“Une vente aux enchères est un plaisir de deux heures : ce que j
Transcription
“Une vente aux enchères est un plaisir de deux heures : ce que j
Stefan Campo Un Joostens à la poubelle, un Magritte en guise de pension et un Jespers à ses débuts : portrait étonnant de Stefan Campo, commissaire-priseur chez Campo au Vlaamse Kaai. « Même si une femme devait accoucher dans la salle pendant la vente, je ne me laisserais pas décontenancer. » texte : Thijs Demeulemeester PORTRAITS : TOM VAN NUFFEL N ous avons rencontré Stefan Campo dans son immense salle de ventes du quartier sud d’Anvers. La dernière vente aux enchères de 2013 a eu lieu il y a quelques semaines déjà, mais la salle est encore à demi pleine d’œuvres. « Les gens sont moins pressés de venir chercher leurs œuvres, ils attendent trop souvent le premier rappel. À mes débuts, il y a 30 ans, tout le monde venait payer ses lots immédiatement. Tout était parti en deux jours. Aujourd’hui, après une semaine, un cinquième à peine a quitté les lieux. Du fait des enchères téléphoniques et en ligne, nos clients ont perdu le lien avec la salle de ventes. Il faudrait les rééduquer », dit-il en riant. Stefan Campo n’a aucun mal à comparer : voilà 30 ans qu’il est dans le métier. Il a commencé à travailler en 1983, dans l’hôtel de ventes que gérait son père. Campo est, en effet, une salle dont la riche tradition remonte à 1897, quand Guillaume Campo exposait des tableaux dans son salon de coiffure. Il développa son commerce d’art et eut jusqu’à sept filiales à Anvers. Après le krach boursier de 1929, une seule de leurs galeries est demeurée ouverte, sur le Meir. En 1963, année de la naissance de Stefan, la Galerie Campo s’est installée dans la salle Rotonde sur le Meir, une gigantesque salle ronde de 1500 m². Quelque 20 ans plus tard, Stefan entrait dans l’affaire. « Je vois parfois revenir une œuvre que nous avons déjà vendue en 1912 et 1986. C’est amusant de comparer les prix. Nous conservons soigneusement tout cela dans nos archives. » En décembre 1992, Campo déménage dans ses locaux actuels du Vlaamse Kaai. Les travaux de transformation de l’ancien entrepôt de style néo-flamand ont duré cinq mois. La première vente aux enchères eut lieu le 12 décembre 1992 ; après le décès de son père, Stefan était soudain laissé à lui-même. Un jeu d’enfant Peu après le déménagement, Campo put inscrire une date importante à son calendrier : la vente de la collection d’Olga Bernheim. La collectionneuse est décédée inopinément sans héritiers. « Comme elle avait acheté beaucoup d’œuvres chez Campo, nous avons été désignés pour vendre son patrimoine. 68 l collect “Une vente aux enchères est un plaisir de deux heures : ce que j’aime surtout, c’est la combinaison de la tension, des enchères, de la salle et des téléphonistes. Si une femme devait accoucher dans la salle pendant la vente, je ne me laisserais pas décontenancer.” Aucune difficulté : des œuvres de cette qualité n’arrivent que rarement sur le marché et se vendent donc facilement. Même si j’avais mené les enchères dans une étable à Ypres ou un local pour colombophiles à Wuustwezel, ces œuvres seraient parties un très bon prix », déclare Stefan Campo. « La récente vente aux enchères d’une partie de la collection du Musée van Buuren l’a bien montré : quelques collectionneurs belges sont encore disposés à mettre des centaines de milliers d’euros pour une œuvre maîtresse de Gustave van de Woestyne ou Rik Wouters. Ces œuvres se vendent comme des petits pains, parce qu’elles apparaissent très rarement sur le marché. Les vendeurs pensent à la crise, mais la crise n’existe pas pour de telles œuvres. L’effet de surprise joue aussi : il y a trop peu de qualité sur le marché pour le nombre d’acquéreurs. Dès lors, quand quelque chose se présente, les intéressés sont nombreux, surtout si les estimations sont basses : cela a le même effet qu’une muleta rouge sur un taureau. Les gens pensent pouvoir faire une affaire. » Il est intéressant de comparer les résultats concrets de la vente aux enchères Bernheim en 1993 avec la valeur marchande actuelle. À l’époque, le René Magritte atteignait 1,8 million de francs belges, le Théo Van Rysselberghe 4 millions et le Paul Delvaux 1,7 million. « Actuellement, le Van Rysselberghe et le Delvaux ne rapporteraient plus autant. Mais le Magritte, Les Travaux d’Alexandre, a beaucoup augmenté, parce que l’œuvre tardive de Magritte est très en vogue. La plupart des acquéreurs préfèrent ses œuvres tardives iconiques et non ses œuvres abstraites de la première heure. » collect l 69 stefan campo Avec le temps, Stefan Campo s’est doté d’une expertise reconnue, surtout en matière d’art des XIXe et XXe siècles. Un Jespers trop cher Au fil des années, Campo a accumulé une expertise en art (essentiellement belge) du XIXe et du XXe siècles. Des objets d’art décoratif et des objets d’art sont également régulièrement mis aux enchères. « Bien sûr, je rêve de pouvoir un jour mettre aux enchères un Van Gogh. Mais soyons réalistes : nous sommes condamnés à un ancrage local et ce n’est pas bien grave. Pendant mon stage chez Sotheby’s à Londres en 1984, j’ai travaillé au département d’art contemporain et impressionniste. J’y ai régulièrement vu passer des Chagall, des Kandinsky, des Van Gogh et des Christo. Une période d’apprentissage fantastique, mais la meilleure école, ce fut mon père bien sûr. Je suis entré dans le métier grâce à lui. » À l’âge de 12 ans, Stefan pouvait accompagner son père le soir pour aller chercher des œuvres à domicile. « Tu as fini tes devoirs ? Tu m’accompagnes ? », demandait mon père. « Nous avons fait notre première visite à domicile ensemble chez un certain M. Op de Beeck à Borgerhout. Au-dessus de la porte, il y avait un petit tableau de Floris Jespers, un artiste de cirque de la meilleure période de l’artiste. Comme mon père n’était pas très grand, j’ai pu grimper à l’échelle moi-même pour décrocher le petit tableau. Quand il a été mis aux enchères, il a suscité beaucoup d’enthousiasme dans la salle. Les enchères sont montées jusque 180.000 francs belges et c’est mon père qui a fait l’enchère la plus élevée. Il a payé cette toile beaucoup trop cher, mais il voulait absolument acheter la première œuvre que son fils avait décrochée du mur chez un client. Je la trouve encore prodigieuse. Mon père est décédé en 1992, mais cette œuvre me fait toujours penser à lui. Ce Jespers est à la base de ce que je fais aujourd’hui. » Débuts tardifs Assez curieusement, Stefan Campo n’a jamais été préparé à devenir commissaire-priseur. Son père n’a jamais manié le marteau des enchères. « Beaucoup d’hôtels de vente travaillaient alors avec des commissaires-priseurs externes, comme Alfons Van Herck et Olivier Geurts. Nous faisions appel à eux parce qu’ils étaient experts auprès de diverses maisons. Une solution de facilité : si les clients n’étaient pas satisfaits ou en cas de discussion du prix, ils s’en prenaient au commissaire-priseur, pas à nous. Nous réglions le reste. » Stefan est finalement devenu commissaire-priseur par pur hasard. « Il y a sept ans, une dame du Rotary m’a demandé d’organiser une vente de charité. Elle voulait mettre aux enchères de petits tableaux d’enfants présentant des difficultés d’apprentissage. Sa demande et son initiative m’ont charmé. Ce devait être gratuit et j’ai donc promis de procéder moi-même à la vente. Un défi, car je ne l’avais encore jamais fait. Les cinq premières minutes, j’étais nerveux comme une puce. Je ne parvenais pas à trouver une contenance et j’étais mal à l’aise dans mon nouveau rôle. Dans la salle, il y avait surtout des parents, des sympathisants et des amis, la barre n’était donc pas très haute. Après une demi-heure, je suis rentré dans mon rôle. J’ai senti l’énergie de la salle et j’ai trouvé la bonne cadence. Après la vente, j’ai appelé Olivier Geurts, l’homme qui procédait aux ventes aux enchères chez Campo à l’époque. Je l’ai remercié et j’ai décidé de mener les ventes moi-même à partir de ce moment. Je ne suis plus nerveux. Une vente aux enchères est un plaisir de deux heures : ce que j’aime surtout, c’est la combinaison de la tension, des enchères, de la salle et des téléphonistes. Si une femme devait accoucher dans la salle pendant la vente, je ne me laisserais pas décontenancer. » Poubelle En 30 ans de carrière, dont sept en qualité de commissaire-priseur, Stefan Campo a vu beaucoup de choses. Une des anecdotes les plus marquantes a trait à une grande œuvre de l’artiste anversois Paul Joostens. Un jour, Stefan reçut un coup de fil d’une dame revêche. « ‘Je dois la jeter à la poubelle ou que faut-il en faire ?’, a-t-elle demandé avec impatience. ‘J’ai hérité d’une grande toile pleine de trous. Je ne veux pas de cette vieillerie. Si vous ne venez pas la chercher, je la jette à la poubelle’. » Stefan Campo ne connaissait pas cette dame et ne savait pas non plus de quelle toile il s’agissait. Il est allé chez elle avec une certaine curiosité et y a découvert une œuvre maîtresse de Paul Joostens, datant de 1917. Elle était en mauvais état, certes, mais suffisamment importante pour la racheter et la faire restaurer. « Cela me semblait une pièce idéale pour le Musée des Beaux-Arts d’Anvers », explique Stefan Campo. « J’ai fait venir un de leurs experts, qui s’est montré enthousiaste. Le conseil du musée a discuté de l’œuvre plusieurs fois, mais l’intérêt est très vite retombé. Cela m’a semblé curieux. Peu après, je l’ai montrée à feu Willy Van den Bussche, qui a voulu l’acheter sur-le-champ pour son musée d’Art moderne PMMK d’Ostende. La décision fut prise en deux minutes et le paiement suivit peu après. Un an plus tard, le Musée des Beaux-Arts d’Anvers organisait une exposition thématique. Et devinez quelle œuvre j’y ai trouvée ? Oui, mon Joostens. Conclusion ? Si vous suggérez une acquisition au Musée d’Anvers, ils n’en veulent pas.» Magritte en prêt Une autre œuvre maîtresse qui lui est passée par les mains se trouve maintenant au Musée Magritte à Bruxelles, accompagnée de la mention ‘La place au Soleil, collection privée Stefan Campo’. « Le plus âgé de mes parrains, Armand, gérait un magasin de timbres-poste. À son décès, j’ai hérité d’une partie de ses avoirs. Comme la banque me téléphonait sans cesse pour me proposer des placements, j’ai décidé d’utiliser ces fonds pour acheter quelque chose. J’ai rencontré par hasard quelqu’un qui voulait vendre son Magritte et j’ai été conquis dès la première fois que j’ai vu La Place au soleil dans la salle des coffres d’une banque. Je me suis immédiatement senti lié à ce tableau. Après l’avoir acheté, j’avais peur de l’accrocher chez moi. J’ai déjeuné par hasard avec une vieille amie qui m’a dit que le Musée Magritte cherchait encore des œuvres à exposer. J’ai proposé ma nouvelle acquisition et le musée a immédiatement marqué son accord. Tous ceux qui vont à Bruxelles peuvent aujourd’hui profiter du tableau. Il est assuré et voyage dans le monde entier pour des expositions : c’est une publicité rêvée pour mon travail et mon hôtel de ventes. Je ne peux pas voir ce tableau tous les jours, c’est vrai, mais plusieurs fois par an, je vais au Musée Magritte avec mes filles pour le contempler. Je ne pouvais pas imaginer plus belle pension. » e n s avo i r p lu s Contacter Campo Vlaamse Kaai Vlaamse Kaai 30-31 Anvers Tél. : 02/238.42.02 www.campo.be Prochaine vente cataloguée les 25 & 26-03. collect l 71 70 l collect