KEQA - Musées de la région Centre
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Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC Lansyer, collectionneur d’art asiatique Dès le XVI°s, mais plus encore au XVIII°s le goût des européens pour l’art extrêmeoriental s’était développé. Au XIX°s., cet intérêt se renforce grâce à l’amélioration des contacts commerciaux entre les occidentaux et le Japon : en 1854 le commodore américain PERRY obtient l’ouverture à l’occident de ports japonais. Un an plus tard, le Japon concluait des traités de commerce avec la Russie, la Grande Bretagne, les Etats Unis et la France. A partir de là, le Japon et la Chine seront représentés dans toutes les expositions universelles. Walter Crane, l’un des meilleurs spécialistes du Japon, écrit : « L’ouverture des ports japonais a exercé une énorme influence sur les arts européens, indépendamment de ses autres répercussions, en particulier sur les arts du Japon lui-même. Ici (…) on trouvait un art vivant, un art populaire, dans lequel tradition et talent artistique demeuraient intacts et dont les productions étaient d’une diversité attrayante et pleines d’une grande vigueur naturaliste. » Un véritable engouement pour l’art et les traditions du Japon se développe. Outre l’influence directe sur l’art à travers le mouvement du « Japonisme », les hommes cultivés ou aisés se mirent à collectionner avec frénésie les objets d’art liés au Japon. A ce titre, le collectionneur et marchand d’objets japonais Samuel Bing, installé à Paris au 22, rue de Provence, a eu une importance décisive : outre son magasin d’objets et d’estampes, il publie en 1888 en trois éditions (française, anglaise et allemande) la fameuse revue « Le Japon artistique », qui constitue la genèse du Japonisme. Les plus grands artistes du moment, comme Vincent et Théo Van Gogh , s’approvisionnent chez Bing et reconnaissent puiser dans l’art japonais une grande part de leur inspiration. Les expositions du critique d’art Louis Gonse ainsi que la publication de son ouvrage « L’art japonais » (1883 et 1886), de même que les articles de Jules de Goncourt poussèrent de nombreux artistes et amateurs d’art à s’intéresser à ce domaine. Des personnalités célèbres tels que Monet, Manet, Zola, Sarah Bernardt ou José-Maria de Hérédia furent également de grands collectionneurs. Emmanuel Lansyer n’a pas échappé à cette passion puisqu’il a acquis de nombreux objets d’Extrême-Orient : parmi ceux-ci on peut signaler des vases en bronze, armes, éventails, costumes, kakémonos, éléments de mobilier et surtout une remarquable collection de plus de 1000 estampes des plus grands artistes Japonais du XIX°s, parmi lesquels Kunisada, Hiroshige, Hokusai ou Eisen. Chose rare, ces estampes sont encore reliées entre elles dans des livres complets et dans un très bon état de conservation. Les estampes japonaises Origine et contexte Les estampes dérivent d’un art populaire ancien, lié aux caprices et aux modes de la population urbaine d’Edo (actuelle Tokyo) pendant la période « Kokugawa » (1615-1868). A cette époque, l’autorité des dictateurs de cette dynastie exige des nobles des provinces qu’ils résident 4 mois à Edo et qu’ils entretiennent dans cette ville des résidences suffisamment luxueuses pour eux et leur suite. Cette élite, relativement sous-employée, se tourne alors vers Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC la ville pour chercher son délassement. Au même moment, la classe des marchands (bien que peu élevée dans la hiérarchie féodale des castes), prospère dans une paix bien installée. Ces personnes aisées consacrent de plus en plus leurs richesses aux divertissements et aux frivolités : débauches et beuveries bien sûr, mais aussi des plaisirs plus innocents comme des pique-niques au milieu des cerisiers en fleurs, des soirées théâtrales, joutes poétiques ou soirées intimes dans un cercle littéraire. Pour conserver un souvenir de ces moments de plaisir, il est d’usage de commander à un artiste des estampes. La rivalité commerciale entre maisons d’édition concurrentes, combinée à la dextérité et au génie inventif des artisans japonais, a porté la technique de l’impression sur bois à un niveau exceptionnellement élevé. Les estampes de la collection Lansyer, présentées dans cette exposition, sont de l’époque « Ukiyo–e », qui s’épanouit du milieu XVII°s. au milieu du XIX°s. Le terme « Ukiyo-e » signifie en mot à mot « le monde flottant », c’est à dire que ces estampes évoquent l’existence futile de l’homme à la recherche du plaisir et le caractère éphémère de celui-ci. Les sources d’inspiration Les artistes japonais ont eu des sources d’inspiration très variées : • Les moments heureux vécus à Edo par les gens aisés (pique-niques, réunions entre amis, scènes de la vie quotidienne…) • Les courtisanes : elles proviennent du quartier de Yoshiwara, petite enclave murée au nord-est de la cité d’Edo dans laquelle toute distinction sociale est abolie. Y résident de façon permanente pas moins de 2000 courtisanes ainsi qu’une multitude de proxénètes, chanteurs, danseurs, musiciens, marchands des quatre saisons… Les courtisanes de luxe, belles, vêtues à la dernière mode et cultivées, sont chères et très convoitées : elle inspirent de nombreux artistes pour la réalisation d’estampes, qui souvent en donnent les noms, qualités et aptitudes particulières. Ces livres d’estampes jouent parfois même le rôle de véritables catalogues de mode. • Le Kabuki, théâtre de la danse, de la musique, du symbolisme et des sentiments exacerbés, est une source d’inspiration importante des artistes japonais. La popularité de beaucoup de pièces de Kabuki est phénoménale et les acteurs à la mode sont adulés par une foule d’admirateurs. Des estampes des dernières pièces de Kabuki étaient mises en vente quelques jours seulement après les représentations, faisant presque fonction d’affiche ou de souvenir de la dernière saison : elle mettent en scène les acteurs dans leur meilleur rôle. Les scènes sont facilement reconnaissables par le caractère souvent exubérant des maquillages, des attitudes et des costumes. • Les scènes érotiques (shunga), bien différentes des scènes de courtisanes, donnent des détails très crus sur tous les aspects de l’acte d’amour, qu’il soit hétérosexuel, homosexuel ou franchement pervers. Même si beaucoup se rapprochent de la pornographie de pacotille, les meilleures sont d’une grande qualité artistique. • De multiples autres sujets, ont inspiré les artistes japonais : lutteurs Sumo, très populaires, oiseaux et fleurs, personnages héroïques et légendaires, paysages. Ce Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC dernier sujet, les paysages, va devenir une source d’inspiration majeure : les plus grands artistes comme Hokusai, Hiroshige et leurs disciples renouvellent cet art de façon magistrale, rejoignant ainsi l’extrême sensibilité des Japonais à la moindre variation de la nature. La technique de l’estampe La gravure sur bois et l’estampage exécutés à la main existent depuis longtemps en Chine et au Japon. La technique de l’estampe japonaise comprend les étapes suivantes : l’artiste réalise un croquis sommaire au pinceau et à l’encre sur un papier très mince ; on colle ensuite celui-ci sur un bloc de cerisier des montagnes, bien sec et aplani dans le sens de la fibre ; le graveur entaille alors le bois autour des lignes, les faisant apparaître en relief ; enfin on applique l’encre sur les lignes saillantes et l’on tire des épreuves en déposant des feuilles de papier humide sur la planche ainsi préparée et en exerçant , à la main, une pression à l’aide d’un tampon de fibres de bambou tressées emmanché d’un fourreau de bambou. A partir de ces épreuves, on grave d’autres planches, une pour chaque couleur. Puis le savoir faire de l’imprimeur prend le relais : il s’agit d’imprimer chaque couleur au bon emplacement par dessus l’impression à l’encre. Des repères sous forme de petits traits permettent d’éviter tout chevauchement. Cette technique est très délicate : maintien des couleurs dans leur tonalité originale, obtention d’une impression d’uniformité dans les zones de couleur mate, dégradé des teintes et ombrage du tableau (en épargnant le bloc avant d’imprimer) requièrent une grande dextérité. L’organisation des tâches de l’artiste, du graveur et de l’imprimeur est supervisée par l’éditeur, qui est aussi très souvent commerçant. Des inconnues sur le processus d’élaboration des estampes demeurent : • • Quels contacts les artistes avaient-ils avec l’imprimeur et les graveurs ? Quelle influence les artistes exerçaient-ils sur le choix des couleurs de l’estampe (parfois l’artiste indiquait les couleurs souhaitées sur les épreuves) ? Reliure et dimensions Les estampes peuvent être réalisées sur feuille unique ou sous forme de séries reliées en livres d’images (ehon), parfois presque dépourvus de texte. Certains de ces livres sont de véritables chefs d’œuvre : on les considère de nos jours parmi les plus beaux livres jamais édités dans le monde. La reliure des estampes est bien spécifique, le rebord de chaque estampe étant collé au rebord opposé de l’estampe suivante, puis plié en accordéon.. Les parties extérieures, faisant office de jaquette, sont rigidifiées et recouvertes d’un tissu portant une étiquette indiquant le titre et l’auteur du volume. Certains livres comprennent près de 60 estampes encollées. Parfois même deux séries d’estampes sont encollées dos à dos, multipliant ainsi les scènes. Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC Il existe plusieurs formats d’estampes : les plus courantes sont les « oban » (environ 38 x 25,5 cm), qui s’apprécient généralement en les tenant en main. Mais il existe aussi des formats plus petits comme les « chuban » (25,5 x 19 cm) ou les « hosaban » (33 x 15 cm). Ces derniers formats sont généralement destinés aux estampes les moins coûteuses. Le maître de l’estampe : Kunisada (1786-1865) Utagawa Kunisada (Japonais, connu en tant que Utagawa Toyokuni III plus tard dans sa carrière) fut en son temps l’auteur d’estampe le plus populaire et le plus reconnu, plus encore que Kuniyoshi et Hiroshige. Son crédit déclina après sa mort et n’est jamais parvenu au même niveau, bien qu’il soit encore de nos jours reconnu comme le maître de l’estampe et qu’il ait récemment regagné une certaine popularité. Biographie Il est né à Edo en 1786 d’un père poète amateur assez apprécié. Après avoir révélé une prédilection pour l’art (en copiant des impressions d’acteurs du Kabuki), il fut accepté comme apprenti vers 1800 auprès de l’un des grands maîtres de l’estampe , Toyokuni, et devint l’un de ses meilleurs élèves, ce qui lui valut le « go » (nom d’artiste) de Kunisada. Il commença par faire des impressions d’acteurs du Kabuki (théâtre populaire), mais plus tard il se diversifia dans le « bijin-ga » (peinture des belles dames), et fit même quelques paysages. Il fit aussi une quantité importante de « shunga » (peintures érotiques), mais évita de peu des ennuis avec les autorités quand celles-ci interdirent les représentations érotiques en 1842. A cette époque, Kunisada changea son nom d’artiste, en prenant le nom de son maître Toyokuni ; il est connu aujourd’hui en tant que Toyokuni III (Toyokuni II étant le dénommé Toyoshige, un élève médiocre qui avait pris la succession de l’école Utagawa après la mort de Toyokuni). Il collabora souvent avec Hiroshige et Kuniyoshi pour des séries d’estampes durant les années 1840 et 1850, l’époque faste de cette forme artistique au Japon. Il a survécu à ses contemporains (une de ses meilleures oeuvres est une estampe mémorable de son ami Hiroshige) et ses dernières années ont même été caractérisées par une sorte de regain de talent. Il mourut à Edo (en ayant fait un seul voyage documenté hors de cette ville dans toute sa vie) en 1865. Œuvre imprimée Au cours de sa vie, il a produit un nombre stupéfiant d’estampes, de telle sorte que même une liste partielle des séries réalisées monte à plus de 600. Voici certaines des plus importantes, avec leurs dates de réalisation : Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC • • • • • • • • • • • • • • • Beautés du quartier du plaisir (1809) Principaux morceaux de la scène (1815-1816) Une série de célèbres restaurants des temps modernes (vers 1820) L’imitation du Murasaki et le Genji rustique (années 1830) Les cinquante- trois stations du Tokaido (vers 1838) Acteurs des cinquante-trois stations du Tokaido (1852) Vues de lieux célèbres de Edo (1852) Une anthologie des lieux célèbres du grand Japon (1852) Trente-six poètes imaginaires (1852) Restaurants de Edo (1852, avec Hiroshige) Les cinquante-trois stations [du Tokaido] (à deux pinceaux, 1855, avec Hiroshige) Lieux célèbres de Edo et cent belles femmes (1857) Les cinquante-quatre chapitres du Genji (1858-1859) Reflets élégants dans le miroir (1859) Célèbres acteurs du Kabuki, anciens et actuels (1865-éditée après sa mort) Quelques pièces conservées dans le fonds Lansyer « Calendrier des fleurs du printemps » (auteur inconnu) Titre du volume : « Couverture des œuvres complètes en deux tomes d’un homme qui s’appelle Nakamura Tamashichi » (auteur inconnu) « Calendrier populaire des fleurs d’Iris » par Eisen (1790-1848) « Présentation des charmes physiques -les yeux, la bouche, l’oreille etc… d’une jeune fille de bonne famille » (auteur inconnu) « L’acteur Nakamura » par Kuniyoshi (1797-1861) Titre du volume complet : « Couverture d’ouvrage contenant des portraits d’hommes illustres » (auteur inconnu) « Nakamura vainqueur. Histoire d’une lutte, septembre 1830 » par Kuniyoshi (1797-1861) Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC « L’actrice Iwai Hanshiro » par Toyokuni (1769-1825) « L’acteur Ogami Kikugoro » par Kunisada (1786-1864) L’acteur Nakamura Utaemon dans « Eventails des acteurs populaires » (par Hokusho ?) « Rôle à succès de Kumagaya Jiro, interprété par l’acteur Nakamura Utaemon » (par Hokushu) « L’acteur Bandô Mitsugorô » par Kuniyoshi (1798-1861) Noter la qualité du gaufrage (impression en relief non-encrée) sur la page de droite (parties blanches du vêtement) « Trois morceaux de musique de la fille Shigetada » par Eisen (1790-1848) « L’acteur Segawa » par Kunisada (1786-1864) « Calendrier des fleurs du printemps » (personnage et auteur inconnus) « Prostituée de haute classe » par Kunisada (1786-1864) Liste nominative des objets prêtés par Lansyer pour l’exposition rétrospective de l’Union Centrale des Arts Décoratifs de 1882 Fascicule présentant les décors anciens et modernes à l’usage des imprimeurs, tisserands et marchands. Y sont recensés de très nombreux emblèmes familiaux utilisés comme motifs décoratifs. Ces livrets étaient destinés à l’exportation. Lettre du critique d’art Louis Gonse à Lansyer et liste envoyée en réponse Affichette pour une exposition d’armes anciennes japonaises Amusées-vous en Région Centre – 2005 EC Catalogue pour la vente d’objets, soieries japonaises et chinoises, Hôtel Drouot, vendredi 28 novembre 1873 Rare petit livre d’enfant en français « l’histoire du singe et du crabe ». Edité au Japon pour les occidentaux « Le Fuji au dessus des rizières », vers 1834 par Hokusai (1760-1849). Tiré du volume des « Cent vues du Mont Fuji ». En haut à droite, la chapelle du dieu Inari, protecteur des riziculteurs. Volume « Portraits des hommes illustres » : scène de « la légende des 47 Ronins » par Kunisada (Toyokuni III) Scènes évoquant l’arrivée des Européens : celles du bas sont signées de Toyokuni et celles du haut de Hiroshige. Une telle association de deux grands maîtres sur la même page est exceptionnelle ___________________