310112 Protectionnisme Argentine Bresil

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310112 Protectionnisme Argentine Bresil
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Note de veille, 31 janvier 2012
Le protectionnisme version Mercosur, un nouveau modèle commercial ?
Alors que les pays européens réfléchissent à des solutions fiscales et douanières pour
favoriser leurs productions locales, les pays d’Amérique du Sud, eux, multiplient depuis
plusieurs années déjà les mesures protectionnistes. L’Argentine se distingue particulièrement
dans ce domaine, car le gouvernement considère que le protectionnisme est nécessaire à la
sauvegarde de l’industrie du pays.
En décembre 2011, les pays membres du Mercosur 1 ont voté la possibilité d’augmenter
temporairement la taxe appliquée aux importations de produits de pays extérieurs à la zone.
Cette hausse pourra atteindre jusqu’à 35 % (le maximum fixé par l’OMC, l’Organisation
mondiale du commerce), être décidée unilatéralement par un État, et sera effective pendant
une durée d’un an renouvelable une fois. Elle pourra concerner une centaine de produits par
pays et, si la liste n’a pas encore été déterminée, il est probable qu’il s’agira surtout de biens
de consommation courante : biens d’équipement, textiles… 2.
Si cette mesure peut surprendre de la part de pays en plein développement, elle s’explique par
le fait que l’Amérique du Sud est elle aussi fragilisé par les importations des pays asiatiques,
qui représentent environ 31 % des importations totales du Brésil, et 25 % de celles de
l’Argentine, et ne cessent d’augmenter 3. La croissance de la demande de ces pays est certes
dynamique, mais les industries locales peinent à en bénéficier, car leur compétitivité-prix est
insuffisante face aux produits asiatiques, mais aussi américains, qui bénéficient en outre de
l’appréciation du real et du peso argentin par rapport au yuan et au dollar US.
En conséquence, depuis 2008, le gouvernement argentin multiplie les mesures
protectionnistes visant à limiter les importations pour favoriser l’industrie nationale. En 2011,
1
Quatre pays fondateurs (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) et six membres associés (Bolivie,
Chili, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela). Le Venezuela est candidat à l’adhésion et en voie
d’intégration depuis 2006, et l’Équateur a officiellement sollicité son adhésion en 2011.
2
Voir le compte rendu de la réunion du Mercosur du 19 décembre 2011 à Montevideo, URL :
http://www.mercosur.int/t_generic.jsp?contentid=3734&site=1&channel=secretaria
3
« Argentina es uno de los países más proteccionistas del mundo », La Nación, 20 décembre 2011,
URL : http://www.lanacion.com.ar/1434164-argentinas-es-uno-de-los-paises-mas-proteccionistas-delmundo ; « Confirma Brasil que protegerá de China a su industria textil », La Nación, 28 décembre
2011,
http://www.lanacion.com.ar/1436002-confirma-brasil-que-protegera-de-china-a-su-industriatextil
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1
600 produits étrangers 4 de plusieurs secteurs économiques majeurs (automobile, téléphonie,
électroménager…) étaient concernés par ces restrictions. Concrètement, pour être
commercialisés dans le pays, ces produits doivent recevoir une autorisation spéciale (licencia
no automática), délivrée, dans le meilleur des cas, au bout de 60 jours 5. La restriction est
régulièrement étendue à de nouveaux produits comme, depuis 2011, plusieurs modèles de
smartphones.
L’objectif de ces mesures est double : favoriser les productions locales et inciter les
entreprises étrangères à produire dans le pays pour profiter de la croissance de la demande
interne sans restriction. Ainsi, depuis 2009, plusieurs groupes, dont RIM (Blackberry), Nokia
et Samsung ont ouvert des usines dans la région industrielle de la Tierra del Fuego, même si
le coût du travail y est 10 à 15 fois plus cher qu’en Chine 6.
Environ 10 000 emplois auraient ainsi été créés dans cette région, et plusieurs centaines de
millions de dollars US d’investissements y auraient été générés, selon le gouvernement 7. En
2011, 8,4 millions de téléphones portables ont été fabriqués dans le pays, contre 400 000 en
2009. Et d’autres produits ont vu leur production relancée, comme les ordinateurs, les
téléviseurs et les appareils photos même si, souvent, il s’agit plus d’usines d’assemblage que
de fabrication.
Selon la ministre de l’Industrie, grâce aux mesures mises en place, le pays aurait réussi à
éviter cinq milliards de dollars US d’importations depuis 2009 (soit 1,4 % du PIB).
Mais le procédé a aussi des conséquences indésirables, lorsque les autorisations de
commercialisation tardent à être données et quand il n’existe pas de production équivalente
et / ou suffisante dans le pays : pénuries pour certains produits, inflation, contrefaçon…
Les entreprises qui ne veulent pas ou ne peuvent pas ouvrir d’usines en Argentine peuvent
aussi adopter le système de compensation : les importations de produits doivent être
compensées par des exportations de même montant. Elles doivent donc disposer d’usines de
fabrication d’autres produits dans le pays ou acheter des productions locales pour les
revendre. Ainsi, pour importer des voitures, le dirigeant argentin du groupe Porsche s’est
engagé à exporter du vin produit dans son domaine viticole 8. Mais, compte tenu du
différentiel de prix entre les deux produits, la mesure s’est surtout traduite par une baisse des
importations de voitures…
Selon certains experts, environ un tiers de tous les produits importés par l’Argentine seraient
aujourd’hui soumis à une ou plusieurs mesures protectionnistes, auxquelles s’ajoutent des
mesures informelles (négociations voire menaces directes) 9.
4
Une entreprise est considérée comme étrangère si plus de 25 % de son capital est détenu par des
acteurs étrangers.
5
« Argentina restricciones a las importaciones de Smartphones », Coastalfriendly, 9 juin 2011, URL :
http://coastalfriendly.com/friendly/index.php/2011/06/argentina-restricciones-a-las-importaciones-desmartphones/
6
« Blackberry y HP se instalan en Argentina », La Nación, 19 juillet 2011, URL :
http://www.lanacion.com.ar/1390666-blackberry-y-hp-se-instalan-en-la-argentina ; « Keep out,
Protectionism in Argentina », the Economist, 24 septembre 2011, p. 65-66.
7
« Le dicen chau al made in China », El Guardian, 11 janvier 2012, URL ;
http://elguardian.com.ar/nota/revista/354/le-dicen-chau-al-made-in-china
8
« Porsche obligado a exportar vinos par poder ingresar sus autos en Argentina », Carburante, 4
novembre 2011, URL : http://www.carburante.cl/2011/11/04/porsche-obligado-a-exportar-vinos-parapoder-ingresar-sus-autos-en-argentina/
9
« Argentina es uno de los países más proteccionistas del mundo », op. cit.
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2
Ces restrictions ont déjà inspiré d’autres pays de la région, notamment le Brésil, qui a aussi
renforcé les contrôles des importations, restreint celles de textiles et augmenté les taxes sur
certains produits (comme les tablettes tactiles). En septembre, le gouvernement a annoncé une
hausse de 30 % des taxes sur l’importation de véhicules qui n’ont pas été fabriqués au moins à
65 % dans le pays ou au sein du Mercosur 10. La mesure est jugée nécessaire pour défendre la
production de voitures brésiliennes face aux voitures asiatiques, beaucoup moins chères.
Tout comme l’Argentine, le Brésil a par ailleurs limité la part des terres nationales accessibles
(achat ou location) par des acteurs étrangers, afin de limiter la spéculation.
En conséquence, ces deux pays figurent désormais parmi les plus fermés au monde : selon le
classement sur le degré d’ouverture des marchés du G20 de la Chambre de commerce
internationale, le Brésil occupe la dernière place et l’Argentine l'antépénultième 11.
Les mesures mises en place par l’Argentine et le Brésil se justifient par leur volonté de
profiter de la croissance de leur demande interne pour accélérer leur développement. De ce
point de vue, elles peuvent s’assimiler à du protectionnisme éducateur, consistant, pour un
pays en développement, à favoriser ses industries nationales en limitant temporairement
l’accès au marché interne pour la concurrence. De telles dispositions ont ainsi permis
d’accélérer le développement des deux pays, jusqu’à ce que leur entrée dans les institutions
internationales (notamment l’OMC) les contraignent à y mettre fin. Cette solution ne peut
cependant qu’être temporaire, puisqu’elle oblige les consommateurs à payer plus cher et
constitue un obstacle au libre commerce.
De plus, cette politique protectionnisme, si elle se renforce ou se maintient, pourrait être
dénoncée par l’OMC et / ou par certains des pays membres. À moins qu’elles ne les inspirent,
et les incitent à repenser les règles du commerce international.
Cécile Désaunay
Champs de veille : Économie, finance / Géopolitique
Mots clefs : Amérique du Sud / Brésil / Commerce international / Protectionnisme
10
« Brasil propone tasa extra de importacion », Publicaronline, 20 septembre 2011, URL :
http://www.publicaronline.net/2011/09/20/brasil-propone-tasa-extra-de-importacion/
11
ICC (International Chamber of Commerce). Open Market Index 2011, URL :
http://www.iccwbo.org/policy/trade/index.html?id=46896
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