Voyages et aventures d`un jeune marin
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Voyages et aventures d`un jeune marin
P. Hennequin Voyages et aventures d’un jeune marin La Découvrance éditions 2008 VOYAGES ET AVENTURES D’UN JEUNE MARIN. — chapitre premier Le Départ. J’avais à peine 15 ans et je continuais encore mes études lorsque mon père, chargé d’une mission dans les Indes Occidentales, et qui n’avait d’autre fortune que sa place, vint à mourir de la fièvre jaune. C’était pour nous une perte irréparable de toutes les manières, car ma mère ne pouvait soutenir, avec son travail, un jeune homme ne sachant rien faire encore, et ma sœur, quoique déjà capable de travailler, était d’une santé si faible que c’eût été tuer la pauvre enfant que de la laisser se livrer à un travail trop assidu. Pendant six mois, cependant, nous ignorâmes notre malheur, et ce retard, qui ne pouvait rien changer à notre position, l’aggravait d’autant plus que nos habitudes dispendieuses, habitudes qu’exigeait la position honorable de notre père, épuisèrent bientôt des ressources qu’une stricte économie eût longtemps prolongées ; mais ce ne furent pas là toutefois les réflexions qui nous occupèrent en apprenant la nouvelle fatale. Ma mère, qui aimait beaucoup son mari, fut frappée d’une affliction profonde ; nous partageâmes sincèrement son chagrin, et notre maison, naguère si heureuse, où régnaient le contentement et la joie, fut métamorphosée tout à coup en un lieu de deuil et de larmes. Il était si bon notre père ; mille traits de l’excellence de son cœur et que nous remarquions à peine de son vivant, parce qu’il aurait fallu remarquer toutes ses actions, nous revenaient alors à la mémoire. C’était, à chacun de ses voyages, une foule d’objets —8— qu’il avait achetés pour nous surprendre d’une manière agréable ; quelques jolies bagatelles pour ma jeune sœur ; des livres, des dessins pour moi et des étoffes pour ma mère. Mais l’espoir de toute l’année, de tous les jours, de tous les instants, l’espoir de son retour, en un mot, était à jamais détruit, et le bonheur que nous avions rêvé pour le temps où il serait revenu se fixer parmi nous, s’était évanoui comme un songe. Cependant, il fallait prendre un parti ; une sœur de mon père arracha en quelque sorte de force ma mère à sa douleur, nous emmena chez elle, et moi voyant que ces deux êtres que j’aimais avaient un asile tranquille et sûr, je me décidai à me faire marin. Un vieil oncle ayant servi longtemps dans la marine avait promis à ma mère de se charger de moi dès que l’âge me permettrait d’embrasser sa carrière ; j’allai le trouver, et le bon vieillard, qui avait obtenu un grade assez élevé, récompense de ses longs services, parut enchanté de ma résolution ; il me regardait avec un air de fierté dont mon amour-propre était singulièrement flatté, et je l’entendais dire entre ses dents : « Ca fera un beau, marin, ça ! — J’étais comme ça lorsque j’entrai au service. — Bien fait ! — Fort ! — Grand ! — Ça fera un beau marin ! — Puis il ajouta tout haut : — Courage, mon garçon, le métier est un peu dur, tu travailleras, et le travail amuse. Après deux jours que je passai chez mon vieux parent, et pendant lesquels le vieillard me donna certains détails du métier, très peu séduisants, tels que, par exemple : cinquante coups de corde qu’il avait reçus étant marin, pour avoir désobéi avec récidive à son supérieur ; un coup de poing dont l’avait gratifié, par amitié, un jeune lieutenant auquel il avait écrasé un cor au pied ; une dent que lui avait arrachée, par plaisanterie, un matelot ivre, et mille autres gentillesses de ce genre, qu’il me débitait de la meilleure foi du monde, comme un attrait pour me faire prendre goût au métier ; après, dis-je, quelque instruction préliminaire, il me donna une —9— lettre de recommandation pour le capitaine d’une frégate, et je partis. En arrivant à Brest je fus frappé du spectacle merveilleux que présentait ce port. Des vaisseaux pavoisés s’éloignant majestueusement de la côte disparaissaient peu à peu sur le vaste océan ; d’autres nombreux et de toutes les grandeurs, de toutes les formes avec leur mâture élancée, leur voilure élégante, s’apprêtaient à suivre leurs devanciers, à mettre à la voile ; de tous côtés, des chaloupes sillonnaient les ondes, suivant les sinuosités du rivage, ou glissant sans bruit dans le bassin du port. Du matin au soir j’entendais la musique des bâtiments de guerre, et j’admirais avec une espèce d’extase ce spectacle vraiment magique dû à l’industrie et à la persévérance de l’homme. Je m’embarquai bientôt, et ce n’est pas une petite affaire pour un enfant, la première fois surtout où l’inexpérience fait que l’on oublie inévitablement le tiers au moins des objets qu’on devrait emporter ; à peine à bord j’en fis une assez désagréable épreuve : ma mère avait inscrit douze chemises, je n’en trouvai que sept ; dans son chagrin elle avait commis à mon préjudice cette petite erreur, et ce qu’il y avait de pis, c’est que, selon toute apparence, celles qui me restaient devaient être les moins bonnes. Je comptais trois bas noirs en laine, trois bas bleus et un bas blanc, et je ne pouvais deviner pourquoi ce nombre constamment impair, puisque j’avais deux excellentes jambes ; toutefois je ferai grâce des autres malencontres de ma petite friperie, et ce qui sera plus utile pour ceux qui se destineraient à ma profession, je passerai immédiatement à mes aventures de mer. C’est une étonnante existence que celle du marin ! Figurezvous une réunion d’hommes apathiques, insouciants remuant à peine, parlant rarement et pensant moins encore peut-être qu’ils ne parlent, toutes les fois que quelque événement imprévu et menaçant, que quelque grand danger ne viennent pas réveiller leurs passions endormies ; mais que la mer mugisse, que le vent — 10 — furieux fasse craquer la membrure du navire, et tous ces hommes vont déployer bientôt une activité, une énergie sans égale. Mais les premiers jours de notre navigation le temps était beau, je ne pouvais connaître tout ce qu’il y avait de ferme volonté et de courage dans ces hommes. Alors que la tempête ne gronde pas, qu’un vent favorable permet d’abandonner le navire en quelque sorte à son propre instinct, les matelots s’étendent nonchalamment sur le pont, et tandis que quelques intrépides dormeurs ronflent comme de vrais cachalots, on chante à tue-tête, et en chœur, des chansons dont la poésie n’est pas très régulière peut-être, mais dont on se contente, ou bien la conversation s’engage, on échange de joyeux propos, de bons et gros quolibets, et puis lorsque les chants ont cessé, lorsque les lazzis, les calembours sont épuisés, un vieux matelot, doyen de sa race, et que ses camarades respectent à cause de son ancienneté, raconte quelqu’histoire merveilleuse qui roule presque toujours sur celle interminable du Hollandais. Les matelots sont très ignorants et, comme on sait, l’ignorance engendre la superstition ; aussi n’y a-t-il histoire si merveilleuse et même si absurde qu’ils ne croient au sujet de ce bâtiment appelé le Hollandais ou le Déserteur hollandais. Jamais on n’a vu ce navire et jamais on ne le verra, puisqu’il n’existe que dans le cerveau crédule des marins, et cependant ce n’est qu’avec terreur qu’on prononce ce nom redoutable. Le Hollandais disent-ils, parcourt les mers et n’apparaît aux hommes que pour leur annoncer quelque grand danger, quelque désastre qui les menace. Quelquefois dans les grandes calamités, au milieu d’une nuit orageuse, par exemple, ou bien après un calme, après avoir manqué de vivres, alors que les esprits affaiblis par les privations et la fatigue, sont plus susceptibles de recevoir ces impressions, les matelots croient voir dans l’ombre des nuits, ou dans la vapeur de l’horizon ce mystérieux bâtiment précurseur de plus grands maux encore, et les plus braves sont frappés d’épouvante. Alors, et quoique les marins ne soient rien moins que poltrons, ce cri, le Hollandais ! le Hollandais ! prononcé — 11 — d’une voix haletante, jette l’effroi dans les cœurs et paralyse les courages. J’entendais donc ces absurdes histoires, l’équipage écoutait avec un plaisir, un silence, une immobilité, qui approchaient de l’extase ; et le vieux narrateur faisait des descriptions si bizarres, il avait des expressions si singulières, si variées, si pittoresques, que je trouvais moi-même du charme à ses récits. Il est vrai que trop souvent la langue du matelot manque de convenance, il est vrai que les mots qu’il emploie, ont parfois une grossièreté, un cynisme révoltant ; mais je me rappelais aussitôt que ces pauvres gens n’avaient pas eu, comme moi, l’instruction première ; je leur pardonnais bien volontiers leurs défauts et je sentais de plus en plus combien il eût été honteux pour moi de les imiter ! Toutes ces scènes sont en mer d’autant plus piquantes, qu’elles ont la solitude et l’espace pour théâtre ; rien pour distraire, aucun objet pour varier le tableau. Mais au milieu de cette uniformité fatigante, au milieu de cette monotonie, que la voix des tempêtes raisonne tout-à-coup dans les airs ; le sifflet du maître se fait entendre, ces hommes indolents, apathiques, s’animent, s’agitent en tout sens, et le combat commence entre le faible esquif et la mer irritée, entre de chétifs mortels et les éléments furieux. La vie du marin devient alors toute de sensations fortes, de vicissitude et d’émotion, et puis quand le génie de l’ouragan a épuisé sa fureur, quand les éléments vaincus rentrent dans les limites que Dieu leur a pour toujours assignées, le marin alors, jetant autour de lui des regards de satisfaction et d’orgueil, peut se dire non sans raison : Ma profession est la plus noble de toutes, orgueil qui, s’il ne nous rend point injustes envers les autres hommes, n’est pas un mal, car je remarquai, qu’il nous encourageait à bien remplir nos devoirs. Le premier événement et le seul à peu près qui nous arriva dans les premiers jours de ce voyage, ce fut la rencontre d’une flottille de bateaux appartenant à des pêcheurs anglais. Chose étonnante, ces bateaux étaient à l’ancre et cela en pleine mer ; j’avais toujours cru TABLE DES MATIERES. — Chapitre premier. Le Départ . . . . . . . . . . . . . 7 Chap. II. Aventures sur le continent de l’Amérique . . . . . 18 Chap. III. Saint-Domingue . . . . . . . . . . . . . . . 32 Chap. IV. Le naufrage . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Chap V. La Jamaïque . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Chap. VI. Funérailles des nègres. — Le pirate . . . . . . . 89 Chap. VII. Cuba . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Chap. VIII. Saint-Yago. — Mort du pirate . . . . . . . . 124 Chap. IX et dernier. Histoire du pirate. – Retour . . . . 144