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Dialogues 0123 Dimanche 16 - Lundi 17 décembre 2007 15 Le piège Médiatrice Véronique Maurus L a grogne n’est pas nouvelle. « Journaux : ne pouvoir s’en passer mais tonner contre », se gaussait Gustave Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues. Si elle a pris, ces derniers temps, figure de crise aiguë, au point de se traduire sur le terrain par des agressions physiques et dans l’opinion par une défiance tous azimuts, ce n’est pas un hasard malheureux, mais le symptôme d’une vraie faille. Notre dernière chronique, « Tous pourris », appelait les lecteurs à une réflexion sur ce thème. Ils n’ont pas manqué à l’appel. « Vous auriez pu conduire plus loin votre analyse, note Dominique Julia (Paris). (…) Peu importe que les critiques portées soient justifiées ou injustes : le seul constat que vous faites devrait vous inquiéter sur les attentes sans doute contradictoires de votre public et ce que proposent en retour les journalistes. » Avec le secours des lecteurs, tentons donc d’aller « plus loin » et de comprendre, au-delà des critiques ponctuelles, de quoi se nourrit cette crise de légitimité générale, et même « globale », puisqu’elle touche les médias dans le monde entier. Un mot apparaît en filigrane dans les réflexions de nos correspondants : « manipulation ». « Que les médias, tous titres confondus, soient pris pour cible, rien d’étonnant ! Ils ont pris un pouvoir exorbitant, ne se rendant pas compte qu’ils seraient manipulés autant qu’ils manipuleraient eux-mêmes par des infos qu’ils croient très fiables », écrit Véronique Derome, réagissant à notre chronique sur le monde.fr, tandis qu’une autre internaute remarque : « A l’ère de l’info jetable, faute de temps, les journalistes se font souvent manipuler, croyant de bonne foi certaines sources qui les abusent. » « Est-ce que Le Monde fait toujours du journalisme, ou est-ce qu’il se contente de relayer la propagande gouvernementale ? », demande Thierry Nazzi (courriel). « Ci-joint l’aspect du site Web du Monde en ce moment. Ne trouvez-vous pas que vous en faites un peu beaucoup Au courrier des lecteurs Boycott ou dialogue ? Faut-il entretenir des relations avec les dictatures et les régimes autoritaires violant les droits de l’homme ? Serait-il efficace par exemple de boycotter les prochains Jeux olympiques de Pékin ? Faut-il rencontrer les dirigeants iraniens ? Ces questions reviennent régulièrement sur le tapis et méritent vraiment d’être posées. La Chine, la Russie, la Libye, la Birmanie, la Corée du Nord, l’Iran, la liste est malheureusement longue de ces pays dont les dirigeants actuels semblent infréquentables. Renforcer ces dirigeants dans leur isolement, n’est-ce pas les conforter dans leur sentiment de rejet de la communauté internationale, et n’est-ce pas condamner les populations de ces pays à une répression d’autant plus sévère qu’elle demeure inconnue, silencieuse et invisible ? Dialoguer avec eux en revanche, tout en restant intègres et fermes sur ces questions de respect des droits de l’homme, semble bien être la seule façon de pouvoir influer sur leur politique et tenter de les amener graduellement à la raison et à davantage de démocratie. Ce n’est qu’en multipliant à tous les niveaux les échanges avec ces pays et en marquant notre présence économique et culturelle que nous donnerons aux populations opprimées une chance de connaître un jour autre chose que la tyrannie. Et il faut encourager toutes les initiatives permettant de faire connaître largement pour mieux l’appliquer la Déclaration universelle des droits de l’homme. La communication, au sens très large du terme, est peut-être la clé de tous les problèmes humains. Gérard Granville Le Fidelaire (Eure) De la « colonisation » La colonisation, vouée aux gémonies, est vieille comme l’humanité. Rome a colonisé la Gaule (entre autres), les Arabes le Sud méditerranéen, les Ottomans les Balkans, Lundi dans pour Sarkozy ? », interroge de son côté Rémy Mouton (courriel). Un bref comptage justifie l’apostrophe : sur le site du Monde interactif, cette même semaine, Nicolas Sarkozy a été cité 146 fois, soit en moyenne 20 fois par jour, et à tous propos. Dans les pages du quotidien, c’est à peine moins : 105 citations (soit 15 par jour), au sujet, certes, du pouvoir d’achat, des banlieues ou de l’Union européenne, mais aussi, en vrac, de la situation des prisons, du rap français, des tarifs de l’électricité ou de l’assassinat d’une jeune femme dans le RER. « Des relations croisées, enchevêtrées et de dépendance entre le monde du journalisme et celui des affaires (…) aboutissent à faire de l’Elysée et de ses entours la rédaction en chef où s’élabore la ligne éditoriale, c’est-à-dire la “bonne” information, écrit Bernard Duquesnoy (31450, Donneville). La manière de traiter l’information ne semble même plus menacée de censure ou d’autocensure. (…) Désormais, la pratique est plus moderne, plus subtile, plus insidieuse. C’est celle de la complicité active pour certains collaborateurs des propriétaires (…), passive, prudente, voire inquiète, pour d’autres, que j’ose espérer plus nombreux. » « Complicité », le mot est lâché. Il est pour le moins excessif. Car les rédactions sont, pour la plupart, conscientes des pièges de la communication. Simplement, elles peinent à les éviter. Dans « Le Monde 2 » du 24 novembre, Christian Salmon, auteur de Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (La Découverte, 2007), détaillait ainsi les techniques de contrôle des médias mises au point aux EtatsUnis par la Maison Blanche depuis Nixon et, depuis, parfaitement appliquées par George W. Bush comme par Tony Blair ou Nicolas Sarkozy. « Que l’on soit en période électorale ou non, la politique prend la forme d’un festival de narration d’histoires (le storytelling) où la presse joue à la fois l’acteur, le chœur et le public », expliquait-il. L e principe du piège est simple : il s’agit de « contrôler l’agenda », c’est-à-dire d’occuper la scène, sans arrêt, en créant l’« actualité », sans jamais laisser le temps à la presse d’aller au fond, de décrypter, de trouver les failles du message. Ni, bien sûr, de créer elle-même l’événement. La concurrence aidant (celle d’Internet en particulier), le temps est en effet ce qui manque le plus. A peine a-t-on rendu compte que le train des médias est déjà reparti sur un autre sujet. Le président de la République vient d’en faire l’éclatante démonstration. De retour de Chine, jeudi 29 novembre, il donne une interview télévisée. Le lendemain, record de citations dans tous les domaines abordés (banlieues, loyers, 35 heures, EDF, Taïwan). On est à la veille du week-end ; le temps de contacter les spécialistes, les alliés ou les opposants, de se plonger dans les dossiers, d’analyser les propositions, et, le lundi 3 décembre, Sarkozy est déjà à Alger. Impossible d’ignorer cette visite délicate, dans un climat houleux, mais difficile, là encore, d’en tirer le bilan. Le mercredi, le président français est à peine de retour qu’il lance un message, par-delà les frontières, aux ravisseurs d’Ingrid Betancourt, avant d’annoncer, le vendredi, un train de mesures pour les PME, puis de recevoir Khadafi à Paris le lundi suivant. Le boycottage ou l’impasse sont irréalistes. L’échec cuisant de la « journée sans Sarko », qui était censée se dérouler le 30 novembre – le lendemain de l’interview télévisée ! –, l’a prouvé. Le décryptage bute sur les moyens. Séparer l’information vraie de la communication, vérifier, relativiser, approfondir demande non seulement du recul, mais aussi une armée de rédacteurs spécialisés. La plupart des médias ne les ont pas. Et quand bien même, ceux-ci peuvent difficilement rivaliser avec les services du pouvoir, alors que l’opposition ellemême ne dispose plus d’équipes capables de contrer l’argumentation dominante. Contre l’emprise des communicants (en politique mais aussi dans d’autres domaines comme l’entreprise, le sport ou la culture), les recettes traditionnelles, indépendance, honnêteté, rigueur, etc., ne suffisent plus. Les médias américains, face à la guerre en Irak, l’ont montré. Ce n’est pas une excuse, mais cet exemple prouve que la solution miracle n’a été trouvée nulle part. a La conférence sur le climat de Bali par Tom les Russes l’Asie centrale, les Européens toute la terra incognita, les Chinois le Tibet, etc. Que de « repentances » éludées ou encore à venir ! Mais, dans la durée, les colonisés ont-ils toujours été perdants ? Et qu’en eût-il été si l’utopie « de Dunkerque à Tamanrasset » avait pris corps ? Yves Bourdais Toulon (Var) Futur délinquant Le contrôle technique va être renforcé à partir du 1er janvier prochain. Au programme : une extension des points de contrôle à réparation obligatoire. (…) Aussi louable soit-elle, cette mesure va inévitablement engendrer une opération technique plus longue, donc plus onéreuse ; le surcoût sera invariablement à la charge de l’automobiliste, doublement sanctionné si son véhicule est ancien puisque celui-ci, même bien entretenu, risque en effet de ne pas satisfaire aux nouveaux critères en raison de son âge. Je suis dans ce cas de figure. Or, je n’ai pas les moyens d’acquérir une voiture neuve ni un modèle d’occasion récent. Par conséquent, je ne pourrai pas me séparer de mon outil de travail et ce, quel que soit le verdict du contrôle technique (…). D’où ma question : suis-je d’ores et déjà condamné à être un futur délinquant ? Laurent Opsomer Hergnies (Nord) Une lettre de Total A la suite de la publication dans Le Monde du 2 novembre d’un reportage intitulé « Les silences gênés de “Madame Total” en Birmanie », nous avons reçu une lettre de Jean-Jacques Guillebaud, directeur des ressources humaines et de la communication de Total. M. Guillebaud rappelle que Martine Valeix, la directrice de la filiale du groupe pétrolier en Birmanie, a fait valoir auprès de Dessin publié dans le journal « Trouw », Amsterdam. [email protected] notre envoyée spéciale que Total avait créé autour de son site « des écoles, des hôpitaux et pépinières » pour quelque 50 000 habitants ; que la Birmanie « aurait besoin d’une centaine de compagnies comme nous » ; et, enfin, que les sanctions « n’ont pas apporté de solution, qu’elles rendent la vie plus difficile ». « La journaliste, écrit M. Guillebaud, qualifie ces propos “d’argumentaire bien rodé”. Mais son attention aurait pu se consacrer davantage à la réalité concrète de ce discours plutôt qu’à son prétendu “rodage”. Cela aurait été faire la différence entre l’analyse et la rhétorique. Ce n’est pas parce que les faits déplaisent à certains qu’ils cessent de demeurer des faits. Enfin, quand Le Monde cite la directrice de la filiale à propos d’Aung San Suu Kyi (“C’est une femme extraordinaire. (…) Elle n’a pas demandé le retrait de Total de Birmanie”), la succession des deux phrases donne une impression de niaiserie à tout lecteur de bonne foi. Le Prix Nobel de la paix serait “extraordinaire” parce qu’elle ne souhaite pas le retrait de Total, alors que ce sont deux faits sans lien l’un avec l’autre mais perfidement rapprochés. » RECTIFICATIFS Portrait. Contrairement à ce que nous avons écrit dans le portrait de Brice Lalonde (Le Monde du 11 décembre), l’ambassadeur délégué à l’environnement n’est pas Patrick Stéfanini, mais Laurent Stéfanini, diplomate. taire du Chicago Sun-Tribune, mais du Chicago Sun-Times. Roms. Contrairement à ce qu’affirmait l’infographie de la page Focus (Le Monde du 12 décembre), les Roms sont environ 300 au Luxembourg, et non 300 000. Conrad Black. Contrairement à ce que nous avons écrit dans l’article « Magnat de la presse, Conrad Black est condamné à six ans et demi de prison » (Le Monde du 12 décembre), M. Black n’avait pas été proprié- La place de Paris veut séduire la finance islamique. Analyses, reportages et enquêtes. Chaque lundi, dans 0123 daté mardi, rendez-vous avec le supplément « Economie » du Monde. Chabrier. Sur la photo de la représentation de L’Etoile à l’Opéra-Comique (à la « une » du Monde du 15 décembre), Jean-Luc Viala était à droite et Jean-Philippe Lafont à gauche.