Le génocide Arménien de 1915-1916
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Le génocide Arménien de 1915-1916
Enseignement Secondaire Catholique Cinacien Institut de la Providence Le génocide Arménien de 1915-1916 Travail de fin d'études réalisé par Pauline Wilmotte Promotrice : C.Henrard Mars 2016 Enseignement Secondaire Catholique Cinacien Institut de la Providence Le génocide Arménien de 1915-1916 Travail de fin d'études réalisé par Pauline Wilmotte Promotrice : C.Henrard Mars 2016 REMERCIEMENTS J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidé dans la réalisation de ce travail de fin d'études . En premier lieu, je remercie M. Henrard, professeur en secondaire à l'Institut de la Providence de Ciney. En tant que promotrice, elle m'a guidé dans mon travail et m'a aidé à avancer dans ce projet. Je remercie aussi M. Legrain, professeur en secondaire à l'Institut de la Providence de Ciney, qui m'a aidé en m'apportant un regard historique sur le contenu de ce travail de fin d'études. Enfin, je remercie M. Mailleux, professeur en secondaire à l'Institut de la Providence de Ciney, qui à aidé l'ensemble de la classe ainsi que moi-même à être rigoureux, de plus je le remercie pour son aide apporté à l'introduction et à la conclusion de ce projet. Table des matières 1. Introduction...............................................................................................................1 2. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.....................3 3. Histoire du peuple arménien jusqu'au XXeme siecle.................................................4 3.1 Histoire jusqu'au XIXeme siecle........................................................................................4 3.2 Prémices des massacre de 1915 ......................................................................................6 4. Le Comité Union et Progrés.......................................................................................7 4.1 Emergence des Jeunes-turcs............................................................................................7 4.2 Triumvirat dictatorial ou les trois Pacha...........................................................................9 5. Causes principales des massacres..............................................................................9 5.1 La Première Guerre mondiale..........................................................................................9 5.2 Panturquisme................................................................................................................10 5.3 Sentiment d'impunité.....................................................................................................10 5.4 La bataille de Sarikamich................................................................................................11 6. Déroulement............................................................................................................11 6.1 Premiére étape : Phase préparatoire.............................................................................11 6.2 Seconde étape : Déportation massive............................................................................12 6.3 Armistice de Moudros....................................................................................................14 6.4 Procés Jeunes-turcs........................................................................................................15 7. Bilan de l'hécatombe arménienne...........................................................................15 8. Témoignages d'occidentaux présents lors des massacres de 1915..........................16 9. Négationnisme.........................................................................................................19 10. Conclusion.............................................................................................................. 20 11.Bibliographie...........................................................................................................22 12.Lexique :.................................................................................................................. 24 Index des illustrations Carte de l'Arménie sous Tigrane II..............................................................................................4 Pendaison des notables arméniens à Constatinople, 1915, par WEGNER A............................12 Déportation d'Arménien, photographie prise par le directeur allemand du chemin de fer, Franz J. Günther en 1915. ........................................................................................................13 Déportation arménienne dans le désert de Syrie, source : Comité de Défense de la Cause Arménienne ..............................................................................................................................13 Le Proche-Orient à la suite du traité de Sèvres, 10 août 1920 ( Atlas historique de l’Arménie”, Claude Mutafian et Éric Van Lauwe, Collection Atlas, Editions Autrement, Paris 2001) .........14 1. Introduction « Je fus choqué. Une nation était assassinée et les coupables mis en liberté. Pourquoi un homme est-il puni quand il en tue un autre ? Pourquoi le meurtre d’un million d’hommes est-il un crime moins grand que d’en tuer un seul ? » Pour créer le néologisme de «génocide» à propos des crimes perpétrés en Europe durant la Seconde Guerre mondiale, Raphaël Lemkin s’appuie sur sa connaissance des massacres arméniens de 1915 dans l'Empire ottoman. Le concept défini comme «tout plan méthodiquement coordonné pour détruire la vie et la culture d'un peuple et menacer son unité biologique et spirituelle » est officiellement adopté par l'assemblée générale des Nations unies dans sa Convention de prévention et de punition du crime de génocide, le 9 décembre 1948. Le massacre des Arméniens, de 1915 à 1916, édifie le premier génocide du XXème siècle. Ce peuple constitue une minorité chrétienne de l'Empire Ottoman, la population arménienne était majoritaire dans les provinces orientales de l'Empire. Ce massacre est organisé et perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs de l'Empire Ottoman. Nourri par les idées du panturquisme, visant à l'union politique des nations turcophones et à l'élimination de tous les éléments non turcs, ce Comité "Ittihad" saisit l'occasion de la Première Guerre mondiale pour mettre à exécution un plan d'extermination des Arméniens. Cette épuration ethnique a, selon certains chiffres, enrayé entre 800 000 et 1 250 000 1 Arménien, soit presque la moitié de cette population. Le gouvernement turc actuel maintient une position ferme de refus de la reconnaissance de ce crime contre l'humanité et condamne vivement toute reconnaissance du génocide par des gouvernements ou parlements étrangers. Toutefois, pour pouvoir comprendre cette problématique actuelle, il est important de se poser une question : Comment peut-on expliquer que les massacres perpétrés entre 1915 et 1916 à l'encontre des Arméniens de l'Empire ottoman, peuvent être considérés comme un génocide ? Ce choix de sujets vient du fait qu'il est intéressant de se pencher sur un autre exemple de génocide que celui de la Shoah, afin de saisir les caractéristiques des génocides plus en profondeur. Pour mieux comprendre les problèmes d'actualités, il est important de se tourner vers les grands événements de l'histoire, dans le but d'appréhender l'avenir. La 1 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 1 diversification des cultures cultive un regard critique sur l'époque actuelle ainsi qu'une ouverture d'esprit. Afin de répondre à cette question et de pouvoir comprendre le mécanisme de ce bouleversement, plusieurs points sont à développer. Tout d'abord, la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, afin de mieux comprendre ce qu'est un génocide. Ensuite, l'histoire du peuple arménien, après, la présentation de Comité Union et Progrès. En quatrième lieu, les causes principales des massacres, puis le déroulement de ceux-ci. En sixième lieu, le bilan de l'hécatombe arméniennen suivit des témoignages des diplomates. Et pour terminer, le négationnisme Turc face au génocide arménien. Je vous invite maintenant à parcourir ce travail, en vous souhaitant une agréable lecture. 2 2. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide mise en place par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU), qui est entré en vigueur le 12 janvier 1951, déclare que le génocide est un crime du droit des gens. L'ONU condamne ce crime qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre. En outre, les peines prévues sont imprescriptibles2 et ne sont pas soumises à des limitations de temps et de lieu. Selon la Convention, le génocide s'entend d'un certain nombre d'actes commis dans l'intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux tels que : le meurtre de membres du groupe; l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; l'application des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. Les actes de génocide; d'entente en vue de commettre le génocide; d'incitation directe et publique à commettre le génocide; de tentative de génocide; et de complicité dans le génocide seront punissables. Par ailleurs, la Convention déclare également qu'il n'y a pas d'immunité en matière de génocide. Les personnes ayant commis ce crime seront punies, qu'elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers. La Convention stipule que les personnes accusées de génocide seront traduites devant les tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis ou devant une cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard des Parties contractantes. À cela s'ajoute que le génocide ne sera pas considéré comme un crime politique pour ce qui est de l'extradition3. Les Parties contractantes s'engagent en pareil cas à accorder l'extradition. À la différence d'autres instruments de protection des droits de l'homme, la Convention sur le génocide ne crée pas d'organe de suivi ou de comité d'experts particulier. Elle précise que toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l'ONU afin que ceux-ci prennent les mesures qu'ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes 2 Qui ne subit aucune atteinte du temps (Larousse.fr) 3 Procédure par laquelle un État livre à un autre État une personne poursuivie ou condamnée par la justice de ce dernier ( Larousse.fr) 3 de génocide. La Cour internationale de Justice peut donc être saisie et adopter des mesures provisoires de protection 3. Histoire du peuple arménien jusqu'au XXeme siecle 3.1 Histoire jusqu'au XIXeme siecle L'origine du peuple arménien est controversée et est sujette à de nombreuses hypothèses. L'histoire arménienne est charpentée de périodes d'indépendance rompues par la domination de différents peuples, comme les Mèdes, les Perses et les troupes d'Alexandre le Grand. L'Arménie atteint son apogée sous Tigrane II, dit Tigrane le Grand (Illustration 1), entre 95 et 66 avant Jésus-Christ. Le pays est alors unifié, s'étendant de la mer Méditerranée à la mer Caspienne et de la Syrie à la Géorgie. Illustration 1: Carte de l'Arménie sous Tigrane II (Google Image) L'Arménie passe ensuite sous le joug de l'Empire Romain d'Orient et les Perses. En 301 après Jésus-Christ, l'Arménie est le premier pays à déclarer le christianisme en tant que religion d’État. Au Ve siècle, c'est au tour de l'Empire romain d'Orient et des Perses de se disputer la Grande Arménie. En 640, les premières incursions arabes atteignent l'Empire, et 4 les Arméniens reconnaissent l'autorité du Calife4 en 661. Bien que déclarée domaine du Calife, l'Arménie reste fidèle à la religion chrétienne et les Arabes échouent à de nombreuses reprises à convertir les Arméniens à l'Islam. La civilisation arabe décline suite aux attaques ennemies et tombe face aux incursions des Turcs qui les affaiblissent au début du XIe siècle. Constantinople, capitale de l'Empire Romain d'Orient, ne parvient pas à protéger la Grande Arménie des attaques turques et mongoles, de sorte que la majorité des Arméniens émigrent vers la Cilicie où ils fondent la Petite Arménie dans la seconde partie du XIe siècle. En mai 1453, les Turcs ottomans s'emparent de Constantinople, renommée ultérieurement Istanbul en 1930. C'est la chute de l'Empire Romain d'Orient. Les Arméniens résident désormais sous la loi Mahométane, ils ne sont plus admis comme une entité nationale et territoriale mais uniquement comme une communauté religieuse, leur statut dans l'Empire Ottoman (dhimi) les contraint à verser des impôts supplémentaires (kharâj*). Ils sont exclus de certains métiers comme la magistrature même si une oligarchie de financiers et de négociants arméniens entretient de bonnes relations avec le pouvoir à Istanbul. En provinces, par contre les Arméniens subissent les décisions partiales des gouverneurs. Lorsque le régime ottoman s'affermit, le peuple arménien subit des avanies 5 allant du port d'un signe distinctif à la déportation. Au XVIIe siècle, les Arméniens chrétiens commencent à demander de l’aide à l’Occident suite aux brigandages des nomades Kurdes. En 1760, une délégation arménienne se rend à Saint-Pétersbourg pour obtenir l'aide du Tsar Nicolas Ier. Au début du XIXe siècle, les Russes font leur apparition dans le Caucase, dont le but est l'expansion territoriale, en vue de la libération des peuples chrétiens persécutés par les dirigeants musulmans. En 1828, les territoires arméniens sont unis à la Russie sous le nom d’Armianskaia Oblast. Après avoir écrasé les Perses, le Tsar Nicolas Ier terrasse les Ottomans. Mais lors du traité d’Andrinople, le 14 septembre 1829, l’Angleterre oblige la 4 Titre du chef suprême des musulmans. (Larousse.fr) 5 Affront public, traitement humiliant, brimade, vexation. (Larousse.fr) 5 Russie à rendre certaines provinces que ceux-ci avaient ôtées à l’Empire ottoman. Le Sultan voit d'un mauvais oeil cette affinité russo-arménienne, désignant les Arméniens comme des traitres à l'Empire Ottoman. En 1839, le sultan Abdülmecid Ier6 met en place une première réforme nommée Hatt-i Sharif de Gülhane et qui est l'esquisse d'une futur Constitution. Les Tanzimates (réorganisations) durent de 1836 à 1876 et aboutissent à la création de différents codes pour encadrer l'économie, le pouvoir judiciaire et la politique ottomane, à l'abolition des kharadjs, à l'égalité de tous les citoyens sans distinction religieuse, etc. Ce plan de réforme est influencé par les puissances Européennes, c'est également un moyen d'enrayer le déclin de l'Empire ottoman en calquant sur certains points le système occidental afin de pallier les faiblesses turques, qui font du pays "l'homme malade de l'Europe 7". Pourtant, ce projet ne sera jamais appliqué. 3.2 Prémices des massacre de 1915 Au long du XIXe siècle, l'Empire ottoman subit différents changements qui auront un impact sur les massacres perpétrés en 1915. Tout d'abord, les relations établies entre les Arméniens et les Russes durant le siècle précédent sont un prétexte de répression pour le sultan et engendrent un climat de tension entre l'Arménie et l'Empire ottoman. De plus, l'Arménie rendue hardie par le soutien russe, assiste à l’émergence de nouveaux États Nations dans la péninsule balkanique anciennement sous le contrôle ottoman, ce qui lui donne des idées renforcées d'indépendance. Ces idées s'enracinent grâce à la philosophie des Lumières venue d'Occident et la montée du climat nationaliste qui agite l'Europe. Enfin, le déclin de l'Empire ottoman, qui s'est amorcé depuis le XVIe siècle, est conjugué aux pressions des puissances de l'Europe et aux pertes de plusieurs pays dans la région balkanique. Les prémices de liberté accordée aux minorités dans l'Empire ottoman dans l’article 61 du traité de San Stefano, et donc la diminution du pouvoir du sultan, sont vécues comme une humiliation par les musulmans et une ingérence du pays de la part du sultan 6 Abdülmecid Ier fut sultan ottoman du 1er juillet 1839 au 25 juin 1861. 7 Expression utilisée pour désigner un pays d'Europe faisant face à de grandes difficultés, souvent économique. (Larousse.fr) 6 Abdul Hamid II8 à cause des puissances européennes. En effet, inquiète de l’avancée russe vers les mers chaudes, l’Angleterre réussit à obtenir la révision du traité de San Stefano au Congrès de Berlin. La Sublime Porte9 cède Chypre au Royaume-Uni en échange de son soutien contre la Russie. L’autonomie arménienne promise se transforme en une vague promesse de réformes administratives. Loin d’appliquer ces réformes, Abdul Hamid II, le «Sultan rouge», décide au contraire de persécuter les Arméniens avant que ceux-ci n’obtiennent leur indépendance, à l'instar des Grecs et des Bulgares après la guerre balkanique. En somme, ces changements créent des tensions entre les Arméniens et les troupes ottomanes et la méfiance est intensifiée. Ces tensions ont pour conséquence la naissance de deux partis indépendantistes et révolutionnaires arméniens, l'Hentchak* (1887) et le Dashnak* (1890). Des groupes d’auto-défense (fédaï) sont créés pour venir en aide aux paysans persécutés par les Kurdes et les autorités locales. Les Européens exigent une protection pour les Arméniens chrétiens suite à l'article 61 du traité de San Stefano, ce à quoi le sultan répond par une série de massacres. Les massacres hamidiens perpétrés par l'armée hamidiyeh causent plus de 200 000 morts entre 1894 et 189. Le sultan Abdul Hamid II perçoit hostilement l'intervention occidentale en faveur des minorités chrétiennes de l'Empire, qu'il combat en enrayant violemment les révoltes arméniennes éprises de liberté. 4. Le Comité Union et Progrés 4.1 Emergence des Jeunes-turcs Le mouvement jeunes-turcs se forme à partir de 1889 en tant qu'organisation secrète d'opposants libéraux au pouvoir d'Abdul Hamid II. Ce groupement se constitue de différentes nationalités (Grec, Arménien,...) et de différentes religions présentes sur le territoire ottoman. L'idéologie de ce mouvement prend racine dans les réformes des Tanzimates, les membres de cette organisation veulent remettre en place cette Constitution abandonnée en 1876 par Abdul Hamid II, et donc libéraliser l'Empire ottoman. Ils s'inspirent de la Révolution française et de multiples courants européens. Le mouvement reste passif dans ses actions, jusqu'en 1907, ils se contentent d’une campagne de presse antihamidienne depuis l’extérieur 8 Sultan de l'Empire ottoman et calife des musulmans du 31 août 1876 à sa destitution par les Jeunes-Turcs le 27 avril 1909. 9 Siège du gouvernement du sultan de l'Empire ottoman. (Larousse.fr) 7 de l’Empire. C'est le 23 juillet 1908 que se déroule la révolution jeunes-turcs, la Constitution est rétablie par le sultan, et des élections parlementaires sont organisées. Ces événements se produisent suite au soulèvement et à l'insurrection des jeunes-turcs qui exacerbent les tensions déjà présentes sur le sol ottoman et poussent Abdul Hamid II à céder face aux revendications des jeunes-turcs. L'insurrection se produit à cause de l'humiliation et l'intervention des puissances européennes dans l'Empire, ainsi que la supposition d'une démilitarisation et du démembrement territorial par ces mêmes puissances. Cette révolution présage l'égalité entre tous les citoyens, les jeunes-turcs et les Arméniens se sentent liés par leur volonté commune de changement. Un revirement de situation survient lorsque l'irrédentisme des Balkans se réveille et occasionne une perte de territoire pour l'Empire. Les jeunes-turcs, qui ont la majorité des sièges au parlement suite aux élections de 1908, se divisent entre ceux d'origine turc et ceux d'autres nationalités. Le sultan Abdul Hamid II est remplacé par Mehmet V, celui-ci dispose d'un pouvoir obsolète. Petit à petit, le Comité Union et Progrès (CUP) instaure un parti unique. C'est en janvier 1913 que le parti, grâce à un coup d'État, assied son pouvoir. Le Comité institue un programme de turquisation dans l'entier té de l'Empire. Il développe, dans un premier temps, des idées démocratiques reposant sur les principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, avant de développer un nationalisme panturquiste. La spoliation des paysans arméniens dans les provinces orientales, l’insécurité permanente entretenue dans ces régions, les campagnes de boycott lancées par le CUP contre les entrepreneurs non turcs, ont apparemment convaincu les élites arméniennes que le gouvernement jeune-turc n’était aucunement disposé à introduire des réformes dans les zones contrôlées par les tribus kurdes. Les minorités du territoire sont de nouveau inférieur par rapport à une classe dominante, les Turcs. Le 1er avril 1909, près de 20 000 10 Arméniens sont massacrés à Adana. Les Jeunes-Turcs instaurent une politique de «turquisation intransigeante» à mesure que l’Empire ottoman se 10 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 8 désagrège à cause de l'occupation italienne de la Tripolitaine en 1911 et de la guerre balkanique en 1912-1913. Les Arméniens se retrouvent coincés entre les belligérants, les uns mobilisés dans l’armée turque, les autres dans l’armée russe. Les Jeunes-Turcs pressent même les Arméniens du Caucase à se révolter contre le tsar. Cette tactique entraîne une réaction inverse et, bientôt, 180 00011 Arméniens dont 8 000 volontaires venus de Turquie rejoignent les armées russes pour libérer l’Arménie occidentale. Le 7 avril 1915, la ville de Van s’insurge et instaure un gouvernement provisoire arménien. La réaction est aussi immédiate que disproportionnée. Prétextant le rôle de «cinquième colonne12» joué par les Arméniens, les dirigeants jeunes-turcs décident de déporter l’ensemble de la population arménienne dans les déserts de Mésopotamie. L'Empire ottoman fait des Arméniens son le bouc émissaire et le prétexte de leur extermination est trouvé. 4.2 Triumvirat dictatorial ou les trois Pacha Trois hommes sont à retenir dans l'histoire de l'Empire ottoman au début du siècle dernier. Ils sont les personnalités politiques dominantes et ils sont ceux qui déclenchent l'entrée en guerre de l'Empire au côté de l'Allemagne durant la Première Guerre mondiale. Ils participent à la guerre dans le but de rendre l'Empire ottoman égal aux puissances européennes, et donc de garantir l'intégrité territoriale du pays, qui a toujours été le fer de lance du Comité Union et Progrès. Ils sont les instigateurs principaux des massacres arméniens en 1915. La Triumvirat est composé de Mehmet Talaat Pacha, Grand Vizir (Premier ministre) et ministre de l'Intérieur ; d'Ismail Enver dit Enver Pacha, ministre de la Guerre et responsable de l'Organisation spéciale13 ; et d'Ahmed Djemal Pacha surnommé « Djemal Pacha le Boucher », ministre de la Marine. 5. Causes principales des massacres 5.1 La Première Guerre mondiale Le climat qui règne dans l'Empire ottoman à cause de la Première Guerre mondiale oppresse les minorités à cause des tensions entre l'Empire et les puissances européennes. À 11 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 12 L'expression désignant les partisans cachés — au sein d'un État ou d'une organisation — d'un autre État ou d'une autre organisation hostile. (Larousse.fr) 13 l'OS s'est spécialisée dans l'extermination des convois de déportés arméniens, dirigé par le CUP 9 l’Est, dans le Caucase, l’Empire ottoman est limité par une zone d’influence russe, et, à l’Ouest, par l’omniprésence britannique en Égypte. Les marges de cet Empire, autrefois très vaste, sont donc peu à peu grignotées par des empires voisins. En 1914, lorsque éclate la Première Guerre mondiale, les Jeunes-Turcs, humiliés par l'impérialisme russe qui tente de protéger les minorités de l'Empire ottoman, poussent le sultan à rallier les empires centraux, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Souhaitant retrouver sa grandeur d'antan, l’Empire ottoman s’allie à l’Allemagne en octobre 1914, en secret. La France et le Royaume-Uni bénéficient d’une influence économique et commerciale sur le territoire ottoman. En effet, les industriels français et britanniques ont soutenu financièrement l’effort de modernisation de l’Empire ottoman durant la Belle Époque 14. De plus, en échange de leur protection face à l’Empire russe, les Français ont placé la Tunisie sous protectorat, tandis que les Britanniques occupent militairement l’Égypte. C’est pourquoi, lorsque l’Empire ottoman lance de grandes offensives, en 1914, en Égypte et dans le Caucase, celles-ci se soldent par des échecs pour deux raisons principales. Tout d'abord, l'espérance d'une révolution musulmane dans les colonies placées sous protectorat afin d'affaiblir les pays de la Triple-Entente se conclut sur un fiasco. Ensuite, le Royaume-Uni et la France retirent les capitaux qu'ils avaient investis puisque l'Empire est devenu un ennemi, donc l'Empire ottoman n’a pas les moyens financiers de soutenir une politique de conquête aussi ambitieuse. l’Empire est ravagé par des épidémies et par la famine. Le mécontentement des populations de l’Empire ottoman ne fait que croître. Le régime politique mené par les Trois Pachas se durcit par rapport aux minorités. L’entrée en guerre a également permis de légitimer les réquisitions militaires, s’apparentant à un véritable pillage d’État, visant en premier lieu les Arméniens et les Grecs. 5.2 Panturquisme Le début du XIXeme siècle est marqué par le panturquisme. Cette idéologie nationaliste cherche à renforcer les liens entre les peuples turcophones afin de pallier le dépouillement territorial de l'Empire. La guerre balkanique de 1912 à 1913 fait perdre certains territoires à l'Empire ottoman. Ces lourdes pertes viennent alimenter le panturquisme dans l'Empire, où les minorités cohabitantes n'ont plus leur place, ils sont un frein dans le projet d'unification d'une Turquie turcophone. Le projet de turcisation ne semble pas avoir été conçu dans le but 14 Période marquée par les progrès sociaux, économiques, technologiques et politiques en Europe, s'étendant de la fin du XIXe siècle au début de la Première Guerre mondiale en 1914. (Larousse.fr) 10 d'extermination à l'origine. Les jeunes-turcs, au départ, ont la volonté de modifier la composition démographique de l'Asie mineur, une région qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. La défaite turque face à la Russie, à Sarikamish à la fin de l'année 1914, a pour conséquence un durcissement politique envers les populations arméniennes. 5.3 Sentiment d'impunité L'impunité des massacres hamidiens15 de plus de 200 00016 morts entre 1894 et 1896, ainsi que les massacres d'Adana17 d'avril 1909 où près de 20 000 11 Arméniens sont exécutés, favorise la liberté d'entreprendre de nouvelles décimations des Arméniens, en hypothèse. En effet, les tueries de 1894-1896 et de 1909 se sont faites sous les yeux de témoins occidentaux présents sur le territoire. Ces événements ont été rapportés aux puissances européennes, qui reste sans réaction. Les jeunes-turcs ont donc la possibilité d'entreprendre une campagne meurtrière à l'encontre des Arméniens sans en subir des conséquences de la part des puissances européennes. De plus, les Turcs sont persuadés de la victoire de l'Allemagne durant la Première Guerre mondiale, c'est pourquoi ils n'envisagent aucune représailles et se sentent libres de mener à bien leur projet d'homogénéité ethnique dans l'Empire. 5.4 La bataille de Sarikamich La bataille de Sarikamish est un épisode de la Campagne du Caucase, durant la Première Guerre mondiale. Elle opposa les troupes russes et ottomanes dans le nord-est de la Turquie actuelle, du 22 décembre 1914 au 17 janvier 1915. L'attaque turque est menée par Enver Pacha, dont les soldats souffrent du froid intense. Durant cette bataille, les Arméniens combattent dans les deux camps opposés. Les Jeunes-Turcs utilisèrent surtout le prétexte d’une prétendue insurrection arménienne sur les arrières de l’armée turque pour réaliser leur objectif d'éliminer totalement des Arméniens. De plus, une campagne de 15 Massacres organisé sous Abdul Hamid II, qui voyait les Arméniens comme une menace pour ses projets de panislamisme. 16 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 17 Répression des Jeunes-turcs envers les Arméniens afin de faire taire leur idée d'indépendance 11 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 11 désinformation accuse les soldats arméniens de l’armée ottomane de sympathies pro-russes et donc, de trahison. Cette hypothétique conspiration russo-arménienne est l'excuse principale des premières déportations arméniennes. Ces déportations sont donc officiellement présentées comme un déplacement de population arménienne loin du front. 6. Déroulement 6.1 Premiére étape : Phase préparatoire Par un décret du 22 avril 1915, les autorités reçoivent tout pouvoir pour perquisitionner les habitations à la recherche d’armes et arrêter ceux qui en détiendraient. Le 24 avril 1915, le gouvernement ottoman dispose de listes d'Arménien établies au préalable par Ali Münif, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, et la police arrête les personnes désignées, à Constantinople. Environ 60018 Arméniens sont raflés pour des motifs de perquisitions à la recherche de preuve d'un complot arménien. Ce sont principalement des intellectuels, des personnes influentes et des notables. D'abord arrêtés, puis envoyée de l'autre côté du Bosphore, où la majorité est soit assassinée ( Illustration 2), soit envoyée en prison. Auparavant, le 25 février, le génocide est enclenchée avec le désarmement des soldats et officiers arméniens sur décision du ministre de la Guerre Enver Pacha, puis avec leur incorporation dans des bataillons de soldats-ouvriers (amele tabouri). Ils y sont assassinés, noyés dans les fleuves, ou bien ils décèdent d’épuisement et de mauvais traitements alors qu’ils sont employés à construire le chemin de fer Berlin-Bagdad, aider au ravitaillement ou réparer les routes. Dans les provinces d'Anatolie, ce schéma se répète, les intellectuels sont également torturés pour révéler d'hypothétiques caches d'armes et des complots arméniens. Par la suite, ils sont le plus souvent exécutés. Les maisons vides sont pillées, détruites ou brulées. À la fin du mois de juillet 1915, les Arméniens de l’Anatolie orientale ont quasiment disparu. Ils étaient plus d’un million. Cette procédure systématique d'assassinat du 24 avril 1915 à la fin de l'été de cette même année, révèle une planification et donc une préméditation de ces assassinats de masse. 18 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 12 Illustration 2: Pendaison des notables arméniens à Constatinople, 1915, par WEGNER A. 6.2 Seconde étape : Déportation massive La deuxième étape se déroule sur le reste de l'Empire ottoman ( Anatolie centrale et occidentale, la Cilicie et la partie européenne de l'Empire) à partir de la fin de l'été 1915. Les Arméniens arrêtés sont séparés ( d'un côté les hommes et les femmes, les enfants et les personnes âgés de l'autre). Les hommes sont généralement emmenés quelques kilomètres plus loin puis supprimés. L'autre groupe est déporté, la déportation est la technique centrale de l'hécatombe des Arméniens. Les femmes, les enfants et les personnes âgés sont le plus souvent décimés soit par les dirigeants des convois ( les gendarmes, les miliciens, l'Organisation spéciale*), soit par la population, soit par les bandes kurdes ( les Kurdes sont engagés par les Turcs et poussés à voler et à tuer les Arméniens). Il y a un grand nombre d'enlèvements de femmes et d'enfants, ainsi que des violes, des conversions forcées à l'islam et des intégrations d'Arméniens dans des foyers turcs. Plus de 100 mille personnes 19 ont échappé à la mort grâce au marché aux esclaves. Dans cette seconde phase, la déportation se réalise à l'aide du chemin de fer BerlinBagdad (Illustration 3) qui fait escale dans le désert de Syrie. Les Arméniens sont transportés dans des wagons à bestiaux à deux étages et ensuite, terminent le chemin à pied (Illustration 4). L'ensemble des déportés arméniens échouent vers la ville d'Alep en Syrie. Le flux de déportation est géré par Constantinople. Arrivés à Alep, les Arméniens suivent deux voies. 19JOSSERAN Tancrède, L’Empire ottoman, l’impossible neutralité, http://www.lesclesdumoyenorient.com/LEmpire-ottoman-l-impossible.html 13 Illustration 3: Déportation d'Arménien, Illustration 4: Déportation arménienne photographie prise par le directeur allemand du dans le désert de Syrie, source : Comité chemin de fer, Franz J. Günther en 1915. de Défense de la Cause Arménienne Convoit d'Arméniens sur la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad et « la marche de la mort » La première voie se dirige vers le sud, qui est le territoire de Djemal Pacha (commandant militaire de la Syrie et de la Palestine). Environ 200 000 20 Arméniens sont placés dans des camps de concentration, retenu en otage par Djemal Pacha en cas de négociation avec la Triple-Entente. La seconde voie est la route de l'Euphrate, où approximativement 600 000 14 Arméniens sont placés dans des camps de concentration improvisés. Plus le flux de déportés converge vers la ville de Deir ez Zor dans le désert mésopotamien, plus le flux s'amoindrit. Il reste donc à la fin décembre 1916 quelques groupes d'Arméniens. En juin-juillet 1916 Talaat Pacha* ordonna d’achever les derniers Arméniens. À la fin de 1916, seuls survivent ceux de Constantinople et de Smyrne, de rares zones épargnées et les quelques dizaines de milliers de personnes qui ont suivi l’armée russe. 6.3 Armistice de Moudros L’effondrement militaire de l’Empire ottoman aboutit à la chute du pouvoir unioniste et à la formation d’un gouvernement anti-CUP qui conclut l’armistice de Moudros avec les Britanniques le 30 octobre 1918. Les clauses sont sévères pour Constantinople. Mais, en n’imposant pas l’occupation militaire de l’Anatolie, les Alliés s’enlèvent tout moyen d’intervenir pour protéger les survivants du génocide. Cet armistice met fin à la guerre entre l'Empire ottoman et les Alliés pendant la Première Guerre mondiale. Les Ottomans durent 20 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 14 Les Grands Articles Universalis : Arménie, 2016 14 renoncer à la majorité de leur Empire. Le traité de Sèvres de 1920 place sous mandat britannique et français les anciennes provinces arabes de l'empire. Le traité de Sèvres signé entre les Alliés et le nouveau gouvernement de l'Empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste du général Moustafa Kemal bouscule ces résolutions. Illustration 5: Le Proche-Orient à la suite du traité de Sèvres, 10 août 1920 ( Atlas historique de l’Arménie”, Claude Mutafian et Éric Van Lauwe, Collection Atlas, Editions Autrement, Paris 2001) 6.4 Procés Jeunes-turcs À la suite de la défaite ottomane, les principaux responsables du génocide s’enfuirent, surtout en Allemagne. La conférence de la paix réunie à Paris en 1919 et le traité de Sèvres du 10 août 1920 prévoient des poursuites contre les responsables de la destruction des Arméniens ottomans. Leur procès eut lieu en 1919 à Constantinople, organisé par les nouvelles autorités libérales turques, dont le but était de dissocier les Jeunes-Turcs et le nouvel État turc. Le procés condamne à mort les principaux auteurs du génocide, sans insister sur les demandes d’extradition ; certains verdicts furent annulés après leurs proclamations. 15 Malgrés tout, ce procès a existé, et qu’il fut mené à terme par un tribunal turc. Mais les procédures échouent à aller à leur terme, la volonté politique des Alliés fait défaut. Un troisième ensemble judiciaire est constitué par les procès que les Britanniques, occupant la capitale, décident de tenir après l’arrestation de responsables unionistes impliqués dans le génocide. Le rapide désengagement des vainqueurs et l’offensive kémaliste interrompent ces processus judiciaires. Devant la carence des autorités, turques ou alliées, à appliquer les sentences, le parti Dashnak* forma une organisation qui prend le relais. Furent exécutés, entre autres, Behaeddine Chakir, Djémal Azmi, Djémal Pacha et surtout Talaat, abattu à Berlin, le 15 mars 1921, par Soghomon Tehlirian. Au cours de son procès, les témoignages furent accablants pour les autorités ottomanes. Vu son état de traumatisme, Tehlirian, qui a pourtant tué un officiel allié de l’Allemagne et réfugié sur le sol allemand, est acquitté. 7. Bilan de l'hécatombe arménienne La seule méthode empirique qui permet de s’approcher du nombre de victimes arménienne est de comparer le nombre de personnes recensées avant guerre avec celui des rescapés. L'estimation est que plus des deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman (environ deux millions à la veille de la Première Guerre mondiale) ont été exterminés au cours de la Première Guerre mondiale. Soit environ un million trois cent mille personnes, auxquelles il faut ajouter les victimes des opérations militaires et des massacres opérés par l’armée ottomane et ses affiliés; soit un total sans doute proche d’un million cinq cent mille personnes. Le tableau des déportations établi ci-dessous par Raymond Kévorkian 21 à partir de différentes sources non officielles, sans être parfaitement complet, donne une idée plutôt précise du nombre de déportés arméniens. Les Carnets noirs du ministre de l’Intérieur Talât Pasha, qui a supervisé toutes ces opérations, indiquent que 924 158 personnes ont été déportées. Ce chiffre, établi à partir des données fournies par les préfectures, ne prend toutefois pas en compte les déportations dans certaines régions, comme les provinces d’Aydın, d’Edirne, Kastamonu, ou encore Constantinople. 21 Historien français d'origine arménienne, Docteur en Histoire, enseignant à l’Institut français de géopolitique, conservateur de la bibliothèque Nubar, directeur et rédacteur de la revue d'Histoire arménienne contemporaine, et écrivain. (Babelio.com) 16 Avril 1915 8 convois 35 500 déportés Mai 1915 21 convois 131 408 déportés Juin 1915 65 convois 225 499 déportés Juillet 1915 96 convois 321 150 déportés Août 1915 86 convois 276 800 déportés Septembre 1915 5 convois 10 825 déportés Octobre 1915 11 convois 27 500 déportés Novembre 1915 6 convois 4 600 déportés Décembre 1915 8 convois 7 500 déportés Total : 306 convois 1 040 782 déportés Tableau 1 : Convois des déportés Arméniens (1915-2015.Centenaire du genocide des Armeniens, p 34). 8. Témoignages d'occidentaux présents lors des massacres de 1915 Afin de ne pas discréditer le peu d'information officielle concernant ces événements, les témoignages de diplomates étrangers présents sur le territoire ottoman sont précieux. Le premier et le second sous point de l'article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide stipulent que le « meurtre de membres du groupe » 22 et l'« atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe » 23 caractérisent la volonté génocidaire. Le témoignage rapporté par l'ambassadeur Wangenheim s'avère entrer dans les critères d'un génocide. Les alliés allemands de l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondial ne semblent pas avoir de motif de dissimulation des événements passés. Ambassade impériale d'Allemagne , Péra, le 7 juillet 1915 « Jusqu'à il y a environ deux semaines, l'expulsion et la déportation de la population arménienne se cantonnaient aux provinces proches de la zone est des opérations et à quelques secteurs de la province d'Adana. Depuis lors, la Porte a décidé d'étendre cette 22 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide selon l'ONU 23 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide selon l'ONU 17 mesure aux provinces de Trébizonde, Mamouret-ul-Aziz et Sivas, et en a commencé l'application bien que, pour l'instant, ces régions ne soient pas menacées par l'invasion ennemie. Cette décision, et les conditions dans lesquelles s'effectue la déportation, montrent bien que le gouvernement poursuit très réellement le but d'exterminer la race arménienne dans l'Empire ottoman. » Wangenheim à Son Excellence le Chancelier impérial Monsieur von Bethmann Hollweg Le troisième sous point de l'article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, déclare que la« soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » constitue l'intention génocidaire. Le témoignage d'Henry Morgenthau, Ambassadeur des États-Unis à Constantinople, semble appuyer cela. L'ambassadeur Morgenthau a laissé des Mémoires, rapportant ses efforts pour arrêter le processus : son pays étant neutre dans le conflit, il n’avait pas à ménager les autorités dans cette affaire interne. Dépêche d'Henry Morgenthau, Ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, au Consulat des Etats-Unis à Mamouret-ul-Aziz (Kharpout), le 11 juillet 1915. «(...)On peut difficilement imaginer spectacle plus cruel. Ils étaient presque sans exception en guenilles, sales, affamés et malades, ce qui n'est surprenant étant donné qu'ils avaient été en route pendant près de deux mois sans changer de vêtements, sans possiblilité de se laver, sans abri et avec très peu à manger.(...) Je les ai observés un jour alors qu'on leur apportait du ravitaillement. Ce n'aurait pas été pire s'il s'était s'agit d'animaux sauvages. Ils se précipitaient sur les gardes qui apportaient la nourriture et ceux-ci les repoussaient à coups de matraques, frappant parfoit assez fort pour les tuer. On avaient peine à croire qu'il s'agissaient d'êtres humains. (...) » Il est dit dans cette dépêche également, que : « En fait les Turcs ont fait leur choix parmi ces enfants et ces jeunes filles pour en faire des esclaves ou pires. » Cette phrase confirme donc le sixième sous point de l'article II, « Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »24 24 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide selon l'ONU 18 9. Négationnisme La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des déportations et des massacres mais en conteste la responsabilité et rejette contre toute évidence le qualificatif de génocide, autrement dit de crime planifié. Elle attribue la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, et aux aléas de la guerre. Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait en effet craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux. Les Turcs les plus accommodants font valoir que les massacres d'Arméniens n'étaient pas motivés par une idéologie raciale. Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien. Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres. Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une possibilité dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis. Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide. Dans la République de Turquie, la persécution des minorités devient une politique d’État même si, officiellement, elle ne vise pas spécifiquement les Arméniens. Dans les faits, l’État kémaliste 25 est imprégné d’un racisme anti-arménien d’autant plus prononcé que la République recycle les élites unionistes impliquées dans le génocide. L’expulsion massive vers la Syrie française des populations arméniennes du vilayet de Diyarbakir et du sandjak de Siirt durant l’automne 1928, la destruction des Kurdes et des Arméniens islamisés de Dersim en 1937, l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink26 avec la complicité objective de la police (informée des menaces sur sa vie) le 19 janvier 2007 à Istanbul, sont autant d’événements qui témoignent du maintien de la persécution qui a été à l’origine de l’extermination des Arméniens. Néanmoins, une partie de la société civile turque rejette aujourd’hui ces logiques de haine, héritage d’un passé avec lequel elle veut rompre et s’engage dans une démarche de vérité sur son histoire. La tenue d’un colloque en 2005 à Istanbul, sur les Arméniens à la fin de l’Empire ottoman a marqué le début d’une reconnaissance turque du génocide. 25 Etat Turc dirigé par Mustafa Kémal, premier président de la République de Turquie. 26 Journaliste ayant eu des propos concernant le génocide arménien commis sous l'Empire ottoman qui lui valurent l'hostilité du gouvernement turc, ainsi que la mort par un nationaliste turc. 19 10. Conclusion En conclusion, les Arméniens sont un peuple millénaire ayant subi différentes dominations telles que celle des Perses ou encore de l'empire Romain. En mai 1453, l'Empire ottoman conquière l'Arménie, et celle-ci vit désormais sous la loi Mahométane en tant que minorité dans l'Empire. Les minorités vivant sur le territoire ottoman subissent un durcissement politique lorsque le pouvoir mis en place se confronte à des difficultés. L'arrivée au pouvoir en 1908 du parti « Jeune-turc » et de ses idéaux panturquismes, scelle le destin du peuple arménien. Le contexte de la Première Guerre mondiale ainsi que le sentiment d'impunité liée aux précédents massacres sous Abdul Hamid II provoque un climat propice aux libertés militaires. De même que le panturquisme développé suite à la guerre balkanique et de l'implication invasive occidentale dans l'Empire ottoman, et la défaite de la bataille de Sarakimish, engendre une atmosphére de terreur et la liberté au CUP d'enrayer les Arméniens sans peur de représailles des puissances européennes. La situation politique et militaire à engendrer un climat propice à la liberté d'entreprendre des projets d'élimination. Les massacres commis envers les Arméniens durant l'année 1915 et 1916 peuvent être considérés comme un génocide en adoptant le point de vu des nombreux témoignages d'ambassadeurs et de notables Occidentaux rendent compte de la question arménienne. Ces témoins relatent objectivement les faits puisqu'ils rendent simplement compte de la situation, et que leurs pays respectifs étaient soit neutre, soit alliés à la Triplice, durant le conflit de la Première Guerre mondiale. Dans leurs témoignages, ils évoquent le développement des massacres en deux phases, la première consistant à assassiner les élites arméniennes et désarmer les soldats arméniens faisant partie des troupes turques, la seconde phase organise les massacres et les déportations de masse à travers le reste de l'Empire ottoman. Le bilan démographique arménienne suite à ces événements dévoile une perte de prés de deux tiers de cette minorité à la fin 1916. De plus, le côté systématique de cet événement en prouve l'organisation précise faite par le CUP. Les schémas d'assassinats et de déportation à l'aide de la voie de chemin de fer Berlin-Bagdad et de la marche de la mort vers le désert de Syrie, ainsi que les camps de concentration situées aux portes des villes proches du désert, marquent la préparation minutieuse de cet acte. 20 Il est complexe d'apporter des informations complètes et pertinentes compte tenu du négationnisme turc, qui conserve supposément la majorité des instructions émises par le CUP. De plus, il est difficile de conserver son objectivité sur des massacres de grande ampleur, où l'empathie prévaut sur le sens critique. Le génocide arménien est un génocide souvent oublié, parfois nié, encore tabou. Le négationnisme turc cause encore de la souffrance. Nier un fait ne le fait pas disparaitre. Winston Churchill a dit un jour « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. » 21 11.Bibliographie • Ouvrage de référence : ATTARIAN Varoujan, Le génocide des arméniens devant l'ONU, Paris, Complexe, 1999. 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Progressivement le mot a acquis la signification générale d'impôt. 24