Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris
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Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris
CONSEIL SUPRÊME D'ATATÜRK POUR CULTURE, LANGUE ET HISTOIRE P U B L I C A T I O N S DE LA S O C I É T É T U R Q U E D ' H I S T O I R E Serie VII — No. 123 Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris Bayram KODAMAN IMPRIMERIE DE LA S O C I É T É T U R Q U E ^ H I S T O I R E , 1991 CONSEIL SUPRÊME D ' A T A T Ü R K POUR CULTURE, LANGUE ET Hİ P U B L I C A T I O N S DE LA S O C I É T É T U R Q U E D ' H I S T O I R E Sene VII No 123 Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris Bayram KODAMAN I M P R I M E R I E DE LA S O C I É T É T U R Q U E ANKARA 1991 D ' H I S T O I ISBN 975-16-0426-5 TABLE DES MATIERES Pages AVANT PROPOS IX-X INTRODUCTION i A I II III IV LA SITUATION INTÉRIEURE DE L'EMPIRE O T T O MAN (1800-1850) — Les Insurrections — Destruction des Janissaires (le 15 juin 1826) — Les réformes — L'état économique de l'Empire ottoman 1—14 1—3 4—6 6—10 10—14 12 a) Les capitulations b) Le traité de commerce avec l'Angleterre B - LA VIE DE RECHİD PACHA (1800-1858) I — Les premières années de sa vie 12—14 15—21 15 15 16—17 17—21 a) Son enfance et sa formation b) Son entrée dans ses premières fonctions c) Les missions importantes dont il fut chargé jusqu'en 1834 .... II - Rechid Pacha (période de 1834 à 1858) 21 a) Le rôle de Rechid Pacha dans k mouvement d'occidentalisation en Turquie 1 — Aperçu général sur les causes de l'apogée et de la décadence de l'Empire ottoman 2 — Rechid Pacha et le Tanzimat 23—25 25—32 32 b) Application des réformes 1 — Administration locale 2 — Organisation 3 — Organisation judiciaire 23 financière 33 32 32 33 VI LIVRE PREMIER SES PREMIERE ET DEUXIEME AMBASSADES PREMIERE PARTIE LA QUESTION D'ALGERIE ET RECHÎD BEY A - OCCUPATION DE L'ALGERIE PAR LA FRANCE I — La rupture du gouvernement français avec le Dey et la prise d'Alger B - APRES LA PRISE D'ALGER (1830-1834) 37—40 37—4c 41—46 I — Les relations diplomatiques entre la France et l'Empire ottoman II — L'attitude des Puissances a) L'Angleterre b) La Russie, l'Autriche et la Prusse 41—43 44—46 45 C - LA NOMINATION DE RECHID BEY AU POSTE DE LA LEGATION DE PARIS I — Les motifs de cette nomination II — Le voyage de Rechid Bey (d'Istanbul à Paris) 47~55 47—53 53—55 D - RECHID BEY A PARIS 56—73 I — Ses premiers jours II — Préparation de Rechid Bey à ses fonctions diplomatiques III — La déclaration de sa mission et deux entretiens IV — Retour de Rechid Bey à Istanbul 58—63 63—69 69—73 E - UNE TENTATIVE MILITAIRE DE LA PORTE POUR LA SOLUTION DE LA QUESTION D'ALGERIE 74—78 F-DEUXIEME A PARIS 79—87 NOMINATION DE G - LA CHUTE DE CONSTANTINE RECHID 56—58 PACHA 88—92 VII DEUXIEME PARTIE LA QUESTION D'EGYPTE ET RECHID BEY A - VUE GENERALE A LA CRISE D'EGYPTE 93—105 I — Arrivée au pouvoir de Mehmed Ali en Egypte 93 H - Mehmed Ali Pacha (1805 - 1831) 93—97 IH — Les causes de la crise 95—97 IV — Le commencement et le déroulement de la première phase de la crise 97—100 V - Le traité de Hünkâr İskelesi (le 8 juillet 1833) 100—102 VI — Les conduites des Puissances après du traité de Hünkâr İskelesi 102—105 B - RECHID BEY ET LA CRISE D'EGYPTE 106—126 I — L'entretien de Rechid Bey avec Metternich sur la question d'Egypte 108—110 II — Ses activités diplomatiques à Paris sur la question d'Egypte au cours de sa première ambassade 110—126 C - LE ROLE DE RECHID DE LA CRISE D'EGYPTE BEY DANS LA SOLUTION I - Période de 1837 à 1839 H - Période de 1839 à 1841 127—151 127—132 132—151 LIVRE SECOND SES QUATRIEME ET CINQUIEME AMBASSADES TROISIEME PARTIE LE PROBLEME DU LIBAN ET RECHID PACHA A - RECHID PACHA ET LA SOLUTION DU PROBLEME LIBANAIS I — La désignation de Rechid Pacha à Paris 155 !55 — !59 VIII II — Les origines du problème du Liban a) La structure ethnique et religieuse au Liban b) Domination égyptienne 159—161 159—160 160—161 IH — La situation au Liban (après Mehmed Ali Pacha) .... 161—164 IV — Les relations diplomatiques de Rechid Pacha avec le gouvernement français (1841-1842) V — Dernière ambassade de Rechid Pacha a) Cinquième de Rechid Pacha b) Le système nomination de double Kaimakamat au Liban 164—178 179—181 179 179—181 VI — La politique de Rechid Pacha et la mission de Halil Pacha 181—189 VII — Le règlement de Chékib Efendi 189—196 BIBLIOGRAPHIE 197-202 TABLE DES MATIERES V-VIII AVANT PROPOS L'étude que nous avons développée dans le cadre d'un sujet de thèse, comprend les ambassades de Rechid Pacha à Paris et par conséquent ses relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement français sur trois questions essentielles, celles d'Algerie, d'Egypte et du Liban. Nous avons jugé utile de donner quelques indications concernant notre matériel de travail. Il n'existe pas d'ouvrage, soit en turc soit en français, traitant directement des activités de Rechid Pacha pendant ses ambassades en France, excepté deux articles de notre professeur, Cavid Baysun, de l'Université d'Istanbul, que nous avons indiqués dans notre bibliographie. Notre travail se fonde donc sur des documents d'archives. Nous avons consulté les Archives du Ministère français des Affaires Etrangères qui contiennent de nombreux documents concernant l'Empire ottoman. Parmi ces documents on peut citer particulièrement la correspondance et les mémoires des fonctionnaires français en Turquie. Quant aux documents turcs qui nous ont fourni l'essentiel de notre matériel, ils sont conservés dans les dépôts des Archives de la Présidence du Conseil à Istanbul (Başvekâlet Arşivi). Les documents que nous avons dépouillés sont surtout des correspondances de Rechid Pacha envoyées à la Sublime Porte et des ordres impériaux. D'autre part nous avons abondamment utilisé des documents publiés par le Professeur Reşat Kaynar, de l'Université d'Istanbul, qui a recueilli dans son livre intitulé "Mustafa Reşid Paşa ve Tanzimat" non seulement des sources d'archives mais aussi les documents se trouvant dans sa bibliothèque privée, et par Cavid Baysun qui a également publié la plupart des correspondances de Rechid Pacha, en caractères latins, dans les revues "Tarih Vesikaları" et "Tarih Dergisi". Il est naturellement impossible d'élargir le sujet sans consulter des sources turques contemporaines. Parmi celles-ci il faudrait notamment citer les livres d'Ahmed Lutfi: Tarih, de Cevdet Pacha: Tezâkir, de Mustafa Nuri Pacha: Netayicü'l-vukuat, d'Abdurrahman Şeref: Tarih Musahabeleri, de Mehmed Salahaddin: Bir Türk diplomatının evrak-i siyasiyyesi, et d'Ali Fuat dont l'article est publié dans T T E M . X BAYRAM KODAMAN Nous nous sommes efforcés, dans notre travail, de préciser le rôle politique et diplomatique de Rechid Pacha dans les trois questions précitées. Ce qui nous importe ici, c'est l'action personnelle de Rechid Pacha et non les grandes questions dont nous avons fait état. Pour cette raison, on ne trouvera pas dans notre travail une analyse profonde et détaillée de ces questions,mais plutôt un aperçu sommaire afin de situer et de rendre compréhensible notre sujet. Dans notre introduction, nous avons cru utile de donner un aperçu général sur la situation de l'Empire ottoman et de préciser le rôle et l'importance de Rechid Pacha dans les réformes du Tanzimat ainsi que de résumer ce que furent sa vie et son personnage.'Il nous faut faire état de nombreuses difficultés que nous avons rencontrées au cours de notre travail. La plus importante de celles-ci, est que. dans des sujets aussi vastes, le rôle de Rechid que nous traitons reste souvent minime et parfois même insignifiant. Si bien que dans plusieurs cas Rechid Pacha est totalement hors des événements. Notons aussi le fait que les Archives turques étant en voie de classification, de précieux documents ont pu nous éhapper. Par ailleurs ajoutons qu'une partie de la correspondance de Rechid Pacha que nous avons sous la main est chiffrée, donc inaccessible. Toutes ces difficultés nous ont contraint involontairement à des répétitions et à des maladresses dans la rédaction de notre thèse. Nous espérons que le lecteur ne nous tiendra pas rigueur, car, malgré tout, ce travail est le premier traitant des ambassades de Rechid Pacha, et nous avons la certitude d'apporter des éclaircissements sur l'action d'un homme dont la place est très grande dans l'histoire de l'occidentalisation de la Turquie. Nous jugeons enfin un devoir de remercier Monsieur le Professeur Robert Mantran, de l'Université de Provence, pour le choix de ce sujet, ses conseils et son aide toujours répétés. Si ce travail a certains mérites ils reviennent à Monsieur le Professeur Robert Mantran; les imperfections nous appartiennent. BAYRAM KODAMAN INTRODUCTION A - LA SITUATION INTERIEURE DE L'EMPIRE OTTOMAN (1800-1850) Pour expliquer en général la situation de l'Empire ottoman au début du XIX e siècle, nous nous bornerons, dans les pages suivantes, à aborder les événements donnant lieu à un tournant dans la vie politique et sociale de cet empire. Au premier abord nous allons commencer par les insurrections des peuples non musulmans et des Pachas turcs. I. Les insurrections. Au cours de la première partie du XIX e siècle, nous voyons les territoires de l'Empire ottoman, et surtout les Balkans, devenir le centre des révoltes, des mouvements, des agitations et des désordres causant l'affaiblissement, le morcellement et, aussi, à la fin de ce siècle, l'éffondrement de cet immense empire. Les Turcs, installés dans les Balkans, gouvernaient, depuis des siècles, les pays soumis à leur domination sans chercher à exploiter leurs richesses naturelles et, ce qui est plus important, sans chercher à convertir leurs populations à l'islam et les assimiler.Tous ces peuples chrétiens (Bulgares, Grecs, Serbes, Roumains) avaient gardé leur propre langue et la liberté d'exercer leurs cultes et leurs coutumes. En effet, le régime ottoman, dans ces régions, était plus équitable et plus humain. Et, par conséquent, les populations non musulmanes n'avaient point pensé, sous un tel régime juste, à tenter de se révolter contre le Sultan jusqu'au début du XIX e siècle. Les chrétiens, exemptés du service militaire, chose importante alors pour la sécurité de l'Empire, s'occupaient, uniquement pour leurs intérêts, de la vie économique dans laquelle n'intervenait guere le gouvernement ottoman qui n'avait pas d'autre préoccupation que de maintenir l'ordre et la sécurité dans les territoires de son empire. Après la Révolution française de 1789, cette situation changea dans ces pays peuplés par une majorité chrétienne. A savoir, la pénétration des idées libérales et nationales, déjà répandues en Europe, dans la péninsule BAYRAM KODAMAN 2 balkanique éveilla la conscience nationale, le sentiment de liberté et l'espoir d'indépendance chez les diverses nations soumises à l'autorité du Sultan 1 . Au début du XIX e siècle, ces nations, profitant de la situation de l'Empire ottoman qui était en déclin d'une part, et de l'encouragement ainsi que du soutien des Etats européens, principalement de la Russie et de l'Autriche d'autre part, se soulevèrent contre la domination ottomane pour obtenir leur indépendance. Etant donné que l'insurrection de la Serbie aboutit à son autonomie, elle fut un modèle pour les autres nations. C'est la raison pour laquelle nous voulons insister un peu plus sur ce premier exemple. a) Insurrection serbe (1804-1817). Vers la fin du XVIII e siècle, l'affaiblissement de l'autorité du Sultan et la conduite tyrannique des Agas et des janissaires envers la population provoquèrent la détérioration de la situation ainsi que la disparition de la sécurité et de l'ordre en Serbie. Enfin, les Serbes se révoltèrent en 1804, contre les janissaires ayant supprimé leurs dirigeants influents2. Comme on l'a vu, le mouvement insurrectionnel fut dirigé, tout d'abord exclusivement contre ceux qui étaient responsables des désordres et qui refusaient même de se soumettre au Sultan ou bien de respecter son autorité, non contre ce dernier dont la Serbie reconnaissait la suzeraineté3. Plus tard Kara Yorgi (Georges le Noir), grâce au soutien du Tzar et de l'Autriche, se fit déclarer chef des révoltés serbes et constitua, en 1807, une principauté. Enfin, s'appuyant sur un article du Traité de Bucarest, signé en 1812 à la suite de la guerre turco-russe, entre la Sublime Porte et la Russie, Georges le Noir demanda au Sultan de faire des concessions politiques qui signifiaient en fait l'indépendance de la Serbie. Mais le Sultan, rejetant vigoureusement la demande des Serbes, envoya ses troupes et fit envahir le pachalik de Belgrade. Hursit Pacha, devenu par la suite Grand Vizir, commandait les troupes turques. Georges s'enfuit le 21 novembre 1813 en Autriche. La première phase se terminait ainsi en faveur du Sultan. 1 A K C U R A Yusuf, Osmanlı devletinin dağılma devri ( X V I I I - X I X . asırlarda) publica- tions de la Société d'Histoire turque; VIII, no ı; Istabul 1940, p. 16. 2 K A R A L , Enver Ziya, Osmanlı Tarihi, Ankara 1961, t. V ; p.104. 3 M U S T A F A N U R İ P A S A ; Netayicü'l Vukuat, istanbul, 1327; T . IV, p. 68-70. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 3 Bien qu'une délégation ait été envoyée par les Serbes à la conférence de Vienne de 1815, en vue d'obtenir l'intervention des Grandes Puissances en leur faveur, elle se heurta à la ferme opposition du Prince Comte de Metternich, défavorable à un Etat serbe indépendant. Mais en 1815, Miloch Obrénovitch, pensant que le moment était venu, à la suite de nouveaux événements à Belgrade, de profiter de la situation, se mit à la tête des insurgés. Cette fois le Sultan, voulant rétablir l'ordre en Serbie d'une part, et empêcher la Russie de s'immiscer dans cette affaire d'autre part, accepta Miloch Obrénovitch comme chef de la Principauté de Serbie et lui fit certaines concessions importantes. En fin de compte, nous voyons pour la première fois, le Sultan donner à un peuple, révolté contre son autorité, une autonomie politique dont les répercussions se sont faites sentir aussitôt dans les autres pays balkaniques. Précisons qu'il y eut d'autres insurrections encore plus importantes que celle-ci. Mais dans les limites de notre sujet nous nous contenterons d'énumérer les autres révoltes sans insister sur les détails: b) Insurrection de la Grèce (1821-1829)*. Soutenue par les Grandes Puissances, elle se termina parTindépendance de la Grèce(i829). c) RivolU d'Ali Pacha de Tépedélen (1820-1822)5. Ali Pacha de Tépédélen, qui avait tenu en échec, dans le Vilayet de Janina (Yanya) les troupes de la Sublime Porte, fut enfin vaincu et tué en 1822 par Hursid Pacha, Grand vizir. 4 Pour ce sujet Voir: Cevdet Pacha, Tarih, Istanbul, 1309 T . X I I ; Mustafa Nuri Pacha, op. cit.pp. 74-76; Aziz B E R K E R , Mora ihtilali tarihçesi, in Tarih Vesikaları Vol. II No 7-11; K A R A L E.Ziya op cit pp. 107-118; Théophile L A V A L L E E , Histoire de la Turquie, Paris, 1859 pp. 311-330; A K C U R A Yusuf, op. cit. pp. 17-20; R. M A N T R A N , Histoire de la Turquie, Paris, 1961, pp. 91-94. 5 Pour ce sujet Voir: Mustafa Nuri Pacha op cit pp.72-74; Cavit B A Y S U N Tepedelenli Ali Pasa, in Aylik Ansiklopedi no IX pp. 287-289; LA V A L L E E op cit pp 317-318; R. R E M E R A N D , Ali de Tepedelenli, pai ha de Janina, Paris 1926, trad et add par Ali K . A K S U T Istan. 1936. BAYRAM KODAMAN 4 d) Révolte de Méhmet Ali Pacha de Kavala (1831-1841 )6. e) Les événements du Liban (1841-1845)1. II. Destruction des janissaires: (le 15 juin 1826) La destruction des janissaires par le Sultan Mahmut II a eu une grande importance pour l'avenir de l'Empire ottoman. Après avoir rendu au Sultan des services militaires au cours de l'apogée de l'Empire 8 les Janissaires avaient commencé à ne pas respecter l'autorité de l'Etat et par leur insubordination, auraient causé le prochain affaiblissement de cet Empire. Entravant fréquemment l'action de l'autorité souveraine par des révoltes entraînant la destitution et parfois la mort des Sultans9, ils avaient crée un relâchement général dans tous les ressorts du gouvernement ottoman et donné naissance à la plupart des mouvements insurrectionnels des Pachas et des populations contre le Sultan10. L'influence politique des janissaires à Istanbul avait commencé par leur dégénéressence militaire. A partir du moment où on avait permis à tout le monde de se faire inscrire sur le liste de ce corps, les janissaires avaient acquis l'assistance et le soutien de la majorité de la population réactionnaire et fanatique, mais aussi, ils avaient perdu leur valeur militaire et leur discipline. Au début du X I X siècle, les efforts du Sultan Selim III 11 et du Grand Vizir Mustafa Pacha (Bayraktar) en vue de réorganiser le foyer des janissaires, de créer un autre corps militaire d'après les règlements européens et de moderniser ainsi l'armée ottomane, ne donnèrent aucun ré6 Voir notre deuxième chapitre. 7 Voir dernier chapitre. 8 Bien que certains historiens attribuent l'âge d'or de l'Empire ottoman à l'héroïsme des janissaires nous n'admettrons pas leur opinion sur ce sujet. A son apogée, comme on sait, l'Empire avait 15.000 Janissaires qui avaient pour devoir de sauvegarder la sécurité personnelle des Sultans. En vérité, l'armée ottomane était composée de Sipahi's timariots, d'Akindji's, etc. A la fin d u X V I siècle les échecs militaires et l'affaiblissement de l'autorité centrale commencèrent par l'accroissement des janissaires au sein de l'armée ottomane. Voir pour ce sujet: I.Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I , Osmanlı devleti teşkilatından kapıkulu ocakları, Ankara 1943-1944, Voll-II, le même, Osmanlı Tarihi, Ankara 1954. Vol 111/2. 9 Pour les insurrections des janissaires voir: O . Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I Osmanlı T a rihi Vol I-IV. K A R A L cp. cit. Vol V. 10 Le bon Juchereau de Saint DENIS, Histoire de l'Empire ottoman Paris 1844 T o m e IV p . i . 1 1 K A R A L : Selim III hatt-i humayunlan Ank 1942, Edouard D R I A U L , Selim III et Napoléon traduit en Turc par M.Fuat K Ö P R Ü L Ü Istanbul 1331. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 5 sultat positif et en plus suscitèrent une vive réaction parmi les janissaires et même parmi la population musulmane. En 1807, ayant à leur tête Kabakci Mustafa, il se révoltèrent contre les réformes de Selim III, le destituèrent et assassinèrent certains réformateursl2. Mais, Bayraktar Mustafa Pacha, qui était tout dévoué à Selim III s'indignait de voir l'Empire être gouverné par le Şeyhülislam (Grand Mufti) et par l'Aga des janissaires13. Ce pacha dont le but était de libérer Selim III, se mit en marche de Rusçuk sur Istanbul pour supprimer la tyrannie des janissaires. A son arrivée il annonça au nouveau Sultan Mustafa IV, porté au trône par les révoltés, qu'il venait détruire leur influence sur le Sultan. Quelques jours après, il enleva le sceau au Grand Vizir et puis voulut entrer à l'intérieur du sérail pour délivrer l'ex-Sultan. Mais, quand il pénétra dans la salle de réception, il y trouva le cadavre de Selim III étranglé sur l'ordre du Sultan Mustafa IV. Bayraktar ayant pris en main l'initiative du mouvement donna ses ordres: le Sultan Mustafa IV fut jeté en prison et Mahmut II, âgé de 23 ans, proclamé Sultan. Bayraktar, nommé Grand Vizir, reprit de nouveau les plans de réforme tentés par Selim III. Mais les janissaires se révoltèrent encore une fois en 1808, contre lui, et mirent le feu à sa résidence. Bayraktar, qui s'était réfugié dans la réserve à poudre, s'y suicida alors par le feu. Ces derniers triomphes des janissaires entre 1807-1808, avaient accru leur indiscipline. Ne respectant aucun pouvoir, ils commettaient des vols et s'adonnaient à la débauche. Leurs activités mettaient en cause l'existence de l'Empire ottoman et inquiétaient les autorités et les partisans des réformes. Le Sultan Mahmut II, tendrement attaché à la mémoire de Selim III dont il avait adopté les idées de réforme14, cherchait, depuis son avènement en 1808, l'occasion de supprimer les Janissaires indisciplinés et même dangereux pour lui. Mais il n'avait pas dévoilé ses intentions et cachait ses projets de réforme, si bien que personne ne soupçonnait en lui de tels désirs. 12 L A V A L L E E op.cit.pp. 289-29:;; K A R A L op.cit.T.V pp. 77-83. 13 I. Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I Meşhur Rumeli ayanlarından.... 14 juchereau de St DENIS, op. cit. T . I V , p.2 of. K A R A L op. cit. vol. V. p. 142. BAYRAM KODAMAN 6 En 1826 Mahmut II résolut d'agir; il tint avec ses ministres et ses pachas, des conférences où il fut décidé qu'on tirerait de l'Odjak (du foyer) des janissaires les hommes qui, sous le nom d'Akindji (soldat actif), seraient exercés à l'européenne. On gagna les principaux chefs, qui tous s'engagèrent à soutenir la formation d'un nouveau corps militaire.Les Ulémas consultés donnèrent leur consentement et une grande assemblée se tint chez le Şeyhülislam. Selim Pacha, grand vizir, présenta les propositions suivantes: 1) Le corps des janissaires serait supprimé; 2) Chacun des cinquante et un Odas d'Istanbul fournirait 151 hommes aptes au service et qui seraient instruits et entrainés à l'européenne. D'autres propositions concernant la réforme militaire furent adoptées à l'unanimité. Mais comme au temps de Selim III, la nouvelle décision prise par le Sultan et par les membres du Divan, provoqua des plaintes et enfin un soulèvement de la part des Janissaires15. Mahmut II, convaincu que la grande masse du peuple musulman était devenue hostile aux janissaires et que les Ulémas, autrefois leurs protecteurs zélés, blâmaient leurs excès, ordonna résolument aux pachas fidèles la destruction de leur foyer 16 . Ainsi les janissaires devenus nuisibles pour l'Empire et hostiles à toutes réformes, furent supprimés en un jour, dans leur caserne, sur l'ordre du Sultan 17 . En substance, par la destruction de ce corps, la voie était ouverte aux réformes ultérieures. Mais la disparition des janissaires entraînait la nécessité presque immédiate, pour le Sultan, de modifier la plupart des institutions ottomanes. Or l'Empire ottoman, à notre avis, n'était point préparé à une telle tâche dont la réalisation urgente dépend d'un cadre réformateur. İÜ. Les réformes: a) Début des réformes: Durant le XVIII e siècle, la supériorité des états européens et surtout l'agrandissement de la Russie aux dépens de l'Empire ottoman avait fait comprendre à certains hommes d'état et aux sultans la nécessité de réfor15 Mustafa Nuri Pacha, op. cit. IV', p. 76-77. 16 İbid. 17 K A R A L op. cit., T . V , p. 146-147. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 7 mer et de moderniser les institutions ottomanes. Ce fut le commencement d'un mouvement d'occidentalisation18. Ce mouvement se manifesta d'abord par l'introduction de l'imprimerie dans l'Empire en 1729, c'est à dire 289 ans après sa découverte en Europe. Pendant les années 171H-1730 (l'Epoque des Tulipes)un fait nouveau intervint: le début des relations entre les européens et les Turcs (l'énvoi d'ambassadeurs, visites réciproques, etc...)19. Lors du règne d'Ahmet III (1703-1730), nous voyons les dirigeants ottomans préparer les esprits à une réforme militaire. A cette fin, on distribua aux hommes d'état une brochure mettant en relief la supériorité de l'armée autrichienne sur celle de l'Empire ottoman20. Ces tentatives suffirent à susciter le fanatisme populaire et provoquèrent en 1730 une révolte qui eut pour conséquence la chute du Sultan Ahmet III, l'assassinat du Grand Vizir Ibrahim Pacha de Nevşehir, et la suppression totale des réformes effectuées en douze ans, exceptée l'imprimerie. Pourtant l'idée de modernisation continuait à se développer sous les règnes de Mahmut I er (1730-1754), de Mustafa III (1757-1774) et d'Abdulhamid I er (1774-1789). Mais précisons que toutes les réformes faites ou restées sur le papier à l'époque de ces trois sultans, furent limitées au domaine militaire, c'est à dire à la réorganisation du corps des bombardiers, à la fondation des écoles militaires, à l'adoption de la nouvelle tactique sur les champs de bataille, à la formation d'un nouveau corps d'artillerie, à la réorganisation de la fonderie de Tophané et de l'Arsenal 21 . b) Epoque de Sehm III (1789-1807). A l'avènement du Sultan Selim III, nous voyons l'Empire ottoman entreprendre à nouveau les réformes qui avaient été interrompues par les guerres turco-russes( 1768-1775 et 1788-1792). Selim III forma un projet de 18 C e terme appartient à notre professeur Enver Ziya K A R A L . " K A R A L , "Tanzimattan evvel garblılaşma hareketleri"in Tanzimat, p. 20. 20 Faik Resid Unat, "Ahmet III devrinde İslahat takriri" in Tarih vesikaları 1941, vol. 1/2, p.107. Cette brochure rédigée en foıme de dialogue par Esad Mehmet Efendi (chroniqueur)et présentée au Sultan par le Grand Vizir Ibrahim Pacha, prévoyait une profonde réforme dans l'armée et dans l'administration de l'Empire. 21 E . Z . K A R A L , " L a transformation de la Turquie d'un empire oriental en un Etat moderne et national", in Cahiers d'Histoire Mondiale, 1958, IV/2,p.42g. BAYRAM KODAMAN 8 rénovation de l'Empire, sous le nom de Nizam-i Djedid (Ordre nouveau)22. Un officier fiançais écrivait à ce sujet: Au commencement du XIX e siècle, le Sultan(Selim) forma le projet d'abolir les Janissaires, de détruire les prétentions des Ulemas, d'abattre le pouvoir du Mufty(Seyhulislam...) et enfin de régénérer sa nation en la faisant participer aux découvertes des Européens dans le domaine des arts et des sciences, à leurs institutions, à leurs progrès dans l'agriculture, le commerce et la civilisation 23 . Le Nizam-i Djedid apporta d'abord des modifications dans la structure de l'armée, mais encore insuffisantes24. La réorganisation des janissaires ne donna aucun résultat positif. Malgré tout, l'organisation d'une armée de 12000 soldats réussit avec l'aide d'officiers français25. En même temps Selim III releva l'Ecole de Marine et fonda une nouvelle Ecole d'Artillerie. Il fit accepter la langue française comme langue auxiliarie de l'enseignement et fît traduire les ouvrages militaires étranfers26. Et surtout Selim III créa des ambassades permanentes en Europe: à Vienne, à Berlin, à Londres et à Paris27. Il accepta les régies de la politique extérieures de l'Europe, et la diplomatie valable pour cette époque28. Selim III désirait réformer l'Empire ottoman en déclin, non seulement sur le plan militaire et politique mais aussi sur le plan administratif, économique et monétaire29. Mais, après ces innovations, il fut considéré par les janissaires, les Ulemas et la population fanatique comme le destructeur de l'Islam. En 1807 une révolte, contre lui et contre ceux qui voulaient régénérer la Turquie, eut pour résultat la suppression totale des réformes entreprises et prévues30. Plus tard les réformes furent à nouveau 22 Pour les projets concernant le Nizam-i Djé<lid voir: K A R A L , "Nizami Cedit-vol. 11/8, p. 104-111 ; vol. II, p. 342-351; vol. II/12, p.424-432. 23 Juchereau St.DENIS, Révolution à Constantinople. Paris 1822,1. 25 R . M A N T R A N : Histoire de la Turquie (Que sais-je?) Paris 1961 p.84. 25 Ibid. 26 K A R A L "Tanzimattan evvel garblılaşma hareketleri" in Tanzimat, p.26-27. 27 Maurice H E R B E T T E : " U n e ambassade turque sous le Directoire". Paris 1902 Livre consacré à l'envoyé de Selim III, Esseyyid Ali Efendi 28 K A R A L Osmanlı Tarihi, vol. V , p.73. 29 K A R A L Tanzimat p.27. Pour les réformes de Selim III Voir: K A R A L , Selim III ün Hatt-i humayunlan, Ankara 1942; Le même Selim III ve Nizami Cedid Ankara 1946. Pour l'abolition de Nizami cedid, Talat Mümtaz Y a m a n "Nizami-Cedidin lağvına dair" in Tarih Vesikaları T.2 N o 12. 30 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 9 reprises par Bayraktar Mustafa Pacha, Grand Vizir. Mais aussitôt ses tentatives furent entravées par une autre révolte. c) Réformes du Sultan Mahmut II (1808-1839)n. En 1826, une fois débarrassé des Janissaires32 Mahmut II jeta les bases de la nouvelle armée ottomane et fonda une école militaire pour former des officiers, ainsi qu'une Ecole de Médecine. Plus de 30 étudiants turcs furent envoyés en Europe afin d'y étudier. Un bureau fut crée pour traduire non seulement les ouvrages, mais également les lois essentielles des pays européens 33. Mahmut II, en quittant la politique d'isolement et en créant des ambassades permanentes dans les grandes capitales de l'Europe, commence à suivre une politique d'équilibre avec les Etats étrangers. Malgré les crises intérieures et extérieures, le Sultan, encouragé par certains Hommes d'Etat favorables aux réformes et aidé surtout par Réchid Pacha, entreprit la série des réformes suivantes: Militaires: a) Création d'Asakir-i Mansure-i Muhammédiyé (le nom de la nouvelle armée). b) Fondation des Ecoles militaires. c) Adoption de techniques modernes. Administratives: a) Modifications du système de gouvernement en créant des ministères et des conseils pour préparer les projets de lois. b) Réorganisation de l'administration, de la justice et de la police. c) Abandon de certaines coutumes anciennes. Sociales et Culturelles^ a) L e r e c e n s e m e n t , b) Introduction des usages et des modes européens. 3 1 Pour les réformes de Mahmut II Voir: E N G E L H A R D , la Turquie et le T A N Z İ M A T Paris 1880. K A R A L "Ragip Efendinin İslahat layihası, projet de réforme de Ragip Efendi* nin Tarih Vesikaları 1/5 pp. 356-369. 3 2 Voir Page 4: la destruction des Janissaires; à ajouter Caussin de P E R C E V A L , Précis historique de la destruction des Janissaires; à ajouter Caussin de P E R C E V A L , Précis historique de la destruction des Janissaires par le Sultan M a h m u d II en 1826. Paris 1830. 33 K A R A L in Cahiers d'histoires mondiales p. 433. 10 BAYRAM KODAMAN c) Enseignement primaire obligatoire. d) Fondation des Ecoles Civiles. e) Publication du premier journal officiel (Takvim-i Vekayi). f) Adoption de l'usage du passeport. Médicales: a) Application de l'usage de la quarantaine. b) Edification de nouveaux hôpitaux et écoles médicales. c) Distribution de Brochures concernant les questions sanitaires. Economiques: a) Limiter les importations. b) Interdiction d'importer des tissus européens. c) Fondation d'usines textiles. d) Soutien du secteur privé. IV. L'état économique de l'Empire ottoman: L'Empire ottoman qui, aux XVI e et XVII e siècles, était parvenu à l'apogée de sa puissance politique et militaire, vivait alors également dans d'excellentes conditions économiques34. L'industrie et l'agriculture du pays suffisaient aux besoins de l'Empire. Les produits importés comprenaient seulement certains articles de luxe 3 '. D'ailleurs les exportations de l'Empire dépassèrent toujours les importations jusqu'au XIX e siècle. Les produits exportés furent essentiellement des produits manufacturés. Cependant, au XIX e siècle, la situation se mit à changer.Le chiffre des importations dépassa celui des exportations et les produits exportés comprenaient surtout des matières agricoles et des produits alimentaires. La cause essentielle de ce changement fut évidemment la grande révolution industrielle en Europe. Ce mouvement industriel, qui consista en une série 34 Le système économique dû au régime agraire que créèrent les Ottomans, était supérieur à celui qui fut alors appliqué en Europe. Le régime agraire de l'Empire ottoman s'appuyait essentillement sur les principes du Coran et du droit de l'Islam ainsi que sur les traditions des Turcs. Sur ce sujet voir: " O m e r Lutfi B A R K A N , X V ve X V I . asirlarda Osmanlı imparatorluğunda Zirai ekenominin hukuki vr mali esasları, i. kanunlar (les fondements judiciaires et financiers de l'économie agrairr dans l'Empire ottoman aux X V e et X V I e siecles) Istanbul 1943. Le même auteur: "Türk Toprak Hukuku Tarihinde Tanzimat.... (Les réformes dans l'histoire du droit foncier turc...)in Tanzimat, p. 323 - 3 1 1 . 35 "La Turquie contemporaine" publié par la direction générale de la presse au ministère de l'Intérieur. Ankara 1935. p.44. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 19 progressive de découvertes et d'applications de la technique industrielle, acheva l'asservissement économique de la Turquie. Car, alors que le développement du capitalisme commercial et du mercantilisme prenait l'Empire ottoman sous sa domination et que l'accumulation des capitaux commerciaux s'accroissait, le développement du machinisme mettait plus encore cet empire, qui était déjà un marché ouvert, sous la domination du capitalisme industriel de l'Europe. Les produits étrangers entrant en masse et à bon marché eurent vite fait d'épuiser les dernières ressources de l'industrie moyenâgeuse de l'Empire ottoman. En effet après 1830, surtout à la suite de la signature de la convention commerciale de 1838 avec l'Angleterre et plus tard avec les autres pays européens, on voit l'industrie nationale de la Turquie aller à sa perte, les ateliers et les métiers faire faillite. L'importation des produits étrangers augmenta sans cesse d'une manière dangereuse pour l'économie intérieure du pays36.Les commerçants, profitant de la faiblesse de l'Empire et des relations avec les Européens à des fins politiques et commerciales jouaient le rôle d'intermédiaires aux dépens de la Turquie et aidaient à écouler ces produits étrangers sur les marchés intérieurs loin des côtes. En outre les agents, qui s'occupaient de faire fructifier les capitaux étrangers dans l'Empire ottoman, étaient choisis parmi les chrétiens ou bien les populations non turques37. Par contre la population turque, sur laquelle pesait tout le poids d'une souveraineté immense et des guerres continuelles durant la période de 1800 à 1856, perdait de plus ses fonctions dans l'ordre économique du pays. De plus, les insurrections nationales, les révoltes des Agas et des Pachas, les échecs militaires ainsi que les désordres sociaux, ravageaient l'Empire ottoman et le mettaient dans une situation difficile devant Etats européens qui s'étaient chargés depuis de démembrer l'Empire, d'en tirer des avantages politiques et d'en faire un marché ouvert. Ainsi la diminution des revenus, un budjet déficitaire38 et l'accroissement des dépenses militaires furent la cause inéluctable et essentielle de la faiblesse de l'Empire ottoman au cours du XIX e siècle. 36 "La Turquie contemporain»-" publié par la direction générale de la presse au ministère de l'Intérieur. Ankara 1935, p 44 . 37 K A R A L : op. cit. Vol. V, p. 163. 38 Pour la situation financière, voir: Mustafa Nuri Pacha, op. cit., p. 112 à 119; ainsi que BELIN: "Essai sur l'histoire économique de la Turquie" Paris 1865. 12 BAYRAM KODAMAN a) Les capitulations: 39 Au XIX e siècle, qui fut une époque d'asservissement économique pour l'Empire ottoman, les capitulations servirent aux puissants états européens et furent des instruments de pression politique et commerciale contre la Sublime Porte. Ces capitulations originellement un ensemble de privilèges accordés par les Sultans aux étrangers, en ce qui concernait leurs droits de résidence et de commerce dans l'Empire ottoman. Au début les privilèges et les traités n'avaient eu d'autre but que de pourvoir à la sécurité des intérêts des pays étrangers ayant des rapports commerciaux avec la Turquie. La première concession de cette nature fut accordée en 1535 par le Sultan Süleyman le Magnifique à la France. La seconde capitulation eut lieu en faveur du Roi de France Charles IX, sous le régne du Sultan Selim II en 1569. La France en outre obtenait la préférence quant aux relations commerciales de la Turquie avec les pays européens. De plus les vaisseaux de ceux-ci ne pouvaient entrer dans les eaux turques qu'à la condition d'arborer le drapeau français40. La troisième concession fut accordée en 1581 au Roi de France Henri III par le Sultan Murad III. La dernière fut enfin octroyée en 1740 par Mahmut Ier à Louis XV. Par la suite, étant donné que les autres états européens avaient obtenu des Sultans les mêmes droits commerciaux, l'indépendance économique et même politique de la Sublime Porte se trouvait presque annihilée, au XIX e siècle, par cette pesante limitation. Puis l'Empire tout entier tomba au niveau d'une semi colonie au cours de la même époque. Le fait, pour l'Empire ottoman, de ne pouvoir librement disposer ou contrôler ses douanes, fît de lui un marché ouvert aux étrangers. En substance il ne restait plus aux Turcs la moindre chance de développer leur industrie et leur économie nationales. b) Le traité de commerce avec l'Angleterre: (le 16 août 1838—25 cémaziyelewel 1254) Malgré les capitulations, il y avait encore certains points économiques dont se plaignaient les états capitalistes, l'Angleterre en premier lieu. A savoir: 39 Pour ce sujet voir:la collection d'histoire de l'Empire ottoman, publiée par la Socié- té d'Histoire turque; vol. II-VIII. 40 La Turquie contemporaine; op. cit. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 13 1) L'interdiction pour les étrangers au droit de commerce à l'intérieur du pays. 2) L'application de l'usage du YED-IVAHID (monopole). 3) Pour les étrangers l'absence du droit d'acheter et de posséder de la terre dans l'Empire 41 . Le gouvernement anglais, désireux de profiter de la situation politique assez difficile de la Sublime Porte devant l'accroissement du danger présenté par Mehmet Ali Pacha, gouverneur d'Egypte 42 , chargea son ambassadeur à Istanbul, Lord Ponsonby, d'engager des négociations et d'obtenir de la Porte l'abolition du Yed-i vahid sur les marchandises exportées et importées43 et l'admission sans droit d'entrée dans tous les ports ottomans, des marchandises destinées au simple transit à travers les provinces de l'Empire44. Quant à la demande de l'abolition de tous les monopoles, elle paraissait devoir rencontrer une forte opposition de la part du gouvernement ottoman. Mais le Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, Rechid Pacha, crut voir dans cette suppression du Yed-i vahid une arme politique puissante contre le gouverneur d'Egypte 45 . Il pensait qu'à la suite de la signature d'un tel traité de commerce avec l'Angleterre, cette dernière pourrait apporter son soutien total à l'Empire ottoman et obliger Méhmet Ali Pacha à accepter le dit traité dont les conditions causeraient la diminution des ressources de la puissance économique, militaire et politique de l'Egypte46. L'opinion de Rechid Pacha fut approuvée à ce sujet par le Sultan Mahmut II en vue d'acquérir l'aide militaire et politique du gouvernement anglais, pour éliminer Mehmet Ali Pacha qui avait humilié son amour propre et combattu son autorité souveraine47. 41 ismail C E M , Turkiyede geri kalmışlığın tarihi (l'Histoire du sous développement en Turquie) Ankara 1870, p. 176; cf. Doğan A V C I O G L U , Türkiyenin Düzeni (l'Ordre de la Turquie) Ankara 1969. 42 Juchereau: op. cit. V. I. p.432 » 43 Yusuf Kemal T E N G I R Ş E K , Tanzimat devrinde Osmanlı devletinin harici ticaret si- yaseti (La politique économique extérieure de l'Empire ottoman à l'époque du Tanzimat) in Tanzimat, p. 304. 4 4 Juchereau: op. cit. p.434. 45 Ibid. Mais Rechid Pacha ne pouvait pas prévoir les mêmes conséquences destructives de ce traité pour l'économie de l'Empire lui-même. 44 47 T E N G I R S E K , op. cit., p.309. 4 BAYRAM KODAMAN Enfin, le 16 août 1838, à l'issu de longues négociations secrètes entre Rechid Pacha et Bulwer, envoyé spécial anglais, la convention commerciale fut signée à Baltalimani, district d'Istanbul et situé au bord du Bosphore, par ce premier et Lord Ponsonby, ambassadeur anglais. Cette convention devait être mise en vigueur à partir du Ier Mars 1989 dans l'ensemble du pays, y compris dans les territoires égyptiens. Les avantages donnés par la Porte au gouvernement anglais étaient les suivants: 1) La faculté d'acheter librement sur les lieux d'origine et d'exporter du pays tous les articles provenant du sol ou de l'industrie sans autre droit que celue de 9% au point d'embarquement. 2) La conservation du droit d'entrée de 3% sur les marchandises importées dans l'Empire ottoman et destinées à la consommation du pays. 3) La libre circulation des marchandises d'importation à l'intérieur du pays. 4) L'abolition du Yed-i vahid. 5) La conservation de toutes les capitulations et traités existants entre les deux pays48. Il y a bien sûr d'autres articles concernant ce traité en dehors de ceux que nous venons essentiellement de citer. Plus tard les conditions de ce traité, signé entre la Sublime Porte et l'Angleterre, furent accordées, à la France en novembre 1838, à la Sardaigne le 2 septembre 1839, aux pays nordiques le 31 janvier 1840, à l'Espagne le 2 mars 1840, à la Hollande le mars 1840, à la Belgique le 30 avril 1846, à la Prusse le 22 octobre 1840, au Danemark le iCT mars 1841, et à la Toscane le 7 juin 1841. En somme ce traité causa non seulement l'affaiblissement de Mehmet Ali Pacha, comme on l'avait prévu, mais également la ruine de l'Empire ottoman dans les domaines de l'industrie, du commerce et de la finan- 48 İsmail C E M : op. cit., p. 176. 49 Ahmed L Ü T F I , Tarih, vol. V; p. 112; T E N G I R S E K : op. cit., p.289-320. B - LA VIE DE RÉCHID PACHA (1800-1858) I. Les premières années de sa vie. a) Son enfance et sa formation: Rechid Pacha est né à Istanboul, le 13 mars i8oo(le 16 sewal 1214 Hégire)50; il est fils d'un efendi peu fortuné. Son père, Mustafa Efendi, était chargé de l'administration générale des propriétés de la mosquée du Sultan Beyazıt II, c'est à dire était chef comptable (Rûznâmeci)51 de cet Evkaf 52 (fondation pieuse). Cet emploi jouissant d'un privilège particulier, était de droit héréditaire dans sa famille. Cependant à la mort de Mustafa Efendi en 181053, le Sultan Mahmut II en disposa pour l'accorder par faveur à l'un de ses Mabeyincis (chambellan)54. Mustafa Efendi avait appris à son fils, Rechid, à écrire et à lire. Ainsi Rechid Bey reçut sa première éducation et sa formation dans sa famille. Mais, après la mort de son père, il mena une vie très modeste et, en même temps, s'efforça d'achever ses études en suivant les cours de mosqué. 50 A propos de la date de naissante de Reşid Pacha il y a diverses opinions: Mehmet Selahattin, Bir T ü r k diplomatının evrak i siyasiyesi, istanbul 1306, p. 7, donne le 13 mars 1800 (le 16 sewal 1214 H.); dans le même livre l'auteur cite une anacdote sur Rechid Pacha: "...quand on lui avait demandé sa date de naissance, il (Rechid Pacha: "...quand on lui avait demandé sa date de naissance, il (Rechid) avait donné diverses réponses, c'est à dire 1216-15-16. A ceux qui demandaient la cause de la diversité de ses réponses sur son âge, il avait dit: il y a un désir chez tout le monde de se montrer plus jeune et aussi de cacher son âge." Rıfat Efendi (Vurud'ul Hadayik). Cavit B A Y S U N , (Reşit Pasa in Tanzimat, p. 723), et A B D U R R A H M A N Ş E R E F (Tarih Musahabeleri Istanbul 1925, p. 75) sont d'accord sur la même date. Mais les historiens occidentaux, donnent 1802 (1216 H.). Voir: H I P P O L Y T E C A S T I L L E , Rechid Pacha Paris, 1858 p. 18. M . D E S T R I L L E S Confidences sur la Turquie, Paris 1855. M O L I N A R I , Rechid Pacha, Paris 1842. Par contre Abdulhalim M E M D U H (Rechid Pacha, Istanbul 1306), indique 1801 (1215 H). Après avoir comparé ces sources nous approuvons l'exactitude de la date citée par les premiers auteurs. 51 Pour R U Z N A M E C I Voir: M . Z L K İ P A K A L I N , Osmanlı Tarih deyimleri ve Terimler sözlüğü İstanbul Vol III. 52 Z E K İ P A K A L I N op. cit. vol. I article " E v k a f . 53 Cavit B A Y S U N op. cit. in Tanzimat p. 723. 54 Z . P A K A L I N op. cit. vol. II article "Mabeyinci". BAYRAM KODAMAN 6 Malgré tous ses efforts courageux, il ne put parvenir à son but, c'est à-dire terminer ses etudes dans une medressé (école supérieure) et par conséquent il manqua d'une connaissance large et approfondie des langues arabe et persane55. Pourtant Rechid reçut une instruction relativement supérieure, chose rare alors dans l'empire ottoman, mais l'enseignement qu'il pouvait puiser dans la Medressé ne pouvait être qu'incomplet et insuffisant pour un homme qui se destinait aux affaires politiques et administratives. Après 1810 Rechid vécut quelque temps à Istanbul avec sa mère. Il assurait difficilement leur vie et plus tard, comme nous l'avons indiqué cidessus, il fut obligé d'abandonner ses études supérieures.Cette vie modeste de Rechid continua jusqu'à là mort de sa mère dont il avait la charge. b) Son entrée dans ses premières fonctions L'une des soeurs de Rechid avait épousé Seyyid-Ali Pacha d'Isparta 56 . Il trouva facilement, surtout après le décès de sa mère, une protection auprès de son beau-frère qui avait occupé plusieurs postes importants dans l'administration de l'Empire ottoman, tel que le poste de Vali (gouverneur) de Moré et de Brousse, et celui de grand Vizirat en 1821. Ainsi placé sous la protection d'Ali Pacha d'Isparta qui lui octroya le titre de Mühürdar (garde-sceau) Rechid le suivit dans son gouvernement57. Après sa révocation par le Sultan du poste de Grand Vizirat, Seyyid Ali Pacha fut nommé au poste de Séraskerlik (dignité de commandant en chef de l'armée ottomane) de Moré où s'étaient déclenché des mouvements politiques et militaires. Rechid accompagna en 1821 (1237 H.), en qualité de garde-sceau, son beau-frère et prit part, le octobre 1821 à l'expédition militaire contre les rebellions grecques et vit personnellement le désordre et l'incapacité de l'armée ottomane58. Cette défaillance dans la force militaire de l'Empire ottoman n'était pas due aux effectifs de l'armée, mais était bien la conséquence du manque ou de l'absence complète d'argent pour régulariser le traitement des soldats et pour améliorer le ravitaillement de l'armée en campagne. Seyyid Ali Pacha, désirant sortir 55 C . B A Y S U N "Reşid Pachâ" in Tanzimat, p. 724. 56 Homme d'Etat à l'époque de Mahmut II, Ali Pacha d'Isparta est devenu Grand Vizir (1819-1820). 57 U B U C I N I , la Turquie actuelle Paris 1855. 58 Cavit B A Y S U N op. Cit. in Tanzimat p. 724. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 25 de cette impasse envoya Rechid Bey à Istanbul pour demander à la Sublime Porte la solde des troupes59. Rechid réussit à obtenir une somme de 2000 bourses d'aspres et l'apporta à Ali Pacha60. Ainsi donc, depuis son entrée dans la vie de fonctionnaire, la guerre, la politique et l'admininstration lui sont presque familières. C'est sous le ministère d'Ali Pacha, que Rechid commença à s'imposer dans la hiérarchie administrative de l'Empire ottoman. Mais, Seyyid Ali Pacha d'Isparta, malheureux dans ses expéditions contre les grecs révoltés, fut aussitôt destitué du Séraskerlik de Morée, puis exilé à Gelibolu. Après la disgrâce de son beau-frère, Réchid Bey, qui s'était déjà fait remarquer des hommes d'Etat et avait attiré leur attention, vécut peu de temps à Davut pacha (l'un des quartiers d'Istanbul) dans une situation peu brillante61 car ni son père ni sa mère n'avaient laissé d'héritage et lui-même n'avait fait aucune économie au cours de son service afin d'assurer l'avenir de sa propre famille, de plus ses relations parentales avec Ali Pacha furent rompues à la suite de la mort de sa soeur, femme de ce dernier; aussi fut-il obligé, en raison de la diminution de son revenu personnel, de déménager de sa maison un peu luxueuse à Davut pacha,pour un autre quartier d'Istanbul, Ayaz pacha 62 . Malgré tout cela Rechid Bey ne perdit jamais l'espoir d'avoir, un jour, un poste considérable dans l'administration ottomane. C'est pour cette raison qu'il s'efforça toujours d'approfondir sa connaissance dans les affaires d'état, c'est à dire les affaires diplomatiques, politiques et administratives. Pourtant il n'oublia jamais son beau-frère, en exil depuis son échec militaire à Moré, et, en suppliant certains dirigeants influents de la Sublime Porte, il obtint sa libération et son entrée à Istanbul1,3. c) Les missions importantes dont il fut chargéjusqu 'en 1834 Plus tard, au retour d'Ali Pacha, Rechid Bey devint, de nouveau fonctionnaire, par l'intermédiaire de Köse Akif Efendi64, ami d'Ali Pacha, dans l'un des bureaux de la Sublime Porte (Sédaret mektubi kalemi). En59 Les Janissaires recevaient leur traitement tous les trois mois. 60 C E V D E T Tarihi (histoire de Cevdet) Istanbul 1309 Vol. 12. p.30). 61 Yesari M a h m u t (Ali Pachazade) op.tit. B A Y S U N in Tanzimat p.724. 62 Mehmet S E L A H A T T I N op. Cit; p.i 2 63 Ibid p. 12. 64 Ibid p. 12. 8 BAYRAM KODAMAN tre temps, il eut pour ami protecteur le ministre des affaires étrangères (Reis Efendi), Mehmet Said Pertev Pacha 65 . Un goût commun pour la poésie avait amené cette liaison qui fut très utile à Rechid Bey 66 . Le jeune employé écrivait lui-même des vers à ses heures de loisirs. Quelques uns de ses essais furent montrés à Pertev qui devint son maître en politique et en poésie67. Au commencement de la guerre entre la Russie et l'Empire ottoman, qui s'était déclenchée en 1828 et avait pris fin en 1829 par le traité d'Edime (Andrinople), Rechid Bey, avec son ami Nafi Efendi, accompagna, en tant que secrétaire privé, Selim Pacha, alors Grand Vizir, au quartier Général de l'armée turque en campagne contre les Russes et il continua les mêmes fonctions auprès d'Izzet Pacha, successeur de Selim Pacha 68 . Sa présence au Quartier Général de l'armée à Sumnu (ville actuellement en Bulgarie) fut une occasion pour lui de faire connaître au Sultan Mahmut II, ses talents, son intelligence, sa capacité et ses observations exactes sur le déroulement de la guerre et sur la situation des troupes turques. Le Sultan, content de ses explications et du ton facile et net de ses correspondances en provenance de l'armée, demanda à Pertev Pacha le nom du secrétaire privé de l'Etat major de l'armée et lui ordonna d'augmenter ultérieurement le traitement de Rechid Bey et de le nommer au bureau de la correspondance de la Sublime Porte comme rapporteur des pièces officielles que le Grand Vizir envoyait au Sultan69. Grâce à Pertev Efendi, il eut la possibilité d'assister en 1829 aux négociations d'Edirne, en qualité de secrétaire de la délégation ottomane70. Lors de la signature du traité d'Edirne, le 14 septembre 1829 par les représentants des deux parties, on fit des cadeaux à ceux qui assistèrent à la conférence du traité et Rechid Bey reçut alors une montre et une bague en or 71 . A son retour à Istanbul, Rechid Bey fut invité au palais impérial par Mahmut II et celui-ci l'accueillit d'une manière très satisfaisante et lui 65 Pertev Pacha un des grands hommes d'état et un des poètes les plus renommés de l'époque, de l'Empire ottoman. 66 Hippolyte C A S T I L L E op. cit; D E S T R I L L E op. cit. 67 A . U B U C I N I op.ci t. 68 Mehmet S E L A H A T T I N op.cit.p. 12. Archives de la Présidence du Conseil (Istanbul). S. No 179. HH. N o 10 cité par B A Y S U N op.cit.in Tanzimat. 69 70 A H M E D L U T F I , Tarih (Histoire) Istanbul 18731910 Vol II pp. 86-87. 71 M . S E L A H A T T I N op.cit.p. 13. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 19 conseilla de commencer dès maintenant à étudier la langue française72. Le geste du Sultan se révéla positif pour l'avenir de Rechid Bey, notamment comme nous allons le voir de 1834 à 1858. En i83o(i24GH.) nous voyons Réchid Bey accompagner, en qualité de deuxième secrétaire, Pertev Pacha dont la mission officielle était, en se rendant en Egypte, de faire savoir à Mehmet Ali Pacha, vice-roi d'Egypte, la décision du Sultan relative à l'abandon de l'île de Crête à son autorité 73 . Comme nous le savons, au cours des événements de Morée en 1827, le Sultan Mahmut II avait demandé à son gouverneur, Méhmet Ali Pacha, qui était plus puissant que son souverain, de lui apporter une aide militaire afin de pouvoir étouffer la révolte grecque, et avait promis, en cas de succès, de lui offrir le poste de Vali de la presqu'île de Morée.Mais à la suite de l'intervention des Grandes Puissances (Russie, Angleterre et France) en faveur des rebelles grecs, la Morée avait échappée à la domination de l'Empire ottoman. Par conséquent, au lieu de Morée, le Sultan offrit la Crête à Mehmet Ali Pacha. Au cours de son séjour en Egypte et du déroulement des conversations avec Mehmet Ali Pacha, Rechid Bey avait attiré l'attention de celui-ci par ses talents. De même le Gouverneur d'Egypte voulut le retenir er. lui promettant un poste important dans son gouvernement. Mais Rechid préféra regagner Istanbul 4. Après son retour, il fut désigné en 1831 au poste d'Ameddjilik par intérim, alors qù Akif Efendi, Ameddji, était envoyé auprès du Grand Vizir 75 Mehmet Rechid Pacha, qui se trouvait en Albanie pour réprimer les 72 A B D U R A H M A N S E R E F op.cit.pp. 75-76. 73 Ali Fuat, Mısır Valisi M é h m é t Ali Pasa. in T . T . E . M . 1928 No. 19(96) p. 74; M . S E - L A H A T T I N op.cit.p.13. 74 Selon le récit Ibn ul E . M a h m u t Kemal, cité par B A Y S U N in T a n z i m a t p. 725: Lorsque Réchid Bey raconta l'offre de M e h m e t Ali Pasa à Pertev Pacha, son protecteur, celui-ci répondit: "Si vous restez auprès de M é h m e t Ali Pacha, vous auriez en réalité une possibilité de promotion, mais, si vous retournez à Istanbul, vous pourrez avoir un poste important et supérieur dont l'autorité vous permettrait en cas de besoin de destituer les gouverneurs d'Egypte". Ultérieurement, devenu Grand Vizir, Rechid Pacha s'était rappelé les paroles de Pertev Pacha. Et "C'est le point de vue et la clairvoyance de son Exellence, (Pertev)" disait-il. 75Ameddji: Appelation d'un fonctionnaire de l'administration centrale de l'Empire ottoman qui, avant le Tanzimat, dépendait direc tement du Réis'ul Küt-tab (Ministre des affaires étrangères). A m e d d j i copiait des rapports écrits par ce dernier, rédigeait aussi des pièces BAYRAM KODAMAN 20 révoltes. Et puis, il fut titularisé au même poste, c'est-à-dire qu'il devint Ameddji au début de juin 183276. La nomination de Rechid à ce poste renforça sa personnalité auprès des Hommes d'Etat et du Sultan. Il commença, en dehors de ses affaires à s'occuper des relations entre la Sublime Porte et les Ambassades Etrangères77, à communiquer les orders du Sultan au Grand Vizir alors que ce dernier se trouvait hors d'Istanbul78. Après la bataille de Konya, le 21 décembre i832(i248H), entre les troupes ottomanes et égyptiennes, Rechid Bey se rendit, une dernière fois, en Egypte, avec Halil Rifat Pacha 79 . Il faut souligner que sa dernière visite à Alexandrie avait suscité l'hostilité de Méhmet Ali Pacha. Dorénavant, il allait tâcher de soumettre celui-ci à l'autorité du Sultan et, le cas échéant de supprimer le danger qu'il représentait; Ce fut, jusqu'en 1841, l'une des préoccupations principales de Rechid Bey 80 . Après que la proposition du Sultan eut été rejeté par le gouvernement d'Egypte, Rechid retourna à Istanbul à bord d'un bâteau français81. Au lendemain de son arrivée il fut choisi, à l'issue de la réunion du Conseil des Ministres (Divan), pour aller, conjointement avec le Baron de Varennes, chargé d'affaires français à Istanbul, débattre les conditions de l'armistice entre le Sultan et Ibrahim Pacha, fils du gouverneur d'Egypte et vainqueur à Konya 82 . Rechid Bey, qui cillait assumer cette fois une lourde responsabilité, quitta Istanbul, le 9 Zilkade 1248 (le 20 mars 1833) pour rejoindre Ibrahim Pacha à Kütahya 83 . Suivant les instructions données par la Sublime Porte, il réussit à convaincre Ibrahim Pacha de renoncer à ses revendications sur les régions de Mersin et d'Alanya M .Par contre Ibrahim se montra de moindre importance et d'une façon générale faisait fonction de secrétaire du Reis'ul Kuttab. En outre il assistait à toutes les conférences du Réis avec les ambassadeurs étrangers et rédigeait les procés-verbaux des entretiens. Voir: Tayyib Gökbilgin, Article "Ameddji" Encyclopédie de l'Islam, i960. T.I p-44576 Rifat Efendi op.cit; Mehmet Sélahattin op.cit.p. 13. 77 B A Y S U N op.cit.in Tanzimat p;725_ 78 LUTFI op.cit.vol IV pp. 18-19. 79 ALI F U A T op.cit.in T T E M p.85. 80 E . B . S A P O L Y O . op.cit.p.20. 81 C . B A Y S U N in Tanzimat p.726. 82 UBICINI op.cit; H . C A S T I L L E p. 18. 83 Lutfi op.cit.Vol IV p.28. 84 Pour les instructions données à Rechid Bey Voır/LUTFI.. Vol IV pp 187 _ MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 21 intransigeant pour le district d'Adana 85 . Rechid Bey enfin abandonna Adana à condition qu'îbrahim n'enlève que le tribut et retire ses troupes au-delà du Taurus. O n signa ensuite au mois de Mai 1833 la convention de Kütahya 86 . Lorsque Rechid Bey retourna à Istanbul il vit Mahmut II s'irriter contre lui à propos de l'abandon du district d'Adana. Bien que le Sultan eût ordonné sa condamation à mort, Rechid en réchappa grâce à l'intervention d'Ali Riza Efendi, Ministre ce l'Hôtel de la Monnaie (Darphane Nazırı)87. II. Rechid Pacha (Période de 1834à 1858) En 1834, la nomination officelle de Rechid Pacha, au titre d'envoyé extraordinaire à la légation de Paris, fut, pour lui, le commencement de sa carrière diplomatique et le premier pas dans la vie politique intérieure et extérieure de l'Empire ottoman. Dorénavant ayant trouvé pour lui la meilleure possibilité de devenir le seul homme dans les tentatives réformatrices concernant la réorganisation de l'Empire ottoman, Rechid Pacha dirigea plusieurs postes clefs et réussit à s'attribuer, à raison, l'honneur de toutes les réformes effectuées entre 1839 et 1858 dans le pays.Pour bien connaître, sans entrer dans les détails, la place de Rechid Pacha dans les affaires politiques, économiques, diplomatiques, sociales et enfin administratives de son époque, nous avons trouvé utile de faire une liste chronologique des postes qu'il occupa en vingt deux ans dans l'administration centrale du gouvernement ottoman. 1934 1835 Juin Mars !935 Juillet 1836 Le 13 Septembre (1 Cemaziyulewel 1252H) Envoyé extraordinaire à Paris. Ambassadeur à Paris 85 Ali Fuat in T . T . E . M . pp. 95-96. Dans cet article il y a trois lettres de Rechid Bey envoyées de Kütahya à la Sublime Porte dont les dates sont les suivantes: i)Zilkadé 1248—Mars 1833 2)Le Zilkadé 1248— Le 13 avril 1833. 3) le 28 Zilkadé 1248— 18 avril •Ö33- 86 Pour le traité de Kütahya Voir: Ş. Altundağ op. cit. p. 65. 87 L U T F I o p . C Î T . V O L . IV p.28. 22 BAYRAM KODAMAN 1837 Le 13 Setembre Le 13 Juillet (Le 9 Rebiulahir 1253H) Ambassadeur à Londres promu Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères. 1837 Le 13 Juillet avec le rang de Pacha. Ministre des Affaires Etrangères 1838 Août Envoyé extraordinaire à Londres. 1839 Le 3 Septembre 1841 Le 31 Mars (Le 7 Safer 1257. H.) Le 16 Juillet Le 17 Décembre (le 4 Zilkade 1258H.) De nouveau Ministre des Affaires Etrangères 1843 1845 Le 14 Octobre (le 14 teşrin I) Le 24 Octobre (le 22 Şevval 1261. H.) Ambassadeur à Paris. 1845 1846 Le 24 Octobre Le 28 Septembre (Le 7 Sewal 1262) 1836 1841 1842 De nouveau Ambassadeur à Paris. Ministre des Affaires Etrangères 1846 1848 Le 28 Septembre Le 28 Avril Grand Vizir (I). 1848 1852 Le 13 Août Le 27 Janvier Grand Vizir (II). 1852 1852 Le 4 Mars Le 5 Août Grand Vizir (III). 1853 1854 Le 15 Mai (6 Şaban 1269) Le 24 Octobre Ministre des Affaires Etrangères. 1854 Le 25 Octobre Le 4 Mai (16 Şevval 1271) Grand Vizir. (IV). Grand Vizir. (V). 1857 Le i cr November (3 R. E 1273) Le 2 Août (10 Zihlicre 1273) '857 Le 23 Octobre (4R. E. 1274) Grand Vizir. (VI). 1855 1856 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1858 Le 7 Janvier (22 Cemaziyelevvel 1274). 1858 Le 7 Janvier 23 SA M O R T 8 8 . Les postes occupés par Rechid Pacha, à l'époque du Tanzimat, énumérés ci-dessus, indiquent qu'il était incontestablement le principal auteur de toutes les réformes réalisées et l'homme responsable de l'orientation de la politique de l'Empire ottoman entre 1839 et 1858. a) Le role de Rechid Pacha dans le mouvement d'occidentalisation en Turquie 1) Aperçu général sur les causes de l'apogée et la décadence de l'Empire otto- man. Nous croyons utile de donner ici un aperçu général d'une part sur les causes de la supériorité, du recul et de la décadence de l'Empire ottoman et d'autre part celles des tentatives de réformes à travers la période du XVII e au X I X e siècle. Au cours de la dislocation de l'Empire seljukide, la Principauté d'Osman fut fondée, vers 129g en Anatolie occidentale et plus tard demeura seule en éliminant les autres principautés anatoliennes (beylik) et devint le seul rival redoutable de l'Empire byzantin. Après la prise de Constantinople (Istanbul), les sultans ottomans se considérant même comme les successeurs des basileus et des empereurs romains, poussèrent leurs conquêtes vers l'Europe centrale et dans le bassin de la Méditerranée. Ainsi l'état ottoman devint un grand empire, possédant de vastes territoires qu'avaient occupés les civilisations antiques. Il pouvait donc être considéré, au point de vue géographique, comme une puissance européenne. Comme dans les états fondés avant l'Empire ottoman, celui-ci était, après la conquête des lieux saints (Mekke, Médine, l'Egypte, Jérusalem, 88 Pour la vie politique de Rechid Pacha à consulter: B A Y S U N Reşit Paşa in Aylık Ansiklopedi 1945 N o 9. B A Y S U N op cit in Tanzimat p. 723-746. B.E. Sapolyo. Reşit Paşa ve Tanzimat devn tarihi 1946 K A Y N A R Reşid Paşa ve Tanzimat 1954. E . K U R A N Reşid Paşa in islam Ansiklopedisi T.9. 24 BAYRAM KODAMAN ete) une oeuvre divine dont la loi essentielle (le Coran) constituait le fondement d'un système idéal de gouvernement. Les Turc ottomans donnèrent à cet empire des institutions basées sur le droit du Coran. Voici la forme que prirent avec le temps, les institutions basées sur ce fondement et sur les traditions conformes à ce fondement: Forme de l'état Constitution Droit Education Société Morale Califat, le chériat le fikih (droit islamique) Medressé (enseignement surtout religieux) Vie réglée selon 1rs préceptes de la religion. Crainte de Dieu. D'autre part l'Islam est une grande famille internationale: tous les croyants, sans distinction de couleur, de race et de langue, sont considérés comme des frères; une communauté de sentiments et de croyances les rapproche et les invite à s'aimer. Cette conception d'égalité et d'unité permit aux Turcs ottomans de gouverner d'une manière parfaite ce grand empire jusqu'à la fin du XVI e siècle. Ainsi, d'après cette conception, les institutions ottomanes qui étaient perfectionnées et développées, acquirent une certaine supériorité par rapport à celles des Européens, surtout dans les domaines suivants: discipline, justice, respect de la propriété et liberté de conscience. Notons que ces institutions de caractères prétendûment religieux, embrassaient tout à la fois la politique, le droit, la culture et l'idéologie. C'est pourquoi l'Etat devint, aux yeux des Musulmans, un état idéal, étemel, supérieur à toutes les autres formes d'état et à toutes les cultures que les autres états représentaient. Cette conception d'état, sur laquelle la raison critique n'avait pas de prise, fit de l'Empire ottoman un cercle cultural fermé, un état isolé du monde européen, où les intellectuels occidentaux povaient créer une philosophie fondée en raison et pouvaient critiquer les institutions de l'état, ce qui n'était pas possible dans les pays musulmans. Malgré cela, les institutions ottomanes répondaient parfaitement aux besoins de l'Empire du XIV e au XVI e siède au cours desquel l'Europe vivait encore une époque fanatique et féodale. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 25 Pourtant la grandeur et la supériorité des Ottomans ne durèrent pas longtemps. Dés la fin du XVI e siècle l'affaiblissement des institutions devint visible. Puis avec le XVIP siècle c'est la décadence qui commença. Elle se manifesta par l'anarchie qui régnait dans l'administration et par le recul devant les armées des Etats européens.-Pour n'en citer qu'une, nous rappelons la grande défaite de Vienne en 1683-. La cause de cette décadence était, pour les oulémas, la diminution du zèle religieux; pour certains hommes d'état, le relâchement des institutions. Or ni l'une ni l'autre de ces causes ne pouvait expliquer la crise de l'Empire. Il fallait en chercher d'autres. En effet l'Europe subissait alors des changements profonds qui l'affectaient jusque dans ses fondements, par suite de grands événements que furent les grandes découvertes géographiques, l'Humanisme, la Renaissance et la Réforme. Au contraire en Turquie, personne ne paraissait sentir ni même soupçonner le moindre changement. Le dogme de la supériorité de l'Empire ottoman sur l'Europe y était intact: ce fut la cause principale de la décadence, puisqu'il empêchait les Ottomans de participer aux progrés réalisés par l'Occident. Pourtant nous voyons certains hommes d'état clairvoyants effectuer des réformes au cours des XVIP et XVIII e siècles: les tentatives par exemple, de Murad IV, Koçi Bey, la famille Kôprûlû, Ibrahim Pacha de Nevşehir, Mahmut I, Ragib Pacha, Halil Hamit Pacha, etc... Mais le résultat obtenu n'était pas tout à fait satisfaisant. Au début du XIX e siècle, la pression économique et politique de l'Occident, poussèrent les hommes d'état ottomans à penser que les Européens étaient, dans presque tous les domaines, supérieurs aux Ottomans. C'est ainsi que la modernisation était devenue, selon eux, une question vitale pour l'existence de l'Empire. Par la suite Selim III et Mahmut II tentèrent, malgré l'opposition des fanatiques, de moderniser l'Empire par des réformes relativement profondes par rapport aux précédentes. 2) Rechid Pacha et le Tanzimat. Avant d'étudier les ambassades de Rechid Pacha, le sujet de notre thèse, nous avons cru utile d'indiquer le rôle qu'il joua, la place qu'il occupa dans l'histoire des réformes en Turquie. En effet sans connaitre bien Rechid Pacha, en qui devait se personnifier les réformes (le Tanzimat) entre 1839 et 1856, il est impossible sinon dificile de comprendre et d'expliquer les facteurs, le but et le caractère du Tanzimat qui est considéré 36 BAYRAM KODAMAN comme le fondement de tous les mouvements de modernisation dans l'Empire ottoman, à la fin du XIX e siècle et au début de notre siècle. Ce n'est pas par hasard que Rechid Pacha s'efforça de détruire la barricade de fanatisme qui séparait la Turquie de l'Occident et de faire entrer la Turquie dans la sphère de la civilisation occidentale par des réformes relativement radicales et par conséquent fut un grand réformateur. Il appartenait avant tout à la nouvelle génération attachée à l'esprit du Nizam-i Djédid (ordre nouveau), et partisan convaincu des réformes pour la fortification de l'Empire ottoman condamné à périr depuis un siècle et demi. De ce fait, il ne se tenait pas à l'écart des mouvements visant la régénération de l'Empire par l'imitation des institutions européennes. De même, après sa nomination au secrétariat du Divan, ses idées progressistes lui facilitaient ses contacts avec les hommes d'état éclairés, son entrée sous la protection de Pertev Pacha qui était alors chef de file des réformateurs dans le gouvernement du Sultan, ainsi que l'entretien des relations avec les représentants étrangers (ambassadeurs chargés d'affaires, les Drogmans, les fonctionnaires). Ainsi, il trouvait l'occasion de voir de prés le fonctionnement de l'appareil d'état et la faiblesse des institutions ottomanes; ainsi que l'occasion de connaitre la politique des Grandes Puissances. Surtout au cours de la crise d'Orient, il témoignait la suprématie militaire, politique et économique de Méhmet Ali Pacha sur l'Empire ottoman, ainsi que l'insuffisance de la politique d'isolation suivie par la Sublime Porte. Il attribua dés lors, la puissance de Méhmet Ali aux réformes réalisées par celui-ci avec l'aide du gouvernement français en Egypte. Après les plus dures épreuves de la première phase de la crise d'Orient (la menace égyptienne, le traité de Hunkar Iskelessi qui donnait au Tsar le droit d'intervenir dans l'Empire en cas de troubles, le désintéressement des gouvernements européens devant l'influence russe à Istanbul et la progression de Mehmet Ali Pacha en Asie Mineure), le Sultan Mahmut II, conscient de la gravité de la situation politique, mit fin à la politique d'isolement. Il décida d'entretenir des relations diplomatiques avec les états européens sur le principe de la réciprocité, en instituant des ambassades permanentes dans les grandes capitales européennes89. 89 Bien que Selim III ait envoyé des ambassadeurs permanents dans les principales Capitales européennes pendant son règne ce système avait été négligé à la suite de la révolte des Janissaires. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 27 Conformément à cette nouvelle politique, Rechid Pacha fut envoyé en 1834 en Europe. Il représenta la Turquie à Paris puis à Londres. En dehors des instructions diplomatiques et politiques, il reçut l'ordre d'apprendre la langue et les sciences modernes des pays où il était envoyé, également d'étudier les institutions, les systèmes de gouvernement et les usages de la diplomatie des Puissances et enfin d'éclairer le gouvernement ottoman sur les progrés de l'Europe. Au cours de son séjour à Paris et à Londres, Rechid Pacha trouva l'occasion d'approfondir sa connaissance sur la civilisation européenne et d'étudier de près les systèmes de gouvernement ainsi que la politique extérieure des Puissances.En raison de ses contacts avec les milieux libéraux et les hommes d'état français et anglais, il subit l'influence de leurs idées et connut d'autre part leur opinion sur l'état actuel de l'Empire et sur les réformes de Mahmut II. En fin de compte, Rechid Pacha, éclairé déjà par l'expérience de la crise égyptienne, comprit que sans l'aide de l'Europe, l'Empire ottoman ne pouvait sauvegarder son existence. Il allait donc jouer un rôle très important dans la modernisation de son pays. A son retour, devenu, le 28 janvier 1837, ministre des affaires étrangères, Rechid Pacha, après avoir expliqué au Sultan ses idees ainsi que les suggestions des Hommes d'Etat français et anglais, surtout celles de Lord Palmerston et de Thiers, réussit à le convaincre qu'il fallait faire admettre la Turquie dans le concert des Etats européens et la faire entrer dans la civilisation occidentale. Le jeune ministre avait, en effet, pleine conscience des périls qui menaçaient l'Empire. Il faisait comprendre surtout, à Mahmut II qu'il y avait urgence à rassurer l'Europe et à gagner sa confiance. C'est ainsi que Mahmut II entreprit une série de réformes dans les domaines politique, social et juridique, suivant les idées de Rechid Pacha. Il modifia le système de gouvernement en créant des ministères et des conseils pour préparer les projets de Lois90. Il réorganisa l'Administration, la justice, la police et les services sanitaires. Il introduisit dans le pays les coutumes et usages de l'Occident. Il abandonna le costume ori- 90 Sur les conseils de Rechid Pacha, Mahmut II changea les noms des ministères: Sedaret (Başvekalet)— Présidence du Conseil. Reissul Kuttap (Hariciye Nezareti) — Ministère des Affaires Etrangères. Vezirk thudaligi (Mulkiyé, puis Dahiliyé Nezarèti) — Ministère de l'Intérieur. Deftarlik ( M A L İ Y E Nezareti;—Ministère des finances. Il forma deux conseils: l'un pour les affaires administratives. l'Autre pour les affaires judiciaires. 28 BAYRAM KODAMAN entai. Habillé à l'éuropéenne, il fit des voyages d'inspection dans son Empire. Il construisit des routes et des usines. Il supprima la confiscation des biens. Pour rendre la confiance à ses sujets chrétiens, il fit la déclaration suivante: "Nos intentions sont que les mulsumans ne soient considérés comme tels que dans les mosquéss, et que selon le même point de vue, les chrétiens ne soient chrétiens que dans les églises, que les Israélites ne soient israélites que dans les synagogues. Je veux que hors de ces lieux, où tous rendent également hommage à leur divinité, ils jouissent uniformément des mêmes droits politiques et de ma protection paternelle". De son côté, Rechid Pacha, soutenu par le Sultan, commença aussi par s'attaquer résolument aux abus les plus invétérés de l'administration, notamment à la vénalité des fonctionnaires et au dépouillement de la population par ces derniers. Il fit admettre au gouvernement l'usage du traitement pour tous les fonctionnaires en vue d'empêcher le pot de vin (Ruchvet). Il s'efforça de former des employés intègres, il introduisit dans l'Empire le système de la quarantaine. Il décréta dans le journal officiel (Takvimi Vakayi) daté du 7 août 1838 l'interdiction de corvée et de confiscation, le prélèvement des impôts selon les revenus de chacun. Il signa un traité de commerce avec l'Angleterre, et developpa le système des services postaux. Malgré les efforts et les bonnes intentions de Rechid Pacha et de Mahmut II, la plupart des tentatives de réforme échouèrent devant l'opposition des milieux conservateurs, en particulier, les Ulémas qui s'efforçaient d'annuler les effets de ces réformes. Pourtant nous pouvons considérer ces réformes, quelques soient leurs résultats, comme une évolution de la mentalité et de la prise de conscience chez les ottomans. Pendant son ambassade extraordinaire à Londres, en 1838, après la signature du traité de commerce avec l'Angleterre, Rechid Pacha était convaincu, une fois de plus, que malgré les réformes précédentes, la Turquie n'avait pas cessé d'être considérée en Europe comme un pays barbare, et que pour la faire admettre dans le concert des Etats Civilisés, il fallait gagner l'opinion publique européenne par quelques démonstrations éclatantes91 En 1839, l'avènement d'Abdulmecid, lui en fournit l'occasion. Cette démonstration, c'est le Hatt-i Humâyun de Gulhane. 9 1 ChaJlemel Lacour, Les hommes d'Etat de la Turquie..., La revue des deux mondes, le 15 février 1868, p. 837. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 29 A son retour de l'Ambassade de Londres, après avoir persuadé le Sultan Abdulmecid (1839-1861) de la nécessité de continuer dans la voie des réformes dont les principes généraux avaient été prévus par son père Mahmut II, pour assurer le soutien et la confiance des Etats occidentaux d'une part et pour empêcher l'ambition politique de la Russie dans les Balkans d'autre part, Rechid Pacha, promulga le 3 novembre 1839, le Hatt-i Chérif de Giilhané dont il élabora le texte. Cet Hatt-i Chérif comportait principalement: 1) Des garanties assurant aux sujets une parfaite sécurité pour leur vie, leur honneur et leur fortune. 2) Un système régulier d'établissement et de perception des impôts. 3) Une réglementation du mode de recrutement des soldats et de la durée de leur service. Pour l'honneur, la fortune et la vie: "Tant qu'un jugement régulier ne sera pas intervenu, personne ne pourra secrètement ou publiquement faire périr quelqu'un par le poison ou tout autre moyen; chacun possédera des propriétés de nature et en disposera avec la plus entière liberté;les héritiers innocents d'un criminel ne seront point privés de leurs droits légaux et les biens du criminel ne seront point confisqués. Ces concessions impériales s'étendent à tous nos sujets, de quelque religion ou secte qu'ils puissent être, et ils en jouiront tous sans exception." Pour les impôts: Quoique l'Empire soit délivré depuis quelque temps du fléau des monopoles, un usage funeste subsiste: celui des concessions vénales, connues sous le nom d'iltizam. Dans ce système, l'administration civile et financière d'une localité est livrée à l'arbitraire d'un seul homme il est nécessaire que désormais chaque membre de la société ottomane soit taxé pour une quotité d'impôt déterminée selon son revenu et que rien au delà ne puisse être exigé de lui...." Pour l'armée: "Il est devenu nécessaire d'établir des lois pour régler les contingents que devra fournir chaque localité et pour réduire à quatre ou cinq ans le temps du Service. Car, c'est à la fois faire une chose injuste et porter un coup mortel à l'agriculture et à l'industrie que de prendre, sans égard à 38 BAYRAM KODAMAN la population respective des lieux, dans l'un plus, dans l'autre moins d'hommes, qu'ils n'en peuvent fournir, de même que c'est réduire les soldats au desespoir et contribuera la dépopulation du pays que les retenir toute la vie au service*. Pour Us autres points: a) "...comme ils doivent être réglés par le concours d'opinions éclairées, notre conseil de justice (Meclis-i Ahkam-i Adliyé), augmenté de nouveaux membres autant qu'il sera nécessaire, auquel se réuniront...nos ministres et les notables de l'Empire, s'assemblera à l'effet d'établir des lois réglementaires.... Chacun, dans ces assemblées, exposera librement ses idées et donnera son avis. b) " qui violerait (les principes du Hatt-chérif) subira, sans qu'on ait égard au rang et au crédit de la personne, la peine correspondante à sa faute, bien constatée. Un code pénal sera rédigé à cet effet. c) Comme tous les fonctionnaires.... reçoivent....un traitement convenable et qu'on régularisera les appointements de ceux dont les fonctions ne seraient pas suffisamment rétribuées, une loi rigoureuse sera porté contre le trafic de la faveur et des charges (Rüchvet), que la loi divine réprouve et qui est une des principales causes de la décadence de l'Empire. D'autre part le Sultan Abdulmécid prescrivit que désormais tous ses sujets, sans distinction de race et de religion, seraient considérés comme égaux par l'Etat et qu'aucune différence ne serait faite entre un Vezir et un berger92. Il fit jurer aussi aux ulémas, ministres, pachas, et fonctionnaires-comme il jura lui-même-de respecter et d'observer les lois et règlements. Par la promulgation de ces principes modernes dans le Hatt-Chérif, Rechid voulait donner, sans doute, un visage nouveau et un caractère libéral à l'Empire ottoman gouverné encore suivant les principes religieux et moyenâgeux. De même si nous prenons en considération le fait que Rechid Pacha s'était inspiré des idées libérales de l'occident et des principes des droits de l'homme pour la préparation du Hatt-Chérif il ne sera pas difficile de comprendre l'esprit libéral, révolutionnaire et même laique de ce Hatt. 92 R.KAYNARop.dt.p.179. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 31 En effet Rechid Pacha stipula officiellement des garanties assurant aux sujets une parfaite sécurité pour leur vie, leur honneur et leur fortune (liberté, propriété, sécurité, article deuxième des droits de l'homme); il fit limiter les moyens d'action du Sultan, il attribua l'initiative des lois au Grand Conseil de justice, (Mecli-i Ahkam-i adliye); il abolit l'affermage des impôts, il prescrit que chaque individu serait jugé conformément à la loi établie et que chacun versera directement à l'Etat des impôts en proportion de sa fortune. D'après Rechid Pacha, par l'application de tous ces principes, les peuples ottomans, en se considérant freres et les sujets égaux du Sultan, ne se révolteraient plus contre l'Etat, devenu leur protecteur; l'économie du pays se développerait; la population s'enrichirait davantage. Les sources de revenu et de puissance de l'Empire ottoman s'accroîtraient sans cesse. En somme, le but était le renforcement de l'Etat ottoman, le rétablissement du calme, et le développement ainsi que la prospérité du pays. Mais, lorsque nous examinons, au point de vue de l'intérêt des classes sociales, le Hatt-i-Chérif, il nous est impossible de ne pas voir, dans ses principes établis par Rechid Pacha, les intérêts de la bureaucratie ottomane. Il est vrai que malgré leurs privilèges dans l'administration les Vizirs(minitres), les Pachas (généraux) et les Grands fonctionnaires d'Etat n'avaient jamais vu leur vie et leur fortune en sécurité, d'autant plus qu'ils étaient privés de la puissance politique et qu'ils étaient à la merci des Sultans ottomans. Ces derniers avaient disgracié, tué, exilé tous ceux qui se faisaient remarquer et confisqué leurs biens et leurs fortunes. Ceci montre que la bureaucratie ottomane subissait toujours les effets des décisions arbitraires des Sultans. De ce fait, lorsque cette classe, soucieuse et inquiète de son avenir (sa vie et sa fortune) prit contact, à partir du X I X siècle, par diverses occasions, avec l'Occident et connut le mode de vie de la bourgeoisie européenne, se montra partisane de la modernisation de l'Empire ottoman par l'imitation des institutions occidentales, assurant aux sujets une parfaite sécurité pour leur vie et leurs biens. Quant à Rechid Pacha qui avait séjourné longtemps en Europe, il était, depuis 1837, le seul représentant de la bureaucratie (Kalemyyé) et le défenseur des idées libérales et des vues de cette classe réformatrice, dans 32 BAYRAM KODAMAN le gouvernement ottoman. Il avait pour but de confier le pouvoir d'Etat aux mains des bureaucrates réformateurs. En fait, quand il limitait les moyens d'action du Sultan et interdisait la confiscation des biens et la condamnation ou l'exécution sans jugement, il pensait sans doute aux grands fonctionnaires d'Etat. En outre, pour assurer la souveraineté de la Sublime Porte dans l'administration du pays, Rechid Pacha s'efforçait former un nouveau cadre d'employés fidèles à l'autorité centrale d'une part et de libérer les fonctionnaires de l'influence des Ulemas (Hommes religieux) qui s'opposaient aux réformes à l'européenne, d'autre part. Afin d'atteindre ce but, il créa un conseil d'enseignement général (Meclis-i Maarif-i umumiyyé) dominé par les bureaucrates et fonda les écoles secondaires (Rustiyé) dont les programmes furent préparés suivant les besoins de la Sublime Porte. En résumé, Rechid Pacha croyait moderniser l'Empire ottoman par une mainmise stricte d'une poignée de bureaucrates, qui appliqueraient les réformes conformément aux principes du Hatt-i Cherif, sur l'Administration. En effet, il fit commencer, par la promulgation du Hatt-i Chérif, l'époque du Tanzimat dominée par les bureaucrates qui furent jusqu'en 1876 les défenseurs des réformes et du mouvement d'occidentalisation en Turquie. b. Application des Réformes A la suite de la promulgation du Hatt-i Cherif, Rechid Pacha reçut l'ordre de veiller à l'entière exécution des réformes qui furent appelées en turquie TANZİMAT. Pour éviter le détail, nous nous bornerons à indiquer les réformes réalisées dans l'Empire ottoman. 1) Administration locale: Un système d'administration des provinces semblable à celui de la Franche fut crée. Selon lequel, l'Empire était divisé en Eyalets (départements) eux-mêmes en Sandjak (Subdivision d'une province); le Sandjak était subdivise à son tour en districts (Kazas); ces districts comprenaient des communes (Nahiyés) composés de villages. A la tête de chaque département, il y avait un gouverneur. Mais ses pouvoirs lurent limités par la nomination d'un commandement militaire et d'un Deftardar (chargé des Finances d'une province). De plus un Conseil mixte composé des représentants locaux fut créé auprès du gouverneur. 2) Organisation financière: Dans ce domaine, on accepta le système de contrôle central: tous les impôts seraient désormais perçus au nom du MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 33 Trésor impérial, et toutes les dépenses de l'Etat seraient payées par le Trésor. Conformément à ce système on décida: 1) De confier les affaires financières d'une province à un receveur général. 2) De nommer les fonctionnaires et les percepteurs chargés de prélever les impôts dans les districts. 3) D'élargir les pouvoir des conseils municipaux chargés de calculer la somme que chaque citoyen devait payer et de créer aussi les conseils départementaux. Ces mesures étaient sans doute loin de réaliser d'une manière satisfaisante, les principes financiers prévus dans le Hatt-i Cherif, car Rechid Pacha n'ayant aucun programme précis dans ce domaine, avait cru résoudre les difficultés par l'imitation du système financier du gouvernement français. Pourtant, il fit émettre, pour la première fois, les Billets en Turquie. 3) Organisation judiciaire: Le code pénal et le code de commerce français furent adoptés avec des modifications. Des tribunaux civile et des tribunaux de commerce composés des musulmans et des chrétiens furent institués à Istanbul, puis dans les grandes villes93. En 1846, une loi administrative définissant le devoir, la compétence et la responsabilité des fonctionnaires d'Etat ainsi que la peine à appliquer en cas de culpabilité, fut promulguée. Un nouveau code pénal fut accepté le 14 juillet 185194. En fin de compte, nous pouvons dire que grâce aux principes du Hatt-i cherif, Rechid Pacha apporta de profondes modifications, non seulement dans les domaines précités mais aussi dans l'armée, qui bénéficia en fait immédiatement des réformes, dans le système d'instruction publique et dans la vie politique et sociale. Mais il faut préciser que toutes ces modifications ne s'effectuerent que petit à petit, car la politique extérieure prit à certains moments une ampleur telle que les autres problèmes passèrent au second plan. 9 3 Avant le Tanzimat, il y avait des tribunaux religieux, des tribunaux pour les minorités non musulmanes et des tribunaux étrangers institués par les puissances ayant des privilèges dans l'Empire ottoman. 94 Pour le détail voir: Le livre de Tanzimat pp. 139-232. LIVRE PREMIER SES PREMIERE ET DEUXIEME AMBASSADES PREMIERE PARTIE LA QUESTION D'ALGERIE ET RECHID BEY A) OCCUPATION DE L'ALGERIE PAR LA FRANCE I) La rupture du gouvernement français avec le Dey et la prise d'Alger S'appuyant sur la puissance ottomane, à partir de 1520 l'Algérie qui s'était d'ailleurs fait connaître aux européens avant son annexion à l'Empire ottoman par les activités de ses corsaires dans la Méditerranée occidentale, continua de s'occuper plus activement encore de la piraterie2. Ayant échoué dans leurs tentatives de s'emparer de l'Algérie, la plupart des nations maritimes européennes s'en tinrent à conclure des conventions commerciales3. Et même certaines d'entre elles n'avaient trouvé qu'un moyen pour assurer la sécurité de leurs navires de commerce et de leur littoral: c'était de payer au Dey d'Algérie un véritable tribut4. Mais la France, grâce aux concessions qu'elle avait obtenues (en i53Ôet 1740) de la Sublime Porte, s'était toujours refusée à le payer et était en bons termes avec les Deys presque dans tous les domaines. La rupture entre l'Algérie et la France survint en 1818 à la suite de l'avènement de Hüseyin Pacha 5 au poste de Beylerbeyi6 d'Algérie. Celui' Aziz Sami I L T E R , Şimalî Afrika da Türkler, istanbul 1936-1937,1, 83. 2 M.Nuri Pasa, Netayic'ül-vukuat, istanbul 1327, IV, 82. L.Algérie a subi dix sept attaques européennes de 1510 à 1826. Cf. M . Nuri Pasa, op cit pp. 82-83. 3 4 E.Lavisse et A. Rambaud, Histoire générale, Paris 1898, X . Hüseyin Pacha: turc de Denizli et officier de sultan, avait quitté le service pour chercher fortune en Algérie et devint en 1818 Dey d'Alger. A la suite de l'occupation, il quitta l'Algérie pour l'Italie et mourut ra 1838 à Alexandrie. C e dernier Dey d'Alger était intelligent, orgueilleux, autoritaire, sévère et très obstiné mais n'était pas un tyran. Cf. ILT E R , Vol. II, p.94; M.Nuri Pasa, ibid, IV. p. 83. 5 6 Beylerbeyi, gouverneur général sous l'Empire ottoman (M.D'Ohsson, Tableau général de l'Empire ottoman, Paris 1824, vol. VII.). BAYRAM KODAMAN 38 ci entra eni conflit avec le gouvernement français au sujet de la créance de Bacri et Busnach, deux juifs 7 qui avaient pris à leur compte une avance de cinq millions dtfrancs et des fournitures de blé accordées à la France par le Dey, Hasan Pacha8, sous le Directoire; ainsi le prédécesseur de Hüseyin Pacha avait fourni lui-même, par l'intermédiaire de deux juifs une aide considérable à la France. Ce fut l'origine de la créance de ces juifs algériens envers la France9. Hüseyin Pacha, le Dey, avait exigé, à maintes reprises, le versement intégral de cette créance et avait même écrit trois lettres au gouvernement français à ce sujet. Mais il ne reçut aucune réponse officielle de la part de la France. Il perdit alors patience et somma le gouvernement français de destituer le consul de France, M.Pierre Deval I0 , de lui livrer les deux juifs restés en France et enfin, de remettre à son gouvernement la somme qu'il avait demandée. La France n'ayant pas admis les exigences du Dey, se contenta de lui faire savoir par l'intermédiaire de son consul que ses propositions n'étaient point admissibles, parce qu'elles étaient incompatibles avec la convention du 28 Octobre 1819 n . 7 Le Dey, par l'intermédiaire de ces juifs livoumais, vend des laines avec un bénéfice considérable et du blé (i hectolitre de blé, acheté 3 à 8 Francs au bénéfice considérable et du blé (1 hectolitre de blé, acheté 3 à 8 Frabcs au producteur, est cédé pour 18 à 20 Francs en Europe). 8 A u cours de la Révolution française, surtout entre 1793-1798, le dey d'Alger Hasan Pacha, malgré les menaces anglaises , ne rompit pas ses relations avec le Directoire et même lui permit de commercer avec les marchés algériens. En plus Hasan Pacha prêta à la France une grosse somme, sans intérêts, ainsi les dettes que la France avait contractées envers le Dey atteignirent un total de 14 000 000 de Francs. Bien que les dey aient demandé, plusieurs fois durant 25 années, à la France de les rembourser la France avait refusé ces demandes. Mais les relations entre les deux pays n'étaient pas rompues. A la suite des négociations tenues entre eux, on est arrivé le 28 Tesrinewel (Octobre) 1819 à un accord sous condition d'une réduction de 7 000 000 de Francs. Et puis la France, en avançant divers prétextes, avait diminué sa dette (II lui restait 4 000 000 Francs à payer). Mais au lieu d'être versée au Dey, cette somme fut remise à deux juifs installés en France le Dey Hüseyin Pacha avait raison, car le traité de 1819 sur les dettes était signé entre l'Algérie et la France, non avec ces juifs. Ainsi cette somme appartenait au trésor algérien. Cf. A.S.ILT E R , op. cit. pp. 98 sq. 9 A . N E T T E M E N T , Histoire de la Conquête d'Alger, Paris 1867. pp. 274-275. Pierre D E V A L , fils d'un interprête de Péra, parlant couramment le turc et l'arabe, il avait une longue expérience des pays musulmans. 10 11 P56. Ercüment K U R A N , Fransa'nın Cezayir'e tecavüzü, Tarih Dergisi, 1953, Vol. III, MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 39 Lorsque le consul de France, M.Deval, se présenta, le 29 avril 1827 (1er Sewal 1243 H.), à l'occasion de la fête de Ramadan, à la résidence de Hüseyin Pacha pour le saluer, il voulut profiter de cette visite pour faire valoir quelques réclamations au sujet d'un navire des Etats du Saint-Siège qui avait récemment été capturé l2 . Hüseyin Pacha, accuillant fort mal cette réclamation, lui demanda de ne pas s'occuper d'une affaire qui ne le regardait pas et le queistionna à propos de la lettre envoyée au roi de France. M.Deval lui répondit: "Il est contraire aux usages que le roi de France écrive et réponde aux lettres que tu lui adresses". Alors Hüseyin Pacha, emporté de colère, frappa le consul français au visage avec un chasse-mouchel3. Le gouvernement français s'éleva énergiquement auprès Dey contre l'injure faite à son consul et lui suggéra de se soumettre à trois conditions, en fait inadmissibles. A la suite du refus du Dey à ces propositions, le gouvernement français envoya une escadre pour faire le blocus d'Alger (le 15 juin 1827)14. La rupture entre la France et l'Algérie fut communiquée à la Sublime Porte par l'ambassadeur de France à Istanbul, le 2 août 182715. Mais la Sublime Porte, occupée sérieusement par l'affaire de l'indépendance grecque et ne croyant pas au succès français, ne prit pas au sérieux l'affaire d'Alger. Elle se borna à faire quelques démarches diplomatiques en vue de trouver une solution pacifique au différends opposant la France au Dey. Cette attitude de la Porte offrait de grands avantages à la France pour une éventuelle conquête de l'Algérie. La France, dans son expédition nord africaine, comptait sur le soutien des Etats européens secondaires qui aspiraient à l'anéantissement de la piraterie. D'autre part, les Grandes Puissances continentales étaient satisfaites de voir la politique française s'engager dans les voies maritimes et coloniales. Seule l'Angleterre, alarmée par le projet d'une expédition française en Afrique du Nord voulut la contrecarrer. 12 A. N E T T E M E N T , op. cit. p. 275. Ch. A . J U L I E N , Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris 1964, p. 27. I L T E R , op. cit. p. 100. 13 E. K U R A N , op. cit. p. 60. 14 I L T E R . ibid, p. 100. Hariciye Vekâleti Arşivi (Istanbul), Dosya no 708, Cezayirin Fransa tarafından işgali, mesail-i Siyasiyye. Note de l'ambassadeur de France à la Porte. Le 2 août 1827, Cité par E. K U R A N , Cezayir'in Fransızlar tarafından işgali karşısında Osmanlı Siyaseti (18271847), istanbul 1957 p; 14. 15 BAYRAM KODAMAN 40 Le Prince de Polignac, voyant l'impossibilité de s'emparer de l'Algérie par le blocus, voulut mêler le vice-roi d'Egypte, Mehmed Ali Pacha, à l'aflaire algérienne. Mais cette entreprise de M. de Polignac ne pouvait aboutir qu'avec l'accord pratique de Mehmed Ali, l'adhésion du sultan et la neutralité de l'Angleterre. M. de Polignac ne put les obtenir.Au moment où le gouvernement français négociait avec Mehmed Ali pour le charger de diriger une expédition contre le Dey d'Algérie, Il trouva l'Angleterre au travers de sa politique. Le gouvernement anglais fit savoir à la France, par l'intermédiare du Duc de Naval, ambassadeur de France à Londres, "qu'il considérerait comme irrégulière et menaçante pour la Porte, l'alliance conclue par un de ses sujets avec une puissance étrangère, qu'il n'approuverait pas la France d'étendre sa vengeance aux régences de Tunis et de Tripoli 16 . La Porte, de son côte, avait d'ailleurs refusé de donner à Mehmed Ali l'autorisation d'aller en Algérie pour soumettre le Dey. Elle décida d'envoyer Tahir Pacha 17 comme médiateur pour régler les contentieux entre la France et l'Algérie. Plus tard Mehmed Ali opposa un refus formel aux propositions de Polignac visant à la liquidation de l'Empire ottoman 18. La Russie était favorable à une intervention directe de la France en Algérie. Mais l'Autriche, sous la conduite du Prince de Metternich, repoussait tout changement et pressait le départ de Tahir Pacha. Quand Tahir Pacha arriva devant Alger, le 20 mai 1830, il ne put franchir le blocus et fut mené en quarantaine à Toulon où il resta jusqu'au début juillet 19 , sans pouvoir mener à bien sa mission, alors qu'à istanbulin croyait en sa réussite. Entre temps l'ambassadeur de France, le général Guilleminot annonça le 6 aoôt 1830, au gouvernement ottoman que les troupes françaises s'étaient emparées d'Alger, le 5 juillet 183020. 16 Dépêche de l'ambassadeur de France à Londres, le 24 Janvier 1830, citée par A. N E T T E M E N T , ibid, p. 279. 17 Tahir Pacha, Kaptan-ı Derya (grand amiral), puis gouverneur général de Tripoli (voir, Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmanî, III, p. 148.). Voir également: Lutfi, Tarih, T . II. p. 184; départ de Tahir Pacha, d'Istanbul, le 2 sewal 1245. Pour les instructions données à Tahir Pacha voir Lutfi, p. 288. N o 22. 18 Mehmet Ali Pacha dementait son alliance avec la France pour régler l'affaire d'Alger. Cf. E . K U R A N , ibid, p. 24. Pour l'ordre de la Sublime Porte à Mehmed Ali Pacha voir: Lutfi. T.II. pp. 284 No 21 19 J . S E R R E S , la politique turque en Afrique du Nord sous la monarchie de Juillet, Paris 1925, p. 30. 20 G . E S Q U E R , Histoire de l'Algérie, Paris 1950, p. 285. K U R A N , ibid, p.26. B) APRES LA PRISE D'ALGER (le 5 Juillet 1830) 1830-1834 I) Les relations diplomatiques entre la France et l'Empire ottoman: Au début de l'expédition française, en tant que premier intéressé au sort de sa province lointaine, l'Empire ottoman, n'ayant pas compris l'importance de la question d'Algérie, n'avait pas pris à coeur cette affaire comme pouvant avoir des conséquences sérieuses21, et s'était contenté d'envoyer Tahir Pacha auprès du Dey pour régler ses différends avec le gouvernement français. Lorsque la nouvelle de la prise d'Alger arriva à la Sublime Porte, celle-ci fut surprise et très mécontente. Elle s'éleva contre l'atteinte portée à son intégrité territoriale mais sans pouvoir aller au-delà d'une protestation. La Sublime Porte demanda à la France de lui donner une explication sur sa conduite peu amicale vis-à-vis d'elle-même. Il est évident que pour la Porte il importait de savoir ce que la France entendait faire de l'Algérie, territoire appartenant à son empire22. D'après les déclarations faites avant comme après la prise d'Alger, M.de Polignac ne songeait guère d'ailleurs à conserver l'Algérie. Parmi d'autres hypothèses il envisageait, peut-être, de reconduire la milice turque en Turquie et d'installer à la place du Dey un gouvernement qui pourrait servir les intérêts de la France23. Mais à la suite de la protestation de la Porte, la France qui prévoyait un accord possible avec elle fit savoir ses conditions: Elle était disposée à remettre l'Algérie au Sultan et ne conserverait qu'une portion de territoire algérien depuis le Cap Boujaroni jusqu'à la frontière de Tunis, en vue d'assurer la sécurité de ses possessions d'Afrique du Nord 24. 21 22 23 N E T T E M E N T . A. op. cit. p. 277 Sq. J. SERRES, op. cit. p. 49. Ch. R. A G E R O N . Histoire de l'Algérie contemporaine, Panis 1970, p. 9. C . B A Y S U N . III. Türk Tarih Kongresi tebliğleri, Ankara 1948, p. 376. S E R R E S op. Cit. p. 50. Pour les propositions du gouvernement français: Voir B.A. H H N o 46906, la note présentée à Reis Efendi par l'Ambassadeur de France, Comte Guilleminot, le 14 Août 1830. 24 42 BAYRAM KODAMAN La Sublime Porte décida de retarder sa réponse aux exigences françaises avancées par l'ambassadeur de France pour attendre le moment favorable où elle serait soutenue par les autres Puissances25. Pourtant elle n'omettait pas de faire valoir le droit légitime de l'Empire ottoman sur les territoires occupés par la France. Au moment où la Révolution de 1830 éclata, la Porte se montrait disposée à tenir tête au sujet de la question d'Alger.Mais, peu après, Elle comprit qu'il fallait laisser au gouvernement de Juillet le temps nécessaire d'étudier l'affaire et de prendre une décision. Ensuite, c'est-à-dire après le rétablissement du gouvernement de Louis-Philippe, la Sublime Porte réclama officiellement, le 25 décembre 1830, au nouveau gouvernement français la restitution d'Alger 26 . Mais la politique du gouvernement de juillet était devenue tout à fait différente de celle de son prédécesseur; il déclara son intention de ne pas abandonner l'Algérie à l'Empire ottoman27. En lace de l'attitude décisive de la France, la Porte voulut obtenir le soutien politique du gouvernement anglais. Mais en tenant compte de la nouvelle politique des Etats européens, conséquence de la Révolution de Juillet, l'Angleterre ne se montra pas désireuse d'entrer en conflit avec le gouvernement libéral de Louis-Philippe pour la question algérienne. Cependant elle continua à inciter la Porte à agir contre la France. Le 13 mai 1831 la Porte demanda une fois de plus au gouvernement français la restitution de l'Algérie et réitéra tous ses droits légitimes sur ce pays28. Mais elle ne reçut aucune réponse de la part de la France. Du côté de la France, depuis juin 1831, le ministre Casimir Périer envisageait d'étendre l'occupation et même d'établir la domination française sur toute la Régence d'Alger;encore se gardait-on bien d'annoncer ces intentions:29 "le gouvernement français, bien décidé, par honneur et par instinct, à ne point abandonner ce que la Restauration avait conquis, avait maintenu les troupes indispensables pour résister aux efforts d'expulsion que tentaient sans cesse les Turcs et les Arabes... "L'accroissement progressif des dépenses et l'incertitude de plus en plus évidente du plan de conduite ne tardèrent pas à provoquer une vive 25 K U R A N , op. cit. p. 29 26 M . N U R I . P A C H A , p. 29. 27 B A Y S U N . Supra, p.376. 28 K U R A N . Supra, p. 31. 29 P. R E N O U V I N . Histoire des relations internationales, Paris, 1954, t.V/t. p.i 10. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 43 inquiétude; en 1833 une commission formée d'hommes considérables fut chargée d'aller visiter l'Algérie et d'étudier, sur place, ce qui s'y faisait, ce qui s'y devait faire, ce qu'on en pouvait espérer et par quels moyens." 30. Le 6 juillet 1833 la France constitua une commission d'enqu ête qui devait recueillir sur place les éléments d'une réponse aux questions suivantes: 31 1) notre conquête doit-elle être conservée? 2) si l'occupation est avantageuse, quel est le système à suivre? 3) doit-on se borner à la soumission des indigènes? 4) doit-on consolider notre établissement par la colonisation? 5) quelle est l'organisation la plus convenable? 32 Après le retour de la commission d'enquête, Louis-Philippe en institua une autre, supériueru, pour discuter les rapports des enquêteurs33. Aux termes de ces travaux elle se prononça le 7 mars 1834, pour la conservation de la Régence d'Alger: "l'honneur et l'intérêt de la France lui commandent de conserver ses possessions sur la côte septentrionale de l'Afrique..."34. Lorsque le parlement adopta les décisions de la commission supérieure, le 22 juillet 1834, la France décida de rester en Algérie et d'y envoyer un gouverneur général pour l'administration du pays 35 . Cependant, l'Empire ottoman, n'ayant aucune connaissance des délibérations qui se déroulaient à l'Assemblée française et de la dernière décision du gouvernement de Louis-Philippe -en ce qui concerne l'ordonnance du 22 juillet 1834- allait s'occuper durant deux années du danger égyptien qui menaçait de près son existence et son intégrité et qui lui faisait oublier la question d'Alger 36 . 30 G U I Z O T . Mémoires... T . III. pp. 256-257. 31 G . E S Q U E R . Histoire de l'Algérie (Que sais-je?) 1950, p. 13. 32 33 34 R . C A M I L L E . L'Algérie, Paris 1887, vol I, p.314. J U L I E N , op. cit. p. 112. C A M I L L E , op. cit. p. 315. 35 J . D R O Z . Epoque contemporaine, 1815-1871. Paris 1963. vol. I, p.425. 36 Voir II ème partie. 44 BAYRAM KODAMAN II) L'attitude des Puissances: Ce sont les questions méditerranéennes qui tiennent alors la première place dans les relations politiques entre les Grandes Puissances. Dans cette zone où la Grande Bretagne, grâce à sa prépondérance navale, et à la possession de certains points stratégiques, occupe une situation dominante, les efforts d'expansion de la France et de la Russie ouvrent des perspectives neuves, favorisées par l'affaiblissement de l'Empire Ottoman 37. Vis-à-vis de l'Empire ottoman, les rôles que peuvent jouer les Grands Etats européen ne sont pas en nombre infini, ils se réduisent en définitive à deux: les uns ont intérêt à précipiter sa ruine pour en profiter; les autres préfèrent maintenir la souveraineté du Sultan et l'intégrité de son empire dans l'espoir d'y exercer une influence prépondérante ou d'en exclure leurs rivaux. a) Angleterre: Dès le début de l'entreprise, c'est à dire lorsque la France procéda à une expédition contre le Dey d'Alger, la première réaction hostile au gouvernement français vint de la Grande Bretagne qui était le premier pays intéressé à un changement de politique survenu en Méditerranée où elle avait déjà une suprématie par rapport aux autres Etas. Désirant garder pour elle seule la maîtrise en Méditerranée,le gouvernement anglais craignait, à juste raison, que ses intérêts économiques et sa supériorité navale ne fussent mis en cause par l'installation de la France en Algérie et aussi que la Russie ne profitât d'un nouveau démembrement de l'Empire ottoman pour progresser vers le Sud 38 . Pour toutes ces raisons le gouvernement anglais s'opposait au projet de la France de prendre possession de l'Afrique du Nord et donnait son soutien politique au gouvernement turc. Mais lorsque la Révolution française de 1830 amena au pouvoir les libéraux français ainsi que Louis Philippe, pour qui l'Angleterre avait de la sympathie, on constata un changement de politique du gouvernement britannique en faveur de la France dans l'affaire algérienne. Désormais la Grande Bretagne, en tenant compte de l'attitude des trois Etats, partisants de l'absolutisme en Europe, (Russie, Autriche, Prusse), paraissait, bon gré 37 Voir l'Introduction: la situation de l'Empire ottoman. 38 P.Renouvin His. Rel. Int. pp. 108-117. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 45 mal gré, s'être résignée à laisser faire la France en Algérie, en échange de son attitude en Belgique39. b) La Russie, l'Autriche et la Prusse: En dehors de l'opposition anglaise, la situation internationale ne présenta pas de péril pour la politique du gouvernement français en Afrique du Nord. La Russie ne voyant aucune atteinte portée à ses intérêts fondamentaux, donna à la France son approbation sans réserve40. Le Tsar Nicolas Ier déclara que la Russie "verrait avec plaisir la France conserver en Algérie un établissement assez formidable pour assurer à jamais la sécurité de la navigation dans la Méditerranée"41. L'arrivée au pouvoir de Louis Philippe en 1830, suscitant une grande inquiétude chez le Tzar qui était d'ailleurs hostile à toutes les idées libérales et nationalistes fit renoncer la Russie à soutenir la France dans sa politique algérienne42. Le Prince de Mettemich, au nom de l'Autriche, conscient de la ressemblance de composition ethnique entre l'Empire autrichien et l'Empire ottoman, devenait un partisan plus ardent de la conservation du statu-quo et de la politique d'équilibre en Europe ainsi que de l'intégrité de l'Empire du Sultan. D'où son hostilité à la politique du gouvernement français visant au démembrement de l'Empire ottoman." ....les vastes contrées sur lesquelles le nom du Sultan domine encore comme un pouvoir effectif, deviendraient nécessairement, par la chute de son trône, le théâtre d'une épouvantable anarchie ou la proie de la conquête de l'étranger. A l'une comme à l'autre de ces éventualités se trouvent liées des conditions plus ou moins compromettantes pour la paix du monde, il ne peut donc s'agir pour aucune puissance de se créer à cet égard des utopies" 43. 39 Pendant la crise belge, malgré l'opinion publique française qui était favorable à la révolution belge et à une annexion future de la Belgique par la France, Louis-Philippe, au nom de son fils, refusa, le 17 février 1831, la couronne belge et finit par accepter les décisions de la conférence internationale qui avait décidé le 21 janvier 1831 que le nouvel état belge serait neutre, et que cette neutralité serait garantie par les puissances. Ainsi, l'affaire fut réglée à la suite de la résignation de la France à la politique anglaise. Voir P. Renouvin. ob. cit. T . V pp. 60-68. 40 41 D R O Z : Histoire diplomatique (de 1648 à 1919), Paris 1963, p. 217. J U L I E N A.: op. cit., p. 41. 42 D R O Z : Hist. diplom., p. 318. 43 M E T T E R N İ C H : Mémoires..., vol. V, p. 490. 46 BAYRAM KODAMAN Satisfaite de la politique française dirigée vers la voie de la colonisation, la Prusse qui subissait alors l'influence de la politique russe, prit une position analogue à celle de la Russie44. En somme, après la Révolution de 1830, les Grandes Puissances européennes se divisaient, suivant le caractère de leur régime, en deux blocs4S: trois états, la Russie, l'Autriche et la Prusse, partisans de la conservation de leur régime absolutiste et d'autre part hostiles à l'expansion des idées libérales en Europe, prirent position contre la politique française; les autres, parmi lesquelles l'Angleterre surtout, soutenaient les mouvements nationalistes et libéraux et donnaient leur assentiment à la politique du Roi Louis Philippe. 44 J U L I E N A. op.cit. p.41 C) LA NOMINATION DE RECHID BEY AU POSTE DE LA LEGATION DE PARIS. I) Les motifs de cette nomination: Grâce à la convention de Kütahya du 14 Mai 1833 entre l'Egypte et l'Empire ottoman, le Sultan Mahmud II étant débarrassé provisoirement de la menace que faisait peser Mehmed Ali, gouverneur d'Egypte, et surtout grâce à la signature du traité de Hünkâr iskelesi du 8 Juillet 1833 avec la Russie46, le gouvernement ottoman estima que l'heure était venue de s'occuper sérieusement de la question de l'Algérie. Mais du côté français, nous savons qu'après la destitution du Roi Charles X et surtout après l'ordonnance du 22 Juillet 1834 qui prévoyait la conservation de l'Algérie 47 , le gouvernement de Louis Philippe n'avait montré aucune intention d'abandonner l'Algérie, au contraire il était disposé à y étendre encore ses conquêtes. Pourtant la France avait tenté, quelquefois de négocier par l'intermédiaire de Hamdan Efendi avec Hadji Ahmed bey de Constantine. Mais celui-ci, ayant répondu au gouvernement fiançais qu'il ne saurait négocier directement avec la France avant de recevoir l'autorisation et les instructions de la Sublime Porte, et avant que la France ne lui abandonne Annaba(Bône), repoussa toutes les démarches du gouvernement français auprès de lui. Ainsi, les tentatives de négociation à peine amorcées furent rompues sans résultat48. A la fin de l'année de 1833, l'arrivée à Istanbul d'une lettre49 écrite par Hamdan Efendi 50 poussa la Sublime Porte à agir, par la voie de la 45 D R O Z : Hist. diplom., p. 318. 46 K O D A M A N B., Boğazlar Meselesi, 1789-1850. Mémoire présenté. 47 48 J U L I E N : op.cit., p.114. B A Y S U N C . III. T . Tarih Kong., p.376. B.A.Dosya no 78, HH, no 62, La lettre de Hamdan Efendi au Sultan le 29 Rebiul-ewel 1249. (le i8Juillet 1833). 49 50 II est fils d'Osman Hodja secrétaire de Hüseyin Pacha, était désigné par le général de Bourmont au poste d'Aga d'Alger. Par la suite il quitta ce poste et joua le rôle de médiateur entre le Bey de Constantine et le gouvernement français. Enfin, Hamdan Efendi, ayant attaché une grande importance à l'intervention de l'Empire ottoman pour obtenir la BAYRAM KODAMAN 48 diplomatie, pour la question de l'Algérie. En effet le conseil des ministres après s'être entretenu sur le compte rendu de Hamdan Efendi, décida d'envoyer Rechid Bey, alors Amedji du Divan impérial (grand référendaire du Divan) comme envoyé extraordinaire,à Paris en vue d'obtenir l'abandon de l'Algérie par le gouvernement français. "Malgré mes conseils, elle (la Porte) est décidée à envoyer un agent à Paris....ce sera Rechid Bey, premier Amedji du Divan. Le m me qui accompagna M.Varenne (secrétaire de l'ambassade de France à Istanbul) pour la paix de Kütahya et qui est par conséquent dans notre système"51. Avant de déclarer officiellement la mission de Rechid Bey à Paris, le sultan Mahmud II jugea utile de prendre l'avis des ambassadeurs de France, d'Anglaterre, de Russie à ce sujet". Ceux-ci approuvèrent la décision du Sultan d'envoyer un ambassadeur à Paris. Mais l'Amiral Roussin, ambassadeur de France en Turquie, conseilla à la Porte de ne pas annoncer publiquement la mission de Rechid Bey sur l'affaire algérienne. Au début Roussin s'opposa à ce que le gouvernement turc charge Rechid Bey de faire restituer l'Algérie."....J'ai positivement annoncé l'inutilité d'une telle démarche, ajoutant qu'elle n'aurait assurément d'autre résultat que d'attirer un relus, qu'il était de la convenance de la Porte de ne pas provoquer directement...."53. Pourtant la Porte insista pour que l'ambassadeur de France approuvât et donnât son assentiment à sa décision. Enfin Roussin ne céda devant l'insistance de la Porte qu'à condition que Rechid Bey n'eût pas l'ordre de tratiter de l'Algérié "....Après avoir épuisé les arguments officiels et les efforts de ma conviction pour faire renoncer à cette démarche, j'ai fini par déclarer au Reis Efendi (ministre turcs des Affaires Etrangères) que je ne donnerais à Rechid Bey la lettre d'instruction qu'il m'a demandée pour lui qu'à condition qu'on me donne la certitude qu'il n'aurait pas l'ordre de traiter de l'Algérie" 54 . libération de l'Algérie, avait envoyé une lettre à Istanbul dans laquelle il décrivait la douleur et la souffrance dont la population avait du supporter les effets depuis l'occupation et il demandait au Sultan son soutien et son aide. 51 A.A.E. 1834 Turquie vol. I. Correspond.ince de l'Amiral R O U S S I N le 17 juin 1834. 52 B.A.; HH. no. 22513. 53 A.A.E.1834 T U R Q U I E vol. I. 54 A.A.E. 1834, T U R Q U I E , vol. I, la même lettre. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 49 Desireuse d'obtenir pour Rechid Pacha une lettre d'instruction, la Porte assurait l'ambassadeur de France, M.Roussin, que son envoye ne serait pas chargé de réclamer Alger 55 . En réalité, d'après la décision du Divan réuni pour examiner les plaintes de la population algérienne présentées par la lettre de Hamdan Efendi, la tâche principale de Rechid Bey était de demander au gouvernement français de restituer l'Algérie à son ancien propriétaire56. Mais pour des raisons politiques, l'ambassadeur de France voulait, par son refus d'accorder à Rechid Bey la lettre d'instruction, empêcher la Sublime Porte d'annoncer publiquement que son envoyé spécial se rendrait à Paris pour s'entretenir avec le gouvernement français de l'affaire algérienne. Enfin, tenant secrète sa mission principale, la Porte désigna Rechid Bey, selon le choix du Sultan, en juin 1834 (Safer 1250 H), comme envoyé extraordinaire à Paris 57 "....Moustapha Rechid Bey, Amedji (grand référendaire du Divan impérial) qui a montré une granda capacité dans son poste et.... a été choisi pour cette mission..."58. Ainsi, depuis l'occupation de l'Algérie jusqu'en 1834, l'une des plus importantes démarches diplomatiques du gouvernement ottoman fut d'accréditer un ambassadeur, sous le titre d'envoyé extraordinaire auprès de la Cour de France en vue d'assurer la restitution de l'Algérie. Rechid Bey n'avait-il reçu d'autre ordre que de traiter de l'Algérie, autrement dit, était-il chargé par son gouvernement de s'occuper seulement de cette affaire? Absolument pas. Nous savons que, malgré le traité de Kütahya et celui de Hünkar iskelesi, la question d'Orient, c'est à dire les problèmes d'Egypte et des Détroits, n'était pas définitivement résolue et même présentait de nombreux dangers pour l'Empire ottoman: l'accroissement de l'influence de la Russie et les ambitions aventureuses de Mehmed Ali, principales sources d'inquiétude du Sultan Mahmud II. Sans doute la Sublime Porte, profitant de la situation générale plus calme, voulait-elle tenter une action diplomatique auprès des Grandes puissances pour résoudre en sa faveur les questions en suspens. N'ayant 55 A.A.E. T U R Q U I E vol. I, 1834. 56 K U R A N E. op.cit. p.36. Abdurrahman Ş E R E F Tarih Musahabeleri İstanbul 1939 p. 76. la Nomination de Rechid Bey à Paris avait été annoncée par le journal Officiel turc Takvim-i Vekayi daté du 3 juillet 1834 (le 25 Safer 1250) dont le numéro de publication est 85. 57 58 A.A.E. 1834 T U R Q U I E vol. I; la lettre de R O U S S I N le 17 juin 1834. 58 BAYRAM KODAMAN marqué jusqu'alors aucun intérêt pour les usages diplomatiques des Puissances européennes, elle éprouvait cette fois la nécessité d'accréditer les ambassadeurs permanents dans les principales capitales de l'Europe. D'où sa décision d'envoyer en 1834 ses diplomates pour trouver une résolution, par la voie diplomatique, soit aux questions d'Alger et d'Egypte, soit aux autres problèmes concernant l'Empire ottoman. C'est pourquoi la mission officielle de Rechid Bey en France ne se bornait pas à la question d'Alger mais en englobait d'autres dont il avait à s'entretenir avec le gouvernement français59. Sur les motifs de la nomination de Rechid Bey, le journal officiel "Takvim-i Vekayi" du gouvernement ottoman soulignait que Rechid Bey était désigné à Paris pour renforcer les relations et l'amitié entre les deux pays60. D'autre part, Mehmet Selahaddin note dans son livre que "Rechid Bey, en ayant confiance en Dieu et en s'appuyant, avec une véracité complète, sur l'aide spirituelle du Prophète, allait en Europe pour s'entretenir avec les dirigeants des Grandes Puissances influencés par des idées fausses et terribles sur la Turquie et pour résoudre, de concert avec eux, la question d'Egypte en faveur de notre empire..."61. Nous voyons dans l'attitude de la Porte une discrétion et une réserve sur la mission exacte de Rechid Bey, en ce qui concerne l'abandon de l'Algérie. Pourquoi cette réserve du côté ottoman? Parce que la Porte ne désirait pas, en insistant sur l'affaire algérienne, se brouiller avec le gouvernement français dont le soutien politique lui était nécessaire pour chasser la flotte russe ancrée dans le Bosphore et pour se débarrasser de Mehmed Ali 62 . Malgré les efforts de la Porte de tenir secrète la mission principale de Rechid Bey, dans les journaux parisiens on publiait déjà que le but d'un envoyé spécial à Paris serait sans aucun doute de demander à la France d'abandonner l'Algérie au Sultan. "... on vient d'annoncer l'arrivée à Paris d'un envoyé spécial de la Porte ottomane qui doit réclamer Alger comme gage de la bonne amitié de la France avec le Sultan..."63. 59 Voir Ahmet Lutfi. op. cit. vol.4. p. 158. 60 Takvim-i Vekayi No 85. 61 M . S E L A H A T T I N Bir Türk diplomatının evrak-i siyasiyyesi Istanbul 13 06 p. 16 6- Sinasi A L T U N D A G Kavalali Mehmed Ali Pasa v Misir meselesi Ankara 1945. 63 Le Constitutionnel (journal publié à Paris le 7 août 1834. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 5 Enfin Rechid Bey ayant avec lui, comme secrétaire Nuri Efendi64 un des premiers employés du Divan, et comme interprète Ruhiddin Efendi65 professeur à l'école du génie maritime66,devant se mettre en route au mois de juillet 1834 pour Paris, commença à se préparer pour le voyage67. Pendant ce temps-là, l'ambassadeur de France, M. Roussin, donna à Rechid Bey la lettre d'instruction dont voici le texte: "Monsieur le Comte," 68 J'ai eu l'honneur de vous informer que la Sublime Porte, désirant resserrer et cultiver, par tous les moyens en son pouvoir, les relations amicales qui, pendant si longtemps l'ont unie à la France, avait résolu de faire résider un de ses ministres à Paris. Ce ministre qui est sur le point de partir est son excellence l'Efendi Rechid Bey, Amedji (grand Référendaire du Divan impérial), homme distingué, pénétré des véritables intérêts de son pays dont il partage les sympathies. Il est porteur d'une lettre du Grand Seigneur pour sa Majesté le Roi Louis-Philippe et d'une lettre de la Sublime Porte pour Votre Excellence, qui ont toutes deux pour objet d'exprimer les sentiments d'amitié et de dévouement dont Sa Hautesse est animé pour la France et pour son souverain. Les rapports que nous avons eus avec excellence Rechid Bey, nous ont mis plusieurs fois à mâme d'apprécier la justesse de son esprit et la droiture de son caractère,principalement dans la mission importante qu'il a remplie avec le Baron de Varenne lors de la paix de Kütahya. Ces qualités frapperont promptement votre Excellence et elles m'auraient dispensé de le lui recommander s'il ne l'avait expressement désiré. C'est donc sur ses instances réitérées que je lui remet s cette lettre pour Votre Excellence le 22 Juillet 183469." 54 Nuri Efendi, fils de la soeur de Re< hid Bey. 65 Ruhiddin Efendi, le père du Grand Vizir Ahmed Vefık Paşa (1824-1890). 66 A.A.E. 1834, T U R Q U I E , vol. I, 350. Lettre de Roussin datée du 5 juil 1834. 67 A.A.E. 1834. T U R Q U I E vol. I, p. 327. Lettre de R O U S S I N datée du 24 juin 1834. 1834-) 68 Ministre Français des Affaires Etrangères M.de Rigny. 69 A.A.E. 1834. T U R Q U I E 269 (No 47 p. 156; Lettre de R O U S S I N du 22 juillet 52 BAYRAM KODAMAN D'autre part Rechid Bey était muni d'une instruction secrète70 concernant la question algérienne et de la lettre du Sultan Mahmud II au roi de France sur sa mission à Paris. Dans l'ordre secret donné à Rechid Bey, on insista surtout sur ce qui suit en substance: "Votre mission est de confirmer, de rassurer et de resserrer les liens et les relations existant entre mon Empire et l'Etat français d'une part et d'obtenir par la voie de négociation l'évacuation et la restitution de l'Algérie qui faisait partie des territoires de mon Empire..." L'ORDRE DU SULTAN S-t^ -s-' V- • > —» VJ* —>Jjj/~J f —J-^yo ->jt>y,w»u" A . ' v j Ji/'j. ,• • tfjiX-j >.üötüMo -. " ' ^, j r En outre, dans la lettre à Louis-Philippe, le Sultan Mahmud II, évoquant l'amitié ancienne et les rapports amicaux entre les deux gouvernements, montrait sa volonté et son intention de maintenir et de renforcer les relations dans tous les domaines entre France et la Turquie.Le texte de cette lettre, résumée par M. Roussin, est le suivant: 70 Başvekalet Arşivi (Istanbul) Nàme-i humayun Defterleri n o n 71 A.A.E. 1834 T U R Q U I E no 269 p. 54 Corr de Roussin le 29 juillet 1834. p. 148. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 53 "L'amitié ancienne et la bonne harmonie qui régnent entre notre Sublime Porte et l'auguste Cour de France étant à l'abri de toutes altérations, et Votre Majesté en ayant la certitude, il n'est pas nécessaire d'en donner la preuve. Cependant, comme l'envoi d'ambassadeur et de lettre ne peut qu'être agréable et contribuer au raffermissement de la bonne intelligence, Rechid Bey, Amedji de mon Divan impérial, vous est envoyé en ambassade pour resserrer les liens de l'amitié qui unit les deux Cours et dont le maintien est désiré de part et d'autre, en vous exprimant comme il faut la sincérité de nos sentiments et la pureté de nos intentions dans toutes les affaires. Nous espérons que, s'il plaît à Dieu, lorsque votre Majesté aura pris connaissance de notre présente lettre impériale, elle voudra bien raffermir l'heureuse harmonie qui existe entre les deux empires en ayant égard à ce qu'exprimera le dit ambassadeur et en agissant toujours de manière à augmenter l'amitié des deux Cours...." 72 . H) - Le voyage de RECHID BEY (d'Istanbul à Paris) A Istanbul, au moment où Rechid Bey commençait ses préparatifs de voyage, la question de l'itinéraire à suivre pour aller à Paris se posa 73 : se rendre à Paris par voie de terre en passant par Vienne ou bien par voie de mer jusqu'à Marseille?Le voyage en bateau fut choisi tout d'abord, puis la Sublime Porte, croyant qu'à la suite d'un entretien entre Rechid Bey et le Prince de Mettemich, elle pourrait obtenir de ce dernier l'appui diplomatique de l'ambassadeur autrichien à Paris pour la mission de Rechid Bey et surtout de son gouvernement pour l'Empire ottoman à propos de la question d'Orient, approuva le départ de Rechid Bey pour Vienne puis pour la France. Enfin, Rechid Bey quitta, avec sa suite, Istanbul, vers la fin du mois de juillet 1834; pour se rendre à Vienne et, huit jours après son départ, vint à Nis où il passa une nuit en tant qu'hôte de Salih Pacha, commandant de cette ville,74. Le lendemain, continuant son voyage au cours du7 2 A . A . E . 1834, T U R Q U I E , n o 269, Cors de Roussin concernant la lettre du Sultan au Roi, le 29 juillet 1834. 73 II s'agissait la de l'insistence de l'ambassadeur de France, Roussin, qui, faisant sur la Sublime Porte, voulait faire envoyer Rechid Bey à Paris par Marseille pour empêcher une rencontre entre ce dernier et le Prince Mettemich. 74 Corres. de Rechid Bey, le 14 août 1834 — le 8 rebiul-ahir 1250 H - C . Baysun, Resid Paşa'nin siyasi yazıları in Tarih Dergisi, 1954 T o m e VI/g pp. 40-43. BAYRAM KODAMAN 54 quel il eut même, à Semendire, un entretien avec Milos, Prince de Serbie, qui lui offrit des cadeaux, et de l'argent, il se rendit à Belgrade où il devait être mis en quarantaine pour dix jours (11-21 Août 1834 -5-15 Rebiulahir 1250)75. Dans toutes les lettres qu'il avait expédiées à Istanbul au cours de son voyage en Serbie, Rechid Bey expliquait la situation générale de la Serbie et surtout informait la Porte de l'attitude et des demandes de Milos avec lequel il avait eu des conversations sur les relations commerciales entre la Serbie et l'Autriche-Hongrie76. Une semaine après son départ de Belgrade, Rechid Bey, sur l'invitaticn officielle du général Coblin, se rendit à ZEMON pour y rester deux jours et arriva ensuite le 27 août 1834 (21 Rebiul-ahir 1250) à Vienne où il devait s'entretenir avec Metternich 11 . En raison de l'absence à Vienne de Metternich qui passait ses vacances à Baden, Rechid Bey avait eu des entretiens avec Mavroyani78 et Ottenfels sur la crise d'Egypte 79 . Enfin Rechid Bey, dont le but était de s'entretenir avec Metternich, d'obtenir surtout de lui l'appui de l'Autriche sur la guestion d'Alger et celle d'Egypte, et puis de lui présenter la lettre de la Porte, fut reçu le 30 août 1834, après trois d'attente, par Metternich80; Au cours de cet entretien, Metternich, d'ailleurs partisan ardent de la conservation du statu-quo et de la politique d'équilibre en Europe, lui annonça que son gouvernement soutiendrait toujours l'Empire ottoman, dont 1' intégrité et l'existence étaient nécessaires pour la paix générale, qu'il suivrait une politique favorable à la Porte et lui apporterait son soutien politique, au besoin militaire, dans la question d'Egypte. D'autre part, faisant le tour d'horizon des attitudes des autres puissances à l'égard de l'Empire ottoman, il déclara à l'envoyé ottoman que, depuis quelque temps la Russie avait accepté la politique suivie par l'Autriche et que la France et l'Angleterre voulaient aussi l'intégrité de la Turquie 81 . 75 Corrs de Rechid Bey in Tarih Dergisi VI/<ı. 76 Corrs de Rechid Bey in Tarih Dergisi VI/<ı pp. 45-47. 77 B.A. S. 153 document no 40 (C. B A Y S U N Tarih Vesikaları T 1 /1 P.31.). 78 Vice ambassadeur d'Autriche à Istanbul. 79 Ancien ambassadeur d'Autriche à Istanbul. 80 B.A.S. 153 document (E) no 40 ( C . B A Y S L N T . V . T o m e 1/1 P.34). 81 B.A. S. 153 document (E) no 40 (Baysun C . T . V . tome i ' 1 p. 33 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 Au sujet de la restitution de l'Algérie à la Porte, Rechid Bey n'avait pas obtenu de Metternich autre chose que le soutine politique de l'ambassadeur autrichien à Paris82. Bien que son départ de Vienne fût prévu pour le i e r Septembre 1834 (26 Rebiul-ahir 1250), Rechid Bey décida d'y rester encore quelques jours à la suite de l'invitation faite par Metternich d'assister à une réception qui aurait lieu à Baden. D'après la lettre qu'il avait envoyée à Istanbul à ce sujet83, Rechid Bey pensait qu'en acceptant invitation il pourrait avoir encore l'occasion de s'entretenir avec les dirigeants autrichiens. A cette fin il rencontra le Baron d'Ottenfels chargé par Metternich de conférer avec lui des questions relatives à l'Empire ottoman. Mais il ne put obtenir d'autre appui que celui promis par Metternich sur sa mission. Pourtant le gouvernment autrichien annonça une fois de plus à Rechid Bey qu'il défendrait sans réserve les intérêts de l'Empire ottoman dans la question d'Orient; d'autre part il s'abstenait de prendre une position décisive au sujet de l'Algérie et illaissait entendre qu'à ce propos tout dépendrait de la volonté du gouvernement français et qu'il ne pourrait pas intervenir directement en faveur de la Porte, "...d'après les rumeurs circulant en milieu diplomatique, on sait, disait le Baron d'Ottenfels à Rechid Bey, que la France n'acceptera pas les prétentions et les propositions que vous avancerez à propos de la restitution de l'Algérie, Quant à la raison de ce refus fiançais, étant donné que l'Algérie a été occupée par la France sous le règne de l'ex-roi84, le roi actuel, Louis Philippe, tenant compte du prestige de son gouvernement, n'aura pas l'intention d'abandonner l'Algérie. D'où la difficulté de cette affaire85. Enfin, Rechid Bey, après avoir assisté à la réception donnée à Baden pendant laquelle il avait aussi eu des conversations avec l'ambassadeur de Russie et encore avec les dirigeants autrichiens, quitta Vienne le 2 Septembre 1834 (27 Rebiul ahir 1250) pour rejoindre son poste à Paris86. M İbid. Pour le texte complet de cette lettre voir: Baysun C. op. in Tarih vesikalan T . i / i pp. 31-36. 83 84 Charles X . 85 Corresp. de Rechid le 27 Rebiul ahir 1250 H.in Tarih vesikalan T . 1/1 p. 34. 86 Corresp. de Rechid in Tarih vesikalan T . 1/1 p. 37. D) — RECHID BEY A PARIS. I. Ses premiers jours. A la suite d'un long voyage à travers l'Europe, Rechid Bey arriva enlin, le dimanche 14 septembre 1834 à dix heures du matin, à Paris87. Il y était accueilli avec sa suite de huit personnes. Le lendemain, sur l'arrivée de l'envoyé extraordinaire de la Sublime Porte, le "Journal de Paris" en date du 16 Septembre 1834 publiait en première page l'article suivant: "Son Excellence Mustapha Rechid Bey Efendi, Amedji (Grand référendaire) du Divan impérial, chargé par S.H. Sultan Mahmud II d'une mission prés de la Cour de France, est arrivé hier à Paris". "Cet envoyé, qui doit résider en France, est accompagné de Nouri Efendi, secrétaire de la Légation, précédemment attaché à la mission temporaire que Namik Pacha 88 est venu remplir à Paris l'année dernière, et de Rouhiddin Efendi, interprète de la Légation, ancien professeur à l'Académie impériale du génie. Leur suite se compose de huit personnes; ils sont logés rue Laflïtte, Hôtel d'Artois". Peu après son arrivée, Rechid Bey, qui devait notifier officiellement son entrée en fonction dans les formes d'usage, rendait visite au ministre français des Affaires Etrangères pour lui présenter la lettre que lui avait donnée l'Ambassadeur de France à Istanbul et en même temps pour s'entretenir avec lui. Le lundi 22 Septembre 1834 (18 Cemaziyelewel 1250) l'envoyé de la Porte fut reçu en audience solennelle pour remettre ses lettres de créance au Roi de France, Louis Philippe. Au cours de cette audience, il lui présenta la lettre du Sultan Mahmud II dont nous donnons ci-dessous le texte traduit en français: "Très grand, très puissant, très affectueux Prince, notre ancien et meilleur ami: "Comme les antiques relations d'amitié et les rapports d'une constante bienveillance qui subsistent si heureusement depuis tant d'année, entre notre Sublime Porte d'éternelle durée et la glorieuse Cour de France, ont été préservés de toute atteinte et altération, il serait inutile d'appuyer de 87 A.A.E. 1834 T U R Q U I E . 269 p. 156. Namık Pacha voir: K A R A L E.Z. "Namık Paşa'nın Hal Tercümesi'in Tarih vesikaları T . 2/9 pp.220-227. 88 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 preuves et de démonstartions un fait aussi positif et aussi évident, surtout lorsque votre conviction est elle-même pénétrée de cette vérité. Cependant la mission de personnes de confiance et l'envoi de lettres sont partie essentielle des bons procédés qui entretiennent les sentiments d'une mutuelle bienveillance et sont des moyens puissants de les rendre plus solides et plus durables. Seulement, en raison de l'affection particulière et de la vive sympathie que Notre Auguste coeur ressent pour Votre Majesté, afin de lui exprimer quelles sont nos vues et nos intentions impériales sur l'ensemble des affaires, et dans le vif désir de donner une force nouvelle et plus active aux relations affectueuses dont le maintien,également souhaité de part et d'autre subsiste entre les deux glorieuses Cours, nous avons désigné et honoré de notre choix l'Amedji de Notre Divan Impérial, Réchid Bey, pour remplir la mission d'Envoyé extraordinaire (Séfarèt), et nous avuns fait émaner et expédier notre présente lettre impériale. Lorsqu'avec l'aide du Seigneur, sa teneur sera connue de Votre Bienveillante Majesté. Elle voudra bien accorder entière créance aux communications de ctSéfir, et dans toute occasion, donner cours aux témoignages d'affection qui peuvent resserrer les noeuds de l'union des deux Empires: C'est ce que nous espérons des soins bienveillants de Votre Majesté". Le 13e jour de la lune de Reby'ler 1250 (8 juillet 1834 J.C.). 89 . Après la remise du firman (lettre) du Sultan au Roi de France, Rechid Bey prononça en turc le discours qui suit, aussitôt traduit par l'interprète "Honoré de la mission d'apporter et de présenter à Votre glorieuse Majesté une lettre particulière de Sa Hautesse, le Puissant Empereur mon auguste Maître, dans laquelle ce Monarque manifeste les sentiments de l'amitié pure et sincère qui l'anime pour Elle, et son voeu de resserrer les noeuds de mutuelle bienveillance qui lient entre eux les glorieux Empires, je suis profondément ému, en même temps que j'éprouve le sentiment intime de mon insuffisance, de remplir la haute et noble mission, de cultiver et de consolider ces relations d'attachement et de bonne harmonie entre les deux augustes Monarques et glorieuses Cours..." 90 . En réponse à ce discours du ministre plénipotentiaire de la Sublime Porte, Louis Philippe prononça l'allocution suivante: "Monsieur l'Ambassadeur, 89 A.A.E. 1834 T U R Q U I E 269 pF.. 174. 90 A.A.E. 1834 T U R Q U I E 269. IOO BAYRAM KODAMAN Je reçois avec une grande satisfaction la lettre que le Sultan vous a chargé de me remettre. J'apprécie les sentiments d'amitié que me témoigne Sa Hautesse et je rechercherai avec empressement toutes les occasions de lui manifester combien celle que je lui porte est sincère et durable. Je serai charmé de cultiver et d'entretenir les relations d'attachement et de bonne harmonie qui subsistent depuis si longtemps entre la France et l'Empire ottoman et je vous prie d'assurer le Sultan des voeux que je forme pour la prospérité de son règne et de son Empiré" 91 . Pendant cette réception officielle, Rechid Bey fut traité avec beaucoup d'égards par le Roi qui manifesta envers lui, une attitude amicale et sympathique. Et il fit la connaissance de la Reine 92 ainsi que de ses deux filles qui s'entretinrent aussi avec lui 93 . De plus Rechid Bey, favorisé par la sympathie de Louis Philippe, fut invité à dîner au Palais Impérial, le 26 septembre 1834 (22 Cemaziyelewel 1250)94. Avant de se rendre au Palais Impérial avec Namik Pacha 95 , Ambassadeur ottoman à Londres, venu à Paris, il rendit visite au Premier Ministre, le Maréchal Gérard, à qui il davait remettre la lettre de la Porte, et au Général Guilleminot96. IL Préparations de Rechid Bey à ses fonctions diplomatiques: Au début du mois d'Octobre, Rechid Bey commençait ses consultations dans les milieux diplomatiques sur sa mission relative à l'Algérie. Toutefois il était persuadé qu'il était trop tôt pour annoncer son mandat au gouvernement français. Il jugeait utile d'attendre le moment opportun à une telle démarche auprès du ministre des Affaires Etrangères. D'ailleurs l'Amiral de Rigny 97 l'avait informé de ses préoccupations afin de retarder son entreprise à ce sujet98. Entre temps il ne restait pas dans l'immobilisme; il s'efforçait d'élargir sa connaissance sur l'état d'asprit du gouvemment français et sur 91 A.A.E. ibid. 92 Marie Amélie. 93 B.A. H.H. 46899 J Corrs de Rechid Bev le cemaziyelewel 1250. 94 Ibid. 95 Alors Ambassadeur ottoman à Londres 96 Ex-Ambassadeur de France à Istanbul. 97 Ministre français des Affaires Etrangère*. 98 B.A. H.H. no 46899 J; corresp. de Rechid Bey. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 l'opinion publique en vue de se préparer aux entretiens ultérieurs qui pourraient être tenus à propos de l'Algérie: il sondait, d'une part les hommes d'Etat et les politiciens pour pouvoir connaitre les intentions du gouvernement français et examinait les articles des journaux parisiens ayant trait à ce sujet; d'autre part il entra en relations avec les Ambassadeurs des Etats qui maintenaient des rapports amicaux avec la porte pour obtenir leur soutien dans sa mission. Au commencement, il semblait ne pas être fixé sur ce que pourraient tre ses propositions au gouvernement de Louis Philippe et, pour cela, comptait plutôt sur les conseils de l'Ambassadeur de Russie, Pozzo di Borgo, qui avait déjà l'expérience de la vie diplomatique". Nous savons qu'après le traité de Hünkâr iskelesi, les relations politiques s'étaient eméliorées entre la Russie et l'Empire ottoman et que celle là avait montré son intention d'apporter son aide politico-diplomatique à la Porte. Et même son ambassadeur à Istanbul avait remis à Rechid Bey une lettre pour Pozzo di Borgo. C'est la raison pour laquelle Rechid Bey cherchait d'abord le soutien de l'Ambassadeur russe à Paris. A cet effet il se rendit à l'Ambassade de Russie pour s'entretenir avec Pozzo di Borgo sur la marche à suivre à propos de l'affaire algérienne; mais en raison de son absence de l'ambassade, Rechid Bey repartit sans avoir eu de conversation avec lui. Quelques jours plus tard l'Ambassadeur de Russie, informé de la venue de Rechid Bey à sa résidence, se rendit à l'Ambassade turque et eut un entretien avec lui. Au cours de cette entrevue, Pozzo di Borgo, après avoir exprimé sa satisfaction des relations intimes unissant les deux Etats (Russie et Turquie) et son amitié envers Rechid Bey, lui confia son point de vue sur la politique suivie par la France dans la question algérienne: "...Quoique la France admît en 1830 la restititution de l'Algérie et fît même savoir, par son Ambassadeur à Istanbul, M. Guilleminot, son intention de la rendre sous condition de garder pour elle certaines régions stratégiques en Afrique du Nord, le gouvernement actuel, en tenant compte de l'attitude et des accusations de l'opposition à l'Assemblée, de l'opinion publique française et ensuite du désintéressement de l'Angleterre, commença peu à déclarer franchement son désir de conserver l'Algérie et de s'y installer.Surtout les généraux influents se prononcent contre la restitu99 ibid. IOO BAYRAM KODAMAN tion. Il est, au moins pour le moment difficile de croire que la France abandonnera volontairement l'Algérie à son ancien propriétaire..." ,0°. Malgré ces révélations de l'Ambassadeur de Russie, Rechid Bey, qui n'était pas au courant des Ordonnances de Juillet 1834 prévoyant la conservation et des projets français de l'installation en Algérie, croyait encore que le gouvernement français ne déciderait pas définitivement d'y rester en raison des difficultés financières qu'il y subissait. Et il prenait en considération les attitudes des autres puissances, qui s'intéressaient d'ailleurs de prés à la politique méditerranéenne et qui ne voulaient pas se résigner à l'intervention française en Algérie et accepter cette occupation comme un fait accompli 101 . Pourtant il n'avait fait encore aucune démarche auprès du gouvernement français, parce que l'Ambassadeur de Russie lui avait conseillé de retarder le jour de la déclaration de sa mission essentielle pour attendre le moment favorable102. Entre temps il entra en contact avec Hamdan Effendi 103 et Hasun Effendi104 en vue de profiter de leur connaissance des événements et de la question algérienne et d'obtenir surtout l'aide du premier au cours des entretiens avec le gouvernement français105. Environ vingt jours après sa rancontre avec Pozzo di Borgo, l'Envoyé ottoman, s'entretenant à la fois avec celui-ci et l'Ambassadeur d'Autriche, leur demanda une fois de plus des conseils sur son attitude en cas d'une démarche auprès du gouvernement français. Ceux-ci, qui jugeaient que ce n'était pas le moment d'annoncer sa mission, alors que la question d'Orient n'était pas définitivement résolue lui suggérèrent de reporter à une dizaine de jours l'annonce de son mandat 106 . Rechid Bey mit au courant la 100 B.A. H.H. no 46899 J . Corresp. de Rechid bey, extrait des paroles de Pozzo di Borgo. 1C1 B.A. H.H. no.46899 j Corresp. de Rechid Bey, extrait des paroles de Pozzo di Borgo. 102 ibid. 103 B.A. H.H. no 46419 Corresp. de Rechid Be> 104 Lutfı, Tarih T . V p. 46, Hassun Efendi, beau frère du Vali de Tripoli, est venu à Istanbul en 1836. Il y est devenu rédacteur en chel du journal officiel T A K V I M I - V E K A Y I , publié à la fois en turc et en français. 105 B.A. Dossier no 78, feuil. no 21; corresp. de Rechid publiée par Baysun C . dans Tarih vesikaları 1/2 p. 145, no m . 106 Corresp. de Rechid, in tarih vesikaları 1/2 p 145 no III. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 Sublime Porte et Namik Pacha des entretiens qu'il avait eus avec ces deux diplomates et leur communiqua les raisons de ce report. Bien qu'il ait eu l'intention d'entamer tout de suite les conversations avec le gouvernement français il s'en abstint parce que les Puissances (surtout la France), intéressées de près à l'évolution de la crise d'Orient, ne désiraient pas s'occuper du problème de l'Algérie. Namik Pacha lui répondit qu'il était difficile d'obtenir de l'Anglenterre son intervention politique alors qu'elle était aux prises avec le Gouverneur d'Egypte, Mehmed Ali Pacha, dont la politique pourrait mettre en cause la sécurité des routes de l'Inde et que l'Algerie avait, pour elle, une importance secondaire. Pour sortir de cette situation inconfortable, Rechid Bey prévoyait la nécessité, pour l'Empire ottoman, de faire des concessions et d'accorder certains privilèges au gouvernement anglais dans ses territoires de Syrie et d'Egypte 107 . Il suggérait également à la sublime Porte de ne pas suivre une politique pouvant des soupçons à la Russie108; car il avait besoin^ Paris, du soutien et de l'aide de l'Ambassadeur de Russie dans le domaine de la diplomatie. D'autre part une intervention, au besoin une menace militaire, du gouvernement anglais pourraient obliger la France à céder et faciliter sa mission. Pour ne pas perdre le soutien de la Russie et rassurer son ambassadeur, Rechid Bey avait accuelli avec mécontentement et démenti les rumeurs circulant dans les milieux diplomatiques selon lesquelles l'Empire ottoman cherchait l'alliance des autres Etats contre la Russie. Dans l'espoir qu'à l'aboutissement de la crise provoquée par Mehmed Ali, les puissances s'occuperaient de l'Algérie, l'envoyé ottoman reprit des consultations diplomatiques en vue de savoir quelle serait dans un tel cas, l'attitude des Puissances. Cest pourquoi il demanda à Namik Pacha de le prévenir des intentions du gouvernement anglais sur l'Afrique du Nord 109 . 107 B.A. Mesail-i siyasiye (les affaires politiques) dossier français (1/2) F.14. Corresp. de Rechid in Tarih vesikalan 1/4 p. 283. no VI. 108 ibid. B.A. Mesail-i siyasiye (les affaires étrangères) dossier français (1-2) F. 14 Corresp. de Rechid in Tarih vesikalan 1/4 p. 291 no VI. 109 IOO BAYRAM KODAMAN En novembre 1834, à la suite d'un changement gouvernemental survenu, en Angleterre, en faveur du Parti Conservateur, l'arrivée aupouvoir du Duc de Wellington donnait à Rechid Bey l'espoir d'une intervention anglaise. Car on attendait dans les milieux ottomans que Wellington acceptât une politique active vis"a-vis de la France 110 . Mais dans la première entrevue qu'avait eue Namik Pacha avec Wellington, celui-ci déclara qu'il était trop tôt pour prendre une décision précise et qu'il ne pourrait décider, dès maintenant, de faire une démarche auprès de la France en faveur de l'Empire ottoman 11 En face de cette attitude du gouvernement anglais, Rechid Bey trouva normal d'ajourner d'une quinzaine de jours l'annonce de sa mission pour permettre à Wellington de constituer son cabinet, de rétablir son autorité et de se concentrer sur le problème algérien112. Pendant ce temps, dans la lettre qu'il avait envoyée à Paris en date du 5 Décembre 1834 (3 Saban 1250), Namik Pacha avertit Rechid Bey qu'il était probable que le gouvernement anglais actuel perdît le pouvoir dans les trois ou quatre mois prochains et lui conseilla de précipiter sa démarche auprès de la Cour de France à la faveur de la présence au pouvoir de Wellington, hostile à la politique française113. Toutefois Rechid Bey, peu soucieux de s'empresser dans sa mission, désirait que la Sublime Porte obtînt l'approbation et l'assentiment du prince Metternich et du Duc de Wellington avant qu'il ne tente les pourparlers avec les autorités françaises. De surcroît il jugeait utile d'attendre la réponse de Mehmed Ali aux propositions des Puissances114. Depuis son arrivée à Paris, l'envoyé ottoman qui n'avait rien réalisé de concret concernant son mandat, avait été obligé d'annuler plusieurs fois l'annonce de sa mission capitale et secrète, en apparence, sur les conseils et les suggestions des ambassadeurs de Russie et d'Autriche, mais en 110 Corresp. de Rechid in Tarih vesikaları i, 4 p. 291 no VI. 111 Ercüment K U R A N : Cezayirin Fransızlar Tarafından İşgali Karşısında Osmanlı Si- yaseti İstanbul 1957 p.40. 112 Corresp. de Rechid le 15 recep 1250 (17 décembre 1834) in Tarih vesikaları 1/6 p. 436 no X I . 113 Corresp. de Rechid le 7 saban 1250 <9 décembre 1834) in Tarih vesikaları 1/6 p.436 no XIII. 114 En cas de réponse positive de Mehmed Ali Pacha à la note des Puissances, l'Egypte se soumettra à l'autorité du Sultan et la crise d'Orient prendra ainsi fin. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 réalité par l'attitude prise et les entraves faites par le gouvernement français et par les circontances. Toutefois il n'ajournait pas sa fonction sans aucun but mais le fit en vue d'en tirer des avantages et de gagner du temps pour ses préparations à un dialogue sur l'Algérie avec le ministre français des Affaires Etrangères. De même qu'il était préoccupé par certains objectifs politiques: — Gagner l'aide de la France pour l'Empire ottoman dans la crise d'Egypte, en s'abstenant bien sûr de lui donner des soupçons sur l'affaire algérienne. — Obtenir le soutien de l'Angleterre pour exercer une pression politique sur la France à propos de l'Algérie. — Préparer le terrain pour négociations avant d'agir officiellement. — Faire de la propagande pour la politique de l'Empire ottoman, en achetant les journaux de Paris. Malgré tout ce qu'il put faire il n'obtint pas en deux mois un résultat positif pouvant faciliter sa mission: à savoir qu'il n'arriva point à faire intervenir ni l'Angleterre ni l'Autriche sur lesquelles il comtait pour sa réussite diplomatique, ni à obtenir un changement favorable à la restitution de l'Algérie dans la politique de la France. Enfin au début du mois de décembre 1834 à la demande de la Sublime Porte et de Namik Pacha il décida, sans grand espoir, de déclarer sa mission au gouvernement français et de demander officiellement la restitution de l'Algérie à l'Empire ottoman 1,s . İÜ. La déclaration de sa mission et deux entretiens. A la suite des instructions venant d'Istanbul, Rechid Bey, qui se trouvait depuis son arrivée à Paris dans l'indécision à propos de l'annonce officielle de sa mission, demanda enfin au ministre français des affaires étrangères de lui accorder un entretien. Mais, dans sa demande, il évita de parler de la question de l'Algérie afin de ne pas subir le refus catégorique du gouvernement français qui ne voulait pas entrer en discussion avec la Sublime Porte, pour pouvoir mettre cette dernière devant le fait accompli. 1 1 5 B A . les affaires politiques, dossiers français (1-2) «>34. Corresp. de Rechid Bey in Tarih vesikaları 2/7 p. 44 no X V I I . IOO BAYRAM KODAMAN Par la suite le Ministre français, en acceptant sa demande, lui indiqua la date du 18 décembre pour cet entretien. D'autre part, avant de s'entretenir avec le Ministre il informa les ambassadeurs de Russie et d'Autriche de sa décision de sa réclamer officiellement l'Algérie au cours de cette rencontre et s'enquit de leur point de vue sur sa conduite. Bien que l'Ambassadeur de Russie ait approuvé sa démarche et l'ait encouragé dans sa politique, celui d'Autriche lui conseilla de ne pas remettre au gouvernement français une note écrite officielle, en lui rappelant la fois où la France avait renoncé sans aucun prétexte à sa note écrite et présenté en 1830 à la Porte, la note qui prévoyait la restitution de l'Algérie sous condition de garder certaines régions stratégiques. Puis remarquant l'inurilité d'une note écrite dans des conditions actuelles l'Ambassadeur autrichien dit qu'il serait utile pour Réchid Bey d'annoncer verballement sa mission concernant l'Algérie. En fait, le 18 décembre 1834, Réchid Bey eut son premier entretien avec l'Amiral de Rigny, ministre des Affaires Etrangères116. Au cours de cette rencontre l'Envoyé ottoman annonça officiellement au ministre des Affaires Etrangères qu'il était surtout chargé par son gouvernement de rechercher, de concert avec le Gouvernement français, la possibilité de régler les désaccords survenus entre les deux Etats et de résoudre la question algérienne par la voie de négociations dans une atmosphère amicale et compréhensible. De son côté De Rigny, s'abstenant d'entrer dans le vif du sujet, déclara qu'il ne saurait s'entretenir avec lui de l'Algérie, en raison de l'absence d'un avertissement préalable de sa mission sur cette question. Malgré cette attitude du ministre français, Réchid Bey n'omit pas de faire valoir les droits à la fois légitimes et reconnus de l'Empire ottoman sur l'Algérie, de rappeler la note présentée à ce sujet par la France à la Sublime Porte et de lui demander d'accepter celle (la note) qu'il voulait lui remettre. Cette fois le ministre français lui déclara: "Si votre but est obtenir le retrait des troupes françaises de l'Algérie et sa restitution à l'Empire ottoman, que je vous dies officiellement, je ne pourrais pas accepter votre note et aussi écouter vos propos à ce sujet, parce que la France ne l'abandonnera jamais 117 ". En même temps il se mit à nier la note présentée à la Porte par le général Guilleminot; et au moins à voulo116 Cavit B A Y S U N , Cezayir meselesi ve Reşid Paşanın Paris Elçiliğinin III Türk Tarih Kongresi zabitleri p. 378. 1 1 7 B.A. Sandık (caisse) 153 Evrak (feuil) 21, corresp. de Rechid, le 19 saban 1250 (21 décembre 1834) in Tarih Vesikaları 2/7, p.45, n o X V I l I . MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 ir prouver que cette note n'avait aucune importance, et que la France avait raison d'occuper l'Algérie 118 . Et il ajouta également niant la souvrainté du Sultan sur ce pays, le fait que, selon lui, l'Algérie n'avait jamais fait partie des territoires de l'Empire ottoman, qu'elle avait depuis longtemps un gouvernement indépendant et que l'occupation avait coûté cher à la France. Pourtant Rechid Bey en réitérant les droits incontestables de son gouvernement sur ce pays, se montra résolu à continuer ses démarches auprès du gouvernement français pour faire accepter un entretien officiel sur sa mission relative à l'Algérie. D'autre part, en raison des motifs déclarés par la Porte de sa nomination à Paris et surtout de son silence pendant deux mois sur la question d'Algérie, le ministre français fit connaitre à Rechid Bey que la Porte ne lui donnait pas l'autorisation en la matière et qu'il était envoyé pour améliorer ou plutôt resserer les liens entre les deux Etats 119 . Miiis à la suite de l'insistance très mesurée du ministre plénipotentiaire ottoman, Rigny lui déclara:" Bien qu'il soit évident pour tout le monde que la France ne se résignera jamais à abandonner l'Algérieje ferai part de vos réclamations au Conseil des ministres et je vous accorderai un autre entretien, dont la date vous sera communiquée ultérieurement, pour délibérer exclusivement sur la question d'Algérie 12°". Des paroles du Ministre français des Affaires Etrangères découlent deux faits: d'une part l'impossibilité pour Rechid Bey de sortir victorieux de sa mission et d'autre part le maintien par la France de l'occupation et de la colonisation de l'Algérie. En effet, la France avait dépensé beaucoup d'argent et continuait encore à en dépenser afin de consolider sa conquête et son installation dans ce pays. Pourtant le gouvernaient français, pour éviter de se brouiller avec l'Empire ottoman au moment de la crise d'Orient suivait une politique souple sans prendre aucun engagement vis-à-vis de la Sublime Porte sur L'Algérie. En conséquence De Rigny voulut accorder à Rechid Bey, sans fixer la date, un entretien proche. Son but était sans doute de distraire le diplomate ottoman en lui donnant un peu d'espoir sur l'acceptation de sa note par la France. 118 ibid. 119 ibid. p. 50. 120 ibid. P . 51. IOO BAYRAM KODAMAN De son côté l'Envoyé ottoman fat satisfait de cette rencontre, parce qu'il avait officiellement déclaré sa mission, en ce qui concerne la demande del'Algérie, et avait en même temps obtenu un entretien particulier pour la question d'Algérie. Il espérait d'autre part que le Ministre français accepterait la note qu'il avait préparée 121 . Il communiqua la teneur de ce premier entretien à l'Ambassadeur ottoman à Londres et lui en envoya un compte-rendu. Celui-ci, après l'avoir reçu, rencontra aussitôt Wellington pour lui expliquer le contenu des conversations entre De Rigny et Rechid Bey à Paris et lui demander une fois de plus le soutien de l'Angleterre. Mais, en reconnaissant toutefois les droits de l'Empire ottoman sur l'Algrérie, Wellington fit allusion à la difficulté pour la Turquie de récupérer ce pays. En outre, Rechid Bey, qui, pour faciliter les négociations avec le gouvernement français, avait eu pour objectif, depuis son arrivee, de gagner le soutien moral de certains Hommes d'Etat français à la juste cause de l'Empire, eut, à cette fin, une entrevue avec le Général Guilleminot qui avait présenté à la Porte la note française sur laquelle Rechid Bey fondait ses réclamations et ses démarches auprès du gouvernement français; il voulut faire reconnaître au gouvernement français la validité de cette note française. Guilleminot, contrairement à ce que Rechid Bey attendait de lui, se prononça sur l'inutilité de ses démarches prématurées auprès du gouvernement français. De même, pour le persuader de ne pas réclamer l'Algérie pour le moment, Guilleminot déclara à Rechid Bey: "Il est évident qu'en raison de la liberté de vote en France les dirigeants doivent tenir compte de l'opinion publique française qui se déclare pour la conservation de ce pays; même si le Roi et ses Ministres en avaient voulu la restitution, il sera difficile, pour eux, de faire approuver leur décision au peuple de France. D'où vient la nécessité d'annuler provisoirement votre demarche" ,22 . En dépit de ses explications persuasives et de ses efforts pour faire renoncer Rechid Bey à toute activité pour la restitution de l'Algérie, Guille121 B.A. Sandık (caisse) 153 Evrak (feuil) 21, corresp. de Rechid, le 19 saban 1250 (21 décembre 1834) in Tarih Vesikaları 11/7, p. 53 no X V I I I . 122 B.A. H.H. 46899 D . Corresp. de Rechid bey, le 26 Saban 1250 (28 décembre 1834) publiée par Baysun, Tarih vesikaları 2/9, p. 208. no X X I . MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 minot ne parvenait pas à le convaincre. Enfin, voyant Rechid Bey résolu à poursuivre ses tentatives diplomatiques, il accepta une rencontre, non pour discuter des événements politiques concernant les deux pays, mais pour déterminer, de concert avec Rechid Bey, la signification de la note française de 1830 dont l'interprétation était différente: pour la Turquie, elle signifiait la restitution de l'Algérie; au contraire, la France, soutenant que la teneur de la même note n'avait aucun trait à la restitution, refusait le point de vue de la Porte123. D'autre part le plénipotentiaire ottoman mit au courant l'Ambassadeur de Russie de ses entretiens successifs et lui demanda en même temps son avis sur la marche à suivre. Celui-ci proposa deux solutions possibles au sujet de la restitution: en premier lieu, l'intervention effective de la Grande Bretagne et de certains Etats plus ou moins intéressés; au second lieu la renonciation volontaire de la France à l'occupation et à la conservation de ce pays. Mais l'Ambassadeur de Russie désapprouva la première solution, faisant remarquer le danger d'une guerre générale nuisible à la paix et à la stabilité en Europe; il ne croyait pas non plus à la possibilité de désintéressement volontaire de la France de ses intérêts en Afrique de Nord. Cependant il encouragea Rechid Bey à ne pas renoncer, en quoi que ce fût, à sa politique, à continuer ses démarches et à réitérer ses réclamations auprès du gouvernement français en vue de faire accepter par la France une note officielle à ce sujet124. Il voyait dans l'acceptation, par la France, de la note écrite une réussite suffisante pour Rechid Bey. Dans l'espoir d'obtenir quelque réussite, de faire admettre par le gouvernement français la note écrite à laquelle il attachait une grande importance, et de convaincre Monsieur Guilleminot de son point de vue sur la note française de 1830,Rechid Bey attendit, sans connaître les vraies intentions de la France, les prochaines conversations avec ces deux hommes d'état. Mais Guilleminot prétextant des préoccupations personnelles, évita de s'engager avec Rechid Bey dans une discussion125. Quant au ministre français des Affaires Etrangères, lui aussi, peu désireux de s'entretenir avec lui sur l'affaire algérienne se tint dans une position équivogue tandis que Rechid Bey réitérait ses demandes pour obtenir un entretien126. 123 B.A. H.H. 46899 D. Corresp. de Rechid le 28 décembre 1834. 124 B.A. H.H. 46899 D. Corresp. de Rechid le 28 déc. 1834. 125 B.A. H.H. 46904 j cité par K U R A N , op. cit. p.21; corresp. de Rechid le 24 Ramazan 1250. 126 B.A. H.H. 32987 A, corresp. de Rechid, le 17 ramazan 1250 citée par K U R A N op. cit. p. 41 IOO BAYRAM KODAMAN Entre temps, la France avait annoncé à la Porte par l'intermédiaire de son ambassadeur, Roussin, qu'elle n'abandonnerait jamais l'Algérie à la Turquie, Mais de son côté la Sublime Porte ne prit pas au sérieux la déclaration de Roussin, parce que Rechid Bey avait communiqué à la Porte que le gouvernement français ne serait pas encore décidé à la colonisation de l'Algérie en raison de ses difficultés financières et de l'opposition de certains milieux influents de l'Assemblée française127. Nous savons que le gouvernement français n'avait pas cessé de manifester depuis 1830, en toute occasion, son désir de garder et de coloniser l'Algérie. Mais sans tirer de conséquences de tout ce qui se passait aussi bien en France qu'en Algérie, Rechid Bey comptait sur la pression politique que pourraient exercer, selon lui, les autres puissances sur le gouvernement de Louis Philippe en faveur de l'Empire ottoman. En realité grâce à sa puissance navale alors dans la Méditerranée occidentale, l'Angleterre qui était en mesure de forcer la France à céder l'Algérie à son ancien propriétaire, s'abstenait de se brouiller avec le gouvernement libéral de Louis Philippe en raison de sa politique traditionnelle: le maintien de la politique d'équilibre en Europe. Il était donc difficile de prévoir une intervention anglaise au profit de la Porte. Mais Rechid Bey, ayant fait abstraction de toutes les considérations politiques du gouvernement anglais s'efforçait en vain d'obtenir son soutien dans cette affaire. D'autre part, il n'avait guère porté auparavant son attention sur la politique suivie par la France en Algérie l28 , pour bien connaître les visées de la France et pour orienter ses entreprises selon les circonstances. Cette omission de Rechid Bey donna à la France l'occasion de prendre l'initiative et d'élargir sa conquête. Etant donné qu'il voyait dans la question d'Orient les motifs de l'abstention du gouvernement français pour une négociation sur l'Algérie, il espérait qu'à la fin de la crise d'Orient, la question d'Algerie serait résolue sans aucune difficulté. Il reconnaissait que l'Algerie était parmi les occupations d'ordre secondaire pour la France. Après quelques semaines d'attente, il obtint une entrevue avec le Ministre des Affaires Etrangères. Ce fut sa dernière rencontre, alors qu'il éta127 Ercüment K U R A N op. cit. p.41. La France étendait sa conquête et voulait mettre la Tunisie sous sa protection. Il y avait d'autre part, un accord entre A D U L Kader et le gouvernement français. 128 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 it chargé de régler cette affaire. Comme il avait communiqué ses espoirs à la Porte sur les prochaines conversations avec le Ministre français, il attendait un résultat positif, du moins une certaine compréhension de la part de la France. En dépit de tous ses espoirs pour tirer des avantages en faveur de la Turquie, il ne put rien obtenir du ministre français. Cette fois, déçu par l'attitude du gouvernement français, il perdit l'espoir de réussir dans sa mission, parce que le ministre français refusa de parier de l'Algérie et proposa d'annuler sine die les duscussions relatives à l'Algérie. C'est pour cette raison que Rechid Bey ne put ni présenter sa note écrite, ni obtenir de la France, pour l'avenir un engagement positif d'ordre politique, envers la Sublime Porte I29 . IV. Retour de Rechid Bey à Istanbul: Au début de son séjour dans la capitale de la France, Rechid Bey avait l'espoir de pouvoir remplir son office dans conditions favorables. Mais découragé par le ministre français des Affaires Etrangères au cours de leurs deux entretiens, il perdit cet espoir et comprit en même temps que la France définitivement ne quitterait pas l'Algérie. En effet nous le voyons deux mois après le dernier entretien, demander à la Sublime Porte l'autorisation de se rendre provisoirement à Istanbul 13°. D'après lui, les motifs de ce retour étaient d'informer et d'exposer, en détail, à la Porte ses appréciations et ses observations sur la politique des Etats européens et surtout celle de la France à l'égard de l'Empire ottoman, ce qu'il ne pouvait communiquer par correspondance. De plus il y avait aussi parmi ces motifs, des préoccupations familiales ,31 . Dans le document que nous avons trouvé aux archives du ministère français des Affaires Etrangères, on explique clairement les motifs de son retour à Istanbul. Ce document (corres. de Roussin en date du 9 mars 1835), justifie notre explication ci-dessous à ce sujet: " Rechid Bey a envoyé à la Porte un courrier apportant une seule dépêche dans laquelle il nous a dit que, non seulement il n'a obtenir une réponse à sa note sur Alger, mais que le ministre français n'a même pas voulu le recevoir, alléguant que sa réception serait préjudiciable à la Porte 129 Nous n'avons pas trouvé la lettre de Rechid Bey concernant ce dernier entretien. Enver Behnan S A P O L Y O , Mustafa Resid Paşa ve Tanzimat devri tarihi, istanbul 1946 p. 22. 130 131 Ibid. IOO BAYRAM KODAMAN dans les circonstances actuelles; car s'il y répondait, il serait obligé de lui dire des choses qui la compromettraient envers la nation et les autres Puissances." (cela n'est pas très clair). Puis Rechid a ajouté: j'ai une chose de grande importance à communiquer à la Porte, que je n'ose pas écrire même en chiffre, et comme il est très urgent que la Porte l'apprenne, je la prie de me permettre de venir à Istanbul lui faire cette communication de vive voix et puis de retourner à mon poste à Paris ,32 . " Après, est expédié à Rechid Bey l'ordre du Sultan de revenir en laissant à sa place Ruhiddin Effendi..." 131 A ces motifs qu'on vient de signaler il faudra en ajouter un autre qui a retenu l'attention en raison de son absence dans les sources turques: C'est l'ambition de Rechid Bey de devenir "Reis Effendi-(ministre des Affaires Etrangères) "Rechid Bey a pu prendre le prétexte d'une importante communication pour revenir. Rechid Bey n'ignore pas que la réclamation d'Alger n'a été qu'un prétexte pour faire passer sa mission, dont le seul et véritable but était de réhausser l'ancienne amitié de la France, que l'alliance avec la Russie avait refroidie. L'échec de cette réclamation n'était donc pas un motif suffisant pour revenir134". Si l'on tient compte de la promotion deRechid Bey, à son retour, au rang de Pacha, et plus tard, en 1837, au poste de ministre des Affaires Etrangères, il faut prendre en considération l'importance de ce motif non révélé jusqu'à maintenant. Avant de partir pour Istanbul, il laissa sa place à Ruhiddin Effendi 135 qui était venu avec lui en France en qualité d'interprète. Ce dernier, nommé ainsi Chargé d'Affaires (Maslahatgüzar), allait assumer la tâche que lui avait confiée Rechid Bey. Mais, pour faciliter la mission et alléger la responsabilité de Ruhiddin Effendi, Réchid ne manqua pas de tracer les lignes principales de la politique que devrait suivre celui-ci, à Paris au cours de son absence. A cette fin il lui laissa des instructions (talimat)136 résumées, en sept articles, relatives aux questions politiques de première importance de l'Empire ottoman. Le troisième de ces artiles était consacré 132 Rechid Bey avait écrit la plupart des lettres ayant un caractère politique en chiff- 133 A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 106. C o r n de Roussin le 9 mars 1835. 134 A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 108 Corrs de Roussin le 9 mars 1835. re. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 à l'Algérie, c'est-à-dire aux mesures à prendre et à la politique à suivre par Ruhiddin Effendi. Voici cet article: ".... Troisièmement à propos de l'Algérie: Vous (Ruhiddin) savez bien la teneur, les détails des deux derniers entretiens avec le ministre des Affaires Etrangères, la demande et le désir du gouvernement français d'annuler les conversations: Si l'on aborde la question de l'Algérie au cours de conversations éventuelles il est normal que vous vous prononciez d'une façon persuasive et assurée sur les droits évidents et incontestables de l'Empire ottoman sur ce pays. D'autre part tant qu'un nouvel ordre (de la Porte) ne sera pas envoyé à l'ambassade, il ne faudra pas faire de démarches officielles. Dorénavant si la plupart des députés, pendant le débat à l'Assemblée sur les dépenses militaires en Algérie, se prononcent contre la colonisation de ce pays et que les journaux en même temps des articles sur l'inutilité de ces dépenses considérables, vous communiquerez toutes ces nouvelles à Beylikdji Nouri Effendi, l'ambassadeur ottoman à Londres137, et suivrez une politique selon ses instructions et le conseil du gouvernement anglais138. Dans cette instruction donnée à Ruhiddin Effendi Réchid Bey croyait d'autre part que la question d'Algérie pourrait être résolue non à Paris, mais à Londres "Centre politique de l'Europe". En effet nous verrons Rechid Bey devenir l'un des partisans influents de la politique anglaise au sein du gouvernment ottoman. Comme nous l'avons signalé dans notre introduction, il accorda aux Anglais, en 1838, des concessions économie nationale du pays et qui furent à l'origine de toutes les atteintes portées à la Turquie dans les domaines économique et politique. A la veille de son départ de la capitale française, "Rechid Effendi a eu son audience privée de congé, le vendredi 27 mars à 9 heures du soir il a présenté à M. le Duc de Broglie, Rouhiddin Effendi en qualité de Chargé d'Affaires pendent son absence. "Le samedi soir 28 mars, il s'est rendu au palais des Tuileries, où il prit congé de la Reine et du Roi, en leur annonçant un prompt retour, inchallah.... 135 ibid. 136 Méhmet S E L A H A T T I N op.cit. p.16. 137 Entre temps Nouri Efendi, nommé ambassadeur de Turquie à Londres, avait à peine remplacé Namik Pacha. 138 B.A. H.H. 37461 A., l'instruction donnée par Rechid Bey à Rouhiddin Efendi, voir également L U T F I , op. cit T . V . p. 7. BAYRAM KODAMAN "Le dimanche 29 à 8 heures, il est monté en voiture , - w ". C'est ainsi qu'après un séjour sept mois (16 septembre 1834-24 mars 1835) il quitta Paris pour Istanbul140. A son arrivée il fut reçu en audience par le Sultan Mahmut II. Et ce dernier, s'entretenant longuement avec Rechid accompagné de son fils 141 , prit connaissance de la politique européenne et de celle de la France 142 . A la suite de cette conversation, Rechid Bey, tout en gardant le titre d'Amedji, fut promu par Mahmut II au rang d'ambassadeur 143 . Sur ces entrefaites il présenta un compte-rendu(mazbata) circonstancié au Sultan à propos de la politique ottomane et des mesures à prendre en face des problèmes qui se posaient à l'Empire. Très satisfait du contenu de ce rapport Mahmut II fait l'éloge de ses qualités d'homme d'Etat dans son hatt-i-humayun (proclamation ou écriture sublime): "Le comportement et le tempérament de Rechid Bey, qui est devenu l'un de nos hommes d'Etat les plus habiles et fidèles, prouvent le fait qu'il est ambitieux et désireux de rendre service à notre religion et à notre Etat. Que Dieu le rende illustre et victorieux dans toutes ses tentatives en faveur de la religion et de l'Etat I44 ". En fait, ce document nous montre clairement que, malgré son échec dans sa mission à Paris, Rechid Bey fut traité avec beaucoup d'égards par le Sultan et aussi encouragé dans sa conduite politique. Sur ce point nous sommes d'avis qu'il sera juste de chercher la raison d'une telle attitude de Mahmut II envers Rechid Bey dans ses idées réformistes et pour cela d'aller au-delà de 1830. Depuis son avènement au trône ottoman, surtout depuis la destruction des janissaires en 1826, et convaincu de la nécessité des réformes sociales, administratives et militaires Mahmut II en avait introduit certaines pour rajeunir l'Empire et rattraper l'Europe dans ces domaines. Mais il savait pourtant l'insuffisance de tout ce qu'on avait effectué, jusqu'en 1835, pour moderniser l'Empire, et il était conscient que ce dernier manquait d'hommes d'Etat ayant une profonde connaissance de la civilisation européenne. Pour occidentaliser la 135 A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 122. 140 Islam Ansiklopedisi l'article "Resid Pasa (Mustafa) écrit par Ercüment K U R A N . Parmi les motifs de son arrivé à Istanbul, il y avait aussi la circoncision de son fils Mehmet. Le Sultan informé de cette circonstance avait appelé au Sérail Rechid Bey avec son fils. Voir A. L U T F I T . V . P.6. 141 142 A. L U T F I . op cit T . V . p.6. 143 A. L U T F I . op cit T . V . p.6. 144 B.A. Sandık (caisse) 153 H.H. 87 ( B A Y S U N op cit in Tanzimat p. 729). MOIISTAI'IIA RÊCHID PACHA 73 Turquie il fallait bien connaître les institutions, la société, et surtout la conception et la mentalité européennes. C'est dans ce but qu'on envoyait les étudiants en Europe et que le Sultan Mahmut II conseillait toujours à ceux qui se trouvaient surtout en France, ou en Angleterre, en qualité soit d'ambassadeur, soit de Chargé d'Affaires, d'apprendre la langue et d'examiner les institutions administratives et la vie sociale ces pays. De même, avant de partir pour la France en 1834 Rechid Bey avait, parmi ses missions diplomatiques, la charge d'approfondir sa connaissance de la civilsation occidentale. Il convient de citer les parles que le Sultan avait dites à Rechid Bey: "Etudiez la langue française et mettez à profit les jours que vous allez passer en France" 145 . Etant au courant de la tendance et des idées de Mahmut II que nous venons de citer, il est très probable que Rechid Bey avait abordé les réformes concernant l'avenir de l'Empire dans le compte-rendu qu'il avait présenté au Sultan. En raison des idées nouvelles de Rechid Bey, le Sultan fit preuve de beaucoup d'égards pour lui pendant son règne. En effet nous voyons les événements, qui se succèdent de 1835 à 1840, justifier notre point de vue sur ce sujet: le rôle de Rechid Pacha dans la politique extérieure et intérieure et dans les réformes (Tanzimat), sera incontestable. Après avoir passé environ trois à Istanbul, il sera envoyé à Paris, cette ibis, en qualité d'ambassadeur. 145 Abdurrahman SEREF, op cit pp. 75-76. E) UNE TENTATIVE MILITAIRE DE LA PORTE POUR LA SOLUTION DE LA QUESTION D'ALGERIE: A la suite de l'attitude intransigeante du gouvernement français durant l'année 1834, nous constatons qu'en 1835 un changement se produit dans la politique de la Sublime Porte restée justée jusqu'alors favorable à une solution pacifique par la voie des négociations bi-latérales. Ceci se justifiait par l'attitude politique du gouvernement français qui faisait comperndre à la Porte l'impossibilité pour elle d'obtenir la restitution de l'Algérie par la diplomatie. En vérité quel était le comportement de la France? On sait que cette derinère avait montré en toutes occasions son désir de ne pas quitter l'Algérie, de ne pas s'engager sincèrement dans les converstaions et de renvoyer sine die les négociations, demandées par Rechid Bey. Le 19 juin 1835, chargé de la gérance de l'ambassade ottomane, en l'absence de Rechid Bey parti en congé à Istanbul, Ruhiddin Effendi remit au ministre français des Affaires Etrangères une note dans laquelle il expliquait les droits de l'Empire ottoman et le point de vue de son gouvernement sur l'Algérie 146 . Mais le gouvernement français, en annonçant qu'il ne saurait prendre cette note en considération, la retourna quelques jours plus tard à l'ambassade ottomane147. Ainsi, la dernière tentative de la Porte porte pour arriver à une conciliation par des moyens diplomatiques échoua à la suite de ce refus. Entre-temps, Hamdan Effendi qui était toujours en liaison avec l'ambassadeur ottoman, envoya une lettre au Sultan. Il demandait à ce dernier une intervention en faveur de la population algérienne: "... Nous vous demandons de trouver remède à nous malheurs, nous n'osons pas exposer à votre ambassadeur notre situation. Dieu nous garde... Notre Sultan ne nous négligera sans doute pas, il va s'occuper de ses sujets et leur venir en aide ...Nous formulons les voeux d'obéissance à Sa Majesté... J'informe Votre Majesté de ce qui se passe: Un grand nombre d'Algériens sont 146 Cette note avait été rédigée par Nuri Effendi, Ambassadeur ottoman à Londres et traduite en français par Ruhiddin. '835- 14 Ercüment K U R A N Cezayir'in Fransızlar Tarafından İşgali... p. 43. 148 B.A. H.H. 37510 F. Lettre de Hamdan Effendi le 1 Rébiulewel 1251 - le 28 juillet MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 tombés comme moi dans le malheur et ils sont restés esclaves en Algérie... ,48. A la suite du refus de la note par le gouvernement français et de la lettre de Hamdan Effendi, la Porte se décida à chercher d'autres moyens, c'est-à-dire à recourir aux mesures militaires pour arriver à une solution définitive. La première entreprise de cette nature fut la décision de la Porte de renforcer son autorité en Afrique de Nord. Avant d'intervenir militairement, en faveur d'Ahmed Bey, gouverneur de Constantine, la Porte voulut être sûre de son autorité à Tripoli (Trablusgarb) et à Tunis pour mieux contrôler la situation en Algérie. Pour mettre fin à l'ancien statut de ces provinces lointaines et les mettre directement sous l'autorité du Sultan, il n'était pas difficile pour la Porte de trouver un prétexte, car les désaccords continuels entre le Bey de Tripoli, Ali Pacha 149 et Mehmet Bey 150 présentaient pour la Porte l'occasion d'intervenir. Plus tard, en fait la Porte envoya sa flotte à Tripoli sous le commandement de Nedjib Pacha. Il faut préciser qu'avant le départ de cette flotte, Rechid Bey, alors à Paris, communiquait, au mois de mars 1835, au gouvernement français le désir de la Porte de prendre certaines mesures de pacification dans sa province de Tripoli. Il avait même adressé un mémorandum au Ministre des Affaires Etrangères au sujet des affaires de Tripoli. Dans ce Mémorandum il avait expliqué les intentions de la Porte et les motifs des troubles dans cette province. A notre avis il est utile de reproduire ce document: "Sa Hautesse Impériale (Le Sultan) ayant dans sa Sublime Munificence, daigné octroyer il y a quelque temps, l'investiture du gouvernement de Tripoli, avec le rang de Mirimiran 151 à Ali Pacha... Il aurait été nécessaire qu'un certain Mehmet Bey, qui, en dehors de la forteresse, disputait le pouvoir à Ali Pacha, renonçât à ses projets ambitieux, et mît un terme à sa coupable rebellion. Il persiste cependant dans ses vaines prétentions; et la Sublime Porte se voit obligée de prendre elle-même certaines mesures indispensables de repression pour assurer la tranquilité d'une 149 Le fils de Yusuf Pacha Bey de Tripoli ( i 209-1248— 1794-1832). Ali Pacha prit le pouvoir à Tripoli le 6 Rébiul ahir 1248 — Le 2 septembre 1832. 150 Méhmet Bey était le petit-fils de Yusuf Pacha. 151 Mirimiran équivaut à Beylerbeyi, gouverneur général. IOO BAYRAM KODAMAN des provinces de l'Empire... Déjà les ambassadeurs résidant à Istanbul ont écrit à leurs consuls à Tripoli des lettres par lesquelles il est prescrit aux consuls des Puissances amies de s'abstenir de montrer un penchant pour le parti des rebelles et de se trouver, en toute circonstance, du côté d'Ali Pacha, que la Porte a placé à la tête de cette Régence. Il est vrai de le dire: le consul de France s'est toujours parfaitement comporté en homme de paix, de sagesse.... Néanmoins le soussigné prie le gouvernement français d'écrire au consul une lettre officielle que le soussigné se chargera de lui faire parvenir, et qui recommandera à ce consul de continuer de vivre en rapports amicaux avec Ali Pacha, d'agir toujours dans le même état d'esprit d'union et de lui prêter son assistance pour mettre fin à la rébellion... "La remise de la lettre demandée ne peut manquer d'être agréable au gouvernement de Sa Hautesse...152 Le 2 Mars 1835 Comme on le voit, la Porte avait annoncé aux puissances qu'elle allait calmer la situation à Tripoli. Mais pourtant elle avait su dissimuler son désir de mettre cette province sous l'autorité directe du Sultan. A l'arrivée de l'escadre ottomane, Ali Pacha se rendit à du vaisseau amiral pour conférer avec Nedjib Pacha 153 . Ce dernier annonça, le 28 Mai 1835 (29 Muharrem 1251), que Ali Pacha était destitué et que lui même était chargé de le remplacer154. Ainsi la Porte plaça-elle le Pachalik de Tripoli sous son autorité directe. Du rétablissement de la suzeraineté directe à Tripoli, elle voulut tirer quelques avantages pour sa politique algérienne: 10) Aider Ahmed Bey, au besoin, préparer une expédition contre les Français pour les expulser d'Algérie. 20) Renverser le Bey de Tunis pour rerforcer son autorité. Tout cela était possible: pour la simple raison que géographiquement elle ne se trouvait pas très éloignée de Tunis et de l'Algérie à la suite du rattachement de Tripoli à Istanbul. 152 A A . E . 1835 T U R Q U I E 270 p. 105. Mémorandum adressé par Rechid Bey au ministre français des Affaires Etrangères, au sujet de l'affaire de Tripoli, le 2 mars 1835. 153 Aziz Samih Ilter, op cit p. 244. 154 ibid 244. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 Pendant ce temps, le Bey de Tunis, Hüseyin, mourut 155 le 20 mai 1835. Son frère Mustafa lui succéda 156 . La Porte approuva ce changement et donna officiellement l'investiture à Mustafa Bey. Mais elle ne put cacher son désir de rattacher directement Tunis à Istanbul. De son côté, Mustapha Bey se rendant compte que la Porte était mal disposée envers lui, cherchait l'appui de l'Angleterre et de la France, car il ne voulait pas se soumettre au Sultan. D'autre part, lorsqu'elle apprit l'intention de la Porte de s'emparer de Tunis pour avoir une position avantageuse dans ses revendications sur l'Algérie, la France déclara aussitôt qu'elle considérait le Bey de Tunis comme étant sous sa protection157. En même temps l'Amiral Roussin, ambassadeur de France à Istanbul, avertit la Porte que: "toute entrepise tendant à y implanter sa domination l'exposerait à nous (la France) trouver sur son chemin et à rencontrer de notre part une opposition réelle158. En Algérie, au début de 1886 la population de Constanine 159 , en expédiant une lettre à Istanbul, demandait une fois de plus au Sultan de donner à Ahmed Bey le grande de Pacha, c'est-à-dire le titre de gouverneur général. Mais le Divan (conseil des ministres) qui s'était réuni pour discuter et examiner les demandes de' la population de Constantine,évita de prendre une décision définitive avant de connaître les vues de son ambassadeur, Rechid Bey, compte tenu, bien entendu, de la réaction du gouvernement français160. Le motif de cette attitude réservée de la Porte était sans doute de ne pas pousser la France à l'extrême dans ses activités militaires en Algérie et de ne pas entrer directement en guerre avec elle, en attribuant à Ahmed Bey le titre de Pacha 161 . Ainsi la Porte voulait-elle aider et encourager Ahmed Bey dans sa résistance contre la France, tout en restant en rapport avec cette dernière pour pas fermer la voie diplomatique. Enfin le 155 D'après Aziz S. Ilter, la date de sa mort:le 28 mai 1835 (le 29 muharrem 1251). D'après J . Serres, le 20 mai 1835. 156 A.S.Ilter: op.cit. p. 169. 157 J.Serres: op.cit.p. 142. 158 ibid. Lutfi, Tarih: T.V,p.75. Cette »ille contenait à cette époque 35 ou 40 milles habitans; avec ses environs: 500 000 habitant». 159 160 Lutfi, Tarih: T . V , p. 75. Cette ville contenait à cette époque 35 ou 40 milles habitans; avec ses environs: 500 000 habitant». 160 Lutfi, Tarih: T . V . p.76. 161 ibid. p.76. IOO BAYRAM KODAMAN Divan, au terme de la délibération, approuva l'idée d'envoyer Kâmil Bey, miralay 162 , auprès d'Ahmed Bey pour faire verbalement à ce dernier les intentions favorables du Sultan et pour examiner de près la situation en Algérie 163 . Kâmil Bey partit le 7 avril 1836 pour Constantine. 11 n'était pas porteur d'une investiture pour Ahmed Bey, mais il était chargé de promettre à celui-ci le Pachalik de Constantine s'il parvenait à expulser les Français de l'Algérie 164 . Un mois plus tard, Tahir Pacha avec une escadre sous son commandement, partit, en apparence en direction de Tripoli, mais dans le but réel de se diriger vers Tunis pour placer cette ville sous l'autorité directe d'Istanbul, comme on l'avait fait pour Tripoli. La France, qui avait été renseignée des intentions de Tahir Pacha, ne tarda pas à montrer sa réaction en mettant la Porte en garde contre une tentative militaire visant la destruction du statu quo à Tunis. Puis elle envoya son escadre pour surveiller les activités de celle de Tahir Pacha qui se trouvait alors devant Tripoli. Nous constatons qu'à la suite des mesures prises par la France, le projet de la Porte de renverser le Bey de Tunis échoua. Etant consciente de la gravité de la situtaion en Afrique du Nord, la Porte déclara ensuite qu'elle n'avait formé aucun projet de changement à Tunis. Et elle abandonna ainsi le projet d'une grande expédition contre Tunis et vers Constantien dont Tahir Pacha devait être l'exécutant. Pourtant la Porte ne cessa pas de s'intéresser à Ahmed Bey et elle s'efforça de l'aider dans sa lutte contre la France d'une part, et d'obtenir la restitution de l'Algérie par la négociation de l'Algérie par la négociation d'autre part. 162 Kamil Bey, plus tard Pacha, en 1834 ambassadeur ottoman à Berlin. Mort en 1859. Cf. Mehmet Süreyya: op. cit., T . IV, p. 69. Lutfi, Tarihi T . V . p. 76. 164 Serres J.: op. cit., p. 165. F) DEUXIEME NOMINATION DE RECHID PACHA A PARIS. A peu près trois mois après son arrivée à Istanbul165 Rechid Bey, quitta la ville le 7 août 1835,pour aller remplir à Paris la seconde mission qu'on venait de lui confier166. Son long itinéraire passait par Bucarest et par Vienne. Mais au lieu de raconter son voyage à travers la Roumanie et l'Empire Austro-Hongrois nous en tiendrons à quelques événements ayant trait à sa mission. Rechid Bey, malgré son séjour de six jours à Vienne, comme hôte de Fethi Bey 167 , n'eut pas l'occasion, comme cela lut le cas lors de son premier passage, de s'entretenir avec le Prince de Metternich 168 . Par contre d'après sa lettre en date du 20 septembre 1835, il eut une conversation avec le chargé d'affaires français sur l'attentat manqué contre le Roi Louis Philippe, le 28 juillet 1835. Il arriva à Paris au début du mois d'octobre, et le 15 de ce mois, présenta au Roi la lettre du Sultan. A notre avis, pour bien comprendre l'importance des égards réservés par le Sultan à Réchid Bey et sa deuxième nomination en tant qu'ambassadeur, il convient de reproduire ici des extraits de la lettre du Sultan Mahmut II au Roi: "...Votre Majesté a connaissance que l'Amedji de notre Divan impérial, Rechid Bey,... auqel nous avions antérieurement confié une mission particulière et qui résidait à ce titre dans votre royale cité de Paris, profitant du congé qui lui avait été accordé, mais conservant toujours le même caractère diplomatique,qui devait le ramener auprès de Votre Majesté, était arrivé depuis quelque temps à Constantinople. Après un séjour de peu de durée à notre Porte, nous lui avons permis de retourner au centre de sa mission. Mais ce Bey étant un des hommes les plus considérés de notre S.P. -le trouvant digne de nouvelles et plus grandes marques de notre faveur impériale et appréciant l'étendue et la portée de ses talents nous avons daigné lui accorder subsidiairement le titre d'ambassadeur (Büyük Elçi); et au moment de son départ pour retourner à son poste près de V.M. nous avons fait rédiger et expédier notre présen- 165 L U T F I , Tarih T . V . p. 14. A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 122. Corrs de Roussin, le 9 août 1835"... Rechid bey est parti avant hier pour Paris en passant par Bucarest.." 166 '455- 167 Fethi Bey, alors ambassadeur ottoman à Vienne Voir: Lutfi, Tarih T . V . p. 6. 168 B.A. Sandık 153 Evrak 29 Corrs de Rechid, publiée dans tarih vesikaları II/12 p. IOO BAYRAM KODAMAN te lettre impériale qui est l'expression sincère de notre attachement à vous. A son arrivée Rechid Bey trouvera sans doute auprès de V.M. encore plus d'égards et de confiance qu'auparavant dans l'accomplissement de sa mission et dans les communications verbales et écrites que nous l'avons chargé de faire. Le penchant naturel de V.M. pour le maintien de la bonne intelligence la droiture de ses vues et l'esprit de justice inné en Elle nous donnent la convicition et l'espoir que les affaires importantes seront réciproquement conduites à bien et qu'ainsi les rapports d'amitié et d'affection qui, subsistent entre la S.P. et la Cour de France en deviendront doublement plus solides et plus durables...169". Rebiülahir 1251 (27 juillet 1835) Au cours de sa deuxième résidence à Paris, nous constatons, à l'appui des documents, que Rechid Bey n'a pas fait grand chose à propos de l'Algérie. Il s'abstint en effet de faire une démarche officielle auprès du gouvernement français à ce sujet. Il consacra davantage sa deuxième ambassade à la crise d'Egypte que nous allons traiter dans un autre chapitre. Cependant certains événements ayant une portée à la fois politique et militaire, tel que l'établissement de l'autorité directe du Sultan à Tripoli, c'est-à-dire la centralisation de ce vilayet, et l'essai d'une expédition militaire contre la Tunisie, poussèrent Rechid Bey à tenter des démarches diplomatiques auprès des milieux politiques français. Il faut préciser que tous ces événements qui se déroulaient alors à Tripoli et à Tunis étaient tout simplement la conséquence de la politique algérienne de la Sublime Porte. On sait qu'en 1836 une nouvelle fois la question de l'attribution du titre de Pacha à Ahmed, Bey de Constantine, était à Istanbul le sujet des préoccupations de la Sublime Porte. Enfin le Divan, avant de se prononcer, avait préféré prendre l'avis de Rechid Bey à ce sujet et lui envoyé un ordre pour qu'il communiquât qu'elles pourraient être les conséquences diplomatiques et politiques ainsi que la réaction de la France en cas d'une reconnaissance d'Ahmed Bey comme Pacha de Constantine par le Sultan. A l'arrivée de cet ordre, il exposa ses vues en détail dans un compte rendu, qu'il expédia à la Porte. Dans ce rapport, il estimait que la recon169 A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 267 no 88. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 naissance d'Ahmed Bey pair le Sultan pourrait mettre aux prises directement la France et la Turquie. Il convient de citer un extrait de lettre qui reflète son attitude à ce sujet: "...Il est évident qu'une décision, de la part du Sultan, prévoyant la nomination officielle d'Ahmed Bey au poste du Pachalik de Constantine sera accuellie avec insatisfaction par la France. En cas d'une telle éventualité, la France, en envoyant encore des troupes peut tenter des opérations d'envergure et conquérir l'Algérie toute entière; en outre elle peut porter atteinte à la politique ottomane dans les autres domianes (il s'agit ici, à notre avis, de la question d'Egypte). D'autre part en tenant compte du silence et de l'attitude actuelle du gouvernement anglais, dont nous connaissons l'opposition à la domination française en Algérie, il sera raison nable de ne pas protester contre les termes de "Afrika'da temellükâtimiz'' (les biens que nous avons en notre possession en Afrique) que le Roi de France a employés dans son discours à l'Assemblée. Pour ma part, n'ayant pas d'instructions de la Porte, j'ai jugé inutile de protester auprès du gouvernement français contre les propos du Roi,car une telle protestation aurait été vaine et n'aurait rien change... Pourtant c'est à notre Sultan, grâce à Dieu, de prendre des décisions précises à ce sujet 170 . O n voit qu'après avoir fait savoir ses vues d'une manière plus ou moins précise, il laissait la dernière décision à son Sultan. En fait malgré de nombreuses publications dans les journaux français et les discours pronocés soit par le Roi, soit par les députés à l'Assemblée sur l'installation française en Algérie, Rechid Bey, sous prétexte qu'il n'était pas muni d'un nouvel ordre de son gouvernement, restait malheureusement silencieux et s'abstenait d'élever la moindre protestation auprès des autorités françaises. Et pour justifier son attitude il prétextait que le gouvernement anglais avait la même position à sujet. Nous voyons qu'il avait déjà commencé de suivre la politique anglaise. Avant d'envoyer la lettre dont nous venons de donner un extrait il avait remis un rapport concernant les derniers événements en Algérie à M. Désages, secrétaire aux Affaires Etrangères. Dans ce rapport il expliquait qu'en attaquant la population opprimee des régions où ile se trouvaient les soldats français pillaient ses biens, ravageaient ses villes et villa170 C o r n de Rechid in Tarih Vesikalan III/15 p. 209. (B.A. Mésaili Siyasiye (les affaires politiques) Fransa Kortonu (Dossier Français irade 54). IOO BAYRAM KODAMAN ges et tuaient ceux leur résistaient et que,par conséquent, la population algérienne, sujette de l'Empire ottoman, demandait au Sultan de trouver un remède à sa souffrance. Et faisant allusion aux activités des troupes françaises qui étaient diamétralement opposées aux droits entre les Etats, il précisait que la porte devrait défendre ses droits légitimes sur ce pays. Il accusait enfin la France d'avoir mis à feu et à sang l'Algérie au nom de la civilisation, de vouloir en plus s'emparer de Constantine, et le Roi Louis-Philippe d'avoir prononcé un discours sur l'établissement de la domination française et envoyé son fils171 pour la conquête totale de l'Algérie 172 . Passant sous silence les accusations Rechid Bey et employant un langage modéré, Desages laissait entendre dans sa répons que les désaccords entre la Turquie et la France pourraient être résolus dans une atmosphère de compréhension, compte-tenu sans doute du changement ministériel et de la prochaine séance de l'Assemblée. Ainsi, Rechid Bey était persuadé que la nomination par la Porte de Ahmet Bey n'amènerait aucune solution favorable à l'Empire ottoman. Et il mettait l'accent dans sa lettre sur les dangers qui pourraient découler d'une reconnaissance officielle d'Ahmed Bey par la Porte.A ce sujet, disaitil, si on demande à la France de ne pas aller conquérir Constantine en proposant l'idée selon laquelle ce pachalik se trouve en dehors des territoires de l'Algérie, il est probable qu'elle acceptera la nomination d'Ahmed Bey au poste de pachalik. Mais cela signifiera alors sans doute pour la France que la Sublime Porte renonce aux autres territoires de l'Algérie déjà occupés 173 . De son côté la Porte, après avoir examiné et discuté le rapport que lui avait présenté Kâmil Bey 174 après son retour de Constantine et pris connaissance des idées de Rechid Bey, jugea dangereux de designer officiellement dès maintenant Ahmet Bey comme Pacha de Constantine 175 . Mais elle ne voulait pas pourtant se désintéresser du sort d'Ahmed Bey et désirait au contraire faire son possible pour l'aider dans sa résistance contre la France. A cette fin elle envoya de nouveau un ordre à Rechid Bey 171 Le Fils de Louis Philippe partit en 1835 'août) avec le Maréchal Clauzel en Algé- 172 COÏTS de Rechid in Tarih Vesikalan III/15 p. 211. rie. 173 ibid p. 212. 174 L U T F I , Tarih T . V . pp 75-78 175 Ercüment K U R A N , Cezayir'in Fransızlar 1 arafından İşgali... p. 46. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 pour qu'il contraignît le gouvernement français par la voie diplomatique, à céder l'Algérie à l'Empire ottoman 176 . Hamdan Efendi, venu à Istanbul, joua un grand rôle dans cette décision de la Porte d'envoyer une telle instruction à Paris 177 . Comme on voit, la Porte allait chercher énergiquement et essayer d'obtenir de la France la restitution de l'Algérie. Mais malgré l'arrivée de ce nouvel ordre, Rechid Bey estimait prématuré de réclamer l'abandon de l'Algérie et évitait par conséquent toute démarche officielle auprès du gouvernement français. D'après lui, étant donné que la question d'Algérie se présentait délicate, avant d'aborder cette question il fallait améliorer les relations entre les Puissances et la Turquie, obtenir leur soutien et comparer avec exactitude la situation de l'Empire et la portée politico-militaire de la question d'Algérie 178 . Il pensait qu'au moment où la France faisait savoir ses intentions hostiles envers la politique suivie par la Port- Tripoli, Tunis, Constantine- une démarche diplomatique pour réclamer l'Algérie ne serait plus prise au sérieux par le gouvernement français et rencontrerait un refus catégorique179. De plus, les autres Puissances, Pour des raisons politiques extérieures et intérieures adoptaient une attitude très réservée et s'abstenaient de prendre parti pour la juste cause soutenue par la Porte180. En vérité, à cause des motifs que nous avons expliqués ci-dessus, l'ambassadeur ottoman ne désirait pas réclamer la restitution de l'Algérie ni réitérer le droit de l'Empire ottoman sur ce pays auprès du gouvernement françait.Et d'autre part il savait bien qu'après les répercussions des événements de Tripoli et de Tunis, l'attitude du gouvernement français à l'égard de la Porte s'était durcie sur la question algérienne. Il est évident, pour lui, que le gouvernement français refuserait d'accepter un entretien ainsi que les revendications de la Porte sur l'Algérie si on faisait une démarche officielle auprès du Ministre des Affaires Etrangères181. Un tel comportement de la part de la France provoquerait sans doute le départ de l'ambassadeur ottoman. Or Rechid Bey, conscient des conséquences r6 Ercüment K U R A N : Cezayir'in Fransızlar Tarafından İşgali... p. 45. 177 B.A. H.H. 47965 C ; Le rapport de Hamdan Efendi. 178 Corrs de Rechid Bey in Tarih Vesikaları III/15 p. 216. 179 ibid. 180 ibid. 181 Corresp. de Rechid in tarih Vesikaları III/15 p. 216. IOO BAYRAM KODAMAN éventuelles d'une rupture avec la France, était pour la conservaiton des relations diplomatiques entre les deux états respectifs. Aussi prévoyait-il la suspension provisoire de toutes les démarches officielles à ce sujet pour calmer la France effrayée par le projet d'une expédition contre la Tunisie. Et il préférait attendre que la tension entre les deux gouvernements diminuât. A son avis, l'Empire ottoman, ayant à résoudre la crise d'Egypte qui était plus grave que celle d'Algérie, n'avait intérêt politique à voir se détériorer ses relations avec le gouvernement français182. Au contraire, une rupture avec celui-ci supprimerait évidemment toute possibilité de s'entendre et de trouver, à l'avenir,une solution au litige existant entre la Turquie et la France à propos de l'Algérie. Rechid Bey, en tenant compte du poids politique de la France devant la question d'Orient qui menaçait de prés l'existence de l'Empire ottoman, ne voulait pas perdre complètement son soutien politique. En somme, tout ce qu'on vient de présenter ci-dessus démontre que l'Ambassadeur ottoman, Rechid Bey, perdit l'espoir de faire renoncer le gouvernement français à la conservation des territoires occupés en Algérie et par la suite s'abstint de provoquer une rupture avec la Frence en insistant inutilement sur la restitution de ce pays à l'Empire ottoman. Mais il ne manque pas pourtant d'agir diplomatiquement pour justifier la politique de son gouvernement, pour convaincer la France d'abandonner l'Algérie et surtout pour obtenir le soutien de l'Angleterre. Vers la fin de sa deuxième ambassade à Paris, il eut des consultations officielles ou officieuses pour connaître les vraies intentions du gouvernement français sur la note qu'il voulait lui remettre et sur une entrevue avec le Ministre français des Affaires Etrangères183. Mais tous ces efforts ne donnèrent pas le résultat positif espéré pour la réussite diplomatique de sa mission. Certains hommes d'état français auxquels il avait parlé de son désir de remettre une note officielle et de demander un entretien sur l'Algérie, l'avaient déjà prévenu du fait que leur gouvernement n'accepterait aucune démarche de l'ambassadeur ottoman dans ce sens184. Pourtant celui-ci avait montré quelquefois son intention d'aborder la question d'Algérie au cours des entretiens avec le ministre des Affaires Etrangères sur les sujets concernant leur pays; mais ce ibid. I85 ibid. p. 219. 184 Corresp de Rechid in tarih in Tarih vesikaları 111/15 216. 1 MOUSTAPHA RÉCHID PACHA '3 dernier avait refusé de façon décisive de discuter de l'Algérie, prétextant l'absence d'un avertissement préalable de la part de l'ambassade ottomane 185 . D'autre part Rechid Bey, envoyant une lettre à l'ambassadeur de Londres, Beylikdji Nuri Efendi, lui expliqua le résultat de ses efforts et lui demanda son avis sur la politique à suivre dans les circonstances actuelles. Dans sa réponse, Nuri Efendi informa Rechid Bey qu'il se rendrait à Paris en vue de s'entretenir avec lui à ce sujet I8é . En même temps Rechid Bey mit la Sublime Porte au courant de ses dernières consultations et aussi du refus de ses demandes par le gouvernement français. Il n'incita pas pourtant la Porte à recourir aux mesures militaires et à rompre ses relations avec la France; mais bien au contraire il lui conseilla toujours de garder son sang froid et surtout de ne jamais mettre en danger les peuples ottomans de tous les vilayets pour délivrer la population algérienne de la domination française187. On voit qu'en évitant de susciter la tension entre la Porte et la France, il désirait que ces deux pays maintinssent des rapports plus ou moins étroits. En vérité, l'objection de Rechid Bey au gouvernement français à propos de l'Algérie, fit tirée parfois des arguments de ceux qui, à l'Assemblée, s'opposaient à la politique algérienne de leur gouvernement. Il croyait que les opposants à la conservation de l'Algérie représentaient la grande majorité de l'opinion en France188. Aussi pensait-il que les dépenses militaires entrainées par l'occupation permanente dégoûteraient la France de l'Algérie et que, plus tard, le gouvernement de Louis Philippe pourrait envisager de s'arranger avec l'Empire ottoman. D'où il conclut que la Sublime Porte ne devait pas abandonner ses droits légitimes et qu'elle trouverait peut-être l'occasion de les faire valoir à l'avenir. Au début du mois de septembre 1836, Rechid Bey et Nuri Efendi venu à Paris, se mirent à tracer une nouvelle linge de conduite, autrement dit à rechercher une politique à suivre vis-à-vis de laFrance pour libérer 185 ibid, 1,6 ibid. 187 ibid p. 219. 188 A.A.E. 1835 T U R Q U I E . V- 270, p.253. IOO BAYRAM KODAMAN l'Algérie de l'occupation française189. Malgré de longues conversations, ils n'arrivèrent pas à prendre une décision définitive ni même à fixer leurs idées sur la teneur du compte rendu qu'ils devaient envoyer à Constantinople. Enfin ils préférèrent attendre l'arrivée de Roussin, ambassadeur de France à Istanbul, avec lequel ils voulaient s'entretenir avant d'envoyer le compte rendu à la Porte. Sur ces entrefaites Rechid Bey reçut un ordre de son gouvernement prévoyant sa romination à l'ambassade ottomane à Londres et celle de Nuri Efendi à Paris, c'est à dire la permutation des deux ambassadeurs190. Le motif de cette permutation était la santé de Nuri Efendi qui ne supportait pas les conditions climatiques de l'Angleterre191. Bien que Rechid Bey ait accueilli avec insatisfaction sa désignation à Londres, pour des raisons personnelles192 il dut s'y résigner en demandant à la Porte d'attribuer à cette permutation des motifs politiques bien fondés. Il voyait dans le prétexte donné par la Porte une atteinte à sa carrière diplomatique et il avait peur de perdre l'estime du gouvernement anglais à cause des motifs sa nomination à Londres 193 . Bien que la désignation de Rechid Bey à l'ambassade de Londres ait été annoncée dans le journal officiel du gouvernement ottoman, Takvim-i Vekayi, en date du 13 septembre 1836 (1 cemaziyülahir 1252) nous le voyons prolonger son séjour et rester en France jusqu'à la mi-octobre. Peut être le motif de cette prolongation était-il d'attendre M. Roussin pour avoir des conversations avec lui et de connaitre les intentions du nouveau gouvernement sous la présidence de Molé 194 . Mais ce qui est certain c'est qu'il voulut parier longuement avec son collègue, Beylikdji Nuri Efendi, car la présence de ce dernier lui offrait l'occasion de délibérer de concert, sur les relations politiques de la Porte avec la France et l'Angleterre en général et sur les questions d'Egypte et d'Algérie en particulier. Ainsi, il désirait s'entendre avec Nuri sur la politique qu'ils devaient suivre, tous les deux, auprès de ces deux puissances occidentales, les plus intéressées, 189 B.A. tembre 1836. H.H. 37535 G ; Corresp. de Rechid le 28 cemaziyiil-ewel 1252 (le 10 sep- 190 Corresp. de Rechid Bey in Tarih dergisi X / 1 5 p. 61. 191 Takvim-i vekayi no 135 le 1 erCemazivel ahir 1252. 192 Corresp. de Rechid in Tarih Dergisi X 15 p. 62. 193 ibid. 194 Le gouvernement de Molé est constitué le 6 septembre 1836. Voir: Dictionnaire historique de la France. Paris 1877; p. 1283. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 et élaborer le compte rendu que leur avait demandé la Porte en vue d'être au coûtant de leur opinion. Au cours de son séjour d'un mois, Rechid Bey fournit beaucoup d'explications à Nuri Bey sur la conduite du gouvernement français et lui en demanda par contre sur celle de l'Angleterre. Enfin, le 7 octobre au cours d'une audience, Rechid Bey présenta au Roi de France, son collègue, à peine désigné à Paris. Il reçut aussi, à cette occasion, la Légion d'Honneur attribuée par Louis Philippe195. Il quitta ainsi la France, vers le milieu d'octobre, pour rejoindre son nouveau poste auprès du gouvernement anglais. 195 >836). B.A. H.H. 34088; corresp. de Rechid le 27 cémaziyelahir 1252 (le 9 octobre G) LA CHUTE DE CONSTANTINE. Il convient de résumer en substance le déroulement des événements qui eurent lieu après le départ de Rechid Bey pour Londres. Du côté de la France, le nouveau gouvernement de Molé, qui ne voulait pas d'une expédition contre Ahmed Bey et qui n'osait pourtant rejeter fermement l'idée de conquête totale, se résigna plus tard aux demandes de Clauzel, persuadé que l'heure était venue de s'emparer de Constantine. Lorsque les nouvelles d'une expédition militaire contre le Bey de Constantien se répandirent en France et dans les milieux diplomatiques étrangers, la Porte, n'ayant pas à sa disposition des moyens militaires suffisants, ne pouvait rien faire d'autre qu'envoyer des instructions et des ordres à ses ambassadeurs pour qu'ils réagissent auprès des gouvernements intéressés par cette affaire, et adressent une protestation au gouvernement français. Mais l'echec le 21 novembre 1836, de l'expédition, contre Ahmed Bey présenta à la Porte un espoir de récupérer l'Algérie. Elle s'empressa d'obtenir l'intervention politique du gouvernement anglois et de faire de nouveau une démarche à Paris. En réalité l'échec de Constantine ne provoque aucun changement dans la politique française ni dans l'attitude anglaise. Au contraire le gouvernement français allait saisir avec vigueur le problème de Constantine pour en finir avec Ahmed Bey et par conséquent pour mettre l'Algérie toute entière sous sa domination. De son côté Lord Palmerston, au nom de son gouvernement, annonça à Rechid Bey que l'Angleterre ne pourrait accepter de se brouiller avec la France ni de courir de risque pour la question d'Algérie ,96 . Cette fois le gouvernement fiançais voulait chercher en Algérie la possibilité de négocier avec Ahmed Bey et Abdülkadir sans toutefois renoncer aux préparatifs d'une deuxième expédition. Il désirait surtout obtenir la neutralité d'Abdülkadir, car pour agir librement dans la province de Constantine cette neutralité lui était nécessaire. A cette fin, un traité fut signé à Tafna le 20 mai 1837, entre la France et Abdülkadir 197 . Ce traité, en 196 B.A. H.H. 48981 COÏTS de Rechid, le 21 şevval 1252. of. K A Y N A R : op. cit p. 83. 1,7 D'après C h . Robert Ageron, la date de ce traité est le 30 mai 1837. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 assurant la paix à l'ouest, permettait à la France de porte son effort militaire à l'est198. Malgré le désir de la France de commencer les négociations avec Ahmed Bey, celui-ci se déclara non disposé à signer un traité et à entamer les conversations tant que les troupes françaises n'évacueraient pas tout le pays sauf Bône. Ce refus d'Ahmed Bey découlait du départ (le 20 juillet 1837) d'une escadre ottomane d'Istanbul pour Tripoli 199 et de la promesse de la Porte de l'aider. Mais la France avait changé sa flotte d'empêcher l'escadre ottomane de dépasser Tripoli et ainsi de venir en aide à Ahmed Bey200. Entre-temps par la voie diplomatique, la Porte voulut influencer le gouvernement français pour empêcher une deuxième expédition contre Constantine. Mais tous ses efforts en ce sens n'aboutirent à rien. Enfin, le gouvernement français, en décidant la conquête de Constantine, envoya l'ordre à Damrémont201 de marcher sur Ahmed Bey et de prendre cette ville "à tout prix". L'expédition, bien préparée, obligea Ahmed Bey à céder la ville: malgré sa résistance héroique le Bey ne put empêcher la chute de Constantine, le 13 octobre 1837. C'est avec la prise de Constantine par la France que la question d'Algérie, qui durait depuis si longtemps, prit fin et perdit ainsi son importance. En effet la nouvelle de la conquête de Constantine produisit peu d'effet sur le plan politique et diplomatique, car on s'y attendait. La Sublime Porte devait bon gré mal gré se résigner au fait accompli, à perdre l'espoir de voir sa province peuplée par une population musulmane lui revenir jamais et la laisser à la France Conclusion De tout temps, le développement économique s'est accompagné d'une expansion maritime et coloniale des pays plus évolués. Il est donc normal que le grand développement de l'industrie, au début du XIX e siècle, ait provoqué une nouvelle vague de colonisation. " s Ch. A . J U L I E N ' : Histoire de l'Algérie contemporaine". Paris 1967 pages 136-137. 199 L'escadre ottomane était sous le c o m m a n d e m e n t du K a p u d a n pacha, A h m e t Fev- zi. Celui-ci livrerait en 1839 la flotte ottomane a M . Ali Pacha, gouverneur d'Egypte. C h . A. J U L I E N op cit p. 140. Damremont avait remplacé Clauzel. IOO BAYRAM KODAMAN A cette époque, en raison de leur suprématie technique, les états de l'Europe occidentale étaient les seuls à participer à une activité coloniale, et disposaient de moyens qui leur permettaient d'assurer leur prépondérance dans le monde. Quant à la France, les guerres napoléoniennes l'avaient privée de la presque totalité de ses anciennes coloies. Mais elle était pourtant la seconde puissance industrielle du monde. Ses ressources en capitaux étaient considérables. En vertu de cette puissance elle allait se créer un nouvel empire colonial. Tout naturellement, c'était vers la Méditerranée qu'elle avait porté ses regards. Obligée d'abandonner toute idée d'hégémonie continentale, la France en était revenue à la politique méditerranéenne sur laquelle, depuis fort longtemps, elle n'avait cessé d'appuyer son développement économique et son prestige international. D'autre part, vers la fin du règne du Roi Charles x'à ces mobiles de politique coloniale venaient s'ajouter ceux de politique intérieure du gouvernement de Polignac, convaincu qu'un succès militaire à l'extérieur lui permettrait de renforcer son pouvoir et sa situation dans le pays. Alors, pour réaliser sa double politique, la France entreprit la conquête de l'Algérie et s'empara le 5 juillet 1830 de la ville d'Alger. Devant cette situation, l'Empire ottoman, qui était d'ailleurs, à cette époque, en pleine période de crise et de déclin, ne pouvait rien faire qu'envoyer une protestation symbolique au gouvernement français, car il ne disposait d'aucun moyen militaire pour intervenir en faveur du Bey, son pacha. En même temps, d'autres difficultés extérieures et intérieures occupaient la Porte. Ce fut pour ces raisons que l'Empire ottoman abandonna bon gré mal gré l'Algérie à son sort jusqu'em834- Mais dans cet intervalle (1830-1834) la France, s'emparant d'Oran (1831) de Bône (1832) et des autres villes importantes,y avait assuré plus ou moins solidement sa domination et avait commencé à s'y installer définitivement. En 1834, débarrassée provisoirement du vice-roi d'Egypte, Mehmet Ali, la Sublime Porte voulut saisir la question d'Algérie quatre ans après son occupation par la France et envoya, à cette fin, Rechid Bey à Paris en vue d'obtenir la restitution de l'Algérie. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 Avant tout, la réussite de Rechid Bey dans cette moission dépendait: 1) de l'intervention et du soutien des autres puissances, surtout de l'Angleterre. 2) de la restitution volontaire de l'Algérie par la France à l'Empire ottoman. 3) de la capacité politique personnelle de Rechid Bey. 4) de la force militaire de l'Empire ottoman. Les autres puissances n'allaient pas au delà des bons conseils et des promesses. L'Angleterre évita une rupture avec la France dont la collaboration lui était nécessaire dans les affaires européennes et par conséquent conseilla à la Porte une politique d'attente.Palmerston, dés qu'il comprit la résolution française et qu'il se heurterait à une résistance de la part de la France, annonça: "Je ne veus pas de conflit sérieux entre nous (France Angleterre). Ne donnons pas à nos démélé plus d'importance qu'ils n'en ont". Il finit, en 1837, par se déclarer prêt à accepter" toutes les mesures que voudrait prendre la France en Algérie à cette seule condition que les territoires de Tunisie et du Maroc demeurent intacts". Quant à un abandon volontaire de l'Algérie par la France, après avoir consolidé sa domination militaire en Algérie et sa politique durant cinq ans, la France aurait voulu garder les territoires qu'elle avait occupés aux d'énormes dépensés. Et même elle déclarait depuis 1830 ses intentions de ne pas quitter l'Algérie. En plus un tel abandon était contraire à sa politique coloniale et à son prestige à la fois militaire et national. En face de l'abstention du gouvernement anglais, de l'indifférence des autres états (Autriche, Russie, Prusse) et de la fermeté de la politique française, il était difficile, pour Rachid Bey, de pouvoir persuader la France de rendre l'Algérie à l'Empire ottoman dont l'intégrité territoriale avait déjà été mise en cause et n'avait pas été respectée par les puissances pendant l'afTaire de Grèce.En outre Rechid Bey n'avait pas une expérience diplomatique suffisante pour assumer la tâche d'obtenir la restitution de l'Algérie, car il n'était pas chargé, jusqu'en 1834, d'une telle mission d'importance capitale dépendant de son initiative et de sa responsabilité. Bien qu'il ait assisté aux négociations d'Edirne (1829) avec les Russes et de Kütahya (1833) avec Ibrahim Pacha et qu'il ait accompagné la délégation ottomane envoyée en Egypte pour négocier avec Mehmet Ali Pacha, il manquait encore d'expérience et d'une connaisance profonde de la dip- IOO BAYRAM KODAMAN lomatie européenne. Et il ne savait pas exactement les intentions de la France et l'évolution de la question d'Algérie. D'autre part, comme nous l'avons vu dans ce chapitre, Rechid Bey, ayant suivi une politique d'attente et parfois d'hésitation dans l'espoir de voir, un jour, l'Angleterre intervenir en faveur de l'Empire ottoman et la France accepter de négocier avec la Porte sur les conditions de la restitution de l'Algérie, il subit enfin un échec total dans toutes ses activités politiques et diplomatiques au cours de ses deux ambassades (1834-1835 et 1835-1836) en France, car il n'avait pas pu obtenir du gouvernement français les territoires occupés et ni l'empêcher de conquérir Constantine et de s'installer définitivement dans cette ancienne province de l'Empire ottoman. — DEUXIEME PARTIE — LA QUESTION D'EGYPTE ET RECHID BEY A — VUE GENERALE A LA CRISE D'EGYPTE I — Arrivée au pouvoir de Mehmed Ali Pacha en Egypte Mehmet Ali, né 1769 à Kavala, est fils de Ibrahim Aga 1 . Sous le sultanat de Selim III, il vint en Egypte, avec les soldats de Kavala, au moment de Selim III, il vint en Egypte, avec les soldats de kavala, au moment de l'expédition de Bonaparte2. Quelque temps après le départ des français, il réussit à se faire nommer au Caire, avec le titre de serçesmelik3, à la téte des troupes irrégulières. Désormais Mehmet Ali s'efforcera de s'emparer du pouvoir. En effet, profitant de la situation au Caire et incitant ses soldats à la révolte contre les derniers gouverneurs qui voulaient l'éloigner du Caire 4 , il réussit à chasser ces gouverneurs par la force5. Mise ainsi devant le fait accompli, la Sublime Porte, alors très occupée par politique europenne, lui donna officiellement en 1805 (vers la fin de l'année 1219 de l'hégire)6, le titre de Pacha d'Egypte, à condition qu'il écrasât'insurrection de vahabites à Hicaz. n - Mehmed Ali Pacha (1805 - 1881) Arrivé au pachalik du Caire à force de ruse et de cruauté, maitre absolu de l'Egypte après le massacre des Mameluks(ier mars 1811), Meh' Les ancêtres de Mehmed Ali, venus d'Asie Mineure, s'étaient installés, autrefois, à Kavala. Son père était le chef des veilleurs <ie cette ville Voir: E.Ziya Karal; Osmanlı Tarihi, V, 125. 2 A la tête des soldats de Kavala se trouvait Ali Agha, neveu de Hüseyin Agha qui était le çorbacibasi de Kavala. L'aide de camp d'Ali Agha était Mehmed Ali. Voir: Ali Fuat, Mısır valisi Kavalali Mehmet Ali Paşa in T T E M , 19(96), p.65. Voir aussi: Şinasi Altundag, Mısır Meselesi, Ankara 1945, 24. 3 Serçesme: titre attribué, avant le Tanzimat, à celui qui commandait les soldats auxiliaires. Ali Fuat, İd. 65. 4 Hüsrev. Tahir, Ali, Hurşit Paşa. Mehmet Ali avait obtenu le soutien des Mameluks contre ces valis. M . Nuri Paşa, Neteyicülvukuat, IV, 85. 5 6 Şinasi Altundağ; op. cit. 24. IOO BAYRAM KODAMAN med Ali Pacha, bien que vassal du Sultan, agit en chef d'Etat entre 1805 et 18817. Pendant vingt cingt ans il travailla méthodiquement à moderniser l'Egypte, en même temps qu'à étendre les limites territoriales de son pouvoir8, car son but était de trouver, en réalisant dans le pays des transformations considérables, les moyens d'une politique de puissance. Il fit une révolution agricole en construisant des canaux d'irrigation et en introduisant de nouvelles cultures destinées à l'exportation; il créa une industrie et équipa ses ports. Dans toutes ces tentatives destinées à donner un essor au pays il fit appel, sans hésitation, à des étrangers, surtout aux ingénieurs français9. Au cours de sa grande transformation "Mehmed Ali se joue, à son gré, de la vie des hommes, les déporte, les fait travailler à la chaîne, les fait mourir sous le courbach, les jette dans le Nil, les dépouille jusqu'au dernier para, leur enlève les récoltes.... les nourrit avec un pein de graine de lin... ce qui a réduit la population de l'Egypte, en peu d'années, de 2 400 000 à 1 800 000.10 D'autre part le dévelopement écomique assura au trésor de Mehmed Ali les ressources nécessaires, les revenus du pays qui augmentaient d'année en année dépassèrent 400 000 késés (bourses) " . Ayant un revenu considérable par an il consacra tous ses soins aux forces militaires, nécessaires à la réalisation de ses grands desseins politiques 12. Ainsi il organisa, avec le concours d'instructeurs français, une armée de type européen et une flatte de guerre. Cette armée et cette flotte lui donnèrent le moyen d'acquérir la célébrité politico-militaire13. Il envoya en même temps des étudiants en Europe surtout en France pour qu'ils apprennent à connaître les techniques et la civilisation occidentale 14. Par ces changements infranstructuraux, il fit un effort de rénovation, 7 Netayicülvukuat IV 86. 8 Ali Fuat: op. cit. 65. 9 10 ibid. Scipion Marin: Conduite de la France envers la Turquie. Paris 1840, p.7. 11 En 1805; 13 000 kese; en 1808: 18 000 kese; en 1809: 35 000 kese; et puis 400 000 késé. Voir Netayicülvukuat, IV, 86. 12 E.Driault: La question d'Orient. Paris 1898 p. 137. 13 Mehmet Ali arma 170 000 hommes. SCIPION M . : op. cit. p. 10. 14 Ali Fuat: op. cit. p. 67. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 ce dont l'Empire ottaman et le monde musulman furent incapables. Il abaissa les barrières, jusque là insurmontables, qui séparaient les musulmans des chrétiens (l'Empire ottoman de l'Europe) Jusqu'à sa rupture avec Istanbul, Mehmed Ali ne manqua pas de rendre des services militaires incontestés à ses suzerainsien 1807 il infligea un éches militaire aux Anglais qui avaient essayé de s'emparer d'Alexandrie pour faire renoncer la Sublime Porte à un rapprochement avec Bonaparte 15 ; il soumit en 1815 les Vahabites après trois expéditions sucéssives au Hidjaz (1818, 1815) pour le compte du Sultan 16 ; entreprenant, entre 1820 et 1822, une politique de conquête il étendit les frontières de l'Empire ottoman jusqu'au Haut Nil; il envoya son fils, Ibrahim, aider le Sultan au cours des événements de Morée qui, après la catastrophe de navarin en 1827, donnèrent naissance à un état grec indépendant l7 . A cette époque les situations extérieure et intérieure de l'Empire ottoman offrirent à mehmed Ali la liberté d'action dans tous les domaines et une politique indépendante vis-à*vis de la Porte et lui donnèrent l'occasion de devenir un vassal plus fort que son souverain. Les événements survenus dans l'Empire ottoman, facilitant les activités de mehmed Ali et le renforcement de son pouvoir, furent en gros les suivants: 1) les guerres turco-russes (1806; 1809-1812; 1828). 2) les insurrections de Serbie (1804-1817) et de Grèce (1820-1829). 3) les révoltes des pachas turcs contre l'autorité du Sultan (Ali Pacha de Tépédélen, Pazvantoglu, etc.). 4) la faiblesse militaire de la porte à la suite de la disparition des Janissaires l8. IH) Les causes de la crise Pour éviter d'entrer dans le détail car cela nous mènerait trop loin nous jugeons utile de nous borner à une simple énumération des motifs fondamentaux et apparents de la révolte du Pacha d'Egypte. 15 N'etayicül vukuat IV 52, 16 Driault: op. cit. p. 137 17 Pour l'insurrection de Morée voir: Yzb. Fahreddin et Yzb. Seyfi: Mora İsyanı; Is- tanbul. 18 Ali Fuat: op. cit. p. 64. BAYRAM KODAMAN I6 a) Les causes fondamentales: 1) La faiblesse de l'autorité dans le pays. A notre avis, elle a été à l'origine de toutes les révoltes des pachas turcs qui se produisirent au cours des XVIIIe et XIXe siècles dans l'Empire ottoman. 2) L'impuissance militaire de la Sublime Porte. En effet la Porte ne disposait pas au début du XIXe siècle d'une force militaire suffisante pour réprimer à temps les insurrections. 3) La puissance militaire de l'Egypte:ce fut elle qui poussa Mehmed Ali à défier son suzerain et à réaliser ses objectifs ambitieux. Son premier objectif était d'abord d'étandre ses territores et puis d'obtenir ses territoires et puis d'obtenir sa liberté d'action vis-à-vis du Sultan et l'hérédité de son pouvoir. Peut-être pensait il devenir Grand Vizir ou,comme le disent certains historiens, à supplanter le Sultan 19 . 4) Les réformes de Mehmed Ali en Egypte .étant donné que les ennemis personnels de mehmed Ali et également certains membres du gouvernement ottoman hostiles à toutes les rénovations empruntées â l'Europe, voyaient dans la réussite des réformes en Egypte un danger pour tout l'Empire, ils incitaient le Sultan Mahmut II contre le gouverneur d'Egypte, en attirant son attention sur les visées de la politique égyptienne. De son coté le Sultan, qui ne désirait point voir l'Egypte, renforcée et régénérée par son vassal, se dresser en face de lui en puissance rivale, voulait combattre l'autorité et la force de Mehmed Ali. b) les causes apparentes: 1) Le refus du Sultan d'accorder à Mehmed Ali la possession de la province de Syrie à titre de compensation 20. 2) Le retour de l'armée d'Ibrahim Pacha en Egypte après la defaite de Navarin 21 , sans autorisation du Mehmed Ali de ne pas envoyer une " Mais Ali avait souvent déclaré aux étrangers qu'il n'avait aucune intention de détrôner Mahmut II et de devenir sultan. **Je veux rester le vassal du Sultan. " O n peut croire à la sincérité de ses paroles à ce sujet. Mais les événements et les documents avaient prouvé qu'il désirait une Egypte indépendante ou autonome, et agrandissement territorial. 20 En 1830, Pertev Efendi et Rechid Bey, munis du firman du Sultan se rendirent en Egypte et annoncèrent à Mehmet Ali l'abandon de la Crête par le Sultan à l'Egypte. Cf. Lutfı Tarihi: III, 28 sq.; Ali Fuat: op. cit. 7-,. Le compte rendu de Pertev en date du 11 safer 1246, p. 76-84 in l'article d'Ali Fuat. 21 Ali Fuat: op. cit. 66. Dans cet articlr on prétend que ibrahim Pacha avait par son attitude causé la défaite de la flotte ottomane à Navarin. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 aide militaire que lui avait demendée le Sultan pendant la guerre russoturque de 182822. 3) La décision de Mehrned Ali de ne pas envoyer une aide militaire que lui avait demandée le Sultan pendant la guerre russo-turque de 182822. 4) Le refus du Sultan de nommer mehmed Ali commandant en chef de l'armée ottomane stationnée en Anatolie, et son fils Ibrahim au même grade dans l'armée de Rumelie (dans la langue turque on utilise le mot de Rumelie pour définir les territoires de l'Empire ottoman dans les Balkans.) 5) L'incitation à la révolte contre le Sultan exercée sur Mustafa Pacha d'Iskodra par Mehmet Ali. 23 En somme la tension découlant de ces motifs ne tarda pas à provoquer la rupture le Sultan et Mehmed Ali, c'est à dire la crise d'Egypte, l'une des phases longues et assez compliquées de la question d'Orient. IV) Commencement et déroulement de la première phase de la crise. Mehmet Ali, informé du plan de la punir24, prenant les devants, envoya sans déclaration de guerre son fils Ibrahim Pacha à la tête de 20 000 soldats à la conquête de Saint Jean d'Acre (Akk.) et de la Syrie25. Les succès d'Ibrahim Pacha furent rapides.il prit Akkâ le 27 mai 1832 Damas le 14 juin suivant26. Ensuite il battit succéssivement les soldats du Pacha d'Alep à Homs et l'armée du Sultan commandée par Hüseyin Pacha exterminateur des Janissaires à Beylan. A la suite de ces victoires et de l'entrée de son armée en Asie Mineure, mehmed Ali annonça au Sultan son intention d'arrêter la guerre à 22 Ibid. Bien que Mehmed Ali ait promis au Sultan d'envoyer 12 ooo soldats il se borna à lui envoyer une aide en espèces. 23 Lutfı Tarihi: III, 28 sq. Le plan préparé par le Sukan prévoyait une expédition contre Mehmed AU, dont l'exécuteur devait être le gouverneui général de Syrie, Selim Pacha qui venait d'être nomé pour la mise en application de ce projet. 24 25 Mehmet Ali prit comme prétexte le refus du Pacha de St Jean d'Acre de lui livrer les réfugiés égyptiens qu'il avait réclamés. 26 Lutfı Tarihi: IV, 33. IOO BAYRAM KODAMAN condition que la Syrie lui fût cedée27. Mais Mahmud II, en refusant sa demande, envoya son armée, commandée par mehmed Pacha, contre celle d'Ibrahim Pacha venue alors à Konya. L'armée ottomane y subit encore une fois, le 21 décembre 1882 un désastre complet28. Ibrahim s'avança jusqu'à Kütahya sans rencontrer aucun obstacle:il pouvait de là marcher sur Istanbul. C'est alors que le conflit turco-egyptien prit en caractère européen et que le trône ottoman fut mis en cause. Comment le Sultan pouvait-il se tirer de cette situation dangereuse? deux politiques s'offraient à lui: 1. s'entendre avec Mehmet Ali Pacha en restant dans les limites des principes musulmans sur lesquels s'appuyait son empire; 2. s'allier avec les états chrétiens contre Mehmed Ali qui menaçait son trône. Le Sultan choisit la deuxième. II fit appel aux Puissances occidentales; il sollicita leur intervention en sa faveur. Mais la France, ayant de la sympathie pour Mehmed Ali était favorable à la politique égyptienne. L'Angleterre, occupée par sa réforme électorale, refusa son appui. 29 Dans ces conditions, il ne restait plus au Sultan qu'à accepter les offres de secours que lui faisait la Russie qui ne désirait pas voir Istanbul tomber aux mains de Mehmed Ali, plus redoutable pour elle que les Ottomans affaiblis30. En fait le Sultan, après avoir pris l'avis du Divan, demanda au Tsar un secours militaire.31. Ce devnier n'hésita pas. Sa flotte vint, au début de février 1833 jeter l'ancre dans le bosphore. Quelle était à ce moment la politique russe? Depuis fort longtemps l'objectif de la Russie était, comme on le sait, de descendre en méditerranée. Pour parvenir à ce but elle avait adopté trois méthodes selon les circonstances: 1. l'emploi de la force militaire; 2. le partage des territores ottomans avec ceux qui y avaient intérêt; 27 Le V te A.de la Jonquière: Histoire de l'Emp. ott. Paris 1897 p 484. 28 Lutfi Tarihi: IV p. 42-43. 29 Droz J.:Histoire diplomatique. Paris 1959 p. 329. 30 Driault E.: op.cit. 31 Şinasi Altundağ: op. cit. p. 96. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 3. la mise de l'Empire ottoman sous sa protection 32. Pour la réalisation du projet russe il fallait que la la Turquie fût faible. C'est pour cette raison que la Russie avait accueilli au début favorablement la révolte de Mehmet Ali parce que celle-ci était de nature à affaiblir la Turquie. Mais la venue des troupes d'Ibrahim à Kütahya bouleversa les suppositions de la Russie car Mehmed Ali ne mettait pas la Turquie en danger;il ne menaçait que le trône du Sultan. L'installation de Mehmed Ali à Istanbul, soit comme sultan soit comme grand vizir, risquait de renforcer et de moderniser un empire déjà affaibli33. Mais le renforcement île l'Empire ottoman ne correspondait pas à la politique expansioniste russe. Pour l'empêcher, la Russie, conformément à ses visées, réagit et se montra résolue à défendre le trône du sultan, à maintenir l'intégrité de l'Empire ottoman et à chasser Mehmed Ali d'Asie Mineure. D'autre part l'arivée de la flotte russe à Istanbul plongea dans l'effroi la France et l'Angleterre qui ne pouvaient pas laisser le Tsar protéger seul le Sultan. Ces deux gouvernements, prenant plus nettement conscience de la gravité des circonstances, envoyèrent leur ambassadeur, Lord Ponsonby et l'Amiral Roussin, à Istanbul, avec l'ordre d'écarter les Russes des Détroits et de s'interposer entre Mehmed Ali et le Sultan. Cette démarche anglaise et française fut accueillie avec satisfaction par Mahmud II qui cherchait à échapper aux secours trop obligeants de la Russie. Nous savons qu'avant de s'adresser au Tsar il avait demandé à la France et à l'Angleterre leur intervention en sa faveur, ne l'ayant pas obtenue il n'avait pas trouvé d'autre remède au défi de Mehmed Ali que le secours du Tsar. "Que voulez-vous disait Mahmud II à ses conseillers, au risque d' être étouffé plus tard, un homme qui se noie s'accroche à un serpent". Peut-être comptait-it, et s'adres sant aux Russes, hâter l'intervention des autres puissances européennes. Quel que fût , il réussit relativement à faire intervenir la France et l'Angleterre dans la crise égyptienne par son rapprochement avec la Russie. Après ses pourparlers avec la Porte, l'Amiral Roussin s'engagea, le 21 février 1833 (—le 2 sewal 1248), à faire accepter les propositions du Sultan 32 Karal,E.Z.: Osmanlı Tarihi V p. 134. 33 Altundağ: op.cit. p. 99. BAYRAM KODAMAN IOO à Mehmed Ali, mais il il se heurta au refus de celui-ci- qui demandait le vilayet de Syrie et la région d'Adana (Cilicie)34. Le Sultan fut alors obligé de rappeler les traupes russes. Celles ci débarquèrent sur les deux rivages du Bosphore, Büyükdere et Tarabya, le 5 avril 183335. Cette fois, ayant compris la nécessité de faire évacuer l'Asie Mineure par mehmed Ali pour rendre inutile la présence des Russes à Istanbul, les ambassadeurs français et anglais obligèrent le Sultan et Mehmed Ali à se montrer conciliants et à s'entendre. En effet sur leur insistance, le Sultan envoya Rechid bey auprès d'Ibrahim Pacha pour discuter les conditions d'une convention36. Le 6 mai 1833 (le 16 zilhicce 1248 la convention de Kütahya fut acceptée par les deux parties37. Par cette convention le Sultan accorda à son vassal la Syrie toute entière avec le district d'Adana moyenmant quoi les troupes égyptiennes se replièrent derrière le Taurus38 V) Le traité de Hünkâr Iskelessi (8 Juillet 1833) En réalité la convention de Kütahya était loin deux parties hestiles, car elle n'était qu'un firman proclamé par le Sultan39. Elle n'était donc pas un traité signé. Le Sultan avait le droit de l'abroger quand il voulait, elle n'avait d'ailleurs saticfait ni le Sultan ni mehmed Ali, car l'un croyait avoir perdu beaucoup, l'autre gagné moins qu'il espérait. Dans ces conditions, il était naturel que le Sultan chercha l'alliance d'une puissance pouvant garantir son trône et son empire contre le danger et l'ambition de son vassal. C'est ainsi qu'il demanda, au mois d'avril 1833, à l'ambassadeur russe l'alliance de son pays40. 34 Pour ces propositions voir Baron de testa; Recueil...., II, p. 354. Le sultan cédait â Mehmet Ali le département d'Acre (Akkâ) et de Tripoli de Syrie. 35 15 000 soldats. Voir Lutfi Tarihi, IV, p. 27. Lutfi Tarihi; IV, p.28. Pour l'instruction donnée à Rechid Bey. Voir: Lutfi; op. cit; p. 187. 36 37 Altundag: op. cit.. p. 133. Pour les comptes rendus de Rechid Bey envoyés à la Porteau cours des pourparlers à Kütahya, daiés:zilkade 1248,24 zilcade 1248,28 zilkade 1248. Voir Ali Fuat: cit., p. 90-110. 38 DrozJ.: op. cit. p.329. 39 Le firman du sultan proclamé le 6 mai, parvint le 14 mai à Kütahya. 40 La première démarche fut faite par le Sultan, non par le Tsar. Voir: E.Ziya Karal: Osmanlı Tarihi; V, p. 136. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 A la suite des conversations entre Orlof, confident du Tsar, et Ahmed fevzi Pacha, le traité de Hünkâr iskelessi fut signé, le 8 juillet 183341. Ce traité établit une alliance défensive russo-turque pour huit ans. La forme de ce traité fut précisée par un article secret42: "en vertu d'une des clauses de l'article premier du traité paient d'alliance définitive entre la Sublime Porte et la Cour impériale de Russie, les deux parties contractantes sont tenues de se prêter mutuellement des secours matériels et l'assistance la plus efficace pour la sécurité de leur état respectif. Néanmoins, comme Sa majesté, l'Empereur de toute la Russie voulant épargner à la Sublime Porte ottomane les charges et les embarras qui résulteraient pour elle de la prestation d'un secours matériel, ne demandera pas ce secours, si les circonstances mettaient la Sublime Porte dans l'abligation de la fournir, la place du secours qu'elle doit prêter au besoin, d'après le principe de réciprocité du traité patent, devra borner son action, en faveur de la Cour impériale de Russie, à fermer le Détroit des dardanelles, c'est à dire à ne permettre à aucun bâtiment de guerre étranger d'y entrer, sous un prétexte quelconque. Le présent article séparé et secret aura les mêmes valeurs et force que s'il était inséré dans le traité d'alliance de ce jour. Fait à Constantinople le 26 juin,l'an 1833 (le 20 de la Lune de sefer,l'an 1249)43. Par les autres articles, tandis que la Russie s'engageait à fournir à la Turquie un concours armé (les troupes russes pourraient donc occuper les Détroits du Bosphore et des Dardanelles dans le cas où la Turqie serait attaqué par un tiers,) le Tsar ne demanderait pas à la Porte un secours effectif si la Russie se trouvait en guerre avec une autre puissance; il suffirait que conformément à l'article secret, elle ferme les Détroits et interdise à l'adversaire de la Russie de faire pénétrer une flotte dans la Mer Noire. En fait ce traité n'autorisait pas la flotte russe à franchir les Détroits maits mais il pouvait donner à la Russie une influence dominante dans la con41 Pour les articles de ce traité, voir; de Cadalvène et Barrault: Histoire de la guerre de Mehmed Ali contre la Porte ottomane, rn Syrie et en Asie Mineure, 1831-1833. Paris 1836; p.490-493. Lutfı Tarihi; IV, p.89-91. Pour le texte turc de cet article, voiı : Muahedat mecmuası; IV, p. 92-93. Mufassal Osmanlı Tarihi, ist. 1962, 2933. 42 43 Cadalvène et Barrault: op.cit.p.493-494. BAYRAM KODAMAN I02 duite de la politique ottomane44. Une telle situation acquise par la Russie menaçait directement les intérêts des autres puissances45. VI) Les conduites des Puissances après la signature du traité de Hünkâr Iskelessi: Avant d'expliquer les attitudes des Puissances nous voulons aborder, en substance, la question d'Orienl, car la crise d'Egypte est l'une des phases les plus critiques. La définition de ce terme est assez complexe et difficile. Cependant on a longtemps restreint le nom de question d'Orient A U X RELATIONS DE L'EMPIRE O T T O M A N AVEC LES ETATS CHRETIENS D'EUROPE. Il ne pouvait en être autrement alors que les problèmes qui se posaient aux hommes d'Etat étaient l'indépendance des pays danubiens ou de la Grèce, la lutte entre la Russie et la Turquie pour la domination dans la Mer Noire, l'autonomie de l'Egypte, l'organisation intérieure et la réforme administrative de l'Empire, sous l'influence de l'Europe, et les relations diplomatiques des Puissances chrétiennes avec le Sultan. Nous voulons donner les points de vue de certains historiens". "Il faut donner à cette expression une signification plus large et aussi pour bien poser les problèmes (ci-dessus),il faut les envisager dans leur rapport avec l'histoire de l'islamisme tout entier: L'HISTOIRE DES RELATIONS DE L'ISLAMISME AVEC LE MONDE CHRETIENS" 46 . Selon René Pinon, la question d'Orient concerne LES RELATIONS entre - le Sultan - son gouvernement, les Turcs - d'une part et les populations sujettes (voulant se soustraire à l'autorité ottomane) de l'autre47. Gaston Wiet définit ce terme de la façon suivante: "Tout le XIX e siècle est dominé par ce qu'on appelle le problème de la question d'Orient. Au fond, ce fut le problème de la présence en Europe de l'élément turc, qui avait été une race conquérante et qui se trouvait, au point de vue de la concurrence, en état d'insuffisance. LA QUESTION D'ORIENT EST DONC L'HISTOIRE DU RECUL DES TURCS depuis le Congrès de 44 E. Bourgeois: Manuel historique de politique étrangère. Paris 1925 III p. 107; Altundag: op. cit. p. 151-154. 45 Renouvin P.: Histoire des relations internationales. Paris 1954 V / i 46 Driault E.: op. cit. 47 Pinon R.: L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1908. 118. M O U S T A P H A R É C H I D P A C H A1'3 Vienne en 1815. "Il voit trois éléments essentiels dans la question d'Orient: les Turcs, les Chrétiens soumis au sultan et les intérêts des Puissances égoistes par essence"48. D'après Sinasi Altundag, historien turc, LA QUESTION D'ORIENT EST L'ENSEMBLE DES RELATIONS ET DES LUTTES DES ETATS (Empire ottoman, Russie, les Etats européens) à propos de la conservation, du démembrement et enfin de l'écroulement de l'Empire ottoman. A l'appui de ces définitions, nous acceptons une expression plus claire et plus simple: l'Empire ottoman en cause. Nous voyons la question d'Orient, au cours du XIX e siècle, se présenter de trois manières: dans la première moitié du XIX e siècle, il s'agit de maintenir l'intégrité territoriale de l'Empire ottoman; dans la seconde moitié du même siècle, de partager les territoires balkaniques de l'Empire ottoman et d'expulser les Turcs des Balkans; au début du X X e siècle de démembrer totalement l'Empire ottoman. Dans la question d'Orient les Etats puissants poursuivaient souvent deux politiques différentes: soit celle garantissant l'intégrité de l'Empire ottoman, soit celle d'intervention. La politique d'intervention avait pour terme, comme ce qu'on avait fait en Grèce, l'expulsion des Turcs de tous les territoires où ils n'étaient pas en majorité et par la suite l'affranchissement des sujets chrétiens. La politique de l'intégrité s'adaptait aux besoins et aux circonstances. A chaque crise provoquée dans l'Empire ottoman, les Puissances proclamaient la nécessité de maintenir l'intégrité de l'Empire; mais la paix faite, le calme revenu, il se trouvait qu'un nouveau territoire ou de nouvelles concessions avaient été arrachés à la Porte. Entre ces deux politiques, il existait aussi à partir de 1839 une solution mixte:la politique des réformes qui avait pour impératif, tout en maintenant la souveraineté de la Turquie, d'assurer aux peuples chrétiens certaines améliorations de situation. Dans la crise d'Egypte, la politique adoptée par les Puissances était plus ou moins identique: la conservation de l'intégrité de l'Empire ottoman. L'Angleterre, effrayée par les ambitions de Mehmed Ali, soutenu par la France et par le traité de Hünkâr Iskelessi, se prononça pour l'intégrité de l'Empire ottoman, car elle s'inquiétait de l'influence de la Russie sur 48 Gaston \Viet:Les puissances musulmanes; in Histoire universelle; III 1193. IOO BAYRAM KODAMAN Istanbul et de la puissance de Mehmed Ali. Elle y voit un danger pour politique coloniale et pour ses intérêts en Orient. C'est la raison pour quelle l'Angleterre, en soutenant toujours le Sultan, visait à s'unir avec France dans la mesure où son alliance pouvait écarter le danger russe à s'unir avec la Russie dans la mesure où son alliance pouvait écarter danger franco-égyptien en Orient. sa la la et le La France, protectrice de Mehmed Ali, adoptait une politique conciliante et s'interposait comme médiatrice entre le vice-roi et le sultan. Pourtant elle ne manquait pas de soutenir Mehmed Ali et s'efforçait d'obtenir du Sultan des concessions en faveur de l'Egypte. Mais ayant pris conscience du danger russe, elle défendait l'intégrité de l'Empire ottoman.Pour chasser les Russes d'Istanbul, elle se rallia à l'Angleterre. Pour défendre la cause de Mehmed Ali, elle suivit une politique opposée à celle de l'Angleterre. Le Prince de Metternich avait déjà déclaré: "l'existence du trône ottoman et sa conservation sont un bien commun pour l'Europe et en particulier un besoin politique pour l'Autriche; les vastes contrées sur lesquelles le nom du sultan domine encore comme un pouvoir effectif deviendraient nécessairement, par la chute de son trône, le théâtre d'une épouvantable anarchie ou la proie de la conquête de l'étranger... Il ne peut donc s'agir pour aucune Puissance de se créer à cet égard des utopies" 49. La Russie, après le traité de Munchengraetz (le 18 septembre 1833), était d'accord avec l'Autriche et la Prusse sur la nécessité de maintenir le statuquo et de prévenir l'établissement sur le Bosphore d'un empire sous l'autorité de Mehmed Ali 50 . Elle voulait, en effet, respecter l'existence de l'Empire ottoman affaibli et s'opposer à toute combinaison qui porterait atteinte à son intégrité. Pourtant elle n'était pas contre le démembrement de l'Empire ottoman par Mehmed Ali, mais contre son renforcement et sa modernisation par celui-ci. D'autre part la signature du traité de Hünkâr Iskelessi favorisait la diplomatie ottomane et lui permettait d'agir sur les Puissances, surtout sur l'Angleterre, afin d'obtenir leur appui contre Mehmed Ali. La Porte se tourna en effet vers le gouvernement anglais et mit en lui son espoir pour échapper au danger égyptien et pour neutraliser l'influence russe. 49 Metternich: Mémoires. Paris 1883; V p.490. 50 M.Sabry: L'Empire égyptien sous Mehmed Ali Paris 1930 p. 262. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 105 Ce traité fut pour la Porte un point d'appui au milieu des rivalités internationales et lui permit d'avoir une politique active vis-à-vis de l'Europe et de Mehmed Ali 51 . Aussi Mehmed Ali offrit-il en vain à l'Angleterre, à la France et à l'Autriche son alliance pour servir de contre-poids à la Russie et leur demanda-t-il par contre, de le reconnaître comme entièrement indépendant à l'égard de la Porte52. Ces trois puissances, voulant éviter la guerre, repoussèrent les propositions de Mehmed Ali et lui recommandèrent de rester fidèle à ses devoirs envers son suzerain et de remplir avec exactitude ses obligations, car Istanbul, pour les intérêts des Européens était sans doute plus importants et moins dangereux qu'Alexandrie. Sabry: op.cit. 5: Le bon Juchereau de St Denis: Histoire de l'Empire ottoman; IV. B — RECHID BEY ET LA CRISE D'EGYPTE Malgré la convention de Kütahya, la querelle entre le Sultan et Mehmed Ali n'était pas tout à fait vidée, elle n'était qu'assoupie. La rupture était inévitable, tous les deux, en prévision, pressaient activement les armements. Au commencement de 1834 le refus de Mehmed Ali de payer le tribut que lui demandait la Porte53 et l'attitude du Sultan accentuèrent les hostilités. Cet état d'inquiétude poussa le Sultan à chercher résolument les possibilités de soumettre Mehmed Ali à son autorité, au moins, de récupérer la Syrie et le district d'Adana. Pour le Sultan ainsi que son gouvernement, deux solutions se présentaient: 1) La solution militaire (une victoire décisive sur Mehmed Ali). 2) La solution politique et diplomatique. La première était loin, pour le moment, d'être réalisée, car l'armée ottomane battue trois fois par Ibrahim n'était pas en mesure de forcer Mehmed Ali à la soumission. Restait à la Porte la solution politique et diplomatique. Comme nous venons de le voir, toutes les Puissances y compris la France, défenseur de Mehmed Ali, s'étaient déclarées depuis le 8 juillet 1838, prêtes à défendre et à maintenir l'intégrité de l'Empire ottoman.La politique internationale était donc favorable à la Sublime Porte. Celle-ci pouvait en profiter pour se débarrasser du danger egyptien. En 1834 la Sublime Porte, ayant pris conscience des intentions de ces Puissances, décida d'entreprendre et d'accélérer ses activités diplomatiques dans les capitales européennes. Le but de cette tentative était d'obtenir le soutien de ces Etats contre Mehmed Ali. A cette fin, comme nous l'avons indiqué dans notre premier chapitre Rechid Bey fut envoyé à Paris avec la mission d'assurer l'appui du gouvernement français à la Sublime Porte dans la crise d'Egypte et d'obtenir l'abandon de l'Algérie à l'Empire ottoman. 53 II n'avait envoyé au Sultan qu'un tribut de 32 000 Késes. Voir E.Z. Karal V 139. M O U S T A P H A R É C H I D P A C H A1'3 Avant d'expliquer les activités diplomatiques de Rechid Bey, il convient, à notre avis, d'indiquer la politique contradictoire du gouvernement français dans la crise d'Orient: au début, la France, en prenant parti pour Mehmed Ali, l'avait soutenu résolument dans ses ambitions contre la Sublime Porte, sans parler de l'intégrité de l'Empire ottoman. Mais, après la signature du traité de Hünkâr Iskelessi, l'accroissement de l'influence politique russe à Istanbul et le danger de l'expansion russe vers la Méditérranée l'obligèrent à devenir partisane de l'intégrité territoriale et de la conservation de l'Empire ottoman.Pourtant elle continuait de défendre, d'une façon réservée, Mehmed Ali dans le domaine politique. La Sublime Porte, en profitant du traité de Hünkâr Iskelessi, voulait amener la France à faire pression sur Mehmed Ali pour qu'il renonçât à ses ambitions et qu'il acceptât la soumission. En cas de réussite de cette politique, Mehmed Ali aurait été privé de l'appui du gouvernement français sur lequel il comptait dans son défi contre le Sultan. C'est la raison pour laquelle la Sublime Porte avait chargé Rechid Bey, en plus de sa mission essentielle, d'avoir des entretiens avec le gouvernement français sur la crise d'Egypte en vue d'acquérir son soutien politique en faveur de l'Empire ottoman. A ce sujet, Ahmet Lutfi, chroniqueur turc, écrit que Rechid Bey fut envoyé en Europe pour éclairer, sur les bonnes intentions de la Porte, l'opinion publique et les hommes d'Etat européens influencés par les publications et par la propagande des agents de Mehmet Ali contre la politique ottomane54. Mehmed Selahattin précise également que Rechid Bey alla à Paris pour trouver, de concert avec le gouvernement français, une solution à la question d'Egypte 55 . En effet la décision de la Porte plus particulièrement du Sultan Mahmud II, de confier une tâche assez difficile et complexe telle que le dénouement de la crise d'Egypte à Rechid Bey, était opportune. Comme nous l'avons déjà noté, il avait assisté aux conversations entre Mehmed Ali Pacha et deux délégations ottomanes conduites par Halil Pacha, à Alexandrie, en 1833, et par Pertev Pacha en 1830; il avait aussi participé, en qualité de chef de délégation de la Porte, aux négociations qui avaient eu lieu à Kütahya avec Ibrahim Pacha pour signer le traité de paix 56 . En vertu du rôle qu'il avait joué depuis 1830 dans la crise d'Egypte, il avait 54 Lutfi Tarihi IV 158. 55 Mehmed Selahattin op. cit. p. 16. 56 Ali Fuat op. cit. p. 95. IOO BAYRAM KODAMAN connaissance de la portée et de la répercussion internationale de la crise, ainsi que des intentions hostiles de Mehmed Ali envers le Sultan. D'autre part Rechid Bey était, depuis son deuxième séjour en Egypte avec Halil Pacha, l'ennemi des ambitions, des revendications et de la politique de Mehmed Ali. Ainsi s'expliquent ses efforts destinés à l'anéantissement, ou au moins, à l'affaiblissement de la puissance politique et militaire du gouvernement d'Egypte 57 . Avant le départ de Rechid Bey pour Paris, les événements de Syrie avaient provoqué une nouvelle tension entre l'Egypte et la Porte:une révolte avait éclaté au Liban et le nombre des mécontents s'était accru en Syrie contre Ibrahim Pacha qui avait pris des mesures coercitives et leur avait imposé de lourds impôts afin d'assurer sa situation et d'éviter un trouble général. Le Sultan Mahmud II, profitant des circonstances, envoya son armée, sous le commandement de Mehmed Rechid Pacha, à la frontière syrienne et sa flotte en direction de la Méditerranée orientale pour encourager les mécontents et tenter d'arracher les vilayets de Syrie à la domination égyptienne. De leur côte les troupes de Mehmed Ali s'installèrent au Nord de la Syrie pour faire face à une offensive de l'armée ottomane58. I) Entretien de Rechid Bey avec Metternich sur la question d'Egypte: Après la transformation de la crise égyptienne en une question européenne par les interventions des Puissances, la Sublime Porte comprit la nécessité d'acquérir le soutien des Etats favorables à l'intégrité de l'Empire ottoman pour éviter la menace de Mehmed Ali et pour résoudre le problème en sa faveur. C'est dans ce but qu'elle avait ordonné à Rechid Bey nommé à Paris, de passer par Vienne pour prendre l'avis du Prince de Metternich, sur la crise d'Egypte et pour obtenir son soutien politique. En effet, Rechid Bey, à son arrivée à Vienne, eut un entretien avec Metternich sur les événements de Syrie et sur l'attitude des Etats dans la question d'Orient. Au cours de cet entretien, après avoir écouté les explications de Rechid Bey sur la politique de la Porte vis-à-vis des événements de Syrie, Metternich lui annonça que l'Autriche soutiendrait l'Empire ottoman dont l'intégrité territoriale et l'existence étaient nécessaires 57 E. Behnan Sapolyo op. cit. p. 20. 58 Ali Fuat op. cit. m . MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 pour la paix générale, qu'il suivrait une politique favorable à la Sublime Porte et lui apporterait son appui politique et militaire dans la question d'Egypte. Et, en disant que malgré la répression des troubles en Syrie par Mehmed Ali, la crise serait résolue, en fin de compte, en faveur de l'Empire ottoman, il conseilla au gouvernement ottoman de suivre une politique d'attente et de ne pas se mêler de ces derniers événements. Sur les conduites des autres Puissances, il déclara que la conservation de l'Empire ottoman était bien plus conforme aux véritables intérêts de l'Autriche, de la Russie, de l'Angleterre et de la France et qu'il existait pourtant certaines divergences entre ces Puissances: selon lui, entre la pensée du Tsar et celle du gouvernement autrichien, il n'existait aucune différence dans la manière de voir la question d'Egypte et de calculer les dangers que provoquerait, pour les deux empires la dissolution de l'Empire ottoman59. Il était donc vain, pour la Porte, de soupçonner leur politique dans la question d'Orient. A ce sujet, bien que l'Angleterre ait adopté une politique plus douteuse que la France, la pensée de ces deux Etats se rencontrait sur la nécessite de s'arranger et de suivre la m me politique dans cette affaire. Enfin Metternich énonça la nécessité pour la Porte d'agir dans la question d'Egypte en tenant compte de la politique des Puissances mais sans trop compter sur la France et l'Angleterre60. Satisfait des paroles prononcées par Metternich, Rechid Bey écrivait le 27 Rebiülahir 1250, à son gouvernement, qu'il ne lui restait aucun doute sur la sincérité de Metternich et sur l'amitié de la Russie. Il prévoyait d'autre part que le soutien de la France et celui de l'Angleterre, contre les ambitions de Mehmed Ali Pacha, pourraient être obtenus sans grande difficulté, par la Porte 61 . En réalité, les motifs du soutien politique du gouvernement autrichien découlaient de la ressemblance entre la composition de son empire etcelle de l'Empire ottoman. A ce sujet s'il existe une vérité politique incontestable, disait Metternich, c'est qu'il n'y a pas une Puissance plus directement intéressée que l'Autriche au sort de l'Empire ottoman. Plus notre système politique général repose sur des principes conservateurs, plus il est de notre devoir comme de notre intérêt d'appliquer ce système aux 59 Matternich Mémoires V. 495. Nu 1129. 60 B.A. Sandık 153 evrak no 40 (Beysun Tarih Vesk. 1/1. 33). 61 ibid. IOO BAYRAM KODAMAN grands Etats voisins (l'Empire ottoman)62". D'après lui "l'affaire d'Egypte n'était qu'une révolte de Mehmed Ali contre son souverain légitime. Les causes de cette révolte sont de diverses natures; quelles que puissent être ces causes, quelle que soit l'origine dont elles puissent prévenir, c'est le Vice-Roi qui est dans son tort. Fidèle à ces principes l'Empereur (de l'Autriche) condamne la révolte; les dangers de celle dont s'est rendu coupable le Pacha d'Egypte, menacent jusqu'à l'existence de la Porte Ottomane....". C'est pourquoi Mettemich s'était déclaré prêt à défendre l'intégrité de l'Empire ottoman et à soutenir la Sublime Porte dans sa politique 63 . II) Ses Activités Diplomatiques à Paris sur la question d'Egypte au cours de sa première ambassade Les premiers jours de son séjour à Paris, Rechid Bey sonda, grâce aux visites de courtoisie qu'il faisait aux Hommes d'Etat, les intentions du gouvernement français et prit connaissance, par les journaux, de l'état d'esprit de l'opinion française sur la question d'Egypte en général et sur les derniers événements produits en Syrie en particulier, ceci en vue de faciliter ses prochaines démarches diplomatiques. En effet, à la suite de ces consultations nous le voyons constater deux faits: i) Le désir du gouvernement français d'atténuer sa politique, autrefois trop rigide, en faveur de la Porte dans la crise d'Orient. A ce sujet il écrivait dans sa lettre que le gouvernement français cherchait à lui donner l'impression qu'il désirait resserrer ses relations diplomatiques et politiques avec la Porte et suivre une politique favorable à la sienne64. Sans doute cette interprétation de Rechid Bey provenait-elle des attitudes et des paroles des hommes d'Etat mécontents de la position de Mehmed Ali depuis les événements de Syrie. Rechid Bey estimait que l'état d'esprit de certains membres du gouvernement français pourrait lui donner l'occasion d'expliquer à la France la justesse de la politique ottomane, les bonnes intentions de la Porte envers elle et l'injustice de la politique de Mehmed Ali. Par la suite il pen62 Lettre de Mettemich à Apponyi, le 18 mars 1833, voir les mémoires de Metter- nich. V. 500. N o 1131. 63 Lettre de Mettemich à Prokesh. Celui-ci fut envoyé en mission extraordinaire aup- rès de Mehmed Ali. Ibid. V . 495. 64 B.A. H.H. no. 46899 J. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 sait obtenir qu'elle appuie la politique du sultan, ou au moins, qu'elle cesse de soutenir Mehmed Ali contre la Porte. Pour amener le gouvernement français à appuyer la cause du Sultan, il voulut profiter de l'aide des partisans de la politique ottomane en particulier de Jounannin, premier interprète du gouvernement français pour les langues orientales, qui était resté longtemps à Istanbul. Rechid Bey, après son entrevue avec Guilleminot, s'entretint aussi avec Jounannin à qui il demanda de soutenir la politique ottomane et de l'expliquer aux ministres français. Jounannin en approuvant le point de vue et la conduite de Rechid Bey et acceptant également sa demande, lui promit d'expliquer la politique et la bonne volonté de la Sublime Porte aux ministres et soutenir la Sublime Porte dans les conseils ministériels. De son côté Rechid Bey décide de faire valoir, en toute occasion, les prétentions et le droit de son gouvernement et de monirer au gouvernement français les visées excessives et dangereuses de Mehmed Ali. Entretemps il communiqua à la Sublime Porte qu'il se bornerait, pour le moment, à faire les démarches auprès de la Cours de France suivant ces décisions qu'il venait de prendre65. 2) Le deuxième fait était la propagande des journaux français, financ é s parfois par Mehmed Ali, contre la politique de la Sublime Porte. On savait que la propagande de la propagande de la presse française en faveur de Mehmed Ali existait depuis le commencement des contentieux entre l'Egypte et la Porte. Le but de ces publications était sans aucun doute de disgracier la politique suivie par le Sultan envers son vassal et de créer à la fois en Europe et en France une opinion publique favorable à la politique égyptienne, en lui donnant l'impression que Mehmed Ali voulait implanter la civilisation occidentale dans les territoires qu'il avait 3ous sa domination. Après la généralisation de la crise égyptienne à l'échelle européenne, Mehmed Ali, conscient du rôle joué par la presse dans l'opinion publique européenne qui exerçait une influence considérable sur les gouvernements dans l'orientation de la politique extérieure, intensifia aux prix d'énormes dépenses ses actions de propagande, aidé par ses agents et ses partisans qui avaient acheté certains journalistes pour faire publier des articles contre l'Empire ottoman66. 65 66 B.A. H.H. N0.46899J. ibid. IOO BAYRAM KODAMAN Si l'on se souvient, l'une des missions principales de Rechid Bey sur la question d'Orient était, comme l'indique Lutfı Efendi, de gagner l'opinion publique française en faveur de l'Empire ottoman et de rendre inutile la propagande égyptienne contre la Porte en faisant connaître la mauvaise disposition de Mehmed Ali envers le Sultan et ses ambitions dangereuses pour la paix générale. Pour remplier son office à ce sujet il comptait adopter la méthode de propagande par la presse, en obtenant, sous main, les rédacteurs en chef de certains journaux français67. Entre-temps Rechid Bey eut une rencontre avec Pozzo di Borgo (l'ambassadeur de Russie) pour gagner son aide diplomatique. Au cours de l'entretien, il lui demanda son avis sur les attitudes de la France et de l'Angleterre en face des troubles de Crête et de Syrie, qui avaient mis en évidence les mauvaises intentions de Mehmed Ali et le régime tyrannique exercé par lui et son fils dans ces territoires. Pozzo di Borgo annonça d'une façon très claire que ces deux Puissances maritimes ne désiraient pas l'avance et l'extention de Mehmed Ali vers l'Asie Mineure, parce qu'elles savaient qu'une telle politique expansionniste de la part de l'Egypte pourrait inévitablement provoquer l'intervention russe du côté du Sultan et qu'elles voulaient éviter une confrontation entre les troupes de Mehmed Ali et celles du Tsar. Nous voyons que le premier entretien officiel entre Rechid Bey et le ministre français des Affaires Etrangères eut lieu le 21 octobre 1834 (le 18 Cemaziyelahir 1250) à Paris sur les événements de Syrie et du Liban et sur les positions du Sultan et de Mehmed Ali depuis que ceux-ci s'étaient engagés à Kütahya à cesser les hostilités sous certaines conditions réciproques. Désireux de sonder les intentions du gouvernement français à ce sujet Rechid Bey demanda notamment au ministre comment il voyait ces événements et quelles mesures pourrait prendre la France pour la solution du problème. De son côté le ministre expliqua en somme l'évolution de la situation en Syrie et au Liban:"malgré les conseils des Puissances à la Porte d'éviter des actions militaires contre l'Egypte elle a intensifié ses préparations militaires à l'Est du pays en vue de se venger de Mehmed Ali et de récupérer le vilayet de Syrie, en profitant des mécontentements de la populati67 B.A. H.H. no. 46899J. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 on révoltée contre la domination égyptienne. Cet état de choses a crée naturellement des inquiétudes chez Mehmed Ali et son fils et les a poussés à se préparer et à prendre des mesures nécessaires contre une offensive de la part de l'armée ottomane commandée par Mehmed Rechid Pacha. De cela découle le refus de Mehmed Ali de ne pas remplir ses engagements envers le Sultan. A ce sujet la France lui a conseillé de respecter la convention existante avec le Sultan et de payer, en quarante jours le tribut. "Dans le cas présent, si le souverain d'Egypte entrepend et provoque une guerre pour obtenir son indépendance vis-à-vis de son suzerain, la France et l'Angleterre l'empêcheront de menacer la Porte et de réaliser sa politique; au surplus elles ne reconnaîtront jamais l'indépendance de l'Egypte. Par contre dans le cas où la Porte se montre agressive en déclenchant une guerre contre l'Egypte, ces deux Etats interviendront pour arrêter la confrontation armée entie les forces du Sultan et celles de Mehmed Ali, et ordonneront aussi à leur flotte d'empêcher l'action de l'escadre ottomane dans la méditerranée orientale"68.Par ces dernières paroles le ministre mettait la Porte en garde contre toute tentative militaire et la menaçait d'intervention. D'autre part il annonça que le retrait de l'armée ottomane de la frontière syrienne vers le Nord et le stationnement des troupes d'Ibrahim Pacha aux environs de Damas (Şam) étaient nécessaires pour atténuer la tension actuelle entre les deux parties hostiles, pour éviter le danger de guerre et faciliter les arrangements politiques; il indiqua également que le gouvernement anglais conseillerait les mêmes conditions si la Porte demandait son avis sur les événements de Syrie. Pour justifier les préparations militaires de l'Empire ottoman, Rechid Bey déclare, de son côté, "qu'en face des troubles causés par la cruauté et l'oppression de Mehmed Ali dans les territoires dépendant de l'autorité du Sultan, il est tout à fait normal que la Sublime Porte ne soit pas restée les bras croisés et qu'elle ait pris des mesures militaires. Il faut que la position hostile adoptée par la Porte contre l'Egypte soit approuvée par la France et l'Angleterre, en tenant compte que Mehmed Ali n'a pas encore renoncé à ses ambitions dangereuses et n'a pas rempli ses engagements envers le Sultan. Au lieu de suggérer à la Porte de retirer ses troupes en Asie Mineure il serait mieux d'obliger Mehmed Ali à rappeler son fils 68 B.A. Sandik 153. K a n o n 2. evrak 55 Baysun Tarih Vesk. II/9. 215.). IOO BAYRAM KODAMAN Ibrahim Pacha,en Egypte"69. En démentant également les rumeurs répandues selon lesquelles la Porte aurait incité, sous main, la population du vilayet de Syrie à se révolter contre la domination égyptienne, il attira l'attention du gouvernement français sur la politique insupportable exercée par Mehmed Ali dans ces régions; il fit savoir que la présence de l'armée ottomane au Nord de la Syrie était nécessaire pour assurer la sécurité et l'ordre en cas d'aggravation de la situation et de l'extension des troubles en Syrie et au Liban. Au sujet des dettes arriérées de Mehmed Ali envers la Sublime Porte, Rechid Bey s'efforça de prouver l'injustice de Mehmed Ali au gouvernement français pour qu'il lui conseillât d'envoyer les tributs accumulés des vilayets se trouvant sous sa domination. En effet Mehmed Ali n'avait pas payé depuis cinq ans, ni les tributs de la Crète et de l'Egypte ni ceux des vilayets de Syrie et d'Acre abandonnés en 1833 par le Sultan à son autorité. En face des explications de Rechid Bey, le ministre français, en avouant qu'il n'avait pas d'idée précise sur les tributs non payés par Mehmed Ali, approuva les prétentios de la Porte à ce sujet. C'est au cours de cette conversation, à laquelle avait aussi assisté Desages, avec le ministre des Affaires Etrangères, que Rechid Bey avait senti que ceux-ci avaient une inclination évidente à suivre une politique favorable à Mehmed Ali.Pourtant il trouva utile de remettre une note écrite au gouvernement français pour réitérer les vues déjà soutenues. Il demanda l'avis de son gouvernement sur cette note dans laquelle il voulait préciser que le Sultan éviterait de déclencher sans raison une guerre contre l'Egypte70. Il eut une entrevue avec l'ambassadeur de Russie à ce sujet; il communiqua d'autre part le contenu de la note à l'ambassadeur ottoman à Londres, Namik Pacha, et lui conseilla de suivre la même politique auprès du gouvernement anglais. En effet, dans sa lettre expédiée à Istanbul, à la date du 28 Cemaziyelahir 1250 (le 1er novembre 1834) il informa la Sublime Porte qu'il venait de remettre cette note officielle, approuvée même par l'ambassadeur de Russie, au ministre français des Affaires Etrangères, l'Amiral de Rigny. Il envoya en même temps la copie de cette note à Namik Pacha et à la Sublime Porte 71 . Mais le gouvernement français prétextant la traduction 69 B.A. Sandık 153; Karton 2 Evrak 44 (Baysun: Tarih. Vesik. Il/g 216.). 70 İbid. Corrs. de Rechid Bey, le 26 octobre 1834 (le 22 Cemaziyelahir 1250). pp. 218-219. 71 B.A.: Sandık 153 Rechid Bey. Karton 2 evrak 55 (Baysun vesik. 11/12 p.452). Corresp. de MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 1 '3 du texte, évita de donner rapidement sa réponse à l'ambassade ottomane. Rechid Bey chercha alors à connaître les dispositions et les intentions du gouvernement français, en s'entretenant avec ceux qui s'occupaient de la question d'Orient dans les milieux gouvernementaux. Après ces consultations, il communiqua leurs pensées à la Porte par sa lettre en date du 9 novembre 1834 (le 7 Recep 1250)7 De ses conversations avec eux Rechid Bey tirait la conclusion suivante: "A la suite des dispositions et des attitudes qu'ils avaient prises ces jours derniers envers la Sublime Porte, la plupart des responsables de la politique française, ayant perdu leur confiance en Mehmed Ali, reconnaissent maintenant que c'est un vieillard devenu inconscient et qu'a leurs yeux Ibrahim Pacha n'ayant aucune capacité d'Homme d'Etat est incapable d'assumer la direction du pays. De cela viennent leurs inquiétudes pour l'avenir de l'Egypte. Bien que Mehmed Ali ait développé le pays, en réalisant certaines réformes grâce à l'aide des Européens, on a bien compris qu'au cours des événements de Syrie et du Liban, sa politique et son autorité, contrairement à ce qu'il avait annoncé, n'étaient pas suffisantes pour administrer les territoires trop étendus et pour calmer le pays. Par contre, étant donné que les efforts et les intentions de notre Sultan, jeune, habile et capable de moderniser l'Empire ottoman et d'y faire entrer la civilisation occidentale sont connus et même pris en considération par les Puissances, ces dernières accepteront sans hésitation l'idée selon laquelle le calme et l'ordre ne pourraient qu' être assurés dans l'Empire ottoman et surtout dans l'Arabie par l'autorité de notre sultan, connu par ses sympathies pour la civilisation européenne et par ses idées réformistes73". Pendant tous ses contacts avec les membres du gouvernements français, en leur parlant des réformes sociales et administratives faites, Rechid Bey s'efforça ainsi de leur montrer la volonté du sultan d'entreprendre de nouvelles réformes, destinées à occidentaliser l'Empire et à assurer la prospérité de la population ottomane sans distinction de race et de religion. D'autre part, il reprocha à la France d'avoir soutenu et aidé Mehmed 72 B.A.: mesail-i siyasiye 1/4 p. 291). 73 îbid, p. 287. Fransa dosyası (1-2). Iradé no 14 (Baysun: Tarih vesik. IOO BAYRAM KODAMAN Ali dont les ambitions menaçaient la paix générale et l'Empire ottoman, et également de n'avoir pas respecté l'amitié existant entre la Porte et ellemême. Dans leurs réponses ils voulurent justifier la politique française favorable à Mehmed Ali, en faisant allusion à l'intervention et à l'influence de la Russie qui étaient de nature à mettre en cause les intérêts de la France en Orient. Mais, en leur rappelant le fait que la Porte avait demandé à la France et à l'Angleterre de l'aider contre l'Egypte et qu'elles avaient hésité à prendre partie pour le Sultan, Rechid Bey justifia l'alliance de la Porte avec la Russie qui avait empêché Mehmed Ali de s'installer à Istanbul. En fin de compte l'ambassadeur ottoman sentit que la France et l'Angleterre désiraient voir l'annulai ion du traité de Hünkâr Iskelessi, qui donnait au Tsar l'occasion d'accroître son influence dans l'Empire ottoman au détriment d'autres Puissances et trouver une solution aux désaccords survenus entre le Sultan et son vassal, en l'absence de la Russie. Il va de soi que leur but, était, en écartant la Russie des affaires égyptiennes, de rendre inutile le traité de Hünkâr Iskelessi et ainsi d'éloigner la Sublime Porte d'elle. Au début du mois de novembre l'envoyé ottoman rencontra encore une fois le Général Guilleminot. Au cours de cette rencontre, ce dernier, en précisant le caractère secret de ses paroles, lui annonça que Mehmed Ali avait l'intention de faire accéder l'Egypte à l'indépendance et qu'il demandait aux gouvernements français et anglais de reconnaître son indépendance et de le soutenir dans cette tentative. En effet Mehmed Ali avait annoncé à ces deux gouvernements qu'en cas de reconnaissance de son indépendance, il leur offrirait son alliance pour faire contrepoids à celle Turco-Russe et qu'il serait prêt à envoyer ses troupes à Istanbul pour combattre l'influence russe. Mais l'offre et la demande de Mehmed Ali, étaient repoussées disait Guilleminot, par les dix gouvernements dans le but de maintenir les bonnes relations avec la Porte et de conserver l'intégrité de son Empire. Il attirait aussi l'attention de Rechid Bey sur les dangers qui pourraient découler d'un nouveau rappel des troupes russes à Istanbul et sur la redidition politiqur de la Porte à la Russie dans toutes les affaires de l'Empire ottoman.Ensuite il demanda à l'ambassadeur turc de lui faire savoir les vraies intentions de la Porte à ce sujet, car il voulait mettre au courant le Roi et le Ministre des Affaires Etrangères, de la politique ottomane. 1 M O U S T A J ' H A R É C H I D P A C H A '125 '3 Dans sa réponse Rechid Bey s'expliqua comme suit: "En cas de tentative du Pacha d'Egypte de proclamer son indépendance vis-à-vis de son souverain légitime, la Sublime Porte doit prendre des mesures nécessaires pour le mettre à la raison et pour supprimer un tel danger. Dans ce cas si la France et l'Anglaterre appuient le Sultan et lui apportent leur aide politique et militaire, la venue de la flotte et des soldats russes que vous redoutez, sera sans doute automatiquement écartée. Il est donc évident que tout dépend de l'attitude des deux puissances maritimes. Quant à la soumission politique de la Porte à la Russie, elle n'est plus qu'un mensonge inventé par les adversaires de la Turquie qui attendent l'occasion de pêcher en eau trouble, car les relations turco-russes et le traité dont il s'agit ne sont pas contradictoires aux principes d'alliance et de paix entre deux états puissants74". A notre avis, des phrases ci-dessus découlent deux effets: Primo:c'est le fait que Rechid Bey avait éprouvé et bien compris les inquiétudes et les craintes des Anglais et des Français vis-à-vis de la politique russe dirigée vers la Méditerranée ainsi que de la tutelle russe à Istanbul. Secondo: son intention d'exploiter leurs craintes et inquiétudes et de profiter de leur opposition à la Russie pour les amener à s'occuper sérieusement de la crise et pour obtenir leur aide au profit de la Turquie. Selon Rechid Bey, par l'obtentien du soutien de ces puissances, l'Empire ottoman pourrait se débarrasser à la fois de l'influence russe et de la menace de Mehmed Ali qui mettaient, tous les deux, en cause l'Empir ottoman. En effet Rechid Bey, dès lors, conscient de la menace et des visées russes sur la Turquie voyait la sécurité de l'Empire dans l'alliance de la Porte ottomane avec la France et l'Angleterre qui n'avaient que des intérêts économiques sur les marchés du Levant. Mais en face de la conduite favorable de la France envers l'Egypte et de l'incertitude de la politique anglaise, il estima nécessaire l'alliance turco-russe pour empêcher Mehmed Ali de défier la Porte par la force pour obtenir le soutien russe dans la question d'Algérie et enfin pour pousser la France et l'Angleterre à une intervention active au profit de la Porte. Par ces considérations politiques il ne désirait pas, pour le moment, une rupture avec la Russie et conseil74 B.A.; Mesail-i siyassiye, Fransa dosyası (1-2), Iradé no 14 (Baysun: Tarih vesik. 1/4, p. 288). IOO i20 B A Y R A M K O D A M A N lait au surplus à la Sublime Porte de ne pas lui donner de soupçons par son attitude75. Enfin Rechid Bey fit à Guilleminot trois propositions, qu'il était, selon lui, nécessaire que la France et l'Angleterre acceptent, comme le signe de leur amitié envers la Porte. i° la nécessité de soumettre Mehmed Ali pour faire revenir le calme et assurer la paix dans les territoires troublés par lui; 2° la non-ingérance dans la politique d'un autre état indépendant, compte tenu du droit de chaque état à suivre une politique conformément à ses intérêts; 3° a) le retrait des flottes anglaise et française de la Méditerranée orientale, en raison des inquiétudes créées par leur présence, dans l'opinion publique turque; b) la liberté à la Sublime Porte de s'occuper de ses affaires intérieures et extérieures sans intervention étrangère. Guilleminot, en disant qu'il trouvait normal ces trois propositions, promit à Rechid Bey d'en prévenir le gouvernement français76. Quelles étaient les significations de ces trois conditions, et quel profit la Porte pouvait-elle en tirer dans cette crise? Si la France et l'Angleterre acceptaient le principe de non-ingérance dans les affaires extrérieures et intérieures de la Porte et voulaient la destruction de Mehmed Ali,elles devraient rester impartiales en cas d'une confrontation entre Mehmed Ali et le Sultan ou bien appuyer ce dernier. Par l'acceptation de la deuxième proposition, elles devraient reconnaître, bon grémal gré, l'alliance turco-russe et respecter toutes les tentatives et les décisions prises par le Sultan pour soumettre Mehmed Ali et calmer les troubles de Syrie. En effet, comptant sur res militaires abandonnés à en cas d'approbation de ces articles, la Sublime Porte, en le soutien militaire de la Russie pourrait prendre des mesupour reconquérir la région d'Adana et le vilayet de Syrie Mehmed Ali par la convention de Kütahya. 75 B.A., Mesail-i siyasiyye, Fransa dosyası (1-2) Iradé no 14 (Baysun, Tarih vesik., 1/4, p. 291). 76 İbid. p. 289. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '119 D'autre part, connaissant l'hostilité du gouvernement anglais envers la politique de Mehmed Ali qui mettait en danger la sécurité des routes de l'Inde 77 , Rechid Bey conseilla à la Sublime Porte de chercher la possibilité d'obtenir l'appui de l'Angleterre, par des concessions économiques dans les régions où passaient les routes de l'Inde. Selon lui, c'était la seule solution pour prendre possession du district d'Adana et du vilayet de Syrie. Lorsqu'il apprit, quelques jours plus tard, par la presse, les nouvelles de la recrudescence des événements au Liban, la prise de position de Mîr Bechir contre Mehmed Ali à cause des divergences entre eux et enfin les difficultés dans lesquelles se trouvait Ibrahim Pacha en Syrie, Rechid Bey s'empressa de communiquer ses vues à son gouvernement, parce qu'il voyait dans la situation actuelle une occasion dont la Porte pourrait profiter pour détourner les événements à son profit. A son avis, si la Porte avait déclanché une offensive contie l'Egypte il serait profitable qu'avant la confrontation, elle envoie des ordres aux pachas de Tunis et de Tripoli en vue de les inciter à lancer une attaque, par l'Ouest, contre l'Egypte 78 . Mais il était difficile pourtant de prévoir une solution militaire en faveur de la Porte d'autant plus que la France et l'Angleterre s'efforçaient d'éviter une guerre entre les deux parties, par leur pression amicale sur la Porte et par leurs menaces lancées contre Mehmed Ali dans le cas où il ouvrirait les hostilités. D'autre part, conformément aux instructions données par la Sublime Porte79 qui désirait d'ailleurs mettre fin à ses contentieux avec Mehmed Ali et gagner les Puissances en sa faveur, Rechid Bey fit une démarche auprès du Ministre des Affaires Etrangères pour obtenir un entretien afin de lui expliquer le point de vue de son gouvernement sur les désaccords, cause, ces derniers jours, de la tension entre le sultan et son vassal. En fait, sur sa demande, le ministère français chargea l'un de ses fonctionnaires les plus compétents dans les affaires d'Orient, Désages80, de s'entretenir 77 Rechid bey était toujours en correspondance avec l'ambassadeur ottoman à Londres pour coordonner la politique qu'ils devaient suivre auprès des gouvernement anglais et français. 78 B.A. 1/4 p. 291). mesail-i siyasiyye Fıansa karton (1-2) irade 14 (Baysun: Tarih vesikalan 79 C'était Rifat Bey alors premier secrétaire d'Amedji du Divan qui avait rédigé les instructions de la Porte pour Rechid Bey. 80 II a décidé à Istanbul en qualité d'employé à l'ambassade française et en 1826 de chargé d'affaires. Pendant le séjour de Rechid bey à Paris il travaillait au Ministère des Affaires Etrangères. BAYRAM KODAMAN i20 avec lui et même de lui faire savoir la position prise par la France à ce sujet. Au cours de leur entretien, évoquant le fait que sur les insistances des Puissances le Sultan soucieux d'éviter de nouvelles complications, avait abandonné, par la convention de Kütahya, certains territoires à l'Egypte à condition que Mehmed Ali ait évacué la région de Rakka (nord de la Syrie) et qu'il ait payé le tribut fixé; Rechid Bey annonça à Désages que la Sublime Porte n'approuvait pas une nouvelle guerre avec l'Egypte, malgré la présence de son armée à proximité de Rakka et celle de sa flotte en Méditerranée, en état d'alerte en prévision d'une intervention en faveur des populations libanaise et syrienne. Il indiqua également que, devant l'attitude de Mehmed Ali, qui ne se montrait point désireux de remplir ses engagements envers le Sultan, la mission qui incombait aux Puissances était de le contraindre à exécuter légalement la convention et à se soumettre à son suzerain. Il ajouta d'autre part que sans la soumission de cet homme qui avait entreprit en 1834 d'obtenir son indépendance, refusé de payer le tribut et causé des troubles intérieurs et des complications internationales, il serait difficile d'établir la paix et la sécurité dans l'ensemble de l'Empire ottoman, surtout en Syrie81. De son côté, Désages, ayant approuvé les propos tenus par l'envoyé ottoman, voulut montrer l'amitié de la France envers la Porte et l'en assurer: "bien que la France ait eu toujours le désir et l'intention de maintenir son amitié et ses relations avec l'Empire ottoman, la propogande des adversaires de la politique ottomane et en plus l'absence d'un représentant permanent auprès du gouvernement français, pour lui expliquer les intentions et la conduite de la Sublime Porte l'avaient empêchée depuis quelque temps de suivre une politique précise et favorable envers Elle dans la question d'Orient. Mais votre présence à Paris contribuera dorénavant à l'amélioration des relations entre les deux gouvernements, car vous informerez à temps le gouvernement français de la politique ottomane 82 ". D'autre part il annonçait que le gouvernement français prendrait en considération toutes les demandes de la Sublime Porte dans sa politique d'Orient et que les attitudes des autres puissances vis-à-vis de Mehmed Ali subiraient un changement sensible au fur et à mesure qu'elles conna81 B.A. sandık 153 karton 2 evrak 55 (Baysun: t. V 1/6 p.431). 82 ibid. MOI STAPHA RÉCHID PACHA <85 îtraient la bonne volonté de la Porte. A l'issu de cet entretien Désages, ayant pris connaissance du caractère conciliant de la politique ottomane fit savoir officiellement que la France presserait Mehmed Ali d'obéir au sultan, de respecter son autorité et d'exécuter les obligations de la conventionde Kütahya, c'est-à-dire de payer le tribut et de se retirer de Rakka 83 . L'approbation de ces explications ainsi que de la politique ottomane par la France autrefois partisane ardente de Mehmed Ali, avait donné à Rechid Bey l'impression qu'elle renoncerait à prendre partie pour l'Egypte et à soutenir les prétentions égyptiennes auprès de la Porte. Il écrivait à ce sujet qu'après avoir reconnu la mauvaise attitude de Mehmed Ali, les Hommes d'Etat français s'éloignaient de lui et au contaire se rapprochaient de la politique ottomane et que l'opinion publique française comprenait que les réformes faites en Egypte n'avaient aucun rapport avec la civilisation européenne. Il convient de noter que ni l'opinion publique ni le gouvernement français n'avaient renoncé à soutenir la politique de Mehmed Ali et à voir l'Egypte dans la sphère d'influence française. Mais en face de l'attitude résolue des autres puissances favorables à la Porte, la France sentait la nécessité d'améliorer ses relations avec la Porte et de suivre une politique conciliante envers les deux parties hostiles. Au lieu de défendre ouvertement Mehmed Ali elle préférait s'interposer entre lui et le Sultan pour faciliter leur arrangement et ainsi mettre fin à la crise qui les opposait depuis longtemps l'un à l'autre. Pourtant la politique française n'omettait pas d'encourager Mehmed Ali dans son entreprise. Après ses entretiens avec le gouvernement français, Rechid bey rencontra l'ambassadeur autrichien, le Comte Apponyi, venu à l'ambassade ottomane pour connaitre les intentions de la Porte et expliquer également celles de son gouvernement sur la crise d'Egypte. Perdant cet entretien il résuma la politique ottomane comme suit: "Tant que Mehmed Ali remplira ses engagements envers le sultan, il n'y aura pas un changement quelconque dans la politique actuelle de la Porte, mais dans le cas où il agira contrairement à ses engagements, le sultan se verra obligé de prendre des mesures nécessaires pour le soumettre à son autorité84". Pour Apponyi, en raison de sa situation stratégique, l'Autriche n'avait pas pu jouer un rôle direct et actif dans la crise d'Egypte, malgré son re83 B.A., sandık 153, karton 2. evrak 55 (Baysun: T . V , i/6, p. 436.). B.A., Mesail-i Siyasiye, Fransa, karton (1-2), corresp. de Rechid Bey (le 17 Recep 1250 : 19 novembre 1834). Baysun, 1/6, p. 441. 84 i20 BAYRAM KODAMAN fus de l'indépendance de l'Egypte et son amitié évidente pour la Porte. Par contre les deux états maritimes (France et Angleterre) avaient exercé leur pression sur Mehmed Ali et l'avaient mis en garde contre une nouvelle tentative militaire au détriment du sultan. C'est la raison pour laquelle, Mehmed Ali ne pourrait pas allar très loin dans sa politique. Et puis il ajouta qu'en cas d'une nouvelle guerre entre le sultan et lui, ces deux puissances devraient prendre partie contre celui qui provoquerait le premier les hostilités. Au cours de ses contacts avec les diplomates étrangers et avec le gouvernement français Rechid Bey s'efforçait souvent de leur faire comprendre et admettre que le sultan avait le droit d'agir le premier par tous les moyens qu'il estimait nécessaires non seulement contre Mehmed Ali mais aussi contre ceux qui refuseraient de reconnaître son autorité dans son empire. De leur côté les Puissances laissaient entendre qu'elles prendraient position contre le premier agresseur. Rechid Bey refusa catégoriquement d'accepter leur point de vue à ce sujet, car il voyait là l'égalité de droit entre le sultan et mehmed Ali. Or ce dernier était toujours, à ses yeux, l'un des gouverneurs du Sultan. Au début de décembre, Namik Pacha envoya une lettre à Rechid Bey dans laquelle il lui conseillait de rappeller au gouvernement français les propositions de la Porte que son ambassader à Istanbul, Roussin, avait pris en 1833 à tâche de faire accepter à Mehmed Ali et de lui demander, de nouveau, de remplir cet engagement85. Mais Rechid Bey savait bien que Roussin, chargé d'empêcher par la diplomatie l'intervention russe, avait alors assumé et même promis, par un acte officiel, de faire admettre à Mehmed Ali les propositions du sultan. D'après ces propositions, les vilayets de Tripoli de Syrie et de Saida, avec les sansjaks de Naplouse et de Jérusalem (Kudüs), étaient cédés par le sultan à la domination de Mehmed Ali. Comme on le sait, malgré les efforts et la pression de Roussin, Mehmed Ali avait refusé d'accepter ces conditions avancées par la Porte. Ainsi, les soldats russes étaient venus à Istanbul. Dorénavant, bien que la Porte ait demandé, à maintes reprises, à Roussin de remplir son engagement, celui-ci, sous prétexte de la venue des 85 B.A. Sandık 153, Karton 3, Evrak 35. Baysun, T . V . , 1/6 p. 441. B.A., mesail-i siyassiyye, Fransa karton (1-2), corresp. de Rechid Bey (le 17 recep 1250 — 19 novembre 1834). Baysun: 1/6, p.437. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '123 Russes, annonça que l'acte qu'il avait conclu avec Elle n'avait aucune importance, et était devenu caduque. En plus, la convention de Kütahya était signée entre l'Egypte et la Porte, sans participation officielle du gouvernement français aux négociations. La France n'y avait envoyé que De Varenne, à titre d'observateur, dans le but de donner des conseils à Ibrahim Pacha et de faciliter les arrangements entre le sultan et Mehmed Ali. Etant donné que la Porte, elle même, abandonna par la convention de Kütahya, non seulement les vilayets de Saida, de Tripoli de Syrie, mais aussi celui de Syrie et la régiond'Adana à Mehmed Ali, Rechid Bey trouva ainsi inutile de rappeller au gouvernement français la promesse de son ambassadeur et de faire une démarche en ce sens auprès du ministre français des Affaires Etrangères. En effet, à la venue du Ministre français des Affaires Etrangères, le 10 décembre 1834, à l'ambassade ottomane pour savoir s'il y avait un changement dans l'attitude de la Porte, sans aborder l'acte fait entre Roussin et la Porte, Rechid Bey n'insista que sur les missions des états voulant maintenir le statu quo et assurer la paix dans les territoires troublés par Mehmed Ali. D'après lui, les missions des Puissances consistaient non seulement à empêcher la politique ambitieuse du gouverneur d'Egypte mais également à le soumettre à l'autorité de son souverain, compte tenu de la bonne volonté et de la renonciation de la Sublime Porte aux tributs en retard dûs par l'Egypte86. Le ministre, en approuvant les paroles de l'ambassadeur ottoman, précisa que Mehmed Ali, ayant reçu les conseils et la mise en garde de la France et de l'Angleterre contre toutes les tentatives militaires, ne pourrait pas désormais prendre position contre le sultan et qu'il éviterait les activités excessives. Lorsque Rechid Bey parla à Louis Philippe de la question d'Egypte, au cours de la visite qu'il lui rendit le 14 décembre 1834 (12 chaben 1250), ce dernier déclara à Rechid Bey que Mehmed Ali n'était plus en mesure de suivre une politique hostile vis-à-vis de la Porte;il ajouta également que Rakka serait évacué, en quelques semaines, par les troupes d'Ibrahim Pacha87. De même, Rechid Bey rencontra le 21 décembre le ministre des Affaires étrangères, l'Amiral de Rigny. Au cours de cette rencontre ils parlèrent de l'évolution de la crise d'Egypte depuis 1830. Bien que Rigny ait approuvé les explications de Rechid, et reconnu l'attitude 86 B.A., mesail-i siyasiyye, Fransa karton (1-2), irade, 34 (Baysun: T . V ; II/7: p. 47). 87 İbid. i20 BAYRAM KODAMAN injuste de Mehmed Ali dans la crise d'Egypte, il s'abstint pourtant de prendre parti ouvertement contre lui, il se borna à donner raison, par des paroles, à la Sublime Porte pour sa politique. Malgré ces entretiens entre Rechid Bey et le gouvernement français, on n'arriva pas à un véritable résultat, l'ambassade ottoman ne put obtenir que l'approbation orale de la politique ottomane par la gouvernement français alors qu'il eut voulu persuader la France de la nécessité de la cessation de son appui à l'Egypte et de la soumission absolue de Mehmed Ali au Sultan. Pourtant nous tirons deux constatations de ces entretiens: l'attitude réservée du gouvernement français et le langage modéré tenu par Rechid Bey.La France, consciente des attitudes des autres Puissances hostiles à l'Egypte et désireuses en même temps de maintenir, au besoin de resserrer ses relations politiques avec l'Empire ottoman, évita de blesser la Porte en soutenant ouvertement la cause de Mehmed Ali au cours des conversations avec l'ambassadeur ottoman. Toutefois elle resta au fond défenseur de Mehmed Ali. D'autre part elle désirait un arrangement politique entre le Sultan et son vassal; elle s'opposait à toute idée prévoyant une solution militaire à cette crise, car il était difficile, pour elle de soutenir militairement l'Egypte en cas d'une confrontation avec la Porte, compte tenu bien entendu de l'intervention des autres Puissances du côté du Sultan; elle voulait plutôt jouer un rôle de médiateur entre la Porte et l'Egypte pour mettre fin à leur différent. Quant à Rechid Bey, il préféra tenir un langage modéré dans ses entretiens avec le gouvernement français pour lui donner l'impression que la Porte comptait sur sa compréhension et sur son amitié dans la crise d'Egypte. Voyant un intérêt pour la Porte dans la conservation des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays, il s'abstint de reprocher directement à la France de soutenir Mehmed Ali contre le sultan. Mais il demande à la France de cesser son appui à l'Egypte et de faire pression sur Mehmed Ali pour qu'il obéît à son souverain et qu'il cédât le vilayet de Syrie et le district d'Adana à la Porte. Nous ne traiterons pas ici de deux entretiens de l'ambassadeur ottoman avec le Ministre français des Affaires Etrangères, le 18 décembre 1834 et au mois de janvier 1835, ces entretiens ayant été consacrés exclusivement à la question d'Algérie. De même il faut préciser qu'après le MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '125 mois de janvier les activités diplomatiques de Rechid Bey à Paris ne se limitèrent qu'aux autres problèmes d'importance secondaire entre les deux pays. Enfin Rechid Bey, ayant échoué dans sa mission principale qui était d'obtenir l'Algérie, quitta Paris le 29 mars 1835 pour Istanbul en laissant sa place à Rouhiddin Effendi, l'interprète et premier secrétaire de l'ambassade ottomane. Celui-ci fut chargé de suivre la politique prescrite dans les instructions (Talimât) laissées par Rechid Bey, et dont les trois articles étaient consacrés à la politique à suivre dans la crise d'Egypte. Voici ce que Rechid Bey conseillait à Rouhiddin Effendi: 1) De ne prononcer aucun mot contre la Russie dont l'alliance était nécessaire dans les circontances actuelles pour empêcher Mehmed Ali de s'emparer de l'Asie Mineure; par contre de calmer les inquiétudes de la France sur l'influence politique russe à Istanbul et de demander le soutien du gouvernement français s'il reprochait à la Porte d'avoir signe un traité d'alliance avec la Russie contre l'Egypte. 2) D'expliquer (arguments bien fondés à l'appui) au gouvernement français les visées dangereuses de Mehmed Ali pour l'intégrité de l'Empire et la situation difficile de la population écrasée sous la domination égyptienne. 3) De persuader la France des réformes que le Sultan avait entreprises dans l'Empire et de faire de la propagande pour la politique de la Sublime Porte88. Pendant l'absence de Rechid Bey à Paris on n'enregistra pas d'évolntion quelconque dans les rapports franco-turcs, car les activités diplomatiques du chargé d'affaires restèrent limitées. D'autre part nous voyons Rechid Bey être nommé une deuxième fois à Paris et y revenir au mois d'octobre 1835 avec le même mission dont il était chargé pendant sa première ambassade, c'est-à-dire obtenir l'Algérie et gagner le soutien et l'amitié de la France dans la crise d'Egypte. Au cours de son deuxième séjour à Paris il continua encore à faire valoir, auprès de la Cour de France, les mêmes prétentions qu'en i834.Pourtant il n'arriva pas à persuader cette dernière de la nécessité de 88 B.A. sandık 153, karton 3, evrak 2. Lutfı résume ces instruction en quelques lignes, voir V. p. 7. i20 BAYRAM KODAMAN faire évacuer à Mehmed Ali la Syrie et Adana et à le soumettre à son suzerain. Bien que la France ait voulu donner quelques satisfactions à la Sublime Porte en approuvant le point de vue de Rechid Bey, elle considérait pourtant comme mal conçus tous les projets qui avaient pour but d'arracher à Mehmed Ali, par la force des armes, les territoires qu'il occupait alors. Elle laissait entendre qu'elle ne voyait aucun intérêt pour le Sultan dans une solution militaire, car un gouverneur puissant comme Mehmed Ali pourrait l'aider au besoin à la défense commune de l'Empire ottoman. En somme Rechid Bey quitta la France au mois d'octobre 1836 pour l'Angleterre sans obtenir l'appui du gouvemment français dans la question d'Orient. C — LE ROLE DE RECHID PACHA DANS LA SOLUTION DE LA CRISE D'EGYPTE I. Période de 1837 à 1839 Après un séjour de trois ans, à Paris et à Londres, qui lui avait donné l'occasion d'approfondir sa connaissance de la diplomatie européenne et de connaître, de près, la politique des Puissances vis-à-vis de l'Empire ottoman, Rechid Pacha, revenu à Istanbul, fut nommé en 1837 ministre des Affaires Etrangères. A partir de cette date il se donna pour tâche de résoudre la crise en faveur de l'Empire ottoman. En effet, au début de son ministère, voyant que les puissances intéressées ne se montraient point empressées de trouver une solution immédiate au conflit turco-égyptien, Rechid Pacha décida de chercher, par voie de négociations, la possibilité d'un accommodement direct avec Mehmed Ali. Dans ce but il envoya en 1837 Ibrahim Sarim Effendi89 auprès du Pacha d'Egypte pour entamer les négociations. La mission essentielle de Sarim était avant tout de faire savoir à Mehmed Ali les conditions avancées par la Porte pour mettre fin à leurs contentieux et en même temps de sonder ses intentions. Au cours de ses conversations avec le Pacha d'Egypte, Sarim Effendi lui énnonça les propositions par lesquelles le Sultan accordait à l'Egypte les territoires d'Acre et de Tripoli de Syrie à condition qu'il acceptât de restituer la Syrie et Adana,de réduire son armée et sa flotte et enfin de lui obéir. De son côté Mehmed Ali déclara "Tant que je ne serai pas obligé, je n'abandonnerai pas même un village! la sécurité de l'Egypte ne peut-être assurée que si le Sultan m'accorde l'hérédité de tous les territoires que je possède. Si l'on accepte ma demande je resterai fidèle au Sultan, je remplirai mes obligations envers lui, je m'efforcerai, par tous les moyens dont je dispose, de rendre service à l'Empire ottoman. Dans un tel cas il n'y aura pas besoin de réduire l'armée et la flotte égyptiennes. Tout dépend de la volonté et de la décision du Sultan pour arriver à l'accommodement désiré90". M Sanm Effendi, plus tard Pacha, est devenu en 1848 Grand Vizir. Pour sa biographie, Mufassale Osmanlı Tarihi. VI. 2098. 90 Ali Fuat. article cité, in T T E M . 19(96). p. 112. i20 BAYRAM KODAMAN A son retour d'Istanbul, Sarim Effendi présenta un compte-rendu dans lequel il expliquait en détail les demandes de Mehmed Ali. Après avoir examiné les propositions égyptiennes, Rechid Pacha accepta l'abandon de l'Egypte et des provinces d'Acre et de Tripoli de Syrie, mais réclama la Syrie et Adana. A la suite du refus par la Porte de l'hérédité de la Syrie, Mehmed Ali, ayant perdu l'espoir de garantir la sécurité de ses possessions par un arrangement avec le Sultan, cessa complètement de payer le tribut et se déclara officiellement indépendant. Alors Rechid Pacha, ministre des Affaires Etrangères, signa le 16 août 1838, un traité de commerce avec le gouvernement anglais pour obtenir par d'énormes concessions économiques dans l'Empire ottoman, son appui politique et militaire contre Mehmed Ali. Après la signature de ce traité, il fut nommé ambassadeur extraordinaire à Londres 91 . Il travailla encore activement pour établir une alliance entre la Porte et l'Angleterre et prépara ensuite de concert avec lord Palmerston, le projet d'un traité d'alliance. Mais après avoir été informé des principes de ce traité, Nouri Effendi, ministre des Affaires Etrangères, annonça, le 6 avril 1839, au gouvernement anglais que la Porte ne saurait accepter la signature d'un tel traité qui maintenait non seulement le statu quo qu'elle voulait détruire, mais astreignait le Sultan à ne profiter d'aucune occasion favorable et qui stipulait purement et simplement que l'Angleterre s'unirait à la Porte au cas où Mehmed Ali commettrait une agression. Plus tard Nouri Effendi déclara également qu'il était persuadé qu'aucun traité ne profiterait à la Porte s'il n'avait pour but la ruine de Mehmed Ali et que, par conséquent, la Porte ne devait pas signer ce traité. En effet le traité prévu ne contenait pas d'articles avantageux pour l'Empire ottoman, mais des articles reconnaissant implicitement l'indépendance de Mehmed Ali et même garantissant son existence contre la Porte. Il donnait à l'Angleterre seule le droit d'intervenir au cas où Mehmed Ali 91 Le motif de cette nomination: "Rechid Pacha vient de se faire nommer à l'ambassade... Je ne doute pas que son principal motif, en s'éloignant (d'Istanbul) ne soit de pourvoir à sa sûreté personnelle, il voyait l'opposition grandir contre lui et ne pouvait douter que la faveur du Sultan lui manquerait bientôt. Le dernier usage qu'il vient d'en faire prouver sa prudence. Il s'est servi de ses ennemis comme des amis pour atteindre son but*. Arch. Aff. Etr. T U R Q U I E . Vol 276. Corres. de Roussin à Molé, Août 1838. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '129 ne respecterait pas la statu quo, alors que la Porte avait l'intention d'intervenir et de prendre des mesures nécessaires pour soumettre Mehmed Ali si une occasion opportune se présentait. En raison de ces interprétations, la Porte donna l'ordre à Rechid Pacha de ne pas signer ce traité et de retourner à Istanbul en passant par Paris pour s'entrenir avec le gouvernement français92. Entre temps, dans sa lettre datée du 21 rebiiilewel 1255 Rechid Pacha écrivit que l'Angleterre et la France enverraient leurs flottes sur les côtes de Syrie, en ces de guerre entre l'Egypte et la Turquie pour intervenir en la faveur de celle-ci, si l'armée égyptienne emportait la victoire93. En vérité, l'Angleterre, depuis qu'elle avait signé le traité de commerce avec la Porte par lequel elle avait obtenu pour ses marchands le libre accès dans tout l'Empire ottoman, y compris la Syrie et l'Egypte, desirait combattre la puissance égytienne et s'employait à provoquer une confrontation entre les deux partis.De son côté la France après s'être efforcée jusqu'en 1838 de maintenir le statu quo employait en vain, pour prévenir une nouvelle crise, ses bons offices auprès de l'Angleterre afin d'assurer l'hérédité de l'Egypte à Mehmed Ali. Elle ne voulait favoriser ni l'indépendance totale de l'Egypte ni son agrandissement éxagéré. Son plan consistait à faire de l'Egypte et de la Syrie un Etat tributaire de la Porte et à soumettre Mehmed Ali au Sultan. Chaque fois que Mehmed Ali cherchait à sortir de ses limites territoriales et politiques par la guerre, la France le menaçait de son escadre au nom de l'intégrité de l'Empire ottoman et de la paix. Enfin, sur le conseil de la Russie, le Sultan, sûr en même temps de l'appui et de l'intervention éventuelle de l'Angleterre en cas de défaite donna l'ordre, le 2 safer 1255 (le 17 avril 1839) à Hafız Pacha, chef d'Etat major de l'armée ottomane, d'ouvrir les hostilités94. Mais l'armée subit encore une fois à Nizip une défaite totale devant les troupes d'Ibrahim Pacha, le 29 juin 1839. Au mois de mai, Rechid Pat ha, venu à Paris, s'entretint avec le Roi et le maréchal Soult. Au cours de ces entretiens ceux-ci lui firent savoir surtout la nécessité pour la Porte,de demander non seulement l'interventi92 Yusuf Kemal Tengirsek, Tanzimat Devrinde Osmanlı Devleti'nin Harici Ticaret Siyaseti, in Tanzimat p. 315-318. 93 Reşat Kaynar, ibid. 154. 94 Lutfi, VI. 26. i20 BAYRAM KODAMAN on russe mais aussi celles des autres Puissances et se déclarèrent favorables à l'intégrité de l'Empire ottoman95. A la suite de la défaite de l'armée ottomane à Nizip, les puissances annoncèrent leurs point de vue dans la question d'Orient: "Tous les cabinets veulent l'intégrité et l'indépendance de la monarchie ottomane sous la dynastie actuellement régnante; tous sont disposés à faire usage de leurs moyens d'action et d'influence pour assurer le maintien de cet élément essentiel de l'équilibre politique". Maréchal Soult, le 17 juillet 1839 "Le cabinet anglais... désire soutenir l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman... Lord Palmerston, le 28 juillet 1839" "SM a déclaré que... elle avait pris soin de vouer tous ses efforts à la conservation intacte de l'Empire ottoman sous la dynastie actuelle... Le Prince de Metternich, le 24 juillet 183g"96 En tenant compte de ces déclarations des Puissances Mustafa Rechid Pacha envoya la lettre suivante au Grand Vizir Hüsrev Pacha. "La nouvelle des dispositions prises par vous envers l'Egypte est parvenue en Europe. A Vienne et à Paris on approuve toutes les mesures conciliatrices que vous avez si sagement prises. On vous décerne pour cela des éloges, mais on blâme votre précipitation à accorder au Pacha l'hérédité. "Ce qui est fait est fait, mais désormais ne vous pressez pas. Les Puissances ne veulent pas seulement un arrangement avec l'Egypte; elles veulent de grandes mesures qui consacrent à l'avenir l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman, il faudra donc ne rien faire par les conseils isolés d'aucune d'Elles, mais attendre le concert de leurs volontés réunies. Attendre n'apporter aucun danger, car Mehmed Ali ne pourra faire aussi que ce que les Puissances voudront. N'agissons donc pas par nousmêmes, laissons le champ des négociations entièrement libre et abandonnons nous aux Puissances, car Elles feront bien mieux que nous. 95 B.A. H.H. Sandik 216. No 153. A. 48212. Documents diplomatiques (question d'Orient) du 17 juillet 1839 au 13 juillet 1841. (Bibl. Langues Orientales. Paris). 96 M O U S T A J ' H A R É C H I D PACHA '139 "Nul doute que la victoire de Nizip et la défection de Capitan Pacha97 ne donnent à Mehmed Ali des prétentions nouvelles et une grande exaltation du moment, mais elles se calmeront devant la volonté de l'Europe qui ne veut pas notre démembrement. Ce que nous avons à faire avec Mehmed Ali Pacha, c'est de ne pas le choquer, de lui être agréable pour la forme mais rien pour le fond, et de s'en rapporter à l'arbitrage européen. Tout ce que je vois en Europe me prouve que tous les gouvernements où j'ai passé ont la volonté de soutenir l'équilibre de l'Europe par le maintien de l'Empire ottoman. Cependant un parti puissant de philanthropie et de libéraux, se prononce contre nous malgré toutes nos réformes, on nous appelle encore des Barbares..."98. Le 27 juillet 1839. Paris. Comme on voit Rechid Pacha conseillait à la Porte de ne pas s'entendre avec Mehmed Ali sans le concours des Puissances, car il voyait Mehmed Ali posséder assez d'avantages pour traiter dans de bonnes conditions et tenir la Porte à sa merci. Mais, avant l'arrivée de la lettre de Rechid Pacha, bien que la Porte ait envoyé Akif Effendi pour s'entendre avec Mehmed Ali, en lui accordant l'hérédité de l'Egypte. Celui-ci refusa de ne se borner qu'à l'Egypte et demanda l'hérédité de tous les domaines d'Egypte et de Syrie99. La lettre de Rechid Bey et la note des Puissances arrivèrent à Istanbul alors que la Porte était sur le point d'accepter les propositions de Mehmed Ali 100 . Ce fut le Prince de Mettemich qui prit l'initiative de la note collective remise, le 28 juillet 1839, à la Porte par les ambassadeurs des Grandes Puissances:"les soussignés, conformément aux instructions de leur gouvernement respectif, ont l'honneur d'informer la Sublime Porte que l'accord entre les cinq Grandes Puissances sur la question d'Orient est assuré, et 97 Kapudan Pacha (grand amiral) Ahmet Fevzi avait livré la flotte ottomane à Mehmed Ali, lorsqu'il avait appris la mort du Sultan et la nomination de Hiisrev Pacha, son ennemi, au poste du Grand Vizirat. 98 A.A.E. T U R Q U I E . (Affaires générales), vol 38. p.212. Lettre de Rechid au Grand Vizir, le 27 juillet 1839. 99 Ali Fuat. Article cité p. 113. 100 Lutfı, VI. 50. i20 BAYRAM KODAMAN qu'ils sont chargés de l'engager à s'abstenir de toute délibération définitive sans leur concours et à attendre l'effet de l'intérêt qu'elles lui portent101. Ayant pris connaissance des intentions de ces Etats, la Porte, décida de ne pas s'entendre directement avec Mehmed Ali. Dorénavant la question d'egypte allait dépasser les frontières de l'Empire ottoman; elle intéressait l'équilibre européen. Malgré leur note collective remise à la Sublime Porte, les Puissances se trouvaient en désaccord sur la solution de la crise d'Egypte: l'Angleterre proposait d'enlever, sauf l'Egypte, tous les territoires, surtout la Syrie à Mehmed Ali; l'Autriche et la Prusse voulaient céder l'Egypte et une pertie de la Syrie; la Russie voyait avec indifférence l'accroissement territorial de Mehmed Ali; la France insistait sur la nécessité de céder à Mehmed Ali et à sa famille l'hérédité de l'Egypte et de la Syrie et la région d'Adana à titre viager. Quant à Mehmed Ali il demandait l'hérédité de tous les territoires qu'il occupait102. D. Période de 1839 à 1841 Mustafa Rechid Pacha, revenu de Ixjndres à Istanbul, fut désigné pour la deuxième fois, le 8 septembre 1839, P a r ' e nouveau Sultan Abdülmecid, comme ministre des Affaires Etrangères, avec la mission essentielle de promulguer les Tanzimat (les réformes) et de résoudre, en accord avec les Puissances la crise d'Egypte. Il voyait dans la question d'Orient deux dangers auxquels il devrait faire face pour conserver son intégrité et son indépendance à l'Empire ottoman. 1) L'influence de la Russie à Istanbul, qui était à ses yeux un danger pour l'existence de l'Empire ottoman. Pour combattre ce danger imminent il prévoyait que le soutien des Autres Puissances serait nécessaire, mais il savait également qu'elles visaient le moyen d'obtenir une influence sur la Porte103. Pourtant il préférait l'influence de l'Angleterre et de la France à celle de la Russie. "Il n'y a donc qu'une ligne pour nous, disaitil, celle d'être russes ou d'être sauvés par les Grandes Puissances de l'Occident" 104. 101 Ali Fuat. Ibid 115. 102 Sabri. op. cit. Passim. 103 A.A.E. T U R Q U I E (Affaires générales) vol. 38. p. 273. IU4 A.A.E. T U R Q U I E Documents et mémoires vol 44 p. 85. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 33 2) La crise d'Egypte qui se prédentait, selon lui, sous trois aspects différents: a) Mehmed Ali voulait que tous les pays aujourd'hui sous sa domination lui fussent entièrement abandonnés avec l'hérédité. b) Le désir d'une haute Puissance, l'Angleterre, était de laisser seulement l'hérédité du Pachalik d'Egypte à Mehmed Ali. c) D'autres Puissances, considérant la force présente du Pacha et croyant voir quelques difficultés à le déposséder d'un coup, inclinaient à abandonner à Mehmed Ali l'Egypte à titre héréditaire et la possession des autres provinces (la Syrie et Adana etc.) à titre de viager 105 . Rechid Pacha exposait ainsi ses vues sur ces trois combinaisons: "Dans la première combinaison, accorder au pacha à titre héréditaire tous les pays aujourd'hui sous sa domination, c'est partager l'Empire ottoman en deux, et quels que soient pour les provinces séparées de la métropole le lien de soumission et la clause, tant que l'étendue territoriale de l'Egypte sera aussi considérable il faudra que les autres pachas suivent la même proposition. De là toutes les conditions de soumission et de dépendance seront réduites à néant; la Sublime Porte rendue plus petite, aux yeux de ses sujets ne pourrait plus à l'occasion obtenir d'eux les ressources et les forces réclamées par les circonstances. Chose évidente, dans cette position réciproque, la Porte serait contrainte de regarder l'Egypte comme une rivale; Celle-ci, soit pour d'ambitieuses spéculations soit par crainte pour la sûreté ne se contriendra pas. On la verra tantôt s'efforcer avec audace de soulever les provinces ottomanes et les pousser au désordre, tantôt s'associer secrètement à quelque Puissance étrangère. Cependant l'hérédité est accordée à Mehmed Ali par la Sublime Porte, et lorsque pour la réconciliation des deux partis, des sacrifices mutuels sont absolument nécessaires, il ressort qu'en retour de la concession faite par le Divan, Mehmed Ali Apcha doit, de son côté, renoncer à quelques uns des pays qu'il possède. Si, comme dans la seconde combinaison, on parvenait à faire que Mehmed Ali se contentât seulement de l'hérédité de l'Egypte, serait sans doute là de toutes les solutions la meilleure et la plus convenable. Mais, 105 A.A.E. TURQUIE (Affaires générales) vol. 38. i20 BAYRAM KODAMAN bien que ceux qui soutiennent les prétentions de Mehmed Ali avancent entre autre chose, à l'appui de leur opinion, que l'Egypte seule serait insuffisante à repousser les attaques de dehors et qu'elle ne pourrait se défendre contre la Porte, il est bien plus vrai de dire que l'Egypte sous un bon gouvernement est assez forte pour se garder de quelque côté qu'on l'attaque. De plus les conditions qui la concerneraient étant dictées par l'alliance des puissances, ainsi placée sous leur protectorat et leur garantie, elle ne saurait jamais avoir rien a redouter des entreprises de la Porte ou d'aucun autre gouvernement. Cependant depuis la bataille de Nizib, il serait assez surprenant que Mehmed Ali pût se contenter uniquement de l'Egypte; les puissances ne pouvant se mettre d'accord, la nécessité commande de voir se terminer ce grand différent, le Divan se prêtant d'ailleurs à quelques nouveaux sacrifices, afin de mettre un terme à de continuelles inquétudes. C'est ici le lien de la troisième combinaison, celle qui consiste à ajouter à l'Egypte héréditaire plusieurs provinces, seulement jusqu'à la fin de la vie de Mehmed Ali; bien que la clause de non hérédité rende pour la Porte ce sacrifice le moins difficile de tous, il est incontestable cependant que tant qu'un territoire aussi étendu restera entre les mains du Pacha, tant qu'il se trouvera si voisin de l'Anatolie, le repos et la sécurité de la métropole seront compromis, et l'inquiétude se prolongera pour elle tant que devront durer les jours de Mehmed Ali..." 106 Comme on voit ci-dessus, Rechid Pacha se ralliait, en acceptant la deuxième combinaison, à la politique anglaise qui prévoyait de céder l'hérédité de l'Egypte à Mehmed Ali; il refusait toute idée de concession territoriale ainsi que le proposait la France. Au début du mois de septembre, l'ambassadeur de France, s'étant entretenu avec Rechid Pacha, ministre des Affaires Etrangères depuis peu, lui annonça les propositions avancées par la France pour la solution de la crise: le projet français prévoyait l'abandon par le sultan à son vassal, de tous les territoires occupés, y compris İtle de Crète et Adana. De son côté Rechid Pacha déclara qu'il regardait le projet français comme inadmissible, du moins avec la clause sur l'hérédité pour l'Arabie et la Syrie aussi bien que pour l'Egypte: "attendu qu'il créerait un nouveau khalifat, diviserait l'Empire en deux ou même ferait de Mehmed Ali un véritable souverain, plus puissant que le sultan"107. 106 A.A.E. T U R Q U I E (Affaires générales) vol. 38; p. 278 sq. 107 A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '35 Pontois, ambassadeur français, expliqua que le plan français n'avait nullement pour but de favoriser l'accroissement de la puissance égyptienne, de créer un Empire arabe mais de faire, selon les nécessités du moment, des concessions territoriales et d'éviter par là un danger pour l'indépendance de l'Empire ottoman comme pour la paix. D'autre part il attira l'attention de Rechid Pacha sur l'intervention éventuelle de la Russie qui pourrait créer des complications dans les domaines politique et miliaire108. Au lieu du plan français, Réchid Pacha proposa son plan, qui consistait à ne laisser à Mehmed Ali en Syrie que le pachalik de Saida et en même temps à lui donner pour dédommagement Tripoli de Libye et Tunis. D'après lui, son plan conduirait à trouver un moyen terme. La différence d'opinion des puissances cesserait pour s'y rallier: "Les deux parties en opposition, également frappées de la justesse de ce moyen conciliant, ne trouveraient rien de mieux à faire que de souscrire aux arrangements qui en ressortiraient". En exécution de son plan, Mehmed Ali abandonnant la Syrie à la Porte, recevrait par contre à titre héréditaire le pachalik de Tunis et de Tripoli. S'il demandait Saint-Jean d'Acre, clef de l'Egypte on retrancherait alors Tunis; on placerait héréditairement en sa possession la Libye, le pachalik de Saide et Saint-Jean d'Acre.Si Mehmed Ali n'était pas encore satisfait, dans ce cas, la Porte pourrait concéder la Tunisie et l'île de Crète; elle recevrait par contre la Syrie avec les districts de Tripoli de Syrie (Berriuet'süs-sam) et de Jérusalem et la région d'Adana. En plus l'administration du pachalik de Djâdda serait laissée à Mehmed Ali à titre perpétuel109. Sans doute le projet de Rechid Pacha était-il loin de satisfaire l'Egypte et la France. A ce sujet Pontois écrivait au Maréchal duc de Dalmatie: "Rechid Pacha est, d'ailleurs plus éloigné que jamais d'écouter la voix de la raison et de la modération. Le mot seul de concession le met dans un état d'éxaspération et de rage, fort opposé aux habitudes de sa nation et à son propre caractère... il s'exprime, en termes aussi peu mesurés qu'injustes sur le compte de la France qu'il représente comme la protectrice déclarée et l'alliée de Mehmed Ali et qu'il ve même jusqu'à accuser d'avoir trompé la Porte. 108 A.A.E. T U R Q U I E 1889. Vol 279. 109 A.A.E. T U R Q U I E Affr. Générales. Vol 38, 273 sq. 136 BAYRAM KODAMAN II dit hautement qu'il n'acceptera jamais les arrangements proposés par la France" n 0 . Mais au sujet de l'influence et de l'intervention russe, Rechid Pacha calma les inquiétudes de la France et lui donna satisfaction en assurant son ambassadeur, Pontois, que la Porte ne ferait jamais appel au secours matériel de la Russie et,si celle-ci en prenait l'initiative elle provoquerait l'intervention de la France et de l'Angleterre au lieu de s'y opposer 111 . A ce propos disait l'ambassadeur de France: "il ne reste aucun doute dur la sincérité de Rechid Pacha. Son éducation politique, ses antécédents et son propre intérêt l'éloignent de la Russie car ses adversaires sont parmi les partisans de cette Puissance112". D'autre part, Rechid savait qu'il n'y avait, sans intervention des Puissances, aucune transaction possible avec l'Egypte. D'ailleurs cette intervention correspondait à ses projets. C'est pourquoi, il refusa d'accepter une solution sur laquelle les cinq Puissances ne seraient pas d'accord et même un arrangement avec Mehmed Ali sans le concours de ces Etats. C'est ainsi qu'il communiqua, le 21 octobre 1839 (le 13 Saban 1255) à la fois aux ambassadeurs des Puissances résidant à Istanbul et à Mehmed Ali que" ...il ne lui(la Porte) paraît pas convenable, après l'acceptation de l'intervention des cinq Puissances, de pourvoir, sans les consulter, aux mesures qu'exige une affaire aussi délicate. "la Sublime Porte se regarde donc comme obligée, par la nature de l'affaire aussi bien que par celle de ses rapports d'amitié avec les cinq Puissances, d'en faire part à leurs représentants et de s'en référer à eux quant à la marche qu'elle doit adopter.... signé par Rechid" 113 . Entre temps l'ambassadeur d'Angleterre remit à Rechid Pacha une note écrite dans laquelle il expliquait la politique de son gouvernement favorable à la Porte et l'attitude des autres Puissances114. En outre, il lui 110 A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 219. Corres. de Pontois au duc de Dalmatie, le 7 décembre 1839. I I I A.A.E. T U R Q U I E Affr. Générales, vol. 38, 223, Lettres d'Alix à Desages, le 9. IX. 1829. 112 A.A.E. T U R Q U I E , vol. 279. p. 40. Corres. de Roussin. 113 A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 139. 114 B.A. Sandık no 175 (Kaynar, ibid, 323-324). MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '37 conseillait à toute occasion de refuser les propositions de la France et de Mehmed Ali; il assurait la Porte du soutien politique et militaire de son gouvernement; il l'incitait à prendre des mesures militaires contre l'Egypte. De même, au cours d'un entretien, Ponsonby déclara à Rechid Pacha le 17 octobre 1839: "... Vous avez des hommes, du matériel et de l'argent mais c'est un homme et de l'énergie qui vous manque. ... Avec l'appui sincère (de mon gouvernement), fondez une année respectable... Profitez des circonstances. N'entrez pas en négociations avec un rebelle... C'est le seul moyen de sauver l'indépendance de votre Empire et de montrer de la dignité (...), ne craignez pas qu'Ibrahim marche sur la capitale pendant que vous ferez vos préparatifs... Une armée anglaise débarquerait du côté de Suez... Aucune Puissance n'oserait faire des observations à l'Angleterre. Ainsi vous voyez que nous vous fournissons tous les éléments qui sont en notre pouvoir pour détruire le plus grand ennemi de votre empire... Lorsque vous serez prêts,entrez en lutte, repoussez toute espèce de négociation, et c'est avec les armes à la main que vous devez négocier" i15 . Malgré ces incitations de l'ambassadeur anglais, Rechid Pacha se montra peu disposé à engager l'empire dans une aventure militaire contre l'Egypte avant d'être sûr de la force de l'armée ottomane et s'abstint d'accepter une politique prévue par PAnglaterre, seule, sans l'accord des autres puissances. Bien qu'il ait compté sur l'appui du gouvernement anglais pour trouver une solution immédiate à la crise, il voulait pourtant voir d'autres Puissances surtout la France se rallier à la politique anglaise. Au fond la politique de Rechid Pacha, consistait à amener les cinq Puissances à une alliance contre Mehmed Ali sous l'égide de l'Angleterre et de l'Autriche qui soutenaient résolument la cause de la Sublime Porte. Pour y parvenir il prévoyait la réalisation d'un fait qui pourrait donner, d'après lui, une nouvelle orientation à la politique intérieure et extérieure et en même temps avoir un effet positif sur les attitudes politiques des Puissances à l'égard de l'Empire ottoman. Ce fait consistait à promulguer les Tanzimat (pluriel du mot arabe tanzim, l'action de mettre en ordre). 115 A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 130. Au cours des ambassades successives de Rechid Pacha, les gouvernements lui avaient conseillé de moderniser l'Empire par des réformes empruntées à l'Europe afin que la Porte puisse profiter de leur soutien dans la question d'Orient. Voir. Cemil Bilsel, Tanzimat in harici siyaseti in Tanzimat, p. 688. 116 i20 BAYRAM KODAMAN Selon Rechid Pacha, avant d'entreprendre, en Europe, des activités diplomatiques destinées à établir une alliance entre les Puissances, il fallait que le Sultan déclarât officiellement l'ère des réformes pour démontrer par un acte, à l'opinion publique européenne toujours favorable à l'Egypte à cause des réformes de Mehmed Ali, sa volonté de réorganiser l'Empire et d'assurer le bien-être de ses sujets et donner satisfaction surtout aux gouvernements anglais et français, partisans des réformes dans l'Empire 116 . Nous nous sommes bornés seulement à souligner ci-dessus l'un des buts des Tanzimat pour montrer quel profit voulait en tirer Rechid Pacha pour sa politique égyptienne. Enfin, le 8 novembre 1839 (le 26 saban 1255) en présence de tous les hauts personnages de l'Empire et de tous les représentants étrangers, Rechid Pacha donna lecture du célèbre hatt-i chérif de Gülhane (charte impériale de Gülhane). En effet comme l'attendait Rechid Pacha, la promulgation du Tanzimat fut accueillie avec satisfaction par les Etats européens et même donna lieu à de nombreuses publications en faveur de la politique ottomane 117 . Empressé de profiter de cette situation très opportune créée en Europe par la nouvelle politique que venait d'adopter la Sublime Porte, Rechid Pacha allait s'attaquer résolument à la crise d'Egypte. Pour cela il tenta début de 1840, des démarchés diplomatiques auprès de l'Angleterre et Autriche qui avaient à pein avancé l'idée d'un conférence à Londres entre les cinq Puissances en vue de presser la réalisation de cette conférence ayant pour but de donner une solution à la crise. A la suite des efforts diplomatiques de Rechid Pacha dont la politique correspondait à celle de l'Angleterre, Lord Palmerston, en accord aussi avec le Prince de Mettemich, convoqua à Londres les autres Puissances intéressées pour chercher les moyens de s'entendre sur une politique à suivre dans la question d'Orient 118 . Rechid Pacha y fit représenter la Porte par Nouri effendi et Şekip effendi ambassadeurs ottomans respectivement à Paris et à Londres, et envoya des instructions dans lesquelles il leur ordonna d'insister sur le retour de la Syrie au Sultan U 9 . 117 Takvim-i Vekayi, (le 5 zilkade 1255. no 190) contient des extraits des articles publiés par la presse étrangère. 118 Lutfı. VI, 115. 119 Ali Fuat. op. cit. 117. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '139 En effet, conformément aux désirs de Rechid Pacha, Palmerston proposa aux représentants des autres Etats son plan prévoyant l'abandon de l'Egypte à titre héréditaire et de St. Jean d'Acre en viager à Mehmed Ali Pacha et la restitution de la flotte ottomane par celui-ci. Malgré l'approbation de ce projet par la Russie, l'Autriche et la Prusse, la France se prononça contre tout projet dont l'adoption devrait entraîner l'emploi de la force pour arracher à Mehmed Ali les territoires qu'il occupait120. Entre temps, sur les conseils du gouvernement français qui désirait d'ailleurs un arrangement direct entre l'Egypte et la Sublime Porte, Mehmed Ali envoya, au mois de juin, à Istanbul, son premier secrétaire, Sami Bey pour préparer le terrain a un accommodement, sans intermédiaire des Puissances, avec le Sultan, à condition de livrer la flotte ottomane 121 . Mais Rechid Pacha, au courant des difficultés financières et politiques de Mehmed Ali à l'intérieur des pays qu'il dominait, refusa de se prêter à un arrangement avec Sami Bey, en faisent valoir la médiation des Puissances acceptée par la Turquie 122 . A ce sujet: "nous nous trouvions, disait-il, dans l'impossibilité d'un arrangement direct avec l'Egypte. Si nous l'avions alors voulu tenter, on se serait écrié que nous voulions tout gâter, tout détruire et nous donner 120 Mufassal Osmanlı Tarihi, VI, 2971. D'après le livre de Sabri intitule "l'Empire égyptien sous Mehmed Ali" "Exalté par la chute de Hiisrev Pasa, le 9 juin 1840, alors grand Vizir, Mehmed Ali Paşa croyait toucher au terme de ses efforts; il envoya Sami Bey à Istanbul, ")pour obtenir du Sultan l'hérédité des autres territoires). Les documents turcs prouvent que les relations entre Hiisrev Pasa et Mehmed Ali s'étaient améliorées depuis quelques temps. Et même Hüsrev avait envoyé secrètement des lettres à Mehmed Ali pour trouver une solution à la crise. C e lut l'un motifs de sa chute. Cf. Kaynar, ibid, 329. La note de Ponsonby présentée à Rechid Pacha. 121 122 La Situation économique de l'Egypte: à la suite d u traité de commerce, en 1838, avec l'Angleterre, la suppression des monopoles mit Mehmed Ali Pacha dans une situation financière bien plus mauvaise que celle de l'Empire ottoman, car la majeure partie du trésor égyptien était basée sur le revenu monopolistique. Mehmed Ali, malgré cette situation difficile et pour pouvoir tenir tête à la Sublime Porte était dans l'obligation d'entretenir sur pied de guerre une force militaire-régulière et irrégulière-considérable, ce qui causa le déficit du trésor égyptien. A ce propos un retard de 28 mois, quant au paiement des traitements des troupes est à souligner. A cela on doit ajouter le fait que la flotte ottomane passée chez Mehmed Ali était une charge fait que la flotte ottomane passée chez Mehmed Ali était une charge fait que la flotte ottomane passée chez Mehmed Ali était une charge supplémentaire pour le trésor égyptien. D'autre part cette situation bien connue des Anglais poussa ces derniers à entretien de Mehmed Ali Pacha, Voir Cevdet Pasa, tez kir, I, 7. Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2971. i20 B A Y R A M K O D A M A N nous-mêmes la mort" 123 . Cependant poursuivant son système pacifique, Rechid Pacha fit de nouveaux efforts pour obtenir de Sami Bey, bien que ce ne fut que par pourparlers, d'autres territoires en plus de l'île de Crête et d'Adana 124 . Au cours de ses conversations avec Sami Bey il voulait, surtout savoir si l'Egypte avait tendance à faire des concessions territoriales car la moindre ouverture de l'Envoyé égyptien, c'est-à-dire une inclination aux concessions serait alors pour Rechid Pacha un moyen de dire aux Puissances: "Voyez, travaillez, faites de nouveaux efforts" pour contraindre Mehmed Ali à céder certaines régions surtout la Syrie au Sultan l25 . En outre Rechid Pacha présenta un plan à Sami Bey pour un arrangement avec Mehmed Ali, plan établi par lui-même en accord avec le baron Stumer, ambassadeur autrichien, et approuvé par le Divan et le Sultan. Voici les clauses essentielles de ce projet: 1) L'Egypte resterait à titre héréditaire à Mehmed Ali. 2) Ibrahim Pacha continuerait à avoir le pachalik de Djedda. 3) Les provinces de St. Jean d'Acre, Saida, Tripoli de Syrie seraient gouvernées par Mehmed Ali qui pourrait en disposer, à sa mort, en faveur de ses fils et petits fils a la condition qu'aucun de ses successeurs cumule le pachalik de deux provinces ni celui d'aucune d'entre elles avec le pachalik d'Egypte. 4) Il est bien entendu que ces trois provinces ne pourraient être possédées par les successeurs immédiats de Mehmed Ali qu'à titre viager et qu'à leur mort elles seraient réversibles au Sultan126. De plus il prévoyait même certaines concessions de la part de la Porte à l'Egypte pour faciliter l'arrangement. Mais tout fut inutile, car l'envoyé de Mehmed Ali, Sami Bey, ne voulut absolument parler que de la restitution de la flotte et se refuse à aborder la question des territoires, c'està-dire de la Crête, de la Syrie et d'Adana dont il semblait qu'il lui eut été interdit de prononcer les noms I27 . 123 A.A.E. T U R Q U I E , Mémoires et documents. (1840-1853). Vol. 44, p. 103. Exposé fait par Rechid Pacha à Desgranges. 124 ibid. 125 A.A.E. T U R Q U I E (1840-1853). Mémoires et documents, vol 44 no 25. 126 M. Sabri. op. cit. 489. 127 A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et documents, vol 44 No. 25. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '141 D'autre part, avant de prendre connaissance de la signature du traité de Londres, Rechid Pacha eut un entretien avec l'ambassadeur de France, Pontois, qui s'efforça de persuader le ministre ottoman des Affaires Etrangères de l'utilité d'un arrangement direct avec l'Egypte et de le dissuader de faire appel aux Puissances pour trouver un règlement à la crise. Au cours de cet entretien Rechid Pacha reprocha à la France de ne pas connaître les vraies intentions de Mehmed Ali et de ne pas savoir jusqu'où allaient ses projets. Et puis il déclara à Pontois ce qui suit: "...Nous avons suivi vos conseils, adopté le système que vous nous recommandez, et nous sommes entrés, autant qu'il nous est possible de le faire, dans la voie de la conciliation et de l'accommodement. Maintenant pouvons-nous aller plus loin?Pouvons-nous, comme vous paraissez nous le demander aujourd'hui, déclarer ouvertement aux cabinets signataires de la note du 27 juillet 1839 notre intention de regarder comme non avenus les arrangements contractés par eux dans cet acte et acceptés par nous; de nous passer désormais de leur intervention et d'arranger nous-même nos affaires? Evidemment non, car ce serait nous priver gratuitement de la seule force qui nous reste; de la seule garantie que nous ayons contre l'ambition et les projets audacieux de Mehmed Ali et du seul poids que nous puissions apporter dans les négociations, nous qui n'avons ni flotte ni armée et dont le territoire est envahi. Ce serait nous résigner d'avance à subir la loi du vainqueur (...) et nous livrer pieds et poings liés, à la merci de Mehmed Ali qui dégagé de toute crainte de la part des Puissances, a assuré que la France n'employera même pas contre lui, en aucun cas, des mesures comminatoires, et nous trouvant seuls, désarmés et isolés en face de lui, non seulement ne rabattrait rien de ses premières prétentions, mais serait même maître de les élever indéfiniment, si bon lui semblait. Il y aurait folie de notre part à accepter une pareille position et vous ne sauriez nous le conseiller. Mieux vaut, cent fois, le statu-quo qui a peut-être les inconvénients et les dangers que vous venez de me signaler, mais qui a,du moins, l'avantage de faire continuer la protection que nous assure la note du 27 juillet et de nous réserver les chances de l'avenir. Je vous le répète, que la France nous accorde son appui, qu'elle obtienne de Mehmed Ali, comme vous m'annoncez qu'elle cherche à le faire en ce moment même, une modification quelconque à ses prétentions et elle nous trouvera prêts de notre côté, à faire les plus larges concessions...."128. 128 A.A.E. T U R Q U I E , vol. 280. no 121. Lettre de Pontois au président du conseil sur l'attitude de Rechid Pacha, le 24 Juillet 1840. i20 BAYRAM KODAMAN Comme on voit, Rechid Pacha était très loin d'accepter les vues du gouvernement français qui lui proprosait le complet abandon du système anglais, car il voulait appuyer sa politique égyptienne sur l'intervention des Puissances. A partir de ce moment, n'espérant rien de l'envoyé de Mehmed Ali et de la médiation du gouvernement français, Rechid Pacha se détermina à adresser sous le plus grand secret un mémoire au prince de Mettemich Ce mémoire contenait une liste de de conditions qui devaient, par gradation, se succéder les une aux autres, suivant les difficultés qu'elles rencontreraient. En cas d'approbation de ces conditions par Mettemich, il voulait présenter son projet aux Puissances. Mais Lord Palmerston, hostile à la fois à la politique de Thiers et à un accommodement direct entre le Sultan et Mehmed Ali et prêt en même temps à contrecarrer la politique française, constitua la quadruple alliance contre la France: sans la prévenir et sans l'inviter à y participer il obtint, le 15 juillet 1840, de la Russie, de la Prusse, de l'Autriche la signature du traité de Londres dans le but de rétablir la paix dans le Levant. Cette convention qui se composait principalment de cinq articles129 imposait à Mehmed Ali d'accepter les propositions du Sultan, prête à lui reconnaître l'administration héréditaire de l'Egypte et la possession à titre viager du pachalik d'Acre, moyennant la restitution de la Crête, des villes saintes d'Arabie, d'Adana, de la Syrie et de la Flotte ottomane. Si, dans dix jours, il n'acceptait pas ces propositions le pachalik d'Acre lui serait arraché et s'il insistait encore, les quatre Puissances contractantes et la Porte s'accorderaient enfin pour s'emparer de l'Egypte 13°. Alors que Rechid Pacha attendait la réponse de Mettemich à son projet, il reçut le texte du traité de Londres. Satisfait des conditions fixées à Londres, il envoya aussitôt Rifat Bey, secrétaire aux Affaires Etrangères, auprès de Mehmed Ali avec mission de lui communiquer les propositions du traité131. Rifat Bey ne put s'acquitter de sa mission que le 16 août, en raison de l'absence de Mehmed Ali à Alexandrie. Mehmed Ali repoussa catégoriquement les conditions du traité, bien que la flotte anglaise fût en route vers les côtes d'Egypte et de Syrie ainsi que la flotte autrichienne. 129 Pour le texte complet de ce traité voir Muahedat Mecmuasi. vol. IV. 130 Lutfı. VI. 115. 131 Lutfı. VI. 116. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '143 Le 26 août date à laquelle expirait le délai de dix jours, Rifat Bey, accompagné des consuls des quatre Puissances se rendit à la résidence de Mehmed Ali pour connaître sa décision. La réponse de celui-ci fut encore négative132. Lorsqu'enfin Rifat Bey réapparut seul devant Mehmet Ali pour lui demander son dernier mot, Mehmed Ali répondit: "qu'il acceptait avec reconnaissance l'Egypte à titre héréditaire, mais que, pour le reste des territoires qui étaient actuellement entre ses mains, il s'en remettait à la générosité du Sultan" 133 qu'il était prêt à abandonner l'île de Crête et Adana. Et il remit même une note dans ce sens à Bey pour le Sultan. De leur côté, les consuls des quatre puissances donnèrent aussi une autre note, à l'envoyé ottoman, dans laquelle ils annonçaient que Mehmed Ali avait refusé les conditions du traité de Londres. Enfin Rifat Bey, muni des deux notes, arriva, le 8 septembre à Istanbul. A Istanbul, dès qu'il avait appris la première réponse négative de Mehmed Ali, Rechid Pacha avait décidé avec l'accord du Divan, de refuser toutes les démarches de Mehmed Ali pour une conciliation bilatérale et l'abondon d'Acre à l'Egypte Le 11 Septembre, après avoir examiné les notes de Mehmed Ali et des Consuls des quatre Puissances à il fit accepter au Divan la révocation de Mehmed Ali et la nomination de Izzet Mehmed Pacha au poste de gouverneur d'Egypté 134 . Le 14 septembre, en convoquant les représentants des quatre Puissances à Istanbul pour les instruire de la marche qu'il comptait suivre, il fit savoir qu'après avoir vu le refus des concessions que le Sultan avait bien voulu faire à Mehmed Ali et que Rifat Bey lui avait fait connaître, la Sublime Porte déclara ce dernier (Mehmed Ali) non seulemont déchu de la possession héréditaire de l'Egypte, mais encore du titre de gouverneur de ce pays à titre temperaire135. Pour ne pas perdre de temps, Rechid Pacha s'empressa de prendre conformément au traité du 15 juillet des mesures militaires contre l'Egypte; enfin il demanda aux ambassadeurs d'Angleterre et d'Autriche le ralli132 Pour les détails des conversations entre Rifat bey et Mehmed Ali voir Lutfi. VI. 159-168. Correspondances de Rifat envoyées à Istanbul. C f Ali Fuat. Id. 118-19. 133 Metternich. Mémoires. VI. 484 no 1387. Ali Fuat. Id. 119. Kâmil Pacha, Tarih-i siyasi-i devlet-i aliyye-i osmaniye, Istanbul, 1327 III, p. 301. Ali Fuat: ibid 120. 134 135 Metternich. Mémoires. VI. 483 "74 BAYRAM KODAMAN ement de leurs flottes à celle de la Porte pour le blocus de l'Egypte et de la Syrie. Et le 16 septembre (le Redjeb 1256) il communiqua aux représentants des quatre Puissances à Istanbul la note suivante: "Mehmed Ali, n'ayant pas consenti aux propositions pacifiques qui lui ont été faites d'après le traité (du 15 juillet 1840) conclu à Londres entre la Sublime Porte et les quatre Cours alliées pour la solution de la question égyptienne et son avidité naturelle l'ayant poussé à la révolte, il a fallu lui retirer aussi le gouvernement d'Egypte et, comme prélude aux mesures coercitives,procéder à un blocus rigoureux de tous les ports et de toutes les échelles d'Egypte et de Syrie au moyen des bâtiments ottomans et des escadres alliées. On a décidé que le blocus commencerait le jour où les bâtiments se trouveraient dans les endroits à bloquer. Les règles du bloucus sont consignées dans des ouvrages qui traitent du Droit des gens"136. Signature Rechid Pacha (Ministre des Affaires Etrangères) Le 19 Redjeb 1256 Entre temps le firman de destitution fut communiqué le 21 septembre par les quatre consuls à Mehmed Ali. Ansuite à la demande de Rechid Pacha les consuls des quatre Puissances quittèrent Alexandrie, le 23 septembre137. Ce fut le commencement d'une nouvelle phase du conflit turc o-egyp tien. Aussitôt, la flotte ottomane commandée par Izzet Mehmed Pacha et celle de l'Angleterre commandée par Napier bloquèrent les côtes de Syrie, brûlèrent l'escadre égyptienne, bombardèrent Beyrouth. Un corps d'armée de 10 000 hommes, dont 8 000 étaient des soldats ottomans débarqua à Djouney et chassa Ibrahim Pacha du Liban et de la Syrie.Tripoli, Saîda et les autres villes importantes tombèrent à la mi-octobre, aux mains des alliés, ainsi que Saint-Jean d'Acre au mois de novembre138. Le 25 novembre, l'Amiral Napier se présenta devant Alexandrie et la menaça d'un bombardement si Mehmed Ali ne se soumettait pas. De même il écrit au 136 A.A.E. T U R Q U I E Vol. 281. p. 130. Pour le texte turc voir Kaynar, op. cit. p. 124 Pour la crise de 1860-1861 voir H.ULMAN. 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara 137 Mettemich. Mémoires. VI. 483. 138 Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2973. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '45 principal conseiller de Mehmed Ali, Boghos Bey: "Le Pacha sait certainement que les Puissances européennes désirent lui assurer le gouvernement héréditaire de l'Egypte. Que son Altesse permette à un vieux marin (Napier) de lui suggérer un facile moyen de se réconcilier avec le Sultan: que proptement et librement sans imposer aucune condition Elle renvoie la flotte ottomane et retire ses troupes de Syrie; alors les malheurs de la guerre cesseront. "... Si Elle refuse de se réconcilier avec le Sultan, Elle ne pout espérer conserver l'Egypte bien langtemps... Qui peut dire que l'Egypte serait invulnérable? Alexandrie peut être pris comme Saint Jean d'Acre l'a été et Son Altesse, qui peut devenir le fondateur d'une dynastie, serait réduite à être un simple Pacha" 139 . Le 27 novembre tous les conseils de Napier furent acceptés. Mehmed Ali prit ainsi l'engagement de renvoyer la flotte turque à Istanbul, d'évacuer la Syrie et de ne se contenter que de l'hérédité de l'Egypte; Une convention formelle consacra d'autre part ces arrangements140. La soumission de Mehmed Ali fut entière et lo traité du 15 juillet reçut sa pleine exécution. En face de la défaite de son armée devant les forces ottomanes et alliées, Mehmed Ali, ayant accepté les conditions de Napier, dut envoyer à Istanbul une lettre annonçant sa soumission au Sultan et demanda à ce dernier de lui accorder l'Egypte seule 141 . A Istanbul, l'arrivée de cette lettre et de nouvelle de la signature d'une convention avec Mehmed Ali, sans en avoir informé la Porte, fut accuellie avec insatisfaction. Aussitôt Rechid Pacha déclara expressément la convention nulle et le contenu de la lettre non sérieux. Il annonça le même jour à l'ambassadeur turc de Londres et aux représentants des quatre Puissances à Istanbul les résolutions de la Porte: "Comment pourrait-on après tout ce qui s'est passé, confier de nouveau l'autorité à un homme tel que Mehmed Ali? Toutefois et quoique le Sultan n'ait pas l'intention de rien accorder de sa propre volonté à Mehmed Ali néanmoins en cas d'une demande de la part des Grandes Puissances, il est possible que, par déférence pour Elles, quelque faveur temporaire lui soit accordée. Mais serait-il possible aujourd'hui de revenir sur 139 G U I Z O T . Mémoires. T o m e VI. p. 52. 140 E . Z . K A R A L . Osmanlı Tarihi. Vol. V. 200-201. 141 Lutfi. VI. 120. i20 BAYRAM KODAMAN la question de l'hérédité, cette grande concession, déjà rejetée, par lui, du traité d'alliance? Et comment les quatre Puissances pourraient-elles concilier désormais cette concession avec le maintien de l'intégrité de l'Empire ottoman qui forme le principal objet de leur sollicitude"I42. Quelques jours après, le drogman de la France à Istanbul, Cor, s'entretenant avec Rechid Pacha de cette convention, l'engageait à ne pas confondre la forme et le fond de l'acte: "Vous êtes, lui disait-il, en droit de protester contre la forme; mais au fond l'acte est généralement approuvé; il peut amener un rapprochement entre la France et les Puissances qui ont signé le traité du 15 juillet". "La Porte, lui répondit Rechid Pacha n'a que deux choses à proposer, toutes deux diamétralement opposées à la politique qu'a adoptée la France, l'entière et absolue soumission de Mehmed Ali comme sujet non comme vassal ou sa destruction. Comment pouvez-vous prétendre avoir à coeur l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman quand vous cherchez à le démembrer? Si vous désirez tant conserver Mehmed Ali vous n'avez qu'à le nommer gouverneur de l'une de vos provinces143. Après le 27 novembre la Porte était dans la complète perplexité et incertitude. Hors d'état de se décider seule et par elle-même, la Porte voyait ses alliés diviser leurs points de vue. Dans l'espoir de sortir de cet embarras, Rechid Pacha réunit en conférence dans sa résidence (Konak) le 20 décembre les ambassadeurs des quatre Puissances, signataires du traité du 26 juillet. Au cours de cette conférence il leur demanda si Mehmed Ali Pacha, par sa lettre du 11 décembre au Grand Vizir, s'était conformé à l'esprit du traité de Londres et si sa soumission devait être considérée comme réelle144. Premièrement, ayant fait savoir qu'il n'était pas disposé à se pronocer ni sur l'interprétation de la soumission de Mehmed Ali ni sur celle du contenu de sa lettre avant de connaître l'avis du Sultan sur la dernière attitude de son vassal, Lord Ponsonby précisa que personne n'avait le droit, sauf le Sultan, de réscudre la crise égytienne, celle-ci appartenant aux affaires intérieures de l'Empire ottoman,que le gouvernement anglais serait 142 Guizot. op. cit. Vol VI. p.58. 143 Guizot. op. cit. Vol VI. p. 59. 144 Pour les conversations de cette réunion: voir Kaynar, op. cit. 343-350. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 147 prêt à conseiller à Mehmed Ali d'abandonner tous les territoires qu'on lui demandait si le Sultan accepait sa soumission. Ensuite "A mon avis, dans les circonstances actuelles Mehmed Ali n'a droit à rien. Nous (les ambassadeurs) ne pouvons donner que des conseils au Sultan sur la décision qu'il va prendre à son gré 145 ". Les paroles de l'ambassadeur anglais étaient tout à fait favorables aux vues de Rechid Pacha, car l'Angleterre laissait l'initiative au Sultan dans toutes les décisions concernant l'Egypte. De son côté l'ambassadeur autrichien, soutenu par ceux de Russie et de Prusse, donna le point de vue ci-dessous: "Si on prend en considération le contenu de la lettre de Mehmed Ali, on comprend facilement qu'il est prêt à éxécuter tout ce qu'on lui demandera. Devant cette attitude conciliante du Pacha, la Porte, en acceptant sa réelle et sincère soumission, peut envoyer l'un de ses fonctionnaires, à Alexandrie, avec la mission de demander à Mehmed Ali de restituer la flotte ottomane et d'évacuer tous les territoires se trouvant en dehors du Pachalik d'Egypte. En cas de l'exécution de ces conditions par le Pacha, le Sultan, conformément aux conseils, peut lui accorder seul, le gouvernement d'Egypte. D'autre part, devant l'attitude menaçante du gouvernement français, il sera dangereux d'aller au-delà de ces propositions qui se conforment à l'esprit du traité de Londres 146 ". Quant à Rechid Pacha, il insista surtout sur l'application totale du traité de Londres par Mehmed Ali, condition sans laquelle la Porte ne saurait reconnaître la sincérité de sa soumission147. Selon lui, la dernière attitude de Mehmed Ali était loin de faire disparaître les inquiétudes de la Porte à son égard, car, au lieu de livrer la flotte ottomane et d'évacuer les territoires demandés, il se bornait à envoyer à Istanbul une lettre et l'un de ses hommes afin qu'il obtienne, pour lui, la grâce du Sultan. En effet, en évoquant le refus de Mehmed Ali d'accepter les conditions du traité de Londres, Rechid Pacha voulut convaincre les ambassadeurs d'approuver sa politique et de lui apporter leur soutien, en vue de fai145 Kaynar. Ibid. 349. Ali Fuat. op. cit. 122. Pour les paroles prononcés par les ambassadeurs de Russie, d'Autriche et de Prusse qui préconisaient le même point de vue. Voir. Kaynar, ibid. 343 sq. 144 147 Avant la conférence, Lord l'onsonby avait conseillé à Rechid Pacha de ne pas prendre au sérieux l'obéissance promise par Mehmed Ali. Kaynar ibid. 350. i20 BAYRAM KODAMAN re de Mehmed Ali un gouverneur soumis à la Porte comme ceux des autres provinces ottomanes. Après cette conférence, le Divan (conseil des ministres), réuni pour examiner le compte rendu présenté par Rechid Pacha sur l'attitude des Etats alliés148, et pour tracer la nouvelle linge à suivre, décida d'envoyer Mazlum Bey à Alexandrie avec la mission d'annoncer à Mehmed Ali les conditions nécessaires à la reconnaissance de sa soumission par le Sultan. A la suite de cette décision, Rechid Pacha rédigea une note qui devait être remise à Mehmed Ali par Mazlum Bey. Dans le texte de cette note nous voyons Rechid Pacha insister sur la restitution immédiate de la flotte ottomane et l'évacuation des territoires par Mehmed Ali 149 . Enfin, Mazlum Bey, accompagné de Yaver Pacha et muni d'une note et d'instructions, quitta Istanbul150. Le lendemain de son arrivée à Alexandrie, Mehmed Ali lui déclara sa soumission au Sultan et restitua immédiatement la flotte à Yaver Pacha 151 ; il évacua plus tard tous les territoires occupés, sauf l'Egypte. C'est ainsi que la question d'Egypte prit pratiquement fin au début de 1841. Mais il y avait pourtant beaucoup de problèmes à régler: l'hérédité, le tribut et le système administratif de l'Egypte. Le problème de l'hérédité fut résolu par l'intervention des représentants des quatre Puissances à Londres qui avaient remis le 31 janvier 1841 à l'ambassadeur ottoman, Sekip Efendi, une note collective invitant la Sublime Porte à promettre à Mehmed Ali que ses descendants soient nommés successivement au pachalik d'Egype 152 . Alors Rechid Pacha réunit, le 12 zilhicce 1256 (le 4 février 1841) les ambassadeures pour discuter les conditions de l'hérédité,car il trouvait dangereux de laisser l'Egypte à Mehmed Ali avant de régler, les questions financières, militaires et administratives de ce pays. Au début de cette réunion 153 il énonça aux ambassadeurs les principales conditions qui sont les suivantes: 148 Pour ce compte rendu voir Kaynarç Id. 551-55. 149 Pour le texte de cette note cf. Lutfı. VI. 121. 150 Pour l'instruction donnée à Mazlum Bev voir Ali Fuat. 123. 151 Lutfı VI 122. 152 M . Sabri. O p . cit. Passim. ,5Î Pour les délibérations voir Kaynar. Id. 367-73. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '149 i ) La désignation du successeur de Mehmed Ali par le Sultan; 2) La réduction de l'armée égyptienne; 3) La nomination de tous les officiers supérieurs par la Porte; 4) L'exécution en Egypte des lois, des ordres er des règlements, en vigueur dans tous les territeires ottomans; 5) L'application du Tanzimat; 6) Le prélèvement des impôts par la Porte. Les ambassadeurs annoncèrent leur accord sur toutes les propositions sauf l'article six, Alors Rechid Pacha leur proposa d'accepter l'une des trois propositions suivantes concernant le tribut: 1) Envoyer en Egypte un chargé des finances (receveur général— defterdar) ou un chef de la comptabilité (muhasebeci) pour diriger les affaires fiscales et financières. 2) Acquitter 1/3 ou 1/4 du revenu annuel de l'Egypte. 3) Fixer le tribut annuel 154 . Les représentants de Russie, d'Autriche et de prusse approuvèrent l'idée de fixer le tribut annuel, Lord Ponsonby celle de nommer un receveur. Content d'obtenir l'approbation des autres articles, Rechid Pacha décida de les faire savoir à Mehmed Ali par un firman, sans préciser le montant du tribut. Au sujet de cet article il envisageait la possibilité d'un arrangement bilatéral avec Mehmed Ali; il prévoyait pourtant pour l'Egypte un tribut de 100 000 ou 80 000 késéj'aktehesI55. Enfin le Sultan, ayant approuvé le contenu de la note rédigée par Rechid Pacha envoya son ministre de la justice, Said Muhib Effendi, en Egypte avec la mission de la remettre au gouverneur d'Egypte 156 . Mehmed Ali repoussa surtout la réduction de l'armée et le montant du tribut. Rechid Pacha insista sur l'acceptation des conditions prévues 154 B.A. Sandik no 169. Kaynar, id. 372. 155 Kaynar, id. 380. 15é Pour le texte de ce firman voir Ali Fuat. Id. 133-135. BAYRAM KODAMAN i20 dans le firman. Alors le Prince de Mettemich, qui était intervenu directement à Istanbul pour éviter une nouvelle rupture entre les Etats, réussit à obtenir du Sultan la révocation de Rechid Pacha et quelques amendements au texte du firman, le 7 safer 1257 (le 31 mars 1841)157. Il faut ajouter, parmi les raisons de la destitution de Rechid Pacha, les intrigues de ses ennemis personnels qui s'opposaient à lui dans les réformes du Tanzimat et le désir du Sultan d'en finir avec Mehmed Ali 158 . Rechid Pacha raconte ainsi le motif du renversement de son ministère à Alix Desgranges, fonctionnaire à l'ambassade de France à Istanbul: "Lord Ponsonby voulait tout changer en Egypte, sa première prétention était d'en chasser le pacha (Mehmed Ali); en second lieu, il se rabattait sur le plan conçu par lui, de placer sous le gouvernement de Mehmed Ali un ministre des finances ne relevant que d'Istanbul. "La première de ces mesures n'était pas même proposable, j'ai senti jusqu'où s'étendait la seconde et je l'ai combattue. Je me suis élevé contre lui à mes risques et périls, car je connaissais le caractère de l'ambassadeur anglais. Pour ne pas le heurter de front je lui dis: Nous ne sommes pas que vous et moi applés à décider de cette importante question (la question du tribut) ce qui est à faire, c'est de nous réunir aux représentants des trois Puissances alliées. Le lord s'irrita de ma résistance, il ne rabattit rien de ses prétentions. Je savais qu'elles étaient contraires aux vues des autres représentants. Mais préférant voir sa seigneurie aux prises plutôt avec eux qu'avec moi je les convoquai dans un conseil et je soumis la question au vote de la majorité. La majorité décida suivant men opinion et Sa Hautesse de qui tout dépendait en dernier rapport décida suivant la majorité. "C'est alors que Lord Ponsonbv et Rıza Pacha, le favori du Sérail se liguèrent ensemble contre moi et mon ministère fut renversé"159. Enfin conformément aux conseils des quatres Puissances qui avaient envoyé le 10 mai 1841 à Istanbul une note demandant au Sultan d'alléger les conditions du firman, la Sublime Porte accorda un autre firman du 24 mai 1841 que Mehmed Ali accepta solennellemet le 40 juin; Ali Fuat. Rical-i Miihimme-i siyasiyye, Istanbul 1928-9. Pour l'ordre de Sultan concernant la destitution de Rechid Pacha voir Başvekâlet Arc. h. Dahiliye (intérieure) no 1737. Kaynar, ibid. 386. 157 158 Cevdet Pacha, Tezakir. VI. pp. 9-10. 159 A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et documents. Vol. 44. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '151 1) La nomination du gouverneur d'Egypte par le Sultan parmi les descendants de Mehmed Ali Pacha. 2) La réduction de l'armée égytienne à 18 000 hommes et la nomination des officiers jusqu'au grade de colonel par Mehmed Ali. 3) L'interdiction de construire des vaisseaux sans la permission du Sultan. 4) L'application des principes du Tanzimat en Egypte. 5) Le prélèvement des impôts au nom du Sultan et le payement du tribut annuel de 40 000 000 de piastre. A ces conditions, l'hérédité était établie en Egypte et la crise prit définitivement fin en 1841 l60 . 160 Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2974-3975. LIVRE SECOND SES Q U A T R I E M E E T CINQUIEME AMBASSADES TROISIEME PARTIE LE PROBLEME D U LIBAN E T RECHID PACHA A — RECHID PACHA ET LA SOLUTION DU PROBLEME LIBANAIS Malgré la fin de la crise d'Egypte la question d'Orient ne cessa pas tout à fait de préoccuper la politique internationale, en attendant une nouvelle crise en 1841. Si les Grandes Puissances purent quelque temps détourner leur attention de l'Egypte, elles durent cependant la fixer pendant plusieurs années sur le Liban qui rendu en même temps que la Syrie au Sultan par Mehmed Ali Pacha, n'était pas pour cela pacifié. Si le Sultan put se débarrasser à peine de son redoutable vassal, Mehmed Ali, il vit encore de nouvelles difficultés surgir et des révoltes se produirent dans ses territoires et troubler l'Empire ottoman. Comment la Sublime Porte pourrait-elle résoudre ces difficultés et calmer les régions troublées? Par sa force ou par sa politique intérieure? Tout était impossible en présence des interventions, des intrigues et des ingérences des Puissances aux affaires intérieures de l'Empire ottoman. Il lui restait donc, comme ce fut le cas dans la solution de la crise d'Egypte, à assurer le soutien des Etats européens et, puis, à résoudre de concert avec eux le problème que posaient en 1841 les événements du Liban. C'est dans ce but que la même année, la Sublime Porte alliat entreprendre des démarches diplomatiques dans les capitales européennes. I) La désignation de Rechid Pacha à Paris : Comme nous l'avons déjà indiqué dans notre deuxième partie Rechid Pacha avait été destitué, le 31 mars 1841, du ministère des Affaires Etrangères. Mais devant la recrudescence des événements du Liban qui avaient donné naissance à de grandes répercussions en Europe, le Sultan sentit la nécessité d'envoyer en France l'un de ses Pachas ayant déjà connaissance de la politique du gouvernement français pour empêcher celui-ci, par la diplomatie, de prendre position contre la Sublime Porte dans le problème i20 BAYRAM KODAMAN libanais.Le choix, par le Sultan, du candidat au poste d'ambassade ottomane à Paris tomba une fois de plus sur son ex-ministre des Affaires Etrangères, Rechid Pacha Celui-ci possédait les qualités nécessaires pour un ambassadeur chargé d'une tâche délicate. D'ailleurs ce choix répondait aux désirs de certains membres conservateurs du Divan et des ennemis des réformes qui voulaient éloigner Rechid Pacha d'Istanbul. Ainsi, la Sublime Porte le désigna, le 16 juillet 1841, pour la quatrième fois, comme ambassadeur ottoman auprès du gouvernement français et Nedim Efendi, premier secrétaire de l'ambassade1. Cette nomination fut bien accueille par Pontois, ambassadeur de France à Istanbul, et même à cette occasion, il envoya à Guizot, ministre français des Affaires Etrangères, une lettre dans laquelle il lui expliquait les motifs de cette désignation d'une part et le caractère et la position de Rechid Pacha de l'autre. "Rechid Pacha vient en effet d'être nommé ambassadeur à Paris et se dispose à partir d'ici un mois pour se rendre à son poste. Cette nomination est due principalement au désir (qu'a manifesté le sérail) d'éloigner, sous un prétexte honorable, un homme qui lui porte ombrage et qu'il a vainement essayé, dans ces derniers temps.de faire reléguer à Dames; elle peut aussi tenir à la nécessité d'avoir à Paris un ambassadeur déjà au courant des affaires de la presse (française), en relation avec quelques uns de ses organes et capable de s'entendre avec eux. Mais, quelle qu'en soit la cause, il est certain qu'elle peut-être d'une très grande portée pour l'avenir de l'Empire ottoman et avoir même une heureuse influence sur nos propres intérêts. Rechid Pacha n'a jamais cessé d'être l'ami de la France, le partisan de ses idées et de ses formes de gouvernement l'admirateur plus sincère qu'éclairé d'une civilisation à laquelle il a emprunté ses plans de réformes; je pourrais ajouter, à l'honneur de son caractère, qu'il a eu le courage, que peu de Turcs auraient eu à sa place et les circonstances où il se trouvait de repousser péremptoirement la demande que faisait Lord Ponsonby en termes très impératifs, du renvoi immédiat de tous les Français au service de la Porte. Quoi qu'il en soit, du reste Rechid Pacha part pour Paris animé de disposition et placé dans une situation personnelle qui permettront de ti1 A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol. 41. MOUSTAPHA RÊCHID PACHA 57 rer grand parti de lui et de se servir de ses qualités comme de ses défauts pour arriver au but que le gouvernement du Roi pourrait avoir à se proposer. Ce que je sais de son caractère et ce que m'en, a, surtout, appris Monsieur Cor (drogman de l'ambassade française), qui a été pendant plusieurs années dans les relations les plus intimes avec lui, me donnet lieu de croire qu'en flattant un peu son excessive vanité, en lui faisant quelques concessions sur les petites choses pour avoir le droit d'être très ferme, très explicité, très exigeant sur les grandes, on peut tout obtenir de lui. Votre Excellence (Guizot) en jugera... Je crois pouvoir affirmer qu'il est, avant tout, préoccupé de l'idée de se servir de sa nouvelle position et des puissants moyens d'action qu'elle lui assure, pour faire triompher, par le moyen d'une intervention européenne ou purement française, plus ou moins directement exercée, les réformes in térieures consacrées en principe dans le Hatt-i Cherif de Gülhane..."2. Les pensées de Pontois sur le caractère et la nouvelle position de Rechid Pacha étaient-elles tellement vraies? Si nous prenons en considérations de grandes concessions économiques faites en 1838 par lui à l'Angleterre dans le seul but d'obtenir son appui politique contre Mehmed Ali Pacha et pour la réalisation des réformes intérieures,on peut rejoindre les vues de l'ambassadeur français. Mais nous ne croyons pas qu'un homme d'état, tel que Rechid Pacha, ait accepté sciemment d'accorder, au dépend de son pats, de grandes concessions aux Européens. A ceux qui le lui reprochaient il disait: "Je ne suis ni français, ni anglais, ni russe, ni autrichien... je suis un turc rien qu'un turc mais un turc dévoué à son souverain, à son pays, à sa nation, un turc qui, en acceptant d'être ministre, reconnaît toute l'immensité de son devoir et se propose de l'accomplir sans relâche."3. Ce qui est certain c'est que Rechid Pacha suivit une politique extérieure à court terme, qui avait répondu d'ailleurs aux difficultés de l'époque, et qu'il ne put pas prévoir les dangers lointais de cette politique, tels que l'écroulement de l'économie de l'Empire les dettes publiques (Duyûn-u Umumiye) les interventions continuelles des puissances au cours de la 2 A.A.E. T U R Q U I E 1841 vol. 283 |>. 175. Corres de Pontois à Guizot le 17 juillet 3 A.A.E. T U R Q U I E Affaires générales 1840-1853; vol. 44 p. 107; no 25. 1841. i20 BAYRAM KODAMAN seconde moitié du XIX e siècle dans les affaires intérieures de la Turquie, en apparence au nom de la civilisation et de l'humanité mais en vérité au nom de leurs ambitions et de leurs propres intérêts. De son côté, Rechid Pacha, allant résider à la cour d'un roi libéral et éclairé, pensait sûrement à obtenir l'appui de la France pour le succès de ses plans de réformes en Turquie, car il voyait la prospérité et le repos de son pays d'une part, et la fin des troubles intérieurs d'autre part dans la mise en application de toutes les réformes qui pourraient être jugées nécessaires. Et même avant son départ, nous le voyons rendre visite, le 17 août 1841 à l'ambassadeur deFrance à Istanbul, pour savoir tout ce que pensait le gouvernement français de sa politique. Pontois 1' assura de l'appui de la France à sa conduite politique, en termes suivants: "Le gouvernement du Roi tout disposé à prêter un généreux appui à tout ce que vous pourrez tenter pour assurer l'indépendance réelle de votre pays, réformer les abus de son administration et améliorer la condition des Rays, ainsi, que l'exigent impérieusement l'intérêt de l'Empire et les voeux de l'opinion publique européenné" 4. Entre temps le Prince de Mettemich, informé de la décision du Sultan d'acréditer Rechid Pacha auprès du gouvernement français, en communiquant à la Sublime Porte son désir de s'entretenir avec Rechid Pacha sur les affaires politiques concernant les deux pays, lui demanda de le faire passer par Vienne 5.Mais, étant donné que le choix de son itinéraire lui fut laissé par la Porte Rechid Pacha, préférant la voie de mer à celle de terre, n'accepta pas l'invitation du Prince de Mettemich 6 . Au début de septembre, le Grand Vizir, Rauf Pacha, invita Rechid à son bureau en vue de délibérer sur les instructions qu'il voulait lui donner pour sa mission à Paris7. Quelques jours après ces délibérations, la Porte lui communiqua la ligne politique qu'il devait suivre à Paris: 1. Favoriser le rappochement politique entre la France et l'Angleterre; 2. Empêcher les activités des associations politiques siégeant à Paris dont les buts étaient de gagner l'opinion publique europeenne pour l'indépendance des chrétiens soumis à l'empire ottoman8. 4 A.A.E. T U R Q U I E 1841; vol. 283, p. 199, no 45. 5 B.A. Hariciye kısmı no 959 (Kaynar 38H). 6 B.A. Hariciye kısmı no 619 (le 7 septembre 1841 - 20 recep 1257) Kaynar 389. 7 Kaynar 392. 8 Pour le contexte de cette instruction voir. Kaynar 392-393. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '159 Pourtant elle laissait à son ambassadeur une liberté d'action dans ses démarches auprès du gouvernement français. Cela se voit clairement dans les phrases suivantes: "En raison de la connaissance profonde et de l'expérience de S.E. Rechid Pacha dans les affaires tant extérieures qu'intérieures de notre empire et surtout dans la politique européenne, il sera inutile de lui donner des instructions très détaillées"9. Enfin, Rechid Pacha se mit en route, le 8 octobre 1841. trois mois après sa nomination, pour gagner son poste en passant par Marseille l0 . Il fut mis, à peu près deux semaines, en quarantaine à Malte d'où il envoya sa première lettre datée d'octobre (Ramazan 1257); il arriva à Paris le 19 novembre (le 4 sewal) n . Nous allons donc étudier, dans les pages suivantes, les contacts diplomatiques et politiques pris à Paris par Rechid Pacha sur les événements du Liban. Mais avant de les aborder il sera utile de rappeler, en résumé, les origines et les déroulements des événements du Liban. II) Les origiens du probleme du Liban a) La structure ethnique et religieuse au Liban: Les habitants du Liban, dont la Sublime Porte avait toujours respecté l'autonomie dans une large mesure depuis la conquête de la Syrie par le Sultan Selim 1er en 1516, présentent une grande diversité de groupes éthniques; ils se divisent essentiellement entre chrétiens et musulmans; mais chacune de ces communautés se décompose à son tour en groupes très particuliers: chez les musulmans, comportant diverses races (arabes, turques,persanes etc.) on rencontre des sunnites, des chiites12 et druses13. ® Kaynar 393. 10 A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol 41. p. 196. 11 Kaynar 394. Les chiites sont des musulmans qui refusent de reconnaître la légitimité des successeurs de Muhammed. Il prétendent qu'Ali, gendre du prophète et 4 ème Khalife, a reçu une inverstiture divine. En somme les chiites, partisans d'Ali sont les hétérodoxes de l'Islam, dont les orthodoxes sont les sunnites. 12 13 Les druses sont aussi les partisans d'une secte hérétique de l'Islam, constituée en Egypte par Khalife fatimite, Al-Hakim, qui proclama en 1017 que la divinité s'était incarnée en lui. Pour échapper à la persécution et à la repression des autres Khalifes fatimites, les druses, ayant à leur tête D A R A Z I , l'un des fidèles d'Al-Hakim, émigrèrent en Syrie. Ensuite ils se regroupèrent dans le massif montagneux du Liban. Ils représentaient la majorité des musulmans dans cette région. Pour Us druses à consulter: M.C. Şehabeddin TEKİNDAĞ. Isl. Ans. III 666-672; du même Tarih dergisi, no 10, 143-156. Sylvestre de Sacy. Exposé de la religion des Druzes. Paris 1837. i20 BAYRAM KODAMAN Chez les chrétiens du Liban les maronites sont majoritaires14; Mais on trouve également auprès d'eux les représentants de nombreux autres rites: les Grecs orthodoxes, Arméniens, Araméens, etc. Il y avait aussi des juifs. Malgré cette diversité de la population du Liban deux communautés étaient, en nombre, dominantes sur les autres. Ce sont des Maronites et des Druses, races rivales, entre lesquelles l'harmonie avait été maintenue, tant bien que mal, par la dynastie indigène des Chéhab qui gouverna le Liban sous la suzeraineté du Sultan jusqu'en 1840. Pendant la première partie du X I X siècle il n'existait pas encore un nationalisme, au vrai sens du terme, chez les Maronites et Druses. Ceuxci se considéraient plutôt comme musulmans et chrétiens. Bien qu'ils aient eu l'unité de langue arabe et qu'ils aient vécu côte à côte depuis des siècles, il manquait l'unité de conception, de pensée et de sentiment. En raison de l'absence de ces éléments, il existait toujours des contentieux et des rivalités entre eux. b) Domination égyptienne: Au cours de l'occupation égyptienne entre 1831 et 1840, la politique suivie par l'Emir Béchir Chéhab et Ibrahim Pacha changea complètement la structure féodale du Liban et aviva l'antagonisme de race, de religion et d'intérêt entre les Druses et les Maronites 15 . Bechir Chéhab, en s'appuyant sur Mehmed Ali, abattit toute autorité s'opposant à la sienne, travailla inlassablement à l'affaiblissement des familles druses et combattit l'emprise de la famille de Canbolat (Joumblat) rivale de celle des Chéhabs. Il profita de l'aide et du soutien des Maronites dans cette politique. Lorsqu'il vit se dresser sourdement les Druses contre lui, les chefs de la famille Canbolat et parfois les féodaux maronites, il les fit déposséder de leur pouvoir; il confisqua leurs biens; il déporta leurs membres influents et exécuta même un certain d'entre eux 16 . 14 Les Maronites, rattachés en 1182 à l'église catholique, sont les fidèles d'un homme religieux, nommé M A R O U N qui avait vécu, au IV ème siècle, dans la région d'Antioche ( actuellement Hatay) ils sont surtout nombreux à Saida, à Dayr-al Kamer, à Chouf; à Kesrouvan etc. 15 Haluk Olman: 1840-1845 arasında Suriye ve Lübnanın durumu ve milletlerarası politika; SBFD, 1963, XVIII, 3-4; p. 245. 16 Adel ismail: Les Druses, la question druse au Liban entre 1840-1860. Paris 1956 (thèse dactylographiée), p. 131. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '161 En somme cette politique à la fois partiale et oppressive de l'Emir Béchir donna naissance au développement et à la recrudescence des haines et des hostilités déjà existantes entre les deux communautés, car les Druses regardient les Maronites comme les complices de Béchir et par conséquent les coupables de leurs malheurs 11 . D'autre part les Druses subissaient les épreuves de la politique d'Ibrahim Pacha qui avait cherché l'appui des Maronites à la domination égyptienne,en abolissant les privilèges des Druses, octroyés jadis par les Ottomans et en déclarant l'égalité entre les religions. Pour montrer la sévérité des mesures prises par Ibrahim Pacha contre les Druses nous nous bornerons à citer un événement ayant une influence considérable sur les rap ports druso-maronites. En 1838 lorsqu'une tentative fut faite pour mobiliser les Druses, ceuxci s'opposèrent à cette mesure »-t répondirent en assassinant les émissaires d'Ibrahim Pacha. Alors celui-ci donna des armes aux Maronites pour les combattre. Les Druses virent dans cette mesure une politique préméditée du Pacha et de l'Emir Béchir, n'ayant pour but que leur affaiblissement. A partir de cet incident la tension prit une dimension plus large et s'aggravant de plus en plus les deux antagonistes. m) La situation au liban (après Mehmed Ali Pacha). Bien que l'autorité du sultan ait été rétablie de nouveau en 1840 au Liban et que El Kasim ait été nommé, le 3 septembre 1840, Emir en remplacement de Béchab, de nouvelles difficultés ne tardèrent pas à s'élever dans cette partie déjà troublée de l'Empire ottoman. Il importe ici de savoir de quelle question découlaient précisément ces difficultés après la domination égyptienne qui avait bien changé la structure politique et adminsitrative de la Montagne.La question se posait comme suit: comment la Montagne (Cebel) serait-elle gouvernée? La Sublime Porte, les Druses, les Maronites et les publissance intéressées cherchaient une réponse favorable à leurs intérêts. une fois débarrassée de son vassal, décida de réorganiser l'administration de cette région en même temps que celle des autres provinces, selon les dispositions du Hatt-i Hümâyûn de Gülhane. Pour faire cela il lui fallait tout d'abord, après l'épreuve de Mehmed Ali, renLa Sublime Porte, 17 M. Tayyib G Ö K B İ L G İ N : 1840 dan 1860 a kadar Cebel-i Lübnan meselesi ve Dürziler in B E L L E T E N ; t. X no 40(1946) p. 641. i20 BAYRAM KODAMAN forcer le pouvoir central d'Istanbul, détruire par tous les moyens possibles l'autonomie de la Montagne et rétablir l'ordre public en mettant fin à l'anarchie18. La première tentative de la Sublime Porte dans ce sens fut, comme nous l'avons déjà indiqué, la révocation de Béchir Chéhab dont l'autroité et l'influence étaient incontestables, et l'investiture de Béchir El Kasim à l'émirat, qui était le plus incapable et le moins populaire de tous les membres de la famille Chéhab. Dans le firman d'investiture adressé à El Kasim, le Sultan Abdûlmecid manifesta d'ailleurs ses droits souverains sur la Montagne et sa tutelle sur l'Emir lui-même: "Vous, (Emir) Prince, dit-il dans ledit firman, vous avez prouvé votre obéissance et vous savez ce que vous devez comme notre sujet. Aussi notre Sublime Porte est-elle sûre que si vous êtes nommé Prince des Druses vous donnerez de nouvelles preuves de soumission à nos ordres et un nouvel essor à la fidélité, à la loyauté et aux zèles qui sont innés en vous" Pour l'application de sa nouvelle politique au Liban, la Sublime Porte changea le Muchir de Saida, Mehmed Selim Pacha, dont le siège fut transféré à Beyrouth, de collaborer avec El Kasim et de l'aider dans ses fonctions, Selim Pacha forma un conseil mixte des chefs des communautés pour conseiller El Kasim et en même temps pour faciliter les réformes du Tanzimat dans la Montagne. Le premier acte de Selim Pacha fut en effet, à la demande de ce conseil, d'obtenir, le 21 cemaziyel-ahir 1257 (10 août 1841) de la Sublime Porte la réduction à 3500 bourses (kise) de l'impôt prélevé au Liban (les Egyptiens avaient élevé l'impôt de la Montagne de 2650 à 6500 bourses.)20 Pourtant toutes les mesures et les efforts de Selim Pacha destinés à assurer l'autorité d'Istanbul et à empêcher de nouveaux troubles etaient loin de satisfaire les chefs druses et maronites. Les Druses, surtout leurs chefs rentrés d'exil, qui avaient manifesté, dès le début, leur mécontentement de la nomination d'El Kasim, chrétien, et même de son administration, s'efforçaient d'obtenir leurs anciens privilèges abolis par les Egyptiens, c'est-à-dire le rétablissement de leur 18 Tayyib G Ö K B İ L G İ N : op. cit; p. 641. Baron de Testa: recueil des traités de la porte avec les puissances étrangères. Paris 1864-1896; t. III, p. 83. Pour le texte original de ce Urrman voir: Lutfi Tarihi: VIII, p. 464466; daté recep. 1256. 19 20 Lutfi Tarihi: VIII p. 45; note d'Abdurrahman Şeref (Cebel-i Lübnan Meselesi). MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '163 autorité, leurs attributions féodales et la possession de leurs terres confisquées par Béchir Chéhab et Ibrahim Pacha. En outre ils voulaient se venger des Maronites et des Chéhabs qu'ils jugeaient coupables de leur affaiblissement. Dans cet état d'esprit, les chefs druses, appuyés secrètement par le Muchir de Saîda à qui ils avaient demandé de nommer un Emir parmi eux-mêmes, se liguèrent en silence contre les Maronites et contre Emir El Kasim en tête, en attendant le moment propice pour les attaquer 21 . Quant aux Maronites soutenus et encouragés par la France, ils se montraient résolus à défendre les intérêts et privilèges qu'ils avaient obtenus pendant la domination égyptienne. De plus, ils attendaient une compensation de la part de la Sublime Porte en raison de l'aide et des services qu'ils lui avaient rendus en 1840, au cours des dernières opérations militaires contre Ibrahim Pacha. Selon eux, la conservation de leur situation actuelle parlstanbul répondait à leurs désirs d'être récompensés de ces services rendus22. D'autre part, les Maronites aussi, en comptant toujours sur les Européens, n'évitaient pas de prendre position contre les Druses. Surtout la politique fanatique et excessive du patriarche maronite canduisait le Liban dans une voie dangereuse. La France et l'Angleterre23: en réalité, la lutte d'intérêt et d'influence entre ces deux états rivaux dans la politique méditerranéenne fut l'une des causes essentielles des événements du Liban en 1841. Les gouvernements anglais et français qui n'avaient qu'un but, accroître leur influence et avoir des avantages économiques au Levant, s'attachèrent à formenter des troubles au Liban. Ils exploitèrent les différences de race, les divergences de religion, ils incitèrent les communautés antagonistes l'une contre l'autre24. Pour rélaiser leurs visées, France soutint et encouragea les Maronites dans leurs prétentions, et l'Angleterre les Druses. En somme, à cause de la fabilesse de la Porte, de l'incapacité du gouvernement de l'Emir El Kasim et des ingérences des puissances, la tension entre les Druses et les Maronites continuait d'aggraver la situation et d'accélérer la marche vers heurts sanglants dans la Montagne. 21 G Ö K B İ L G İ N : op. cit., 643. 22 Lutfı Tarihi: VIII, p. 44 (note d'Abdurrahman Seref). Pour la politique des Etiits, voir: Haluk Ülman, l'article cité, p. 243-268; du même 1860-1861: Suriye buhrani; Ankara ig66. 23 24 De la Jonquière: Hist. de l'Emp. ottoman. Paris 1897, 493. i20 BAYRAM KODAMAN Enfin, le 14 octobre 1841 (le 27 saban 1257) un complot contre l'Emir El Kasim, minutieusement organisé par les chefs druses, éclata à Dayr al Kamer au moment où ces derniers y arrivaient, sur la convocation de l'Emir, en vue de discuter de leurs difficultés25. Les Druses attaquèrent la résidence de l'Emir et l'enlevèrent; ils mirent à sac les maisons des Maronites; ils pillèrent la ville. Au cours de cet incident il y eut plusieurs morts et bléssés26. Ce complot eut de graves conséquences sur les relations entre les Druses et les Maronites qui soutenaient le gouvernement d'El Kasim. Devant la gravité des événements Mehmed Selim Pacha s'empressa d'envoyer deux émissaires à Dayr al Kamer pour concilier les partis hostiles; et d'adresser des lettres de menace aux druses pour les inciter à cesser les hostilités; il prit des nesures militaires dans les autres villes druses pour empêcher l'extention des événements27. Malgré une trêve provisoire entre les communautés, établie à la suite des efforts déployés par les pachas turcs, sévissait encore au Liban le désordre, l'incertitude et l'insécurité. D'autre part les répercussions de ces massacres et de ces dévastations se répandirent bientôt dans les capitales européennes. Surtout à Paris, où l'ambassadeur ottoman Rechid Pacha était à peine arrivé, de vives réactions se produisirent contre la politique ottomane et les Druses. Nous allons étudier maintenant l'attitude du gouvernement français à l'égard des événements et les efforts de Rechid Pacha, en suivant l'évolution de la situation dans la Montagne. IV) Les relations diplomatique» de Rechid Pacha avec le gouvernement français (1841 - 1842) Lors des événements d'octobre 1841, les Maronites catholiques s'étaient tournés exclusivement vers la France où ils cherchaient, avec raison, aide, conseil et appui contre les Druses soutenus par l'Angleterre, encouragés par la Porte dans leurs revendications28, car les relations entre la France et les Maronites n'étaient pas de fraîche date: elles remontaient au 25 Adel ismail: op. cit. p. 245. 26 G Ö K B İ L G İ N : in Belleten p. 644. 21 Ibid. p. 644. 28 Pour les relations druso-anglaises voir: Haluk Ulmen; article cité, pages 252-253. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '65 temps des Croisades. De son côté le gouvernement français - conscient du prestige que la France retirait en Orient de sa situation de puissance protectrice des catholiques qu'elle détenait depuis le XVI e siècle à s'empressa de saisir cette occasion pour y rétablir et consolider l'influence française combattue en 1840 par l'Angleterre et pour préserver les Maronites et,dans la mesure du possible, les autres communautés du Liban, des influences anglaise, russe et autrichienne. Ainsi la France, en tant que puissance déclarée des catholiques en Orient, allait enteprendre des démarches auprès de la Porte en faveur de ses protégés chrétiens. Quant à Rechid Pacha, en raison de son départ d'Istanbul avant le début des incidents entre les grandes communautés libanaises, il ne possédait pas d'instructions précises à ce sujet et même il n'était pas tellement au courant de ce qui se passait au Liban, ni de la dernière attitude de son gouvernement à l'égard de ces conflits communautaires. Cela rendit difficile les démarches de Rechis Pacha auprès du gouvernement français pendant la première semaine de son ambassade. Bien que la France ait agi immédiatement et avec fermeté pendant le déroulement des événements, elle adopta une politique conciliante et conseilla à son consul à Beyrouth" d'apaiser les esprits, de jouer le rôle de médiateur, de tranquilliser, autant que possible, le pays et garder de bonnes relations avec les gouverneurs ottomans en Syrie tout en soutenant—la cause des populations catholiques du pays"29. Pourquoi cette politique? Parce que la France ne voulait pas, cette fois, attirer l'attention des autres puissances sur elle-même et créer de nouvelles complications politiques entre les états, en suivant une politique semblable à celle qui lui avait coûté cher à la fin de la crise d'Egypte, et qu'elle désirait jouer le rôle de médiatrice en faveur des Moronites, compte tenu ses intérêts politiques et économiques. Nous voyons également le gouvernement français suivre une politique modéré à l'égard de l'Empire ottoman. En effet, au cours des heurts druso-maronites qui alarmaient l'opinion publique française, le Ministre des Affaires Etrangères, Guizot, se rendant le 25 novembre 1841 (le 10 sewal 1257) à l'ambassade ottomane, se contenta de faire part à Rechid Pacha de l'émotion et de l'inquiétude de la France devant les massacres entre 29 Les instructions du gouvernement français à Bourré le 28 octobre 1841 (cité par Adel ismail page 284). i20 BAYRAM KODAMAN les deux communautés et de demander à la Sublime Porte de rétablir une administration équitable pour la population et d'effectuer certaines réformes rendues nécessaires afin de calmer la Montagne30. Pourtant, il laissa entendre que les événements du Liban s'étaient fait jour à la suite du mauvais système administratif qu'y appliquait la Sublime Porte. Bien que Rechid Pacha ait approuvé les propos de Guizot prévoyant la réalisation de certaines réformes au Liban, il refusa l'idee selon laquelle la Porte serait responsable de ces derniers conflits, en déclarant que de tels événements s'y produisaient souvent du fait de l'antagonisme de race et de religion entre la population divisée en deux camps. A propos de la politique suivie par la Porte, Rechid Pacha ne put ni donner des assurances, ni calmer les esprits du gouvernement français, car il n'avait pas reçu, à ce sujet, d'instructions d'Istanbul. Pourtant il annonça que son gouvernement ferait de son mieux pour rétablir le calme dans cette partie de l'Empire ottoman31. Entre temps la Sublime Porte, pressée par l'Angleterre et l'Autriche et en même temps peu désireuse d'une intervention étrangère, avait envoyé au Liban en mission extraordinaire un de ses grands officiers, le serasker Mustafa Nuri Pacha, pour mettre fin, par des mesures énergiques, aux troubles provoquant des plaintes en Europe contre l'administration ottomane32. A son arrivée à Beyrouth, Mustafa Nuri Pacha réunit les chefs druses et maronites en vue de connaître leurs demandes et leurs prétentions. Après avoir écouté les deux partis il constata que les deux communautés, surtout les Druses, n'étaient pas contents de l'administration d'El Kasim 33 . La dessus, il proclama, le 16 janvier 1842, devant les chefs libanais, la destitution d'El Kasim et ensuite nomma Ümer Pacha 34 , émir du Liban (Cebel-Montagne). La révocation de Kasim par Nuri Pacha fut un succès pour la politique ottomane dont le but était de mettre fin aux privilèges de la Montagne et de l'amener à une subordination plus vraie à Istanbul, en tirant partie de l'état actuel du pays. Mais cette attitude des autorités turques 30 Corresp. de Rechid Pacharle 10 sewal 1257; cité par K A Y N A R , p. 408. 31 Corresp de Rechid pacha, in Kaynar, p. 409 32 Lutfı Tarihi: VIII, p. 45 (note d'Abdurrahman Seref). 33 Haluk U L M A N : article cité, p.255. A noter qu'Orner Pacha n'était pas d'origine turque, c'était un hungrois (macar) converti à l'Islam. 34 MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '167 ne tarda pas à provoquer le mécontentement des puissances qui voyaient là une atteinte portée à l'ancien statut du Liban ainsi qu'aux privilèges de la population chrétienne. Ce fut le gouvernement français qui réagit le premier pour emp cher la Sublime Porte de détruire l'autorité de la famille Chéhab dans ce pays. Au mois de février, Guizot protesta énergiquement auprès de l'ambassade ottomane à Paris contre la nomination de Macar Ömer Pacha au Liban. Et même au cours d'un entretien qu'il eut avec Rechid Pacha, il accusa la Sublime Porte d'avoir pris des mesures dures contre les Maronites, telles que le licenciement des membres de la famille Chéhab de leurs fonctions ainsi que le renvoi des chrétiens de l'administration du pays35. D'autre part il préconisa le retour au Liban de Béchir Chéhab, ancien émir. De son côté, Rechid Pacha, tout en restant dans la politique de son gouvernement, expliqua dans les termes suivants au Ministre français les circonstances de la nomination d'Orner Pacha comme émir du Liban: ayant constaté l'insuffisance de l'autorité d'El Kasim pour calmer et gouverner le pays d'une part, et le mécontentement de la population de son gouvernement après les consultations faites au Liban par le serasker Mustafa Nuri Pacha auprès des chefs druses et maroites d'autre part, la Sublime Porte, en accord avec ces derniers, destitua El Kasim et le remplaça par Ömer Pacha36. Et puis l'ambassadeur ottoman déclara que par cette mesure la Porte pourrait mettre fin à l'anarchie qui sévissait depuis longtemps dans la Montagne. De leur côté les gouvernements anglais et autrichiens intervinrent aussi et firent pression sur la Porte pour obtenir le rappeş d'ömer Pacha et la nomination d'un membre de la famille Chéhab. Toutefois la Porte neiusa le retour de Chéhab que suggérait la France37. Devant les démarches trop pressantes des Puissances, la Sublime Porte, en vue de gagner du temps, envoya en avril 1842 à Beyrouth Selim Bey avec la mission d'examiner, de concert avec Nuri Pacha, les faits que lui signalaient les ambassadeurs étrangers à Istanbul, de faire une enquête sur place en vue de savoir si la population libanaise approuvait et soute35 36 37 Corresp. de Rechid: in Kaynar p. 410 (le 25 muharrem 1258). Ibid. p. 410. J. Pierre Alem Le Liban (Que sais-je). Paris 1968. 57. i20 BAYRAM KODAMAN nait le gouvernement d'Ömer Pacha et ensuite de préparer un rapport circonstancié sur la situation38. En même temps, la Porte en instruisant Rechid Pacha de ses dernières résolutions concernant le problème du Liban, lui concernant le problème du Liban, lui conseilla de faire valoir son attitude conciliante et de démontrer au gouvernement français sa volonté de mettre fin à l'anarchie dans la Montagne dans le plus bref délai. Par la suite nous voyons Rechid Pacha tenir à mi-avril, des conversations successives avec Louis Philippe et Guizot eu vue d'amener le gouvernement français à adopter une politique moins rigide39. En effet, au cours de ces entretiens il insista d'avantage sur les efforts et les activités de Nuri Pacha destinées à concilier les deux communautés rivales et sur la mission de Selim Bey, afin de montrer au gouvernement français l'importance que la Porte attachait au problème libanais;il leur annonça d'autre part que la Sublime Porte éviterait d'entrer en discussion avec les Puissances avant que Selim Bey n'ait rempli son mandat. On voit clairement que Rechid Pacha demandait d'une manière implicite à la France de ne pas entraver les efforts de son gouvernement destinés à trouver une solution immédiate. Dès les premiers jours de son arrivée à Beyrouth Selim Bey constata que les Druses et les Maronites étaient contents de l'administration actuelle, de la politique d'Ömer Pacha et qu'ils ne désiraient plus voir le retour de Chéhab dans la Montegne 40 Aussi vit-il certains chefs influents venir exprimer à Nuri Pacha leur satisfaction de la situation et lui annoncer que le retour de Chéhab provoquerait de nouveaux troubles et mettrait en cause la détente entre les deux communautés; il obtint d'autre part de la population l'envoi de pétitions au Sultan en faveur d'Ömer Pacha. A l'appui des observations de Selim Bey et des pétitions envoyées par la population la Porte se montra résolue à défendre sa politique et à réfuter les prétentions de ceux qui se ralliaient au point de vue du gouvernement français, partisan du rétablissement du pouvoir de Chéhab.A cette fin elle ordonna à Rechid Pacha de mettre au courant le gouvernement fiançais des premiers résultats de la mission de Selim Bey et du calme revenu dans la région. 38 G Ö K B İ L G İ N . article cité. p. 653. 39 Corres. de Rechid. In Kaynar, p. 420 421. (6 et 25 Rebiûlewel 1258). 40 G Ö K B İ L G İ N . article cité. 653. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '69 Au début de juin 1842 Rechid Pacha, accompagné d'Ali Pacha, ambassadeur à Londres, s'entretint une fois de plus avec le roi Louis Philippe. Pendant cet entretien, l'ambassadeur ottoman, en informant le Roi "du contentement général chez les Druses, chez les Maronites, d'Ömer Pacha et également de leur insatisfaction à l'idée de réinstallation de l'autorité de la famille Chéhab", lui annonça le désir de la Sublime Porte de voir la France d'une part bien accueillir cet état de chose et d'autre part éviter d'insister en faveur des Chéhabs et d'élever de nouvelles objections contre l'administration d'Ömer Pacha grâce à laquelle le calme et la paix régnaient au Liban 41 . Quoique Louis Philippe n'ait pas élevé d'objections contre tout ce que venait de lui communiquer Rechid Pacha, il se garda de donner son approbation au gouvernemenı d'Ömer Pacha, en attirant l'attention de l'ambassadeur ottoman sur les contradictions entre les affirmations de la Porte et celles des consuls étrangers à Beyrouth. Quelques jours plus tard, Rechid Pacha se rendit au ministrère des Affaires Etrangères pour remettre à Guizot un exemplaire des pétitions envoyées à Istanbul par les communautés à la louange de l'administration d'Orner Pacha, donner une idée du contenu de ces pétitions nous allons en reproduire ici un extrait: "...Reconnaissant l'autorité du tout Ömer Pacha, nommé et désigné par la Sublime Porte comme gouverneur, nous avions, tous d'un commun accord, émirs, cheikhs, grands de la Montagne, Druses et chrétiens, rédigé cette requête portant que de notre plein gré et sans y être forcés, nous reconnaissions avec empressement et obissance l'autorité du Pacha, et que nous ne consentirions jamais à la promotion de l'un des Chéhabs-Zadé comme gouverneur..." Si présentement, et dans de muavaises intentions, quelques personnes de la part des Puissances, ou tout autre individu, avançaient que cette requête et cette supplique nous ont été arrachées par la force et la contrainte, ce serait des moyens de troubles mis en oeuvre par les agitateurs pour augmenter les désordres, et on ne doit y accorder aucune foi, ni aucune considération. Nous pas besoin d'affirmer que nous avons signé ces requêtes, spontanément et de notre plein gré, et qu'en vérité nous reconnaissons que la prospérité et le bonheur de notre pays peuvent exister seulement sous l'autorité d'un gouverneur nommé par la Sublime Porte etc."42. 41 Corres. de Rechid le 27 rebiiilahir 1258 (le 7 jüin 1842) in Kaynar, p. 422. 42 Cité par Adel İsmail, op. cit. p. 326. i20 BAYRAM KODAMAN A cette occasion, Rechid Pacha fit part à Guizot de l'apaisement de la tension, du calme, de l'ordre et la satisfaction dans la Montagne, confirmés par les rapports de Selim Bey et par les chefs des deux communautés, eux-mêmes, qui avaient manifesté par les actes officiels, leur opposition au retour éventuel des Chéhabs. Mais Guizot, en déclarant qu'il importait de savoir si les Pachas turcs avaient recouru à la force pour obtenir ces pétitions en faveur d'Ömer Pacha et si les observations de Selim Bey étaient justes et impartiales, indiqua ouvertement que le gouvernement français, désireux du rétablissement de la paix, accueillerait favorablement les prétentions et les explications de la Porte si les ambassadeurs dès Puissances à Istanbul les rapports de leurs consuls à Beyrouth les confirmaient43. Bien que le gouvernement français se refusât à préciser dès maintenant sa conduite politique et son point de vue sur les allégations ottomanes il donna satisfaction à la Porte en évitant d'insister sur le retour des Chéhabs au pouvoir. A ce sujet Pacha écrivait le 28 Rebiülahir 1258 (le 8 juin 1842): "D'après les paroles du ministre (Guizot)... on comprend que le gouvernement français ne s'obstinera pas à réclamer le retour des Chéhab pourvu que la paix et le calme soient rétablis dans le Djeble Drusé a44 .En vérité, la France ne renonçait ni à préconiser le plan du retour des Chéhabs pour arriver à une solution ni à combattre, en toute occasion, l'administration ottomane qui avait détruit le statut ancien de la Montagne. Au mois de juin 1842, devant les spéculations répandues en Europe sur la situation au Liban et sur les pétitions, la Porte ordonna à Selim Bey de Faire un voyage d'études à travers la Montagne pour sonder de près les intentions des communautés. Lorsque la mission de Selim Bey, qui développa cette fois abondamment l'importance des pétitions pour la cause de la paix et pour l'avenir du pays, prit fin et que les pétitions furent prêtes à prendre la route d'Istanbul, le serasker Mustafa Nuri Pacha invita les consuls étrangers à prendre connaissance du rapport final de Selim Bey commissaire impérial. Les consuls n'attachèrent pas foi au rapport de ce dernier qui affirmait que la situation était satisfaisante et que la nomination d'un druse ou d'un marobite était impossible; ils accusèrent les autorités turques d'avoir contraint la population à se prononcer en faveur d'Ömer Pacha. Quoique Selim Bey ait réfuté leurs prétentions 43 Corres. de Rechid le 28 rebiülahir 1258. in Kaynar. 423. 44 Ibid. p. 424. MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A <85 par des arguments bien fondés il était très difficile, pour les consuls, d'approuver ce rapport, après tant d'intrigues,et d'avouer le contraire des instructions qu'ils avaient envoyées jusqu'alors à leurs gouvernements45. A Istanbul, les ambassadeurs des Puissances manifestèrent leur opposition à la teneur du rapport de Selim Bey. Le Baron de Bourqueney, ambassadeur de France, envoya le drogman de l'ambassade, Cor, informer le ministre ottoman des Affaires Etrangères, Sarim Efendi, du point de vue des Puissances sur les pétitions et le dernier compte rendu du commissaire impérial: "Ne me parlez pas d'Europe, lui répondit alors Sarim Efendi, nous en sommes ennuyés; si nous ne sommes pas des hommes d'Etat comme il y en a en Europe, nous ne sommes pas fous. L'Empire ottoman est une maison dont le propriétaire veut rester tranquille chez lui; il est intéressé à ce que ses voisins n'aient pas à se plaindre de lui; s'il devenait fou ou ivrogne, s'il se conduisait de manière à allumer un incendie qui menacerait le voisinage, alors il faudrait mettre de l'ordre chez lui, jusque là n'est-il pas exorbitant que vous me demandiez si la Porte a droit ou n'a pas droit " 46 . Malgré le désir de la Porte de donner une solution au problème libanais sans ingérence et intervention extérieure, les Puissances continuèrent à exercer leur pression à Istanbul en vue de faire accepter au gouvernement du Sultan un règlement favorable aux Maronites et en même temps à leurs propres intérêts. Au moment où les discussions se déroulaient à Istanbul entre les représentants étrangers et le gouvemenement ottoman, Rechid Paca intensifia ses démarches auprès du gouvernement français en vue de faire valoir le point de vue de la Porte et de le persuader par ses exlications, de la nécessité de manitenir l'administration d'ömer Pacha dans la Montagne, pour prévenir la reprise des hostilités entre les Druses et Maronites. Au cours des entretiens qu'il eut toujours avec le Roi et Desages directeur aux Affaires politiques, à la fin de juin et avec Guizot au début de juillet, Rechid Pacha insista, comme auparavant sur les mêmes points47: 45 G Ö K B İ L G İ N . Article cité, in KELLETEN. No. 40. p. 655—656. « G U I Z O T . Mémoires... T . VI. p. 251. 47 Pour tous ces entretiens voir les correspondances de Rechid pacha, le 18 Cernaziyülevvel 1258 (le 27 juin 1842) et le 28 Cemaziyiilewel 1258 (Le 7 juillet 1842) publiées par Kaynar, p. 424-428. i20 BAYRAM KODAMAN 1) L'existence d'une paix durable dans la Montagne grâce à l'administration des Pachas Turcs. 2) L'exactitude des pétitions de la population et du rapport de Selim Bey. 3) Les dangers qui pourraient se produire en cas de retour de l'autorité des Chéhabs. 4) Les ingérences des Puissances aux affaires intérieures de l'Empire ottoman. 5) Les activités subversives des consuls, résidant à Beyrouth, contre l'administration ottomane. D'autre part il accusa le gouvernement fiançais de ne pas respecter l'intégrité et l'indépendance de l'Empire, en intervenant en faveur de la famille Chéhab; il qualifia également l'attitude fïançaise d'inamicale envers la Porte dans une affaire exclusivement intérieure de son empire. Guizot repoussa les arguments, les allégations et les accusations de Rechid Pacha, en déclarant que l'intervention des Puissances avait pour but de régler le statut du Liban et de pacifier le pays et que les Puissances, désireuses de conserver l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman, se sentaient obligées d'empêcher les troubles et les agitations menaçant l'Empire ottoman et la paix européenne. Selon lui c'était la Sublime Porte qui, n'ayant pas respecté les anciens privilèges de la Montagne, avait causé les troubles et par conséquent avait donné l'occasion à l'intervention étrangère dans ses affaires intérieures. Sur ces entrefaites, le Prince Mettemich mit en avant une nouvelle proposition dont Rechid Pacha avait informé la Porte: à savoir, si celle-ci refusait absolument de rétablir dans la Montagne,l'ancienne administration chrétienne, du moins qu'Orner Pacha fût retiré, et que les deux populations, Maronites et Druses, fussent gouvernés chacune par un chef de sa race et de sa religion, l'un et l'autre soumis au gouverneur général désigné par la Porte pour la conservation de la souveraineté ottomane dans cette région. Cette proposition de Mettemich fut bien accueillie par les autres Puissances48. Et même, l'ambassadeur de France, le Baron de Bourqueney communiqua, le 28 août 1842, à la Porte que les représentants 48 Guizot. Mémoires... T . VI. p. 252. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '73 des cinq Puissances étaient sur le point de lui envoyer une note officielle dans le même sens pour la solution du problème49. Au début de septembre, les propositions des Puissances furent communiquées, par leurs ambassadeurs, à la Porte. Alors le ministre ottoman des Affaires Etrangères, Sarim Edendi, invita, le ıo Saban 1258 — le 16 septembre 1842 les plénipotentiaires dans sa résidence de campagne (Konak) pour une conférence à laquelle assistèrent aussi Halil Rifat Pacha président de la Haute Cour de justice, Tahir Pacha, grand amiral et le Muchir Riza Pacha. Lors de cette conférence, qui dura sept heures sans interruption, Sarim Efendi défendit énergiquement la position de Selim Bey contre les intrigues des consuls à Beyrouth qui tentaient,dit-il, d'entraver par tous les moyes le succès de l'enquête du commissaire impérial et défendit aussi l'exactitude des pétitions. Les ambassadeurs accusèrent le commissaire de la Porte d'avoir recour à la corruption, à la violence et à la fraude dans l'élaboration de ces pétitions. Les représentants ottomans affirmèrent à leur tour que, si l'une des parties en cause avait effectivement recouru à de tels moyens, c'était, sans conteste, celle des partisans des Chéhabs et du patriarche maronite qui avaient fait fabriquer de faux cachets, tandis que Selim Bey n'avait consulté que la voix de la population50. En fin de compte Sarim Efendi repoussa la nouvelle proposition des Puissances prévoyant la nomination de deux émirs, chacun par sa communauté. Par contre il leur offrit de placer les Maronites et les Druses sous l'autre mais choisis par Esad Pacha, nommé au mois d'octobre, gouverneur général de Saîda; il proposa aussi l'idée de désigner deux Beys, qui pourraient être choisis par leur communauté, auprès d'Esad Pacha pour faciliter la communication avec les Kaîmakams et de créer des fonctionnaires dans les villages et les bourgs, dépendant de l'autorité des Kaîmakams 51 . Les plénipotentiaires des Puissances refusèrent unanimement ces propositions ottomanes et persistèrent dans la leur. Devant l'attitude des ambassadeurs, le Divan, réuni quelques jours après la conférence, décida de révoquer Ömer Pacha, conformément à le- 49 G Ö K B İ L G İ N . op. cit. p. 657. Pour le Compte rendu complet de cette conférence, voir: Kaynar. 433-445 (Basvekélet Arch. Cebel-i Lübnan, le 20 saban 1258). 50 51 Ibid. BAYRAM KODAMAN "74 urs demandes répétées et d'ordonner à Esad Muhlis Pacha de nommer, à son choix, deux Kaîmakams l'un pour les Druses et l'autre pour les Maronites52. Cette décision fut communiquée immédiatement aux représentants étrangers. La révocation d'Orner Pacha fut bien acceuillie, mais la nomination des Kaîmakams par Esad Pacha repoussée par la France et l'Angleterre53. Entre temps de nouveaux troubles éclatèrent dans la Montagne. La France et l'Angleterre envoyèrent leurs flottes au large du Liban pour intimider la Porte et pour donner de l'efficacité à leurs demandes auprès d'elle. Alors la Sublime Porte inquiète surtout de l'attitude intransigeante de la France qui s'intéressait de plus près que les autres Puissances au sort des chrétiens du Liban, envoya des instructions à Rechid Pacha pour qu'il demandât au gouvernement français des exlications sur l'intention et la mission de sa flotte en Méditerranée orientale. En attendant elle s'abstint de toute discussion avec les ambassadeurs pour ne pas irriter davantage les puissances. En fait, Rechid Pacha, ayant pour mission de sonder les intentions du gouvernement français, fit des démarches auprès des Affaires Etrangères. Et il obtint de Desages un entretien sur la mission de la flotte Au cours de cet entretien il exprima les inquiétudes de la Porte à l'apparition des bâtiments français sur les côtes de Syrie car leur présence, sans aucune raison importante, pourrait encourager ceux qui avaient de mauavaises intentions et qui voulaient troubler l'ordre actuel et déclencher les hostilités dans la Montagne, "il faut dit-il, que les Puissances amies n'approuvent pas une telle éventualité dangereuse54". Desages, pour dissiper les inquiétudes des autorités turques, annonça qu'il n'était pas question pour la flotte française ni pour celle d'Angleterre, d'encourager la population chrétienne, mais bien au contraire d'empêcher des révoltes de cette population souffrante et désespérée, en lui donnant, par leur présence l'espoir pour son sort ainsi que son avenir. Il assura Rechid Pacha que les Puissances partisantes d'une solution pacifique, n'envisageaient pas, pour le moment, d'intervenir militairement55. Pourtant il n'exclut pas du tout la 52 ibid. p. 445. 53 Pour les notes des ambassadeurs remises à la Porte à consulter Kaynar p. 450- 124 Pour la crise de 1860-1861 voir H.ULMAN. 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara 54 Corres. de Rechid Pacha. Saban 1258. Kaynar. 431. 55 Ibid. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '75 possibilité d'une menace et d'une intervention par d'autres moyens, jugés nécessaires et plus efficaces que les moyens militaires, en cas d'opposition de la Porte aux propositions et aux conseils des cinq Puissances européennes. Au début d'octobre Rechid Pacha eut également une entrevue avec Guizot à propos du nouveau système que la Porte voulait donner au Liban. Mais il se heurta plus que jamais à l'opposition du ministre français, quant à la politique de la Porte. Guizot lui annonça en termes décisifs que la France, bien que satisfaite de la décision du gouvernement ottoman de destituer Ömer Pacha et de retier les soldats albanais, ne saurait jamais être d'accord avec la Sublime Porte et qu'elle insisterait résolument sur son point de vue jusqu'à ce que deux Kaîmakams fussent désignés, l'un choisi par les Druses, l'autre par les Maronites, dans la Montagne. Devant l'obstination du gouvernement français, Rechid Pacha communiqua à la Porte dans sa lettre du 18 octobre 1842 qu'il était impossible de convaincre la France de l'opportunité du point de vue ottoman56. En fait ni cette entrevue ni d'autres pourparlers qu'avait eus l'ambassadeur ottoman à la fin du mois de novembre avec le Roi, Guizot et Desages ne changèrent rien et ne produisirent d'effet sur la politique qu'avait adoptée le gouvernement français à l'égard du problème du Liban. A chaque occasion, la France n'omettait pas de manifester sa volonté de soutenir jusqu'au bout la cause des chrétiens du Liban et d'insister, surtout depuis le mois de septembre, sur le dernier plan que voulaient imposer les Puissances au gouvernement ottoman pour la solution du problème57. A Istanbul, conformément à de nouvelles instructions de leurs Cours, les ambassadeurs étrangers adressèrent, au début de décembre, au ministre ottoman des Affaires Etrangères, Sarim Efendi, chacun au nom de son gouvernement, des notes semblables invitant la Sublime Porte à accepter le plan qu'ils avaient déjà proposé et en même temps lui demandèrent une conférence au cours de laquelle ils pensaient faire pression sur elle pour qu'elle renonçât à son obstination58. 56 Corres. de Rechid, le 13 ramazan 1258, in Kaynar. 452-453. 57 Pour le contenu des derniers entretiens de Rechid Pacha voir sa correspondance, datée du 5 zilkade 1258 citée par Kaynar, p. 453 à 457. 58 Pour les notes des ambassadeurs voir Kaynar: 456-465. i20 BAYRAM KODAMAN Alors, en se décidant tout à coup à la concession devant la résolution des Puissances, la Porte voulut s'épargner du moins la discussion et Sarim Efendi adressa le 7 septembre 1842 aux cinq représentants la dépêche suivant" Le ministre ottoman éprouve le plus vif regret de voir que le point de cette question ait donné lieu à tant de discussions et de pourparlers depuis un an, et que, malgré la bonne administration qu'il est parvenu à rétablir dans la Montagne et les épreuves convaicantes qu'il est à même de produire à l'appui de son assertion, les Hautes Puissances n'aient jamais changé de vues à cet égard. La Sublime Porte, mue néanmoins par les sentiments de respect dont elle ne cesse pas un seul instant d'être animée à l'égard des cinq puissances, ses plus chères amies et alliées, a préféré, pour arriver à la solution d'une question si délicate, qui est en même temps une de ses affaires intérieures se conformer à leurs voeux plutôt que d'y opposer des refus...si le rétablissement du bon ordre dans la Montagne peut être obtenu à l'aide du système proposé le voeux de la Sublime Porte sera accompli, et elle ne pourra qu'en être reconnaissante..."59. Ainsi, la Porte adopta formellement le système d'une administaration indigène, c'est-à-dire celui des deux Kaîmakamats (Kaymakamlik's) pour la Montagne du Liban 60 . Ce système consistait à diviser ce pays en deux parties indépendantes l'une de l'autre: la première sous la juridiction d'un Kaimakam musulman; la seconde sous celle d'un Kaîmakam maronite (chrétien). A Paris, Rechid Pacha, informé de l'arrangement survenu entre la Porte et les ambassadeurs étrangers par une lettre datée du 5 zilkade 1258 (le 8 décembre 1842) provenant d'Istanbul, s'empressa de le communiquer à Guizot qui n'avait pas encore reçu les instructions de son ambassadeur à ce sujet. Guizot exprima sa satisfaction devant la décision de la Porte de mettre un terme à la crise ainsi qu'à ses démêlés avec les puissances en acceptant leur proposition: il approuva en plus les mesures prises par le Muchir de Saîda, Esad Pacha, dans la Montagne. Certes, le gouvernement français n'approuve pas tellement la mesure consentie par la porte, qu'il voyait encore incomplète et précaire, en raison de l'exclusion de la famille Chéhab de l'administration de la Montag59 Guizot: Mémoires...; t. III; 255. Pour la note de la Porte adressée le zilkadé, aux ambassadeurs, voir: Başvekalet Arch., Arch., le 3 zilkadé Cebel-i Lübnan dosyası; Kaynar: op. cit., p. 465-466. 60 MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '177 ne. Pourtant il se montrait satisfait du résultat obtenu, ou en jugeant qu'il serait, au moins, inopportun de mêler une question de noms propres à la question capitale61. D'autre part, on peut tirer à notre avis, de oe nouveau système deux conclusions pour la politique ottomane; l'une négative, l'autre positive: 1) ce système faisait avant tout obstacle aux efforts et aux désirs de la sublime Porte de rattacher la Montagne au pouvoir central d'Istanbul et de supprimer ainsi les anciens privilèges autonomistes de la population libanaise, compte tenu bien entendu du fait que ce système qui reconnaissait une large autonomie administrative à deux kaimakams à l'intérieur du pays. 2) Mais, comparé à l'ancien statut de la Montagne sous les Chéhabs, il peut être considéré plus ou moins comme une réussite ou moins un pas en avant, pour la politique de la Porte, car il plaçait deux Kamakamats sous l'autorité du Pacha Saida. Faut-il croire que le système des deux Kaîmakamts était une oeuvre exclusivement ottomane, comme le disait certains historiens qui ont traité la question du Liban? Ceux-ci prétendent que les autorités ottomanes créèrent ce système, pour faire durer la domination ottomane assurée dans la Montagne pendant le gouvernement d'Orner Pacha. Nous ne sommes pas de cet avis62. A savoir: Bien que les autorités turques surtout Halil Pacha aient prévu lors des événements de 1841, un projet semblable que aurait consisté à donner un chef musulman aux Druses et un chef chrétien aux Maronites, nous ne les voyons pas insister et en revenir à ce projet en raison de l'opposition de Lord Palmerston qui l'avait combattu dès le début63. Mais dès que le gouvernement d'Omer Pacha eut été refusé par les puissances, le prince de Metternich, marquant un vif intérêt pour cette idée, l'a repris à nouveau et l'imposa aux autres puissances qui donnèrent ensuite leur accord64. De son côté, la Sublime Porte n'attacha pas d'importance à la proposition de Metternich, car elle voyait cette fois, la solution du problè61 Guizot: Mémoires..., t; VI, pagr 25g. 62 Ibid. 63 Arch. Fr. des AIT. Et.: T U R Q U I E , Documents et Mémoires; Vol. 43 Mem. de Bourré. 64 Corres. de Rechid (7 Juil. 1842); Kaynar 428; of. Guizot: VI, 252; également G Ö K B İ L G İ N : op. cit. 654. i20 BAYRAM KODAMAN me, non dans la nomination de deux Emirs indigènes mais dans le rétablissement de l'administration ottomane, c'est-à-dire, dans la conservation du gouvernement d'Orner Pacha. Et même, elle avait proposé aux puissances d'accepter deux Pachas ottomans comme Kaîmakams, lorsque leurs pressions devinrent trop pesantes65. Mais elle se vit obligée de céder devant leurs résolutions. La dépêche du ministre ottoman des Affaires Etrangères aux ambassadeurs étrangers prouvent notre point de vue. Dans cette dépêche, Sarim efendi n'hésitait à déclarer que la Sublime que la Porte n'avait accepté le système des Kaîmakamats que devant l'insistance des états et qu'il ne croyait pas lui-même que ce système calmerait la Montagna66. Egalement Halil Rifat Pacha qualifiait cette mesure de guerre civile organisée67. Ce système des deux Kaîmakamats est sans conteste l'oeuvre des états européens. Pour la mise en exécution de ce nouveau statut, Esad Pacha reçut, vers la fin de décembre 1842, l'ordre de la Porte de procéder à la nomination de nouveuax Kaîmakans. Enfin, il nomma, conformément au désir de chaque communauté, l'Emir Haydar pour les Maronites, l'Emir Ahmed Arslan 68 pour les Druses. Ainsi, les questions de forme furent réglées. Dorénavant Esad Pacha, les deux Kaîmakams et aussi les consuls allaient s'occuper des questions à la fois difficiles et fondamentales, c'est-à-dire les attributions des Kaîmakams. Lorsque le problème du Liban et, par conséquent, les désaccords avec les puissances prirent pratiquement fin, le décmebre 1842 à la suite de l'adoption des deux Kaîmakamts, la Sublime Porte révoqua, le 7 décembre, Rechid Pacha, de ses fonctions d'ambassadeur, et le rappela à Istanbul69. Enfin Réchid Pacha qui avait demandé, à maintes reprises à la Porte l'autorisation de retour, en raison de la détérioration de son état de santé, arriva, le 3 mars 1843, à Istanbul en passant par Vienne 70 . 65 Haluk U L M A N : article cité, page 259 66 Baron de Testa: recueil... III, 66-68; of. Guizot op. cit. 255. 67 Le V. A de la J O N Q U I E R E : Hist. de l'emp. Ott. Paris 1897, 495. 68 Lutfı Tarihi: VIII, page 46 (Note d'Abdurrahman Seref). w Pour la décison de la Porte de révoquer Réchid Pacha voir: Başvekâlet Arch., Hâriciye kısmı, no 916, le 14 zilkadé 1258. 70 En effet, au cours de cette quatrième ambassade, la santé de Réchid Pacha s'altéra et même, sur le conseil de ses médecins il séjourna à Marseille, à Toulon et en Italie. Voir corresp. de Réchid Pacha, Kaynar, 394-391). MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '79 V) Dernière Ambassade de Rechid Pacha: (le 25 janvier 1844-le 24 octobre 1845) a) La cinquième nomination de Réchid Pacha: Comme nous avons indiqué dans le chapitre précédent, Rechid Pacha avait été rappelé à Istanbul à la suite d'un accord survenu entre les puissances et l'Empire ottoman sur le système de double Kaîmakamat dans la Montagne. A son retour, bien que la Sublime Porte l'ait désigné gouverneur d'Adrinople (Edirne) il ne l'accepta pas et resta ainsi pendant quelque temps dans la capitale sans aucune fonction71. Mais nous voyons la Sublime Porte l'accréditer de nouveau le 14 novembre 1843 auprès du gouvernement français72. A ce sujet on peut citer un article du Moniteur ottoman en date du 12 zilkadé 1259 (le 4 décembre 1843): "Rechid Pacha, un des principaux ministres de la Sublime Porte, a longtemps résidé comme ambassadeur à Paris, ayant toujours rempli sa fonction à la satisfaction de la Sublime Porte qui a constamment apprécié son judicieux, sage et éclairé. Elle a daigné le nommer de nouveau son ambassadeur à Paris en remplacement de Nuri Efendi qu'elle a rappelé. Le lendemain de sa nomination, Rechid Pacha a eu l'honneur de présenter ses hommages à S.H. afin de la remercier; à cette occasion il a reçu du Sultan l'accueil le plus bienveillant et le plus flatteur. Il prend actuellement ses disposition pour se mettre en route"73 Enfin il quitta, le 17 décembre, Istanbul avec ses fils, Mehmed Djémil Bey et Ahmed Djelal Bey, désignés secrétaires intimes (Sirkâtibi) de l'ambassade ainsi que son Garde des Sceaux (mühürdar), Ahmed Behçet Efendi; il arriva le janvier 1844 0 e 6 muharrem 1260) à Paris74. Avant d'aborder les activités et les démarches diplomatiques de Rechid Pacha auprès du gouvernement français au cours de son dernier séjour à Paris, nous croyons utile de résumer la situation dans la Montagne depuis la mise en vigueur du système des deux Kaîmakamats. b) Le système de double Kaîmakamat au Liban: En réalité, comme prévoyait, dès le début, le ministre ottoman des Affaires Etrangères, Serim Efendi, ce système de double Kaîmakamat 11 Rifat: Verdühadayik; page 39. 72 Ercümed K U R A N : Reşid Paşa; dans Isl. Ans., IX, page 702. 73 Moniteur ottoman: no 26i le 12 zilkade 1259. 74 Kaynar: op. cit. 405-406. i20 BAYRAM KODAMAN n'avait pas mis fin aux querelles communautaires ni calmé tout à fait ni la Montagne ni les esprits des milieux politiques internationaux. Bien au contraire, il avait donné naissance à de nouveaux désaccords et difficultés entre les communautés druso-maronites ainsi qu'à de nouveaux différends entre les Puissances européennes, désireuses de voir chacune son influence s'accoître dans le Levant. Quelles étaient, cette fois, les causes essentielles de ces nouvelles complications politiques? C'était la question de savoir comment serait réglée l'administration des districts mixtes, autrement dit, quel serait le statut des Maronites, des Druses se trouvant, les uns dans le Kaîmakamat druse et les autres dans le Kaîmakamat maronite. En effet ce système, qui était fondé sur l'hypothèse qu'au nord de la route de Beyrouth-Damas, le Liban était peuplé de maronites, au sud de Druses, contenait un germe de discorde en créant des minorités dans les deux parties 75. Pour l'application du nouveau système au Liban ainsi que pour l'organisation des districts, chacune des communautés faisait valoir son point de vue auprès d'Esad Pacha, gouverneur général de Saîda: celui des Maronites consistait à faire dépendre tous les chrétiens, restés sous l'administration druse, du Kaîmakamat maronite et d'autre part les Druses du nord, du Kaîmakamat druse. Celui des Druses consistait, de son côté, à diviser le pays en deux parties géographiques, chaque partie gouvernée directement et exclusivement par son Kaîmakam 76 . On voit clairement que les Maronites préconisaient le système de nationalité, les Druses celui de la territorialité. Devant cette situation compliquée, Esad Pacha, en attendant les ordres de la Porte, décida de placer provisoirement sous sa juridiction les chrétiens du sud et les Druses du nord pour éviter les discussions et les complications77. Mais cette mesure ne fut approuvée ni par les Maronites ni par les Puissances. Alors Esad Pacha, sur les instructions venant d'Istanbul, demanda aux deux émirs, Haydar et Ahmed Arslan, de lui communiquer quelles étaient leurs pensées sur la nouvelle administration à donner aux districts mixtes. Mais, les idées qu'ils avaient avancées pour arriver à une solution, étaient contradictoires: Haydar proposait à Esad Pacha de chasser les mu75 H. Ü L M A N . article cité. p. 260. 76 H. Ü L M A N . ibid. p. 260. 77 G Ö K B İ L G İ N . Article cité p. 663. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '181 kataadjis druses78 et de nommer des vékils79 maronites choisis par leur communauté, dans les villes et villages mixtes dépendant du Kaîmakamat druse et également les vékils druses pour leurs corrélégionnaires résidant au nord du Liban. Quant à l'émir Ahmed Arslan, il défendait le système actuel tel qu'il était et le maintien des mukatadjis druses dans leurs fonctions80. Enfin Esad Pacha, conscient de la gravité de la situation due à l'enchevêtement des intérêts des deux parties hostiles, mit en avant un nouveua plan: nommer des vékils chrétiens et druses, chargés de protéger les intérêts de leurs communautés dans les deux Kaîmakamats. Mais, contrairement à ce que prévoyait l'émir Haydar, les vékils maronites seraient choisis et nommés par l'émir druse; les vékils druses par Haydar. D'autre part ce plan d'Esad Pacha donnait à la ville de Dayr-al Kamer deux vékils, l'un chrétien l'autre musulman, désignés par leurs nations respectives81. En cas de difficultés d'entente sur le choix, le Pacha turc désignerait lui-même les dits vékils82. Malgré ces efforts conciliants du Pacha de Saîda, les Maronites, hostiles à un système de la territorialité, continuaient à manifester leur opposition aux propositions du Pacha, et par conséquent insistaient sur la nécessité de mettre tous les chrétiens du sud surtout Dayr-al-Kamer sous l'administration de leur Kaîmakam. En fin de compte, nous constatons que malgré tant de discussions et tant d'efforts déployés, la situation dans la Montagne restait encore confuse et continuait à occuper les autorités turques et les Puissances européennes. VI) La Politique de Rechid Pacha et La Mission de Halil Pacha Après l'échec de toutes les tentatives faites en 1843 P a r Esad Pacha pour un compromis valable entre les Druses et Maronites, la Porte allait mettre en oeuvre, à partir de 1844, tous les moyens dont elle disposait, pour résoudre toutes les questions qui se posaient dans la Montagne au 78 Mukataadjv celui qui avait le droit de faire des levées de soldats dans son district et d'armer, à son gré, ses paysans en cas de guerre. İ1 avait en outre le droit de police rurale et de juridiction dans les petites contestation. Il était chargé en même temps, de la perception des impôts au nom des autorité suprêmes et en gardait pour lui-même 4 %; ses bien étaient exempts de toute contribution. 79 80 Vekil: sous Kaîmakam (on bien procureur). G Ö K B I L G I N . op. cit. p. 665. 81 Ibid. 82 A D E L ISMAIL. op. cit. p. 4m. i20 BAYRAM KODAMAN sujet de l'administration des districts mixtes. C'est dans le domaine diplomatique que nous la voyons agir d'abord, car elle était déjà consciente du fait qu'il était impossible, dans les circonstances actuelles, de rétablir, seule, un système quelconque dans les régions mixtes, sans obtenir l'approbation et le concours des Puissances européennes. Mais, parmi ces dernières, c'était surtout la France qui donnait beaucoup d'inquiétude aux autorités turques par sa politique pro-maronite et qui, jugeant que le système actuel des deux Kaîmakamats manquait d'autorité suffisante pour procéder à une administration équitable, préconisait de nouveau depuis quelques temps le retour des Chéhabs 83 . C'est la raison pour laquelle la Porte ordonna, au début de 1844, à Rechid Pacha de consulter les vraies intentions du gouvernement français sur l'avenir du Liban, de le faire renoncer à l'idée d'une administration "Chéhabe" et de le convaincre de la nécessité d'adopter une politique decompréhension à l'égard de l'Empire ottoman. En effet, dans l'espoir d'assurer l'aide de la politique française à la Sublime Porte, Rechid Pacha tenta des démarches diplomatiques auprès du gouvernement français au mois de février 1844. Au cours de ses entretiens avec les responsables de la politique exterieure française, faisant allusion aux promesses faites en 1841 par les gouvernements anglais et français à la Sublime Porte pour le maintien de l'intégrité de l'Empire ottoman, il reprocha au gouvernement français de ne pas respecter son indépendance et son intégrité et de favoriser les activités autonomistes des Rayas (sujets ottomans) par sa politique actuelle. Il attira d'autre part l'attention de la France sur les dangers éventuels de la désorganisation et de l'affaiblissement de son pays pour la paix génerale et l'équilibre entre les Puissances. Voici les opinions de Rechid Pacha sur la politique française dans la question d'Orient: "Pour la question orientale, la France (...) semble ne vouloir que gagner du temps. Les mesures conciliantes, les demi-mesures qu'(elle) emploie lui semble salutaires ou ne devoir rien compromettre. Mais c'est une grave et dangereuse erreur, et sa politique fait entièrement fausse route. En effet la désorganisation et l'affaiblissement de chaque partie de l'Empire (ottoman) amène tous les jours pour les Rayas des causes nouvelles de souffrances, de ruine et de désespoir; et bientôt ainsi la Russie sera libre de souffler au moment le plus opportun pour elle la discorde et la rebelli83 G Ö K B I L G I N . op. cit. 667. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 83 on sur telle province qu'il lui plaira et peut-être sur plusieurs ensembles84". Il parlait également de la nécessité, pour la France, de suivre une politique active dans la question d'Orient pour empêcher le danger russe et les révoltes des Rayas: "Par suite de vos retards et de vos demi-mesures, disait Rechid Pacha à la France, le Monde verra éclater une conflagration générale qui vous forcera, et (...) sans doute à l'époque la plus difficile pour vous, à sortir de cette réserve qui précipite chaque jour davantage l'heure du danger que vous croyez éviter...et prenez une attitude ferme par qui seule vous devez arriver à d'heureux résultats, au lieu de vous laisser surprendre par une crise violente et des événements qui vous entraineront, malgré vous, dans des complications que vous ne pourrez pas diriger85". Deux conclusions découlent de ces paroles de l'ambassadeur ottoman: en premier lieu, l'insuffisance et l'inefficacité de la politique française dans la question d'Orient. En second lieu, si la France désire assurer le bien-être de la polulation chrétienne soumise à l'autorité du Sultan et empêcher les ambitions de la Russie sur la Turquie, elle doit défendre l'intégrité de l'Empire ottoman et soutenir les mesures prises par la Sublime Porte en vue de renforcer, réorganiser l'Empire ottoman et de rétablir l'ordre et la sécurité à l'intérieur du pays. D'autre part Rechid Pacha s'efforçait, pendant ses conversations d'amener le gouvernement français à s'entendre avec l'Angleterre dans la politique à suivre en Orient, car il était persuadé qu'un rapprochement entre ces deux Puissances maritimes pourrait être salutaire pour l'avenir de la Turquie. Selon lui, en cas d'union entre la France et l'Angleterre, pour la solution de la question d'Orient, l'Autriche n'hésiterait pas à s'y intégrer par souci de conserver le statu quo en Europe et dans l'Empire ottoman. L'Autriche gagnée, la Russie s'y associerait, pour ne pas rester seule en arrière dans une question où son absence, aux yeux des Rayas chrétiens orthodoxes, qu'elle avait la prétention de protéger, serait une omission inexcusable86. Enfin Rechid Pacha déclara au gouvernement français que si une telle union entre les Puissantes se faisait jour la Sublime Porte n'agirait à 84 A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol. 44 p. 150 n 45 (le 29 février 85 A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et Documents. Vol 44. n 45. 86 A.A.E. T U R Q U I E . Doc. et Mem vol. 44. 1844). BAYRAM KODAMAN 184 Istanbul qu'avec la France et l'Angleterre et son but constaat serait alors le bien des populations ottomanes et la prospérité de l'Empire87. Mais un rapprochement politique et l'unité de vue entre la France et l'Angleterre se révélaient difficiles, en 1844, en raison d'un différend qui avait éclaté, entre elles, au sujet de l'île de Tahiti (affaire Pritchard) et de la propagande antifrançaise qu'avait reprise le gouvernement anglais au Liban88. C'est la raison pour laquelle le gouvernement français, bien qu'il se soit déclaré pour l'intégrité de l'Empire ottoman, ne donna pas beaucoup d'espoir à Rechid Pacha pour une alliance franco-anglaise dans la question d'Orient. De ce fait les efforts de l'ambassadeur ottoman ne produisaient aucun effet sur l'attitude de la France. Alors Rechid Pacha renonça à préconiser auprès de la Cour de France la nécessité d'une union entre les Etats européens pour la conservation de l'Empire ottoman. Par contre il entreprit de nouveau des démarches destinées exclusivement à la solution du problème du Liban. A ce sujet, bien que Guizot ait évité de se prononcer ouvertement pour la nomination du fils de l'émir Bechir, Emin, dans la Montagne, il n'omettait pas, pour cela, de contester le système de double Kaîmakamat et de faire allusion à la nécessité d'y rétablir une seule autorité, c'est -à-dire l'ancien système, pour parvenir à un arrangement entre les communautés89. En outre Guizot demanda à la Porte de régler, sans retard, le problème des indemnités dues par les Druses aux Maronites, victimes des événements d'octobre 1841. A la suite des rumeurs circulant dans les milieux diplomatiques français à propos du rétablissement de l'administration Chéhabe au Liban, Rechid Pacha annonça à Guizot, au cours d'une conférence tenue au mois de juin 1844, que le retour des Chéhabs était impossible et que la Sublime Porte opposerait un refus catégorique si le gouvernement français tentait de proposer un tel projet aux Puissances90. En réponse Guizot se borna à lui indiquer que la France agirait avec l'Angleterre et l'Autriche. Mais cette réponse vague du ministre était insuffisante pour supprimer les inquiétudes des autorités turques sur l'attitude française91. 87 Ibid. 88 Jacques PIRENNE, Les grands courants de l'Histoire universelle, Paris 1965. V. p. 89 Corres. de Rechid Pacha, le 19 Rebiülâhir 1260, in Kaynar, p. 63-66. 90 Corres. de Rechid, le 21 Cemaziyiilewel 1260 (le 9 juin 1844) in Kaynar p. 470. 91 Ibid. 52- M O I STAPHA RÉCHID PACHA <85 Alors la Sublime Porte, faisant preuve d'une réelle volonté de faire aboutir la question du Liban, y envoya en mission extraordinaire et avec pleins pouvoirs un de ses grands officiers, l'Amiral Halil Rifat Pacha. Trois points essentiels figuraient sur l'ordre du jour de sa mission. Ils concernaient tout d'abord le règlement des indemnités, ensuite celui de statut de certaines villes habitées par une majorité maronite,mais dépendant géographiquement du Kaîmakamat druse et enfin le règlement de la question des districts mixies. Ce dernier point était plus difficile et plus complexe à résoudre. De plus Halil Pacha fut muni d'une instruction secrète: a savoir, si Halil Pacha, après ses sondages, croyait aussi, comme Esad Pacha92 à l'impossibilité de gouverner le Liban par le système actuel, c'est-à-dire par les deux Kaîmakams, il désignerait comme émir, de concert avec le Pacha de Saida, mais en dehors de la famille Chéhab, un homme habile, respecté et capable d'administrer le pays93. Entre temps les Puissances se divisaient à nouveau en deux camps quant à la solution du problème. Les divergences de vue furent très profondes entre elles: l'Angleterre et la Russie se montrèrent résolues à défendre le système des deux Kaîmakamats, tandis que la France et l'Autriche préconisaient le retour au gouvernement unique, confié aux mains d'un prince Chéhab. La Sublime Porte, partisan du système actuel pouvait donc compter dans ses résolutions concernant l'administration du Liban sur le gouvernement anglais qui était à même de contrecarrer la politique française. Vers la fin de juin 1844 Rechid Pacha, informé de la mission de Halil Pacha et de la position anglaise sur le point de vue de la France, entra de nouveau en discussion avec Guizot sur le même sujet. Mais, comme auparavant, le ministre n'approuva pas les allégations de l'ambassadeur. De plus il demanda ouvertement à la Porte d'accepter, par sa propre volonté le retour des Chéhabs afin qu'Ile pût échapper à la pression des Puissances qui, malgré leur divergence de vue, pourraient se mettre d'accord sur l'opportunité de cette solution prévue par la France. Selon lui, étant donné que l'application du système de double Kaîmakamat ne donnait 92 Esad Pacha communique à la Porte qu'il ne pouvait exécuter les ordres qu'il avait reçus sans recourir à la force dans les circonstances actuelles. Dans sa lettre il proposa la restauration d'un seul pouvoir dans la Montagne. G Ö K B I L G 1 N p 668; Cf. de le J O N Q U I E R E op. cit. 496. 93 G Ö K B I L G I N op. cit.668. i20 BAYRAM KODAMAN pas les résultats positifs qu'on avait escomptés au début. Il serait convenable de nommer Emin Chéhab émir du Liban pour mettre fin à tous les événements découlant de l'insuffisance de l'autorité des deux Kaîmakams94. Malgré l'attitude intransigeante de Guizot, Rechid Pacha comprit que le gouvernement français ne pourrait pas insister sur la famille Chéhab si le gouvernement anglais continuait à s'opposer à son projet. De même il conseilla à la Sublime Porte de profiter de la politique anglaise pour consolider le système du double Kaîmakam et ainsi régler les points litigeux entre les communautés, les districts mixtes et les indemnités. Au début de juillet la Porte envoya les instructions et les ordres à Halil Rifat Pacha pour qu'il s'empressât d'exécuter sa mission. Son premier acte, à la suite d'un examen des faits, fut alors une proclamation où il déclara que la restauration du pouvoir Chéhab était impossible. Ensuite il se mit à régler le problème des indemnités. Après plusieurs conversations il décida de fixer à 13 000 bourses le montant total de l'indemnité; les Druses en payeraient 3 000 et le reste serait payé par le trésor impérial95 Pour la ville de Dayr-al Kamer il accepta le statut déjà prévu par Esad Pacha c'est-à-dire l'autonomie et la nomination des deux vékils choisis par leur communauté. D'autre part, pour résoudre le problème des districts mixtes, Halil Pacha réunit les représentants des Di-uses et des Maronites, les consuls étrangers et enfin les fonctionnaires turcs. Mais au terme de cette réunion on ne put prendre aucune décision, parce que les Maronites s'opposaient à la présence des Muqataajis druses dans les districts96. Après l'échec de cette réunion, Halil et Esad Pachas décidèrent de mettre fin à ces atermoiements. Le 2 septembre 1844 ils communiquèrent aux chefs des deux communautés leurs dernières décisions concernant les quatorze districts mixtes: 1) Les chrétiens des districts, faisant partie intégrante du Kaîmakamat druse, seraient soumis à la juridiction de ce Kaîmakam. 2) Les vékils chrétiens seraient nommés dans chaque district, pour veiller aux intérêts de leurs coreligionnaires. 94 Corres. de Rechid, le 13 Cemaziyiilahir 1260 (le 30 juin 1844) in Kaynar p. 472. 95 G Ö K B I L G I N . op. cit. p. 669. 96 Adel ISMAIL. op. cit. p. 413. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA 1' 87 3) Les vékils chrétiens dépendraient du Kaîmakamat druse. 4) Les districts mixtes dans le Kaîmakamat chrétien auraient également, au même titre, des vékils druses. 5) Le problème des idemnités serait résolu par le règlement qu'on avait déjà établi. Mais ce projet n'eut pas l'approbation des Maronites ni celle du consul français à Beyrouth. De son côté, le consul anglais, le colonel Rose, pressait Halil Pacha d'employer la force pour imposer ce plein. Mais la Sublime Porte ordonna à ses Pachas de ne pas recourir à une telle mesure. En fin de compte, sauf le règlement des indemnités, les autres articles de ce projet furent abandonnés devant le refus des Maronites et l'opposition du consul français97. Un autre projet fut alors étudié, celui de l'émigration réciproque entre les Druses et les Maronites, les uns habitant dans le nord, les autres dans le Sud. Mais cette émigration demeura limitée à certaines familles chrétiennes, la plupart de la population finit par s'en désintéresser. Au début de 1845 le problème des districts mixtes était encore en suspens et continuait à occuper sérieusement les Puissances et plus particulièrement la Sublime Porte, première intéressée. Pourtant, depuis l'adoption d'un règlement par la Porte pour les indemnités nous voyons un assouplissement dans la politique du gouvernement français qui avait cessé de parler ouvertement du retour des Chéhabs d'une part et une satisfaction chez les Anglais de l'autre. De même, lorsque Rechid Pacha eut informé, au mois de février, le Roi Louis Philippe de la décision de la Porte d'indemniser les Maronites, celui-ci l'accueillit favorablement et même qualifia ce règlement de bon signe vers l'amélioration de la situation dans la Montagne98. De son côté le gouvernement anglais fit savoir à la Porte qu'il approuvait entièrement cette décision et qu'il refuserait le retour de la famille Chéhab. Enfin, au mois de mars 1845, la Sublime Porte mit fin partiellement au problème des districts mixtes en acceptant un nouveau projet plus ou moins satisfaisant. Selon les dispositions de ce projet, les vékils maronites 97 Adel ISMAIL. op. cit. p. 41 ;t. Corres. de Rechid Pacha, Rebiülâhir 1261. in Kaynar p. 479. A cet entretien assista aussi Sarim Efendi, venu à Paris pour gagner son nouveau poste d'ambassadeur à Londres, en remplacement d'Ali Efendi. 98 BAYRAM KODAMAN ı88 se trouvant dans le sud relèveraient du Pacha de Saida; mais ils pourraient, au besoin, s'adresser directement au Kaîmakam de leur communauté. Par cet article, la Porte voulut obtenir l'approbation du gouvernement français qui avait aussi présenté, par son consul à Beyrouth, un autre projet pour l'administration de ces districts99. En effet nous voyons Guizot donner son approbation à cet arrangement dans un entretien au cours duquel Rechid Pacha lui avait demandé le point de vue de la France à ce sujet 10°. A la suite de l'adoption de ce dernier plan la Sublime Porte destitua Esad Pacha et le remplaça par le gouverneur d'Alep, Vecihi Pacha. Celuici posséssion de son poste comme nouveau Pacha de Saîda, le 7 avril 1845. Plus tard Halil Pacha, dont la mission avait pris fin, fut aussi rappelé à Istanbul101. Malgré les efforts des autorités turques pour éviter les inconvénients entre les communautés et même le nouveau règlement pour les districts mixtes, un abîme de haine existait entre les Druses qui refusaient de payer l'indemnité et les Maronites qui s'opposaient à la présence des Mukataajis. Chacun d'eux se préparait clandestinement à la revanche. Au mois d'avril, surtout après le rappel d'Esad Pacha et le départ de Halil Rifat Pacha pour Istanbul, les relations entre les communautés qui étaient d'ailleurs mécontentes de l'application du nouveau plan par Vecihi Pacha, furent très tendues. Les assassinats sporadiques entre elles devinrent de plus en plus fréquents. Les Druses attaquèrent enfin, le 10 mai 1845 les principaux centres Maronites. Le conflit armé intercommunautaire commença ainsi. Ces événements continuèrent de ravager la Montagne jusqu'en Juin. Au cours de ces massacres, le consul anglais soutint les Druses, le consul français les Maronites; les autorités ottomanes restèrent neutres, mais cette partialité encouragea les musulmans et désespéra les 99 Le projet français consistait à généraliser le statut de la ville de Dayr-al Kamer à tous les districts mixtes. Les principales dispositions de ce projet: i) chaque district mixte aurait deux vékils chacun choisi par sa nation; j) Ces vékils dépendraient chacun du Kaîmakamat de leur communauté; 3) Un divan formé des représentants de toutes les communautés serait établi à Beyrouth. Il aurait pour compétence de juger les différents entre elles. Le but de ce projet était en effet de limiter autant que possible les droits des Mukataadjis. L'Angleterre s'y opposa en même temps que la Sublime Porte. 100 Corres. de Rechid Pacha le 11 Rebiulewel 1261 (le 19 avril 1845) in Kaynar. 101 Lutfi Tarihi. VIII. p. 47 (note d'Abdurrahman Seref). 479- MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A <85 chrétiens. D'autre part les Druses tuèrent un prêtre français, Charles de Lorette, ainsi que d'autres prêtres maronites et mirent le feu aux couvents catholiques et même à une église maronite. Ces heurts et troubles sanglants au Liban provoquèrent une vive émotion dans l'opinion publique française et donnèrent lieu à une vaste propogande antiturque dans la presse. Et le gouvernement français protesta énergiquement contre la politique de la Sublime Porte, qui était selon lui la première responsable de ces incidents. Devant cette attitude menaçante du gouvernement français la Porte, en envoyant une lettre datée du 21 cemaziyûlewel 1261=28 mai 1845, ordonna à son ambassadeur, Rechid Pacha, d'expliquer au ministre français des Affaires Etrangères les motifs essentiels des événements. Alors Rechid Pacha demanda, au début juin, à Guizot une conversation sur la dernière situation dans la Montagne. Au cours de cette entrevue le ministre français, en s'appuyant sur les instructions de son consul à Beyrouth, accusa les autorités turques chargées de maintenir l'ordre, d'être restées les mains croisées devant les massacres et même d'avoir pris ouvertement parti pour les Druses. Ensuite il fit savoir que si la Porte ne prenait pas de mesures impartiales pour faire cesser les troubles, la France se verrait obligé d'envoyer sa flotte au large du Liban. Cela était sans doute une menace d'intervention. Mais Rechid Pacha, en précisant que toutes les nouvelles relatives aux événements étaient tout à fait exagérées, n'accepta pas les accusations du ministre et déclara qu'il serait injuste de rejeter la responsabilité des massacres sur la Porte qui avait agi, conformément aux désirs et demandes des Puissances, sur les affaires concernant le problème du Liban 102 . VH) Le Règlement de Chekib Efendi: A la suite des événements de mai, la Sublime Porte, pressée par les ambassadeurs étrangers, décida d'envoyer le ministre des Affaires Etrangères, Chékib Efendi, dans la Montagne, pour y faire appliquer complètement et sans retard la forme d'administration concernant les districts mixtes et les décisions impériales prises précédemment au sujet de l'administration locale103. Pour faciliter sa mission au Liban, Chékib Efendi adres102 Corres. de Rechid Pacha le 12 cemaziyülâhir 1261 - p. 480. 103 Lutfı Tarihi. T.VIII. p.47 (note d'Abdurrahman Seref)- le 18 juin 1845 in Kaynar, i20 BAYRAM KODAMAN sa, le 23 recep 1261 = le juillet 1845, un mémorandum d'une importance capitale aux représentants des cinq Puissances à Istanbul, dans lequel il leur expliquait les grandes lignes de sa politique pour résoudre définitivement la question du Liban , M . Les idées principales contenues dans cet acte étaient les suivantes: 1) Occupation du Liban par l'armée de Namik Pacha. 2) Désarmement général de la Montagne, 3) Distribution immédiate d'une partie des indemnités dues aux Maronites, 4) Neutralisation des activités des consuls des Puissances à Beyrouth, 5) Règlement de l'organisation administrative des districts mixtes. Cela conçu comme suit: a) Le règlement des questions de droit (hukukî): tout procès ou contestation entre les individus de la même nation serait jugé uniquement par son vékil. En cas d'un différend entre deux individus de diverses nation, les vékils et mukataajis jugeraient ensemble. Il y aurait recours aux Kaîmakams s'ils ne pouvaient pas s'accorder. b) Le règlement des affaires administratives et politiques (idari siyasî): les vekils maronites seraient vis à vis de leur communauté les intermédiaires du Kaîmakam druse pour l'exécution des ordres envoyés par le gouvernement ou émanés du Pacha de Saida. c) Le pouvoir exécutif (zabtiyé): comme le partage en cette matière pouvait en gêner l'exercice, les vékils maronites pourraient y être associés et le soin de maintenir l'ordre serait confié aux seuls mukataajis. En fin de compte, les représentants des cinq Puissances donnèrent leur approbation aux dispositions de ce mémorandum de Chékib Efendi. Et même ils ordonnèrent tous à leurs consuls à Beyrouth de faciliter la mission de Chékib Efendi et d'éviter de lui créer des difficultés. Pourtant Bourqueney, ambassadeur de France, ne manqua pas d'attirer l'attention du ministre ottoman sur le fait que l'opinion publique européenne consi104 Pour le texte complet de ce mémorandum à consulter Adel ismail, op. cit. pp. 599-611. Egalement de Testa III p. 68-73. MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A <85 dérait la Porte comme responsable en cas de l'échec de l'application du règlement prévu dans le mémorandum l05 . Entre-temps, dans le but de prévenir les ingérences du consul français à Beyrouth, dans la mission du Chékib Efendi, la Sublime Porte décida de réparer, conformément aux demandes de Bourqueney, tous les dommages subis par les couvents catholiques et de déférer l'assassin du prêtre Charles de Lorette et ses complices devant la justice. Lorsque cette décision fut communiquée, au début du mois d'août, par Rechid Pacha au gouvernement français, ce dernier l'accueillit favorablement tout en se refusant à donner des assurances sur sa conduite sous prétexte que la tranquilité et la sécurité de la Montagne n'avaient pas été rétablies par les autorités ottomanes106. Enfin Chékib Efendi arriva à Beyrouth, au mois de ramazan (le 14 septembre 1845). Le lendemain il s'entretint tout d'abord avec Namik et Vecihi Pachas sur la situation. Le 22 septembre il réunit les consuls en conférence générale et leur déclara qu'il était envoyé pour exécuter les dispositions du mémorandum qu'il avait adressé aux ambassadeurs des cinq Puissances qui l'avaient accepté107. Il leur demanda ensuite de ne plus intervenir dans les affaires intérieures du pays. Et, en parlant de la nécessité de recourir à la force au cours de l'application du mémorandum, il les pria de faire retirer à Beyrouth dans un délai qu'il fixerait, leurs ressortissants résidant dans les autres villes,afin que ceux-ci ne subissent pas les effets de l'emploi de la force108. Mais le consul de France à Beyrouth, s'opposant à la déclaration du ministre ottoman, lui demanda de procéder immédiatement à l'exécution des propositions suivantes: 1) Dommages et intérêts pour les ressortissants français qui se verraient contraints de quitter leurs établissements. 2) Appel à Istanbul de l'assassin du prêtre, pour qu'il y soit traduit en justice. 3) Recherche de ses complices. 4) Payement des indemnités dues aux couventsl09. 105 G Ö K B I L G I N . op.cit. p.675. 106 Corres. de Rechid, le 3 saban 1261 (Le 7 août 1845). Kaynar, p. 482-483. 107 Lutfı Tarihi. VIII. p. 49 (note d'Abdurrahman Seref). 108 Ibid. 109 G Ö K B I L G I N . op.cit. 676. i20 BAYRAM KODAMAN En même temps, l'ambassadeur de France adressa, le 4 octobre 1845, à Ali Efendi 110 , ministre ottoman des Affaires Etrangères par intérim, un ultimatum contenant la même proposition. De plus il menaça, le 17 octobre, la Porte de quitter Istanbul si elle ne promettait pas d'indemniser les ressortissants français de leurs dommages. Ali Efendi essaya d'user de moyens dilatoires. Bourqueney exigea une réponse catégorique; le 18 octobre, la Porte promit de donner satisfaction à ses demandes.Malgré la promesse faite, Bourqueney fit des difficultés et insista sur l'exécution immédiate de ses propositions. Pour atténuer l'importance des exigences de l'ambassadeur et même du consul, la Sublime Porte, en décidant d'agir par la diplomatie auprès de la Cour de France, envoya des instructions à Rechid Pacha pour qu'il obtînt l'approbation de la politique ottomane par le gouvernement français et la confiance de celui-ci dans les promesses données à son ambassadeur. Alors Rechid Pacha eut, au début de novembre, un long entretien avec Guizot sur les exigences du gouvernement français. Les trois sujets qui dominèrent les discussions furent: 1) La condamnation de ceux qui tuèrent le prêtre français et détruisirent les couvents catholiques: A ce sujet, l'ambassadeur rappela le fait que Ebou Naked était jugé par un tribunal musulman, avec impartialité, suivant la loi musulmane, et que le tribunal, ayant refusé le témoignage des Druses en faveur de Naked, ne le déclara innocent qu'après déposition des témoins chrétiens et aussi le fait que son acquittement était approuvé par les autres consuls étrangers ayant suivi le déroulement du procès. Rechid Pacha fit ainsi état à Guizot de l'impossibilité de traduire en justice, une deuxième fois, un homme déclaré innocent, ce qui était d'ailleurs contraire à la loi. Il accusa d'autre part le consul de France d'avoir demandé aux Pachas turcs la condamnation à mort de Naked sans jugement. Mais Guizot se contenta seulement de réclamer l'exil à Istanbul de Ebou Naked pour qu'il y soit statué sur sa conduite, comme réparation politique pour le gouvernement français. Rechid Pacha accepta alors cette exigence française et de plus il fit savoir au ministre que la Porte était prête à faire réparer les couvents détruits et à faire juger l'officier (Kol agâsi), accusé de s'être mêlé aux dévastations, par un conseil de guerre. 110 Âli Pacha (1814-1871) un des plus connus des hommes d'Etat turc à l'époque du Tanzimat. Il représenta la Turquie à la conférence de Paris de 1856. Il assuma cinq fois la tâche du Grand Vizirat. MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 193 Ces dernières paroles de l'ambassadeur furent en effet accueillies avec satisfaction par Guizot u l . 2) Le déplacement provisoire à Beyrouth des ressortissants étrangers: sur ce sujet le point de vue de Rechid Pacha était raisonnable, car il déclara à Guizot que la nécessité de faire habiter provisoirement les étrangers à Beyrouth ne provenait que du souci de la Sublime Porte de protéger leur vie en cas de recours à la force par les autorités turques pour réprimer les troubles que pourraient vraisemblablement provoquer l'application et l'exécution des principes du mémorandum. Il attira également l'attention du ministre français sur le fait qu'en cas de désordres la Porte ne pouvait protéger la vie de ceux qui refuserait de quitter leur place, bien qu'elle pût préserver et protéger tout ce qui appartenait aux convents et aux étrangers. En outre il reprocha au consul et à l'ambassadeur de France d'avoir protesté contre les décisions de Chékib Efendi et en particulier d'avoir demandé, sans raison, à la Porte l'indemnité de déplacement pour les français, en rappelant à Guizot le droit de chaque Etat indépendant de prendre, à son gré et sans ingérence extérieure, des mesures nécessaires, si vigoureuses fussent-elles, pour rétablir l'ordre à l'intérieur du pays et réprimer ceux qui n'obtempéraient pas à ses injonctions " 2 . Malgré les allégations de l'ambassadeur ottoman, Guizot se monta intransigeant à ce sujet. Selon ce dernier, étant donné que la France avait une présence particulière dans les domaines politiqueret économiques ainsi que religieux au Liban pai rapport aux autres Puissances, le gouvernement français ne pouvait pas rester indifférent au sort de ses ressortissants et accepter leur déplacement sans aucune indemnité ni garantie effectives. D'autre part, ayant qualifié la décision de la Porte de contraire aux accords existant entre les deux Etats, Guizot indiqua qu'il soutenait entièrement les vues de Bourqueney et qu'il lui ordonnerait d'insister sur sa position et de ne pas céder devant l'obstination de la Sublime Porte. On voit bien qu'il était difficile pour l'ambassadeur ottoman et le ministre français de s'entendre et par conséquent d'arriver à un compromis sur l'indemnisation des français, en raison des divergences de vues évoquées plus haut. Enfin ils laissaient à la Porte et à Bourqueney le soin de discuter et de résoudre ce problème à Istanbul 113 . 111 Corres. de Rechid, le 10 zilkade 1261 (Le 10 Novembre 1845). in Kaynar 485. 112 Corres. de Rechid, le 10 Z İ L K A D E 1261 (le 10 Novembre 1845) in Kaynar 486- 113 Corres. de Rechid, le 10 zilkade 1261 (le 10 Novembre 1845) in Kaynar 486-487. 487. i20 BAYRAM KODAMAN 3) La politique menée par les représentants du gouvernement français dans la Montagne: il s'agissait là surtout de la politique du consul de France à Beyrouth, Poujad, car la Sublime Porte n'avait pas cessé de se plaindre de sa conduite hostile et de ses activités subversives contre la politique des Pachas turcs chargés d'assurer la paix et la sécurité par l'application des décisions prises par elle en accord avec les Puissances. De même Rechid Pacha réitéra de justes plaintes de son gouvernement et demanda à Guizot de conseiller à Poujad ainsi qu'aux autres fonctionnaires français à Istanbul de ne pas entraver les décisions, les initiatives et les projets des autorités turques mais, au contraire, de les aider dans la solution du problème du Liban. Ayant répondu par l'affirmative à cette demière demande de Rechid Pacha, Guizot finit par déclarer ce qui suit: "tant que Chékib Efendi respectera, pendant l'exécution de sa mission,les principes tracés dans la note que la Porte a présentée aux ambassadeurs étrangers à la suite des pourparlers officiels (avec ceux-ci) nous (la France) ne dirons rien; Mais s'il dépasse les objectifs strictement impartis à sa mission en profitant de la situation actuelle et de la présence de l'armée (de Namik Pacha) au Liban, des complications et des désaccords pourront évidemment en résulter114". A la suite de cette conversation Rechid Pacha informa la Sublime Porte des demandes du ministre français des Affaires Etrangères. Alors elle expulsa Ebou Naked du Liban et l'exila à Istanbul comme réparation politique exigée par la France; elle fit même venir l'officier turc, rendu coupable de dévastation des couvents catholiques, à Istanbul, pour le traduire devant un tribunal militaire. Sur ces entrefaites, Chékib Efendi, venu à Dayr-al-Kamer, fit, le 13 sewal 1261 (le 15 octobre 1845), une déclaration en arabe qui prévoyait 115 : 1) Désarmement de la Montagne 2) Amnistie générale 3) Le payement des indemnités 4) Les attributions des Vékils, etc. Ensuite, pour réprimer toute tentative de révolte et toute opposition à ses projets, le ministre ottoman fit arrêter les principaux chefs chrétiens et 114 Ibid. 115 Pour le texte turc de cette déclaration voir Lutfı Tarihi VIII pp. 395-400. MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA '195 Druses y compris les Kaîmakams, qui refusaient, tous, le désarmement général116. Par la suite, il commença à procéder au désarmement dans la Montagne. Mais toutes les mesures prises par Chékib Efendi furent contestées par les consuls et ambassadeurs étrangers et par la suite suscitèrent la réaction des Puissances et de l'opinion publique européenne qui voyaient dans la politique du ministre ottoman la fin de l'autonomie de la Montagne ainsi que la fin de leurs intérêts117. Devant cette situation la Sublime Porte révoqua Chékib Efendi du poste de ministres des Affaires Etrangères afin d'empêcher les pressions et les interventions des Puissances à Istanbul et l'accrédita comme ambassadeur auprès du gouvernement anglais118. En même temps, nommant Rechid Pacha ministre des Affaires Etrangères, elle le rappela au mois d'octobre à Istanbul. Alors celui-ci après s'être entretenu, une dernière fois, avec le Roi, Thiers et Guizot sur le problème du Liban quitta Paris pour occuper son nouveau poste 119 . Pourtant, avant de quitter la Montagne, Chékib Efendi réussit à établir un système qui limitait, par les lois et les règlements, les pouvoirs administratifs des fonctionnaires indigènes et les droits féodaux des chefs libanais. Selon le système de Chékib Efendi: 1) Les deux Kaîmakams seraient nommés directement par la Sublime Porte et non par les Pachas de Saîda: Chaque Kaîmakam, en tant que fonctionnaire de l'Etat, recevrait, par mois, 12 500 piastres. Ils respecteraient désormais les lois et les règlements établis 12°. 2) La constitution des deux Divans (conseil) qui siégeraient auprès du Kaîmakam druse et du Kaîmakam chrétien présidés le premier par l'Emir chrétien. Chaque Divan aurait douze membres, un sous Kaîmakam (Mütesellim)121, cinq juges (Kadi) et six conseillers (Müstechâr) dont deux druses, deux maronites, deux Melkites, deux grecs catholiques, deux musulmans, un métouali. Les deux Divans répartiraient les impôts dont 116 Lutfı. VIII. p.6o (note d'AMurrahman Seref). 117 H . U L M A N . article cité. p. 264. 1,8 Lutfı Tarihi. VIII. 63. (notr d'Abdurrahman Seref). Rechid Pacha envoya à la Porte sa dernière correspondance sous la date du 19 zil- kade 1261 (le 20 novembre 1845). 120 Lutfı Tarihi. VIII. 106-107 121 Mütesellim: titre qu'on donnait au sous gouverneur d'un district. Il préside le Di- van en l'absence du Kaîmakam. "74 B A Y R A M K O D A M A N la perception et le recouvrement étaient confiés aux Kaîmakams, aux Mukataajis et aux Vékils. Les juges se prononceraient sur les questions judiciaires; toutefois, le Kaîmakam, sur l'appel de la partie codamnée, était tenu de faire reviser le procès122. Si dans les questions d'impôts, le conseiller et le juge d'une communauté se refusaient à signer le rôle d'impôts en prétextant qu'il était préjudiciable aux intérêts de ceux qu'ils représentaient, l'affaire serait réglée par le Pacha de Saîda, en dernier res sort123. 3) L'institution des Vékils subsista dans les districts mixtes. Malgré toutes les difficultés qu'il avait rencontrées pendant la nomination des Vékils en raison de l'opposition d'une partie aux candidats de l'autre partie, Chékib Efendi arriva à résoudre ce problème complexe par sa conduite impartiale envers les deux communautés. En conclusion, le règlement de Chékib Efendi fut immédiatement mis en vigueur. Les Puissances occidentales y donnèrent leur consentement voulant clore, par là, ce chapitre important de la question d'Orient. De leur côté les communautés désiraient d'ailleurs le retour à la paix et à la sécurité; elles acceptèrent donc ces nouvelles dispositions. Ainsi, grâce au règlement de Chékib Efendi, le calme régna dans la Montagne jusqu'en 1860124. 122 de la J O N Q U I E R E . op.cit. p. 504-505. Pour le détail voir Lutfi. VIII. 443-451. Lrs instructions données aux Kaîmakams par Chékib Efendi. 123 124 1966. Pour la crise de 1860-1861 voir H . U L M A N . 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara BIBLIOGRAPHIE I. D O C U M E N T S INEDITS : Başvekâlet Arşivi (B.A.) : Archives du Président du Conseil (Istanbul). Hatt-i Hümâyûnlar (H.H.) Nâma-i Humâyun Defteri, n° 11. Mesâil-i siyâsiye dosyalari (Hariciyye) : Dossiers des questions politiques. (Le numéro de chaque document est indiqué dans les références). Archives Françaises du Ministère des Affaires Etrangères (A.A.E.) Paris. TURQUIE, vol. 269-283. TURQUIE, Mémoires et Documents. TURQUIE, Les affaires générales. (Le numéro de chaque document est indiqué.) II. D O C U M E N T S PUBLIES : Nâmik Paşanin Londra elçiliği (l'ambassade de Namik Paşa à Londres) in Tarih Vesikalari; t. II-III. 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A h m e d Arslan (Emir): 178, 180, 181. A h m e d Behçet Efendi: 179. A h m e d Bey (Gouverneur de Constantine) 75- 76, 77. 78. 80, 82, 88,89. A h m e d Ejeial Bey: 179. A h m e d Fevzi Pacha: 101. A h m e d Liitfi: 107, 112. Akif Efendi: 19, 131. 9 ' . 99. I0 3> 104> io 5> io 9> » 2 , 113. 117, 118, 119, 122, 123, 126, 128, 132, >33. 136, 137. >38. 143. '47. 157. ' 5 7 . 158, 163, 164, 165, 166, 174, 183, 184, 185. A n n a b e (Bône): 47, 89, 90. Apponyi (Comte, l'ambassadeur autrichien): 121. Arabie: 115, 134, 142. Arsenal: 7 Asie Mineure: 26, 97, 99, 100, 112, Autriche: 2, 40, 44, 45, 46, 54, 60, 62, 63, 64, 91, 104, 108, 109, 110, 121, 132, i 3 8 . '39. '42. 143. '49. l 6 6 > '83A y a z Pacha (le quartier d'Istanbul): 17. — B — Akif Efendi (Köse): 17. Bacri: 38. A k k a (Acre, Snt. J. d'Acre): 97, 114, 127, 128, 135, 139, 140, 142, 144, 145. Alanya: 20 Baden: 54, 55. Balkans: 1, 2, 29, 97, 103. Baltalimani (district d'Istanbul) 14. Béchab: 161. Albanie: 19. Alep: 97, 188. Alexandrie: 20, 95, 105, 107, 142, 144. H5> 148. Alger: 39, 40, 41, 42, 43, 44, 49, 50, 54, 70, Algérie: 37, 39, 40, 41, 42, 48. 49. 5 ° . 5 2 . 55- 58, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 78, 80, 81, 82, 83, 84, 92, 106, 117, 124, 125. 113, '25- 43, 59. 71, 85. 44, 45, 47, 60. 6 1 . 63, 74, 76, 77, 86, 90, 91, Ali Efendi (Pacha): 192. Ali Pacha (le fils de Y u s u f Pacha Bey de Tripoli): 75, 76. Ali Pacha (de Tépédélen): 3. Ali Riza Efendi (Darphane Nazırı): 21. Alix Desgranges: 150. Angleterre (Grande Bretagne): ı ı , 12, 13, 14, 28, 40, 42, 44, 46, 48. 54, 59, 60, 61, 62, 63, 67, 68, 73, 77 84, 86, 87, Béchir C h é h a b (Emir): 119, 162, 163, 167, 168, 169, 170, 172, 173, 176, 177, 182, 184, 187. Belgique: 14, 45. Belgrade: 2, 54. Berlin: 8. Berriuet'süs-sam: 135. Beyazıd II: 15. Bey lan: 97. Beyrouth: 144, 162, 165, 166, 168, 16g, 170, 172, 173, 180, 187, 188, 189, 190, 191, 193, 194. Boghos Bey: 145. Bonaparte: 93. Bosphore: 14, 50, 100, 104. Bourqueney (Baron de, Ambassadeur de France): 171, 172, 190, 191, 192, 193. Broglie (Duc de): 71. Brousse: 16. INDEX 204 12», 130, 138, 147, Bucarest: a, 79. Bulwer: 14. Busnach: 38. Büyükdere: 100. — C — Caire: 93. C a p Boujaroni: 41. Casimir Périer: 42. Charles IX: 12. Charles X : 47, 90. Charles de Lorette: 189, 191. Chékip Efendi (Şekip): 138, 148, 189, 190, 191. '93. '94. '95. 196. Clauzel: 88. Coblin (Général): 54. Constantine: 80, 82, 83,88, 89, 92. Cor (Drogman de l'ambassade française) >57. 171Crête: 19, 112, 114, 134, 135, 140, 142, 143— D — Dalmat'e (Duc de, Maréchal): 135. Damas (Şam): 113, 180. Damrémont: 89. Danemark: 14. Dardanelles: 101. Davut Pacha (l'un quartiers d'Istanbul) 17. D a y r a l Kamer. 164, 181, 186, 194. Désages: 81, 114, 119, 120, 121, 171, 174, 1 75Etjâdda: 135, 140. Djeble Drusé: 170. Djouney: 144. Druses: 161, 162, 163, 164, 169, 171, 172, '75. 177. 178, 180, 181, 184, 186, 187, 188, 189, 195. — E - Ebou Naked: 192, 194. Edime (Adrinople): 18,91, 179. Egypte: 13, 19, 20, 26, 40, 47, 49, 50, 54, 6o, 61, 63, 80, 81, 84, 86, 90, 91, 93, 93, 95, 96, 101, 102, 106, 107, 108, 109, 110, m , 112, 113, 114, 117, 119, 121, I3t, 139, I48, 122, 123, I24, 125, 127, 129, 132, I33, 134, 135, 136, 137, I40, 142, 143, 144, I45, 146, I49, I50, 15i, 155, 165. Emin Chéhab (Emir du Liban): 184, 186. Empire Byzantin: 23. Esad Muhlis Pacha: 173, 174, 176, 178, 180, 186, 188. Espagne: 14. — F — Fethi Bey 'l'ambassadeur Ottoman à Vienne): 79France: 12, 14, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44. 45. 47. 48. 49. 5°. 5 i . 58. 53. 54. 55. 56. 57. 58, 59. 60. 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 73, 74, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 98, 99, 104, 105, 106, 107, 109, IIO, I I I , 112, 113, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, I24, 129, I32, I34, I35, 136, 137, 139, 14i, 146, 155, 156, 158, 163, 164, 165, I74, I75, l82, 183, 184, 185, 188, 190, 19'. '94— G — Gaston Wiet: 102. Gelibolu: 17. Gérard (Maréchal, le Premier Ministre) 58. Grèce: 91, 95, 102, 103. Gülhane: 28, 29, 138, 157, 161. Guilleminot (l'ambassadeur de France): 40, 58, 59, 64, 66, 67, m , 116, 118. Guizot (Ministre français des Affaires Etrangère): 156, 157, 165, 167, 168, 169, 170. 171, 175, 176, 184, 186, 188, 189, 192. 193, 194, 195. — H — Hafiz Pacha: 129. Halil Hamit Pacha: 25. Halil Rifat Pacha: 20, 107, 108, 173, 177, 178. 181, 185, 186, 188. Hamdan Efendi: 47, 48, 49, 60, 74, 75, 83. Hasan Pacha (le dey d'Alger): 38. 205 INDEX Hasun Efendi: 60. Haydar (Emir): 178, 180, 181. Henri III: 12. Hicaz (Hidjaz): 93,95. Hollande: 14. Homs: 97. Hurşit Pacha (Grand vizir): 2, 3. Hünkâr iskelesi: 26, 47, 49, 59, 100, 101, 102, 104, 107, 116. Hüseyin (Bey de Tunis): 77. Hüseyin Pacha (Au poste de Beylerbeyi d'Algérie): 37, 38, 39, 97 Hüsrev Pacha: 130. — I - Ibrahim: 137. ibrahim Ağa: 93. ibrahim Pacha (fils du gouverneur d'Egypte 20» 9 ' . 95. 9 e - 97- 98. 100, 106, 107, 108, 113, 114, 115, 119, 123, 129, 144, 161, 163. Ibrahim Pacha (de Nevşehir) : 25 Ibrahim Sarim Efendi: 127, 171, 173, 175, 178. Inde: 119. Iskodra: 97. İsparta: 16, 17. Istanbul (Constantinopla): 4, 5, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 2 i , 23, 33, 40, 47, 53, 54. 55. 56. 59. 63, 69, 70, 72, 74, 76, 77. 78, 79. 83, 86, 98, 99, 100, 101, 104, 105, 107, M I , 114, II6, 117, 122, 125, 128, 132, 136, 139, 143, 144, 145, 146, 148, 150, 156, 158, 162, 165, 166, 167, 159, 170, 171, 175, 177. "79. '80. 188, 190, 191, 192, 193. İzzet Mehmed Pacha : 144. îzzet Pacha 18. - J Janina (Yanya): 3. Jérusalem (Kudüs): 23, 122, 135Jounannin: m . — K — Kâmil Bey (Miralay): 78, 82. Kara Yorgi (Georges le Noir): t. Kasım (El Kasım, Emir) 161, 162, 163, 164, 166, 167. Kavala: 93. Koçi Bey: 25. Konya: 20, 98. Kütahya: 20, 21, 47, 48, 49, 51, 91, 98, 99, 100, 106, 107, 112, 113, 120, 121, 123. — L — Levant: 117, 180. Liban: 4, 108, 112, 114, 115, 119, 144» >55> 159, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 172, 174, 175, 176, 177. >78, 179. i 8 4 . 185, 189, 190, 194. Libye: 135. Londres: 8, 22, 27, 28, 29, 66, 86, 88, 114, 127, 128, 132, 138, 141, 142, 143, 144, 145. '47> 169Louis X V : 12. Louis-Philippe: 42, 43, 44, 45, 46, 47, 51, 52. 55. 56. 57. 58, 59. 68, 79. 82, 85, 86, 123, 168, 169, 187. — M — M a h m u d I: 7, 12,25. Mahmud II: 4, 5, 6, 9, 13, 15, 18, 19, 21, 25, 26, 27, 28, 29, 47, 48, 49, 51, 56, 72. 73' 79. 96. 98» 99- 107. '°8Malte: 159. Maroc: 91. Maronites: 161, 163, 164, 165, 169, 171, 172. 173. 175» 177. 178, 180, 181, 184, 186, 187, 188, 190. Marseille: 53, 159. Mavroyani: 54. Mazlum Bey: 148. Medine: 23. Méditerranée: 23, 37, 44, 45, 68, 90, 107, 108, 117, 118, 120, 174. Mehmed Ali Pacha (de Kavala, Gouverneur d'Egypte): 14, 18, 19, 20, 26, 40, 49, 50, 60, 61, 62, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 97» 9 e . 99. i t » . »<>3. io 4> >°5. '°6> 107, 108, 109, 110, i n , ı i 2 , 113, 115, 116, 117, 118, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133. '34. '35. ' 3 6 , 137. '38, 139» '40. INDEX 206 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 155, 161. Mehmed Bey: 75. Mehmed Djémil Bey: 179. Mehmed Said Pertev Pacha (le Ministre des affaires étrangères): 18, 19, 26, 107. Mehmed Selahaddin: 50, 107. Mehmed Selim Pacha: 162, 164. Mekke: 23. Melkites: 195. M e r Noire: l o i , 102. Mersin: 20. Metternich (Prince Comte de): 3, 40, 45, 53. 54. 55. 62. 79» io 4> >08. 109, 110, 130, 131, 142, 150, 158, 1 7 2 , 1 7 7 . Miloch Obrénovitch (Prince de Serbie): 3, 54. Molé: 88. Morée: 19, 95. Munchengraetz: 104. Murad III: 12. Murad IV: 25. Mustafa III: 7. Mustafa: IV: 5. Mustafa (Kabakçı): 5. Mustafa Bey: 77. Mustafa Efendi: 15. Mustafa Nuri Pacha (Serasker): 166, 167, 168, 170. Nizip: 129, 130, 131, 134. Nouri Efendi (Nuri, Beylikdji, l'ambassadeur ottoman à Londres): 71, 85, 86, 87, 128, 138, 179. — O — O m e r Pacha (Macar): 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 175, 177, 178. Oran: 90. Orlof: 101. Ottenfel (Baron de): 54, 55. — P — Palmerston (Lord): 27, 88, 91, Ponsonby (Lord, l'ambassadeur à Istanbul) 13. 99. '37. «46. '49. ' 5 ° . 156. Pontois (l'ambassadeur français): 135, 141, 156. Pozzo di Borgo: 59, 60, 112. Prusse: 14, 44, 45, 46, 91, 104, 139, 142, 147. Mustafa Pacha (Bayrakdar, Grande vizir): — R — 5. 9— N — Nafi Efendi: 18. Namik Pacha (l'ambassadeur ottoman à Londres): 61, 62, 63, 114, 122, 190, 191» 194Napier (Amiral): 144, 145. Naplouse: 122. Naval (Duc de, l'ambassadeur de France à Londres): 40. Navarin: 96. Nedim Efendi: 156. Nedjib Pacha: 75. Nicolas I: 45. Nil: 94. Nis: 53. 128, 130, '30. '39. >42Paris: 8, 21, 22, 27, 47, 48, 50, 51, 52, 53, 55. 56. 59. 62. 66. 70, 72. 79. 80, 83, 84, 86, 88, 90, 106, 107, 108, 110, 125, 127, 129, 130, 131, 138, 155, 156, 158, 159,164, 179. Pierre Deval (Consul de France): 38, 39. Polignac (Prince de): 40,41,90. Ragib Pacha: 25. Rakka: 120, 121, 123. Rauf Pacha (Grand vizir): 158. René pinon: 102. Rifat Bey: 142, 143. Rigny (Amiral, Ministre des affaires étrangères): 64, 65, 66, 114, 123. Riza Pacha (Muchir): 150, 173. Rose (Colonel): 187. Roussin (l'ambassadeur de France): 48, 49, 51, 52, 68, 69, 77, 86, 99, 122, 123. Ruhiddin Efendi (Rouhiddin, Professeur à l'école du génie maritime): 51, 56, 70, 7>. 74. 125Rumelie: 97. Rusçuk: 5. 207 INDEX Russie: 2, 6, 18, 2g, 40, 54. 55. 59. 60. 61, 99, 101, 102, İ03, 116, 117, 118, 125, 44, 45, 46, 48, 49, 62, 64, t, 7 , 91, 98, 104, 109, 112, 114, 129, 132 135, 136, 142, 147, 14g, 182, 183, 185. 139, Tahiti: 184. Tarabya: 100. T a u r u s : 21, 100. Thiers: 27, 142, 195. T o p h a n e : 7. Toscane: 14. — S — Saida: 122, 135, 140, 144, 162, 173, 180, 188, igo, 196. Said \ l u h i b Efendi: 14g. Salih Pacha ( C o m m a n d a n t de Nis) 53. Samı Bey: 139, 140. Sardaigne: 14. Selim I: 15g. 176, 177. T o u l o n : 14. Trablusgarb: 75. Tripoli: 40, 75, 76, 78, 80, 83, 8g, 11g, 122, 123, 127, 128, 135, 140, 144. Tunis: 40, 41, 75, 76, 77, 78, 80, 83, 84, 9'. " S . 135— V — Selim III: 4, 5, 6, 7, 8, 12, 25,93. Selim Bey: 168, 170, 171, 172, 173. Serbie: 2. 3. 54, 95. Seyyid Ali Pacha (d'Isparta): 16, 17 Soult (Maréchal): 12g, 130. Stumer Baron, l'ambassadeur Varenne (Baron de, secrétaire de l'ambassade de France à Istanbul): 20, 48, 51, Selim Pacha (Grand vizir): 6, 18. autrichien): 123. Vecihi Pacha: 188, i g i . Vienne: 8, 53, 54, 55, 79, 158, 178. 140. Suez: 137. Süleyman (Magnifique): 12. Sumnu: 18. Syrie: q6. 97, g8, 100, 108, 1 1 3 . 114, 115, 118, 11g, 1 2 6 . 1 2 7 , 128, 12g, 131, 1 3 8 . 140, 142, 144, 145, — W — 10g, 110, 112, 120 122, 124, 132 133, 135, 155 15g, 165, Wellington (Duc de): 62, 66. — Y — Yaver Pacha: 148. '74— T — Tafna: 88. Tahir Pacha: (Kaptan-ı Derya): 41. 78, 173. — Z — Z e m o n : 54. 103, 108, 130,