PDF 157 ko UEC2 - Cours biologie moléculaire
Transcription
PDF 157 ko UEC2 - Cours biologie moléculaire
Histoire de la biologie moléculaire Les grands concepts de la biologie moléculaire ont été élaborés entre le début des années 1940 et le milieu des années 1960. Ils constituent une série de solutions aux problèmes issus du développement de la génétique au début du XXe (Voir les travaux de Morgan). I - La relation un gène - une enzyme / Expérience de George Beadle et Edward Tatum - 1941 En 1903, le français Victor Henri montre que les enzymes sont des protéines. Depuis le début du siècle, le rôle des enzymes comme catalyseurs biologiques absolument fondamentaux pour la réalisation de toutes les voies métaboliques est établi. Dans les années 1920, les travaux de cinétique enzymatique établissent les modalités de ces catalyses. Beadle étudie dès les années 1920 la relation entre les gènes et le caractère héréditaire, réduit à l’enzyme. Cependant les premiers travaux dans ce domaine, sur la drosophile, les papillons, la couleur des fleurs, se sont heurtés à la complexité des voies métaboliques et l’établissement d’une relation était extrêmement difficile à établir. Beadle a finalement décidé de s’intéresser à un organisme haploïde, Neurospora, présentant un seul jeu de chromosomes, donc un seul allèle pour un gène donné, ce qui facilitait grandement toutes les interprétations. Il s’est donc adjoint les services de Tatum qui était un spécialiste des milieux de cultures de ces organismes. Il s’agit en effet de « champignons » que l’on peut cultiver dans des boîtes de Pétri sur un milieu gélosé contenant diverses substances nutritives. Le protocole mobilise les résultats de Müller sur l’obtention de mutants grâce une irradiation aux rayons X. Les mutants sélectionnés sont déficients pour la synthèse de substances (vitamines B1 et B6) qu’il faut donc leur apporter dans leur milieu nutritif. En réalisant des croisements et par l’analyse génétique, Beadle et Tatum montrent que les souches déficientes sont mutantes pour un seul gène. Leur approche permit d’établir la relation entre le gène et l’enzyme. 1 II - La nature chimique des gènes En 1928, Fred Griffith découvre le phénomène de la transformation bactérienne. Il utilisa des souches de pneumocoques : - R (Rough), sans capsules, non pathogènes. - S (Smooth), avec capsules, pathogènes. Il montre que les débris de bactéries virulentes tuées par la chaleur peuvent transformer en bactéries virulentes des bactéries initialement non pathogènes. Il s’agit alors de découvrir quelle est la nature chimique de ce facteur transformant. De longs travaux d’analyse s’engagent et aboutissent en 1944 à la publication des résultats de O. T. Avery et de ses collaborateurs C. MacLeod et M. Mc Carty. Ils montrent que le facteur transformant est l’ADN, mais ce résultat s’avère négligé ou refusé, ce pour plusieurs raisons. - De nombreux biologistes ont repoussé ce résultat car, comme cela été très répandu à l’époque, ils estimaient que les gènes étaient protéiques. En effet, comme nous l’avons dit, la présence de protéines avait été depuis longtemps identifiée dans le noyau. Ils pensaient donc qu’il était plus économique de considérer que les protéines étaient à la base de tout le processus héréditaire, du support, c’est à dire le gène, jusqu’au caractère, c’est à dire l’enzyme. - D’autres considéraient que les résultats de Avery concernaient uniquement les bactéries et qu’ils n’étaient pas nécessairement transposables aux autres organismes. - Enfin, certains biologistes contestèrent la conclusion de Avery au prétexte que la fraction de matériel transformant analysée par Avery comportait une petite proportion de protéines, qui selon eux pouvait être le support de l’hérédité. La conclusion de Avery et de ses collaborateurs a donc été confrontée à un contexte intellectuel défavorable ce qui a entrainé une forme de refus. La situation sera totalement différente lors de la réception des travaux de Alfred D. Hershey et Martha Chase en 1952. Ces deux auteurs proposent que le support de l’hérédité était l’ADN et la communauté dont les conceptions avaient évolué admit très rapidement ce résultat. Soulignons qu’il faut parler des expériences de Hershey et Chase et non de l’expérience de comme c’est souvent le cas dans l’historiographie. Il ne faut pas 2 donc tenir compte du fait que ces expériences sont souvent présentées sur le même schéma (comme sur la diapo !). Il s’agit d’une série d’expériences très élégante, remarquable à plusieurs titres concernant l’évolution des méthodes utilisées en biologie moléculaire. 1° Ils utilisent un matériel qui occupera une place très importante dans le développement de la biologie moléculaire au milieu du siècle : les bactériophages. Il s’agit d’un virus se reproduisant aux dépens des bactéries. 2° Hershey et Chase utilisent les isotopes radioactifs pour marquer les protéines et l’ADN et suivre lesquelles de ces molécules pénètrent dans les bactéries pour y déterminer la fabrication de nouveaux bactériophages. C’est le suivi de la radioactivité qui leur permet d’établir que l’ADN domine quant aux molécules qui ont pénétrés dans la bactérie. La réception de ce résultat est donc immédiate et désormais l’ensemble de la communauté admettra que l’ADN est le support de l’hérédité. A ce point du cours nous proposons deux remarques transversales : sur les organismes utilisés et sur les virus. Le « bon » matériel biologique Nous souhaitons souligner ici que les différentes étapes de l’histoire de la génétique et de la biologie moléculaire se sont souvent appuyées sur des organismes différents présentant des caractéristiques facilitant les différentes approches expérimentales. a) Mendel a réalisé ses expériences sur le petit pois. Avantages : Autoreproduction, donc pas de croisements naturels non maîtrisés. Cette plante possède de nombreux caractères différentiels héréditaires facilement observables. b) Morgan utilise la drosophile. Avantages : Elevage commode et peu couteux. Cycle de reproduction rapide. Certains de ses caractères héréditaires sont facilement observables à la loupe binoculaire. La drosophile est restée un objet d’étude et un outil crucial pendant tout le XXe siècle pour les recherches en génétique. c) Les bactéries et notamment Escherichia coli. 3 Cette bactérie est extrêmement banale (elle est notamment commensale de notre tube digestif et indispensable à notre digestion). E. coli sera un matériel de choix pour la biologie moléculaire, tant pendant la période de développement de ses concepts entre les années 1940 et le milieu des années 1960, que pendant les années les années 1970, période de mise au point des méthodes de l’ADN recombinant (du génie génétique). Cette bactérie est toujours un matériel de choix pour le génie génétique. d) Les bactériophages. Ces virus furent très utilisés durant la période de développement des concepts de la biologie moléculaire. Ils étaient appréciés pour leur simplicité structurale, une molécule d’ADN dans une capside protéique, qui faisaient d’eux un matériel idéal pour étudier les propriétés autoréplicatives du vivant. Un groupe international informel de chercheurs utilisant ce matériel se constitua au milieu du siècle, entre 1940 et 1960. Ce fut le groupe dit du phage. Les échanges, autour de Max Delbruck, y furent particulièrement fructueux. Les virus et les concepts Il existe en biologie un débat récurrent quant à la nature vivante ou non des virus. Ce débat est évidemment dépendant d’un autre débat extrêmement important, celui de la définition de la vie. Il existe aujourd’hui plusieurs propositions. A ce propos on peut lire : Bersini Hugues et Reisse Jacques (Dirs), Comment définir la vie ?, Les réponses de l’intelligence artificielle et de la philosophie des sciences, Paris, Vuibert, 2007. Retenons par exemple la définition de Gerald Joyce, formulée en 1992 et utilisée dans les programmes d’exobiologie américains : « La vie est un système chimique autoentretenu, capable de subir une explication darwinienne ». Il reste que la grande majorité des biologistes s’accorde sur le caractère non vivant des virus, tout en affirmant que s’ils ne sont pas vivants, ils font bien partie du monde vivant. J’ai attiré l’attention sur le point de vue de Patrick Forterre1, actuel directeur du département de microbiologie de l’Institut Pasteur de Paris. Il affirme que les virus 1 http://www.pasteur.fr/ip/easysite/go/03b-‐00002i-‐01l/recherche/departements-‐ scientifiques/microbiologie/unites-‐et-‐groupes/unite-‐de-‐biologie-‐moleculaire-‐du-‐gene-‐chez-‐les-‐extremophiles/les-‐ membres-‐de-‐l-‐equipe/patrick-‐forterre 4 son vivants. En effet, pour lui le virus n’est pas la petite entité utramicroscopique considérée indépendamment, mais l’entité d’échelle cellulaire, précisément constituée par l’espace et la matière de la cellule, lorsque celle-ci est mobilisée par le virus et qu’il en détourne le fonctionnement. Cette remarque sur ce débat autour des virus nous rappelle l’importance des concepts. Tout ce débat porte en effet sur le choix des outils intellectuels permettant de penser l’état (vivant ou non) de ces objets du monde… vivant. Différents choix parmi ces outils peuvent conduire à autant de positions cohérentes sur lesquelles se fondent le débat. La structure de l’ADN La structure de l’ADN est un problème que l’on ne peut pas dissocier de celui de la structure des protéines. Au milieu du XXe siècle, on étudie la structure de ces grosses molécules caractéristiques du vivant que sont les protéines et les acides nucléiques. L’ADN est devenu à la fin des années 40 et au début des années 50, plus particulièrement en 1952 avec l’expérience d’Alfred Hershey (1908-1997) et Martha Chase (1927-2003), le support de l’hérédité et il est étudié activement quant à sa structure par plusieurs approches : • une approche analytique qui date de plusieurs décennies. Au début des années 50 on sait qu’on trouve dans l’ADN du désoxyribose, du phosphate et 4 bases azotées : l'adénine, la guanine, la thymine et la cytosine. Mais l’ADN est une molécule complexe, très volumineuse, très longue et il est difficile de mettre au jour sa structure. L’approche analytique permet de connaître les composants de cette macromolécule. Reste à saisir comment les molécules qui constituent l’acide désoxyribonucléique, c’est à dire ces quatre bases, le désoxyribose et le phosphate sont organisées les unes par rapport aux autres et comprendre l’organisation spatiale de l’ensemble. • la diffraction des rayons X – méthode d’analyse de la structure des molécules qui se développe depuis la fin des années 20 et dans les années 30-40, notamment en Angleterre et en Allemagne. Elle consiste a explorer la structure d’une molécule, en la cristallisant, en la bombardant de rayons X et en récupérant les rayons X sur un écran. L’écran en question porte des nuages d’impact dont la densité et la 5 disposition dépendent de la position des atomes rencontrés par les rayons X au passage. Cette méthode est utilisée dans les années 40 pour étudier les protéines (polymères d’acides animés, des molécules qui peuvent être volumineuses et avoir des formes complexes). L’ADN a attiré l’attention des spécialistes de la diffraction des rayons X parce que l’on voyait de plus en plus l’intérêt biologique de cette molécule. On peut dire que c’est la principale piste, ou tout au moins la plus prometteuse, pour saisir la forme de l’ADN. Elle a permis de penser à une hélice, l’idée la plus répandue à l’époque (1952-1953) étant celle d’une triple hélice. Rosalind Franklin (1920-1958) est une grande spécialiste de la question, à Londres. C’est le cas également de Maurice Wilkins (1916-2004), à Cambridge. Quant à l’approche analytique, Erwin Chargaff (1905-2002) apporte une information intéressante : il y a dans une molécule d’ADN quelconque toujours la même quantité d’adénine (A) que de thymine (T) ou de guanine (G) que de cytosine (C). On peut se dire que cela signifie qu’il y a une corrélation entre la présence de ces molécules, considérées deux par deux. Mais, une fois ceci supposé, encore faut-il établir cette relation. L’histoire de la découverte de la structure de l’ADN est célèbre. Elle a été réalisée par James Watson (1928 -) et Francis Crick (1916-2004) qui obtiendront le prix Nobel pour cela, avec Maurice Wilkins, spécialiste de la diffraction des rayons X et directeur du laboratoire dans lequel ils travaillaient. C’est une histoire qui a été longuement commentée par les historiens des sciences et raconté par les acteurs eux-mêmes. Watson et Crick ont chacun raconté cela dans leur autobiographie. Ces autobiographies n’échappent pas à un certain égocentrisme et une certaine autosatisfaction, mais ce sont deux personnalités fortes qui se respectent réciproquement. Des recherches sont effectuées à Londres sur la diffraction des rayons X, sur les protéines et sur l’ADN. Même chose à Cambridge où est directeur M Wilkins. F. Crick travaille à Cambridge. Il est spécialiste de la diffraction des rayons X. Il est britannique, tandis Watson est américain. Cecui-ci vient de passer sa thèse et est en 6 tournée post-doctorale en Europe où il fait une succession de stages. Il séjourne notamment à la station zoologique de Naples en Italie. Les stations de biologie marine Au XIXe siècle, on a développé dans différents pays des stations en bord de mer dans lesquelles venaient travailler pour des durées plus ou moins longues des biologistes. Ils louaient des installations pour une certaine période et profitaient du matériel biologique frais, c’est à dire des organismes vivants péchés le matin même par des pêcheurs. C’est dans ce genre de contexte que l’on a pu travailler sur l’embryologie (sur les oursins par exemple) ou en immunologie. Ce sont des lieux d’observation, mais aussi des lieux d’expérimentation. Il est important de rendre à la biologie une partie de sa complexité. A la fin du XIXe siècle on voit se construire les biologies et la biologie. Certes, l’approche naturaliste existait, la physiologie existait. A l’époque où les stations de biologie marine se développent sur le littoral français, en Italie, en Angleterre, en Espagne, aux Etats-Unis, les biologistes vont dans ces stations pour travailler sur des organismes entiers. Ils font un travail naturaliste d’observation et de description, mais ils utilisent aussi ces organismes comme matériel biologique pour étudier la physiologie, les fonctions, la reproduction, le développement, l’embryologie, etc. L’historiographie émet parfois des jugements négatifs sur les aspects naturalistes de la biologie du XIXe siècle. Il est vrai que les pans purement descriptifs et systématiques (c’est à dire consacrés à décrire et à nommer des êtres vivants) sont dans une phase de déclin à ce moment là. Mais, il se trouve que cette activité existe toujours, associée à une autre analyse du vivant. C’est là que l’on peut parler de biologie animale, de biologie végétale : quand on s’attache à le décrire, à le nommer, à le situer dans la classification, mais que l’on étudie aussi ses fonctions, sa physiologie etc. Il y a donc une approche complète des organismes qui inclut cette approche naturaliste. Les stations biologiques ont été importantes à la fin du XIX et ont continué, pour certaines, de fonctionner pendant le XXe siècle. Il en existe encore, comme celles de Roscoff ou Banyuls qui sont liées à des Universités. 7 Au XXe siècle, la station zoologique de Naples est devenue plutôt un centre de congrès et de rencontres scientifiques extrêmement important. C’est pour cette raison que Watson s’y trouve en 1953. Il y entend une conférence de Wilkins sur les travaux portant sur la structure de l’ADN. Watson est convaincu que la diffraction des rayons X est le moyen de comprendre la structure de l’ADN et il se fait accepter en stage dans un laboratoire de Cambridge où il rencontre Crick, ce jeune britannique avec lequel il sympathise et commence à échanger sur la question de la structure de l’ADN. Crick et Watson sont plutôt en arrière plan par rapport à des chercheurs qui sont des fers de lance de cette question, comme Franklin ou Wilkins. Mais ils se documentent, réfléchissent et échangent sur ces questions. Ces aspects sont décrits dans le livre de Watson, La double hélice où on voit la vie à Cambridge, dans cette ville qui, comme Oxford est une ville-université. Watson et Crick travaillent donc sur cette question, de manière un peu marginale. Leur approche est très large et ils s’attachent à récupérer toutes les données qui peuvent intéresser ce domaine. Ils échangent avec Chargaff qui attire leur attention sur les proportions corrélées des bases qui composent l’ADN : toujours la même quantité d’adénine que de thymine et de guanine que de cytosine. L’idée que ce soit une hélice est une idée autour de laquelle on discute dans le milieu des biochimistes qui travaillent sur l’ADN. A force d’échanger, ils se disent qu’il n’est pas impossible que les bases soient en rapport deux à deux et qu’elles soient au centre de l’hélice, c’est une idée de Watson. Ils commencent alors quelque chose qui semble illusoire et naïf à leur collègue : ils essayent de réaliser un modèle physique de la molécule en question. Ils font tailler des pièces métalliques pour avoir des modèles des six constituants. Ils cherchent l’assemblage de la molécule, en tenant compte de la manière dont les molécules se lient l’une à l’autre. Ce n’est pas une preuve en soi, mais un moyen d’étudier des possibilités. Ils arrivent ainsi à quelque chose de cohérent, c’est à dire l’équivalent d’une échelle : les barreaux sont constitués des bases, deux par deux (chaque demibarreau est une base) et les montants de l’échelle, qui sont constitués alternativement de désoxyribose et du phosphate. C’est le modèle de la double hélice, une architecture en trois dimensions. Ils avaient à disposition un certain nombre de données, comme les proportions de Chargaff, et ils ont posé l’hypothèse que les bases sont au centre de l’hélice. Ils ont analysé les 8 données à leur disposition, dont certaines données issues des travaux de Rosalin Franklin, qui les ont beaucoup inspirés. Le récit du montage de la double hélice dans leur laboratoire et de la façon dont Wilkins fut convaincu sur le champ de sa pertinence se trouve dans l’autobiographie de Watson. Indépendamment de l’anecdote, il est probable que la double hélice fit l’effet d’une évidence. Toutes les connaissances de l’époque y étaient cristallisées, tous les éléments arrivent à leur place. Le schéma de la double hélice paraît dans leur article en 1953. Ce schéma a joué un rôle très important. Les lecteurs préparés à la lecture de l’article, les spécialistes de la question, sont influencés à la lecture de l’article par ce schéma. L’article commence par un bilan, notamment du fait qu’à cette époque on pense à une triple hélice. Le tenant de cette proposition est Linus Pauling (1901-1994) prix Nobel de chimie, grand expert de la structure des molécules et notamment de la liaison peptidique. Ensuite, ils décrivent leur molécule. En très peu de temps, les spécialistes de la question admettent leur résultat publié dans Nature, revue anglaise pluridisciplinaire de premier plan, lue dans tous les laboratoires du monde (comme Science, la revue américaine pluridisciplinaire). Il est remarquable de voir comment cette image de la double hélice est devenue une image absolument emblématique de la biologie et du vivant depuis ces 50 dernières années. Ce que l’on comprend à partir du moment où Watson et Crick ont proposé leur théorie est que l’ordre dans lequel se trouvent les bases sur les barreaux de l’échelle est le support de l’information, la condition des caractères héréditaires. La solution du problème immense de l’hérédité serait là, dans la façon dont sont disposés ces barreaux, constitués simplement par les quatre bases. C’est cela que le public sera amené à comprendre. Le cours de évènements dans l’émergence des concepts de la biologie moléculaire : -‐ la question du rapport entre le support de l’hérédité, c’est à dire le gène, et les enzymes, c’est à dire le caractère ; -‐ Identification de l’ADN comme le support de l’hérédité ; -‐ la structure de l’ADN, en 1953 ; -‐ la compréhension de la synthèse des protéines, c’est à dire comment, à partir de l’ADN on arrive à fabriquer des protéines. 9 Dans cette suite de découvertes, celle que l’on retient, celle qui amène à des évènements médiatiques, des commémorations, des films, c’est la découverte de la double hélice. Le moment où l’on a « vu » l’ADN est un moment qui a attiré l’attention plus que les autres moments. Il y a quelque chose de l’ordre de la matérialisation de l’objet pour le public, même si personne n’a jamais vu directement la structure de l’ADN. Mais tout le monde peut se le représenter et tout le monde a l’impression d’avoir vu un jour de l’ADN. La question de la semi-conservativité de l’ADN. Dès 1953, Watson et Crick écrivent sur l’importance théorique de cette structure en double-hélice pour la compréhension de la semi-conservativité. Une conséquence importante de cette disposition structurale des bases est l’ouverture possible de cette molécule et la reconstitution par complémentarité de deux molécules identiques à la première. Si l’on coupe la molécule de l’ADN en deux, on emporte de chaque côté un demibarreau de l’échelle, donc une des deux bases et donc avec chaque demi-molécule on peut reconstituer facilement une molécule complète. A partir de ce principe de la semi-conservativité, l’on comprend comment lors de toutes les divisions cellulaires, la structure des molécules d’ADN de la cellule initiale est transmise aux cellules issues de la division. La semi-conservativité n’est toutefois pas prouvée en 1958. C’est l’expérience de Matthew Meselson (1930-) et Franklin Stahl (1929-) qui a mis en évidence la semi-conservativité. Ils sont partis de l’ADN, dit ADN lourd, des bactéries cultivées sur un milieu qui contenait un isotope, l’azote 15. Les bases azotées de ces bactéries contenaient de l’azote lourd. On les fait se diviser sur un milieu contenant de l’azote 14, leur ADN sera nommé ADN hybride. On peut comprendre rétrospectivement, quand on analyse le résultat, que cet ADN s’est répliqué et que la réplication a consisté en la séparation des deux brins de l’ADN lourd, mais la complémentarité s’est faite cette fois à partir des molécules dans lesquelles était intégré de l’azote sans isotope (léger). Ces molécules d’ADN sont porteuses d’un brin lourd et d’un brin léger. Et la preuve ultime est obtenue par la génération suivante des bactéries, qui sont toujours cultivées sur un milieu léger contenant de l’azote 14, un lot de bactéries contenant de l’ADN hybride et l’autre moitié contenant de l’ADN léger, parce que persiste, pour la moitié des bactéries, le 10 brin contenant de l’ADN lourd. C’est une belle expérience, avec de l’utilisation, encore une fois, des isotopes radioactifs. Le code génétique et la synthèse des protéines Au milieu des années 1950, la grande question est de comprendre comment on passe de cette séquence de base à la protéine. On change de catégorie chimique, ce ne sont pas les mêmes molécules. Il y a là une idée importante : sur le plan de l’information, d’une séquence de base, à une séquence d’acides aminés. Les protéines sont des enchainements de petites molécules que l‘on appelle des acides aminés. Il y a 20 acides aminés différents qui sont mobilisés pour fabriquer les protéines. Cette chaine d‘acides aminés se replie, prend une forme particulière qui dépend des contraintes entre les molécules et des liaisons chimiques. Cette forme est extrêmement importante puisque les protéines ont des fonctions dans la cellule qui peuvent être variées, qui peuvent être des fonctions catalytiques dans la cellule, auquel cas il faut qu’il y ait des espaces dans la protéine très précisément configurés pour que les molécules avec lesquelles la protéine doit réagir puissent interagir avec elle et que l’effet catalytique ait lieu. Et, si ce sont des protéines structurales qui interviennent dans la structure de la cellule qui vont constituer, par exemple une partie de la membrane, elles auront également des formes particulières. Il est donc extrêmement difficile de repérer quelles sont les étapes biochimiques entre cette information qui est contenue dans le noyau, dans le chromosome (puisque l’ADN constitue lui-même le chromosome) et des réactions chimiques qui ont lieu à l’extérieur du noyau, dans le cytoplasme de la cellule, et qui vont permettre la synthèse des protéines, c’est à dire l’accrochage des acides aminés les uns aux autres. La première question se pose en termes d’information (Information : dans les années 1950, on peut utiliser le terme d’information, car la théorie de l’information est explorée et utilisable. Le concept n’existait pas avant cette époque et il ne faut pas l’utiliser par crainte d’anachronisme.) Comment établir la correspondance entre les 4 bases et les 20 acides aminés ? Les 4 bases peuvent être dans n’importe quel ordre dans l’ADN, mais cet ordre détermine ensuite l’ordre dans lequel se trouvent les acides aminés. La solution que choisissent Crick et Leslie Orgel (1927-2007) en 1956 est celle des triplets de bases, 11 sans décalage et sans superpositions. Il en découle 64 possibilités, ce qui veut dire qu’il peut y avoir plusieurs triplets différents correspondant aux mêmes acides aminés. Le code génétique est donc légèrement surnuléraire. Entre un système à 4 bases et un système à 3 bases, Crick et Orgel supposent que c’est le système le plus « économique » qui a été sélectionné au cours de l’évolution (selon le principe de parcimonie : le processus qui comprend le moins d’étapes évolutives est le plus probablement celui qui a eu lieu). En 1958, Francis Crick formule ce qu’il appelle « le dogme central de la biologie moléculaire ». Dans la cellule, l’information circule toujours de l’ADN vers les protéines. Problème : l’ADN est dans le noyau et les protéines dans le cytoplasme, il faut donc un intermédiaire. C’est l’ARN. Le rôle de l’ARN On connaît à l’époque l’existence de l’ARN dans les ribosomes (dont on ne connaît pas le rôle dans la cellule), mais l’ARN qui sert d’intermédiaire entre l’ADN et les protéines n’est pas encore décrit. Ce sera le travail de plusieurs équipes, notamment des français, d’arriver à repérer le rôle de cet ARN messager. François Jacob qui travaille sur cette question à l’Institut Pasteur jouera dans cette découverte un rôle primordial. Dans son autobiographie, La statue intérieure - à lire absolument – il revient sur différentes périodes de sa vie, dont l’arrivée dans le laboratoire de Lwoff à l’Institut Pasteur où il rencontre Jacques Monod. Ce dernier est très avancé dans les travaux de génétique moléculaire. Dans son livre, François Jacob raconte la vie de cette équipe, qui aura le prix Nobel en 1965 (Jacob, Lwoff, Monod). Elle est le pricipal lieu de développement de de la biologie moléculaire en France. A l’époque, la génétique mendélo-morganienne est enseignée à la Sorbonne et à l’Université, mais la recherche en génétique moléculaire se fait à l’Institut Pasteur et, un peu plus tardivement, sur le campus du CNRS à Orsay. L’équipe de l’Institut Pasteur est en lien avec le réseau international qui travaille sur la compréhension des mécanismes héréditaires à l’échelle des molécules, d’une part, et sur des questions de biochimie qui peuvent être liés aux enzymes par exemple. Jacques Monod a fait des études de biologie. Son parcours est interrompu par la guerre. Il s’engage dans la résistance, adhère au parti communiste et prend des 12 responsabilités dans la résistance. Après la guerre, il est professeur à la Sorbonne et travaille à l’Institut Pasteur, dans l’équipe de Wolf. La biologie soviétique La biologie soviétique, pendant toute cette période, pratiquement jusque dans les années 1970, est une science sans biologie moléculaire. La biologie soviétique (qui prône l’hérédité des caractères acquis, l’influence du milieu, nie l’intérêt de la génétique méndélo-morganienne, nie l’intérêt de comprendre un support de l’hérédité) devient un instrument idéologique conduisant à interdire tout ce qui fonde la biologie moléculaire. Cela a déterminé un retard important dans la science soviétique. En termes d’histoire des sciences il y a quelques précautions importantes à prendre. La première remarque est celle du rapport entre lyssenkisme et néo-lamarckisme. Certains historiens des sciences considèrent Lyssenko comme un continuateur du néo-lamarckisme français. Cette vision des choses est fausse. Il y a un courant néolamarckien en URSS dans les années 1920. Il y a des influences réciproques entre le néo-lamarckisme français et le néo-lamarckisme soviétique de cette époque, notamment Mitchourine (1855-1935). Lyssenko a peut-être repris des thèses de Mitchourine et cité Lamarck, mais il transforme toute sa pratique en instrument politique et uniquement politique. Il n’y a plus de science. Il faut faire attention à la limite entre néo-lamarckisme et lyssenkisme. La référence à l’hérédité des caractères acquis n’est pas suffisante pour assimiler le lyssenkisme au néolamarckisme. La seconde remarque concerne la manière dont l’histoire des sciences aborde cet épisode. Les historiens russes, qui ont accès aux archives ouvertes depuis la chute du régime soviétique, essayent de montrer que, sous cette chape idéologique, il y aurait eu une science beaucoup plus proche de la science occidentale et de ses courants (néo-lamarckiens, néo-darwiniens, mendélio-morganiens), malgré le joug lyssenkiste. Dans des stations biologiques périphériques, on aurait continué à faire des recherches traditionnelles. C’est sans doute vrai en partie. Là, on se heurte au fait que nos collègues russes sont dans une position de reconstruction de la mémoire et de leur pays. Ils montrent qu’il se passe quelque chose sous la chape du totalitarisme. Mais l’interprétation de cette histoire pose des questions de positionnement. 13 14