Comté de Kerry, Irlande

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Comté de Kerry, Irlande
Physio-Géo - Géographie Physique et Environnement, 2008, volume II
133
CIRQUES GLACIAIRES ET DISPOSITIF ÉTAGÉ
DANS LES MACGILLYCUDDY'S REEKS
(COMTÉ DE KERRY, IRLANDE)
Francis HUGUET (1)
(1) : Centre d'Études sur les Sociétés, les Espaces et les Cultures (C.R.E.S.C.), Université Paris-Nord, 99 Avenue
J.B. Clément, 93 430 Villetaneuse. Courriel : [email protected]
RÉSUMÉ : De remarquables cirques glaciaires ont été sculptés dans le massif des Macgillycuddy's
Reeks, (Irlande) pendant les périodes froides du Quaternaire. L'étude morphométrique de trente
cirques situés à l'ouest et au sud-ouest de Killarney et la reconstitution des grandes lignes du relief
préglaciaire montrent que les conditions climatiques ne suffisent pas à rendre compte de la localisation
et de la dimension des cirques. Une étude du terrain a confirmé l'existence dans la région d'un
dispositif étagé, montrant les vestiges de quatre surfaces d'aplanissement tertiaires, même si leur
datation et leur interprétation restent hypothétiques. La très grande majorité des cirques étudiés
s'adosse aux ruptures de pente qui séparent les volumes résiduels de leur piédestal ou deux plans
d'érosion successifs. Le relief préglaciaire, en l'occurrence les gradins d'érosion liés à l'étagement des
aplanissements, a joué un rôle majeur dans la localisation et la genèse des cirques, en favorisant
l'accumulation de la neige et de la glace et en limitant le volume rocheux à excaver.
MOTS-CLÉS : cirques glaciaires, relief préglaciaire, étagement des formes, Irlande, Kerry, Macgillyucuddy’s Reeks.
ABSTRACT: Remarkable glacial cirques were carved in Macgillycuddy's mountains (Co Kerry,
Ireland) during the Quaternary cold periods. A morphometric study of thirty cirques west and southwest of Killarney and the reconstruction of the main features of the preglacial relief showed that
climatic conditions alone cannot account for the location and size of the cirques. The field study
confirms the existence in the area of stepped landforms, with the remnants of four stepped denudation
surfaces, even if their dating and interpretation are still hypothetical. Most cirques abut against the
breaks of slope separating the monadnocks from the upper surface or two successive stepped surfaces.
Preglacial landforms, namely erosion scarps and stepped landforms favoured the accumulation of
snow and ice and played an important part in the location and carving of the cirques.
KEY-WORDS: glacial cirques, preglacial relief, stepped landforms, Ireland, Kerry, Macgillyucuddy’s Reeks.
I - INTRODUCTION
Pendant la première moitié du XXème siècle, les géomorphologues qui ont travaillé sur
l'Irlande, dans la perspective davisienne de la "school of platforms", se sont surtout intéressés
à l'identification et à l'interprétation des surfaces d'aplanissement étagées, notamment dans les
péninsules du Sud-Ouest. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, l'étude des aplanissements et des évolutions géomorphologiques à long terme est passée au second plan des
préoccupations des chercheurs, qui, de nos jours, sont très spécialisés. La recherche s'est de
plus en plus tournée vers la géomorphologie dynamique et la géomorphologie climatique,
avec une attention particulière pour les héritages et la chronologie des périodes froides, alors
que l'inventaire et la cartographie des aplanissements étaient tenus pour acquis ou
134
n'intéressaient plus la majorité des géomorphologues. Les glaciations du Pléistocène sont en
effet à l'origine de la genèse de modelés glaciaires particulièrement spectaculaires dans les
paysages irlandais. Le massif des Macgillycuddy's Reeks, dans le Kerry (Fig. 1), montre de
remarquables modelés glaciaires, et tout particulièrement de nombreux cirques échancrant les
versants et de profondes auges. L'objectif de cet article, qui reprend une méthode utilisée dans
un précédent article consacré aux cirques de Forêt Noire (F. HUGUET, 2007), est de montrer
l'insertion des dynamiques et des modelés glaciaires dans des formes pré-quaternaires et plus
particulièrement le rôle des reliefs préglaciaires sur la localisation et la sculpture des cirques.
Figure 1 - Carte de localisation des trente cirques analysés dans le massif
des Macgillycuddy's Reeks (Kerry).
II - ENGLACEMENT LOCAL ET ENGLACEMENT GÉNÉRALISÉ
EN
EN
IRLANDE
IRLANDE
En Irlande la reconnaissance de la responsabilité des glaciers dans la sculpture de ces
formes remonte au milieu du XIXème siècle (L. AGASSIZ, 1842). Depuis, de nombreux
chercheurs ont consacré une part importante de leur travail aux moraines et à la chronologie
des glaciations irlandaises (J. CHARLESWORTH, 1963, 1977 ; A. FARRINGTON, 1954 ;
F.M. SYNGE, 1979, 1981 ; F. MITCHELL, 1981 ; F. MITCHELL et M. RYAN, 2001 ; A.C. RAE,
et al., 2004). De nombreux débats ont divisé la communauté scientifique sur le rôle respectif
des glaces locales et des glaces allogènes venues des montagnes écossaises et galloises.
L'Irlande était située à la périphérie des inlandsis de l'Europe du Nord-Ouest, tandis que les
montagnes irlandaises, notamment dans les péninsules du sud-ouest de l'île, étaient capables
d'alimenter des glaciers locaux.
Quoi qu'il en soit, les dépôts glaciaires d'Irlande portent témoignage de deux glaciations
principales, la glaciation Münstérienne et la glaciation Midlandienne, même si l'hypothèse
d'une troisième glaciation a pu être proposée (F.M. SYNGE, 1979). Durant la première
(300000-130000 BP), des nappes de glace très étendues ont recouvert, au moins pendant une
135
partie de la période, la majeure partie de l'Irlande. Les montagnes du Kerry et de Cork
alimentaient leur propre calotte, tandis que des glaces venues d'Ecosse franchissaient les
falaises d'Antrim. Rejointes par celles venues du Pays de Galles, elles s'étendaient jusqu'à
Cork. La seconde glaciation (80000-13000 BP) a été plus restreinte. Un dôme de glace
allongé s'étendait de Galway à Castlerea et un autre de Belfast au Donegal. À la même
époque, les glaces écossaises s'avançaient à nouveau à travers la Mer celtique, mais sans
franchir la côte d'Antrim (M. PRACHT, 1996 ; 1997 ; F.M. SYNGE, 1979, 1981 ; F. MITCHELL
et M. RYAN, 2001). Dans les montagnes du Kerry, une calotte locale, d'une superficie
d'environ 8500 km2, était centrée sur le sud des Macgillycuddy's Reeks et les environs de
Kenmare. La dernière période froide a pris fin il y a environ 13000 ans, mais la période
chaude qui a suivi a été brièvement interrompue par un épisode froid (appelé en Irlande stade
de Nahanagan) entre 10500 et 10000 BP.
Pendant une même glaciation, des phases d'englacement local, avec uniquement de la
glace dans les cirques et les têtes de vallée, alternaient avec des phases d'englacement
généralisé, pendant lesquelles, les glaciers occupaient les montagnes et s'étalaient sur le
piedmont. Ainsi la région de Killarney a-t-elle subi un important raclage glaciaire bien visible
dans les environs de l'Upper Lake. Près de Killarney et du Caragh Lake, des moraines
terminales sont à rapporter au Dernier Maximum Glaciaire. Il n'est toutefois pas possible d'en
déduire le volume total de l'ablation glaciaire effectuée au cours des périodes froides, ni a
fortiori d'attribuer à chaque période froide ou à chaque stade la part lui revenant en propre
dans cette érosion.
III - LE CONTEXTE GÉOMORPHOLOGIQUE : LE DISPOSITIF
ÉTAGÉ DU KERRY
Les modelés glaciaires, aussi spectaculaires soient-ils dans la région de Killarney, n'ont
pas complètement oblitéré les formes préglaciaires. La majorité des géomorphologues
estiment aujourd'hui (C. LE CŒUR, 1994 ; A. GODARD et al., 2001) qu'en dépit de
l'omniprésence des modelés et des dépôts glaciaires, l'érosion glaciaire, au moins dans les
massifs anciens, n'a accompli qu'un réaménagement modéré des topographies préglaciaires.
Les glaciers ont approfondi les dépressions préexistantes, des vallées et des cuvettes d'érosion
différentielle, et ont raidi les versants, sans bouleverser l'agencement d'ensemble du relief.
Cela est vrai dans les péninsules du Sud-Ouest de l'Irlande, comme dans beaucoup d'autres
régions de socle. Dans la région de Killarney, on peut observer (Fig. 2) les vestiges d'un
escalier de piedmont, au sens de W. PENCK (1925), c'est-à-dire une série de banquettes
emboîtées, séparées par des gradins d'érosion. Si, au début du XXème siècle, la querelle des
Piedmonttreppen s'est achevée par un rejet unanime des idées de W. PENCK, l'existence des
dispositifs étagés dans les massifs anciens européens (C. KLEIN, 1990, 1997 ; A. GODARD
et al., 1994, F. HUGUET, 2004) et dans les montagnes "récentes" comme les Pyrénées
(M. CALVET, 2007) a été récemment confirmée. Les débats sur leur genèse et leur
interprétation sont cependant loin d'être clos.
Dans la péninsule d'Iveragh, les vestiges d'une haute surface d'aplanissement (S1),
tronquent le "vieux grès rouge" du Dévonien et ont été conservés dans le massif des
Macgillycuddy's Reeks, à des altitudes d'environ 700 à 750 m. Ils sont dominés par
d'importants volumes résiduels, qui forment les plus hauts sommets du massif, tel le Caher
(1001 m) et le Carrauntoohil (1039 m). Les meilleurs exemples de cette haute surface
136
peuvent s'observer dans de bonnes conditions de part et d'autre de la cluse de Dunloe et au
nord-est de Purple Mountain (Fig. 2). En contrebas, les banquettes de Tomies Rock (568 m),
de Gortadirra (479 m) ou de Shehy Mountain (571 m), bien visibles depuis Ross Island,
appartiennent entre 470 et 570 m au niveau "intermédiaire" (S2). Celui-ci domine lui-même
des banquettes plus basses (S3), qui sont situées vers 270-320 m, sur le piedmont
septentrional du massif. C'est le cas de Clogfaunaglibbaun et Knocknafreaghaun (Fig. 2), qui
sont des vestiges de la classique "South Ireland Peneplane" de A. MILLER (1939). La photo 1,
prise à Coolcummisk, non loin de la cluse de Dunloe, montre un exemple très démonstratif de
"raccord amont", c'est-à-dire de talus "cyclique" séparant une banquette du niveau
intermédiaire (S2) des vestiges de la surface supérieure (S1). Enfin, la plaine d'érosion (S4)
qui s'étend entre les pentes nord des Macgillycuddy's Reeks et la Baie de Dingle (Fig. 2),
correspond à la "Coastal Peneplane" du même auteur.
Si la matérialité du dispositif étagé ne semble pas contestable, la datation de ces
banquettes étagées demeure hypothétique, car le Tertiaire irlandais demeure "une énigme"
(G.L.H. DAVIES, 1970) et on ne dispose pas de données chronostratigraphiques exploitables,
hormis les vestiges de Crétacé (Ballydeenlea) et de Tertiaire (Ballymacadam) conservés dans
des cavités karstiques, dont le témoignage est fort ambigu. Quoi qu'il en soit, le dispositif
étagé s'explique selon nous par une évolution géomorphologique discontinue au cours du
Tertiaire, en réponse à une tectonique spasmodique.
Photo 1 - Le raccord amont du replat S2 de Coolcummisk, à l'ouest
de Tomies Mountain et l'emboîtement S1/S2.
L'hypothèse de mouvements verticaux importants au cours du Tertiaire ne peut être
éludée, de même qu'il existe de nombreux arguments en faveur d'un compartimentage
tectonique et de jeux de blocs dans les péninsules d'Iveragh et de Dingle (C. FEÏSS, 2000), ce
qui enrichit et complique le dispositif géomorphologique. Toutefois, ce qui importe ici, c'est
la réalité de l'emboîtement et l'influence qu'il a pu avoir sur la dynamique glaciaire.
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IV - ASPECT ET MORPHOMÉTRIE DES CIRQUES DU KERRY,
À L'OUEST ET AU SUD-OUEST DE KILLARNEY
Depuis les premières observations scientifiques sur les glaciers et les modelés glaciaires
(L. AGASSIZ, 1842 ; A.C. RAMSAY, 1862), la littérature scientifique consacrée aux cirques
glaciaires est extrêmement abondante. Cependant, jusqu'à une époque récente, il n'y avait pas
de véritable consensus sur une définition précise d'un cirque.
C
Figure 2 - Carte géomorphologique des Macgillycuddy's Reeks (Kerry).
Selon I.S. EVANS et N. COX (1974), un cirque est "a hollow, open downstream but
bounded upstream by the crest of a steep slope ('headwall') which is arcuate in plan around a
more gently-sloping floor. It is glacial if the floor has been affected by glacial erosion while
part of the backwall has developed subaerially" ("un creux, ouvert vers l'aval mais fermé à
138
l'amont par une crête en forte pente ('paroi'), de forme arquée, entourant un plancher en pente
plus douce. Il est glaciaire si le plancher a été affecté par l'érosion glaciaire, tandis qu'une
partie de la paroi arrière a eu un développement subaérien").
Cette définition s'applique parfaitement à de nombreux cirques qui échancrent
profondément les versants des montagnes dans la région de Killarney et des Macgillycuddy's
Reeks, par exemple Lough Eagher à l'ouest de Carrauntoohil (6 sur la figure 1),
Coomclochan, à l'ouest de Tomies Mountain (3 sur la figure1) ou encore Devil's Punch Bowl,
au nord-ouest de Mangerton (5 sur la figure 1).
Les trente cirques analysés dans cet article (Tab. I et II), situés dans les montagnes de la
presqu'île d'Iveragh, à l'ouest de Killarney, apparaissent pour la plupart comme de grands
amphithéâtres profondément enchâssés dans les versants. Dans le détail, ils diffèrent toutefois
les uns des autres par leur géométrie, leur exposition, leur contexte géologique et
géomorphologique. Pour caractériser chacun de ces cirques de manière aussi objective que
possible, on a retenu dans cet article, selon la même méthode que dans l'article consacré à la
Forêt Noire (F. HUGUET, 2007), huit paramètres significatifs : la longueur de la corde et la
longueur de la flèche de l'arc de cercle évidé dans le versant, ce qui permet de calculer l'angle
d'ouverture des cirques (Fig. 3), l'altitude du plancher, la hauteur de la paroi, l'exposition, la
nature de la roche et la place dans le dispositif étagé.
Figure 3 - Morphométrie d'un cirque : flèche, corde et angle d'ouverture.
L'angle d'ouverture, utilisé par I.S. EVANS (1969), peut être aisément calculé selon la
méthode proposée par C. LE CŒUR (1994), par le rapport de la corde C et de la flèche F de
l'arc de cercle formé par un cirque, indépendamment de son rayon (Fig. 3). Permettant de
comparer l'échancrure des cirques indépendamment de leur taille, c'est un bon marqueur de
l'importance de la morsure glaciaire dans le versant. Dans le triangle rectangle ABH, on a la
139
Tableau I - Données morphométriques et contexte géomorphologique de trente cirques à
l'ouest et au sud-ouest de Killarney : cirques 1 à 16.
Altitude
Flèche Ouverture
du
F
α
plancher
Hauteur
de la
Exposition
paroi
Place dans le
dispositif
étagé
Nom
Corde
C
Coomcallee
1
1400 m
1500 m
65°
329 m
420 m
Nord-est
Grès du Lough
Acoose
R/S1
Lough Callee
1050 m
2
1000 m
62°
329 m
440 m
Nord
Grès du Lough
Acoose
R/S1
Coomclochan
1750 m
3
1750 m
63°
230 m
470 m
Lough Erhog
4
1000 m
1250 m
68°
428 m
370 m
Devil's Punch
Bowl
5
450 m
750 m
73°
670 m
130 m
2600 m
76°
470 m
430 m
1250 m
66°
304 m
600 m
750 m
75°
650 m
250 m
750 m
77°
480 m
420 m
800 m
57°
290 m
610 m
Lough Eagher
1250 m
6
Curraghmore
1100 m
7
Lough
Cummeena400 m
peasta
8
Lough Googh
350 m
9
Lough Calee
1050 m
10
Lithologie
Grès de
Ballinskelligs
Pyroclastites
Est
du Lough
Guitane
Grès
Nord-ouet chloritique de
Glenflesk
Nord-est
Ouest-nordGrès de
ouest
Ballinskelligs
Grès du Lough
Sud-est
Acoose
Nord-Ouest
Grès du Lough
Acoose
Grès du Lough
Acoose
Grès du Lough
Est-Sud-Est
Acoose, faille
Grès de St
Finan et grès
Nord-est
de
Ballinskelligs
Grès de St
Finan et grès
Nord-ouest
de
Ballinskelligs
Sud-Est
R/S1/S2
R/S1
R/S1
R/S1
R/S1
R/S1/S2
R/S1/S2
R/S1/S2
Lough Duff
11
1100 m
750 m
54°
480 m
300 m
Lough
Namweala
12
1000 m
1000 m
63°
270 m
330 m
1050 m
750 m
55°
210 m
420 m
Nord-est
Grès de
Ballinskelligs
S1/S2
700 m
600 m
60°
330 m
220 m
Sud
Grès de St.
Finan
Hors
dispositif
Eagles Lough
15
900 m
750 m
59°
320 m
310 m
Sud
Grès de St.
Finan et
conglomérats
Hors
dispositif
Coomura
16
1000 m
1350 m
70°
260 m
300 m
Nord-ouest
Grès de St.
Finan
S1/S2
Lough
Coomeen
13
Lough
Coomacronia
14
S1/S2
S1/S2
R : reliefs résiduels sommitaux. S1 : vestiges de la surface d'aplanissement supérieure. S2 : niveau
intermédiaire. S3 : basses banquettes.
140
Tableau II - Données morphométriques et contexte géomorphologique de trente cirques
à l'ouest et au sud-ouest de Killarney : cirques 17 à 30.
Nom
Corde
C
Mullagha450 m
nattin
17
Carriginane
2100 m
18
Coomeene550 m
ragh Lake
19
Coomaglas
law
1500 m
20
Coomacronia
Lake
1250 m
Altitude
Flèche Ouverture
du
F
α
plancher
Hauteur
de la
Exposition
paroi
Lithologie
Place dans le
dispositif
étagé
850 m
75°
150 m
150 m
Sud
Grès de
Ballinskelligs
R/S1
3000 m
71°
143 m
420 m
Nord-est
Grès de St.
Finan
S1/S2
750 m
70°
161 m
554 m
Nord-est
Grès de St.
Finan
S1/S2
1750 m
67°
240 m
340 m
Nord-nordest
Grès de St.
Finan
S1/S2
1000 m
58°
310 m
270 m
Nord-est
Grès de St.
Finan
S1/S2
Sud-est
Grès de St.
Finan
Sandstone,
faille
S1/S2
21
Knocknagantee
22
1150 m
1000 m
60°
280 m
340 m
Glendalough
Lakes
23
1250 m
1500 m
67°
309 m
340 m
Nord-nordGrès de
est
Ballinskelligs
Hors
dispositif
Roads Lough
24
400 m
Coomacoolen
Lake
150 m
25
Coomroarrig
900 m
Lough
26
Lough
Adoolig
1400 m
27
Lough
Coomcallee
28
400 m
Lough
Nambrack1100 m
darrig
29
Slievenashaska Lough 750 m
30
S1/S2
600 m
72°
254 m
316 m
Nord
Grès de
Ballinskelligs,
conglomérats,
faille
500 m
81°
240 m
360 m
Nord
Grès de St.
Finan
S1/S2
1000 m
66°
227 m
246 m
Nord-est
Grès de St.
Finan, faille
S2/S3
2750 m
76°
240 m
340 m
Ouest
Grès de St.
Finan /
conglomérats
S1/S2/S3
550 m
70°
318 m
260 m
Est
Schistes de
Valentia
Hors
dispositif
750 m
54°
247 m
320 m
Ouest-nordouest
Grès de St.
Finan
S1/S2/S3
1000 m
69°
250 m
200 m
Est-nord-est
Schistes de
Valentia
S2/S3
R : reliefs résiduels sommitaux. S1 : vestiges de la surface supérieure. S2 : niveau intermédiaire. S3 :
basses banquettes.
141
relation : tan α = 2F/C, d'où la valeur de l'angle d'ouverture : α = arctan2F/C que l'on calcule
aisément à l'aide d'une calculatrice. L'altitude du plancher est mesurée au point le plus bas de
la cuvette. La hauteur de la paroi est mesurée entre le plancher et le sommet du versant.
L'exposition est donnée par le prolongement de la flèche, perpendiculairement à la corde. La
lithologie se réfère à la terminologie classique du "vieux grès rouge" irlandais, telle qu'elle
apparaît sur la carte géologique (M. PRACHT, 1996, 1997) et mentionne également les failles.
La place dans le dispositif étagé signale la localisation d'un cirque à proximité immédiate de
la rupture de pente séparant un relief résiduel de son piédestal (R/S1) ou de l'abrupt séparant
deux plans étagés successifs (S1/S2, S2/S3).
Quatorze cirques sur trente, soit près de la moitié de l'échantillon (46,6 %) ont un angle
d'ouverture inférieur à 45°, ce qui correspond à une échancrure glaciaire relativement
modeste. Huit cirques sur trente (26,6 %) ont un angle d'ouverture compris entre 45° et 60°,
qui témoigne d'une morsure glaciaire nettement plus importante, avec des parois hautes et
raides. Enfin, huit cirques sur trente également (26,6 %) ont un angle d'ouverture supérieur à
60° : ce sont les amphithéâtres les mieux dessinés et les plus profondément enchâssés dans les
versants.
V - LA LITHOLOGIE, L'EXPOSITION ET L'ALTITUDE DU
PASÀÀRENDRE
RENDRECOMPTE
COMPTEDE
DE
PLANCHER NE SUFFISSENT
SUFFISENT PAS
LA LOCALISATION DES CIRQUES
La lithologie ne fournit pas de facteurs explicatifs décisifs, dans la mesure où 83 % des
cirques (25 sur 30) sont sculptés dans les grès du Dévonien (grès de Saint Finan, grès de
Lough Acoose, grès de Ballinskelligs).
Les rares cirques faisant exception, sont évidés dans des faciès différents, mais malgré
tout rattachés au "vieux grès rouge" : schistes de Valentia ou pyroclastites du Lough Guitane.
Il s'agit de faciès qui peuvent être considérés comme vulnérables vis-à-vis de l'érosion
mécanique, les schistes à cause de leur clivage et les pyroclastites à cause de leur faible
compacité.
Même si l'on ne dispose pas de données précises sur la fracturation de détail, il est
intéressant de constater que quatre cirques sur trente (13,3 %) sont localisés au voisinage
d'une faille, qui a manifestement facilité et guidé l'érosion glaciaire. Les mesures de rebond
pratiquées au marteau de Schmidt dans les Macgillycuddy's Reeks (E. ANDERSON et al.,
1998 ; A.C. RAE et al., 2004) confirment qu'au-dessus de la "trim-line", ou niveau atteint par
les glaces dans les vallées, la roche a subi une météorisation prolongée à l'air libre qui l'a
sensiblement fragilisée.
L'exposition d'un cirque est classiquement considérée comme un facteur essentiel, à
mettre en relation avec l'ambiance climatique, qui détermine l'alimentation neigeuse et la
formation de la glace. Aux moyennes latitudes de l'hémisphère Nord, les orientations
préférentielles des cirques se trouvent dans le quadrant nord-est (D.I. BENN et J.A. EVANS,
1998). On observe en effet que seize cirques sur trente (53,3 %) sont effectivement situés
dans ce quadrant (Fig. 4), mais cette prépondérance n'a rien d'écrasante et ne permet pas
d'exclure l'intervention d'autres facteurs. On notera, par exemple, que les cirques de Lough
Coomacronia (14), Eagles Lough (15) et Mullaghanattin (17), soit 10 % de l'échantillon ont
142
une exposition sud, c'est-à-dire la plus défavorable sur le plan climatique. De plus, le cirque
d'Eagles Lough (15), malgré son exposition sud, montre un angle d'ouverture élevée (62°), ce
qui accrédite l'hypothèse du rôle de facteurs autres que climatiques, notamment
topographiques.
Figure 4 - Répartition des cirques en fonction de l'exposition.
On établit classiquement une corrélation entre l'altitude du plancher des cirques et la
limite d'équilibre glaciaire (LEG) ou ELA des auteurs anglo-saxons, c'est-à-dire la limite où
accumulation et ablation nivales s'équilibrent exactement au cours d'une année
(C. EMBLETON et C.A.M. KING, 1975 ; D.I. BENN et J.A. EVANS, 1998). D'après les données
publiées (F. MITCHELL et M. RYAN, 2001), la Limite d'Équilibre Glaciaire en Irlande au
Tardiglaciaire se situait vers 500 m. Toutefois, dans l'hypothèse où le cirque résulterait d'un
simple réaménagement par la glace d'une forme en creux préexistante, l'altitude du plancher
serait à peu près dépourvue de signification climatique, notamment pour les valeurs les plus
basses, mais coïnciderait plutôt avec un plan d'érosion façonné au Tertiaire lors d'un des
épisodes d'aplanissement connus dans la région. En effet, les altitudes des planchers des trente
cirques étudiés montrent assez nettement une corrélation avec les niveaux étagés mis en
évidence dans la région de Killarney (Fig. 5). Ainsi les planchers des cirques situés entre 470
et 500 m, correspondant à la surface S2 ou "surface intermédiaire", représentent-ils 10 % de
l'échantillon et ceux situés entre 270 et 320 m, correspondant à la surface S3 ou "South
Ireland Peneplain", 26,6 %.
VI - LES FORMES PRÉGLACIAIRES, EN L'OCCURRENCE
L'ESCALIER DE PIEDMONT DU KERRY, ONT FACILITÉ LE
TRAVAIL DE L'ÉROSION GLACIAIRE
Même si de nombreuses inconnues demeurent dans l'interprétation et la datation du
dispositif étagé de la péninsule d'Iveragh, l'existence de ces gradins et ruptures de pentes ne
143
Altitude du plancher (m)
800
700
600
500
400
300
200
100
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
Cirques
Figure 5 - Altitude du plancher des cirques.
peut être mise en doute. On peut aisément s'en assurer sur les pentes de Mangerton
Mountain,au sud de Killarney, ou au Lough Leane. Vingt-six cirques sur trente (soit 86,6 %
de l'échantillon) s'adossent soit à la rupture de pente séparant un volume résiduel de son
piédestal, soit à l'abrupt qui sépare deux banquettes étagées successives (Fig. 6). Cette
localisation, beaucoup trop systématique pour être fortuite, a été décrite dans d'autres massifs
anciens, comme au nord du Pays de Galles (D.J. UNWIN, 1972), dans les Vosges (C. KLEIN,
1995) et en Forêt Noire (F. HUGUET, 2007). Il est donc vraisemblable que ces encoches
emboîtées ont joué un rôle décisif dans la formation des cirques, d'une part, en facilitant
l'accumulation de neige et de névé à l'origine de l'englacement et, d'autre part, en limitant le
volume de matériaux rocheux à excaver.
Figure 6 - Genèse des formes glaciaires dans un dispositif étagé.
L'érosion glaciaire a ainsi fait reculer les abrupts, réduisant les vestiges de surfaces
étagées à une série de replats sur les versants. Les hauteurs remarquables des parois de
144
plusieurs cirques (610 m au Lough Calee, n° 10 ; 470 m à Coomclochan, n° 3 ; 420 m au
Lough Googh, n° 9) s'expliqueraient par l'addition de la hauteur de plusieurs gradins
successifs. Des situations très comparables s'observent au Feldberg, dans le sud de la Forêt
Noire et au Lac Blanc dans les Vosges (C. KLEIN, 1995), même si dans ce cas, la hauteur du
mur s'explique aussi par un dispositif tectonique favorable. Dans la mesure où les modelés
glaciaires intègrent le travail de l'ensemble des périodes froides du Quaternaire, sans qu'il soit
possible d'attribuer leur façonnement à une phase froide en particulier, le volume des
matériaux morainiques conservés à l'aval ne nous renseigne guère sur les relations entre le
relief préglaciaire et les cirques. Il n'est donc pas possible d'estimer des vitesses d'évolution
différenciées en fonction de la localisation des cirques. En revanche, la corrélation qui est
apparue, dans le Kerry comme en Forêt Noire méridionale, entre dispositif étagé et genèse des
cirques invite à des recherches systématiques. La comparaison de la morsure glaciaire telle
que l'étude morphométrique la révèle, entre des secteurs où un dispositif étagé a été reconnu
et des secteurs qui en sont dépourvus, pourrait être une piste de recherche prometteuse.
VII - CONCLUSION
Le massif des Macgillycuddy's Reeks, au sud-ouest de Killarney illustre
remarquablement le rôle du relief préglaciaire, en l'occurrence un dispositif étagé de type
"escalier de piedmont" sur la localisation et la sculpture des cirques glaciaires. Si
l'exploitation par l'érosion glaciaire de prédispositions structurales, comme les zones de
broyage liées à la fracturation ou les contrastes lithologiques au sein des ensembles cristallins,
est un fait bien établi aujourd'hui (A. GODARD et al., 1994, 2001), la localisation
préférentielle des cirques au voisinage immédiat des gradins d'érosion nés de la
morphogenèse tertiaire est moins bien connue. Presque tous les cirques étudiés dans cet article
s'adossent à des ruptures de pente nettes, qui séparent soit les volumes résiduels de leur
piédestal soit deux aplanissements étagés successifs. Ce serait la marque d'un massif ancien
ayant connu successivement un soulèvement spasmodique au cours du Tertiaire et un
englacement local au Pléistocène. Les formes du relief préglaciaires auraient ainsi "contraint"
le travail des processus et la genèse des modelés glaciaires.
Remerciements : Je suis reconnaissant à Jean-Claude THOURET d'avoir aimablement accepté
la reproduction de la figure 6, reprise d'un article paru dans Géomorhologie - Relief,
Processus, Environnement (F. HUGUET, 2007), dont il est le Rédacteur en chef.
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Article soumis le 09 avril 2008.
Accepté après révision le 13 novembre 2008.
Mis en ligne le 15 novembre 2008.
Remis en ligne le 10 février 2010 après correction des angles d'ouverture dans les tableaux I et II.

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