Une France

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Une France
dossier
L’état de la France
Une France
où il fait encore bon vivre
Par Romina Boarini
Head of the Section Measuring Progress
Statistics Directorate
OCDE
Comment vont les
Français en 2013 ? Sontils satisfaits de leur vie ?
Quelles sont les choses qui
comptent le plus pour eux ?
Le travail ? La santé ? Le
lien social ? En quelques
mots, de quoi est fait leur
bien-être aujourd’hui et de
quoi sera-t-il fait demain?
Ces questions font partie
de celles auxquelles
s’intéresse l’Initiative
Vivre mieux de l’OCDE,
lancée en mai 2011 pour
répondre aux nouveaux
besoins d’information des
citoyens et pour alimenter
le débat démocratique
sur ce qui constitue
une vie « meilleure ».
Cette Initiative fournit un
portrait approfondi du
bien-être des citoyens
dans les 34 pays de
l’OCDE en s’appuyant
sur un corpus important
de travaux statistiques
menés dans plusieurs
pays du monde et dont la
France a été notamment
la promotrice lors de la
création de la Commission
Stiglitz-Sen-Fitoussi.
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L
a définition que l’OCDE donne du bienêtre se fonde sur onze critères : le revenu,
l’emploi, le logement, la santé, l’équilibre
entre vie privée et vie professionnelle,
l’éducation, les liens sociaux, l’engagement
civique et la gouvernance, l’environnement,
la sécurité personnelle et le bien-être
subjectif. Ces critères ont été retenus
après de nombreux débats d’experts
et consultations citoyennes sur ce que
signifie une vie meilleure et comment les
politiques publiques pourraient y contribuer.
L’approche de l’OCDE met également
l’accent sur l’importance de ne pas se
focaliser sur la moyenne lorsqu’on regarde
les conditions de vie des ménages, pour
s’intéresser aux différents groupes de la
population, comme les jeunes et les seniors,
les hommes et les femmes, les ménages
à haut revenus et ceux à bas revenus, etc.
Enfin, l’OCDE analyse le bien-être d’un pays
non seulement en fonction de la qualité
de vie courante mais aussi en fonction de
sa capacité à préserver cette qualité de
vie de manière durable dans le temps. En
particulier, il s’agit de mesurer les « actifs »
et « capitaux » qui seront essentiels pour
engendrer le bien-être demain : les capitaux
économiques et naturels mais également
le capital social (par exemple les normes
sociales, la qualité des institutions, etc.) et
humain (les savoir-faire, les connaissances,
etc).
Selon les critères de bien-être courant,
la France se classe dans une position
intermédiaire parmi les pays de l’OCDE
(voir graphique). Elle figure parmi les pays
les mieux lotis en ce qui concerne les
conditions matérielles de vie : la France
est un pays riche avec un revenu moyen
des ménages et un patrimoine financier
net moyen supérieurs à la moyenne des
pays de l’OCDE. Dans le logement, la
France se classe dans le peloton de tête de
l’OCDE. D’ailleurs, 91 % de la population
française se dit satisfaite de son logement,
contre 87 % en moyenne dans la zone
OCDE. La France fait également bonne
figure en matière d’équilibre vie privée/
vie professionnelle et en matière de liens
sociaux ; par exemple 93 % de la population
déclare pouvoir compter sur quelqu’un de
son entourage en cas de besoin.
Une autre dimension dans laquelle la France
est bien classée par rapport aux pays de
l’OCDE est la santé : en France on vit deux
années de plus que dans la zone OCDE et
deux Français sur trois sont relativement
satisfaits de leur état de santé. Enfin, la
qualité de l’environnent en France est plutôt
bonne : la pollution atmosphérique est bien
inférieure à celle enregistrée en moyenne
dans les pays OCDE, et quatre individus
sur cinq se disent satisfaits de la qualité
de l’eau.
L’Indice du Vivre mieux
Un des points faibles de la France est
l’emploi (avec un taux d’emploi de 64 %
vs 65 % dans la moyenne OCDE, et un
chômage de longue durée de 4% comparé à
2,8 % dans la moyenne OCDE), l’éducation
et l’engagement civique. L’augmentation
continue du taux de chômage en France
depuis le début de la crise économique
et financière a une incidence sur le bienêtre matériel de la population mais peut
également affecter d’autres dimensions. Ne
pas avoir d’emploi peut nuire au sentiment
d’estime de soi et conduire à une baisse de
l’appréciation de sa qualité de vie. Cela peut
contribuer à expliquer pourquoi les Français
ont un niveau de satisfaction à l’égard de
l’existence qui n’est pas plus élevé que celui
de la zone OCDE. L’éducation est un autre
domaine où les Français n’excellent pas :
seulement 71 % de la population adulte est
diplômée du deuxième cycle du secondaire,
soit moins que la moyenne de l’OCDE
(74 %). De plus, les résultats scolaires à
15 ans, mesurés par le test international
Pisa, sont relativement modestes, se
situant quelques points en dessous de
la moyenne OCDE. Enfin, bien que les
dossier
Français soient relativement actifs dans la
vie politique, comme en témoigne un taux
de participation aux élections bien supérieur
à celui de la zone OCDE, les expressions
de démocratie délibérative restent rares.
Mesurer le bien-être des citoyens signifie
également s’intéresser à leurs aspirations.
C’est pour cela que l’OCDE a également
créé un instrument interactif, l’Indice du
Vivre mieux, qui permet aux citoyens de
s’exprimer sur l’importance des onze critères
de bien-être qu’elle utilise. Chaque citoyen
peut définir son indice du Vivre mieux et
obtenir ainsi un classement personnalisé
du bien-être dans les pays de l’OCDE.
Ces indices peuvent être partagés sur les
réseaux sociaux et avec l’OCDE, qui restitue
cette information aux gouvernements et à
tous les utilisateurs de l’indice. Selon les
presque 6000 indices partagés par des
utilisateurs français avec l’OCDE depuis
mai 2011 jusqu›à aujourd’hui, les Français
considèrent que la santé, la satisfaction
à l’égard de la vie et l’éducation sont
les critères les plus importants, tandis
que l’engagement civique est le moins
important. Ces résultats permettent
d’alimenter le débat sur les priorités des
politiques publiques.
■
La France selon les onze critères de bien-être identifiés par l’Initiative Vivre mieux
de l’OCDE
Le graphique montre les scores obtenus par la France sur les onze
critères de bien-être, en comparaison avec la moyenne OCDE.
Source : OECD Better Life Initiative
Le bien-être : une notion clé pour l’économie
Depuis quelques années, l’idée que le Pib, qui mesure la valeur
marchande des biens et produits d’un pays, ne livre qu’une vue
partielle de l’économie, fait son chemin. La crise financière et
économique a renforcé cette perception et a accentué le sentiment
d’inégalités croissantes dans bon nombre de pays de l’OCDE.
C’est pour cela que l’OCDE a travaillé sur les éléments qui
comptent dans la vie des gens afin de définir le bien-être. L’idée
est ainsi d’avoir une vision holistique du progrès économique et
social et du développement humain, une vision qui va au-delà du
Pib, et qui se base sur différentes dimensions constituantes du
bien-être comme le fait d’avoir un bon emploi ou encore l’accès à
un logement abordable. Aujourd’hui, grâce aux efforts de l’OCDE
et d’autres initiatives entreprises au niveau de la communauté
internationale, la mesure du bien-être est devenue une question
essentielle sur le plan politique et figure désormais au premier
rang des priorités nationales et internationales.
La France a joué un rôle moteur dans ce débat sur la mesure du
progrès social, avec des initiatives et des travaux reconnus sur la
scène internationale. La création fin 2008 de la Commission sur
la mesure de la performance économique et du progrès social, à
l’initiative du gouvernement français, a marqué un tournant décisif
dans le débat sur la pertinence des mesures de performance
économique comme mesures du bien-être d’une société. Initiative
majeure au plan international, elle a signé l’implication des
responsables politiques au plus haut niveau dans ce débat et l’a
véritablement propulsé sur la scène publique. Le rapport StiglitzSen-Fitoussi, issu des travaux de cette commission, a aussi connu
un retentissement important.
Ainsi un groupe de travail au niveau européen (« Sponsorship
Group »), copiloté par l’Insee et Eurostat, a été chargé d’établir
des préconisations pour la statistique européenne sur chacune des
parties du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. Dans le même temps, à la
demande du président français et de la chancelière allemande, le
CAE et son homologue allemand ont travaillé à la mise en œuvre
du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, en proposant, construisant et
analysant un ensemble d’indicateurs communs aux deux pays
et répondant aux recommandations formulées.
Aujourd’hui les initiatives internationales et nationales se multiplient
(voir www.wikiprogress.org et www.oecd.org/progress).
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