Les bonnes bouffes du Monde 2 » (CQFD)

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Les bonnes bouffes du Monde 2 » (CQFD)
« Les bonnes bouffes du Monde 2 » (CQFD)
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« Les bonnes bouffes du
Monde 2 » (CQFD)
- Les médias - Presse écrite - Le Monde : un quotidien de référence ? - Le Monde persévère... (2002-2004) -
Date de mise en ligne : mercredi 28 juillet 2004
Description :
Quand des journalistes du Monde 2 s'en vont chaque semaine au restau brosser le portrait d'un convive invité à déjeuner.
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« Les bonnes bouffes du Monde 2 » (CQFD)
Article paru dans le n°14 (juillet 2004) de CQFD, « mensuel de critique sociale », publié ici
même avec leur autorisation (Acrimed)
Le cinquième pouvoir pèse plus lourd le ventre plein. Forts de ce postulat, les journalistes du Monde 2 s'en vont
chaque semaine au restau brosser le portrait d'un convive invité à déjeuner. De la « petite » brasserie parisienne aux
tables mirobolantes du Ritz, les rencontres sont chaleureuses et les investigations gratinées. Et pour cause : on y
mange « des émincés de légumes cuits assaisonnés d'huile d'olive », « un dos de cabillaud sur une purée de
châtaignes » ou encore une « moussaka d'agneau ». Quant au décor, c'est une féérie qui redonne toutes ses lettres
de noblesse au journalisme de terrain : « Les garçons sont en noir, les couverts en argent. Le plafond de l'Espadon un grand ciel bleu-pâle - en dit long sur les royaumes éthérés du Ritz, palace parisien de la place Vendôme. »
Mensuel à l'origine, le Monde 2 a été lancé en novembre 2000 avec pour mot d'ordre « la qualité d'un grand
magazine photo et le meilleur d'un grand quotidien », dixit Jean-Marie Colombani : des copié-collés d'articles déjà
parus dans le quotidien et agrémentés de reportages photos, bref, de la multi-valorisation de produits rabâchés.
Trois ans s'écoulent et en janvier dernier, Le Monde 2 se transforme en hebdo. Il devient un supplément vendu avec
le quotidien daté de dimanche-lundi, 92 pages dont 15 de pub en moyenne [1]. De nouvelles rubriques apparaissent
: le magazine n'est plus seulement un amas de duplicatas, les journalistes quittent de temps à autre leur bureau.
« Déjeuner avec... » est l'une de ces rubriques. Le principe est simple : un journaliste casse la croûte et taille la
bavette avec une « personnalité » dans l'établissement de son choix. Notre reporter, une fois rassasié, s'en retourne
au bureau pondre un papier nappé d'amabilité digestive sur son interlocuteur de la mi-journée, avec en prime la
photo du convive et la copie de l'addition. Le fidèle lecteur du quotidien de référence sait maintenant où et à quel prix
mangent Dick Rivers ou Garry Kasparov. C'est écrit sur le bout de papier, parfois même avec le numéro de la table.
Le chanteur, l'écrivain, l'animateur, le producteur, le compositeur/poète ou encore le député européen s'en tire avec
un joli portrait-promo, une petite référence bibliographique et un coup de pub s'il a la chance de sortir un album, un
bouquin ou d'être en campagne électorale.
Curieusement, Le Monde 2 interviewe essentiellement des hommes. Les femmes seraient-elles indignes de
consommer des « asperges sauce mousseline avec un zeste de homard » ? Sur les vingt-deux invités accumulés à
ce jour, vingt-et-un sont des hommes : faites la soustraction, aucun hermaphrodite n'a été recensé. Mais le plus
intéressant, c'est la note.
Avec une patience infinie, CQFD a épluché les douloureuses sur vingt-deux numéros, de janvier à juin 2004. Notre
comptable est formel : l'addition moyenne atteint la somme de 113,50 euros pour deux, boissons, service et cafés
compris, soit plus de 55 euros par personne. C'est une journée de boulot d'un smicard, un sixième de ce que touche
le RMiste en un mois. Bien sûr, tous ne sont pas gavés à la même enseigne. Julio Iglesias et Véronique Mortaigne
soupent pour 228,40 euros alors que le chanteur Dominique A se contente d'une maigre pitance à 41,55 euros.
Mais ce n'est pas le volume qui fait la valeur, c'est le détail : la demi-bouteille d'eau à 5 euros ou l'expresso au prix
d'un chèque-déjeuner.
En supplément de ces notes épicées, les papiers réservent de succulentes informations. On y apprend entre autres
« où déjeune un producteur heureux » : à « la maison du caviar dans le 8ème arrondissement de Paris ». Et de quoi
se nourrit-il, à part de caviar ? « De bar grillé et de poireaux, d'eau gazeuse et de pain noir, régime idéal pour lutter
contre les excès de cholestérol. » Du poireau arrosé de flotte, c'est bien la peine de gagner des millions !
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« Les bonnes bouffes du Monde 2 » (CQFD)
Heureusement, nous rassure Le Monde 2, « quelques gorgées de Mâcon Village 2002 Domaine Guillemot-Michel,
opportunément passé en carafe, aident à dissiper les regrets ».
Évidemment, rien de tel qu'une bonne bouffetance pour considérer son vis-à-vis sous un jour favorable. « Le repas a
été simple, paisible, équilibré, à l'image du vénérable interlocuteur », s'extasie un journaliste, tandis que l'une de ses
consoeurs explique comment la télé nous manipule : « Il a une jolie voix, Pujadas. Plus basse, plus veloutée que ne
le laisse entendre le débit saccadé du JT ». Serviette sur les genoux, une autre parvient à retranscrire fidèlement les
propos de Jacques Toubon conseillant un « merveilleux velouté de potiron agrémenté de quelques touches de foie
gras frais juste poêlé ». « Vous verrez, dit-il, c'est formidable »...
Les journalistes étant issus pour la plupart des classes moyennes aisées [2], on suppose que, pour bon nombre
d'entre eux, tenir table égale avec les « grands » de ce monde dans des lieux voluptueux où la canette de Kro vous
est facturée 11 euros représente une ascension majeure dans l'échelle sociale. Prendre en pleine figure les
postillons d'un Philippe de Gaulle est un privilège autrement plus convoité que l'immersion dans les basses eaux où
vivent la majorité de leurs concitoyens. À quand une addition de frais de bouche avec Bernadette et Jacques, histoire
de plomber la trésorerie du Monde 2 ?
Martin Seux
[1] Moyenne calculée sur la base des vingt-deux premiers numéros (du 17/01/04 au 13/06/04).
[2] Lire Journalistes au quotidien, outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques sous la direction d'Alain Accardo, Éd. Le Mascaret,
1995.
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