PDF 157 ko UEC2 - Cours biologie moléculaire

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PDF 157 ko UEC2 - Cours biologie moléculaire
Histoire de la biologie moléculaire
Les grands concepts de la biologie moléculaire ont été élaborés entre le début des
années 1940 et le milieu des années 1960. Ils constituent une série de solutions aux
problèmes issus du développement de la génétique au début du XXe (Voir les
travaux de Morgan).
I - La relation un gène - une enzyme / Expérience de George Beadle et Edward
Tatum - 1941
En 1903, le français Victor Henri montre que les enzymes sont des protéines. Depuis
le début du siècle, le rôle des enzymes comme catalyseurs biologiques absolument
fondamentaux pour la réalisation de toutes les voies métaboliques est établi. Dans
les années 1920, les travaux de cinétique enzymatique établissent les modalités de
ces catalyses.
Beadle étudie dès les années 1920 la relation entre les gènes et le caractère
héréditaire, réduit à l’enzyme. Cependant les premiers travaux dans ce domaine, sur
la drosophile, les papillons, la couleur des fleurs, se sont heurtés à la complexité des
voies métaboliques et l’établissement d’une relation était extrêmement difficile à
établir.
Beadle a finalement décidé de s’intéresser à un organisme haploïde, Neurospora,
présentant un seul jeu de chromosomes, donc un seul allèle pour un gène donné, ce
qui facilitait grandement toutes les interprétations. Il s’est donc adjoint les services de
Tatum qui était un spécialiste des milieux de cultures de ces organismes. Il s’agit en
effet de « champignons » que l’on peut cultiver dans des boîtes de Pétri sur un milieu
gélosé contenant diverses substances nutritives.
Le protocole mobilise les résultats de Müller sur l’obtention de mutants grâce une
irradiation aux rayons X. Les mutants sélectionnés sont déficients pour la synthèse
de substances (vitamines B1 et B6) qu’il faut donc leur apporter dans leur milieu
nutritif.
En réalisant des croisements et par l’analyse génétique, Beadle et Tatum montrent
que les souches déficientes sont mutantes pour un seul gène. Leur approche permit
d’établir la relation entre le gène et l’enzyme.
1 II - La nature chimique des gènes
En 1928, Fred Griffith découvre le phénomène de la transformation bactérienne. Il
utilisa des souches de pneumocoques :
- R (Rough), sans capsules, non pathogènes.
- S (Smooth), avec capsules, pathogènes.
Il montre que les débris de bactéries virulentes tuées par la chaleur peuvent
transformer en bactéries virulentes des bactéries initialement non pathogènes.
Il s’agit alors de découvrir quelle est la nature chimique de ce facteur transformant.
De longs travaux d’analyse s’engagent et aboutissent en 1944 à la publication des
résultats de O. T. Avery et de ses collaborateurs C. MacLeod et M. Mc Carty.
Ils montrent que le facteur transformant est l’ADN, mais ce résultat s’avère négligé
ou refusé, ce pour plusieurs raisons.
- De nombreux biologistes ont repoussé ce résultat car, comme cela été très répandu
à l’époque, ils estimaient que les gènes étaient protéiques. En effet, comme nous
l’avons dit, la présence de protéines avait été depuis longtemps identifiée dans le
noyau. Ils pensaient donc qu’il était plus économique de considérer que les protéines
étaient à la base de tout le processus héréditaire, du support, c’est à dire le gène,
jusqu’au caractère, c’est à dire l’enzyme.
- D’autres considéraient que les résultats de Avery concernaient uniquement les
bactéries et qu’ils n’étaient pas nécessairement transposables aux autres
organismes.
- Enfin, certains biologistes contestèrent la conclusion de Avery au prétexte que la
fraction de matériel transformant analysée par Avery comportait une petite proportion
de protéines, qui selon eux pouvait être le support de l’hérédité.
La conclusion de Avery et de ses collaborateurs a donc été confrontée à un contexte
intellectuel défavorable ce qui a entrainé une forme de refus.
La situation sera totalement différente lors de la réception des travaux de Alfred D.
Hershey et Martha Chase en 1952. Ces deux auteurs proposent que le support de
l’hérédité était l’ADN et la communauté dont les conceptions avaient évolué admit
très rapidement ce résultat.
Soulignons qu’il faut parler des expériences de Hershey et Chase et non de
l’expérience de comme c’est souvent le cas dans l’historiographie. Il ne faut pas
2 donc tenir compte du fait que ces expériences sont souvent présentées sur le même
schéma (comme sur la diapo !).
Il s’agit d’une série d’expériences très élégante, remarquable à plusieurs titres
concernant l’évolution des méthodes utilisées en biologie moléculaire.
1° Ils utilisent un matériel qui occupera une place très importante dans le
développement de la biologie moléculaire au milieu du siècle : les bactériophages. Il
s’agit d’un virus se reproduisant aux dépens des bactéries.
2° Hershey et Chase utilisent les isotopes radioactifs pour marquer les protéines et
l’ADN et suivre lesquelles de ces molécules pénètrent dans les bactéries pour y
déterminer la fabrication de nouveaux bactériophages. C’est le suivi de la
radioactivité qui leur permet d’établir que l’ADN domine quant aux molécules qui ont
pénétrés dans la bactérie.
La réception de ce résultat est donc immédiate et désormais l’ensemble de la
communauté admettra que l’ADN est le support de l’hérédité.
A ce point du cours nous proposons deux remarques transversales : sur les
organismes utilisés et sur les virus.
Le « bon » matériel biologique
Nous souhaitons souligner ici que les différentes étapes de l’histoire de la génétique
et de la biologie moléculaire se sont souvent appuyées sur des organismes différents
présentant des caractéristiques facilitant les différentes approches expérimentales.
a) Mendel a réalisé ses expériences sur le petit pois.
Avantages : Autoreproduction, donc pas de croisements naturels non maîtrisés.
Cette plante possède de nombreux caractères différentiels héréditaires facilement
observables.
b) Morgan utilise la drosophile.
Avantages : Elevage commode et peu couteux. Cycle de reproduction rapide.
Certains de ses caractères héréditaires sont facilement observables à la loupe
binoculaire.
La drosophile est restée un objet d’étude et un outil crucial pendant tout le XXe siècle
pour les recherches en génétique.
c) Les bactéries et notamment Escherichia coli.
3 Cette bactérie est extrêmement banale (elle est notamment commensale de notre
tube digestif et indispensable à notre digestion). E. coli sera un matériel de choix
pour la biologie moléculaire, tant pendant la période de développement de ses
concepts entre les années 1940 et le milieu des années 1960, que pendant les
années les années 1970, période de mise au point des méthodes de l’ADN
recombinant (du génie génétique). Cette bactérie est toujours un matériel de choix
pour le génie génétique.
d) Les bactériophages.
Ces virus furent très utilisés durant la période de développement des concepts de la
biologie moléculaire. Ils étaient appréciés pour leur simplicité structurale, une
molécule d’ADN dans une capside protéique, qui faisaient d’eux un matériel idéal
pour étudier les propriétés autoréplicatives du vivant.
Un groupe international informel de chercheurs utilisant ce matériel se constitua au
milieu du siècle, entre 1940 et 1960. Ce fut le groupe dit du phage. Les échanges,
autour de Max Delbruck, y furent particulièrement fructueux.
Les virus et les concepts
Il existe en biologie un débat récurrent quant à la nature vivante ou non des virus. Ce
débat est évidemment dépendant d’un autre débat extrêmement important, celui de
la définition de la vie.
Il existe aujourd’hui plusieurs propositions. A ce propos on peut lire : Bersini Hugues
et Reisse Jacques (Dirs), Comment définir la vie ?, Les réponses de l’intelligence
artificielle et de la philosophie des sciences, Paris, Vuibert, 2007.
Retenons par exemple la définition de Gerald Joyce, formulée en 1992 et utilisée
dans les programmes d’exobiologie américains : « La vie est un système chimique
autoentretenu, capable de subir une explication darwinienne ».
Il reste que la grande majorité des biologistes s’accorde sur le caractère non vivant
des virus, tout en affirmant que s’ils ne sont pas vivants, ils font bien partie du monde
vivant.
J’ai attiré l’attention sur le point de vue de Patrick Forterre1, actuel directeur du
département de microbiologie de l’Institut Pasteur de Paris. Il affirme que les virus
1 http://www.pasteur.fr/ip/easysite/go/03b-­‐00002i-­‐01l/recherche/departements-­‐
scientifiques/microbiologie/unites-­‐et-­‐groupes/unite-­‐de-­‐biologie-­‐moleculaire-­‐du-­‐gene-­‐chez-­‐les-­‐extremophiles/les-­‐
membres-­‐de-­‐l-­‐equipe/patrick-­‐forterre 4 son vivants. En effet, pour lui le virus n’est pas la petite entité utramicroscopique
considérée
indépendamment,
mais
l’entité
d’échelle
cellulaire,
précisément
constituée par l’espace et la matière de la cellule, lorsque celle-ci est mobilisée par le
virus et qu’il en détourne le fonctionnement.
Cette remarque sur ce débat autour des virus nous rappelle l’importance des
concepts. Tout ce débat porte en effet sur le choix des outils intellectuels permettant
de penser l’état (vivant ou non) de ces objets du monde… vivant. Différents choix
parmi ces outils peuvent conduire à autant de positions cohérentes sur lesquelles se
fondent le débat.
La structure de l’ADN
La structure de l’ADN est un problème que l’on ne peut pas dissocier de celui de la
structure des protéines. Au milieu du XXe siècle, on étudie la structure de ces
grosses molécules caractéristiques du vivant que sont les protéines et les acides
nucléiques. L’ADN est devenu à la fin des années 40 et au début des années 50,
plus particulièrement en 1952 avec l’expérience d’Alfred Hershey (1908-1997) et
Martha Chase (1927-2003), le support de l’hérédité et il est étudié activement quant
à sa structure par plusieurs approches :
•
une approche analytique qui date de plusieurs décennies. Au début des années
50 on sait qu’on trouve dans l’ADN du désoxyribose, du phosphate et 4 bases
azotées : l'adénine, la guanine, la thymine et la cytosine.
Mais l’ADN est une molécule complexe, très volumineuse, très longue et il est difficile
de mettre au jour sa structure. L’approche analytique permet de connaître les
composants de cette macromolécule. Reste à saisir comment les molécules qui
constituent l’acide désoxyribonucléique, c’est à dire ces quatre bases, le
désoxyribose et le phosphate sont organisées les unes par rapport aux autres et
comprendre l’organisation spatiale de l’ensemble.
• la diffraction des rayons X – méthode d’analyse de la structure des molécules qui
se développe depuis la fin des années 20 et dans les années 30-40, notamment en
Angleterre et en Allemagne. Elle consiste a explorer la structure d’une molécule, en
la cristallisant, en la bombardant de rayons X et en récupérant les rayons X sur un
écran.
L’écran en question porte des nuages d’impact dont la densité et la
5 disposition dépendent de la position des atomes rencontrés par les rayons X au
passage.
Cette méthode est utilisée dans les années 40 pour étudier les protéines (polymères
d’acides animés, des molécules qui peuvent être volumineuses et avoir des formes
complexes). L’ADN a attiré l’attention des spécialistes de la diffraction des rayons X
parce que l’on voyait de plus en plus l’intérêt biologique de cette molécule. On peut
dire que c’est la principale piste, ou tout au moins la plus prometteuse, pour saisir la
forme de l’ADN. Elle a permis de penser à une hélice, l’idée la plus répandue à
l’époque (1952-1953) étant celle d’une triple hélice.
Rosalind Franklin (1920-1958) est une grande spécialiste de la question, à Londres.
C’est le cas également de Maurice Wilkins (1916-2004), à Cambridge.
Quant à l’approche analytique, Erwin Chargaff (1905-2002) apporte une information
intéressante : il y a dans une molécule d’ADN quelconque toujours la même quantité
d’adénine (A) que de thymine (T) ou de guanine (G) que de cytosine (C). On peut se
dire que cela signifie qu’il y a une corrélation entre la présence de ces molécules,
considérées deux par deux. Mais, une fois ceci supposé, encore faut-il établir cette
relation.
L’histoire de la découverte de la structure de l’ADN est célèbre. Elle a été réalisée
par James Watson (1928 -) et Francis Crick (1916-2004) qui obtiendront le prix
Nobel pour cela, avec Maurice Wilkins, spécialiste de la diffraction des rayons X et
directeur du laboratoire dans lequel ils travaillaient. C’est une histoire qui a été
longuement commentée par les historiens des sciences et raconté par les acteurs
eux-mêmes. Watson et Crick ont chacun raconté cela dans leur autobiographie. Ces
autobiographies n’échappent pas à un certain égocentrisme et une certaine
autosatisfaction, mais ce sont deux personnalités fortes qui se respectent
réciproquement.
Des recherches sont effectuées à Londres sur la diffraction des rayons X, sur les
protéines et sur l’ADN. Même chose à Cambridge où est directeur M Wilkins. F. Crick
travaille à Cambridge. Il est spécialiste de la diffraction des rayons X.
Il est
britannique, tandis Watson est américain. Cecui-ci vient de passer sa thèse et est en
6 tournée post-doctorale en Europe où il fait une succession de stages. Il séjourne
notamment à la station zoologique de Naples en Italie.
Les stations de biologie marine
Au XIXe siècle, on a développé dans différents pays des stations en bord de
mer dans lesquelles venaient travailler pour des durées plus ou moins longues
des biologistes. Ils louaient des installations pour une certaine période et
profitaient du matériel biologique frais, c’est à dire des organismes vivants
péchés le matin même par des pêcheurs. C’est dans ce genre de contexte
que l’on a pu travailler sur l’embryologie (sur les oursins par exemple) ou en
immunologie. Ce sont des lieux d’observation, mais aussi des lieux
d’expérimentation.
Il est important de rendre à la biologie une partie de sa complexité. A la fin du
XIXe siècle on voit se construire les biologies et la biologie. Certes, l’approche
naturaliste existait, la physiologie existait. A l’époque où les stations de
biologie marine se développent sur le littoral français, en Italie, en Angleterre,
en Espagne, aux Etats-Unis, les biologistes vont dans ces stations pour
travailler sur des organismes entiers. Ils font un travail naturaliste
d’observation et de description, mais ils utilisent aussi ces organismes comme
matériel biologique pour étudier la physiologie, les fonctions, la reproduction,
le développement, l’embryologie, etc. L’historiographie émet parfois des
jugements négatifs sur les aspects naturalistes de la biologie du XIXe siècle. Il
est vrai que les pans purement descriptifs et systématiques (c’est à dire
consacrés à décrire et à nommer des êtres vivants) sont dans une phase de
déclin à ce moment là. Mais, il se trouve que cette activité existe toujours,
associée à une autre analyse du vivant. C’est là que l’on peut parler de
biologie animale, de biologie végétale : quand on s’attache à le décrire, à le
nommer, à le situer dans la classification, mais que l’on étudie aussi ses
fonctions, sa physiologie etc. Il y a donc une approche complète des
organismes qui inclut cette approche naturaliste.
Les stations biologiques ont été importantes à la fin du XIX et ont continué,
pour certaines, de fonctionner pendant le XXe siècle. Il en existe encore,
comme celles de Roscoff ou Banyuls qui sont liées à des Universités.
7 Au XXe siècle, la station zoologique de Naples est devenue plutôt un centre de
congrès et de rencontres scientifiques extrêmement important. C’est pour cette
raison que Watson s’y trouve en 1953. Il y entend une conférence de Wilkins sur les
travaux portant sur la structure de l’ADN. Watson est convaincu que la diffraction des
rayons X est le moyen de comprendre la structure de l’ADN et il se fait accepter en
stage dans un laboratoire de Cambridge où il rencontre Crick, ce jeune britannique
avec lequel il sympathise et commence à échanger sur la question de la structure de
l’ADN. Crick et Watson sont plutôt en arrière plan par rapport à des chercheurs qui
sont des fers de lance de cette question, comme Franklin ou Wilkins. Mais ils se
documentent, réfléchissent et échangent sur ces questions. Ces aspects sont décrits
dans le livre de Watson, La double hélice où on voit la vie à Cambridge, dans cette
ville qui, comme Oxford est une ville-université.
Watson et Crick travaillent donc sur cette question, de manière un peu marginale.
Leur approche est très large et ils s’attachent à récupérer toutes les données qui
peuvent intéresser ce domaine. Ils échangent avec Chargaff qui attire leur attention
sur les proportions corrélées des bases qui composent l’ADN : toujours la même
quantité d’adénine que de thymine et de guanine que de cytosine. L’idée que ce
soit une hélice est une idée autour de laquelle on discute dans le milieu des
biochimistes qui travaillent sur l’ADN. A force d’échanger, ils se disent qu’il n’est pas
impossible que les bases soient en rapport deux à deux et qu’elles soient au centre
de l’hélice, c’est une idée de Watson.
Ils commencent alors quelque chose qui semble illusoire et naïf à leur collègue : ils
essayent de réaliser un modèle physique de la molécule en question. Ils font tailler
des pièces métalliques pour avoir des modèles des six constituants. Ils cherchent
l’assemblage de la molécule, en tenant compte de la manière dont les molécules se
lient l’une à l’autre. Ce n’est pas une preuve en soi, mais un moyen d’étudier des
possibilités. Ils arrivent ainsi à quelque chose de cohérent, c’est à dire l’équivalent
d’une échelle : les barreaux sont constitués des bases, deux par deux (chaque demibarreau est une base) et les montants de l’échelle, qui sont constitués
alternativement de désoxyribose et du phosphate.
C’est le modèle de la double hélice, une architecture en trois dimensions. Ils avaient
à disposition un certain nombre de données, comme les proportions de Chargaff, et
ils ont posé l’hypothèse que les bases sont au centre de l’hélice. Ils ont analysé les
8 données à leur disposition, dont certaines données issues des travaux de Rosalin
Franklin, qui les ont beaucoup inspirés. Le récit du montage de la double hélice dans
leur laboratoire et de la façon dont Wilkins fut convaincu sur le champ de sa
pertinence se trouve dans l’autobiographie de Watson.
Indépendamment de l’anecdote, il est probable que la double hélice fit l’effet d’une
évidence. Toutes les connaissances de l’époque y étaient cristallisées, tous les
éléments arrivent à leur place.
Le schéma de la double hélice paraît dans leur article en 1953. Ce schéma a joué un
rôle très important. Les lecteurs préparés à la lecture de l’article, les spécialistes de
la question, sont influencés à la lecture de l’article par ce schéma. L’article
commence par un bilan, notamment du fait qu’à cette époque on pense à une triple
hélice. Le tenant de cette proposition est Linus Pauling (1901-1994) prix Nobel de
chimie, grand expert de la structure des molécules et notamment de la liaison
peptidique. Ensuite, ils décrivent leur molécule. En très peu de temps, les
spécialistes de la question admettent leur résultat publié dans Nature, revue anglaise
pluridisciplinaire de premier plan, lue dans tous les laboratoires du monde (comme
Science, la revue américaine pluridisciplinaire).
Il est remarquable de voir comment cette image de la double hélice est devenue une
image absolument emblématique de la biologie et du vivant depuis ces 50 dernières
années.
Ce que l’on comprend à partir du moment où Watson et Crick ont proposé leur
théorie est que l’ordre dans lequel se trouvent les bases sur les barreaux de l’échelle
est le support de l’information, la condition des caractères héréditaires. La solution
du problème immense de l’hérédité serait là, dans la façon dont sont disposés ces
barreaux, constitués simplement par les quatre bases. C’est cela que le public sera
amené à comprendre.
Le cours de évènements dans l’émergence des concepts de la biologie moléculaire :
-­‐
la question du rapport entre le support de l’hérédité, c’est à dire le gène, et les
enzymes, c’est à dire le caractère ;
-­‐
Identification de l’ADN comme le support de l’hérédité ;
-­‐
la structure de l’ADN, en 1953 ;
-­‐
la compréhension de la synthèse des protéines, c’est à dire comment, à partir
de l’ADN on arrive à fabriquer des protéines.
9 Dans cette suite de découvertes, celle que l’on retient, celle qui amène à des
évènements médiatiques, des commémorations, des films, c’est la découverte de la
double hélice. Le moment où l’on a « vu » l’ADN est un moment qui a attiré l’attention
plus que les autres moments. Il y a quelque chose de l’ordre de la matérialisation de
l’objet pour le public, même si personne n’a jamais vu directement la structure de
l’ADN. Mais tout le monde peut se le représenter et tout le monde a l’impression
d’avoir vu un jour de l’ADN.
La question de la semi-conservativité de l’ADN. Dès 1953, Watson et Crick
écrivent sur l’importance théorique de cette structure en double-hélice pour la
compréhension de la semi-conservativité. Une conséquence importante de cette
disposition structurale des bases est l’ouverture possible de cette molécule et la
reconstitution par complémentarité de deux molécules identiques à la première.
Si l’on coupe la molécule de l’ADN en deux, on emporte de chaque côté un demibarreau de l’échelle, donc une des deux bases et donc avec chaque demi-molécule
on peut reconstituer facilement une molécule complète.
A partir de ce principe de la semi-conservativité, l’on comprend comment lors de
toutes les divisions cellulaires, la structure des molécules d’ADN de la cellule initiale
est transmise aux cellules issues de la division. La semi-conservativité n’est toutefois
pas prouvée en 1958.
C’est l’expérience de Matthew Meselson (1930-) et Franklin Stahl (1929-) qui a mis
en évidence la semi-conservativité. Ils sont partis de l’ADN, dit ADN lourd, des
bactéries cultivées sur un milieu qui contenait un isotope, l’azote 15. Les bases
azotées de ces bactéries contenaient de l’azote lourd. On les fait se diviser sur un
milieu contenant de l’azote 14, leur ADN sera nommé ADN hybride. On peut
comprendre rétrospectivement, quand on analyse le résultat, que cet ADN s’est
répliqué et que la réplication a consisté en la séparation des deux brins de l’ADN
lourd, mais la complémentarité s’est faite cette fois à partir des molécules dans
lesquelles était intégré de l’azote sans isotope (léger). Ces molécules d’ADN sont
porteuses d’un brin lourd et d’un brin léger. Et la preuve ultime est obtenue par la
génération suivante des bactéries, qui sont toujours cultivées sur un milieu léger
contenant de l’azote 14, un lot de bactéries contenant de l’ADN hybride et l’autre
moitié contenant de l’ADN léger, parce que persiste, pour la moitié des bactéries, le
10 brin contenant de l’ADN lourd. C’est une belle expérience, avec de l’utilisation,
encore une fois, des isotopes radioactifs.
Le code génétique et la synthèse des protéines
Au milieu des années 1950, la grande question est de comprendre comment on
passe de cette séquence de base à la protéine. On change de catégorie chimique,
ce ne sont pas les mêmes molécules. Il y a là une idée importante : sur le plan de
l’information, d’une séquence de base, à une séquence d’acides aminés.
Les
protéines sont des enchainements de petites molécules que l‘on appelle des acides
aminés. Il y a 20 acides aminés différents qui sont mobilisés pour fabriquer les
protéines. Cette chaine d‘acides aminés se replie, prend une forme particulière qui
dépend des contraintes entre les molécules et des liaisons chimiques. Cette forme
est extrêmement importante puisque les protéines ont des fonctions dans la cellule
qui peuvent être variées, qui peuvent être des fonctions catalytiques dans la cellule,
auquel cas il faut qu’il y ait des espaces dans la protéine très précisément configurés
pour que les molécules avec lesquelles la protéine doit réagir puissent interagir avec
elle et que l’effet catalytique ait lieu. Et, si ce sont des protéines structurales qui
interviennent dans la structure de la cellule qui vont constituer, par exemple une
partie de la membrane, elles auront également des formes particulières. Il est donc
extrêmement difficile de repérer quelles sont les étapes biochimiques entre cette
information qui est contenue dans le noyau, dans le chromosome (puisque l’ADN
constitue lui-même le chromosome) et des réactions chimiques qui ont lieu à
l’extérieur du noyau, dans le cytoplasme de la cellule, et qui vont permettre la
synthèse des protéines, c’est à dire l’accrochage des acides aminés les uns aux
autres.
La première question se pose en termes d’information (Information : dans les années
1950, on peut utiliser le terme d’information, car la théorie de l’information est
explorée et utilisable. Le concept n’existait pas avant cette époque et il ne faut pas
l’utiliser par crainte d’anachronisme.)
Comment établir la correspondance entre les 4 bases et les 20 acides aminés ?
Les 4 bases peuvent être dans n’importe quel ordre dans l’ADN, mais cet ordre
détermine ensuite l’ordre dans lequel se trouvent les acides aminés. La solution que
choisissent Crick et Leslie Orgel (1927-2007) en 1956 est celle des triplets de bases,
11 sans décalage et sans superpositions. Il en découle 64 possibilités, ce qui veut dire
qu’il peut y avoir plusieurs triplets différents correspondant aux mêmes acides
aminés. Le code génétique est donc légèrement surnuléraire.
Entre un système à 4 bases et un système à 3 bases, Crick et Orgel supposent que
c’est le système le plus « économique » qui a été sélectionné au cours de l’évolution
(selon le principe de parcimonie : le processus qui comprend le moins d’étapes
évolutives est le plus probablement celui qui a eu lieu).
En 1958, Francis Crick formule ce qu’il appelle « le dogme central de la biologie
moléculaire ».
Dans la cellule, l’information circule toujours de l’ADN vers les
protéines. Problème : l’ADN est dans le noyau et les protéines dans le cytoplasme, il
faut donc un intermédiaire. C’est l’ARN.
Le rôle de l’ARN
On connaît à l’époque l’existence de l’ARN dans les ribosomes (dont on ne connaît
pas le rôle dans la cellule), mais l’ARN qui sert d’intermédiaire entre l’ADN et les
protéines n’est pas encore décrit. Ce sera le travail de plusieurs équipes, notamment
des français, d’arriver à repérer le rôle de cet ARN messager. François Jacob qui
travaille sur cette question à l’Institut Pasteur jouera dans cette découverte un rôle
primordial.
Dans son autobiographie, La statue intérieure - à lire absolument – il revient sur
différentes périodes de sa vie, dont l’arrivée dans le laboratoire de Lwoff à l’Institut
Pasteur où il rencontre Jacques Monod. Ce dernier est très avancé dans les travaux
de génétique moléculaire. Dans son livre, François Jacob raconte la vie de cette
équipe, qui aura le prix Nobel en 1965 (Jacob, Lwoff, Monod). Elle est le pricipal lieu
de développement de de la biologie moléculaire en France. A l’époque, la génétique
mendélo-morganienne est enseignée à la Sorbonne et à l’Université, mais la
recherche en génétique moléculaire se fait à l’Institut Pasteur et, un peu plus
tardivement, sur le campus du CNRS à Orsay. L’équipe de l’Institut Pasteur est en
lien avec le réseau international qui travaille sur la compréhension des mécanismes
héréditaires à l’échelle des molécules, d’une part, et sur des questions de biochimie
qui peuvent être liés aux enzymes par exemple.
Jacques Monod a fait des études de biologie. Son parcours est interrompu par la
guerre. Il s’engage dans la résistance, adhère au parti communiste et prend des
12 responsabilités dans la résistance. Après la guerre, il est professeur à la Sorbonne
et travaille à l’Institut Pasteur, dans l’équipe de Wolf.
La biologie soviétique
La biologie soviétique, pendant toute cette période, pratiquement jusque dans les
années 1970, est une science sans biologie moléculaire.
La biologie soviétique (qui prône l’hérédité des caractères acquis, l’influence du
milieu, nie l’intérêt de la génétique méndélo-morganienne, nie l’intérêt de
comprendre un support de l’hérédité) devient un instrument idéologique conduisant à
interdire tout ce qui fonde la biologie moléculaire. Cela a déterminé un retard
important dans la science soviétique.
En termes d’histoire des sciences il y a quelques précautions importantes à prendre.
La première remarque est celle du rapport entre lyssenkisme et néo-lamarckisme.
Certains historiens des sciences considèrent Lyssenko comme un continuateur du
néo-lamarckisme français. Cette vision des choses est fausse. Il y a un courant néolamarckien en URSS dans les années 1920. Il y a des influences réciproques entre
le néo-lamarckisme français et le néo-lamarckisme soviétique de cette époque,
notamment Mitchourine (1855-1935). Lyssenko a peut-être repris des thèses de
Mitchourine et cité Lamarck, mais il transforme toute sa pratique en instrument
politique et uniquement politique. Il n’y a plus de science. Il faut faire attention à la
limite entre néo-lamarckisme et lyssenkisme. La référence à l’hérédité des
caractères acquis n’est pas suffisante pour assimiler le lyssenkisme au néolamarckisme.
La seconde remarque concerne la manière dont l’histoire des sciences aborde cet
épisode. Les historiens russes, qui ont accès aux archives ouvertes depuis la chute
du régime soviétique, essayent de montrer que, sous cette chape idéologique, il y
aurait eu une science beaucoup plus proche de la science occidentale et de ses
courants (néo-lamarckiens, néo-darwiniens, mendélio-morganiens), malgré le joug
lyssenkiste. Dans des stations biologiques périphériques, on aurait continué à faire
des recherches traditionnelles. C’est sans doute vrai en partie. Là, on se heurte au
fait que nos collègues russes sont dans une position de reconstruction de la mémoire
et de leur pays. Ils montrent qu’il se passe quelque chose sous la chape du
totalitarisme. Mais l’interprétation de cette histoire pose des questions de
positionnement.
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