L`Andalousie, le faux paradis perdu des salafistes

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L`Andalousie, le faux paradis perdu des salafistes
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Kapitalis – 25 mai 2012
L’Andalousie, le faux paradis perdu des salafistes
Les salafistes invoquent donc souvent l’âge d’or de l’Andalousie pour dire l’apogée qu’a pu atteindre
la civilisation «arabo musulmane», mais ils oublient de préciser qu’ils en ont été les fossoyeurs.
Par Rachid Barnat
Après un petit séjour à Séville et à Grenade, quelques réflexions me viennent sur l’Andalousie que
fantasment beaucoup de nostalgiques d’un âge d’or de la civilisation «arabo-musulmane» qu’ils
n’ont connu qu’à travers les légendes qui, comme toutes les légendes, embellissent et falsifient
l’histoire.
Quand Boabdil, le dernier roi de Grenade, quittait l’Alhambra, vaincu par Isabelle la Catholique, sa
mère a prononcé selon la légende cette phrase définitive: «Pleure comme une femme ce que tu n’as
pas su conserver comme un homme»!
Un «mauvais musulman» en cache toujours un autre
Mais, en réalité, le déclin des Arabes en Andalousie est une longue histoire commencée depuis
longtemps et qui a vu se développer des guerres entre les Arabes eux-mêmes jusqu’à l’apparition des
«Taïfas» (multitude de petites principautés) qui signeront le début de la fin de la conquête de la
péninsule ibérique.
Des conflits permanents pour chasser les sultans avec toujours la même technique éprouvée: leur
reprocher de n’être pas de bons musulmans. Comme ces régimes ne connaissaient aucune règle pour
l’alternance du pouvoir, instaurant souvent le régime dynastique, la seule opposition politique que
pratiquaient les salafistes, c’était l’islamisme! Celui qui voulait prendre la tête du pouvoir développait
toujours l’idée que son prédécesseur était un «mauvais musulman». Et c’est ainsi que, dès cette
époque, l’islam a été instrumentalisé et utilisé à des fins politiques, comme instrument de conquête
du pouvoir. Ce que font les islamistes aujourd’hui.
Par conséquent l’idée, si souvent reprise par les islamistes, selon laquelle l’Andalousie a été perdue
parce que les musulmans ont cessé d’être de «bons musulmans» est une vaste supercherie pour ne
pas dire plaisanterie.
En réalité, l’Andalousie a été perdue en raison des rivalités et des guerres auxquelles se livraient les
différentes tribus et dynasties arabes puis berbères; et la pratique, bonne ou mauvaise, de l’islam n’y
a strictement rien à voir. Car la pratique de l’islam n’était en réalité que prétexte pour éliminer ses
concurrents!
Quand Ghannouchi et ses hommes traitent leurs opposants de «koffar» (mécréants), ils ne font rien
d’autre qu’instrumentaliser la religion pour conquérir et asseoir leur pouvoir, comme le faisaient les
candidats au pouvoir en Andalousie!
Il faut ajouter que si la chrétienté avec Isabelle la Catholique a triomphé, c’est parce qu’elle a su unir
divers pays européens et obtenir le concours déterminant du Pape, fort puissant à l’époque.
Il faut dire aussi que pendant une période, Arabes, Juifs et Chrétiens ont partagé leur connaissance,
ce qui a permis le progrès qu’a connu leur société d’alors, jusqu’à atteindre un degré civilisationel
raffiné d’une Andalousie enviée dans une Europe empêtrée encore dans son moyen-âge.
Al-Andalus devint alors un foyer de haute culture au sein de l’Europe médiévale, attirant un grand
nombre de savants et ouvrant ainsi une période de riche épanouissement culturel.
Les civilisations sont mortelles
Il faut donc tordre le cou à cette thèse de la perte de l’Andalousie par un mauvais comportement
religieux! Revenir à la pratique de l’islam de cette période ne rendra pas aux musulmans un pouvoir
qu’ils ont perdu. Ils doivent se rendre compte que le monde a bougé, qu’il a progressé et que ce n’est
pas en se complaisant dans une nostalgie rêvée de l’Andalousie qu’ils redeviendront forts.
Les civilisations, qu’on le veuille ou non, évoluent et Paul Valéry a dit d’elles qu’elles sont mortelles:
certaines progressent quand elles donnent la priorité à l’éducation, à la recherche scientifique, aux
arts; et d’autres régressent quand elles se contentent de rêver à une époque révolue et à bannir tout
ce qui est innovation et recherche, pour soutenir qu’il faut revenir à une pratique moyen-âgeuse de
l’islam!
Si l’Andalousie peut encore aujourd’hui donner des leçons au monde, c’est uniquement dans le fait
que ce «paradis» n’a existé, pendant quelques temps, que lorsque la tolérance régnait et que les
trois religions du Livre ont pu cohabiter en paix.
Ce n’est donc pas un repliement sur un Islam arriéré et fermé, que certains voudraient imposer, qui
va nous conduire à de nouvelles «Andalousies».
Les salafistes, par leur intolérance et leur rejet de tout savoir, ont été à l’origine du déclin de
l’Andalousie. Yousef Chahine, dans son film prémonitoire ‘‘Le Destin’’, sur les méfaits de l’islamisme
radical dans les sociétés arabophones, que vivent actuellement les pays du printemps arabe, nous
raconte comment les salafistes s’en sont pris au calife, ami des intellectuels, au point de le
contraindre à «lâcher» son ami Ibn Rochd (Averroès), le philosophe commentateur d'Aristote, mais
aussi le mathématicien, le physicien, qui maîtrisait la médecine, l’astrologie, un grand exégète du
Coran…, dont ils demandaient la tête, mais qui partira en exil pendant qu’ils faisaient un autodafé de
sa riche bibliothèque, source de tous les maux de la société de l’époque selon eux.
Faut-il rappeler que Youssef Chahine lui-même a été menacé de mort et a connu la censure des
fondamentalistes musulmans pour qui les intellectuels sont des ennemis à abattre!
Or que font les salafistes d’aujourd’hui? Ils s’attaquent au savoir, aux livres à la création artistique et
aux lieux du savoir.
En Tunisie, ils se sont attaqués aux facultés des Lettres (de Sousse, de Kairouan, de Manouba…) au
théâtre, au cinéma, à la diffusion du film ‘‘Persépolis’’ sur NessmaTV, aux livres et à la presse. Tout ce
qui est liberté de l’esprit leur est insupportable car cela entrainerait le peuple à réfléchir et dès lors à
mettre en cause leur pouvoir.
Une débauche de foi ostentatoire
En Espagne la foi/spectacle est si courante qu’elle devient folklorique. Séville détient la plus
spectaculaire manifestation dans ce domaine. Quelle en est l’origine? Après la Reconquista par les
rois catholiques, Isabelle donna le choix aux Musulmans et aux Juifs de rester en Espagne en se
convertissant au catholicisme sinon de quitter le pays. Elle a même instauré les tribunaux de
l’Inquisition pour dénoncer les fausses conversions.
Ce qui va inciter à plus d’hypocrisie, puisqu’il fallait donner des gages du «bon croyant»; ce qui
entraînera une débauche dans la foi ostentatoire, puisqu’il fallait montrer qu’on était plus croyant
que son voisin. Cette ostentation grandissante de la foi va marquer tout un peuple au point de
devenir de nos jours, dans ce pays apaisé, le folklore majeur des Espagnols, dont Séville détient la
plus belle manifestation avec la procession impressionnante des pénitents.
Les salafistes, dont le mouvement politique instrumentalise la religion et, prenant exemple sur le
Calife Omar, le premier à avoir usé de l’épée pour prendre le pouvoir, vont trouver dans le
wahhabisme un outil «politique» pour mieux se maintenir au pouvoir. Le but de cette obédience
étant de dévier le croyant de tout ce qui peut le «distraire» de Dieu, des «consignes» précises
touchant au «halal» (licite) et au «haram» (illicite) vont réguler désormais sa vie quotidienne. Sa
pratique devient ainsi réglée comme un spectacle auquel le croyant doit s’adonner complètement.
D’où l’ostentation de certains pour que l’on ne doute point de leur bonne foi!
Imposition de la foi par la violence
Car en imposant l’ostentation de la foi par la violence, les salafistes s’assurent la soumission et le
contrôle d’un peuple. D’où les prières dans les rues, les codes vestimentaires, capillaires et
langagiers. Des signes «visibles» d’une religiosité «accrue» qu’exportent Saoudiens et Qataris: voile
et burqa pour les femmes; qamis, sceau frontal et barbe pour les hommes; un langage «codé» avec
citation de texte coranique ou de hadith…
Des tribunaux religieux expéditifs jugent les mauvais musulmans et condamnent à mort les apostats,
comme faisaient les tribunaux de l’Inquisition qui envoyaient aux bûchers les mécréants et les
apostats.Ce que fait le roi Ibn Saoud et grâce à quoi cette tribu conserve le pouvoir.
Ce qui choque les Tunisiens, malékites depuis des siècles, pour qui l’ostentation dans la foi relève de
l’hypocrisie, qui estiment qu’il n’y a que Dieu qui juge des pratiques religieuses d’un croyant et qui
admettent qu’il ne peut y avoir de contrainte en islam!
Les salafistes invoquent donc souvent l’âge d’or de l’Andalousie pour dire l’apogée qu’a pu atteindre
la civilisation «arabo musulmane», mais ils oublient de préciser qu’ils en ont été les fossoyeurs.
Alors il faut qu’ils cessent de travestir l’Histoire et de duper les peuples.
Il faut aujourd’hui les empêcher de recommencer et, force est de constater qu’ils n’ont rien appris et
qu’ils sont toujours aussi arriérés qu’au moment où Bourguiba faisait, contre eux, entrer la Tunisie
dans la modernité. La lecture de la lettre qu’il adressa, le 25 mai 1951, à Salah Ben Youssef est
intéressante et toujours d’actualité en ce qu’elle montre le combat d’un homme politique pour la
modernité et contre les islamistes arriérés de la Zitouna.
Si Bourguiba a pu trouver un homme lettré et éclairé en la personne de Fadhel Ben Achour, dans la
Zitouna d’aujourd’hui il n’y en a, hélas, plus; quand on voit les prétendus oulémas de cette auguste
institution accepter sa wahhabisation par Ghannouchi et ses hommes, et par-delà, admettre que la
société tunisienne perde son identité forgée par des siècles de malékisme au profit d’une obédience
que leur prédécesseurs ont qualifiée de dangereuse et inadaptée au caractère des Tunisiens.
Ce que confirme l'historien Hichem Djaït, auteur de ‘‘La Grande Discorde’’. Selon lui, «le mouvement
islamiste n’a ni dimension religieuse profonde, ni dimension culturelle et intellectuelle marquée du
sceau de la religion, car ses bases intellectuelles sont faibles».
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