1 LES MARCHES A DEUX VERSANTS DANS L`INDUSTRIE DES

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1 LES MARCHES A DEUX VERSANTS DANS L`INDUSTRIE DES
LES MARCHES A DEUX VERSANTS DANS L'INDUSTRIE DES JEUX
VIDEO
Myriam DAVIDOVICI-NORA†, Marc BOURREAU‡
Janvier 2012
RESUME
L’industrie des jeux vidéo présente les caractéristiques d’un
marché à deux versants : des plateformes de jeux se font
concurrence pour attirer joueurs et éditeurs de jeux, et pour un
joueur (respectivement, un éditeur) une plateforme est d’autant
plus intéressante qu’elle accueille un grand nombre d’éditeurs
(respectivement, de joueurs). En utilisant la littérature
économique sur les marchés à deux versants appliquée aux jeux
vidéo, nous analysons les conséquences de cette forme
particulière de marché sur les stratégies tarifaires et nontarifaires des plateformes de jeux.
Mots-clés : jeux vidéo, marchés à deux versants, plateformes, effets de
réseaux.
†
Telecom-ParisTech, Département Sciences Economiques et Sociales, 46 rue Barrault, 75013
Paris. Email : [email protected]
‡
Telecom-ParisTech, Département Sciences Economiques et Sociales. Email :
[email protected]
1
INTRODUCTION
Un marché à deux (ou plusieurs) versants est un marché dans lequel une
plateforme (ou plusieurs plateformes) joue un rôle d’intermédiaire entre
différents groupes d’utilisateurs, chaque groupe constituant un versant du
marché. Les différents groupes d’utilisateurs sont liés par des effets de
réseaux croisés, qui font que l’intérêt d’un utilisateur à adopter la plateforme
dépend du nombre d’utilisateurs appartenant à d’autres groupes que le sien.
Par exemple, un système de paiement (comme le Groupement Cartes
Bancaires en France, ou Visa ou Mastercard à l’international) coordonnent
les transactions entre, d’une part, les porteurs de cartes et d’autre part, les
marchands. L’intérêt d’un consommateur à disposer d’une carte de débit ou
de crédit dépend du nombre de marchands équipés d’un terminal de
paiement, et inversement, il est profitable pour un marchand de se raccorder
au système de paiement uniquement si ses consommateurs souhaitent payer
par carte1. La théorie des marchés à deux versants a été également appliquée
à l’industrie des médias2 et à l’Internet3.
L’industrie des jeux vidéo constitue un exemple fréquemment mis en avant
de marché à deux versants. Dans cet article, nous présentons un état de l’art
de la littérature sur les marchés à deux versants en nous appuyant sur le cas
emblématique des jeux vidéo.
1. Voir, par exemple, les travaux pionniers de Rochet et Tirole (2002, 2003) sur les systèmes
de paiement.
2. Voir la revue de littérature de Bounie et Bourreau (2008).
3. Par exemple, voir Laffont et al. (2003) et Caillaud et Jullien (2001, 2003).
2
Plus précisément, nous présentons une synthèse de la littérature consacrée
aux plateformes de jeux vidéo, avec deux objectifs. Tout d’abord, à l’aide de
cette littérature, nous montrons que cette industrie présente les
caractéristiques d’un marché à deux versants, à des degrés divers cependant
suivant les segments. Puis, nous mettons en évidence les enseignements
qu’apporte la théorie des marchés à deux versants pour comprendre les
stratégies des acteurs dans cette industrie, en nous concentrant sur le
segment des consoles de jeu vidéo.
Le reste de l’article est organisé comme suit. Dans la partie suivante, nous
présentons la théorie des marchés à deux versants et nous montrons
comment cette théorie générale s’applique à l’industrie des jeux vidéo. Puis,
nous discutons les stratégies tarifaires des producteurs de consoles de jeux
vidéo et leurs relations avec les éditeurs de jeux, en utilisant la littérature
consacrée plus spécifiquement à l’économie des plateformes de jeu vidéo.
En conclusion, nous récapitulons les principaux enseignements de l’article et
nous ouvrons quelques pistes de recherche.
LA THEORIE ECONOMIQUE DES MARCHES A DEUX VERSANTS
ET SON APPLICATION A L'INDUSTRIE DES JEUX VIDEO
Dans cette section, nous commençons par présenter les principaux
enseignements de la théorie des marchés à deux versants, puis nous
discutons de son application à l'industrie des jeux vidéo.
3
La théorie des marchés à deux versants4
Dans un marché à deux versants5, deux groupes d’agents économiques
distincts interagissent par le biais d’un intermédiaire – la plateforme. Par
exemple, dans l’industrie des jeux vidéo, une console de jeux constitue une
plateforme pour la mise en relation de deux types d’utilisateurs : les
développeurs de jeux et les joueurs. Ces deux groupes d'agents sont liés par
ce qu'on appelle des effets de réseaux intergroupes (ou effets de réseaux
croisés ou indirects) : plus il y a de développeurs et donc de jeux, plus
l’utilité d’un joueur à posséder la console est élevée ; de même, plus il y a de
joueurs pour cette console, plus le profit potentiel pour un développeur de
jeux est important6. En fixant, d'un côté, le tarif de la console pour les
joueurs et de l'autre, le tarif du kit de développement logiciel pour les
développeurs, le producteur de la console va affecter les volumes de
transaction possibles, c’est-à-dire, la demande sur les deux versants du
marché.
A part l’industrie des jeux vidéo, d’autres marchés sont considérés dans la
littérature économique comme des marchés à deux versants : les médias
(presse, télévision, etc.), les systèmes de paiements, l’Internet, les centres
4. Cette partie s'inspire de la section 1 dans Bounie et Bourreau (2008). Pour approfondir la
théorie des marchés à deux versants, le lecteur pourra consulter les articles d’Armstrong
(2006) et de Rochet et Tirole (2006), ainsi que la revue de littérature de Rysman (2009). Voir
aussi Evans et al. (2006) pour une application au marché du logiciel.
5. Pour simplifier, nous parlerons le plus souvent de marchés à deux versants ou deux faces
(two-sided market). La théorie s'étend néanmoins aux cas où il existe plus de deux versants.
6. Il peut également exister des effets de réseaux intra-groupes ou effets de réseaux directs :
par exemple, l'utilité d'un joueur à posséder la console peut augmenter avec le nombre total de
joueurs (par exemple, parce que les possibilités d'échanges de jeux ou de conseils sont plus
importantes). Pour simplifier l'analyse, nous ignorons les effets de réseaux intra-groupes, en
nous concentrant sur les effets de réseaux intergroupes, caractéristiques des marchés à deux
versants. Sur l’économie des réseaux, voir Economides (2006).
4
commerciaux, les sites de rencontre sur Internet (comme Meetic), les
systèmes d’exploitation, les agences de recrutement, les agences
immobilières, etc.
La littérature ne propose pas de définition unifiée des marchés à deux
versants et de ce qui distingue un marché à deux versants d’un marché à un
seul versant. Armstrong (2006) indique que la présence d'effets de réseaux
intergroupes suffit à caractériser un marché à deux versants. Rochet et Tirole
(2006) considèrent qu’il s’agit d’une définition possible de ce type de
marché, mais ils proposent une autre définition : selon ces deux auteurs, un
marché peut être qualifié de marché à deux versants si le volume de
transactions (ou d’interactions) entre les différents groupes d’agents dépend
de la structure tarifaire et pas uniquement du niveau du tarif total fixé par la
plateforme. Autrement dit, à tarif total fixé, le volume de transactions
dépend de la manière d’allouer le prix total entre les différents versants du
marché7.
Les principaux enseignements de la théorie des marchés à deux versants
peuvent être résumés de la façon suivante : (i) la tarification mise en place
par la plateforme est souvent fortement asymétrique ; (ii) la concurrence
entre plateformes est très forte, notamment du fait des effets de réseaux
intergroupes ou croisés ; (iii) les choix de raccordement des agents à une ou
plusieurs plateformes ont une grande influence sur le fonctionnement du
7. Plusieurs raisons peuvent expliquer que la structure des prix d'accès à la plateforme affecte
le volume de transactions sur la plateforme : l'existence de coûts de transaction entre les
utilisateurs finaux, des contraintes sur la tarification sur certains versants du marché,
l'existence de tarifs forfaitaires pour l'accès à la plateforme (voir Rochet et Tirole, 2006). Si la
structure des prix n'influence pas le volume de transactions, le marché est considéré comme
un marché à un seul versant (one-sided market).
5
marché. Nous développons ci-dessous ces trois résultats fondamentaux.
Une tarification asymétrique entre groupes d’utilisateurs pour l’accès à la
plateforme
Dans un marché traditionnel, à un seul versant, on sait qu’une entreprise en
monopole aura intérêt à fixer son prix en ajoutant une marge à son coût
unitaire de production8. Dans un contexte de marché à deux versants, cette
règle ne conduit plus à une tarification efficace. En effet, le tarif fixé d’un
côté du marché influence non seulement la demande de ce côté du marché
mais aussi la demande sur l'autre côté du marché, par le biais des effets de
réseaux intergroupes. Un monopole aura alors plutôt intérêt à fixer un prix
très bas du côté du marché qui génère les plus forts effets de réseaux, et un
prix plus élevé sur l'autre versant.
A titre d'illustration, supposons qu’il existe des effets réseaux croisés positifs
entre deux groupes d’agents, que nous appellerons le groupe 1 et le groupe 2,
et que ces deux groupes soient mis en relation par une plateforme en
monopole. Supposons également qu’un agent du groupe 1 exerce un plus
fort effet externe sur un agent du groupe 2 qu’un agent du groupe 2 n’exerce
d'effet externe sur un agent du groupe 1. Dans ce cas, on peut montrer qu’il
est socialement optimal que la plateforme propose un tarif plus bas aux
agents du groupe 1 qu’aux agents du groupe 2 (toutes choses égales par
ailleurs). Une plateforme en monopole non régulée mettra aussi en place une
8. Voir la règle de l'élasticité inverse.
6
tarification répondant à cette règle9. Ces deux résultats confirment que, dans
un marché à deux versants, le niveau relatif des effets de réseaux intergroupes affecte la structure des prix et qu’une asymétrie dans les effets de
réseaux intergroupes conduit à des tarifs asymétriques pour l’accès à la
plateforme. A titre d’exemple, on peut observer que les centres commerciaux
font payer les commerçants qui souhaitent s’y installer, mais pas les
consommateurs qui les visitent, révélant probablement ainsi une asymétrie
dans les effets de réseaux intergroupes.
Ce résultat reste valable dans un contexte de concurrence entre plateformes.
En particulier, Armstrong (2006) propose un modèle de concurrence entre
deux plateformes, différenciées horizontalement (à la Hotelling). Il montre
que les plateformes proposent (toutes choses égales par ailleurs) des prix
plus bas sur le côté du marché le plus concurrentiel et qui génère les plus
forts effets de réseaux.
La structure tarifaire a un effet important sur les équilibres qui peuvent
émerger. Deux formes polaires de tarification sont possibles pour l’accès à la
plateforme : un tarif forfaitaire (comme un abonnement) ou une tarification à
l’usage10. Si la tarification est uniquement à l’usage, un consommateur ne
paiera que si des transactions ont bien lieu. Par conséquent, pour le
consommateur, la capacité de la plateforme à attirer l’autre versant du
marché n’est pas cruciale : il ne paiera effectivement que si la plateforme y
parvient. Au contraire, avec une tarification forfaitaire, un consommateur ne
9. Voir Armstrong (2006) pour la démonstration. Le tarif choisi par la plateforme en
monopole est supérieur au tarif socialement optimal.
10. Une tarification forfaitaire peut s'imposer à la plateforme si elle n'observe pas
parfaitement les interactions entre les différents versants du marché.
7
sera prêt à payer que s'il anticipe que la plateforme est capable d'attirer les
agents de l'autre groupe. Par ailleurs, l’intensité des effets de réseaux dépend
de la forme de la tarification. Si la tarification est uniquement à l’usage,
l’intensité des effets de réseaux est réduite11.
En conclusion, sur un marché à deux versants, on peut s’attendre à observer
des prix très bas (éventuellement, en dessous des coûts) sur certains versants
du marché. Un point important est que ces prix agressifs ne constituent pas
des stratégies anticoncurrentielles per se. Ils peuvent être une réponse
efficace à la présence d’effets de réseaux intergroupes.
Une concurrence très forte en présence d’effets de réseaux intergroupes
En présence d’effets de réseaux intergroupes, la concurrence entre
plateformes est plus forte qu’elle ne le serait si le marché n’avait qu’une
face. Par exemple, dans le modèle d’Armstrong (2006) de marché à deux
versants, les profits des plateformes à l’équilibre diminuent avec le
paramètre qui mesure le niveau des effets de réseaux. L’intuition est la
suivante : pour pouvoir être compétitive sur un versant du marché, une
plateforme doit également l’être sur l’autre versant. En effet, prendre un
client à la plateforme rivale sur un côté du marché n'affecte pas que ce côté :
cela augmente aussi l’effet de réseau intergroupes, ce qui permet à la
plateforme de gagner des clients sur l’autre côté du marché. Ce mécanisme
crée une pression importante à la baisse des prix sur tous les côtés du
11. Supposons, par exemple, que chaque consommateur d'un côté du marché réalise une
transaction (ou une interaction) avec tous les consommateurs présents de l'autre côté du
marché, au nombre de n. Si l'effet de réseau est linéaire, l'utilité du consommateur sera
proportionnelle à n (du fait de l'effet de réseau), diminuée d'un tarif d'usage, proportionnel lui
aussi à n. On voit donc que le tarif à l'usage réduit l'effet de réseau.
8
marché, qui n’existerait pas en l’absence d’effets de réseaux intergroupes.
L’influence du niveau de raccordement à la plateforme (simple ou
multiple) sur le fonctionnement du marché
Lorsque deux (ou plusieurs) plateformes sont en concurrence, les utilisateurs
finals ont le choix de se raccorder à une ou plusieurs plateformes. On parlera
de raccordement simple dans le premier cas et de raccordement multiple
dans le second cas. Dans le cas simple d'un marché à deux versants, trois
configurations du marché sont alors possibles :
Chaque groupe d’utilisateurs se raccorde exclusivement à une seule
plateforme (situation qualifiée de "single homing" dans la
littérature).
Un groupe d’utilisateurs se raccorde exclusivement à une
plateforme, tandis que l’autre groupe se raccorde aux deux
plateformes (ce dernier cas est qualifié de "multi homing" dans la
littérature).
Les deux groupes d’utilisateurs se raccordent aux deux plateformes.
La littérature montre que le type de configuration qui s’établit a un impact
très important sur le fonctionnement d’un marché à deux (ou plusieurs)
versants. La première configuration (raccordement simple) correspond à une
situation standard, que nous avons supposée implicitement jusqu’à
maintenant. La deuxième configuration, qualifiée de "goulots d’étranglement
concurrentiels" (competitive bottlenecks) par Armstrong (2006), introduit
une forte asymétrie entre les différents versants du marché. Les utilisateurs
qui se raccordent exclusivement à une seule plateforme peuvent choisir la
9
plateforme qu’ils préfèrent pour interagir avec l’autre côté du marché12. Par
contre, les utilisateurs qui se raccordent aux deux plateformes sont dans
l’obligation d’utiliser la plateforme des utilisateurs "exclusifs" s’ils veulent
que la transaction se réalise. Une plateforme détient donc un pouvoir de
monopole pour l’accès à ses utilisateurs exclusifs. Par exemple, si les joueurs
n’achètent qu’une seule console de jeux vidéo, tandis que les éditeurs
développent leurs jeux pour toutes les consoles existantes, un producteur de
console détiendra un pouvoir de monopole pour l’accès à "ses" joueurs13.
Armstrong (2006) montre que, dans ce type de situation, le marché des
utilisateurs "exclusifs" est plus ou moins concurrentiel, mais que les
utilisateurs qui se raccordent à toutes les plateformes paient des prix (trop)
élevés14. Pour reprendre l’exemple du jeu vidéo, la décision des
développeurs de proposer leurs jeux sur toutes les consoles réduira fortement
les efforts des producteurs de consoles pour attirer des développeurs sur leur
plateforme, et donc la concurrence sur ce versant du marché. Par contre,
proposant désormais les mêmes jeux, les consoles seront moins
différenciées. La concurrence sur le versant des joueurs sera donc plus forte.
L'application de la théorie des marchés à deux versants à l'industrie des
jeux vidéo
12. En effet, les consommateurs appartenant à l'autre versant sont présents sur les deux
plateformes.
13. Par exemple, un éditeur de jeux comme Ubisoft est obligé de se raccorder à la plateforme
"Wii" s'il souhaite vendre ses jeux aux consommateurs qui ne possèdent qu'une console Wii.
14. Ces prix trop élevés ne se transforment pas nécessairement en profits élevés pour des
plateformes en concurrence. En effet, les profits réalisés d'un côté du marché peuvent être
dissipés par une concurrence intense sur l'autre côté du marché.
10
L'industrie des jeux vidéo est composée de plusieurs écosystèmes, qui se
développent chacun autour d'un type de plateforme de jeux. Afin d’étudier
l'application de la théorie des marchés à deux versants à cette industrie15, il
est utile de distinguer trois types de plateformes de jeux vidéo : (i) les
ordinateurs personnels, ce qui inclut les plateformes sociales comme
Facebook, (ii) les consoles de jeux de salon ou portables et (iii) les
téléphones mobiles, smartphones ou tablettes (mobile gaming).
L'ordinateur personnel comme plateforme de jeux vidéo
En 2010, le segment des jeux vidéo pour ordinateur personnel représentait
environ un quart des revenus mondiaux de l'industrie (26,6%)16. Dans cet
écosystème, la plateforme principale est l’ordinateur personnel, couplé à un
système d'exploitation17. Le premier versant du marché est constitué par les
joueurs qui achètent un ordinateur avec un système d’exploitation à un prix
po et des jeux vidéo dans le commerce à un prix pj. Le second versant du
marché est représenté par les développeurs de jeux. Ils acquièrent un kit de
développement logiciel (Software Development Kit, SDK) auprès du
producteur du système d'exploitation, qui est généralement gratuit. Enfin,
des sous-plateformes s’imbriquent à la plateforme principale et constituent
des plateformes à l'intérieur de la plateforme (voir la figure en Annexe 1).
Par exemple, Facebook constitue une plateforme de jeux vidéo, avec d'un
15. Bien que les jeux vidéo soit un exemple emblématique de marché à deux versants, un
préalable nécessaire nous paraît être de le montrer. Comme nous allons le voir dans cette
partie, parmi les différents segments qui composent cette industrie, seul le segment des
consoles correspond parfaitement à la définition d'un marché biface.
16. D'après "Le marché mondial des jeux vidéo en 2010", Idate (sept. 2010). Ce chiffrage
n'inclut pas les jeux par abonnement et les jeux gratuits ("Free-to-Play").
17. On notera cependant que le jeu n’est pas l’unique usage de la plateforme. L’utilité d’un
consommateur d’accéder à la plateforme que constitue l’ordinateur personnel ne dépend pas
que de l’offre de jeux vidéo.
11
côté les utilisateurs de Facebook et de l'autre les producteurs de jeux pour
Facebook (comme la société Zynga, productrices des jeux FarmVille et
CityVille). De la même manière, les plateformes de jeux vidéo comme
Steam (Valve) ou Origin (Electronic Arts) constituent des plateformes
imbriquées à la plateforme "ordinateur personnel". Même si plusieurs
plateformes sont en concurrence (basées sur les systèmes d'exploitation
Windows, MacOS et Linux, principalement), pour le jeu vidéo en particulier,
la plateforme Windows est largement dominante18.
Les consoles de jeux vidéo
Les jeux pour consoles représentent le principal segment de l'industrie des
jeux vidéo. En 2010, ce segment représentait 57,8% des revenus mondiaux
de l'industrie (soit environ 22 milliards d'Euros)19. Comme pour les
ordinateurs personnels, la console, en tant que plateforme, met en relation
joueurs et producteurs de jeux. Les joueurs acquièrent la console à un prix pc
et des jeux à un prix pj (voir la figure en annexe 2). Au-delà de ces
ressemblances, l'écosystème des consoles présente plusieurs différences avec
celui de l'ordinateur personnel. Tout d'abord, le niveau d'intégration verticale
entre la plateforme et les producteurs de jeux est beaucoup plus marqué dans
l'univers des consoles. Ceci s'explique en particulier par le fait que l’usage
18. Par exemple, selon le cabinet AT Internet, en avril 2011, en Europe, 88% des connexions
à des sites Web provenaient d'un ordinateur sous un système d'exploitation Windows (la part
de marché de MacOS étant d'environ 10%). La part de marché de Windows parmi les joueurs
est probablement plus forte. Par exemple, la part de marché de MacOS sur la plateforme
Steam était estimée à 8% en 2010 (cf. "Windows 7 passes XP on Steam, Mac OS X grabs 8%
share", Arstechnica.com, 2010).
19. Source : Idate (17/09/2010).
12
principal d'une console étant le jeu vidéo, son succès est étroitement lié au
contenu ludique proposé (en quantité mais aussi en qualité).
D’un point de vue organisationnel, les relations entres les plateformes et les
producteurs de jeux peuvent être de trois types : les jeux peuvent être
développés en interne par le producteur de la console (on parle de First
Party Publisher ou FPP), développés en externe, mais avec des relations
contractuelles privilégiées (Second Party Publisher ou SPP), et enfin
développés en externe par un éditeur tiers, indépendant du producteur de la
console (Third Party Publishers ou TPP).
Par ailleurs, les relations contractuelles entre la plateforme et les producteurs
de jeux sont différentes dans les deux écosystèmes. Alors que les
producteurs de jeux sur ordinateur personnel ne paient pas pour accéder à la
plateforme (et donc aux joueurs), les éditeurs tiers de jeux sur consoles
(TPP) doivent payer des royalties (royalties) sur les ventes de jeux (variable
R sur la figure en annexe 2)20. Les producteurs de consoles facturent
également les kits de développement logiciel (SDK) pour leur console aux
éditeurs de jeux21 et perçoivent parfois une redevance pour la production (rp
sur la figure en annexe 2) de cartouches ou de CD dans leurs usines22.
Enfin, à la différence de l'ordinateur personnel où une plateforme (Windows)
est un quasi-monopole, le marché des consoles est un oligopole. Pour les
consoles de salon (fixes), il existe actuellement une concurrence intense
20. Selon Williams (2002), la royauté varie entre 5$ et 8$ par unité vendue.
21. Entre 10.000$ et 20.000$.
22. La redevance pour la production de CD varie entre 1$ et 3$ et la redevance pour les
cartouches Nintendo peut aller jusqu'à 20$ (Williams, 2002).
13
entre Nintendo (console Wii), Microsoft (Xbox360) et Sony (PS3)23. Le
segment des consoles portables est moins concurrentiel : il s'agit d'un
duopole avec une firme dominante (Nintendo) et un suiveur (Sony), dont les
parts de marchés en volumes étaient en 2010 respectivement de 68% et
32%24.
Du côté des producteurs de jeux, une partie seulement choisit un
raccordement multiple (multi homing) en développant pour plusieurs
consoles concurrentes ; il s'agit essentiellement d'éditeurs tiers (TPP)25. Du
côté des consommateurs, le raccordement multiple est plus courant : il est
fréquent qu’un joueur joue à la fois sur ordinateur, sur console et sur un
support mobile, en fonction des situations (temps imparti, type de jeu, etc.).
Selon une étude d’Ulicsak et al. en 2009 au Royaume-Uni, le ménage moyen
détient 2,4 consoles de jeux, environ 88% des enfants entre 8 et 15 ans ont
au moins une console de jeux et les garçons joueurs ont au moins deux
plateformes de jeux (en général une fixe et une portable). Pour la France,
Bounie et al. (2008) ont réalisé une enquête en ligne auprès des utilisateurs
du site web jeuxvideo.com, le site leader pour les jeux vidéo. De leur étude,
il ressort que seulement 14% des utilisateurs interrogés ne disposaient que
d'une plateforme de jeu vidéo, 55% possédaient deux ou trois plateformes
différentes et 31% entre quatre et six plateformes.
Cependant, les études disponibles suggèrent que peu de joueurs disposent de
deux modèles différents de consoles fixes chez eux : par exemple, une étude
23. Selon VGChartz.com, les parts de marché de la Wii, de la Xbox360 et de la PS3 étaient,
en 2010, respectivement de 49,4%, 21,2% et 29,4%.
24. Source : VGChartz.com, juin 2011.
25. Comme les différentes consoles sont incompatibles, proposer un jeu sur une console
supplémentaire requiert un développement spécifique et coûteux.
14
portant sur l’adoption des technologies par les consommateurs aux EtatsUnis a estimé que moins de 4,5% des joueurs détenaient deux consoles de la
même génération26. Au final, les joueurs paraissent adopter une stratégie de
raccordement simple (single-homing) au sein d’un même type de plateforme
(fixe ou mobile), tout en se raccordant à plusieurs plateformes de types
différents (multi-homing).
Le segment du jeu mobile
Par jeu mobile (mobile gaming), nous entendons le segment des jeux
téléchargeables à partir des plateformes applicatives numériques sur
téléphone mobile, smartphone ou tablette. En 2010, ce segment représentait
15,6% (soit 5,9 md€) des revenus mondiaux liés aux jeux vidéo27. Sur ce
segment, l’organisation des flux est intermédiaire entre celle des jeux pour
consoles et celle des jeux pour ordinateurs (voir la figure en Annexe 3). Sur
cette figure, la plateforme d’applications joue le rôle de distributeur et
encaisse le prix du jeu téléchargé (Pj) avant d’en reverser une partie (en
général 70%) au producteur tiers de jeux. Le premier versant est constitué
des joueurs qui s’équipent d’un terminal mobile (au prix Pt) couplé à une
plateforme d'applications et achètent des jeux aux développeurs de jeux (au
prix Pj)28. Les développeurs de jeux représentent le second versant du
26. Voir Derdenger (2011, p. 11).
27. La part de marché des jeux pour mobiles est encore plus forte dans le monde numérique :
par exemple, aux Etats-Unis, la moitié des jeux numériques achetés le sont pour mobiles
(NPD Study sur gamasutra.com, 4 mai 2011).
28. Comme c'est le cas pour les ordinateurs personnels, ces plateformes ont aussi de
nombreux usages non ludiques.
15
marché. Ils doivent se procurer un kit de développement de jeu (SDK), qui
est soit vendu soit fourni gracieusement par la plateforme.
Plusieurs plateformes sont en concurrence (par exemple, Apple iOS vs.
Google Android) et donc, des stratégies de raccordement simple ou multiple
sont possibles29. Du côté des consommateurs, le raccordement est
généralement simple, mais par contre les développeurs peuvent avoir intérêt
à développer leurs jeux sur plusieurs plateformes.
***
Le Tableau 1 ci-dessous résume l'organisation des différentes plateformes de
jeu vidéo existantes.
29. Comme sur le segment des consoles, il y a des incompatibilités entre les plateformes.
16
Tableau 1. Les différentes plateformes de jeu vidéo
Segment
Consoles de
jeux vidéo
Jeu mobile
(smartphones,
tablettes)
Ordinateur
personnel
Type de
produit
Jeux sur
consoles de
salon ou
portable
Jeux sur
plateformes
applicatives
numériques
mobiles
Jeux sur
réseaux
sociaux
(plateformes
applicatives
numériques
fixes)
Jeux sur
ordinateur
Versant
1
Intermédiaire ou
plateforme
Versant 2
Editeurs tiers de jeux
(SDK payant +
royalties sur les ventes
versées à la
plateforme +
redevances sur les
cartouches/CD)
Editeurs tiers de jeux
(SDK payant ou
gratuit + royalties sur
les ventes versées à la
plateforme)
Joueurs
Console dédiée au
jeu
(Nintendo,
Microsoft, Sony)
Joueurs
Plateforme
applicative
(Apple AppStore,
Amazon AppStore,
Android Market)
Joueurs
Réseau social
(Facebook,
Google+,
MySpace)
Editeurs tiers de jeux
(SDK gratuit +
royalties sur les ventes
versées à la
plateforme).
Joueurs
Ordinateur +
système
d'exploitation (+
sous-plateformes
dédiées de
distribution et de
gestion des jeux en
ligne)
Editeurs de jeux
vendus en boite (SDK
gratuit, pas de
royalties) ou en ligne
(SDK gratuit,
royalties versées à la
sous-plateforme).
Sources : Les auteurs
Pour les trois segments de l’industrie des jeux vidéo que nous avons
identifiés, une plateforme gère les interactions entre les joueurs et les
développeurs de jeux.
Le segment des consoles de jeux vidéo présente clairement les
caractéristiques d’un marché à deux versants : le producteur de la console
doit coordonner les développeurs de jeux et la demande des joueurs, pour
17
réaliser des profits. De nombreux articles appliqués aux jeux sur consoles
mettent en évidence l’existence d’effets de réseaux intergroupes (croisés) et
cherchent à les évaluer, selon différentes méthodes et hypothèses
comportementales30.
En utilisant des données sur le marché américain entre 1994 et 2002,
Clements et Ohashi (2005) montrent que l’intensité des effets de réseaux
intergroupes varie dans le temps : ces effets de réseaux croisés sont faibles
au lancement d’une console et lors de sa fin de vie, et par contre élevés au
milieu du cycle de vie31. Corts et Lederman (2009) montrent que, du fait du
raccordement multiple décidé par certains éditeurs de jeux32, il existe aussi
des effets de réseaux croisés au niveau d’une génération de console :
lorsqu’un nouveau jeu est développé pour la Playstation 3, par exemple, il
peut être aussi décliné pour les deux consoles concurrentes (la Xbox 360 et
la Wii), ce qui bénéficiera aussi à ces dernières. Corts et Lederman mettent
également en évidence que la contribution d’un jeu aux effets de réseaux
intergroupes dépend de sa qualité : alors qu’un jeu "moyen" supplémentaire
augmente les ventes de consoles de 6 020 unités selon leur estimation
économétrique, un jeu supplémentaire appartenant au 95ème percentile dans
le classement des "hits" augmente les ventes de consoles de 44 000 unités.
30. Voir, entre autres, Shankar et Bayus (2003), Venkatraman et Lee (2004), Clements et
Ohashi (2005), Prieger et Hu (2006), Nair (2007), Zhu et Iansiti (2007), Corts et Lederman
(2008), Derbenger (2008, 2011), Lee (2009), Binken et Stremersch (2009), Liu (2010), Dubé
et al. (2010), Chao et Derbenger (2011).
31. Leurs résultats contredisent donc l’intuition commune dans l’industrie du jeu vidéo qu’un
large éventail de titres est une condition nécessaire pour réussir le lancement d’une nouvelle
console.
32. Selon ces deux auteurs, au cours des vingt dernières années, la part des jeux développés
pour plus d’une console est passée de 13% à 40%.
18
Les segments du jeu mobile et de celui du jeu sur ordinateur personnel ont
comme particularité que la plateforme n'a pas comme finalité unique le jeu
vidéo. Il est donc plus difficile de mesurer un effet de réseaux entre joueurs
d'un côté et développeurs de jeux de l'autre (tous les utilisateurs n'étant pas
joueurs et tous les développeurs n'étant pas des développeurs de jeux). Dans
la suite de l’article, nous nous concentrons donc sur le cas plus "pur" des
consoles de jeux33.
Les effets de réseaux croisés et la dynamique d'appropriation des
innovations
sur
le
marché
des
consoles
Nous avons vu que sur un marché à deux versants, les deux groupes
d'utilisateurs de chaque côté de la plateforme sont liés par des effets de
réseaux intergroupes. Autrement dit, pour un utilisateur donné, la valeur de
la plateforme dépend du nombre d’utilisateurs de l’autre côté du marché.
Dans ces conditions, comment réussir le lancement d'une console de jeu
vidéo ? Quelle part jouent les innovations dans la technologie de la
plateforme ou les relations contractuelles avec les éditeurs de jeux ?
Pour répondre à ces questions, nous présentons les différentes générations de
consoles qui se sont succédées depuis la première console apparue en 1972
(l’Odyssey) (voir le tableau en annexe 4). Pour chaque génération et pour
33. Les jeux sur mobile et les jeux sur réseaux sociaux s'apparentent cependant de plus en
plus à l'univers des consoles. Aujourd’hui, le succès d’un appareil mobile est fortement lié à
la qualité de sa plateforme applicative, au sein de laquelle les jeux prennent une part
croissante. Par exemple, entre son lancement en juillet 2008 et 2010, les recettes des ventes de
jeux sur iPhone AppStore aux Etats-Unis sont passées de 5% à 34% des ventes totales sur la
plateforme applicative (source : http://blog.flurry.com (mai 2011) à partir de données NPD).
19
chaque console appartenant à cette génération34, nous indiquons quelles
étaient les innovations technologiques ou marketing propres à la console,
ainsi que ses forces ou faiblesses par rapport aux consoles concurrentes.
Nous mettons en évidence en particulier les facteurs qui ont pu influencer les
effets de réseaux croisés entre les deux versants des consoles (ces facteurs
sont soulignés en gras dans le tableau).
Ce Tableau met en évidence les enseignements suivants : a) les innovations
technologiques ne sont efficaces que si elles sont accompagnées
d’innovations dans les jeux associés, b) les jeux à succès des anciennes
générations, lorsqu’ils sont portés sur la nouvelle génération de console, en
stimulent les ventes (d’où l’importance de la rétrocompatibilité), c) les
relations avec les développeurs tiers sont primordiales, ainsi que leur
articulation avec les développeurs intégrés à la console, d) le leadership
change fréquemment à chaque nouvelle génération de console et enfin, e)
contrairement à ce qu’on pourrait attendre, le poids des effets de réseaux
intergroupes ne confère pas un pouvoir de marché absolu mais relatif et sur
une période de courte durée, car les consoles sont obligées de reconstruire
leur base installée de joueurs.
34. Nous utilisons cette notion de "génération" souvent employée dans la littérature pour
faciliter la présentation des différents modèles de consoles de jeux vidéo qui se sont succédés.
En pratique, la définition exacte d’une génération de console n’est pas aisée : fait-on référence
au matériel qui constitue les consoles, à leurs fonctionnalités, etc. ?
20
LES
STRATEGIES
EXPLIQUEES
PAR
DES
LA
PRODUCTEURS
THEORIE
DES
DE
MARCHES
CONSOLES
A
DEUX
VERSANTS
Dans cette partie, nous discutons les conséquences qu’a la structure à deux
versants du marché des consoles sur les stratégies tarifaires et non-tarifaires
des acteurs. Nous commençons par étudier les conséquences en termes de
tarification, puis nous abordons les relations entre producteurs de consoles et
éditeurs de jeux35.
Une tarification asymétrique, évolutive dans le temps
Dans un marché à deux versants, une plateforme qui maximise son profit
doit tenir compte des effets de réseaux intergroupes qui lient joueurs et
développeurs de jeux. Comme nous l’avons vu dans la section 2, un des
résultats centraux de la théorie des marchés à deux versants est que, sur ce
type de marché, une entreprise peut faire des profits importants en fixant des
prix très bas – voire nuls – pour un groupe de consommateurs. Une telle
structure tarifaire asymétrique permet de générer des effets intergroupes
importants et donc de maximiser la valeur de la plateforme36.
35. Nous nous concentrons sur les stratégies des producteurs de consoles sur les deux versants
du marché, celui des joueurs et celui des éditeurs. Nous ignorons certaines stratégies de ces
producteurs, comme par exemple les stratégies de différenciation horizontale qui s’appuient
sur l’hétérogénéité des joueurs (par exemple, console familiale ou console pour joueurs
confirmés). Par ailleurs, la littérature sur laquelle nous nous appuyons n’aborde pas la
question du jeu en ligne – nous ignorerons donc également cet aspect important du marché
des jeux vidéo.
36. Voir Evans et Schmalensee (2007). Cette forme de tarification asymétrique s’explique par
la supériorité de l’effet de réseau intergroupes sur l’effet de réseau intragroupe (voir Parker et
Van Alstyne, 2005).
21
Chou et al. (2008) démontrent, à partir d’un modèle théorique appliqué à la
console Xbox, que ce résultat général de la littérature est également vrai
lorsqu’on prend en compte certaines spécificités du marché des consoles : il
existe un prix d’accès à la plateforme (pour le kit de développement, SDK),
des royalties sont versées par les éditeurs tiers (TPP) au producteur de la
console et des marges sont réalisées sur les ventes de jeux développés en
interne (FPP)37. Cette tarification asymétrique est également efficace pour
les plateformes de jeux et pour la société : par exemple, Parker et Van
Alstyne (2002) montrent que la coordination des prix sur les deux versants
du marché permet d’augmenter à la fois le profit de la plateforme et le
surplus des consommateurs, par rapport à une situation de référence sans
coordination. Une console de jeux qui fixerait des prix aux consommateurs
et aux éditeurs sans tenir compte des effets de réseaux intergroupes ne serait
donc pas compétitive, comme l’a expérimenté 3DO avec sa console38.
La tarification étant asymétrique, quel versant du marché un producteur de
console doit-il subventionner ? La théorie générale suggère de subventionner
le côté du marché qui génère le plus d’effets de réseaux. Dans les modèles
appliqués plus spécifiquement à l’industrie des jeux vidéo, les prix optimaux
pour la plateforme dépendent de la sensibilité de la demande de chacun des
côtés du marché, de la nature et de l’intensité des effets de réseaux
intergroupes et des coûts de production. Dans le modèle d’Hagiu (2004),
l’asymétrie est fonction de l’intensité de la concurrence entre les
développeurs, de la variété de jeux disponibles pour les joueurs et du poids
37. Ils supposent également que les montants des royalties sont réinvestis dans la qualité des
jeux.
38. Cf. Takahashi (2002).
22
de l’incertitude quant à la disponibilité des jeux. Dans le cas des jeux vidéo
où les joueurs ont une préférence forte pour la variété, l’auteur montre que
les développeurs payent de fortes royalties et que le côté des joueurs est
subventionné. Ce résultat est renforcé par l’étude empirique de Clements et
Ohashi (2005) : selon ces auteurs, les joueurs ne sont pas disposés à payer un
prix élevé pour les consoles à cause de l’incertitude sur les prix futurs et sur
la disponibilité et la qualité des jeux futurs. Parker et Van Alstyne (2005)
montrent cependant que si les effets de réseaux intergroupes sont de même
amplitude d’un côté et de l’autre du marché (la présence d’un éditeur de jeux
supplémentaire
a
approximativement
la
même
valeur
pour
les
consommateurs que la présence d’un consommateur supplémentaire a de
valeur pour les développeurs), alors un producteur de console en monopole
peut fixer son prix de façon optimale sans tenir compte des effets croisés.
La subvention en faveur des joueurs mise en place par la plateforme peut se
comprendre aussi comme une tarification dite de pénétration, qui contribue
au développement rapide de la base installée de joueurs. Du fait de l’effet de
réseaux intergroupes, la console attire des développeurs de jeux qui vont
vendre leurs productions aux consommateurs et donc reverser des royalties
au producteur de la console.
La stratégie suggérée par la théorie, qui consiste à vendre la console à un
tarif proche du coût marginal (donc sans intégrer les dépenses de R&D et de
marketing), voire à perte, et de faire des profits sur la vente de produits
complémentaires (jeux, accessoires), est une pratique courante dans
l’industrie. Selon les analystes du secteur, Microsoft a vendu sa console
23
Xbox360 au moins 125$ en dessous du coût marginal39. La console PS2 de
Sony qui coûtait 299$ à son lancement était elle aussi vendue à perte40 : en
se basant uniquement sur les coûts des composants, les ventes de la PS3 dans
ses versions 20 GB et 60 GB engendreraient pour Sony des pertes de
respectivement 300$ et 240$ par unité41. La console Wii de Nintendo
constitue la seule exception à cette stratégie classique dans le secteur de
tarification en dessous du coût moyen42. Nintendo réaliserait en effet des
profits sur les ventes de ses consoles : selon les estimations, le bénéfice
direct par console Wii vendue était en 2007 de 13$ au Japon, de 49$ aux
États-Unis et de 74$ en Europe43. Une des explications avancées est que les
coûts de cette console sont plus faibles que ceux des consoles rivales, du fait
d’un coût de développement moindre et de l’optimisation des coûts de
production44.
Comme le montre le Tableau 2 ci-dessous, les producteurs baissent
également le prix de leurs consoles au cours du cycle de vie. Cette stratégie
tarifaire s’apparente aux stratégies de tarification dite d’écrémage qui sont
mises en place pour les biens technologiques durables au cours de leur cycle
de vie.
39. Microsoft a d’ailleurs précisé : "Our business model anticipates that while we currently
sell Xbox360 consoles at a negative margin, product cost reductions and the future margins
on sales of games and other products will enable us to achieve a positive margin over the
Xbox 360 console lifecycle" (Source : http://www.gamesindustry.biz, 28/04/2006, "Microsoft
reports Q3 losses on Xbox360 division").
40. Voir, par exemple, Herald News Service 30 March (2000, p. 56).
41. Voir "Sony losing over US $300 on each 20GB PS3", http://www.gamesindustry.biz,
2010.
42. Voir "Wii launch will not affect company profits, says Nintendo",
http://www.gamesindustry.biz, 2006.
43. Voir Brightman (2007).
44. Voir Ehrenberg (2007).
24
Tableau 2. Evolution des prix des consoles de salon au cours du cycle de
vie
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2009
2011
$299
$299
$200
$180
$150
$150
$130
$100
$100
Xbox
$299
$200
$180
$150
$100
$100
GC
$199
$150
$100
$100
$100
PS2
Xbox360
$300
$300
$200
$200
$400
$400
$300
$245
Wii
$250
$200
$150
PS3
$500
$300
$277
$600
$400
Sources : VGChartz.com (mai 2011), afjv.com, amazon.com et
wikipedia.com (juin 2011)
Comment expliquer que les producteurs baissent le prix de vente de leurs
consoles alors que les prix de lancement sont déjà très bas, souvent en
dessous des coûts de revient comme nous l’avons vu ?
Liu (2010) montre, à partir d’un modèle théorique, que cette stratégie
tarifaire peut s’expliquer par la complémentarité entre une tarification
d’écrémage et une tarification de pénétration. L’auteur propose un modèle de
concurrence entre deux producteurs de consoles (par exemple, Nintendo et
Sony), en supposant la présence d’effets de réseaux intergroupes, d’une
hétérogénéité entre les consommateurs et d’un coût marginal décroissant.
L’auteur justifie cette dernière hypothèse par la baisse continue des prix des
composants informatiques et par les économies d’échelle dont bénéficie le
producteur avec la pénétration croissante de la console. Liu montre qu’un
25
prix de lancement bas permet de capter une part de marché importante, mais
que la console doit tout de même baisser de prix au cours du temps, de façon
à convaincre les consommateurs les plus frileux (les "late adopters") de
l’adopter. Néanmoins, malgré cette baisse des prix, la marge unitaire croît
dans le temps (ce qu’on observe dans la réalité), parce que le coût marginal
baisse plus vite que le prix de la console.
Le Tableau 2 met également en évidence un alignement systématique des
prix à la baisse sur le prix de la console leader. Ceci met en exergue le rôle
des prix dans la concurrence entre consoles (de la même génération ou de
générations successives)45.
Ce type de tarification d’écrémage s’observe aussi pour les jeux pour
consoles. A partir de données sur les jeux pour la PlayStation de Sony entre
1998 et 2000 aux Etats-Unis, Nair (2007) met en évidence une
discrimination inter-temporelle : le prix est au départ élevé et à peu près du
même niveau pour tous les jeux, puis il baisse en moyenne de 2% par mois
(soit environ 1,75$ par mois), avec une accentuation de la baisse en fin de
cycle de vie. Malgré cette baisse de prix, les ventes sont concentrées sur la
période de lancement et baissent en moyenne de 10% par mois46. Nair
montre qu’il est essentiel pour les développeurs de jeux de tenir compte du
fait que les consommateurs peuvent anticiper la baisse de prix des jeux au
cours du temps et donc attendre avant d’acheter. Cependant, même dans ce
cas, la tarification d’écrémage reste optimale.
45. Voir Evans et Schmalensee (2007), Nair (2007).
46. La durée de vie d’un jeu est au maximum de 6 mois, à part quelques rares exceptions
comme certains jeux Mario de Nintendo dont les ventes se sont maintenues sur plusieurs
années.
26
Les stratégies des consoles sur le versant des éditeurs de jeux
L’importance de la variété et de la qualité des jeux pour vendre la console
Comme nous l’avons vu, les producteurs vendent souvent leurs consoles de
jeu à perte. Comme ils réalisent par contre des profits sur les ventes de jeux
vidéo (via les royalties qu’ils reçoivent sur ces ventes), il est fondamental
pour un producteur de proposer des jeux de bonne qualité pour compenser
les pertes sur les ventes de la console elle-même47.
Contrairement aux biens systèmes composés de produits complémentaires
(hardware & software) pour lesquels les effets de réseaux croisés dépendent
principalement de la quantité de software, dans l’industrie des jeux vidéo, le
succès de la console dépend à la fois de la variété et de la qualité des jeux.
Tout d’abord, pour convaincre les consommateurs d’adopter une console, un
producteur doit proposer un catalogue suffisamment varié de jeux48.
Clements et Ohashi (2005) étudient empiriquement la relation entre la
tarification de la console et la variété des jeux disponibles sur le marché
américain, de 1994 à 2002. Ils trouvent que l’élasticité de la demande par
rapport à la variété de jeux disponibles est faible au lancement d’une console
: autrement dit, fixer un prix bas a plus d’impact sur les ventes de la console
qu’une grande variété de jeux. La variété du catalogue de jeux est donc
47. Voir, par exemple, "Xbox drags on Microsoft profit", CNET news, 18 janvier 2002.
48. Selon Eisenmann et al. (2006), un joueur achète en moyenne 8 jeux pour un modèle de
console.
27
importante au lancement de la console, mais pas suffisante pour garantir le
succès ; il faut également fixer un prix suffisamment bas pour encourager
l’adoption, la variété des jeux proposés permettant alors de prolonger ce
cycle d’adoption. A partir d’une étude portant sur les consoles de 6ème
génération (GameCube, Xbox, PS2) de mars 2002 à décembre 2004 aux
Etats-Unis, Prieger et Hu (2006) évaluent les poids respectifs de la variété et
du prix pour expliquer les ventes de consoles. Ils trouvent qu’une hausse de
1% de la variété de jeux est équivalente à une réduction du prix de 0,39% et
donc qu’une stratégie fondée uniquement sur le catalogue de jeux ne peut se
substituer totalement à une stratégie tarifaire. Par ailleurs, les auteurs
montrent que les jeux un peu anciens génèrent moins d’effets de réseaux que
les nouveaux titres. Il semble donc difficile pour une plateforme de jeux
vidéo de dominer le marché en constituant un large catalogue de jeux.
Une autre façon d’augmenter la variété des jeux disponibles sur une console
de nouvelle génération consiste à la rendre rétrocompatible avec les jeux de
l’ancienne génération. Cependant, la rétrocompatibilité est une stratégie qui
a aussi des inconvénients, car elle limite les innovations logicielles qui
exploitent les performances de la nouvelle console49.
Au-delà de la variété, la qualité des jeux disponibles joue aussi un rôle
important dans le succès d’une console. L’expérience d’Atari dans les
premières générations de consoles le met bien en évidence. Malgré sa large
base installée à l’époque (60% du marché), Atari n’a pas réussi à maintenir
son leadership, du fait de la production massive de jeux réalisés par des
49. Voir Derdenger (2008).
28
éditeurs tiers (TPP), de qualité souvent très faibles50. Nintendo, alors nouvel
entrant, fonde au contraire sa stratégie logicielle sur la qualité plutôt que sur
la quantité : il contrôle étroitement la qualité et la quantité des jeux réalisés
par les éditeurs tiers. Aux Etats-Unis, les ventes de la console NES de
Nintendo passent alors de 1,5 million d’unités en 1986 à 9 millions d’unités
en 1989 (avec près de 80% de part de marché). Nintendo a depuis poursuivi
cette stratégie fondée sur la qualité des jeux plutôt que sur la quantité. Par
exemple, en juin 1997, la console N64 de Nintendo ne proposait que 17 jeux,
contre 285 jeux pour sa rivale PlayStation. La N64 s’accompagnait aussi de
plusieurs jeux blockbusters : 3 jeux NES 64 représentaient chacun plus de
4% des ventes unitaires aux Etats-Unis et 21 jeux représentaient plus de 1%
des ventes, alors que les 5 meilleurs jeux disponibles pour la PlayStation ne
dépassaient pas une part de marché de 1%51.
A partir d’une étude empirique sur les consoles pendant la période 19932004 aux Etats-Unis, Binken (2010) montre que les jeux superstars ou
AAA52 ont effectivement des effets très importants sur les ventes de
consoles. Selon ses estimations, l’introduction aux Etats-Unis d’un jeu
superstar pour une console augmente ses ventes de 14% sur une période de 5
mois. L’auteur montre aussi que les suites d’un jeu superstar ont autant
d’influence sur les ventes de la console que le jeu superstar initial. Ceci
justifie les efforts réalisés par les éditeurs de jeux pour créer des "franchises"
fortes (comme Mario ou Call of Duty, par exemple).
50. Voir Wolf (2001) et Gallagher et Park (2002).
51. Source : Dubé et al. (2010).
52. L’industrie des logiciels de jeux est une industrie de superstars ou de hits. Seuls 10% des
jeux sortis font des profits (Coughlan, 2004). Parmi ceux-ci, seul un nombre restreint est
considéré comme un hit. Par exemple, des jeux comme GTA ou Halo 2 sont considérés
comme des hits ; ils se sont vendus en 3 mois à plus de 4 millions d’exemplaires aux EtatsUnis (Lee, 2009). Ces titres sont qualifiés de "jeux AAA" dans l’industrie.
29
Zhu et Iansiti (2007) mettent aussi en évidence le rôle des effets de réseaux
croisés dans l’achat d’une console. Ils développent un modèle dynamique de
concurrence entre deux entreprises proposant des biens différenciés, l’une
d’elles étant un entrant légèrement supérieur technologiquement. Si la
qualité prédomine dans le choix des consommateurs et si les effets de
réseaux croisés sont faibles, l’avantage lié à la base installée de la firme en
place diminue dans le temps et un duopole émerge. Par contre, si les
consommateurs placent peu de valeur dans la qualité des applications
futures, ils adoptent le produit de la firme installée et un monopole s’établit.
Les auteurs appliquent leur modèle à la concurrence entre la PS2 et la Xbox
entre novembre 2001 et octobre 2005 aux Etats-Unis. La PS2 fut introduite
en 2000 et la Xbox un an après ; la PS2 avait alors une base installée
significative et proposait une grande variété de jeux disponibles53. La
concurrence entre ces deux consoles fut très intense car elles visaient le
même public, à la différence de la GameCube de Nintendo54. La Xbox a
toutefois réussi à entrer sur le marché avec succès : en 2004, elle avait plus
de 40% du marché des consoles fixes et aussi des nouveaux jeux sortis. Par
ailleurs, l’évolution à la baisse des prix de ces deux consoles a reporté le
choix des consommateurs sur la qualité des consoles et la variété des jeux
associés.
53. Selon Zhu et Iansiti (2007), au moment de l’introduction de la Xbox, 4,5 millions de
consoles PS2 avaient été vendues aux Etats-Unis et 1000 jeux étaient déjà disponibles pour
cette console.
54. Concernant l’entrée tardive de Nintendo dans la 6 ème génération, Satoru Iwata, président
de Nintento, interviewé par Reuters (23/01/2003 sur gamekult.com), a déclaré : "La PS2 est
arrivée un an et demi avant la [GameCube]. Si nous avions lancé la GameCube en même
temps que la PlayStation 2, les résultats auraient été différents". Pour rattraper ce retard,
Nintendo s’est orienté vers une stratégie d’innovation en développant de nouveaux types de
jeux permettant de jouer en même temps sur la GameCube et la console portable GameBoy
Advance.
30
L’entrée avec succès de la Xbox s’explique selon Zhu et Iansiti par son
avantage en qualité initial et l’orientation du marché vers la qualité. Nous
retrouvons une idée de "valeur globale" de la console, valeur qui la rend plus
ou moins résistante à la concurrence. Pour Teng et al. (2006), une
technologie est "peu résistante" quand la valeur intrinsèque de la technologie
est faible comparativement aux effets de réseaux ; dans ce cas, un challenger
peut parvenir à attirer les consommateurs de la firme installée par une
stratégie agressive. La concurrence entre la Xbox360 et la Wii illustre cette
dualité entre qualité intrinsèque et effets de réseaux. Microsoft a sorti la
Xbox360 près d’un an avant la Wii et on peut considérer que la Xbox360
avait une qualité intrinsèque supérieure à la Wii. Cependant, l’écart de
qualité s’est révélé insuffisant par rapport aux effets de réseaux croisés : en
proposant des jeux exclusifs et attractifs pour les consommateurs, Nintendo a
su créer un effet de réseaux indirect important pour sa console, et ainsi
inciter les consommateurs à basculer de la Xbox360 vers la Wii.
Grouper la console avec des jeux superstars pour stimuler les ventes
En plus des efforts sur la qualité et la variété des jeux, il peut être profitable
pour un producteur de coupler la vente de la console avec un jeu superstar
(stratégie de vente groupée ou bundling). La littérature précise les conditions
qui favorisent la vente groupée d’une console avec un ou plusieurs jeux.
Selon l’étude de Stremersch et al. (2006), qui porte sur les relations entre la
console portable GameBoy de Nintendo et les jeux pour GameBoy entre
1989 et 2004 aux Etats-Unis, ce sont les jeux superstars (les "blockbusters")
vendus avec la console qui expliquent son succès.
31
A partir de données sur les consoles GameCube, PS2 et Xbox aux Etats-Unis
entre 2000 et 2006, Derdenger (2011) montre que la vente d’une console
avec un jeu en exclusivité a deux effets qui incitent à une stratégie de vente
groupée : i) cela conduit à une hausse des prix des consoles car les joueurs
sont obligés d’acheter la console pour jouer au jeu et ii) le producteur
bénéficie d’un effet d’efficacité lié à la production en interne de la console et
du jeu.
A partir de données sur le marché des consoles portables de mi 2001 à mars
2005 aux Etats-Unis (seulement Nintendo est présent avec la GBA et la
GBA SP), Chao et Derdenger (2011) montrent que la stratégie dominante
pour le producteur de la console est de proposer un bundling mixte, c’est-àdire de vendre à la fois une console seule (sans jeu), des jeux seuls et une
console avec des jeux. Cette stratégie lui permet en effet de discriminer entre
les consommateurs potentiellement acheteurs de la console et ceux qui
disposent déjà de la console. Le prix des jeux seuls étant fixé en fonction de
la base installée de joueurs qui est verrouillée, la console est conduite à
baisser le prix de la console pour rendre son offre groupée attractive. Les
auteurs montrent également qu’avec une offre groupée (en bundling mixte),
les développeurs paient des royalties plus faibles. Le producteur de la
console rééquilibre la tarification en faveur des éditeurs pour les attirer, ce
qui augmente la production de contenus et par conséquent l’effet croisé sur
la demande de consoles. Comme le soulignent les auteurs, la stratégie de
bundle avec des jeux réalisés en interne (FPP) a donc plus d’intérêt en
présence de développeurs tiers (TPP). Ils montrent aussi que les offres
32
groupées de Nintendo sont proposées dans la période de ventes annuelles
maximales et plutôt en milieu de cycle de vie55.
En 1982, Coleco initia cette stratégie de ventes groupées et domina
rapidement le marché avec 17% du marché des consoles (contre 8% pour
Intellivision et 6% pour Atari 5200), grâce également à une console plus
puissante, la disponibilité de jeux sous licence Nintendo sur sa console, le
rachat de licences de développeurs tiers auprès d’Atari et la fourniture d’un
adaptateur compatible avec les jeux Atari56.
Les relations contractuelles entre producteurs de consoles et éditeurs de
jeux
Comme nous l’avons vu dans la section 2, si les éditeurs de jeux se
raccordent à toutes les plateformes (multi-homing), comme tous les jeux sont
disponibles indifféremment sur chaque console, le prix devient prédominant
dans le choix du consommateur. Si les consommateurs ne choisissent qu’une
seule plateforme, la concurrence sur le versant des consommateurs va alors
être très intense. Pour se différencier, les producteurs peuvent décider de
nouer des relations contractuelles privilégiées avec certains éditeurs de jeux.
Il existe différentes stratégies contractuelles : les jeux avec exclusivité totale,
qui sont essentiellement des jeux FPP (réalisés en interne), les jeux TPP
55. En juin 2001, sortie de la GBA seule. Puis, en novembre 2001, sortie de la GBA avec
Mario Kart. Puis en novembre 2002, sortie de la GBA avec Mario Advance 2. En mars 2003,
sortie de la GBA SP puis, en novembre 2003, sortie de la GBA SP avec Mario Advance 4
(Chao et Derdenger, 2011). En octobre 2003, vente de la GameCube à 99€ avec Mario Kart
Double Dash, Zelda ou Metroid Prime.
56. Voir Gallagher et Park (2002).
33
(réalisés par un éditeur tiers) avec une exclusivité partielle de courte durée et
les jeux TPP en multi-production (lorsque le jeu est décliné sur les
différentes consoles).
Une exclusivité totale est avantageuse pour la plateforme car elle lui confère
un pouvoir de monopole sur le jeu, augmentant l’attractivité de la console,
en particulier si le jeu est de qualité. Derdenger (2008) montre aussi que les
jeux exclusifs réalisés en interne (FPP) dégagent des marges plus élevées et
permettent donc de compenser plus rapidement les pertes éventuelles liées à
la vente de la console en-dessous des coûts. Selon l’auteur, l’exclusivité sur
les jeux réalisés en interne a deux effets contraires : 1) un effet positif sur la
demande, ce qui permet d’augmenter le prix de la console et 2) un effet sur
la structure de marché, qui pousse au contraire le prix à la baisse (car
l’intégration verticale dans la production de jeux augmente la concurrence).
A partir de données sur les consoles GameCube, Xbox et PS2 aux EtatsUnis, l’auteur montre que l’effet sur la structure de marché l’emporte sur
l’effet sur la demande pour toutes les consoles (en cas d’intégration
verticale, les prix baissent d’une valeur comprise entre 1% et 5,3% pour les
trois consoles GameCube, Xbox et PS2).
Contrairement à l’intuition que l’on pourrait avoir, une exclusivité sur
certains jeux peut favoriser l’entrée de concurrents et l’émergence d’un
oligopole. Lee (2009) montre que pour les consoles fixes de 6ème
génération, les jeux exclusifs ont bénéficié plus aux consoles suiveuses qu’à
la console installée, ce qui a été favorable à l’entrée. Lee simule une
situation dans laquelle l’exclusivité est impossible, la demande des
consommateurs est hétérogène et les jeux ne sont pas substituables : la part
34
de marché de la PS2 augmente alors de 60% dans les 5 premières années.
Les jeux à succès des consoles Xbox et GameCube passent en effet sur la
PS2 qui est dominante, renforçant encore sa dominance. L’exclusivité ne
peut donc pas expliquer complètement la dominance d’une console.
Cependant, l’impact des exclusivités dépend de la différenciation entre les
consoles. Par exemple, les exclusivités dont bénéficie la PS2 ont eu un
impact négatif sur les ventes de Xbox car cette console était proche de la
PS2 et vendue au même prix, tout en ayant une base de consommateurs plus
petite et un catalogue de jeux moins fourni (car elle était sortie un an après la
PS2). Par contre, les ventes de GameCube ont été très faiblement affectées
par les exclusivités de la PS2, du fait de son positionnement différent et d’un
prix moins élevé. L’auteur fait ensuite une seconde simulation en supposant
que les jeux réalisés en interne (FPP) n’ont pas été produits. Il montre que
les profits de l’industrie diminuent, ce qui s’explique par le fait que les jeux
FPP sont souvent des hits. Parmi les trois producteurs de consoles, l’arrêt de
la production de jeux en interne affecte principalement les ventes de
consoles Microsoft et surtout de consoles Nintendo (selon les simulations de
Lee, sur une période de 5 ans, les ventes de consoles baissent de 1 à 2
millions d’unités pour Microsoft et de 45 millions d’unités pour Nintendo).
L’auteur en conclut que, sans exclusivité sur les jeux, Microsoft et Nintendo
ne seraient pas entrés sur un marché où la PS2 avait déjà été adoptée par 5
millions de joueurs.
A partir de données sur le marché américain de janvier 1993 à décembre
2004 et pour 11 consoles et 5800 jeux, Binken et Stremersch
(2009) proposent une estimation de l’impact de l’exclusivité des jeux
35
superstars sur les ventes de consoles. Ils montrent que l’exclusivité pour un
jeu superstar augmente les ventes de la console qui en bénéficie de 16%
pendant les 5 premiers mois, alors que les jeux superstars non exclusifs
augmentent les ventes de la console de seulement 9%. L’exclusivité apparaît
donc comme un moyen d’augmenter ses ventes de consoles mais aussi de
réduire les ventes des consoles concurrentes du fait des effets de réseaux.
Si un accord d’exclusivité peut être profitable pour un producteur de
consoles, pour un éditeur tiers, l’arbitrage entre signer un tel accord et
développer le jeu pour des consoles concurrentes dépend :

des coûts de portage (l’achat du kit de développement et l’adaptation
du jeu) qui permettent d’adapter le jeu à une autre console et qui
sont plus faibles aujourd’hui que dans le passé57 ;

des royalties plus fortes à reverser si le jeu n’est pas exclusif ;

des économies d’échelle : la volonté de rentabiliser l’investissement
en R&D du jeu sur une base de joueurs plus large grâce au portage
est une pratique courante, en particulier, pour les consoles Microsoft
et Sony qui visent le même public ;

et de l’intensité concurrentielle entre les consoles, car le portage
bénéficie aux demandes de toutes les consoles en générant un effet
de réseaux intergroupes commun à toutes les consoles58.
Depuis 20 ans, une tendance toutefois se dessine : la part des jeux non
exclusifs croît (de 13% à 40% selon Corts et Lederman, 2008). Les raisons
57. Les coûts de portage ont aussi baissé grâce aux intergiciels (middlewares) qui permettent
de développer des parties de jeu dans un format compatible avec toutes les consoles (comme
les animations 3D, par exemple).
58. Voir Corts et Lederman (2008).
36
en sont structurelles : une hausse des coûts de développement à chaque
génération de consoles (plus de puissance, d’effets graphiques, sonores et
des anticipations de plus en plus exigeantes des joueurs requièrent des
équipes plus grandes de développeurs) et la hausse de contenus sous licence
dans les jeux59. Les jeux nouveaux exigent au moins deux ans de
développement et un budget d’au moins une dizaine de millions de dollars60.
A partir des données sur la période allant de janvier 1995 à décembre 2002
aux Etats-Unis et pour 8 consoles et 671 développeurs, Venkatraman et Lee
(2004) cherchent à expliquer la décision d’un éditeur de lancer un nouveau
jeu à un moment donné. Ils montrent que la décision de raccordement d’un
éditeur est fonction du degré de couplage entre une console et un ensemble
de développeurs : une console qui a un petit groupe de développeurs
privilégiés attirera moins de nouveaux développeurs qu’une console plus
ouverte. Les auteurs mettent également en évidence qu’un éditeur de jeux
aura une préférence pour les nouvelles consoles et les consoles occupant une
niche du marché.
Lorsque les jeux développés par des éditeurs tiers (TPP) accompagnent le
lancement d’une console, une période d’exclusivité est souvent négociée.
Sony a ainsi payé des dizaines de millions de dollars à l’éditeur tiers TakeTwo pour obtenir l’exclusivité sur PS2 de sa franchise "Gran Theft Auto"61.
Pour lancer sa plateforme Android "Amazon AppStore" aux Etats-Unis,
Amazon a aussi négocié une exclusivité de 15 jours pour certains jeux et des
59. Ibid. note 45.
60. Voir Poole (2000).
61. Source : IGN, 2002.
37
promotions régulières. A la fin de la période d’exclusivité, ces jeux seront
disponibles sur Android Market, plateforme concurrente gérée par Google62.
Finalement, les jeux en exclusivité permettent aussi de garantir aux
consommateurs une offre de jeux minimale au lancement d’une console63.
Les consoles suivent ainsi une stratégie hybride en termes de relations
contractuelles aves les éditeurs, en produisant en interne certains jeux en
exclusivité et en se faisant concurrence pour obtenir l’exclusivité de certains
jeux des éditeurs tiers pour compléter leur catalogue de contenus. Cette
intégration verticale partielle des plateformes vers l’édition de jeux constitue
une des originalités du marché des consoles, par rapport au modèle général
des marchés à deux versants.
CONCLUSION
L’industrie des jeux vidéo, et tout particulièrement le segment des consoles,
constitue ce qu’on appelle un marché à deux versants. Sur un marché à deux
versants, des plateformes – les consoles de jeu vidéo, par exemple – se font
concurrence pour attirer deux groupes d’utilisateurs différents – des joueurs
et des éditeurs de jeux dans le cas des consoles. Ces deux groupes
d’utilisateurs sont liés par des effets de réseaux inter-groupes ou croisés :
plus il y a d’éditeurs et donc de jeux sur une plateforme, plus elle est
attractive pour les consommateurs, et inversement. Les enseignements
62. Source : http://www.gamasutra.com, 16 mai 2011.
63. Et donc de résoudre le problème de la "poule et de l’œuf" : une console sans jeu ne sera
pas adoptée par les consommateurs, et sans consommateurs, une console n’attirera aucun
développeur.
38
généraux de la théorie des marchés à deux versants s’étendent à l’industrie
des jeux vidéo :
-
Une plateforme de jeu vidéo doit fixer ses tarifs sur les deux
versants de son marché (joueurs et éditeurs de jeux) en ne tenant pas
uniquement compte de ses coûts de production, mais aussi des effets
de réseaux générés par chaque groupe d’utilisateurs ; il est alors
optimal de subventionner le côté du marché qui génère le plus
d’effets de réseaux. La littérature économique appliquée aux
consoles de jeux montre que c’est le côté des joueurs, ce qui justifie
la tarification très agressive des consoles sur ce segment de marché.
-
La concurrence entre plateforme est très intense, car lorsque des
plateformes se font concurrence d’un côté du marché, cela affecte
également leurs parts de marché de l’autre côté, du fait des effets de
réseaux intergroupes.
-
Les décisions des utilisateurs appartenant à chaque côté du marché
de se raccorder à une seule plateforme ou à plusieurs plateforme
affectent significativement la concurrence entre les plateformes. Par
exemple, si les éditeurs de jeux développent leurs jeux pour toutes
les plateformes, la concurrence se reporte sur le versant des joueurs
et elle devient très intense. Les plateformes ont donc intérêt à signer
des accords d’exclusivité avec certains éditeurs de jeux pour se
différencier.
La littérature appliquée plus spécifiquement aux jeux vidéo pour consoles
fournit les enseignements stratégiques complémentaires suivants :
39
les effets de réseaux croisés dépendent de la variété des jeux
proposés, mais aussi de leur qualité (un "hit" va générer plus d’effets
de réseaux qu’un jeu moyen),
les joueurs sont attirés par la valeur globale de la console et des jeux
et arbitrent aussi en fonction de leurs anticipations sur les sorties de
jeux futures,
les effets de réseaux croisés doivent être entretenus dans une
perspective dynamique en développant en parallèle une base
installée sur les deux versants du marché,
il n’y a pas de domination permanente d’un producteur de console
malgré les effets de réseaux croisés : la domination et le leadership
sont constamment remis en cause à chaque cycle technologique,
les exclusivités dont bénéficie une console et la rétrocompatibilité
avec les jeux des générations antérieures aident à construire une base
de consommateurs et de développeurs,
vendre une nouvelle console avec des jeux à la réputation déjà
établie (par exemple, Donkey Kong, Pokémon, Mario) est un moyen
efficace pour construire la base de consommateurs et attirer ensuite
des développeurs.
Différents thèmes de recherche nous paraissent prometteurs et intéressants :
existe-t-il une complémentarité entre consoles fixes et consoles portables ?
Plus généralement, quelle est l’intensité de la concurrence entre les différents
types de plateformes (ordinateur personnel, console de jeux vidéo fixe ou
portable, jeu sur mobile ou tablette, …) ? Quel est l’impact de la
40
participation des joueurs à la production de jeux (à travers les mods, etc.64)
sur la concurrence entre plateformes ? D’un point de vue plus empirique, il
nous paraitrait également intéressant d’étudier et de mesurer les effets de
réseaux croisés dans les plateformes applicatives mobiles.
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46
ANNEXE 1. Les acteurs et leurs relations sur le segment des jeux pour ordinateur
47
ANNEXE 2. Les acteurs et leurs relations sur le segment des jeux pour consoles
48
ANNEXE 3. Les acteurs et leurs relations sur le segment du jeu mobile (mobile gaming)
49
ANNEXE 4. Premiers entrants, leaders et générations technologiques des consoles fixes
(* indique le premier entrant ; ** indique la console la plus populaire ; DD indique un design dominant ; en gras : innovations ou forces/
faiblesses affectant les effets de réseaux intergroupes)
Console
Sortie
Innovations
Forces ou faiblesses
(technologiques ou marketing)
1ère génération 1970-1976
Première console dédiée aux jeux vidéo.
Faiblesse : mauvais marketing sur la compatibilité avec les
Plusieurs jeux disponibles sur des cartes
écrans de télévision autres que Magnavox.
de circuits imprimés interchangeables.
2ème génération 1976-1984
Première console à disposer d’un
Force : utilisation de cartouches (hausse de la variété :
processeur interne. Introduction des
production de 21 jeux).
cartouches pour accroître la variété.
Faiblesse : absence de jeux AAA65.
Forces : utilisation de cartouches (hausse de la variété) et
Achat des licences de jeux AAA
préemption des licences de jeux AAA.
d’arcade (Asteroids, Pac-Man et Space
Invaders)66.
Plus un objectif de démonstration technique que de plateforme
de jeux.
Odyssey
(Magnavox)
Mai 1972
Channel FDD
(Fairchild)*
Août 1976
RCA (Studio)
VCSDD**(Atari)
Jan. 1977
Oct. 1977
Gamevision
(Texas
Instruments)
Home Arcade
(Bally)
1979
Fév. 1978
Faiblesse : absence de jeux AAA.
Odyssey 2
1978
Faiblesse : absence de jeux AAA.
65. Comme nous l’avons vu plus haut, on parle de "jeu AAA" pour qualifier un jeu "blockbuster", pour lequel un investissement important est
consenti, tant dans la phase de développement que pour la commercialisation.
66. L’arcade est l’ancêtre de la console de salon.
50
Intellivision
(Mattel)*
1980
Atari 5200
(Atari)
1982
Colecovision**
(Coleco)
Sept. 1982
Arcadia 2001
(Emerson)
1982
NES**
(Nintendo)*
Oct. 1985
Master
(Sega)
Juin 1986
System
Atari 7800
(Atari)
Sega Genesis**
(Sega)*
Juin 1986
Août 1989
Puissance supérieure de la console
Bundling avec un jeu AAA d’arcade
(Donkey Kong) sous licence Nintendo ;
compatibilité jeux Atari
Faiblesse : manque de jeux
Faiblesses : insuffisance de jeux de qualité ; nombreuses copies
des jeux Atari produites par des développeurs tiers
(cannibalisation).
Force : rachat des licences TPP d’Atari (plus grande variété).
Revente de son système 2nde génération à Nintendo en 1984.
3ème génération 1985-1990
Meilleure qualité graphique et stratégie
Forces : droits de licence sur les principaux jeux d’arcade
marketing innovante67; incompatibilité
AAA ; offre groupée (bundle) avec Super Mario Brothers.
et exclusivité des jeux ; recherche de
qualité plutôt que de quantité ; base
installée de développeurs ; 80% du
marché
Faiblesses : mauvais circuit de distribution et pas d’accès aux
jeux AAA de Nintendo qui a une exclusivité avec les
développeurs tiers
Rétrocompatible avec la console 5200
Faiblesse : jeux graphiquement inférieurs et dépassés.
4ème génération 1989-1996
Course à la puissance pour contrer
Faiblesses : lecteur CD trop cher et capacités limitées de la
Nintendo. Possibilité d’ajouter un
console pour exploiter la puissance du CD68 ; Sega attire les
lecteur de CD interne pour 300$.
développeurs tiers qui n’ont pas de contrat avec Nintendo et
Extension du public visé (les jeunes de
donc pas les meilleurs ; absence de rétrocompatibilité.
67. Nintendo a multiplié les opérations d’exposition de sa console avec des chaines TV, des BD, le magazine Nintendo, etc.
68. La capacité du CD est 500 fois supérieure à celle des cartouches.
51
plus de 14 ans et les jeunes adultes).
Forces : jeux bien positionnés sur les sports ; nouvelle
franchise forte avec Sonic.
Faiblesse : absence de jeux de qualité.
Sortie du marché.
Turbo Graphix 16
(NEC)
Sept. 1991
Course à la puissance (graphiques, sons)
pour contrer Nintendo. Lecteur CD
externe.
Super NES
(Nintendo)
Sept. 1991
Interactive
Multiplayer
(3DO)*
Oct. 1993
Faiblesses : sortie trop tard sur le marché et pression des
développeurs tiers pour lever les restrictions contractuelles
(procès antitrust en 90) ; absence de rétrocompatibilité.
Force : franchises avec des personnages forts (Mario Bros).
5ème génération 1993-2006
Externalisation de la production de la
Faiblesses : les effets de réseaux inter-groupes ne sont pas
console et des jeux.
intégrés dans la tarification ; externalisation de la production de
la console à un coût trop élevé69.
Jaguar (Atari)
Oct. 1993
Acteur mineur.
Saturn (Sega)
Mai 1995
PlaystationDD**
(Sony)
Sept. 1995
Nintendo 64
(Nintendo)
Oct. 1996
Force : premier jeu 3D (Virtual fighter).
Faiblesse : prix trop élevé.
Lecteur CD et cartes mémoire en option
Forces : nombreux jeux et campagne marketing innovante70 ;
pour sauvegarder le jeu.
baisse du coût de la console par la révision de l’architecture
produit71.
Offre groupée (bundling) avec le jeu
Faiblesse : jeux AAA développés en trop de temps.
Super Mario.
Les ventes battent celles de Sony en 96 malgré le peu de jeux
disponibles (6) utilisant toujours des cartouches.
6ème génération 1999-aujourd’hui
69. Le coût de production de la console Panasonic était de 699$, tandis que le coût de production de la SNES se situait entre 150$ et 200$.
70. Les CD sont 3 à 5 fois moins chers à produire que les cartouches (Wolf, 2011). Les économies réalisées ont permis à Sony de dépenser 200
millions de dollars en marketing pour le lancement de sa console (Kline et al., 2003).
71. La PS a 750 pièces en 1995 et 450 pièces fin 1997. Son prix a baissé de 399$ au moment du lancement à 299$ six mois après (Asakura,
2000).
52
Dreamcast
(Sega)*
Sept. 1999
Modem pour jouer sur le réseau Sega.
Playstation 2**
(Sony)
Oct. 2000
Console multi-usages. Techniquement
équivalente à la Dreamcast + lecteur
DVD + lecteur CD, mp3 +
rétrocompatibilité avec la PS
GameCube
(Nintendo)
Xbox (Microsoft)
Nov. 2001
Xbox360
(Microsoft)*
Nov. 2005
Wii**
(Nintendo)
Nov.2006
Nov. 2001
Sortie du marché à la suite de la baisse des prix des concurrents
et d’un mauvais marketing.
Forces : largesse du catalogue en exclusivité malgré la
difficulté à programmer pour les développeurs tiers ; bundling
avec un lecteur DVD à un prix concurrentiel ($360). Fin 2006,
1247 développeurs, 7163 titres et 1md de jeux vendus
(PlayStation Global 2007). Console encore produite et vendue
en 2011.
Design innovant. Puissance supérieure à
Force : connectivité avec la console portable GBA. Faiblesse :
la PS2. Manette sans fil (2002)
jeux insuffisants et arrivant au compte-goutte.
Introduction de la technologie PC dans
Forces : diffusion SDK et conditions avantageuses pour les
éditeurs de jeux ; rachat de développeurs, développement d’une
la console (disque dur et connexion
Internet avec XLive). Supériorité
expertise interne FPP ; dépenses marketing élevées72.
technologique sur la PS2 vendue au
Faiblesses : difficulté à contractualiser avec des développeurs
même prix ($299).
tiers pour des exclusivités.
7ème génération 2005-aujourd’hui
Haute définition, manettes sans fil.
Force : ajout accessoire Kinect en 2010 pour conquérir les
joueurs occasionnels et rallonger le cycle de vie de la console.
Nouvelles manettes avec reconnaissance
des mouvements, WiFi.
Force : rétrocompatibilité avec la GameCube.
Lecteur HD Blu-Ray, disque dur, CD,
Forces : PSMove. Faiblesses : stratégie d’imposition du
mp3, photos, Internet. Nouvelle manette
standard Blu-Ray ; hausse du coût de développement à cause
sans fil et capteur de mouvement à 6
du Blu-Ray (les développeurs préfèrent la Xbox360).
degrés de liberté, WiFi. Rétro-compatible
pour les premiers modèles.
Source : Les auteurs à partir de Gallagher et Park (2002) et http://www.videogamehouse.net (juin 2011).
Playstation 3
(Sony)
Nov. 2006
72. "To attract consumers, console producers advertise in the media and exhibit at trade shows at great expense. Microsoft spent an industryrecord $500m in 18 months for the marketing of Xbox, attempting to catch up to PS2" (Schilling, 2003, p.6).
53
54