Analyser une œuvre picturale Document réalisé par Corinne

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Analyser une œuvre picturale Document réalisé par Corinne
Analyser une œuvre picturale
Document réalisé par Corinne Bourdenet, enseignante en arts plastiques
Ce document est une correction du travail écrit demandé aux élèves. Il est volontairement non rédigé afin
que chaque élève se l’approprie et le reformule avec ses propres mots et expressions.
Introduction de l’analyse
1. Identification : cartel de l’œuvre
-
Image reproduite sous forme de photographie
Sujet laïc : représentation faisant écho à un contexte historique très précis. Oeuvre figurative (on reconnaît
ce qui est montré) même si ce n’est pas réaliste (imitation de la réalité).
- Technique :
o support unique : toile
o medium : peinture à l’huile / Mixte : ajout de collages (journal et timbre)
o outil : pinceau
- Localisation (lieu d’exposition / de conservation) : Galerie der Stadt, Stuttgart en Allemagne
Accrochage : le contexte de son exposition joue-t-il un rôle dans la lisibilité de l’œuvre ? Le pays d’exposition est
important car ce tableau fait référence à un épisode important de l’histoire de ce pays.
- Titre : Rue de Prague ou Pragerstrasse en allemand (donné par l’artiste)
Le titre est important car il situe le lieu de la représentation : une rue commerçante dans la ville de Dresde
- Date de réalisation : 1920 un an après le traité de Versailles (vous devez être capable d’expliquer les
conséquences de ce traité pour l’Allemagne).
- Format et dimensions : rectangle de 101 x 81 cm, format portrait
- Genre : scène de genre (vie quotidienne) qui fait écho à un fait historique
2. Présentation de l’artiste : biographie d’Otto Dix
En 1914, Dix a 23 ans. Il s’engage comme volontaire dans l'artillerie puis dans une compagnie de mitrailleurs.
Mitrailleuse surnommée, par les soldats français, la « faucheuse » + citation de Paul Valéry qui décrit ainsi en
1931 l'action de l'engin : « Quatre hommes résolus tiennent mille hommes en respect, couchent morts ou vifs
tous ceux qui se montrent. On arrive à la conclusion surprenante que la puissance de l'arme, son rendement,
augmente comme le nombre même de ses adversaires. Plus il y en a, plus elle tue… ».
Otto Dix vénère l’héroïsme des soldats. Il reçoit la croix d’argent qui symbolise son esprit de combattant.
En 1919, il vient de fonder le Groupe 1919 avec Conrad Felixmüller (1897-1977) et il réalise des collages DADA.
Dadaïsme = mouvement où l’extravagance, la dérision et l’humour, parfois noir sont utilisés pour dénoncer la
société bourgeoise de l’époque. De nombreux artistes du mouvement Dada dénonceront les effets cruels de la
guerre et son absurdité. Leur technique est toujours associée au collage.
En 1920, Otto Dix est profondément marqué par les atrocités de la guerre. Il veut témoigner de ce qu'il a pu voir.
Les photographies faites sur le front sont surtout commandées par l’armée et donc très ciblées : la réalité est
montrée comme on veut qu’elle soit vue (propagande). Otto Dix veut peindre la réalité telle qu’il l’a ressenti =
plusieurs toiles mettent en scène des soldats mutilés.
A son retour de la guerre, il sera un grand pacifiste et un antimilitariste convaincu !
Mouvement artistique : mouvement de l'Expressionnisme. L'Expressionnisme est une forme d'art qui
s'efforce de donner à une œuvre le maximum d'intensité expressive en exagérant et déformant les formes du
réel, en utilisant des couleurs non réalistes. Ce mouvement s'est principalement développé en Allemagne. La
volonté des artistes n’est pas de bien représenter le monde, mais de le montrer tel qu’ils le voient, à travers le
filtre de leurs sentiments.
Parce que cette œuvre est expressionniste, les nazis la jugeront comme « art dégénéré ». (Savoir expliquer ce
que c’est). A l’exposition de 1937, une scénographie volontairement pensée pour provoquer chez le
spectateur sarcasme et moquerie : tableaux exposés de travers, collés les uns aux autres, sculptures
posées à même le sol… (cf métier de scénographe : personne qui gère l’espace d’une exposition, d’un
spectacle).
3. Intérêt de cette œuvre : elle est représentative de l’expressionnisme et montre combien le message
d’un artiste sur un fait, pour une cause peut être clair.
4. Domaine artistique des arts du visuel ? La peinture est un art du visuel. Elle est visible et rend visible.
5. Thématique Arts, Etats et pouvoirs : cette peinture est très liée au contexte historique et elle a un
caractère autobiographique : c’est ce que vit, voit et ressent Otto Dix en 1920 qui est montré
6. Contexte historique : les conséquences de la 1ère guerre mondiale en Allemagne et du traité de
Versailles
Développement de l’analyse : Décrire
1. Sujet :
Qui ?
2 personnages principaux
- Au premier plan : riche passant mutilé et hautain qui se déplace sur une planche à roulettes. Il est décoré avec
la croix de fer (décoration militaire allemande = honneur militaire). Il roule en s’aidant de deux bâtons sur une
brochure antisémite (haine envers les juifs) sur laquelle est inscrit « Juden raus » (« les juifs dehors »).
- Au second plan : homme mutilé, au corps désarticulé et aux yeux vides. Il mendie et un passant lui donne un
timbre de valeur. Mutilé de guerre : membres inférieurs et bras gauche = prothèses en bois.
2 personnages mis en valeur dans la composition du tableau : placés sur l’axe central vertical du tableau,
sont vus en entier, occupent une place importante dans le format
+ petite fille aux pieds nus = symbole des nombreux orphelins. A ses pieds se trouve un bout de journal où est
écrit « Diktatur von rechts » (« dictature de droite »). Cet extrait de journal renvoie au développement de
mouvements d’extrême droite antisémites. Les anciens combattants étaient en effet très sensibles à la
propagande ultra nationaliste.
+ éléments hors-champ (coupés par le cadre du tableau)
- main élégante posée sur une canne
- tête d’un chien qui montre les crocs
- corps d’une femme portant des talons hauts
- arrière d’un chat
Où ?
Scène d’extérieur : dans une rue commerçant de la ville de Dresde
- Arrière plan : vitrines de magasins (perruques pour dames = mode, superficialité de la vie + mannequin en
pièces détachées et des prothèses = corps mutilés réparés sommairement).
- Sur le mur entre les deux vitrines le mot« dumm » (« idiot ») est griffonné : qui est idiot ? Vous pouvez émettre
des hypothèses : le mutilé qui a donné sa jeunesse et sa vie pour ces idées (cf engagement de Dix), le mendiant
qui espère une générosité quasi inexistante, le militaire fier de ces décorations qui ne lui rendront pas ses
jambes…
- Faux dessinée : symbole de la mort qui rôde, du désastre qui va recommencer.
- Graffiti à la craie sur les murs = besoin de s’exprimer librement
Réalisme et degré d’iconicité : L’illusion de ressemblance n’elle pas recherchée.
Leçons du cubisme utilisées :
- déformation par multiplicité des points de vue réunis en une seule image (visage de la petite fille vu de profil
alors que son œil est de face).
- collage : incrustation d’éléments du réel non plus représentés, peints mais collés. (1er collage cubiste en
1912 = collages de matières (journaux, toile cirée) / Collages dadaïstes : collage de formes, de figures
extraites de publications, de photomontages).
Ressemblance niée (choix des artistes expressionnistes) pour mieux dire, mieux montrer : exagération des corps
anguleux, désarticulés. La volonté de ressemblance est traditionnellement liée à la recherche de la beauté. Ici ce
sont les sentiments qui importent, pas la beauté.
Utilisation intentionnelle de symboles :
- attributs : croix de guerre = patriotisme, héroïsme militaire ; main gantée, boutons de manchette = richesse
- symboles : peut-être le chien et le chat (animaux aux pieds de Judas, apôtre qui a trahit Jésus) = la patrie
trahit ses soldats, absence de reconnaissance pour les anciens combattants ; combat de chien et chat =
symbole de désaccord, de combat ; Femme en robe rose et hauts talons = frivolité de la société pendant
entre-deux guerres
- timbre (donné au mendiant) : symbole de l’inflation économique de l’époque (prix x7 en quelques semaines)
- journal : matériau du quotidien mais aussi « preuve » de cette actualité. Un peu comme les kidnappeurs qui
filment leur victime avec un journal dans les mains. Les écritures inscrites sur les extraits de journaux ne sont
pas choisies par hasard elles font sens : antisémitisme et montée de l’extrême droite.
2. Espace : voir analyse plastique en vidéo https://youtu.be/_IRMpS19DnE
Composition de l’espace représenté :
o Rapport au cadre : champ/hors champ
Plusieurs éléments sont situés hors-champ. Otto Dix utilise ce procédé afin d’inviter le spectateur à entrer dans
l’œuvre. Les éléments hors-champ ont une continuité dans l’espace du spectateur.
o
Hiérarchiser la description : une lecture verticale est suggérée par la composition (cf vidéo citée ci-dessus) et
les positions des deux personnages principaux.
o
Perspective : des lignes représentant un espace sont suggérées par les encadrements des vitrines et le bord
du trottoir.
o
Cadrage et angle de vue : la vision proposée par Otto Dix donne au spectateur une vision plongeante, comme
s’il était lui aussi un de ses passants ignorant les anciens combattants à ses pieds.
3. Eléments plastiques : voir analyse plastique en vidéo http://youtu.be/rJpAdXcP6Qw
4. Rapports au spectateur :
Est-ce que le spectateur est pris à témoin par des éléments représentés ? Oui le personnage aux yeux évidés
semble le regarder. Les éléments hors-champ semblent venir dans l’espace du spectateur : ils entrent par la
gauche et ressortent pas la droite.
Développement de l’analyse : Interpréter l’œuvre
Cette œuvre a été réalisée par Otto Dix pour faire réagir ses contemporains et leur montrer leur hypocrisie.
L’absence de respect pour les anciens combattants est d’une ignoble cruauté. Dix les dépeint non pour se
moquer d’eux mais pour que le public soit forcé de les voir, de les regarder (ce qu’il refuse dans la réalité). Pour
ces raisons, cette toile n’a sans doute pas été très appréciée par le public de l’époque.
Cette œuvre montre l’engagement d’Otto Dix contre la guerre, en dénonçant ses conséquences. Elle fait partie
d’un ensemble d’œuvres consacrées à ce thème :
Les Joueurs de skat/Invalides de guerre jouant au skat, 1920, 110X87 cm (accent sur les « gueules cassées »)
Le marchand d'allumettes, 1920 (nombreux points communs avec cette œuvre)
La Guerre, 1929-1932 : retour sur ses souvenirs de la 1ère guerre mondiale
L’artiste Otto Dix cherche à dénoncer une réalité de son époque, à faire réagir le public et à laisser aux
générations suivantes un témoignage sur les conséquences de la guerre. Il verra de son vivant que cela
n’empêchera une seconde guerre, encore plus atroce que la première.
Le spectateur ne reste pas indifférent face à cette toile : si le malaise est ressenti, alors Otto Dix a atteint son but.
Le travail de peintre est variable selon les époques et la personnalité de l’artiste. C’est sa mère qui le guidera
dans cette voie. Il choisira de faire de ce mode d’expression sa profession.
4. Pourquoi peut-on dire que cette oeuvre a une valeur politique / historique / artistique ?
Beaucoup d’œuvres montreront l’intensité et les atrocités des combats (EX : peintures de Félix Vallotton), le
départ des soldats (parfois dans un esprit de propagande) mais très peu, à part Otto Dix, s’intéresseront au
regard porté sur les anciens combattants.
Otto Dix à travers cette œuvre, témoigne :
- du climat politique et social en 1920 en Allemagne, c'est à dire l'indifférence à la souffrance et l'absence de
solidarité, on voudrait oublier les mutilés de guerre.
- de cette société de la défaite et préfigure de ce qu’elle deviendra dans l’entre deux guerres avec la montée du
nazisme
Elle est donc novatrice par le choix du sujet représenté et par le style utilisé.
Conclusion
Explique comment tu as travaillé ? Quelles sources as-tu utilisées ? Comment as-tu vérifié leurs informations ?
Explique ce que tu as appris en travaillant sur l’œuvre et/ou l’artiste concerné, ce que tu as ressenti.
Postérité de cette œuvre :
D’autres œuvres parlent du même sujet : le regard porté sur les anciens combattants après leur engagement dans
des conflits.
- Né un 4 juillet Drame Psychologique Américain, 1989,145 min, Film réalisé par Oliver Stone avec Tom Cruise
Synopsis
Pour Ron Kovic, fervent défenseur de son pays, c'est un honneur d'être né un 4 juillet, le jour de la fête nationale américaine.
Engagé dans les Marines, il revient infirme du Vietnam. Il comprend alors que l'Amérique préfère les héros morts que
déchus... Le pays a changé et Ron s'y sent à l'étroit. La déception est amère et le chemin de la dignité un combat. Ce film
scrute, étudie, commente et analyse les ravages physiques et psychologiques d'un jeune militaire revenu du Vietnam.
- Les piliers de la société, 1926, George Grosz, (Berlin, Staatliche Museen)
- 1919-1925 : lois françaises encadrent l’érection de monuments commémoratifs (monuments aux morts)
Vocabulaire à connaître :
Dada : Un jour, en 1916, à Zurich, un groupe d’artistes d’avant-garde décida, devant l’absurdité de la guerre, de
rebâtir un nouveau monde. Ils décident de faire table rase et de dépasser toutes les limites de l’art.
Mouvement artistique né du dégout de la guerre, de la bourgeoisie, qui se complaît dans la provocation et le rejet
de toute contrainte morale ou artistique. Mission de Dada est de réagir aux horreurs de la Première Guerre
mondiale et faire naître un nouveau monde.
Expressionnisme : mouvement artistique au début du XX°, né surtout en Europe du Nord cherchant à exprimer
la souffrance et le tragique (nos expressions) en exagérant les déformations et en utilisant des couleurs
souvent contrastées et/ou sombres
Artistes d’avant-garde (terme militaire qui désigne les soldats en première ligne sur le front) : artistes novateurs,
qui « inventent » de nouvelles formes artistiques. Tous les artistes d’avant-garde du début du XX° siècle seront
jugés par les nazis comme des artistes « dégénérés ».
Composition : manière dont l’artiste organise sa toile en fonction de son format. Placements et choix opérés
pour hiérarchiser les éléments dans le cadre.
Vocabulaire de la couleur
Les couleurs sont toutes dans une gamme chromatique très restreinte de bruns noirs : couleurs chaudes mais
aussi et surtout mélangées au noir = perte de luminosité, on dit que ce sont des couleurs rabattues. Il n'y a
que deux couleurs toniques en couleurs pures, dite couleurs saturées (non mélangées avec du noir, du
blanc ou une autre couleur), le bleu et le vert, deux couleurs froides.

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