Les enjeux des télécoms dans les pays émergents

Transcription

Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Les enjeux des
télécoms dans les
pays émergents
Point de vue
Editorial
Les télécommunications ont connu dans les pays émergents, et notamment en
Afrique, une décennie formidable au début du XXIème siècle. Le déploiement de
la téléphonie mobile, et le succès du GSM auprès du grand public, a été l’un des
événements majeurs des dernières années, avec l’explosion des smartphones
et de l’Internet mobile. L’aventure des télécoms dans les pays émergents ne fait
pourtant que commencer : au saut quantique du fixe au mobile, va répondre
le saut quantique de l’Internet fixe à l’Internet mobile dans les 10 prochaines
années.
Chez BearingPoint, nous savons que les enjeux pour les pays émergents ne
concernent pas seulement les statistiques du nombre de clients ou de taux de
pénétration. Le succès des télécommunications constitue un véritable défi pour
les acteurs de l’écosystème, mais aussi une opportunité de désenclavement,
de renforcement des pays émergents dans les échanges internationaux et plus
globalement de développement économique et sociétal.
Au travers de quelques illustrations, nous mettons en relief ces défis, impacts et
possibilités offertes par les télécoms dans les pays émergents. Les années à venir
seront celles de nouveaux challenges à relever.
Henri Tcheng
Associé
Jean-Michel Huet
Directeur Associé
3
Sommaire
Remerciements
Editorial3
Nous tenons à remercier tout particulièrement :
Remerciements5
Le comité éditorial:
• Jean-Michel Huet
• Henri Tcheng
La réglementation des télécoms en Afrique : quel impact sur l’activité économique ?
7
L’accès universel : prochain défi pour les télécoms en Afrique ?
11
L’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms
17
Internet haut débit et développement en Afrique
23
Les relais de croissance des opérateurs télécoms en Afrique
27
3G/4G en Afrique : l’arrivée du broadband mobile
35
Network Sharing : le partage de réseaux télécoms pour créer de la valeur
39
Les SVA en Afrique, enjeu majeur pour les opérateurs télécoms43
Le BYOD : quelle stratégie d’entreprise et quels usages ?
47
Le Maroc : un modèle de développement des télécoms en Afrique ?
53
A propos de BearingPoint
58
Les contributeurs :
• Tariq Ashraf
• Aurélien Boiteau
• Amina Diedhiou
• Ouassim Driouchi
• Youssef El Shaarany
• Meriem Jlaidi
• Amira Khediri
• Romain Striffling
• Isabelle Viennois
L’équipe Marketing et Communication :
• Stéphanie Lesdos
• Arnaud Loyau
• Laura Ta
• Angélique Tourneux
Enfin, un grand merci à Valérie Riou, Consumer Trends Manager chez Orange, pour sa contribution à l’article
dédié à l’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms.
Contacts59
4 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
5
La réglementation
des télécoms en
Afrique : quel impact
sur l’activité
économique ?
La réglementation des
télécoms en Afrique :
quel impact sur l’activité
économique ?
La réglementation a été l’un des éléments qui a
façonné et façonne toujours l’environnement des
télécoms en Afrique. Elle a d’abord permis l’ouverture
et le développement de la concurrence au sein des
pays africains. Elle a ensuite favorisé une certaine
structuration, avec la mise en place d’outils de
management et de contrôle des télécoms. Elle ouvre
aujourd’hui une nouvelle voie avec le renouvellement
attendu des licences.
L’effort de libéralisation des marchés a été mené
tambour battant et plus rapidement qu’en Europe.
Cette rapidité relative est due au phénomène de
rattrapage des pays africains, mais aussi au fait que
les « incumbents » (opérateurs historiques fondés sur
le fixe) étaient moins importants en taille relative, en
comparaison avec les pays européens.
L’arrivée de nouveaux acteurs, et notamment de
grands groupes internationaux, force désormais
les opérateurs locaux à se mettre à la pointe de
l’innovation et à développer l’activité télécoms. La
libéralisation a ainsi souvent été accompagnée de
l’ouverture des réseaux mobiles. De plus, certains pays
ont découvert le réseau GSM avec la concurrence,
l’opérateur historique surfant sur la vague limitée de
l’AMPS/TDMA. Enfin, les plans tarifaires ont évolué
et permis de toucher une population plus large, avec
le développement du pré-payé, de services à valeur
ajoutée et du « dynamic pricing » à partir de 2007.
Aujourd’hui, le bilan est flatteur pour l’Afrique.
160 opérateurs mobiles composent le paysage
télécoms local, soit 3 opérateurs par pays ! Pour
mesurer le chemin parcouru, il est bon de rappeler
certains chiffres sur les vingt dernières années.
7
En 1992, 75% des pays africains n’avaient aucun
réseau mobile et les 25% restants étaient en
situation de monopole. 5 ans plus tard, 95% des pays
avaient un réseau mobile mais 75% étaient encore
en monopole (15% des pays avaient plus de deux
opérateurs). En 2002, il restait 20% de monopoles,
40% de duopoles et autant de pays avec plus de
deux acteurs. Aujourd’hui, le monopole concerne
moins de 10% des pays (et moins de 3% de la
population avec le passage de l’Ethiopie en duopole)
et le duopole 25%, les deux autres tiers ayant trois ou
plus opérateurs.
La comparaison des niveaux de pénétration des
pays, selon leur niveau de libéralisation, souligne bien
l’importance et le poids de la politique réglementaire.
L’intensité concurrentielle est par conséquent le
facteur principal expliquant les degrés d’adoption des
télécoms par la population. En effet, la « virginité »
du marché du mobile a attiré les investissements
de fonds étrangers qui y ont vu la « poule aux œufs
d’or ». La politique d’ouverture du marché à la
concurrence, mise en place par les gouvernements
locaux, a davantage favorisé le développement du
secteur des télécoms. Ainsi, l’explosion du marché
depuis le début des années 2000 correspond à
l’arrivée d’un deuxième entrant dans les pays.
Les télécoms ont une réelle influence sur la croissance
économique d’un pays, d’où l’importance du rôle
du gouvernement dans la promotion du secteur.
En effet, la politique de libéralisation contribue
fortement aux revenus télécoms, et par conséquent
au PIB du pays concerné. Un second intérêt apparaît
pour les Etats : les télécoms représentent un fort
apport d’argent. Ainsi dans les années 2000, une
part importante de la réglementation a été orientée
sur le développement des impôts liés à l’activité
télécoms. Si les États africains ouvrent aujourd’hui
leurs marchés à la concurrence, afin de favoriser la
croissance du secteur, la politique fiscale adoptée
dans la majorité des régions demeure contraignante
pour les acteurs télécoms : les gouvernements leur
appliquent de lourdes taxes ! Les opérateurs, en
8 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
particulier lorsqu’ils sont en monopole ou faible
duopole, répercutent alors ces coûts supplémentaires
sur les utilisateurs, et freinent le développement
du marché. Une baisse des taxes permettrait
pourtant d’étendre la couverture réseau et d’offrir
un accès télécoms aux régions enclavées. De plus,
le coût moyen d’accès au mobile pourrait baisser
sensiblement, compte tenu de la part importante des
taxes dans ce montant total.
Actuellement, les impôts télécoms représentent
une source de revenus considérable pour les
gouvernements locaux. Le marché de la téléphonie
mobile produit ainsi 7% des recettes fiscales totales
de l’Afrique subsaharienne ! Le secteur y a généré
près de 71 milliards de dollars en recettes fiscales
entre 2000 et 2012. Paradoxalement, ce montant
pourrait être largement supérieur si les produits
télécoms n’étaient plus classés dans la catégorie
fiscale des produits de luxe. Selon une étude menée
par Frontier Economics, le secteur du mobile est très
pénalisé par les taxes imposées sur les portables, les
communications et les équipements télécoms.
8 gouvernements d’Afrique subsaharienne
imposent ainsi une taxe de « produits de luxe »
sur les communications, 24 d’entre eux sur les
portables mobiles et plus de 25 sur les équipements
télécoms. Selon la même source, l’impôt sur les
revenus des opérateurs télécoms est supérieur à
30%. Dans une étude publiée en 2006, l’association
mondiale des opérateurs (GSMA) recommandait
aux gouvernements de créer une loi relative aux
télécommunications. Celle-ci définirait les bases pour
assurer une concurrence réelle et l’indépendance de
l’instance de régulation, et veiller à la mise en œuvre
des mesures limitant les taxes imposées sur le mobile
et encourageant les investissements provenant du
secteur privé.
Si la réglementation sur l’aspect fiscal a été poussée
en Afrique, elle a été moins forte sur d’autres
aspects. D’une part, la défense du consommateur
est beaucoup moins prononcée qu’en Europe. Ce
n’est pas spécifique aux télécoms, mais est dû à la
faible structuration de la défense consumériste en
Afrique. D’autre part, les autorités de régulation
des télécoms ont particulièrement souffert de la
« capture du régulateur », pour reprendre le terme
consacré. Elles disposent de moins de moyens que
les opérateurs pour assurer le contrôle classique, sur
les aspects tarifaires notamment (prix de prédation,
vente à perte, interconnexion, etc.). Les régulateurs
ne peuvent pas jouer leur rôle pleinement dans ces
pays. Les méthodes utilisées par ailleurs (suivi des
CMILT, développement des matrices de routage, etc.)
sont souvent encore en devenir. La difficulté à mettre
en place un service universel des télécoms et à utiliser
ces fonds illustre cette difficulté des régulateurs.
Les années qui viennent vont être particulièrement
chargées sur le plan réglementaire. Un grand nombre
de licences vont être remises en jeu d’ici 2016,
entraînant de nouvelles discussions entre les acteurs
impliqués. Les licences 3G seront aussi un vaste sujet,
de même que les questions relatives à la convergence
(licences de diffusion de contenu, fréquences TV).
La réglementation est un élément structurant du
marché des télécoms quel que soit le pays. Les choix
des prochaines années vont être importants. Trois
grandes postures seront possibles.
Un durcissement de la réglementation est
envisageable, via la volonté de l’Etat de récupérer
les fruits de l’activité télécoms. Ce durcissement
peut prendre différentes formes : menace sur les
licences (de la suppression pure et simple à la
renationalisation de certains opérateurs... l’Afrique
est le seul continent au monde où cette « menace »
a été citée dans 3 pays en 2012, comme au Sénégal
lors de la campagne présidentielle de 2012),
nouvelles impositions, y compris celles ne respectant
pas les accords internationaux (comme la taxation
des appels internationaux entrants, qui défraie
la chronique depuis 2010), conditions de sortie
des nouvelles licences (obligation de transfert des
bases de données clients en cas de changement
d’opérateur)... Ces mesures peuvent correspondre à
un moment particulier de la vie du pays, le justifiant
d’un point de vue politique ou financier. C’est un
arbitrage délicat car ces mesures, si elles présentent
des avantages (sur le bien public, sur les finances de
l’Etat), peuvent avoir des conséquences négatives
lourdes sur le développement de l’usage.
A l’autre extrême, et notamment dans les pays
encore peu ouverts, la réglementation peut avoir
un vrai rôle de locomotive pour structurer le cadre
légal, encourager les acteurs à venir (MNO comme
MVNO) et créer un environnement propice au
développement de l’activité pour les entreprises
et des usages pour les citoyens. Certains pays
sont engagés dans cette voie depuis 2012, avec
la réforme et la modernisation de leur paysage
télécoms.
Entre ces deux postures, dans les pays déjà matures
et/ou en pleine croissance, la réglementation devra
aussi apprendre à évoluer avec les acteurs pour
maintenir un équilibre entre deux grands axes :
renforcer sa capacité à réguler, et donc à aider au
développement équitable des télécoms (mise en
place d’outils de contrôle et d’analyse puissants) ;
contribuer au développement des télécoms en
accompagnant les acteurs dans la croissance du
secteur.
Dans les 5 ans qui viennent, les décisions prises
dans les différents pays seront structurantes pour
les télécoms sur le continent. Les gouvernements
ne doivent pas négliger un effet de concurrence
(qui existait peu il y a 10 ans), ou du moins de
comparaison, entre pays. Les investisseurs télécoms
seront sensibles au contexte réglementaire en
général. La capacité de la réglementation à offrir
un environnement stable et économiquement sain
orientera ces investissements futurs.
9
L’accès universel :
prochain défi pour les
télécoms en Afrique ?
L’accès universel :
prochain défi pour les télécoms
en Afrique ?
Une grande partie des marchés télécoms dans les
pays africains arriveront bientôt à un nouveau palier
de stagnation de leur croissance. Ce ralentissement
ne résulte pas uniquement de la saturation du
marché global, mais aussi de la population ciblée
à ce jour. Les zones urbaines et périurbaines ont
longtemps été la priorité des opérateurs mobiles,
du fait des contraintes technico-commerciales dans
la couverture des zones rurales (accès aux sources
d’énergie, coût de déploiement de site radio
« standard », réseau de distribution, etc.).
Pourtant, ces zones ne représentent qu’un tiers de la
population en Afrique. L’accès universel permettrait
de passer de 40% à 80% de pénétration, mais encore
faut-il garder un niveau de rentabilité acceptable
pour les opérateurs. En effet, la marge de progression
potentielle des opérateurs se situe donc sur les deux
tiers de la population africaine qui vivent en zone
rurale et constituent le segment « very low income »
(avec moins de 4 dollars de revenus par jour). Pour
parler d’accès universel, il faut bien envisager l’accès
au sens technique du terme (zone couverte par
un réseau télécom) et l’accès au sens économique
(réseau accessible au plus grand nombre de
personnes solvables).
Le service universel est un concept développé en
Europe au moment de la libéralisation des télécoms
dans les années 1990. Axé essentiellement sur
la téléphonie fixe, il visait à faire financer par
l’ensemble des opérateurs télécoms un service de
base qui devait garantir un service équitable. Le
service universel correspondait ainsi à des tarifs
préférentiels pour les ménages à faibles revenus ou
handicapés, la couverture en cabine téléphonique
des villages (le GSM démarrait à l‘époque), et un
service de renseignement accessible gratuitement
ou à prix faible. La question de l’accès universel était
traitée non pas par des obligations de couvertures
de réseau (le réseau fixe était développé), mais
par la généralisation et la garantie du principe de
péréquation géographique.
C’est ce principe qui permet de payer le même
prix pour un même service quelle que soit la zone
d’émission de l’appel fixe (appel local, urbain,
interurbain, national, international, etc.). En Afrique
le service universel doit aujourd’hui s’orienter vers les
services mobiles.
Si le principe et ses dispositifs se sont généralisés
(notamment dans les pays africains où la
réglementation sectorielle est influencée par celle
de la France), la mise en œuvre reste complexe. D’ici
2016, un grand nombre de licences vont être
(re)mises en jeu. Le renouvellement des licences 2G,
les licences 3G et LTE offrent des occasions pour les
gouvernements de renforcer certaines dispositions
liées aux licences, et notamment au service universel.
11
Vu les enjeux de désenclavement du continent, la
question de l’accès universel pourrait être encore
plus formellement inscrite dans les licences. Les
dispositions peuvent prendre plusieurs formes, par
exemple :
• Le renforcement du service universel avec une
composante accès universel partagée entre tous les
opérateurs.
• L’obligation d’un taux de couverture nationale
associé à la licence (engagement de déploiement
dans le temps correspond à un taux de couverture
en % de la population du pays ou en % de la
superficie).
• L’obligation de proposer des offres ajustées (prix,
roaming national ou international) aux populations
les plus pauvres, pour favoriser leur accès aux
services télécoms.
La technologie est une autre dimension à prendre en
compte. Les innovations technologiques réduisent
considérablement le seuil d’acceptabilité économique
pour le déploiement de réseau mobile. En outre, elles
vont permettre aux opérateurs mobiles d’affiner leur
plan de développement sur ces nouveaux marchés.
Les choix technologiques des prochaines années
seront donc déterminants. Reste à voir s’ils seront en
faveur de l’accès universel.
Les technologies déployées peuvent en elles-mêmes
être structurantes. Le satellite est une solution qui
offre une couverture universelle, notamment dans les
zones désertiques, semi-désertiques, montagneuses
ou plus largement rurales. Cependant, le coût associé
à ce type de réseau peut limiter l’accès au plus
grand nombre. Sur les réseaux mobiles classiques,
différents acteurs proposent de monter des solutions
qui allient déploiement géographique et pertinence
économique :
• Des équipementiers classiques de l’univers mobile
s’adaptant au contexte ; les acteurs chinois ZTE
ou Huawei sont relativement à la pointe dans ce
domaine.
• Des acteurs spécialisés dans ces problématiques
comme VNL ou Altobridge.
12 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
• Des acteurs spécialisés dans des solutions intégrées
tel le koweitien MDS, qui propose l’utilisation
combinée de technologies satellite et d’unités au
sol, avec des flux descendant par la bande KU et
montant par des réseaux locaux wifi ou 3G.
A la technologie choisie s’ajoutent les modalités
de déploiement (des réseaux, des plateformes de
services). La logique de mutualisation peut alors
prendre tout son sens : elle permet un déploiement
des réseaux économiquement viable avec un partage
des sites entre plusieurs opérateurs, en particulier sur
les zones à faible densité, très pauvres ou enclavées.
Sur le cœur de métier télécoms, la logique des
« Village phones » s’inscrit dans cette démarche.
L’expérience lancée par Grameen Telecom au
Bangladesh, et étendue en Ouganda et au
Rwanda, a permis d’aider des femmes à créer leur
propre commerce. Les opératrices perçoivent une
rémunération deux fois plus élevée que le revenu
moyen national par habitant. Le nombre d’emplois
indirects créés est estimé à 100 000, entre les
intermédiaires, les agents, les entrepreneurs, les
fournisseurs et les opérateurs « Village Phone ».
Ensuite, les opérateurs devront adapter leurs
services et s’engager à nouveau dans une démarche
d’innovations marketing et tarifaires pour réussir
pleinement sur le segment du « very low income ».
Citons trois nouveaux services qui illustrent les tests
en cours des opérateurs. L’offre de MTN « virtual SIM
card » permet depuis un téléphone et une seule carte
sim de disposer de plusieurs numéros, et donc de
plusieurs comptes pré-payés : les abonnés partagent
un téléphone. Le prix de ce terminal, même faible
(de l’ordre de 30$), constitue encore une des
dernières barrières à l’entrée. Autre exemple,
le service de « PCV » depuis un mobile et sans
opératrice vient d’être lancé avec succès. Enfin, UTL
a lancé en Uganda un terminal mobile à bas coût,
utilisant exclusivement l’énergie solaire pour se
recharger.
La mise en place de tels services génére un levier
de fidélisation auprès de cette nouvelle clientèle. En
effet, les faibles barrières à l’entrée encouragent la
souscription à ces services et ont pour effet inverse
de favoriser le churn. Fidéliser ce segment de marché
devient alors un enjeu clé et la différenciation des
acteurs vis-à-vis de leurs concurrents est nécessaire.
Il s’agit cependant d’une fidélisation différente de la
perception européenne. L’absence d’engagement lié
à un abonnement et la variété des offres tarifaires
génèrent un taux de churn officiel d’une rare
intensité. En Afrique, le taux de multi-sim est estimé
à 40%. L’utilisation de plusieurs cartes sim par un seul
et même client est donc courante, et rend difficile
l’appréciation de la fidélisation. Toute innovation
marketing ou tarifaire doit donc être évaluée à l’aune
de la fidélité au réseau et à la marque. Les offres de
MTN « MTN zone », « Me to You » ou « Friends and
family » en sont de bons exemples.
La proximité avec la clientèle est aussi une dimension
clé. La couverture des 400 000 villages africains par
un réseau de mobilité est complexe à mettre en
œuvre avec des moyens classiques : la distribution
doit aller chez le client. Par exemple, la Fondation
Orange finance d’ores et déjà des camions-hôpitaux
mobiles, qui sillonnent les routes du Sénégal, du Mali
et de la Côte d’Ivoire, pour proposer des consultations
et des opérations ophtalmologiques aux personnes
n’ayant pas les moyens de consulter. Ainsi, l’opérateur
a réussi à toucher les populations les plus démunies,
à vendre les produits sans faire la charité et à créer un
nouveau marché tout en générant du volume.
De manière générale, l’acquisition du segment
« very low income » nécessite une modification de
l’écosystème (partage des revenus et des coûts).
L’acteur concerné sera amené à remettre en question
son organisation le cas échéant en créant de
nouvelles entités spécialisées. Une redéfinition des
relations existantes entre les acteurs de l’écosystème
est à prévoir, aussi bien en termes de densité du
réseau de distribution (afin de renforcer la proximité
client), que de gestion des points de vente ou encore
de lobbying auprès du régulateur. De nouveaux
partenariats verront également le jour : l’opérateur
fera appel à des acteurs tiers pour l’expansion du
réseau de distribution, le développement d’une
marque puissante construite autour de valeurs
sociales et communautaires, voire le lancement de sa
nouvelle marque « low cost ».
Le fort potentiel économique de l’accès généralisé,
notamment en zone rurale, offre une opportunité
de croissance pour les opérateurs mobiles, mais
constitue aussi une menace pour les grandes
marques panafricaines telles que MTN, Vodacom,
Zain ou Orange. Si ce marché est laissé vacant
durablement, de nouveaux entrants peuvent s’y
développer avec de nouvelles armes. L’impact
économique du mobile peut amener les
gouvernements et les autorités de régulation à
négocier avec des opérateurs de niche, comme ce fut
fait en Afrique du Sud après que Vodacom et MTN
ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas s’y développer.
La capacité des opérateurs télécoms à aller chercher
une activité commerciale, là où personne n’en voyait
il y a 10 ans, est exemplaire d’une vraie segmentation
par le revenu.
Modèle pour d’autres secteurs, cette approche se
fait en parallèle d’un apport de ces technologies
au développement sociétal des pays, comme de
nombreuses études l’ont montré. Il est donc possible
de faire un business rentable et durable, qui génère
une croissance soutenue aux activités économiques
des pays.
Au-delà du secteur télécoms, c’est bien le
développement économique des pays qui est
en jeu. Les travaux des économistes ont permis
d’établir un lien entre la pénétration du mobile et le
développement économique, au travers d’indicateurs
macroéconomiques tels que le PIB ou les IDE, ou des
analyses microéconomiques telles que l’analyse des
temps de déplacement ou de l’efficacité des marchés
agricoles. Les études de référence ont démontré
qu’une hausse de 10 points de pénétration du mobile
apporterait un supplément de 0,6 à 0,8 point de
croissance annuelle du PIB.
13
Il avait déjà été établi que les pays développés ont
obtenu un important surplus de croissance dans
les années 1970 à 1990 grâce à la propagation du
téléphone fixe, avec un effet maximum lorsque le
pays atteignait un niveau d’accès universel.
De la même façon, l’étude d’une centaine de
pays en voie de développement a montré que la
téléphonie mobile a un impact positif et significatif
sur la croissance économique, et que cet impact est
potentiellement deux fois plus important dans les
pays en voie de développement que dans les pays
développés. En effet, ces pays, n’ayant pas construit
de grands réseaux de téléphonie fixe avant l’arrivée
du mobile, profiteraient du saut technologique de la
téléphonie mobile sous réserve d’atteindre une masse
critique proche de l’accès universel. De nombreux
organismes internationaux tels l’ONU, la Banque
Mondiale ou l’ITU, considèrent aujourd’hui que les
télécoms sont des facteurs et non des conséquences
du développement économique.
Trois caractéristiques illustrent leur contribution au
développement de pans entiers de l’économie :
• L’omniprésence : la téléphonie mobile est utilisée
dans tous les secteurs,
• L’amélioration : la technologie ne cesse d’évoluer,
engendrant une baisse des coûts pour les
utilisateurs,
• L’innovation induite : le mobile contribue à
l’amélioration de nouveaux produits ou processus.
L’impact de l’accès universel se mesure selon plusieurs
indicateurs qui peuvent être macro-économiques
(impact sur le budget de l’Etat par l’accroissement
des impôts et taxes), micro-économiques, voire
qualitatifs (impacts sociétaux dans les domaines de
la santé et de l’éducation). Il représente un enjeu
essentiel pour le développement du continent, et pas
seulement des acteurs télécoms.
14 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
15
L’Afrique, laboratoire
des usages pour les
télécoms
L’Afrique, laboratoire des
usages pour les télécoms
Les télécoms ne servent à rien en soi : l’humanité
s’en est passée jusqu’aux 150 dernières années !
Cependant ils sont devenus incontournables, en
particulier au cours des dernières décennies, voire
irremplaçables. En France, la majorité des salariés
sont prêts à perdre une heure le matin pour revenir
chez eux s’ils ont oublié leur téléphone mobile !
L’Afrique n’échappe pas à la règle, même si le
phénomène est plus récent et couvre essentiellement
la dernière décennie sur les offres de téléphonie
mobile. Une double boucle se crée : les télécoms
contribuent à répondre à des tendances sociétales
que l’on peut analyser très en amont ; l’usage qu’en
font les populations génère une boucle dite de
« feedback », avec de nouveaux comportements.
La prise en compte des
tendances des usages : une
approche différente
Dans un environnement concurrentiel, la réussite
d’une entreprise passe par sa capacité à imaginer et
concevoir de nouveaux produits et services. Savoir
identifier et décoder les tendances émergentes,
qu’elles soient sociétales, de consommation ou
marketing, est un atout majeur pour les grands
groupes industriels comme Orange. L’analyse de
ces tendances occupe ainsi une part croissante
dans la recherche des sources de différenciation :
elle permet d’anticiper les ruptures en offrant de
nouveaux services, simples, pratiques et utiles aux
consommateurs.
Comment définir les tendances sociétales et de
consommation ? La société apparaît de plus en
plus fractionnée en mondes sociaux, souvent
propres à un groupe, une classe d’âge, un milieu
social. Par conséquent les comportements sociaux
et de consommation, d’aujourd’hui et de demain,
s’inscrivent dans des imaginaires sociétaux plus
« englobants ». Un observatoire des tendances
sociétales permet de cartographier l’état des
pratiques et d’identifier les tendances et les ruptures
à venir.
Le terme « tendances » mérite d’être clarifié.
Venu dans la sphère du management par les
mathématiques financières puis la finance
comportementale, il peut à la fois signifier l’éphémère
et le durable. Dans le royaume de l’éphémère, la
tendance sera ramenée à la mode. Dans le durable,
la tendance sera l’initialisation d’une trajectoire, d’un
phénomène de long terme. Or dans ce second cas, le
plus pertinent ici, l’analyse des tendances doit bien
rendre compte de ruptures anticipées. L’anticipation
ne relève pas forcément de la futurologie, mais d’une
amorce de mouvement qui est encore un signal
faible et deviendra à moyen terme un déterminant
de marché.
Ainsi, l’analyse des tendances sociétales et de
consommation regroupe à la fois des signaux de
consommation émergents et des courants plus
installés, dans des domaines et secteurs d’activités
très diversifiés (banque, automobile, grande
consommation, média, luxe…). C’est donc en croisant
et en regroupant des exemples de produits et
services provenant d’industries différentes, que l’on
identifiera de nouvelles tendances de consommation
et d’évolutions sociétales.
17
Orange a fait le choix depuis 2003 de conforter sa
connaissance des tendances sociétales en Europe, en
internalisant la production de son premier cahier de
tendances. Cette approche est aujourd’hui déclinée
pour l’Afrique subsaharienne.
marché du poisson en amont et en aval (notamment
dans certaines zones éloignées de la mer) est donc
devenu un marché d’enchères par SMS ! Un usage
structurant pour la profession, et pas forcément
imaginé il y a 15 ans.
L’impact sociétal de la
téléphonie mobile
Il existe également un potentiel lié à l’usage du
mobile dans certains secteurs qui contribuent
au développement sociétal des pays africains.
L’éducation et la santé s’inscrivent dans cette logique.
Les téléphones mobiles en Afrique ont contribué
à développer de nouveaux usages. Certains sont
directement liés aux contacts téléphoniques ou à
l’écosystème. Le succès du m-paiement avec des
offres comme « m-pesa » ou « Orange Money »
illustre ce phénomène. D’autres modèles de partage
du téléphone ou de prêts de minutes renvoient à
des usages séculaires en Afrique comme les tontines
(« prêt » communautaire où plusieurs personnes
co-empruntent pour que l’un(-e) d’eux ou une partie
d’entre eux bénéficient d’un produit).
Prenons tout d’abord le cas de l’enseignement.
Compte tenu de la faible densité de professeurs et
d’établissements scolaires dans la majeure partie
des pays d’Afrique, la formation à distance constitue
un levier important pour le développement de
l’éducation. Les enjeux sont de taille puisque l’Afrique
subsaharienne connaît des taux d’alphabétisation
particulièrement faibles : ce ratio est de 23%
au Mali, contre 88% en Afrique du Sud d’après
l’UNESCO. Le télé-enseignement permettrait de
combler ces besoins en redéfinissant les contraintes
géographiques, humaines ou budgétaires. Grâce
au réseau de télé-enseignement mis en place à
l’Université du Natal en Afrique du Sud, le nombre
d’étudiants inscrits en sciences de l’éducation est
ainsi passé de 491 à 3 810 en cinq ans, selon la
Banque Mondiale. L’Université Virtuelle Africaine
(UVA) constitue un autre exemple réussi du téléenseignement. Elle forme des scientifiques, des
ingénieurs, des techniciens, des hommes d’affaires
et des professionnels capables de contribuer au
développement de leur pays. Ces formations
scientifiques et techniques, transmises par satellite,
permettent de combler le déficit de matériel et de
professeurs. Plus de 9 000 étudiants dans toutes les
régions de l’Afrique subsaharienne ont pu bénéficier
de ces nouvelles méthodes éducatives. Grâce à ce
succès, l’UVA a pu établir près de 22 partenariats
avec d’autres universités de l’Afrique subsaharienne.
Au-delà, les utilisateurs ont développé de vrais usages
dédiés à leurs besoins. Un cas typique est celui de la
mise en place de systèmes d’enchères pour la vente
de poissons (au Sénégal, au Kenya et même en Asie
du Sud Est). Un double phénomène s’est produit.
Ce sont les pêcheurs qui ont commencé dès 2005
à négocier le prix de leur cargaison par SMS auprès
des différents marchés, s’évitant ainsi le transport
fastidieux (et risqué) d’un marché à l’autre. Cet
usage du téléphone pour la négociation des prix
entre pêcheur et marchand s’est ensuite déplacé,
notamment depuis 2010, vers le consommateur
final. Il est de plus en plus fréquent qu’un chef de
famille récolte l’ensemble des besoins d’un groupe de
personnes en poissons (X kilos de capitaine, Y kilos de
daurade, Z kilos de sole), puis envoie un SMS à une
liste de 5 à 10 marchands de poissons ambulants, en
leur indiquant la composition du « panier », la date
et le lieu de livraison de la cargaison, et demande
un prix. Celui qui proposera le meilleur prix par SMS
recevra en retour un message de confirmation. Le
18 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Avec les disparités fortes entre les régions, le
télé-enseignement peut avoir soit un contenu de
niveau supérieur via des formations universitaires
ou une formation continue, soit des formations
plus élémentaires avec un enseignement de base
(lecture et écriture). Les besoins en formation seront
donc à déterminer en fonction des caractéristiques
locales, reflétées à travers certaines données
sociodémographiques : le taux d’alphabétisation,
l’Indice de Développement Humain, l’espérance
de vie ou encore le taux d’urbanisation. Le support
technologique devra ainsi être le plus simple d’accès,
le moins coûteux et le plus adapté au contexte
socioéconomique. Les supports de formation les
plus appropriés à la population seront déterminés
en fonction de leur accessibilité via les moyens
technologiques envisageables à court terme. A titre
d’illustration, une formation par Internet est difficile
à concevoir dans les régions où les technologies du
haut débit ne sont pas encore déployées. Le prix de
l’accès à la technologie choisie est également un
point critique dans l’adoption du système mis en
place.
Un autre service mis en place au Kenya permet aux
patients et au personnel médical de vérifier si les
médicaments sont authentiques : il suffit d’envoyer
par SMS le code à 12 chiffres, caché sur une vignette
à gratter apposée sur la boite du médicament. En
retour, l’utilisateur reçoit la réponse « OK, genuine
medecine », ou « NO, code is not a valid code »,
accompagnée du numéro de téléphone du
laboratoire pour dénoncer la supercherie si besoin.
Une solution simple et ingénieuse pour repérer les
contrefaçons qui peuvent représenter un réel danger.
Entièrement gratuite pour l’utilisateur final, c’est
Orange qui fournit l’infrastructure, tandis que le
coût du SMS est pris en charge par les laboratoires
pharmaceutiques.
Le télé-enseignement présente un certain nombre
de bénéfices dans le contexte africain. Il permet
de toucher aussi bien des étudiants dans les villes
que dans les zones difficilement accessibles. Cette
méthode de formation pallie les problèmes de
transports souvent lents et pénibles. Les participants
peuvent garder leur emploi à mi-temps pour subvenir
à leurs besoins. Ensuite, les formations en ligne
facilitent les échanges entre les étudiants de diverses
régions voire de différents pays, ce qui favorise le
réseautage. Enfin, les étudiants se familiarisent avec
les outils informatiques mis à leur disposition, ce qui
leur servira dans le monde professionnel.
Autre exemple intéressant à citer, la solution de
« mobile-learning » comprenant un module dédié
à la santé (WapEduc). Ce système s’adresse aussi
bien aux étudiants, en leur donnant accès à des
contenus à caractère éducatif et informatif sur des
questions de santé (l’échange d’informations peut
être éventuellement interactif), qu’aux professionnels
de santé qui bénéficient de la possibilité de faire
passer des messages de prévention et d’alerte.
Les contenus éducatifs mis à disposition sont
spécialement construits pour les mobiles. Un
partenariat avec une association de professionnels de
la santé permet d’assurer la pertinence du contenu.
Néanmoins, le soutien du gouvernement local, et
plus particulièrement du Ministère de la Santé, est
nécessaire afin de légitimer le contenu pour des
raisons déontologiques et parfois légales .
Le cas de la santé est aussi intéressant à étudier. Les
télécoms peuvent subvenir à de nombreux besoins
dans ce secteur, en améliorant l’échange de données
et la communication à distance. Ainsi, les patients
peuvent, avant de se déplacer, se renseigner sur
le lieu/l’horaire du dispensaire, la disponibilité des
médicaments ou encore demander des conseils au
médecin. Le soin ne s’arrêtant pas au diagnostic,
toute la chaîne doit être considérée, depuis la
prévention jusqu’au traitement et l’amélioration
continue (médicaments, formation, etc.).
De la mise en place d’un simple numéro au
déploiement d’un système d’information, en passant
par des applications mobiles simples, les acteurs des
télécoms ont lancé un grand nombre de projets en
Afrique afin d’améliorer les infrastructures liées à
la santé. C’est ici que les TICs peuvent contribuer à
améliorer la productivité des services de santé, en
développant par exemple l’ensemble des services
d’accès qui mis bout à bout offrent une logique
de télé-assistance (accueil téléphonique, numéro
d’urgence, etc.).
19
Un opérateur a ainsi mis en place en Afrique du Sud,
pour ses clients, un numéro spécial disponible
24 heures/24. Les télé-opérateurs (dont des médecins
en deuxième niveau) peuvent fournir de l’aide
médicale, des informations concernant le transport
vers les centres de soin, des conseils en cas de
traumatisme ou tout simplement des conseils dans
les cas de non urgence.
Afin d’améliorer la qualité et la densité des
infrastructures liées au secteur de la santé, la
GSM Association Development Fund a proposé
le service « Phones for Health » avec différents
acteurs (opérateurs et équipementiers télécoms)
pour renforcer le maillage médical au Rwanda ou
en Tanzanie. « Phones for Health » permet aux
travailleurs dans le domaine de la santé d’utiliser un
téléphone mobile standard, équipé d’une application
facilement téléchargeable sur le terminal utilisé. Ce
système aide à renseigner des informations relatives
à la santé de patients par du personnel de santé sur
le mobile ou le PDA (Personal Digital Assistant), et de
les transférer par la suite via une connexion GPRS à
la base de données centrale. Si le réseau GPRS n’est
pas disponible, le transfert peut aussi bien se faire
par les canaux de transmissions SMS. Le système
dispose également d’une alerte SMS, et d’outils de
communication et de coordination à destination
des équipes sur le terrain. Ces derniers peuvent aussi,
avec cette application, passer une commande de
médicaments et télécharger un support d’aide pour le
choix du traitement.
Les économistes ont identifié de nombreux
effets positifs de la téléphonie mobile sur le
développement économique et sociétal. Cependant,
le développement de la consommation de mobiles
au sein des populations de pays en voie de
développement s’est effectué au détriment d’autres
dépenses dans l’alimentation. Il n’en reste pas moins
que de nombreux organismes internationaux tels
l’ONU, la Banque Mondiale ou l’ITU considèrent
aujourd’hui que les télécoms sont des facteurs, et non
des conséquences, du développement économique.
Il reste beaucoup à faire, l’Internet mobile n’est pas
20 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
encore très développé, les usages liés à la m-santé ou
au e-learning existent mais sont encore marginaux.
L’histoire est donc en train de s’écrire, mais force est
de constater que l’Afrique est un véritable laboratoire
des usages pour les télécoms.
Les tendances de
consommation spécifiques à
l’Afrique subsaharienne
Selon le rapport annuel 2011 de la Banque Africaine
de Développement, un tiers de la population
africaine, soit 313 millions de personnes, fait partie
de la classe moyenne.
En Afrique subsaharienne, la moitié de la population
survit avec 1 dollar par jour, et 25% avec 2
dollars. Mais 10% des Subsahariens dépensent
quotidiennement 4 dollars et 15% au moins 10
dollars. Cette frange de la population a atteint
95 millions de consommateurs urbains qui ont
dépensé 327 milliards de dollars en 2010, selon les
estimations de la PROPARCO, la branche de l’Agence
Française de Développement (AFD) qui finance les
activités privées.
A côté de cette classe moyenne, il y a une « petite
prospérité » qui émerge, depuis deux ans seulement.
Ces individus cumulent plusieurs activités, souvent
dans l’informel, et ont réussi à sortir de la très grande
pauvreté. Ils dégagent un revenu qu’ils investissent,
hors de l’alimentaire et du logement de base, dans
des produits plus sophistiqués de santé, d’éducation,
en carte d’abonnement d’électricité, etc. Cette classe
intermédiaire de près de 300 millions de personnes
dépense de 2 à 9 dollars par jour. Elle pose les
premières bases d’une société de consommation.
Le marketing s’adapte à cette nouvelle donne en
créant de nouveaux moyens de distribution, en
adaptant les produits et services, et en modernisant
la politique client. Dans ce contexte, une nouvelle
manière de consommer est en train de se développer.
Des modes de distribution viennent ainsi compléter
les canaux traditionnels : le mode d’achat basé sur
la négociation du prix tend à s’effacer, pour laisser
la place à une stratégie de prix de vente conseillé
qui donne au consommateur le pouvoir d’exiger le
juste prix au boutiquier. Les modèles promotionnels
s’installent également, et le consommateur averti
attend ces promotions pour acheter. La fidélisation
de la clientèle est quant à elle un phénomène récent
et encore peu développé, mais de grandes enseignes,
comme Casino au Sénégal, proposent des cartes de
fidélité.
Depuis quelques années émerge également une offre
de produits locaux qui se modernise, se distingue,
devient compétitive et correspond à une attente
éthique des consommateurs. Parallèlement, l’offre
de produits importés s’élargit, tout en s’ouvrant à un
mode de consommation mondialisé avec l’accès aux
grandes marques internationales.
Par ailleurs, l’accès aux services financiers est un
phénomène nouveau, poussé par les institutions
comme la Banque Centrale des Etats d’Afrique de
l’Ouest et les gouvernements, depuis deux ans. La
volonté politique de bancariser la population est
rejointe par des innovations commerciales privées qui
entraînent plusieurs évolutions :
• La modernisation des services de transfert
d’argent, depuis l’arrivée en 2010 des transferts par
téléphone mobile,
• L’accès à des moyens de paiement numériques,
• L’accès aux services de crédit associés à la
consommation.
Enfin, les services qui facilitent la vie au quotidien
se développent. Le matin, des vendeurs ambulants
proposent des petits déjeuners à emporter dans
les pousse-pousse. Plusieurs marques l’ont compris
et adaptent leur distribution en fonction de ces
nouvelles habitudes, à l’instar de Coca-Cola et
Nescafé. Nescafé s’appuie notamment, depuis 2010,
sur le vaste réseau des stations-services Total pour
offrir des produits prêts à consommer à ses clients.
Les tendances de consommation ne se limitent
bien évidemment pas à ces quelques exemples. Les
nouvelles technologies et les médias sont également
porteurs de grands bouleversements. En 10 ans,
les médias et multimédias ont explosé au Sénégal.
L’époque où seules les chaînes publiques meublaient
le paysage audiovisuel est révolue. La concurrence
est aujourd’hui de mise, entraînant des innovations
permanentes pour séduire des audiences de plus en
plus larges et diverses. De plus, le taux de pénétration
d’Internet, évoluant d’années en années, a sacré
l’essor des multimédias.
Ce boom des médias et multimédias a développé
une consommation selon les centres d’intérêts.
Les médias se spécialisent et deviennent des
compagnons de la vie quotidienne. Ils accompagnent
leurs téléspectateurs, lecteurs et auditeurs dans le
nouvel univers de la société de consommation. Nous
notons ainsi dans certains pays, comme le Sénégal
et le Cameroun, un essor des programmes féminins,
people et d’informations pratiques.
Toujours face à cette offre de plus en plus large,
le consommateur devient « consomm’acteur ».
Il développe une attitude plus critique envers les
marques. Il utilise les médias pour comparer, se
renseigner, se faire conseiller et se faire accompagner.
De nouvelles tendances s’installent donc en
Afrique subsaharienne. Elles n’échapperont pas
aux multinationales de multiples secteurs (grande
consommation, distribution, banque, technologie…)
et nourriront les processus de développement et
d’innovation pour accompagner une population en
soif de consommation.
Un grand merci à Valérie Riou, Consumer
Trends Manager chez Orange, pour sa précieuse
contribution à cet article.
21
Internet haut débit
et développement
en Afrique
Internet haut débit et
développement en Afrique
L’Internet haut débit fixe est peu développé en
Afrique. Il s’agit même du continent qui a le plus
de retard dans ce domaine. Le fossé numérique
est majeur : l’Afrique représente moins de 5% des
utilisateurs Internet dans le monde ! A l’intérieur du
continent, le développement est très inégal. Ainsi, la
moitié des usagers se trouve en Afrique du Sud, dont
la population ne représente que 5% de la population
africaine totale.
Deux raisons principales expliquent ce faible
développement. D’une part, les lignes de cuivre sont
en nombre limité, et celles qui existent sont d’assez
mauvaise qualité (ce qui freine les capacités d’ADSL)
et de plus en plus banalisées par rapport au succès
du mobile, y compris la 3G (offrant l’accès Internet
mobile haut débit). D’autre part, les accès Internet
ont un coût très élevé à cause des capacités réduites
des connexions à l’international (câbles et satellite),
et ce notamment dans les pays enclavés qui n’ont
pas accès aux câbles sous-marins ou qui ne sont pas
connectés aux pays qui y ont accès. Ces pays sont
en conséquence limités aux connexions satellites de
faible capacité et onéreuses.
L’enjeu des réseaux fixes haut débit est un axe
clé de développement en Afrique. Pourtant cet
investissement est loin d’être évident. Certes,
l’objectif de développement des infrastructures
est présent dans tous les traités qui concernent la
création des Communautés Économique Régionales :
ces communautés reconnaissent en effet la nécessité
de créer des infrastructures fiables, efficientes et
respectueuses de l’environnement, capables de
répondre aux impératifs économiques et de fournir
des services sociaux de base. Cependant, malgré
les aides et le soutien de nombreuses institutions
afin de moderniser les réseaux fixes RTC, ceux-ci
ne couvrent pas de façon homogène le territoire
des pays africains. Le succès avéré de la téléphonie
mobile est également un facteur de non incitation
à l’investissement supplémentaire dans les
infrastructures fixes.
Par ailleurs, chaque pays possède certes un segment
international du réseau, comportant au moins
un commutateur pour le transit international et
des stations terrestres de communication par
satellite. Cependant, ils ne bénéficient pas tous
de points d’atterrissement ou de connexions aux
réseaux par câbles sous-marins en fibre optique,
qui leur permettraient d’accéder à des capacités
internationales de qualité suffisante à un prix
abordable. En l’absence de mise en œuvre effective
d’un cadre réglementaire pour l’interconnexion et
l’accès, et malgré les cadres de coopération proposés
par l’UIT, l’UAT et les CER/OIG, l’interconnexion des
réseaux peine à se concrétiser pour des liaisons intra
et inter pays africains.
23
Lorsqu’elle existe, cette interconnexion souffre d’une
mauvaise qualité de service. Ainsi, une grande partie
du trafic entre les pays africains transite par des voies
extérieures au continent, ce qui aboutit à des frais
de transit énormes et à des pertes de devises. Dans
ce contexte, les écarts dans le développement des
services large bande et d’Internet continuent de se
creuser considérablement.
Les nœuds d’accès national au réseau Internet global
sont généralement liés aux points d’échange Internet
(IXP), appartenant aux opérateurs internationaux
principaux, qui sont basés pour la plupart aux
Etats-Unis, en Europe et en Asie. En conséquence, à
l’exception de quelques pays qui disposent d’un IXP
national, il est pratiquement impossible de mettre en
place une communication nationale ou interafricaine
d’Internet sans passer par l’étranger. Ainsi, l’Afrique
consacre entre 400 et 600 millions de dollars par an
aux frais de transit du trafic local. Selon les régions,
le sous-équipement général est variable. Le cas
de l’Afrique Centrale est en cela particulièrement
inquiétant. La télé-densité moyenne y est de 0,25
ligne principale fixe et de 13,25 abonnés au mobile,
soit 13,5 pour l’ensemble lignes fixes et mobiles
pour 100 habitants. Les moyennes des indicateurs
clés pour cette région sont également très faibles,
comparées aux moyennes continentales.
Le Cameroun et la République Démocratique du
Congo (RDC) représentent 78,3% des lignes fixes
et mobiles de la région. En RDC, les abonnés au
service de téléphonie mobile représentent même
99,7% de l’ensemble des services fixes et mobiles
de tout le pays. La RDC est également l’un des onze
pays africains ayant un point d’échange Internet.
A l’inverse, la région de l’Afrique Centrale se sert
essentiellement d’une infrastructure satellitaire
coûteuse et de mauvaise qualité. A l’international, les
tarifs pour la bande passante oscillent entre 7 000 et
10 000 $ par Mbit par mois pour les pays enclavés,
(par exemple le Tchad et la RCA qui utilisent quasiexclusivement des satellites).
24 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Le développement des câbles sous-marins financés
par l’international (Banque Mondiale, opérateurs
privés, etc.) sont un moyen de désenclaver l’Afrique.
Pour poursuivre l’exemple de l’Afrique Centrale, des
projets de construction de nouveaux câbles sousmarins viennent s’ajouter à celui du câble sousmarin SAT3/SAFE/WASC. Ils permettront de mieux
connecter certains états côtiers d’Afrique Centrale au
réseau mondial de l’Internet.
Ainsi, le projet ACE (Africa Coast to Europe), d’une
longueur de 12 000 km, relie le Gabon à la France.
Il dessert 17 états de la côte Ouest africaine en
capacités internationales, dont le Cameroun et le
Nigéria. Une extension jusqu’en Afrique du Sud est
également étudiée. Son efficacité dépend toutefois
des tarifs d’accès et de transit. La côte Est africaine
bénéficie de plusieurs câbles, éléments clés de ce
désenclavement :
• Le câble sous-marin EASSY dessert la côte Est
de l’Afrique et relie l’Afrique du Sud, avec des
interconnexions avec le câble SAFE, au Soudan, et
le câble Sea-Me-We 3 permettant de desservir 13
états. Pour Nairobi et Johannesburg, le principe est
celui de liaison aux stations d’atterrissement par
des liaisons optiques internes.
• Le TEAMS (The East African Marime System)
kenyan a pour vocation de relier les Emirats Arabes
Unis au Kenya. Par ailleurs, la bretelle WASC
raccorde le Nigéria afin d’introduire une certaine
stabilité dans l’accès aux capacités de SAT 3.
Le développement du secteur des télécoms influe
ensuite sur le niveau de ces investissements : il
encourage les investisseurs étrangers qui, par effet
de ricochet, incitent les investisseurs locaux. L’étude
de Reynolds a démontré qu’il existait une corrélation
entre les Investissements Directs à l’Etranger et la
pénétration des TICs. Il a remarqué que la qualité
de l’infrastructure télécoms était étroitement liée au
PIB, et pouvait par conséquent influer les IDE. L’étude
de Williams a également confirmé l’existence d’une
relation significative :
•Entre la pénétration du réseau fixe (mobile
exclus) et les IDE : une augmentation de 1% du
taux de pénétration du fixe engendre 1 à 1,3%
d’augmentation de la moyenne des IDE,
• Entre la pénétration du mobile (fixe exclus) et
les IDE : une augmentation de 1% du taux de
pénétration du mobile engendre 0,5 à 0,6%
d’augmentation du rapport IDE/PIB.
L’impact de la pénétration des réseaux fixes haut
débit est plus fort sur les IDE car cet indicateur
reflète probablement la qualité d’infrastructures
non-télécoms du pays (en particulier dans
le domaine du transport). Les réseaux fixes
permettent le développement des activités B2B
et donc, indirectement, la création d’emplois. Le
développement des câbles et des fibres est donc clé
pour permettre à des régions entières de bénéficier
des investissements internationaux.
Par ailleurs, si l’accès à l’Internet mobile va sûrement
devenir la règle pour le grand public, le recours aux
réseaux mobiles haut débit ne sera pas pour autant
la seule solution. En effet, les réseaux mobiles 3G vont
mettre quelques années à se développer : ils auront
un coût élevé pour le consommateur, et même plus
élevé qu’un accès Internet haut débit par la fibre. Ils
nécessitent de plus un terminal de communication
(type smartphone) à prix élevé. A contrario, dans
certaines régions, l’accès à Internet sur PC via réseau
fixe peut être économiquement plus intéressant
(notamment avec le développement des OLPC)
et servir dans des zones où le réseau mobile est
techniquement et économiquement non viable.
Nous sommes convaincus que dans le domaine de
l’Internet, l’Afrique va connaître le même
« saut quantique » que dans la Voix avec le
développement accéléré de l’Internet mobile.
Cependant le désenclavement des régions grâce à
l’Internet fixe haut débit demeure un enjeu pour les
états et les bailleurs internationaux, afin de soutenir
le développement économique et social des pays
africains.
Ces câbles, ainsi que le développement de la fibre,
constituent un réel enjeu pour l’Afrique afin de
développer les réseaux Internet. L’accès à l’Internet
filaire est lui aussi important pour plusieurs raisons.
Les études économiques ont montré que le
développement de l’Internet fixe était un facteur
soutenant la croissance. En effet, la qualité des
infrastructures en réseaux fixes (fibre, adsl, etc.) est
un facteur clé dans le choix d’un groupe international
de s’implanter dans un pays, favorisant ainsi les
investissements locaux.
25
Les relais de
croissance des
opérateurs télécoms
en Afrique
Les relais de croissance
des opérateurs télécoms
en Afrique
Une grande angoisse traverse les opérateurs
télécoms : quel sera mon prochain relais de
croissance ? Les pays à libéraliser sont de plus en plus
rares (Ethiopie, Tchad ou Djibouti par exemple), et la
conquête des zones rurales s’annonce plus complexe,
plus longue que prévu avec une rentabilité moindre.
En dehors de ces « classiques », quelles sont les pistes
innovantes pour les opérateurs télécoms ? Bonne
nouvelle, elles sont nombreuses et non dénuées
d’intérêt !
La première est le déploiement de réseaux. Il s’agit
de la base historique des opérateurs télécoms, leur
cœur de métier. Le modèle est éprouvé et, d’ores
et déjà, les déploiements 3G ou LTE sont regardés.
Au-delà de la dimension technique, ils s’inscrivent
dans une logique d’évolution du modèle économique
en termes de coûts, avec le développement du
partage de réseaux, et de revenus, avec la possibilité
de pousser des offres data grâce à des systèmes de
type Yield Management (optimisation de l’usage
des ressources réseaux par l’optimisation tarifaire).
Selon la zone, la complémentarité des réseaux peut
être utilisée entre les 3G/4G et le Wifi dans les zones
urbaines, la 2G/Wifi pour les zones rurales, voire la
connectivité intermittente pour certaines zones.
C’est aussi l’occasion pour les opérateurs de tester
de nouvelles offres techniques utilisant à la fois des
réseaux télécoms et du broadcast audiovisuel.
Car au-delà des modèles de revenus, il est encore
possible d’être innovant dans les aspects réseaux
en Afrique, sans se contenter de faire les mêmes
déploiements qu’en Europe. Deux exemples pour
illustrer cela : l’approche d’Azesat au Bénin et le
potentiel sur l’électricité.
Azesat joue sur une technologie nord-américaine
innovante (en descendant avec le satellite et la
bande KU autorisée, en montant les réseaux locaux
wifi wimax/3G) et vient d’expérimenter au Bénin une
solution originale pour développer du haut débit.
Toujours dans le domaine « réseau », les opérateurs
télécoms sont de grands producteurs d’électricité
dans un continent qui en manque cruellement. Ces
deux approches constituent des relais de croissance
intéressants.
27
L’électrification rurale en
Afrique : nouvelle frontière
du développement et futur
eldorado ?
L’électricité est un produit rare en Afrique : le taux
d’électrification est limité à 42% à l’échelle du
continent, soit le taux le plus faible de l’ensemble
des régions en développement. De plus, ce taux
moyen masque à la fois de fortes disparités
régionales (99% au Maghreb, mais seulement 31%
en Afrique subsaharienne), et un clivage urbain/rural
très marqué (69% en urbain contre 25% en rural).
Moins de 10% des populations rurales d’Afrique
subsaharienne ont ainsi accès à l’électricité, la
biomasse traditionnelle (bois transformé ou non en
charbon) restant leur source d’énergie quasi-exclusive.
Pour les opérateurs d’électricité d’Afrique
subsaharienne, l’équation économique est complexe
à résoudre. D’un côté, ils doivent s’adapter à la donne
économique locale : avec 70% de la population
vivant avec moins de 2$ par jour, l’accessibilité à
l’électricité est limitée. Dans les zones électrifiées,
une consommation moyenne de 40 kWh par mois
(contre environ 600 en France) représente par
exemple un coût de 5$. Et dans les zones rurales non
desservies, une consommation moyenne plus réduite
de 5 kWh par mois génère toujours un coût de 2$,
dû à l’utilisation des groupes électrogènes. De l’autre
côté, les opérateurs électriques doivent exploiter des
infrastructures électriques lourdes, centralisées et
couvrant d’immenses territoires.
28 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Héritées pour partie de l’époque coloniale, ces
infrastructures génèrent des coûts d’exploitation
élevés, de 14 c$/kWh en moyenne, à peine couverts
par les tarifs de vente. Déficitaire sur la fourniture
d’électricité aux particuliers, le fragile équilibre
financier des opérateurs est tributaire de la vente aux
entreprises.
Face aux difficultés d’extension du réseau électrique
traditionnel, le développement de moyens de
production décentralisés off-grid ou organisés autour
d’une mini-grid locale présente donc une alternative
intéressante dans les pays africains. Un changement
d’approche qui peut constituer une véritable solution
d’avenir, pertinente compte tenu des ressources du
continent, mais également viable économiquement.
Au vu du fort ensoleillement du continent, l’énergie
solaire représente notamment une solution
prometteuse. Une étude menée par la Commission
Européenne a ainsi montré que la production
d’électricité au moyen de panneaux photovoltaïques
est plus compétitive que l’utilisation d’un groupe
électrogène, sur une large part des zones rurales
africaines.
Mais les énergéticiens ne sont pas seuls à s’intéresser
à l’électrification en milieu rural. Les opérateurs
télécoms, fortement implantés sur un continent
africain où le marché de la téléphonie mobile est
en pleine explosion (croissance annuelle de près de
20%), se montrent très actifs, avec comme enjeu la
diffusion du mobile au-delà des zones électrifiées.
Ces acteurs – moins contraints par le cadre de la
régulation – ont l’avantage de pouvoir rentabiliser
leur investissement à travers leurs offres de
téléphonie, leur permettant de proposer un service de
fourniture d’électricité à coût marginal.
L’initiative Green Power for Mobile, lancée en 2008
par la GSM Association, vise ainsi à développer les
réseaux mobiles dans les zones rurales en déployant
des infrastructures alimentées – totalement ou
en partie – par les énergies renouvelables (solaire
principalement). L’objectif est double : réduire la
facture diesel des opérateurs et faciliter la recharge
du téléphone mobile, donc son usage. Orange,
présent dans 16 pays africains, a par exemple
déployé 1 300 antennes relais solaires dans les zones
rurales, offrant la possibilité aux populations de
bénéficier de l’électricité disponible pour recharger
leurs téléphones, mais également de procurer
une alimentation électrique pour des services de
base (éclairage d’une école ou d’une maternité,
réfrigération des médicaments…).
Ainsi, l’électrification rurale en Afrique, qui s’inscrit
encore aujourd’hui dans une logique d’aide
au développement pour les énergéticiens, ou
comme une strate d’infrastructure nécessaire au
développement du mobile pour les opérateurs
télécoms, pourra-t-elle constituer demain un
marché à part entière ? Quels acteurs trouveront
les business models permettant de rentabiliser ce
développement ? A la clé : un marché de 585 millions
de personnes, soit un bel eldorado en perspective !
Source : Etude publiée sur le blog Energie de
BearingPoint - http://energypoint.bearingpoint.com
29
Le second axe de croissance consiste à développer
de nouvelles offres de services : une fois le réseau
installé, il faut pousser l’usage. Les exemples venant
du continent africain sont légion, mais force est de
constater que ce ne sont pas les plus développés. Le
Mobile Payment est certes à la mode, notamment
depuis le succès en 2008 de M-Pesa, mais il n’est
pas déployé dans tous les pays. De plus, à quelques
rares exceptions près dont le Kenya, il ne représente
pas le tiers des transactions financières dans les
pays où il est utilisé. Enfin, il n’offre pas l’ensemble
de la possibilité des services : paiement des
Besoins liés à l’information
Prévenir
Diagnostiquer
impôts, paiement de factures, transfert d’argent
international... C’est donc un relais de croissance à
part entière.
Il en va de même pour les services dits verticaux
autour de la santé, de l’agriculture, etc. Là encore les
exemples sont nombreux, mais loin d’être généralisés
malgré leur apport, souvent social. Ci-après un
tableau qui présente quelques uns des services
innovants en m-santé :
Gains apportés
par les TICS
• Programme Pésinet au
Mali : suivi du poids des
bébés
• « Phones for Health »
dans plusieurs pays
africains : programme
de communication
(épidémies, bonnes
pratiques) mis en place
par la GSMA
• Identifier les patients à
suivre dans la surveillance
des maladies infectieuses
• Télécharger/consulter des
bibliothèques de données
• Réaliser des diagnostics
à distance dans les lieux
isolés
• « Healthline » de la
Gramen Foundation
au Bangladesh,
développement prévu
en Afrique : diagnostic
à distance géré par un
hôpital
• Télé-radiologie au Mali ou
télé-diagnostic en Egypte
par Orange
30 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Gains apportés
par les TICS
Exemples illustratifs
Traiter
• Télécharger/consulter des
• Suivi logistique dans
bases de données
la distribution des
• Recevoir des avis de
médicaments
pharmacovigilance
• Optimisation de la prise
• Suivre l’efficacité des
en charge des patients
traitements/échanges entre
à l’hôpital (transfert de
professionnels
données via RTC pour
les petits hôpitaux,
• Contrôler l’authenticité des
IP VPN pour les plus
médicaments
grands, et dans certains
• Formuler des
cas GPRS/EDGE)
recommandations à
distance dans les lieux
isolés
Suivre
• Saisir des données
• Suivre la télé-assistance
• Suivre les maladies
chroniques
• Bénéficier d’un suivi des
vaccinations
• Télétransmission
• SMS d’alerte pour la prise
d’informations
de trithérapie en Afrique
médicales pour le suivi
du Sud (Vodacom)
des maladies chroniques
• Coaching à distance
de personnel pas/peu
qualifié
Améliorer
• Former le personnel de
santé
• Echanger des données
entre pairs
• Etre informé des actualités
de la santé, des nouvelles
recommandations, des
alertes, etc.
• Recevoir des informations
sur les médicaments
(logistique, changement de
posologie, contrefaçon...)
• Mettre en réseau les
dispensaires ruraux, les
centres de référence et
l’hôpital
• Amélioration du
système d’information
vis-à-vis du patient
(ex : mutuelle) ou du
personnel (e-learning)
Exemples illustratifs
• Transmettre des données et • Utilisation de la radio
recevoir de l’information
ou de la téléphonie
• Etre informé en cas
(SMS) pour alerter, faire
de situations à risque
passer un message de
(épidémie par exemple)
prévention
• Apprendre les règles
• Suivi des médicaments
d’hygiène et de sécurité
par des technologies
• Accéder à la vaccination et
comme le RFID, ou
au dépistage du VIH/SIDA
d’autres formats plus
• Contrôler l’authenticité des
sécurisés de type NFC
médicaments
• Obtenir une liste des
vaccins obligatoires
• Gestion à distance des
diagnostics
• Effet double
compensant le peu de
personnel soignant et
la difficulté de transport
pour les patients et
médecins
Besoins liés à l’information
• MPedigree au Ghana :
lutte contre la contrefaçon
des médicaments (MTN
et Tigo entre autres
partenaires)
• E-logistique sur la
distribution des
trithérapies au Kenya
• Automatisation des flux
d’informations pour les
salariés bénéficiant de
mutuelle
• AMREF au Kenya :
formation à distance
d’infirmiers, prévention,
eau&hygiène, docteurs
itinérants
• RAFT en Afrique
francophone :
développement de la
télémédecine, la télééducation et la création
de contenu médical en
ligne
31
D’autres innovations, venues d’Europe cette fois-ci,
peuvent aussi donner lieu à de la croissance pour les
opérateurs télécoms en Afrique. Ainsi, les applications
sur smartphone, le personal cloud, le big data ou
l’open data (data as a service) sont des exemples de
relais potentiels. Plus largement, les logiques d’open
innovation sont culturellement tout à fait pertinentes
en Afrique (voir ce qu’a fait le Crédit Agricole avec
CA-Store) et mériteraient d’être plus répandues.
Le troisième axe consiste à renforcer l’offre B2B
des opérateurs. Les opérateurs télécoms peuvent
améliorer leur offre aux entreprises en Afrique.
Pour commencer par la base de marché, en dehors
de l’Afrique du Nord, les professionnels (artisans,
commerçants, médecins, etc.) sont souvent négligés
alors qu’ils constituent un segment clé, à forte valeur
(et à forte exigence en parallèle).
Sur le marché entreprise stricto sensu, il y a matière à
structurer une véritable offre B2B (fixe et mobile) avec
des logiques de flottes, d’offres de sécurité, d’offres
à haute qualité de service (qui se paie), etc. Ce type
d’approche est encore faible sur le continent.
Au-delà du B2B classique, les opérateurs peuvent
aussi renforcer le B2O et le B2G (Business to
32 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Operator et Business to Government). Le premier
est une déclinaison du traditionnel wholesale entre
opérateurs, mais qui va au-delà des offres tarifaires
sur l’achat de minutes. C’est en quelque sorte la voie
prise par Monaco Télécom, Vodafone ou Orange pour
apporter technologies et savoir-faire à des opérateurs
de petites tailles. Le B2G est tout aussi prometteur,
notamment via le financement des bailleurs de fonds.
Il s’agit ici d’apporter des offres pour développer
un ensemble de services pour l’administration
locale ou centrale. Le e-gouvernement, voire le
m-gouvernement, sont plus que jamais à l’ordre du
jour et méritent une attention particulière.
Au-delà des apports directs à l’administration et aux
citoyens, la vogue des smart cities ou technopoles
représente un axe de croissance avéré, notamment
sur les offres de type IP convergence. Dans ce cas, les
opérateurs doivent repenser leur écosystème car les
acteurs (ONG, états, bailleurs, majorité, opposition,
groupes immobiliers, utilities, etc.) sont nombreux et
mus par des motivations différentes.
Réseaux, services, clients : les axes de croissance en
Afrique dans les télécoms sont encore nombreux !
33
3G/4G en Afrique :
l’arrivée du
broadband mobile
3G/4G en Afrique :
l’arrivée du broadband mobile
Le déploiement des réseaux 3G, 3,5G, 4G quelle que
soit la famille technologique retenue (UMTS, LTE,
etc.) constitue l’enjeu technologique majeur de la
décennie en Afrique. Tout le monde se félicite de
la progression du téléphone mobile depuis un peu
plus de 10 ans. En 2011 le cap des 50% de taux de
pénétration a été franchi en Afrique subsaharienne,
celui des 100% en Afrique du Nord, pour s’établir
à 68% sur le continent (45% en réalité corrigé de
l’effet multisim). Ces chiffres ne sont pas anodins :
le taux de pénétration des télécoms en Afrique est
au niveau de l’accès à l’eau courante (64%), et il est
largement supérieur à l’accès à l’électricité (40%) ou
à un compte en banque (21%). Le rôle joué par les
réseaux sociaux lors du Printemps arabe, notamment
en Tunisie et en Egypte, conforte aussi cette idée.
Cependant, seuls 11% des Africains (ensemble du
continent) ont accès à l’Internet. Ce résultat est dû à
la faible pénétration du fixe (1,5% sur le continent)
et à la quasi inexistence d’un réseau fixe haut
débit. Aujourd’hui le retard de l’Afrique sur le reste
du monde réside bien dans l’accès haut débit. Le
broadband mobile va changer la donne.
Le broadband mobile représente une chance pour
les Africains, pour les opérateurs et pour les Etats
(et donc, en boucle retour, les concitoyens). Dans
le cadre de l’utilisateur grand public, nous pouvons
parier sur un « saut quantique » comme celui déjà
vécu entre la voix fixe et la voix mobile. L’Afrique
a sauté le cap de la téléphonie fixe pour passer
directement à la téléphonie mobile. Dans l’accès à
Internet, voire l’accès à des contenus télévisuels, le
même phénomène va se produire dans la décennie
qui commence. Le broadband fixe devrait rester limité
aux entreprises et gouvernements, le grand public
découvrant l’accès à Internet et aux contenus via la
téléphonie mobile. C’est bien là tout l’enjeu de la 3G
(et à terme de la 4G) : faire entrer l’Afrique dans l’ère
d’Internet. Nous pouvons même anticiper que les
opérateurs africains (Orange, MTN, Milicom, Maroc
Télécom, etc.) sauront faire preuve d’ingéniosité et
aider au développement d’usages innovants, comme
cela s’est déjà produit pour la téléphonie vocale
(usage poussé des SMS, USSD, m-paiement).
Pour les opérateurs télécoms, l’intérêt est double. Ces
nouveaux réseaux vont permettre une décongestion
des réseaux voix notamment dans les régions à
forte densité de population. La qualité de service
générale va donc s’améliorer. Ils représentent aussi
un moyen de faire repartir à la hausse les revenus. En
effet, les revenus actuels par utilisateur (ARPU) sont
en baisse en Afrique depuis 4 ans et le phénomène
pourrait s’accélérer en restant uniquement sur la
voix et le SMS ou quelques SVA vocaux. En Afrique
subsaharienne, cet ARPU était de 6,50€ en 2010 ;
il était de 10€ en Afrique du Nord la même année.
Depuis 2008, dans les pays les plus matures, la
croissance du chiffre d’affaires des opérateurs sur le
marché mobile grand public est due à la croissance
de la pénétration de l’usage, tandis que la croissance
en valeur est négative. L’arrivée du broadband mobile
va permettre de proposer de nouveaux services, du
basique accès Internet haut débit mobile jusqu’à des
services à valeur ajoutée voire des contenus.
35
Pour les Etats, le déploiement des réseaux 3G et 4G
est une triple bonne nouvelle. D’une part, ils peuvent
lancer un nouveau tour de licences à mettre sur le
marché d’ici 2016, ce qui leur donnera un pouvoir
de négociation vis-à-vis des opérateurs. D’autre part,
c’est une phase d’investissements en infrastructures
toujours bienvenue pour l’économie et les emplois
des pays. Enfin, ces réseaux, une fois déployés,
vont permettre aux Etats de communiquer sur
l’attractivité de leur territoire, et leur désenclavement
numérique. Ce sera un formidable levier pour faire
venir des investisseurs étrangers, développer des
zones économiques (jusqu’à des logiques de smart
cities), créer des emplois et à terme… lever des
impôts additionnels autour de cette croissance.
Le broadband mobile sera complémentaire du
broadband fixe, mais contribuera surtout au
développement économique des pays.
Le broadband mobile est donc un enjeu majeur
pour les télécoms en Afrique. Cependant, il ne
faut pas négliger les inhibiteurs associés à cette
transformation. Sans refaire les analyses classiques
des freins réglementaires, technologiques, etc.,
mettons plutôt en avant les dimensions qui
aujourd’hui, pays par pays, peuvent freiner ce
développement.
L’Europe a fait son déploiement 3G, la 4G est en
cours. Les éléments de réseaux, les plateformes
de services sont à maturité et les équipementiers
(notamment chinois) proposent de bonnes équations
tarifaires. La logique de mutualisation se développe
aussi entre opérateurs et permet de régler la question
– sensible – du coût de déploiement réseau. Cela ne
veut pas dire que les questions économiques ne se
posent pas pour les opérateurs télécoms (rentabilité
de la 3G) mais que les inhibiteurs sont aujourd’hui
ailleurs. Ils sont de trois ordres principaux.
La première nature est l’évaluation de la réelle
appétence du marché : il faut se méfier du miroir aux
alouettes. Certes, dans un secteur de l’offre comme
les télécoms, il est facile de pronostiquer une hausse
de la demande liée à des nouveaux services. Les
36 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
usages en mobilité (notamment réseaux sociaux,
TV et vidéo, géolocalisation) sont particulièrement
demandés. Cependant appétence présumée n’est pas
maturité du marché vu du côté des consommateurs.
Le marché peut être encore indécis sur les usages
haut débit mobile qui seront vraiment importants,
pour ne pas dire essentiels. Les opérateurs doivent
donc intégrer un temps de latence entre la mise à
disposition des services sur le broadband mobile et
leur usage grand public, voire anticiper un effort de
formation des clients sur ces usages.
Le second inhibiteur concerne le piratage. Cette
question va prendre une forme nouvelle pour les
opérateurs télécoms, notamment avec l’apparition
de l’accès à des contenus valorisables. Le piratage des
offres de TV payantes et de vidéos est un mode de
consommation en soi dans certains pays d’Afrique.
Les opérateurs doivent mettre en place des systèmes
pour éviter les mêmes déboires que les chaînes
payantes.
Le troisième inhibiteur concerne les terminaux. En
effet avoir accès à du haut débit mobile n’a de sens
que si on peut utiliser un smartphone dont l’écran,
le design et l’ergonomie s’inscrivent dans la durée
dans le développement des terminaux. Le problème
est que ces terminaux restent chers, surtout dans des
pays où le pré-payé domine. Cela rend plus difficile
leur diffusion auprès de la population puisqu’ils
doivent être payés au prix fort.
Une fois ces inhibiteurs levés et les réseaux déployés,
les opérateurs doivent aussi intégrer les impacts du
broadband mobile sur l’écosystème. Les relations
avec les acteurs de la chaine de valeur vont être
bouleversées. Deux cas particuliers sont à considérer :
les relations avec les équipementiers de terminaux et
l’écosystème autour de la diffusion de contenu, via
les modèles haut débit mobile.
La question des terminaux mobiles adaptés pour la
3G va être particulièrement importante en Afrique.
En effet, l’explosion de l’usage broadband mobile
sous-tend des terminaux permettant de surfer sur
Internet et d’accéder à des services et contenus
adéquats. Ce sont les PC mobiles (avec clé 3G),
les tablettes PC ou les smartphones. Le succès
en Europe du broadband mobile à compter de
2007 a été en particulier soutenu par la vente de
smartphones à succès (dont l’iPhone en premier
lieu), largement subventionnée dans la plupart des
pays. Le souci est que le mode de subventionnement
des terminaux est associé à des contrats de type
post-payé (engagement d’abonnement associé à
la subvention du terminal). Ce modèle ne peut être
exploité à plein régime dans les pays africains du
fait de la part importante du pré-payé (95 à 99% du
marché). Question d’autant plus importante que les
smartphones « nus » sont encore chers. Le prix de
certains composants reste élevé (les écrans, tactiles
notamment), même si d’autres (OS, processeurs)
bénéficient d’une baisse depuis quelques mois. La
batterie est aussi un enjeu dans des pays où l’accès
à l’électricité est cher et parfois complexe. Les
smartphones avec cellules photovoltaïques sur la
coque sont sortis en 2010, et constituent une bonne
solution si ce n’est, encore une fois, leur prix.
L’écosystème qui va être bouleversé, voire à construire,
est celui des contenus sur la 3G. Les offres 2G ou
2,5 (GPRS ou EDGE) proposent déjà l’accès à des
contenus (sonnerie, logos, fils d’information, alertes,
votes, service MMS, jeux de type Java). La 3G va
sensiblement élargir le champ des possibles : musique
« on demand », TV mobile, recherche Internet et
navigation, publicité. Ces services, s’ils constituent
une des dimensions attractives de l’Internet mobile
haut débit, nécessitent aussi de partager la valeur
entre de nouveaux acteurs qui ne sont pas seulement
les opérateurs et les équipementiers. Une partie
de la valeur ira vers les créateurs de ces contenus,
et une autre vers les niveaux d’intermédiation qui
vont apparaître. Le principe n’est pas nouveau pour
l’Internet mobile : il est par exemple le modèle qui
prévaut depuis des années dans la publicité, avec les
agences de publicité et les plateformes de gestion
des publicités qui captent entre 35 et 50% de la
valeur. Dans le domaine des contenus, en dehors des
créateurs (jeux, vidéos, applications) aux niveaux
de rémunération de 0 à très cher, les intermédiaires
peuvent être nombreux :
• Agrégation des contenus, c’est-à-dire l’acquisition
des contenus auprès des ayant-droits et créateurs/
éditeurs pour constituer un catalogue,
• Packaging pour préparer le contenu numérique à sa
distribution,
• Management pour fournir des vitrines permettant
de rechercher des contenus, faire des tests, faire son
choix, personnaliser, « historiser »,
• Hosting qui correspond à la fourniture de
capacités (serveur de téléchargement, streaming,
connectivité, etc.),
• Billing pour la gestion des flux financiers, avec le
suivi par des sociétés de gestion des droits d’auteur.
Pour faire vivre ces différents acteurs, non seulement
se constitue une nouvelle chaîne de valeur, mais
aussi de nouveaux business models autour de
l’acquisition de contenu : l’abonnement, le paiement
à l’acte, la location, le bundle. Les opérateurs africains
auront un travail plus conséquent à mener du fait
des spécificités du continent : là encore le modèle
économique avec le pré-payé, et la production locale
de contenu (linguistique, culturelle).
L’histoire du broadband mobile est donc en train de
s’écrire. Succès avéré en Europe, il est une nouvelle
chance pour l’Afrique de sortir définitivement de
l’enclavement numérique. Il reste encore aux acteurs
à trouver les bons modèles pour favoriser une
diffusion rapide et large.
37
Network Sharing :
le partage de réseaux
télécoms pour créer
de la valeur
Network Sharing : le partage
de réseaux télécoms pour
créer de la valeur
L’Afrique constitue un réservoir de croissance
important pour les opérateurs mobiles en termes de
marchés encore inexploités. Malgré ses nombreux
atouts, le continent africain reste un terrain de
jeu complexe. La combinaison d’une concurrence
exacerbée et d’un faible pouvoir d’achat dans de
nombreux marchés crée une pression sur les marges
des opérateurs. La réduction des coûts par le biais
d’économies d’échelle est souvent entravée du fait
d’une dispersion des populations. Même si une
augmentation des revenus est possible grâce à de
nouveaux services à plus forte marge, celle-ci est
limitée, selon les marchés, à quelques segments
privilégiés de la population.
C’est dans ce contexte que le network sharing
(accords de partage de réseaux mobiles) peut
permettre aux opérateurs de réduire leur CAPEX
et leur OPEX, dans des structures de coûts moins
rigides grâce à une utilisation plus efficace des actifs,
et en les aidant à se concentrer sur des services
innovants à valeur ajoutée. L’Afrique est LE terrain
de prédilection de ces accords qui visent à combiner
« l’externalisation » du réseau mobile et le partage
des infrastructures réseaux. D’un côté les opérateurs
mobiles peuvent desserrer leurs contraintes en
termes de fonds propres et réduire leurs dépenses
de fonctionnement. De l’autre, les entreprises
spécialisées dans la gestion de réseau mobile
peuvent réaliser des économies d’échelle en accédant
aux besoins des multiples opérateurs. Les marchés
y bénéficient dans leur ensemble, avec des coûts
d’exploitation inférieurs. Ceux-ci se traduisent par une
baisse des prix et des opérateurs focalisés sur une
différentiation via des services innovants.
Pratique initiée dès les années 90, le partage
d’infrastructures de réseaux mobiles entre plusieurs
opérateurs a pris une ampleur particulière dans les
marchés émergents. Ainsi, dans des marchés de
plus en plus « commoditisés», certains opérateurs
changent de posture vis-à-vis de l’actif considéré
jusqu’à maintenant comme le plus précieux, avec
les licences mobiles. Cette nouvelle approche va à
l’encontre de la culture d’opérateur de réseau. Il ne
s’agit plus de se baser sur le réseau télécom comme
un argument clé de la proposition de valeur, mais de
(re)mettre l’accent sur la consommation financière
du réseau mobile et d’utiliser d’autres leviers de
différentiation (marketing des offres plus sophistiqué
et plus agile).
Le premier levier du partage de réseau est financier,
avec une réduction des coûts d’investissement
(CAPEX), liés à la construction du réseau (notamment
pour des nouveaux entrants sur un marché donné),
et des coûts d’exploitation (OPEX), comme la
location des sites, les frais de maintenance ou la
consommation d’énergie, répartis entre opérateurs
(de l’ordre de 15% pour un partage à deux
opérateurs). A ces économies s’ajoute la génération
de flux de trésorerie si l’opérateur arrive à vendre une
partie de ses équipements à des entités séparées,
dont le financement est réparti sur plusieurs
investisseurs.
39
Le deuxième levier est opérationnel avec une
optimisation conséquente de la performance
des opérateurs. Une meilleure maintenance des
réseaux est assurée grâce à l’expertise cumulée
des différents opérateurs ou l’intervention d’un
prestataire spécialisé, diminuant ainsi les risques
liés à l’exploitation des équipements. D’ailleurs dans
certains pays, comme l’Arabie Saoudite ou l’Iran, le
partage des équipements est imposé aux nouveaux
entrants pour contrôler la mise en place de nouvelles
composantes de réseau.
Le partage d’infrastructures peut être passif ou
actif : par passif on entend les sites radios, les mâts
accueillant les antennes ou l’alimentation électrique ;
par actif on considère le partage des éléments
assurant la transmission des communications comme
les antennes ou les stations de base. Plusieurs
modèles économiques sont alors possibles : du
dispositif de swaps d’antennes à la création d’une
entreprise via une joint-venture, en passant par
l’externalisation des actifs à des sociétés spécialisées
dans la gestion d’équipements réseaux (tower
companies, ou towerco).
Les swaps d’antennes sont la forme la plus simple de
partage des antennes réseaux entre les opérateurs.
Ce modèle implique un swap de l’accès aux tours
entre deux opérateurs sur un même marché ou
zone géographique : un opérateur A donne l’accès
à une de ses antennes à l’opérateur B, et vice et
versa. Dans ce modèle, chaque opérateur conserve
la propriété et le contrôle de ses propres antennes.
Ce modèle est relativement simple à mettre en
œuvre et offre des solutions pragmatiques pour les
opérateurs qui cherchent à rationaliser leur réseau.
Malheureusement, il ne permet pas de générer
d’économie substantielle car l’ensemble concerné
est un très petit pourcentage du portefeuille global
d’antennes réseaux.
40 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Une autre option possible est de créer une
joint-venture comme une entité distincte avec un
actionnariat opérateur. Cette nouvelle entreprise
peut être formée avec un ou plusieurs opérateurs et
gère le réseau existant, mais aussi le déploiement
du réseau pour le compte de ses actionnaires. Le
financement de cette entreprise commune peut
provenir des opérateurs eux-mêmes, ou d’entités de
financement type private equity. Ce modèle offre
de nombreux avantages pour les opérateurs. Dans
le cas où plusieurs opérateurs sont réunis, le risque
opérationnel et financier est réduit substantiellement
en assurant un taux élevé de colocation par antenne
avec des « locataires » garantis dès le premier jour.
En étant actionnaires, les opérateurs sont en mesure
de contrôler et d’influencer la stratégie de l’entreprise,
en particulier dans les premiers stades du processus
d’externalisation/partage. De plus, en externalisant
les actifs réseaux, les opérateurs se laissent la
possibilité d’une vente future ou de quitter la jointventure lorsque plus de valeur peut être réalisée.
Le troisième modèle, le plus répandu, est la vente
des actifs de réseau mobile à une entreprise dédiée.
Celle-ci reprend le réseau actuel, sa maintenance et
le déploiement du réseau futur. Cette société dite
towerco est en général spécialisée et indépendante
des opérateurs, et se développe par acquisition
d’actifs réseau. Outre les avantages financiers
évidents, une vente d’actifs à une towerco peut aussi
apporter certains avantages opérationnels pour les
opérateurs. Selon la région, ces entreprises apportent
une expérience significative et un véritable savoirfaire qui permet de réduire les risques opérationnels.
En Afrique ce modèle a fait des émules, avec
plusieurs opérations comme MTN et Vodafone qui
ont cédé leurs antennes respectivement à American
Tower Corporation et Eaton Towers. Tigo a fait de
même avec Helios Towers au Ghana, en RDC et en
Tanzanie.
Si le partage de réseaux a des bénéfices clairs pour
les opérateurs, d’autres parties sont intéressées par
ce genre d’accord. Les towercos indépendantes en
Afrique-Moyen-Orient sont à l’affut d’opportunités
d’extension de portefeuilles d’actifs en proposant
aux opérateurs d’alléger leurs bilans. Parallèlement,
les investisseurs sont prêts à financer de tels contrats,
avec des cash flows stables et garantis de la part des
opérateurs, sur des durées relativement longues avec
des perspectives d’entrée en bourse.
Il reste que, si le partage de réseaux a beaucoup
d’avantages, une telle décision n’est pas toujours
facile à prendre, du fait de la culture réseau évoquée
précédemment, ni à mettre en œuvre, en termes de
contrat de partage (responsabilité, gouvernance),
gestion de projet (roadmap technologique et gestion
opérationnelle) à deux ou plusieurs opérateurs, ou
tout simplement de distraction par rapport à la
gestion du métier d’opérateur.
De tels accords sont également soumis au contrôle
des autorités de régulation, car ils perturbent le
fonctionnement des marchés qui ne tendent plus vers
une concurrence pure et parfaite. Ainsi, si un accord
entre un opérateur et une towerco laisse à penser
que le marché relatif au partage de réseaux et de
tours peut présenter des distorsions de concurrence,
les autres opérateurs seront réticents à le rejoindre,
limitant ainsi les économies d’échelle et s’ouvrant au
risque d’une dénonciation d’un tel accord auprès de
l’autorité de la concurrence. De même un opérateur,
signataire d’un accord important avec une towerco,
pourrait bénéficier d’un traitement privilégié face
à d’autres opérateurs. Le doute planerait sur une
discrimination possible en termes de qualité de
service ou de priorisation sur l’accès au réseau, lors du
déploiement d’une nouvelle technologie par exemple.
C’est la raison pour laquelle cette pratique se
développe davantage dans les pays émergents,
où le marché des télécoms est florissant et hypraconcurrentiel. L’autorité de régulation des télécoms
estime que de tels accords sont possibles, dans la
limite de contraintes visant à préserver les intérêts
des différentes parties prenantes. La pratique y est
en plein essor avec la consolidation du marché et
des acteurs, le lancement de nouveaux opérateurs
avec de nouvelles licences, l’extension des réseaux ou
encore les prix immobiliers attractifs. De nombreux
deals ont été signés entre opérateurs et towercos,
qui permettent aux opérateurs de la région de
rationaliser sans tabou le business opérateur, en
monétisant des actifs existants, en réduisant leur
CAPEX ou en abaissant leurs coûts. Avec à la clé une
meilleure marge sur leurs bases de clients existants,
mais aussi un meilleur accès à des clients de type
Bottom Of the Pyramid (les 4 milliards d’humains
vivant avec moins de 7 dollars par jour).
Une fois de plus, les pays émergents, et notamment
l’Afrique, nous démontrent que l’innovation au sens
le plus large du terme n’est pas l’apanage des pays
occidentaux en matière de télécoms.
41
Les SVA en Afrique,
enjeu majeur pour
les opérateurs
télécoms
Les SVA en Afrique, enjeu
majeur pour les opérateurs
télécoms
Les Services à Valeur Ajoutée sont présentés depuis
quelques années comme la voie de renouvellement
des business models pour les opérateurs télécoms.
Ils sont censés aider les opérateurs télécoms
à augmenter leur ARPU (revenu par client), en
proposant de nouveaux services qui entraîneront de
nouvelles dépenses.
L’idée du SVA n’est pas nouvelle. Trois SVA ont connu
à ce jour un véritable succès dans l’univers des
mobiles, et deux sont quasi universels : les SMS et
le carnet d’adresses. Si ce dernier n’est pas valorisé
directement, toutes les études clients depuis 15 ans
montrent qu’il a été un vrai accélérateur dans l’usage
de la téléphonie mobile. Le 3ème SVA à grand succès
est la messagerie vocale. Une étude BearingPoint
a ainsi montré que 12 points de pénétration de la
messagerie vocale en usage représentaient 1 point
d’ARPU en plus. Dans les pays de l’Europe de l’Ouest
où elle est très utilisée, elle représente même 7%
dans le bilan « voix » des opérateurs. Cependant,
contrairement aux deux premiers SVA, elle est
sensiblement moins utilisée dans beaucoup d’autres
pays (aux Etats-Unis où le pager est encore utilisé ;
en Afrique où très peu de messageries vocales sont
activées). Ces trois SVA historiques illustrent bien que
le terme « valeur » n’est pas usurpé : en cas d’usage
régulier, ils peuvent peser significativement pour les
opérateurs. Encore faut-il que l’usage soit bien là…
Il convient pour appréhender la question de faire un
tri entre les différents SVA. Nous pouvons distinguer
12 familles de SVA mobiles, se regroupant en 4
grands domaines.
Le premier domaine est celui des « SVA Cœur de
voix ». Le mot « cœur » est à prendre au sens de
« cœur de métier », nous sommes ici dans les SVA
classiques qui ont pour but d’améliorer l’usage du
service télécom de base : la voix. Le carnet d’adresses
ou la messagerie vocale s’inscrivent dans ce domaine.
3 grandes familles, les plus lucratives, sont associées à
ces « SVA cœur de voix » :
• Les « SVA voix » améliorent l’usage de la fonction
voix en facilitant l’accès d’un point de vue pratique
ou tarifaire. Les services de renseignements se
sont historiquement inscrits dans cette famille.
En Afrique, ces SVA se retrouvent notamment
dans tous les services de tarification dynamique,
avec des remises allant jusqu’à -95% selon le lieu
ou l’horaire. Ils sont des SVA pour les clients dans
une logique de service d’optimisation tandis que
pour les opérateurs, ils permettent de remplir les
réseaux aux heures creuses et de gagner des parts
de marché significatives, dans une logique de yield
management. MTN avec ses offres en Afrique du
Sud, au Ghana ou au Congo, est une référence sur
le marché. La recharge dématérialisée (Zebra chez
Orange) est aussi à mettre dans cette famille.
43
• Les « SVA de joignabilité » sont aussi des SVA
historiques comme la messagerie vocale l’illustre.
Revenus à la mode avec les outils de présence
développés sur les instant messaging, ils ont
donné lieu à de véritables innovations en Afrique,
avec notamment l’offre de NOR (Notification of
Reachability) d’Orange développée en premier
lieu au Niger, en Côte d’Ivoire, au Botswana et en
Jordanie. Lorsque le client essaie de joindre une
personne non joignable car en zone non couverte,
il est notifié quand cette personne revient en zone
couverte. Le service est bien dans la joignabilité, et
le gain pour l’opérateur est dans l’appel généré.
• Les « SVA de contenu » sont ceux auquels on pense
le plus souvent en parlant de SVA. Ils peuvent être
basiques et liés à l’usage téléphonique classique, ou
associés à l’Internet mobile comme l’illustrent les
offres d’Orange autour des jeux, de la musique ou
du football (la CAN notamment).
• Les « SVA de fidélisation » sont des services qui, tout
en récompensant la fidélité, génèrent un revenu
incrémental pour l’opérateur. L’exemple marquant
de 2010 a été l’offre de Tigo, d’abord testée en
Amérique Latine puis en Afrique. Avec « Tigo
Lends you », tout « numéro » actif depuis plus de
6 mois reçoit un crédit de 40 centimes d’euros (en
équivalent) une fois le crédit pré-payé utilisé, ce qui
lui permet d’éviter de manquer un appel urgent
si un revendeur de carte n’est pas accessible. Au
prochain rechargement, un débit automatique de
42 centimes rembourse le crédit. Avec un taux de
défection très faible et finalement un taux de prêt
élevé, ce SVA rend un vrai service au client et est
rémunérateur pour l’opérateur.
Le troisième domaine est celui des « SVA B2B2C »,
basés sur la logique de tiers de confiance. L’opérateur
est alors un intermédiaire clé dans la chaîne de valeur
entre l’utilisateur et des prestataires de services
ou des annonceurs. En Europe, les SMS+ (ou SMS
surtaxés) s’inscrivent dans cette logique. Là encore, 3
grandes familles se distinguent :
• Les « SVA d’échange d’argent »… le SVA que
l’Afrique a donné au monde. Le continent a été
pionner dans ce domaine (avec les Philippines)
et on constate, notamment depuis 2007, de
vrais succès autour du m-paiement comme de
Safaricom, Orange Money, MTN, etc. Il est le
SVA qui se déploit le plus spectaculairement en
Afrique avec un retard avéré des pays développés
dans ce domaine. Si la déclinaison m-paiement
se confirme, l’étape suivante sera le transfert
d’argent international (IMT – International Money
Remittance).
Le deuxième domaine des SVA est celui auquel il
est fait aujourd’hui le plus écho : les « SVA data ». Il
s’agit des services liés aux données transférées par les
réseaux 3G notamment. Trois familles composent ce
domaine :
• Les « SVA Internet » regroupent les services
associés à l’accès Internet mobile. Les exemples les
plus fréquents sont liés à l’e-mail et notamment les
utilisations via SMS (envoi et réception d’e-mails
par SMS via messagerie unifiée). Econet Telecom au
Lesotho a été pionnier dans ce domaine dès 2009.
Le Gartner Group considère que le « mobile search »
a été l’un des 3 SVA clés de l’année 2012.
44 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
•Les « SVA communautaires » sont parmi les plus
récents et liés au développement des réseaux
sociaux. En Afrique, lorsque les réseaux ne
permettent pas l’accès aux sites web via Internet,
des versions SMS (Facebook via SMS par exemple)
constituent des SVA puissants.
• Les « SVA de m-advertising » : venus d’Europe avec
le modèle des années 80 de l’audiotel, le modèle de
la m-advertising peine à trouver sa place en Afrique
alors qu’il se développe en Europe et aux Etats-Unis.
La taille des marchés publicitaires africains explique
cette difficulté. Les opérateurs des pays les plus
développés en Afrique utilisent ces SVA pour des
annonces liées aux événements sportifs (le cas de
Mobinil en Egypte).
• Les « SVA de géolocalisation » (LBS) ont été
longtemps considérés pour la 3G comme
l’équivalent des SMS pour la 2G. Hélas, ils n’ont pas
encore confirmé. Quelques tentatives heureuses
sont cependant à citer, notamment en lien avec
le marketing direct. Orange a ainsi lancé à l’Ile
Maurice le « shopping buddy » : par SMS, il s’agit de
trouver les meilleures boutiques par un classement
Facebook et une fois géolocalisées, un couponing
est envoyé sur le mobile.
Le quatrième et dernier domaine est celui des « SVA
verticaux », pour l’essentiel en B2B, mais certains
peuvent toucher les consommateurs finaux :
• Les « SVA sectoriels » sont dédiés à des usages
métiers précis. Le cas le plus développé en
Afrique concerne les services de m-santé, type
« SMS for life » de Vodafone en Tanzanie pour les
vaccins anti-paludéens ou les services de disease
management (suivi des maladies chroniques) par
MTN.
• Les « SVA pros » sont l’ensemble des services
professionnels pour les utilisateurs finaux des
services entreprises. Ainsi MTN en Ouganda
propose des formations pour ses clients pros et TPE.
• Les « SVA entreprises » sont les SVA stricto sensu
réservés à un usage entreprise comme l’offre m-web
en Afrique du Sud pour les offres multi-VPN.
Ce tour d’horizon des grandes familles de SVA nous
aide à illustrer 3 réflexions majeures sur les SVA
mobiles en Afrique. Tout d’abord les SVA y sont une
réalité et sont liés au développement des mobiles.
Il en apparaît chaque année des nouveaux, réelles
innovations pas nécessairement technologiques
mais en termes de présentation de l’offre, d’usage
et de créativité. L’Afrique est en avance sur les
pays dits « développés » dans certains cas. Les SVA
de joignabilité ou de fidélisation connaissent un
renouveau grâce aux solutions proposées dans les
pays émergents ; les SVA liés au paiement et à la
santé sont véritablement pionniers en Afrique. Enfin,
le retard de déploiement de réseaux haut débit
force les acteurs à proposer des services originaux et
astucieux (Facebook par SMS).
Ensuite, le succès d’usage peut être long à venir. Les
SMS sont utilisables depuis 1987 d’un point de vue
technologique ; ils ont été commercialisés à la fin des
années 90, avec une interopérabilité internationale
depuis les années 2000 seulement. Ce fut long, et
pourtant ils restent la référence des SVA… tandis que
les MMS ont plus de difficulté. En Afrique, certains
SVA seront poussés : les SVA « cœur de voix » ou les
sectoriels sont sur une bonne trajectoire. D’autres
mettront sûrement plus de temps. Le m-advertising
ou les services pros devraient ainsi être plus
complexes à développer.
Enfin, et ce point est fondamental, le succès d’usage
ne veut pas dire succés économique pour l’opérateur
télécom. En effet, le modèle économique des SVA
est complexe à mettre en œuvre et dépend de deux
équations. Qui est le payeur (fait-on payer le client
final) ? Le modèle de messagerie vocale en Europe
« rapporte » le plus dans les modèles dits « à la
française », dans lesquels le client final ne paie pas
l’usage du service (la consultation du message), par
rapport à ceux où le client paie le service (modèle
« à l’anglaise »). L’augmentation du trafic pérennise
ce modèle. A chaque SVA la question se pose et
nécessite un arbitrage lourd de conséquences.
Deuxième question : quels sont les acteurs qui se
partagent la valeur ? Autant sur les SVA « cœur de
voix », l’opérateur est souvent au cœur du dispositif,
autant sur les SVA de contenu la question est
différente car le contenu s’achète. Selon le type de
contenu et la part versée aux ayants droit, le modèle
économique est très différent. Ces deux équations
rendent nécessaire une étude économique poussée
des modèles de SVA, fondée sur l’analyse de gains
complets (génération de trafic incrémental rémunéré)
et sur une analyse non pas du chiffre d’affaires mais
de la marge générée par le SVA.
45
Le BYOD : quelle
stratégie d’entreprise
et quels usages ?
Le BYOD : quelle stratégie
d’entreprise et quels usages ?
Les entreprises font de plus en plus face au
phénomène du « Bring Your Own Device », autrement
appelé le BYOD. Il consiste en l’utilisation par les
salariés de leurs équipements personnels (téléphone,
ordinateur portable, tablette électronique) dans un
contexte professionnel, et à accéder par ce biais
aux ressources informatiques de l’entreprise telles
que l’email, les serveurs de fichiers et les bases de
données.
Cette tendance résulte d’une triple évolution. Tout
d’abord, les employés cherchent de plus en plus à
équilibrer cadre professionnel et vie personnelle, en
intégrant de façon croissante ces deux sphères…
tout en conservant une étanchéité entre ces
environnements. Ainsi, 64% des employés souhaitent
séparer leurs vies personnelle et professionnelle avec
leurs outils de communication, bien que 79% d’entre
eux affirment rester en contact, occasionnellement
ou en permanence, avec leur travail en dehors des
heures ouvrées, et que 84% déclarent utiliser des
éléments personnels (PC, téléphone, email,…) à des
fins professionnelles. Ceci est renforcé par un effet
générationnel : la génération Y, ou les « digital
natives », a du mal à adhérer à des modèles de
téléphones ou smartphones inférieurs en gamme et
en performance à leur équipement personnel.
Par ailleurs, le nomadisme professionnel a
augmenté du fait de la mobilité au sein de l’espace
professionnel et du travail à distance, ou télétravail.
Ainsi, 63% des employés sont dans des situations
de mobilité au moins une fois par semaine, 37%
le sont quasiment tous les jours, et cette tendance
va s’accentuer. Ils ont appris de facto à adapter
leur rythme : ils travaillent davantage en dehors
des heures de bureau depuis leurs équipements
mobiles, qu’ils soient personnels ou professionnels.
Ces outils simplifient l’usage en mobilité : de plus en
plus ergonomiques, ils permettent une gestion plus
optimale des agendas, mails et autres messages.
Enfin, les usages professionnels se
« consumérisent », à l’image du marché B2C qui
exerce une réelle pression sur l’entreprise. Plusieurs
mouvements vont s’entrechoquer dans les 5
prochaines années, associant le développement
des téléphones mobiles évolués (smartphones), la
substitution d’équipements fixes vers des terminaux
intégrés multimédias, et l’adoption de tablettes et
écrans tactiles. Les terminaux mobiles simples sont
progressivement remplacés par des smartphones,
et l’usage du fixe est délaissé pour le mobile. Dès
lors, les exigences sont plus élevées : comme dans
leur vie personnelle, les employés souhaitent
bénéficier d’équipements à la fois complets et
simples d’utilisation, avec des interfaces intuitives
et ergonomiques. La substitution des équipements
fixes et accessoires vers des terminaux mobiles tout
intégrés, permettant des usages multimédias, va
s’intensifier. Ainsi, 68% des individus délaissent au
moins partiellement leur ligne fixe au profit de leur
mobile.
Les entreprises, plus ou moins conscientes des
bénéfices et des risques du BYOD pour elles et pour
leurs employés, adoptent des politiques adaptées
avec un niveau de contrôle variable. Nous avons
réalisé une matrice d’analyse des principaux cas de
figure de politique BYOD.
47
La politique « contrôlée » est la plus répandue :
l’entreprise fournit le matériel mobile et finance
l’abonnement. L’employé n’engage aucun frais et
doit respecter les règles d’usages et de sécurité
imposées par son employeur. L’entreprise bénéficie en
retour d’un contrôle total de la flotte d’équipements
mobiles, ce qui lui permet d’assurer une traçabilité
des terminaux et de définir des chartes pour mieux
contrôler les usages et éviter les dérives.
la gestion des équipements est réduite. Il s’agit une
politique de « BYOD » totale.
La politique « hybride » se situe au croisement des
politiques contrôlée et ouverte. L’employé utilise un
terminal, parfois personnel, associé à un contrat
(donc une carte SIM) possédé par l’entreprise, qui
autorise le mélange des usages pro et perso sur
l’équipement. Elle finance la carte SIM et une partie
de l’usage et s’implique dans la gestion. Dans le
cas où l’entreprise a mis en place un programme
« BYOD », l’employé choisit l’équipement. L’entreprise
conserve ici une légitimité sur les contraintes de
sécurité, gestion des équipements et maîtrise des
coûts. Il s’agit d’une politique de « BYOD » partielle.
Les politiques « ouverte » et « hybride » prévoient
que les employés utilisent leurs terminaux mobiles
personnels dans l’environnement professionnel
(smartphones ou tablettes, voire PC portable). Dans
le premier cas, l’employé fournit et paie son terminal
et son abonnement. Sur la base du volontariat, il peut
accéder à ses applications professionnelles grâce à
une plateforme sécurisée proposée par l’entreprise,
tout en étant libre du choix de son équipement.
L’entreprise n’a pas de responsabilité sur le terminal
et l’abonnement. Sa responsabilité sur le support et
L’entreprise est à même de proposer une
combinaison de ces trois politiques, adaptée aux
différents profils d’usage des employés.
Le BYOD présente des avantages évidents pour les
entreprises et les salariés. L’image de l’entreprise
est améliorée auprès de ses salariés et du public :
l’employeur est perçu comme étant flexible et à
l’écoute de ses salariés. De plus, le BYOD peut réduire
les coûts dans l’acquisition, le service support et
l’exploitation, sans oublier que la productivité des
collaborateurs peut être accrue au travers du soin
apporté à leur propre matériel et à la meilleure
connaissance qu’ils auront des ressources et des
équipements. De son côté, l’employé jouit d’un
environnement de travail simple, ergonomique
et efficace dans l’utilisation d’un téléphone, d’un
smartphone ou d’un ordinateur unique.
Paiement de l’usage pris en charge par
Individu
Les politiques d’équipement types
Hybride
Ouverte
Hybride
Paiement du terminal pris en charge par
Entreprise
Le support dépendra également de la politique
d’équipement retenue par l’entreprise. Par exemple,
dans la politique « ouverte » où les terminaux et les
opérateurs se multiplient, le point de contact unique
pour le support peut être la direction informatique de
l’entreprise qui gère les applications professionnelles,
mais également l’opérateur qui fournit l’accès. Dans
la politique « hybride », si le terminal est personnel et
l’abonnement professionnel, la question du point de
contact unique, bien que moins compliquée, se pose :
qui sera en charge d’offrir la garantie de services et le
support complet à l’utilisateur ? Dans la politique
« contrôlée », l’employé sera intransigeant vis-à-vis de
la direction informatique quant à la qualité de service
attendu, tout comme c’est le cas aujourd’hui avec
l’ordinateur professionnel.
Cependant la démarche BYOD comporte des risques
potentiels pour la sécurité du SI, des données de
l’entreprise et pour sa sécurité juridique (propriété
intellectuelle, droit social, liberté individuelle).
Elle doit donc être accompagnée d’une stratégie
définie autour de trois axes, afin de s’assurer de sa
conformité avec les enjeux et règles de l’entreprise.
Entreprise
Contrôlée
Premier axe : accompagner les usages pro/perso.
L’intégration des sphères pro et perso étend le
besoin d’accompagnement au-delà du cadre
professionnel et de la zone de confort de l’entreprise.
Cette dernière doit accompagner les salariés dans
l’adoption des nouveaux outils, et donc repenser ses
processus d’approvisionnement, de prise en main,
d’assistance à l’usage et de résolution d’incidents
à distance. De plus, elle devra définir et mettre à
disposition un catalogue plus vaste de terminaux,
venant partiellement de la sphère privée, puis gérer
les remplacements ou encore les renouvellements.
A titre d’exemple, en France, La Poste Courrier
doit faire face à ce type de défis, en ayant choisi
d’équiper l’ensemble de ses facteurs et directeurs
d’établissements de smartphones (plus de 80 000
employés). L’entreprise va pouvoir élaborer de
nouveaux processus pour faciliter la prise en main
des terminaux et applications : formations, fiches
pratiques, vidéo, e-training ou e-book. Dans tous les
cas, cet accompagnement est focalisé sur les usages
et non la technique, mettant l’utilisateur et ses
besoins au centre de la problématique.
Second axe clé : adapter la politique de sécurité.
Les évolutions des usages de communication et des
modes de travail doivent être accompagnées et
non plus freinées. Face à ce constat, les directions
Individu
6,0%
48 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
de pénétration
4,0%
2,0%
Pays libéralisés
0,0%
Pays non libéralisés
IT et télécoms doivent mettre à jour leur politique
de sécurité, s’organiser pour parer aux nouvelles
menaces et positionner habilement le curseur entre
sécurité et flexibilité d’accès et d’usage. L’ensemble
du dispositif doit être accompagné de mesures de
prévention formalisées dans une charte, et donnant
lieu à une conduite du changement par des ateliers
de responsabilisation et de communication sur les
bonnes pratiques de sécurité.
Dans un monde où la quantité d’informations
échangées augmente continuellement, les risques de
divulgation de l’information se démultiplient.
Par exemple, le « partage » d’une donnée
confidentielle sur un réseau social est instantané et
peut toucher des milliers de personnes : 45% des
collaborateurs admettent publier des informations
relatives à leur entreprise sur des médias sociaux.
L’entreprise doit réguler les flux d’informations et
hiérarchiser les données selon leur criticité et leur
valeur. Chaque profil utilisateur peut donc accéder
à certaines catégories d’informations identifiées à
l’avance. Les entreprises les plus avancées mettent
en place des solutions de gestion de leur flotte
mobile, ou Mobile Device Management, offrant
des magasins d’applications avec une gestion des
habilitations par ligne métier. Les applications et
données sensibles de l’entreprise y sont isolées dans
des espaces dédiés.
La politique de sécurité s’appuie aussi sur une
sécurisation des terminaux mobiles. Protéger le
terminal devient ainsi un challenge important pour
l’entreprise avec la mise à disposition d’antivirus,
firewall et anti-spam (SMS et voix) adaptés aux
risques de sécurité. Les outils de Mobile Device
Management (MDM) lui permettent de pousser
ces politiques de sécurité, y compris sur des flottes
hétérogènes en termes de mobiles et de systèmes
d’exploitation. Authentifier les employés en mobilité
est également un enjeu clé, pour s’assurer de leur
identité. Les solutions existantes sur le marché
reposent sur différentes techniques et sur la manière
de provisionner la solution choisie.
49
Pour citer quelques exemples, il y a l’authentification
simple par identifiant et mot de passe, ou
l’authentification forte par Token physique, par
Token logiciel, par envoi d’un mot de passe unique
via SMS ou par certificat individuel installé sur
l’appareil mobile. Les entreprises feront leur choix
en fonction du niveau de sécurité souhaité et de
la flexibilité requise pour l’usage. Elles doivent par
ailleurs sécuriser les flux de données des équipements
mobiles, vulnérables lors d’une connexion « via les
airs ». Il est possible de mettre en place des tunnels
chiffrés (VPN) à l’aide de logiciels spécifiques installés
sur l’appareil mobile. Les données transiteront ainsi
en toute sécurité. Enfin, les appareils mobiles peuvent
être facilement perdus ou volés. Il est donc nécessaire
de les protéger pour anticiper ces situations à risque.
Les solutions de gestion de flottes mobiles multiéquipements offrent la possibilité d’anticiper la
divulgation d’informations confidentielles, de bloquer
l’accès au terminal et d’effacer ou de restaurer son
contenu. Ces plateformes constituent la solution
la plus sérieuse et la plus fiable à la problématique
de gestion des terminaux. L’émergence et la
généralisation du Cloud et des applications délivrées
en mode « software as a service » (SaaS), sont alors
intéressantes puisque dans cette configuration les
données de l’utilisateur ne sont plus stockées sur le
terminal mobile.
de vol d’un terminal servant à des usages mixtes,
la légitimité de l’entreprise à effacer l’ensemble des
données est en cause. L’employé doit pouvoir prendre
les mesures lui permettant de récupérer les données
relevant de ses usages personnels. De la même
manière, il devra s’assurer de la confidentialité des
données personnelles qu’il ne souhaite pas porter
à la connaissance de l’entreprise. Dans un contexte
où l’employé serait amené à prendre en charge une
partie du terminal qu’il utilise, la problématique
de la propriété devra également être clarifiée.
Auparavant, les entreprises étaient propriétaires
des terminaux mis à disposition des salariés et
les récupéraient en cas de départ. Dès lors que le
coût est partagé avec l’employé, un mécanisme de
rétrocession peut être envisagé afin de prendre en
compte son investissement initial. De plus, quand
le salarié quitte l’entreprise en conservant son
terminal, la question de la réversibilité des données
de l’entreprise se posera, et une clause concernant
les modalités explicites de rétrocession des données
devra être validée. Un usage illicite ou frauduleux
commis depuis un accès professionnel affecte la
responsabilité de l’entreprise. En France, fournir des
moyens informatiques non « sécurisés » expose
l’entreprise au titre de sa responsabilité civile et
implique qu’elle se protège et s’assure de pouvoir
faire saisir le terminal en cas d’enquête.
Troisième axe, et non des moindre, il faut prendre en
compte les impacts humains et juridiques. Des règles
claires doivent être établies pour bâtir une relation
de confiance devant les risques encourus. L’objectif
est de protéger les employés de dérives potentielles
dans les usages, et de prémunir l’entreprise
juridiquement. Les nouveaux usages doivent en effet
respecter l’équilibre pro et perso dont l’entreprise
et l’employé deviennent coresponsables. La mise
en place de chartes d’usage, d’un management de
proximité et la conduite régulière d’enquêtes de
satisfaction auprès des collaborateurs permettent
de veiller au maintien de cet équilibre. La protection
des informations personnelles, désormais mêlées
aux informations professionnelles sur le même
smartphone, devient cruciale. En cas de perte ou
Avec cette tendance, l’utilisateur est placé au cœur
des décisions télécoms et IT de l’entreprise. Afin de
saisir les opportunités liées à ces nouveaux usages,
l’entreprise doit reprendre l’initiative et adapter sa
stratégie (profils d’usage, politique d’équipements,
catalogue de terminaux et applicatifs) et
accompagner les usages et le changement. Enfin,
cette réflexion implique toutes les fonctions de
l’entreprise : direction générale, direction des
ressources humaines et directions métiers.
50 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Les pays émergents moins
réticents à adopter le BYOD
Plusieurs études visant à analyser la pénétration
relative du BYOD par pays ou région du monde ont
été menées. La tendance qui s’en dégage est que
les pays émergents sont moins réticents à autoriser
leurs employés à utiliser des terminaux à des fins à la
fois professionnelles et personnelles, parfois même
aux dépens de la sécurité des données et du SI de
l’entreprise.
Ainsi, une étude menée par Bouygues Telecom a mis
en avant que les employés utilisent des appareils
personnels pour leur activité professionnelle dans
92% des entreprises chinoises et 80% des entreprises
indiennes, alors que la moyenne des autres pays
n’est que de 60%. Seuls 43% des dirigeants déclarent
cependant avoir les outils nécessaires pour suivre
régulièrement les employés qui utilisent leurs
matériels sur le réseau interne.
Une autre étude d’Aruba Networks dans la zone
Europe-Afrique-Moyen-Orient a révélé que le BYOD
touchait 69% des entreprises de la zone avec, en tête,
le Moyen-Orient (80%), suivi des pays scandinaves
et du Benelux (74%), puis de l’Espagne (70%) et
de la Grande-Bretagne (69%). La France est avantdernière, devant l’Allemagne (48%).
Enfin, cet écart entre les pays émergents et les autres
risque de se creuser puisque 91% des entreprises des
BRIC envisagent de transformer leur environnement
de travail traditionnel pour des postes de travail
virtuels, versus 66% pour les autres pays.
51
Le Maroc :
un modèle de
développement des
télécoms en Afrique ?
Le Maroc : un modèle de
développement des télécoms
en Afrique ?
Doté d’une population de 32,9 millions d’habitants
à fin 2011, le Maroc a vu son PIB croître à un
rythme moyen de 5,8% entre 2004 et 2010, et une
augmentation du PIB d’au moins 6% est annoncée
pour les prochaines années. En termes de PIB
nominal, le Royaume Chérifien fait partie des cinq
premières puissances économiques africaines. S’il
est vrai que le secteur agricole et les ressources
minières (principalement phosphates) jouent un rôle
important dans l’économie marocaine, l’économie
numérique se porte bien grâce à un secteur des
télécoms très dynamique, avec une taille de marché
de près de 33 milliards de DHS (3 milliards d’€), soit
plus de 20% du marché en Afrique du Nord. C’est
dans ce contexte que Sa Majesté le Roi Mohamed VI
soulignait en 2008 les enjeux liés au développement
des nouvelles technologies :
« Nous appelons le gouvernement à adopter une
nouvelle stratégie dédiée aux secteurs de l’industrie
et des services et au développement des nouvelles
technologies […]. Cette stratégie devrait avoir
pour vocation d’ouvrir la voie devant l’économie
marocaine, pour qu’elle puisse investir de nouveaux
créneaux industriels faisant appel à des technologies
novatrices. »
Grâce à cette impulsion, la stratégie « Maroc Numeric
2013 » a vu le jour en 2009, avec pour ambition de
générer un PIB additionnel de 27 milliards de DHS
(2,4 milliards d’€) et 26 000 nouveaux emplois en
5 ans, transformant le Maroc en un hub
technologique majeur en Afrique.
Ce programme ambitieux prévoit en particulier
d’accélérer l’informatisation des PME, de rapprocher
les services publics des usagers (projets de
e-gouvernement), et de faciliter l’accès des citoyens à
l’Internet haut débit.
Il s’appuie notamment sur le dynamisme du secteur
des télécoms, fruit d’un développement initié dès les
années 1990 suite à un mouvement de libéralisation
progressive. En 1998, le démantèlement de l’Office
National des Postes et des Télécommunications
aboutit à la création de Maroc Telecom et de
l’Agence Nationale de Réglementation des
Télécommunications (ANRT), régulateur garant de
l’application d’une concurrence saine et rentable. En
1999, Médi Télécom obtient la deuxième licence et
en 2006, des licences 3G sont octroyées à tous les
opérateurs marocains de téléphonie (Maroc Telecom,
Wana Corporate1 et Médi Télecom). En 2012, Maroc
Télécom domine le marché mobile et celui de
l’Internet, avec respectivement 47% et 54% de part
de marché. Inwi est leader sur le segment de la voix
fixe, en offrant des services « à mobilité restreinte »
reposant sur un réseau 3G CDMA. Chacun de ces
opérateurs est soutenu par un investisseur étranger :
Vivendi détient, au début 2013, 53% du capital de
Maroc Télécom ; l’opérateur koweitien Zain contrôle
31% du capital d’Inwi ; Orange a acquis 40% du
capital de Médi Télécom, et compte procéder à une
augmentation de 9%.
1 Aujourdhui «Inwi»
53
Les marchés du fixe et d’Internet sont aujourd’hui en
retrait à cause d’un nombre limité de foyers desservis
par une infrastructure fixe. Le nombre de lignes fixes
en service a ainsi diminué de 4,9% entre 2010 et
2011 pour descendre à 3,5 millions de lignes. En mars
2012, le taux de pénétration de l’Internet fixe était
de près de 10%, loin de la moyenne mondiale qui
avoisine les 30%. A l’opposé, le taux de pénétration
mobile est l’un des plus élevés en Afrique (supérieur
à 110% en 2012), grâce au succès rencontré par les
offres pré-payées (96% des souscriptions à fin 2011)
de plus en plus abordables. La dépense mensuelle
mobile est passée de 81 DHS (près de 7€) en 2007
à 58 DHS (près de 5€) en 2011, soit une baisse de
28% en cinq ans, et ce grâce aux effets conjugués
de l’action du régulateur (ANRT) et de l’intensité
concurrentielle. Et si la voix est de loin le service le
plus sollicité, les services mobiles et la data prennent
une place croissante, augmentant le trafic mobile
(voix et data) de plus de 40% entre 2010 et 2011.
Il n’est donc pas surprenant que le haut débit mobile
connaisse un essor sans précédent au Maroc. A fin
2011, le nombre d’abonnés au haut débit mobile
(près d’1,5 millions d’abonnés) était plus de 3 fois
supérieur au nombre d’abonnés du haut débit fixe
(près de 600 000 abonnés). L’ANRT, ayant cerné
l’opportunité, prépare le prochain grand rendez-vous
des télécoms au Maroc en envisageant de mettre à
disposition des opérateurs des licences 4G en 2013.
La 4G va donner une nouvelle impulsion au marché
marocain. Elle ouvre de nouvelles perspectives de
développement des offres et prestations proposées
sur l’accès à l’Internet, en mobilité ou en termes de
substitution fixe-mobile. S’appuyant sur la vigueur
du marché mobile, la 4G pourrait faciliter l’essor
d’un écosystème Internet « mobile-centric » ou
« fixed-wireless » (via des modems 4G) qui sera
alors l’équivalent d’un écosystème Internet fixe
des pays développés. Ainsi le développement du
Royaume s’appuierait sur une révolution numérique
soutenue par des terminaux mobiles et un ensemble
de services associés, qu’ils soient marchands
54 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
(e-commerce, services cloud, place de marché de
produits agricoles…) ou non (e-administration…).
Conscients des enjeux et de l’impact direct de
cette technologie sur leurs activités, les opérateurs
attendent l’octroi des licences avec impatience pour
investir dans un réseau 4G. La 4G va notamment leur
permettre de réduire leurs coûts d’opération.
Les technologies 4G présentent en effet une
efficacité spectrale supérieure (couverture et débit)
aux technologies 3G actuelles. Le coût (charges
d’exploitation) par Mo d’un réseau LTE est également
beaucoup plus faible qu’avec une technologie
UMTS/CDMA, notamment grâce à une architecture
horizontale tout-IP, des coûts d’exploitation réduits et
la capacité d’autogestion des nouveaux équipements
réseaux. Ensuite, l’avènement de la 4G est l’occasion
rêvée pour les opérateurs d’augmenter l’ARPU. Avec la
possibilité de fournir de nouveaux services et produits
valorisés par le consommateur, les opérateurs
peuvent refondre complètement leur gamme d’offres
avec des nouveaux critères de segmentation : débit
proposé, volume de données transféré, usages
différenciés, souscriptions « premium » illimitées
ou avec une qualité de service supérieure, etc. De
plus, déployer des services sur un réseau 4G est
l’opportunité pour un opérateur de se démarquer de
la concurrence mobile ; en termes de débit, de prix
ou de couverture, les opérateurs mobiles utiliseront
leur réseau comme un argument marketing fort par
rapport à leurs concurrents directs.
Enfin la 4G va permettre des gains de part de marché
grâce à la substitution fixe-mobile. La capacité et les
débits-pics atteints permettent de concurrencer les
opérateurs fixes, prenant une ampleur particulière
dans un pays comme le Maroc où la population,
mal desservie en infrastructures fixes, ne cesse de
manifester son besoin pour l’Internet haut débit.
Aujourd’hui, La 4G n’en est qu’à ses débuts, mais
elle reste la technologie mobile avec la plus forte
croissance attendue d’ici 2016.
Toutefois, le Maroc va devoir affronter de réels défis
inhérents au déploiement de la 4G, et le pays peut
s’appuyer sur les retours d’expériences de divers
marchés pour tirer les principaux enseignements.
L’aspect technologique est le principal élément
discriminant du lancement de la 4G au niveau
mondial. Si la norme Long-Term Evolution (LTE)
semble l’avoir emporté sur la version 4G du WiMAX
mobile, deux éléments techniques diffèrent
fortement selon le pays considéré : les bandes de
fréquences utilisées et le mode de transmission
(duplexage par division de fréquence – FDD
– ou division temporelle – TDD). Le choix des
fréquences à utiliser représente un enjeu majeur
pour les régulateurs et les opérateurs, concernant
l’interopérabilité des équipements et l’itinérance
internationale.
bandes déjà existantes, et souvent très efficaces. Une
telle pratique doit cependant être considérée avec
précaution par l’ANRT pour assurer des conditions
équitables entre opérateurs : certains opérateurs
peuvent recycler des bandes de fréquences que n’ont
pas les autres (le cas de l’opérateur EE au RoyaumeUni).
Les opérateurs se heurtent à la réalité de chaque
marché : quel spectre fréquentiel est disponible ?
Quelles sont les licences déjà accordées aux
opérateurs en place ? Quelle est la topologie du pays
concerné et l’impact sur le déploiement du réseau ?
Lors du choix des bandes de fréquences à utiliser, les
régulateurs portent leur attention sur deux aspects
importants. Tout d’abord ils doivent s’assurer que le
spectre utilisé permettra de bénéficier de l’efficacité
spectrale tant promise pour la 4G : les bandes de
fréquences utilisées doivent permettre d’exploiter
au mieux l’un des avantages majeurs de la 4G,
à savoir la couverture d’une plus grande densité
de population. Ensuite, les régulateurs regardent
de près l’optimisation du déploiement industriel
en relation avec les équipementiers télécoms. En
effet, le choix des fréquences orchestrera les coûts
liés à l’exploitation des services sous la norme LTE
notamment, dans le cas des bandes de fréquences
identiques à la 3G.
Les différents degrés de maturité des pays africains
(taux de pénétration mobile de moins de 30% au
Niger, et de près de 120% pour l’Afrique du Sud)
permettent de distinguer trois groupes.
La mise à disposition de licences 4G repose dans
la plupart des pays sur le recyclage des bandes de
fréquences déjà allouées. C’est une opportunité
pour accélérer le déploiement, puisqu’il s’agit de
Il existe une deuxième catégorie de pays, dans
lesquels la téléphonie mobile a atteint un niveau
moins mature (taux de pénétration de plus de
50%) et où de nouveaux usages télécoms sont en
On retiendra donc que si le Maroc fait aujourd’hui
partie des pionniers africains de la data mobile, c’est
la conséquence logique d’une stratégie cohérente
et durable de développement de son économie
numérique, dans laquelle il a intelligemment
capitalisé sur le dynamisme de son marché mobile.
Certes, de nouveaux défis devront être relevés mais
la trajectoire semble prometteuse, et pourrait inspirer
d’autres pays africains.
Le premier correspond aux pays dans lesquels les
télécoms sont les plus développés en Afrique. Les
taux de pénétration du mobile y sont proches des
100%, et le marché mobile est souvent considéré
comme ayant atteint un niveau proche de la
saturation. Toutefois, l’exemple marocain indique qu’il
est prudent d’éviter une stratégie du « tout mobile ».
En effet, le gouvernement marocain prépare une
ouverture à la concurrence permettant l’exploitation
des boucles locales (basses et hautes fréquences) en
dégroupage total ou partiel. Cette stratégie duale
aide à anticiper une éventuelle saturation future
des capacités mobiles, et à répondre de manière
optimale aux besoins sédentaires, en complément
des besoins nomades.
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cours de développement. L’Algérie, par exemple, se
prépare à des perspectives de croissance importantes
notamment sur l’Internet mobile avec le lancement
de la 3G. Le Maroc doit servir d’inspiration pour ces
pays, notamment dans les démarches entreprises
pour mener à bien les projets. Ainsi, le WiMAX dont
les licences ont été octroyées en 2005, a vu ses
projets de lancements abandonnés par les opérateurs
marocains, notamment pour des raisons de difficultés
de mise en œuvre.
Enfin, viennent les pays dans lesquels les télécoms
sont en cours de développement et où la pénétration
du mobile reste à des niveaux inférieurs à 50% ;
par exemple, l’Ethiopie, dotée d’une population
de plus de 80 millions d’habitants et avec un taux
de pénétration mobile de 20% en juin 2012. Ces
pays, qui sont loin encore des problématiques de
l’Internet mobile, doivent poursuivre la stimulation
de la téléphonie mobile pour répondre aux
besoins locaux en s’inspirant des aspects « Go-toMarket » marocains. L’évolution vers la data mobile
n’interviendra que dans un second temps, et pourra
très bien se faire sur un modèle éloigné du cas
marocain.
En somme, l’exemple marocain prouve que
la conjonction d’une volonté politique forte,
matérialisée par une stratégie moyen terme
cohérente et durable, et doublée d’acteurs
dynamiques, peut suffire à stimuler le développement
des télécoms, réduisant un peu plus le fossé
numérique avec les pays développés. Gageons que
le développement humain qui en résultera sera à la
hauteur des efforts entrepris, et saura inspirer d’autres
pays émergents en Afrique.
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