitutions, selon l’intérêt et la volonté
de la Nation, en même temps pour assister au couronnement de l’Impératrice notre très-chère
et bien aimée Épouse, et à celui de notre cher et bien aimé Fils ». Ce décret est le point
d’orgue de la frénésie qui constitue l’attitude impériale retrouvée de Bonaparte durant la
semaine du 7 au 13 mars. Confiant dans son voyage car Grenoble et Lyon lui ont accordé leur
concours, Bonaparte redevenu Napoléon peut projeter dans l’avenir sa vision de l’Empire
qu’il désire refonder.
Ceci étant, ces décrets sont juridiquement caducs car les Bourbons sont encore au
pouvoir à Paris et ne reconnaissent évidemment aucun des textes proclamés par Bonaparte. En
même temps que la publication des décrets de Grenoble et de Lyon, des ordonnances royales
continuent d’être promulguées à Paris. Celles-ci se chargent de gérer les affaires courantes –
par exemple « l’organisation de la louveterie » décidée le 20 août 1814 et appliquée le 16
mars 18151 – et seule une parmi elles nommant un nouveau préfet en Isère – en remplacement
de Joseph Fourier qui, comme nous l’avons vu, a rejoint le camp de son ancien Empereur –
semble contrer ce qui se trame dans le Sud-Est. Des ordonnances royales sont publiées
jusqu’au 16 mars 1815.
1. Actes royaux et décrets impériaux, Arch. Nat., cote F 1a 643.
~ 58 ~
En résumé, Napoléon a réussi à regagner en une semaine la posture politique que la
Restauration avait réduite aux limites de l’île d’Elbe. Cela s’est réalisé à travers plusieurs
étapes et préparations, et il faut encore attendre l’arrivée à Paris pour officialiser les réformes
qu’il compte entreprendre pour pouvoir faire revivre son Empire.
~ 59 ~
Chapitre 6
Arriver à Grenoble vagabond, repartir de Lyon Empereur :
atouts et faiblesses de Napoléon au 13 mars 1815
« Mon bon frère, il est inutile de m’envoyer encore des soldats.
J’en ai assez. »
Napoléon à Louis XVIII1
L’unique but de ce mémoire a été de mettre en lumière le rôle primordial d’une seule
semaine au sein d’une épopée bien plus longue. Depuis son arrivée en Isère sept jours
auparavant, Bonaparte a réussi à convaincre populations et régiments que son retour était
légitime, avant de le rendre légal par les décrets qu’il publie. Il a fait face à un pouvoir
impuissant, constamment en repli et qui tente de conserver les soutiens qu’il continue d’avoir
dans d’autres régions de France. En exerçant de nouveau une autorité affirmée, en publiant de
nouveaux décrets à Grenoble et Lyon alors qu’il n’est toujours pas assuré d’arriver à Paris,
Bonaparte veut déjà redevenir Napoléon et semble réussir dans cette entreprise. En quittant
Lyon le 13 mars, il a moult raisons de se sentir confiant mais de nombreuses problématiques
susceptibles de ralentir sa progression ne sont encore pas encore résolues.
 Une situation favorable à l’Empereur
Comme nous l’avons déjà expliqué, Napoléon a acquis en sept jours de nombreux
atouts indispensables pour parvenir à Paris. Ces atouts sont bien entendu techniques,
logistiques et stratégiques : comme cité précédemment, la maigre garnison de l’île d’Elbe a
été rejointe par de nombreux régiments, de Laffrey à Lyon en passant par Grenoble. Le réseau
politique et administratif nécessaire au retour à l’équilibre et à l’ordre public se constitue lui
aussi via le changement de préfets. Le soutien du peuple, lui, connait un mouvement inédit.
Jusqu’à présent, le drapeau tricolore remplaçait celui de la Monarchie là où Bonaparte était de
passage. À Lyon, les nouvelles du triomphe de Napoléon – et la certitude petit à petit
1. Ce message de Bonaparte à Louis XVIII est repris par Dominique de Villepin (op. cit.) qui indique que l’on le
retrouve sur un placard manuscrit affiché dans la capitale.
~ 60 ~
retrouvée que celui-ci sera en mesure de gagner la capitale – sont diffusées bien plus
rapidement vers de nouvelles provinces qui avant-même l’arrivée de l’Empereur se mettent
déjà à chasser la Monarchie restaurée. Ainsi le département de Saône-et-Loire, prochaine
étape du périple de la procession impériale, est déjà prêt à accueillir son souverain retrouvé.
Les villes de Tournus et Mâcon arborent depuis le 12 mars la cocarde tricolore1. Le Préfet du
département publie un message à ses administrés en leur annonçant le retour de l’Aigle et
l’acclamation qui doit être la leur :
La gloire nationale, un moment éclipsée, va briller d'un éclat nouveau. Devant le Héros qui la fit
respecter, la France reprend l'attitude qui lui convient : l'esprit public renait à l'apparition du Génie qui
nous donna des institutions viriles. La rapidité d'un mouvement généreux, l'accord unanime de toutes les
actions (...) décèlent l'irrésistible nécessité qui conduit ces grands événemens. 2
L’on remarque une tonalité différente dans cette déclaration, qui ne souligne pas
seulement le patriotisme et l’amour de la France, mais qui met aussi en lumière la notion
d’esprit public à travers les institutions fondées par Napoléon durant son règne : le message
du préfet fait appel à un esprit de citoyen. L’Empereur n’est pas seulement présenté comme le
sauveur de la France, mais comme celui qui sera capable d’apporter de nouveau un esprit
civique à la société française, quelqu’un qui pourra mener la Nation vers de meilleurs
horizons politiques. Tel est le soutien qui attend Bonaparte en quittant Lyon. L’entreprise
folle menée par ceux que la Monarchie appelait encore avant le 7 mars les « rebelles de
Provence »3 ne semble à présent plus être un projet saugrenu.
 Des défis à surmonter avant d’arriver à Paris
Si nous avons montré avec exactitude que les évolutions nécessaires au retour de
Napoléon prennent place entre Grenoble et Lyon, il est évident que le 13 mars ne peut être
considéré comme le début du nouveau règne de l’Empereur. De multiples résistances se
montent contre Napoléon émergent à ce moment du périple où sa victoire est de plus en plus
possible.
1. Sophie et Anthelme Troussier, op. cit., p. 115.
2. Département de Saône-et-Loire, « Le Préfet à ses administrés », publié le 14 mars 1815, Arch. mun. Lyon,
cote 936 WP 1860.
3. Correspondance entre le Préfet de l’Isère et la Secrétairerie royale, mars 1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 7.
~ 61 ~
À une échelle internationale, la déclaration du Congrès de Vienne que nous avons déjà
évoquée est rendue publique le 13 mars. On peut l’interpréter de deux manières différentes :
la première signification est tout simplement la condamnation du débarquement de Napoléon,
comme la Monarchie Bourbon l’a fait à partir du 7 mars. De cette manière, les puissances
d’Europe expriment leur souhait de voir la progression de Buonaparte ralentie et celui-ci mis
hors d’état de nuire. Mais un paragraphe de cette déclaration doit être regardé attentivement
afin de comprendre le texte de manière plus profonde :
[Les puissances] déclarent en même temps que, fermement résolues de maintenir intact le traité de Paris,
du 30 mai 1814, et les dispositions sanctionnées par le traité et toutes celles qu’elles ont arrêtées ou
qu’elles arrêteront encore pour le compléter et le consolider, elles employeront tous leurs moyens et
réuniront tous leurs efforts pour que la paix générale, objet de tous les vœux de l’Europe, et le but
constant de leurs travaux, ne soit pas troublée de nouveau, et pour la garantir de tout attentat qui
menaceroit de replonger les peuples dans les désordres et les malheurs des révolutions.1
En publiant cette déclaration avec un retard certain, alors que le Congrès a été averti
en même temps que les Tuileries, on peut supposer que les souverains d’Europe prennent en
compte l’éventualité du retour de Bonaparte. Le problème n’est pas de l’empêcher de revenir
à Paris mais de l’empêcher de mener à bien les conquêtes qu’il recommencerait une fois au
pouvoir. Et dans ce cas-ci, ils emploieraient « tous leurs moyens et réuniront tous leurs
efforts » pour combattre l’Empereur. Cette déclaration ne doit donc pas être méprisée par le
caractère très tardif de l’annonce mais doit pouvoir rendre compte d’intentions futures qui
sont celles des Monarchies européennes vis-à-vis de l’Empire français.
En France, l’opposition a pris une tournure toute particulière. Le Maréchal Ney, ancien
fidèle lieutenant de Bonaparte qui a joué un rôle décisif de la bataille de la Moskova, s’est
montré férocement décidé à ramener son ancien Empereur à Paris dans une cage de fer : « Je
fais mon affaire de Bonaparte. (…) Nous allons attaquer la bête fauve »2. Il réunit plusieurs
régiments en Franche-Comté et prévoit d’intercepter Napoléon après Lyon. Malgré cette
détermination, le pouvoir de Paris est déjà effrité. Le Comte d’Artois, censé être l’homme-clé
dans la capture de Buonaparte à Lyon, est rentré à Paris le 12 mars et fuit déjà vers
l’Angleterre 3 . Ce pouvoir incertain mais toutefois encore présent ne laisse pas une carte
1. Déclaration du Congrès de Vienne (copie conforme remise aux Préfets du Bas-Rhin et du Doubs), 13 mars
1815, Arch. dép. Isère, cote 52 M 6.
2. Cité dans Dominique de Villepin, op. cit., p. 161.
3. Gustave Vellein, op. cit., p. 31.
~ 62 ~
blanche à Napoléon qui doit redoubler de précaution au fur et à mesure de son approche de la
capitale.
Enfin, malgré l’évolution très marquée du personnage politique qu’est Bonaparte,
comme le précédent chapitre a tendu à le démontrer, certains aspects de son action ne sont pas
encore développés quand il quitte Lyon. Son projet pour la France n’est pas clair : la refonte
de l’Empire est affirmée, mais son tempérament est incertain : l’homme ambitieux qui a dû
s’incliner à Fontainebleau désire-t-il reconquérir l’Europe ? Veut-il simplement organiser en
France un régime impérial pacifique et équilibré ? Sa « politique », à l’échelle des grands
projets et des visions globales, n’est pas encore claire. Sa vision libérale, censée fédérer les
bourgeoisies urbaines et moderniser la doctrine impériale napoléonienne, n’est toujours pas
retranscrite dans de réels actes : l’ « Empire libéral » comme l’écrit Jean Tulard se fait
attendre1.
Ainsi, une nouvelle page blanche s’offre à Napoléon en quittant Lyon. Ce que ce
chapitre a voulu brièvement mettre en lumière consiste à expliquer que rien n’est évidemment
acquis le 13 mars, malgré les nombreuses progressions acquises depuis sept jours. Il n’est pas
question de réécrire l’Histoire, mais les indices apportés dans cette réflexion mettent en
évidence le fait que le clivage est encore fortement marqué à ce moment du « Vol de l’Aigle »,
et que la Monarchie Bourbon, en organisant une meilleure riposte, aurait pu être en mesure de
contenir la progression qu’elle avait jusqu’alors échoué à ralentir.
1. Jean Tulard, op. cit., p. 431.
~ 63 ~
Conclusion
« Depuis Grenoble, le Prince a chassé l’Aventurier
et l’Empereur retrouvé ses prérogatives »
Dominique de Villepin1
À la fin de son ouvrage dont les limites spatio-temporelles sont celles de ce mémoire,
Gustave Vellein propose une conclusion concise et qui résume ce qui constitue la « suite de
l’histoire » dans l’Histoire de l’Empire et de Napoléon :
Nous ne suivrons pas l’Empereur sur la route de Paris, les évènements de Grenoble et de Lyon l’ont
rétabli sur le trône que Louis XVIII se dispose à lui abandonner, il n’a plus qu’à se présenter. Dans le
trajet qui lui reste à parcourir nous n’aurions qu’à signaler de nouvelles ovations dans toutes les villes
traversées, et à noter les régiments qui abandonnent successivement la cause royale pour venir se ranger
sous les plis du drapeau tricolore. Aucun obstacle ne ralentira ses pas, les Bourbons ne tentent plus de
s’opposer à son avance, et lorsqu’il rentrera aux Tuileries, le 20 mars, porté par une foule en délire,
l’armée aura reconnu le vainqueur d’Austerlitz et d’Iéna pour son chef, et la France l’aura de nouveau
pour souverain durant les Cent jours. Période néfaste qui aboutit au désastre de Waterloo, déchaîna la
seconde invasion, conduisit Napoléon en exil, et ceignit son front de l’auréole du martyre, sur le rocher
de Sainte-Hélène.2
Comme nous le savons, nonobstant les défis encore présents le 13 mars, que nous
avons énoncés précédemment, la suite du « Vol de l’Aigle » est une succession de bonnes
nouvelles et d’heureux évènements pour l’Empire qui mènent au retour au pouvoir de
Napoléon le 21 mars, acclamé aux Tuileries. Le 18 mars, malgré la ferme intention du
Maréchal Ney d’en finir avec la « napoléonade », celui-ci reconnait son Empereur à Auxerre
et redevient le « Brave des Braves ». Cela n’a plus aucune importance pour le pouvoir
Bourbon qui a cessé de prendre des décisions le 16 mars et qui a pris la fuite. Ce scénario de
fin imminente n’avait pas été aussi fort durant la semaine que nous avons analysée dans ce
mémoire. Mais il est certain que, comme ce travail avait l’intention de le démontrer, elle a été
absolument décisive à travers les axes que nous avons analysés.
1. Dominique de Villepin, op. cit., p. 199.
2. Gustave Vellein, op. cit., p. 46.
~ 64 ~
Jamais la Monarchie restaurée n’aurait pu espérer conserver le pouvoir aux Tuileries
en agissant de la sorte. En effet, aveugle à Paris et cachant la vérité à travers la Presse, il
aurait été nécessaire pour les Bourbons de répondre fermement et de lancer une réelle
offensive, pas seulement une succession de déclarations. L’Europe des Monarchies, arrivée
trop tard pendant le « Vol de l’Aigle » prend toutefois rendez-vous avec Napoléon : la
Septième Coalition se forme à ce moment-là et se confrontera à l’Empire de Bonaparte en
France et en Belgique durant les terribles campagnes que nous connaissons.
Le peuple a joué son rôle attendu dans sa dimension massive et populaire : si elle ne
fut pas unie à travers tous les territoires, Bonaparte a traversé les provinces nécessaires pour
recueillir les acclamations forgeant sa nouvelle légitimité, bien plus importante dans un tel
périple que la simple idée de légalité. On parle encore après le 13 mars des évènements de
Grenoble et Lyon. Par exemple, l’accueil positif que les habitants de l’Yonne réservent à
Napoléon sont rapportés de la manière suivante : « les dispositions des Habitans et de tous les
corps militaires sont par-tout les mêmes que celles qui ont éclaté à Grenoble, à Lyon, à
Châlons, et dans toutes les autres Villes et Communes que SA MAJESTE a traversées »1. Les
habitants eux-mêmes sont conscients de leur rôle dans la victoire de l’Empereur. Stendhal
écrit dans Mémoires d’un touriste : « Quinze jours après le séjour de l'Empereur à Grenoble,
cent Grenoblois au moins étaient à Paris, sollicitant et répétant partout que c'étaient eux qui
avaient mis l'Empereur sur le trône ». Cet appui sera rappelé dans les mois suivants quand il
faudra mobiliser davantage de troupes : l’Empire s’adresse à la population lyonnaise comme
celle des évènements du 10 mars sur qui Napoléon peut une nouvelle fois compter.
L’Armée elle aussi a été décisive : elle a montré de Laffrey à Lyon puis une nouvelle
fois à Auxerre autour du Maréchal Ney à quel point son appui était indispensable et
constituait une grande victoire et l’assurance d’une progression plus rapide. Les
correspondances entre régiments et entre soldats s’accélèrent après cette semaine, chacun
tentant d’argumenter les raisons de son soutien. Comme nous le savons, cette accélération est
nécessaire car l’Armée sera rapidement mobilisée physiquement. Mais certains régiments,
notamment au Sud, sont encore hostiles à Bonaparte, même après le 21 mars. Il sera
intéressant à l’avenir de traiter de l’impact de ces oppositions et de la non-homogénéité du
soutien militaire dans la défaite de juin 1815. Notre analyse relative à l’Armée a en tout cas
1. Bulletin officiel, 19 mars 1815, Arch. mun. Lyon, cote 936 WP 1863.
~ 65 ~
ouvert une nouvelle envergure à l’Histoire militaire : celle qui ne comprend aucune violence
mais dont les conséquences sont tout aussi décisives.
Nos deux premières parties ont ainsi expliqué notre troisième : Napoléon a pu dans
cette situation jouir d’une nouvelle légitimité et a pu recommencer à agir en Prince. Ses
déclarations, les Décrets qu’il publie de nouveau sont autant d’attitudes et d’actes qu’il
n’aurait pu avoir à Golfe-Juan, et que les circonstances dans lesquelles il a progressé du 7 au
13 mars ont rendu possibles. Il voit ainsi un avenir clair pour l’Empire qu’il désire refonder,
réorienter afin d’éviter un deuxième désastre. Malheureusement, il n’a pu annoncer avec
clarté, durant la semaine que nous avons étudiée, de quoi serait composé ce nouvel Empire. Il
faudra attendre qu’il soit aux Tuileries pour comprendre l’étendue de ses réformes,
notamment avec les Actes additionnels fin mars.
On peut remarquer que certains acteurs ont avec surprise été absents de ce périple.
L’Église n’a joué aucun rôle dans cette progression, ni néfaste, ni positif : quelques « À bas
les prêtres » sont scandés quand le Comte d’Artois fuit Lyon, mais aucun caractère religieux
n’accompagne le « Vol de l’Aigle », même si Napoléon devait à l’origine « voler de clochers
en clochers » jusqu’à Notre-Dame. Il semblerait que les Mairies et Places publiques eurent
bien plus d’importance et de pouvoir symbolique. La bourgeoisie, que l’on croyait chère et
attachée à Napoléon, n’est pas encore fédérée et plusieurs groupes ne manifestent aucun
soutien particulier à Bonaparte lors de ses passages à Grenoble et Lyon. Ainsi le caractère non
holiste de la victoire se rend visible, et déjà la légende de la victoire totale est estompée.
Les Cent-Jours, c’est-à-dire la suite de cette aventure unique de l’Histoire de France et
d’Europe, ne peuvent être abordés dans ce travail car ils représentent de nombreuses
caractéristiques que la semaine en Isère et dans le Rhône ignore. Passionnants, singuliers, ils
sauront à l’approche de leur bicentenaire susciter de nombreuses nouvelles analyses de la part
des historiens de Bonaparte. Le mémoire qui s’achève à l’instant a eu pour seule priorité de
rappeler la multiplicité des circonstances qui composent ces évènements jugés
« mémorables ». Ils mettent en lumière la singularité inattendue de certaines périodes et
rappellent aux artisans de l’Histoire que le Temps n’est rien s’il n’est pas accompagné
d’autres explications, structurelles et conjoncturelles, locales et globales, politiques et
sociétales ; que les légendes, passionnantes d’un point de vue personnel, cachent souvent des
réalités bien plus complexes, des origines apparemment anodines mais terriblement profondes.
~ 66 ~
Et il appartient à ces Grands Hommes, comme ce mémoire l’a montré et appelle à continuer à
le démontrer, d’en mesurer le poids et d’en prédire les conséquences.
Chaque personne qui lira ces dernières lignes aura sa vision de la « fin » de Bonaparte.
Certains choisiront Waterloo comme défaite dramatique et comme dernier évènement non
seulement des Cent-Jours mais de toute la première ère Bonaparte ; d’autres jugeront que
Sainte-Hélène apporta une fin paisible et romantique à l’ancien Empereur. Certains oseront
encore penser que c’est au milieu de l’Océan Atlantique que la victoire se forgea, à travers les
Mémoires d’un Homme qui perdure et la création d’une légende qui continue, malgré les
moult polémiques qui l’entourent, à provoquer auprès de multiples générations l’attachement
politique et l’intérêt historique.
~ 67 ~
Annexes
Table des Annexes
Annexe 1 : Chronologie des Évènements
69
Annexe 2 : Carte du « Vol de l’Aigle »
71
Annexe 3 : Plaque à Grenoble indiquant l’entrée de Napoléon dans la ville
72
Annexe 4 : Extraits de paroles de chansons célébrant le retour de Napoléon
73
Annexe 5 : Décrets publiés à Lyon le 13 mars 1815
75
Annexe 6 : Programme du Cent-cinquantième anniversaire
du Retour de l’île d’Elbe par la Faculté des Lettres de Grenoble
86
~ 68 ~
Annexe 1 : Chronologie des Évènements
26 février 1815
Napoléon et son millier de soldats quittent l’île d’Elbe.
1er mars 1815
À 5 heures du matin, ils débarquent à Golfe-Juan (actuelle Côte d’Azur).
5 mars 1815
Le pouvoir Bourbon reçoit à Paris la nouvelle du débarquement de Bonaparte et envoie le
Comte d’Artois à Lyon pour arrêter la progression des troupes impériales. À Grenoble, le
Préfet de l’Isère Joseph Fourier publie une déclaration condamnant les évènements de GolfeJuan.
6 mars 1815
À Gap, Napoléon salue l’accueil réservé par les habitants des Basses et Hautes-Alpes.
Mardi 7 mars
Les Lyonnais et Rhodaniens sont avertis de l'arrivée de Napoléon en France. Ils doivent rester
fidèles au Roi.
En Isère, rencontre de Laffrey puis ralliement de troupes militaires. Arrivée triomphale dans la
ville de Grenoble en soirée.
Mercredi 8 mars
Arrivée de troupes royales à Lyon. Elles y resteront jusqu'à nouvel ordre et logeront chez
l'habitant. Le Comte du Roi passe en revue la Garde Nationale place Louis-le-Grand (actuelle
Place Bellecour) dans une ambiance peu enthousiaste. Le peuple grenoblois acclame
Napoléon.
Jeudi 9 mars
Déclaration de Charles-Philippe (Comte d’Artois) aux Lyonnais et aux soldats. Mesures
strictes prises par le Maire de Lyon, le Comte de Fargues.
Napoléon quitte Grenoble après avoir signé de premiers décrets. Traverse Voreppe, Moirans,
Rives où il mange le soir. Arrive dans la nuit à Bourgoin et loge à l’Hôtel du Parc.
Vendredi 10 mars
Arrivée du Général Macdonald. Nouveau passage en revue mais la population attend déjà
l’Empereur aux abords du Pont de la Guillotière. Mutinerie progressive de plusieurs
régiments. À Bourgoin, Bonaparte rencontre de nombreuses personnalités locales. Quitte
Bourgoin à trois heures de l’après-midi. Entre à Lyon triomphalement en début de soirée : les
troupes royalistes et leurs dirigeants ont fui la ville.
~ 69 ~
Samedi 11 mars
Napoléon est acclamé dans les rues de Lyon. Messages étonnamment enthousiastes de la part
du Maire le Comte de Fargues. La ville est illuminée. Passages en revue et réorganisation des
troupes par l’Empereur.
Dimanche 12 mars
Préparation de nouveaux décrets. Le Comte d’Artois arrive à Paris et se prépare à fuir pour
l’Angleterre.
Lundi 13 mars
Napoléon publie neuf décrets et quitte Lyon en laissant une déclaration publique dans laquelle
il remercie chaleureusement la population de Lyon avant de conclure par : « Lyonnais, je vous
aime ». Il arrive à Mâcon en fin de journée : le département de la Saône-et-Loire est déjà
majoritairement acquis à la cause de l’Empire. Condamnation ferme du Congrès de Vienne
par déclaration officielle.
18 mars 1815
Napoléon et Ney se rencontrent à Auxerre et fraternisent. Les Bourbons sont déjà en fuite.
20/21 mars 1815
Napoléon entre avec triomphe dans Paris et revient officiellement et légalement à la tête de la
France en refondant l’Empire.
~ 70 ~
Annexe 2 : Carte du « Vol de l’Aigle »
Dans André Castelot, Napoléon, p. 723.
~ 71 ~
Annexe 3 : Plaque à Grenoble indiquant l’entrée de Napoléon dans la ville
~ 72 ~
Annexe 4 : Extraits de paroles de chansons célébrant le retour de Napoléon
Arch. mun. Lyon, cote I2 14
Bon ! bon ! bon ! Napoléon
Est de retour en France ;
Bon ! bon ! bon ! Napoléon
Rentre dans sa maison.
O ma chère patrie !
Tu revois pour jamais
Cette aigle si chérie,
L’honneur du nom Français
Bon ! bon ! bon ! etc.
Tous ses soldats fidèles
Le voient de très grand cœur,
Ils témoignent leur zèle
A ce Grand Empereur,
Bon ! bon ! bon ! etc.
Héros, dont la présence
Nous fut interceptée,
Viens rendre à notre France
Sa chère liberté.
Bon ! bon ! bon ! etc.
Voyant ta vieille garde,
Jouissons du bonheur
De porter la cocarde,
Si chère à notre cœur.
Bon ! bon ! bon ! etc.
Le printemps nous ramène
L’abeille avec les fleurs,
Le lis flétrit sans peine
Devant les trois couleurs,
Bon ! bon ! bon ! etc.
~ 73 ~
*
O ma patrie !
Relève ton front abattu !
Tu ne seras plus asservie,
Napoléon nous est rendu,
O ma patrie !
Sur sa patrie
Tout digne Français gémissait ;
L’espérance n’est plus ravie,
Le Héros enfin reparaît
Dans sa patrie.
Pour la patrie
Désormais nous serons unis ;
Nous reverrons l’aigle chérie
Foudroyer tous les ennemis
De la patrie.
*
Monsieur d’Artois, comme un Lion
Vole de Paris à Lyon,
Mais l’Aigle troublant ses esprits,
Il court de Lyon à Paris.
Monsieur d’Artois, dans les dangers,
Est un Achille… aux pieds légers.
(Dans Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001, p. 157)
~ 74 ~
Annexe 5 : « Les Neuf Décrets de Lyon », publiés à Lyon le 13 mars 1815
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Le séquestre sera apposé sur tous les biens qui forment les apanages des Princes de la maison
des Bourbons, et sur ceux qu’ils possèdent, à quelque titre que ce soit.
ART. II.
Tous les biens des Émigrés qui appartiennent à la Légion d’Honneur, aux Hospices, aux
Communes, à la Caisse d’amortissement, ou enfin qui faisaient partie du Domaine, sous
quelque dénomination que ce soit, et qui auraient été rendus, depuis le 1er avril 1814, au
détriment de l’intérêt national, seront sur le champ mis sous le séquestre.
Les Préfets et Officiers de l’Enregistrement tiendront la main à l’exécution du présent Décret,
aussitôt qu’ils en auront la connaissance. Faute pour eux de le faire, ils seront responsables
des dommages qui pourraient en résulter pour la Nation.
ART. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de l’exécution du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, BERTRAND.
~ 75 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Considérant que la Chambre des Pairs est composée en partie de personnes qui ont porté les
armes contre la France, et qui ont intérêt au rétablissement des droits féodaux ; à la
destruction de l’égalité entre les différentes classes ; à l’annullation des ventes des Domaines
nationaux, et enfin, à priver le Peuple des droits qu’il a acquis par vingt-cinq ans de combats
contre les ennemis de la gloire nationale.
Considérant que les pouvoirs des Députés du Corps législatif étaient expirés, et que dès-lors la
Chambre des Communes n’a plus aucun caractère national. Qu’une partie de cette Chambre
s’est rendue indigne de la Nation, en adhérant au rétablissement de la noblesse féodale abolie
par les Constitutions acceptées par le Peuple ; en faisant payer par la France des dettes
contractées à l’étranger pour tramer des coalitions et soudoyer des armées contre le Peuple
Français ; en donnant aux Bourbons le titre du Roi légitime, ce qui était déclarer rebelles le
Peuple Français et ses Armées ; proclamer seuls bons Français les émigrés qui ont déchiré
pendant vingt-cinq ans le sein de la Patrie ; et violer tous les droits du Peuple, en consacrant le
principe que la Nation était faite pour le Trône, et non le Trône pour la Nation.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
La Chambre des Pairs est dissoute.
ART. II.
La Chambre des Communes est dissoute. Il est ordonné à chacun des Membres convoqués et
arrivés à Paris depuis le 7 mars dernier, de retourner sans délai dans son domicile.
ART. III.
Les Collèges électoraux des départemens de l’Empire seront réunis à Paris, dans le courant du
mois de Mai prochain en assemblée extraordinaire du Champ de Mai, afin de prendre les
mesures convenables pour corriger et modifier nos Constitutions, selon l’intérêt et la volonté
de la Nation, et en même temps pour assister au couronnement de l’Impératrice notre trèschère et bien aimée Épouse, et à celui de notre cher et bien aimé Fils.
ART. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
~ 76 ~
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 77 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Tous les Émigrés qui n’ont point été rayés, amnistiés, ou éliminés par Nous, ou par les
Gouverneurs qui nous ont précédé, et qui sont rentrés en France depuis le 1er janvier 1814,
sortiront sur-le-champ du territoire de l’Empire.
ART. II.
Les Émigrés, qui après la publication du présent Décret, se trouveraient sur le territoire de
l’Empire, seront arrêtés et jugés conformément aux Lois décrétées par nos Assemblées
nationales, à moins toutefois qu’il ne soit constaté qu’ils n’ont pas eu connaissance du présent
Décret, auquel cas ils seront simplement arrêtés et conduits par la Gendarmerie hors du
territoire.
ART. III.
Le séquestre sera mis sur tous leurs biens, meubles et immeubles. Les Préfets et Officiers de
l’Enregistrement feront exécuter le présent Décret aussitôt qu’ils en auront connaissance, et
faute par eux de le faire, ils seront responsables des dommages qui pourraient en résulter pour
notre Trésor national.
ART. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 78 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Toutes les promotions faites dans la Légion d’Honneur par tout autre Grand-Maître que Nous,
et tous Brevets signés par d’autres personnes que le Comte LACEPEDE, grand Chancelier
inamovible de la Légion, sont nuls et non avenus.
ART. II.
Les changements faits dans la décoration de la Légion d’honneur, non conformes aux statuts
de l’Ordre, sont nuls et non avenus. Chacun des Membres de la Légion reprendra la
décoration telle qu’elle était au Ier avril 1814.
ART. III.
Néanmoins, comme un grand nombre de promotions, quoique faites illégalement, l’ont été en
faveur de personnes qui ont rendu des services réels à la Patrie, leurs titres seront envoyés à la
grande Chancellerie, afin que le rapport nous en soit fait dans le courant d’Avril, et qu’il soit
statué à cet égard avant le 15 mai.
ART. IV.
Les droits politiques dont jouissent les Membres de la Légion d’honneur en vertu des statuts
de création, sont rétablis. En conséquence, tous les Membres de la Légion qui faisaient partie
au Ier avril 1814, des Collèges électoraux de Département et d’Arrondissement, et qui ont été
injustement privés de ce droit, sont rétablis dans leurs fonctions. Tous ceux qui n’étaient point
encore Membres d’un Collège électoral, enverront leurs demandes au grand Chancelier de la
Légion d’honneur, en faisant connaître le Collège auquel ils désirent être attachés. Le grand
Chancelier prendra nos ordres dans le courant d’Avril, et fera expédier les Brevets sans délai,
afin que ceux qui les auront obtenus puissent assister aux Assemblées du Champ de Mai.
ART. V.
Tous les biens qui avaient été affectés à l’ordre de St-Louis, sur la caisse des Invalides,
seront réunis au domaine de la Légion d’honneur.
~ 79 ~
ART. VI.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 80 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Aucun corps étrangers ne sera admis à la garde du Souverain. La Garde impériale est rétablie
dans ses fonctions. Elle ne pourra être recrutée que parmi les hommes qui ont douze ans de
service de nos Armées.
ART. II.
Les Cent Suisses, les Gardes de la Porte, les Gardes Suisses, sous quelque dénomination que
ce soit, sont supprimés. Ils seront renvoyés, à dater de la publication du présent Décret, à
vingt lieues de la Capitale, et à vingt lieues de tous nos Palais Impériaux, jusqu’à ce qu’ils
soient légalement licenciés, et que le sort des Soldats soit assuré.
ART. III.
La Maison Militaire du Roi, telle que les Gardes du corps, les Mousquetaires, les Chevaulégers, etc. est supprimée. Les chevaux, armes, effets d’habillement et d’équipement, seront
mis seront mis sous la responsabilité personnelle des chefs de corps.
ART. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 81 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Instruit que des hommes armés, se disant Gardes Nationales de Marseille, animés du même
esprit de désordre et de violence qui porta, en 1792, des individus de cette Commune à violer
le territoire des Départemens voisins, sont arrivés sur les confins du Dauphiné.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Il est ordonné à tous les individus armés, se disant Gardes Nationales de Marseille, qui sont
entrés dans le Département des Hautes-Alpes, et ont violé les confins du Dauphiné, d’en sortir
sur-le-champ, et de rentrer dans le sein de leurs Communes.
ART. II.
A défaut de se conformer au présent Ordre, il est enjoint aux Commandans des 7e et 8e
divisions militaires de les y contraindre par la force, et à nos Procureurs impériaux de
poursuivre les Commandans et Officiers desdits attroupemens encore fauteurs de guerre civile.
ART. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 82 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Tous les Généraux et Officiers de terre et de mer, dans quelque grade que ce soit, qui ont été
introduits dans nos armées depuis le 1er avril 1814, qui étaient émigrés, ou qui n’ayant pas
émigré ont quitté le service au moment de la première coalition, quand la patrie avait le plus
grand besoin de leurs services, cesseront sur le champ leurs fonctions, quitteront les marques
de leurs grades, et se rendront au lieu de leurs domiciles.
ART. II.
Défenses sont faites au Ministre de la Guerre, aux Inspecteurs aux revues, aux Officiers de la
Trésorerie et autres comptables, de rien payer pour la solde de ces Officiers, sous quelque
prétexte que ce soit, à dater de la publication du présent Décret.
ART. III.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures nécessaires pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, BERTRAND.
~ 83 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
CONSIDERANT que nos Constitutions les Membres de l’Ordre judiciaire sont inamovibles.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
Tous les changemens arbitraires opérés dans nos Cours et Tribunaux inférieurs, sont nuls et
non avenus.
ART. II.
Les Présidens, le Procureur général et les Membres de la Cour de cassation qui ont été
injustement, et, par esprit de réaction, renvoyés de ladite Cour, sont rétablis dans leurs
fonctions.
ART. III.
Les individus qui les ont remplacés sont tenus de cesser sur le champ leurs fonctions.
ART. IV.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé d’assurer la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 84 ~
DECRET IMPERIAL
A Lyon, le 13 mars 1815
NAPOLEON, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire,
Empereur des Français, etc. etc. etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ARTICLE PREMIER
La Noblesse est abolie, et les Lois de l’Assemblée constituante seront mises en vigueur.
ART. II.
Les titres féodaux sont supprimés, les Lois de nos Assemblées nationales seront mises en
vigueur.
ART. III.
Les individus qui ont obtenu de Nous des titres nationaux, comme récompenses nationales, et
dont les Lettres-patentes ont été vérifiées au Conseil du sceau des titres,
continueront à les porter.
ART. IV.
Nous nous réservons de donner des titres aux descendans des hommes qui ont illustré le nom
Français dans les différens siècles, soit dans le commandement des Armées de terre et de mer,
dans les Conseils du Souverain, dans les Administrations civiles et judiciaires, soit enfin dans
les Sciences et Arts et dans le Commerce, conformément à la Loi qui sera promulguée sur
cette matière.
ART. V.
Notre grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée,
est chargé de prendre les mesures pour la publication du présent Décret.
Signé, NAPOLEON
Par l’Empereur :
Le grand Maréchal faisant fonctions de Major général de la grande Armée.
Signé, Comte BERTRAND.
~ 85 ~
Annexe 6 :
Programme du Cent-cinquantième anniversaire du Retour de l’île d’Elbe
Par la Faculté des Lettres de Grenoble
3 – 4 avril 1965
Bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble, cote Vh.6149
Samedi 3 avril
Conférences
Anthelme TROUSSIER : lettre autographe en date du 8 mars 1815
Robert AVEZOU (directeur des Arch. dép. Isère) : l’esprit public dans le département de
l’Isère pendant les Cent-Jours
Fernand RUDE : le réveil de l’esprit révolutionnaire en 1815 dans la région grenobloise et
lyonnaise
Jean TULARD : l’administration de Paris pendant les Cent-Jours
PELLEGRINI : le retour de l’île d’Elbe et la littérature italienne
BOYER : la reprise des œuvres d’art enlevées à l’étranger
GHISALBERTI : le droit public italien pendant la période napoléonienne
Jacques GODECHOT : « Napoléon libéral ? »
Dimanche 4 avril
Matin : itinéraire commenté de Napoléon à travers Grenoble
Après-midi : visite des environs de Laffrey
~ 86 ~
Bibliographie
 Ouvrages généraux d’Histoire européenne, française et/ou napoléonienne
Christopher J. BARTLETT, Peace, War and the European Powers, 1814 – 1914, Londres,
Macmillan, 1996, 202 pages.
David A. BELL, The First Total War: Napoleon’s Europe and the Birth of Warfare As We
Know It, Boston, Houghton Mifflin, 2007, 317 pages.
André CASTELOT, Napoléon, Paris, Perrin, 1968, 979 pages
Arthur CONTE, Soldats de France : Les grandes heures de notre Histoire, Plon, 2001, 490
pages.
François FURET, La Révolution française, Paris, Gallimard, 2007, 1054 pages.
Edward Vose GULICK, Europe’s Classical Balance of Power, New York, Norton, 1955, 325
pages.
Roger MARTIN, Alain CHAPPET, Alain PIGEARD, André ROBE, Répertoire mondial des
souvenirs napoléoniens, Paris, SPM, 1993, 862 pages.
Norman RICH, Great Power Diplomacy, 1814 – 1914, Boston, McGraw-Hill, 1992, 502
pages.
Jean TULARD, Napoléon, ou le Mythe du Sauveur, Fayard, 1977, 457 pages.
 Ouvrages spécialisés sur la période des Cent-Jours, le Rhône et/ou l’Isère
Françoise BAYARD, Histoire de Lyon : Tome 2, du XVIème siècle à nos jours, Roanne,
Horvath, 1990.
Bruno BENOIT, Patrice BÉGHAIN, Gérard CORNELOUP, Bruno THÉVENON,
Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Stéphane Bachès, 2009.
Jacques BERRIAT SAINT-PRIX, Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7 mars 1815,
Grenoble, Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
Gilbert BOUCHARD, Histoire de l’Isère en BD, Tome 5 : De la Révolution à nos jours,
Grenoble, Glénat, 2004, 48 pages.
~ 87 ~
Louis COMBY, Histoire des Dauphinois : des origines à nos jours, Paris, Nathan, 1978, 176
pages.
Paul DREYFUS, Histoire du Dauphiné, Paris, Que Sais-Je ?, Presses Universitaires de France,
1972, 127 pages.
Gabriel FAURE, Pèlerinages dauphinois, Grenoble, J. Rey, 1925.
Félix FLEURY, L’Enjambée Impériale, Grenoble, 1868.
G. LENOTRE, Napoléon : Croquis de l’Épopée, Bernard Grasset, 1932, 254 pages.
Thierry LENTZ, Nouvelle Histoire du Premier Empire ; Tome 4, Les Cent-Jours, Paris,
Fayard, 2010, 599 pages.
Jean PELLETIER, Charles DELFANTE, Atlas historique du Grand Lyon : Formes Urbaines
et Paysage au fil du temps, Saint-Étienne, Seyssinet-Pariset, 2004.
Sophie et Anthelme TROUSSIER de l’Académie delphinale, Napoléon, la Chevauchée
Héroïque du retour de l'île d'Elbe, Grenoble, Allier, 1965.
Gustave VELLEIN, Retour de l'île d'Elbe, de Grenoble à Lyon : Séjour de Napoléon Ier à
Bourgoin le 10 mars 1815, Bourgoin, Paillet, 1925, 45 pages.
Dominique de VILLEPIN, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Paris, Perrin, 2001, 604
pages.
Emmanuel de WARESQUIEL, Cent Jours : la tentation de l'impossible, mars-juillet 1815,
Paris, Fayard, 2008, 687 pages.
~ 88 ~
Sources
 Fonds d’Archives
Archives Nationales
AFV 4-5
Secrétairerie d’État, Secrétairerie des Conseils (Première Restauration)
AFV 6-7
Adhésions au Gouvernement (1814)
F 1a 952
Ordonnances et décrets, Ministère de l'Intérieur (février – 23 mars 1815)
F 1a 953
Ordonnances et décrets, Ministère de l'Intérieur
(21 mars – 7 juillet 1815)
F 1a 415
Documents concernant l’administration départementale et communale
(Indre-et-Loire, Isère, 1789 – 1827)
F 1a * 643
Enregistrement des Actes Royaux et Impériaux (1815)
Archives Départementales de l’Isère
51 M 21
Évènements notables : Les Cent-Jours
52 M 6-7-8
Correspondances du préfet (1815)
3 Z 2-5-15
Sous-Préfecture de La-Tour-du-Pin
4 Z 3-11
Sous-Préfecture de Vienne
2R
Garde Nationale et autres corps spéciaux
Archives Départementales du Rhône
1 M 111-112-120
Administration générale du département : Évènements politiques
(an IX – 1850)
4 M 149
Police, affaires générales, arrêtés de maires du département
4 M 155-156
Police, affaires générales.
4 M 173
Police judiciaire
4 M 237
Police politique
~ 89 ~
Archives municipales de Grenoble
1D3
Délibérations du Conseil Municipal
2D1
Arrêtés du maire de Grenoble
Archives municipales de Lyon
I2 015
Police politique (1815)
3 WP 125
Archives de la Croix-Rousse (1814 – 1815)
4 WP 057
Archives de la Guillotière (1814 – 1815)
936 WP
Affiches
1225 WP
Faits de guerre : invasion de 1814-1815, proclamation de l'état de siège,
rapports sur les événements politiques et militaires, travaux défensifs,
organisation des troupes, hébergement et approvisionnement en vivres et
équipement, dépenses de guerre, levée de contributions extraordinaires (18141815).
 Presse
Le Journal des Débats, 6 – 14 mars 1815
Le Moniteur Universel, 5 – 22 mars 1815
La Quotidienne*
Le Journal Général*
Le Journal de Paris*
*cités dans Jacques Berriat Saint-Prix, Napoléon Ier à Grenoble : Histoire du 7 mars 1815, Grenoble,
Maisonville et Fils et Jourdan, 1861.
 Ouvrages ayant servi de sources
Jacques-Joseph CHAMPOLLION-FIGEAC, Fourier et Napoléon : l’Égypte et les Cent-Jours,
Paris, Firmin-Didot Frères, 1844, 364 pages.
Pierre Alexandre Édouard FLEURY DE CHABOULON, Les Cent-Jours : Mémoires pour
servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815, Londres,
Roworth, 1820.
~ 90 ~

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