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- 1 PROLOGUE
LES AVENTURES DE PIERRE LAVIE
1 - EN BORD DE SEINE
Engoncé dans son manteau dont il a relevé le col, un homme longe la Seine en frissonnant. Il a
beau remonter son écharpe et la serrer, elle finit toujours par se relâcher, glisser et découvrir son
cou. Il tremble de nouveau en grommelant et resserre les deux pans de son manteau. Une fille passe
en courant. Elle ne l’a pas vu et le heurte du coude. Un vague « pardon » sans s’arrêter. Dans cette
nuit d’hiver où le froid glacial doublé d’humidité rend les rues de Paris sombres et tristes, l’homme
ne la distingue déjà plus. Agacé, il hausse les épaules et soupire.
Un ciel sans lune et sans étoiles, des réverbères enfermés dans un semblant de brume. Et
toujours ce vide dans sa tête et cette impression qu’il va perdre l’équilibre. Il tend le bras sur le côté
sans rien trouver pour s’appuyer. Parvenu à la hauteur de Notre-Dame à moitié dissimulée par le
brouillard qui s’épaissit, il aperçoit sur sa gauche la vitrine d’une des rares brasseries des quais
encore ouvertes. Il traverse, s’approche et pousse la porte. Peu de monde. Devant le bar, deux
hommes se retournent, le regardent, l’un semblant le reconnaître, puis reprennent leur
conversation.
- Bonsoir. Il n’est pas trop tard ?
- Non, non, assure le patron occupé à ranger des verres derrière le bar.
L’homme regarde autour de lui et se dirige vers l’extrémité de la salle, là où l’éclairage est le
moins fort.
- Qu’est-ce que vous prendrez, Monsieur ? demande le garçon tout en essuyant la table avec un
chiffon.
L’homme hésite. « Je peux avoir un grog ? »
- Bien sûr.
- Très chaud s’il vous plaît.
- Bien sûr. Je vous sers ça tout de suite.
Pendant que le garçon s’éloigne en chantonnant, l’homme éternue, sort un mouchoir de sa poche
et se mouche longuement. Pour un peu il regretterait de n’être pas resté chez lui ce soir. La brume, le
froid, sa gorge en feu, autant de raisons qui auraient dû le pousser à choisir un de ses innombrables
albums de photos et à s’installer dans le canapé proche de la fenêtre. Il aurait allumé la lampe verte
et se serait perdu, un album à la main, dans le souvenir de ces régions du monde où il aimait se
rendre, seul ou accompagné de jeunes fous qui, comme lui, faisaient face à tous les dangers afin de
voir, de sentir, de tâter avec leurs mains ces terres d’ailleurs, ces collines de sable, ces rivières où
pousse le manioc, ces plages où viennent mourir les sardines lorsque les requins les poursuivent le
long des côtes, ces restes de lave encore brûlante que lui-même ramassait aux sommets des volcans.
- 2 LES AVENTURES DE PIERRE LAVIE
PROLOGUE
Oui, il aurait pu rester chez lui afin de voir à nouveau ces paysages qu’il avait pour certains
parcourus avec… Il ferma les yeux et sentit son corps frissonner de nouveau. Etait-ce elle qui avait
écrit cette lettre reçue voici des mois et qu’il ne quittait plus, qu’il avait même scannée afin de
conserver l’original dans son bureau et d’en garder une copie avec lui pour relire cette phrase, cette
phrase si courte qui cependant l’avait comme plongé dans un autre monde.
Madeleine, est-ce toi qui as, d’une main maladroite, écrit ce « Te souviens-tu ?.. »
L’homme fouille dans la poche de son manteau et sort une feuille qu’il déplie. « Pierre, te
souviens-tu ? »
Sous l’emprise de la fragilité qui le saisit chaque fois qu’il regarde ces quelques mots, il baisse les
paupières et pousse un soupir.
- Monsieur, Monsieur ? Ça va ?
L’homme lève la tête et voit le serveur, l’air inquiet, qui le regarde.
- Euh, oui… merci.
– Voilà votre grog, Monsieur. Attention, c’est très chaud.
– Merci… merci bien !
Tandis que le garçon s’éloigne, son plateau à la main, pour servir une autre table, l’homme porte
son verre à ses lèvres. Après avoir avalé une gorgée du grog - brûlant en effet, le serveur avait raison
- il se détend, cherche une position sur la banquette en molesquine essoufflée par les années et le
poids des innombrables corps qui s’y sont posés, et sent ses yeux se fermer peu à peu. Il tente de
lutter. Combat inégal, le sommeil, pourtant si souvent absent, vient à bout de sa résistance.
« Pierre, tu te souviens ? »
. . . A suivre . . .
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