Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
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Les enjeux des télécoms dans les pays émergents
Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Point de vue Editorial Les télécommunications ont connu dans les pays émergents, et notamment en Afrique, une décennie formidable au début du XXIème siècle. Le déploiement de la téléphonie mobile, et le succès du GSM auprès du grand public, a été l’un des événements majeurs des dernières années, avec l’explosion des smartphones et de l’Internet mobile. L’aventure des télécoms dans les pays émergents ne fait pourtant que commencer : au saut quantique du fixe au mobile, va répondre le saut quantique de l’Internet fixe à l’Internet mobile dans les 10 prochaines années. Chez BearingPoint, nous savons que les enjeux pour les pays émergents ne concernent pas seulement les statistiques du nombre de clients ou de taux de pénétration. Le succès des télécommunications constitue un véritable défi pour les acteurs de l’écosystème, mais aussi une opportunité de désenclavement, de renforcement des pays émergents dans les échanges internationaux et plus globalement de développement économique et sociétal. Au travers de quelques illustrations, nous mettons en relief ces défis, impacts et possibilités offertes par les télécoms dans les pays émergents. Les années à venir seront celles de nouveaux challenges à relever. Henri Tcheng Associé Jean-Michel Huet Directeur Associé 3 Sommaire Remerciements Editorial3 Nous tenons à remercier tout particulièrement : Remerciements5 Le comité éditorial: • Jean-Michel Huet • Henri Tcheng La réglementation des télécoms en Afrique : quel impact sur l’activité économique ? 7 L’accès universel : prochain défi pour les télécoms en Afrique ? 11 L’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms 17 Internet haut débit et développement en Afrique 23 Les relais de croissance des opérateurs télécoms en Afrique 27 3G/4G en Afrique : l’arrivée du broadband mobile 35 Network Sharing : le partage de réseaux télécoms pour créer de la valeur 39 Les SVA en Afrique, enjeu majeur pour les opérateurs télécoms43 Le BYOD : quelle stratégie d’entreprise et quels usages ? 47 Le Maroc : un modèle de développement des télécoms en Afrique ? 53 A propos de BearingPoint 58 Les contributeurs : • Tariq Ashraf • Aurélien Boiteau • Amina Diedhiou • Ouassim Driouchi • Youssef El Shaarany • Meriem Jlaidi • Amira Khediri • Romain Striffling • Isabelle Viennois L’équipe Marketing et Communication : • Stéphanie Lesdos • Arnaud Loyau • Laura Ta • Angélique Tourneux Enfin, un grand merci à Valérie Riou, Consumer Trends Manager chez Orange, pour sa contribution à l’article dédié à l’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms. Contacts59 4 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents 5 La réglementation des télécoms en Afrique : quel impact sur l’activité économique ? La réglementation des télécoms en Afrique : quel impact sur l’activité économique ? La réglementation a été l’un des éléments qui a façonné et façonne toujours l’environnement des télécoms en Afrique. Elle a d’abord permis l’ouverture et le développement de la concurrence au sein des pays africains. Elle a ensuite favorisé une certaine structuration, avec la mise en place d’outils de management et de contrôle des télécoms. Elle ouvre aujourd’hui une nouvelle voie avec le renouvellement attendu des licences. L’effort de libéralisation des marchés a été mené tambour battant et plus rapidement qu’en Europe. Cette rapidité relative est due au phénomène de rattrapage des pays africains, mais aussi au fait que les « incumbents » (opérateurs historiques fondés sur le fixe) étaient moins importants en taille relative, en comparaison avec les pays européens. L’arrivée de nouveaux acteurs, et notamment de grands groupes internationaux, force désormais les opérateurs locaux à se mettre à la pointe de l’innovation et à développer l’activité télécoms. La libéralisation a ainsi souvent été accompagnée de l’ouverture des réseaux mobiles. De plus, certains pays ont découvert le réseau GSM avec la concurrence, l’opérateur historique surfant sur la vague limitée de l’AMPS/TDMA. Enfin, les plans tarifaires ont évolué et permis de toucher une population plus large, avec le développement du pré-payé, de services à valeur ajoutée et du « dynamic pricing » à partir de 2007. Aujourd’hui, le bilan est flatteur pour l’Afrique. 160 opérateurs mobiles composent le paysage télécoms local, soit 3 opérateurs par pays ! Pour mesurer le chemin parcouru, il est bon de rappeler certains chiffres sur les vingt dernières années. 7 En 1992, 75% des pays africains n’avaient aucun réseau mobile et les 25% restants étaient en situation de monopole. 5 ans plus tard, 95% des pays avaient un réseau mobile mais 75% étaient encore en monopole (15% des pays avaient plus de deux opérateurs). En 2002, il restait 20% de monopoles, 40% de duopoles et autant de pays avec plus de deux acteurs. Aujourd’hui, le monopole concerne moins de 10% des pays (et moins de 3% de la population avec le passage de l’Ethiopie en duopole) et le duopole 25%, les deux autres tiers ayant trois ou plus opérateurs. La comparaison des niveaux de pénétration des pays, selon leur niveau de libéralisation, souligne bien l’importance et le poids de la politique réglementaire. L’intensité concurrentielle est par conséquent le facteur principal expliquant les degrés d’adoption des télécoms par la population. En effet, la « virginité » du marché du mobile a attiré les investissements de fonds étrangers qui y ont vu la « poule aux œufs d’or ». La politique d’ouverture du marché à la concurrence, mise en place par les gouvernements locaux, a davantage favorisé le développement du secteur des télécoms. Ainsi, l’explosion du marché depuis le début des années 2000 correspond à l’arrivée d’un deuxième entrant dans les pays. Les télécoms ont une réelle influence sur la croissance économique d’un pays, d’où l’importance du rôle du gouvernement dans la promotion du secteur. En effet, la politique de libéralisation contribue fortement aux revenus télécoms, et par conséquent au PIB du pays concerné. Un second intérêt apparaît pour les Etats : les télécoms représentent un fort apport d’argent. Ainsi dans les années 2000, une part importante de la réglementation a été orientée sur le développement des impôts liés à l’activité télécoms. Si les États africains ouvrent aujourd’hui leurs marchés à la concurrence, afin de favoriser la croissance du secteur, la politique fiscale adoptée dans la majorité des régions demeure contraignante pour les acteurs télécoms : les gouvernements leur appliquent de lourdes taxes ! Les opérateurs, en 8 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents particulier lorsqu’ils sont en monopole ou faible duopole, répercutent alors ces coûts supplémentaires sur les utilisateurs, et freinent le développement du marché. Une baisse des taxes permettrait pourtant d’étendre la couverture réseau et d’offrir un accès télécoms aux régions enclavées. De plus, le coût moyen d’accès au mobile pourrait baisser sensiblement, compte tenu de la part importante des taxes dans ce montant total. Actuellement, les impôts télécoms représentent une source de revenus considérable pour les gouvernements locaux. Le marché de la téléphonie mobile produit ainsi 7% des recettes fiscales totales de l’Afrique subsaharienne ! Le secteur y a généré près de 71 milliards de dollars en recettes fiscales entre 2000 et 2012. Paradoxalement, ce montant pourrait être largement supérieur si les produits télécoms n’étaient plus classés dans la catégorie fiscale des produits de luxe. Selon une étude menée par Frontier Economics, le secteur du mobile est très pénalisé par les taxes imposées sur les portables, les communications et les équipements télécoms. 8 gouvernements d’Afrique subsaharienne imposent ainsi une taxe de « produits de luxe » sur les communications, 24 d’entre eux sur les portables mobiles et plus de 25 sur les équipements télécoms. Selon la même source, l’impôt sur les revenus des opérateurs télécoms est supérieur à 30%. Dans une étude publiée en 2006, l’association mondiale des opérateurs (GSMA) recommandait aux gouvernements de créer une loi relative aux télécommunications. Celle-ci définirait les bases pour assurer une concurrence réelle et l’indépendance de l’instance de régulation, et veiller à la mise en œuvre des mesures limitant les taxes imposées sur le mobile et encourageant les investissements provenant du secteur privé. Si la réglementation sur l’aspect fiscal a été poussée en Afrique, elle a été moins forte sur d’autres aspects. D’une part, la défense du consommateur est beaucoup moins prononcée qu’en Europe. Ce n’est pas spécifique aux télécoms, mais est dû à la faible structuration de la défense consumériste en Afrique. D’autre part, les autorités de régulation des télécoms ont particulièrement souffert de la « capture du régulateur », pour reprendre le terme consacré. Elles disposent de moins de moyens que les opérateurs pour assurer le contrôle classique, sur les aspects tarifaires notamment (prix de prédation, vente à perte, interconnexion, etc.). Les régulateurs ne peuvent pas jouer leur rôle pleinement dans ces pays. Les méthodes utilisées par ailleurs (suivi des CMILT, développement des matrices de routage, etc.) sont souvent encore en devenir. La difficulté à mettre en place un service universel des télécoms et à utiliser ces fonds illustre cette difficulté des régulateurs. Les années qui viennent vont être particulièrement chargées sur le plan réglementaire. Un grand nombre de licences vont être remises en jeu d’ici 2016, entraînant de nouvelles discussions entre les acteurs impliqués. Les licences 3G seront aussi un vaste sujet, de même que les questions relatives à la convergence (licences de diffusion de contenu, fréquences TV). La réglementation est un élément structurant du marché des télécoms quel que soit le pays. Les choix des prochaines années vont être importants. Trois grandes postures seront possibles. Un durcissement de la réglementation est envisageable, via la volonté de l’Etat de récupérer les fruits de l’activité télécoms. Ce durcissement peut prendre différentes formes : menace sur les licences (de la suppression pure et simple à la renationalisation de certains opérateurs... l’Afrique est le seul continent au monde où cette « menace » a été citée dans 3 pays en 2012, comme au Sénégal lors de la campagne présidentielle de 2012), nouvelles impositions, y compris celles ne respectant pas les accords internationaux (comme la taxation des appels internationaux entrants, qui défraie la chronique depuis 2010), conditions de sortie des nouvelles licences (obligation de transfert des bases de données clients en cas de changement d’opérateur)... Ces mesures peuvent correspondre à un moment particulier de la vie du pays, le justifiant d’un point de vue politique ou financier. C’est un arbitrage délicat car ces mesures, si elles présentent des avantages (sur le bien public, sur les finances de l’Etat), peuvent avoir des conséquences négatives lourdes sur le développement de l’usage. A l’autre extrême, et notamment dans les pays encore peu ouverts, la réglementation peut avoir un vrai rôle de locomotive pour structurer le cadre légal, encourager les acteurs à venir (MNO comme MVNO) et créer un environnement propice au développement de l’activité pour les entreprises et des usages pour les citoyens. Certains pays sont engagés dans cette voie depuis 2012, avec la réforme et la modernisation de leur paysage télécoms. Entre ces deux postures, dans les pays déjà matures et/ou en pleine croissance, la réglementation devra aussi apprendre à évoluer avec les acteurs pour maintenir un équilibre entre deux grands axes : renforcer sa capacité à réguler, et donc à aider au développement équitable des télécoms (mise en place d’outils de contrôle et d’analyse puissants) ; contribuer au développement des télécoms en accompagnant les acteurs dans la croissance du secteur. Dans les 5 ans qui viennent, les décisions prises dans les différents pays seront structurantes pour les télécoms sur le continent. Les gouvernements ne doivent pas négliger un effet de concurrence (qui existait peu il y a 10 ans), ou du moins de comparaison, entre pays. Les investisseurs télécoms seront sensibles au contexte réglementaire en général. La capacité de la réglementation à offrir un environnement stable et économiquement sain orientera ces investissements futurs. 9 L’accès universel : prochain défi pour les télécoms en Afrique ? L’accès universel : prochain défi pour les télécoms en Afrique ? Une grande partie des marchés télécoms dans les pays africains arriveront bientôt à un nouveau palier de stagnation de leur croissance. Ce ralentissement ne résulte pas uniquement de la saturation du marché global, mais aussi de la population ciblée à ce jour. Les zones urbaines et périurbaines ont longtemps été la priorité des opérateurs mobiles, du fait des contraintes technico-commerciales dans la couverture des zones rurales (accès aux sources d’énergie, coût de déploiement de site radio « standard », réseau de distribution, etc.). Pourtant, ces zones ne représentent qu’un tiers de la population en Afrique. L’accès universel permettrait de passer de 40% à 80% de pénétration, mais encore faut-il garder un niveau de rentabilité acceptable pour les opérateurs. En effet, la marge de progression potentielle des opérateurs se situe donc sur les deux tiers de la population africaine qui vivent en zone rurale et constituent le segment « very low income » (avec moins de 4 dollars de revenus par jour). Pour parler d’accès universel, il faut bien envisager l’accès au sens technique du terme (zone couverte par un réseau télécom) et l’accès au sens économique (réseau accessible au plus grand nombre de personnes solvables). Le service universel est un concept développé en Europe au moment de la libéralisation des télécoms dans les années 1990. Axé essentiellement sur la téléphonie fixe, il visait à faire financer par l’ensemble des opérateurs télécoms un service de base qui devait garantir un service équitable. Le service universel correspondait ainsi à des tarifs préférentiels pour les ménages à faibles revenus ou handicapés, la couverture en cabine téléphonique des villages (le GSM démarrait à l‘époque), et un service de renseignement accessible gratuitement ou à prix faible. La question de l’accès universel était traitée non pas par des obligations de couvertures de réseau (le réseau fixe était développé), mais par la généralisation et la garantie du principe de péréquation géographique. C’est ce principe qui permet de payer le même prix pour un même service quelle que soit la zone d’émission de l’appel fixe (appel local, urbain, interurbain, national, international, etc.). En Afrique le service universel doit aujourd’hui s’orienter vers les services mobiles. Si le principe et ses dispositifs se sont généralisés (notamment dans les pays africains où la réglementation sectorielle est influencée par celle de la France), la mise en œuvre reste complexe. D’ici 2016, un grand nombre de licences vont être (re)mises en jeu. Le renouvellement des licences 2G, les licences 3G et LTE offrent des occasions pour les gouvernements de renforcer certaines dispositions liées aux licences, et notamment au service universel. 11 Vu les enjeux de désenclavement du continent, la question de l’accès universel pourrait être encore plus formellement inscrite dans les licences. Les dispositions peuvent prendre plusieurs formes, par exemple : • Le renforcement du service universel avec une composante accès universel partagée entre tous les opérateurs. • L’obligation d’un taux de couverture nationale associé à la licence (engagement de déploiement dans le temps correspond à un taux de couverture en % de la population du pays ou en % de la superficie). • L’obligation de proposer des offres ajustées (prix, roaming national ou international) aux populations les plus pauvres, pour favoriser leur accès aux services télécoms. La technologie est une autre dimension à prendre en compte. Les innovations technologiques réduisent considérablement le seuil d’acceptabilité économique pour le déploiement de réseau mobile. En outre, elles vont permettre aux opérateurs mobiles d’affiner leur plan de développement sur ces nouveaux marchés. Les choix technologiques des prochaines années seront donc déterminants. Reste à voir s’ils seront en faveur de l’accès universel. Les technologies déployées peuvent en elles-mêmes être structurantes. Le satellite est une solution qui offre une couverture universelle, notamment dans les zones désertiques, semi-désertiques, montagneuses ou plus largement rurales. Cependant, le coût associé à ce type de réseau peut limiter l’accès au plus grand nombre. Sur les réseaux mobiles classiques, différents acteurs proposent de monter des solutions qui allient déploiement géographique et pertinence économique : • Des équipementiers classiques de l’univers mobile s’adaptant au contexte ; les acteurs chinois ZTE ou Huawei sont relativement à la pointe dans ce domaine. • Des acteurs spécialisés dans ces problématiques comme VNL ou Altobridge. 12 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents • Des acteurs spécialisés dans des solutions intégrées tel le koweitien MDS, qui propose l’utilisation combinée de technologies satellite et d’unités au sol, avec des flux descendant par la bande KU et montant par des réseaux locaux wifi ou 3G. A la technologie choisie s’ajoutent les modalités de déploiement (des réseaux, des plateformes de services). La logique de mutualisation peut alors prendre tout son sens : elle permet un déploiement des réseaux économiquement viable avec un partage des sites entre plusieurs opérateurs, en particulier sur les zones à faible densité, très pauvres ou enclavées. Sur le cœur de métier télécoms, la logique des « Village phones » s’inscrit dans cette démarche. L’expérience lancée par Grameen Telecom au Bangladesh, et étendue en Ouganda et au Rwanda, a permis d’aider des femmes à créer leur propre commerce. Les opératrices perçoivent une rémunération deux fois plus élevée que le revenu moyen national par habitant. Le nombre d’emplois indirects créés est estimé à 100 000, entre les intermédiaires, les agents, les entrepreneurs, les fournisseurs et les opérateurs « Village Phone ». Ensuite, les opérateurs devront adapter leurs services et s’engager à nouveau dans une démarche d’innovations marketing et tarifaires pour réussir pleinement sur le segment du « very low income ». Citons trois nouveaux services qui illustrent les tests en cours des opérateurs. L’offre de MTN « virtual SIM card » permet depuis un téléphone et une seule carte sim de disposer de plusieurs numéros, et donc de plusieurs comptes pré-payés : les abonnés partagent un téléphone. Le prix de ce terminal, même faible (de l’ordre de 30$), constitue encore une des dernières barrières à l’entrée. Autre exemple, le service de « PCV » depuis un mobile et sans opératrice vient d’être lancé avec succès. Enfin, UTL a lancé en Uganda un terminal mobile à bas coût, utilisant exclusivement l’énergie solaire pour se recharger. La mise en place de tels services génére un levier de fidélisation auprès de cette nouvelle clientèle. En effet, les faibles barrières à l’entrée encouragent la souscription à ces services et ont pour effet inverse de favoriser le churn. Fidéliser ce segment de marché devient alors un enjeu clé et la différenciation des acteurs vis-à-vis de leurs concurrents est nécessaire. Il s’agit cependant d’une fidélisation différente de la perception européenne. L’absence d’engagement lié à un abonnement et la variété des offres tarifaires génèrent un taux de churn officiel d’une rare intensité. En Afrique, le taux de multi-sim est estimé à 40%. L’utilisation de plusieurs cartes sim par un seul et même client est donc courante, et rend difficile l’appréciation de la fidélisation. Toute innovation marketing ou tarifaire doit donc être évaluée à l’aune de la fidélité au réseau et à la marque. Les offres de MTN « MTN zone », « Me to You » ou « Friends and family » en sont de bons exemples. La proximité avec la clientèle est aussi une dimension clé. La couverture des 400 000 villages africains par un réseau de mobilité est complexe à mettre en œuvre avec des moyens classiques : la distribution doit aller chez le client. Par exemple, la Fondation Orange finance d’ores et déjà des camions-hôpitaux mobiles, qui sillonnent les routes du Sénégal, du Mali et de la Côte d’Ivoire, pour proposer des consultations et des opérations ophtalmologiques aux personnes n’ayant pas les moyens de consulter. Ainsi, l’opérateur a réussi à toucher les populations les plus démunies, à vendre les produits sans faire la charité et à créer un nouveau marché tout en générant du volume. De manière générale, l’acquisition du segment « very low income » nécessite une modification de l’écosystème (partage des revenus et des coûts). L’acteur concerné sera amené à remettre en question son organisation le cas échéant en créant de nouvelles entités spécialisées. Une redéfinition des relations existantes entre les acteurs de l’écosystème est à prévoir, aussi bien en termes de densité du réseau de distribution (afin de renforcer la proximité client), que de gestion des points de vente ou encore de lobbying auprès du régulateur. De nouveaux partenariats verront également le jour : l’opérateur fera appel à des acteurs tiers pour l’expansion du réseau de distribution, le développement d’une marque puissante construite autour de valeurs sociales et communautaires, voire le lancement de sa nouvelle marque « low cost ». Le fort potentiel économique de l’accès généralisé, notamment en zone rurale, offre une opportunité de croissance pour les opérateurs mobiles, mais constitue aussi une menace pour les grandes marques panafricaines telles que MTN, Vodacom, Zain ou Orange. Si ce marché est laissé vacant durablement, de nouveaux entrants peuvent s’y développer avec de nouvelles armes. L’impact économique du mobile peut amener les gouvernements et les autorités de régulation à négocier avec des opérateurs de niche, comme ce fut fait en Afrique du Sud après que Vodacom et MTN ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas s’y développer. La capacité des opérateurs télécoms à aller chercher une activité commerciale, là où personne n’en voyait il y a 10 ans, est exemplaire d’une vraie segmentation par le revenu. Modèle pour d’autres secteurs, cette approche se fait en parallèle d’un apport de ces technologies au développement sociétal des pays, comme de nombreuses études l’ont montré. Il est donc possible de faire un business rentable et durable, qui génère une croissance soutenue aux activités économiques des pays. Au-delà du secteur télécoms, c’est bien le développement économique des pays qui est en jeu. Les travaux des économistes ont permis d’établir un lien entre la pénétration du mobile et le développement économique, au travers d’indicateurs macroéconomiques tels que le PIB ou les IDE, ou des analyses microéconomiques telles que l’analyse des temps de déplacement ou de l’efficacité des marchés agricoles. Les études de référence ont démontré qu’une hausse de 10 points de pénétration du mobile apporterait un supplément de 0,6 à 0,8 point de croissance annuelle du PIB. 13 Il avait déjà été établi que les pays développés ont obtenu un important surplus de croissance dans les années 1970 à 1990 grâce à la propagation du téléphone fixe, avec un effet maximum lorsque le pays atteignait un niveau d’accès universel. De la même façon, l’étude d’une centaine de pays en voie de développement a montré que la téléphonie mobile a un impact positif et significatif sur la croissance économique, et que cet impact est potentiellement deux fois plus important dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. En effet, ces pays, n’ayant pas construit de grands réseaux de téléphonie fixe avant l’arrivée du mobile, profiteraient du saut technologique de la téléphonie mobile sous réserve d’atteindre une masse critique proche de l’accès universel. De nombreux organismes internationaux tels l’ONU, la Banque Mondiale ou l’ITU, considèrent aujourd’hui que les télécoms sont des facteurs et non des conséquences du développement économique. Trois caractéristiques illustrent leur contribution au développement de pans entiers de l’économie : • L’omniprésence : la téléphonie mobile est utilisée dans tous les secteurs, • L’amélioration : la technologie ne cesse d’évoluer, engendrant une baisse des coûts pour les utilisateurs, • L’innovation induite : le mobile contribue à l’amélioration de nouveaux produits ou processus. L’impact de l’accès universel se mesure selon plusieurs indicateurs qui peuvent être macro-économiques (impact sur le budget de l’Etat par l’accroissement des impôts et taxes), micro-économiques, voire qualitatifs (impacts sociétaux dans les domaines de la santé et de l’éducation). Il représente un enjeu essentiel pour le développement du continent, et pas seulement des acteurs télécoms. 14 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents 15 L’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms L’Afrique, laboratoire des usages pour les télécoms Les télécoms ne servent à rien en soi : l’humanité s’en est passée jusqu’aux 150 dernières années ! Cependant ils sont devenus incontournables, en particulier au cours des dernières décennies, voire irremplaçables. En France, la majorité des salariés sont prêts à perdre une heure le matin pour revenir chez eux s’ils ont oublié leur téléphone mobile ! L’Afrique n’échappe pas à la règle, même si le phénomène est plus récent et couvre essentiellement la dernière décennie sur les offres de téléphonie mobile. Une double boucle se crée : les télécoms contribuent à répondre à des tendances sociétales que l’on peut analyser très en amont ; l’usage qu’en font les populations génère une boucle dite de « feedback », avec de nouveaux comportements. La prise en compte des tendances des usages : une approche différente Dans un environnement concurrentiel, la réussite d’une entreprise passe par sa capacité à imaginer et concevoir de nouveaux produits et services. Savoir identifier et décoder les tendances émergentes, qu’elles soient sociétales, de consommation ou marketing, est un atout majeur pour les grands groupes industriels comme Orange. L’analyse de ces tendances occupe ainsi une part croissante dans la recherche des sources de différenciation : elle permet d’anticiper les ruptures en offrant de nouveaux services, simples, pratiques et utiles aux consommateurs. Comment définir les tendances sociétales et de consommation ? La société apparaît de plus en plus fractionnée en mondes sociaux, souvent propres à un groupe, une classe d’âge, un milieu social. Par conséquent les comportements sociaux et de consommation, d’aujourd’hui et de demain, s’inscrivent dans des imaginaires sociétaux plus « englobants ». Un observatoire des tendances sociétales permet de cartographier l’état des pratiques et d’identifier les tendances et les ruptures à venir. Le terme « tendances » mérite d’être clarifié. Venu dans la sphère du management par les mathématiques financières puis la finance comportementale, il peut à la fois signifier l’éphémère et le durable. Dans le royaume de l’éphémère, la tendance sera ramenée à la mode. Dans le durable, la tendance sera l’initialisation d’une trajectoire, d’un phénomène de long terme. Or dans ce second cas, le plus pertinent ici, l’analyse des tendances doit bien rendre compte de ruptures anticipées. L’anticipation ne relève pas forcément de la futurologie, mais d’une amorce de mouvement qui est encore un signal faible et deviendra à moyen terme un déterminant de marché. Ainsi, l’analyse des tendances sociétales et de consommation regroupe à la fois des signaux de consommation émergents et des courants plus installés, dans des domaines et secteurs d’activités très diversifiés (banque, automobile, grande consommation, média, luxe…). C’est donc en croisant et en regroupant des exemples de produits et services provenant d’industries différentes, que l’on identifiera de nouvelles tendances de consommation et d’évolutions sociétales. 17 Orange a fait le choix depuis 2003 de conforter sa connaissance des tendances sociétales en Europe, en internalisant la production de son premier cahier de tendances. Cette approche est aujourd’hui déclinée pour l’Afrique subsaharienne. marché du poisson en amont et en aval (notamment dans certaines zones éloignées de la mer) est donc devenu un marché d’enchères par SMS ! Un usage structurant pour la profession, et pas forcément imaginé il y a 15 ans. L’impact sociétal de la téléphonie mobile Il existe également un potentiel lié à l’usage du mobile dans certains secteurs qui contribuent au développement sociétal des pays africains. L’éducation et la santé s’inscrivent dans cette logique. Les téléphones mobiles en Afrique ont contribué à développer de nouveaux usages. Certains sont directement liés aux contacts téléphoniques ou à l’écosystème. Le succès du m-paiement avec des offres comme « m-pesa » ou « Orange Money » illustre ce phénomène. D’autres modèles de partage du téléphone ou de prêts de minutes renvoient à des usages séculaires en Afrique comme les tontines (« prêt » communautaire où plusieurs personnes co-empruntent pour que l’un(-e) d’eux ou une partie d’entre eux bénéficient d’un produit). Prenons tout d’abord le cas de l’enseignement. Compte tenu de la faible densité de professeurs et d’établissements scolaires dans la majeure partie des pays d’Afrique, la formation à distance constitue un levier important pour le développement de l’éducation. Les enjeux sont de taille puisque l’Afrique subsaharienne connaît des taux d’alphabétisation particulièrement faibles : ce ratio est de 23% au Mali, contre 88% en Afrique du Sud d’après l’UNESCO. Le télé-enseignement permettrait de combler ces besoins en redéfinissant les contraintes géographiques, humaines ou budgétaires. Grâce au réseau de télé-enseignement mis en place à l’Université du Natal en Afrique du Sud, le nombre d’étudiants inscrits en sciences de l’éducation est ainsi passé de 491 à 3 810 en cinq ans, selon la Banque Mondiale. L’Université Virtuelle Africaine (UVA) constitue un autre exemple réussi du téléenseignement. Elle forme des scientifiques, des ingénieurs, des techniciens, des hommes d’affaires et des professionnels capables de contribuer au développement de leur pays. Ces formations scientifiques et techniques, transmises par satellite, permettent de combler le déficit de matériel et de professeurs. Plus de 9 000 étudiants dans toutes les régions de l’Afrique subsaharienne ont pu bénéficier de ces nouvelles méthodes éducatives. Grâce à ce succès, l’UVA a pu établir près de 22 partenariats avec d’autres universités de l’Afrique subsaharienne. Au-delà, les utilisateurs ont développé de vrais usages dédiés à leurs besoins. Un cas typique est celui de la mise en place de systèmes d’enchères pour la vente de poissons (au Sénégal, au Kenya et même en Asie du Sud Est). Un double phénomène s’est produit. Ce sont les pêcheurs qui ont commencé dès 2005 à négocier le prix de leur cargaison par SMS auprès des différents marchés, s’évitant ainsi le transport fastidieux (et risqué) d’un marché à l’autre. Cet usage du téléphone pour la négociation des prix entre pêcheur et marchand s’est ensuite déplacé, notamment depuis 2010, vers le consommateur final. Il est de plus en plus fréquent qu’un chef de famille récolte l’ensemble des besoins d’un groupe de personnes en poissons (X kilos de capitaine, Y kilos de daurade, Z kilos de sole), puis envoie un SMS à une liste de 5 à 10 marchands de poissons ambulants, en leur indiquant la composition du « panier », la date et le lieu de livraison de la cargaison, et demande un prix. Celui qui proposera le meilleur prix par SMS recevra en retour un message de confirmation. Le 18 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Avec les disparités fortes entre les régions, le télé-enseignement peut avoir soit un contenu de niveau supérieur via des formations universitaires ou une formation continue, soit des formations plus élémentaires avec un enseignement de base (lecture et écriture). Les besoins en formation seront donc à déterminer en fonction des caractéristiques locales, reflétées à travers certaines données sociodémographiques : le taux d’alphabétisation, l’Indice de Développement Humain, l’espérance de vie ou encore le taux d’urbanisation. Le support technologique devra ainsi être le plus simple d’accès, le moins coûteux et le plus adapté au contexte socioéconomique. Les supports de formation les plus appropriés à la population seront déterminés en fonction de leur accessibilité via les moyens technologiques envisageables à court terme. A titre d’illustration, une formation par Internet est difficile à concevoir dans les régions où les technologies du haut débit ne sont pas encore déployées. Le prix de l’accès à la technologie choisie est également un point critique dans l’adoption du système mis en place. Un autre service mis en place au Kenya permet aux patients et au personnel médical de vérifier si les médicaments sont authentiques : il suffit d’envoyer par SMS le code à 12 chiffres, caché sur une vignette à gratter apposée sur la boite du médicament. En retour, l’utilisateur reçoit la réponse « OK, genuine medecine », ou « NO, code is not a valid code », accompagnée du numéro de téléphone du laboratoire pour dénoncer la supercherie si besoin. Une solution simple et ingénieuse pour repérer les contrefaçons qui peuvent représenter un réel danger. Entièrement gratuite pour l’utilisateur final, c’est Orange qui fournit l’infrastructure, tandis que le coût du SMS est pris en charge par les laboratoires pharmaceutiques. Le télé-enseignement présente un certain nombre de bénéfices dans le contexte africain. Il permet de toucher aussi bien des étudiants dans les villes que dans les zones difficilement accessibles. Cette méthode de formation pallie les problèmes de transports souvent lents et pénibles. Les participants peuvent garder leur emploi à mi-temps pour subvenir à leurs besoins. Ensuite, les formations en ligne facilitent les échanges entre les étudiants de diverses régions voire de différents pays, ce qui favorise le réseautage. Enfin, les étudiants se familiarisent avec les outils informatiques mis à leur disposition, ce qui leur servira dans le monde professionnel. Autre exemple intéressant à citer, la solution de « mobile-learning » comprenant un module dédié à la santé (WapEduc). Ce système s’adresse aussi bien aux étudiants, en leur donnant accès à des contenus à caractère éducatif et informatif sur des questions de santé (l’échange d’informations peut être éventuellement interactif), qu’aux professionnels de santé qui bénéficient de la possibilité de faire passer des messages de prévention et d’alerte. Les contenus éducatifs mis à disposition sont spécialement construits pour les mobiles. Un partenariat avec une association de professionnels de la santé permet d’assurer la pertinence du contenu. Néanmoins, le soutien du gouvernement local, et plus particulièrement du Ministère de la Santé, est nécessaire afin de légitimer le contenu pour des raisons déontologiques et parfois légales . Le cas de la santé est aussi intéressant à étudier. Les télécoms peuvent subvenir à de nombreux besoins dans ce secteur, en améliorant l’échange de données et la communication à distance. Ainsi, les patients peuvent, avant de se déplacer, se renseigner sur le lieu/l’horaire du dispensaire, la disponibilité des médicaments ou encore demander des conseils au médecin. Le soin ne s’arrêtant pas au diagnostic, toute la chaîne doit être considérée, depuis la prévention jusqu’au traitement et l’amélioration continue (médicaments, formation, etc.). De la mise en place d’un simple numéro au déploiement d’un système d’information, en passant par des applications mobiles simples, les acteurs des télécoms ont lancé un grand nombre de projets en Afrique afin d’améliorer les infrastructures liées à la santé. C’est ici que les TICs peuvent contribuer à améliorer la productivité des services de santé, en développant par exemple l’ensemble des services d’accès qui mis bout à bout offrent une logique de télé-assistance (accueil téléphonique, numéro d’urgence, etc.). 19 Un opérateur a ainsi mis en place en Afrique du Sud, pour ses clients, un numéro spécial disponible 24 heures/24. Les télé-opérateurs (dont des médecins en deuxième niveau) peuvent fournir de l’aide médicale, des informations concernant le transport vers les centres de soin, des conseils en cas de traumatisme ou tout simplement des conseils dans les cas de non urgence. Afin d’améliorer la qualité et la densité des infrastructures liées au secteur de la santé, la GSM Association Development Fund a proposé le service « Phones for Health » avec différents acteurs (opérateurs et équipementiers télécoms) pour renforcer le maillage médical au Rwanda ou en Tanzanie. « Phones for Health » permet aux travailleurs dans le domaine de la santé d’utiliser un téléphone mobile standard, équipé d’une application facilement téléchargeable sur le terminal utilisé. Ce système aide à renseigner des informations relatives à la santé de patients par du personnel de santé sur le mobile ou le PDA (Personal Digital Assistant), et de les transférer par la suite via une connexion GPRS à la base de données centrale. Si le réseau GPRS n’est pas disponible, le transfert peut aussi bien se faire par les canaux de transmissions SMS. Le système dispose également d’une alerte SMS, et d’outils de communication et de coordination à destination des équipes sur le terrain. Ces derniers peuvent aussi, avec cette application, passer une commande de médicaments et télécharger un support d’aide pour le choix du traitement. Les économistes ont identifié de nombreux effets positifs de la téléphonie mobile sur le développement économique et sociétal. Cependant, le développement de la consommation de mobiles au sein des populations de pays en voie de développement s’est effectué au détriment d’autres dépenses dans l’alimentation. Il n’en reste pas moins que de nombreux organismes internationaux tels l’ONU, la Banque Mondiale ou l’ITU considèrent aujourd’hui que les télécoms sont des facteurs, et non des conséquences, du développement économique. Il reste beaucoup à faire, l’Internet mobile n’est pas 20 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents encore très développé, les usages liés à la m-santé ou au e-learning existent mais sont encore marginaux. L’histoire est donc en train de s’écrire, mais force est de constater que l’Afrique est un véritable laboratoire des usages pour les télécoms. Les tendances de consommation spécifiques à l’Afrique subsaharienne Selon le rapport annuel 2011 de la Banque Africaine de Développement, un tiers de la population africaine, soit 313 millions de personnes, fait partie de la classe moyenne. En Afrique subsaharienne, la moitié de la population survit avec 1 dollar par jour, et 25% avec 2 dollars. Mais 10% des Subsahariens dépensent quotidiennement 4 dollars et 15% au moins 10 dollars. Cette frange de la population a atteint 95 millions de consommateurs urbains qui ont dépensé 327 milliards de dollars en 2010, selon les estimations de la PROPARCO, la branche de l’Agence Française de Développement (AFD) qui finance les activités privées. A côté de cette classe moyenne, il y a une « petite prospérité » qui émerge, depuis deux ans seulement. Ces individus cumulent plusieurs activités, souvent dans l’informel, et ont réussi à sortir de la très grande pauvreté. Ils dégagent un revenu qu’ils investissent, hors de l’alimentaire et du logement de base, dans des produits plus sophistiqués de santé, d’éducation, en carte d’abonnement d’électricité, etc. Cette classe intermédiaire de près de 300 millions de personnes dépense de 2 à 9 dollars par jour. Elle pose les premières bases d’une société de consommation. Le marketing s’adapte à cette nouvelle donne en créant de nouveaux moyens de distribution, en adaptant les produits et services, et en modernisant la politique client. Dans ce contexte, une nouvelle manière de consommer est en train de se développer. Des modes de distribution viennent ainsi compléter les canaux traditionnels : le mode d’achat basé sur la négociation du prix tend à s’effacer, pour laisser la place à une stratégie de prix de vente conseillé qui donne au consommateur le pouvoir d’exiger le juste prix au boutiquier. Les modèles promotionnels s’installent également, et le consommateur averti attend ces promotions pour acheter. La fidélisation de la clientèle est quant à elle un phénomène récent et encore peu développé, mais de grandes enseignes, comme Casino au Sénégal, proposent des cartes de fidélité. Depuis quelques années émerge également une offre de produits locaux qui se modernise, se distingue, devient compétitive et correspond à une attente éthique des consommateurs. Parallèlement, l’offre de produits importés s’élargit, tout en s’ouvrant à un mode de consommation mondialisé avec l’accès aux grandes marques internationales. Par ailleurs, l’accès aux services financiers est un phénomène nouveau, poussé par les institutions comme la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et les gouvernements, depuis deux ans. La volonté politique de bancariser la population est rejointe par des innovations commerciales privées qui entraînent plusieurs évolutions : • La modernisation des services de transfert d’argent, depuis l’arrivée en 2010 des transferts par téléphone mobile, • L’accès à des moyens de paiement numériques, • L’accès aux services de crédit associés à la consommation. Enfin, les services qui facilitent la vie au quotidien se développent. Le matin, des vendeurs ambulants proposent des petits déjeuners à emporter dans les pousse-pousse. Plusieurs marques l’ont compris et adaptent leur distribution en fonction de ces nouvelles habitudes, à l’instar de Coca-Cola et Nescafé. Nescafé s’appuie notamment, depuis 2010, sur le vaste réseau des stations-services Total pour offrir des produits prêts à consommer à ses clients. Les tendances de consommation ne se limitent bien évidemment pas à ces quelques exemples. Les nouvelles technologies et les médias sont également porteurs de grands bouleversements. En 10 ans, les médias et multimédias ont explosé au Sénégal. L’époque où seules les chaînes publiques meublaient le paysage audiovisuel est révolue. La concurrence est aujourd’hui de mise, entraînant des innovations permanentes pour séduire des audiences de plus en plus larges et diverses. De plus, le taux de pénétration d’Internet, évoluant d’années en années, a sacré l’essor des multimédias. Ce boom des médias et multimédias a développé une consommation selon les centres d’intérêts. Les médias se spécialisent et deviennent des compagnons de la vie quotidienne. Ils accompagnent leurs téléspectateurs, lecteurs et auditeurs dans le nouvel univers de la société de consommation. Nous notons ainsi dans certains pays, comme le Sénégal et le Cameroun, un essor des programmes féminins, people et d’informations pratiques. Toujours face à cette offre de plus en plus large, le consommateur devient « consomm’acteur ». Il développe une attitude plus critique envers les marques. Il utilise les médias pour comparer, se renseigner, se faire conseiller et se faire accompagner. De nouvelles tendances s’installent donc en Afrique subsaharienne. Elles n’échapperont pas aux multinationales de multiples secteurs (grande consommation, distribution, banque, technologie…) et nourriront les processus de développement et d’innovation pour accompagner une population en soif de consommation. Un grand merci à Valérie Riou, Consumer Trends Manager chez Orange, pour sa précieuse contribution à cet article. 21 Internet haut débit et développement en Afrique Internet haut débit et développement en Afrique L’Internet haut débit fixe est peu développé en Afrique. Il s’agit même du continent qui a le plus de retard dans ce domaine. Le fossé numérique est majeur : l’Afrique représente moins de 5% des utilisateurs Internet dans le monde ! A l’intérieur du continent, le développement est très inégal. Ainsi, la moitié des usagers se trouve en Afrique du Sud, dont la population ne représente que 5% de la population africaine totale. Deux raisons principales expliquent ce faible développement. D’une part, les lignes de cuivre sont en nombre limité, et celles qui existent sont d’assez mauvaise qualité (ce qui freine les capacités d’ADSL) et de plus en plus banalisées par rapport au succès du mobile, y compris la 3G (offrant l’accès Internet mobile haut débit). D’autre part, les accès Internet ont un coût très élevé à cause des capacités réduites des connexions à l’international (câbles et satellite), et ce notamment dans les pays enclavés qui n’ont pas accès aux câbles sous-marins ou qui ne sont pas connectés aux pays qui y ont accès. Ces pays sont en conséquence limités aux connexions satellites de faible capacité et onéreuses. L’enjeu des réseaux fixes haut débit est un axe clé de développement en Afrique. Pourtant cet investissement est loin d’être évident. Certes, l’objectif de développement des infrastructures est présent dans tous les traités qui concernent la création des Communautés Économique Régionales : ces communautés reconnaissent en effet la nécessité de créer des infrastructures fiables, efficientes et respectueuses de l’environnement, capables de répondre aux impératifs économiques et de fournir des services sociaux de base. Cependant, malgré les aides et le soutien de nombreuses institutions afin de moderniser les réseaux fixes RTC, ceux-ci ne couvrent pas de façon homogène le territoire des pays africains. Le succès avéré de la téléphonie mobile est également un facteur de non incitation à l’investissement supplémentaire dans les infrastructures fixes. Par ailleurs, chaque pays possède certes un segment international du réseau, comportant au moins un commutateur pour le transit international et des stations terrestres de communication par satellite. Cependant, ils ne bénéficient pas tous de points d’atterrissement ou de connexions aux réseaux par câbles sous-marins en fibre optique, qui leur permettraient d’accéder à des capacités internationales de qualité suffisante à un prix abordable. En l’absence de mise en œuvre effective d’un cadre réglementaire pour l’interconnexion et l’accès, et malgré les cadres de coopération proposés par l’UIT, l’UAT et les CER/OIG, l’interconnexion des réseaux peine à se concrétiser pour des liaisons intra et inter pays africains. 23 Lorsqu’elle existe, cette interconnexion souffre d’une mauvaise qualité de service. Ainsi, une grande partie du trafic entre les pays africains transite par des voies extérieures au continent, ce qui aboutit à des frais de transit énormes et à des pertes de devises. Dans ce contexte, les écarts dans le développement des services large bande et d’Internet continuent de se creuser considérablement. Les nœuds d’accès national au réseau Internet global sont généralement liés aux points d’échange Internet (IXP), appartenant aux opérateurs internationaux principaux, qui sont basés pour la plupart aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. En conséquence, à l’exception de quelques pays qui disposent d’un IXP national, il est pratiquement impossible de mettre en place une communication nationale ou interafricaine d’Internet sans passer par l’étranger. Ainsi, l’Afrique consacre entre 400 et 600 millions de dollars par an aux frais de transit du trafic local. Selon les régions, le sous-équipement général est variable. Le cas de l’Afrique Centrale est en cela particulièrement inquiétant. La télé-densité moyenne y est de 0,25 ligne principale fixe et de 13,25 abonnés au mobile, soit 13,5 pour l’ensemble lignes fixes et mobiles pour 100 habitants. Les moyennes des indicateurs clés pour cette région sont également très faibles, comparées aux moyennes continentales. Le Cameroun et la République Démocratique du Congo (RDC) représentent 78,3% des lignes fixes et mobiles de la région. En RDC, les abonnés au service de téléphonie mobile représentent même 99,7% de l’ensemble des services fixes et mobiles de tout le pays. La RDC est également l’un des onze pays africains ayant un point d’échange Internet. A l’inverse, la région de l’Afrique Centrale se sert essentiellement d’une infrastructure satellitaire coûteuse et de mauvaise qualité. A l’international, les tarifs pour la bande passante oscillent entre 7 000 et 10 000 $ par Mbit par mois pour les pays enclavés, (par exemple le Tchad et la RCA qui utilisent quasiexclusivement des satellites). 24 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Le développement des câbles sous-marins financés par l’international (Banque Mondiale, opérateurs privés, etc.) sont un moyen de désenclaver l’Afrique. Pour poursuivre l’exemple de l’Afrique Centrale, des projets de construction de nouveaux câbles sousmarins viennent s’ajouter à celui du câble sousmarin SAT3/SAFE/WASC. Ils permettront de mieux connecter certains états côtiers d’Afrique Centrale au réseau mondial de l’Internet. Ainsi, le projet ACE (Africa Coast to Europe), d’une longueur de 12 000 km, relie le Gabon à la France. Il dessert 17 états de la côte Ouest africaine en capacités internationales, dont le Cameroun et le Nigéria. Une extension jusqu’en Afrique du Sud est également étudiée. Son efficacité dépend toutefois des tarifs d’accès et de transit. La côte Est africaine bénéficie de plusieurs câbles, éléments clés de ce désenclavement : • Le câble sous-marin EASSY dessert la côte Est de l’Afrique et relie l’Afrique du Sud, avec des interconnexions avec le câble SAFE, au Soudan, et le câble Sea-Me-We 3 permettant de desservir 13 états. Pour Nairobi et Johannesburg, le principe est celui de liaison aux stations d’atterrissement par des liaisons optiques internes. • Le TEAMS (The East African Marime System) kenyan a pour vocation de relier les Emirats Arabes Unis au Kenya. Par ailleurs, la bretelle WASC raccorde le Nigéria afin d’introduire une certaine stabilité dans l’accès aux capacités de SAT 3. Le développement du secteur des télécoms influe ensuite sur le niveau de ces investissements : il encourage les investisseurs étrangers qui, par effet de ricochet, incitent les investisseurs locaux. L’étude de Reynolds a démontré qu’il existait une corrélation entre les Investissements Directs à l’Etranger et la pénétration des TICs. Il a remarqué que la qualité de l’infrastructure télécoms était étroitement liée au PIB, et pouvait par conséquent influer les IDE. L’étude de Williams a également confirmé l’existence d’une relation significative : •Entre la pénétration du réseau fixe (mobile exclus) et les IDE : une augmentation de 1% du taux de pénétration du fixe engendre 1 à 1,3% d’augmentation de la moyenne des IDE, • Entre la pénétration du mobile (fixe exclus) et les IDE : une augmentation de 1% du taux de pénétration du mobile engendre 0,5 à 0,6% d’augmentation du rapport IDE/PIB. L’impact de la pénétration des réseaux fixes haut débit est plus fort sur les IDE car cet indicateur reflète probablement la qualité d’infrastructures non-télécoms du pays (en particulier dans le domaine du transport). Les réseaux fixes permettent le développement des activités B2B et donc, indirectement, la création d’emplois. Le développement des câbles et des fibres est donc clé pour permettre à des régions entières de bénéficier des investissements internationaux. Par ailleurs, si l’accès à l’Internet mobile va sûrement devenir la règle pour le grand public, le recours aux réseaux mobiles haut débit ne sera pas pour autant la seule solution. En effet, les réseaux mobiles 3G vont mettre quelques années à se développer : ils auront un coût élevé pour le consommateur, et même plus élevé qu’un accès Internet haut débit par la fibre. Ils nécessitent de plus un terminal de communication (type smartphone) à prix élevé. A contrario, dans certaines régions, l’accès à Internet sur PC via réseau fixe peut être économiquement plus intéressant (notamment avec le développement des OLPC) et servir dans des zones où le réseau mobile est techniquement et économiquement non viable. Nous sommes convaincus que dans le domaine de l’Internet, l’Afrique va connaître le même « saut quantique » que dans la Voix avec le développement accéléré de l’Internet mobile. Cependant le désenclavement des régions grâce à l’Internet fixe haut débit demeure un enjeu pour les états et les bailleurs internationaux, afin de soutenir le développement économique et social des pays africains. Ces câbles, ainsi que le développement de la fibre, constituent un réel enjeu pour l’Afrique afin de développer les réseaux Internet. L’accès à l’Internet filaire est lui aussi important pour plusieurs raisons. Les études économiques ont montré que le développement de l’Internet fixe était un facteur soutenant la croissance. En effet, la qualité des infrastructures en réseaux fixes (fibre, adsl, etc.) est un facteur clé dans le choix d’un groupe international de s’implanter dans un pays, favorisant ainsi les investissements locaux. 25 Les relais de croissance des opérateurs télécoms en Afrique Les relais de croissance des opérateurs télécoms en Afrique Une grande angoisse traverse les opérateurs télécoms : quel sera mon prochain relais de croissance ? Les pays à libéraliser sont de plus en plus rares (Ethiopie, Tchad ou Djibouti par exemple), et la conquête des zones rurales s’annonce plus complexe, plus longue que prévu avec une rentabilité moindre. En dehors de ces « classiques », quelles sont les pistes innovantes pour les opérateurs télécoms ? Bonne nouvelle, elles sont nombreuses et non dénuées d’intérêt ! La première est le déploiement de réseaux. Il s’agit de la base historique des opérateurs télécoms, leur cœur de métier. Le modèle est éprouvé et, d’ores et déjà, les déploiements 3G ou LTE sont regardés. Au-delà de la dimension technique, ils s’inscrivent dans une logique d’évolution du modèle économique en termes de coûts, avec le développement du partage de réseaux, et de revenus, avec la possibilité de pousser des offres data grâce à des systèmes de type Yield Management (optimisation de l’usage des ressources réseaux par l’optimisation tarifaire). Selon la zone, la complémentarité des réseaux peut être utilisée entre les 3G/4G et le Wifi dans les zones urbaines, la 2G/Wifi pour les zones rurales, voire la connectivité intermittente pour certaines zones. C’est aussi l’occasion pour les opérateurs de tester de nouvelles offres techniques utilisant à la fois des réseaux télécoms et du broadcast audiovisuel. Car au-delà des modèles de revenus, il est encore possible d’être innovant dans les aspects réseaux en Afrique, sans se contenter de faire les mêmes déploiements qu’en Europe. Deux exemples pour illustrer cela : l’approche d’Azesat au Bénin et le potentiel sur l’électricité. Azesat joue sur une technologie nord-américaine innovante (en descendant avec le satellite et la bande KU autorisée, en montant les réseaux locaux wifi wimax/3G) et vient d’expérimenter au Bénin une solution originale pour développer du haut débit. Toujours dans le domaine « réseau », les opérateurs télécoms sont de grands producteurs d’électricité dans un continent qui en manque cruellement. Ces deux approches constituent des relais de croissance intéressants. 27 L’électrification rurale en Afrique : nouvelle frontière du développement et futur eldorado ? L’électricité est un produit rare en Afrique : le taux d’électrification est limité à 42% à l’échelle du continent, soit le taux le plus faible de l’ensemble des régions en développement. De plus, ce taux moyen masque à la fois de fortes disparités régionales (99% au Maghreb, mais seulement 31% en Afrique subsaharienne), et un clivage urbain/rural très marqué (69% en urbain contre 25% en rural). Moins de 10% des populations rurales d’Afrique subsaharienne ont ainsi accès à l’électricité, la biomasse traditionnelle (bois transformé ou non en charbon) restant leur source d’énergie quasi-exclusive. Pour les opérateurs d’électricité d’Afrique subsaharienne, l’équation économique est complexe à résoudre. D’un côté, ils doivent s’adapter à la donne économique locale : avec 70% de la population vivant avec moins de 2$ par jour, l’accessibilité à l’électricité est limitée. Dans les zones électrifiées, une consommation moyenne de 40 kWh par mois (contre environ 600 en France) représente par exemple un coût de 5$. Et dans les zones rurales non desservies, une consommation moyenne plus réduite de 5 kWh par mois génère toujours un coût de 2$, dû à l’utilisation des groupes électrogènes. De l’autre côté, les opérateurs électriques doivent exploiter des infrastructures électriques lourdes, centralisées et couvrant d’immenses territoires. 28 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Héritées pour partie de l’époque coloniale, ces infrastructures génèrent des coûts d’exploitation élevés, de 14 c$/kWh en moyenne, à peine couverts par les tarifs de vente. Déficitaire sur la fourniture d’électricité aux particuliers, le fragile équilibre financier des opérateurs est tributaire de la vente aux entreprises. Face aux difficultés d’extension du réseau électrique traditionnel, le développement de moyens de production décentralisés off-grid ou organisés autour d’une mini-grid locale présente donc une alternative intéressante dans les pays africains. Un changement d’approche qui peut constituer une véritable solution d’avenir, pertinente compte tenu des ressources du continent, mais également viable économiquement. Au vu du fort ensoleillement du continent, l’énergie solaire représente notamment une solution prometteuse. Une étude menée par la Commission Européenne a ainsi montré que la production d’électricité au moyen de panneaux photovoltaïques est plus compétitive que l’utilisation d’un groupe électrogène, sur une large part des zones rurales africaines. Mais les énergéticiens ne sont pas seuls à s’intéresser à l’électrification en milieu rural. Les opérateurs télécoms, fortement implantés sur un continent africain où le marché de la téléphonie mobile est en pleine explosion (croissance annuelle de près de 20%), se montrent très actifs, avec comme enjeu la diffusion du mobile au-delà des zones électrifiées. Ces acteurs – moins contraints par le cadre de la régulation – ont l’avantage de pouvoir rentabiliser leur investissement à travers leurs offres de téléphonie, leur permettant de proposer un service de fourniture d’électricité à coût marginal. L’initiative Green Power for Mobile, lancée en 2008 par la GSM Association, vise ainsi à développer les réseaux mobiles dans les zones rurales en déployant des infrastructures alimentées – totalement ou en partie – par les énergies renouvelables (solaire principalement). L’objectif est double : réduire la facture diesel des opérateurs et faciliter la recharge du téléphone mobile, donc son usage. Orange, présent dans 16 pays africains, a par exemple déployé 1 300 antennes relais solaires dans les zones rurales, offrant la possibilité aux populations de bénéficier de l’électricité disponible pour recharger leurs téléphones, mais également de procurer une alimentation électrique pour des services de base (éclairage d’une école ou d’une maternité, réfrigération des médicaments…). Ainsi, l’électrification rurale en Afrique, qui s’inscrit encore aujourd’hui dans une logique d’aide au développement pour les énergéticiens, ou comme une strate d’infrastructure nécessaire au développement du mobile pour les opérateurs télécoms, pourra-t-elle constituer demain un marché à part entière ? Quels acteurs trouveront les business models permettant de rentabiliser ce développement ? A la clé : un marché de 585 millions de personnes, soit un bel eldorado en perspective ! Source : Etude publiée sur le blog Energie de BearingPoint - http://energypoint.bearingpoint.com 29 Le second axe de croissance consiste à développer de nouvelles offres de services : une fois le réseau installé, il faut pousser l’usage. Les exemples venant du continent africain sont légion, mais force est de constater que ce ne sont pas les plus développés. Le Mobile Payment est certes à la mode, notamment depuis le succès en 2008 de M-Pesa, mais il n’est pas déployé dans tous les pays. De plus, à quelques rares exceptions près dont le Kenya, il ne représente pas le tiers des transactions financières dans les pays où il est utilisé. Enfin, il n’offre pas l’ensemble de la possibilité des services : paiement des Besoins liés à l’information Prévenir Diagnostiquer impôts, paiement de factures, transfert d’argent international... C’est donc un relais de croissance à part entière. Il en va de même pour les services dits verticaux autour de la santé, de l’agriculture, etc. Là encore les exemples sont nombreux, mais loin d’être généralisés malgré leur apport, souvent social. Ci-après un tableau qui présente quelques uns des services innovants en m-santé : Gains apportés par les TICS • Programme Pésinet au Mali : suivi du poids des bébés • « Phones for Health » dans plusieurs pays africains : programme de communication (épidémies, bonnes pratiques) mis en place par la GSMA • Identifier les patients à suivre dans la surveillance des maladies infectieuses • Télécharger/consulter des bibliothèques de données • Réaliser des diagnostics à distance dans les lieux isolés • « Healthline » de la Gramen Foundation au Bangladesh, développement prévu en Afrique : diagnostic à distance géré par un hôpital • Télé-radiologie au Mali ou télé-diagnostic en Egypte par Orange 30 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Gains apportés par les TICS Exemples illustratifs Traiter • Télécharger/consulter des • Suivi logistique dans bases de données la distribution des • Recevoir des avis de médicaments pharmacovigilance • Optimisation de la prise • Suivre l’efficacité des en charge des patients traitements/échanges entre à l’hôpital (transfert de professionnels données via RTC pour les petits hôpitaux, • Contrôler l’authenticité des IP VPN pour les plus médicaments grands, et dans certains • Formuler des cas GPRS/EDGE) recommandations à distance dans les lieux isolés Suivre • Saisir des données • Suivre la télé-assistance • Suivre les maladies chroniques • Bénéficier d’un suivi des vaccinations • Télétransmission • SMS d’alerte pour la prise d’informations de trithérapie en Afrique médicales pour le suivi du Sud (Vodacom) des maladies chroniques • Coaching à distance de personnel pas/peu qualifié Améliorer • Former le personnel de santé • Echanger des données entre pairs • Etre informé des actualités de la santé, des nouvelles recommandations, des alertes, etc. • Recevoir des informations sur les médicaments (logistique, changement de posologie, contrefaçon...) • Mettre en réseau les dispensaires ruraux, les centres de référence et l’hôpital • Amélioration du système d’information vis-à-vis du patient (ex : mutuelle) ou du personnel (e-learning) Exemples illustratifs • Transmettre des données et • Utilisation de la radio recevoir de l’information ou de la téléphonie • Etre informé en cas (SMS) pour alerter, faire de situations à risque passer un message de (épidémie par exemple) prévention • Apprendre les règles • Suivi des médicaments d’hygiène et de sécurité par des technologies • Accéder à la vaccination et comme le RFID, ou au dépistage du VIH/SIDA d’autres formats plus • Contrôler l’authenticité des sécurisés de type NFC médicaments • Obtenir une liste des vaccins obligatoires • Gestion à distance des diagnostics • Effet double compensant le peu de personnel soignant et la difficulté de transport pour les patients et médecins Besoins liés à l’information • MPedigree au Ghana : lutte contre la contrefaçon des médicaments (MTN et Tigo entre autres partenaires) • E-logistique sur la distribution des trithérapies au Kenya • Automatisation des flux d’informations pour les salariés bénéficiant de mutuelle • AMREF au Kenya : formation à distance d’infirmiers, prévention, eau&hygiène, docteurs itinérants • RAFT en Afrique francophone : développement de la télémédecine, la télééducation et la création de contenu médical en ligne 31 D’autres innovations, venues d’Europe cette fois-ci, peuvent aussi donner lieu à de la croissance pour les opérateurs télécoms en Afrique. Ainsi, les applications sur smartphone, le personal cloud, le big data ou l’open data (data as a service) sont des exemples de relais potentiels. Plus largement, les logiques d’open innovation sont culturellement tout à fait pertinentes en Afrique (voir ce qu’a fait le Crédit Agricole avec CA-Store) et mériteraient d’être plus répandues. Le troisième axe consiste à renforcer l’offre B2B des opérateurs. Les opérateurs télécoms peuvent améliorer leur offre aux entreprises en Afrique. Pour commencer par la base de marché, en dehors de l’Afrique du Nord, les professionnels (artisans, commerçants, médecins, etc.) sont souvent négligés alors qu’ils constituent un segment clé, à forte valeur (et à forte exigence en parallèle). Sur le marché entreprise stricto sensu, il y a matière à structurer une véritable offre B2B (fixe et mobile) avec des logiques de flottes, d’offres de sécurité, d’offres à haute qualité de service (qui se paie), etc. Ce type d’approche est encore faible sur le continent. Au-delà du B2B classique, les opérateurs peuvent aussi renforcer le B2O et le B2G (Business to 32 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Operator et Business to Government). Le premier est une déclinaison du traditionnel wholesale entre opérateurs, mais qui va au-delà des offres tarifaires sur l’achat de minutes. C’est en quelque sorte la voie prise par Monaco Télécom, Vodafone ou Orange pour apporter technologies et savoir-faire à des opérateurs de petites tailles. Le B2G est tout aussi prometteur, notamment via le financement des bailleurs de fonds. Il s’agit ici d’apporter des offres pour développer un ensemble de services pour l’administration locale ou centrale. Le e-gouvernement, voire le m-gouvernement, sont plus que jamais à l’ordre du jour et méritent une attention particulière. Au-delà des apports directs à l’administration et aux citoyens, la vogue des smart cities ou technopoles représente un axe de croissance avéré, notamment sur les offres de type IP convergence. Dans ce cas, les opérateurs doivent repenser leur écosystème car les acteurs (ONG, états, bailleurs, majorité, opposition, groupes immobiliers, utilities, etc.) sont nombreux et mus par des motivations différentes. Réseaux, services, clients : les axes de croissance en Afrique dans les télécoms sont encore nombreux ! 33 3G/4G en Afrique : l’arrivée du broadband mobile 3G/4G en Afrique : l’arrivée du broadband mobile Le déploiement des réseaux 3G, 3,5G, 4G quelle que soit la famille technologique retenue (UMTS, LTE, etc.) constitue l’enjeu technologique majeur de la décennie en Afrique. Tout le monde se félicite de la progression du téléphone mobile depuis un peu plus de 10 ans. En 2011 le cap des 50% de taux de pénétration a été franchi en Afrique subsaharienne, celui des 100% en Afrique du Nord, pour s’établir à 68% sur le continent (45% en réalité corrigé de l’effet multisim). Ces chiffres ne sont pas anodins : le taux de pénétration des télécoms en Afrique est au niveau de l’accès à l’eau courante (64%), et il est largement supérieur à l’accès à l’électricité (40%) ou à un compte en banque (21%). Le rôle joué par les réseaux sociaux lors du Printemps arabe, notamment en Tunisie et en Egypte, conforte aussi cette idée. Cependant, seuls 11% des Africains (ensemble du continent) ont accès à l’Internet. Ce résultat est dû à la faible pénétration du fixe (1,5% sur le continent) et à la quasi inexistence d’un réseau fixe haut débit. Aujourd’hui le retard de l’Afrique sur le reste du monde réside bien dans l’accès haut débit. Le broadband mobile va changer la donne. Le broadband mobile représente une chance pour les Africains, pour les opérateurs et pour les Etats (et donc, en boucle retour, les concitoyens). Dans le cadre de l’utilisateur grand public, nous pouvons parier sur un « saut quantique » comme celui déjà vécu entre la voix fixe et la voix mobile. L’Afrique a sauté le cap de la téléphonie fixe pour passer directement à la téléphonie mobile. Dans l’accès à Internet, voire l’accès à des contenus télévisuels, le même phénomène va se produire dans la décennie qui commence. Le broadband fixe devrait rester limité aux entreprises et gouvernements, le grand public découvrant l’accès à Internet et aux contenus via la téléphonie mobile. C’est bien là tout l’enjeu de la 3G (et à terme de la 4G) : faire entrer l’Afrique dans l’ère d’Internet. Nous pouvons même anticiper que les opérateurs africains (Orange, MTN, Milicom, Maroc Télécom, etc.) sauront faire preuve d’ingéniosité et aider au développement d’usages innovants, comme cela s’est déjà produit pour la téléphonie vocale (usage poussé des SMS, USSD, m-paiement). Pour les opérateurs télécoms, l’intérêt est double. Ces nouveaux réseaux vont permettre une décongestion des réseaux voix notamment dans les régions à forte densité de population. La qualité de service générale va donc s’améliorer. Ils représentent aussi un moyen de faire repartir à la hausse les revenus. En effet, les revenus actuels par utilisateur (ARPU) sont en baisse en Afrique depuis 4 ans et le phénomène pourrait s’accélérer en restant uniquement sur la voix et le SMS ou quelques SVA vocaux. En Afrique subsaharienne, cet ARPU était de 6,50€ en 2010 ; il était de 10€ en Afrique du Nord la même année. Depuis 2008, dans les pays les plus matures, la croissance du chiffre d’affaires des opérateurs sur le marché mobile grand public est due à la croissance de la pénétration de l’usage, tandis que la croissance en valeur est négative. L’arrivée du broadband mobile va permettre de proposer de nouveaux services, du basique accès Internet haut débit mobile jusqu’à des services à valeur ajoutée voire des contenus. 35 Pour les Etats, le déploiement des réseaux 3G et 4G est une triple bonne nouvelle. D’une part, ils peuvent lancer un nouveau tour de licences à mettre sur le marché d’ici 2016, ce qui leur donnera un pouvoir de négociation vis-à-vis des opérateurs. D’autre part, c’est une phase d’investissements en infrastructures toujours bienvenue pour l’économie et les emplois des pays. Enfin, ces réseaux, une fois déployés, vont permettre aux Etats de communiquer sur l’attractivité de leur territoire, et leur désenclavement numérique. Ce sera un formidable levier pour faire venir des investisseurs étrangers, développer des zones économiques (jusqu’à des logiques de smart cities), créer des emplois et à terme… lever des impôts additionnels autour de cette croissance. Le broadband mobile sera complémentaire du broadband fixe, mais contribuera surtout au développement économique des pays. Le broadband mobile est donc un enjeu majeur pour les télécoms en Afrique. Cependant, il ne faut pas négliger les inhibiteurs associés à cette transformation. Sans refaire les analyses classiques des freins réglementaires, technologiques, etc., mettons plutôt en avant les dimensions qui aujourd’hui, pays par pays, peuvent freiner ce développement. L’Europe a fait son déploiement 3G, la 4G est en cours. Les éléments de réseaux, les plateformes de services sont à maturité et les équipementiers (notamment chinois) proposent de bonnes équations tarifaires. La logique de mutualisation se développe aussi entre opérateurs et permet de régler la question – sensible – du coût de déploiement réseau. Cela ne veut pas dire que les questions économiques ne se posent pas pour les opérateurs télécoms (rentabilité de la 3G) mais que les inhibiteurs sont aujourd’hui ailleurs. Ils sont de trois ordres principaux. La première nature est l’évaluation de la réelle appétence du marché : il faut se méfier du miroir aux alouettes. Certes, dans un secteur de l’offre comme les télécoms, il est facile de pronostiquer une hausse de la demande liée à des nouveaux services. Les 36 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents usages en mobilité (notamment réseaux sociaux, TV et vidéo, géolocalisation) sont particulièrement demandés. Cependant appétence présumée n’est pas maturité du marché vu du côté des consommateurs. Le marché peut être encore indécis sur les usages haut débit mobile qui seront vraiment importants, pour ne pas dire essentiels. Les opérateurs doivent donc intégrer un temps de latence entre la mise à disposition des services sur le broadband mobile et leur usage grand public, voire anticiper un effort de formation des clients sur ces usages. Le second inhibiteur concerne le piratage. Cette question va prendre une forme nouvelle pour les opérateurs télécoms, notamment avec l’apparition de l’accès à des contenus valorisables. Le piratage des offres de TV payantes et de vidéos est un mode de consommation en soi dans certains pays d’Afrique. Les opérateurs doivent mettre en place des systèmes pour éviter les mêmes déboires que les chaînes payantes. Le troisième inhibiteur concerne les terminaux. En effet avoir accès à du haut débit mobile n’a de sens que si on peut utiliser un smartphone dont l’écran, le design et l’ergonomie s’inscrivent dans la durée dans le développement des terminaux. Le problème est que ces terminaux restent chers, surtout dans des pays où le pré-payé domine. Cela rend plus difficile leur diffusion auprès de la population puisqu’ils doivent être payés au prix fort. Une fois ces inhibiteurs levés et les réseaux déployés, les opérateurs doivent aussi intégrer les impacts du broadband mobile sur l’écosystème. Les relations avec les acteurs de la chaine de valeur vont être bouleversées. Deux cas particuliers sont à considérer : les relations avec les équipementiers de terminaux et l’écosystème autour de la diffusion de contenu, via les modèles haut débit mobile. La question des terminaux mobiles adaptés pour la 3G va être particulièrement importante en Afrique. En effet, l’explosion de l’usage broadband mobile sous-tend des terminaux permettant de surfer sur Internet et d’accéder à des services et contenus adéquats. Ce sont les PC mobiles (avec clé 3G), les tablettes PC ou les smartphones. Le succès en Europe du broadband mobile à compter de 2007 a été en particulier soutenu par la vente de smartphones à succès (dont l’iPhone en premier lieu), largement subventionnée dans la plupart des pays. Le souci est que le mode de subventionnement des terminaux est associé à des contrats de type post-payé (engagement d’abonnement associé à la subvention du terminal). Ce modèle ne peut être exploité à plein régime dans les pays africains du fait de la part importante du pré-payé (95 à 99% du marché). Question d’autant plus importante que les smartphones « nus » sont encore chers. Le prix de certains composants reste élevé (les écrans, tactiles notamment), même si d’autres (OS, processeurs) bénéficient d’une baisse depuis quelques mois. La batterie est aussi un enjeu dans des pays où l’accès à l’électricité est cher et parfois complexe. Les smartphones avec cellules photovoltaïques sur la coque sont sortis en 2010, et constituent une bonne solution si ce n’est, encore une fois, leur prix. L’écosystème qui va être bouleversé, voire à construire, est celui des contenus sur la 3G. Les offres 2G ou 2,5 (GPRS ou EDGE) proposent déjà l’accès à des contenus (sonnerie, logos, fils d’information, alertes, votes, service MMS, jeux de type Java). La 3G va sensiblement élargir le champ des possibles : musique « on demand », TV mobile, recherche Internet et navigation, publicité. Ces services, s’ils constituent une des dimensions attractives de l’Internet mobile haut débit, nécessitent aussi de partager la valeur entre de nouveaux acteurs qui ne sont pas seulement les opérateurs et les équipementiers. Une partie de la valeur ira vers les créateurs de ces contenus, et une autre vers les niveaux d’intermédiation qui vont apparaître. Le principe n’est pas nouveau pour l’Internet mobile : il est par exemple le modèle qui prévaut depuis des années dans la publicité, avec les agences de publicité et les plateformes de gestion des publicités qui captent entre 35 et 50% de la valeur. Dans le domaine des contenus, en dehors des créateurs (jeux, vidéos, applications) aux niveaux de rémunération de 0 à très cher, les intermédiaires peuvent être nombreux : • Agrégation des contenus, c’est-à-dire l’acquisition des contenus auprès des ayant-droits et créateurs/ éditeurs pour constituer un catalogue, • Packaging pour préparer le contenu numérique à sa distribution, • Management pour fournir des vitrines permettant de rechercher des contenus, faire des tests, faire son choix, personnaliser, « historiser », • Hosting qui correspond à la fourniture de capacités (serveur de téléchargement, streaming, connectivité, etc.), • Billing pour la gestion des flux financiers, avec le suivi par des sociétés de gestion des droits d’auteur. Pour faire vivre ces différents acteurs, non seulement se constitue une nouvelle chaîne de valeur, mais aussi de nouveaux business models autour de l’acquisition de contenu : l’abonnement, le paiement à l’acte, la location, le bundle. Les opérateurs africains auront un travail plus conséquent à mener du fait des spécificités du continent : là encore le modèle économique avec le pré-payé, et la production locale de contenu (linguistique, culturelle). L’histoire du broadband mobile est donc en train de s’écrire. Succès avéré en Europe, il est une nouvelle chance pour l’Afrique de sortir définitivement de l’enclavement numérique. Il reste encore aux acteurs à trouver les bons modèles pour favoriser une diffusion rapide et large. 37 Network Sharing : le partage de réseaux télécoms pour créer de la valeur Network Sharing : le partage de réseaux télécoms pour créer de la valeur L’Afrique constitue un réservoir de croissance important pour les opérateurs mobiles en termes de marchés encore inexploités. Malgré ses nombreux atouts, le continent africain reste un terrain de jeu complexe. La combinaison d’une concurrence exacerbée et d’un faible pouvoir d’achat dans de nombreux marchés crée une pression sur les marges des opérateurs. La réduction des coûts par le biais d’économies d’échelle est souvent entravée du fait d’une dispersion des populations. Même si une augmentation des revenus est possible grâce à de nouveaux services à plus forte marge, celle-ci est limitée, selon les marchés, à quelques segments privilégiés de la population. C’est dans ce contexte que le network sharing (accords de partage de réseaux mobiles) peut permettre aux opérateurs de réduire leur CAPEX et leur OPEX, dans des structures de coûts moins rigides grâce à une utilisation plus efficace des actifs, et en les aidant à se concentrer sur des services innovants à valeur ajoutée. L’Afrique est LE terrain de prédilection de ces accords qui visent à combiner « l’externalisation » du réseau mobile et le partage des infrastructures réseaux. D’un côté les opérateurs mobiles peuvent desserrer leurs contraintes en termes de fonds propres et réduire leurs dépenses de fonctionnement. De l’autre, les entreprises spécialisées dans la gestion de réseau mobile peuvent réaliser des économies d’échelle en accédant aux besoins des multiples opérateurs. Les marchés y bénéficient dans leur ensemble, avec des coûts d’exploitation inférieurs. Ceux-ci se traduisent par une baisse des prix et des opérateurs focalisés sur une différentiation via des services innovants. Pratique initiée dès les années 90, le partage d’infrastructures de réseaux mobiles entre plusieurs opérateurs a pris une ampleur particulière dans les marchés émergents. Ainsi, dans des marchés de plus en plus « commoditisés», certains opérateurs changent de posture vis-à-vis de l’actif considéré jusqu’à maintenant comme le plus précieux, avec les licences mobiles. Cette nouvelle approche va à l’encontre de la culture d’opérateur de réseau. Il ne s’agit plus de se baser sur le réseau télécom comme un argument clé de la proposition de valeur, mais de (re)mettre l’accent sur la consommation financière du réseau mobile et d’utiliser d’autres leviers de différentiation (marketing des offres plus sophistiqué et plus agile). Le premier levier du partage de réseau est financier, avec une réduction des coûts d’investissement (CAPEX), liés à la construction du réseau (notamment pour des nouveaux entrants sur un marché donné), et des coûts d’exploitation (OPEX), comme la location des sites, les frais de maintenance ou la consommation d’énergie, répartis entre opérateurs (de l’ordre de 15% pour un partage à deux opérateurs). A ces économies s’ajoute la génération de flux de trésorerie si l’opérateur arrive à vendre une partie de ses équipements à des entités séparées, dont le financement est réparti sur plusieurs investisseurs. 39 Le deuxième levier est opérationnel avec une optimisation conséquente de la performance des opérateurs. Une meilleure maintenance des réseaux est assurée grâce à l’expertise cumulée des différents opérateurs ou l’intervention d’un prestataire spécialisé, diminuant ainsi les risques liés à l’exploitation des équipements. D’ailleurs dans certains pays, comme l’Arabie Saoudite ou l’Iran, le partage des équipements est imposé aux nouveaux entrants pour contrôler la mise en place de nouvelles composantes de réseau. Le partage d’infrastructures peut être passif ou actif : par passif on entend les sites radios, les mâts accueillant les antennes ou l’alimentation électrique ; par actif on considère le partage des éléments assurant la transmission des communications comme les antennes ou les stations de base. Plusieurs modèles économiques sont alors possibles : du dispositif de swaps d’antennes à la création d’une entreprise via une joint-venture, en passant par l’externalisation des actifs à des sociétés spécialisées dans la gestion d’équipements réseaux (tower companies, ou towerco). Les swaps d’antennes sont la forme la plus simple de partage des antennes réseaux entre les opérateurs. Ce modèle implique un swap de l’accès aux tours entre deux opérateurs sur un même marché ou zone géographique : un opérateur A donne l’accès à une de ses antennes à l’opérateur B, et vice et versa. Dans ce modèle, chaque opérateur conserve la propriété et le contrôle de ses propres antennes. Ce modèle est relativement simple à mettre en œuvre et offre des solutions pragmatiques pour les opérateurs qui cherchent à rationaliser leur réseau. Malheureusement, il ne permet pas de générer d’économie substantielle car l’ensemble concerné est un très petit pourcentage du portefeuille global d’antennes réseaux. 40 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Une autre option possible est de créer une joint-venture comme une entité distincte avec un actionnariat opérateur. Cette nouvelle entreprise peut être formée avec un ou plusieurs opérateurs et gère le réseau existant, mais aussi le déploiement du réseau pour le compte de ses actionnaires. Le financement de cette entreprise commune peut provenir des opérateurs eux-mêmes, ou d’entités de financement type private equity. Ce modèle offre de nombreux avantages pour les opérateurs. Dans le cas où plusieurs opérateurs sont réunis, le risque opérationnel et financier est réduit substantiellement en assurant un taux élevé de colocation par antenne avec des « locataires » garantis dès le premier jour. En étant actionnaires, les opérateurs sont en mesure de contrôler et d’influencer la stratégie de l’entreprise, en particulier dans les premiers stades du processus d’externalisation/partage. De plus, en externalisant les actifs réseaux, les opérateurs se laissent la possibilité d’une vente future ou de quitter la jointventure lorsque plus de valeur peut être réalisée. Le troisième modèle, le plus répandu, est la vente des actifs de réseau mobile à une entreprise dédiée. Celle-ci reprend le réseau actuel, sa maintenance et le déploiement du réseau futur. Cette société dite towerco est en général spécialisée et indépendante des opérateurs, et se développe par acquisition d’actifs réseau. Outre les avantages financiers évidents, une vente d’actifs à une towerco peut aussi apporter certains avantages opérationnels pour les opérateurs. Selon la région, ces entreprises apportent une expérience significative et un véritable savoirfaire qui permet de réduire les risques opérationnels. En Afrique ce modèle a fait des émules, avec plusieurs opérations comme MTN et Vodafone qui ont cédé leurs antennes respectivement à American Tower Corporation et Eaton Towers. Tigo a fait de même avec Helios Towers au Ghana, en RDC et en Tanzanie. Si le partage de réseaux a des bénéfices clairs pour les opérateurs, d’autres parties sont intéressées par ce genre d’accord. Les towercos indépendantes en Afrique-Moyen-Orient sont à l’affut d’opportunités d’extension de portefeuilles d’actifs en proposant aux opérateurs d’alléger leurs bilans. Parallèlement, les investisseurs sont prêts à financer de tels contrats, avec des cash flows stables et garantis de la part des opérateurs, sur des durées relativement longues avec des perspectives d’entrée en bourse. Il reste que, si le partage de réseaux a beaucoup d’avantages, une telle décision n’est pas toujours facile à prendre, du fait de la culture réseau évoquée précédemment, ni à mettre en œuvre, en termes de contrat de partage (responsabilité, gouvernance), gestion de projet (roadmap technologique et gestion opérationnelle) à deux ou plusieurs opérateurs, ou tout simplement de distraction par rapport à la gestion du métier d’opérateur. De tels accords sont également soumis au contrôle des autorités de régulation, car ils perturbent le fonctionnement des marchés qui ne tendent plus vers une concurrence pure et parfaite. Ainsi, si un accord entre un opérateur et une towerco laisse à penser que le marché relatif au partage de réseaux et de tours peut présenter des distorsions de concurrence, les autres opérateurs seront réticents à le rejoindre, limitant ainsi les économies d’échelle et s’ouvrant au risque d’une dénonciation d’un tel accord auprès de l’autorité de la concurrence. De même un opérateur, signataire d’un accord important avec une towerco, pourrait bénéficier d’un traitement privilégié face à d’autres opérateurs. Le doute planerait sur une discrimination possible en termes de qualité de service ou de priorisation sur l’accès au réseau, lors du déploiement d’une nouvelle technologie par exemple. C’est la raison pour laquelle cette pratique se développe davantage dans les pays émergents, où le marché des télécoms est florissant et hypraconcurrentiel. L’autorité de régulation des télécoms estime que de tels accords sont possibles, dans la limite de contraintes visant à préserver les intérêts des différentes parties prenantes. La pratique y est en plein essor avec la consolidation du marché et des acteurs, le lancement de nouveaux opérateurs avec de nouvelles licences, l’extension des réseaux ou encore les prix immobiliers attractifs. De nombreux deals ont été signés entre opérateurs et towercos, qui permettent aux opérateurs de la région de rationaliser sans tabou le business opérateur, en monétisant des actifs existants, en réduisant leur CAPEX ou en abaissant leurs coûts. Avec à la clé une meilleure marge sur leurs bases de clients existants, mais aussi un meilleur accès à des clients de type Bottom Of the Pyramid (les 4 milliards d’humains vivant avec moins de 7 dollars par jour). Une fois de plus, les pays émergents, et notamment l’Afrique, nous démontrent que l’innovation au sens le plus large du terme n’est pas l’apanage des pays occidentaux en matière de télécoms. 41 Les SVA en Afrique, enjeu majeur pour les opérateurs télécoms Les SVA en Afrique, enjeu majeur pour les opérateurs télécoms Les Services à Valeur Ajoutée sont présentés depuis quelques années comme la voie de renouvellement des business models pour les opérateurs télécoms. Ils sont censés aider les opérateurs télécoms à augmenter leur ARPU (revenu par client), en proposant de nouveaux services qui entraîneront de nouvelles dépenses. L’idée du SVA n’est pas nouvelle. Trois SVA ont connu à ce jour un véritable succès dans l’univers des mobiles, et deux sont quasi universels : les SMS et le carnet d’adresses. Si ce dernier n’est pas valorisé directement, toutes les études clients depuis 15 ans montrent qu’il a été un vrai accélérateur dans l’usage de la téléphonie mobile. Le 3ème SVA à grand succès est la messagerie vocale. Une étude BearingPoint a ainsi montré que 12 points de pénétration de la messagerie vocale en usage représentaient 1 point d’ARPU en plus. Dans les pays de l’Europe de l’Ouest où elle est très utilisée, elle représente même 7% dans le bilan « voix » des opérateurs. Cependant, contrairement aux deux premiers SVA, elle est sensiblement moins utilisée dans beaucoup d’autres pays (aux Etats-Unis où le pager est encore utilisé ; en Afrique où très peu de messageries vocales sont activées). Ces trois SVA historiques illustrent bien que le terme « valeur » n’est pas usurpé : en cas d’usage régulier, ils peuvent peser significativement pour les opérateurs. Encore faut-il que l’usage soit bien là… Il convient pour appréhender la question de faire un tri entre les différents SVA. Nous pouvons distinguer 12 familles de SVA mobiles, se regroupant en 4 grands domaines. Le premier domaine est celui des « SVA Cœur de voix ». Le mot « cœur » est à prendre au sens de « cœur de métier », nous sommes ici dans les SVA classiques qui ont pour but d’améliorer l’usage du service télécom de base : la voix. Le carnet d’adresses ou la messagerie vocale s’inscrivent dans ce domaine. 3 grandes familles, les plus lucratives, sont associées à ces « SVA cœur de voix » : • Les « SVA voix » améliorent l’usage de la fonction voix en facilitant l’accès d’un point de vue pratique ou tarifaire. Les services de renseignements se sont historiquement inscrits dans cette famille. En Afrique, ces SVA se retrouvent notamment dans tous les services de tarification dynamique, avec des remises allant jusqu’à -95% selon le lieu ou l’horaire. Ils sont des SVA pour les clients dans une logique de service d’optimisation tandis que pour les opérateurs, ils permettent de remplir les réseaux aux heures creuses et de gagner des parts de marché significatives, dans une logique de yield management. MTN avec ses offres en Afrique du Sud, au Ghana ou au Congo, est une référence sur le marché. La recharge dématérialisée (Zebra chez Orange) est aussi à mettre dans cette famille. 43 • Les « SVA de joignabilité » sont aussi des SVA historiques comme la messagerie vocale l’illustre. Revenus à la mode avec les outils de présence développés sur les instant messaging, ils ont donné lieu à de véritables innovations en Afrique, avec notamment l’offre de NOR (Notification of Reachability) d’Orange développée en premier lieu au Niger, en Côte d’Ivoire, au Botswana et en Jordanie. Lorsque le client essaie de joindre une personne non joignable car en zone non couverte, il est notifié quand cette personne revient en zone couverte. Le service est bien dans la joignabilité, et le gain pour l’opérateur est dans l’appel généré. • Les « SVA de contenu » sont ceux auquels on pense le plus souvent en parlant de SVA. Ils peuvent être basiques et liés à l’usage téléphonique classique, ou associés à l’Internet mobile comme l’illustrent les offres d’Orange autour des jeux, de la musique ou du football (la CAN notamment). • Les « SVA de fidélisation » sont des services qui, tout en récompensant la fidélité, génèrent un revenu incrémental pour l’opérateur. L’exemple marquant de 2010 a été l’offre de Tigo, d’abord testée en Amérique Latine puis en Afrique. Avec « Tigo Lends you », tout « numéro » actif depuis plus de 6 mois reçoit un crédit de 40 centimes d’euros (en équivalent) une fois le crédit pré-payé utilisé, ce qui lui permet d’éviter de manquer un appel urgent si un revendeur de carte n’est pas accessible. Au prochain rechargement, un débit automatique de 42 centimes rembourse le crédit. Avec un taux de défection très faible et finalement un taux de prêt élevé, ce SVA rend un vrai service au client et est rémunérateur pour l’opérateur. Le troisième domaine est celui des « SVA B2B2C », basés sur la logique de tiers de confiance. L’opérateur est alors un intermédiaire clé dans la chaîne de valeur entre l’utilisateur et des prestataires de services ou des annonceurs. En Europe, les SMS+ (ou SMS surtaxés) s’inscrivent dans cette logique. Là encore, 3 grandes familles se distinguent : • Les « SVA d’échange d’argent »… le SVA que l’Afrique a donné au monde. Le continent a été pionner dans ce domaine (avec les Philippines) et on constate, notamment depuis 2007, de vrais succès autour du m-paiement comme de Safaricom, Orange Money, MTN, etc. Il est le SVA qui se déploit le plus spectaculairement en Afrique avec un retard avéré des pays développés dans ce domaine. Si la déclinaison m-paiement se confirme, l’étape suivante sera le transfert d’argent international (IMT – International Money Remittance). Le deuxième domaine des SVA est celui auquel il est fait aujourd’hui le plus écho : les « SVA data ». Il s’agit des services liés aux données transférées par les réseaux 3G notamment. Trois familles composent ce domaine : • Les « SVA Internet » regroupent les services associés à l’accès Internet mobile. Les exemples les plus fréquents sont liés à l’e-mail et notamment les utilisations via SMS (envoi et réception d’e-mails par SMS via messagerie unifiée). Econet Telecom au Lesotho a été pionnier dans ce domaine dès 2009. Le Gartner Group considère que le « mobile search » a été l’un des 3 SVA clés de l’année 2012. 44 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents •Les « SVA communautaires » sont parmi les plus récents et liés au développement des réseaux sociaux. En Afrique, lorsque les réseaux ne permettent pas l’accès aux sites web via Internet, des versions SMS (Facebook via SMS par exemple) constituent des SVA puissants. • Les « SVA de m-advertising » : venus d’Europe avec le modèle des années 80 de l’audiotel, le modèle de la m-advertising peine à trouver sa place en Afrique alors qu’il se développe en Europe et aux Etats-Unis. La taille des marchés publicitaires africains explique cette difficulté. Les opérateurs des pays les plus développés en Afrique utilisent ces SVA pour des annonces liées aux événements sportifs (le cas de Mobinil en Egypte). • Les « SVA de géolocalisation » (LBS) ont été longtemps considérés pour la 3G comme l’équivalent des SMS pour la 2G. Hélas, ils n’ont pas encore confirmé. Quelques tentatives heureuses sont cependant à citer, notamment en lien avec le marketing direct. Orange a ainsi lancé à l’Ile Maurice le « shopping buddy » : par SMS, il s’agit de trouver les meilleures boutiques par un classement Facebook et une fois géolocalisées, un couponing est envoyé sur le mobile. Le quatrième et dernier domaine est celui des « SVA verticaux », pour l’essentiel en B2B, mais certains peuvent toucher les consommateurs finaux : • Les « SVA sectoriels » sont dédiés à des usages métiers précis. Le cas le plus développé en Afrique concerne les services de m-santé, type « SMS for life » de Vodafone en Tanzanie pour les vaccins anti-paludéens ou les services de disease management (suivi des maladies chroniques) par MTN. • Les « SVA pros » sont l’ensemble des services professionnels pour les utilisateurs finaux des services entreprises. Ainsi MTN en Ouganda propose des formations pour ses clients pros et TPE. • Les « SVA entreprises » sont les SVA stricto sensu réservés à un usage entreprise comme l’offre m-web en Afrique du Sud pour les offres multi-VPN. Ce tour d’horizon des grandes familles de SVA nous aide à illustrer 3 réflexions majeures sur les SVA mobiles en Afrique. Tout d’abord les SVA y sont une réalité et sont liés au développement des mobiles. Il en apparaît chaque année des nouveaux, réelles innovations pas nécessairement technologiques mais en termes de présentation de l’offre, d’usage et de créativité. L’Afrique est en avance sur les pays dits « développés » dans certains cas. Les SVA de joignabilité ou de fidélisation connaissent un renouveau grâce aux solutions proposées dans les pays émergents ; les SVA liés au paiement et à la santé sont véritablement pionniers en Afrique. Enfin, le retard de déploiement de réseaux haut débit force les acteurs à proposer des services originaux et astucieux (Facebook par SMS). Ensuite, le succès d’usage peut être long à venir. Les SMS sont utilisables depuis 1987 d’un point de vue technologique ; ils ont été commercialisés à la fin des années 90, avec une interopérabilité internationale depuis les années 2000 seulement. Ce fut long, et pourtant ils restent la référence des SVA… tandis que les MMS ont plus de difficulté. En Afrique, certains SVA seront poussés : les SVA « cœur de voix » ou les sectoriels sont sur une bonne trajectoire. D’autres mettront sûrement plus de temps. Le m-advertising ou les services pros devraient ainsi être plus complexes à développer. Enfin, et ce point est fondamental, le succès d’usage ne veut pas dire succés économique pour l’opérateur télécom. En effet, le modèle économique des SVA est complexe à mettre en œuvre et dépend de deux équations. Qui est le payeur (fait-on payer le client final) ? Le modèle de messagerie vocale en Europe « rapporte » le plus dans les modèles dits « à la française », dans lesquels le client final ne paie pas l’usage du service (la consultation du message), par rapport à ceux où le client paie le service (modèle « à l’anglaise »). L’augmentation du trafic pérennise ce modèle. A chaque SVA la question se pose et nécessite un arbitrage lourd de conséquences. Deuxième question : quels sont les acteurs qui se partagent la valeur ? Autant sur les SVA « cœur de voix », l’opérateur est souvent au cœur du dispositif, autant sur les SVA de contenu la question est différente car le contenu s’achète. Selon le type de contenu et la part versée aux ayants droit, le modèle économique est très différent. Ces deux équations rendent nécessaire une étude économique poussée des modèles de SVA, fondée sur l’analyse de gains complets (génération de trafic incrémental rémunéré) et sur une analyse non pas du chiffre d’affaires mais de la marge générée par le SVA. 45 Le BYOD : quelle stratégie d’entreprise et quels usages ? Le BYOD : quelle stratégie d’entreprise et quels usages ? Les entreprises font de plus en plus face au phénomène du « Bring Your Own Device », autrement appelé le BYOD. Il consiste en l’utilisation par les salariés de leurs équipements personnels (téléphone, ordinateur portable, tablette électronique) dans un contexte professionnel, et à accéder par ce biais aux ressources informatiques de l’entreprise telles que l’email, les serveurs de fichiers et les bases de données. Cette tendance résulte d’une triple évolution. Tout d’abord, les employés cherchent de plus en plus à équilibrer cadre professionnel et vie personnelle, en intégrant de façon croissante ces deux sphères… tout en conservant une étanchéité entre ces environnements. Ainsi, 64% des employés souhaitent séparer leurs vies personnelle et professionnelle avec leurs outils de communication, bien que 79% d’entre eux affirment rester en contact, occasionnellement ou en permanence, avec leur travail en dehors des heures ouvrées, et que 84% déclarent utiliser des éléments personnels (PC, téléphone, email,…) à des fins professionnelles. Ceci est renforcé par un effet générationnel : la génération Y, ou les « digital natives », a du mal à adhérer à des modèles de téléphones ou smartphones inférieurs en gamme et en performance à leur équipement personnel. Par ailleurs, le nomadisme professionnel a augmenté du fait de la mobilité au sein de l’espace professionnel et du travail à distance, ou télétravail. Ainsi, 63% des employés sont dans des situations de mobilité au moins une fois par semaine, 37% le sont quasiment tous les jours, et cette tendance va s’accentuer. Ils ont appris de facto à adapter leur rythme : ils travaillent davantage en dehors des heures de bureau depuis leurs équipements mobiles, qu’ils soient personnels ou professionnels. Ces outils simplifient l’usage en mobilité : de plus en plus ergonomiques, ils permettent une gestion plus optimale des agendas, mails et autres messages. Enfin, les usages professionnels se « consumérisent », à l’image du marché B2C qui exerce une réelle pression sur l’entreprise. Plusieurs mouvements vont s’entrechoquer dans les 5 prochaines années, associant le développement des téléphones mobiles évolués (smartphones), la substitution d’équipements fixes vers des terminaux intégrés multimédias, et l’adoption de tablettes et écrans tactiles. Les terminaux mobiles simples sont progressivement remplacés par des smartphones, et l’usage du fixe est délaissé pour le mobile. Dès lors, les exigences sont plus élevées : comme dans leur vie personnelle, les employés souhaitent bénéficier d’équipements à la fois complets et simples d’utilisation, avec des interfaces intuitives et ergonomiques. La substitution des équipements fixes et accessoires vers des terminaux mobiles tout intégrés, permettant des usages multimédias, va s’intensifier. Ainsi, 68% des individus délaissent au moins partiellement leur ligne fixe au profit de leur mobile. Les entreprises, plus ou moins conscientes des bénéfices et des risques du BYOD pour elles et pour leurs employés, adoptent des politiques adaptées avec un niveau de contrôle variable. Nous avons réalisé une matrice d’analyse des principaux cas de figure de politique BYOD. 47 La politique « contrôlée » est la plus répandue : l’entreprise fournit le matériel mobile et finance l’abonnement. L’employé n’engage aucun frais et doit respecter les règles d’usages et de sécurité imposées par son employeur. L’entreprise bénéficie en retour d’un contrôle total de la flotte d’équipements mobiles, ce qui lui permet d’assurer une traçabilité des terminaux et de définir des chartes pour mieux contrôler les usages et éviter les dérives. la gestion des équipements est réduite. Il s’agit une politique de « BYOD » totale. La politique « hybride » se situe au croisement des politiques contrôlée et ouverte. L’employé utilise un terminal, parfois personnel, associé à un contrat (donc une carte SIM) possédé par l’entreprise, qui autorise le mélange des usages pro et perso sur l’équipement. Elle finance la carte SIM et une partie de l’usage et s’implique dans la gestion. Dans le cas où l’entreprise a mis en place un programme « BYOD », l’employé choisit l’équipement. L’entreprise conserve ici une légitimité sur les contraintes de sécurité, gestion des équipements et maîtrise des coûts. Il s’agit d’une politique de « BYOD » partielle. Les politiques « ouverte » et « hybride » prévoient que les employés utilisent leurs terminaux mobiles personnels dans l’environnement professionnel (smartphones ou tablettes, voire PC portable). Dans le premier cas, l’employé fournit et paie son terminal et son abonnement. Sur la base du volontariat, il peut accéder à ses applications professionnelles grâce à une plateforme sécurisée proposée par l’entreprise, tout en étant libre du choix de son équipement. L’entreprise n’a pas de responsabilité sur le terminal et l’abonnement. Sa responsabilité sur le support et L’entreprise est à même de proposer une combinaison de ces trois politiques, adaptée aux différents profils d’usage des employés. Le BYOD présente des avantages évidents pour les entreprises et les salariés. L’image de l’entreprise est améliorée auprès de ses salariés et du public : l’employeur est perçu comme étant flexible et à l’écoute de ses salariés. De plus, le BYOD peut réduire les coûts dans l’acquisition, le service support et l’exploitation, sans oublier que la productivité des collaborateurs peut être accrue au travers du soin apporté à leur propre matériel et à la meilleure connaissance qu’ils auront des ressources et des équipements. De son côté, l’employé jouit d’un environnement de travail simple, ergonomique et efficace dans l’utilisation d’un téléphone, d’un smartphone ou d’un ordinateur unique. Paiement de l’usage pris en charge par Individu Les politiques d’équipement types Hybride Ouverte Hybride Paiement du terminal pris en charge par Entreprise Le support dépendra également de la politique d’équipement retenue par l’entreprise. Par exemple, dans la politique « ouverte » où les terminaux et les opérateurs se multiplient, le point de contact unique pour le support peut être la direction informatique de l’entreprise qui gère les applications professionnelles, mais également l’opérateur qui fournit l’accès. Dans la politique « hybride », si le terminal est personnel et l’abonnement professionnel, la question du point de contact unique, bien que moins compliquée, se pose : qui sera en charge d’offrir la garantie de services et le support complet à l’utilisateur ? Dans la politique « contrôlée », l’employé sera intransigeant vis-à-vis de la direction informatique quant à la qualité de service attendu, tout comme c’est le cas aujourd’hui avec l’ordinateur professionnel. Cependant la démarche BYOD comporte des risques potentiels pour la sécurité du SI, des données de l’entreprise et pour sa sécurité juridique (propriété intellectuelle, droit social, liberté individuelle). Elle doit donc être accompagnée d’une stratégie définie autour de trois axes, afin de s’assurer de sa conformité avec les enjeux et règles de l’entreprise. Entreprise Contrôlée Premier axe : accompagner les usages pro/perso. L’intégration des sphères pro et perso étend le besoin d’accompagnement au-delà du cadre professionnel et de la zone de confort de l’entreprise. Cette dernière doit accompagner les salariés dans l’adoption des nouveaux outils, et donc repenser ses processus d’approvisionnement, de prise en main, d’assistance à l’usage et de résolution d’incidents à distance. De plus, elle devra définir et mettre à disposition un catalogue plus vaste de terminaux, venant partiellement de la sphère privée, puis gérer les remplacements ou encore les renouvellements. A titre d’exemple, en France, La Poste Courrier doit faire face à ce type de défis, en ayant choisi d’équiper l’ensemble de ses facteurs et directeurs d’établissements de smartphones (plus de 80 000 employés). L’entreprise va pouvoir élaborer de nouveaux processus pour faciliter la prise en main des terminaux et applications : formations, fiches pratiques, vidéo, e-training ou e-book. Dans tous les cas, cet accompagnement est focalisé sur les usages et non la technique, mettant l’utilisateur et ses besoins au centre de la problématique. Second axe clé : adapter la politique de sécurité. Les évolutions des usages de communication et des modes de travail doivent être accompagnées et non plus freinées. Face à ce constat, les directions Individu 6,0% 48 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents de pénétration 4,0% 2,0% Pays libéralisés 0,0% Pays non libéralisés IT et télécoms doivent mettre à jour leur politique de sécurité, s’organiser pour parer aux nouvelles menaces et positionner habilement le curseur entre sécurité et flexibilité d’accès et d’usage. L’ensemble du dispositif doit être accompagné de mesures de prévention formalisées dans une charte, et donnant lieu à une conduite du changement par des ateliers de responsabilisation et de communication sur les bonnes pratiques de sécurité. Dans un monde où la quantité d’informations échangées augmente continuellement, les risques de divulgation de l’information se démultiplient. Par exemple, le « partage » d’une donnée confidentielle sur un réseau social est instantané et peut toucher des milliers de personnes : 45% des collaborateurs admettent publier des informations relatives à leur entreprise sur des médias sociaux. L’entreprise doit réguler les flux d’informations et hiérarchiser les données selon leur criticité et leur valeur. Chaque profil utilisateur peut donc accéder à certaines catégories d’informations identifiées à l’avance. Les entreprises les plus avancées mettent en place des solutions de gestion de leur flotte mobile, ou Mobile Device Management, offrant des magasins d’applications avec une gestion des habilitations par ligne métier. Les applications et données sensibles de l’entreprise y sont isolées dans des espaces dédiés. La politique de sécurité s’appuie aussi sur une sécurisation des terminaux mobiles. Protéger le terminal devient ainsi un challenge important pour l’entreprise avec la mise à disposition d’antivirus, firewall et anti-spam (SMS et voix) adaptés aux risques de sécurité. Les outils de Mobile Device Management (MDM) lui permettent de pousser ces politiques de sécurité, y compris sur des flottes hétérogènes en termes de mobiles et de systèmes d’exploitation. Authentifier les employés en mobilité est également un enjeu clé, pour s’assurer de leur identité. Les solutions existantes sur le marché reposent sur différentes techniques et sur la manière de provisionner la solution choisie. 49 Pour citer quelques exemples, il y a l’authentification simple par identifiant et mot de passe, ou l’authentification forte par Token physique, par Token logiciel, par envoi d’un mot de passe unique via SMS ou par certificat individuel installé sur l’appareil mobile. Les entreprises feront leur choix en fonction du niveau de sécurité souhaité et de la flexibilité requise pour l’usage. Elles doivent par ailleurs sécuriser les flux de données des équipements mobiles, vulnérables lors d’une connexion « via les airs ». Il est possible de mettre en place des tunnels chiffrés (VPN) à l’aide de logiciels spécifiques installés sur l’appareil mobile. Les données transiteront ainsi en toute sécurité. Enfin, les appareils mobiles peuvent être facilement perdus ou volés. Il est donc nécessaire de les protéger pour anticiper ces situations à risque. Les solutions de gestion de flottes mobiles multiéquipements offrent la possibilité d’anticiper la divulgation d’informations confidentielles, de bloquer l’accès au terminal et d’effacer ou de restaurer son contenu. Ces plateformes constituent la solution la plus sérieuse et la plus fiable à la problématique de gestion des terminaux. L’émergence et la généralisation du Cloud et des applications délivrées en mode « software as a service » (SaaS), sont alors intéressantes puisque dans cette configuration les données de l’utilisateur ne sont plus stockées sur le terminal mobile. de vol d’un terminal servant à des usages mixtes, la légitimité de l’entreprise à effacer l’ensemble des données est en cause. L’employé doit pouvoir prendre les mesures lui permettant de récupérer les données relevant de ses usages personnels. De la même manière, il devra s’assurer de la confidentialité des données personnelles qu’il ne souhaite pas porter à la connaissance de l’entreprise. Dans un contexte où l’employé serait amené à prendre en charge une partie du terminal qu’il utilise, la problématique de la propriété devra également être clarifiée. Auparavant, les entreprises étaient propriétaires des terminaux mis à disposition des salariés et les récupéraient en cas de départ. Dès lors que le coût est partagé avec l’employé, un mécanisme de rétrocession peut être envisagé afin de prendre en compte son investissement initial. De plus, quand le salarié quitte l’entreprise en conservant son terminal, la question de la réversibilité des données de l’entreprise se posera, et une clause concernant les modalités explicites de rétrocession des données devra être validée. Un usage illicite ou frauduleux commis depuis un accès professionnel affecte la responsabilité de l’entreprise. En France, fournir des moyens informatiques non « sécurisés » expose l’entreprise au titre de sa responsabilité civile et implique qu’elle se protège et s’assure de pouvoir faire saisir le terminal en cas d’enquête. Troisième axe, et non des moindre, il faut prendre en compte les impacts humains et juridiques. Des règles claires doivent être établies pour bâtir une relation de confiance devant les risques encourus. L’objectif est de protéger les employés de dérives potentielles dans les usages, et de prémunir l’entreprise juridiquement. Les nouveaux usages doivent en effet respecter l’équilibre pro et perso dont l’entreprise et l’employé deviennent coresponsables. La mise en place de chartes d’usage, d’un management de proximité et la conduite régulière d’enquêtes de satisfaction auprès des collaborateurs permettent de veiller au maintien de cet équilibre. La protection des informations personnelles, désormais mêlées aux informations professionnelles sur le même smartphone, devient cruciale. En cas de perte ou Avec cette tendance, l’utilisateur est placé au cœur des décisions télécoms et IT de l’entreprise. Afin de saisir les opportunités liées à ces nouveaux usages, l’entreprise doit reprendre l’initiative et adapter sa stratégie (profils d’usage, politique d’équipements, catalogue de terminaux et applicatifs) et accompagner les usages et le changement. Enfin, cette réflexion implique toutes les fonctions de l’entreprise : direction générale, direction des ressources humaines et directions métiers. 50 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents Les pays émergents moins réticents à adopter le BYOD Plusieurs études visant à analyser la pénétration relative du BYOD par pays ou région du monde ont été menées. La tendance qui s’en dégage est que les pays émergents sont moins réticents à autoriser leurs employés à utiliser des terminaux à des fins à la fois professionnelles et personnelles, parfois même aux dépens de la sécurité des données et du SI de l’entreprise. Ainsi, une étude menée par Bouygues Telecom a mis en avant que les employés utilisent des appareils personnels pour leur activité professionnelle dans 92% des entreprises chinoises et 80% des entreprises indiennes, alors que la moyenne des autres pays n’est que de 60%. Seuls 43% des dirigeants déclarent cependant avoir les outils nécessaires pour suivre régulièrement les employés qui utilisent leurs matériels sur le réseau interne. Une autre étude d’Aruba Networks dans la zone Europe-Afrique-Moyen-Orient a révélé que le BYOD touchait 69% des entreprises de la zone avec, en tête, le Moyen-Orient (80%), suivi des pays scandinaves et du Benelux (74%), puis de l’Espagne (70%) et de la Grande-Bretagne (69%). La France est avantdernière, devant l’Allemagne (48%). Enfin, cet écart entre les pays émergents et les autres risque de se creuser puisque 91% des entreprises des BRIC envisagent de transformer leur environnement de travail traditionnel pour des postes de travail virtuels, versus 66% pour les autres pays. 51 Le Maroc : un modèle de développement des télécoms en Afrique ? Le Maroc : un modèle de développement des télécoms en Afrique ? Doté d’une population de 32,9 millions d’habitants à fin 2011, le Maroc a vu son PIB croître à un rythme moyen de 5,8% entre 2004 et 2010, et une augmentation du PIB d’au moins 6% est annoncée pour les prochaines années. En termes de PIB nominal, le Royaume Chérifien fait partie des cinq premières puissances économiques africaines. S’il est vrai que le secteur agricole et les ressources minières (principalement phosphates) jouent un rôle important dans l’économie marocaine, l’économie numérique se porte bien grâce à un secteur des télécoms très dynamique, avec une taille de marché de près de 33 milliards de DHS (3 milliards d’€), soit plus de 20% du marché en Afrique du Nord. C’est dans ce contexte que Sa Majesté le Roi Mohamed VI soulignait en 2008 les enjeux liés au développement des nouvelles technologies : « Nous appelons le gouvernement à adopter une nouvelle stratégie dédiée aux secteurs de l’industrie et des services et au développement des nouvelles technologies […]. Cette stratégie devrait avoir pour vocation d’ouvrir la voie devant l’économie marocaine, pour qu’elle puisse investir de nouveaux créneaux industriels faisant appel à des technologies novatrices. » Grâce à cette impulsion, la stratégie « Maroc Numeric 2013 » a vu le jour en 2009, avec pour ambition de générer un PIB additionnel de 27 milliards de DHS (2,4 milliards d’€) et 26 000 nouveaux emplois en 5 ans, transformant le Maroc en un hub technologique majeur en Afrique. Ce programme ambitieux prévoit en particulier d’accélérer l’informatisation des PME, de rapprocher les services publics des usagers (projets de e-gouvernement), et de faciliter l’accès des citoyens à l’Internet haut débit. Il s’appuie notamment sur le dynamisme du secteur des télécoms, fruit d’un développement initié dès les années 1990 suite à un mouvement de libéralisation progressive. En 1998, le démantèlement de l’Office National des Postes et des Télécommunications aboutit à la création de Maroc Telecom et de l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT), régulateur garant de l’application d’une concurrence saine et rentable. En 1999, Médi Télécom obtient la deuxième licence et en 2006, des licences 3G sont octroyées à tous les opérateurs marocains de téléphonie (Maroc Telecom, Wana Corporate1 et Médi Télecom). En 2012, Maroc Télécom domine le marché mobile et celui de l’Internet, avec respectivement 47% et 54% de part de marché. Inwi est leader sur le segment de la voix fixe, en offrant des services « à mobilité restreinte » reposant sur un réseau 3G CDMA. Chacun de ces opérateurs est soutenu par un investisseur étranger : Vivendi détient, au début 2013, 53% du capital de Maroc Télécom ; l’opérateur koweitien Zain contrôle 31% du capital d’Inwi ; Orange a acquis 40% du capital de Médi Télécom, et compte procéder à une augmentation de 9%. 1 Aujourdhui «Inwi» 53 Les marchés du fixe et d’Internet sont aujourd’hui en retrait à cause d’un nombre limité de foyers desservis par une infrastructure fixe. Le nombre de lignes fixes en service a ainsi diminué de 4,9% entre 2010 et 2011 pour descendre à 3,5 millions de lignes. En mars 2012, le taux de pénétration de l’Internet fixe était de près de 10%, loin de la moyenne mondiale qui avoisine les 30%. A l’opposé, le taux de pénétration mobile est l’un des plus élevés en Afrique (supérieur à 110% en 2012), grâce au succès rencontré par les offres pré-payées (96% des souscriptions à fin 2011) de plus en plus abordables. La dépense mensuelle mobile est passée de 81 DHS (près de 7€) en 2007 à 58 DHS (près de 5€) en 2011, soit une baisse de 28% en cinq ans, et ce grâce aux effets conjugués de l’action du régulateur (ANRT) et de l’intensité concurrentielle. Et si la voix est de loin le service le plus sollicité, les services mobiles et la data prennent une place croissante, augmentant le trafic mobile (voix et data) de plus de 40% entre 2010 et 2011. Il n’est donc pas surprenant que le haut débit mobile connaisse un essor sans précédent au Maroc. A fin 2011, le nombre d’abonnés au haut débit mobile (près d’1,5 millions d’abonnés) était plus de 3 fois supérieur au nombre d’abonnés du haut débit fixe (près de 600 000 abonnés). L’ANRT, ayant cerné l’opportunité, prépare le prochain grand rendez-vous des télécoms au Maroc en envisageant de mettre à disposition des opérateurs des licences 4G en 2013. La 4G va donner une nouvelle impulsion au marché marocain. Elle ouvre de nouvelles perspectives de développement des offres et prestations proposées sur l’accès à l’Internet, en mobilité ou en termes de substitution fixe-mobile. S’appuyant sur la vigueur du marché mobile, la 4G pourrait faciliter l’essor d’un écosystème Internet « mobile-centric » ou « fixed-wireless » (via des modems 4G) qui sera alors l’équivalent d’un écosystème Internet fixe des pays développés. Ainsi le développement du Royaume s’appuierait sur une révolution numérique soutenue par des terminaux mobiles et un ensemble de services associés, qu’ils soient marchands 54 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents (e-commerce, services cloud, place de marché de produits agricoles…) ou non (e-administration…). Conscients des enjeux et de l’impact direct de cette technologie sur leurs activités, les opérateurs attendent l’octroi des licences avec impatience pour investir dans un réseau 4G. La 4G va notamment leur permettre de réduire leurs coûts d’opération. Les technologies 4G présentent en effet une efficacité spectrale supérieure (couverture et débit) aux technologies 3G actuelles. Le coût (charges d’exploitation) par Mo d’un réseau LTE est également beaucoup plus faible qu’avec une technologie UMTS/CDMA, notamment grâce à une architecture horizontale tout-IP, des coûts d’exploitation réduits et la capacité d’autogestion des nouveaux équipements réseaux. Ensuite, l’avènement de la 4G est l’occasion rêvée pour les opérateurs d’augmenter l’ARPU. Avec la possibilité de fournir de nouveaux services et produits valorisés par le consommateur, les opérateurs peuvent refondre complètement leur gamme d’offres avec des nouveaux critères de segmentation : débit proposé, volume de données transféré, usages différenciés, souscriptions « premium » illimitées ou avec une qualité de service supérieure, etc. De plus, déployer des services sur un réseau 4G est l’opportunité pour un opérateur de se démarquer de la concurrence mobile ; en termes de débit, de prix ou de couverture, les opérateurs mobiles utiliseront leur réseau comme un argument marketing fort par rapport à leurs concurrents directs. Enfin la 4G va permettre des gains de part de marché grâce à la substitution fixe-mobile. La capacité et les débits-pics atteints permettent de concurrencer les opérateurs fixes, prenant une ampleur particulière dans un pays comme le Maroc où la population, mal desservie en infrastructures fixes, ne cesse de manifester son besoin pour l’Internet haut débit. Aujourd’hui, La 4G n’en est qu’à ses débuts, mais elle reste la technologie mobile avec la plus forte croissance attendue d’ici 2016. Toutefois, le Maroc va devoir affronter de réels défis inhérents au déploiement de la 4G, et le pays peut s’appuyer sur les retours d’expériences de divers marchés pour tirer les principaux enseignements. L’aspect technologique est le principal élément discriminant du lancement de la 4G au niveau mondial. Si la norme Long-Term Evolution (LTE) semble l’avoir emporté sur la version 4G du WiMAX mobile, deux éléments techniques diffèrent fortement selon le pays considéré : les bandes de fréquences utilisées et le mode de transmission (duplexage par division de fréquence – FDD – ou division temporelle – TDD). Le choix des fréquences à utiliser représente un enjeu majeur pour les régulateurs et les opérateurs, concernant l’interopérabilité des équipements et l’itinérance internationale. bandes déjà existantes, et souvent très efficaces. Une telle pratique doit cependant être considérée avec précaution par l’ANRT pour assurer des conditions équitables entre opérateurs : certains opérateurs peuvent recycler des bandes de fréquences que n’ont pas les autres (le cas de l’opérateur EE au RoyaumeUni). Les opérateurs se heurtent à la réalité de chaque marché : quel spectre fréquentiel est disponible ? Quelles sont les licences déjà accordées aux opérateurs en place ? Quelle est la topologie du pays concerné et l’impact sur le déploiement du réseau ? Lors du choix des bandes de fréquences à utiliser, les régulateurs portent leur attention sur deux aspects importants. Tout d’abord ils doivent s’assurer que le spectre utilisé permettra de bénéficier de l’efficacité spectrale tant promise pour la 4G : les bandes de fréquences utilisées doivent permettre d’exploiter au mieux l’un des avantages majeurs de la 4G, à savoir la couverture d’une plus grande densité de population. Ensuite, les régulateurs regardent de près l’optimisation du déploiement industriel en relation avec les équipementiers télécoms. En effet, le choix des fréquences orchestrera les coûts liés à l’exploitation des services sous la norme LTE notamment, dans le cas des bandes de fréquences identiques à la 3G. Les différents degrés de maturité des pays africains (taux de pénétration mobile de moins de 30% au Niger, et de près de 120% pour l’Afrique du Sud) permettent de distinguer trois groupes. La mise à disposition de licences 4G repose dans la plupart des pays sur le recyclage des bandes de fréquences déjà allouées. C’est une opportunité pour accélérer le déploiement, puisqu’il s’agit de Il existe une deuxième catégorie de pays, dans lesquels la téléphonie mobile a atteint un niveau moins mature (taux de pénétration de plus de 50%) et où de nouveaux usages télécoms sont en On retiendra donc que si le Maroc fait aujourd’hui partie des pionniers africains de la data mobile, c’est la conséquence logique d’une stratégie cohérente et durable de développement de son économie numérique, dans laquelle il a intelligemment capitalisé sur le dynamisme de son marché mobile. Certes, de nouveaux défis devront être relevés mais la trajectoire semble prometteuse, et pourrait inspirer d’autres pays africains. Le premier correspond aux pays dans lesquels les télécoms sont les plus développés en Afrique. Les taux de pénétration du mobile y sont proches des 100%, et le marché mobile est souvent considéré comme ayant atteint un niveau proche de la saturation. Toutefois, l’exemple marocain indique qu’il est prudent d’éviter une stratégie du « tout mobile ». En effet, le gouvernement marocain prépare une ouverture à la concurrence permettant l’exploitation des boucles locales (basses et hautes fréquences) en dégroupage total ou partiel. Cette stratégie duale aide à anticiper une éventuelle saturation future des capacités mobiles, et à répondre de manière optimale aux besoins sédentaires, en complément des besoins nomades. 55 cours de développement. L’Algérie, par exemple, se prépare à des perspectives de croissance importantes notamment sur l’Internet mobile avec le lancement de la 3G. Le Maroc doit servir d’inspiration pour ces pays, notamment dans les démarches entreprises pour mener à bien les projets. Ainsi, le WiMAX dont les licences ont été octroyées en 2005, a vu ses projets de lancements abandonnés par les opérateurs marocains, notamment pour des raisons de difficultés de mise en œuvre. Enfin, viennent les pays dans lesquels les télécoms sont en cours de développement et où la pénétration du mobile reste à des niveaux inférieurs à 50% ; par exemple, l’Ethiopie, dotée d’une population de plus de 80 millions d’habitants et avec un taux de pénétration mobile de 20% en juin 2012. Ces pays, qui sont loin encore des problématiques de l’Internet mobile, doivent poursuivre la stimulation de la téléphonie mobile pour répondre aux besoins locaux en s’inspirant des aspects « Go-toMarket » marocains. L’évolution vers la data mobile n’interviendra que dans un second temps, et pourra très bien se faire sur un modèle éloigné du cas marocain. En somme, l’exemple marocain prouve que la conjonction d’une volonté politique forte, matérialisée par une stratégie moyen terme cohérente et durable, et doublée d’acteurs dynamiques, peut suffire à stimuler le développement des télécoms, réduisant un peu plus le fossé numérique avec les pays développés. Gageons que le développement humain qui en résultera sera à la hauteur des efforts entrepris, et saura inspirer d’autres pays émergents en Afrique. 56 | Les enjeux des télécoms dans les pays émergents 57 A propos de BearingPoint Contacts Les consultants de BearingPoint savent que l’environnement économique change en permanence, et que la complexité qui en découle nécessite des solutions audacieuses et agiles. Nos clients du secteur privé comme public obtiennent des résultats concrets lorsqu’ils travaillent avec nous. Nous conjuguons compétences sectorielles et opérationnelles avec notre expertise technologique et nos solutions propriétaires, pour adapter nos services aux enjeux spécifiques de chaque client. Cette approche sur mesure est au cœur de notre culture, et nous a permis de construire des relations de confiance avec les plus grandes organisations publiques et privées. Nos 3500 collaborateurs accompagnent nos clients dans plus de 70 pays, avec notre réseau international de partenaires, et s’engagent à leurs côtés pour des résultats mesurables et un succès durable. 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