Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris

Transcription

Les Ambassades de Moustapha Réchid Pacha à Paris
CONSEIL SUPRÊME D'ATATÜRK POUR CULTURE, LANGUE ET HISTOIRE
P U B L I C A T I O N S DE LA S O C I É T É T U R Q U E D ' H I S T O I R E
Serie VII — No. 123
Les Ambassades
de
Moustapha Réchid Pacha
à Paris
Bayram KODAMAN
IMPRIMERIE
DE
LA
S O C I É T É
T U R Q U E
^ H I S T O I R E ,
1991
CONSEIL SUPRÊME D ' A T A T Ü R K POUR CULTURE, LANGUE ET Hİ
P U B L I C A T I O N S DE LA S O C I É T É T U R Q U E D ' H I S T O I R E
Sene VII No 123
Les Ambassades
de
Moustapha Réchid Pacha
à Paris
Bayram KODAMAN
I M P R I M E R I E
DE
LA
S O C I É T É
T U R Q U E
ANKARA 1991
D ' H I S T O I
ISBN 975-16-0426-5
TABLE DES MATIERES
Pages
AVANT PROPOS
IX-X
INTRODUCTION
i
A I
II
III
IV
LA SITUATION INTÉRIEURE DE L'EMPIRE O T T O MAN (1800-1850)
— Les Insurrections
— Destruction des Janissaires (le 15 juin 1826)
— Les réformes
— L'état économique de l'Empire ottoman
1—14
1—3
4—6
6—10
10—14
12
a) Les capitulations
b) Le traité de commerce avec l'Angleterre
B - LA VIE DE RECHİD PACHA (1800-1858)
I — Les premières années de sa vie
12—14
15—21
15
15
16—17
17—21
a) Son enfance et sa formation
b) Son entrée dans ses premières fonctions
c) Les missions importantes dont il fut chargé jusqu'en 1834 ....
II - Rechid Pacha (période de 1834 à 1858)
21
a) Le rôle de Rechid Pacha dans k mouvement d'occidentalisation en Turquie
1 — Aperçu général sur les causes de l'apogée et de la
décadence de l'Empire ottoman
2 — Rechid Pacha et le Tanzimat
23—25
25—32
32
b) Application des réformes
1 — Administration locale
2 — Organisation
3 — Organisation judiciaire
23
financière
33
32
32
33
VI
LIVRE PREMIER
SES PREMIERE ET DEUXIEME
AMBASSADES
PREMIERE PARTIE
LA QUESTION D'ALGERIE ET RECHÎD BEY
A - OCCUPATION DE L'ALGERIE PAR LA FRANCE
I — La rupture du gouvernement français avec le Dey
et la prise d'Alger
B - APRES LA PRISE D'ALGER (1830-1834)
37—40
37—4c
41—46
I — Les relations diplomatiques entre la France et l'Empire ottoman
II — L'attitude des Puissances
a) L'Angleterre
b) La Russie, l'Autriche et la Prusse
41—43
44—46
45
C - LA NOMINATION DE RECHID BEY AU POSTE DE
LA LEGATION DE PARIS
I — Les motifs de cette nomination
II — Le voyage de Rechid Bey (d'Istanbul à Paris)
47~55
47—53
53—55
D - RECHID BEY A PARIS
56—73
I — Ses premiers jours
II — Préparation de Rechid Bey à ses fonctions diplomatiques
III — La déclaration de sa mission et deux entretiens
IV — Retour de Rechid Bey à Istanbul
58—63
63—69
69—73
E - UNE TENTATIVE MILITAIRE DE LA PORTE POUR
LA SOLUTION DE LA QUESTION D'ALGERIE
74—78
F-DEUXIEME
A PARIS
79—87
NOMINATION
DE
G - LA CHUTE DE CONSTANTINE
RECHID
56—58
PACHA
88—92
VII
DEUXIEME PARTIE
LA QUESTION D'EGYPTE ET RECHID BEY
A - VUE GENERALE A LA CRISE D'EGYPTE
93—105
I — Arrivée au pouvoir de Mehmed Ali en Egypte
93
H - Mehmed Ali Pacha (1805 - 1831)
93—97
IH — Les causes de la crise
95—97
IV — Le commencement et le déroulement de la première
phase de la crise
97—100
V - Le traité de Hünkâr İskelesi (le 8 juillet 1833)
100—102
VI — Les conduites des Puissances après du traité de
Hünkâr İskelesi
102—105
B - RECHID BEY ET LA CRISE D'EGYPTE
106—126
I — L'entretien de Rechid Bey avec Metternich sur la
question d'Egypte
108—110
II — Ses activités diplomatiques à Paris sur la question
d'Egypte au cours de sa première ambassade
110—126
C - LE ROLE DE RECHID
DE LA CRISE D'EGYPTE
BEY DANS LA SOLUTION
I - Période de 1837 à 1839
H - Période de 1839 à 1841
127—151
127—132
132—151
LIVRE SECOND
SES QUATRIEME ET CINQUIEME
AMBASSADES
TROISIEME PARTIE
LE PROBLEME DU LIBAN ET RECHID PACHA
A - RECHID PACHA ET LA SOLUTION DU PROBLEME
LIBANAIS
I — La désignation de Rechid Pacha à Paris
155
!55 — !59
VIII
II — Les origines du problème du Liban
a) La structure ethnique et religieuse au Liban
b) Domination égyptienne
159—161
159—160
160—161
IH — La situation au Liban (après Mehmed Ali Pacha) .... 161—164
IV — Les relations diplomatiques de Rechid Pacha avec le
gouvernement français (1841-1842)
V — Dernière ambassade de Rechid Pacha
a)
Cinquième
de Rechid Pacha
b) Le
système nomination
de double Kaimakamat
au Liban
164—178
179—181
179
179—181
VI — La politique de Rechid Pacha et la mission de Halil
Pacha
181—189
VII — Le règlement de Chékib Efendi
189—196
BIBLIOGRAPHIE
197-202
TABLE DES MATIERES
V-VIII
AVANT PROPOS
L'étude que nous avons développée dans le cadre d'un sujet de thèse,
comprend les ambassades de Rechid Pacha à Paris et par conséquent ses
relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement français sur
trois questions essentielles, celles d'Algerie, d'Egypte et du Liban.
Nous avons jugé utile de donner quelques indications concernant
notre matériel de travail. Il n'existe pas d'ouvrage, soit en turc soit en
français, traitant directement des activités de Rechid Pacha pendant ses
ambassades en France, excepté deux articles de notre professeur, Cavid
Baysun, de l'Université d'Istanbul, que nous avons indiqués dans notre
bibliographie.
Notre travail se fonde donc sur des documents d'archives. Nous avons
consulté les Archives du Ministère français des Affaires Etrangères qui
contiennent de nombreux documents concernant l'Empire ottoman. Parmi ces documents on peut citer particulièrement la correspondance et les
mémoires des fonctionnaires français en Turquie. Quant aux documents
turcs qui nous ont fourni l'essentiel de notre matériel, ils sont conservés
dans les dépôts des Archives de la Présidence du Conseil à Istanbul (Başvekâlet Arşivi). Les documents que nous avons dépouillés sont surtout des
correspondances de Rechid Pacha envoyées à la Sublime Porte et des ordres impériaux.
D'autre part nous avons abondamment utilisé des documents publiés
par le Professeur Reşat Kaynar, de l'Université d'Istanbul, qui a recueilli
dans son livre intitulé "Mustafa Reşid Paşa ve Tanzimat" non seulement
des sources d'archives mais aussi les documents se trouvant dans sa bibliothèque privée, et par Cavid Baysun qui a également publié la plupart
des correspondances de Rechid Pacha, en caractères latins, dans les revues "Tarih Vesikaları" et "Tarih Dergisi".
Il est naturellement impossible d'élargir le sujet sans consulter des sources turques contemporaines. Parmi celles-ci il faudrait notamment citer
les livres d'Ahmed Lutfi: Tarih, de Cevdet Pacha: Tezâkir, de Mustafa
Nuri Pacha: Netayicü'l-vukuat, d'Abdurrahman Şeref: Tarih Musahabeleri, de Mehmed Salahaddin: Bir Türk diplomatının evrak-i siyasiyyesi, et
d'Ali Fuat dont l'article est publié dans T T E M .
X
BAYRAM KODAMAN
Nous nous sommes efforcés, dans notre travail, de préciser le rôle politique et diplomatique de Rechid Pacha dans les trois questions précitées.
Ce qui nous importe ici, c'est l'action personnelle de Rechid Pacha et
non les grandes questions dont nous avons fait état. Pour cette raison, on
ne trouvera pas dans notre travail une analyse profonde et détaillée de ces
questions,mais plutôt un aperçu sommaire afin de situer et de rendre
compréhensible notre sujet.
Dans notre introduction, nous avons cru utile de donner un aperçu
général sur la situation de l'Empire ottoman et de préciser le rôle et l'importance de Rechid Pacha dans les réformes du Tanzimat ainsi que de
résumer ce que furent sa vie et son personnage.'Il nous faut faire état de
nombreuses difficultés que nous avons rencontrées au cours de notre travail. La plus importante de celles-ci, est que. dans des sujets aussi vastes,
le rôle de Rechid que nous traitons reste souvent minime et parfois même
insignifiant. Si bien que dans plusieurs cas Rechid Pacha est totalement
hors des événements.
Notons aussi le fait que les Archives turques étant en voie de classification, de précieux documents ont pu nous éhapper. Par ailleurs ajoutons
qu'une partie de la correspondance de Rechid Pacha que nous avons sous la main est chiffrée, donc inaccessible.
Toutes ces difficultés nous ont contraint involontairement à des répétitions et à des maladresses dans la rédaction de notre thèse. Nous espérons que le lecteur ne nous tiendra pas rigueur, car, malgré tout, ce travail est le premier traitant des ambassades de Rechid Pacha, et nous
avons la certitude d'apporter des éclaircissements sur l'action d'un homme dont la place est très grande dans l'histoire de l'occidentalisation de la
Turquie.
Nous jugeons enfin un devoir de remercier Monsieur le Professeur
Robert Mantran, de l'Université de Provence, pour le choix de ce sujet,
ses conseils et son aide toujours répétés. Si ce travail a certains mérites ils
reviennent à Monsieur le Professeur Robert Mantran; les imperfections
nous appartiennent.
BAYRAM KODAMAN
INTRODUCTION
A - LA SITUATION INTERIEURE DE L'EMPIRE
OTTOMAN
(1800-1850)
Pour expliquer en général la situation de l'Empire ottoman au début
du XIX e siècle, nous nous bornerons, dans les pages suivantes, à aborder
les événements donnant lieu à un tournant dans la vie politique et sociale
de cet empire. Au premier abord nous allons commencer par les insurrections des peuples non musulmans et des Pachas turcs.
I. Les insurrections.
Au cours de la première partie du XIX e siècle, nous voyons les territoires de l'Empire ottoman, et surtout les Balkans, devenir le centre des
révoltes, des mouvements, des agitations et des désordres causant l'affaiblissement, le morcellement et, aussi, à la fin de ce siècle, l'éffondrement
de cet immense empire.
Les Turcs, installés dans les Balkans, gouvernaient, depuis des siècles,
les pays soumis à leur domination sans chercher à exploiter leurs richesses
naturelles et, ce qui est plus important, sans chercher à convertir leurs
populations à l'islam et les assimiler.Tous ces peuples chrétiens (Bulgares,
Grecs, Serbes, Roumains) avaient gardé leur propre langue et la liberté
d'exercer leurs cultes et leurs coutumes. En effet, le régime ottoman, dans
ces régions, était plus équitable et plus humain. Et, par conséquent, les
populations non musulmanes n'avaient point pensé, sous un tel régime
juste, à tenter de se révolter contre le Sultan jusqu'au début du XIX e siècle.
Les chrétiens, exemptés du service militaire, chose importante alors
pour la sécurité de l'Empire, s'occupaient, uniquement pour leurs intérêts, de la vie économique dans laquelle n'intervenait guere le gouvernement ottoman qui n'avait pas d'autre préoccupation que de maintenir
l'ordre et la sécurité dans les territoires de son empire.
Après la Révolution française de 1789, cette situation changea dans
ces pays peuplés par une majorité chrétienne. A savoir, la pénétration des
idées libérales et nationales, déjà répandues en Europe, dans la péninsule
BAYRAM KODAMAN
2
balkanique éveilla la conscience nationale, le sentiment de liberté et l'espoir d'indépendance chez les diverses nations soumises à l'autorité du
Sultan 1 .
Au début du XIX e siècle, ces nations, profitant de la situation de
l'Empire ottoman qui était en déclin d'une part, et de l'encouragement
ainsi que du soutien des Etats européens, principalement de la Russie et
de l'Autriche d'autre part, se soulevèrent contre la domination ottomane
pour obtenir leur indépendance. Etant donné que l'insurrection de la Serbie aboutit à son autonomie, elle fut un modèle pour les autres nations.
C'est la raison pour laquelle nous voulons insister un peu plus sur ce premier exemple.
a) Insurrection serbe (1804-1817).
Vers la fin du XVIII e siècle, l'affaiblissement de l'autorité du Sultan
et la conduite tyrannique des Agas et des janissaires envers la population
provoquèrent la détérioration de la situation ainsi que la disparition de la
sécurité et de l'ordre en Serbie. Enfin, les Serbes se révoltèrent en 1804,
contre les janissaires ayant supprimé leurs dirigeants influents2. Comme
on l'a vu, le mouvement insurrectionnel fut dirigé, tout d'abord exclusivement contre ceux qui étaient responsables des désordres et qui refusaient
même de se soumettre au Sultan ou bien de respecter son autorité, non
contre ce dernier dont la Serbie reconnaissait la suzeraineté3.
Plus tard Kara Yorgi (Georges le Noir), grâce au soutien du Tzar et
de l'Autriche, se fit déclarer chef des révoltés serbes et constitua, en 1807,
une principauté. Enfin, s'appuyant sur un article du Traité de Bucarest,
signé en 1812 à la suite de la guerre turco-russe, entre la Sublime Porte
et la Russie, Georges le Noir demanda au Sultan de faire des concessions
politiques qui signifiaient en fait l'indépendance de la Serbie. Mais le Sultan, rejetant vigoureusement la demande des Serbes, envoya ses troupes et
fit envahir le pachalik de Belgrade. Hursit Pacha, devenu par la suite
Grand Vizir, commandait les troupes turques. Georges s'enfuit le 21 novembre 1813 en Autriche. La première phase se terminait ainsi en faveur
du Sultan.
1
A K C U R A Yusuf, Osmanlı devletinin dağılma devri ( X V I I I - X I X . asırlarda) publica-
tions de la Société d'Histoire turque; VIII, no ı; Istabul 1940, p. 16.
2
K A R A L , Enver Ziya, Osmanlı Tarihi, Ankara 1961, t. V ; p.104.
3
M U S T A F A N U R İ P A S A ; Netayicü'l Vukuat, istanbul, 1327; T . IV, p. 68-70.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
3
Bien qu'une délégation ait été envoyée par les Serbes à la conférence
de Vienne de 1815, en vue d'obtenir l'intervention des Grandes Puissances en leur faveur, elle se heurta à la ferme opposition du Prince Comte
de Metternich, défavorable à un Etat serbe indépendant.
Mais en 1815, Miloch Obrénovitch, pensant que le moment était venu, à la suite de nouveaux événements à Belgrade, de profiter de la situation, se mit à la tête des insurgés. Cette fois le Sultan, voulant rétablir
l'ordre en Serbie d'une part, et empêcher la Russie de s'immiscer dans
cette affaire d'autre part, accepta Miloch Obrénovitch comme chef de la
Principauté de Serbie et lui fit certaines concessions importantes.
En fin de compte, nous voyons pour la première fois, le Sultan donner à un peuple, révolté contre son autorité, une autonomie politique
dont les répercussions se sont faites sentir aussitôt dans les autres pays
balkaniques.
Précisons qu'il y eut d'autres insurrections encore plus importantes
que celle-ci. Mais dans les limites de notre sujet nous nous contenterons
d'énumérer les autres révoltes sans insister sur les détails:
b) Insurrection de la Grèce (1821-1829)*.
Soutenue par les Grandes Puissances, elle se termina parTindépendance de la Grèce(i829).
c) RivolU d'Ali Pacha de Tépedélen (1820-1822)5.
Ali Pacha de Tépédélen, qui avait tenu en échec, dans le Vilayet de
Janina (Yanya) les troupes de la Sublime Porte, fut enfin vaincu et tué en
1822 par Hursid Pacha, Grand vizir.
4 Pour ce sujet Voir: Cevdet Pacha, Tarih, Istanbul, 1309 T . X I I ; Mustafa Nuri Pacha, op. cit.pp. 74-76; Aziz B E R K E R , Mora ihtilali tarihçesi, in Tarih Vesikaları Vol. II No
7-11; K A R A L E.Ziya op cit pp. 107-118; Théophile L A V A L L E E , Histoire de la Turquie,
Paris, 1859 pp. 311-330; A K C U R A Yusuf, op. cit. pp. 17-20; R. M A N T R A N , Histoire de
la Turquie, Paris, 1961, pp. 91-94.
5 Pour ce sujet Voir: Mustafa Nuri Pacha op cit pp.72-74; Cavit B A Y S U N Tepedelenli Ali Pasa, in Aylik Ansiklopedi no IX pp. 287-289; LA V A L L E E op cit pp 317-318; R.
R E M E R A N D , Ali de Tepedelenli, pai ha de Janina, Paris 1926, trad et add par Ali K . A K S U T Istan. 1936.
BAYRAM KODAMAN
4
d) Révolte de Méhmet Ali Pacha de Kavala (1831-1841 )6.
e) Les événements du Liban
(1841-1845)1.
II. Destruction des janissaires: (le 15 juin 1826)
La destruction des janissaires par le Sultan Mahmut II a eu une
grande importance pour l'avenir de l'Empire ottoman. Après avoir rendu
au Sultan des services militaires au cours de l'apogée de l'Empire 8 les Janissaires avaient commencé à ne pas respecter l'autorité de l'Etat et par
leur insubordination, auraient causé le prochain affaiblissement de cet
Empire. Entravant fréquemment l'action de l'autorité souveraine par des
révoltes entraînant la destitution et parfois la mort des Sultans9, ils avaient crée un relâchement général dans tous les ressorts du gouvernement
ottoman et donné naissance à la plupart des mouvements insurrectionnels
des Pachas et des populations contre le Sultan10. L'influence politique des
janissaires à Istanbul avait commencé par leur dégénéressence militaire.
A partir du moment où on avait permis à tout le monde de se faire inscrire sur le liste de ce corps, les janissaires avaient acquis l'assistance et le
soutien de la majorité de la population réactionnaire et fanatique, mais
aussi, ils avaient perdu leur valeur militaire et leur discipline.
Au début du X I X siècle, les efforts du Sultan Selim III 11 et du
Grand Vizir Mustafa Pacha (Bayraktar) en vue de réorganiser le foyer des
janissaires, de créer un autre corps militaire d'après les règlements européens et de moderniser ainsi l'armée ottomane, ne donnèrent aucun ré6
Voir notre deuxième chapitre.
7
Voir dernier chapitre.
8 Bien que certains historiens attribuent l'âge d'or de l'Empire ottoman à l'héroïsme
des janissaires nous n'admettrons pas leur opinion sur ce sujet. A son apogée, comme on
sait, l'Empire avait 15.000 Janissaires qui avaient pour devoir de sauvegarder la sécurité
personnelle des Sultans. En vérité, l'armée ottomane était composée de Sipahi's timariots,
d'Akindji's, etc. A la fin d u X V I siècle les échecs militaires et l'affaiblissement de l'autorité
centrale commencèrent par l'accroissement des janissaires au sein de l'armée ottomane. Voir pour ce sujet: I.Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I , Osmanlı devleti teşkilatından kapıkulu ocakları,
Ankara 1943-1944, Voll-II, le même, Osmanlı Tarihi, Ankara 1954. Vol 111/2.
9 Pour les insurrections des janissaires voir: O . Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I Osmanlı T a rihi Vol I-IV. K A R A L cp. cit. Vol V.
10
Le bon Juchereau de Saint DENIS, Histoire de l'Empire ottoman Paris 1844 T o m e
IV p . i .
1 1 K A R A L : Selim III hatt-i humayunlan Ank 1942, Edouard D R I A U L , Selim III et
Napoléon traduit en Turc par M.Fuat K Ö P R Ü L Ü Istanbul 1331.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
5
sultat positif et en plus suscitèrent une vive réaction parmi les janissaires
et même parmi la population musulmane. En 1807, ayant à leur tête Kabakci Mustafa, il se révoltèrent contre les réformes de Selim III, le destituèrent et assassinèrent certains réformateursl2.
Mais, Bayraktar Mustafa Pacha, qui était tout dévoué à Selim III
s'indignait de voir l'Empire être gouverné par le Şeyhülislam (Grand Mufti) et par l'Aga des janissaires13.
Ce pacha dont le but était de libérer Selim III, se mit en marche de
Rusçuk sur Istanbul pour supprimer la tyrannie des janissaires. A son arrivée il annonça au nouveau Sultan Mustafa IV, porté au trône par les révoltés, qu'il venait détruire leur influence sur le Sultan. Quelques jours
après, il enleva le sceau au Grand Vizir et puis voulut entrer à l'intérieur
du sérail pour délivrer l'ex-Sultan. Mais, quand il pénétra dans la salle de
réception, il y trouva le cadavre de Selim III étranglé sur l'ordre du Sultan Mustafa IV.
Bayraktar ayant pris en main l'initiative du mouvement donna ses
ordres: le Sultan Mustafa IV fut jeté en prison et Mahmut II, âgé de 23
ans, proclamé Sultan.
Bayraktar, nommé Grand Vizir, reprit de nouveau les plans de réforme tentés par Selim III. Mais les janissaires se révoltèrent encore une fois
en 1808, contre lui, et mirent le feu à sa résidence. Bayraktar, qui s'était
réfugié dans la réserve à poudre, s'y suicida alors par le feu. Ces derniers
triomphes des janissaires entre 1807-1808, avaient accru leur indiscipline.
Ne respectant aucun pouvoir, ils commettaient des vols et s'adonnaient à
la débauche. Leurs activités mettaient en cause l'existence de l'Empire ottoman et inquiétaient les autorités et les partisans des réformes.
Le Sultan Mahmut II, tendrement attaché à la mémoire de Selim III
dont il avait adopté les idées de réforme14, cherchait, depuis son avènement en 1808, l'occasion de supprimer les Janissaires indisciplinés et même dangereux pour lui. Mais il n'avait pas dévoilé ses intentions et cachait ses projets de réforme, si bien que personne ne soupçonnait en lui de
tels désirs.
12
L A V A L L E E op.cit.pp. 289-29:;; K A R A L op.cit.T.V pp. 77-83.
13
I. Hakkı U Z U N Ç A R Ş I L I Meşhur Rumeli ayanlarından....
14
juchereau de St DENIS, op. cit. T . I V , p.2 of. K A R A L op. cit. vol. V. p. 142.
BAYRAM KODAMAN
6
En 1826 Mahmut II résolut d'agir; il tint avec ses ministres et ses
pachas, des conférences où il fut décidé qu'on tirerait de l'Odjak (du foyer) des janissaires les hommes qui, sous le nom d'Akindji (soldat actif),
seraient exercés à l'européenne. On gagna les principaux chefs, qui tous
s'engagèrent à soutenir la formation d'un nouveau corps militaire.Les Ulémas consultés donnèrent leur consentement et une grande assemblée se
tint chez le Şeyhülislam. Selim Pacha, grand vizir, présenta les propositions suivantes:
1) Le corps des janissaires serait supprimé;
2) Chacun des cinquante et un Odas d'Istanbul fournirait 151 hommes aptes au service et qui seraient instruits et entrainés à l'européenne.
D'autres propositions concernant la réforme militaire furent adoptées à
l'unanimité. Mais comme au temps de Selim III, la nouvelle décision prise par le Sultan et par les membres du Divan, provoqua des plaintes et
enfin un soulèvement de la part des Janissaires15.
Mahmut II, convaincu que la grande masse du peuple musulman
était devenue hostile aux janissaires et que les Ulémas, autrefois leurs protecteurs zélés, blâmaient leurs excès, ordonna résolument aux pachas fidèles la destruction de leur foyer 16 . Ainsi les janissaires devenus nuisibles
pour l'Empire et hostiles à toutes réformes, furent supprimés en un jour,
dans leur caserne, sur l'ordre du Sultan 17 .
En substance, par la destruction de ce corps, la voie était ouverte aux
réformes ultérieures. Mais la disparition des janissaires entraînait la nécessité presque immédiate, pour le Sultan, de modifier la plupart des institutions ottomanes. Or l'Empire ottoman, à notre avis, n'était point préparé
à une telle tâche dont la réalisation urgente dépend d'un cadre réformateur.
İÜ. Les réformes:
a) Début des réformes:
Durant le XVIII e siècle, la supériorité des états européens et surtout
l'agrandissement de la Russie aux dépens de l'Empire ottoman avait fait
comprendre à certains hommes d'état et aux sultans la nécessité de réfor15
Mustafa Nuri Pacha, op. cit. IV', p. 76-77.
16
İbid.
17
K A R A L op. cit., T . V , p. 146-147.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
7
mer et de moderniser les institutions ottomanes. Ce fut le commencement
d'un mouvement d'occidentalisation18.
Ce mouvement se manifesta d'abord par l'introduction de l'imprimerie dans l'Empire en 1729, c'est à dire 289 ans après sa découverte en
Europe. Pendant les années 171H-1730 (l'Epoque des Tulipes)un fait nouveau intervint: le début des relations entre les européens et les Turcs
(l'énvoi d'ambassadeurs, visites réciproques, etc...)19.
Lors du règne d'Ahmet III (1703-1730), nous voyons les dirigeants ottomans préparer les esprits à une réforme militaire. A cette fin, on distribua aux hommes d'état une brochure mettant en relief la supériorité de
l'armée autrichienne sur celle de l'Empire ottoman20.
Ces tentatives suffirent à susciter le fanatisme populaire et provoquèrent en 1730 une révolte qui eut pour conséquence la chute du Sultan
Ahmet III, l'assassinat du Grand Vizir Ibrahim Pacha de Nevşehir, et la
suppression totale des réformes effectuées en douze ans, exceptée l'imprimerie.
Pourtant l'idée de modernisation continuait à se développer sous les
règnes de Mahmut I er (1730-1754), de Mustafa III (1757-1774) et d'Abdulhamid I er (1774-1789). Mais précisons que toutes les réformes faites ou
restées sur le papier à l'époque de ces trois sultans, furent limitées au domaine militaire, c'est à dire à la réorganisation du corps des bombardiers,
à la fondation des écoles militaires, à l'adoption de la nouvelle tactique
sur les champs de bataille, à la formation d'un nouveau corps d'artillerie,
à la réorganisation de la fonderie de Tophané et de l'Arsenal 21 .
b) Epoque de Sehm III
(1789-1807).
A l'avènement du Sultan Selim III, nous voyons l'Empire ottoman
entreprendre à nouveau les réformes qui avaient été interrompues par les
guerres turco-russes( 1768-1775 et 1788-1792). Selim III forma un projet de
18
C e terme appartient à notre professeur Enver Ziya K A R A L .
" K A R A L , "Tanzimattan evvel garblılaşma hareketleri"in Tanzimat, p. 20.
20 Faik Resid Unat, "Ahmet III devrinde İslahat takriri" in Tarih vesikaları 1941, vol.
1/2, p.107. Cette brochure rédigée en foıme de dialogue par Esad Mehmet Efendi (chroniqueur)et présentée au Sultan par le Grand Vizir Ibrahim Pacha, prévoyait une profonde réforme dans l'armée et dans l'administration de l'Empire.
21 E . Z . K A R A L , " L a transformation de la Turquie d'un empire oriental en un Etat
moderne et national", in Cahiers d'Histoire Mondiale, 1958, IV/2,p.42g.
BAYRAM KODAMAN
8
rénovation de l'Empire, sous le nom de Nizam-i Djedid (Ordre nouveau)22. Un officier fiançais écrivait à ce sujet: Au commencement du XIX e siècle, le Sultan(Selim) forma le projet d'abolir les Janissaires, de détruire les prétentions des Ulemas, d'abattre le pouvoir du Mufty(Seyhulislam...) et enfin de régénérer sa nation en la faisant participer aux découvertes des Européens dans le domaine des arts et des sciences, à leurs institutions, à leurs progrès dans l'agriculture, le commerce et la civilisation 23 .
Le Nizam-i Djedid apporta d'abord des modifications dans la structure de l'armée, mais encore insuffisantes24. La réorganisation des janissaires ne donna aucun résultat positif. Malgré tout, l'organisation d'une armée de 12000 soldats réussit avec l'aide d'officiers français25. En même
temps Selim III releva l'Ecole de Marine et fonda une nouvelle Ecole
d'Artillerie. Il fit accepter la langue française comme langue auxiliarie de
l'enseignement et fît traduire les ouvrages militaires étranfers26. Et surtout
Selim III créa des ambassades permanentes en Europe: à Vienne, à Berlin, à Londres et à Paris27. Il accepta les régies de la politique extérieures
de l'Europe, et la diplomatie valable pour cette époque28.
Selim III désirait réformer l'Empire ottoman en déclin, non seulement sur le plan militaire et politique mais aussi sur le plan administratif,
économique et monétaire29. Mais, après ces innovations, il fut considéré
par les janissaires, les Ulemas et la population fanatique comme le destructeur de l'Islam. En 1807 une révolte, contre lui et contre ceux qui voulaient régénérer la Turquie, eut pour résultat la suppression totale des
réformes entreprises et prévues30. Plus tard les réformes furent à nouveau
22 Pour les projets concernant le Nizam-i Djé<lid voir: K A R A L , "Nizami Cedit-vol.
11/8, p. 104-111 ; vol. II, p. 342-351; vol. II/12, p.424-432.
23
Juchereau St.DENIS, Révolution à Constantinople. Paris 1822,1.
25
R . M A N T R A N : Histoire de la Turquie (Que sais-je?) Paris 1961 p.84.
25
Ibid.
26
K A R A L "Tanzimattan evvel garblılaşma hareketleri" in Tanzimat, p.26-27.
27 Maurice H E R B E T T E : " U n e ambassade turque sous le Directoire". Paris 1902 Livre consacré à l'envoyé de Selim III, Esseyyid Ali Efendi
28
K A R A L Osmanlı Tarihi, vol. V , p.73.
29
K A R A L Tanzimat p.27.
Pour les réformes de Selim III Voir: K A R A L , Selim III ün Hatt-i humayunlan,
Ankara 1942; Le même Selim III ve Nizami Cedid Ankara 1946. Pour l'abolition de Nizami cedid, Talat Mümtaz Y a m a n "Nizami-Cedidin lağvına dair" in Tarih Vesikaları T.2 N o
12.
30
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
9
reprises par Bayraktar Mustafa Pacha, Grand Vizir. Mais aussitôt ses tentatives furent entravées par une autre révolte.
c) Réformes du Sultan Mahmut II
(1808-1839)n.
En 1826, une fois débarrassé des Janissaires32 Mahmut II jeta les bases de la nouvelle armée ottomane et fonda une école militaire pour former des officiers, ainsi qu'une Ecole de Médecine. Plus de 30 étudiants
turcs furent envoyés en Europe afin d'y étudier. Un bureau fut crée pour
traduire non seulement les ouvrages, mais également les lois essentielles
des pays européens 33.
Mahmut II, en quittant la politique d'isolement et en créant des ambassades permanentes dans les grandes capitales de l'Europe, commence
à suivre une politique d'équilibre avec les Etats étrangers. Malgré les crises intérieures et extérieures, le Sultan, encouragé par certains Hommes
d'Etat favorables aux réformes et aidé surtout par Réchid Pacha, entreprit
la série des réformes suivantes:
Militaires: a) Création d'Asakir-i Mansure-i Muhammédiyé (le nom
de la nouvelle armée).
b) Fondation des Ecoles militaires.
c) Adoption de techniques modernes.
Administratives: a) Modifications du système de gouvernement en créant des ministères et des conseils pour préparer les
projets de lois.
b) Réorganisation de l'administration, de la justice et
de la police.
c) Abandon de certaines coutumes anciennes.
Sociales et Culturelles^ a) L e r e c e n s e m e n t ,
b) Introduction des usages et des modes européens.
3 1 Pour les réformes de Mahmut II Voir: E N G E L H A R D , la Turquie et le T A N Z İ M A T Paris 1880. K A R A L "Ragip Efendinin İslahat layihası, projet de réforme de Ragip
Efendi* nin Tarih Vesikaları 1/5 pp. 356-369.
3 2 Voir Page 4: la destruction des Janissaires; à ajouter Caussin de P E R C E V A L , Précis historique de la destruction des Janissaires; à ajouter Caussin de P E R C E V A L , Précis
historique de la destruction des Janissaires par le Sultan M a h m u d II en 1826. Paris 1830.
33
K A R A L in Cahiers d'histoires mondiales p. 433.
10
BAYRAM KODAMAN
c) Enseignement primaire obligatoire.
d) Fondation des Ecoles Civiles.
e) Publication du premier journal officiel (Takvim-i Vekayi).
f) Adoption de l'usage du passeport.
Médicales: a) Application de l'usage de la quarantaine.
b) Edification de nouveaux hôpitaux et écoles médicales.
c) Distribution de Brochures concernant les questions sanitaires.
Economiques: a) Limiter les importations.
b) Interdiction d'importer des tissus européens.
c) Fondation d'usines textiles.
d) Soutien du secteur privé.
IV. L'état économique de l'Empire ottoman:
L'Empire ottoman qui, aux XVI e et XVII e siècles, était parvenu à
l'apogée de sa puissance politique et militaire, vivait alors également dans
d'excellentes conditions économiques34. L'industrie et l'agriculture du
pays suffisaient aux besoins de l'Empire. Les produits importés comprenaient seulement certains articles de luxe 3 '. D'ailleurs les exportations de
l'Empire dépassèrent toujours les importations jusqu'au XIX e siècle. Les
produits exportés furent essentiellement des produits manufacturés. Cependant, au XIX e siècle, la situation se mit à changer.Le chiffre des importations dépassa celui des exportations et les produits exportés comprenaient surtout des matières agricoles et des produits alimentaires. La cause essentielle de ce changement fut évidemment la grande révolution industrielle en Europe. Ce mouvement industriel, qui consista en une série
34 Le système économique dû au régime agraire que créèrent les Ottomans, était supérieur à celui qui fut alors appliqué en Europe. Le régime agraire de l'Empire ottoman
s'appuyait essentillement sur les principes du Coran et du droit de l'Islam ainsi que sur les
traditions des Turcs. Sur ce sujet voir: " O m e r Lutfi B A R K A N , X V ve X V I . asirlarda Osmanlı imparatorluğunda Zirai ekenominin hukuki vr mali esasları, i. kanunlar (les fondements judiciaires et financiers de l'économie agrairr dans l'Empire ottoman aux X V e et
X V I e siecles) Istanbul 1943.
Le même auteur: "Türk Toprak Hukuku Tarihinde Tanzimat.... (Les réformes dans
l'histoire du droit foncier turc...)in Tanzimat, p. 323 - 3 1 1 .
35 "La Turquie contemporaine" publié par la direction générale de la presse au ministère de l'Intérieur. Ankara 1935. p.44.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 19
progressive de découvertes et d'applications de la technique industrielle,
acheva l'asservissement économique de la Turquie. Car, alors que le développement du capitalisme commercial et du mercantilisme prenait l'Empire ottoman sous sa domination et que l'accumulation des capitaux commerciaux s'accroissait, le développement du machinisme mettait plus encore cet empire, qui était déjà un marché ouvert, sous la domination du
capitalisme industriel de l'Europe. Les produits étrangers entrant en masse et à bon marché eurent vite fait d'épuiser les dernières ressources de
l'industrie moyenâgeuse de l'Empire ottoman.
En effet après 1830, surtout à la suite de la signature de la convention commerciale de 1838 avec l'Angleterre et plus tard avec les autres pays
européens, on voit l'industrie nationale de la Turquie aller à sa perte, les
ateliers et les métiers faire faillite. L'importation des produits étrangers
augmenta sans cesse d'une manière dangereuse pour l'économie intérieure du pays36.Les commerçants, profitant de la faiblesse de l'Empire et des
relations avec les Européens à des fins politiques et commerciales jouaient
le rôle d'intermédiaires aux dépens de la Turquie et aidaient à écouler
ces produits étrangers sur les marchés intérieurs loin des côtes. En outre
les agents, qui s'occupaient de faire fructifier les capitaux étrangers dans
l'Empire ottoman, étaient choisis parmi les chrétiens ou bien les populations non turques37. Par contre la population turque, sur laquelle pesait tout le poids d'une souveraineté immense et des guerres continuelles durant
la période de 1800 à 1856, perdait de plus ses fonctions dans l'ordre économique du pays.
De plus, les insurrections nationales, les révoltes des Agas et des Pachas, les échecs militaires ainsi que les désordres sociaux, ravageaient l'Empire ottoman et le mettaient dans une situation difficile devant Etats européens qui s'étaient chargés depuis de démembrer l'Empire, d'en tirer des
avantages politiques et d'en faire un marché ouvert. Ainsi la diminution
des revenus, un budjet déficitaire38 et l'accroissement des dépenses militaires furent la cause inéluctable et essentielle de la faiblesse de l'Empire
ottoman au cours du XIX e siècle.
36 "La Turquie contemporain»-" publié par la direction générale de la presse au ministère de l'Intérieur. Ankara 1935, p 44 .
37
K A R A L : op. cit. Vol. V, p. 163.
38
Pour la situation financière, voir: Mustafa Nuri Pacha, op. cit., p. 112 à 119; ainsi
que BELIN: "Essai sur l'histoire économique de la Turquie" Paris 1865.
12
BAYRAM KODAMAN
a) Les capitulations:
39
Au XIX e siècle, qui fut une époque d'asservissement économique pour l'Empire ottoman, les capitulations servirent aux puissants états européens et furent des instruments de pression politique et commerciale contre la Sublime Porte. Ces capitulations originellement un ensemble de privilèges accordés par les Sultans aux étrangers, en ce qui concernait leurs
droits de résidence et de commerce dans l'Empire ottoman. Au début les
privilèges et les traités n'avaient eu d'autre but que de pourvoir à la sécurité des intérêts des pays étrangers ayant des rapports commerciaux avec
la Turquie.
La première concession de cette nature fut accordée en 1535 par le
Sultan Süleyman le Magnifique à la France. La seconde capitulation eut
lieu en faveur du Roi de France Charles IX, sous le régne du Sultan Selim II en 1569. La France en outre obtenait la préférence quant aux relations commerciales de la Turquie avec les pays européens. De plus les vaisseaux de ceux-ci ne pouvaient entrer dans les eaux turques qu'à la condition d'arborer le drapeau français40. La troisième concession fut accordée en 1581 au Roi de France Henri III par le Sultan Murad III. La dernière fut enfin octroyée en 1740 par Mahmut Ier à Louis XV.
Par la suite, étant donné que les autres états européens avaient obtenu des Sultans les mêmes droits commerciaux, l'indépendance économique et même politique de la Sublime Porte se trouvait presque annihilée,
au XIX e siècle, par cette pesante limitation. Puis l'Empire tout entier
tomba au niveau d'une semi colonie au cours de la même époque. Le fait, pour l'Empire ottoman, de ne pouvoir librement disposer ou contrôler
ses douanes, fît de lui un marché ouvert aux étrangers. En substance il
ne restait plus aux Turcs la moindre chance de développer leur industrie
et leur économie nationales.
b) Le traité de commerce avec l'Angleterre:
(le 16 août 1838—25 cémaziyelewel 1254)
Malgré les capitulations, il y avait encore certains points économiques
dont se plaignaient les états capitalistes, l'Angleterre en premier lieu.
A savoir:
39
Pour ce sujet voir:la collection d'histoire de l'Empire ottoman, publiée par la Socié-
té d'Histoire turque; vol. II-VIII.
40
La Turquie contemporaine; op. cit.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
13
1) L'interdiction pour les étrangers au droit de commerce à l'intérieur
du pays.
2) L'application de l'usage du YED-IVAHID (monopole).
3) Pour les étrangers l'absence du droit d'acheter et de posséder de la
terre dans l'Empire 41 .
Le gouvernement anglais, désireux de profiter de la situation politique assez difficile de la Sublime Porte devant l'accroissement du danger
présenté par Mehmet Ali Pacha, gouverneur d'Egypte 42 , chargea son ambassadeur à Istanbul, Lord Ponsonby, d'engager des négociations et d'obtenir de la Porte l'abolition du Yed-i vahid sur les marchandises exportées
et importées43 et l'admission sans droit d'entrée dans tous les ports ottomans, des marchandises destinées au simple transit à travers les provinces
de l'Empire44.
Quant à la demande de l'abolition de tous les monopoles, elle paraissait devoir rencontrer une forte opposition de la part du gouvernement ottoman. Mais le Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, Rechid Pacha, crut voir dans cette suppression du Yed-i vahid une arme politique
puissante contre le gouverneur d'Egypte 45 . Il pensait qu'à la suite de la
signature d'un tel traité de commerce avec l'Angleterre, cette dernière pourrait apporter son soutien total à l'Empire ottoman et obliger Méhmet
Ali Pacha à accepter le dit traité dont les conditions causeraient la diminution des ressources de la puissance économique, militaire et politique
de l'Egypte46. L'opinion de Rechid Pacha fut approuvée à ce sujet par le
Sultan Mahmut II en vue d'acquérir l'aide militaire et politique du gouvernement anglais, pour éliminer Mehmet Ali Pacha qui avait humilié
son amour propre et combattu son autorité souveraine47.
41 ismail C E M , Turkiyede geri kalmışlığın tarihi (l'Histoire du sous développement en
Turquie) Ankara 1870, p. 176; cf. Doğan A V C I O G L U , Türkiyenin Düzeni (l'Ordre de la
Turquie) Ankara 1969.
42
Juchereau: op. cit. V. I. p.432 »
43
Yusuf Kemal T E N G I R Ş E K , Tanzimat devrinde Osmanlı devletinin harici ticaret si-
yaseti (La politique économique extérieure de l'Empire ottoman à l'époque du Tanzimat)
in Tanzimat, p. 304.
4 4 Juchereau: op. cit. p.434.
45
Ibid.
Mais Rechid Pacha ne pouvait pas prévoir les mêmes conséquences destructives de
ce traité pour l'économie de l'Empire lui-même.
44
47
T E N G I R S E K , op. cit., p.309.
4
BAYRAM KODAMAN
Enfin, le 16 août 1838, à l'issu de longues négociations secrètes entre
Rechid Pacha et Bulwer, envoyé spécial anglais, la convention commerciale fut signée à Baltalimani, district d'Istanbul et situé au bord du Bosphore, par ce premier et Lord Ponsonby, ambassadeur anglais. Cette convention devait être mise en vigueur à partir du Ier Mars 1989 dans l'ensemble du pays, y compris dans les territoires égyptiens. Les avantages donnés par la Porte au gouvernement anglais étaient les suivants:
1) La faculté d'acheter librement sur les lieux d'origine et d'exporter
du pays tous les articles provenant du sol ou de l'industrie sans autre
droit que celue de 9% au point d'embarquement.
2) La conservation du droit d'entrée de 3% sur les marchandises importées dans l'Empire ottoman et destinées à la consommation du pays.
3) La libre circulation des marchandises d'importation à l'intérieur
du pays.
4) L'abolition du Yed-i vahid.
5) La conservation de toutes les capitulations et traités existants entre
les deux pays48.
Il y a bien sûr d'autres articles concernant ce traité en dehors de ceux
que nous venons essentiellement de citer.
Plus tard les conditions de ce traité, signé entre la Sublime Porte et
l'Angleterre, furent accordées, à la France en novembre 1838, à la Sardaigne le 2 septembre 1839, aux pays nordiques le 31 janvier 1840, à l'Espagne le 2 mars 1840, à la Hollande le mars 1840, à la Belgique le 30 avril 1846, à la Prusse le 22 octobre 1840, au Danemark le iCT mars 1841, et
à la Toscane le 7 juin 1841.
En somme ce traité causa non seulement l'affaiblissement de Mehmet
Ali Pacha, comme on l'avait prévu, mais également la ruine de l'Empire
ottoman dans les domaines de l'industrie, du commerce et de la finan-
48
İsmail C E M : op. cit., p. 176.
49
Ahmed L Ü T F I , Tarih, vol. V; p. 112; T E N G I R S E K : op. cit., p.289-320.
B - LA VIE DE RÉCHID PACHA
(1800-1858)
I. Les premières années de sa vie.
a) Son enfance et sa formation: Rechid Pacha est né à Istanboul, le 13
mars i8oo(le 16 sewal 1214 Hégire)50; il est fils d'un efendi peu fortuné.
Son père, Mustafa Efendi, était chargé de l'administration générale des
propriétés de la mosquée du Sultan Beyazıt II, c'est à dire était chef
comptable (Rûznâmeci)51 de cet Evkaf 52 (fondation pieuse). Cet emploi
jouissant d'un privilège particulier, était de droit héréditaire dans sa famille. Cependant à la mort de Mustafa Efendi en 181053, le Sultan Mahmut
II en disposa pour l'accorder par faveur à l'un de ses Mabeyincis (chambellan)54.
Mustafa Efendi avait appris à son fils, Rechid, à écrire et à lire. Ainsi
Rechid Bey reçut sa première éducation et sa formation dans sa famille.
Mais, après la mort de son père, il mena une vie très modeste et, en même temps, s'efforça d'achever ses études en suivant les cours de mosqué.
50 A propos de la date de naissante de Reşid Pacha il y a diverses opinions: Mehmet
Selahattin, Bir T ü r k diplomatının evrak i siyasiyesi, istanbul 1306, p. 7, donne le 13 mars
1800 (le 16 sewal 1214 H.); dans le même livre l'auteur cite une anacdote sur Rechid Pacha: "...quand on lui avait demandé sa date de naissance, il (Rechid Pacha: "...quand on
lui avait demandé sa date de naissance, il (Rechid) avait donné diverses réponses, c'est à
dire 1216-15-16. A ceux qui demandaient la cause de la diversité de ses réponses sur son
âge, il avait dit: il y a un désir chez tout le monde de se montrer plus jeune et aussi de
cacher son âge." Rıfat Efendi (Vurud'ul Hadayik). Cavit B A Y S U N , (Reşit Pasa in Tanzimat, p. 723), et A B D U R R A H M A N Ş E R E F (Tarih Musahabeleri Istanbul 1925, p. 75) sont
d'accord sur la même date.
Mais les historiens occidentaux, donnent 1802 (1216 H.).
Voir: H I P P O L Y T E C A S T I L L E , Rechid Pacha Paris, 1858 p. 18. M . D E S T R I L L E S
Confidences sur la Turquie, Paris 1855. M O L I N A R I , Rechid Pacha, Paris 1842. Par contre
Abdulhalim M E M D U H (Rechid Pacha, Istanbul 1306), indique 1801 (1215 H). Après avoir
comparé ces sources nous approuvons l'exactitude de la date citée par les premiers auteurs.
51 Pour R U Z N A M E C I Voir: M . Z L K İ P A K A L I N , Osmanlı Tarih deyimleri ve Terimler sözlüğü İstanbul Vol III.
52
Z E K İ P A K A L I N op. cit. vol. I article " E v k a f .
53
Cavit B A Y S U N op. cit. in Tanzimat p. 723.
54
Z . P A K A L I N op. cit. vol. II article "Mabeyinci".
BAYRAM KODAMAN
6
Malgré tous ses efforts courageux, il ne put parvenir à son but, c'est à-dire terminer ses etudes dans une medressé (école supérieure) et par conséquent il manqua d'une connaissance large et approfondie des langues
arabe et persane55. Pourtant Rechid reçut une instruction relativement supérieure, chose rare alors dans l'empire ottoman, mais l'enseignement
qu'il pouvait puiser dans la Medressé ne pouvait être qu'incomplet et insuffisant pour un homme qui se destinait aux affaires politiques et administratives.
Après 1810 Rechid vécut quelque temps à Istanbul avec sa mère. Il
assurait difficilement leur vie et plus tard, comme nous l'avons indiqué cidessus, il fut obligé d'abandonner ses études supérieures.Cette vie modeste de Rechid continua jusqu'à là mort de sa mère dont il avait la charge.
b) Son entrée dans ses premières fonctions
L'une des soeurs de Rechid avait épousé Seyyid-Ali Pacha d'Isparta 56 . Il trouva facilement, surtout après le décès de sa mère, une protection auprès de son beau-frère qui avait occupé plusieurs postes importants
dans l'administration de l'Empire ottoman, tel que le poste de Vali (gouverneur) de Moré et de Brousse, et celui de grand Vizirat en 1821. Ainsi
placé sous la protection d'Ali Pacha d'Isparta qui lui octroya le titre de
Mühürdar (garde-sceau) Rechid le suivit dans son gouvernement57.
Après sa révocation par le Sultan du poste de Grand Vizirat, Seyyid
Ali Pacha fut nommé au poste de Séraskerlik (dignité de commandant en
chef de l'armée ottomane) de Moré où s'étaient déclenché des mouvements politiques et militaires. Rechid accompagna en 1821 (1237 H.), en
qualité de garde-sceau, son beau-frère et prit part, le octobre 1821 à l'expédition militaire contre les rebellions grecques et vit personnellement le
désordre et l'incapacité de l'armée ottomane58. Cette défaillance dans la
force militaire de l'Empire ottoman n'était pas due aux effectifs de l'armée, mais était bien la conséquence du manque ou de l'absence complète d'argent pour régulariser le traitement des soldats et pour améliorer le
ravitaillement de l'armée en campagne. Seyyid Ali Pacha, désirant sortir
55
C . B A Y S U N "Reşid Pachâ" in Tanzimat, p. 724.
56
Homme d'Etat à l'époque de Mahmut II, Ali Pacha d'Isparta est devenu Grand
Vizir (1819-1820).
57
U B U C I N I , la Turquie actuelle Paris 1855.
58
Cavit B A Y S U N op. Cit. in Tanzimat p. 724.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA 25
de cette impasse envoya Rechid Bey à Istanbul pour demander à la Sublime Porte la solde des troupes59. Rechid réussit à obtenir une somme de
2000 bourses d'aspres et l'apporta à Ali Pacha60. Ainsi donc, depuis son
entrée dans la vie de fonctionnaire, la guerre, la politique et l'admininstration lui sont presque familières. C'est sous le ministère d'Ali Pacha,
que Rechid commença à s'imposer dans la hiérarchie administrative de
l'Empire ottoman.
Mais, Seyyid Ali Pacha d'Isparta, malheureux dans ses expéditions
contre les grecs révoltés, fut aussitôt destitué du Séraskerlik de Morée, puis exilé à Gelibolu. Après la disgrâce de son beau-frère, Réchid Bey, qui
s'était déjà fait remarquer des hommes d'Etat et avait attiré leur attention,
vécut peu de temps à Davut pacha (l'un des quartiers d'Istanbul) dans
une situation peu brillante61 car ni son père ni sa mère n'avaient laissé
d'héritage et lui-même n'avait fait aucune économie au cours de son service afin d'assurer l'avenir de sa propre famille, de plus ses relations parentales avec Ali Pacha furent rompues à la suite de la mort de sa soeur,
femme de ce dernier; aussi fut-il obligé, en raison de la diminution de
son revenu personnel, de déménager de sa maison un peu luxueuse à Davut pacha,pour un autre quartier d'Istanbul, Ayaz pacha 62 . Malgré tout
cela Rechid Bey ne perdit jamais l'espoir d'avoir, un jour, un poste considérable dans l'administration ottomane. C'est pour cette raison qu'il s'efforça toujours d'approfondir sa connaissance dans les affaires d'état, c'est
à dire les affaires diplomatiques, politiques et administratives. Pourtant il
n'oublia jamais son beau-frère, en exil depuis son échec militaire à Moré,
et, en suppliant certains dirigeants influents de la Sublime Porte, il obtint
sa libération et son entrée à Istanbul1,3.
c) Les missions importantes dont il fut chargéjusqu 'en 1834
Plus tard, au retour d'Ali Pacha, Rechid Bey devint, de nouveau
fonctionnaire, par l'intermédiaire de Köse Akif Efendi64, ami d'Ali Pacha,
dans l'un des bureaux de la Sublime Porte (Sédaret mektubi kalemi). En59
Les Janissaires recevaient leur traitement tous les trois mois.
60
C E V D E T Tarihi (histoire de Cevdet) Istanbul 1309 Vol. 12. p.30).
61
Yesari M a h m u t (Ali Pachazade) op.tit. B A Y S U N in Tanzimat p.724.
62
Mehmet S E L A H A T T I N op. Cit; p.i 2
63
Ibid p. 12.
64
Ibid p. 12.
8
BAYRAM KODAMAN
tre temps, il eut pour ami protecteur le ministre des affaires étrangères
(Reis Efendi), Mehmet Said Pertev Pacha 65 . Un goût commun pour la
poésie avait amené cette liaison qui fut très utile à Rechid Bey 66 . Le jeune employé écrivait lui-même des vers à ses heures de loisirs. Quelques
uns de ses essais furent montrés à Pertev qui devint son maître en politique et en poésie67.
Au commencement de la guerre entre la Russie et l'Empire ottoman,
qui s'était déclenchée en 1828 et avait pris fin en 1829 par le traité
d'Edime (Andrinople), Rechid Bey, avec son ami Nafi Efendi, accompagna, en tant que secrétaire privé, Selim Pacha, alors Grand Vizir, au quartier Général de l'armée turque en campagne contre les Russes et il continua les mêmes fonctions auprès d'Izzet Pacha, successeur de Selim Pacha 68 . Sa présence au Quartier Général de l'armée à Sumnu (ville actuellement en Bulgarie) fut une occasion pour lui de faire connaître au Sultan
Mahmut II, ses talents, son intelligence, sa capacité et ses observations
exactes sur le déroulement de la guerre et sur la situation des troupes turques. Le Sultan, content de ses explications et du ton facile et net de ses
correspondances en provenance de l'armée, demanda à Pertev Pacha le
nom du secrétaire privé de l'Etat major de l'armée et lui ordonna d'augmenter ultérieurement le traitement de Rechid Bey et de le nommer au
bureau de la correspondance de la Sublime Porte comme rapporteur des
pièces officielles que le Grand Vizir envoyait au Sultan69. Grâce à Pertev
Efendi, il eut la possibilité d'assister en 1829 aux négociations d'Edirne,
en qualité de secrétaire de la délégation ottomane70. Lors de la signature
du traité d'Edirne, le 14 septembre 1829 par les représentants des deux
parties, on fit des cadeaux à ceux qui assistèrent à la conférence du traité
et Rechid Bey reçut alors une montre et une bague en or 71 .
A son retour à Istanbul, Rechid Bey fut invité au palais impérial par
Mahmut II et celui-ci l'accueillit d'une manière très satisfaisante et lui
65 Pertev Pacha un des grands hommes d'état et un des poètes les plus renommés de
l'époque, de l'Empire ottoman.
66
Hippolyte C A S T I L L E op. cit; D E S T R I L L E op. cit.
67
A . U B U C I N I op.ci t.
68
Mehmet S E L A H A T T I N op.cit.p. 12.
Archives de la Présidence du Conseil (Istanbul). S. No 179. HH. N o 10 cité par
B A Y S U N op.cit.in Tanzimat.
69
70
A H M E D L U T F I , Tarih (Histoire) Istanbul 18731910 Vol II pp. 86-87.
71
M . S E L A H A T T I N op.cit.p. 13.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
19
conseilla de commencer dès maintenant à étudier la langue française72.
Le geste du Sultan se révéla positif pour l'avenir de Rechid Bey, notamment comme nous allons le voir de 1834 à 1858.
En i83o(i24GH.) nous voyons Réchid Bey accompagner, en qualité
de deuxième secrétaire, Pertev Pacha dont la mission officielle était, en se
rendant en Egypte, de faire savoir à Mehmet Ali Pacha, vice-roi d'Egypte,
la décision du Sultan relative à l'abandon de l'île de Crête à son autorité 73 .
Comme nous le savons, au cours des événements de Morée en 1827,
le Sultan Mahmut II avait demandé à son gouverneur, Méhmet Ali Pacha, qui était plus puissant que son souverain, de lui apporter une aide
militaire afin de pouvoir étouffer la révolte grecque, et avait promis, en
cas de succès, de lui offrir le poste de Vali de la presqu'île de Morée.Mais à la suite de l'intervention des Grandes Puissances (Russie, Angleterre
et France) en faveur des rebelles grecs, la Morée avait échappée à la domination de l'Empire ottoman. Par conséquent, au lieu de Morée, le Sultan offrit la Crête à Mehmet Ali Pacha.
Au cours de son séjour en Egypte et du déroulement des conversations avec Mehmet Ali Pacha, Rechid Bey avait attiré l'attention de celui-ci
par ses talents. De même le Gouverneur d'Egypte voulut le retenir er. lui
promettant un poste important dans son gouvernement. Mais Rechid préféra regagner Istanbul 4.
Après son retour, il fut désigné en 1831 au poste d'Ameddjilik par intérim, alors qù Akif Efendi, Ameddji, était envoyé auprès du Grand Vizir 75 Mehmet Rechid Pacha, qui se trouvait en Albanie pour réprimer les
72
A B D U R A H M A N S E R E F op.cit.pp. 75-76.
73
Ali Fuat, Mısır Valisi M é h m é t Ali Pasa. in T . T . E . M . 1928 No. 19(96) p. 74; M . S E -
L A H A T T I N op.cit.p.13.
74
Selon le récit Ibn ul E . M a h m u t Kemal, cité par B A Y S U N in T a n z i m a t p. 725:
Lorsque Réchid Bey raconta l'offre de M e h m e t Ali Pasa à Pertev Pacha, son protecteur, celui-ci répondit: "Si vous restez auprès de M é h m e t Ali Pacha, vous auriez en réalité une
possibilité de promotion, mais, si vous retournez à Istanbul, vous pourrez avoir un poste
important et supérieur dont l'autorité vous permettrait en cas de besoin de destituer les gouverneurs d'Egypte". Ultérieurement, devenu Grand Vizir, Rechid Pacha s'était rappelé les
paroles de Pertev Pacha. Et "C'est le point de vue et la clairvoyance de son Exellence, (Pertev)" disait-il.
75Ameddji: Appelation d'un fonctionnaire de l'administration centrale de l'Empire ottoman qui, avant le Tanzimat, dépendait direc tement du Réis'ul Küt-tab (Ministre des affaires étrangères). A m e d d j i copiait des rapports écrits par ce dernier, rédigeait aussi des pièces
BAYRAM KODAMAN
20
révoltes. Et puis, il fut titularisé au même poste, c'est-à-dire qu'il devint
Ameddji au début de juin 183276.
La nomination de Rechid à ce poste renforça sa personnalité auprès
des Hommes d'Etat et du Sultan. Il commença, en dehors de ses affaires
à s'occuper des relations entre la Sublime Porte et les Ambassades Etrangères77, à communiquer les orders du Sultan au Grand Vizir alors que ce
dernier se trouvait hors d'Istanbul78. Après la bataille de Konya, le 21 décembre i832(i248H), entre les troupes ottomanes et égyptiennes, Rechid
Bey se rendit, une dernière fois, en Egypte, avec Halil Rifat Pacha 79 .
Il faut souligner que sa dernière visite à Alexandrie avait suscité l'hostilité de Méhmet Ali Pacha. Dorénavant, il allait tâcher de soumettre celui-ci à l'autorité du Sultan et, le cas échéant de supprimer le danger
qu'il représentait; Ce fut, jusqu'en 1841, l'une des préoccupations principales de Rechid Bey 80 . Après que la proposition du Sultan eut été rejeté
par le gouvernement d'Egypte, Rechid retourna à Istanbul à bord d'un
bâteau français81. Au lendemain de son arrivée il fut choisi, à l'issue de la
réunion du Conseil des Ministres (Divan), pour aller, conjointement avec
le Baron de Varennes, chargé d'affaires français à Istanbul, débattre les
conditions de l'armistice entre le Sultan et Ibrahim Pacha, fils du gouverneur d'Egypte et vainqueur à Konya 82 .
Rechid Bey, qui cillait assumer cette fois une lourde responsabilité,
quitta Istanbul, le 9 Zilkade 1248 (le 20 mars 1833) pour rejoindre Ibrahim Pacha à Kütahya 83 . Suivant les instructions données par la Sublime
Porte, il réussit à convaincre Ibrahim Pacha de renoncer à ses revendications sur les régions de Mersin et d'Alanya M .Par contre Ibrahim se montra
de moindre importance et d'une façon générale faisait fonction de secrétaire du Reis'ul
Kuttab. En outre il assistait à toutes les conférences du Réis avec les ambassadeurs étrangers et rédigeait les procés-verbaux des entretiens. Voir: Tayyib Gökbilgin, Article "Ameddji" Encyclopédie de l'Islam, i960. T.I p-44576
Rifat Efendi op.cit; Mehmet Sélahattin op.cit.p. 13.
77
B A Y S U N op.cit.in Tanzimat p;725_
78
LUTFI op.cit.vol IV pp. 18-19.
79
ALI F U A T op.cit.in T T E M p.85.
80
E . B . S A P O L Y O . op.cit.p.20.
81
C . B A Y S U N in Tanzimat p.726.
82
UBICINI op.cit; H . C A S T I L L E p. 18.
83
Lutfi op.cit.Vol IV p.28.
84
Pour les instructions données à Rechid Bey Voır/LUTFI.. Vol IV pp 187 _
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
21
intransigeant pour le district d'Adana 85 . Rechid Bey enfin abandonna
Adana à condition qu'îbrahim n'enlève que le tribut et retire ses troupes
au-delà du Taurus. O n signa ensuite au mois de Mai 1833 la convention
de Kütahya 86 .
Lorsque Rechid Bey retourna à Istanbul il vit Mahmut II s'irriter
contre lui à propos de l'abandon du district d'Adana. Bien que le Sultan
eût ordonné sa condamation à mort, Rechid en réchappa grâce à l'intervention d'Ali Riza Efendi, Ministre ce l'Hôtel de la Monnaie (Darphane
Nazırı)87.
II. Rechid Pacha (Période de 1834à 1858)
En 1834, la nomination officelle de Rechid Pacha, au titre d'envoyé
extraordinaire à la légation de Paris, fut, pour lui, le commencement de
sa carrière diplomatique et le premier pas dans la vie politique intérieure
et extérieure de l'Empire ottoman. Dorénavant ayant trouvé pour lui la
meilleure possibilité de devenir le seul homme dans les tentatives réformatrices concernant la réorganisation de l'Empire ottoman, Rechid Pacha
dirigea plusieurs postes clefs et réussit à s'attribuer, à raison, l'honneur de
toutes les réformes effectuées entre 1839 et 1858 dans le pays.Pour bien
connaître, sans entrer dans les détails, la place de Rechid Pacha dans les
affaires politiques, économiques, diplomatiques, sociales et enfin administratives de son époque, nous avons trouvé utile de faire une liste chronologique des postes qu'il occupa en vingt deux ans dans l'administration
centrale du gouvernement ottoman.
1934
1835
Juin
Mars
!935
Juillet
1836
Le 13 Septembre
(1 Cemaziyulewel 1252H)
Envoyé extraordinaire à Paris.
Ambassadeur à Paris
85 Ali Fuat in T . T . E . M . pp. 95-96. Dans cet article il y a trois lettres de Rechid Bey
envoyées de Kütahya à la Sublime Porte dont les dates sont les suivantes: i)Zilkadé
1248—Mars 1833 2)Le Zilkadé 1248— Le 13 avril 1833. 3) le 28 Zilkadé 1248— 18 avril
•Ö33-
86
Pour le traité de Kütahya Voir: Ş. Altundağ op. cit. p. 65.
87
L U T F I o p . C Î T . V O L . IV p.28.
22
BAYRAM KODAMAN
1837
Le 13 Setembre
Le 13 Juillet
(Le 9 Rebiulahir 1253H)
Ambassadeur à Londres
promu Sous-Secrétaire d'Etat aux
Affaires Etrangères.
1837
Le 13 Juillet
avec le rang de Pacha.
Ministre des Affaires Etrangères
1838
Août
Envoyé extraordinaire à Londres.
1839
Le 3 Septembre
1841
Le 31 Mars
(Le 7 Safer 1257. H.)
Le 16 Juillet
Le 17 Décembre
(le 4 Zilkade 1258H.)
De nouveau Ministre des Affaires
Etrangères
1843
1845
Le 14 Octobre (le 14 teşrin I)
Le 24 Octobre (le 22 Şevval
1261. H.)
Ambassadeur à Paris.
1845
1846
Le 24 Octobre
Le 28 Septembre (Le 7 Sewal
1262)
1836
1841
1842
De nouveau Ambassadeur à
Paris.
Ministre des Affaires Etrangères
1846
1848
Le 28 Septembre
Le 28 Avril
Grand Vizir (I).
1848
1852
Le 13 Août
Le 27 Janvier
Grand Vizir (II).
1852
1852
Le 4 Mars
Le 5 Août
Grand Vizir (III).
1853
1854
Le 15 Mai (6 Şaban 1269)
Le 24 Octobre
Ministre des Affaires Etrangères.
1854
Le 25 Octobre
Le 4 Mai (16 Şevval 1271)
Grand Vizir. (IV).
Grand Vizir. (V).
1857
Le i cr November (3 R. E 1273)
Le 2 Août (10 Zihlicre 1273)
'857
Le 23 Octobre (4R. E. 1274)
Grand Vizir. (VI).
1855
1856
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1858
Le 7 Janvier (22 Cemaziyelevvel 1274).
1858
Le 7 Janvier
23
SA M O R T 8 8 .
Les postes occupés par Rechid Pacha, à l'époque du Tanzimat, énumérés ci-dessus, indiquent qu'il était incontestablement le principal auteur
de toutes les réformes réalisées et l'homme responsable de l'orientation de
la politique de l'Empire ottoman entre 1839 et 1858.
a) Le role de Rechid Pacha dans le mouvement d'occidentalisation
en Turquie
1) Aperçu général sur les causes de l'apogée et la décadence de l'Empire
otto-
man.
Nous croyons utile de donner ici un aperçu général d'une part sur
les causes de la supériorité, du recul et de la décadence de l'Empire ottoman et d'autre part celles des tentatives de réformes à travers la période
du XVII e au X I X e siècle.
Au cours de la dislocation de l'Empire seljukide, la Principauté d'Osman fut fondée, vers 129g en Anatolie occidentale et plus tard demeura
seule en éliminant les autres principautés anatoliennes (beylik) et devint le
seul rival redoutable de l'Empire byzantin. Après la prise de Constantinople (Istanbul), les sultans ottomans se considérant même comme les
successeurs des basileus et des empereurs romains, poussèrent leurs conquêtes vers l'Europe centrale et dans le bassin de la Méditerranée. Ainsi
l'état ottoman devint un grand empire, possédant de vastes territoires
qu'avaient occupés les civilisations antiques. Il pouvait donc être considéré, au point de vue géographique, comme une puissance européenne.
Comme dans les états fondés avant l'Empire ottoman, celui-ci était,
après la conquête des lieux saints (Mekke, Médine, l'Egypte, Jérusalem,
88
Pour la vie politique de Rechid Pacha à consulter:
B A Y S U N Reşit Paşa in Aylık Ansiklopedi 1945 N o 9.
B A Y S U N op cit in Tanzimat p. 723-746.
B.E. Sapolyo. Reşit Paşa ve Tanzimat devn tarihi 1946
K A Y N A R Reşid Paşa ve Tanzimat 1954.
E . K U R A N Reşid Paşa in islam Ansiklopedisi T.9.
24
BAYRAM KODAMAN
ete) une oeuvre divine dont la loi essentielle (le Coran) constituait le fondement d'un système idéal de gouvernement. Les Turc ottomans donnèrent à cet empire des institutions basées sur le droit du Coran. Voici la
forme que prirent avec le temps, les institutions basées sur ce fondement
et sur les traditions conformes à ce fondement:
Forme de l'état
Constitution
Droit
Education
Société
Morale
Califat,
le chériat
le fikih (droit islamique)
Medressé (enseignement surtout religieux)
Vie réglée selon 1rs préceptes de la religion.
Crainte de Dieu.
D'autre part l'Islam est une grande famille internationale: tous les
croyants, sans distinction de couleur, de race et de langue, sont considérés comme des frères; une communauté de sentiments et de croyances les
rapproche et les invite à s'aimer. Cette conception d'égalité et d'unité permit aux Turcs ottomans de gouverner d'une manière parfaite ce grand
empire jusqu'à la fin du XVI e siècle. Ainsi, d'après cette conception, les
institutions ottomanes qui étaient perfectionnées et développées, acquirent
une certaine supériorité par rapport à celles des Européens, surtout dans
les domaines suivants: discipline, justice, respect de la propriété et liberté
de conscience.
Notons que ces institutions de caractères prétendûment religieux, embrassaient tout à la fois la politique, le droit, la culture et l'idéologie.
C'est pourquoi l'Etat devint, aux yeux des Musulmans, un état idéal,
étemel, supérieur à toutes les autres formes d'état et à toutes les cultures
que les autres états représentaient.
Cette conception d'état, sur laquelle la raison critique n'avait pas de
prise, fit de l'Empire ottoman un cercle cultural fermé, un état isolé du
monde européen, où les intellectuels occidentaux povaient créer une philosophie fondée en raison et pouvaient critiquer les institutions de l'état,
ce qui n'était pas possible dans les pays musulmans.
Malgré cela, les institutions ottomanes répondaient parfaitement aux
besoins de l'Empire du XIV e au XVI e siède au cours desquel l'Europe vivait encore une époque fanatique et féodale.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
25
Pourtant la grandeur et la supériorité des Ottomans ne durèrent pas
longtemps. Dés la fin du XVI e siècle l'affaiblissement des institutions devint visible. Puis avec le XVIP siècle c'est la décadence qui commença.
Elle se manifesta par l'anarchie qui régnait dans l'administration et par le
recul devant les armées des Etats européens.-Pour n'en citer qu'une, nous
rappelons la grande défaite de Vienne en 1683-.
La cause de cette décadence était, pour les oulémas, la diminution
du zèle religieux; pour certains hommes d'état, le relâchement des institutions. Or ni l'une ni l'autre de ces causes ne pouvait expliquer la crise de
l'Empire. Il fallait en chercher d'autres. En effet l'Europe subissait alors
des changements profonds qui l'affectaient jusque dans ses fondements,
par suite de grands événements que furent les grandes découvertes géographiques, l'Humanisme, la Renaissance et la Réforme. Au contraire en
Turquie, personne ne paraissait sentir ni même soupçonner le moindre
changement. Le dogme de la supériorité de l'Empire ottoman sur l'Europe y était intact: ce fut la cause principale de la décadence, puisqu'il empêchait les Ottomans de participer aux progrés réalisés par l'Occident.
Pourtant nous voyons certains hommes d'état clairvoyants effectuer
des réformes au cours des XVIP et XVIII e siècles: les tentatives par
exemple, de Murad IV, Koçi Bey, la famille Kôprûlû, Ibrahim Pacha de
Nevşehir, Mahmut I, Ragib Pacha, Halil Hamit Pacha, etc... Mais le résultat obtenu n'était pas tout à fait satisfaisant.
Au début du XIX e siècle, la pression économique et politique de
l'Occident, poussèrent les hommes d'état ottomans à penser que les Européens étaient, dans presque tous les domaines, supérieurs aux Ottomans.
C'est ainsi que la modernisation était devenue, selon eux, une question vitale pour l'existence de l'Empire. Par la suite Selim III et Mahmut II tentèrent, malgré l'opposition des fanatiques, de moderniser l'Empire par des
réformes relativement profondes par rapport aux précédentes.
2) Rechid Pacha et le Tanzimat.
Avant d'étudier les ambassades de Rechid Pacha, le sujet de notre
thèse, nous avons cru utile d'indiquer le rôle qu'il joua, la place qu'il occupa dans l'histoire des réformes en Turquie. En effet sans connaitre bien
Rechid Pacha, en qui devait se personnifier les réformes (le Tanzimat) entre 1839 et 1856, il est impossible sinon dificile de comprendre et d'expliquer les facteurs, le but et le caractère du Tanzimat qui est considéré
36
BAYRAM KODAMAN
comme le fondement de tous les mouvements de modernisation dans
l'Empire ottoman, à la fin du XIX e siècle et au début de notre siècle.
Ce n'est pas par hasard que Rechid Pacha s'efforça de détruire la
barricade de fanatisme qui séparait la Turquie de l'Occident et de faire
entrer la Turquie dans la sphère de la civilisation occidentale par des réformes relativement radicales et par conséquent fut un grand réformateur.
Il appartenait avant tout à la nouvelle génération attachée à l'esprit du
Nizam-i Djédid (ordre nouveau), et partisan convaincu des réformes pour
la fortification de l'Empire ottoman condamné à périr depuis un siècle et
demi. De ce fait, il ne se tenait pas à l'écart des mouvements visant la régénération de l'Empire par l'imitation des institutions européennes. De
même, après sa nomination au secrétariat du Divan, ses idées progressistes lui facilitaient ses contacts avec les hommes d'état éclairés, son entrée
sous la protection de Pertev Pacha qui était alors chef de file des réformateurs dans le gouvernement du Sultan, ainsi que l'entretien des relations
avec les représentants étrangers (ambassadeurs chargés d'affaires, les Drogmans, les fonctionnaires). Ainsi, il trouvait l'occasion de voir de prés le
fonctionnement de l'appareil d'état et la faiblesse des institutions ottomanes; ainsi que l'occasion de connaitre la politique des Grandes Puissances.
Surtout au cours de la crise d'Orient, il témoignait la suprématie militaire, politique et économique de Méhmet Ali Pacha sur l'Empire ottoman,
ainsi que l'insuffisance de la politique d'isolation suivie par la Sublime
Porte. Il attribua dés lors, la puissance de Méhmet Ali aux réformes réalisées par celui-ci avec l'aide du gouvernement français en Egypte.
Après les plus dures épreuves de la première phase de la crise d'Orient (la menace égyptienne, le traité de Hunkar Iskelessi qui donnait au
Tsar le droit d'intervenir dans l'Empire en cas de troubles, le désintéressement des gouvernements européens devant l'influence russe à Istanbul
et la progression de Mehmet Ali Pacha en Asie Mineure), le Sultan Mahmut II, conscient de la gravité de la situation politique, mit fin à la politique d'isolement. Il décida d'entretenir des relations diplomatiques avec les
états européens sur le principe de la réciprocité, en instituant des ambassades permanentes dans les grandes capitales européennes89.
89 Bien que Selim III ait envoyé des ambassadeurs permanents dans les principales
Capitales européennes pendant son règne ce système avait été négligé à la suite de la révolte des Janissaires.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
27
Conformément à cette nouvelle politique, Rechid Pacha fut envoyé en
1834 en Europe. Il représenta la Turquie à Paris puis à Londres. En dehors des instructions diplomatiques et politiques, il reçut l'ordre d'apprendre la langue et les sciences modernes des pays où il était envoyé, également d'étudier les institutions, les systèmes de gouvernement et les usages
de la diplomatie des Puissances et enfin d'éclairer le gouvernement ottoman sur les progrés de l'Europe.
Au cours de son séjour à Paris et à Londres, Rechid Pacha trouva
l'occasion d'approfondir sa connaissance sur la civilisation européenne et
d'étudier de près les systèmes de gouvernement ainsi que la politique extérieure des Puissances.En raison de ses contacts avec les milieux libéraux
et les hommes d'état français et anglais, il subit l'influence de leurs idées
et connut d'autre part leur opinion sur l'état actuel de l'Empire et sur les
réformes de Mahmut II. En fin de compte, Rechid Pacha, éclairé déjà
par l'expérience de la crise égyptienne, comprit que sans l'aide de l'Europe, l'Empire ottoman ne pouvait sauvegarder son existence. Il allait donc
jouer un rôle très important dans la modernisation de son pays.
A son retour, devenu, le 28 janvier 1837, ministre des affaires étrangères, Rechid Pacha, après avoir expliqué au Sultan ses idees ainsi que les
suggestions des Hommes d'Etat français et anglais, surtout celles de Lord
Palmerston et de Thiers, réussit à le convaincre qu'il fallait faire admettre
la Turquie dans le concert des Etats européens et la faire entrer dans la
civilisation occidentale. Le jeune ministre avait, en effet, pleine conscience
des périls qui menaçaient l'Empire. Il faisait comprendre surtout, à Mahmut II qu'il y avait urgence à rassurer l'Europe et à gagner sa confiance.
C'est ainsi que Mahmut II entreprit une série de réformes dans les domaines politique, social et juridique, suivant les idées de Rechid Pacha.
Il modifia le système de gouvernement en créant des ministères et
des conseils pour préparer les projets de Lois90. Il réorganisa l'Administration, la justice, la police et les services sanitaires. Il introduisit dans le
pays les coutumes et usages de l'Occident. Il abandonna le costume ori-
90 Sur les conseils de Rechid Pacha, Mahmut II changea les noms des ministères: Sedaret (Başvekalet)— Présidence du Conseil. Reissul Kuttap (Hariciye Nezareti) — Ministère
des Affaires Etrangères. Vezirk thudaligi (Mulkiyé, puis Dahiliyé Nezarèti) — Ministère de
l'Intérieur. Deftarlik ( M A L İ Y E Nezareti;—Ministère des finances. Il forma deux conseils:
l'un pour les affaires administratives. l'Autre pour les affaires judiciaires.
28
BAYRAM KODAMAN
entai. Habillé à l'éuropéenne, il fit des voyages d'inspection dans son Empire. Il construisit des routes et des usines. Il supprima la confiscation des
biens. Pour rendre la confiance à ses sujets chrétiens, il fit la déclaration
suivante: "Nos intentions sont que les mulsumans ne soient considérés
comme tels que dans les mosquéss, et que selon le même point de vue,
les chrétiens ne soient chrétiens que dans les églises, que les Israélites ne
soient israélites que dans les synagogues. Je veux que hors de ces lieux,
où tous rendent également hommage à leur divinité, ils jouissent uniformément des mêmes droits politiques et de ma protection paternelle".
De son côté, Rechid Pacha, soutenu par le Sultan, commença aussi
par s'attaquer résolument aux abus les plus invétérés de l'administration,
notamment à la vénalité des fonctionnaires et au dépouillement de la population par ces derniers. Il fit admettre au gouvernement l'usage du traitement pour tous les fonctionnaires en vue d'empêcher le pot de vin
(Ruchvet).
Il s'efforça de former des employés intègres, il introduisit dans l'Empire le système de la quarantaine. Il décréta dans le journal officiel (Takvimi Vakayi) daté du 7 août 1838 l'interdiction de corvée et de confiscation, le prélèvement des impôts selon les revenus de chacun. Il signa un
traité de commerce avec l'Angleterre, et developpa le système des services
postaux.
Malgré les efforts et les bonnes intentions de Rechid Pacha et de
Mahmut II, la plupart des tentatives de réforme échouèrent devant l'opposition des milieux conservateurs, en particulier, les Ulémas qui s'efforçaient d'annuler les effets de ces réformes. Pourtant nous pouvons considérer ces réformes, quelques soient leurs résultats, comme une évolution
de la mentalité et de la prise de conscience chez les ottomans.
Pendant son ambassade extraordinaire à Londres, en 1838, après la
signature du traité de commerce avec l'Angleterre, Rechid Pacha était
convaincu, une fois de plus, que malgré les réformes précédentes, la Turquie n'avait pas cessé d'être considérée en Europe comme un pays barbare, et que pour la faire admettre dans le concert des Etats Civilisés, il fallait gagner l'opinion publique européenne par quelques démonstrations
éclatantes91 En 1839, l'avènement d'Abdulmecid, lui en fournit l'occasion.
Cette démonstration, c'est le Hatt-i Humâyun de Gulhane.
9 1 ChaJlemel Lacour, Les hommes d'Etat de la Turquie..., La revue des deux mondes, le 15 février 1868, p. 837.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
29
A son retour de l'Ambassade de Londres, après avoir persuadé le
Sultan Abdulmecid (1839-1861) de la nécessité de continuer dans la voie
des réformes dont les principes généraux avaient été prévus par son père
Mahmut II, pour assurer le soutien et la confiance des Etats occidentaux
d'une part et pour empêcher l'ambition politique de la Russie dans les
Balkans d'autre part, Rechid Pacha, promulga le 3 novembre 1839, le
Hatt-i Chérif de Giilhané dont il élabora le texte. Cet Hatt-i Chérif comportait principalement:
1) Des garanties assurant aux sujets une parfaite sécurité pour leur
vie, leur honneur et leur fortune.
2) Un système régulier d'établissement et de perception des impôts.
3) Une réglementation du mode de recrutement des soldats et de la
durée de leur service.
Pour l'honneur, la fortune et la vie:
"Tant qu'un jugement régulier ne sera pas intervenu, personne ne
pourra secrètement ou publiquement faire périr quelqu'un par le poison
ou tout autre moyen; chacun possédera des propriétés de nature et en
disposera avec la plus entière liberté;les héritiers innocents d'un criminel
ne seront point privés de leurs droits légaux et les biens du criminel ne
seront point confisqués. Ces concessions impériales s'étendent à tous nos
sujets, de quelque religion ou secte qu'ils puissent être, et ils en jouiront
tous sans exception."
Pour les impôts:
Quoique l'Empire soit délivré depuis quelque temps du fléau des monopoles, un usage funeste subsiste: celui des concessions vénales, connues
sous le nom d'iltizam. Dans ce système, l'administration civile et financière d'une localité est livrée à l'arbitraire d'un seul homme il est nécessaire que désormais chaque membre de la société ottomane soit taxé pour
une quotité d'impôt déterminée selon son revenu et que rien au delà ne
puisse être exigé de lui...."
Pour l'armée:
"Il est devenu nécessaire d'établir des lois pour régler les contingents
que devra fournir chaque localité et pour réduire à quatre ou cinq ans le
temps du Service. Car, c'est à la fois faire une chose injuste et porter un
coup mortel à l'agriculture et à l'industrie que de prendre, sans égard à
38
BAYRAM KODAMAN
la population respective des lieux, dans l'un plus, dans l'autre moins
d'hommes, qu'ils n'en peuvent fournir, de même que c'est réduire les soldats au desespoir et contribuera la dépopulation du pays que les retenir
toute la vie au service*.
Pour Us autres points:
a) "...comme ils doivent être réglés par le concours d'opinions éclairées, notre conseil de justice (Meclis-i Ahkam-i Adliyé), augmenté de nouveaux membres autant qu'il sera nécessaire, auquel se réuniront...nos ministres et les notables de l'Empire, s'assemblera à l'effet d'établir des lois
réglementaires.... Chacun, dans ces assemblées, exposera librement ses
idées et donnera son avis.
b) "
qui violerait (les principes du Hatt-chérif) subira, sans qu'on
ait égard au rang et au crédit de la personne, la peine correspondante à
sa faute, bien constatée. Un code pénal sera rédigé à cet effet.
c) Comme tous les fonctionnaires.... reçoivent....un traitement convenable et qu'on régularisera les appointements de ceux dont les fonctions
ne seraient pas suffisamment rétribuées, une loi rigoureuse sera porté contre le trafic de la faveur et des charges (Rüchvet), que la loi divine réprouve et qui est une des principales causes de la décadence de l'Empire.
D'autre part le Sultan Abdulmécid prescrivit que désormais tous ses
sujets, sans distinction de race et de religion, seraient considérés comme
égaux par l'Etat et qu'aucune différence ne serait faite entre un Vezir et
un berger92. Il fit jurer aussi aux ulémas, ministres, pachas, et fonctionnaires-comme il jura lui-même-de respecter et d'observer les lois et règlements.
Par la promulgation de ces principes modernes dans le Hatt-Chérif,
Rechid voulait donner, sans doute, un visage nouveau et un caractère libéral à l'Empire ottoman gouverné encore suivant les principes religieux
et moyenâgeux. De même si nous prenons en considération le fait que
Rechid Pacha s'était inspiré des idées libérales de l'occident et des principes des droits de l'homme pour la préparation du Hatt-Chérif il ne sera
pas difficile de comprendre l'esprit libéral, révolutionnaire et même laique
de ce Hatt.
92
R.KAYNARop.dt.p.179.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
31
En effet Rechid Pacha stipula officiellement des garanties assurant
aux sujets une parfaite sécurité pour leur vie, leur honneur et leur fortune
(liberté, propriété, sécurité, article deuxième des droits de l'homme); il fit
limiter les moyens d'action du Sultan, il attribua l'initiative des lois au
Grand Conseil de justice, (Mecli-i Ahkam-i adliye); il abolit l'affermage
des impôts, il prescrit que chaque individu serait jugé conformément à la
loi établie et que chacun versera directement à l'Etat des impôts en proportion de sa fortune.
D'après Rechid Pacha, par l'application de tous ces principes, les peuples ottomans, en se considérant freres et les sujets égaux du Sultan, ne
se révolteraient plus contre l'Etat, devenu leur protecteur; l'économie du
pays se développerait; la population s'enrichirait davantage. Les sources
de revenu et de puissance de l'Empire ottoman s'accroîtraient sans cesse.
En somme, le but était le renforcement de l'Etat ottoman, le rétablissement du calme, et le développement ainsi que la prospérité du pays.
Mais, lorsque nous examinons, au point de vue de l'intérêt des classes sociales, le Hatt-i-Chérif, il nous est impossible de ne pas voir, dans
ses principes établis par Rechid Pacha, les intérêts de la bureaucratie ottomane.
Il est vrai que malgré leurs privilèges dans l'administration les Vizirs(minitres), les Pachas (généraux) et les Grands fonctionnaires d'Etat
n'avaient jamais vu leur vie et leur fortune en sécurité, d'autant plus
qu'ils étaient privés de la puissance politique et qu'ils étaient à la merci
des Sultans ottomans. Ces derniers avaient disgracié, tué, exilé tous ceux
qui se faisaient remarquer et confisqué leurs biens et leurs fortunes. Ceci
montre que la bureaucratie ottomane subissait toujours les effets des décisions arbitraires des Sultans.
De ce fait, lorsque cette classe, soucieuse et inquiète de son avenir (sa
vie et sa fortune) prit contact, à partir du X I X siècle, par diverses occasions, avec l'Occident et connut le mode de vie de la bourgeoisie européenne, se montra partisane de la modernisation de l'Empire ottoman par
l'imitation des institutions occidentales, assurant aux sujets une parfaite
sécurité pour leur vie et leurs biens.
Quant à Rechid Pacha qui avait séjourné longtemps en Europe, il
était, depuis 1837, le seul représentant de la bureaucratie (Kalemyyé) et le
défenseur des idées libérales et des vues de cette classe réformatrice, dans
32
BAYRAM KODAMAN
le gouvernement ottoman. Il avait pour but de confier le pouvoir d'Etat
aux mains des bureaucrates réformateurs. En fait, quand il limitait les
moyens d'action du Sultan et interdisait la confiscation des biens et la
condamnation ou l'exécution sans jugement, il pensait sans doute aux
grands fonctionnaires d'Etat.
En outre, pour assurer la souveraineté de la Sublime Porte dans l'administration du pays, Rechid Pacha s'efforçait former un nouveau cadre
d'employés fidèles à l'autorité centrale d'une part et de libérer les fonctionnaires de l'influence des Ulemas (Hommes religieux) qui s'opposaient
aux réformes à l'européenne, d'autre part. Afin d'atteindre ce but, il créa
un conseil d'enseignement général (Meclis-i Maarif-i umumiyyé) dominé
par les bureaucrates et fonda les écoles secondaires (Rustiyé) dont les
programmes furent préparés suivant les besoins de la Sublime Porte.
En résumé, Rechid Pacha croyait moderniser l'Empire ottoman par
une mainmise stricte d'une poignée de bureaucrates, qui appliqueraient
les réformes conformément aux principes du Hatt-i Cherif, sur l'Administration. En effet, il fit commencer, par la promulgation du Hatt-i Chérif,
l'époque du Tanzimat dominée par les bureaucrates qui furent jusqu'en
1876 les défenseurs des réformes et du mouvement d'occidentalisation en
Turquie.
b. Application des Réformes
A la suite de la promulgation du Hatt-i Cherif, Rechid Pacha reçut
l'ordre de veiller à l'entière exécution des réformes qui furent appelées en
turquie TANZİMAT. Pour éviter le détail, nous nous bornerons à indiquer les réformes réalisées dans l'Empire ottoman.
1) Administration locale: Un système d'administration des provinces
semblable à celui de la Franche fut crée. Selon lequel, l'Empire était divisé en Eyalets (départements) eux-mêmes en Sandjak (Subdivision d'une
province); le Sandjak était subdivise à son tour en districts (Kazas); ces
districts comprenaient des communes (Nahiyés) composés de villages.
A la tête de chaque département, il y avait un gouverneur. Mais ses pouvoirs lurent limités par la nomination d'un commandement militaire et
d'un Deftardar (chargé des Finances d'une province). De plus un Conseil
mixte composé des représentants locaux fut créé auprès du gouverneur.
2) Organisation financière: Dans ce domaine, on accepta le système de
contrôle central: tous les impôts seraient désormais perçus au nom du
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
33
Trésor impérial, et toutes les dépenses de l'Etat seraient payées par le
Trésor. Conformément à ce système on décida:
1) De confier les affaires financières d'une province à un receveur général.
2) De nommer les fonctionnaires et les percepteurs chargés de prélever les impôts dans les districts.
3) D'élargir les pouvoir des conseils municipaux chargés de calculer
la somme que chaque citoyen devait payer et de créer aussi les
conseils départementaux.
Ces mesures étaient sans doute loin de réaliser d'une manière satisfaisante, les principes financiers prévus dans le Hatt-i Cherif, car Rechid
Pacha n'ayant aucun programme précis dans ce domaine, avait cru résoudre les difficultés par l'imitation du système financier du gouvernement
français. Pourtant, il fit émettre, pour la première fois, les Billets en Turquie.
3) Organisation judiciaire: Le code pénal et le code de commerce français furent adoptés avec des modifications. Des tribunaux civile et des tribunaux de commerce composés des musulmans et des chrétiens furent
institués à Istanbul, puis dans les grandes villes93. En 1846, une loi administrative définissant le devoir, la compétence et la responsabilité des fonctionnaires d'Etat ainsi que la peine à appliquer en cas de culpabilité, fut
promulguée. Un nouveau code pénal fut accepté le 14 juillet 185194.
En fin de compte, nous pouvons dire que grâce aux principes du
Hatt-i cherif, Rechid Pacha apporta de profondes modifications, non seulement dans les domaines précités mais aussi dans l'armée, qui bénéficia
en fait immédiatement des réformes, dans le système d'instruction publique et dans la vie politique et sociale. Mais il faut préciser que toutes ces
modifications ne s'effectuerent que petit à petit, car la politique extérieure
prit à certains moments une ampleur telle que les autres problèmes passèrent au second plan.
9 3 Avant le Tanzimat, il y avait des tribunaux religieux, des tribunaux pour les minorités non musulmanes et des tribunaux étrangers institués par les puissances ayant des privilèges dans l'Empire ottoman.
94
Pour le détail voir: Le livre de Tanzimat pp. 139-232.
LIVRE PREMIER
SES PREMIERE ET DEUXIEME
AMBASSADES
PREMIERE PARTIE
LA QUESTION D'ALGERIE
ET
RECHID BEY
A) OCCUPATION DE L'ALGERIE PAR LA FRANCE
I) La rupture du gouvernement français avec le Dey et la prise
d'Alger
S'appuyant sur la puissance ottomane, à partir de 1520 l'Algérie qui
s'était d'ailleurs fait connaître aux européens avant son annexion à l'Empire ottoman par les activités de ses corsaires dans la Méditerranée occidentale, continua de s'occuper plus activement encore de la piraterie2.
Ayant échoué dans leurs tentatives de s'emparer de l'Algérie, la plupart
des nations maritimes européennes s'en tinrent à conclure des conventions
commerciales3. Et même certaines d'entre elles n'avaient trouvé qu'un
moyen pour assurer la sécurité de leurs navires de commerce et de leur
littoral: c'était de payer au Dey d'Algérie un véritable tribut4. Mais la
France, grâce aux concessions qu'elle avait obtenues (en i53Ôet 1740) de
la Sublime Porte, s'était toujours refusée à le payer et était en bons termes avec les Deys presque dans tous les domaines.
La rupture entre l'Algérie et la France survint en 1818 à la suite de
l'avènement de Hüseyin Pacha 5 au poste de Beylerbeyi6 d'Algérie. Celui' Aziz Sami I L T E R , Şimalî Afrika da Türkler, istanbul 1936-1937,1, 83.
2
M.Nuri Pasa, Netayic'ül-vukuat, istanbul 1327, IV, 82.
L.Algérie a subi dix sept attaques européennes de 1510 à 1826. Cf. M . Nuri Pasa, op cit pp. 82-83.
3
4
E.Lavisse et A. Rambaud, Histoire générale, Paris 1898, X .
Hüseyin Pacha: turc de Denizli et officier de sultan, avait quitté le service pour
chercher fortune en Algérie et devint en 1818 Dey d'Alger. A la suite de l'occupation, il
quitta l'Algérie pour l'Italie et mourut ra 1838 à Alexandrie. C e dernier Dey d'Alger était
intelligent, orgueilleux, autoritaire, sévère et très obstiné mais n'était pas un tyran. Cf. ILT E R , Vol. II, p.94; M.Nuri Pasa, ibid, IV. p. 83.
5
6 Beylerbeyi, gouverneur général sous l'Empire ottoman (M.D'Ohsson, Tableau général de l'Empire ottoman, Paris 1824, vol. VII.).
BAYRAM KODAMAN
38
ci entra eni conflit avec le gouvernement français au sujet de la créance de
Bacri et Busnach, deux juifs 7 qui avaient pris à leur compte une avance
de cinq millions dtfrancs et des fournitures de blé accordées à la France
par le Dey, Hasan Pacha8, sous le Directoire; ainsi le prédécesseur de
Hüseyin Pacha avait fourni lui-même, par l'intermédiaire de deux juifs
une aide considérable à la France. Ce fut l'origine de la créance de ces
juifs algériens envers la France9.
Hüseyin Pacha, le Dey, avait exigé, à maintes reprises, le versement
intégral de cette créance et avait même écrit trois lettres au gouvernement
français à ce sujet. Mais il ne reçut aucune réponse officielle de la part de
la France. Il perdit alors patience et somma le gouvernement français de
destituer le consul de France, M.Pierre Deval I0 , de lui livrer les deux juifs
restés en France et enfin, de remettre à son gouvernement la somme qu'il
avait demandée.
La France n'ayant pas admis les exigences du Dey, se contenta de lui
faire savoir par l'intermédiaire de son consul que ses propositions n'étaient point admissibles, parce qu'elles étaient incompatibles avec la convention du 28 Octobre 1819 n .
7 Le Dey, par l'intermédiaire de ces juifs livoumais, vend des laines avec un bénéfice considérable et du blé (i hectolitre de blé, acheté 3 à 8 Francs au bénéfice considérable
et du blé (1 hectolitre de blé, acheté 3 à 8 Frabcs au producteur, est cédé pour 18 à 20
Francs en Europe).
8 A u cours de la Révolution française, surtout entre 1793-1798, le dey d'Alger Hasan Pacha, malgré les menaces anglaises , ne rompit pas ses relations avec le Directoire et
même lui permit de commercer avec les marchés algériens. En plus Hasan Pacha prêta à
la France une grosse somme, sans intérêts, ainsi les dettes que la France avait contractées
envers le Dey atteignirent un total de 14 000 000 de Francs. Bien que les dey aient demandé, plusieurs fois durant 25 années, à la France de les rembourser la France avait refusé
ces demandes. Mais les relations entre les deux pays n'étaient pas rompues. A la suite des
négociations tenues entre eux, on est arrivé le 28 Tesrinewel (Octobre) 1819 à un accord
sous condition d'une réduction de 7 000 000 de Francs. Et puis la France, en avançant divers prétextes, avait diminué sa dette (II lui restait 4 000 000 Francs à payer). Mais au lieu
d'être versée au Dey, cette somme fut remise à deux juifs installés en France le Dey Hüseyin Pacha avait raison, car le traité de 1819 sur les dettes était signé entre l'Algérie et la
France, non avec ces juifs. Ainsi cette somme appartenait au trésor algérien. Cf. A.S.ILT E R , op. cit. pp. 98 sq.
9
A . N E T T E M E N T , Histoire de la Conquête d'Alger, Paris 1867. pp. 274-275.
Pierre D E V A L , fils d'un interprête de Péra, parlant couramment le turc et l'arabe,
il avait une longue expérience des pays musulmans.
10
11
P56.
Ercüment K U R A N , Fransa'nın Cezayir'e tecavüzü, Tarih Dergisi, 1953, Vol. III,
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
39
Lorsque le consul de France, M.Deval, se présenta, le 29 avril 1827
(1er Sewal 1243 H.), à l'occasion de la fête de Ramadan, à la résidence
de Hüseyin Pacha pour le saluer, il voulut profiter de cette visite pour faire valoir quelques réclamations au sujet d'un navire des Etats du Saint-Siège qui avait récemment été capturé l2 . Hüseyin Pacha, accuillant fort mal
cette réclamation, lui demanda de ne pas s'occuper d'une affaire qui ne
le regardait pas et le queistionna à propos de la lettre envoyée au roi de
France. M.Deval lui répondit: "Il est contraire aux usages que le roi de
France écrive et réponde aux lettres que tu lui adresses". Alors Hüseyin
Pacha, emporté de colère, frappa le consul français au visage avec un
chasse-mouchel3.
Le gouvernement français s'éleva énergiquement auprès Dey contre
l'injure faite à son consul et lui suggéra de se soumettre à trois conditions, en fait inadmissibles. A la suite du refus du Dey à ces propositions,
le gouvernement français envoya une escadre pour faire le blocus d'Alger
(le 15 juin 1827)14.
La rupture entre la France et l'Algérie fut communiquée à la Sublime Porte par l'ambassadeur de France à Istanbul, le 2 août 182715. Mais
la Sublime Porte, occupée sérieusement par l'affaire de l'indépendance
grecque et ne croyant pas au succès français, ne prit pas au sérieux l'affaire d'Alger. Elle se borna à faire quelques démarches diplomatiques en
vue de trouver une solution pacifique au différends opposant la France au
Dey. Cette attitude de la Porte offrait de grands avantages à la France pour une éventuelle conquête de l'Algérie.
La France, dans son expédition nord africaine, comptait sur le soutien des Etats européens secondaires qui aspiraient à l'anéantissement de la
piraterie. D'autre part, les Grandes Puissances continentales étaient satisfaites de voir la politique française s'engager dans les voies maritimes et
coloniales. Seule l'Angleterre, alarmée par le projet d'une expédition française en Afrique du Nord voulut la contrecarrer.
12 A. N E T T E M E N T , op. cit. p. 275. Ch. A . J U L I E N , Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris 1964, p. 27. I L T E R , op. cit. p. 100.
13 E. K U R A N , op. cit. p. 60.
14
I L T E R . ibid, p. 100.
Hariciye Vekâleti Arşivi (Istanbul), Dosya no 708, Cezayirin Fransa tarafından işgali, mesail-i Siyasiyye. Note de l'ambassadeur de France à la Porte. Le 2 août 1827, Cité
par E. K U R A N , Cezayir'in Fransızlar tarafından işgali karşısında Osmanlı Siyaseti (18271847), istanbul 1957 p; 14.
15
BAYRAM KODAMAN
40
Le Prince de Polignac, voyant l'impossibilité de s'emparer de l'Algérie
par le blocus, voulut mêler le vice-roi d'Egypte, Mehmed Ali Pacha, à
l'aflaire algérienne. Mais cette entreprise de M. de Polignac ne pouvait
aboutir qu'avec l'accord pratique de Mehmed Ali, l'adhésion du sultan et
la neutralité de l'Angleterre. M. de Polignac ne put les obtenir.Au moment où le gouvernement français négociait avec Mehmed Ali pour le
charger de diriger une expédition contre le Dey d'Algérie, Il trouva l'Angleterre au travers de sa politique. Le gouvernement anglais fit savoir à la
France, par l'intermédiare du Duc de Naval, ambassadeur de France à
Londres, "qu'il considérerait comme irrégulière et menaçante pour la Porte, l'alliance conclue par un de ses sujets avec une puissance étrangère,
qu'il n'approuverait pas la France d'étendre sa vengeance aux régences de
Tunis et de Tripoli 16 .
La Porte, de son côte, avait d'ailleurs refusé de donner à Mehmed
Ali l'autorisation d'aller en Algérie pour soumettre le Dey. Elle décida
d'envoyer Tahir Pacha 17 comme médiateur pour régler les contentieux
entre la France et l'Algérie. Plus tard Mehmed Ali opposa un refus formel aux propositions de Polignac visant à la liquidation de l'Empire ottoman 18.
La Russie était favorable à une intervention directe de la France en
Algérie. Mais l'Autriche, sous la conduite du Prince de Metternich, repoussait tout changement et pressait le départ de Tahir Pacha.
Quand Tahir Pacha arriva devant Alger, le 20 mai 1830, il ne put
franchir le blocus et fut mené en quarantaine à Toulon où il resta jusqu'au début juillet 19 , sans pouvoir mener à bien sa mission, alors qu'à istanbulin croyait en sa réussite. Entre temps l'ambassadeur de France, le
général Guilleminot annonça le 6 aoôt 1830, au gouvernement ottoman
que les troupes françaises s'étaient emparées d'Alger, le 5 juillet 183020.
16 Dépêche de l'ambassadeur de France à Londres, le 24 Janvier 1830, citée par A.
N E T T E M E N T , ibid, p. 279.
17 Tahir Pacha, Kaptan-ı Derya (grand amiral), puis gouverneur général de Tripoli
(voir, Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmanî, III, p. 148.). Voir également: Lutfi, Tarih, T . II.
p. 184; départ de Tahir Pacha, d'Istanbul, le 2 sewal 1245. Pour les instructions données
à Tahir Pacha voir Lutfi, p. 288. N o 22.
18 Mehmet Ali Pacha dementait son alliance avec la France pour régler l'affaire d'Alger. Cf. E . K U R A N , ibid, p. 24. Pour l'ordre de la Sublime Porte à Mehmed Ali Pacha voir: Lutfi. T.II. pp. 284 No 21
19 J . S E R R E S , la politique turque en Afrique du Nord sous la monarchie de Juillet,
Paris 1925, p. 30.
20
G . E S Q U E R , Histoire de l'Algérie, Paris 1950, p. 285. K U R A N , ibid, p.26.
B) APRES LA PRISE D'ALGER (le 5 Juillet 1830)
1830-1834
I) Les relations diplomatiques entre la France et l'Empire ottoman:
Au début de l'expédition française, en tant que premier intéressé au
sort de sa province lointaine, l'Empire ottoman, n'ayant pas compris l'importance de la question d'Algérie, n'avait pas pris à coeur cette affaire
comme pouvant avoir des conséquences sérieuses21, et s'était contenté
d'envoyer Tahir Pacha auprès du Dey pour régler ses différends avec le
gouvernement français. Lorsque la nouvelle de la prise d'Alger arriva à la
Sublime Porte, celle-ci fut surprise et très mécontente.
Elle s'éleva contre l'atteinte portée à son intégrité territoriale mais
sans pouvoir aller au-delà d'une protestation. La Sublime Porte demanda
à la France de lui donner une explication sur sa conduite peu amicale
vis-à-vis d'elle-même.
Il est évident que pour la Porte il importait de savoir ce que la France entendait faire de l'Algérie, territoire appartenant à son empire22.
D'après les déclarations faites avant comme après la prise d'Alger,
M.de Polignac ne songeait guère d'ailleurs à conserver l'Algérie. Parmi
d'autres hypothèses il envisageait, peut-être, de reconduire la milice turque en Turquie et d'installer à la place du Dey un gouvernement qui pourrait servir les intérêts de la France23. Mais à la suite de la protestation
de la Porte, la France qui prévoyait un accord possible avec elle fit savoir
ses conditions: Elle était disposée à remettre l'Algérie au Sultan et ne
conserverait qu'une portion de territoire algérien depuis le Cap Boujaroni
jusqu'à la frontière de Tunis, en vue d'assurer la sécurité de ses possessions d'Afrique du Nord 24.
21
22
23
N E T T E M E N T . A. op. cit. p. 277 Sq.
J. SERRES, op. cit. p. 49.
Ch. R. A G E R O N . Histoire de l'Algérie contemporaine, Panis 1970, p. 9.
C . B A Y S U N . III. Türk Tarih Kongresi tebliğleri, Ankara 1948, p. 376. S E R R E S
op. Cit. p. 50. Pour les propositions du gouvernement français: Voir B.A. H H N o 46906, la
note présentée à Reis Efendi par l'Ambassadeur de France, Comte Guilleminot, le 14 Août
1830.
24
42
BAYRAM KODAMAN
La Sublime Porte décida de retarder sa réponse aux exigences françaises avancées par l'ambassadeur de France pour attendre le moment favorable où elle serait soutenue par les autres Puissances25. Pourtant elle
n'omettait pas de faire valoir le droit légitime de l'Empire ottoman sur les
territoires occupés par la France.
Au moment où la Révolution de 1830 éclata, la Porte se montrait
disposée à tenir tête au sujet de la question d'Alger.Mais, peu après, Elle
comprit qu'il fallait laisser au gouvernement de Juillet le temps nécessaire
d'étudier l'affaire et de prendre une décision. Ensuite, c'est-à-dire après le
rétablissement du gouvernement de Louis-Philippe, la Sublime Porte réclama officiellement, le 25 décembre 1830, au nouveau gouvernement français la restitution d'Alger 26 . Mais la politique du gouvernement de juillet
était devenue tout à fait différente de celle de son prédécesseur; il déclara
son intention de ne pas abandonner l'Algérie à l'Empire ottoman27.
En lace de l'attitude décisive de la France, la Porte voulut obtenir le
soutien politique du gouvernement anglais. Mais en tenant compte de la
nouvelle politique des Etats européens, conséquence de la Révolution de
Juillet, l'Angleterre ne se montra pas désireuse d'entrer en conflit avec le
gouvernement libéral de Louis-Philippe pour la question algérienne. Cependant elle continua à inciter la Porte à agir contre la France. Le 13
mai 1831 la Porte demanda une fois de plus au gouvernement français la
restitution de l'Algérie et réitéra tous ses droits légitimes sur ce pays28.
Mais elle ne reçut aucune réponse de la part de la France.
Du côté de la France, depuis juin 1831, le ministre Casimir Périer
envisageait d'étendre l'occupation et même d'établir la domination française sur toute la Régence d'Alger;encore se gardait-on bien d'annoncer
ces intentions:29 "le gouvernement français, bien décidé, par honneur et
par instinct, à ne point abandonner ce que la Restauration avait conquis,
avait maintenu les troupes indispensables pour résister aux efforts d'expulsion que tentaient sans cesse les Turcs et les Arabes...
"L'accroissement progressif des dépenses et l'incertitude de plus en
plus évidente du plan de conduite ne tardèrent pas à provoquer une vive
25
K U R A N , op. cit. p. 29
26
M . N U R I . P A C H A , p. 29.
27
B A Y S U N . Supra, p.376.
28
K U R A N . Supra, p. 31.
29
P. R E N O U V I N . Histoire des relations internationales, Paris, 1954, t.V/t. p.i 10.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
43
inquiétude; en 1833 une commission formée d'hommes considérables fut
chargée d'aller visiter l'Algérie et d'étudier, sur place, ce qui s'y faisait, ce
qui s'y devait faire, ce qu'on en pouvait espérer et par quels moyens." 30.
Le 6 juillet 1833 la France constitua une commission d'enqu ête qui
devait recueillir sur place les éléments d'une réponse aux questions suivantes: 31
1) notre conquête doit-elle être conservée?
2) si l'occupation est avantageuse, quel est le système à suivre?
3) doit-on se borner à la soumission des indigènes?
4) doit-on consolider notre établissement par la colonisation?
5) quelle est l'organisation la plus convenable? 32
Après le retour de la commission d'enquête, Louis-Philippe en institua une autre, supériueru, pour discuter les rapports des enquêteurs33.
Aux termes de ces travaux elle se prononça le 7 mars 1834, pour la conservation de la Régence d'Alger: "l'honneur et l'intérêt de la France lui
commandent de conserver ses possessions sur la côte septentrionale de
l'Afrique..."34.
Lorsque le parlement adopta les décisions de la commission supérieure, le 22 juillet 1834, la France décida de rester en Algérie et d'y envoyer
un gouverneur général pour l'administration du pays 35 .
Cependant, l'Empire ottoman, n'ayant aucune connaissance des délibérations qui se déroulaient à l'Assemblée française et de la dernière décision du gouvernement de Louis-Philippe -en ce qui concerne l'ordonnance du 22 juillet 1834- allait s'occuper durant deux années du danger
égyptien qui menaçait de près son existence et son intégrité et qui lui faisait oublier la question d'Alger 36 .
30
G U I Z O T . Mémoires... T . III. pp. 256-257.
31
G . E S Q U E R . Histoire de l'Algérie (Que sais-je?) 1950, p. 13.
32
33
34
R . C A M I L L E . L'Algérie, Paris 1887, vol I, p.314.
J U L I E N , op. cit. p. 112.
C A M I L L E , op. cit. p. 315.
35
J . D R O Z . Epoque contemporaine, 1815-1871. Paris 1963. vol. I, p.425.
36
Voir II ème partie.
44
BAYRAM KODAMAN
II) L'attitude des Puissances:
Ce sont les questions méditerranéennes qui tiennent alors la première
place dans les relations politiques entre les Grandes Puissances. Dans cette zone où la Grande Bretagne, grâce à sa prépondérance navale, et à la
possession de certains points stratégiques, occupe une situation dominante, les efforts d'expansion de la France et de la Russie ouvrent des perspectives neuves, favorisées par l'affaiblissement de l'Empire Ottoman 37.
Vis-à-vis de l'Empire ottoman, les rôles que peuvent jouer les Grands
Etats européen ne sont pas en nombre infini, ils se réduisent en définitive
à deux: les uns ont intérêt à précipiter sa ruine pour en profiter; les autres préfèrent maintenir la souveraineté du Sultan et l'intégrité de son empire dans l'espoir d'y exercer une influence prépondérante ou d'en exclure
leurs rivaux.
a) Angleterre:
Dès le début de l'entreprise, c'est à dire lorsque la France procéda à
une expédition contre le Dey d'Alger, la première réaction hostile au gouvernement français vint de la Grande Bretagne qui était le premier pays
intéressé à un changement de politique survenu en Méditerranée où elle
avait déjà une suprématie par rapport aux autres Etas. Désirant garder
pour elle seule la maîtrise en Méditerranée,le gouvernement anglais craignait, à juste raison, que ses intérêts économiques et sa supériorité navale
ne fussent mis en cause par l'installation de la France en Algérie et aussi
que la Russie ne profitât d'un nouveau démembrement de l'Empire ottoman pour progresser vers le Sud 38 . Pour toutes ces raisons le gouvernement anglais s'opposait au projet de la France de prendre possession de
l'Afrique du Nord et donnait son soutien politique au gouvernement turc.
Mais lorsque la Révolution française de 1830 amena au pouvoir les libéraux français ainsi que Louis Philippe, pour qui l'Angleterre avait de la
sympathie, on constata un changement de politique du gouvernement britannique en faveur de la France dans l'affaire algérienne. Désormais la
Grande Bretagne, en tenant compte de l'attitude des trois Etats, partisants
de l'absolutisme en Europe, (Russie, Autriche, Prusse), paraissait, bon gré
37
Voir l'Introduction: la situation de l'Empire ottoman.
38
P.Renouvin His. Rel. Int. pp. 108-117.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
45
mal gré, s'être résignée à laisser faire la France en Algérie, en échange de
son attitude en Belgique39.
b) La Russie, l'Autriche et la Prusse:
En dehors de l'opposition anglaise, la situation internationale ne présenta pas de péril pour la politique du gouvernement français en Afrique
du Nord. La Russie ne voyant aucune atteinte portée à ses intérêts fondamentaux, donna à la France son approbation sans réserve40. Le Tsar Nicolas Ier déclara que la Russie "verrait avec plaisir la France conserver en
Algérie un établissement assez formidable pour assurer à jamais la sécurité de la navigation dans la Méditerranée"41.
L'arrivée au pouvoir de Louis Philippe en 1830, suscitant une grande
inquiétude chez le Tzar qui était d'ailleurs hostile à toutes les idées libérales et nationalistes fit renoncer la Russie à soutenir la France dans sa
politique algérienne42.
Le Prince de Mettemich, au nom de l'Autriche, conscient de la ressemblance de composition ethnique entre l'Empire autrichien et l'Empire
ottoman, devenait un partisan plus ardent de la conservation du statu-quo
et de la politique d'équilibre en Europe ainsi que de l'intégrité de l'Empire du Sultan. D'où son hostilité à la politique du gouvernement français
visant au démembrement de l'Empire ottoman." ....les vastes contrées sur
lesquelles le nom du Sultan domine encore comme un pouvoir effectif,
deviendraient nécessairement, par la chute de son trône, le théâtre d'une
épouvantable anarchie ou la proie de la conquête de l'étranger. A l'une
comme à l'autre de ces éventualités se trouvent liées des conditions plus
ou moins compromettantes pour la paix du monde, il ne peut donc s'agir
pour aucune puissance de se créer à cet égard des utopies" 43.
39 Pendant la crise belge, malgré l'opinion publique française qui était favorable à la
révolution belge et à une annexion future de la Belgique par la France, Louis-Philippe, au
nom de son fils, refusa, le 17 février 1831, la couronne belge et finit par accepter les décisions de la conférence internationale qui avait décidé le 21 janvier 1831 que le nouvel état
belge serait neutre, et que cette neutralité serait garantie par les puissances. Ainsi, l'affaire
fut réglée à la suite de la résignation de la France à la politique anglaise. Voir P. Renouvin. ob. cit. T . V pp. 60-68.
40
41
D R O Z : Histoire diplomatique (de 1648 à 1919), Paris 1963, p. 217.
J U L I E N A.: op. cit., p. 41.
42
D R O Z : Hist. diplom., p. 318.
43
M E T T E R N İ C H : Mémoires..., vol. V, p. 490.
46
BAYRAM KODAMAN
Satisfaite de la politique française dirigée vers la voie de la colonisation, la Prusse qui subissait alors l'influence de la politique russe, prit une
position analogue à celle de la Russie44.
En somme, après la Révolution de 1830, les Grandes Puissances européennes se divisaient, suivant le caractère de leur régime, en deux
blocs4S: trois états, la Russie, l'Autriche et la Prusse, partisans de la conservation de leur régime absolutiste et d'autre part hostiles à l'expansion
des idées libérales en Europe, prirent position contre la politique française; les autres, parmi lesquelles l'Angleterre surtout, soutenaient les mouvements nationalistes et libéraux et donnaient leur assentiment à la politique du Roi Louis Philippe.
44
J U L I E N A. op.cit. p.41
C) LA NOMINATION DE RECHID BEY AU POSTE DE LA
LEGATION DE PARIS.
I) Les motifs de cette nomination:
Grâce à la convention de Kütahya du 14 Mai 1833 entre l'Egypte et
l'Empire ottoman, le Sultan Mahmud II étant débarrassé provisoirement
de la menace que faisait peser Mehmed Ali, gouverneur d'Egypte, et surtout grâce à la signature du traité de Hünkâr iskelesi du 8 Juillet 1833
avec la Russie46, le gouvernement ottoman estima que l'heure était venue
de s'occuper sérieusement de la question de l'Algérie.
Mais du côté français, nous savons qu'après la destitution du Roi
Charles X et surtout après l'ordonnance du 22 Juillet 1834 qui prévoyait
la conservation de l'Algérie 47 , le gouvernement de Louis Philippe n'avait
montré aucune intention d'abandonner l'Algérie, au contraire il était disposé à y étendre encore ses conquêtes.
Pourtant la France avait tenté, quelquefois de négocier par l'intermédiaire de Hamdan Efendi avec Hadji Ahmed bey de Constantine. Mais
celui-ci, ayant répondu au gouvernement fiançais qu'il ne saurait négocier
directement avec la France avant de recevoir l'autorisation et les instructions de la Sublime Porte, et avant que la France ne lui abandonne Annaba(Bône), repoussa toutes les démarches du gouvernement français auprès
de lui. Ainsi, les tentatives de négociation à peine amorcées furent rompues sans résultat48.
A la fin de l'année de 1833, l'arrivée à Istanbul d'une lettre49 écrite
par Hamdan Efendi 50 poussa la Sublime Porte à agir, par la voie de la
45
D R O Z : Hist. diplom., p. 318.
46
K O D A M A N B., Boğazlar Meselesi, 1789-1850. Mémoire présenté.
47
48
J U L I E N : op.cit., p.114.
B A Y S U N C . III. T . Tarih Kong., p.376.
B.A.Dosya no 78, HH, no 62, La lettre de Hamdan Efendi au Sultan le 29 Rebiul-ewel 1249. (le i8Juillet 1833).
49
50 II est fils d'Osman Hodja secrétaire de Hüseyin Pacha, était désigné par le général
de Bourmont au poste d'Aga d'Alger. Par la suite il quitta ce poste et joua le rôle de médiateur entre le Bey de Constantine et le gouvernement français. Enfin, Hamdan Efendi,
ayant attaché une grande importance à l'intervention de l'Empire ottoman pour obtenir la
BAYRAM KODAMAN
48
diplomatie, pour la question de l'Algérie. En effet le conseil des ministres
après s'être entretenu sur le compte rendu de Hamdan Efendi, décida
d'envoyer Rechid Bey, alors Amedji du Divan impérial (grand référendaire du Divan) comme envoyé extraordinaire,à Paris en vue d'obtenir
l'abandon de l'Algérie par le gouvernement français. "Malgré mes conseils, elle (la Porte) est décidée à envoyer un agent à Paris....ce sera Rechid
Bey, premier Amedji du Divan. Le m me qui accompagna M.Varenne
(secrétaire de l'ambassade de France à Istanbul) pour la paix de Kütahya
et qui est par conséquent dans notre système"51.
Avant de déclarer officiellement la mission de Rechid Bey à Paris, le
sultan Mahmud II jugea utile de prendre l'avis des ambassadeurs de
France, d'Anglaterre, de Russie à ce sujet". Ceux-ci approuvèrent la décision du Sultan d'envoyer un ambassadeur à Paris. Mais l'Amiral Roussin,
ambassadeur de France en Turquie, conseilla à la Porte de ne pas annoncer publiquement la mission de Rechid Bey sur l'affaire algérienne. Au
début Roussin s'opposa à ce que le gouvernement turc charge Rechid
Bey de faire restituer l'Algérie."....J'ai positivement annoncé l'inutilité
d'une telle démarche, ajoutant qu'elle n'aurait assurément d'autre résultat
que d'attirer un relus, qu'il était de la convenance de la Porte de ne pas
provoquer directement...."53.
Pourtant la Porte insista pour que l'ambassadeur de France approuvât et donnât son assentiment à sa décision. Enfin Roussin ne céda devant l'insistance de la Porte qu'à condition que Rechid Bey n'eût pas
l'ordre de tratiter de l'Algérié "....Après avoir épuisé les arguments officiels
et les efforts de ma conviction pour faire renoncer à cette démarche, j'ai
fini par déclarer au Reis Efendi (ministre turcs des Affaires Etrangères)
que je ne donnerais à Rechid Bey la lettre d'instruction qu'il m'a demandée pour lui qu'à condition qu'on me donne la certitude qu'il n'aurait
pas l'ordre de traiter de l'Algérie" 54 .
libération de l'Algérie, avait envoyé une lettre à Istanbul dans laquelle il décrivait la douleur et la souffrance dont la population avait du supporter les effets depuis l'occupation et il
demandait au Sultan son soutien et son aide.
51
A.A.E. 1834 Turquie
vol. I. Correspond.ince de l'Amiral R O U S S I N le 17 juin
1834.
52
B.A.; HH. no. 22513.
53
A.A.E.1834 T U R Q U I E vol. I.
54
A.A.E. 1834, T U R Q U I E , vol. I, la même lettre.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
49
Desireuse d'obtenir pour Rechid Pacha une lettre d'instruction, la
Porte assurait l'ambassadeur de France, M.Roussin, que son envoye ne
serait pas chargé de réclamer Alger 55 . En réalité, d'après la décision du
Divan réuni pour examiner les plaintes de la population algérienne présentées par la lettre de Hamdan Efendi, la tâche principale de Rechid
Bey était de demander au gouvernement français de restituer l'Algérie à
son ancien propriétaire56. Mais pour des raisons politiques, l'ambassadeur
de France voulait, par son refus d'accorder à Rechid Bey la lettre d'instruction, empêcher la Sublime Porte d'annoncer publiquement que son
envoyé spécial se rendrait à Paris pour s'entretenir avec le gouvernement
français de l'affaire algérienne.
Enfin, tenant secrète sa mission principale, la Porte désigna Rechid
Bey, selon le choix du Sultan, en juin 1834 (Safer 1250 H), comme envoyé extraordinaire à Paris 57 "....Moustapha Rechid Bey, Amedji (grand référendaire du Divan impérial) qui a montré une granda capacité dans son
poste et.... a été choisi pour cette mission..."58. Ainsi, depuis l'occupation
de l'Algérie jusqu'en 1834, l'une des plus importantes démarches diplomatiques du gouvernement ottoman fut d'accréditer un ambassadeur, sous le titre d'envoyé extraordinaire auprès de la Cour de France en vue
d'assurer la restitution de l'Algérie.
Rechid Bey n'avait-il reçu d'autre ordre que de traiter de l'Algérie,
autrement dit, était-il chargé par son gouvernement de s'occuper seulement de cette affaire? Absolument pas. Nous savons que, malgré le traité
de Kütahya et celui de Hünkar iskelesi, la question d'Orient, c'est à dire
les problèmes d'Egypte et des Détroits, n'était pas définitivement résolue
et même présentait de nombreux dangers pour l'Empire ottoman: l'accroissement de l'influence de la Russie et les ambitions aventureuses de
Mehmed Ali, principales sources d'inquiétude du Sultan Mahmud II.
Sans doute la Sublime Porte, profitant de la situation générale plus
calme, voulait-elle tenter une action diplomatique auprès des Grandes puissances pour résoudre en sa faveur les questions en suspens. N'ayant
55
A.A.E. T U R Q U I E vol. I, 1834.
56
K U R A N E. op.cit. p.36.
Abdurrahman Ş E R E F Tarih Musahabeleri İstanbul 1939 p. 76. la Nomination
de Rechid Bey à Paris avait été annoncée par le journal Officiel turc Takvim-i Vekayi daté
du 3 juillet 1834 (le 25 Safer 1250) dont le numéro de publication est 85.
57
58
A.A.E. 1834 T U R Q U I E vol. I; la lettre de R O U S S I N le 17 juin 1834.
58 BAYRAM KODAMAN
marqué jusqu'alors aucun intérêt pour les usages diplomatiques des Puissances européennes, elle éprouvait cette fois la nécessité d'accréditer les
ambassadeurs permanents dans les principales capitales de l'Europe. D'où
sa décision d'envoyer en 1834 ses diplomates pour trouver une résolution,
par la voie diplomatique, soit aux questions d'Alger et d'Egypte, soit aux
autres problèmes concernant l'Empire ottoman. C'est pourquoi la mission
officielle de Rechid Bey en France ne se bornait pas à la question d'Alger
mais en englobait d'autres dont il avait à s'entretenir avec le gouvernement français59.
Sur les motifs de la nomination de Rechid Bey, le journal officiel
"Takvim-i Vekayi" du gouvernement ottoman soulignait que Rechid Bey
était désigné à Paris pour renforcer les relations et l'amitié entre les deux
pays60. D'autre part, Mehmet Selahaddin note dans son livre que "Rechid Bey, en ayant confiance en Dieu et en s'appuyant, avec une véracité
complète, sur l'aide spirituelle du Prophète, allait en Europe pour s'entretenir avec les dirigeants des Grandes Puissances influencés par des idées
fausses et terribles sur la Turquie et pour résoudre, de concert avec eux,
la question d'Egypte en faveur de notre empire..."61. Nous voyons dans
l'attitude de la Porte une discrétion et une réserve sur la mission exacte
de Rechid Bey, en ce qui concerne l'abandon de l'Algérie.
Pourquoi cette réserve du côté ottoman? Parce que la Porte ne désirait pas, en insistant sur l'affaire algérienne, se brouiller avec le gouvernement français dont le soutien politique lui était nécessaire pour chasser la
flotte russe ancrée dans le Bosphore et pour se débarrasser de Mehmed
Ali 62 .
Malgré les efforts de la Porte de tenir secrète la mission principale de
Rechid Bey, dans les journaux parisiens on publiait déjà que le but d'un
envoyé spécial à Paris serait sans aucun doute de demander à la France
d'abandonner l'Algérie au Sultan. "... on vient d'annoncer l'arrivée à Paris
d'un envoyé spécial de la Porte ottomane qui doit réclamer Alger comme
gage de la bonne amitié de la France avec le Sultan..."63.
59
Voir Ahmet Lutfi. op. cit. vol.4. p. 158.
60
Takvim-i Vekayi No 85.
61
M . S E L A H A T T I N Bir Türk diplomatının evrak-i siyasiyyesi Istanbul 13 06 p. 16
6-
Sinasi A L T U N D A G Kavalali Mehmed Ali Pasa v Misir meselesi Ankara 1945.
63
Le Constitutionnel (journal publié à Paris le 7 août 1834.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
5
Enfin Rechid Bey ayant avec lui, comme secrétaire Nuri Efendi64 un
des premiers employés du Divan, et comme interprète Ruhiddin Efendi65
professeur à l'école du génie maritime66,devant se mettre en route au mois de juillet 1834 pour Paris, commença à se préparer pour le voyage67.
Pendant ce temps-là, l'ambassadeur de France, M. Roussin, donna à Rechid Bey la lettre d'instruction dont voici le texte:
"Monsieur le Comte," 68
J'ai eu l'honneur de vous informer que la Sublime Porte, désirant
resserrer et cultiver, par tous les moyens en son pouvoir, les relations amicales qui, pendant si longtemps l'ont unie à la France, avait résolu de faire résider un de ses ministres à Paris.
Ce ministre qui est sur le point de partir est son excellence l'Efendi
Rechid Bey, Amedji (grand Référendaire du Divan impérial), homme distingué, pénétré des véritables intérêts de son pays dont il partage les
sympathies.
Il est porteur d'une lettre du Grand Seigneur pour sa Majesté le Roi
Louis-Philippe et d'une lettre de la Sublime Porte pour Votre Excellence,
qui ont toutes deux pour objet d'exprimer les sentiments d'amitié et de
dévouement dont Sa Hautesse est animé pour la France et pour son souverain.
Les rapports que nous avons eus avec excellence Rechid Bey, nous
ont mis plusieurs fois à mâme d'apprécier la justesse de son esprit et la
droiture de son caractère,principalement dans la mission importante qu'il
a remplie avec le Baron de Varenne lors de la paix de Kütahya. Ces qualités frapperont promptement votre Excellence et elles m'auraient dispensé
de le lui recommander s'il ne l'avait expressement désiré.
C'est donc sur ses instances réitérées que je lui remet s cette lettre
pour Votre Excellence
le 22 Juillet 183469."
54
Nuri Efendi, fils de la soeur de Re< hid Bey.
65
Ruhiddin Efendi, le père du Grand Vizir Ahmed Vefık Paşa (1824-1890).
66
A.A.E. 1834, T U R Q U I E , vol. I, 350. Lettre de Roussin datée du 5 juil 1834.
67
A.A.E. 1834. T U R Q U I E
vol. I, p. 327. Lettre de R O U S S I N datée du 24 juin
1834.
1834-)
68
Ministre Français des Affaires Etrangères M.de Rigny.
69
A.A.E. 1834. T U R Q U I E
269 (No 47 p. 156; Lettre de R O U S S I N du 22 juillet
52
BAYRAM KODAMAN
D'autre part Rechid Bey était muni d'une instruction secrète70 concernant la question algérienne et de la lettre du Sultan Mahmud II au
roi de France sur sa mission à Paris. Dans l'ordre secret donné à Rechid
Bey, on insista surtout sur ce qui suit en substance:
"Votre mission est de confirmer, de rassurer et de resserrer les liens
et les relations existant entre mon Empire et l'Etat français d'une part et
d'obtenir par la voie de négociation l'évacuation et la restitution de l'Algérie qui faisait partie des territoires de mon Empire..."
L'ORDRE DU SULTAN
S-t^ -s-' V-
•
>
—»
VJ* —>Jjj/~J
f
—J-^yo ->jt>y,w»u" A
. ' v j Ji/'j.
,• •
tfjiX-j >.üötüMo
-.
"
'
^, j
r
En
outre, dans la lettre à Louis-Philippe, le Sultan Mahmud II, évoquant l'amitié ancienne et les rapports amicaux entre les deux gouvernements, montrait sa volonté et son intention de maintenir et de renforcer
les relations dans tous les domaines entre France et la Turquie.Le texte
de cette lettre, résumée par M. Roussin, est le suivant:
70
Başvekalet Arşivi (Istanbul) Nàme-i humayun Defterleri n o n
71
A.A.E. 1834 T U R Q U I E no 269 p. 54 Corr de Roussin le 29 juillet 1834.
p. 148.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
53
"L'amitié ancienne et la bonne harmonie qui régnent entre notre
Sublime Porte et l'auguste Cour de France étant à l'abri de toutes altérations, et Votre Majesté en ayant la certitude, il n'est pas nécessaire d'en
donner la preuve. Cependant, comme l'envoi d'ambassadeur et de lettre
ne peut qu'être agréable et contribuer au raffermissement de la bonne intelligence, Rechid Bey, Amedji de mon Divan impérial, vous est envoyé
en ambassade pour resserrer les liens de l'amitié qui unit les deux Cours
et dont le maintien est désiré de part et d'autre, en vous exprimant comme il faut la sincérité de nos sentiments et la pureté de nos intentions
dans toutes les affaires. Nous espérons que, s'il plaît à Dieu, lorsque votre
Majesté aura pris connaissance de notre présente lettre impériale, elle voudra bien raffermir l'heureuse harmonie qui existe entre les deux empires en ayant égard à ce qu'exprimera le dit ambassadeur et en agissant
toujours de manière à augmenter l'amitié des deux Cours...." 72 .
H) - Le voyage de RECHID BEY (d'Istanbul à Paris)
A Istanbul, au moment où Rechid Bey commençait ses préparatifs de
voyage, la question de l'itinéraire à suivre pour aller à Paris se posa 73 : se
rendre à Paris par voie de terre en passant par Vienne ou bien par voie
de mer jusqu'à Marseille?Le voyage en bateau fut choisi tout d'abord,
puis la Sublime Porte, croyant qu'à la suite d'un entretien entre Rechid
Bey et le Prince de Mettemich, elle pourrait obtenir de ce dernier l'appui
diplomatique de l'ambassadeur autrichien à Paris pour la mission de Rechid Bey et surtout de son gouvernement pour l'Empire ottoman à propos
de la question d'Orient, approuva le départ de Rechid Bey pour Vienne
puis pour la France.
Enfin, Rechid Bey quitta, avec sa suite, Istanbul, vers la fin du mois
de juillet 1834; pour se rendre à Vienne et, huit jours après son départ,
vint à Nis où il passa une nuit en tant qu'hôte de Salih Pacha, commandant de cette ville,74. Le lendemain, continuant son voyage au cours du7 2 A . A . E . 1834, T U R Q U I E , n o 269, Cors de Roussin concernant la lettre du Sultan
au Roi, le 29 juillet 1834.
73 II s'agissait la de l'insistence de l'ambassadeur de France, Roussin, qui, faisant sur
la Sublime Porte, voulait faire envoyer Rechid Bey à Paris par Marseille pour empêcher
une rencontre entre ce dernier et le Prince Mettemich.
74 Corres. de Rechid Bey, le 14 août 1834 — le 8 rebiul-ahir 1250 H - C . Baysun, Resid Paşa'nin siyasi yazıları in Tarih Dergisi, 1954 T o m e VI/g pp. 40-43.
BAYRAM KODAMAN
54
quel il eut même, à Semendire, un entretien avec Milos, Prince de Serbie,
qui lui offrit des cadeaux, et de l'argent, il se rendit à Belgrade où il devait être mis en quarantaine pour dix jours (11-21 Août 1834 -5-15 Rebiulahir 1250)75.
Dans toutes les lettres qu'il avait expédiées à Istanbul au cours de
son voyage en Serbie, Rechid Bey expliquait la situation générale de la
Serbie et surtout informait la Porte de l'attitude et des demandes de Milos avec lequel il avait eu des conversations sur les relations commerciales
entre la Serbie et l'Autriche-Hongrie76.
Une semaine après son départ de Belgrade, Rechid Bey, sur l'invitaticn officielle du général Coblin, se rendit à ZEMON pour y rester deux
jours et arriva ensuite le 27 août 1834 (21 Rebiul-ahir 1250) à Vienne où
il devait s'entretenir avec Metternich 11 .
En raison de l'absence à Vienne de Metternich qui passait ses vacances à Baden, Rechid Bey avait eu des entretiens avec Mavroyani78 et Ottenfels sur la crise d'Egypte 79 . Enfin Rechid Bey, dont le but était de
s'entretenir avec Metternich, d'obtenir surtout de lui l'appui de l'Autriche
sur la guestion d'Alger et celle d'Egypte, et puis de lui présenter la lettre
de la Porte, fut reçu le 30 août 1834, après trois d'attente, par Metternich80;
Au cours de cet entretien, Metternich, d'ailleurs partisan ardent de la
conservation du statu-quo et de la politique d'équilibre en Europe, lui annonça que son gouvernement soutiendrait toujours l'Empire ottoman, dont
1' intégrité et l'existence étaient nécessaires pour la paix générale, qu'il suivrait une politique favorable à la Porte et lui apporterait son soutien politique, au besoin militaire, dans la question d'Egypte. D'autre part, faisant
le tour d'horizon des attitudes des autres puissances à l'égard de l'Empire
ottoman, il déclara à l'envoyé ottoman que, depuis quelque temps la
Russie avait accepté la politique suivie par l'Autriche et que la France et
l'Angleterre voulaient aussi l'intégrité de la Turquie 81 .
75
Corrs de Rechid Bey in Tarih Dergisi VI/<ı.
76
Corrs de Rechid Bey in Tarih Dergisi VI/<ı pp. 45-47.
77
B.A. S. 153 document no 40 (C. B A Y S U N Tarih Vesikaları T 1 /1 P.31.).
78
Vice ambassadeur d'Autriche à Istanbul.
79
Ancien ambassadeur d'Autriche à Istanbul.
80
B.A.S. 153 document (E) no 40 ( C . B A Y S L N T . V . T o m e 1/1 P.34).
81
B.A. S. 153 document (E) no 40 (Baysun C . T . V . tome i ' 1 p. 33
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
Au sujet de la restitution de l'Algérie à la Porte, Rechid Bey n'avait
pas obtenu de Metternich autre chose que le soutine politique de l'ambassadeur autrichien à Paris82.
Bien que son départ de Vienne fût prévu pour le i e r Septembre 1834
(26 Rebiul-ahir 1250), Rechid Bey décida d'y rester encore quelques jours
à la suite de l'invitation faite par Metternich d'assister à une réception qui
aurait lieu à Baden. D'après la lettre qu'il avait envoyée à Istanbul à ce
sujet83, Rechid Bey pensait qu'en acceptant invitation il pourrait avoir encore l'occasion de s'entretenir avec les dirigeants autrichiens. A cette fin il
rencontra le Baron d'Ottenfels chargé par Metternich de conférer avec lui
des questions relatives à l'Empire ottoman. Mais il ne put obtenir d'autre
appui que celui promis par Metternich sur sa mission.
Pourtant le gouvernment autrichien annonça une fois de plus à Rechid Bey qu'il défendrait sans réserve les intérêts de l'Empire ottoman
dans la question d'Orient; d'autre part il s'abstenait de prendre une position décisive au sujet de l'Algérie et illaissait entendre qu'à ce propos tout
dépendrait de la volonté du gouvernement français et qu'il ne pourrait
pas intervenir directement en faveur de la Porte, "...d'après les rumeurs
circulant en milieu diplomatique, on sait, disait le Baron d'Ottenfels à
Rechid Bey, que la France n'acceptera pas les prétentions et les propositions que vous avancerez à propos de la restitution de l'Algérie, Quant à la
raison de ce refus fiançais, étant donné que l'Algérie a été occupée par la
France sous le règne de l'ex-roi84, le roi actuel, Louis Philippe, tenant
compte du prestige de son gouvernement, n'aura pas l'intention d'abandonner l'Algérie. D'où la difficulté de cette affaire85.
Enfin, Rechid Bey, après avoir assisté à la réception donnée à Baden
pendant laquelle il avait aussi eu des conversations avec l'ambassadeur de
Russie et encore avec les dirigeants autrichiens, quitta Vienne le 2 Septembre 1834 (27 Rebiul ahir 1250) pour rejoindre son poste à Paris86.
M
İbid.
Pour le texte complet de cette lettre voir: Baysun C. op. in Tarih vesikalan T . i / i
pp. 31-36.
83
84
Charles X .
85
Corresp. de Rechid le 27 Rebiul ahir 1250 H.in Tarih vesikalan T . 1/1 p. 34.
86
Corresp. de Rechid in Tarih vesikalan T . 1/1 p. 37.
D) — RECHID BEY A PARIS.
I. Ses premiers jours.
A la suite d'un long voyage à travers l'Europe, Rechid Bey arriva enlin, le dimanche 14 septembre 1834 à dix heures du matin, à Paris87. Il
y était accueilli avec sa suite de huit personnes. Le lendemain, sur l'arrivée de l'envoyé extraordinaire de la Sublime Porte, le "Journal de Paris"
en date du 16 Septembre 1834 publiait en première page l'article suivant:
"Son Excellence Mustapha Rechid Bey Efendi, Amedji (Grand référendaire) du Divan impérial, chargé par S.H. Sultan Mahmud II d'une mission
prés de la Cour de France, est arrivé hier à Paris".
"Cet envoyé, qui doit résider en France, est accompagné de Nouri
Efendi, secrétaire de la Légation, précédemment attaché à la mission temporaire que Namik Pacha 88 est venu remplir à Paris l'année dernière, et
de Rouhiddin Efendi, interprète de la Légation, ancien professeur à l'Académie impériale du génie. Leur suite se compose de huit personnes; ils
sont logés rue Laflïtte, Hôtel d'Artois".
Peu après son arrivée, Rechid Bey, qui devait notifier officiellement
son entrée en fonction dans les formes d'usage, rendait visite au ministre
français des Affaires Etrangères pour lui présenter la lettre que lui avait
donnée l'Ambassadeur de France à Istanbul et en même temps pour
s'entretenir avec lui. Le lundi 22 Septembre 1834 (18 Cemaziyelewel
1250) l'envoyé de la Porte fut reçu en audience solennelle pour remettre
ses lettres de créance au Roi de France, Louis Philippe. Au cours de cette
audience, il lui présenta la lettre du Sultan Mahmud II dont nous donnons ci-dessous le texte traduit en français: "Très grand, très puissant,
très affectueux Prince, notre ancien et meilleur ami:
"Comme les antiques relations d'amitié et les rapports d'une constante bienveillance qui subsistent si heureusement depuis tant d'année, entre
notre Sublime Porte d'éternelle durée et la glorieuse Cour de France, ont
été préservés de toute atteinte et altération, il serait inutile d'appuyer de
87
A.A.E. 1834 T U R Q U I E . 269 p. 156.
Namık Pacha voir: K A R A L E.Z. "Namık Paşa'nın Hal Tercümesi'in Tarih vesikaları T . 2/9 pp.220-227.
88
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
preuves et de démonstartions un fait aussi positif et aussi évident, surtout
lorsque votre conviction est elle-même pénétrée de cette vérité. Cependant
la mission de personnes de confiance et l'envoi de lettres sont partie essentielle des bons procédés qui entretiennent les sentiments d'une mutuelle bienveillance et sont des moyens puissants de les rendre plus solides et
plus durables. Seulement, en raison de l'affection particulière et de la vive
sympathie que Notre Auguste coeur ressent pour Votre Majesté, afin de
lui exprimer quelles sont nos vues et nos intentions impériales sur l'ensemble des affaires, et dans le vif désir de donner une force nouvelle et
plus active aux relations affectueuses dont le maintien,également souhaité
de part et d'autre subsiste entre les deux glorieuses Cours, nous avons désigné et honoré de notre choix l'Amedji de Notre Divan Impérial, Réchid
Bey, pour remplir la mission d'Envoyé extraordinaire (Séfarèt), et nous
avuns fait émaner et expédier notre présente lettre impériale. Lorsqu'avec
l'aide du Seigneur, sa teneur sera connue de Votre Bienveillante Majesté.
Elle voudra bien accorder entière créance aux communications de ctSéfir,
et dans toute occasion, donner cours aux témoignages d'affection qui peuvent resserrer les noeuds de l'union des deux Empires: C'est ce que nous
espérons des soins bienveillants de Votre Majesté".
Le 13e jour de la lune de Reby'ler 1250
(8 juillet 1834 J.C.). 89 .
Après la remise du firman (lettre) du Sultan au Roi de France, Rechid Bey prononça en turc le discours qui suit, aussitôt traduit par l'interprète "Honoré de la mission d'apporter et de présenter à Votre glorieuse Majesté une lettre particulière de Sa Hautesse, le Puissant Empereur
mon auguste Maître, dans laquelle ce Monarque manifeste les sentiments
de l'amitié pure et sincère qui l'anime pour Elle, et son voeu de resserrer
les noeuds de mutuelle bienveillance qui lient entre eux les glorieux Empires, je suis profondément ému, en même temps que j'éprouve le sentiment intime de mon insuffisance, de remplir la haute et noble mission,
de cultiver et de consolider ces relations d'attachement et de bonne harmonie entre les deux augustes Monarques et glorieuses Cours..." 90 .
En réponse à ce discours du ministre plénipotentiaire de la Sublime
Porte, Louis Philippe prononça l'allocution suivante:
"Monsieur l'Ambassadeur,
89
A.A.E. 1834 T U R Q U I E 269 pF.. 174.
90
A.A.E. 1834 T U R Q U I E 269.
IOO
BAYRAM KODAMAN
Je reçois avec une grande satisfaction la lettre que le Sultan vous
a chargé de me remettre. J'apprécie les sentiments d'amitié que me témoigne Sa Hautesse et je rechercherai avec empressement toutes les occasions de lui manifester combien celle que je lui porte est sincère et durable.
Je serai charmé de cultiver et d'entretenir les relations d'attachement et
de bonne harmonie qui subsistent depuis si longtemps entre la France et
l'Empire ottoman et je vous prie d'assurer le Sultan des voeux que je forme pour la prospérité de son règne et de son Empiré" 91 .
Pendant cette réception officielle, Rechid Bey fut traité avec beaucoup
d'égards par le Roi qui manifesta envers lui, une attitude amicale et
sympathique. Et il fit la connaissance de la Reine 92 ainsi que de ses deux
filles qui s'entretinrent aussi avec lui 93 .
De plus Rechid Bey, favorisé par la sympathie de Louis Philippe, fut
invité à dîner au Palais Impérial, le 26 septembre 1834 (22 Cemaziyelewel
1250)94. Avant de se rendre au Palais Impérial avec Namik Pacha 95 , Ambassadeur ottoman à Londres, venu à Paris, il rendit visite au Premier
Ministre, le Maréchal Gérard, à qui il davait remettre la lettre de la Porte, et au Général Guilleminot96.
IL Préparations de Rechid Bey à ses fonctions diplomatiques:
Au début du mois d'Octobre, Rechid Bey commençait ses consultations dans les milieux diplomatiques sur sa mission relative à l'Algérie. Toutefois il était persuadé qu'il était trop tôt pour annoncer son mandat au
gouvernement français. Il jugeait utile d'attendre le moment opportun à
une telle démarche auprès du ministre des Affaires Etrangères. D'ailleurs
l'Amiral de Rigny 97 l'avait informé de ses préoccupations afin de retarder
son entreprise à ce sujet98.
Entre temps il ne restait pas dans l'immobilisme; il s'efforçait d'élargir sa connaissance sur l'état d'asprit du gouvemment français et sur
91
A.A.E. ibid.
92
Marie Amélie.
93
B.A. H.H. 46899 J Corrs de Rechid Bev le cemaziyelewel 1250.
94
Ibid.
95
Alors Ambassadeur ottoman à Londres
96
Ex-Ambassadeur de France à Istanbul.
97
Ministre français des Affaires Etrangère*.
98
B.A. H.H. no 46899 J; corresp. de Rechid Bey.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
l'opinion publique en vue de se préparer aux entretiens ultérieurs qui pourraient être tenus à propos de l'Algérie: il sondait, d'une part les hommes d'Etat et les politiciens pour pouvoir connaitre les intentions du gouvernement français et examinait les articles des journaux parisiens ayant
trait à ce sujet; d'autre part il entra en relations avec les Ambassadeurs
des Etats qui maintenaient des rapports amicaux avec la porte pour obtenir leur soutien dans sa mission.
Au commencement, il semblait ne pas être fixé sur ce que pourraient
tre ses propositions au gouvernement de Louis Philippe et, pour cela,
comptait plutôt sur les conseils de l'Ambassadeur de Russie, Pozzo di
Borgo, qui avait déjà l'expérience de la vie diplomatique". Nous savons
qu'après le traité de Hünkâr iskelesi, les relations politiques s'étaient eméliorées entre la Russie et l'Empire ottoman et que celle là avait montré
son intention d'apporter son aide politico-diplomatique à la Porte. Et même son ambassadeur à Istanbul avait remis à Rechid Bey une lettre pour
Pozzo di Borgo. C'est la raison pour laquelle Rechid Bey cherchait
d'abord le soutien de l'Ambassadeur russe à Paris.
A cet effet il se rendit à l'Ambassade de Russie pour s'entretenir avec
Pozzo di Borgo sur la marche à suivre à propos de l'affaire algérienne;
mais en raison de son absence de l'ambassade, Rechid Bey repartit sans
avoir eu de conversation avec lui.
Quelques jours plus tard l'Ambassadeur de Russie, informé de la venue de Rechid Bey à sa résidence, se rendit à l'Ambassade turque et eut
un entretien avec lui. Au cours de cette entrevue, Pozzo di Borgo, après
avoir exprimé sa satisfaction des relations intimes unissant les deux Etats
(Russie et Turquie) et son amitié envers Rechid Bey, lui confia son point
de vue sur la politique suivie par la France dans la question algérienne:
"...Quoique la France admît en 1830 la restititution de l'Algérie et fît même savoir, par son Ambassadeur à Istanbul, M. Guilleminot, son intention de la rendre sous condition de garder pour elle certaines régions stratégiques en Afrique du Nord, le gouvernement actuel, en tenant compte
de l'attitude et des accusations de l'opposition à l'Assemblée, de l'opinion
publique française et ensuite du désintéressement de l'Angleterre, commença peu à déclarer franchement son désir de conserver l'Algérie et de
s'y installer.Surtout les généraux influents se prononcent contre la restitu99
ibid.
IOO
BAYRAM KODAMAN
tion. Il est, au moins pour le moment difficile de croire que la France
abandonnera volontairement l'Algérie à son ancien propriétaire..." ,0°.
Malgré ces révélations de l'Ambassadeur de Russie, Rechid Bey, qui
n'était pas au courant des Ordonnances de Juillet 1834 prévoyant la conservation et des projets français de l'installation en Algérie, croyait encore
que le gouvernement français ne déciderait pas définitivement d'y rester
en raison des difficultés financières qu'il y subissait. Et il prenait en considération les attitudes des autres puissances, qui s'intéressaient d'ailleurs
de prés à la politique méditerranéenne et qui ne voulaient pas se résigner
à l'intervention française en Algérie et accepter cette occupation comme
un fait accompli 101 . Pourtant il n'avait fait encore aucune démarche auprès du gouvernement français, parce que l'Ambassadeur de Russie lui
avait conseillé de retarder le jour de la déclaration de sa mission essentielle pour attendre le moment favorable102. Entre temps il entra en contact
avec Hamdan Effendi 103 et Hasun Effendi104 en vue de profiter de leur
connaissance des événements et de la question algérienne et d'obtenir surtout l'aide du premier au cours des entretiens avec le gouvernement français105.
Environ vingt jours après sa rancontre avec Pozzo di Borgo, l'Envoyé
ottoman, s'entretenant à la fois avec celui-ci et l'Ambassadeur d'Autriche,
leur demanda une fois de plus des conseils sur son attitude en cas d'une
démarche auprès du gouvernement français. Ceux-ci, qui jugeaient que ce
n'était pas le moment d'annoncer sa mission, alors que la question d'Orient n'était pas définitivement résolue lui suggérèrent de reporter à une dizaine de jours l'annonce de son mandat 106 . Rechid Bey mit au courant la
100
B.A. H.H. no 46899 J . Corresp. de Rechid bey, extrait des paroles de Pozzo di
Borgo.
1C1
B.A. H.H. no.46899 j Corresp. de Rechid Bey, extrait des paroles de Pozzo di
Borgo.
102
ibid.
103
B.A. H.H. no 46419 Corresp. de Rechid Be>
104 Lutfı, Tarih T . V p. 46, Hassun Efendi, beau frère du Vali de Tripoli, est venu à
Istanbul en 1836. Il y est devenu rédacteur en chel du journal officiel T A K V I M I - V E K A Y I ,
publié à la fois en turc et en français.
105 B.A. Dossier no 78, feuil. no 21; corresp. de Rechid publiée par Baysun C . dans
Tarih vesikaları 1/2 p. 145, no m .
106
Corresp. de Rechid, in tarih vesikaları 1/2 p 145 no III.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1 '3
Sublime Porte et Namik Pacha des entretiens qu'il avait eus avec ces deux diplomates et leur communiqua les raisons de ce report.
Bien qu'il ait eu l'intention d'entamer tout de suite les conversations
avec le gouvernement français il s'en abstint parce que les Puissances
(surtout la France), intéressées de près à l'évolution de la crise d'Orient,
ne désiraient pas s'occuper du problème de l'Algérie.
Namik Pacha lui répondit qu'il était difficile d'obtenir de l'Anglenterre son intervention politique alors qu'elle était aux prises avec le Gouverneur d'Egypte, Mehmed Ali Pacha, dont la politique pourrait mettre en
cause la sécurité des routes de l'Inde et que l'Algerie avait, pour elle, une
importance secondaire.
Pour sortir de cette situation inconfortable, Rechid Bey prévoyait la
nécessité, pour l'Empire ottoman, de faire des concessions et d'accorder
certains privilèges au gouvernement anglais dans ses territoires de Syrie et
d'Egypte 107 . Il suggérait également à la sublime Porte de ne pas suivre
une politique pouvant des soupçons à la Russie108; car il avait besoin^
Paris, du soutien et de l'aide de l'Ambassadeur de Russie dans le domaine de la diplomatie. D'autre part une intervention, au besoin une
menace militaire, du gouvernement anglais pourraient obliger la France
à céder et faciliter sa mission.
Pour ne pas perdre le soutien de la Russie et rassurer son ambassadeur, Rechid Bey avait accuelli avec mécontentement et démenti les rumeurs circulant dans les milieux diplomatiques selon lesquelles l'Empire
ottoman cherchait l'alliance des autres Etats contre la Russie.
Dans l'espoir qu'à l'aboutissement de la crise provoquée par Mehmed Ali, les puissances s'occuperaient de l'Algérie, l'envoyé ottoman
reprit des consultations diplomatiques en vue de savoir quelle serait dans
un tel cas, l'attitude des Puissances. Cest pourquoi il demanda à Namik
Pacha de le prévenir des intentions du gouvernement anglais sur l'Afrique du Nord 109 .
107
B.A. Mesail-i siyasiye (les affaires politiques) dossier français (1/2) F.14. Corresp.
de Rechid in Tarih vesikalan 1/4 p. 283. no VI.
108
ibid.
B.A. Mesail-i siyasiye (les affaires étrangères) dossier français (1-2) F. 14 Corresp.
de Rechid in Tarih vesikalan 1/4 p. 291 no VI.
109
IOO
BAYRAM KODAMAN
En novembre 1834, à la suite d'un changement gouvernemental survenu, en Angleterre, en faveur du Parti Conservateur, l'arrivée aupouvoir
du Duc de Wellington donnait à Rechid Bey l'espoir d'une intervention
anglaise. Car on attendait dans les milieux ottomans que Wellington acceptât une politique active vis"a-vis de la France 110 . Mais dans la première entrevue qu'avait eue Namik Pacha avec Wellington, celui-ci déclara
qu'il était trop tôt pour prendre une décision précise et qu'il ne pourrait
décider, dès maintenant, de faire une démarche auprès de la France en
faveur de l'Empire ottoman 11
En face de cette attitude du gouvernement anglais, Rechid Bey trouva
normal d'ajourner d'une quinzaine de jours l'annonce de sa mission pour
permettre à Wellington de constituer son cabinet, de rétablir son autorité
et de se concentrer sur le problème algérien112.
Pendant ce temps, dans la lettre qu'il avait envoyée à Paris en date
du 5 Décembre 1834 (3 Saban 1250), Namik Pacha avertit Rechid Bey
qu'il était probable que le gouvernement anglais actuel perdît le pouvoir
dans les trois ou quatre mois prochains et lui conseilla de précipiter sa
démarche auprès de la Cour de France à la faveur de la présence au pouvoir de Wellington, hostile à la politique française113. Toutefois Rechid
Bey, peu soucieux de s'empresser dans sa mission, désirait que la Sublime Porte obtînt l'approbation et l'assentiment du prince Metternich et du
Duc de Wellington avant qu'il ne tente les pourparlers avec les autorités
françaises. De surcroît il jugeait utile d'attendre la réponse de Mehmed
Ali aux propositions des Puissances114.
Depuis son arrivée à Paris, l'envoyé ottoman qui n'avait rien réalisé
de concret concernant son mandat, avait été obligé d'annuler plusieurs fois l'annonce de sa mission capitale et secrète, en apparence, sur les conseils et les suggestions des ambassadeurs de Russie et d'Autriche, mais en
110
Corresp. de Rechid in Tarih vesikaları i, 4 p. 291 no VI.
111
Ercüment K U R A N : Cezayirin Fransızlar Tarafından İşgali Karşısında Osmanlı Si-
yaseti İstanbul 1957 p.40.
112
Corresp. de Rechid le 15 recep 1250 (17 décembre 1834) in Tarih vesikaları 1/6 p.
436 no X I .
113
Corresp. de Rechid le 7 saban 1250 <9 décembre 1834) in Tarih vesikaları
1/6
p.436 no XIII.
114
En cas de réponse positive de Mehmed Ali Pacha à la note des Puissances,
l'Egypte se soumettra à l'autorité du Sultan et la crise d'Orient prendra ainsi fin.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
réalité par l'attitude prise et les entraves faites par le gouvernement français et par les circontances. Toutefois il n'ajournait pas sa fonction sans
aucun but mais le fit en vue d'en tirer des avantages et de gagner du
temps pour ses préparations à un dialogue sur l'Algérie avec le ministre
français des Affaires Etrangères. De même qu'il était préoccupé par certains objectifs politiques:
— Gagner l'aide de la France pour l'Empire ottoman dans la crise
d'Egypte, en s'abstenant bien sûr de lui donner des soupçons sur l'affaire
algérienne.
— Obtenir le soutien de l'Angleterre pour exercer une pression politique sur la France à propos de l'Algérie.
— Préparer le terrain pour négociations avant d'agir officiellement.
— Faire de la propagande pour la politique de l'Empire ottoman, en
achetant les journaux de Paris.
Malgré tout ce qu'il put faire il n'obtint pas en deux mois un résultat
positif pouvant faciliter sa mission: à savoir qu'il n'arriva point à faire intervenir ni l'Angleterre ni l'Autriche sur lesquelles il comtait pour sa réussite diplomatique, ni à obtenir un changement favorable à la restitution
de l'Algérie dans la politique de la France.
Enfin au début du mois de décembre 1834 à la demande de la Sublime Porte et de Namik Pacha il décida, sans grand espoir, de déclarer sa
mission au gouvernement français et de demander officiellement la restitution de l'Algérie à l'Empire ottoman 1,s .
İÜ. La déclaration de sa mission et deux entretiens.
A la suite des instructions venant d'Istanbul, Rechid Bey, qui se trouvait depuis son arrivée à Paris dans l'indécision à propos de l'annonce officielle de sa mission, demanda enfin au ministre français des affaires étrangères de lui accorder un entretien. Mais, dans sa demande, il évita de
parler de la question de l'Algérie afin de ne pas subir le refus catégorique
du gouvernement français qui ne voulait pas entrer en discussion avec la
Sublime Porte, pour pouvoir mettre cette dernière devant le fait accompli.
1 1 5 B A . les affaires politiques, dossiers français (1-2) «>34. Corresp. de Rechid Bey in
Tarih vesikaları 2/7 p. 44 no X V I I .
IOO
BAYRAM KODAMAN
Par la suite le Ministre français, en acceptant sa demande, lui indiqua la
date du 18 décembre pour cet entretien.
D'autre part, avant de s'entretenir avec le Ministre il informa les ambassadeurs de Russie et d'Autriche de sa décision de sa réclamer officiellement l'Algérie au cours de cette rencontre et s'enquit de leur point de
vue sur sa conduite. Bien que l'Ambassadeur de Russie ait approuvé sa
démarche et l'ait encouragé dans sa politique, celui d'Autriche lui conseilla de ne pas remettre au gouvernement français une note écrite officielle,
en lui rappelant la fois où la France avait renoncé sans aucun prétexte à
sa note écrite et présenté en 1830 à la Porte, la note qui prévoyait la restitution de l'Algérie sous condition de garder certaines régions stratégiques. Puis remarquant l'inurilité d'une note écrite dans des conditions actuelles l'Ambassadeur autrichien dit qu'il serait utile pour Réchid Bey d'annoncer verballement sa mission concernant l'Algérie.
En fait, le 18 décembre 1834, Réchid Bey eut son premier entretien
avec l'Amiral de Rigny, ministre des Affaires Etrangères116. Au cours de
cette rencontre l'Envoyé ottoman annonça officiellement au ministre des
Affaires Etrangères qu'il était surtout chargé par son gouvernement de
rechercher, de concert avec le Gouvernement français, la possibilité de régler les désaccords survenus entre les deux Etats et de résoudre la question
algérienne par la voie de négociations dans une atmosphère amicale et
compréhensible. De son côté De Rigny, s'abstenant d'entrer dans le vif
du sujet, déclara qu'il ne saurait s'entretenir avec lui de l'Algérie, en raison de l'absence d'un avertissement préalable de sa mission sur cette question. Malgré cette attitude du ministre français, Réchid Bey n'omit pas
de faire valoir les droits à la fois légitimes et reconnus de l'Empire ottoman sur l'Algérie, de rappeler la note présentée à ce sujet par la France
à la Sublime Porte et de lui demander d'accepter celle (la note) qu'il voulait lui remettre. Cette fois le ministre français lui déclara: "Si votre but
est obtenir le retrait des troupes françaises de l'Algérie et sa restitution à
l'Empire ottoman, que je vous dies officiellement, je ne pourrais pas accepter votre note et aussi écouter vos propos à ce sujet, parce que la
France ne l'abandonnera jamais 117 ". En même temps il se mit à nier la
note présentée à la Porte par le général Guilleminot; et au moins à voulo116 Cavit B A Y S U N , Cezayir meselesi ve Reşid Paşanın Paris Elçiliğinin III Türk Tarih
Kongresi zabitleri p. 378.
1 1 7 B.A. Sandık (caisse) 153 Evrak (feuil) 21, corresp. de Rechid, le 19 saban 1250 (21
décembre 1834) in Tarih Vesikaları 2/7, p.45, n o X V I l I .
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
ir prouver que cette note n'avait aucune importance, et que la France
avait raison d'occuper l'Algérie 118 . Et il ajouta également niant la souvrainté du Sultan sur ce pays, le fait que, selon lui, l'Algérie n'avait jamais
fait partie des territoires de l'Empire ottoman, qu'elle avait depuis longtemps un gouvernement indépendant et que l'occupation avait coûté cher
à la France.
Pourtant Rechid Bey en réitérant les droits incontestables de son gouvernement sur ce pays, se montra résolu à continuer ses démarches auprès du gouvernement français pour faire accepter un entretien officiel sur
sa mission relative à l'Algérie. D'autre part, en raison des motifs déclarés
par la Porte de sa nomination à Paris et surtout de son silence pendant
deux mois sur la question d'Algérie, le ministre français fit connaitre à
Rechid Bey que la Porte ne lui donnait pas l'autorisation en la matière et
qu'il était envoyé pour améliorer ou plutôt resserer les liens entre les deux
Etats 119 . Miiis à la suite de l'insistance très mesurée du ministre plénipotentiaire ottoman, Rigny lui déclara:" Bien qu'il soit évident pour tout le
monde que la France ne se résignera jamais à abandonner l'Algérieje ferai part de vos réclamations au Conseil des ministres et je vous accorderai
un autre entretien, dont la date vous sera communiquée ultérieurement,
pour délibérer exclusivement sur la question d'Algérie 12°".
Des paroles du Ministre français des Affaires Etrangères découlent
deux faits: d'une part l'impossibilité pour Rechid Bey de sortir victorieux
de sa mission et d'autre part le maintien par la France de l'occupation
et de la colonisation de l'Algérie. En effet, la France avait dépensé beaucoup d'argent et continuait encore à en dépenser afin de consolider sa
conquête et son installation dans ce pays.
Pourtant le gouvernaient français, pour éviter de se brouiller avec
l'Empire ottoman au moment de la crise d'Orient suivait une politique
souple sans prendre aucun engagement vis-à-vis de la Sublime Porte sur
L'Algérie. En conséquence De Rigny voulut accorder à Rechid Bey,
sans fixer la date, un entretien proche. Son but était sans doute de distraire le diplomate ottoman en lui donnant un peu d'espoir sur l'acceptation de sa note par la France.
118
ibid.
119
ibid. p. 50.
120
ibid. P . 51.
IOO
BAYRAM KODAMAN
De son côté l'Envoyé ottoman fat satisfait de cette rencontre, parce
qu'il avait officiellement déclaré sa mission, en ce qui concerne la demande del'Algérie, et avait en même temps obtenu un entretien particulier pour la question d'Algérie. Il espérait d'autre part que le Ministre
français accepterait la note qu'il avait préparée 121 .
Il communiqua la teneur de ce premier entretien à l'Ambassadeur ottoman à Londres et lui en envoya un compte-rendu. Celui-ci, après l'avoir reçu, rencontra aussitôt Wellington pour lui expliquer le contenu des
conversations entre De Rigny et Rechid Bey à Paris et lui demander une
fois de plus le soutien de l'Angleterre. Mais, en reconnaissant toutefois les
droits de l'Empire ottoman sur l'Algrérie, Wellington fit allusion à la difficulté pour la Turquie de récupérer ce pays.
En outre, Rechid Bey, qui, pour faciliter les négociations avec le gouvernement français, avait eu pour objectif, depuis son arrivee, de gagner le
soutien moral de certains Hommes d'Etat français à la juste cause de
l'Empire, eut, à cette fin, une entrevue avec le Général Guilleminot qui
avait présenté à la Porte la note française sur laquelle Rechid Bey fondait
ses réclamations et ses démarches auprès du gouvernement français; il voulut faire reconnaître au gouvernement français la validité de cette note
française.
Guilleminot, contrairement à ce que Rechid Bey attendait de lui, se
prononça sur l'inutilité de ses démarches prématurées auprès du gouvernement français. De même, pour le persuader de ne pas réclamer l'Algérie pour le moment, Guilleminot déclara à Rechid Bey: "Il est évident
qu'en raison de la liberté de vote en France les dirigeants doivent tenir
compte de l'opinion publique française qui se déclare pour la conservation de ce pays; même si le Roi et ses Ministres en avaient voulu la restitution, il sera difficile, pour eux, de faire approuver leur décision au peuple de France. D'où vient la nécessité d'annuler provisoirement votre demarche" ,22 .
En dépit de ses explications persuasives et de ses efforts pour faire renoncer Rechid Bey à toute activité pour la restitution de l'Algérie, Guille121 B.A. Sandık (caisse) 153 Evrak (feuil) 21, corresp. de Rechid, le 19 saban 1250 (21
décembre 1834) in Tarih Vesikaları 11/7, p. 53 no X V I I I .
122 B.A. H.H. 46899 D . Corresp. de Rechid bey, le 26 Saban 1250 (28 décembre
1834) publiée par Baysun, Tarih vesikaları 2/9, p. 208. no X X I .
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
minot ne parvenait pas à le convaincre. Enfin, voyant Rechid Bey résolu
à poursuivre ses tentatives diplomatiques, il accepta une rencontre, non
pour discuter des événements politiques concernant les deux pays, mais
pour déterminer, de concert avec Rechid Bey, la signification de la note
française de 1830 dont l'interprétation était différente: pour la Turquie, elle signifiait la restitution de l'Algérie; au contraire, la France, soutenant
que la teneur de la même note n'avait aucun trait à la restitution, refusait
le point de vue de la Porte123.
D'autre part le plénipotentiaire ottoman mit au courant l'Ambassadeur de Russie de ses entretiens successifs et lui demanda en même temps
son avis sur la marche à suivre. Celui-ci proposa deux solutions possibles
au sujet de la restitution: en premier lieu, l'intervention effective de la
Grande Bretagne et de certains Etats plus ou moins intéressés; au second
lieu la renonciation volontaire de la France à l'occupation et à la conservation de ce pays. Mais l'Ambassadeur de Russie désapprouva la première solution, faisant remarquer le danger d'une guerre générale nuisible à
la paix et à la stabilité en Europe; il ne croyait pas non plus à la possibilité de désintéressement volontaire de la France de ses intérêts en Afrique
de Nord. Cependant il encouragea Rechid Bey à ne pas renoncer, en
quoi que ce fût, à sa politique, à continuer ses démarches et à réitérer ses
réclamations auprès du gouvernement français en vue de faire accepter
par la France une note officielle à ce sujet124. Il voyait dans l'acceptation,
par la France, de la note écrite une réussite suffisante pour Rechid Bey.
Dans l'espoir d'obtenir quelque réussite, de faire admettre par le gouvernement français la note écrite à laquelle il attachait une grande importance, et de convaincre Monsieur Guilleminot de son point de vue sur la
note française de 1830,Rechid Bey attendit, sans connaître les vraies intentions de la France, les prochaines conversations avec ces deux hommes
d'état. Mais Guilleminot prétextant des préoccupations personnelles, évita
de s'engager avec Rechid Bey dans une discussion125. Quant au ministre
français des Affaires Etrangères, lui aussi, peu désireux de s'entretenir
avec lui sur l'affaire algérienne se tint dans une position équivogue tandis
que Rechid Bey réitérait ses demandes pour obtenir un entretien126.
123
B.A. H.H. 46899 D. Corresp. de Rechid le 28 décembre 1834.
124
B.A. H.H. 46899 D. Corresp. de Rechid le 28 déc. 1834.
125 B.A. H.H. 46904 j cité par K U R A N , op. cit. p.21; corresp. de Rechid le 24 Ramazan 1250.
126 B.A. H.H. 32987 A, corresp. de Rechid, le 17 ramazan 1250 citée par K U R A N
op. cit. p. 41
IOO
BAYRAM KODAMAN
Entre temps, la France avait annoncé à la Porte par l'intermédiaire
de son ambassadeur, Roussin, qu'elle n'abandonnerait jamais l'Algérie à
la Turquie, Mais de son côté la Sublime Porte ne prit pas au sérieux la
déclaration de Roussin, parce que Rechid Bey avait communiqué à la
Porte que le gouvernement français ne serait pas encore décidé à la colonisation de l'Algérie en raison de ses difficultés financières et de l'opposition de certains milieux influents de l'Assemblée française127.
Nous savons que le gouvernement français n'avait pas cessé de manifester depuis 1830, en toute occasion, son désir de garder et de coloniser
l'Algérie. Mais sans tirer de conséquences de tout ce qui se passait aussi
bien en France qu'en Algérie, Rechid Bey comptait sur la pression politique que pourraient exercer, selon lui, les autres puissances sur le gouvernement de Louis Philippe en faveur de l'Empire ottoman. En realité grâce à sa puissance navale alors dans la Méditerranée occidentale, l'Angleterre qui était en mesure de forcer la France à céder l'Algérie à son ancien propriétaire, s'abstenait de se brouiller avec le gouvernement libéral de
Louis Philippe en raison de sa politique traditionnelle: le maintien de la
politique d'équilibre en Europe. Il était donc difficile de prévoir une intervention anglaise au profit de la Porte. Mais Rechid Bey, ayant fait abstraction de toutes les considérations politiques du gouvernement anglais
s'efforçait en vain d'obtenir son soutien dans cette affaire.
D'autre part, il n'avait guère porté auparavant son attention sur la
politique suivie par la France en Algérie l28 , pour bien connaître les visées
de la France et pour orienter ses entreprises selon les circonstances. Cette
omission de Rechid Bey donna à la France l'occasion de prendre l'initiative et d'élargir sa conquête.
Etant donné qu'il voyait dans la question d'Orient les motifs de l'abstention du gouvernement français pour une négociation sur l'Algérie, il
espérait qu'à la fin de la crise d'Orient, la question d'Algerie serait résolue sans aucune difficulté. Il reconnaissait que l'Algerie était parmi les occupations d'ordre secondaire pour la France.
Après quelques semaines d'attente, il obtint une entrevue avec le Ministre des Affaires Etrangères. Ce fut sa dernière rencontre, alors qu'il éta127
Ercüment K U R A N op. cit. p.41.
La France étendait sa conquête et voulait mettre la Tunisie sous sa protection. Il
y avait d'autre part, un accord entre A D U L Kader et le gouvernement français.
128
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
it chargé de régler cette affaire. Comme il avait communiqué ses espoirs
à la Porte sur les prochaines conversations avec le Ministre français, il attendait un résultat positif, du moins une certaine compréhension de la
part de la France. En dépit de tous ses espoirs pour tirer des avantages
en faveur de la Turquie, il ne put rien obtenir du ministre français. Cette
fois, déçu par l'attitude du gouvernement français, il perdit l'espoir de réussir dans sa mission, parce que le ministre français refusa de parier de
l'Algérie et proposa d'annuler sine die les duscussions relatives à l'Algérie.
C'est pour cette raison que Rechid Bey ne put ni présenter sa note écrite,
ni obtenir de la France, pour l'avenir un engagement positif d'ordre politique, envers la Sublime Porte I29 .
IV. Retour de Rechid Bey à Istanbul:
Au début de son séjour dans la capitale de la France, Rechid Bey
avait l'espoir de pouvoir remplir son office dans conditions favorables.
Mais découragé par le ministre français des Affaires Etrangères au cours
de leurs deux entretiens, il perdit cet espoir et comprit en même temps
que la France définitivement ne quitterait pas l'Algérie. En effet nous le
voyons deux mois après le dernier entretien, demander à la Sublime Porte l'autorisation de se rendre provisoirement à Istanbul 13°. D'après lui, les
motifs de ce retour étaient d'informer et d'exposer, en détail, à la Porte
ses appréciations et ses observations sur la politique des Etats européens
et surtout celle de la France à l'égard de l'Empire ottoman, ce qu'il ne
pouvait communiquer par correspondance. De plus il y avait aussi parmi
ces motifs, des préoccupations familiales ,31 .
Dans le document que nous avons trouvé aux archives du ministère
français des Affaires Etrangères, on explique clairement les motifs de son
retour à Istanbul. Ce document (corres. de Roussin en date du 9 mars
1835), justifie notre explication ci-dessous à ce sujet:
"
Rechid Bey a envoyé à la Porte un courrier apportant une seule
dépêche dans laquelle il nous a dit que, non seulement il n'a obtenir une
réponse à sa note sur Alger, mais que le ministre français n'a même pas
voulu le recevoir, alléguant que sa réception serait préjudiciable à la Porte
129
Nous n'avons pas trouvé la lettre de Rechid Bey concernant ce dernier entretien.
Enver Behnan S A P O L Y O , Mustafa Resid Paşa ve Tanzimat devri tarihi, istanbul
1946 p. 22.
130
131
Ibid.
IOO
BAYRAM KODAMAN
dans les circonstances actuelles; car s'il y répondait, il serait obligé de lui
dire des choses qui la compromettraient envers la nation et les autres Puissances." (cela n'est pas très clair). Puis Rechid a ajouté: j'ai une chose
de grande importance à communiquer à la Porte, que je n'ose pas écrire
même en chiffre, et comme il est très urgent que la Porte l'apprenne, je
la prie de me permettre de venir à Istanbul lui faire cette communication
de vive voix et puis de retourner à mon poste à Paris ,32 .
"
Après, est expédié à Rechid Bey l'ordre du Sultan de revenir en
laissant à sa place Ruhiddin Effendi..." 131
A ces motifs qu'on vient de signaler il faudra en ajouter un autre qui
a retenu l'attention en raison de son absence dans les sources turques:
C'est l'ambition de Rechid Bey de devenir "Reis Effendi-(ministre des Affaires Etrangères) "Rechid Bey a pu prendre le prétexte d'une importante
communication pour revenir.
Rechid Bey n'ignore pas que la réclamation d'Alger n'a été qu'un
prétexte pour faire passer sa mission, dont le seul et véritable but était de
réhausser l'ancienne amitié de la France, que l'alliance avec la Russie
avait refroidie. L'échec de cette réclamation n'était donc pas un motif suffisant pour revenir134".
Si l'on tient compte de la promotion deRechid Bey, à son retour, au
rang de Pacha, et plus tard, en 1837, au poste de ministre des Affaires
Etrangères, il faut prendre en considération l'importance de ce motif non
révélé jusqu'à maintenant.
Avant de partir pour Istanbul, il laissa sa place à Ruhiddin Effendi 135
qui était venu avec lui en France en qualité d'interprète. Ce dernier,
nommé ainsi Chargé d'Affaires (Maslahatgüzar), allait assumer la tâche
que lui avait confiée Rechid Bey. Mais, pour faciliter la mission et alléger
la responsabilité de Ruhiddin Effendi, Réchid ne manqua pas de tracer
les lignes principales de la politique que devrait suivre celui-ci, à Paris au
cours de son absence. A cette fin il lui laissa des instructions (talimat)136
résumées, en sept articles, relatives aux questions politiques de première
importance de l'Empire ottoman. Le troisième de ces artiles était consacré
132
Rechid Bey avait écrit la plupart des lettres ayant un caractère politique en chiff-
133
A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 106. C o r n de Roussin le 9 mars 1835.
134
A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 108 Corrs de Roussin le 9 mars 1835.
re.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
à l'Algérie, c'est-à-dire aux mesures à prendre et à la politique à suivre
par Ruhiddin Effendi. Voici cet article:
".... Troisièmement à propos de l'Algérie: Vous (Ruhiddin) savez bien
la teneur, les détails des deux derniers entretiens avec le ministre des Affaires Etrangères, la demande et le désir du gouvernement français d'annuler les conversations: Si l'on aborde la question de l'Algérie au cours de
conversations éventuelles il est normal que vous vous prononciez d'une façon persuasive et assurée sur les droits évidents et incontestables de l'Empire ottoman sur ce pays. D'autre part tant qu'un nouvel ordre (de la
Porte) ne sera pas envoyé à l'ambassade, il ne faudra pas faire de démarches officielles. Dorénavant si la plupart des députés, pendant le débat
à l'Assemblée sur les dépenses militaires en Algérie, se prononcent contre
la colonisation de ce pays et que les journaux en même temps des articles
sur l'inutilité de ces dépenses considérables, vous communiquerez toutes
ces nouvelles à Beylikdji Nouri Effendi, l'ambassadeur ottoman à Londres137, et suivrez une politique selon ses instructions et le conseil du gouvernement anglais138. Dans cette instruction donnée à Ruhiddin Effendi
Réchid Bey croyait d'autre part que la question d'Algérie pourrait être résolue non à Paris, mais à Londres "Centre politique de l'Europe". En effet nous verrons Rechid Bey devenir l'un des partisans influents de la politique anglaise au sein du gouvernment ottoman. Comme nous l'avons
signalé dans notre introduction, il accorda aux Anglais, en 1838, des concessions économie nationale du pays et qui furent à l'origine de toutes les
atteintes portées à la Turquie dans les domaines économique et politique.
A la veille de son départ de la capitale française, "Rechid Effendi
a eu son audience privée de congé, le vendredi 27 mars à 9 heures du soir il a présenté à M. le Duc de Broglie, Rouhiddin Effendi en qualité de
Chargé d'Affaires pendent son absence.
"Le samedi soir 28 mars, il s'est rendu au palais des Tuileries, où il
prit congé de la Reine et du Roi, en leur annonçant un prompt retour,
inchallah....
135
ibid.
136
Méhmet S E L A H A T T I N op.cit. p.16.
137 Entre temps Nouri Efendi, nommé ambassadeur de Turquie à Londres, avait à
peine remplacé Namik Pacha.
138 B.A. H.H. 37461 A., l'instruction donnée par Rechid Bey à Rouhiddin Efendi, voir également L U T F I , op. cit T . V . p. 7.
BAYRAM KODAMAN
"Le dimanche 29 à 8 heures, il est monté en voiture , - w ".
C'est ainsi qu'après un séjour sept mois (16 septembre 1834-24
mars 1835) il quitta Paris pour Istanbul140. A son arrivée il fut reçu en
audience par le Sultan Mahmut II. Et ce dernier, s'entretenant longuement avec Rechid accompagné de son fils 141 , prit connaissance de la politique européenne et de celle de la France 142 . A la suite de cette conversation, Rechid Bey, tout en gardant le titre d'Amedji, fut promu par Mahmut II au rang d'ambassadeur 143 . Sur ces entrefaites il présenta un
compte-rendu(mazbata) circonstancié au Sultan à propos de la politique
ottomane et des mesures à prendre en face des problèmes qui se posaient
à l'Empire. Très satisfait du contenu de ce rapport Mahmut II fait l'éloge
de ses qualités d'homme d'Etat dans son hatt-i-humayun (proclamation
ou écriture sublime): "Le comportement et le tempérament de Rechid
Bey, qui est devenu l'un de nos hommes d'Etat les plus habiles et fidèles,
prouvent le fait qu'il est ambitieux et désireux de rendre service à notre
religion et à notre Etat. Que Dieu le rende illustre et victorieux dans toutes ses tentatives en faveur de la religion et de l'Etat I44 ".
En fait, ce document nous montre clairement que, malgré son échec
dans sa mission à Paris, Rechid Bey fut traité avec beaucoup d'égards par
le Sultan et aussi encouragé dans sa conduite politique.
Sur ce point nous sommes d'avis qu'il sera juste de chercher la raison d'une telle attitude de Mahmut II envers Rechid Bey dans ses idées
réformistes et pour cela d'aller au-delà de 1830. Depuis son avènement au
trône ottoman, surtout depuis la destruction des janissaires en 1826, et
convaincu de la nécessité des réformes sociales, administratives et militaires Mahmut II en avait introduit certaines pour rajeunir l'Empire et rattraper l'Europe dans ces domaines. Mais il savait pourtant l'insuffisance de
tout ce qu'on avait effectué, jusqu'en 1835, pour moderniser l'Empire, et
il était conscient que ce dernier manquait d'hommes d'Etat ayant une
profonde connaissance de la civilisation européenne. Pour occidentaliser la
135
A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 122.
140
Islam Ansiklopedisi l'article "Resid Pasa (Mustafa) écrit par Ercüment K U R A N .
Parmi les motifs de son arrivé à Istanbul, il y avait aussi la circoncision de son fils
Mehmet. Le Sultan informé de cette circonstance avait appelé au Sérail Rechid Bey avec
son fils. Voir A. L U T F I T . V . P.6.
141
142
A. L U T F I . op cit T . V . p.6.
143
A. L U T F I . op cit T . V . p.6.
144
B.A. Sandık (caisse) 153 H.H. 87 ( B A Y S U N op cit in Tanzimat p. 729).
MOIISTAI'IIA RÊCHID PACHA
73
Turquie il fallait bien connaître les institutions, la société, et surtout la
conception et la mentalité européennes. C'est dans ce but qu'on envoyait
les étudiants en Europe et que le Sultan Mahmut II conseillait toujours
à ceux qui se trouvaient surtout en France, ou en Angleterre, en qualité
soit d'ambassadeur, soit de Chargé d'Affaires, d'apprendre la langue et
d'examiner les institutions administratives et la vie sociale ces pays. De
même, avant de partir pour la France en 1834 Rechid Bey avait, parmi
ses missions diplomatiques, la charge d'approfondir sa connaissance de la
civilsation occidentale. Il convient de citer les parles que le Sultan avait
dites à Rechid Bey: "Etudiez la langue française et mettez à profit les jours que vous allez passer en France" 145 .
Etant au courant de la tendance et des idées de Mahmut II que nous
venons de citer, il est très probable que Rechid Bey avait abordé les réformes concernant l'avenir de l'Empire dans le compte-rendu qu'il avait présenté au Sultan. En raison des idées nouvelles de Rechid Bey, le Sultan
fit preuve de beaucoup d'égards pour lui pendant son règne. En effet nous voyons les événements, qui se succèdent de 1835 à 1840, justifier notre
point de vue sur ce sujet: le rôle de Rechid Pacha dans la politique extérieure et intérieure et dans les réformes (Tanzimat), sera incontestable.
Après avoir passé environ trois à Istanbul, il sera envoyé à Paris, cette
ibis, en qualité d'ambassadeur.
145
Abdurrahman SEREF, op cit pp. 75-76.
E) UNE TENTATIVE MILITAIRE DE LA PORTE POUR LA SOLUTION DE LA QUESTION D'ALGERIE:
A la suite de l'attitude intransigeante du gouvernement français durant l'année 1834, nous constatons qu'en 1835 un changement se produit
dans la politique de la Sublime Porte restée justée jusqu'alors favorable à
une solution pacifique par la voie des négociations bi-latérales. Ceci se
justifiait par l'attitude politique du gouvernement français qui faisait comperndre à la Porte l'impossibilité pour elle d'obtenir la restitution de l'Algérie par la diplomatie. En vérité quel était le comportement de la France? On sait que cette derinère avait montré en toutes occasions son désir
de ne pas quitter l'Algérie, de ne pas s'engager sincèrement dans les converstaions et de renvoyer sine die les négociations, demandées par Rechid
Bey.
Le 19 juin 1835, chargé de la gérance de l'ambassade ottomane, en
l'absence de Rechid Bey parti en congé à Istanbul, Ruhiddin Effendi remit au ministre français des Affaires Etrangères une note dans laquelle il
expliquait les droits de l'Empire ottoman et le point de vue de son gouvernement sur l'Algérie 146 . Mais le gouvernement français, en annonçant
qu'il ne saurait prendre cette note en considération, la retourna quelques
jours plus tard à l'ambassade ottomane147. Ainsi, la dernière tentative de
la Porte porte pour arriver à une conciliation par des moyens diplomatiques échoua à la suite de ce refus.
Entre-temps, Hamdan Effendi qui était toujours en liaison avec l'ambassadeur ottoman, envoya une lettre au Sultan. Il demandait à ce dernier une intervention en faveur de la population algérienne: "... Nous vous
demandons de trouver remède à nous malheurs, nous n'osons pas exposer
à votre ambassadeur notre situation. Dieu nous garde... Notre Sultan ne
nous négligera sans doute pas, il va s'occuper de ses sujets et leur venir
en aide ...Nous formulons les voeux d'obéissance à Sa Majesté... J'informe
Votre Majesté de ce qui se passe: Un grand nombre d'Algériens sont
146 Cette note avait été rédigée par Nuri Effendi, Ambassadeur ottoman à Londres et
traduite en français par Ruhiddin.
'835-
14
Ercüment K U R A N Cezayir'in Fransızlar Tarafından İşgali... p. 43.
148
B.A. H.H. 37510 F. Lettre de Hamdan Effendi le 1 Rébiulewel 1251 - le 28 juillet
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
tombés comme moi dans le malheur et ils sont restés esclaves en Algérie... ,48.
A la suite du refus de la note par le gouvernement français et de la
lettre de Hamdan Effendi, la Porte se décida à chercher d'autres moyens,
c'est-à-dire à recourir aux mesures militaires pour arriver à une solution
définitive. La première entreprise de cette nature fut la décision de la Porte de renforcer son autorité en Afrique de Nord.
Avant d'intervenir militairement, en faveur d'Ahmed Bey, gouverneur
de Constantine, la Porte voulut être sûre de son autorité à Tripoli (Trablusgarb) et à Tunis pour mieux contrôler la situation en Algérie. Pour
mettre fin à l'ancien statut de ces provinces lointaines et les mettre directement sous l'autorité du Sultan, il n'était pas difficile pour la Porte de
trouver un prétexte, car les désaccords continuels entre le Bey de Tripoli,
Ali Pacha 149 et Mehmet Bey 150 présentaient pour la Porte l'occasion d'intervenir. Plus tard, en fait la Porte envoya sa flotte à Tripoli sous le commandement de Nedjib Pacha.
Il faut préciser qu'avant le départ de cette flotte, Rechid Bey, alors à
Paris, communiquait, au mois de mars 1835, au gouvernement français le
désir de la Porte de prendre certaines mesures de pacification dans sa
province de Tripoli. Il avait même adressé un mémorandum au Ministre
des Affaires Etrangères au sujet des affaires de Tripoli. Dans ce Mémorandum il avait expliqué les intentions de la Porte et les motifs des troubles dans cette province.
A notre avis il est utile de reproduire ce document:
"Sa Hautesse Impériale (Le Sultan) ayant dans sa Sublime Munificence, daigné octroyer il y a quelque temps, l'investiture du gouvernement de Tripoli, avec le rang de Mirimiran 151 à Ali Pacha... Il aurait été
nécessaire qu'un certain Mehmet Bey, qui, en dehors de la forteresse, disputait le pouvoir à Ali Pacha, renonçât à ses projets ambitieux, et mît un
terme à sa coupable rebellion. Il persiste cependant dans ses vaines prétentions; et la Sublime Porte se voit obligée de prendre elle-même certaines mesures indispensables de repression pour assurer la tranquilité d'une
149
Le fils de Yusuf Pacha
Bey de Tripoli ( i 209-1248— 1794-1832). Ali Pacha prit le
pouvoir à Tripoli le 6 Rébiul ahir 1248 — Le 2 septembre 1832.
150 Méhmet Bey était le petit-fils de Yusuf Pacha.
151
Mirimiran équivaut à Beylerbeyi, gouverneur général.
IOO
BAYRAM KODAMAN
des provinces de l'Empire... Déjà les ambassadeurs résidant à Istanbul ont
écrit à leurs consuls à Tripoli des lettres par lesquelles il est prescrit aux
consuls des Puissances amies de s'abstenir de montrer un penchant pour
le parti des rebelles et de se trouver, en toute circonstance, du côté d'Ali
Pacha, que la Porte a placé à la tête de cette Régence. Il est vrai de le dire: le consul de France s'est toujours parfaitement comporté en homme
de paix, de sagesse.... Néanmoins le soussigné prie le gouvernement français d'écrire au consul une lettre officielle que le soussigné se chargera de
lui faire parvenir, et qui recommandera à ce consul de continuer de vivre
en rapports amicaux avec Ali Pacha, d'agir toujours dans le même état
d'esprit d'union et de lui prêter son assistance pour mettre fin à la rébellion...
"La remise de la lettre demandée ne peut manquer d'être agréable
au gouvernement de Sa Hautesse...152
Le 2 Mars 1835
Comme on le voit, la Porte avait annoncé aux puissances qu'elle allait calmer la situation à Tripoli. Mais pourtant elle avait su dissimuler son
désir de mettre cette province sous l'autorité directe du Sultan.
A l'arrivée de l'escadre ottomane, Ali Pacha se rendit à du vaisseau
amiral pour conférer avec Nedjib Pacha 153 . Ce dernier annonça, le 28
Mai 1835 (29 Muharrem 1251), que Ali Pacha était destitué et que lui
même était chargé de le remplacer154. Ainsi la Porte plaça-elle le Pachalik
de Tripoli sous son autorité directe. Du rétablissement de la suzeraineté
directe à Tripoli, elle voulut tirer quelques avantages pour sa politique algérienne: 10) Aider Ahmed Bey, au besoin, préparer une expédition contre les Français pour les expulser d'Algérie. 20) Renverser le Bey de Tunis
pour rerforcer son autorité. Tout cela était possible: pour la simple raison
que géographiquement elle ne se trouvait pas très éloignée de Tunis et de
l'Algérie à la suite du rattachement de Tripoli à Istanbul.
152 A A . E .
1835 T U R Q U I E 270 p. 105. Mémorandum adressé par Rechid Bey au
ministre français des Affaires Etrangères, au sujet de l'affaire de Tripoli, le 2 mars 1835.
153
Aziz Samih Ilter, op cit p. 244.
154
ibid 244.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
Pendant ce temps, le Bey de Tunis, Hüseyin, mourut 155 le 20 mai
1835. Son frère Mustafa lui succéda 156 . La Porte approuva ce changement
et donna officiellement l'investiture à Mustafa Bey. Mais elle ne put cacher son désir de rattacher directement Tunis à Istanbul. De son côté,
Mustapha Bey se rendant compte que la Porte était mal disposée envers
lui, cherchait l'appui de l'Angleterre et de la France, car il ne voulait pas
se soumettre au Sultan.
D'autre part, lorsqu'elle apprit l'intention de la Porte de s'emparer de
Tunis pour avoir une position avantageuse dans ses revendications sur
l'Algérie, la France déclara aussitôt qu'elle considérait le Bey de Tunis
comme étant sous sa protection157. En même temps l'Amiral Roussin,
ambassadeur de France à Istanbul, avertit la Porte que: "toute entrepise
tendant à y implanter sa domination l'exposerait à nous (la France) trouver sur son chemin et à rencontrer de notre part une opposition réelle158.
En Algérie, au début de 1886 la population de Constanine 159 , en expédiant une lettre à Istanbul, demandait une fois de plus au Sultan de
donner à Ahmed Bey le grande de Pacha, c'est-à-dire le titre de gouverneur général. Mais le Divan (conseil des ministres) qui s'était réuni pour
discuter et examiner les demandes de' la population de Constantine,évita
de prendre une décision définitive avant de connaître les vues de son ambassadeur, Rechid Bey, compte tenu, bien entendu, de la réaction du gouvernement français160.
Le motif de cette attitude réservée de la Porte était sans doute de ne
pas pousser la France à l'extrême dans ses activités militaires en Algérie
et de ne pas entrer directement en guerre avec elle, en attribuant à Ahmed Bey le titre de Pacha 161 . Ainsi la Porte voulait-elle aider et encourager Ahmed Bey dans sa résistance contre la France, tout en restant en
rapport avec cette dernière pour pas fermer la voie diplomatique. Enfin le
155 D'après Aziz S. Ilter, la date de sa mort:le 28 mai 1835 (le 29 muharrem 1251).
D'après J . Serres, le 20 mai 1835.
156
A.S.Ilter: op.cit. p. 169.
157
J.Serres: op.cit.p. 142.
158
ibid.
Lutfi, Tarih: T.V,p.75. Cette »ille contenait à cette époque 35 ou 40 milles habitans; avec ses environs: 500 000 habitant».
159
160 Lutfi, Tarih: T . V , p. 75. Cette ville contenait à cette époque 35 ou 40 milles habitans; avec ses environs: 500 000 habitant».
160
Lutfi, Tarih: T . V . p.76.
161
ibid. p.76.
IOO
BAYRAM KODAMAN
Divan, au terme de la délibération, approuva l'idée d'envoyer Kâmil Bey,
miralay 162 , auprès d'Ahmed Bey pour faire verbalement à ce dernier les
intentions favorables du Sultan et pour examiner de près la situation en
Algérie 163 . Kâmil Bey partit le 7 avril 1836 pour Constantine. 11 n'était
pas porteur d'une investiture pour Ahmed Bey, mais il était chargé de
promettre à celui-ci le Pachalik de Constantine s'il parvenait à expulser
les Français de l'Algérie 164 . Un mois plus tard, Tahir Pacha avec une escadre sous son commandement, partit, en apparence en direction de Tripoli, mais dans le but réel de se diriger vers Tunis pour placer cette ville
sous l'autorité directe d'Istanbul, comme on l'avait fait pour Tripoli.
La France, qui avait été renseignée des intentions de Tahir Pacha, ne
tarda pas à montrer sa réaction en mettant la Porte en garde contre une
tentative militaire visant la destruction du statu quo à Tunis. Puis elle envoya son escadre pour surveiller les activités de celle de Tahir Pacha qui
se trouvait alors devant Tripoli.
Nous constatons qu'à la suite des mesures prises par la France, le
projet de la Porte de renverser le Bey de Tunis échoua. Etant consciente
de la gravité de la situtaion en Afrique du Nord, la Porte déclara ensuite
qu'elle n'avait formé aucun projet de changement à Tunis. Et elle abandonna ainsi le projet d'une grande expédition contre Tunis et vers Constantien dont Tahir Pacha devait être l'exécutant.
Pourtant la Porte ne cessa pas de s'intéresser à Ahmed Bey et elle
s'efforça de l'aider dans sa lutte contre la France d'une part, et d'obtenir
la restitution de l'Algérie par la négociation de l'Algérie par la négociation
d'autre part.
162
Kamil Bey, plus tard Pacha, en 1834 ambassadeur ottoman à Berlin. Mort en
1859. Cf. Mehmet Süreyya: op. cit., T . IV, p. 69.
Lutfi, Tarihi T . V . p. 76.
164
Serres J.: op. cit., p. 165.
F) DEUXIEME NOMINATION DE RECHID PACHA A PARIS.
A peu près trois mois après son arrivée à Istanbul165 Rechid Bey, quitta la ville le 7 août 1835,pour aller remplir à Paris la seconde mission
qu'on venait de lui confier166. Son long itinéraire passait par Bucarest et
par Vienne. Mais au lieu de raconter son voyage à travers la Roumanie et
l'Empire Austro-Hongrois nous en tiendrons à quelques événements ayant
trait à sa mission. Rechid Bey, malgré son séjour de six jours à Vienne,
comme hôte de Fethi Bey 167 , n'eut pas l'occasion, comme cela lut le cas
lors de son premier passage, de s'entretenir avec le Prince de Metternich 168 . Par contre d'après sa lettre en date du 20 septembre 1835, il eut
une conversation avec le chargé d'affaires français sur l'attentat manqué
contre le Roi Louis Philippe, le 28 juillet 1835. Il arriva à Paris au début
du mois d'octobre, et le 15 de ce mois, présenta au Roi la lettre du Sultan. A notre avis, pour bien comprendre l'importance des égards réservés
par le Sultan à Réchid Bey et sa deuxième nomination en tant qu'ambassadeur, il convient de reproduire ici des extraits de la lettre du Sultan
Mahmut II au Roi: "...Votre Majesté a connaissance que l'Amedji de
notre Divan impérial, Rechid Bey,... auqel nous avions antérieurement
confié une mission particulière et qui résidait à ce titre dans votre royale
cité de Paris, profitant du congé qui lui avait été accordé, mais conservant
toujours le même caractère diplomatique,qui devait le ramener auprès de
Votre Majesté, était arrivé depuis quelque temps à Constantinople. Après
un séjour de peu de durée à notre Porte, nous lui avons permis de retourner au centre de sa mission. Mais ce Bey étant un des hommes les plus
considérés de notre S.P. -le trouvant digne de nouvelles et plus grandes
marques de notre faveur impériale et appréciant l'étendue et la portée de
ses talents
nous avons daigné lui accorder subsidiairement le titre
d'ambassadeur (Büyük Elçi); et au moment de son départ pour retourner
à son poste près de V.M. nous avons fait rédiger et expédier notre présen-
165
L U T F I , Tarih T . V . p. 14.
A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 122. Corrs de Roussin, le 9 août 1835"... Rechid
bey est parti avant hier pour Paris en passant par Bucarest.."
166
'455-
167
Fethi Bey, alors ambassadeur ottoman à Vienne Voir: Lutfi, Tarih T . V . p. 6.
168
B.A. Sandık 153 Evrak 29 Corrs de Rechid, publiée dans tarih vesikaları II/12 p.
IOO
BAYRAM KODAMAN
te lettre impériale qui est l'expression sincère de notre attachement à vous. A son arrivée Rechid Bey trouvera sans doute auprès de V.M. encore
plus d'égards et de confiance qu'auparavant dans l'accomplissement de sa
mission et dans les communications verbales et écrites que nous l'avons
chargé de faire. Le penchant naturel de V.M. pour le maintien de la bonne intelligence la droiture de ses vues et l'esprit de justice inné en Elle
nous donnent la convicition et l'espoir que les affaires importantes seront
réciproquement conduites à bien et qu'ainsi les rapports d'amitié et d'affection qui, subsistent entre la S.P. et la Cour de France en deviendront
doublement plus solides et plus durables...169".
Rebiülahir 1251 (27 juillet 1835)
Au cours de sa deuxième résidence à Paris, nous constatons, à l'appui des documents, que Rechid Bey n'a pas fait grand chose à propos de
l'Algérie. Il s'abstint en effet de faire une démarche officielle auprès du
gouvernement français à ce sujet. Il consacra davantage sa deuxième ambassade à la crise d'Egypte que nous allons traiter dans un autre chapitre.
Cependant certains événements ayant une portée à la fois politique et militaire, tel que l'établissement de l'autorité directe du Sultan à Tripoli,
c'est-à-dire la centralisation de ce vilayet, et l'essai d'une expédition militaire contre la Tunisie, poussèrent Rechid Bey à tenter des démarches
diplomatiques auprès des milieux politiques français.
Il faut préciser que tous ces événements qui se déroulaient alors à
Tripoli et à Tunis étaient tout simplement la conséquence de la politique
algérienne de la Sublime Porte.
On sait qu'en 1836 une nouvelle fois la question de l'attribution du
titre de Pacha à Ahmed, Bey de Constantine, était à Istanbul le sujet des
préoccupations de la Sublime Porte. Enfin le Divan, avant de se prononcer, avait préféré prendre l'avis de Rechid Bey à ce sujet et lui envoyé un
ordre pour qu'il communiquât qu'elles pourraient être les conséquences
diplomatiques et politiques ainsi que la réaction de la France en cas
d'une reconnaissance d'Ahmed Bey comme Pacha de Constantine par le
Sultan.
A l'arrivée de cet ordre, il exposa ses vues en détail dans un compte
rendu, qu'il expédia à la Porte. Dans ce rapport, il estimait que la recon169
A.A.E. 1835 T U R Q U I E 270 p. 267 no 88.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1 '3
naissance d'Ahmed Bey pair le Sultan pourrait mettre aux prises directement la France et la Turquie. Il convient de citer un extrait de lettre qui
reflète son attitude à ce sujet:
"...Il est évident qu'une décision, de la part du Sultan, prévoyant la
nomination officielle d'Ahmed Bey au poste du Pachalik de Constantine
sera accuellie avec insatisfaction par la France. En cas d'une telle éventualité, la France, en envoyant encore des troupes peut tenter des opérations
d'envergure et conquérir l'Algérie toute entière; en outre elle peut porter
atteinte à la politique ottomane dans les autres domianes (il s'agit ici, à
notre avis, de la question d'Egypte). D'autre part en tenant compte du silence et de l'attitude actuelle du gouvernement anglais, dont nous connaissons l'opposition à la domination française en Algérie, il sera raison
nable de ne pas protester contre les termes de "Afrika'da temellükâtimiz''
(les biens que nous avons en notre possession en Afrique) que le Roi de
France a employés dans son discours à l'Assemblée. Pour ma part,
n'ayant pas d'instructions de la Porte, j'ai jugé inutile de protester auprès
du gouvernement français contre les propos du Roi,car une telle protestation aurait été vaine et n'aurait rien change... Pourtant c'est à notre Sultan, grâce à Dieu, de prendre des décisions précises à ce sujet 170 . O n voit
qu'après avoir fait savoir ses vues d'une manière plus ou moins précise, il
laissait la dernière décision à son Sultan.
En fait malgré de nombreuses publications dans les journaux français
et les discours pronocés soit par le Roi, soit par les députés à l'Assemblée
sur l'installation française en Algérie, Rechid Bey, sous prétexte qu'il
n'était pas muni d'un nouvel ordre de son gouvernement, restait malheureusement silencieux et s'abstenait d'élever la moindre protestation auprès
des autorités françaises. Et pour justifier son attitude il prétextait que le
gouvernement anglais avait la même position à sujet. Nous voyons qu'il
avait déjà commencé de suivre la politique anglaise.
Avant d'envoyer la lettre dont nous venons de donner un extrait il
avait remis un rapport concernant les derniers événements en Algérie à
M. Désages, secrétaire aux Affaires Etrangères. Dans ce rapport il expliquait qu'en attaquant la population opprimee des régions où ile se trouvaient les soldats français pillaient ses biens, ravageaient ses villes et villa170 C o r n de Rechid in Tarih Vesikalan III/15 p. 209. (B.A. Mésaili Siyasiye (les affaires politiques) Fransa Kortonu (Dossier Français irade 54).
IOO
BAYRAM KODAMAN
ges et tuaient ceux leur résistaient et que,par conséquent, la population
algérienne, sujette de l'Empire ottoman, demandait au Sultan de trouver
un remède à sa souffrance. Et faisant allusion aux activités des troupes
françaises qui étaient diamétralement opposées aux droits entre les Etats,
il précisait que la porte devrait défendre ses droits légitimes sur ce pays.
Il accusait enfin la France d'avoir mis à feu et à sang l'Algérie au nom de
la civilisation, de vouloir en plus s'emparer de Constantine, et le Roi Louis-Philippe d'avoir prononcé un discours sur l'établissement de la domination française et envoyé son fils171 pour la conquête totale de l'Algérie 172 .
Passant sous silence les accusations Rechid Bey et employant un langage modéré, Desages laissait entendre dans sa répons que les désaccords
entre la Turquie et la France pourraient être résolus dans une atmosphère de compréhension, compte-tenu sans doute du changement ministériel
et de la prochaine séance de l'Assemblée.
Ainsi, Rechid Bey était persuadé que la nomination par la Porte de
Ahmet Bey n'amènerait aucune solution favorable à l'Empire ottoman. Et
il mettait l'accent dans sa lettre sur les dangers qui pourraient découler
d'une reconnaissance officielle d'Ahmed Bey par la Porte.A ce sujet, disaitil, si on demande à la France de ne pas aller conquérir Constantine en
proposant l'idée selon laquelle ce pachalik se trouve en dehors des territoires de l'Algérie, il est probable qu'elle acceptera la nomination d'Ahmed Bey au poste de pachalik. Mais cela signifiera alors sans doute pour
la France que la Sublime Porte renonce aux autres territoires de l'Algérie
déjà occupés 173 .
De son côté la Porte, après avoir examiné et discuté le rapport que
lui avait présenté Kâmil Bey 174 après son retour de Constantine et pris
connaissance des idées de Rechid Bey, jugea dangereux de designer officiellement dès maintenant Ahmet Bey comme Pacha de Constantine 175 .
Mais elle ne voulait pas pourtant se désintéresser du sort d'Ahmed Bey et
désirait au contraire faire son possible pour l'aider dans sa résistance contre la France. A cette fin elle envoya de nouveau un ordre à Rechid Bey
171
Le Fils de Louis Philippe partit en 1835 'août) avec le Maréchal Clauzel en Algé-
172
COÏTS de Rechid in Tarih Vesikalan III/15 p. 211.
rie.
173
ibid p. 212.
174
L U T F I , Tarih T . V . pp 75-78
175
Ercüment K U R A N , Cezayir'in Fransızlar 1 arafından İşgali... p. 46.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
pour qu'il contraignît le gouvernement français par la voie diplomatique,
à céder l'Algérie à l'Empire ottoman 176 . Hamdan Efendi, venu à Istanbul,
joua un grand rôle dans cette décision de la Porte d'envoyer une telle instruction à Paris 177 .
Comme on voit, la Porte allait chercher énergiquement et essayer
d'obtenir de la France la restitution de l'Algérie. Mais malgré l'arrivée de
ce nouvel ordre, Rechid Bey estimait prématuré de réclamer l'abandon de
l'Algérie et évitait par conséquent toute démarche officielle auprès du gouvernement français.
D'après lui, étant donné que la question d'Algérie se présentait délicate, avant d'aborder cette question il fallait améliorer les relations entre
les Puissances et la Turquie, obtenir leur soutien et comparer avec exactitude la situation de l'Empire et la portée politico-militaire de la question
d'Algérie 178 . Il pensait qu'au moment où la France faisait savoir ses intentions hostiles envers la politique suivie par la Port- Tripoli, Tunis, Constantine- une démarche diplomatique pour réclamer l'Algérie ne serait plus
prise au sérieux par le gouvernement français et rencontrerait un refus catégorique179. De plus, les autres Puissances, Pour des raisons politiques
extérieures et intérieures adoptaient une attitude très réservée et s'abstenaient de prendre parti pour la juste cause soutenue par la Porte180.
En vérité, à cause des motifs que nous avons expliqués ci-dessus,
l'ambassadeur ottoman ne désirait pas réclamer la restitution de l'Algérie
ni réitérer le droit de l'Empire ottoman sur ce pays auprès du gouvernement françait.Et d'autre part il savait bien qu'après les répercussions des
événements de Tripoli et de Tunis, l'attitude du gouvernement français à
l'égard de la Porte s'était durcie sur la question algérienne. Il est évident,
pour lui, que le gouvernement français refuserait d'accepter un entretien
ainsi que les revendications de la Porte sur l'Algérie si on faisait une démarche officielle auprès du Ministre des Affaires Etrangères181. Un tel
comportement de la part de la France provoquerait sans doute le départ
de l'ambassadeur ottoman. Or Rechid Bey, conscient des conséquences
r6
Ercüment K U R A N : Cezayir'in Fransızlar Tarafından İşgali... p. 45.
177
B.A. H.H. 47965 C ; Le rapport de Hamdan Efendi.
178
Corrs de Rechid Bey in Tarih Vesikaları III/15 p. 216.
179
ibid.
180
ibid.
181
Corresp. de Rechid in tarih Vesikaları III/15 p. 216.
IOO
BAYRAM KODAMAN
éventuelles d'une rupture avec la France, était pour la conservaiton des
relations diplomatiques entre les deux états respectifs. Aussi prévoyait-il la
suspension provisoire de toutes les démarches officielles à ce sujet pour
calmer la France effrayée par le projet d'une expédition contre la Tunisie.
Et il préférait attendre que la tension entre les deux gouvernements diminuât. A son avis, l'Empire ottoman, ayant à résoudre la crise d'Egypte
qui était plus grave que celle d'Algérie, n'avait intérêt politique à voir se
détériorer ses relations avec le gouvernement français182. Au contraire,
une rupture avec celui-ci supprimerait évidemment toute possibilité de
s'entendre et de trouver, à l'avenir,une solution au litige existant entre la
Turquie et la France à propos de l'Algérie. Rechid Bey, en tenant compte
du poids politique de la France devant la question d'Orient qui menaçait
de prés l'existence de l'Empire ottoman, ne voulait pas perdre complètement son soutien politique.
En somme, tout ce qu'on vient de présenter ci-dessus démontre que
l'Ambassadeur ottoman, Rechid Bey, perdit l'espoir de faire renoncer le
gouvernement français à la conservation des territoires occupés en Algérie
et par la suite s'abstint de provoquer une rupture avec la Frence en insistant inutilement sur la restitution de ce pays à l'Empire ottoman. Mais il
ne manque pas pourtant d'agir diplomatiquement pour justifier la politique de son gouvernement, pour convaincer la France d'abandonner l'Algérie et surtout pour obtenir le soutien de l'Angleterre.
Vers la fin de sa deuxième ambassade à Paris, il eut des consultations officielles ou officieuses pour connaître les vraies intentions du gouvernement français sur la note qu'il voulait lui remettre et sur une entrevue
avec le Ministre français des Affaires Etrangères183.
Mais tous ces efforts ne donnèrent pas le résultat positif espéré pour
la réussite diplomatique de sa mission. Certains hommes d'état français
auxquels il avait parlé de son désir de remettre une note officielle et de
demander un entretien sur l'Algérie, l'avaient déjà prévenu du fait que leur gouvernement n'accepterait aucune démarche de l'ambassadeur ottoman dans ce sens184. Pourtant celui-ci avait montré quelquefois son intention d'aborder la question d'Algérie au cours des entretiens avec le ministre des Affaires Etrangères sur les sujets concernant leur pays; mais ce
ibid.
I85
ibid. p. 219.
184
Corresp de Rechid in tarih in Tarih vesikaları 111/15 216.
1
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
'3
dernier avait refusé de façon décisive de discuter de l'Algérie, prétextant
l'absence d'un avertissement préalable de la part de l'ambassade ottomane 185 .
D'autre part Rechid Bey, envoyant une lettre à l'ambassadeur de
Londres, Beylikdji Nuri Efendi, lui expliqua le résultat de ses efforts et lui
demanda son avis sur la politique à suivre dans les circonstances actuelles. Dans sa réponse, Nuri Efendi informa Rechid Bey qu'il se rendrait à
Paris en vue de s'entretenir avec lui à ce sujet I8é .
En même temps Rechid Bey mit la Sublime Porte au courant de ses
dernières consultations et aussi du refus de ses demandes par le gouvernement français. Il n'incita pas pourtant la Porte à recourir aux mesures militaires et à rompre ses relations avec la France; mais bien au contraire il
lui conseilla toujours de garder son sang froid et surtout de ne jamais
mettre en danger les peuples ottomans de tous les vilayets pour délivrer la
population algérienne de la domination française187.
On voit qu'en évitant de susciter la tension entre la Porte et la France, il désirait que ces deux pays maintinssent des rapports plus ou moins
étroits.
En vérité, l'objection de Rechid Bey au gouvernement français à propos de l'Algérie, fit tirée parfois des arguments de ceux qui, à l'Assemblée, s'opposaient à la politique algérienne de leur gouvernement. Il croyait que les opposants à la conservation de l'Algérie représentaient la
grande majorité de l'opinion en France188. Aussi pensait-il que les dépenses militaires entrainées par l'occupation permanente dégoûteraient la
France de l'Algérie et que, plus tard, le gouvernement de Louis Philippe
pourrait envisager de s'arranger avec l'Empire ottoman. D'où il conclut
que la Sublime Porte ne devait pas abandonner ses droits légitimes et
qu'elle trouverait peut-être l'occasion de les faire valoir à l'avenir.
Au début du mois de septembre 1836, Rechid Bey et Nuri Efendi venu à Paris, se mirent à tracer une nouvelle linge de conduite, autrement
dit à rechercher une politique à suivre vis-à-vis de laFrance pour libérer
185
ibid,
1,6
ibid.
187
ibid p. 219.
188
A.A.E. 1835 T U R Q U I E . V- 270, p.253.
IOO
BAYRAM KODAMAN
l'Algérie de l'occupation française189. Malgré de longues conversations, ils
n'arrivèrent pas à prendre une décision définitive ni même à fixer leurs
idées sur la teneur du compte rendu qu'ils devaient envoyer à Constantinople. Enfin ils préférèrent attendre l'arrivée de Roussin, ambassadeur de
France à Istanbul, avec lequel ils voulaient s'entretenir avant d'envoyer le
compte rendu à la Porte.
Sur ces entrefaites Rechid Bey reçut un ordre de son gouvernement
prévoyant sa romination à l'ambassade ottomane à Londres et celle de
Nuri Efendi à Paris, c'est à dire la permutation des deux ambassadeurs190. Le motif de cette permutation était la santé de Nuri Efendi qui ne
supportait pas les conditions climatiques de l'Angleterre191. Bien que Rechid Bey ait accueilli avec insatisfaction sa désignation à Londres, pour des
raisons personnelles192 il dut s'y résigner en demandant à la Porte d'attribuer à cette permutation des motifs politiques bien fondés. Il voyait dans
le prétexte donné par la Porte une atteinte à sa carrière diplomatique et il
avait peur de perdre l'estime du gouvernement anglais à cause des motifs
sa nomination à Londres 193 .
Bien que la désignation de Rechid Bey à l'ambassade de Londres ait
été annoncée dans le journal officiel du gouvernement ottoman, Takvim-i
Vekayi, en date du 13 septembre 1836 (1 cemaziyülahir 1252) nous le voyons prolonger son séjour et rester en France jusqu'à la mi-octobre. Peut
être le motif de cette prolongation était-il d'attendre M. Roussin pour
avoir des conversations avec lui et de connaitre les intentions du nouveau
gouvernement sous la présidence de Molé 194 . Mais ce qui est certain c'est
qu'il voulut parier longuement avec son collègue, Beylikdji Nuri Efendi,
car la présence de ce dernier lui offrait l'occasion de délibérer de concert,
sur les relations politiques de la Porte avec la France et l'Angleterre en
général et sur les questions d'Egypte et d'Algérie en particulier. Ainsi, il
désirait s'entendre avec Nuri sur la politique qu'ils devaient suivre, tous
les deux, auprès de ces deux puissances occidentales, les plus intéressées,
189 B.A.
tembre 1836.
H.H. 37535 G ; Corresp. de Rechid
le 28 cemaziyiil-ewel 1252 (le 10 sep-
190
Corresp. de Rechid Bey in Tarih dergisi X / 1 5 p. 61.
191
Takvim-i vekayi no 135 le 1 erCemazivel ahir 1252.
192
Corresp. de Rechid in Tarih Dergisi X 15 p. 62.
193
ibid.
194
Le gouvernement de Molé est constitué le 6 septembre 1836.
Voir: Dictionnaire historique de la France. Paris 1877; p. 1283.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
et élaborer le compte rendu que leur avait demandé la Porte en vue d'être au coûtant de leur opinion.
Au cours de son séjour d'un mois, Rechid Bey fournit beaucoup
d'explications à Nuri Bey sur la conduite du gouvernement français et lui
en demanda par contre sur celle de l'Angleterre.
Enfin, le 7 octobre au cours d'une audience, Rechid Bey présenta au
Roi de France, son collègue, à peine désigné à Paris. Il reçut aussi, à cette occasion, la Légion d'Honneur attribuée par Louis Philippe195. Il quitta ainsi la France, vers le milieu d'octobre, pour rejoindre son nouveau
poste auprès du gouvernement anglais.
195
>836).
B.A.
H.H. 34088; corresp. de Rechid
le 27 cémaziyelahir 1252 (le 9 octobre
G) LA CHUTE DE CONSTANTINE.
Il convient de résumer en substance le déroulement des événements
qui eurent lieu après le départ de Rechid Bey pour Londres. Du côté de
la France, le nouveau gouvernement de Molé, qui ne voulait pas d'une
expédition contre Ahmed Bey et qui n'osait pourtant rejeter fermement
l'idée de conquête totale, se résigna plus tard aux demandes de Clauzel,
persuadé que l'heure était venue de s'emparer de Constantine.
Lorsque les nouvelles d'une expédition militaire contre le Bey de
Constantien se répandirent en France et dans les milieux diplomatiques
étrangers, la Porte, n'ayant pas à sa disposition des moyens militaires suffisants, ne pouvait rien faire d'autre qu'envoyer des instructions et des
ordres à ses ambassadeurs pour qu'ils réagissent auprès des gouvernements intéressés par cette affaire, et adressent une protestation au gouvernement français.
Mais l'echec le 21 novembre 1836, de l'expédition, contre Ahmed
Bey présenta à la Porte un espoir de récupérer l'Algérie. Elle s'empressa
d'obtenir l'intervention politique du gouvernement anglois et de faire de
nouveau une démarche à Paris. En réalité l'échec de Constantine ne provoque aucun changement dans la politique française ni dans l'attitude anglaise. Au contraire le gouvernement français allait saisir avec vigueur le
problème de Constantine pour en finir avec Ahmed Bey et par conséquent pour mettre l'Algérie toute entière sous sa domination. De son côté
Lord Palmerston, au nom de son gouvernement, annonça à Rechid Bey
que l'Angleterre ne pourrait accepter de se brouiller avec la France ni de
courir de risque pour la question d'Algérie ,96 .
Cette fois le gouvernement fiançais voulait chercher en Algérie la possibilité de négocier avec Ahmed Bey et Abdülkadir sans toutefois renoncer
aux préparatifs d'une deuxième expédition. Il désirait surtout obtenir la
neutralité d'Abdülkadir, car pour agir librement dans la province de Constantine cette neutralité lui était nécessaire. A cette fin, un traité fut signé
à Tafna le 20 mai 1837, entre la France et Abdülkadir 197 . Ce traité, en
196
B.A. H.H. 48981 COÏTS de Rechid, le 21 şevval 1252.
of. K A Y N A R : op. cit p. 83.
1,7
D'après C h . Robert Ageron, la date de ce traité est le 30 mai 1837.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
assurant la paix à l'ouest, permettait à la France de porte son effort militaire à l'est198.
Malgré le désir de la France de commencer les négociations avec Ahmed Bey, celui-ci se déclara non disposé à signer un traité et à entamer
les conversations tant que les troupes françaises n'évacueraient pas tout le
pays sauf Bône. Ce refus d'Ahmed Bey découlait du départ (le 20 juillet
1837) d'une escadre ottomane d'Istanbul pour Tripoli 199 et de la promesse de la Porte de l'aider. Mais la France avait changé sa flotte d'empêcher
l'escadre ottomane de dépasser Tripoli et ainsi de venir en aide à Ahmed
Bey200.
Entre-temps par la voie diplomatique, la Porte voulut influencer le
gouvernement français pour empêcher une deuxième expédition contre
Constantine. Mais tous ses efforts en ce sens n'aboutirent à rien.
Enfin, le gouvernement français, en décidant la conquête de Constantine, envoya l'ordre à Damrémont201 de marcher sur Ahmed Bey et de
prendre cette ville "à tout prix". L'expédition, bien préparée, obligea Ahmed Bey à céder la ville: malgré sa résistance héroique le Bey ne put empêcher la chute de Constantine, le 13 octobre 1837.
C'est avec la prise de Constantine par la France que la question d'Algérie, qui durait depuis si longtemps, prit fin et perdit ainsi son importance. En effet la nouvelle de la conquête de Constantine produisit peu
d'effet sur le plan politique et diplomatique, car on s'y attendait. La Sublime Porte devait bon gré mal gré se résigner au fait accompli, à perdre
l'espoir de voir sa province peuplée par une population musulmane lui
revenir jamais et la laisser à la France
Conclusion
De tout temps, le développement économique s'est accompagné d'une
expansion maritime et coloniale des pays plus évolués. Il est donc normal
que le grand développement de l'industrie, au début du XIX e siècle, ait
provoqué une nouvelle vague de colonisation.
" s Ch. A . J U L I E N ' : Histoire de l'Algérie contemporaine". Paris 1967 pages 136-137.
199
L'escadre ottomane était sous le c o m m a n d e m e n t du K a p u d a n pacha, A h m e t Fev-
zi. Celui-ci livrerait en 1839 la flotte ottomane a M . Ali Pacha, gouverneur d'Egypte.
C h . A. J U L I E N op cit p. 140.
Damremont avait remplacé Clauzel.
IOO
BAYRAM KODAMAN
A cette époque, en raison de leur suprématie technique, les états de
l'Europe occidentale étaient les seuls à participer à une activité coloniale,
et disposaient de moyens qui leur permettaient d'assurer leur prépondérance dans le monde.
Quant à la France, les guerres napoléoniennes l'avaient privée de la
presque totalité de ses anciennes coloies. Mais elle était pourtant la seconde puissance industrielle du monde. Ses ressources en capitaux étaient
considérables. En vertu de cette puissance elle allait se créer un nouvel
empire colonial.
Tout naturellement, c'était vers la Méditerranée qu'elle avait porté ses
regards. Obligée d'abandonner toute idée d'hégémonie continentale, la
France en était revenue à la politique méditerranéenne sur laquelle, depuis fort longtemps, elle n'avait cessé d'appuyer son développement économique et son prestige international.
D'autre part, vers la fin du règne du Roi Charles x'à ces mobiles de
politique coloniale venaient s'ajouter ceux de politique intérieure du gouvernement de Polignac, convaincu qu'un succès militaire à l'extérieur lui
permettrait de renforcer son pouvoir et sa situation dans le pays.
Alors, pour réaliser sa double politique, la France entreprit la conquête de l'Algérie et s'empara le 5 juillet 1830 de la ville d'Alger.
Devant cette situation, l'Empire ottoman, qui était d'ailleurs, à cette
époque, en pleine période de crise et de déclin, ne pouvait rien faire
qu'envoyer une protestation symbolique au gouvernement français, car il
ne disposait d'aucun moyen militaire pour intervenir en faveur du Bey,
son pacha. En même temps, d'autres difficultés extérieures et intérieures
occupaient la Porte. Ce fut pour ces raisons que l'Empire ottoman abandonna bon gré mal gré l'Algérie à son sort jusqu'em834- Mais dans cet
intervalle (1830-1834) la France, s'emparant d'Oran (1831) de Bône (1832)
et des autres villes importantes,y avait assuré plus ou moins solidement sa
domination et avait commencé à s'y installer définitivement.
En 1834, débarrassée provisoirement du vice-roi d'Egypte, Mehmet
Ali, la Sublime Porte voulut saisir la question d'Algérie quatre ans après
son occupation par la France et envoya, à cette fin, Rechid Bey à Paris
en vue d'obtenir la restitution de l'Algérie.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
Avant tout, la réussite de Rechid Bey dans cette moission dépendait:
1) de l'intervention et du soutien des autres puissances, surtout de
l'Angleterre.
2) de la restitution volontaire de l'Algérie par la France à l'Empire ottoman.
3) de la capacité politique personnelle de Rechid Bey.
4) de la force militaire de l'Empire ottoman.
Les autres puissances n'allaient pas au delà des bons conseils et des
promesses. L'Angleterre évita une rupture avec la France dont la collaboration lui était nécessaire dans les affaires européennes et par conséquent
conseilla à la Porte une politique d'attente.Palmerston, dés qu'il comprit
la résolution française et qu'il se heurterait à une résistance de la part de
la France, annonça: "Je ne veus pas de conflit sérieux entre nous (France
Angleterre). Ne donnons pas à nos démélé plus d'importance qu'ils n'en
ont". Il finit, en 1837, par se déclarer prêt à accepter" toutes les mesures
que voudrait prendre la France en Algérie à cette seule condition que les
territoires de Tunisie et du Maroc demeurent intacts".
Quant à un abandon volontaire de l'Algérie par la France, après avoir consolidé sa domination militaire en Algérie et sa politique durant cinq
ans, la France aurait voulu garder les territoires qu'elle avait occupés aux
d'énormes dépensés. Et même elle déclarait depuis 1830 ses intentions de
ne pas quitter l'Algérie. En plus un tel abandon était contraire à sa politique coloniale et à son prestige à la fois militaire et national.
En face de l'abstention du gouvernement anglais, de l'indifférence des
autres états (Autriche, Russie, Prusse) et de la fermeté de la politique
française, il était difficile, pour Rachid Bey, de pouvoir persuader la France de rendre l'Algérie à l'Empire ottoman dont l'intégrité territoriale avait
déjà été mise en cause et n'avait pas été respectée par les puissances pendant l'afTaire de Grèce.En outre Rechid Bey n'avait pas une expérience
diplomatique suffisante pour assumer la tâche d'obtenir la restitution de
l'Algérie, car il n'était pas chargé, jusqu'en 1834, d'une telle mission
d'importance capitale dépendant de son initiative et de sa responsabilité.
Bien qu'il ait assisté aux négociations d'Edirne (1829) avec les Russes et
de Kütahya (1833) avec Ibrahim Pacha et qu'il ait accompagné la délégation ottomane envoyée en Egypte pour négocier avec Mehmet Ali Pacha,
il manquait encore d'expérience et d'une connaisance profonde de la dip-
IOO
BAYRAM KODAMAN
lomatie européenne. Et il ne savait pas exactement les intentions de la
France et l'évolution de la question d'Algérie.
D'autre part, comme nous l'avons vu dans ce chapitre, Rechid Bey,
ayant suivi une politique d'attente et parfois d'hésitation dans l'espoir de
voir, un jour, l'Angleterre intervenir en faveur de l'Empire ottoman et la
France accepter de négocier avec la Porte sur les conditions de la restitution de l'Algérie, il subit enfin un échec total dans toutes ses activités politiques et diplomatiques au cours de ses deux ambassades (1834-1835 et
1835-1836) en France, car il n'avait pas pu obtenir du gouvernement français les territoires occupés et ni l'empêcher de conquérir Constantine et
de s'installer définitivement dans cette ancienne province de l'Empire ottoman.
— DEUXIEME PARTIE —
LA QUESTION D'EGYPTE
ET
RECHID BEY
A — VUE GENERALE A LA CRISE D'EGYPTE
I — Arrivée au pouvoir de Mehmed Ali Pacha en Egypte
Mehmet Ali, né 1769 à Kavala, est fils de Ibrahim Aga 1 . Sous le sultanat de Selim III, il vint en Egypte, avec les soldats de Kavala, au moment de Selim III, il vint en Egypte, avec les soldats de kavala, au moment de l'expédition de Bonaparte2. Quelque temps après le départ des
français, il réussit à se faire nommer au Caire, avec le titre de serçesmelik3, à la téte des troupes irrégulières. Désormais Mehmet Ali s'efforcera
de s'emparer du pouvoir. En effet, profitant de la situation au Caire et incitant ses soldats à la révolte contre les derniers gouverneurs qui voulaient
l'éloigner du Caire 4 , il réussit à chasser ces gouverneurs par la force5. Mise ainsi devant le fait accompli, la Sublime Porte, alors très occupée par
politique europenne, lui donna officiellement en 1805 (vers la fin de l'année 1219 de l'hégire)6, le titre de Pacha d'Egypte, à condition qu'il écrasât'insurrection de vahabites à Hicaz.
n - Mehmed Ali Pacha (1805 - 1881)
Arrivé au pachalik du Caire à force de ruse et de cruauté, maitre absolu de l'Egypte après le massacre des Mameluks(ier mars 1811), Meh' Les ancêtres de Mehmed Ali, venus d'Asie Mineure, s'étaient installés, autrefois,
à Kavala. Son père était le chef des veilleurs <ie cette ville Voir: E.Ziya Karal; Osmanlı Tarihi, V, 125.
2 A la tête des soldats de Kavala se trouvait Ali Agha, neveu de Hüseyin Agha qui
était le çorbacibasi de Kavala. L'aide de camp d'Ali Agha était Mehmed Ali. Voir: Ali Fuat, Mısır valisi Kavalali Mehmet Ali Paşa in T T E M , 19(96), p.65. Voir aussi: Şinasi Altundag, Mısır Meselesi, Ankara 1945, 24.
3 Serçesme: titre attribué, avant le Tanzimat, à celui qui commandait les soldats auxiliaires. Ali Fuat, İd. 65.
4
Hüsrev. Tahir, Ali, Hurşit Paşa.
Mehmet Ali avait obtenu le soutien des Mameluks contre ces valis. M . Nuri Paşa,
Neteyicülvukuat, IV, 85.
5
6
Şinasi Altundağ; op. cit. 24.
IOO
BAYRAM KODAMAN
med Ali Pacha, bien que vassal du Sultan, agit en chef d'Etat entre 1805
et 18817.
Pendant vingt cingt ans il travailla méthodiquement à moderniser
l'Egypte, en même temps qu'à étendre les limites territoriales de son pouvoir8, car son but était de trouver, en réalisant dans le pays des transformations considérables, les moyens d'une politique de puissance. Il fit une
révolution agricole en construisant des canaux d'irrigation et en introduisant de nouvelles cultures destinées à l'exportation; il créa une industrie
et équipa ses ports.
Dans toutes ces tentatives destinées à donner un essor au pays il fit
appel, sans hésitation, à des étrangers, surtout aux ingénieurs français9.
Au cours de sa grande transformation "Mehmed Ali se joue, à son gré,
de la vie des hommes, les déporte, les fait travailler à la chaîne, les fait
mourir sous le courbach, les jette dans le Nil, les dépouille jusqu'au dernier para, leur enlève les récoltes.... les nourrit avec un pein de graine de
lin... ce qui a réduit la population de l'Egypte, en peu d'années, de 2 400
000 à 1 800 000.10
D'autre part le dévelopement écomique assura au trésor de Mehmed
Ali les ressources nécessaires, les revenus du pays qui augmentaient d'année en année dépassèrent 400 000 késés (bourses) " .
Ayant un revenu considérable par an il consacra tous ses soins aux
forces militaires, nécessaires à la réalisation de ses grands desseins politiques 12. Ainsi il organisa, avec le concours d'instructeurs français, une armée de type européen et une flatte de guerre. Cette armée et cette flotte
lui donnèrent le moyen d'acquérir la célébrité politico-militaire13. Il envoya en même temps des étudiants en Europe surtout en France pour
qu'ils apprennent à connaître les techniques et la civilisation occidentale 14. Par ces changements infranstructuraux, il fit un effort de rénovation,
7
Netayicülvukuat IV 86.
8
Ali Fuat: op. cit. 65.
9
10
ibid.
Scipion Marin: Conduite de la France envers la Turquie. Paris 1840, p.7.
11 En 1805; 13 000 kese; en 1808: 18 000 kese; en 1809: 35 000 kese; et puis 400
000 késé. Voir Netayicülvukuat, IV, 86.
12
E.Driault: La question d'Orient. Paris 1898 p. 137.
13
Mehmet Ali arma 170 000 hommes. SCIPION M . : op. cit. p. 10.
14
Ali Fuat: op. cit. p. 67.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
ce dont l'Empire ottaman et le monde musulman furent incapables. Il
abaissa les barrières, jusque là insurmontables, qui séparaient les musulmans des chrétiens (l'Empire ottoman de l'Europe)
Jusqu'à sa rupture avec Istanbul, Mehmed Ali ne manqua pas de
rendre des services militaires incontestés à ses suzerainsien 1807 il infligea
un éches militaire aux Anglais qui avaient essayé de s'emparer d'Alexandrie pour faire renoncer la Sublime Porte à un rapprochement avec Bonaparte 15 ; il soumit en 1815 les Vahabites après trois expéditions sucéssives
au Hidjaz (1818, 1815) pour le compte du Sultan 16 ; entreprenant, entre
1820 et 1822, une politique de conquête il étendit les frontières de l'Empire ottoman jusqu'au Haut Nil; il envoya son fils, Ibrahim, aider le Sultan
au cours des événements de Morée qui, après la catastrophe de navarin
en 1827, donnèrent naissance à un état grec indépendant l7 .
A cette époque les situations extérieure et intérieure de l'Empire ottoman offrirent à mehmed Ali la liberté d'action dans tous les domaines et
une politique indépendante vis-à*vis de la Porte et lui donnèrent l'occasion de devenir un vassal plus fort que son souverain. Les événements survenus dans l'Empire ottoman, facilitant les activités de mehmed Ali et le
renforcement de son pouvoir, furent en gros les suivants:
1) les guerres turco-russes (1806; 1809-1812; 1828).
2) les insurrections de Serbie (1804-1817) et de Grèce (1820-1829).
3) les révoltes des pachas turcs contre l'autorité du Sultan (Ali Pacha
de Tépédélen, Pazvantoglu, etc.).
4) la faiblesse militaire de la porte à la suite de la disparition des Janissaires l8.
IH) Les causes de la crise
Pour éviter d'entrer dans le détail car cela nous mènerait trop loin
nous jugeons utile de nous borner à une simple énumération des motifs
fondamentaux et apparents de la révolte du Pacha d'Egypte.
15
N'etayicül vukuat IV 52,
16
Driault: op. cit. p. 137
17
Pour l'insurrection de Morée voir: Yzb. Fahreddin et Yzb. Seyfi: Mora İsyanı; Is-
tanbul.
18
Ali Fuat: op. cit. p. 64.
BAYRAM KODAMAN
I6
a) Les causes fondamentales:
1) La faiblesse de l'autorité dans le pays. A notre avis, elle a été à
l'origine de toutes les révoltes des pachas turcs qui se produisirent au cours des XVIIIe et XIXe siècles dans l'Empire ottoman.
2) L'impuissance militaire de la Sublime Porte. En effet la Porte ne
disposait pas au début du XIXe siècle d'une force militaire suffisante pour réprimer à temps les insurrections.
3) La puissance militaire de l'Egypte:ce fut elle qui poussa Mehmed
Ali à défier son suzerain et à réaliser ses objectifs ambitieux. Son premier
objectif était d'abord d'étandre ses territores et puis d'obtenir ses territoires et puis d'obtenir sa liberté d'action vis-à-vis du Sultan et l'hérédité de
son pouvoir. Peut-être pensait il devenir Grand Vizir ou,comme le disent
certains historiens, à supplanter le Sultan 19 .
4) Les réformes de Mehmed Ali en Egypte .étant donné que les ennemis personnels de mehmed Ali et également certains membres du gouvernement ottoman hostiles à toutes les rénovations empruntées â l'Europe,
voyaient dans la réussite des réformes en Egypte un danger pour tout
l'Empire, ils incitaient le Sultan Mahmut II contre le gouverneur d'Egypte, en attirant son attention sur les visées de la politique égyptienne. De
son coté le Sultan, qui ne désirait point voir l'Egypte, renforcée et régénérée par son vassal, se dresser en face de lui en puissance rivale, voulait
combattre l'autorité et la force de Mehmed Ali.
b) les causes apparentes:
1) Le refus du Sultan d'accorder à Mehmed Ali la possession de la
province de Syrie à titre de compensation 20.
2) Le retour de l'armée d'Ibrahim Pacha en Egypte après la defaite
de Navarin 21 , sans autorisation du Mehmed Ali de ne pas envoyer une
" Mais Ali avait souvent déclaré aux étrangers qu'il n'avait aucune intention de détrôner Mahmut II et de devenir sultan. **Je veux rester le vassal du Sultan. " O n peut croire à la sincérité de ses paroles à ce sujet. Mais les événements et les documents avaient
prouvé qu'il désirait une Egypte indépendante ou autonome, et agrandissement territorial.
20 En 1830, Pertev Efendi et Rechid Bey, munis du firman du Sultan se rendirent en
Egypte et annoncèrent à Mehmet Ali l'abandon de la Crête par le Sultan à l'Egypte. Cf.
Lutfı Tarihi: III, 28 sq.; Ali Fuat: op. cit. 7-,. Le compte rendu de Pertev en date du 11
safer 1246, p. 76-84 in l'article d'Ali Fuat.
21 Ali Fuat: op. cit. 66. Dans cet articlr on prétend que ibrahim Pacha avait par son
attitude causé la défaite de la flotte ottomane à Navarin.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
aide militaire que lui avait demendée le Sultan pendant la guerre russoturque de 182822.
3) La décision de Mehrned Ali de ne pas envoyer une aide militaire
que lui avait demandée le Sultan pendant la guerre russo-turque de
182822.
4) Le refus du Sultan de nommer mehmed Ali commandant en chef
de l'armée ottomane stationnée en Anatolie, et son fils Ibrahim au même
grade dans l'armée de Rumelie (dans la langue turque on utilise le mot
de Rumelie pour définir les territoires de l'Empire ottoman dans les Balkans.)
5) L'incitation à la révolte contre le Sultan exercée sur Mustafa Pacha
d'Iskodra par Mehmet Ali. 23
En somme la tension découlant de ces motifs ne tarda pas à provoquer la rupture le Sultan et Mehmed Ali, c'est à dire la crise d'Egypte,
l'une des phases longues et assez compliquées de la question d'Orient.
IV) Commencement et déroulement de la première phase de la
crise.
Mehmet Ali, informé du plan de la punir24, prenant les devants, envoya sans déclaration de guerre son fils Ibrahim Pacha à la tête de 20
000 soldats à la conquête de Saint Jean d'Acre (Akk.) et de la Syrie25.
Les succès d'Ibrahim Pacha furent rapides.il prit Akkâ le 27 mai 1832
Damas le 14 juin suivant26. Ensuite il battit succéssivement les soldats du
Pacha d'Alep à Homs et l'armée du Sultan commandée par Hüseyin
Pacha exterminateur des Janissaires à Beylan.
A la suite de ces victoires et de l'entrée de son armée en Asie Mineure, mehmed Ali annonça au Sultan son intention d'arrêter la guerre à
22 Ibid. Bien que Mehmed Ali ait promis au Sultan d'envoyer 12 ooo soldats il se
borna à lui envoyer une aide en espèces.
23
Lutfı Tarihi: III, 28 sq.
Le plan préparé par le Sukan prévoyait une expédition contre Mehmed AU, dont
l'exécuteur devait être le gouverneui général de Syrie, Selim Pacha qui venait d'être nomé
pour la mise en application de ce projet.
24
25 Mehmet Ali prit comme prétexte le refus du Pacha de St Jean d'Acre de lui livrer
les réfugiés égyptiens qu'il avait réclamés.
26
Lutfı Tarihi: IV, 33.
IOO
BAYRAM KODAMAN
condition que la Syrie lui fût cedée27. Mais Mahmud II, en refusant sa
demande, envoya son armée, commandée par mehmed Pacha, contre celle d'Ibrahim Pacha venue alors à Konya. L'armée ottomane y subit encore une fois, le 21 décembre 1882 un désastre complet28. Ibrahim s'avança
jusqu'à Kütahya sans rencontrer aucun obstacle:il pouvait de là marcher
sur Istanbul. C'est alors que le conflit turco-egyptien prit en caractère européen et que le trône ottoman fut mis en cause.
Comment le Sultan pouvait-il se tirer de cette situation dangereuse?
deux politiques s'offraient à lui:
1. s'entendre avec Mehmet Ali Pacha en restant dans les limites des
principes musulmans sur lesquels s'appuyait son empire;
2. s'allier avec les états chrétiens contre Mehmed Ali qui menaçait
son trône.
Le Sultan choisit la deuxième. II fit appel aux Puissances occidentales; il sollicita leur intervention en sa faveur. Mais la France, ayant de la
sympathie pour Mehmed Ali était favorable à la politique égyptienne.
L'Angleterre, occupée par sa réforme électorale, refusa son appui. 29
Dans ces conditions, il ne restait plus au Sultan qu'à accepter les offres de secours que lui faisait la Russie qui ne désirait pas voir Istanbul
tomber aux mains de Mehmed Ali, plus redoutable pour elle que les Ottomans affaiblis30. En fait le Sultan, après avoir pris l'avis du Divan, demanda au Tsar un secours militaire.31. Ce devnier n'hésita pas. Sa flotte
vint, au début de février 1833 jeter l'ancre dans le bosphore.
Quelle était à ce moment la politique russe? Depuis fort longtemps
l'objectif de la Russie était, comme on le sait, de descendre en méditerranée. Pour parvenir à ce but elle avait adopté trois méthodes selon les circonstances:
1. l'emploi de la force militaire;
2. le partage des territores ottomans avec ceux qui y avaient intérêt;
27
Le V te A.de la Jonquière: Histoire de l'Emp. ott. Paris 1897 p 484.
28
Lutfi Tarihi: IV p. 42-43.
29
Droz J.:Histoire diplomatique. Paris 1959 p. 329.
30
Driault E.: op.cit.
31
Şinasi Altundağ: op. cit. p. 96.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
3. la mise de l'Empire ottoman sous sa protection 32.
Pour la réalisation du projet russe il fallait que la la Turquie fût faible. C'est pour cette raison que la Russie avait accueilli au début favorablement la révolte de Mehmet Ali parce que celle-ci était de nature à
affaiblir la Turquie. Mais la venue des troupes d'Ibrahim à Kütahya bouleversa les suppositions de la Russie car Mehmed Ali ne mettait pas la
Turquie en danger;il ne menaçait que le trône du Sultan.
L'installation de Mehmed Ali à Istanbul, soit comme sultan soit comme grand vizir, risquait de renforcer et de moderniser un empire déjà affaibli33. Mais le renforcement île l'Empire ottoman ne correspondait pas
à la politique expansioniste russe. Pour l'empêcher, la Russie, conformément à ses visées, réagit et se montra résolue à défendre le trône du sultan, à maintenir l'intégrité de l'Empire ottoman et à chasser Mehmed Ali
d'Asie Mineure.
D'autre part l'arivée de la flotte russe à Istanbul plongea dans l'effroi
la France et l'Angleterre qui ne pouvaient pas laisser le Tsar protéger seul
le Sultan. Ces deux gouvernements, prenant plus nettement conscience de
la gravité des circonstances, envoyèrent leur ambassadeur, Lord Ponsonby
et l'Amiral Roussin, à Istanbul, avec l'ordre d'écarter les Russes des Détroits et de s'interposer entre Mehmed Ali et le Sultan. Cette démarche
anglaise et française fut accueillie avec satisfaction par Mahmud II qui
cherchait à échapper aux secours trop obligeants de la Russie. Nous savons qu'avant de s'adresser au Tsar il avait demandé à la France et à
l'Angleterre leur intervention en sa faveur, ne l'ayant pas obtenue il n'avait pas trouvé d'autre remède au défi de Mehmed Ali que le secours du
Tsar. "Que voulez-vous disait Mahmud II à ses conseillers, au risque d'
être étouffé plus tard, un homme qui se noie s'accroche à un serpent".
Peut-être comptait-it, et s'adres sant aux Russes, hâter l'intervention des
autres puissances européennes. Quel que fût , il réussit relativement à faire intervenir la France et l'Angleterre dans la crise égyptienne par son
rapprochement avec la Russie.
Après ses pourparlers avec la Porte, l'Amiral Roussin s'engagea, le 21
février 1833 (—le 2 sewal 1248), à faire accepter les propositions du Sultan
32
Karal,E.Z.: Osmanlı Tarihi V p. 134.
33
Altundağ: op.cit. p. 99.
BAYRAM KODAMAN
IOO
à Mehmed Ali, mais il il se heurta au refus de celui-ci- qui demandait le
vilayet de Syrie et la région d'Adana (Cilicie)34.
Le Sultan fut alors obligé de rappeler les traupes russes. Celles ci débarquèrent sur les deux rivages du Bosphore, Büyükdere et Tarabya, le 5
avril 183335.
Cette fois, ayant compris la nécessité de faire évacuer l'Asie Mineure
par mehmed Ali pour rendre inutile la présence des Russes à Istanbul,
les ambassadeurs français et anglais obligèrent le Sultan et Mehmed Ali à
se montrer conciliants et à s'entendre. En effet sur leur insistance, le Sultan envoya Rechid bey auprès d'Ibrahim Pacha pour discuter les conditions d'une convention36. Le 6 mai 1833 (le 16 zilhicce 1248 la convention
de Kütahya fut acceptée par les deux parties37. Par cette convention le
Sultan accorda à son vassal la Syrie toute entière avec le district d'Adana
moyenmant quoi les troupes égyptiennes se replièrent derrière le Taurus38
V) Le traité de Hünkâr Iskelessi (8 Juillet 1833)
En réalité la convention de Kütahya était loin deux parties hestiles,
car elle n'était qu'un firman proclamé par le Sultan39. Elle n'était donc
pas un traité signé. Le Sultan avait le droit de l'abroger quand il voulait,
elle n'avait d'ailleurs saticfait ni le Sultan ni mehmed Ali, car l'un croyait
avoir perdu beaucoup, l'autre gagné moins qu'il espérait. Dans ces conditions, il était naturel que le Sultan chercha l'alliance d'une puissance pouvant garantir son trône et son empire contre le danger et l'ambition de
son vassal. C'est ainsi qu'il demanda, au mois d'avril 1833, à l'ambassadeur russe l'alliance de son pays40.
34 Pour ces propositions voir Baron de testa; Recueil...., II, p. 354. Le sultan cédait â
Mehmet Ali le département d'Acre (Akkâ) et de Tripoli de Syrie.
35
15 000 soldats. Voir Lutfi Tarihi, IV, p. 27.
Lutfi Tarihi; IV, p.28. Pour l'instruction donnée à Rechid Bey. Voir: Lutfi; op.
cit; p. 187.
36
37 Altundag: op. cit.. p. 133. Pour les comptes rendus de Rechid Bey envoyés à la
Porteau cours des pourparlers à Kütahya, daiés:zilkade 1248,24 zilcade 1248,28 zilkade
1248. Voir Ali Fuat: cit., p. 90-110.
38
DrozJ.: op. cit. p.329.
39
Le firman du sultan proclamé le 6 mai, parvint le 14 mai à Kütahya.
40 La première démarche fut faite par le Sultan, non par le Tsar. Voir: E.Ziya Karal: Osmanlı Tarihi; V, p. 136.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
A la suite des conversations entre Orlof, confident du Tsar, et Ahmed
fevzi Pacha, le traité de Hünkâr iskelessi fut signé, le 8 juillet 183341. Ce
traité établit une alliance défensive russo-turque pour huit ans. La forme
de ce traité fut précisée par un article secret42: "en vertu d'une des clauses de l'article premier du traité paient d'alliance définitive entre la Sublime Porte et la Cour impériale de Russie, les deux parties contractantes
sont tenues de se prêter mutuellement des secours matériels et l'assistance
la plus efficace pour la sécurité de leur état respectif. Néanmoins, comme
Sa majesté, l'Empereur de toute la Russie voulant épargner à la Sublime Porte ottomane les charges et les embarras qui résulteraient pour elle
de la prestation d'un secours matériel, ne demandera pas ce secours, si
les circonstances mettaient la Sublime Porte dans l'abligation de la fournir, la place du secours qu'elle doit prêter au besoin, d'après le principe
de réciprocité du traité patent, devra borner son action, en faveur de la
Cour impériale de Russie, à fermer le Détroit des dardanelles, c'est à dire
à ne permettre à aucun bâtiment de guerre étranger d'y entrer, sous un
prétexte quelconque.
Le présent article séparé et secret aura les mêmes valeurs et force
que s'il était inséré dans le traité d'alliance de ce jour.
Fait à Constantinople le 26 juin,l'an 1833 (le 20 de la Lune de sefer,l'an 1249)43.
Par les autres articles, tandis que la Russie s'engageait à fournir à la
Turquie un concours armé (les troupes russes pourraient donc occuper les
Détroits du Bosphore et des Dardanelles dans le cas où la Turqie serait
attaqué par un tiers,) le Tsar ne demanderait pas à la Porte un secours
effectif si la Russie se trouvait en guerre avec une autre puissance; il suffirait que conformément à l'article secret, elle ferme les Détroits et interdise
à l'adversaire de la Russie de faire pénétrer une flotte dans la Mer Noire.
En fait ce traité n'autorisait pas la flotte russe à franchir les Détroits maits
mais il pouvait donner à la Russie une influence dominante dans la con41 Pour les articles de ce traité, voir; de Cadalvène et Barrault: Histoire de la guerre
de Mehmed Ali contre la Porte ottomane, rn Syrie et en Asie Mineure, 1831-1833. Paris
1836; p.490-493. Lutfı Tarihi; IV, p.89-91.
Pour le texte turc de cet article, voiı : Muahedat mecmuası; IV, p. 92-93. Mufassal
Osmanlı Tarihi, ist. 1962, 2933.
42
43
Cadalvène et Barrault: op.cit.p.493-494.
BAYRAM KODAMAN
I02
duite de la politique ottomane44. Une telle situation acquise par la Russie
menaçait directement les intérêts des autres puissances45.
VI) Les conduites des Puissances après la signature du traité de
Hünkâr Iskelessi:
Avant d'expliquer les attitudes des Puissances nous voulons aborder,
en substance, la question d'Orienl, car la crise d'Egypte est l'une des
phases les plus critiques. La définition de ce terme est assez complexe et
difficile. Cependant on a longtemps restreint le nom de question d'Orient
A U X RELATIONS DE L'EMPIRE O T T O M A N AVEC LES ETATS
CHRETIENS D'EUROPE. Il ne pouvait en être autrement alors que les
problèmes qui se posaient aux hommes d'Etat étaient l'indépendance des
pays danubiens ou de la Grèce, la lutte entre la Russie et la Turquie pour la domination dans la Mer Noire, l'autonomie de l'Egypte, l'organisation intérieure et la réforme administrative de l'Empire, sous l'influence de
l'Europe, et les relations diplomatiques des Puissances chrétiennes avec le
Sultan.
Nous voulons donner les points de vue de certains historiens". "Il faut donner à cette expression une signification plus large et aussi pour bien poser les problèmes (ci-dessus),il faut les envisager dans leur rapport
avec l'histoire de l'islamisme tout entier: L'HISTOIRE DES RELATIONS DE L'ISLAMISME AVEC LE MONDE CHRETIENS" 46 .
Selon René Pinon, la question d'Orient concerne LES RELATIONS
entre - le Sultan - son gouvernement, les Turcs - d'une part et les populations sujettes (voulant se soustraire à l'autorité ottomane) de l'autre47.
Gaston Wiet définit ce terme de la façon suivante: "Tout le XIX e siècle est dominé par ce qu'on appelle le problème de la question d'Orient.
Au fond, ce fut le problème de la présence en Europe de l'élément turc,
qui avait été une race conquérante et qui se trouvait, au point de vue de
la concurrence, en état d'insuffisance. LA QUESTION D'ORIENT EST
DONC L'HISTOIRE DU RECUL DES TURCS depuis le Congrès de
44 E. Bourgeois: Manuel historique de politique étrangère. Paris 1925 III p. 107; Altundag: op. cit. p. 151-154.
45
Renouvin P.: Histoire des relations internationales. Paris 1954 V / i
46
Driault E.: op. cit.
47
Pinon R.: L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1908.
118.
M O U S T A P H A R É C H I D P A C H A1'3
Vienne en 1815. "Il voit trois éléments essentiels dans la question d'Orient: les Turcs, les Chrétiens soumis au sultan et les intérêts des Puissances égoistes par essence"48.
D'après Sinasi Altundag, historien turc, LA QUESTION D'ORIENT
EST L'ENSEMBLE DES RELATIONS ET DES LUTTES DES ETATS
(Empire ottoman, Russie, les Etats européens) à propos de la conservation, du démembrement et enfin de l'écroulement de l'Empire ottoman.
A l'appui de ces définitions, nous acceptons une expression plus claire et plus simple: l'Empire ottoman en cause. Nous voyons la question d'Orient, au cours du XIX e siècle, se présenter de trois manières: dans la première moitié du XIX e siècle, il s'agit de maintenir l'intégrité territoriale
de l'Empire ottoman; dans la seconde moitié du même siècle, de partager
les territoires balkaniques de l'Empire ottoman et d'expulser les Turcs des
Balkans; au début du X X e siècle de démembrer totalement l'Empire ottoman.
Dans la question d'Orient les Etats puissants poursuivaient souvent
deux politiques différentes: soit celle garantissant l'intégrité de l'Empire
ottoman, soit celle d'intervention. La politique d'intervention avait pour
terme, comme ce qu'on avait fait en Grèce, l'expulsion des Turcs de tous
les territoires où ils n'étaient pas en majorité et par la suite l'affranchissement des sujets chrétiens. La politique de l'intégrité s'adaptait aux besoins
et aux circonstances. A chaque crise provoquée dans l'Empire ottoman,
les Puissances proclamaient la nécessité de maintenir l'intégrité de l'Empire; mais la paix faite, le calme revenu, il se trouvait qu'un nouveau territoire ou de nouvelles concessions avaient été arrachés à la Porte. Entre ces
deux politiques, il existait aussi à partir de 1839 une solution mixte:la politique des réformes qui avait pour impératif, tout en maintenant la souveraineté de la Turquie, d'assurer aux peuples chrétiens certaines améliorations de situation.
Dans la crise d'Egypte, la politique adoptée par les Puissances était
plus ou moins identique: la conservation de l'intégrité de l'Empire ottoman.
L'Angleterre, effrayée par les ambitions de Mehmed Ali, soutenu par
la France et par le traité de Hünkâr Iskelessi, se prononça pour l'intégrité
de l'Empire ottoman, car elle s'inquiétait de l'influence de la Russie sur
48
Gaston \Viet:Les puissances musulmanes; in Histoire universelle; III 1193.
IOO
BAYRAM KODAMAN
Istanbul et de la puissance de Mehmed Ali. Elle y voit un danger pour
politique coloniale et pour ses intérêts en Orient. C'est la raison pour
quelle l'Angleterre, en soutenant toujours le Sultan, visait à s'unir avec
France dans la mesure où son alliance pouvait écarter le danger russe
à s'unir avec la Russie dans la mesure où son alliance pouvait écarter
danger franco-égyptien en Orient.
sa
la
la
et
le
La France, protectrice de Mehmed Ali, adoptait une politique conciliante et s'interposait comme médiatrice entre le vice-roi et le sultan. Pourtant elle ne manquait pas de soutenir Mehmed Ali et s'efforçait d'obtenir
du Sultan des concessions en faveur de l'Egypte. Mais ayant pris conscience du danger russe, elle défendait l'intégrité de l'Empire ottoman.Pour
chasser les Russes d'Istanbul, elle se rallia à l'Angleterre. Pour défendre la
cause de Mehmed Ali, elle suivit une politique opposée à celle de l'Angleterre.
Le Prince de Metternich avait déjà déclaré: "l'existence du trône ottoman et sa conservation sont un bien commun pour l'Europe et en particulier un besoin politique pour l'Autriche; les vastes contrées sur lesquelles le nom du sultan domine encore comme un pouvoir effectif deviendraient nécessairement, par la chute de son trône, le théâtre d'une épouvantable anarchie ou la proie de la conquête de l'étranger... Il ne peut
donc s'agir pour aucune Puissance de se créer à cet égard des utopies" 49.
La Russie, après le traité de Munchengraetz (le 18 septembre 1833),
était d'accord avec l'Autriche et la Prusse sur la nécessité de maintenir le
statuquo et de prévenir l'établissement sur le Bosphore d'un empire sous
l'autorité de Mehmed Ali 50 . Elle voulait, en effet, respecter l'existence de
l'Empire ottoman affaibli et s'opposer à toute combinaison qui porterait
atteinte à son intégrité. Pourtant elle n'était pas contre le démembrement
de l'Empire ottoman par Mehmed Ali, mais contre son renforcement et
sa modernisation par celui-ci.
D'autre part la signature du traité de Hünkâr Iskelessi favorisait la
diplomatie ottomane et lui permettait d'agir sur les Puissances, surtout
sur l'Angleterre, afin d'obtenir leur appui contre Mehmed Ali. La Porte
se tourna en effet vers le gouvernement anglais et mit en lui son espoir
pour échapper au danger égyptien et pour neutraliser l'influence russe.
49
Metternich: Mémoires. Paris 1883; V p.490.
50
M.Sabry: L'Empire égyptien sous Mehmed Ali Paris 1930 p. 262.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
105
Ce traité fut pour la Porte un point d'appui au milieu des rivalités internationales et lui permit d'avoir une politique active vis-à-vis de l'Europe et
de Mehmed Ali 51 .
Aussi Mehmed Ali offrit-il en vain à l'Angleterre, à la France et à
l'Autriche son alliance pour servir de contre-poids à la Russie et leur demanda-t-il par contre, de le reconnaître comme entièrement indépendant
à l'égard de la Porte52.
Ces trois puissances, voulant éviter la guerre, repoussèrent les propositions de Mehmed Ali et lui recommandèrent de rester fidèle à ses devoirs
envers son suzerain et de remplir avec exactitude ses obligations, car Istanbul, pour les intérêts des Européens était sans doute plus importants et
moins dangereux qu'Alexandrie.
Sabry: op.cit.
5:
Le bon Juchereau de St Denis: Histoire de l'Empire ottoman; IV.
B — RECHID BEY ET LA CRISE D'EGYPTE
Malgré la convention de Kütahya, la querelle entre le Sultan et Mehmed Ali n'était pas tout à fait vidée, elle n'était qu'assoupie. La rupture
était inévitable, tous les deux, en prévision, pressaient activement les armements. Au commencement de 1834 le refus de Mehmed Ali de payer
le tribut que lui demandait la Porte53 et l'attitude du Sultan accentuèrent
les hostilités.
Cet état d'inquiétude poussa le Sultan à chercher résolument les possibilités de soumettre Mehmed Ali à son autorité, au moins, de récupérer
la Syrie et le district d'Adana.
Pour le Sultan ainsi que son gouvernement, deux solutions se présentaient:
1) La solution militaire (une victoire décisive sur Mehmed Ali).
2) La solution politique et diplomatique.
La première était loin, pour le moment, d'être réalisée, car l'armée
ottomane battue trois fois par Ibrahim n'était pas en mesure de forcer
Mehmed Ali à la soumission. Restait à la Porte la solution politique et
diplomatique. Comme nous venons de le voir, toutes les Puissances
y compris la France, défenseur de Mehmed Ali, s'étaient déclarées depuis
le 8 juillet 1838, prêtes à défendre et à maintenir l'intégrité de l'Empire
ottoman.La politique internationale était donc favorable à la Sublime Porte. Celle-ci pouvait en profiter pour se débarrasser du danger egyptien.
En 1834 la Sublime Porte, ayant pris conscience des intentions de ces
Puissances, décida d'entreprendre et d'accélérer ses activités diplomatiques
dans les capitales européennes. Le but de cette tentative était d'obtenir le
soutien de ces Etats contre Mehmed Ali.
A cette fin, comme nous l'avons indiqué dans notre premier chapitre
Rechid Bey fut envoyé à Paris avec la mission d'assurer l'appui du gouvernement français à la Sublime Porte dans la crise d'Egypte et d'obtenir
l'abandon de l'Algérie à l'Empire ottoman.
53
II n'avait envoyé au Sultan qu'un tribut de 32 000 Késes. Voir E.Z. Karal V 139.
M O U S T A P H A R É C H I D P A C H A1'3
Avant d'expliquer les activités diplomatiques de Rechid Bey, il convient, à notre avis, d'indiquer la politique contradictoire du gouvernement
français dans la crise d'Orient: au début, la France, en prenant parti pour
Mehmed Ali, l'avait soutenu résolument dans ses ambitions contre la
Sublime Porte, sans parler de l'intégrité de l'Empire ottoman. Mais, après
la signature du traité de Hünkâr Iskelessi, l'accroissement de l'influence
politique russe à Istanbul et le danger de l'expansion russe vers la Méditérranée l'obligèrent à devenir partisane de l'intégrité territoriale et de la
conservation de l'Empire ottoman.Pourtant elle continuait de défendre,
d'une façon réservée, Mehmed Ali dans le domaine politique.
La Sublime Porte, en profitant du traité de Hünkâr Iskelessi, voulait
amener la France à faire pression sur Mehmed Ali pour qu'il renonçât à
ses ambitions et qu'il acceptât la soumission. En cas de réussite de cette
politique, Mehmed Ali aurait été privé de l'appui du gouvernement français sur lequel il comptait dans son défi contre le Sultan.
C'est la raison pour laquelle la Sublime Porte avait chargé Rechid
Bey, en plus de sa mission essentielle, d'avoir des entretiens avec le gouvernement français sur la crise d'Egypte en vue d'acquérir son soutien politique en faveur de l'Empire ottoman. A ce sujet, Ahmet Lutfi, chroniqueur turc, écrit que Rechid Bey fut envoyé en Europe pour éclairer, sur
les bonnes intentions de la Porte, l'opinion publique et les hommes d'Etat
européens influencés par les publications et par la propagande des agents
de Mehmet Ali contre la politique ottomane54. Mehmed Selahattin précise également que Rechid Bey alla à Paris pour trouver, de concert avec le
gouvernement français, une solution à la question d'Egypte 55 .
En effet la décision de la Porte plus particulièrement du Sultan Mahmud II, de confier une tâche assez difficile et complexe telle que le dénouement de la crise d'Egypte à Rechid Bey, était opportune. Comme
nous l'avons déjà noté, il avait assisté aux conversations entre Mehmed
Ali Pacha et deux délégations ottomanes conduites par Halil Pacha, à
Alexandrie, en 1833, et par Pertev Pacha en 1830; il avait aussi participé,
en qualité de chef de délégation de la Porte, aux négociations qui avaient
eu lieu à Kütahya avec Ibrahim Pacha pour signer le traité de paix 56 . En
vertu du rôle qu'il avait joué depuis 1830 dans la crise d'Egypte, il avait
54
Lutfi Tarihi IV 158.
55
Mehmed Selahattin op. cit. p. 16.
56
Ali Fuat op. cit. p. 95.
IOO
BAYRAM KODAMAN
connaissance de la portée et de la répercussion internationale de la crise,
ainsi que des intentions hostiles de Mehmed Ali envers le Sultan.
D'autre part Rechid Bey était, depuis son deuxième séjour en Egypte
avec Halil Pacha, l'ennemi des ambitions, des revendications et de la politique de Mehmed Ali. Ainsi s'expliquent ses efforts destinés à l'anéantissement, ou au moins, à l'affaiblissement de la puissance politique et militaire du gouvernement d'Egypte 57 .
Avant le départ de Rechid Bey pour Paris, les événements de Syrie
avaient provoqué une nouvelle tension entre l'Egypte et la Porte:une révolte avait éclaté au Liban et le nombre des mécontents s'était accru en
Syrie contre Ibrahim Pacha qui avait pris des mesures coercitives et leur
avait imposé de lourds impôts afin d'assurer sa situation et d'éviter un
trouble général. Le Sultan Mahmud II, profitant des circonstances, envoya son armée, sous le commandement de Mehmed Rechid Pacha, à la
frontière syrienne et sa flotte en direction de la Méditerranée orientale pour
encourager les mécontents et tenter d'arracher les vilayets de Syrie à la
domination égyptienne. De leur côte les troupes de Mehmed Ali s'installèrent au Nord de la Syrie pour faire face à une offensive de l'armée ottomane58.
I) Entretien de Rechid Bey avec Metternich sur la question
d'Egypte:
Après la transformation de la crise égyptienne en une question européenne par les interventions des Puissances, la Sublime Porte comprit la
nécessité d'acquérir le soutien des Etats favorables à l'intégrité de l'Empire ottoman pour éviter la menace de Mehmed Ali et pour résoudre le
problème en sa faveur. C'est dans ce but qu'elle avait ordonné à Rechid
Bey nommé à Paris, de passer par Vienne pour prendre l'avis du Prince
de Metternich, sur la crise d'Egypte et pour obtenir son soutien politique.
En effet, Rechid Bey, à son arrivée à Vienne, eut un entretien avec
Metternich sur les événements de Syrie et sur l'attitude des Etats dans la
question d'Orient. Au cours de cet entretien, après avoir écouté les explications de Rechid Bey sur la politique de la Porte vis-à-vis des événements de Syrie, Metternich lui annonça que l'Autriche soutiendrait l'Empire ottoman dont l'intégrité territoriale et l'existence étaient nécessaires
57
E. Behnan Sapolyo op. cit. p. 20.
58
Ali Fuat op. cit. m .
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1 '3
pour la paix générale, qu'il suivrait une politique favorable à la Sublime
Porte et lui apporterait son appui politique et militaire dans la question
d'Egypte. Et, en disant que malgré la répression des troubles en Syrie par
Mehmed Ali, la crise serait résolue, en fin de compte, en faveur de l'Empire ottoman, il conseilla au gouvernement ottoman de suivre une politique d'attente et de ne pas se mêler de ces derniers événements. Sur les
conduites des autres Puissances, il déclara que la conservation de l'Empire ottoman était bien plus conforme aux véritables intérêts de l'Autriche,
de la Russie, de l'Angleterre et de la France et qu'il existait pourtant certaines divergences entre ces Puissances: selon lui, entre la pensée du Tsar
et celle du gouvernement autrichien, il n'existait aucune différence dans la
manière de voir la question d'Egypte et de calculer les dangers que provoquerait, pour les deux empires la dissolution de l'Empire ottoman59. Il
était donc vain, pour la Porte, de soupçonner leur politique dans la question d'Orient. A ce sujet, bien que l'Angleterre ait adopté une politique
plus douteuse que la France, la pensée de ces deux Etats se rencontrait
sur la nécessite de s'arranger et de suivre la m me politique dans cette affaire.
Enfin Metternich énonça la nécessité pour la Porte d'agir dans la question d'Egypte en tenant compte de la politique des Puissances mais
sans trop compter sur la France et l'Angleterre60.
Satisfait des paroles prononcées par Metternich, Rechid Bey écrivait
le 27 Rebiülahir 1250, à son gouvernement, qu'il ne lui restait aucun doute sur la sincérité de Metternich et sur l'amitié de la Russie. Il prévoyait
d'autre part que le soutien de la France et celui de l'Angleterre, contre
les ambitions de Mehmed Ali Pacha, pourraient être obtenus sans grande
difficulté, par la Porte 61 .
En réalité, les motifs du soutien politique du gouvernement autrichien découlaient de la ressemblance entre la composition de son empire etcelle de l'Empire ottoman. A ce sujet s'il existe une vérité politique incontestable, disait Metternich, c'est qu'il n'y a pas une Puissance plus directement intéressée que l'Autriche au sort de l'Empire ottoman. Plus notre
système politique général repose sur des principes conservateurs, plus il
est de notre devoir comme de notre intérêt d'appliquer ce système aux
59
Matternich Mémoires V. 495. Nu 1129.
60
B.A. Sandık 153 evrak no 40 (Beysun Tarih Vesk. 1/1. 33).
61
ibid.
IOO
BAYRAM KODAMAN
grands Etats voisins (l'Empire ottoman)62". D'après lui "l'affaire d'Egypte
n'était qu'une révolte de Mehmed Ali contre son souverain légitime. Les
causes de cette révolte sont de diverses natures; quelles que puissent être
ces causes, quelle que soit l'origine dont elles puissent prévenir, c'est le
Vice-Roi qui est dans son tort. Fidèle à ces principes l'Empereur (de
l'Autriche) condamne la révolte; les dangers de celle dont s'est rendu coupable le Pacha d'Egypte, menacent jusqu'à l'existence de la Porte Ottomane....". C'est pourquoi Mettemich s'était déclaré prêt à défendre l'intégrité de l'Empire ottoman et à soutenir la Sublime Porte dans sa politique 63 .
II) Ses Activités Diplomatiques à Paris sur la question d'Egypte
au cours de sa première ambassade
Les premiers jours de son séjour à Paris, Rechid Bey sonda, grâce
aux visites de courtoisie qu'il faisait aux Hommes d'Etat, les intentions du
gouvernement français et prit connaissance, par les journaux, de l'état
d'esprit de l'opinion française sur la question d'Egypte en général et sur
les derniers événements produits en Syrie en particulier, ceci en vue de faciliter ses prochaines démarches diplomatiques. En effet, à la suite de ces
consultations nous le voyons constater deux faits:
i) Le désir du gouvernement français d'atténuer sa politique, autrefois trop rigide, en faveur de la Porte dans la crise d'Orient. A ce sujet il
écrivait dans sa lettre que le gouvernement français cherchait à lui donner
l'impression qu'il désirait resserrer ses relations diplomatiques et politiques avec la Porte et suivre une politique favorable à la sienne64. Sans doute
cette interprétation de Rechid Bey provenait-elle des attitudes et des paroles des hommes d'Etat mécontents de la position de Mehmed Ali depuis
les événements de Syrie.
Rechid Bey estimait que l'état d'esprit de certains membres du gouvernement français pourrait lui donner l'occasion d'expliquer à la France
la justesse de la politique ottomane, les bonnes intentions de la Porte envers elle et l'injustice de la politique de Mehmed Ali. Par la suite il pen62
Lettre de Mettemich à Apponyi, le 18 mars 1833, voir les mémoires de Metter-
nich. V. 500. N o 1131.
63
Lettre de Mettemich à Prokesh. Celui-ci fut envoyé en mission extraordinaire aup-
rès de Mehmed Ali. Ibid. V . 495.
64
B.A. H.H. no. 46899 J.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
sait obtenir qu'elle appuie la politique du sultan, ou au moins, qu'elle
cesse de soutenir Mehmed Ali contre la Porte.
Pour amener le gouvernement français à appuyer la cause du Sultan,
il voulut profiter de l'aide des partisans de la politique ottomane en particulier de Jounannin, premier interprète du gouvernement français pour
les langues orientales, qui était resté longtemps à Istanbul. Rechid Bey,
après son entrevue avec Guilleminot, s'entretint aussi avec Jounannin à
qui il demanda de soutenir la politique ottomane et de l'expliquer aux
ministres français. Jounannin en approuvant le point de vue et la conduite de Rechid Bey et acceptant également sa demande, lui promit d'expliquer la politique et la bonne volonté de la Sublime Porte aux ministres et
soutenir la Sublime Porte dans les conseils ministériels. De son côté Rechid Bey décide de faire valoir, en toute occasion, les prétentions et le droit de son gouvernement et de monirer au gouvernement français les visées
excessives et dangereuses de Mehmed Ali. Entretemps il communiqua à
la Sublime Porte qu'il se bornerait, pour le moment, à faire les démarches auprès de la Cours de France suivant ces décisions qu'il venait de
prendre65.
2) Le deuxième fait était la propagande des journaux français, financ é s parfois par Mehmed Ali, contre la politique de la Sublime Porte. On
savait que la propagande de la propagande de la presse française en faveur de Mehmed Ali existait depuis le commencement des contentieux entre l'Egypte et la Porte. Le but de ces publications était sans aucun doute
de disgracier la politique suivie par le Sultan envers son vassal et de créer
à la fois en Europe et en France une opinion publique favorable à la politique égyptienne, en lui donnant l'impression que Mehmed Ali voulait
implanter la civilisation occidentale dans les territoires qu'il avait 3ous sa
domination.
Après la généralisation de la crise égyptienne à l'échelle européenne,
Mehmed Ali, conscient du rôle joué par la presse dans l'opinion publique
européenne qui exerçait une influence considérable sur les gouvernements
dans l'orientation de la politique extérieure, intensifia aux prix d'énormes
dépenses ses actions de propagande, aidé par ses agents et ses partisans
qui avaient acheté certains journalistes pour faire publier des articles contre l'Empire ottoman66.
65
66
B.A. H.H. N0.46899J.
ibid.
IOO
BAYRAM KODAMAN
Si l'on se souvient, l'une des missions principales de Rechid Bey sur
la question d'Orient était, comme l'indique Lutfı Efendi, de gagner l'opinion publique française en faveur de l'Empire ottoman et de rendre inutile la propagande égyptienne contre la Porte en faisant connaître la mauvaise disposition de Mehmed Ali envers le Sultan et ses ambitions dangereuses pour la paix générale.
Pour remplier son office à ce sujet il comptait adopter la méthode de
propagande par la presse, en obtenant, sous main, les rédacteurs en chef
de certains journaux français67.
Entre-temps Rechid Bey eut une rencontre avec Pozzo di Borgo
(l'ambassadeur de Russie) pour gagner son aide diplomatique. Au cours
de l'entretien, il lui demanda son avis sur les attitudes de la France et de
l'Angleterre en face des troubles de Crête et de Syrie, qui avaient mis en
évidence les mauvaises intentions de Mehmed Ali et le régime tyrannique
exercé par lui et son fils dans ces territoires. Pozzo di Borgo annonça
d'une façon très claire que ces deux Puissances maritimes ne désiraient
pas l'avance et l'extention de Mehmed Ali vers l'Asie Mineure, parce
qu'elles savaient qu'une telle politique expansionniste de la part de
l'Egypte pourrait inévitablement provoquer l'intervention russe du côté du
Sultan et qu'elles voulaient éviter une confrontation entre les troupes de
Mehmed Ali et celles du Tsar.
Nous voyons que le premier entretien officiel entre Rechid Bey et le
ministre français des Affaires Etrangères eut lieu le 21 octobre 1834 (le 18
Cemaziyelahir 1250) à Paris sur les événements de Syrie et du Liban et
sur les positions du Sultan et de Mehmed Ali depuis que ceux-ci s'étaient
engagés à Kütahya à cesser les hostilités sous certaines conditions réciproques. Désireux de sonder les intentions du gouvernement français à ce sujet Rechid Bey demanda notamment au ministre comment il voyait ces
événements et quelles mesures pourrait prendre la France pour la solution
du problème.
De son côté le ministre expliqua en somme l'évolution de la situation
en Syrie et au Liban:"malgré les conseils des Puissances à la Porte d'éviter des actions militaires contre l'Egypte elle a intensifié ses préparations
militaires à l'Est du pays en vue de se venger de Mehmed Ali et de récupérer le vilayet de Syrie, en profitant des mécontentements de la populati67
B.A. H.H. no. 46899J.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
on révoltée contre la domination égyptienne. Cet état de choses a crée naturellement des inquiétudes chez Mehmed Ali et son fils et les a poussés
à se préparer et à prendre des mesures nécessaires contre une offensive de
la part de l'armée ottomane commandée par Mehmed Rechid Pacha. De
cela découle le refus de Mehmed Ali de ne pas remplir ses engagements
envers le Sultan. A ce sujet la France lui a conseillé de respecter la convention existante avec le Sultan et de payer, en quarante jours le tribut.
"Dans le cas présent, si le souverain d'Egypte entrepend et provoque
une guerre pour obtenir son indépendance vis-à-vis de son suzerain, la
France et l'Angleterre l'empêcheront de menacer la Porte et de réaliser sa
politique; au surplus elles ne reconnaîtront jamais l'indépendance de
l'Egypte. Par contre dans le cas où la Porte se montre agressive en déclenchant une guerre contre l'Egypte, ces deux Etats interviendront pour
arrêter la confrontation armée entie les forces du Sultan et celles de Mehmed Ali, et ordonneront aussi à leur flotte d'empêcher l'action de l'escadre ottomane dans la méditerranée orientale"68.Par ces dernières paroles le
ministre mettait la Porte en garde contre toute tentative militaire et la menaçait d'intervention.
D'autre part il annonça que le retrait de l'armée ottomane de la frontière syrienne vers le Nord et le stationnement des troupes d'Ibrahim Pacha
aux environs de Damas (Şam) étaient nécessaires pour atténuer la tension actuelle entre les deux parties hostiles, pour éviter le danger de guerre et faciliter les arrangements politiques; il indiqua également que le gouvernement anglais conseillerait les mêmes conditions si la Porte demandait son avis sur les événements de Syrie.
Pour justifier les préparations militaires de l'Empire ottoman, Rechid
Bey déclare, de son côté, "qu'en face des troubles causés par la cruauté et
l'oppression de Mehmed Ali dans les territoires dépendant de l'autorité
du Sultan, il est tout à fait normal que la Sublime Porte ne soit pas restée les bras croisés et qu'elle ait pris des mesures militaires. Il faut que la
position hostile adoptée par la Porte contre l'Egypte soit approuvée par la
France et l'Angleterre, en tenant compte que Mehmed Ali n'a pas encore
renoncé à ses ambitions dangereuses et n'a pas rempli ses engagements
envers le Sultan. Au lieu de suggérer à la Porte de retirer ses troupes en
Asie Mineure il serait mieux d'obliger Mehmed Ali à rappeler son fils
68
B.A. Sandik 153. K a n o n 2. evrak 55 Baysun Tarih Vesk. II/9. 215.).
IOO
BAYRAM KODAMAN
Ibrahim Pacha,en Egypte"69. En démentant également les rumeurs répandues selon lesquelles la Porte aurait incité, sous main, la population du
vilayet de Syrie à se révolter contre la domination égyptienne, il attira l'attention du gouvernement français sur la politique insupportable exercée
par Mehmed Ali dans ces régions; il fit savoir que la présence de l'armée
ottomane au Nord de la Syrie était nécessaire pour assurer la sécurité et
l'ordre en cas d'aggravation de la situation et de l'extension des troubles
en Syrie et au Liban.
Au sujet des dettes arriérées de Mehmed Ali envers la Sublime Porte,
Rechid Bey s'efforça de prouver l'injustice de Mehmed Ali au gouvernement français pour qu'il lui conseillât d'envoyer les tributs accumulés des
vilayets se trouvant sous sa domination. En effet Mehmed Ali n'avait pas
payé depuis cinq ans, ni les tributs de la Crète et de l'Egypte ni ceux des
vilayets de Syrie et d'Acre abandonnés en 1833 par le Sultan à son autorité. En face des explications de Rechid Bey, le ministre français, en avouant qu'il n'avait pas d'idée précise sur les tributs non payés par Mehmed
Ali, approuva les prétentios de la Porte à ce sujet. C'est au cours de cette
conversation, à laquelle avait aussi assisté Desages, avec le ministre des
Affaires Etrangères, que Rechid Bey avait senti que ceux-ci avaient une
inclination évidente à suivre une politique favorable à Mehmed Ali.Pourtant il trouva utile de remettre une note écrite au gouvernement français
pour réitérer les vues déjà soutenues. Il demanda l'avis de son gouvernement sur cette note dans laquelle il voulait préciser que le Sultan éviterait
de déclencher sans raison une guerre contre l'Egypte70. Il eut une entrevue avec l'ambassadeur de Russie à ce sujet; il communiqua d'autre part
le contenu de la note à l'ambassadeur ottoman à Londres, Namik Pacha,
et lui conseilla de suivre la même politique auprès du gouvernement anglais.
En effet, dans sa lettre expédiée à Istanbul, à la date du 28 Cemaziyelahir 1250 (le 1er novembre 1834) il informa la Sublime Porte qu'il venait de remettre cette note officielle, approuvée même par l'ambassadeur
de Russie, au ministre français des Affaires Etrangères, l'Amiral de Rigny.
Il envoya en même temps la copie de cette note à Namik Pacha et à la
Sublime Porte 71 . Mais le gouvernement français prétextant la traduction
69
B.A. Sandık 153; Karton 2 Evrak 44 (Baysun: Tarih. Vesik. Il/g 216.).
70
İbid. Corrs. de Rechid Bey, le 26 octobre 1834 (le 22 Cemaziyelahir 1250). pp.
218-219.
71 B.A.: Sandık 153
Rechid Bey.
Karton 2 evrak 55 (Baysun vesik.
11/12
p.452). Corresp. de
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
1
'3
du texte, évita de donner rapidement sa réponse à l'ambassade ottomane.
Rechid Bey chercha alors à connaître les dispositions et les intentions du
gouvernement français, en s'entretenant avec ceux qui s'occupaient de la
question d'Orient dans les milieux gouvernementaux. Après ces consultations, il communiqua leurs pensées à la Porte par sa lettre en date du 9
novembre 1834 (le 7 Recep 1250)7
De ses conversations avec eux Rechid Bey tirait la conclusion suivante:
"A la suite des dispositions et des attitudes qu'ils avaient prises ces
jours derniers envers la Sublime Porte, la plupart des responsables de la
politique française, ayant perdu leur confiance en Mehmed Ali, reconnaissent maintenant que c'est un vieillard devenu inconscient et qu'a leurs yeux Ibrahim Pacha n'ayant aucune capacité d'Homme d'Etat est incapable
d'assumer la direction du pays. De cela viennent leurs inquiétudes pour
l'avenir de l'Egypte. Bien que Mehmed Ali ait développé le pays, en réalisant certaines réformes grâce à l'aide des Européens, on a bien compris
qu'au cours des événements de Syrie et du Liban, sa politique et son autorité, contrairement à ce qu'il avait annoncé, n'étaient pas suffisantes pour administrer les territoires trop étendus et pour calmer le pays.
Par contre, étant donné que les efforts et les intentions de notre Sultan, jeune, habile et capable de moderniser l'Empire ottoman et d'y faire
entrer la civilisation occidentale sont connus et même pris en considération par les Puissances, ces dernières accepteront sans hésitation l'idée selon laquelle le calme et l'ordre ne pourraient qu' être assurés dans l'Empire ottoman et surtout dans l'Arabie par l'autorité de notre sultan, connu par ses sympathies pour la civilisation européenne et par ses idées réformistes73".
Pendant tous ses contacts avec les membres du gouvernements français, en leur parlant des réformes sociales et administratives faites, Rechid
Bey s'efforça ainsi de leur montrer la volonté du sultan d'entreprendre de
nouvelles réformes, destinées à occidentaliser l'Empire et à assurer la
prospérité de la population ottomane sans distinction de race et de religion. D'autre part, il reprocha à la France d'avoir soutenu et aidé Mehmed
72 B.A.: mesail-i siyasiye
1/4 p. 291).
73
îbid, p. 287.
Fransa dosyası (1-2). Iradé no 14 (Baysun: Tarih vesik.
IOO
BAYRAM KODAMAN
Ali dont les ambitions menaçaient la paix générale et l'Empire ottoman,
et également de n'avoir pas respecté l'amitié existant entre la Porte et ellemême. Dans leurs réponses ils voulurent justifier la politique française favorable à Mehmed Ali, en faisant allusion à l'intervention et à l'influence
de la Russie qui étaient de nature à mettre en cause les intérêts de la
France en Orient. Mais, en leur rappelant le fait que la Porte avait demandé à la France et à l'Angleterre de l'aider contre l'Egypte et qu'elles
avaient hésité à prendre partie pour le Sultan, Rechid Bey justifia l'alliance de la Porte avec la Russie qui avait empêché Mehmed Ali de s'installer à Istanbul.
En fin de compte l'ambassadeur ottoman sentit que la France et
l'Angleterre désiraient voir l'annulai ion du traité de Hünkâr Iskelessi, qui
donnait au Tsar l'occasion d'accroître son influence dans l'Empire ottoman au détriment d'autres Puissances et trouver une solution aux désaccords survenus entre le Sultan et son vassal, en l'absence de la Russie. Il
va de soi que leur but, était, en écartant la Russie des affaires égyptiennes, de rendre inutile le traité de Hünkâr Iskelessi et ainsi d'éloigner la
Sublime Porte d'elle.
Au début du mois de novembre l'envoyé ottoman rencontra encore
une fois le Général Guilleminot. Au cours de cette rencontre, ce dernier,
en précisant le caractère secret de ses paroles, lui annonça que Mehmed
Ali avait l'intention de faire accéder l'Egypte à l'indépendance et qu'il demandait aux gouvernements français et anglais de reconnaître son indépendance et de le soutenir dans cette tentative. En effet Mehmed Ali avait
annoncé à ces deux gouvernements qu'en cas de reconnaissance de son
indépendance, il leur offrirait son alliance pour faire contrepoids à celle
Turco-Russe et qu'il serait prêt à envoyer ses troupes à Istanbul pour
combattre l'influence russe. Mais l'offre et la demande de Mehmed Ali,
étaient repoussées disait Guilleminot, par les dix gouvernements dans le
but de maintenir les bonnes relations avec la Porte et de conserver l'intégrité de son Empire. Il attirait aussi l'attention de Rechid Bey sur les dangers qui pourraient découler d'un nouveau rappel des troupes russes à Istanbul et sur la redidition politiqur de la Porte à la Russie dans toutes
les affaires de l'Empire ottoman.Ensuite il demanda à l'ambassadeur turc
de lui faire savoir les vraies intentions de la Porte à ce sujet, car il voulait
mettre au courant le Roi et le Ministre des Affaires Etrangères, de la politique ottomane.
1
M O U S T A J ' H A R É C H I D P A C H A '125
'3
Dans sa réponse Rechid Bey s'expliqua comme suit:
"En cas de tentative du Pacha d'Egypte de proclamer son indépendance vis-à-vis de son souverain légitime, la Sublime Porte doit prendre
des mesures nécessaires pour le mettre à la raison et pour supprimer un
tel danger. Dans ce cas si la France et l'Anglaterre appuient le Sultan et
lui apportent leur aide politique et militaire, la venue de la flotte et des
soldats russes que vous redoutez, sera sans doute automatiquement écartée. Il est donc évident que tout dépend de l'attitude des deux puissances
maritimes. Quant à la soumission politique de la Porte à la Russie, elle
n'est plus qu'un mensonge inventé par les adversaires de la Turquie qui
attendent l'occasion de pêcher en eau trouble, car les relations turco-russes et le traité dont il s'agit ne sont pas contradictoires aux principes d'alliance et de paix entre deux états puissants74".
A notre avis, des phrases ci-dessus découlent deux effets:
Primo:c'est le fait que Rechid Bey avait éprouvé et bien compris les
inquiétudes et les craintes des Anglais et des Français vis-à-vis de la politique russe dirigée vers la Méditerranée ainsi que de la tutelle russe à Istanbul.
Secondo: son intention d'exploiter leurs craintes et inquiétudes et de
profiter de leur opposition à la Russie pour les amener à s'occuper sérieusement de la crise et pour obtenir leur aide au profit de la Turquie.
Selon Rechid Bey, par l'obtentien du soutien de ces puissances, l'Empire ottoman pourrait se débarrasser à la fois de l'influence russe et de la
menace de Mehmed Ali qui mettaient, tous les deux, en cause l'Empir
ottoman. En effet Rechid Bey, dès lors, conscient de la menace et des visées russes sur la Turquie voyait la sécurité de l'Empire dans l'alliance de la
Porte ottomane avec la France et l'Angleterre qui n'avaient que des intérêts
économiques sur les marchés du Levant. Mais en face de la conduite
favorable de la France envers l'Egypte et de l'incertitude de la politique
anglaise, il estima nécessaire l'alliance turco-russe pour empêcher Mehmed Ali de défier la Porte par la force pour obtenir le soutien russe dans
la question d'Algérie et enfin pour pousser la France et l'Angleterre à une
intervention active au profit de la Porte. Par ces considérations politiques
il ne désirait pas, pour le moment, une rupture avec la Russie et conseil74 B.A.; Mesail-i siyassiye, Fransa dosyası (1-2), Iradé no 14 (Baysun: Tarih vesik.
1/4, p. 288).
IOO
i20 B A Y R A M K O D A M A N
lait au surplus à la Sublime Porte de ne pas lui donner de soupçons par
son attitude75.
Enfin Rechid Bey fit à Guilleminot trois propositions, qu'il était, selon lui, nécessaire que la France et l'Angleterre acceptent, comme le signe
de leur amitié envers la Porte.
i° la nécessité de soumettre Mehmed Ali pour faire revenir le calme
et assurer la paix dans les territoires troublés par lui;
2° la non-ingérance dans la politique d'un autre état indépendant,
compte tenu du droit de chaque état à suivre une politique conformément à ses intérêts;
3° a) le retrait des flottes anglaise et française de la Méditerranée orientale, en raison des inquiétudes créées par leur présence, dans l'opinion
publique turque;
b) la liberté à la Sublime Porte de s'occuper de ses affaires intérieures
et extérieures sans intervention étrangère.
Guilleminot, en disant qu'il trouvait normal ces trois propositions,
promit à Rechid Bey d'en prévenir le gouvernement français76.
Quelles étaient les significations de ces trois conditions, et quel profit
la Porte pouvait-elle en tirer dans cette crise?
Si la France et l'Angleterre acceptaient le principe de non-ingérance
dans les affaires extrérieures et intérieures de la Porte et voulaient la destruction de Mehmed Ali,elles devraient rester impartiales en cas d'une
confrontation entre Mehmed Ali et le Sultan ou bien appuyer ce dernier.
Par l'acceptation de la deuxième proposition, elles devraient reconnaître,
bon grémal gré, l'alliance turco-russe et respecter toutes les tentatives et
les décisions prises par le Sultan pour soumettre Mehmed Ali et calmer
les troubles de Syrie.
En effet,
comptant sur
res militaires
abandonnés à
en cas d'approbation de ces articles, la Sublime Porte, en
le soutien militaire de la Russie pourrait prendre des mesupour reconquérir la région d'Adana et le vilayet de Syrie
Mehmed Ali par la convention de Kütahya.
75 B.A., Mesail-i siyasiyye, Fransa dosyası (1-2) Iradé no 14 (Baysun, Tarih vesik.,
1/4, p. 291).
76
İbid. p. 289.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'119
D'autre part, connaissant l'hostilité du gouvernement anglais envers la
politique de Mehmed Ali qui mettait en danger la sécurité des routes de
l'Inde 77 , Rechid Bey conseilla à la Sublime Porte de chercher la possibilité d'obtenir l'appui de l'Angleterre, par des concessions économiques
dans les régions où passaient les routes de l'Inde. Selon lui, c'était la seule solution pour prendre possession du district d'Adana et du vilayet de
Syrie.
Lorsqu'il apprit, quelques jours plus tard, par la presse, les nouvelles
de la recrudescence des événements au Liban, la prise de position de Mîr
Bechir contre Mehmed Ali à cause des divergences entre eux et enfin les
difficultés dans lesquelles se trouvait Ibrahim Pacha en Syrie, Rechid Bey
s'empressa de communiquer ses vues à son gouvernement, parce qu'il voyait dans la situation actuelle une occasion dont la Porte pourrait profiter
pour détourner les événements à son profit. A son avis, si la Porte avait
déclanché une offensive contie l'Egypte il serait profitable qu'avant la confrontation, elle envoie des ordres aux pachas de Tunis et de Tripoli en
vue de les inciter à lancer une attaque, par l'Ouest, contre l'Egypte 78 .
Mais il était difficile pourtant de prévoir une solution militaire en faveur
de la Porte d'autant plus que la France et l'Angleterre s'efforçaient d'éviter une guerre entre les deux parties, par leur pression amicale sur la
Porte et par leurs menaces lancées contre Mehmed Ali dans le cas où il
ouvrirait les hostilités.
D'autre part, conformément aux instructions données par la Sublime
Porte79 qui désirait d'ailleurs mettre fin à ses contentieux avec Mehmed
Ali et gagner les Puissances en sa faveur, Rechid Bey fit une démarche
auprès du Ministre des Affaires Etrangères pour obtenir un entretien afin
de lui expliquer le point de vue de son gouvernement sur les désaccords,
cause, ces derniers jours, de la tension entre le sultan et son vassal. En fait, sur sa demande, le ministère français chargea l'un de ses fonctionnaires
les plus compétents dans les affaires d'Orient, Désages80, de s'entretenir
77 Rechid bey était toujours en correspondance avec l'ambassadeur ottoman à Londres pour coordonner la politique qu'ils devaient suivre auprès des gouvernement anglais et
français.
78 B.A.
1/4 p. 291).
mesail-i siyasiyye
Fıansa karton (1-2) irade 14 (Baysun: Tarih vesikalan
79 C'était Rifat Bey alors premier secrétaire d'Amedji du Divan qui avait rédigé les
instructions de la Porte pour Rechid Bey.
80 II a décidé à Istanbul en qualité d'employé à l'ambassade française et en 1826 de
chargé d'affaires. Pendant le séjour de Rechid bey à Paris il travaillait au Ministère des
Affaires Etrangères.
BAYRAM KODAMAN
i20
avec lui et même de lui faire savoir la position prise par la France à ce
sujet.
Au cours de leur entretien, évoquant le fait que sur les insistances
des Puissances le Sultan soucieux d'éviter de nouvelles complications, avait abandonné, par la convention de Kütahya, certains territoires à l'Egypte
à condition que Mehmed Ali ait évacué la région de Rakka (nord de la
Syrie) et qu'il ait payé le tribut fixé; Rechid Bey annonça à Désages que
la Sublime Porte n'approuvait pas une nouvelle guerre avec l'Egypte,
malgré la présence de son armée à proximité de Rakka et celle de sa flotte en Méditerranée, en état d'alerte en prévision d'une intervention en faveur des populations libanaise et syrienne. Il indiqua également que, devant l'attitude de Mehmed Ali, qui ne se montrait point désireux de remplir ses engagements envers le Sultan, la mission qui incombait aux Puissances était de le contraindre à exécuter légalement la convention et à se
soumettre à son suzerain. Il ajouta d'autre part que sans la soumission de
cet homme qui avait entreprit en 1834 d'obtenir son indépendance, refusé
de payer le tribut et causé des troubles intérieurs et des complications internationales, il serait difficile d'établir la paix et la sécurité dans l'ensemble de l'Empire ottoman, surtout en Syrie81.
De son côté, Désages, ayant approuvé les propos tenus par l'envoyé
ottoman, voulut montrer l'amitié de la France envers la Porte et l'en assurer: "bien que la France ait eu toujours le désir et l'intention de maintenir son amitié et ses relations avec l'Empire ottoman, la propogande des
adversaires de la politique ottomane et en plus l'absence d'un représentant permanent auprès du gouvernement français, pour lui expliquer les
intentions et la conduite de la Sublime Porte l'avaient empêchée depuis
quelque temps de suivre une politique précise et favorable envers Elle
dans la question d'Orient. Mais votre présence à Paris contribuera dorénavant à l'amélioration des relations entre les deux gouvernements, car
vous informerez à temps le gouvernement français de la politique ottomane 82 ".
D'autre part il annonçait que le gouvernement français prendrait en
considération toutes les demandes de la Sublime Porte dans sa politique
d'Orient et que les attitudes des autres puissances vis-à-vis de Mehmed
Ali subiraient un changement sensible au fur et à mesure qu'elles conna81
B.A. sandık 153 karton 2 evrak 55 (Baysun: t. V 1/6 p.431).
82
ibid.
MOI
STAPHA RÉCHID PACHA
<85
îtraient la bonne volonté de la Porte. A l'issu de cet entretien Désages,
ayant pris connaissance du caractère conciliant de la politique ottomane
fit savoir officiellement que la France presserait Mehmed Ali d'obéir au
sultan, de respecter son autorité et d'exécuter les obligations de la conventionde Kütahya, c'est-à-dire de payer le tribut et de se retirer de Rakka 83 .
L'approbation de ces explications ainsi que de la politique ottomane
par la France autrefois partisane ardente de Mehmed Ali, avait donné à
Rechid Bey l'impression qu'elle renoncerait à prendre partie pour l'Egypte et à soutenir les prétentions égyptiennes auprès de la Porte. Il écrivait
à ce sujet qu'après avoir reconnu la mauvaise attitude de Mehmed Ali,
les Hommes d'Etat français s'éloignaient de lui et au contaire se rapprochaient de la politique ottomane et que l'opinion publique française comprenait que les réformes faites en Egypte n'avaient aucun rapport avec la
civilisation européenne.
Il convient de noter que ni l'opinion publique ni le gouvernement
français n'avaient renoncé à soutenir la politique de Mehmed Ali et à voir
l'Egypte dans la sphère d'influence française. Mais en face de l'attitude
résolue des autres puissances favorables à la Porte, la France sentait la nécessité d'améliorer ses relations avec la Porte et de suivre une politique
conciliante envers les deux parties hostiles. Au lieu de défendre ouvertement Mehmed Ali elle préférait s'interposer entre lui et le Sultan pour faciliter leur arrangement et ainsi mettre fin à la crise qui les opposait depuis longtemps l'un à l'autre. Pourtant la politique française n'omettait
pas d'encourager Mehmed Ali dans son entreprise.
Après ses entretiens avec le gouvernement français, Rechid bey rencontra l'ambassadeur autrichien, le Comte Apponyi, venu à l'ambassade
ottomane pour connaitre les intentions de la Porte et expliquer également
celles de son gouvernement sur la crise d'Egypte. Perdant cet entretien il
résuma la politique ottomane comme suit: "Tant que Mehmed Ali remplira ses engagements envers le sultan, il n'y aura pas un changement quelconque dans la politique actuelle de la Porte, mais dans le cas où il agira contrairement à ses engagements, le sultan se verra obligé de prendre
des mesures nécessaires pour le soumettre à son autorité84".
Pour Apponyi, en raison de sa situation stratégique, l'Autriche n'avait
pas pu jouer un rôle direct et actif dans la crise d'Egypte, malgré son re83
B.A., sandık 153, karton 2. evrak 55 (Baysun: T . V , i/6, p. 436.).
B.A., Mesail-i Siyasiye, Fransa, karton (1-2), corresp. de Rechid Bey (le 17 Recep
1250 : 19 novembre 1834). Baysun, 1/6, p. 441.
84
i20
BAYRAM KODAMAN
fus de l'indépendance de l'Egypte et son amitié évidente pour la Porte.
Par contre les deux états maritimes (France et Angleterre) avaient exercé
leur pression sur Mehmed Ali et l'avaient mis en garde contre une nouvelle tentative militaire au détriment du sultan. C'est la raison pour laquelle, Mehmed Ali ne pourrait pas allar très loin dans sa politique. Et puis
il ajouta qu'en cas d'une nouvelle guerre entre le sultan et lui, ces deux
puissances devraient prendre partie contre celui qui provoquerait le premier les hostilités.
Au cours de ses contacts avec les diplomates étrangers et avec le gouvernement français Rechid Bey s'efforçait souvent de leur faire comprendre et admettre que le sultan avait le droit d'agir le premier par tous les
moyens qu'il estimait nécessaires non seulement contre Mehmed Ali mais
aussi contre ceux qui refuseraient de reconnaître son autorité dans son
empire. De leur côté les Puissances laissaient entendre qu'elles prendraient position contre le premier agresseur. Rechid Bey refusa catégoriquement d'accepter leur point de vue à ce sujet, car il voyait là l'égalité de
droit entre le sultan et mehmed Ali. Or ce dernier était toujours, à ses
yeux, l'un des gouverneurs du Sultan.
Au début de décembre, Namik Pacha envoya une lettre à Rechid
Bey dans laquelle il lui conseillait de rappeller au gouvernement français
les propositions de la Porte que son ambassader à Istanbul, Roussin, avait
pris en 1833 à tâche de faire accepter à Mehmed Ali et de lui demander,
de nouveau, de remplir cet engagement85.
Mais Rechid Bey savait bien que Roussin, chargé d'empêcher par la
diplomatie l'intervention russe, avait alors assumé et même promis, par
un acte officiel, de faire admettre à Mehmed Ali les propositions du sultan. D'après ces propositions, les vilayets de Tripoli de Syrie et de Saida,
avec les sansjaks de Naplouse et de Jérusalem (Kudüs), étaient cédés par
le sultan à la domination de Mehmed Ali. Comme on le sait, malgré les
efforts et la pression de Roussin, Mehmed Ali avait refusé d'accepter ces
conditions avancées par la Porte. Ainsi, les soldats russes étaient venus à
Istanbul.
Dorénavant, bien que la Porte ait demandé, à maintes reprises, à Roussin de remplir son engagement, celui-ci, sous prétexte de la venue des
85 B.A. Sandık 153, Karton 3, Evrak 35. Baysun, T . V . , 1/6 p. 441. B.A., mesail-i siyassiyye, Fransa karton (1-2), corresp. de Rechid Bey (le 17 recep 1250 — 19 novembre
1834). Baysun: 1/6, p.437.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'123
Russes, annonça que l'acte qu'il avait conclu avec Elle n'avait aucune importance, et était devenu caduque. En plus, la convention de Kütahya
était signée entre l'Egypte et la Porte, sans participation officielle du gouvernement français aux négociations. La France n'y avait envoyé que De
Varenne, à titre d'observateur, dans le but de donner des conseils à Ibrahim Pacha et de faciliter les arrangements entre le sultan et Mehmed Ali.
Etant donné que la Porte, elle même, abandonna par la convention
de Kütahya, non seulement les vilayets de Saida, de Tripoli de Syrie, mais aussi celui de Syrie et la régiond'Adana à Mehmed Ali, Rechid Bey
trouva ainsi inutile de rappeller au gouvernement français la promesse de
son ambassadeur et de faire une démarche en ce sens auprès du ministre
français des Affaires Etrangères.
En effet, à la venue du Ministre français des Affaires Etrangères, le 10
décembre 1834, à l'ambassade ottomane pour savoir s'il y avait un changement dans l'attitude de la Porte, sans aborder l'acte fait entre Roussin
et la Porte, Rechid Bey n'insista que sur les missions des états voulant
maintenir le statu quo et assurer la paix dans les territoires troublés par
Mehmed Ali. D'après lui, les missions des Puissances consistaient non seulement à empêcher la politique ambitieuse du gouverneur d'Egypte mais
également à le soumettre à l'autorité de son souverain, compte tenu de la
bonne volonté et de la renonciation de la Sublime Porte aux tributs en
retard dûs par l'Egypte86. Le ministre, en approuvant les paroles de l'ambassadeur ottoman, précisa que Mehmed Ali, ayant reçu les conseils et la
mise en garde de la France et de l'Angleterre contre toutes les tentatives
militaires, ne pourrait pas désormais prendre position contre le sultan et
qu'il éviterait les activités excessives.
Lorsque Rechid Bey parla à Louis Philippe de la question d'Egypte,
au cours de la visite qu'il lui rendit le 14 décembre 1834 (12 chaben
1250), ce dernier déclara à Rechid Bey que Mehmed Ali n'était plus en
mesure de suivre une politique hostile vis-à-vis de la Porte;il ajouta également que Rakka serait évacué, en quelques semaines, par les troupes
d'Ibrahim Pacha87. De même, Rechid Bey rencontra le 21 décembre le
ministre des Affaires étrangères, l'Amiral de Rigny. Au cours de cette rencontre ils parlèrent de l'évolution de la crise d'Egypte depuis 1830. Bien
que Rigny ait approuvé les explications de Rechid, et reconnu l'attitude
86
B.A., mesail-i siyasiyye, Fransa karton (1-2), irade, 34 (Baysun: T . V ; II/7: p. 47).
87
İbid.
i20
BAYRAM KODAMAN
injuste de Mehmed Ali dans la crise d'Egypte, il s'abstint pourtant de
prendre parti ouvertement contre lui, il se borna à donner raison, par des
paroles, à la Sublime Porte pour sa politique.
Malgré ces entretiens entre Rechid Bey et le gouvernement français,
on n'arriva pas à un véritable résultat, l'ambassade ottoman ne put obtenir que l'approbation orale de la politique ottomane par la gouvernement
français alors qu'il eut voulu persuader la France de la nécessité de la
cessation de son appui à l'Egypte et de la soumission absolue de Mehmed Ali au Sultan.
Pourtant nous tirons deux constatations de ces entretiens: l'attitude
réservée du gouvernement français et le langage modéré tenu par Rechid
Bey.La France, consciente des attitudes des autres Puissances hostiles à
l'Egypte et désireuses en même temps de maintenir, au besoin de resserrer ses relations politiques avec l'Empire ottoman, évita de blesser la Porte
en soutenant ouvertement la cause de Mehmed Ali au cours des conversations avec l'ambassadeur ottoman. Toutefois elle resta au fond défenseur
de Mehmed Ali.
D'autre part elle désirait un arrangement politique entre le Sultan et
son vassal; elle s'opposait à toute idée prévoyant une solution militaire à
cette crise, car il était difficile, pour elle de soutenir militairement l'Egypte
en cas d'une confrontation avec la Porte, compte tenu bien entendu de
l'intervention des autres Puissances du côté du Sultan; elle voulait plutôt
jouer un rôle de médiateur entre la Porte et l'Egypte pour mettre fin à leur différent.
Quant à Rechid Bey, il préféra tenir un langage modéré dans ses entretiens avec le gouvernement français pour lui donner l'impression que la
Porte comptait sur sa compréhension et sur son amitié dans la crise
d'Egypte. Voyant un intérêt pour la Porte dans la conservation des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays, il s'abstint de reprocher directement à la France de soutenir Mehmed Ali contre le sultan.
Mais il demande à la France de cesser son appui à l'Egypte et de faire
pression sur Mehmed Ali pour qu'il obéît à son souverain et qu'il cédât
le vilayet de Syrie et le district d'Adana à la Porte.
Nous ne traiterons pas ici de deux entretiens de l'ambassadeur ottoman avec le Ministre français des Affaires Etrangères, le 18 décembre
1834 et au mois de janvier 1835, ces entretiens ayant été consacrés exclusivement à la question d'Algérie. De même il faut préciser qu'après le
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'125
mois de janvier les activités diplomatiques de Rechid Bey à Paris ne se limitèrent qu'aux autres problèmes d'importance secondaire entre les deux
pays.
Enfin Rechid Bey, ayant échoué dans sa mission principale qui était
d'obtenir l'Algérie, quitta Paris le 29 mars 1835 pour Istanbul en laissant
sa place à Rouhiddin Effendi, l'interprète et premier secrétaire de l'ambassade ottomane. Celui-ci fut chargé de suivre la politique prescrite dans
les instructions (Talimât) laissées par Rechid Bey, et dont les trois articles
étaient consacrés à la politique à suivre dans la crise d'Egypte. Voici ce
que Rechid Bey conseillait à Rouhiddin Effendi:
1) De ne prononcer aucun mot contre la Russie dont l'alliance était
nécessaire dans les circontances actuelles pour empêcher Mehmed Ali de
s'emparer de l'Asie Mineure; par contre de calmer les inquiétudes de la
France sur l'influence politique russe à Istanbul et de demander le soutien du gouvernement français s'il reprochait à la Porte d'avoir signe un
traité d'alliance avec la Russie contre l'Egypte.
2) D'expliquer (arguments bien fondés à l'appui) au gouvernement
français les visées dangereuses de Mehmed Ali pour l'intégrité de l'Empire et la situation difficile de la population écrasée sous la domination
égyptienne.
3) De persuader la France des réformes que le Sultan avait entreprises dans l'Empire et de faire de la propagande pour la politique de la
Sublime Porte88.
Pendant l'absence de Rechid Bey à Paris on n'enregistra pas d'évolntion quelconque dans les rapports franco-turcs, car les activités diplomatiques du chargé d'affaires restèrent limitées.
D'autre part nous voyons Rechid Bey être nommé une deuxième fois
à Paris et y revenir au mois d'octobre 1835 avec le même mission dont il
était chargé pendant sa première ambassade, c'est-à-dire obtenir l'Algérie
et gagner le soutien et l'amitié de la France dans la crise d'Egypte.
Au cours de son deuxième séjour à Paris il continua encore à faire
valoir, auprès de la Cour de France, les mêmes prétentions qu'en
i834.Pourtant il n'arriva pas à persuader cette dernière de la nécessité de
88 B.A. sandık 153, karton 3, evrak 2. Lutfı résume ces instruction en quelques lignes, voir V. p. 7.
i20
BAYRAM KODAMAN
faire évacuer à Mehmed Ali la Syrie et Adana et à le soumettre à son suzerain. Bien que la France ait voulu donner quelques satisfactions à la
Sublime Porte en approuvant le point de vue de Rechid Bey, elle considérait pourtant comme mal conçus tous les projets qui avaient pour but
d'arracher à Mehmed Ali, par la force des armes, les territoires qu'il occupait alors. Elle laissait entendre qu'elle ne voyait aucun intérêt pour le
Sultan dans une solution militaire, car un gouverneur puissant comme
Mehmed Ali pourrait l'aider au besoin à la défense commune de l'Empire ottoman.
En somme Rechid Bey quitta la France au mois d'octobre 1836 pour
l'Angleterre sans obtenir l'appui du gouvemment français dans la question d'Orient.
C — LE ROLE DE RECHID PACHA DANS LA SOLUTION DE
LA CRISE D'EGYPTE
I. Période de 1837 à 1839
Après un séjour de trois ans, à Paris et à Londres, qui lui avait donné l'occasion d'approfondir sa connaissance de la diplomatie européenne
et de connaître, de près, la politique des Puissances vis-à-vis de l'Empire
ottoman, Rechid Pacha, revenu à Istanbul, fut nommé en 1837 ministre
des Affaires Etrangères. A partir de cette date il se donna pour tâche de
résoudre la crise en faveur de l'Empire ottoman.
En effet, au début de son ministère, voyant que les puissances intéressées ne se montraient point empressées de trouver une solution immédiate au conflit turco-égyptien, Rechid Pacha décida de chercher, par voie
de négociations, la possibilité d'un accommodement direct avec Mehmed
Ali. Dans ce but il envoya en 1837 Ibrahim Sarim Effendi89 auprès du
Pacha d'Egypte pour entamer les négociations. La mission essentielle de
Sarim était avant tout de faire savoir à Mehmed Ali les conditions avancées par la Porte pour mettre fin à leurs contentieux et en même temps de
sonder ses intentions. Au cours de ses conversations avec le Pacha
d'Egypte, Sarim Effendi lui énnonça les propositions par lesquelles le Sultan accordait à l'Egypte les territoires d'Acre et de Tripoli de Syrie à condition qu'il acceptât de restituer la Syrie et Adana,de réduire son armée
et sa flotte et enfin de lui obéir.
De son côté Mehmed Ali déclara "Tant que je ne serai pas obligé, je
n'abandonnerai pas même un village! la sécurité de l'Egypte ne peut-être
assurée que si le Sultan m'accorde l'hérédité de tous les territoires que je
possède. Si l'on accepte ma demande je resterai fidèle au Sultan, je remplirai mes obligations envers lui, je m'efforcerai, par tous les moyens dont
je dispose, de rendre service à l'Empire ottoman. Dans un tel cas il n'y
aura pas besoin de réduire l'armée et la flotte égyptiennes. Tout dépend
de la volonté et de la décision du Sultan pour arriver à l'accommodement
désiré90".
M Sanm Effendi, plus tard Pacha, est devenu en 1848 Grand Vizir. Pour sa biographie, Mufassale Osmanlı Tarihi. VI. 2098.
90
Ali Fuat. article cité, in T T E M . 19(96). p. 112.
i20
BAYRAM KODAMAN
A son retour d'Istanbul, Sarim Effendi présenta un compte-rendu
dans lequel il expliquait en détail les demandes de Mehmed Ali. Après
avoir examiné les propositions égyptiennes, Rechid Pacha accepta l'abandon de l'Egypte et des provinces d'Acre et de Tripoli de Syrie, mais réclama la Syrie et Adana.
A la suite du refus par la Porte de l'hérédité de la Syrie, Mehmed
Ali, ayant perdu l'espoir de garantir la sécurité de ses possessions par un
arrangement avec le Sultan, cessa complètement de payer le tribut et se
déclara officiellement indépendant.
Alors Rechid Pacha, ministre des Affaires Etrangères, signa le 16 août
1838, un traité de commerce avec le gouvernement anglais pour obtenir
par d'énormes concessions économiques dans l'Empire ottoman, son appui politique et militaire contre Mehmed Ali. Après la signature de ce
traité, il fut nommé ambassadeur extraordinaire à Londres 91 . Il travailla
encore activement pour établir une alliance entre la Porte et l'Angleterre
et prépara ensuite de concert avec lord Palmerston, le projet d'un traité
d'alliance.
Mais après avoir été informé des principes de ce traité, Nouri Effendi,
ministre des Affaires Etrangères, annonça, le 6 avril 1839, au gouvernement anglais que la Porte ne saurait accepter la signature d'un tel traité
qui maintenait non seulement le statu quo qu'elle voulait détruire, mais
astreignait le Sultan à ne profiter d'aucune occasion favorable et qui stipulait purement et simplement que l'Angleterre s'unirait à la Porte au cas
où Mehmed Ali commettrait une agression. Plus tard Nouri Effendi déclara également qu'il était persuadé qu'aucun traité ne profiterait à la Porte s'il n'avait pour but la ruine de Mehmed Ali et que, par conséquent,
la Porte ne devait pas signer ce traité.
En effet le traité prévu ne contenait pas d'articles avantageux pour
l'Empire ottoman, mais des articles reconnaissant implicitement l'indépendance de Mehmed Ali et même garantissant son existence contre la Porte.
Il donnait à l'Angleterre seule le droit d'intervenir au cas où Mehmed Ali
91 Le motif de cette nomination: "Rechid Pacha vient de se faire nommer à l'ambassade... Je ne doute pas que son principal motif, en s'éloignant (d'Istanbul) ne soit de pourvoir à sa sûreté personnelle, il voyait l'opposition grandir contre lui et ne pouvait douter
que la faveur du Sultan lui manquerait bientôt. Le dernier usage qu'il vient d'en faire prouver sa prudence. Il s'est servi de ses ennemis comme des amis pour atteindre son but*.
Arch. Aff. Etr. T U R Q U I E . Vol 276. Corres. de Roussin à Molé, Août 1838.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'129
ne respecterait pas la statu quo, alors que la Porte avait l'intention d'intervenir et de prendre des mesures nécessaires pour soumettre Mehmed
Ali si une occasion opportune se présentait. En raison de ces interprétations, la Porte donna l'ordre à Rechid Pacha de ne pas signer ce traité et
de retourner à Istanbul en passant par Paris pour s'entrenir avec le gouvernement français92.
Entre temps, dans sa lettre datée du 21 rebiiilewel 1255 Rechid Pacha écrivit que l'Angleterre et la France enverraient leurs flottes sur les
côtes de Syrie, en ces de guerre entre l'Egypte et la Turquie pour intervenir en la faveur de celle-ci, si l'armée égyptienne emportait la victoire93.
En vérité, l'Angleterre, depuis qu'elle avait signé le traité de commerce avec la Porte par lequel elle avait obtenu pour ses marchands le libre
accès dans tout l'Empire ottoman, y compris la Syrie et l'Egypte, desirait
combattre la puissance égytienne et s'employait à provoquer une confrontation entre les deux partis.De son côté la France après s'être efforcée jusqu'en 1838 de maintenir le statu quo employait en vain, pour prévenir
une nouvelle crise, ses bons offices auprès de l'Angleterre afin d'assurer
l'hérédité de l'Egypte à Mehmed Ali. Elle ne voulait favoriser ni l'indépendance totale de l'Egypte ni son agrandissement éxagéré. Son plan consistait à faire de l'Egypte et de la Syrie un Etat tributaire de la Porte et à
soumettre Mehmed Ali au Sultan. Chaque fois que Mehmed Ali cherchait à sortir de ses limites territoriales et politiques par la guerre, la France
le menaçait de son escadre au nom de l'intégrité de l'Empire ottoman et
de la paix.
Enfin, sur le conseil de la Russie, le Sultan, sûr en même temps de
l'appui et de l'intervention éventuelle de l'Angleterre en cas de défaite
donna l'ordre, le 2 safer 1255 (le 17 avril 1839) à Hafız Pacha, chef d'Etat
major de l'armée ottomane, d'ouvrir les hostilités94. Mais l'armée subit
encore une fois à Nizip une défaite totale devant les troupes d'Ibrahim
Pacha, le 29 juin 1839.
Au mois de mai, Rechid Pat ha, venu à Paris, s'entretint avec le Roi
et le maréchal Soult. Au cours de ces entretiens ceux-ci lui firent savoir
surtout la nécessité pour la Porte,de demander non seulement l'interventi92 Yusuf Kemal Tengirsek, Tanzimat Devrinde Osmanlı Devleti'nin Harici Ticaret Siyaseti, in Tanzimat p. 315-318.
93
Reşat Kaynar, ibid. 154.
94
Lutfi, VI. 26.
i20
BAYRAM KODAMAN
on russe mais aussi celles des autres Puissances et se déclarèrent favorables à l'intégrité de l'Empire ottoman95.
A la suite de la défaite de l'armée ottomane à Nizip, les puissances
annoncèrent leurs point de vue dans la question d'Orient: "Tous les cabinets veulent l'intégrité et l'indépendance de la monarchie ottomane sous
la dynastie actuellement régnante; tous sont disposés à faire usage de leurs moyens d'action et d'influence pour assurer le maintien de cet élément essentiel de l'équilibre politique".
Maréchal Soult, le 17 juillet 1839
"Le cabinet anglais... désire soutenir l'intégrité et l'indépendance de
l'Empire ottoman...
Lord Palmerston, le 28 juillet 1839"
"SM a déclaré que... elle avait pris soin de vouer tous ses efforts à la
conservation intacte de l'Empire ottoman sous la dynastie actuelle...
Le Prince de Metternich, le 24 juillet 183g"96
En tenant compte de ces déclarations des Puissances Mustafa Rechid
Pacha envoya la lettre suivante au Grand Vizir Hüsrev Pacha.
"La nouvelle des dispositions prises par vous envers l'Egypte est parvenue en Europe. A Vienne et à Paris on approuve toutes les mesures
conciliatrices que vous avez si sagement prises. On vous décerne pour cela
des éloges, mais on blâme votre précipitation à accorder au Pacha l'hérédité.
"Ce qui est fait est fait, mais désormais ne vous pressez pas. Les Puissances ne veulent pas seulement un arrangement avec l'Egypte; elles veulent de grandes mesures qui consacrent à l'avenir l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman, il faudra donc ne rien faire par les conseils
isolés d'aucune d'Elles, mais attendre le concert de leurs volontés réunies.
Attendre n'apporter aucun danger, car Mehmed Ali ne pourra faire aussi
que ce que les Puissances voudront. N'agissons donc pas par nousmêmes, laissons le champ des négociations entièrement libre et abandonnons nous aux Puissances, car Elles feront bien mieux que nous.
95
B.A. H.H. Sandik 216. No 153. A. 48212.
Documents diplomatiques (question d'Orient) du 17 juillet 1839 au 13 juillet 1841.
(Bibl. Langues Orientales. Paris).
96
M O U S T A J ' H A R É C H I D PACHA '139
"Nul doute que la victoire de Nizip et la défection de Capitan Pacha97 ne donnent à Mehmed Ali des prétentions nouvelles et une grande
exaltation du moment, mais elles se calmeront devant la volonté de l'Europe qui ne veut pas notre démembrement. Ce que nous avons à faire
avec Mehmed Ali Pacha, c'est de ne pas le choquer, de lui être agréable
pour la forme mais rien pour le fond, et de s'en rapporter à l'arbitrage
européen.
Tout ce que je vois en Europe me prouve que tous les gouvernements où j'ai passé ont la volonté de soutenir l'équilibre de l'Europe par
le maintien de l'Empire ottoman. Cependant un parti puissant de philanthropie et de libéraux, se prononce contre nous malgré toutes nos réformes, on nous appelle encore des Barbares..."98.
Le 27 juillet 1839. Paris.
Comme on voit Rechid Pacha conseillait à la Porte de ne pas s'entendre avec Mehmed Ali sans le concours des Puissances, car il voyait
Mehmed Ali posséder assez d'avantages pour traiter dans de bonnes conditions et tenir la Porte à sa merci.
Mais, avant l'arrivée de la lettre de Rechid Pacha, bien que la Porte
ait envoyé Akif Effendi pour s'entendre avec Mehmed Ali, en lui accordant l'hérédité de l'Egypte. Celui-ci refusa de ne se borner qu'à l'Egypte
et demanda l'hérédité de tous les domaines d'Egypte et de Syrie99. La
lettre de Rechid Bey et la note des Puissances arrivèrent à Istanbul alors
que la Porte était sur le point d'accepter les propositions de Mehmed
Ali 100 .
Ce fut le Prince de Mettemich qui prit l'initiative de la note collective
remise, le 28 juillet 1839, à la Porte par les ambassadeurs des Grandes
Puissances:"les soussignés, conformément aux instructions de leur gouvernement respectif, ont l'honneur d'informer la Sublime Porte que l'accord
entre les cinq Grandes Puissances sur la question d'Orient est assuré, et
97 Kapudan Pacha (grand amiral) Ahmet Fevzi avait livré la flotte ottomane à Mehmed Ali, lorsqu'il avait appris la mort du Sultan et la nomination de Hiisrev Pacha, son
ennemi, au poste du Grand Vizirat.
98 A.A.E. T U R Q U I E . (Affaires générales), vol 38. p.212. Lettre de Rechid au Grand
Vizir, le 27 juillet 1839.
99 Ali Fuat. Article cité p. 113.
100
Lutfı, VI. 50.
i20
BAYRAM KODAMAN
qu'ils sont chargés de l'engager à s'abstenir de toute délibération définitive sans leur concours et à attendre l'effet de l'intérêt qu'elles lui portent101. Ayant pris connaissance des intentions de ces Etats, la Porte, décida de ne pas s'entendre directement avec Mehmed Ali. Dorénavant la question d'egypte allait dépasser les frontières de l'Empire ottoman; elle intéressait l'équilibre européen.
Malgré leur note collective remise à la Sublime Porte, les Puissances
se trouvaient en désaccord sur la solution de la crise d'Egypte: l'Angleterre proposait d'enlever, sauf l'Egypte, tous les territoires, surtout la Syrie à
Mehmed Ali; l'Autriche et la Prusse voulaient céder l'Egypte et une pertie de la Syrie; la Russie voyait avec indifférence l'accroissement territorial
de Mehmed Ali; la France insistait sur la nécessité de céder à Mehmed
Ali et à sa famille l'hérédité de l'Egypte et de la Syrie et la région d'Adana à titre viager. Quant à Mehmed Ali il demandait l'hérédité de tous les
territoires qu'il occupait102.
D. Période de 1839 à 1841
Mustafa Rechid Pacha, revenu de Ixjndres à Istanbul, fut désigné pour la deuxième fois, le 8 septembre 1839, P a r ' e nouveau Sultan
Abdülmecid, comme ministre des Affaires Etrangères, avec la mission essentielle de promulguer les Tanzimat (les réformes) et de résoudre, en accord avec les Puissances la crise d'Egypte.
Il voyait dans la question d'Orient deux dangers auxquels il devrait
faire face pour conserver son intégrité et son indépendance à l'Empire ottoman.
1) L'influence de la Russie à Istanbul, qui était à ses yeux un danger
pour l'existence de l'Empire ottoman. Pour combattre ce danger imminent il prévoyait que le soutien des Autres Puissances serait nécessaire,
mais il savait également qu'elles visaient le moyen d'obtenir une influence
sur la Porte103. Pourtant il préférait l'influence de l'Angleterre et de la
France à celle de la Russie. "Il n'y a donc qu'une ligne pour nous, disaitil, celle d'être russes ou d'être sauvés par les Grandes Puissances de l'Occident" 104.
101
Ali Fuat. Ibid 115.
102
Sabri. op. cit. Passim.
103
A.A.E. T U R Q U I E (Affaires générales) vol. 38. p. 273.
IU4
A.A.E. T U R Q U I E Documents et mémoires vol 44 p. 85.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
33
2) La crise d'Egypte qui se prédentait, selon lui, sous trois aspects
différents:
a) Mehmed Ali voulait que tous les pays aujourd'hui sous sa domination lui fussent entièrement abandonnés avec l'hérédité.
b) Le désir d'une haute Puissance, l'Angleterre, était de laisser seulement l'hérédité du Pachalik d'Egypte à Mehmed Ali.
c) D'autres Puissances, considérant la force présente du Pacha et croyant voir quelques difficultés à le déposséder d'un coup, inclinaient
à abandonner à Mehmed Ali l'Egypte à titre héréditaire et la possession des autres provinces (la Syrie et Adana etc.) à titre de viager 105 .
Rechid Pacha exposait ainsi ses vues sur ces trois combinaisons:
"Dans la première combinaison, accorder au pacha à titre héréditaire tous
les pays aujourd'hui sous sa domination, c'est partager l'Empire ottoman
en deux, et quels que soient pour les provinces séparées de la métropole
le lien de soumission et la clause, tant que l'étendue territoriale de
l'Egypte sera aussi considérable il faudra que les autres pachas suivent la
même proposition. De là toutes les conditions de soumission et de dépendance seront réduites à néant; la Sublime Porte rendue plus petite, aux
yeux de ses sujets ne pourrait plus à l'occasion obtenir d'eux les ressources et les forces réclamées par les circonstances. Chose évidente, dans cette position réciproque, la Porte serait contrainte de regarder l'Egypte comme une rivale; Celle-ci, soit pour d'ambitieuses spéculations soit par crainte pour la sûreté ne se contriendra pas. On la verra tantôt s'efforcer
avec audace de soulever les provinces ottomanes et les pousser au désordre, tantôt s'associer secrètement à quelque Puissance étrangère.
Cependant l'hérédité est accordée à Mehmed Ali par la Sublime Porte, et lorsque pour la réconciliation des deux partis, des sacrifices mutuels
sont absolument nécessaires, il ressort qu'en retour de la concession faite
par le Divan, Mehmed Ali Apcha doit, de son côté, renoncer à quelques
uns des pays qu'il possède.
Si, comme dans la seconde combinaison, on parvenait à faire que
Mehmed Ali se contentât seulement de l'hérédité de l'Egypte, serait sans
doute là de toutes les solutions la meilleure et la plus convenable. Mais,
105
A.A.E. TURQUIE (Affaires générales) vol. 38.
i20
BAYRAM KODAMAN
bien que ceux qui soutiennent les prétentions de Mehmed Ali avancent
entre autre chose, à l'appui de leur opinion, que l'Egypte seule serait insuffisante à repousser les attaques de dehors et qu'elle ne pourrait se défendre contre la Porte, il est bien plus vrai de dire que l'Egypte sous un
bon gouvernement est assez forte pour se garder de quelque côté qu'on
l'attaque. De plus les conditions qui la concerneraient étant dictées par
l'alliance des puissances, ainsi placée sous leur protectorat et leur garantie, elle ne saurait jamais avoir rien a redouter des entreprises de la Porte
ou d'aucun autre gouvernement.
Cependant depuis la bataille de Nizib, il serait assez surprenant que
Mehmed Ali pût se contenter uniquement de l'Egypte; les puissances ne
pouvant se mettre d'accord, la nécessité commande de voir se terminer ce
grand différent, le Divan se prêtant d'ailleurs à quelques nouveaux sacrifices, afin de mettre un terme à de continuelles inquétudes.
C'est ici le lien de la troisième combinaison, celle qui consiste à ajouter à l'Egypte héréditaire plusieurs provinces, seulement jusqu'à la fin de
la vie de Mehmed Ali; bien que la clause de non hérédité rende pour la
Porte ce sacrifice le moins difficile de tous, il est incontestable cependant
que tant qu'un territoire aussi étendu restera entre les mains du Pacha,
tant qu'il se trouvera si voisin de l'Anatolie, le repos et la sécurité de la
métropole seront compromis, et l'inquiétude se prolongera pour elle tant
que devront durer les jours de Mehmed Ali..." 106
Comme on voit ci-dessus, Rechid Pacha se ralliait, en acceptant la
deuxième combinaison, à la politique anglaise qui prévoyait de céder l'hérédité de l'Egypte à Mehmed Ali; il refusait toute idée de concession territoriale ainsi que le proposait la France.
Au début du mois de septembre, l'ambassadeur de France, s'étant
entretenu avec Rechid Pacha, ministre des Affaires Etrangères depuis peu,
lui annonça les propositions avancées par la France pour la solution de la
crise: le projet français prévoyait l'abandon par le sultan à son vassal, de
tous les territoires occupés, y compris İtle de Crète et Adana. De son côté
Rechid Pacha déclara qu'il regardait le projet français comme inadmissible, du moins avec la clause sur l'hérédité pour l'Arabie et la Syrie aussi
bien que pour l'Egypte: "attendu qu'il créerait un nouveau khalifat, diviserait l'Empire en deux ou même ferait de Mehmed Ali un véritable souverain, plus puissant que le sultan"107.
106
A.A.E. T U R Q U I E (Affaires générales) vol. 38; p. 278 sq.
107
A.A.E. T U R Q U I E vol. 279.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'35
Pontois, ambassadeur français, expliqua que le plan français n'avait
nullement pour but de favoriser l'accroissement de la puissance égyptienne, de créer un Empire arabe mais de faire, selon les nécessités du moment, des concessions territoriales et d'éviter par là un danger pour l'indépendance de l'Empire ottoman comme pour la paix. D'autre part il attira l'attention de Rechid Pacha sur l'intervention éventuelle de la Russie
qui pourrait créer des complications dans les domaines politique et miliaire108. Au lieu du plan français, Réchid Pacha proposa son plan, qui consistait à ne laisser à Mehmed Ali en Syrie que le pachalik de Saida et en
même temps à lui donner pour dédommagement Tripoli de Libye et Tunis.
D'après lui, son plan conduirait à trouver un moyen terme. La différence d'opinion des puissances cesserait pour s'y rallier: "Les deux parties
en opposition, également frappées de la justesse de ce moyen conciliant,
ne trouveraient rien de mieux à faire que de souscrire aux arrangements
qui en ressortiraient".
En exécution de son plan, Mehmed Ali abandonnant la Syrie à la
Porte, recevrait par contre à titre héréditaire le pachalik de Tunis et de
Tripoli. S'il demandait Saint-Jean d'Acre, clef de l'Egypte on retrancherait
alors Tunis; on placerait héréditairement en sa possession la Libye, le
pachalik de Saide et Saint-Jean d'Acre.Si Mehmed Ali n'était pas encore
satisfait, dans ce cas, la Porte pourrait concéder la Tunisie et l'île de Crète; elle recevrait par contre la Syrie avec les districts de Tripoli de Syrie
(Berriuet'süs-sam) et de Jérusalem et la région d'Adana. En plus l'administration du pachalik de Djâdda serait laissée à Mehmed Ali à titre perpétuel109.
Sans doute le projet de Rechid Pacha était-il loin de satisfaire l'Egypte et la France. A ce sujet Pontois écrivait au Maréchal duc de Dalmatie:
"Rechid Pacha est, d'ailleurs plus éloigné que jamais d'écouter la voix de
la raison et de la modération. Le mot seul de concession le met dans un
état d'éxaspération et de rage, fort opposé aux habitudes de sa nation et
à son propre caractère... il s'exprime, en termes aussi peu mesurés qu'injustes sur le compte de la France qu'il représente comme la protectrice
déclarée et l'alliée de Mehmed Ali et qu'il ve même jusqu'à accuser
d'avoir trompé la Porte.
108
A.A.E. T U R Q U I E 1889. Vol 279.
109
A.A.E. T U R Q U I E Affr. Générales. Vol 38, 273 sq.
136
BAYRAM KODAMAN
II dit hautement qu'il n'acceptera jamais les arrangements proposés
par la France" n 0 .
Mais au sujet de l'influence et de l'intervention russe, Rechid Pacha
calma les inquiétudes de la France et lui donna satisfaction en assurant
son ambassadeur, Pontois, que la Porte ne ferait jamais appel au secours
matériel de la Russie et,si celle-ci en prenait l'initiative elle provoquerait
l'intervention de la France et de l'Angleterre au lieu de s'y opposer 111 .
A ce propos disait l'ambassadeur de France: "il ne reste aucun doute dur
la sincérité de Rechid Pacha. Son éducation politique, ses antécédents et
son propre intérêt l'éloignent de la Russie car ses adversaires sont parmi
les partisans de cette Puissance112".
D'autre part, Rechid savait qu'il n'y avait, sans intervention des Puissances, aucune transaction possible avec l'Egypte. D'ailleurs cette intervention correspondait à ses projets. C'est pourquoi, il refusa d'accepter une
solution sur laquelle les cinq Puissances ne seraient pas d'accord et même
un arrangement avec Mehmed Ali sans le concours de ces Etats. C'est
ainsi qu'il communiqua, le 21 octobre 1839 (le 13 Saban 1255) à la fois
aux ambassadeurs des Puissances résidant à Istanbul et à Mehmed Ali
que" ...il ne lui(la Porte) paraît pas convenable, après l'acceptation de l'intervention des cinq Puissances, de pourvoir, sans les consulter, aux mesures qu'exige une affaire aussi délicate.
"la Sublime Porte se regarde donc comme obligée, par la nature de
l'affaire aussi bien que par celle de ses rapports d'amitié avec les cinq Puissances, d'en faire part à leurs représentants et de s'en référer à eux quant à la marche qu'elle doit adopter....
signé par Rechid" 113 .
Entre temps l'ambassadeur d'Angleterre remit à Rechid Pacha une
note écrite dans laquelle il expliquait la politique de son gouvernement
favorable à la Porte et l'attitude des autres Puissances114. En outre, il lui
110 A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 219. Corres. de Pontois au duc de Dalmatie, le 7
décembre 1839.
I I I A.A.E. T U R Q U I E Affr. Générales, vol. 38, 223, Lettres d'Alix à Desages, le 9. IX.
1829.
112
A.A.E. T U R Q U I E , vol. 279. p. 40. Corres. de Roussin.
113
A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 139.
114
B.A. Sandık no 175 (Kaynar, ibid, 323-324).
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'37
conseillait à toute occasion de refuser les propositions de la France et de
Mehmed Ali; il assurait la Porte du soutien politique et militaire de son
gouvernement; il l'incitait à prendre des mesures militaires contre l'Egypte. De même, au cours d'un entretien, Ponsonby déclara à Rechid Pacha
le 17 octobre 1839:
"... Vous avez des hommes, du matériel et de l'argent mais c'est un
homme et de l'énergie qui vous manque. ... Avec l'appui sincère (de mon
gouvernement), fondez une année respectable... Profitez des circonstances.
N'entrez pas en négociations avec un rebelle... C'est le seul moyen de
sauver l'indépendance de votre Empire et de montrer de la dignité (...),
ne craignez pas qu'Ibrahim marche sur la capitale pendant que vous ferez
vos préparatifs... Une armée anglaise débarquerait du côté de Suez... Aucune Puissance n'oserait faire des observations à l'Angleterre. Ainsi vous
voyez que nous vous fournissons tous les éléments qui sont en notre pouvoir pour détruire le plus grand ennemi de votre empire... Lorsque vous
serez prêts,entrez en lutte, repoussez toute espèce de négociation, et c'est
avec les armes à la main que vous devez négocier" i15 .
Malgré ces incitations de l'ambassadeur anglais, Rechid Pacha se
montra peu disposé à engager l'empire dans une aventure militaire contre
l'Egypte avant d'être sûr de la force de l'armée ottomane et s'abstint d'accepter une politique prévue par PAnglaterre, seule, sans l'accord des autres puissances. Bien qu'il ait compté sur l'appui du gouvernement anglais
pour trouver une solution immédiate à la crise, il voulait pourtant voir
d'autres Puissances surtout la France se rallier à la politique anglaise.
Au fond la politique de Rechid Pacha, consistait à amener les cinq
Puissances à une alliance contre Mehmed Ali sous l'égide de l'Angleterre
et de l'Autriche qui soutenaient résolument la cause de la Sublime Porte.
Pour y parvenir il prévoyait la réalisation d'un fait qui pourrait donner,
d'après lui, une nouvelle orientation à la politique intérieure et extérieure
et en même temps avoir un effet positif sur les attitudes politiques des
Puissances à l'égard de l'Empire ottoman. Ce fait consistait à promulguer
les Tanzimat (pluriel du mot arabe tanzim, l'action de mettre en ordre).
115
A.A.E. T U R Q U I E vol. 279. p. 130.
Au cours des ambassades successives de Rechid Pacha, les gouvernements lui avaient conseillé de moderniser l'Empire par des réformes empruntées à l'Europe afin que la
Porte puisse profiter de leur soutien dans la question d'Orient. Voir. Cemil Bilsel, Tanzimat in harici siyaseti in Tanzimat, p. 688.
116
i20
BAYRAM KODAMAN
Selon Rechid Pacha, avant d'entreprendre, en Europe, des activités
diplomatiques destinées à établir une alliance entre les Puissances, il fallait que le Sultan déclarât officiellement l'ère des réformes pour démontrer
par un acte, à l'opinion publique européenne toujours favorable à l'Egypte à cause des réformes de Mehmed Ali, sa volonté de réorganiser l'Empire et d'assurer le bien-être de ses sujets et donner satisfaction surtout aux
gouvernements anglais et français, partisans des réformes dans l'Empire 116 . Nous nous sommes bornés seulement à souligner ci-dessus l'un des
buts des Tanzimat pour montrer quel profit voulait en tirer Rechid Pacha
pour sa politique égyptienne.
Enfin, le 8 novembre 1839 (le 26 saban 1255) en présence de tous les
hauts personnages de l'Empire et de tous les représentants étrangers, Rechid Pacha donna lecture du célèbre hatt-i chérif de Gülhane (charte impériale de Gülhane).
En effet comme l'attendait Rechid Pacha, la promulgation du Tanzimat fut accueillie avec satisfaction par les Etats européens et même donna
lieu à de nombreuses publications en faveur de la politique ottomane 117 .
Empressé de profiter de cette situation très opportune créée en Europe par la nouvelle politique que venait d'adopter la Sublime Porte, Rechid Pacha allait s'attaquer résolument à la crise d'Egypte. Pour cela il
tenta début de 1840, des démarchés diplomatiques auprès de l'Angleterre
et Autriche qui avaient à pein avancé l'idée d'un conférence à Londres
entre les cinq Puissances en vue de presser la réalisation de cette conférence ayant pour but de donner une solution à la crise.
A la suite des efforts diplomatiques de Rechid Pacha dont la politique correspondait à celle de l'Angleterre, Lord Palmerston, en accord
aussi avec le Prince de Mettemich, convoqua à Londres les autres Puissances intéressées pour chercher les moyens de s'entendre sur une politique à suivre dans la question d'Orient 118 . Rechid Pacha y fit représenter
la Porte par Nouri effendi et Şekip effendi ambassadeurs ottomans respectivement à Paris et à Londres, et envoya des instructions dans lesquelles il leur ordonna d'insister sur le retour de la Syrie au Sultan U 9 .
117 Takvim-i Vekayi, (le 5 zilkade 1255. no 190) contient des extraits des articles publiés par la presse étrangère.
118
Lutfı. VI, 115.
119
Ali Fuat. op. cit. 117.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'139
En effet, conformément aux désirs de Rechid Pacha, Palmerston proposa aux représentants des autres Etats son plan prévoyant l'abandon de
l'Egypte à titre héréditaire et de St. Jean d'Acre en viager à Mehmed Ali
Pacha et la restitution de la flotte ottomane par celui-ci. Malgré l'approbation de ce projet par la Russie, l'Autriche et la Prusse, la France se
prononça contre tout projet dont l'adoption devrait entraîner l'emploi de
la force pour arracher à Mehmed Ali les territoires qu'il occupait120.
Entre temps, sur les conseils du gouvernement français qui désirait
d'ailleurs un arrangement direct entre l'Egypte et la Sublime Porte, Mehmed Ali envoya, au mois de juin, à Istanbul, son premier secrétaire, Sami
Bey pour préparer le terrain a un accommodement, sans intermédiaire
des Puissances, avec le Sultan, à condition de livrer la flotte ottomane 121 .
Mais Rechid Pacha, au courant des difficultés financières et politiques
de Mehmed Ali à l'intérieur des pays qu'il dominait, refusa de se prêter
à un arrangement avec Sami Bey, en faisent valoir la médiation des Puissances acceptée par la Turquie 122 .
A ce sujet: "nous nous trouvions, disait-il, dans l'impossibilité d'un
arrangement direct avec l'Egypte. Si nous l'avions alors voulu tenter, on
se serait écrié que nous voulions tout gâter, tout détruire et nous donner
120
Mufassal Osmanlı Tarihi, VI, 2971.
D'après le livre de Sabri intitule "l'Empire égyptien sous Mehmed Ali" "Exalté
par la chute de Hiisrev Pasa, le 9 juin 1840, alors grand Vizir, Mehmed Ali Paşa croyait
toucher au terme de ses efforts; il envoya Sami Bey à Istanbul, ")pour obtenir du Sultan
l'hérédité des autres territoires). Les documents turcs prouvent que les relations entre
Hiisrev Pasa et Mehmed Ali s'étaient améliorées depuis quelques temps. Et même Hüsrev
avait envoyé secrètement des lettres à Mehmed Ali pour trouver une solution à la crise. C e
lut l'un motifs de sa chute. Cf. Kaynar, ibid, 329. La note de Ponsonby présentée à Rechid
Pacha.
121
122 La Situation économique de l'Egypte: à la suite d u traité de commerce, en 1838, avec
l'Angleterre, la suppression des monopoles mit Mehmed Ali Pacha dans une situation financière bien plus mauvaise que celle de l'Empire ottoman, car la majeure partie du trésor
égyptien était basée sur le revenu monopolistique. Mehmed Ali, malgré cette situation difficile et pour pouvoir tenir tête à la Sublime Porte était dans l'obligation d'entretenir sur pied de guerre une force militaire-régulière et irrégulière-considérable, ce qui causa le déficit
du trésor égyptien. A ce propos un retard de 28 mois, quant au paiement des traitements
des troupes est à souligner. A cela on doit ajouter le fait que la flotte ottomane passée chez
Mehmed Ali était une charge fait que la flotte ottomane passée chez Mehmed Ali était une
charge fait que la flotte ottomane passée chez Mehmed Ali était une charge supplémentaire
pour le trésor égyptien. D'autre part cette situation bien connue des Anglais poussa ces
derniers à entretien de Mehmed Ali Pacha, Voir Cevdet Pasa, tez kir, I, 7. Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2971.
i20 B A Y R A M K O D A M A N
nous-mêmes la mort" 123 . Cependant poursuivant son système pacifique,
Rechid Pacha fit de nouveaux efforts pour obtenir de Sami Bey, bien que
ce ne fut que par pourparlers, d'autres territoires en plus de l'île de Crête
et d'Adana 124 . Au cours de ses conversations avec Sami Bey il voulait,
surtout savoir si l'Egypte avait tendance à faire des concessions territoriales car la moindre ouverture de l'Envoyé égyptien, c'est-à-dire une inclination aux concessions serait alors pour Rechid Pacha un moyen de dire
aux Puissances: "Voyez, travaillez, faites de nouveaux efforts" pour contraindre Mehmed Ali à céder certaines régions surtout la Syrie au Sultan l25 .
En outre Rechid Pacha présenta un plan à Sami Bey pour un arrangement avec Mehmed Ali, plan établi par lui-même en accord avec le baron Stumer, ambassadeur autrichien, et approuvé par le Divan et le Sultan. Voici les clauses essentielles de ce projet:
1) L'Egypte resterait à titre héréditaire à Mehmed Ali.
2) Ibrahim Pacha continuerait à avoir le pachalik de Djedda.
3) Les provinces de St. Jean d'Acre, Saida, Tripoli de Syrie seraient
gouvernées par Mehmed Ali qui pourrait en disposer, à sa mort,
en faveur de ses fils et petits fils a la condition qu'aucun de ses
successeurs cumule le pachalik de deux provinces ni celui d'aucune d'entre elles avec le pachalik d'Egypte.
4) Il est bien entendu que ces trois provinces ne pourraient être possédées par les successeurs immédiats de Mehmed Ali qu'à titre viager et qu'à leur mort elles seraient réversibles au Sultan126.
De plus il prévoyait même certaines concessions de la part de la Porte à l'Egypte pour faciliter l'arrangement. Mais tout fut inutile, car l'envoyé de Mehmed Ali, Sami Bey, ne voulut absolument parler que de la restitution de la flotte et se refuse à aborder la question des territoires, c'està-dire de la Crête, de la Syrie et d'Adana dont il semblait qu'il lui eut
été interdit de prononcer les noms I27 .
123 A.A.E. T U R Q U I E , Mémoires et documents. (1840-1853). Vol. 44, p. 103. Exposé
fait par Rechid Pacha à Desgranges.
124
ibid.
125
A.A.E. T U R Q U I E (1840-1853). Mémoires et documents, vol 44 no 25.
126
M. Sabri. op. cit. 489.
127
A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et documents, vol 44 No. 25.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'141
D'autre part, avant de prendre connaissance de la signature du traité
de Londres, Rechid Pacha eut un entretien avec l'ambassadeur de France, Pontois, qui s'efforça de persuader le ministre ottoman des Affaires Etrangères de l'utilité d'un arrangement direct avec l'Egypte et de le dissuader de faire appel aux Puissances pour trouver un règlement à la crise.
Au cours de cet entretien Rechid Pacha reprocha à la France de ne pas
connaître les vraies intentions de Mehmed Ali et de ne pas savoir jusqu'où allaient ses projets. Et puis il déclara à Pontois ce qui suit:
"...Nous avons suivi vos conseils, adopté le système que vous nous recommandez, et nous sommes entrés, autant qu'il nous est possible de le
faire, dans la voie de la conciliation et de l'accommodement. Maintenant
pouvons-nous aller plus loin?Pouvons-nous, comme vous paraissez nous le
demander aujourd'hui, déclarer ouvertement aux cabinets signataires de
la note du 27 juillet 1839 notre intention de regarder comme non avenus
les arrangements contractés par eux dans cet acte et acceptés par nous;
de nous passer désormais de leur intervention et d'arranger nous-même
nos affaires? Evidemment non, car ce serait nous priver gratuitement de
la seule force qui nous reste; de la seule garantie que nous ayons contre
l'ambition et les projets audacieux de Mehmed Ali et du seul poids que
nous puissions apporter dans les négociations, nous qui n'avons ni flotte
ni armée et dont le territoire est envahi. Ce serait nous résigner d'avance
à subir la loi du vainqueur (...) et nous livrer pieds et poings liés, à la
merci de Mehmed Ali qui dégagé de toute crainte de la part des Puissances, a assuré que la France n'employera même pas contre lui, en aucun
cas, des mesures comminatoires, et nous trouvant seuls, désarmés et isolés
en face de lui, non seulement ne rabattrait rien de ses premières prétentions, mais serait même maître de les élever indéfiniment, si bon lui semblait. Il y aurait folie de notre part à accepter une pareille position et vous ne sauriez nous le conseiller. Mieux vaut, cent fois, le statu-quo qui
a peut-être les inconvénients et les dangers que vous venez de me signaler, mais qui a,du moins, l'avantage de faire continuer la protection que
nous assure la note du 27 juillet et de nous réserver les chances de l'avenir. Je vous le répète, que la France nous accorde son appui, qu'elle obtienne de Mehmed Ali, comme vous m'annoncez qu'elle cherche à le faire
en ce moment même, une modification quelconque à ses prétentions et
elle nous trouvera prêts de notre côté, à faire les plus larges concessions...."128.
128 A.A.E. T U R Q U I E , vol. 280. no 121. Lettre de Pontois au président du conseil sur
l'attitude de Rechid Pacha, le 24 Juillet 1840.
i20
BAYRAM KODAMAN
Comme on voit, Rechid Pacha était très loin d'accepter les vues du
gouvernement français qui lui proprosait le complet abandon du système
anglais, car il voulait appuyer sa politique égyptienne sur l'intervention
des Puissances.
A partir de ce moment, n'espérant rien de l'envoyé de Mehmed Ali
et de la médiation du gouvernement français, Rechid Pacha se détermina
à adresser sous le plus grand secret un mémoire au prince de Mettemich
Ce mémoire contenait une liste de de conditions qui devaient, par gradation, se succéder les une aux autres, suivant les difficultés qu'elles rencontreraient.
En cas d'approbation de ces conditions par Mettemich, il voulait
présenter son projet aux Puissances.
Mais Lord Palmerston, hostile à la fois à la politique de Thiers et à
un accommodement direct entre le Sultan et Mehmed Ali et prêt en même temps à contrecarrer la politique française, constitua la quadruple alliance contre la France: sans la prévenir et sans l'inviter à y participer il
obtint, le 15 juillet 1840, de la Russie, de la Prusse, de l'Autriche la signature du traité de Londres dans le but de rétablir la paix dans le Levant. Cette convention qui se composait principalment de cinq articles129
imposait à Mehmed Ali d'accepter les propositions du Sultan, prête à lui
reconnaître l'administration héréditaire de l'Egypte et la possession à titre
viager du pachalik d'Acre, moyennant la restitution de la Crête, des villes
saintes d'Arabie, d'Adana, de la Syrie et de la Flotte ottomane. Si, dans
dix jours, il n'acceptait pas ces propositions le pachalik d'Acre lui serait
arraché et s'il insistait encore, les quatre Puissances contractantes et la
Porte s'accorderaient enfin pour s'emparer de l'Egypte 13°.
Alors que Rechid Pacha attendait la réponse de Mettemich à son
projet, il reçut le texte du traité de Londres. Satisfait des conditions fixées
à Londres, il envoya aussitôt Rifat Bey, secrétaire aux Affaires Etrangères,
auprès de Mehmed Ali avec mission de lui communiquer les propositions
du traité131. Rifat Bey ne put s'acquitter de sa mission que le 16 août, en
raison de l'absence de Mehmed Ali à Alexandrie. Mehmed Ali repoussa
catégoriquement les conditions du traité, bien que la flotte anglaise fût en
route vers les côtes d'Egypte et de Syrie ainsi que la flotte autrichienne.
129
Pour le texte complet de ce traité voir Muahedat Mecmuasi. vol. IV.
130
Lutfı. VI. 115.
131
Lutfı. VI. 116.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'143
Le 26 août date à laquelle expirait le délai de dix jours, Rifat Bey,
accompagné des consuls des quatre Puissances se rendit à la résidence de
Mehmed Ali pour connaître sa décision. La réponse de celui-ci fut encore
négative132. Lorsqu'enfin Rifat Bey réapparut seul devant Mehmet Ali pour lui demander son dernier mot, Mehmed Ali répondit: "qu'il acceptait
avec reconnaissance l'Egypte à titre héréditaire, mais que, pour le reste
des territoires qui étaient actuellement entre ses mains, il s'en remettait à
la générosité du Sultan" 133 qu'il était prêt à abandonner l'île de Crête et
Adana. Et il remit même une note dans ce sens à Bey pour le Sultan. De
leur côté, les consuls des quatre puissances donnèrent aussi une autre note, à l'envoyé ottoman, dans laquelle ils annonçaient que Mehmed Ali
avait refusé les conditions du traité de Londres.
Enfin Rifat Bey, muni des deux notes, arriva, le 8 septembre à Istanbul.
A Istanbul, dès qu'il avait appris la première réponse négative de
Mehmed Ali, Rechid Pacha avait décidé avec l'accord du Divan, de refuser toutes les démarches de Mehmed Ali pour une conciliation bilatérale
et l'abondon d'Acre à l'Egypte Le 11 Septembre, après avoir examiné les
notes de Mehmed Ali et des Consuls des quatre Puissances à il fit accepter au Divan la révocation de Mehmed Ali et la nomination de Izzet
Mehmed Pacha au poste de gouverneur d'Egypté 134 .
Le 14 septembre, en convoquant les représentants des quatre Puissances à Istanbul pour les instruire de la marche qu'il comptait suivre, il fit
savoir qu'après avoir vu le refus des concessions que le Sultan avait bien
voulu faire à Mehmed Ali et que Rifat Bey lui avait fait connaître, la
Sublime Porte déclara ce dernier (Mehmed Ali) non seulemont déchu de
la possession héréditaire de l'Egypte, mais encore du titre de gouverneur
de ce pays à titre temperaire135.
Pour ne pas perdre de temps, Rechid Pacha s'empressa de prendre
conformément au traité du 15 juillet des mesures militaires contre l'Egypte; enfin il demanda aux ambassadeurs d'Angleterre et d'Autriche le ralli132 Pour les détails des conversations entre Rifat bey et Mehmed Ali voir Lutfi. VI.
159-168. Correspondances de Rifat envoyées à Istanbul. C f Ali Fuat. Id. 118-19.
133
Metternich. Mémoires. VI. 484 no 1387. Ali Fuat. Id. 119.
Kâmil Pacha, Tarih-i siyasi-i devlet-i aliyye-i osmaniye, Istanbul, 1327 III, p. 301.
Ali Fuat: ibid 120.
134
135
Metternich. Mémoires. VI. 483
"74
BAYRAM KODAMAN
ement de leurs flottes à celle de la Porte pour le blocus de l'Egypte et de
la Syrie. Et le 16 septembre (le Redjeb 1256) il communiqua aux représentants des quatre Puissances à Istanbul la note suivante:
"Mehmed Ali, n'ayant pas consenti aux propositions pacifiques qui
lui ont été faites d'après le traité (du 15 juillet 1840) conclu à Londres entre la Sublime Porte et les quatre Cours alliées pour la solution de la question égyptienne et son avidité naturelle l'ayant poussé à la révolte, il
a fallu lui retirer aussi le gouvernement d'Egypte et, comme prélude aux
mesures coercitives,procéder à un blocus rigoureux de tous les ports et de
toutes les échelles d'Egypte et de Syrie au moyen des bâtiments ottomans
et des escadres alliées. On a décidé que le blocus commencerait le jour
où les bâtiments se trouveraient dans les endroits à bloquer. Les règles du
bloucus sont consignées dans des ouvrages qui traitent du Droit des
gens"136.
Signature
Rechid Pacha
(Ministre des Affaires Etrangères)
Le 19 Redjeb 1256
Entre temps le firman de destitution fut communiqué le 21 septembre par les quatre consuls à Mehmed Ali. Ansuite à la demande de Rechid Pacha les consuls des quatre Puissances quittèrent Alexandrie, le 23
septembre137. Ce fut le commencement d'une nouvelle phase du conflit
turc o-egyp tien.
Aussitôt, la flotte ottomane commandée par Izzet Mehmed Pacha et
celle de l'Angleterre commandée par Napier bloquèrent les côtes de Syrie,
brûlèrent l'escadre égyptienne, bombardèrent Beyrouth. Un corps d'armée
de 10 000 hommes, dont 8 000 étaient des soldats ottomans débarqua à
Djouney et chassa Ibrahim Pacha du Liban et de la Syrie.Tripoli, Saîda
et les autres villes importantes tombèrent à la mi-octobre, aux mains des
alliés, ainsi que Saint-Jean d'Acre au mois de novembre138. Le 25 novembre, l'Amiral Napier se présenta devant Alexandrie et la menaça d'un
bombardement si Mehmed Ali ne se soumettait pas. De même il écrit au
136
A.A.E. T U R Q U I E Vol. 281. p. 130. Pour le texte turc voir Kaynar, op. cit. p.
124 Pour la crise de 1860-1861 voir H.ULMAN. 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara
137
Mettemich. Mémoires. VI. 483.
138
Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2973.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'45
principal conseiller de Mehmed Ali, Boghos Bey: "Le Pacha sait certainement que les Puissances européennes désirent lui assurer le gouvernement
héréditaire de l'Egypte. Que son Altesse permette à un vieux marin (Napier) de lui suggérer un facile moyen de se réconcilier avec le Sultan: que
proptement et librement sans imposer aucune condition Elle renvoie la
flotte ottomane et retire ses troupes de Syrie; alors les malheurs de la guerre cesseront.
"... Si Elle refuse de se réconcilier avec le Sultan, Elle ne pout espérer
conserver l'Egypte bien langtemps... Qui peut dire que l'Egypte serait invulnérable? Alexandrie peut être pris comme Saint Jean d'Acre l'a été et
Son Altesse, qui peut devenir le fondateur d'une dynastie, serait réduite à
être un simple Pacha" 139 .
Le 27 novembre tous les conseils de Napier furent acceptés. Mehmed
Ali prit ainsi l'engagement de renvoyer la flotte turque à Istanbul, d'évacuer la Syrie et de ne se contenter que de l'hérédité de l'Egypte; Une
convention formelle consacra d'autre part ces arrangements140. La soumission de Mehmed Ali fut entière et lo traité du 15 juillet reçut sa pleine
exécution.
En face de la défaite de son armée devant les forces ottomanes et alliées, Mehmed Ali, ayant accepté les conditions de Napier, dut envoyer à
Istanbul une lettre annonçant sa soumission au Sultan et demanda à ce
dernier de lui accorder l'Egypte seule 141 .
A Istanbul, l'arrivée de cette lettre et de nouvelle de la signature
d'une convention avec Mehmed Ali, sans en avoir informé la Porte, fut
accuellie avec insatisfaction. Aussitôt Rechid Pacha déclara expressément
la convention nulle et le contenu de la lettre non sérieux. Il annonça le
même jour à l'ambassadeur turc de Londres et aux représentants des quatre Puissances à Istanbul les résolutions de la Porte:
"Comment pourrait-on après tout ce qui s'est passé, confier de nouveau l'autorité à un homme tel que Mehmed Ali? Toutefois et quoique le
Sultan n'ait pas l'intention de rien accorder de sa propre volonté à Mehmed Ali néanmoins en cas d'une demande de la part des Grandes Puissances, il est possible que, par déférence pour Elles, quelque faveur temporaire lui soit accordée. Mais serait-il possible aujourd'hui de revenir sur
139
G U I Z O T . Mémoires. T o m e VI. p. 52.
140
E . Z . K A R A L . Osmanlı Tarihi. Vol. V. 200-201.
141
Lutfi. VI. 120.
i20
BAYRAM KODAMAN
la question de l'hérédité, cette grande concession, déjà rejetée, par lui, du
traité d'alliance? Et comment les quatre Puissances pourraient-elles concilier désormais cette concession avec le maintien de l'intégrité de l'Empire
ottoman qui forme le principal objet de leur sollicitude"I42.
Quelques jours après, le drogman de la France à Istanbul, Cor, s'entretenant avec Rechid Pacha de cette convention, l'engageait à ne pas
confondre la forme et le fond de l'acte: "Vous êtes, lui disait-il, en droit
de protester contre la forme; mais au fond l'acte est généralement approuvé; il peut amener un rapprochement entre la France et les Puissances
qui ont signé le traité du 15 juillet".
"La Porte, lui répondit Rechid Pacha n'a que deux choses à proposer, toutes deux diamétralement opposées à la politique qu'a adoptée la
France, l'entière et absolue soumission de Mehmed Ali comme sujet non
comme vassal ou sa destruction. Comment pouvez-vous prétendre avoir à
coeur l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman quand vous cherchez à le démembrer? Si vous désirez tant conserver Mehmed Ali vous
n'avez qu'à le nommer gouverneur de l'une de vos provinces143.
Après le 27 novembre la Porte était dans la complète perplexité et incertitude. Hors d'état de se décider seule et par elle-même, la Porte voyait
ses alliés diviser leurs points de vue.
Dans l'espoir de sortir de cet embarras, Rechid Pacha réunit en conférence dans sa résidence (Konak) le 20 décembre les ambassadeurs des
quatre Puissances, signataires du traité du 26 juillet. Au cours de cette
conférence il leur demanda si Mehmed Ali Pacha, par sa lettre du 11 décembre au Grand Vizir, s'était conformé à l'esprit du traité de Londres et
si sa soumission devait être considérée comme réelle144.
Premièrement, ayant fait savoir qu'il n'était pas disposé à se pronocer
ni sur l'interprétation de la soumission de Mehmed Ali ni sur celle du
contenu de sa lettre avant de connaître l'avis du Sultan sur la dernière attitude de son vassal, Lord Ponsonby précisa que personne n'avait le droit,
sauf le Sultan, de réscudre la crise égytienne, celle-ci appartenant aux affaires intérieures de l'Empire ottoman,que le gouvernement anglais serait
142
Guizot. op. cit. Vol VI. p.58.
143
Guizot. op. cit. Vol VI. p. 59.
144
Pour les conversations de cette réunion: voir Kaynar, op. cit. 343-350.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
147
prêt à conseiller à Mehmed Ali d'abandonner tous les territoires qu'on lui
demandait si le Sultan accepait sa soumission. Ensuite "A mon avis, dans
les circonstances actuelles Mehmed Ali n'a droit à rien. Nous (les ambassadeurs) ne pouvons donner que des conseils au Sultan sur la décision
qu'il va prendre à son gré 145 ".
Les paroles de l'ambassadeur anglais étaient tout à fait favorables aux
vues de Rechid Pacha, car l'Angleterre laissait l'initiative au Sultan dans
toutes les décisions concernant l'Egypte.
De son côté l'ambassadeur autrichien, soutenu par ceux de Russie et
de Prusse, donna le point de vue ci-dessous: "Si on prend en considération le contenu de la lettre de Mehmed Ali, on comprend facilement qu'il
est prêt à éxécuter tout ce qu'on lui demandera. Devant cette attitude
conciliante du Pacha, la Porte, en acceptant sa réelle et sincère soumission, peut envoyer l'un de ses fonctionnaires, à Alexandrie, avec la mission
de demander à Mehmed Ali de restituer la flotte ottomane et d'évacuer
tous les territoires se trouvant en dehors du Pachalik d'Egypte. En cas de
l'exécution de ces conditions par le Pacha, le Sultan, conformément aux
conseils, peut lui accorder seul, le gouvernement d'Egypte.
D'autre part, devant l'attitude menaçante du gouvernement français,
il sera dangereux d'aller au-delà de ces propositions qui se conforment à
l'esprit du traité de Londres 146 ".
Quant à Rechid Pacha, il insista surtout sur l'application totale du
traité de Londres par Mehmed Ali, condition sans laquelle la Porte ne
saurait reconnaître la sincérité de sa soumission147. Selon lui, la dernière
attitude de Mehmed Ali était loin de faire disparaître les inquiétudes de
la Porte à son égard, car, au lieu de livrer la flotte ottomane et d'évacuer
les territoires demandés, il se bornait à envoyer à Istanbul une lettre et
l'un de ses hommes afin qu'il obtienne, pour lui, la grâce du Sultan.
En effet, en évoquant le refus de Mehmed Ali d'accepter les conditions du traité de Londres, Rechid Pacha voulut convaincre les ambassadeurs d'approuver sa politique et de lui apporter leur soutien, en vue de fai145
Kaynar. Ibid. 349.
Ali Fuat. op. cit. 122. Pour les paroles prononcés par les ambassadeurs de Russie,
d'Autriche et de Prusse qui préconisaient le même point de vue. Voir. Kaynar, ibid. 343
sq.
144
147 Avant la conférence, Lord l'onsonby avait conseillé à Rechid Pacha de ne pas
prendre au sérieux l'obéissance promise par Mehmed Ali. Kaynar ibid. 350.
i20
BAYRAM KODAMAN
re de Mehmed Ali un gouverneur soumis à la Porte comme ceux des autres provinces ottomanes.
Après cette conférence, le Divan (conseil des ministres), réuni pour
examiner le compte rendu présenté par Rechid Pacha sur l'attitude des
Etats alliés148, et pour tracer la nouvelle linge à suivre, décida d'envoyer
Mazlum Bey à Alexandrie avec la mission d'annoncer à Mehmed Ali les
conditions nécessaires à la reconnaissance de sa soumission par le Sultan.
A la suite de cette décision, Rechid Pacha rédigea une note qui devait être remise à Mehmed Ali par Mazlum Bey. Dans le texte de cette note nous voyons Rechid Pacha insister sur la restitution immédiate de la
flotte ottomane et l'évacuation des territoires par Mehmed Ali 149 .
Enfin, Mazlum Bey, accompagné de Yaver Pacha et muni d'une note
et d'instructions, quitta Istanbul150. Le lendemain de son arrivée à Alexandrie, Mehmed Ali lui déclara sa soumission au Sultan et restitua immédiatement la flotte à Yaver Pacha 151 ; il évacua plus tard tous les territoires occupés, sauf l'Egypte. C'est ainsi que la question d'Egypte prit
pratiquement fin au début de 1841.
Mais il y avait pourtant beaucoup de problèmes à régler: l'hérédité,
le tribut et le système administratif de l'Egypte. Le problème de l'hérédité
fut résolu par l'intervention des représentants des quatre Puissances à
Londres qui avaient remis le 31 janvier 1841 à l'ambassadeur ottoman,
Sekip Efendi, une note collective invitant la Sublime Porte à promettre à
Mehmed Ali que ses descendants soient nommés successivement au pachalik d'Egype 152 .
Alors Rechid Pacha réunit, le 12 zilhicce 1256 (le 4 février 1841) les
ambassadeures pour discuter les conditions de l'hérédité,car il trouvait
dangereux de laisser l'Egypte à Mehmed Ali avant de régler, les questions
financières, militaires et administratives de ce pays. Au début de cette réunion 153 il énonça aux ambassadeurs les principales conditions qui sont
les suivantes:
148
Pour ce compte rendu voir Kaynarç Id. 551-55.
149
Pour le texte de cette note cf. Lutfı. VI. 121.
150
Pour l'instruction donnée à Mazlum Bev voir Ali Fuat. 123.
151
Lutfı VI 122.
152
M . Sabri. O p . cit. Passim.
,5Î
Pour les délibérations voir Kaynar. Id. 367-73.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'149
i ) La désignation du successeur de Mehmed Ali par le Sultan;
2) La réduction de l'armée égyptienne;
3) La nomination de tous les officiers supérieurs par la Porte;
4) L'exécution en Egypte des lois, des ordres er des règlements, en vigueur dans tous les territeires ottomans;
5) L'application du Tanzimat;
6) Le prélèvement des impôts par la Porte.
Les ambassadeurs annoncèrent leur accord sur toutes les propositions sauf
l'article six,
Alors Rechid Pacha leur proposa d'accepter l'une des trois propositions suivantes concernant le tribut:
1) Envoyer en Egypte un chargé des finances (receveur général— defterdar) ou un chef de la comptabilité (muhasebeci) pour diriger les
affaires fiscales et financières.
2) Acquitter 1/3 ou 1/4 du revenu annuel de l'Egypte.
3) Fixer le tribut annuel 154 .
Les représentants de Russie, d'Autriche et de prusse approuvèrent
l'idée de fixer le tribut annuel, Lord Ponsonby celle de nommer un receveur.
Content d'obtenir l'approbation des autres articles, Rechid Pacha décida de les faire savoir à Mehmed Ali par un firman, sans préciser le
montant du tribut. Au sujet de cet article il envisageait la possibilité d'un
arrangement bilatéral avec Mehmed Ali; il prévoyait pourtant pour
l'Egypte un tribut de 100 000 ou 80 000 késéj'aktehesI55.
Enfin le Sultan, ayant approuvé le contenu de la note rédigée par
Rechid Pacha envoya son ministre de la justice, Said Muhib Effendi, en
Egypte avec la mission de la remettre au gouverneur d'Egypte 156 .
Mehmed Ali repoussa surtout la réduction de l'armée et le montant
du tribut. Rechid Pacha insista sur l'acceptation des conditions prévues
154
B.A. Sandik no 169. Kaynar, id. 372.
155
Kaynar, id. 380.
15é
Pour le texte de ce firman voir Ali Fuat. Id. 133-135.
BAYRAM KODAMAN
i20
dans le firman. Alors le Prince de Mettemich, qui était intervenu directement à Istanbul pour éviter une nouvelle rupture entre les Etats, réussit
à obtenir du Sultan la révocation de Rechid Pacha et quelques amendements au texte du firman, le 7 safer 1257 (le 31 mars 1841)157. Il faut ajouter, parmi les raisons de la destitution de Rechid Pacha, les intrigues de
ses ennemis personnels qui s'opposaient à lui dans les réformes du Tanzimat et le désir du Sultan d'en finir avec Mehmed Ali 158 .
Rechid Pacha raconte ainsi le motif du renversement de son ministère à Alix Desgranges, fonctionnaire à l'ambassade de France à Istanbul:
"Lord Ponsonby voulait tout changer en Egypte, sa première prétention était d'en chasser le pacha (Mehmed Ali); en second lieu, il se rabattait sur le plan conçu par lui, de placer sous le gouvernement de Mehmed Ali un ministre des finances ne relevant que d'Istanbul.
"La première de ces mesures n'était pas même proposable, j'ai senti
jusqu'où s'étendait la seconde et je l'ai combattue. Je me suis élevé contre
lui à mes risques et périls, car je connaissais le caractère de l'ambassadeur anglais. Pour ne pas le heurter de front je lui dis: Nous ne sommes
pas que vous et moi applés à décider de cette importante question (la question du tribut) ce qui est à faire, c'est de nous réunir aux représentants
des trois Puissances alliées. Le lord s'irrita de ma résistance, il ne rabattit
rien de ses prétentions. Je savais qu'elles étaient contraires aux vues des
autres représentants. Mais préférant voir sa seigneurie aux prises plutôt
avec eux qu'avec moi je les convoquai dans un conseil et je soumis la question au vote de la majorité. La majorité décida suivant men opinion et
Sa Hautesse de qui tout dépendait en dernier rapport décida suivant la
majorité.
"C'est alors que Lord Ponsonbv et Rıza Pacha, le favori du Sérail se
liguèrent ensemble contre moi et mon ministère fut renversé"159.
Enfin conformément aux conseils des quatres Puissances qui avaient
envoyé le 10 mai 1841 à Istanbul une note demandant au Sultan d'alléger
les conditions du firman, la Sublime Porte accorda un autre firman du 24
mai 1841 que Mehmed Ali accepta solennellemet le 40 juin;
Ali Fuat. Rical-i Miihimme-i siyasiyye, Istanbul 1928-9. Pour l'ordre de Sultan
concernant la destitution de Rechid Pacha voir Başvekâlet Arc. h. Dahiliye (intérieure) no
1737. Kaynar, ibid. 386.
157
158
Cevdet Pacha, Tezakir. VI. pp. 9-10.
159
A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et documents. Vol. 44.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'151
1) La nomination du gouverneur d'Egypte par le Sultan parmi les
descendants de Mehmed Ali Pacha.
2) La réduction de l'armée égytienne à 18 000 hommes et la nomination
des officiers jusqu'au grade de colonel par Mehmed Ali.
3) L'interdiction de construire des vaisseaux sans la permission du Sultan.
4) L'application des principes du Tanzimat en Egypte.
5) Le prélèvement des impôts au nom du Sultan et le payement du
tribut annuel de 40 000 000 de piastre.
A ces conditions, l'hérédité était établie en Egypte et la crise prit définitivement fin en 1841 l60 .
160
Mufassal Osmanlı Tarihi. VI. 2974-3975.
LIVRE SECOND
SES Q U A T R I E M E E T
CINQUIEME
AMBASSADES
TROISIEME PARTIE
LE PROBLEME D U
LIBAN
E T
RECHID
PACHA
A — RECHID PACHA ET LA SOLUTION DU PROBLEME LIBANAIS
Malgré la fin de la crise d'Egypte la question d'Orient ne cessa pas
tout à fait de préoccuper la politique internationale, en attendant une nouvelle crise en 1841. Si les Grandes Puissances purent quelque temps détourner leur attention de l'Egypte, elles durent cependant la fixer pendant
plusieurs années sur le Liban qui rendu en même temps que la Syrie
au Sultan par Mehmed Ali Pacha, n'était pas pour cela pacifié. Si le Sultan put se débarrasser à peine de son redoutable vassal, Mehmed Ali, il
vit encore de nouvelles difficultés surgir et des révoltes se produirent dans
ses territoires et troubler l'Empire ottoman.
Comment la Sublime Porte pourrait-elle résoudre ces difficultés et
calmer les régions troublées? Par sa force ou par sa politique intérieure?
Tout était impossible en présence des interventions, des intrigues et des
ingérences des Puissances aux affaires intérieures de l'Empire ottoman. Il
lui restait donc, comme ce fut le cas dans la solution de la crise d'Egypte,
à assurer le soutien des Etats européens et, puis, à résoudre de concert
avec eux le problème que posaient en 1841 les événements du Liban.
C'est dans ce but que la même année, la Sublime Porte alliat entreprendre des démarches diplomatiques dans les capitales européennes.
I) La désignation de Rechid Pacha à Paris :
Comme nous l'avons déjà indiqué dans notre deuxième partie Rechid
Pacha avait été destitué, le 31 mars 1841, du ministère des Affaires Etrangères. Mais devant la recrudescence des événements du Liban qui avaient
donné naissance à de grandes répercussions en Europe, le Sultan sentit la
nécessité d'envoyer en France l'un de ses Pachas ayant déjà connaissance
de la politique du gouvernement français pour empêcher celui-ci, par la
diplomatie, de prendre position contre la Sublime Porte dans le problème
i20
BAYRAM KODAMAN
libanais.Le choix, par le Sultan, du candidat au poste d'ambassade ottomane à Paris tomba une fois de plus sur son ex-ministre des Affaires Etrangères, Rechid Pacha Celui-ci possédait les qualités nécessaires pour un
ambassadeur chargé d'une tâche délicate. D'ailleurs ce choix répondait
aux désirs de certains membres conservateurs du Divan et des ennemis
des réformes qui voulaient éloigner Rechid Pacha d'Istanbul.
Ainsi, la Sublime Porte le désigna, le 16 juillet 1841, pour la quatrième fois, comme ambassadeur ottoman auprès du gouvernement français
et Nedim Efendi, premier secrétaire de l'ambassade1. Cette nomination
fut bien accueille par Pontois, ambassadeur de France à Istanbul, et même à cette occasion, il envoya à Guizot, ministre français des Affaires Etrangères, une lettre dans laquelle il lui expliquait les motifs de cette désignation d'une part et le caractère et la position de Rechid Pacha de
l'autre.
"Rechid Pacha vient en effet d'être nommé ambassadeur à Paris et se
dispose à partir d'ici un mois pour se rendre à son poste. Cette nomination est due principalement au désir (qu'a manifesté le sérail) d'éloigner,
sous un prétexte honorable, un homme qui lui porte ombrage et qu'il
a vainement essayé, dans ces derniers temps.de faire reléguer à Dames;
elle peut aussi tenir à la nécessité d'avoir à Paris un ambassadeur déjà au
courant des affaires de la presse (française), en relation avec quelques uns
de ses organes et capable de s'entendre avec eux. Mais, quelle qu'en soit
la cause, il est certain qu'elle peut-être d'une très grande portée pour
l'avenir de l'Empire ottoman et avoir même une heureuse influence sur
nos propres intérêts.
Rechid Pacha n'a jamais cessé d'être l'ami de la France, le partisan
de ses idées et de ses formes de gouvernement l'admirateur plus sincère
qu'éclairé d'une civilisation à laquelle il a emprunté ses plans de réformes; je pourrais ajouter, à l'honneur de son caractère, qu'il a eu le courage, que peu de Turcs auraient eu à sa place et les circonstances où il se
trouvait de repousser péremptoirement la demande que faisait Lord Ponsonby en termes très impératifs, du renvoi immédiat de tous les Français
au service de la Porte.
Quoi qu'il en soit, du reste Rechid Pacha part pour Paris animé de
disposition et placé dans une situation personnelle qui permettront de ti1
A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol. 41.
MOUSTAPHA RÊCHID PACHA
57
rer grand parti de lui et de se servir de ses qualités comme de ses défauts
pour arriver au but que le gouvernement du Roi pourrait avoir à se proposer. Ce que je sais de son caractère et ce que m'en, a, surtout, appris
Monsieur Cor (drogman de l'ambassade française), qui a été pendant plusieurs années dans les relations les plus intimes avec lui, me donnet lieu
de croire qu'en flattant un peu son excessive vanité, en lui faisant quelques concessions sur les petites choses pour avoir le droit d'être très ferme,
très explicité, très exigeant sur les grandes, on peut tout obtenir de lui.
Votre Excellence (Guizot) en jugera...
Je crois pouvoir affirmer qu'il est, avant tout, préoccupé de l'idée de
se servir de sa nouvelle position et des puissants moyens d'action qu'elle
lui assure, pour faire triompher, par le moyen d'une intervention européenne ou purement française, plus ou moins directement exercée, les réformes in térieures consacrées en principe dans le Hatt-i Cherif de Gülhane..."2.
Les pensées de Pontois sur le caractère et la nouvelle position de
Rechid Pacha étaient-elles tellement vraies? Si nous prenons en considérations de grandes concessions économiques faites en 1838 par lui à l'Angleterre dans le seul but d'obtenir son appui politique contre Mehmed
Ali Pacha et pour la réalisation des réformes intérieures,on peut rejoindre
les vues de l'ambassadeur français. Mais nous ne croyons pas qu'un homme d'état, tel que Rechid Pacha, ait accepté sciemment d'accorder, au
dépend de son pats, de grandes concessions aux Européens. A ceux qui
le lui reprochaient il disait:
"Je ne suis ni français, ni anglais, ni russe, ni autrichien... je suis un
turc rien qu'un turc mais un turc dévoué à son souverain, à son pays, à
sa nation, un turc qui, en acceptant d'être ministre, reconnaît toute l'immensité de son devoir et se propose de l'accomplir sans relâche."3.
Ce qui est certain c'est que Rechid Pacha suivit une politique extérieure à court terme, qui avait répondu d'ailleurs aux difficultés de l'époque,
et qu'il ne put pas prévoir les dangers lointais de cette politique, tels que
l'écroulement de l'économie de l'Empire les dettes publiques (Duyûn-u
Umumiye) les interventions continuelles des puissances au cours de la
2
A.A.E. T U R Q U I E 1841 vol. 283 |>. 175. Corres de Pontois à Guizot le 17 juillet
3
A.A.E. T U R Q U I E Affaires générales 1840-1853; vol. 44 p. 107; no 25.
1841.
i20
BAYRAM KODAMAN
seconde moitié du XIX e siècle dans les affaires intérieures de la Turquie,
en apparence au nom de la civilisation et de l'humanité mais en vérité au
nom de leurs ambitions et de leurs propres intérêts.
De son côté, Rechid Pacha, allant résider à la cour d'un roi libéral et
éclairé, pensait sûrement à obtenir l'appui de la France pour le succès de
ses plans de réformes en Turquie, car il voyait la prospérité et le repos de
son pays d'une part, et la fin des troubles intérieurs d'autre part dans la
mise en application de toutes les réformes qui pourraient être jugées nécessaires. Et même avant son départ, nous le voyons rendre visite, le 17
août 1841 à l'ambassadeur deFrance à Istanbul, pour savoir tout ce que
pensait le gouvernement français de sa politique. Pontois 1' assura de l'appui de la France à sa conduite politique, en termes suivants:
"Le gouvernement du Roi tout disposé à prêter un généreux appui à
tout ce que vous pourrez tenter pour assurer l'indépendance réelle de votre pays, réformer les abus de son administration et améliorer la condition
des Rays, ainsi, que l'exigent impérieusement l'intérêt de l'Empire et les
voeux de l'opinion publique européenné" 4.
Entre temps le Prince de Mettemich, informé de la décision du Sultan d'acréditer Rechid Pacha auprès du gouvernement français, en communiquant à la Sublime Porte son désir de s'entretenir avec Rechid Pacha sur les affaires politiques concernant les deux pays, lui demanda de le
faire passer par Vienne 5.Mais, étant donné que le choix de son itinéraire
lui fut laissé par la Porte Rechid Pacha, préférant la voie de mer à celle
de terre, n'accepta pas l'invitation du Prince de Mettemich 6 .
Au début de septembre, le Grand Vizir, Rauf Pacha, invita Rechid à
son bureau en vue de délibérer sur les instructions qu'il voulait lui donner pour sa mission à Paris7. Quelques jours après ces délibérations, la
Porte lui communiqua la ligne politique qu'il devait suivre à Paris:
1. Favoriser le rappochement politique entre la France et l'Angleterre;
2. Empêcher les activités des associations politiques siégeant à Paris
dont les buts étaient de gagner l'opinion publique europeenne pour l'indépendance des chrétiens soumis à l'empire ottoman8.
4
A.A.E. T U R Q U I E 1841; vol. 283, p. 199, no 45.
5
B.A. Hariciye kısmı no 959 (Kaynar 38H).
6
B.A. Hariciye kısmı no 619 (le 7 septembre 1841 - 20 recep 1257) Kaynar 389.
7
Kaynar 392.
8
Pour le contexte de cette instruction voir. Kaynar 392-393.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'159
Pourtant elle laissait à son ambassadeur une liberté d'action dans ses
démarches auprès du gouvernement français. Cela se voit clairement dans
les phrases suivantes: "En raison de la connaissance profonde et de l'expérience de S.E. Rechid Pacha dans les affaires tant extérieures qu'intérieures de notre empire et surtout dans la politique européenne, il sera inutile de lui donner des instructions très détaillées"9.
Enfin, Rechid Pacha se mit en route, le 8 octobre 1841. trois mois
après sa nomination, pour gagner son poste en passant par Marseille l0 . Il
fut mis, à peu près deux semaines, en quarantaine à Malte d'où il envoya
sa première lettre datée d'octobre (Ramazan 1257); il arriva à Paris le 19
novembre (le 4 sewal) n .
Nous allons donc étudier, dans les pages suivantes, les contacts diplomatiques et politiques pris à Paris par Rechid Pacha sur les événements
du Liban. Mais avant de les aborder il sera utile de rappeler, en résumé,
les origines et les déroulements des événements du Liban.
II) Les origiens du probleme du Liban
a) La structure ethnique et religieuse au
Liban:
Les habitants du Liban, dont la Sublime Porte avait toujours respecté
l'autonomie dans une large mesure depuis la conquête de la Syrie par le
Sultan Selim 1er en 1516, présentent une grande diversité de groupes éthniques; ils se divisent essentiellement entre chrétiens et musulmans; mais
chacune de ces communautés se décompose à son tour en groupes très
particuliers: chez les musulmans, comportant diverses races (arabes, turques,persanes etc.) on rencontre des sunnites, des chiites12 et druses13.
® Kaynar 393.
10
A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol 41. p. 196.
11
Kaynar 394.
Les chiites sont des musulmans qui refusent de reconnaître la légitimité des successeurs de Muhammed. Il prétendent qu'Ali, gendre du prophète et 4 ème Khalife,
a reçu une inverstiture divine. En somme les chiites, partisans d'Ali sont les hétérodoxes de
l'Islam, dont les orthodoxes sont les sunnites.
12
13 Les druses sont aussi les partisans d'une secte hérétique de l'Islam, constituée en
Egypte par Khalife fatimite, Al-Hakim, qui proclama en 1017 que la divinité s'était incarnée en lui. Pour échapper à la persécution et à la repression des autres Khalifes fatimites,
les druses, ayant à leur tête D A R A Z I , l'un des fidèles d'Al-Hakim, émigrèrent en Syrie.
Ensuite ils se regroupèrent dans le massif montagneux du Liban. Ils représentaient la majorité des musulmans dans cette région. Pour Us druses à consulter: M.C. Şehabeddin TEKİNDAĞ. Isl. Ans. III 666-672; du même Tarih dergisi, no 10, 143-156. Sylvestre de Sacy. Exposé de la religion des Druzes. Paris 1837.
i20
BAYRAM KODAMAN
Chez les chrétiens du Liban les maronites sont majoritaires14; Mais on
trouve également auprès d'eux les représentants de nombreux autres rites:
les Grecs orthodoxes, Arméniens, Araméens, etc. Il y avait aussi des juifs.
Malgré cette diversité de la population du Liban deux communautés
étaient, en nombre, dominantes sur les autres. Ce sont des Maronites et
des Druses, races rivales, entre lesquelles l'harmonie avait été maintenue,
tant bien que mal, par la dynastie indigène des Chéhab qui gouverna le
Liban sous la suzeraineté du Sultan jusqu'en 1840.
Pendant la première partie du X I X siècle il n'existait pas encore un
nationalisme, au vrai sens du terme, chez les Maronites et Druses. Ceuxci se considéraient plutôt comme musulmans et chrétiens. Bien qu'ils aient eu l'unité de langue arabe et qu'ils aient vécu côte à côte depuis des
siècles, il manquait l'unité de conception, de pensée et de sentiment. En
raison de l'absence de ces éléments, il existait toujours des contentieux et
des rivalités entre eux.
b) Domination
égyptienne:
Au cours de l'occupation égyptienne entre 1831 et 1840, la politique
suivie par l'Emir Béchir Chéhab et Ibrahim Pacha changea complètement
la structure féodale du Liban et aviva l'antagonisme de race, de religion
et d'intérêt entre les Druses et les Maronites 15 . Bechir Chéhab, en s'appuyant sur Mehmed Ali, abattit toute autorité s'opposant à la sienne, travailla inlassablement à l'affaiblissement des familles druses et combattit
l'emprise de la famille de Canbolat (Joumblat) rivale de celle des Chéhabs. Il profita de l'aide et du soutien des Maronites dans cette politique.
Lorsqu'il vit se dresser sourdement les Druses contre lui, les chefs de
la famille Canbolat et parfois les féodaux maronites, il les fit déposséder
de leur pouvoir; il confisqua leurs biens; il déporta leurs membres influents et exécuta même un certain d'entre eux 16 .
14 Les Maronites, rattachés en 1182 à l'église catholique, sont les fidèles d'un homme religieux, nommé M A R O U N qui avait vécu, au IV ème siècle, dans la région d'Antioche ( actuellement Hatay) ils sont surtout nombreux à Saida, à Dayr-al Kamer, à Chouf; à
Kesrouvan etc.
15 Haluk Olman: 1840-1845 arasında Suriye ve Lübnanın durumu ve milletlerarası
politika; SBFD, 1963, XVIII, 3-4; p. 245.
16 Adel ismail: Les Druses, la question druse au Liban entre 1840-1860. Paris 1956
(thèse dactylographiée), p. 131.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'161
En somme cette politique à la fois partiale et oppressive de l'Emir
Béchir donna naissance au développement et à la recrudescence des haines et des hostilités déjà existantes entre les deux communautés, car les
Druses regardient les Maronites comme les complices de Béchir et par
conséquent les coupables de leurs malheurs 11 .
D'autre part les Druses subissaient les épreuves de la politique d'Ibrahim Pacha qui avait cherché l'appui des Maronites à la domination égyptienne,en abolissant les privilèges des Druses, octroyés jadis par les Ottomans et en déclarant l'égalité entre les religions. Pour montrer la sévérité
des mesures prises par Ibrahim Pacha contre les Druses nous nous bornerons à citer un événement ayant une influence considérable sur les rap
ports druso-maronites.
En 1838 lorsqu'une tentative fut faite pour mobiliser les Druses, ceuxci s'opposèrent à cette mesure »-t répondirent en assassinant les émissaires
d'Ibrahim Pacha. Alors celui-ci donna des armes aux Maronites pour les
combattre. Les Druses virent dans cette mesure une politique préméditée
du Pacha et de l'Emir Béchir, n'ayant pour but que leur affaiblissement.
A partir de cet incident la tension prit une dimension plus large et s'aggravant de plus en plus les deux antagonistes.
m) La situation au liban (après Mehmed Ali Pacha).
Bien que l'autorité du sultan ait été rétablie de nouveau en 1840 au
Liban et que El Kasim ait été nommé, le 3 septembre 1840, Emir en
remplacement de Béchab, de nouvelles difficultés ne tardèrent pas à s'élever dans cette partie déjà troublée de l'Empire ottoman. Il importe ici de
savoir de quelle question découlaient précisément ces difficultés après la
domination égyptienne qui avait bien changé la structure politique et adminsitrative de la Montagne.La question se posait comme suit: comment
la Montagne (Cebel) serait-elle gouvernée? La Sublime Porte, les Druses,
les Maronites et les publissance intéressées cherchaient une réponse favorable à leurs intérêts.
une fois débarrassée de son vassal, décida de réorganiser l'administration de cette région en même temps que celle des autres
provinces, selon les dispositions du Hatt-i Hümâyûn de Gülhane. Pour
faire cela il lui fallait tout d'abord, après l'épreuve de Mehmed Ali, renLa Sublime
Porte,
17 M. Tayyib G Ö K B İ L G İ N :
1840 dan 1860 a kadar Cebel-i Lübnan meselesi ve
Dürziler in B E L L E T E N ; t. X no 40(1946) p. 641.
i20
BAYRAM KODAMAN
forcer le pouvoir central d'Istanbul, détruire par tous les moyens possibles
l'autonomie de la Montagne et rétablir l'ordre public en mettant fin à
l'anarchie18.
La première tentative de la Sublime Porte dans ce sens fut, comme
nous l'avons déjà indiqué, la révocation de Béchir Chéhab dont l'autroité
et l'influence étaient incontestables, et l'investiture de Béchir El Kasim à
l'émirat, qui était le plus incapable et le moins populaire de tous les
membres de la famille Chéhab. Dans le firman d'investiture adressé à El
Kasim, le Sultan Abdûlmecid manifesta d'ailleurs ses droits souverains sur
la Montagne et sa tutelle sur l'Emir lui-même:
"Vous, (Emir) Prince, dit-il dans ledit firman, vous avez prouvé votre
obéissance et vous savez ce que vous devez comme notre sujet. Aussi notre Sublime Porte est-elle sûre que si vous êtes nommé Prince des Druses
vous donnerez de nouvelles preuves de soumission à nos ordres et un nouvel essor à la fidélité, à la loyauté et aux zèles qui sont innés en vous"
Pour l'application de sa nouvelle politique au Liban, la Sublime Porte changea le Muchir de Saida, Mehmed Selim Pacha, dont le siège fut
transféré à Beyrouth, de collaborer avec El Kasim et de l'aider dans ses
fonctions, Selim Pacha forma un conseil mixte des chefs des communautés pour conseiller El Kasim et en même temps pour faciliter les réformes
du Tanzimat dans la Montagne. Le premier acte de Selim Pacha fut en
effet, à la demande de ce conseil, d'obtenir, le 21 cemaziyel-ahir 1257 (10
août 1841) de la Sublime Porte la réduction à 3500 bourses (kise) de l'impôt prélevé au Liban (les Egyptiens avaient élevé l'impôt de la Montagne
de 2650 à 6500 bourses.)20 Pourtant toutes les mesures et les efforts de
Selim Pacha destinés à assurer l'autorité d'Istanbul et à empêcher de nouveaux troubles etaient loin de satisfaire les chefs druses et maronites.
Les Druses, surtout leurs chefs rentrés d'exil, qui avaient manifesté,
dès le début, leur mécontentement de la nomination d'El Kasim, chrétien, et même de son administration, s'efforçaient d'obtenir leurs anciens
privilèges abolis par les Egyptiens, c'est-à-dire le rétablissement de leur
18
Tayyib G Ö K B İ L G İ N : op. cit; p. 641.
Baron de Testa: recueil des traités de la porte avec les puissances étrangères. Paris
1864-1896; t. III, p. 83. Pour le texte original de ce Urrman voir: Lutfi Tarihi: VIII, p. 464466; daté recep. 1256.
19
20
Lutfi Tarihi: VIII p. 45; note d'Abdurrahman Şeref (Cebel-i Lübnan Meselesi).
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'163
autorité, leurs attributions féodales et la possession de leurs terres confisquées par Béchir Chéhab et Ibrahim Pacha. En outre ils voulaient se venger des Maronites et des Chéhabs qu'ils jugeaient coupables de leur affaiblissement. Dans cet état d'esprit, les chefs druses, appuyés secrètement
par le Muchir de Saîda à qui ils avaient demandé de nommer un Emir
parmi eux-mêmes, se liguèrent en silence contre les Maronites et contre
Emir El Kasim en tête, en attendant le moment propice pour les attaquer 21 .
Quant aux Maronites soutenus et encouragés par la France, ils se montraient résolus à défendre les intérêts et privilèges qu'ils avaient obtenus
pendant la domination égyptienne. De plus, ils attendaient une compensation de la part de la Sublime Porte en raison de l'aide et des services
qu'ils lui avaient rendus en 1840, au cours des dernières opérations militaires contre Ibrahim Pacha. Selon eux, la conservation de leur situation
actuelle parlstanbul répondait à leurs désirs d'être récompensés de ces
services rendus22. D'autre part, les Maronites aussi, en comptant toujours
sur les Européens, n'évitaient pas de prendre position contre les Druses.
Surtout la politique fanatique et excessive du patriarche maronite canduisait le Liban dans une voie dangereuse.
La France et l'Angleterre23: en réalité, la lutte d'intérêt et d'influence
entre ces deux états rivaux dans la politique méditerranéenne fut l'une
des causes essentielles des événements du Liban en 1841. Les gouvernements anglais et français qui n'avaient qu'un but, accroître leur influence
et avoir des avantages économiques au Levant, s'attachèrent à formenter
des troubles au Liban. Ils exploitèrent les différences de race, les divergences de religion, ils incitèrent les communautés antagonistes l'une contre
l'autre24. Pour rélaiser leurs visées, France soutint et encouragea les Maronites dans leurs prétentions, et l'Angleterre les Druses.
En somme, à cause de la fabilesse de la Porte, de l'incapacité du gouvernement de l'Emir El Kasim et des ingérences des puissances, la tension entre les Druses et les Maronites continuait d'aggraver la situation et
d'accélérer la marche vers heurts sanglants dans la Montagne.
21
G Ö K B İ L G İ N : op. cit., 643.
22
Lutfı Tarihi: VIII, p. 44 (note d'Abdurrahman Seref).
Pour la politique des Etiits, voir: Haluk Ülman, l'article cité, p. 243-268; du même
1860-1861: Suriye buhrani; Ankara ig66.
23
24
De la Jonquière: Hist. de l'Emp. ottoman. Paris 1897, 493.
i20
BAYRAM KODAMAN
Enfin, le 14 octobre 1841 (le 27 saban 1257) un complot contre
l'Emir El Kasim, minutieusement organisé par les chefs druses, éclata à
Dayr al Kamer au moment où ces derniers y arrivaient, sur la convocation de l'Emir, en vue de discuter de leurs difficultés25. Les Druses attaquèrent la résidence de l'Emir et l'enlevèrent; ils mirent à sac les maisons
des Maronites; ils pillèrent la ville. Au cours de cet incident il y eut plusieurs morts et bléssés26. Ce complot eut de graves conséquences sur les
relations entre les Druses et les Maronites qui soutenaient le gouvernement d'El Kasim.
Devant la gravité des événements Mehmed Selim Pacha s'empressa
d'envoyer deux émissaires à Dayr al Kamer pour concilier les partis hostiles; et d'adresser des lettres de menace aux druses pour les inciter à cesser les hostilités; il prit des nesures militaires dans les autres villes druses
pour empêcher l'extention des événements27.
Malgré une trêve provisoire entre les communautés, établie à la suite
des efforts déployés par les pachas turcs, sévissait encore au Liban le désordre, l'incertitude et l'insécurité. D'autre part les répercussions de ces
massacres et de ces dévastations se répandirent bientôt dans les capitales
européennes. Surtout à Paris, où l'ambassadeur ottoman Rechid Pacha
était à peine arrivé, de vives réactions se produisirent contre la politique
ottomane et les Druses.
Nous allons étudier maintenant l'attitude du gouvernement français
à l'égard des événements et les efforts de Rechid Pacha, en suivant l'évolution de la situation dans la Montagne.
IV) Les relations diplomatique» de Rechid Pacha avec le gouvernement français (1841 - 1842)
Lors des événements d'octobre 1841, les Maronites catholiques s'étaient tournés exclusivement vers la France où ils cherchaient, avec raison,
aide, conseil et appui contre les Druses soutenus par l'Angleterre, encouragés par la Porte dans leurs revendications28, car les relations entre la
France et les Maronites n'étaient pas de fraîche date: elles remontaient au
25
Adel ismail: op. cit. p. 245.
26
G Ö K B İ L G İ N : in Belleten p. 644.
21
Ibid. p. 644.
28
Pour les relations druso-anglaises voir: Haluk Ulmen; article cité, pages 252-253.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'65
temps des Croisades. De son côté le gouvernement français - conscient du
prestige que la France retirait en Orient de sa situation de puissance protectrice des catholiques qu'elle détenait depuis le XVI e siècle à s'empressa
de saisir cette occasion pour y rétablir et consolider l'influence française
combattue en 1840 par l'Angleterre et pour préserver les Maronites
et,dans la mesure du possible, les autres communautés du Liban, des influences anglaise, russe et autrichienne. Ainsi la France, en tant que puissance déclarée des catholiques en Orient, allait enteprendre des démarches auprès de la Porte en faveur de ses protégés chrétiens.
Quant à Rechid Pacha, en raison de son départ d'Istanbul avant le
début des incidents entre les grandes communautés libanaises, il ne possédait pas d'instructions précises à ce sujet et même il n'était pas tellement au courant de ce qui se passait au Liban, ni de la dernière attitude
de son gouvernement à l'égard de ces conflits communautaires. Cela rendit difficile les démarches de Rechis Pacha auprès du gouvernement français pendant la première semaine de son ambassade.
Bien que la France ait agi immédiatement et avec fermeté pendant le
déroulement des événements, elle adopta une politique conciliante et conseilla à son consul à Beyrouth" d'apaiser les esprits, de jouer le rôle de
médiateur, de tranquilliser, autant que possible, le pays et garder de bonnes relations avec les gouverneurs ottomans en Syrie tout en soutenant—la
cause des populations catholiques du pays"29.
Pourquoi cette politique? Parce que la France ne voulait pas, cette fois, attirer l'attention des autres puissances sur elle-même et créer de nouvelles complications politiques entre les états, en suivant une politique
semblable à celle qui lui avait coûté cher à la fin de la crise d'Egypte, et
qu'elle désirait jouer le rôle de médiatrice en faveur des Moronites, compte tenu ses intérêts politiques et économiques.
Nous voyons également le gouvernement français suivre une politique
modéré à l'égard de l'Empire ottoman. En effet, au cours des heurts druso-maronites qui alarmaient l'opinion publique française, le Ministre des
Affaires Etrangères, Guizot, se rendant le 25 novembre 1841 (le 10 sewal
1257) à l'ambassade ottomane, se contenta de faire part à Rechid Pacha
de l'émotion et de l'inquiétude de la France devant les massacres entre
29 Les instructions du gouvernement français à Bourré
le 28 octobre 1841 (cité par
Adel ismail page 284).
i20
BAYRAM KODAMAN
les deux communautés et de demander à la Sublime Porte de rétablir
une administration équitable pour la population et d'effectuer certaines
réformes rendues nécessaires afin de calmer la Montagne30. Pourtant, il
laissa entendre que les événements du Liban s'étaient fait jour à la suite
du mauvais système administratif qu'y appliquait la Sublime Porte.
Bien que Rechid Pacha ait approuvé les propos de Guizot prévoyant
la réalisation de certaines réformes au Liban, il refusa l'idee selon laquelle
la Porte serait responsable de ces derniers conflits, en déclarant que de
tels événements s'y produisaient souvent du fait de l'antagonisme de race
et de religion entre la population divisée en deux camps. A propos de la
politique suivie par la Porte, Rechid Pacha ne put ni donner des assurances, ni calmer les esprits du gouvernement français, car il n'avait pas reçu,
à ce sujet, d'instructions d'Istanbul. Pourtant il annonça que son gouvernement ferait de son mieux pour rétablir le calme dans cette partie de
l'Empire ottoman31.
Entre temps la Sublime Porte, pressée par l'Angleterre et l'Autriche
et en même temps peu désireuse d'une intervention étrangère, avait envoyé au Liban en mission extraordinaire un de ses grands officiers, le serasker Mustafa Nuri Pacha, pour mettre fin, par des mesures énergiques,
aux troubles provoquant des plaintes en Europe contre l'administration
ottomane32. A son arrivée à Beyrouth, Mustafa Nuri Pacha réunit les
chefs druses et maronites en vue de connaître leurs demandes et leurs
prétentions. Après avoir écouté les deux partis il constata que les deux
communautés, surtout les Druses, n'étaient pas contents de l'administration d'El Kasim 33 . La dessus, il proclama, le 16 janvier 1842, devant les
chefs libanais, la destitution d'El Kasim et ensuite nomma Ümer Pacha 34 ,
émir du Liban (Cebel-Montagne).
La révocation de Kasim par Nuri Pacha fut un succès pour la politique ottomane dont le but était de mettre fin aux privilèges de la Montagne et de l'amener à une subordination plus vraie à Istanbul, en tirant
partie de l'état actuel du pays. Mais cette attitude des autorités turques
30
Corresp. de Rechid Pacharle 10 sewal 1257; cité par K A Y N A R , p. 408.
31
Corresp de Rechid pacha, in Kaynar, p. 409
32
Lutfı Tarihi: VIII, p. 45 (note d'Abdurrahman Seref).
33
Haluk U L M A N : article cité, p.255.
A noter qu'Orner Pacha n'était pas d'origine turque, c'était un hungrois (macar)
converti à l'Islam.
34
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'167
ne tarda pas à provoquer le mécontentement des puissances qui voyaient
là une atteinte portée à l'ancien statut du Liban ainsi qu'aux privilèges de
la population chrétienne. Ce fut le gouvernement français qui réagit le
premier pour emp cher la Sublime Porte de détruire l'autorité de la famille Chéhab dans ce pays.
Au mois de février, Guizot protesta énergiquement auprès de l'ambassade ottomane à Paris contre la nomination de Macar Ömer Pacha au
Liban. Et même au cours d'un entretien qu'il eut avec Rechid Pacha, il
accusa la Sublime Porte d'avoir pris des mesures dures contre les Maronites, telles que le licenciement des membres de la famille Chéhab de leurs
fonctions ainsi que le renvoi des chrétiens de l'administration du pays35.
D'autre part il préconisa le retour au Liban de Béchir Chéhab, ancien
émir.
De son côté, Rechid Pacha, tout en restant dans la politique de son
gouvernement, expliqua dans les termes suivants au Ministre français les
circonstances de la nomination d'Orner Pacha comme émir du Liban:
ayant constaté l'insuffisance de l'autorité d'El Kasim pour calmer et gouverner le pays d'une part, et le mécontentement de la population de son
gouvernement après les consultations faites au Liban par le serasker Mustafa Nuri Pacha auprès des chefs druses et maroites d'autre part, la Sublime Porte, en accord avec ces derniers, destitua El Kasim et le remplaça
par Ömer Pacha36. Et puis l'ambassadeur ottoman déclara que par cette
mesure la Porte pourrait mettre fin à l'anarchie qui sévissait depuis longtemps dans la Montagne.
De leur côté les gouvernements anglais et autrichiens intervinrent aussi et firent pression sur la Porte pour obtenir le rappeş d'ömer Pacha et
la nomination d'un membre de la famille Chéhab. Toutefois la Porte neiusa le retour de Chéhab que suggérait la France37.
Devant les démarches trop pressantes des Puissances, la Sublime Porte, en vue de gagner du temps, envoya en avril 1842 à Beyrouth Selim
Bey avec la mission d'examiner, de concert avec Nuri Pacha, les faits que
lui signalaient les ambassadeurs étrangers à Istanbul, de faire une enquête
sur place en vue de savoir si la population libanaise approuvait et soute35
36
37
Corresp. de Rechid: in Kaynar p. 410 (le 25 muharrem 1258).
Ibid. p. 410.
J. Pierre Alem Le Liban (Que sais-je). Paris 1968. 57.
i20
BAYRAM KODAMAN
nait le gouvernement d'Ömer Pacha et ensuite de préparer un rapport
circonstancié sur la situation38.
En même temps, la Porte en instruisant Rechid Pacha de ses dernières résolutions concernant le problème du Liban, lui concernant le problème du Liban, lui conseilla de faire valoir son attitude conciliante et de
démontrer au gouvernement français sa volonté de mettre fin à l'anarchie
dans la Montagne dans le plus bref délai. Par la suite nous voyons Rechid Pacha tenir à mi-avril, des conversations successives avec Louis Philippe et Guizot eu vue d'amener le gouvernement français à adopter une politique moins rigide39.
En effet, au cours de ces entretiens il insista d'avantage sur les efforts
et les activités de Nuri Pacha destinées à concilier les deux communautés
rivales et sur la mission de Selim Bey, afin de montrer au gouvernement
français l'importance que la Porte attachait au problème libanais;il leur
annonça d'autre part que la Sublime Porte éviterait d'entrer en discussion
avec les Puissances avant que Selim Bey n'ait rempli son mandat. On voit
clairement que Rechid Pacha demandait d'une manière implicite à la
France de ne pas entraver les efforts de son gouvernement destinés à trouver une solution immédiate.
Dès les premiers jours de son arrivée à Beyrouth Selim Bey constata
que les Druses et les Maronites étaient contents de l'administration actuelle, de la politique d'Ömer Pacha et qu'ils ne désiraient plus voir le retour de Chéhab dans la Montegne 40 Aussi vit-il certains chefs influents venir exprimer à Nuri Pacha leur satisfaction de la situation et lui annoncer
que le retour de Chéhab provoquerait de nouveaux troubles et mettrait
en cause la détente entre les deux communautés; il obtint d'autre part de
la population l'envoi de pétitions au Sultan en faveur d'Ömer Pacha.
A l'appui des observations de Selim Bey et des pétitions envoyées par
la population la Porte se montra résolue à défendre sa politique et à réfuter les prétentions de ceux qui se ralliaient au point de vue du gouvernement français, partisan du rétablissement du pouvoir de Chéhab.A cette
fin elle ordonna à Rechid Pacha de mettre au courant le gouvernement
fiançais des premiers résultats de la mission de Selim Bey et du calme revenu dans la région.
38
G Ö K B İ L G İ N . article cité. p. 653.
39
Corres. de Rechid. In Kaynar, p. 420 421. (6 et 25 Rebiûlewel 1258).
40
G Ö K B İ L G İ N . article cité. 653.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'69
Au début de juin 1842 Rechid Pacha, accompagné d'Ali Pacha, ambassadeur à Londres, s'entretint une fois de plus avec le roi Louis Philippe. Pendant cet entretien, l'ambassadeur ottoman, en informant le Roi
"du contentement général chez les Druses, chez les Maronites, d'Ömer
Pacha et également de leur insatisfaction à l'idée de réinstallation de l'autorité de la famille Chéhab", lui annonça le désir de la Sublime Porte de
voir la France d'une part bien accueillir cet état de chose et d'autre part
éviter d'insister en faveur des Chéhabs et d'élever de nouvelles objections
contre l'administration d'Ömer Pacha grâce à laquelle le calme et la paix
régnaient au Liban 41 .
Quoique Louis Philippe n'ait pas élevé d'objections contre tout ce
que venait de lui communiquer Rechid Pacha, il se garda de donner son
approbation au gouvernemenı d'Ömer Pacha, en attirant l'attention de
l'ambassadeur ottoman sur les contradictions entre les affirmations de la
Porte et celles des consuls étrangers à Beyrouth.
Quelques jours plus tard, Rechid Pacha se rendit au ministrère des
Affaires Etrangères pour remettre à Guizot un exemplaire des pétitions
envoyées à Istanbul par les communautés à la louange de l'administration
d'Orner Pacha, donner une idée du contenu de ces pétitions nous allons
en reproduire ici un extrait:
"...Reconnaissant l'autorité du tout Ömer Pacha, nommé et désigné
par la Sublime Porte comme gouverneur, nous avions, tous d'un commun
accord, émirs, cheikhs, grands de la Montagne, Druses et chrétiens, rédigé cette requête portant que de notre plein gré et sans y être forcés, nous
reconnaissions avec empressement et obissance l'autorité du Pacha, et que
nous ne consentirions jamais à la promotion de l'un des Chéhabs-Zadé
comme gouverneur..." Si présentement, et dans de muavaises intentions,
quelques personnes de la part des Puissances, ou tout autre individu,
avançaient que cette requête et cette supplique nous ont été arrachées par
la force et la contrainte, ce serait des moyens de troubles mis en oeuvre
par les agitateurs pour augmenter les désordres, et on ne doit y accorder
aucune foi, ni aucune considération. Nous pas besoin d'affirmer que nous
avons signé ces requêtes, spontanément et de notre plein gré, et qu'en vérité nous reconnaissons que la prospérité et le bonheur de notre pays peuvent exister seulement sous l'autorité d'un gouverneur nommé par la
Sublime Porte etc."42.
41
Corres. de Rechid le 27 rebiiilahir 1258 (le 7 jüin 1842) in Kaynar, p. 422.
42
Cité par Adel İsmail, op. cit. p. 326.
i20
BAYRAM KODAMAN
A cette occasion, Rechid Pacha fit part à Guizot de l'apaisement de
la tension, du calme, de l'ordre et la satisfaction dans la Montagne, confirmés par les rapports de Selim Bey et par les chefs des deux communautés, eux-mêmes, qui avaient manifesté par les actes officiels, leur opposition au retour éventuel des Chéhabs. Mais Guizot, en déclarant qu'il
importait de savoir si les Pachas turcs avaient recouru à la force pour obtenir ces pétitions en faveur d'Ömer Pacha et si les observations de Selim
Bey étaient justes et impartiales, indiqua ouvertement que le gouvernement français, désireux du rétablissement de la paix, accueillerait favorablement les prétentions et les explications de la Porte si les ambassadeurs
dès Puissances à Istanbul les rapports de leurs consuls à Beyrouth les
confirmaient43. Bien que le gouvernement français se refusât à préciser
dès maintenant sa conduite politique et son point de vue sur les allégations ottomanes il donna satisfaction à la Porte en évitant d'insister sur le
retour des Chéhabs au pouvoir. A ce sujet Pacha écrivait le 28 Rebiülahir
1258 (le 8 juin 1842):
"D'après les paroles du ministre (Guizot)... on comprend que le gouvernement français ne s'obstinera pas à réclamer le retour des Chéhab
pourvu que la paix et le calme soient rétablis dans le Djeble Drusé a44 .En
vérité, la France ne renonçait ni à préconiser le plan du retour des Chéhabs pour arriver à une solution ni à combattre, en toute occasion, l'administration ottomane qui avait détruit le statut ancien de la Montagne.
Au mois de juin 1842, devant les spéculations répandues en Europe
sur la situation au Liban et sur les pétitions, la Porte ordonna à Selim
Bey de Faire un voyage d'études à travers la Montagne pour sonder de
près les intentions des communautés. Lorsque la mission de Selim Bey,
qui développa cette fois abondamment l'importance des pétitions pour la
cause de la paix et pour l'avenir du pays, prit fin et que les pétitions furent prêtes à prendre la route d'Istanbul, le serasker Mustafa Nuri Pacha
invita les consuls étrangers à prendre connaissance du rapport final de Selim Bey commissaire impérial. Les consuls n'attachèrent pas foi au rapport de ce dernier qui affirmait que la situation était satisfaisante et que
la nomination d'un druse ou d'un marobite était impossible; ils accusèrent les autorités turques d'avoir contraint la population à se prononcer
en faveur d'Ömer Pacha. Quoique Selim Bey ait réfuté leurs prétentions
43
Corres. de Rechid le 28 rebiülahir 1258. in Kaynar. 423.
44
Ibid. p. 424.
MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A <85
par des arguments bien fondés il était très difficile, pour les consuls,
d'approuver ce rapport, après tant d'intrigues,et d'avouer le contraire des
instructions qu'ils avaient envoyées jusqu'alors à leurs gouvernements45.
A Istanbul, les ambassadeurs des Puissances manifestèrent leur opposition à la teneur du rapport de Selim Bey. Le Baron de Bourqueney,
ambassadeur de France, envoya le drogman de l'ambassade, Cor, informer le ministre ottoman des Affaires Etrangères, Sarim Efendi, du point
de vue des Puissances sur les pétitions et le dernier compte rendu du
commissaire impérial: "Ne me parlez pas d'Europe, lui répondit alors Sarim Efendi, nous en sommes ennuyés; si nous ne sommes pas des hommes d'Etat comme il y en a en Europe, nous ne sommes pas fous. L'Empire ottoman est une maison dont le propriétaire veut rester tranquille
chez lui; il est intéressé à ce que ses voisins n'aient pas à se plaindre de
lui; s'il devenait fou ou ivrogne, s'il se conduisait de manière à allumer
un incendie qui menacerait le voisinage, alors il faudrait mettre de l'ordre
chez lui, jusque là n'est-il pas exorbitant que vous me demandiez si la
Porte a droit ou n'a pas droit
" 46 .
Malgré le désir de la Porte de donner une solution au problème libanais sans ingérence et intervention extérieure, les Puissances continuèrent
à exercer leur pression à Istanbul en vue de faire accepter au gouvernement du Sultan un règlement favorable aux Maronites et en même temps
à leurs propres intérêts.
Au moment où les discussions se déroulaient à Istanbul entre les représentants étrangers et le gouvemenement ottoman, Rechid Paca intensifia
ses démarches auprès du gouvernement français en vue de faire valoir le
point de vue de la Porte et de le persuader par ses exlications, de la nécessité de manitenir l'administration d'ömer Pacha dans la Montagne,
pour prévenir la reprise des hostilités entre les Druses et Maronites.
Au cours des entretiens qu'il eut toujours avec le Roi et Desages directeur aux Affaires politiques, à la fin de juin et avec Guizot au début de
juillet, Rechid Pacha insista, comme auparavant sur les mêmes points47:
45
G Ö K B İ L G İ N . Article cité, in KELLETEN. No. 40. p. 655—656.
« G U I Z O T . Mémoires... T . VI. p. 251.
47 Pour tous ces entretiens voir
les correspondances de Rechid pacha, le 18 Cernaziyülevvel 1258 (le 27 juin 1842) et le 28 Cemaziyiilewel 1258 (Le 7 juillet 1842) publiées
par Kaynar, p. 424-428.
i20
BAYRAM KODAMAN
1) L'existence d'une paix durable dans la Montagne grâce à l'administration des Pachas Turcs.
2) L'exactitude des pétitions de la population et du rapport de Selim
Bey.
3) Les dangers qui pourraient se produire en cas de retour de l'autorité des Chéhabs.
4) Les ingérences des Puissances aux affaires intérieures de l'Empire
ottoman.
5) Les activités subversives des consuls, résidant à Beyrouth, contre
l'administration ottomane.
D'autre part il accusa le gouvernement fiançais de ne pas respecter
l'intégrité et l'indépendance de l'Empire, en intervenant en faveur de la
famille Chéhab; il qualifia également l'attitude fïançaise d'inamicale envers la Porte dans une affaire exclusivement intérieure de son empire.
Guizot repoussa les arguments, les allégations et les accusations de
Rechid Pacha, en déclarant que l'intervention des Puissances avait pour
but de régler le statut du Liban et de pacifier le pays et que les Puissances, désireuses de conserver l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman, se sentaient obligées d'empêcher les troubles et les agitations menaçant l'Empire ottoman et la paix européenne. Selon lui c'était la Sublime
Porte qui, n'ayant pas respecté les anciens privilèges de la Montagne, avait causé les troubles et par conséquent avait donné l'occasion à l'intervention étrangère dans ses affaires intérieures.
Sur ces entrefaites, le Prince Mettemich mit en avant une nouvelle
proposition dont Rechid Pacha avait informé la Porte: à savoir, si celle-ci
refusait absolument de rétablir dans la Montagne,l'ancienne administration chrétienne, du moins qu'Orner Pacha fût retiré, et que les deux populations, Maronites et Druses, fussent gouvernés chacune par un chef de sa
race et de sa religion, l'un et l'autre soumis au gouverneur général désigné par la Porte pour la conservation de la souveraineté ottomane dans
cette région. Cette proposition de Mettemich fut bien accueillie par les
autres Puissances48. Et même, l'ambassadeur de France, le Baron de Bourqueney communiqua, le 28 août 1842, à la Porte que les représentants
48
Guizot. Mémoires... T . VI. p. 252.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'73
des cinq Puissances étaient sur le point de lui envoyer une note officielle
dans le même sens pour la solution du problème49.
Au début de septembre, les propositions des Puissances furent communiquées, par leurs ambassadeurs, à la Porte. Alors le ministre ottoman
des Affaires Etrangères, Sarim Edendi, invita, le ıo Saban 1258 — le 16
septembre 1842 les plénipotentiaires dans sa résidence de campagne
(Konak) pour une conférence à laquelle assistèrent aussi Halil Rifat Pacha
président de la Haute Cour de justice, Tahir Pacha, grand amiral et le
Muchir Riza Pacha. Lors de cette conférence, qui dura sept heures sans
interruption, Sarim Efendi défendit énergiquement la position de Selim
Bey contre les intrigues des consuls à Beyrouth qui tentaient,dit-il, d'entraver par tous les moyes le succès de l'enquête du commissaire impérial
et défendit aussi l'exactitude des pétitions.
Les ambassadeurs accusèrent le commissaire de la Porte d'avoir recour à la corruption, à la violence et à la fraude dans l'élaboration de ces
pétitions. Les représentants ottomans affirmèrent à leur tour que, si l'une
des parties en cause avait effectivement recouru à de tels moyens, c'était,
sans conteste, celle des partisans des Chéhabs et du patriarche maronite
qui avaient fait fabriquer de faux cachets, tandis que Selim Bey n'avait
consulté que la voix de la population50.
En fin de compte Sarim Efendi repoussa la nouvelle proposition des
Puissances prévoyant la nomination de deux émirs, chacun par sa communauté. Par contre il leur offrit de placer les Maronites et les Druses sous l'autre mais choisis par Esad Pacha, nommé au mois d'octobre, gouverneur général de Saîda; il proposa aussi l'idée de désigner deux Beys,
qui pourraient être choisis par leur communauté, auprès d'Esad Pacha
pour faciliter la communication avec les Kaîmakams et de créer des fonctionnaires dans les villages et les bourgs, dépendant de l'autorité des Kaîmakams 51 . Les plénipotentiaires des Puissances refusèrent unanimement
ces propositions ottomanes et persistèrent dans la leur.
Devant l'attitude des ambassadeurs, le Divan, réuni quelques jours
après la conférence, décida de révoquer Ömer Pacha, conformément à le-
49
G Ö K B İ L G İ N . op. cit. p. 657.
Pour le Compte rendu complet de cette conférence, voir: Kaynar. 433-445 (Basvekélet Arch. Cebel-i Lübnan, le 20 saban 1258).
50
51
Ibid.
BAYRAM KODAMAN
"74
urs demandes répétées et d'ordonner à Esad Muhlis Pacha de nommer,
à son choix, deux Kaîmakams l'un pour les Druses et l'autre pour les
Maronites52. Cette décision fut communiquée immédiatement aux représentants étrangers. La révocation d'Orner Pacha fut bien acceuillie, mais
la nomination des Kaîmakams par Esad Pacha repoussée par la France et
l'Angleterre53.
Entre temps de nouveaux troubles éclatèrent dans la Montagne. La
France et l'Angleterre envoyèrent leurs flottes au large du Liban pour intimider la Porte et pour donner de l'efficacité à leurs demandes auprès
d'elle.
Alors la Sublime Porte inquiète surtout de l'attitude intransigeante de
la France qui s'intéressait de plus près que les autres Puissances au sort
des chrétiens du Liban, envoya des instructions à Rechid Pacha pour
qu'il demandât au gouvernement français des exlications sur l'intention et
la mission de sa flotte en Méditerranée orientale. En attendant elle s'abstint de toute discussion avec les ambassadeurs pour ne pas irriter davantage les puissances.
En fait, Rechid Pacha, ayant pour mission de sonder les intentions
du gouvernement français, fit des démarches auprès des Affaires Etrangères. Et il obtint de Desages un entretien sur la mission de la flotte Au cours de cet entretien il exprima les inquiétudes de la Porte à l'apparition
des bâtiments français sur les côtes de Syrie car leur présence, sans aucune raison importante, pourrait encourager ceux qui avaient de mauavaises
intentions et qui voulaient troubler l'ordre actuel et déclencher les hostilités dans la Montagne, "il faut dit-il, que les Puissances amies n'approuvent pas une telle éventualité dangereuse54". Desages, pour dissiper les inquiétudes des autorités turques, annonça qu'il n'était pas question pour la
flotte française ni pour celle d'Angleterre, d'encourager la population
chrétienne, mais bien au contraire d'empêcher des révoltes de cette population souffrante et désespérée, en lui donnant, par leur présence l'espoir
pour son sort ainsi que son avenir. Il assura Rechid Pacha que les Puissances partisantes d'une solution pacifique, n'envisageaient pas, pour le
moment, d'intervenir militairement55. Pourtant il n'exclut pas du tout la
52
ibid. p. 445.
53
Pour les notes des ambassadeurs remises à la Porte à consulter Kaynar p. 450-
124 Pour la crise de 1860-1861 voir H.ULMAN. 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara
54
Corres. de Rechid Pacha. Saban 1258. Kaynar. 431.
55
Ibid.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'75
possibilité d'une menace et d'une intervention par d'autres moyens, jugés
nécessaires et plus efficaces que les moyens militaires, en cas d'opposition
de la Porte aux propositions et aux conseils des cinq Puissances européennes.
Au début d'octobre Rechid Pacha eut également une entrevue avec
Guizot à propos du nouveau système que la Porte voulait donner au Liban. Mais il se heurta plus que jamais à l'opposition du ministre français,
quant à la politique de la Porte. Guizot lui annonça en termes décisifs
que la France, bien que satisfaite de la décision du gouvernement ottoman de destituer Ömer Pacha et de retier les soldats albanais, ne saurait
jamais être d'accord avec la Sublime Porte et qu'elle insisterait résolument
sur son point de vue jusqu'à ce que deux Kaîmakams fussent désignés,
l'un choisi par les Druses, l'autre par les Maronites, dans la Montagne.
Devant l'obstination du gouvernement français, Rechid Pacha communiqua à la Porte dans sa lettre du 18 octobre 1842 qu'il était impossible de
convaincre la France de l'opportunité du point de vue ottoman56. En fait
ni cette entrevue ni d'autres pourparlers qu'avait eus l'ambassadeur ottoman à la fin du mois de novembre avec le Roi, Guizot et Desages ne
changèrent rien et ne produisirent d'effet sur la politique qu'avait adoptée
le gouvernement français à l'égard du problème du Liban.
A chaque occasion, la France n'omettait pas de manifester sa volonté
de soutenir jusqu'au bout la cause des chrétiens du Liban et d'insister,
surtout depuis le mois de septembre, sur le dernier plan que voulaient
imposer les Puissances au gouvernement ottoman pour la solution du
problème57.
A Istanbul, conformément à de nouvelles instructions de leurs Cours,
les ambassadeurs étrangers adressèrent, au début de décembre, au ministre ottoman des Affaires Etrangères, Sarim Efendi, chacun au nom de son
gouvernement, des notes semblables invitant la Sublime Porte à accepter
le plan qu'ils avaient déjà proposé et en même temps lui demandèrent
une conférence au cours de laquelle ils pensaient faire pression sur elle
pour qu'elle renonçât à son obstination58.
56
Corres. de Rechid, le 13 ramazan 1258, in Kaynar. 452-453.
57
Pour le contenu des derniers entretiens de Rechid Pacha voir sa correspondance,
datée du 5 zilkade 1258 citée par Kaynar, p. 453 à 457.
58 Pour les notes des ambassadeurs voir Kaynar: 456-465.
i20
BAYRAM KODAMAN
Alors, en se décidant tout à coup à la concession devant la résolution
des Puissances, la Porte voulut s'épargner du moins la discussion et Sarim
Efendi adressa le 7 septembre 1842 aux cinq représentants la dépêche suivant" Le ministre ottoman éprouve le plus vif regret de voir que le point
de cette question ait donné lieu à tant de discussions et de pourparlers
depuis un an, et que, malgré la bonne administration qu'il est parvenu à
rétablir dans la Montagne et les épreuves convaicantes qu'il est à même
de produire à l'appui de son assertion, les Hautes Puissances n'aient jamais changé de vues à cet égard. La Sublime Porte, mue néanmoins par
les sentiments de respect dont elle ne cesse pas un seul instant d'être animée à l'égard des cinq puissances, ses plus chères amies et alliées, a préféré, pour arriver à la solution d'une question si délicate, qui est en
même temps une de ses affaires intérieures se conformer à leurs voeux
plutôt que d'y opposer des refus...si le rétablissement du bon ordre dans
la Montagne peut être obtenu à l'aide du système proposé le voeux de la
Sublime Porte sera accompli, et elle ne pourra qu'en être reconnaissante..."59.
Ainsi, la Porte adopta formellement le système d'une administaration
indigène, c'est-à-dire celui des deux Kaîmakamats (Kaymakamlik's) pour
la Montagne du Liban 60 .
Ce système consistait à diviser ce pays en deux parties indépendantes
l'une de l'autre: la première sous la juridiction d'un Kaimakam musulman; la seconde sous celle d'un Kaîmakam maronite (chrétien).
A Paris, Rechid Pacha, informé de l'arrangement survenu entre la
Porte et les ambassadeurs étrangers par une lettre datée du 5 zilkade
1258 (le 8 décembre 1842) provenant d'Istanbul, s'empressa de le communiquer à Guizot qui n'avait pas encore reçu les instructions de son ambassadeur à ce sujet. Guizot exprima sa satisfaction devant la décision de
la Porte de mettre un terme à la crise ainsi qu'à ses démêlés avec les puissances en acceptant leur proposition: il approuva en plus les mesures
prises par le Muchir de Saîda, Esad Pacha, dans la Montagne.
Certes, le gouvernement français n'approuve pas tellement la mesure
consentie par la porte, qu'il voyait encore incomplète et précaire, en raison de l'exclusion de la famille Chéhab de l'administration de la Montag59
Guizot: Mémoires...; t. III; 255.
Pour la note de la Porte adressée le
zilkadé, aux ambassadeurs, voir: Başvekalet
Arch., Arch., le 3 zilkadé Cebel-i Lübnan dosyası; Kaynar: op. cit., p. 465-466.
60
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'177
ne. Pourtant il se montrait satisfait du résultat obtenu, ou en jugeant qu'il
serait, au moins, inopportun de mêler une question de noms propres à la
question capitale61. D'autre part, on peut tirer à notre avis, de oe nouveau système deux conclusions pour la politique ottomane; l'une négative,
l'autre positive:
1) ce système faisait avant tout obstacle aux efforts et aux désirs de
la sublime Porte de rattacher la Montagne au pouvoir central d'Istanbul
et de supprimer ainsi les anciens privilèges autonomistes de la population
libanaise, compte tenu bien entendu du fait que ce système qui reconnaissait une large autonomie administrative à deux kaimakams à l'intérieur
du pays.
2) Mais, comparé à l'ancien statut de la Montagne sous les Chéhabs,
il peut être considéré plus ou moins comme une réussite ou moins un
pas en avant, pour la politique de la Porte, car il plaçait deux Kamakamats sous l'autorité du Pacha Saida.
Faut-il croire que le système des deux Kaîmakamts était une oeuvre
exclusivement ottomane, comme le disait certains historiens qui ont traité
la question du Liban? Ceux-ci prétendent que les autorités ottomanes créèrent ce système, pour faire durer la domination ottomane assurée dans la
Montagne pendant le gouvernement d'Orner Pacha. Nous ne sommes pas
de cet avis62. A savoir:
Bien que les autorités turques surtout Halil Pacha aient prévu lors
des événements de 1841, un projet semblable que aurait consisté à donner un chef musulman aux Druses et un chef chrétien aux Maronites, nous ne les voyons pas insister et en revenir à ce projet en raison de l'opposition de Lord Palmerston qui l'avait combattu dès le début63. Mais dès
que le gouvernement d'Omer Pacha eut été refusé par les puissances, le
prince de Metternich, marquant un vif intérêt pour cette idée, l'a repris à
nouveau et l'imposa aux autres puissances qui donnèrent ensuite leur accord64. De son côté, la Sublime Porte n'attacha pas d'importance à la
proposition de Metternich, car elle voyait cette fois, la solution du problè61
Guizot: Mémoires..., t; VI, pagr 25g.
62
Ibid.
63
Arch. Fr. des AIT. Et.: T U R Q U I E , Documents et Mémoires; Vol. 43 Mem. de
Bourré.
64 Corres. de Rechid (7 Juil. 1842); Kaynar 428; of. Guizot: VI, 252; également
G Ö K B İ L G İ N : op. cit. 654.
i20
BAYRAM KODAMAN
me, non dans la nomination de deux Emirs indigènes mais dans le rétablissement de l'administration ottomane, c'est-à-dire, dans la conservation
du gouvernement d'Orner Pacha. Et même, elle avait proposé aux puissances d'accepter deux Pachas ottomans comme Kaîmakams, lorsque leurs pressions devinrent trop pesantes65. Mais elle se vit obligée de céder
devant leurs résolutions. La dépêche du ministre ottoman des Affaires Etrangères aux ambassadeurs étrangers prouvent notre point de vue. Dans
cette dépêche, Sarim efendi n'hésitait à déclarer que la Sublime que la
Porte n'avait accepté le système des Kaîmakamats que devant l'insistance
des états et qu'il ne croyait pas lui-même que ce système calmerait la
Montagna66. Egalement Halil Rifat Pacha qualifiait cette mesure de guerre civile organisée67. Ce système des deux Kaîmakamats est sans conteste
l'oeuvre des états européens.
Pour la mise en exécution de ce nouveau statut, Esad Pacha reçut,
vers la fin de décembre 1842, l'ordre de la Porte de procéder à la nomination de nouveuax Kaîmakans. Enfin, il nomma, conformément au désir
de chaque communauté, l'Emir Haydar pour les Maronites, l'Emir Ahmed Arslan 68 pour les Druses.
Ainsi, les questions de forme furent réglées. Dorénavant Esad Pacha,
les deux Kaîmakams et aussi les consuls allaient s'occuper des questions
à la fois difficiles et fondamentales, c'est-à-dire les attributions des Kaîmakams.
Lorsque le problème du Liban et, par conséquent, les désaccords
avec les puissances prirent pratiquement fin, le décmebre 1842 à la suite
de l'adoption des deux Kaîmakamts, la Sublime Porte révoqua, le 7 décembre, Rechid Pacha, de ses fonctions d'ambassadeur, et le rappela à Istanbul69. Enfin Réchid Pacha qui avait demandé, à maintes reprises à la
Porte l'autorisation de retour, en raison de la détérioration de son état de
santé, arriva, le 3 mars 1843, à Istanbul en passant par Vienne 70 .
65
Haluk U L M A N : article cité, page 259
66
Baron de Testa: recueil... III, 66-68; of. Guizot op. cit. 255.
67
Le V. A de la J O N Q U I E R E : Hist. de l'emp. Ott. Paris 1897, 495.
68
Lutfı Tarihi: VIII, page 46 (Note d'Abdurrahman Seref).
w Pour la décison de la Porte de révoquer Réchid Pacha voir: Başvekâlet Arch., Hâriciye kısmı, no 916, le 14 zilkadé 1258.
70 En effet, au cours de cette quatrième ambassade, la santé de Réchid Pacha s'altéra et même, sur le conseil de ses médecins il séjourna à Marseille, à Toulon et en Italie.
Voir corresp. de Réchid Pacha, Kaynar, 394-391).
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'79
V) Dernière Ambassade de Rechid Pacha: (le 25 janvier 1844-le
24 octobre 1845)
a) La cinquième nomination
de Réchid
Pacha:
Comme nous avons indiqué dans le chapitre précédent, Rechid Pacha avait été rappelé à Istanbul à la suite d'un accord survenu entre les
puissances et l'Empire ottoman sur le système de double Kaîmakamat
dans la Montagne. A son retour, bien que la Sublime Porte l'ait désigné
gouverneur d'Adrinople (Edirne) il ne l'accepta pas et resta ainsi pendant
quelque temps dans la capitale sans aucune fonction71. Mais nous voyons
la Sublime Porte l'accréditer de nouveau le 14 novembre 1843 auprès du
gouvernement français72. A ce sujet on peut citer un article du Moniteur
ottoman en date du 12 zilkadé 1259 (le 4 décembre 1843): "Rechid Pacha, un des principaux ministres de la Sublime Porte, a longtemps résidé
comme ambassadeur à Paris, ayant toujours rempli sa fonction à la satisfaction de la Sublime Porte qui a constamment apprécié son judicieux,
sage et éclairé. Elle a daigné le nommer de nouveau son ambassadeur à
Paris en remplacement de Nuri Efendi qu'elle a rappelé. Le lendemain
de sa nomination, Rechid Pacha a eu l'honneur de présenter ses hommages à S.H. afin de la remercier; à cette occasion il a reçu du Sultan l'accueil le plus bienveillant et le plus flatteur. Il prend actuellement ses disposition pour se mettre en route"73 Enfin il quitta, le 17 décembre, Istanbul avec ses fils, Mehmed Djémil Bey et Ahmed Djelal Bey, désignés secrétaires intimes (Sirkâtibi) de l'ambassade ainsi que son Garde des Sceaux
(mühürdar), Ahmed Behçet Efendi; il arriva le janvier 1844 0 e 6 muharrem 1260) à Paris74.
Avant d'aborder les activités et les démarches diplomatiques de Rechid Pacha auprès du gouvernement français au cours de son dernier séjour à Paris, nous croyons utile de résumer la situation dans la Montagne
depuis la mise en vigueur du système des deux Kaîmakamats.
b) Le système de double Kaîmakamat
au
Liban:
En réalité, comme prévoyait, dès le début, le ministre ottoman des
Affaires Etrangères, Serim Efendi, ce système de double Kaîmakamat
11
Rifat: Verdühadayik; page 39.
72
Ercümed K U R A N : Reşid Paşa; dans Isl. Ans., IX, page 702.
73
Moniteur ottoman: no 26i le 12 zilkade 1259.
74
Kaynar: op. cit. 405-406.
i20
BAYRAM KODAMAN
n'avait pas mis fin aux querelles communautaires ni calmé tout à fait ni
la Montagne ni les esprits des milieux politiques internationaux. Bien au
contraire, il avait donné naissance à de nouveaux désaccords et difficultés
entre les communautés druso-maronites ainsi qu'à de nouveaux différends entre les Puissances européennes, désireuses de voir chacune son influence s'accoître dans le Levant.
Quelles étaient, cette fois, les causes essentielles de ces nouvelles complications politiques? C'était la question de savoir comment serait réglée
l'administration des districts mixtes, autrement dit, quel serait le statut
des Maronites, des Druses se trouvant, les uns dans le Kaîmakamat druse
et les autres dans le Kaîmakamat maronite. En effet ce système, qui était
fondé sur l'hypothèse qu'au nord de la route de Beyrouth-Damas, le Liban était peuplé de maronites, au sud de Druses, contenait un germe de
discorde en créant des minorités dans les deux parties 75.
Pour l'application du nouveau système au Liban ainsi que pour l'organisation des districts, chacune des communautés faisait valoir son point
de vue auprès d'Esad Pacha, gouverneur général de Saîda: celui des Maronites consistait à faire dépendre tous les chrétiens, restés sous l'administration druse, du Kaîmakamat maronite et d'autre part les Druses du
nord, du Kaîmakamat druse. Celui des Druses consistait, de son côté, à
diviser le pays en deux parties géographiques, chaque partie gouvernée directement et exclusivement par son Kaîmakam 76 . On voit clairement que
les Maronites préconisaient le système de nationalité, les Druses celui de
la territorialité.
Devant cette situation compliquée, Esad Pacha, en attendant les ordres de la Porte, décida de placer provisoirement sous sa juridiction les
chrétiens du sud et les Druses du nord pour éviter les discussions et les
complications77. Mais cette mesure ne fut approuvée ni par les Maronites
ni par les Puissances.
Alors Esad Pacha, sur les instructions venant d'Istanbul, demanda
aux deux émirs, Haydar et Ahmed Arslan, de lui communiquer quelles
étaient leurs pensées sur la nouvelle administration à donner aux districts
mixtes. Mais, les idées qu'ils avaient avancées pour arriver à une solution,
étaient contradictoires: Haydar proposait à Esad Pacha de chasser les mu75
H. Ü L M A N . article cité. p. 260.
76
H. Ü L M A N . ibid. p. 260.
77
G Ö K B İ L G İ N . Article cité p. 663.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'181
kataadjis druses78 et de nommer des vékils79 maronites choisis par leur
communauté, dans les villes et villages mixtes dépendant du Kaîmakamat
druse et également les vékils druses pour leurs corrélégionnaires résidant
au nord du Liban. Quant à l'émir Ahmed Arslan, il défendait le système
actuel tel qu'il était et le maintien des mukatadjis druses dans leurs fonctions80.
Enfin Esad Pacha, conscient de la gravité de la situation due à l'enchevêtement des intérêts des deux parties hostiles, mit en avant un nouveua plan: nommer des vékils chrétiens et druses, chargés de protéger les
intérêts de leurs communautés dans les deux Kaîmakamats. Mais, contrairement à ce que prévoyait l'émir Haydar, les vékils maronites seraient
choisis et nommés par l'émir druse; les vékils druses par Haydar. D'autre
part ce plan d'Esad Pacha donnait à la ville de Dayr-al Kamer deux vékils, l'un chrétien l'autre musulman, désignés par leurs nations respectives81. En cas de difficultés d'entente sur le choix, le Pacha turc désignerait lui-même les dits vékils82. Malgré ces efforts conciliants du Pacha de
Saîda, les Maronites, hostiles à un système de la territorialité, continuaient à manifester leur opposition aux propositions du Pacha, et par conséquent insistaient sur la nécessité de mettre tous les chrétiens du sud surtout Dayr-al-Kamer sous l'administration de leur Kaîmakam.
En fin de compte, nous constatons que malgré tant de discussions et
tant d'efforts déployés, la situation dans la Montagne restait encore confuse et continuait à occuper les autorités turques et les Puissances européennes.
VI) La Politique de Rechid Pacha et La Mission de Halil Pacha
Après l'échec de toutes les tentatives faites en 1843 P a r Esad Pacha
pour un compromis valable entre les Druses et Maronites, la Porte allait
mettre en oeuvre, à partir de 1844, tous les moyens dont elle disposait,
pour résoudre toutes les questions qui se posaient dans la Montagne au
78 Mukataadjv celui qui avait le droit de faire des levées de soldats dans son district
et d'armer, à son gré, ses paysans en cas de guerre. İ1 avait en outre le droit de police rurale et de juridiction dans les petites contestation. Il était chargé en même temps, de la
perception des impôts au nom des autorité suprêmes et en gardait pour lui-même 4 %; ses
bien étaient exempts de toute contribution.
79
80
Vekil: sous Kaîmakam (on bien procureur).
G Ö K B I L G I N . op. cit. p. 665.
81
Ibid.
82
A D E L ISMAIL. op. cit. p. 4m.
i20
BAYRAM KODAMAN
sujet de l'administration des districts mixtes. C'est dans le domaine diplomatique que nous la voyons agir d'abord, car elle était déjà consciente du
fait qu'il était impossible, dans les circonstances actuelles, de rétablir, seule, un système quelconque dans les régions mixtes, sans obtenir l'approbation et le concours des Puissances européennes.
Mais, parmi ces dernières, c'était surtout la France qui donnait beaucoup d'inquiétude aux autorités turques par sa politique pro-maronite et
qui, jugeant que le système actuel des deux Kaîmakamats manquait d'autorité suffisante pour procéder à une administration équitable, préconisait
de nouveau depuis quelques temps le retour des Chéhabs 83 . C'est la raison pour laquelle la Porte ordonna, au début de 1844, à Rechid Pacha
de consulter les vraies intentions du gouvernement français sur l'avenir du
Liban, de le faire renoncer à l'idée d'une administration "Chéhabe" et de
le convaincre de la nécessité d'adopter une politique decompréhension à
l'égard de l'Empire ottoman.
En effet, dans l'espoir d'assurer l'aide de la politique française à la
Sublime Porte, Rechid Pacha tenta des démarches diplomatiques auprès
du gouvernement français au mois de février 1844. Au cours de ses entretiens avec les responsables de la politique exterieure française, faisant allusion aux promesses faites en 1841 par les gouvernements anglais et français à la Sublime Porte pour le maintien de l'intégrité de l'Empire ottoman,
il reprocha au gouvernement français de ne pas respecter son indépendance et son intégrité et de favoriser les activités autonomistes des Rayas (sujets ottomans) par sa politique actuelle. Il attira d'autre part l'attention de
la France sur les dangers éventuels de la désorganisation et de l'affaiblissement de son pays pour la paix génerale et l'équilibre entre les Puissances. Voici les opinions de Rechid Pacha sur la politique française dans la
question d'Orient:
"Pour la question orientale, la France (...) semble ne vouloir que gagner du temps. Les mesures conciliantes, les demi-mesures qu'(elle) emploie lui semble salutaires ou ne devoir rien compromettre. Mais c'est une
grave et dangereuse erreur, et sa politique fait entièrement fausse route.
En effet la désorganisation et l'affaiblissement de chaque partie de l'Empire (ottoman) amène tous les jours pour les Rayas des causes nouvelles de
souffrances, de ruine et de désespoir; et bientôt ainsi la Russie sera libre
de souffler au moment le plus opportun pour elle la discorde et la rebelli83
G Ö K B I L G I N . op. cit. 667.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
83
on sur telle province qu'il lui plaira et peut-être sur plusieurs ensembles84".
Il parlait également de la nécessité, pour la France, de suivre une politique active dans la question d'Orient pour empêcher le danger russe et
les révoltes des Rayas: "Par suite de vos retards et de vos demi-mesures,
disait Rechid Pacha à la France, le Monde verra éclater une conflagration
générale qui vous forcera, et (...) sans doute à l'époque la plus difficile pour vous, à sortir de cette réserve qui précipite chaque jour davantage l'heure du danger que vous croyez éviter...et prenez une attitude ferme par
qui seule vous devez arriver à d'heureux résultats, au lieu de vous laisser
surprendre par une crise violente et des événements qui vous entraineront, malgré vous, dans des complications que vous ne pourrez pas diriger85".
Deux conclusions découlent de ces paroles de l'ambassadeur ottoman: en premier lieu, l'insuffisance et l'inefficacité de la politique française dans la question d'Orient. En second lieu, si la France désire assurer
le bien-être de la polulation chrétienne soumise à l'autorité du Sultan et
empêcher les ambitions de la Russie sur la Turquie, elle doit défendre
l'intégrité de l'Empire ottoman et soutenir les mesures prises par la Sublime Porte en vue de renforcer, réorganiser l'Empire ottoman et de rétablir
l'ordre et la sécurité à l'intérieur du pays.
D'autre part Rechid Pacha s'efforçait, pendant ses conversations
d'amener le gouvernement français à s'entendre avec l'Angleterre dans la
politique à suivre en Orient, car il était persuadé qu'un rapprochement
entre ces deux Puissances maritimes pourrait être salutaire pour l'avenir
de la Turquie. Selon lui, en cas d'union entre la France et l'Angleterre,
pour la solution de la question d'Orient, l'Autriche n'hésiterait pas à s'y
intégrer par souci de conserver le statu quo en Europe et dans l'Empire
ottoman.
L'Autriche gagnée, la Russie s'y associerait, pour ne pas rester seule
en arrière dans une question où son absence, aux yeux des Rayas chrétiens orthodoxes, qu'elle avait la prétention de protéger, serait une omission
inexcusable86.
Enfin Rechid Pacha déclara au gouvernement français que si une telle union entre les Puissantes se faisait jour la Sublime Porte n'agirait à
84
A.A.E. T U R Q U I E . Documents et Mémoires. Vol. 44 p. 150 n 45 (le 29 février
85
A.A.E. T U R Q U I E . Mémoires et Documents. Vol 44. n 45.
86
A.A.E. T U R Q U I E . Doc. et Mem vol. 44.
1844).
BAYRAM KODAMAN
184
Istanbul qu'avec la France et l'Angleterre et son but constaat serait alors
le bien des populations ottomanes et la prospérité de l'Empire87.
Mais un rapprochement politique et l'unité de vue entre la France et
l'Angleterre se révélaient difficiles, en 1844, en raison d'un différend qui
avait éclaté, entre elles, au sujet de l'île de Tahiti (affaire Pritchard) et de
la propagande antifrançaise qu'avait reprise le gouvernement anglais au
Liban88. C'est la raison pour laquelle le gouvernement français, bien qu'il
se soit déclaré pour l'intégrité de l'Empire ottoman, ne donna pas beaucoup d'espoir à Rechid Pacha pour une alliance franco-anglaise dans la
question d'Orient. De ce fait les efforts de l'ambassadeur ottoman ne produisaient aucun effet sur l'attitude de la France.
Alors Rechid Pacha renonça à préconiser auprès de la Cour de France la nécessité d'une union entre les Etats européens pour la conservation
de l'Empire ottoman. Par contre il entreprit de nouveau des démarches
destinées exclusivement à la solution du problème du Liban. A ce sujet,
bien que Guizot ait évité de se prononcer ouvertement pour la nomination du fils de l'émir Bechir, Emin, dans la Montagne, il n'omettait pas,
pour cela, de contester le système de double Kaîmakamat et de faire allusion à la nécessité d'y rétablir une seule autorité, c'est -à-dire l'ancien
système, pour parvenir à un arrangement entre les communautés89. En
outre Guizot demanda à la Porte de régler, sans retard, le problème des
indemnités dues par les Druses aux Maronites, victimes des événements
d'octobre 1841.
A la suite des rumeurs circulant dans les milieux diplomatiques français à propos du rétablissement de l'administration Chéhabe au Liban,
Rechid Pacha annonça à Guizot, au cours d'une conférence tenue au mois de juin 1844, que le retour des Chéhabs était impossible et que la Sublime Porte opposerait un refus catégorique si le gouvernement français
tentait de proposer un tel projet aux Puissances90. En réponse Guizot se
borna à lui indiquer que la France agirait avec l'Angleterre et l'Autriche.
Mais cette réponse vague du ministre était insuffisante pour supprimer les
inquiétudes des autorités turques sur l'attitude française91.
87
Ibid.
88
Jacques PIRENNE, Les grands courants de l'Histoire universelle, Paris 1965. V. p.
89
Corres. de Rechid Pacha, le 19 Rebiülâhir 1260, in Kaynar, p. 63-66.
90
Corres. de Rechid, le 21 Cemaziyiilewel 1260 (le 9 juin 1844) in Kaynar p. 470.
91
Ibid.
52-
M O I STAPHA RÉCHID PACHA
<85
Alors la Sublime Porte, faisant preuve d'une réelle volonté de faire
aboutir la question du Liban, y envoya en mission extraordinaire et avec
pleins pouvoirs un de ses grands officiers, l'Amiral Halil Rifat Pacha.
Trois points essentiels figuraient sur l'ordre du jour de sa mission. Ils
concernaient tout d'abord le règlement des indemnités, ensuite celui de
statut de certaines villes habitées par une majorité maronite,mais dépendant géographiquement du Kaîmakamat druse et enfin le règlement de la
question des districts mixies. Ce dernier point était plus difficile et plus
complexe à résoudre. De plus Halil Pacha fut muni d'une instruction secrète: a savoir, si Halil Pacha, après ses sondages, croyait aussi, comme
Esad Pacha92 à l'impossibilité de gouverner le Liban par le système actuel, c'est-à-dire par les deux Kaîmakams, il désignerait comme émir, de
concert avec le Pacha de Saida, mais en dehors de la famille Chéhab, un
homme habile, respecté et capable d'administrer le pays93.
Entre temps les Puissances se divisaient à nouveau en deux camps
quant à la solution du problème. Les divergences de vue furent très profondes entre elles: l'Angleterre et la Russie se montrèrent résolues à défendre le système des deux Kaîmakamats, tandis que la France et l'Autriche préconisaient le retour au gouvernement unique, confié aux mains
d'un prince Chéhab. La Sublime Porte, partisan du système actuel pouvait donc compter dans ses résolutions concernant l'administration du Liban
sur le gouvernement anglais qui était à même de contrecarrer la politique
française.
Vers la fin de juin 1844 Rechid Pacha, informé de la mission de Halil Pacha et de la position anglaise sur le point de vue de la France, entra
de nouveau en discussion avec Guizot sur le même sujet. Mais, comme
auparavant, le ministre n'approuva pas les allégations de l'ambassadeur.
De plus il demanda ouvertement à la Porte d'accepter, par sa propre volonté le retour des Chéhabs afin qu'Ile pût échapper à la pression des Puissances qui, malgré leur divergence de vue, pourraient se mettre d'accord
sur l'opportunité de cette solution prévue par la France. Selon lui, étant
donné que l'application du système de double Kaîmakamat ne donnait
92 Esad Pacha communique à la Porte qu'il ne pouvait exécuter les ordres qu'il avait
reçus sans recourir à la force dans les circonstances actuelles. Dans sa lettre il proposa la
restauration d'un seul pouvoir dans la Montagne. G Ö K B I L G 1 N p 668; Cf. de le J O N Q U I E R E op. cit. 496.
93
G Ö K B I L G I N op. cit.668.
i20
BAYRAM KODAMAN
pas les résultats positifs qu'on avait escomptés au début. Il serait convenable de nommer Emin Chéhab émir du Liban pour mettre fin à tous
les événements découlant de l'insuffisance de l'autorité des deux Kaîmakams94.
Malgré l'attitude intransigeante de Guizot, Rechid Pacha comprit que
le gouvernement français ne pourrait pas insister sur la famille Chéhab si
le gouvernement anglais continuait à s'opposer à son projet. De même il
conseilla à la Sublime Porte de profiter de la politique anglaise pour consolider le système du double Kaîmakam et ainsi régler les points litigeux
entre les communautés, les districts mixtes et les indemnités.
Au début de juillet la Porte envoya les instructions et les ordres à
Halil Rifat Pacha pour qu'il s'empressât d'exécuter sa mission. Son premier acte, à la suite d'un examen des faits, fut alors une proclamation où
il déclara que la restauration du pouvoir Chéhab était impossible. Ensuite
il se mit à régler le problème des indemnités. Après plusieurs conversations il décida de fixer à 13 000 bourses le montant total de l'indemnité;
les Druses en payeraient 3 000 et le reste serait payé par le trésor impérial95 Pour la ville de Dayr-al Kamer il accepta le statut déjà prévu par
Esad Pacha c'est-à-dire l'autonomie et la nomination des deux vékils choisis par leur communauté.
D'autre part, pour résoudre le problème des districts mixtes, Halil
Pacha réunit les représentants des Di-uses et des Maronites, les consuls étrangers et enfin les fonctionnaires turcs. Mais au terme de cette réunion
on ne put prendre aucune décision, parce que les Maronites s'opposaient
à la présence des Muqataajis druses dans les districts96.
Après l'échec de cette réunion, Halil et Esad Pachas décidèrent de
mettre fin à ces atermoiements. Le 2 septembre 1844 ils communiquèrent
aux chefs des deux communautés leurs dernières décisions concernant les
quatorze districts mixtes:
1) Les chrétiens des districts, faisant partie intégrante du Kaîmakamat
druse, seraient soumis à la juridiction de ce Kaîmakam.
2) Les vékils chrétiens seraient nommés dans chaque district, pour veiller aux intérêts de leurs coreligionnaires.
94
Corres. de Rechid, le 13 Cemaziyiilahir 1260 (le 30 juin 1844) in Kaynar p. 472.
95
G Ö K B I L G I N . op. cit. p. 669.
96
Adel ISMAIL. op. cit. p. 413.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
1' 87
3) Les vékils chrétiens dépendraient du Kaîmakamat druse.
4) Les districts mixtes dans le Kaîmakamat chrétien auraient également, au même titre, des vékils druses.
5) Le problème des idemnités serait résolu par le règlement qu'on
avait déjà établi.
Mais ce projet n'eut pas l'approbation des Maronites ni celle du consul français à Beyrouth. De son côté, le consul anglais, le colonel Rose,
pressait Halil Pacha d'employer la force pour imposer ce plein. Mais la
Sublime Porte ordonna à ses Pachas de ne pas recourir à une telle mesure. En fin de compte, sauf le règlement des indemnités, les autres articles
de ce projet furent abandonnés devant le refus des Maronites et l'opposition du consul français97.
Un autre projet fut alors étudié, celui de l'émigration réciproque entre les Druses et les Maronites, les uns habitant dans le nord, les autres
dans le Sud. Mais cette émigration demeura limitée à certaines familles
chrétiennes, la plupart de la population finit par s'en désintéresser.
Au début de 1845 le problème des districts mixtes était encore en
suspens et continuait à occuper sérieusement les Puissances et plus particulièrement la Sublime Porte, première intéressée. Pourtant, depuis
l'adoption d'un règlement par la Porte pour les indemnités nous voyons
un assouplissement dans la politique du gouvernement français qui avait
cessé de parler ouvertement du retour des Chéhabs d'une part et une satisfaction chez les Anglais de l'autre. De même, lorsque Rechid Pacha eut
informé, au mois de février, le Roi Louis Philippe de la décision de la
Porte d'indemniser les Maronites, celui-ci l'accueillit favorablement et même qualifia ce règlement de bon signe vers l'amélioration de la situation
dans la Montagne98. De son côté le gouvernement anglais fit savoir à la
Porte qu'il approuvait entièrement cette décision et qu'il refuserait le retour de la famille Chéhab.
Enfin, au mois de mars 1845, la Sublime Porte mit fin partiellement
au problème des districts mixtes en acceptant un nouveau projet plus ou
moins satisfaisant. Selon les dispositions de ce projet, les vékils maronites
97
Adel ISMAIL. op. cit. p. 41 ;t.
Corres. de Rechid Pacha, Rebiülâhir 1261. in Kaynar p. 479. A cet entretien assista aussi Sarim Efendi, venu à Paris pour gagner son nouveau poste d'ambassadeur à Londres, en remplacement d'Ali Efendi.
98
BAYRAM KODAMAN
ı88
se trouvant dans le sud relèveraient du Pacha de Saida; mais ils pourraient, au besoin, s'adresser directement au Kaîmakam de leur communauté. Par cet article, la Porte voulut obtenir l'approbation du gouvernement
français qui avait aussi présenté, par son consul à Beyrouth, un autre projet pour l'administration de ces districts99. En effet nous voyons Guizot
donner son approbation à cet arrangement dans un entretien au cours
duquel Rechid Pacha lui avait demandé le point de vue de la France à ce
sujet 10°.
A la suite de l'adoption de ce dernier plan la Sublime Porte destitua
Esad Pacha et le remplaça par le gouverneur d'Alep, Vecihi Pacha. Celuici posséssion de son poste comme nouveau Pacha de Saîda, le 7 avril
1845. Plus tard Halil Pacha, dont la mission avait pris fin, fut aussi rappelé à Istanbul101.
Malgré les efforts des autorités turques pour éviter les inconvénients
entre les communautés et même le nouveau règlement pour les districts
mixtes, un abîme de haine existait entre les Druses qui refusaient de payer l'indemnité et les Maronites qui s'opposaient à la présence des Mukataajis. Chacun d'eux se préparait clandestinement à la revanche.
Au mois d'avril, surtout après le rappel d'Esad Pacha et le départ de
Halil Rifat Pacha pour Istanbul, les relations entre les communautés qui
étaient d'ailleurs mécontentes de l'application du nouveau plan par Vecihi
Pacha, furent très tendues. Les assassinats sporadiques entre elles devinrent de plus en plus fréquents. Les Druses attaquèrent enfin, le 10 mai
1845 les principaux centres Maronites. Le conflit armé intercommunautaire commença ainsi. Ces événements continuèrent de ravager la Montagne
jusqu'en Juin. Au cours de ces massacres, le consul anglais soutint les
Druses, le consul français les Maronites; les autorités ottomanes restèrent
neutres, mais cette partialité encouragea les musulmans et désespéra les
99 Le projet français consistait à généraliser le statut de la ville de Dayr-al Kamer à
tous les districts mixtes. Les principales dispositions de ce projet: i) chaque district mixte
aurait deux vékils chacun choisi par sa nation; j) Ces vékils dépendraient chacun du Kaîmakamat de leur communauté; 3) Un divan formé des représentants de toutes les communautés serait établi à Beyrouth. Il aurait pour compétence de juger les différents entre elles.
Le but de ce projet était en effet de limiter autant que possible les droits des Mukataadjis. L'Angleterre s'y opposa en même temps que la Sublime Porte.
100
Corres. de Rechid Pacha
le 11 Rebiulewel 1261 (le 19 avril 1845) in Kaynar.
101
Lutfi Tarihi. VIII. p. 47 (note d'Abdurrahman Seref).
479-
MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A
<85
chrétiens. D'autre part les Druses tuèrent un prêtre français, Charles de
Lorette, ainsi que d'autres prêtres maronites et mirent le feu aux couvents
catholiques et même à une église maronite.
Ces heurts et troubles sanglants au Liban provoquèrent une vive
émotion dans l'opinion publique française et donnèrent lieu à une vaste
propogande antiturque dans la presse. Et le gouvernement français protesta énergiquement contre la politique de la Sublime Porte, qui était selon
lui la première responsable de ces incidents.
Devant cette attitude menaçante du gouvernement français la Porte,
en envoyant une lettre datée du 21 cemaziyûlewel 1261=28 mai 1845, ordonna à son ambassadeur, Rechid Pacha, d'expliquer au ministre français
des Affaires Etrangères les motifs essentiels des événements.
Alors Rechid Pacha demanda, au début juin, à Guizot une conversation sur la dernière situation dans la Montagne. Au cours de cette entrevue le ministre français, en s'appuyant sur les instructions de son consul
à Beyrouth, accusa les autorités turques chargées de maintenir l'ordre,
d'être restées les mains croisées devant les massacres et même d'avoir pris
ouvertement parti pour les Druses. Ensuite il fit savoir que si la Porte ne
prenait pas de mesures impartiales pour faire cesser les troubles, la France se verrait obligé d'envoyer sa flotte au large du Liban. Cela était sans
doute une menace d'intervention. Mais Rechid Pacha, en précisant que
toutes les nouvelles relatives aux événements étaient tout à fait exagérées,
n'accepta pas les accusations du ministre et déclara qu'il serait injuste de
rejeter la responsabilité des massacres sur la Porte qui avait agi, conformément aux désirs et demandes des Puissances, sur les affaires concernant le problème du Liban 102 .
VH) Le Règlement de Chekib Efendi:
A la suite des événements de mai, la Sublime Porte, pressée par les
ambassadeurs étrangers, décida d'envoyer le ministre des Affaires Etrangères, Chékib Efendi, dans la Montagne, pour y faire appliquer complètement et sans retard la forme d'administration concernant les districts mixtes et les décisions impériales prises précédemment au sujet de l'administration locale103. Pour faciliter sa mission au Liban, Chékib Efendi adres102
Corres. de Rechid Pacha le 12 cemaziyülâhir 1261 -
p. 480.
103
Lutfı Tarihi. T.VIII. p.47 (note d'Abdurrahman Seref)-
le 18 juin 1845 in Kaynar,
i20
BAYRAM KODAMAN
sa, le 23 recep 1261 = le juillet 1845, un mémorandum d'une importance
capitale aux représentants des cinq Puissances à Istanbul, dans lequel il
leur expliquait les grandes lignes de sa politique pour résoudre définitivement la question du Liban , M .
Les idées principales contenues dans cet acte étaient les suivantes:
1) Occupation du Liban par l'armée de Namik Pacha.
2) Désarmement général de la Montagne,
3) Distribution immédiate d'une partie des indemnités dues aux Maronites,
4) Neutralisation des activités des consuls des Puissances à Beyrouth,
5) Règlement de l'organisation administrative des districts mixtes.
Cela conçu comme suit:
a) Le règlement des questions de droit (hukukî): tout procès ou contestation entre les individus de la même nation serait jugé uniquement
par son vékil. En cas d'un différend entre deux individus de diverses nation, les vékils et mukataajis jugeraient ensemble. Il y aurait recours aux
Kaîmakams s'ils ne pouvaient pas s'accorder.
b) Le règlement des affaires administratives et politiques (idari siyasî):
les vekils maronites seraient vis à vis de leur communauté les intermédiaires du Kaîmakam druse pour l'exécution des ordres envoyés par le gouvernement ou émanés du Pacha de Saida.
c) Le pouvoir exécutif (zabtiyé): comme le partage en cette matière
pouvait en gêner l'exercice, les vékils maronites pourraient y être associés
et le soin de maintenir l'ordre serait confié aux seuls mukataajis.
En fin de compte, les représentants des cinq Puissances donnèrent leur approbation aux dispositions de ce mémorandum de Chékib Efendi.
Et même ils ordonnèrent tous à leurs consuls à Beyrouth de faciliter la
mission de Chékib Efendi et d'éviter de lui créer des difficultés. Pourtant
Bourqueney, ambassadeur de France, ne manqua pas d'attirer l'attention
du ministre ottoman sur le fait que l'opinion publique européenne consi104 Pour le texte complet de ce mémorandum à consulter Adel ismail, op. cit. pp.
599-611. Egalement de Testa III p. 68-73.
MOI S T A P H A R É C H I D P A C H A <85
dérait la Porte comme responsable en cas de l'échec de l'application du
règlement prévu dans le mémorandum l05 .
Entre-temps, dans le but de prévenir les ingérences du consul français
à Beyrouth, dans la mission du Chékib Efendi, la Sublime Porte décida
de réparer, conformément aux demandes de Bourqueney, tous les dommages subis par les couvents catholiques et de déférer l'assassin du prêtre
Charles de Lorette et ses complices devant la justice. Lorsque cette décision fut communiquée, au début du mois d'août, par Rechid Pacha au gouvernement français, ce dernier l'accueillit favorablement tout en se refusant à donner des assurances sur sa conduite sous prétexte que la tranquilité et la sécurité de la Montagne n'avaient pas été rétablies par les autorités ottomanes106.
Enfin Chékib Efendi arriva à Beyrouth, au mois de ramazan (le 14
septembre 1845). Le lendemain il s'entretint tout d'abord avec Namik et
Vecihi Pachas sur la situation. Le 22 septembre il réunit les consuls en
conférence générale et leur déclara qu'il était envoyé pour exécuter les
dispositions du mémorandum qu'il avait adressé aux ambassadeurs des
cinq Puissances qui l'avaient accepté107. Il leur demanda ensuite de ne
plus intervenir dans les affaires intérieures du pays. Et, en parlant de la
nécessité de recourir à la force au cours de l'application du mémorandum, il les pria de faire retirer à Beyrouth dans un délai qu'il fixerait, leurs ressortissants résidant dans les autres villes,afin que ceux-ci ne subissent pas les effets de l'emploi de la force108.
Mais le consul de France à Beyrouth, s'opposant à la déclaration du
ministre ottoman, lui demanda de procéder immédiatement à l'exécution
des propositions suivantes:
1) Dommages et intérêts pour les ressortissants français qui se verraient contraints de quitter leurs établissements.
2) Appel à Istanbul de l'assassin du prêtre, pour qu'il y soit traduit
en justice.
3) Recherche de ses complices.
4) Payement des indemnités dues aux couventsl09.
105
G Ö K B I L G I N . op.cit. p.675.
106
Corres. de Rechid, le 3 saban 1261 (Le 7 août 1845). Kaynar, p. 482-483.
107
Lutfı Tarihi. VIII. p. 49 (note d'Abdurrahman Seref).
108
Ibid.
109
G Ö K B I L G I N . op.cit. 676.
i20
BAYRAM KODAMAN
En même temps, l'ambassadeur de France adressa, le 4 octobre 1845,
à Ali Efendi 110 , ministre ottoman des Affaires Etrangères par intérim, un
ultimatum contenant la même proposition. De plus il menaça, le 17 octobre, la Porte de quitter Istanbul si elle ne promettait pas d'indemniser
les ressortissants français de leurs dommages. Ali Efendi essaya d'user de
moyens dilatoires. Bourqueney exigea une réponse catégorique; le 18 octobre, la Porte promit de donner satisfaction à ses demandes.Malgré la
promesse faite, Bourqueney fit des difficultés et insista sur l'exécution immédiate de ses propositions. Pour atténuer l'importance des exigences de
l'ambassadeur et même du consul, la Sublime Porte, en décidant d'agir
par la diplomatie auprès de la Cour de France, envoya des instructions à
Rechid Pacha pour qu'il obtînt l'approbation de la politique ottomane
par le gouvernement français et la confiance de celui-ci dans les promesses données à son ambassadeur.
Alors Rechid Pacha eut, au début de novembre, un long entretien
avec Guizot sur les exigences du gouvernement français. Les trois sujets
qui dominèrent les discussions furent:
1) La condamnation de ceux qui tuèrent le prêtre français et détruisirent les couvents catholiques: A ce sujet, l'ambassadeur rappela le fait
que Ebou Naked était jugé par un tribunal musulman, avec impartialité,
suivant la loi musulmane, et que le tribunal, ayant refusé le témoignage
des Druses en faveur de Naked, ne le déclara innocent qu'après déposition des témoins chrétiens et aussi le fait que son acquittement était approuvé par les autres consuls étrangers ayant suivi le déroulement du procès.
Rechid Pacha fit ainsi état à Guizot de l'impossibilité de traduire en justice, une deuxième fois, un homme déclaré innocent, ce qui était d'ailleurs
contraire à la loi. Il accusa d'autre part le consul de France d'avoir demandé aux Pachas turcs la condamnation à mort de Naked sans jugement. Mais Guizot se contenta seulement de réclamer l'exil à Istanbul de
Ebou Naked pour qu'il y soit statué sur sa conduite, comme réparation
politique pour le gouvernement français. Rechid Pacha accepta alors cette
exigence française et de plus il fit savoir au ministre que la Porte était
prête à faire réparer les couvents détruits et à faire juger l'officier (Kol
agâsi), accusé de s'être mêlé aux dévastations, par un conseil de guerre.
110 Âli Pacha (1814-1871) un des plus connus des hommes d'Etat turc à l'époque du
Tanzimat. Il représenta la Turquie à la conférence de Paris de 1856. Il assuma cinq fois la
tâche du Grand Vizirat.
MOUSTAPHA RÉCHID PACHA
193
Ces dernières paroles de l'ambassadeur furent en effet accueillies avec satisfaction par Guizot u l .
2) Le déplacement provisoire à Beyrouth des ressortissants étrangers:
sur ce sujet le point de vue de Rechid Pacha était raisonnable, car il déclara à Guizot que la nécessité de faire habiter provisoirement les étrangers
à Beyrouth ne provenait que du souci de la Sublime Porte de protéger leur vie en cas de recours à la force par les autorités turques pour réprimer
les troubles que pourraient vraisemblablement provoquer l'application et
l'exécution des principes du mémorandum. Il attira également l'attention
du ministre français sur le fait qu'en cas de désordres la Porte ne pouvait
protéger la vie de ceux qui refuserait de quitter leur place, bien qu'elle
pût préserver et protéger tout ce qui appartenait aux convents et aux étrangers. En outre il reprocha au consul et à l'ambassadeur de France
d'avoir protesté contre les décisions de Chékib Efendi et en particulier
d'avoir demandé, sans raison, à la Porte l'indemnité de déplacement pour
les français, en rappelant à Guizot le droit de chaque Etat indépendant
de prendre, à son gré et sans ingérence extérieure, des mesures nécessaires, si vigoureuses fussent-elles, pour rétablir l'ordre à l'intérieur du pays
et réprimer ceux qui n'obtempéraient pas à ses injonctions " 2 .
Malgré les allégations de l'ambassadeur ottoman, Guizot se monta intransigeant à ce sujet. Selon ce dernier, étant donné que la France avait
une présence particulière dans les domaines politiqueret économiques ainsi que religieux au Liban pai rapport aux autres Puissances, le gouvernement français ne pouvait pas rester indifférent au sort de ses ressortissants
et accepter leur déplacement sans aucune indemnité ni garantie effectives.
D'autre part, ayant qualifié la décision de la Porte de contraire aux accords existant entre les deux Etats, Guizot indiqua qu'il soutenait entièrement les vues de Bourqueney et qu'il lui ordonnerait d'insister sur sa position et de ne pas céder devant l'obstination de la Sublime Porte. On voit bien qu'il était difficile pour l'ambassadeur ottoman et le ministre français de s'entendre et par conséquent d'arriver à un compromis sur l'indemnisation des français, en raison des divergences de vues évoquées plus
haut. Enfin ils laissaient à la Porte et à Bourqueney le soin de discuter et
de résoudre ce problème à Istanbul 113 .
111
Corres. de Rechid, le 10 zilkade 1261 (Le 10 Novembre 1845). in Kaynar 485.
112
Corres. de Rechid, le 10 Z İ L K A D E 1261 (le 10 Novembre 1845) in Kaynar 486-
113
Corres. de Rechid, le 10 zilkade 1261 (le 10 Novembre 1845) in Kaynar 486-487.
487.
i20
BAYRAM KODAMAN
3) La politique menée par les représentants du gouvernement français
dans la Montagne: il s'agissait là surtout de la politique du consul de
France à Beyrouth, Poujad, car la Sublime Porte n'avait pas cessé de se
plaindre de sa conduite hostile et de ses activités subversives contre la politique des Pachas turcs chargés d'assurer la paix et la sécurité par l'application des décisions prises par elle en accord avec les Puissances. De même Rechid Pacha réitéra de justes plaintes de son gouvernement et demanda à Guizot de conseiller à Poujad ainsi qu'aux autres fonctionnaires
français à Istanbul de ne pas entraver les décisions, les initiatives et les
projets des autorités turques mais, au contraire, de les aider dans la solution du problème du Liban. Ayant répondu par l'affirmative à cette demière demande de Rechid Pacha, Guizot finit par déclarer ce qui suit: "tant
que Chékib Efendi respectera, pendant l'exécution de sa mission,les principes tracés dans la note que la Porte a présentée aux ambassadeurs étrangers à la suite des pourparlers officiels (avec ceux-ci) nous (la France)
ne dirons rien; Mais s'il dépasse les objectifs strictement impartis à sa
mission en profitant de la situation actuelle et de la présence de l'armée
(de Namik Pacha) au Liban, des complications et des désaccords pourront évidemment en résulter114".
A la suite de cette conversation Rechid Pacha informa la Sublime
Porte des demandes du ministre français des Affaires Etrangères. Alors elle expulsa Ebou Naked du Liban et l'exila à Istanbul comme réparation
politique exigée par la France; elle fit même venir l'officier turc, rendu coupable de dévastation des couvents catholiques, à Istanbul, pour le traduire devant un tribunal militaire.
Sur ces entrefaites, Chékib Efendi, venu à Dayr-al-Kamer, fit, le 13
sewal 1261 (le 15 octobre 1845), une déclaration en arabe qui prévoyait 115 :
1) Désarmement de la Montagne
2) Amnistie générale
3) Le payement des indemnités
4) Les attributions des Vékils, etc.
Ensuite, pour réprimer toute tentative de révolte et toute opposition à ses
projets, le ministre ottoman fit arrêter les principaux chefs chrétiens et
114
Ibid.
115
Pour le texte turc de cette déclaration voir Lutfı Tarihi VIII pp. 395-400.
MOUSTAJ'HA RÉCHID PACHA
'195
Druses y compris les Kaîmakams, qui refusaient, tous, le désarmement
général116. Par la suite, il commença à procéder au désarmement dans la
Montagne.
Mais toutes les mesures prises par Chékib Efendi furent contestées
par les consuls et ambassadeurs étrangers et par la suite suscitèrent la réaction des Puissances et de l'opinion publique européenne qui voyaient
dans la politique du ministre ottoman la fin de l'autonomie de la Montagne ainsi que la fin de leurs intérêts117. Devant cette situation la Sublime Porte révoqua Chékib Efendi du poste de ministres des Affaires Etrangères afin d'empêcher les pressions et les interventions des Puissances à
Istanbul et l'accrédita comme ambassadeur auprès du gouvernement anglais118. En même temps, nommant Rechid Pacha ministre des Affaires
Etrangères, elle le rappela au mois d'octobre à Istanbul. Alors celui-ci après s'être entretenu, une dernière fois, avec le Roi, Thiers et Guizot sur le
problème du Liban quitta Paris pour occuper son nouveau poste 119 .
Pourtant, avant de quitter la Montagne, Chékib Efendi réussit à établir un système qui limitait, par les lois et les règlements, les pouvoirs administratifs des fonctionnaires indigènes et les droits féodaux des chefs libanais. Selon le système de Chékib Efendi:
1) Les deux Kaîmakams seraient nommés directement par la Sublime
Porte et non par les Pachas de Saîda: Chaque Kaîmakam, en tant que
fonctionnaire de l'Etat, recevrait, par mois, 12 500 piastres. Ils respecteraient désormais les lois et les règlements établis 12°.
2) La constitution des deux Divans (conseil) qui siégeraient auprès du
Kaîmakam druse et du Kaîmakam chrétien présidés le premier par
l'Emir chrétien. Chaque Divan aurait douze membres, un sous Kaîmakam (Mütesellim)121, cinq juges (Kadi) et six conseillers (Müstechâr) dont
deux druses, deux maronites, deux Melkites, deux grecs catholiques, deux
musulmans, un métouali. Les deux Divans répartiraient les impôts dont
116
Lutfı. VIII. p.6o (note d'AMurrahman Seref).
117
H . U L M A N . article cité. p. 264.
1,8
Lutfı Tarihi. VIII. 63. (notr d'Abdurrahman Seref).
Rechid Pacha envoya à la Porte sa dernière correspondance sous la date du 19 zil-
kade 1261 (le 20 novembre 1845).
120 Lutfı Tarihi. VIII. 106-107
121
Mütesellim: titre qu'on donnait au sous gouverneur d'un district. Il préside le Di-
van en l'absence du Kaîmakam.
"74 B A Y R A M K O D A M A N
la perception et le recouvrement étaient confiés aux Kaîmakams, aux Mukataajis et aux Vékils. Les juges se prononceraient sur les questions judiciaires; toutefois, le Kaîmakam, sur l'appel de la partie codamnée, était
tenu de faire reviser le procès122. Si dans les questions d'impôts, le conseiller et le juge d'une communauté se refusaient à signer le rôle d'impôts
en prétextant qu'il était préjudiciable aux intérêts de ceux qu'ils représentaient, l'affaire serait réglée par le Pacha de Saîda, en dernier res sort123.
3) L'institution des Vékils subsista dans les districts mixtes. Malgré
toutes les difficultés qu'il avait rencontrées pendant la nomination des Vékils en raison de l'opposition d'une partie aux candidats de l'autre partie,
Chékib Efendi arriva à résoudre ce problème complexe par sa conduite
impartiale envers les deux communautés.
En conclusion, le règlement de Chékib Efendi fut immédiatement mis
en vigueur. Les Puissances occidentales y donnèrent leur consentement
voulant clore, par là, ce chapitre important de la question d'Orient. De
leur côté les communautés désiraient d'ailleurs le retour à la paix et à la
sécurité; elles acceptèrent donc ces nouvelles dispositions. Ainsi, grâce au
règlement de Chékib Efendi, le calme régna dans la Montagne jusqu'en
1860124.
122
de la J O N Q U I E R E . op.cit. p. 504-505.
Pour le détail voir Lutfi. VIII. 443-451. Lrs instructions données aux Kaîmakams
par Chékib Efendi.
123
124
1966.
Pour la crise de 1860-1861 voir H . U L M A N . 1860-1861 Suriye Buhranı, Ankara
BIBLIOGRAPHIE
I. D O C U M E N T S INEDITS :
Başvekâlet Arşivi (B.A.) : Archives du Président du Conseil (Istanbul).
Hatt-i Hümâyûnlar (H.H.)
Nâma-i Humâyun Defteri, n° 11.
Mesâil-i siyâsiye dosyalari (Hariciyye) : Dossiers des questions politiques.
(Le numéro de chaque document est indiqué dans les références).
Archives Françaises du Ministère des Affaires Etrangères (A.A.E.) Paris.
TURQUIE, vol. 269-283.
TURQUIE, Mémoires et Documents.
TURQUIE, Les affaires générales.
(Le numéro de chaque document est indiqué.)
II. D O C U M E N T S PUBLIES :
Nâmik Paşanin Londra elçiliği (l'ambassade de Namik
Paşa à Londres) in Tarih Vesikalari; t. II-III.
BAYSUN C A V İ D : Mustafa Reşid Paşanin Paris ve Londra elçilikleri esnasındaki siyasi yazilari (Les correspondances de Rechid Pacha pendant
ses ambassades à Paris et à Londres), in Tarih Vesikalari, 1941-1949;
t. I-III.
BAYSUN C A V İ D : Mustafa Reşid Paşanın siyasî yazıları (Les correspondances politiques de Rechid Pacha).
Tarih Dergisi ; n° vol.
VI/9, X/14, XI/15, XII/16,
A L T U N D A Ğ , ŞÎNİSİ :
Reşid Paşa ve Tanzimat,
(Rechid Pacha et le Tanzimat, qui contient la correspondance de Rechid Pacha et les documents concernant Rechid Pacha), Ankara, 1954.
Koçu R. EKREM : Osmanlı Muahedeleri (Les traités ottomans), Istanbul,
1934K A Y N A R REŞAT : Mustafa
TESTA (BARON DE) : Recuil
des traités de la Porte avec les puissances
étrangères
depuis 1536, Paris, 1864-1896; II-III.
Muahedat Mecmuası
(Recueil des Traités);
Istanbul, 1294, 5 volumes.
III. O U V R A G E S E T A R T I C L E S C I T E S :
A B A D A N Y A V U Z : Tanzimat
fermanının
tahlili
mat)^ Tanzimat I, istanbul, 1940, 31-58.
(analyse du firman du Tanzi-
BIBLIOGRAPHIE
'98
Istanbul,
ABDURRAHMAN SEREF : Tarih Musahabeleri;
A B D U L H A L İ M M E M D U H : Reşid Paşa; istanbul,
A D E L İSMAIL : La
question druse au Liban
1925.
1306.
entre 1840 et 1861, (Thèse dactylog-
raphiée), Paris, 1956.
AGERON
ROBERT :
Histoire
de l'Algérie
contemporaine
(Que sais-je), Paris,
1970.
(Chronique de Lutfi), Istanbul, 1290/1328, 8
vol. Le VIIIe volume publié et annoté par Abdurrahman Seref.
A H M E D RASIM : Osmanlı Tarihi (Hist.de l'Emp.ottoman), Istanbul, 1330.
AKCURA YUSUF : Osmanli Devletinin dağılma devri (la période de décadence
de l'Empire ottoman), Istanbul, 1940.
A L E M J. PIERRE : Le Liban. Paris, 968 (Que sais-je?).
A L Î FUAT : Mısır
valisi Mehmed AU Paşa ( M . Ali PAcha, gouverneur
d'Egypte), inT.T.E.M., 19(96), 64-147; Istanbul, 1928.
A H M E D L U T F I : Tarih-i Lutfi
A L I FUAT : La
question des Détroits,
conférence de Lausanne.
A L I F U A T : Rical-i
son origine, son évolution,
sa solution à la
Paris, 928.
Mühimme-i
siyasiyye
(Les personnages politiques impor-
tants); Istanbul, 1928.
ALTUNDAG SINASI : "Mehmed Ali Paşa".
ALTUNDAG SİNASİ : Kavalali
Mehmed
In IsLAns.,
Ali
VII, 566-578.
Paşa isyanı ve Misir
Meselesi ( L a r é -
volte de M. Ali Pacha de Kavala et la question d'Egypte), Ankara,
1945ANCEL J. : Manuel historique de la question d'Orient; Paris, 1923.
A R A L H A M Ï D : Disisleri Bakanlığı
1967 yilligi (annuaire du Ministère des Affaires Etrangères de 1967), Ankara, 1967.
AVCIOGLU
DOĞAN :
Türkiyenin
Düzeni
(l'ordre de la Turquie), Ankara,
1969O. LUTFÎ : "Türk toprak hukuku tarihinde Tanzimat ve 12741858 tarihli arazi kanunnamesi'' (les réformes dans l'histoire du droit
foncier turc, et le code agraire de 1858) (1274H) IN Tanzimat I; Istanbul, 1940, 321-421.
BAYSUN C A V İ D
Tepedelenli Ali Paşa." in Aylik Ansiklopedi, n° 9 (1945),
pages 287-289.
BARKAN
BAYSUN C A V Ï D :
d'Algérie
" Cezayir meselesi ve Reşid Paşanin
et l'ambassade
de Rechid
Pacha à Paris),
gresi, Tebliğler, Ankara, 1948, pages 375-379.
BAYSUN C A V İ D : "Mustafa Reşid Paşa", in Aylık
pages 282-284.
Paris elçiliği"
III
(la
question
T ü r k Tarih Kon-
Ansiklopedi,
n° 9 (1945),
BIBLIOGRAPHIE
'99
pages 7 2 3 - 7 4 6 .
Paris 1 8 6 5 .
Aziz : "Mora ihtilâli tarihçesi* (La révolte de Morée)in Tank vesi-
BAYSUN C A V İ D : Mustafa
Reşid Paşa, " in Tanzimat,
B E L I N : Essai sur l'histoire économique de la Turquie.
BERKER
kalan,
II/7-11.
: "Tanzimatin haricî siyaseti" (Politique extérieure du Tanzimat). Tanzimat, 6 6 1 - 7 2 2
B O N N A I R A . U . : Qu'est ce que la question d'Orient? Paris, 1840.
BOURGEOIS E M I L E : Manuel
de politique étrangère. Paris, 1906, III ( 1 8 3 0 BILSEL C E M I L
1870).
BOURSON P. : Les puissances
européennes dans la question d'Orient.
Bruxelles,
1840.
CADALVENE (DE)ET BARRAULT : Histoire
de la guerre de Mehmed
Porte. Ottomane, en Syrie et m Asie Mineure, ( 1 8 3 1 - 1 8 3 3 ) .
CADIOT : Vrai point de vue des Affaires d'Orient,
CAMILLE
R. : L'Algérie, Paris,
1887;
AU contre la
Paris,
1836.
Paris, 1840.
I.
CASTILLE HÏPOLYTE : Rechid Pacha, Paris, 1858.
C E M ISMAİL :
Türkiye'de geri KalmisUğin
tarihi,
(Histoire du sous-développe-
ment en Turquie), Istanbul, 1970.
CEVDET PAŞA : Tarih
CEVDET PAŞA :
(Histoire). Istanbul, 1309, XII.
(Mémoires), publiées et annotées par Cavid Bay-
Tezâkir
sun, Ankara,
1953-1967.
DESTRILLES : Confidences sur la Turquie,
D R I A U L T E D . : La situation de l'Empire
D R I A U L T E D . : Selim
I I I et Napoléon,
Paris,
1855.
ottoman, Paris 1898.
(trad, par M. Fuat Köprülü), Istan-
bul, 1331.
Paris, 1919.
DUROSELLE J . B . : L'Europe de 1815 à nos jours, Vie politique et relations internationales; dans la collection Nouvelle Clio, Paris, 1964.
ENGELHARD : La Turquie et le Tanzimat;
trad. turc par Ali Reşat) Paris,
D R O Z J . : Histoire diplomatique
de 1648 à 1919.
1880.
ESQUER G . : Les commencements d'un empire, la prise d'Alger.
Paris
1929.
E s q u e r G . : Histoire de l'Algérie, Paris 1950.
F A T I N : Tezkere
(Mémoires), Istanbul,
1271.
1840'dan 1 8 6 1 ' e kadar Cebeli-I Lübnan meselesi ve
Dürziler", (La question du Liban de 1846 à 1861 et les Druses) in
Belleten, X, 1946, n° 4 0 , 6 4 1 - 7 0 3 .
GÖKBILGİN T A Y Y İ B : "
GÖKBİLGÎN T A Y Y İ B
: "Dürziler;" in Isl.Ans., III,
672-680.
GUIZOT : Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps,
Paris,
1865.
'98
BIBLIOGRAPHIE
ILTER A . S A M Ï H : Şimali
tanbul,
INALCIK
Afrika
Türkler,
(Les
Tura
en Afrique
du Nord),
Is-
1936-1937.
HAIİL :
A.U.D.T.C.
"Tanzimat Nedir" (Qu'est-ce que le Tanzimat), in
Tillik Araştirmalar
dergisi, Istanbul, 1944 pages
Fakültesi
237-263.
IDEM. : "Tanzimatin uygulanması ve sosyal tepkileri" (L'application du
Tanzimat et ses contrecoups d'ordre social), in Belleten, X X V I I I ,
1964, n° 112, p. 623-690.
I D E M : "Sened-i ittifak ve Gülhane hatt-i humayunu" (le document visant
la limitation mais aussi le renforcement du pouvoir du Sultan et le
hatt-i humayun de Gülhani), Belleten, pages 603-622.
JONQUIERE (DE L A ) : Histoire de l'Empire
JOUPLAIN : La question du Liban,
Paris, 1897.
Paris, 1964.
(Histoire diplomatique), Istanbul, 1327, III.
K A R A L E N V E R Z I Y A : "Ragib Efendinin İslahat lâyihasi" (Le projet de Ragip Efendi à propos des réformes), in Tarih vesikalari I/5, pages 356368.
IDEM : "Tanzimattan evvel garplilaşma hareketleri" (L'occidentalisation
avant le Tanzimat), in Tanzimat, 13-30.
IDEM : "La transformation de la Turquie d'un Empire oriental en un état
modeme et national", in Cah. d'Hist. Mondiale, I V 1958, n° 2, p. 426447IDEM : "L'Acculturation: Orient et Occident après l'apparition de l'Islam",
Xlt
Congrès Inter. des Scienc. Historiques, (Vienne 1965), Rapports I, p.
JUIEN
A.
ottoman.
Paris 1908.
C H . : Histoire de l'Algérie contemporaine.
K A M I L PAŞA : Tarihi siyasi,
75-83-
Tarihi (Histoire ottomane), Ankara, 1961, 1954, V-VII.
"Gülhane Hatt-i humayununda Batinin etkisi" (l'influence de l'Ocident sur la promulgation du "hatt-i Humayun" de Gülhane); Belleten,
n° 112, p. 581-601.
IDEM : Osmanli
IDEM :
K U R A N ERCÜMENT :Cezayirin
Fransizlar
tarafından
işgali karşısında
Osmanli
si-
(L'occupation de l'Algérie par la France et la politique ottomane), 1827-1847. Istanbul, 1957.
yaseti,
IDEM :
IDEM :
"Reşid Paşa" in IsL Ans., IX, 701-705.
"Fransanın Cezayire tecavüzü" (Offensive française en Algérie), in
Tarih Dergisi, 1 9 5 3 , v o l . I I I .
LACOUR C H A L L E M E L :
Fuad Pacha", in
pages 886-925.
"Les Hommes d'Etat de la Turquie, Ali Pacha et
livraison du 15 février 1869
La Revue des deux Mondes,
BIBLIOGRAPHIE
201
Paris 1859.
LAVISSE ET R A M B A U D : Histoire générale; vol. X (1898).
M A N T R A N ROBERT : Histoire de la Turquie (Que sais-je?) Paris 1961.
M E H M E D SALAHADDIN : Bir tiirk diplomatının
evrak-i siyasiyesi, (Le journal
politique d'un diplomate turc); Istanbul, 1806.
M E H M E D SÜREYYA : Sicill-i Osmani,
(Les personnages importants dans
l'histoire ottomane); Istanbul, 1808-1311, III.
M E T T E R N I C H (PRİNCE DE) : Mémoires, documents et récits divers, Paris 1883.
M I N I S T E R E D E L ' I N T É R I E U R : La Turquie contemporaine. Ankara, 1935.
M O L I N A R I : Rechid Pacha. Paris 1842.
Mufassal Osmanlı Tarihi, (Histoire détaillée de l'Empire ottoman, écrite par
une commission). Istanbul, 1963, VI.
M U S T A F A N U R I PARA : Netayic-ül-vukuat
(Les conséquences des événements) Istanbul, 1827,IV.
ONGUNSU H . M . : "Tanzimat ve âmillerine umumi bir bakiş" (Aperçu général sur le Tanzimat et ses facteurs), in Tanzimat, 1-12.
PINON R E N É : Histoire diplomatique. Paris, 1928.
IDEM : L'Europe et l'Empire ottoman. Paris 1908.
PIRENNE JACQUES : Les grands courants de l'histoire universelle. Paris, 1965, V .
POOLE ST L A N E : "Lord Straford Canning" in Türkiye hatirakn,
trad. de
l'anglais par Can Yücel, Ankara, 1959.
RENOUVIN P . : Histoires des relations internationales, Paris, 1954, V / I .
R I F A T : Verdiilhadayik, (qui contient la biographie des grands visirs). Istanbul.
L A V A L L E E T H . : Histoire de la Turquie,
S A B R Y M . : L'Empire
égyptien sous Mehmed Ali, Paris, 1898.
I D E M : La question d'Egypte,
Paris, 1920.
ottoman, Paris, 1844, IV.
"Tanzimat ve sanayimiz" (Le Tanzimat et notre industrie), in Tanzimat, 423-440.
SAINT DENIS JUCHEREAU : Histoire de l'Empire
SARÇ Ö M E R C E L A L :
SCIPION M A R I N : Conduite de la France envers la Turquie.
SERRES J E A N : La politique
turque en Afrique
Paris, 1840.
du Nord sous la Monarchie
de Ju-
illet. Paris, 1925.
E.
1946.
ŞAPOLYO
B E H N A N : Mustafa
Reşıd Paşa ve Tanzimat
devri Tarihi,
Ankara,
III, 665-672.
İDEM : "Dürzi tarihine dair notlar" (Les notes sur l'histoire druse);
Dergisi, n° 10 (1955), p. 143-156.
T E K İ N D A G M . C . SiHABEDDİN : "Dürziler" in IsL Ans.
Tarih
'98
BIBLIOGRAPHIE
"Tanzimat devrinde Osmanli devletinin harici ticaret siyaseti" (La politique économique extérieure de l'Empire ottoman
à l'époque du Tanzimat), in Tanzimat, 289-320.
TEVFIK : "Reşid Paşa merhumun bazi âsar-i siyasiyesi" (Les oeuvres politiques du regretté Rechid Pacha), Istanbul, 128g.
TUKIN CEMAL : Osmanlı imparatorluğu deminde boğazlar Meselesi, (La question
des Détroits sous l'Empire ottoman), Istanbul, 1947.
UBICINI : La Turquie actuelle, Paris 1855.
TENGIRŞEK Y . KEMAL :
U N A T FAIK REŞIT : Hicri
tarihleri
milâdı
tarihe çevirme kılavuzu,
concordance entre les dates des ères musulmanes et chrétiennes). Ankara,
ULMAK HALUK : 1 8 6 0 - 1 8 6 1 Suriye buhrani,
Osmanlı
olay, (La crise de Syrie entre 1860-1861), Ankara,
diplomasisinden
(Manuel
de
1959.
bir örnek
1966.
"1840-1845 arasında Suriye ve Lübnanın durumu ve milletlerarası
politika" (La situation du Liban et de la Syrie entre 1840-1845 et la
politique internationale); in. SBFD, XVIII, 1963, n° 3/4, p. 243-268.
WIET GASTON : "Les puissances musulmanes", in Histoire universelle. Paris
1958, III, 1147-1247.
IDEM :
IV. J O U R N A U X :
Le Constitutionnel.
Journal de Paris.
Moniteur ottoman (Istanbul).
Takvim-i vekayi.
I N D E X
— A —
Abdülhamid 1 : 7 .
A b d ü l k a d i r 88.
Abdülmecid: 28, 2g, 30, 162.
A d a n a (Cilicie): 21, IOO, 106, 118, 119, 123,
126, 127, 128, 132, 133, i;i4, 135, 140,
142.
Afrique (Afrika): 39, 41, 43, 44 45, 59, 61,
67, 75. 7 8 , 8 I .
A h m e d III: 7.
A h m e d Arslan (Emir): 178, 180, 181.
A h m e d Behçet Efendi: 179.
A h m e d Bey (Gouverneur de Constantine)
75- 76, 77. 78. 80, 82, 88,89.
A h m e d Ejeial Bey: 179.
A h m e d Fevzi Pacha: 101.
A h m e d Liitfi: 107, 112.
Akif Efendi: 19, 131.
9 ' . 99. I0 3> 104> io 5> io 9> » 2 , 113.
117, 118, 119, 122, 123, 126, 128, 132,
>33. 136, 137. >38. 143. '47. 157. ' 5 7 .
158, 163, 164, 165, 166, 174, 183, 184,
185.
A n n a b e (Bône): 47, 89, 90.
Apponyi (Comte, l'ambassadeur autrichien): 121.
Arabie: 115, 134, 142.
Arsenal: 7
Asie Mineure: 26, 97, 99, 100, 112,
Autriche: 2, 40, 44, 45, 46, 54, 60, 62, 63,
64, 91, 104, 108, 109, 110, 121, 132,
i 3 8 . '39. '42. 143. '49. l 6 6 > '83A y a z Pacha (le quartier d'Istanbul): 17.
— B —
Akif Efendi (Köse): 17.
Bacri: 38.
A k k a (Acre, Snt. J. d'Acre): 97, 114, 127,
128, 135, 139, 140, 142, 144, 145.
Alanya: 20
Baden: 54, 55.
Balkans: 1, 2, 29, 97, 103.
Baltalimani (district d'Istanbul) 14.
Béchab: 161.
Albanie: 19.
Alep: 97, 188.
Alexandrie: 20, 95, 105, 107, 142, 144. H5>
148.
Alger: 39, 40, 41, 42, 43, 44, 49, 50, 54, 70,
Algérie: 37, 39, 40, 41, 42,
48. 49. 5 ° . 5 2 . 55- 58,
64, 65, 66, 67, 68, 69,
78, 80, 81, 82, 83, 84,
92, 106, 117, 124, 125.
113,
'25-
43,
59.
71,
85.
44, 45, 47,
60. 6 1 . 63,
74, 76, 77,
86, 90, 91,
Ali Efendi (Pacha): 192.
Ali Pacha (le fils de Y u s u f Pacha Bey de
Tripoli): 75, 76.
Ali Pacha (de Tépédélen): 3.
Ali Riza Efendi (Darphane Nazırı): 21.
Alix Desgranges: 150.
Angleterre (Grande Bretagne): ı ı , 12, 13,
14, 28, 40, 42, 44, 46, 48. 54, 59, 60,
61, 62, 63, 67, 68, 73, 77 84, 86, 87,
Béchir C h é h a b (Emir): 119, 162, 163, 167,
168, 169, 170, 172, 173, 176, 177, 182,
184, 187.
Belgique: 14, 45.
Belgrade: 2, 54.
Berlin: 8.
Berriuet'süs-sam: 135.
Beyazıd II: 15.
Bey lan: 97.
Beyrouth: 144, 162, 165, 166, 168, 16g,
170, 172, 173, 180, 187, 188, 189, 190,
191, 193, 194.
Boghos Bey: 145.
Bonaparte: 93.
Bosphore: 14, 50, 100, 104.
Bourqueney (Baron de, Ambassadeur de
France): 171, 172, 190, 191, 192, 193.
Broglie (Duc de): 71.
Brousse: 16.
INDEX
204
12»,
130,
138,
147,
Bucarest: a, 79.
Bulwer: 14.
Busnach: 38.
Büyükdere: 100.
— C —
Caire: 93.
C a p Boujaroni: 41.
Casimir Périer: 42.
Charles IX: 12.
Charles X : 47, 90.
Charles de Lorette: 189, 191.
Chékip Efendi (Şekip): 138, 148, 189, 190,
191. '93. '94. '95. 196.
Clauzel: 88.
Coblin (Général): 54.
Constantine: 80, 82, 83,88, 89, 92.
Cor (Drogman de l'ambassade française)
>57. 171Crête: 19, 112, 114, 134, 135, 140, 142,
143— D —
Dalmat'e (Duc de, Maréchal): 135.
Damas (Şam): 113, 180.
Damrémont: 89.
Danemark: 14.
Dardanelles: 101.
Davut Pacha (l'un quartiers d'Istanbul) 17.
D a y r a l Kamer. 164, 181, 186, 194.
Désages: 81, 114, 119, 120, 121, 171, 174,
1 75Etjâdda: 135, 140.
Djeble Drusé: 170.
Djouney: 144.
Druses: 161, 162, 163, 164, 169, 171, 172,
'75. 177. 178, 180, 181, 184, 186, 187,
188, 189, 195.
—
E -
Ebou Naked: 192, 194.
Edime (Adrinople): 18,91, 179.
Egypte: 13, 19, 20, 26, 40, 47, 49, 50, 54,
6o, 61, 63, 80, 81, 84, 86, 90, 91, 93,
93, 95, 96, 101, 102, 106, 107, 108,
109, 110, m , 112, 113, 114, 117, 119,
121,
I3t,
139,
I48,
122, 123, I24, 125, 127, 129,
132, I33, 134, 135, 136, 137,
I40, 142, 143, 144, I45, 146,
I49, I50, 15i, 155, 165.
Emin Chéhab (Emir du Liban): 184, 186.
Empire Byzantin: 23.
Esad Muhlis Pacha: 173, 174, 176, 178,
180, 186, 188.
Espagne: 14.
— F —
Fethi Bey 'l'ambassadeur Ottoman à Vienne): 79France: 12, 14, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43,
44. 45. 47. 48. 49. 5°. 5 i . 58. 53. 54.
55. 56. 57. 58, 59. 60. 61, 62, 63, 64,
65, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 73, 74, 75,
76, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86,
87, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 98, 99, 104,
105, 106, 107, 109, IIO, I I I , 112, 113,
116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123,
I24, 129, I32, I34, I35, 136, 137, 139,
14i, 146, 155, 156, 158, 163, 164, 165,
I74, I75, l82, 183, 184, 185, 188, 190,
19'. '94— G —
Gaston Wiet: 102.
Gelibolu: 17.
Gérard (Maréchal, le Premier Ministre) 58.
Grèce: 91, 95, 102, 103.
Gülhane: 28, 29, 138, 157, 161.
Guilleminot (l'ambassadeur de France): 40,
58, 59, 64, 66, 67, m , 116, 118.
Guizot (Ministre français des Affaires Etrangère): 156, 157, 165, 167, 168, 169,
170. 171, 175, 176, 184, 186, 188, 189,
192. 193, 194, 195.
— H —
Hafiz Pacha: 129.
Halil Hamit Pacha: 25.
Halil Rifat Pacha: 20, 107, 108, 173, 177,
178. 181, 185, 186, 188.
Hamdan Efendi: 47, 48, 49, 60, 74, 75, 83.
Hasan Pacha (le dey d'Alger): 38.
205
INDEX
Hasun Efendi: 60.
Haydar (Emir): 178, 180, 181.
Henri III: 12.
Hicaz (Hidjaz): 93,95.
Hollande: 14.
Homs: 97.
Hurşit Pacha (Grand vizir): 2, 3.
Hünkâr iskelesi: 26, 47, 49, 59, 100, 101,
102, 104, 107, 116.
Hüseyin (Bey de Tunis): 77.
Hüseyin Pacha (Au poste de Beylerbeyi
d'Algérie): 37, 38, 39, 97
Hüsrev Pacha: 130.
—
I -
Ibrahim: 137.
ibrahim Ağa: 93.
ibrahim Pacha (fils du gouverneur d'Egypte
20» 9 ' . 95. 9 e - 97- 98. 100, 106, 107,
108, 113, 114, 115, 119, 123, 129, 144,
161, 163.
Ibrahim Pacha (de Nevşehir) : 25
Ibrahim Sarim Efendi: 127, 171, 173, 175,
178.
Inde: 119.
Iskodra: 97.
İsparta: 16, 17.
Istanbul (Constantinopla): 4, 5, 13, 14, 15,
16, 17, 19, 20, 2 i , 23, 33, 40, 47, 53,
54. 55. 56. 59. 63, 69, 70, 72, 74, 76,
77. 78, 79. 83, 86, 98, 99, 100, 101,
104, 105, 107, M I , 114, II6, 117, 122,
125, 128, 132, 136, 139, 143, 144, 145,
146, 148, 150, 156, 158, 162, 165, 166,
167, 159, 170, 171, 175, 177. "79. '80.
188, 190, 191, 192, 193.
İzzet Mehmed Pacha : 144.
îzzet Pacha 18.
- J Janina (Yanya): 3.
Jérusalem (Kudüs): 23, 122, 135Jounannin: m .
— K —
Kâmil Bey (Miralay): 78, 82.
Kara Yorgi (Georges le Noir): t.
Kasım (El Kasım, Emir) 161, 162, 163, 164,
166, 167.
Kavala: 93.
Koçi Bey: 25.
Konya: 20, 98.
Kütahya: 20, 21, 47, 48, 49, 51, 91, 98, 99,
100, 106, 107, 112, 113, 120, 121, 123.
— L —
Levant: 117, 180.
Liban: 4, 108, 112, 114, 115, 119, 144» >55>
159, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168,
172, 174, 175, 176, 177. >78, 179. i 8 4 .
185, 189, 190, 194.
Libye: 135.
Londres: 8, 22, 27, 28, 29, 66, 86, 88, 114,
127, 128, 132, 138, 141, 142, 143, 144,
145. '47> 169Louis X V : 12.
Louis-Philippe: 42, 43, 44, 45, 46, 47, 51,
52. 55. 56. 57. 58, 59. 68, 79. 82, 85,
86, 123, 168, 169, 187.
— M —
M a h m u d I: 7, 12,25.
Mahmud II: 4, 5, 6, 9, 13, 15, 18, 19, 21,
25, 26, 27, 28, 29, 47, 48, 49, 51, 56,
72. 73' 79. 96. 98» 99- 107. '°8Malte: 159.
Maroc: 91.
Maronites: 161, 163, 164, 165, 169, 171,
172. 173. 175» 177. 178, 180, 181, 184,
186, 187, 188, 190.
Marseille: 53, 159.
Mavroyani: 54.
Mazlum Bey: 148.
Medine: 23.
Méditerranée: 23, 37, 44, 45, 68, 90, 107,
108, 117, 118, 120, 174.
Mehmed Ali Pacha (de Kavala, Gouverneur
d'Egypte): 14, 18, 19, 20, 26, 40, 49,
50, 60, 61, 62, 90, 91, 93, 94, 95, 96,
97» 9 e . 99. i t » . »<>3. io 4> >°5. '°6>
107, 108, 109, 110, i n , ı i 2 , 113, 115,
116, 117, 118, 120, 121, 122, 123, 124,
125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132,
133. '34. '35. ' 3 6 , 137. '38, 139» '40.
INDEX
206
141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148,
149, 150, 151, 155, 161.
Mehmed Bey: 75.
Mehmed Djémil Bey: 179.
Mehmed Said Pertev Pacha (le Ministre
des affaires étrangères): 18, 19, 26,
107.
Mehmed Selahaddin: 50, 107.
Mehmed Selim Pacha: 162, 164.
Mekke: 23.
Melkites: 195.
M e r Noire: l o i , 102.
Mersin: 20.
Metternich (Prince Comte de): 3, 40, 45,
53. 54. 55. 62. 79» io 4> >08. 109, 110,
130, 131, 142, 150, 158, 1 7 2 , 1 7 7 .
Miloch Obrénovitch (Prince de Serbie): 3,
54.
Molé: 88.
Morée: 19, 95.
Munchengraetz: 104.
Murad III: 12.
Murad IV: 25.
Mustafa III: 7.
Mustafa: IV: 5.
Mustafa (Kabakçı): 5.
Mustafa Bey: 77.
Mustafa Efendi: 15.
Mustafa Nuri Pacha (Serasker): 166, 167,
168, 170.
Nizip: 129, 130, 131, 134.
Nouri Efendi (Nuri, Beylikdji, l'ambassadeur ottoman à Londres): 71, 85, 86,
87, 128, 138, 179.
— O —
O m e r Pacha (Macar): 166, 167, 168, 169,
170, 171, 172, 173, 175, 177, 178.
Oran: 90.
Orlof: 101.
Ottenfel (Baron de): 54, 55.
— P —
Palmerston (Lord): 27, 88, 91,
Ponsonby (Lord, l'ambassadeur à Istanbul)
13. 99. '37. «46. '49. ' 5 ° . 156.
Pontois (l'ambassadeur français): 135, 141,
156.
Pozzo di Borgo: 59, 60, 112.
Prusse: 14, 44, 45, 46, 91, 104, 139, 142,
147.
Mustafa Pacha (Bayrakdar, Grande vizir):
— R —
5. 9— N —
Nafi Efendi: 18.
Namik Pacha (l'ambassadeur ottoman à
Londres): 61, 62, 63, 114, 122, 190,
191» 194Napier (Amiral): 144, 145.
Naplouse: 122.
Naval (Duc de, l'ambassadeur de France à
Londres): 40.
Navarin: 96.
Nedim Efendi: 156.
Nedjib Pacha: 75.
Nicolas I: 45.
Nil: 94.
Nis: 53.
128, 130,
'30. '39. >42Paris: 8, 21, 22, 27, 47, 48, 50, 51, 52, 53,
55. 56. 59. 62. 66. 70, 72. 79. 80, 83,
84, 86, 88, 90, 106, 107, 108, 110,
125, 127, 129, 130, 131, 138, 155, 156,
158, 159,164, 179.
Pierre Deval (Consul de France): 38, 39.
Polignac (Prince de): 40,41,90.
Ragib Pacha: 25.
Rakka: 120, 121, 123.
Rauf Pacha (Grand vizir): 158.
René pinon: 102.
Rifat Bey: 142, 143.
Rigny (Amiral, Ministre des affaires étrangères): 64, 65, 66, 114, 123.
Riza Pacha (Muchir): 150, 173.
Rose (Colonel): 187.
Roussin (l'ambassadeur de France): 48, 49,
51, 52, 68, 69, 77, 86, 99, 122, 123.
Ruhiddin Efendi (Rouhiddin, Professeur à
l'école du génie maritime): 51, 56, 70,
7>. 74. 125Rumelie: 97.
Rusçuk: 5.
207
INDEX
Russie: 2, 6, 18, 2g, 40,
54. 55. 59. 60. 61,
99, 101, 102, İ03,
116, 117, 118, 125,
44, 45, 46, 48, 49,
62, 64, t, 7 , 91, 98,
104, 109, 112, 114,
129, 132 135, 136,
142, 147, 14g, 182, 183, 185.
139,
Tahiti: 184.
Tarabya: 100.
T a u r u s : 21, 100.
Thiers: 27, 142, 195.
T o p h a n e : 7.
Toscane: 14.
— S —
Saida:
122, 135, 140, 144, 162, 173,
180, 188, igo, 196.
Said \ l u h i b Efendi: 14g.
Salih Pacha ( C o m m a n d a n t de Nis) 53.
Samı Bey: 139, 140.
Sardaigne: 14.
Selim I: 15g.
176,
177.
T o u l o n : 14.
Trablusgarb: 75.
Tripoli: 40, 75, 76, 78, 80, 83, 8g, 11g, 122,
123, 127, 128, 135, 140, 144.
Tunis: 40, 41, 75, 76, 77, 78, 80, 83, 84,
9'. " S . 135— V —
Selim III: 4, 5, 6, 7, 8, 12, 25,93.
Selim Bey: 168, 170, 171, 172, 173.
Serbie: 2. 3. 54, 95.
Seyyid Ali Pacha (d'Isparta): 16, 17
Soult (Maréchal): 12g, 130.
Stumer
Baron, l'ambassadeur
Varenne (Baron de, secrétaire de l'ambassade de France à Istanbul): 20, 48, 51,
Selim Pacha (Grand vizir): 6, 18.
autrichien):
123.
Vecihi Pacha: 188, i g i .
Vienne: 8, 53, 54, 55, 79,
158, 178.
140.
Suez: 137.
Süleyman (Magnifique): 12.
Sumnu: 18.
Syrie: q6. 97, g8, 100, 108,
1 1 3 . 114, 115, 118, 11g,
1 2 6 . 1 2 7 , 128, 12g, 131,
1 3 8 . 140, 142, 144, 145,
— W —
10g, 110, 112,
120 122, 124,
132 133, 135,
155 15g, 165,
Wellington (Duc de): 62, 66.
— Y —
Yaver Pacha: 148.
'74— T —
Tafna: 88.
Tahir Pacha: (Kaptan-ı Derya): 41. 78, 173.
— Z —
Z e m o n : 54.
103, 108,
130,

Documents pareils