meme la lune tangue
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Christiane Geoffroy même la lune tangue Rennes, musée des beaux-arts 16 octobre 2015 - 17 janvier 2016 4 5 6 p.09 La lune tangue... Et même la planète et ses habitants Anne Dary p.11 Christiane Geoffroy - Artiste pionnière de l’Anthropocène Paul Ardenne p.21 Christiane Geoffroy - Artist of the Anthropocene Paul Ardenne (english version : Charles Penwarden) p.28 EXPOSITION p.30 Dérive des continents, 2010 p.32 Climatic Bank, 2010 p.34 Il y a 30 000 ans…, 2012 p.36 Le Regardeur, 2012 p.38 Les 7 vies intérieures de Lyuba, 2012 p.40 Les délaissés du courant circumpolaire, 2015 p.42 Penser la complexité, 2015 p.44 Même la lune tangue, 2015 p.48 Toponymie insulaire, 2015 p.50 L’ange des mers, 2015 p.52 Bibliographie p.54 Biographie p.60 Remerciements 7 pour pointer et transcender l’idée même de nature en désigne une des plus explicites réalisations de l’artiste. inscription murale au pochoir, au moyen d’un crayon de lui conférant le sceau de l’art. Pas chez elle de simpliste Sur un socle a été déposée une ampoule de verre de papier, se présente comme la juxtaposition à la verticale opposition entre nature et culture. Ces deux entrées de 80 cm de long. Transparente, elle contient de l’eau pure d’une série de lettres de l’alphabet romain 1. Il s’agit là la pensée classique, d’office, sont fusionnées. Si l’art res- issue de la fonte d’une carotte de glace remontée du de quatre séquences d’ADN correspondant respective- sortit bien au champ culturel des activités humaines, si la sous-sol d’un permafrost sondé en Antarctique et âgé ment au colibacille, à la mouche drosophile, au cheval, à symbolisation est bien l’effet de la disposition métaphy- de trente mille ans. Contact évident, quoique inopiné, l’homme enfin, tous sujets de la nature auxquels s’est, en sique de l’être humain, l’un comme l’autre sont pour la avec un monde qui a disparu, celui du climax, du point circonstance mis au service d’un retour au réel concret, d’équilibre atteint par une nature perturbée dans son à la phusis, à la physique du monde – la nature même. fonctionnement non par les hommes mais par sa seule mécanique physico-chimique. Écologie poétique son temps, intéressé Charles Darwin, l’auteur de L’Origine des espèces et le père de la théorie de l’Évolution. La multiplication des séquences, ici presque identiques les unes aux autres (nous autres humains, de la sorte, ne différons du cheval que d’un seul gène), loin de faire de Le bio-art de Christiane Geoffroy, en son essence, est Il y a 30 000 ans… Ce titre, renvoyant à un temps loin- aussi didactique qu’esthétique. L’artiste montre et ex- tain de l’humanité – une humanité alors encore fort peu plique. Elle incite le regard du spectateur à se connecter conquérante, celle de la fin du paléolithique inférieur, en au champ neuronal et à la connaissance, pour exciter osmose à peu de choses près avec l’ordre naturel –, le premier et enrichir la seconde. Colonne de l’évolution, la création naturelle un ferment de désordre, montre tout au contraire l’extrême cohérence du plan naturel, évoluant modérément, en fonction, comme l’a dit naguère Jacques Monod, de la nécessité et du hasard 2. Humanité et dégradation La question écologique est, pour Christiane Geoffroy, un élément clé de notre actuel rapport à la nature, dans le sens aussi de l’inquiétude cette fois, et des hypothèses noires (celles du GIEC 3, en particulier), sur fond d’entrée dans l’ère nouvelle, façonnée par l’homme d’abord, de l’Anthropocène. Dans une de ses récentes conférences, le philosophe Bruno Latour, s’interrogeant sur le destin de notre planète, relève ce qui suit en matière de charge nuisible que l’homme imprime aujourd’hui au vivant terrestre : « Comme il a modifié les flux de tous les Colonne de l’évolution, 2008, graphite, 400 x 80 cm fleuves, l’anthropos (l’humain) est maintenant le facteur de l’érosion accélérée ; et bien sûr, son rôle dans le cycle de changement le plus important de tous les bassins hy- de carbone devient aussi immense que le degré de sa drographiques du monde ; il est déjà le principal agent complicité dans la disparition des espèces. » 4/5. Bienve- dans la production et la distribution du cycle d’azote ; par nue dans l’ère de la nature remodelée par l’homme, cette la déforestation, il est devenu l’un des facteurs principaux fois de façon décisive. Portraits de céphalopodes en tenue australe, 2015, 6 fois 171 x 48 x 48 cm, impressions encollées sur bois 12 13 Enfin, outre la réelle présence et le contact direct, ce son égard, ma propre altérité. L’animal et moi-même, pour réchauffement climatique, l’acidification croissante des séjour austral est pour Christiane Geoffroy l’occasion différents que nous soyons, pour impartageable ou peu océans, la déforestation galopante, l’avancée inexorable inespérée d’animaliser sa propre nature d’être humain, sans faut que soit notre usage respectif du biotope, ap- de l’anthropisation et ses effets négatifs sur le peu qu’il d’essayer, du moins. L’absence de prédateurs, pour la partenons bien au même ensemble générique. Jacques reste à ce jour, sur notre Terre, du climax – et comment plupart des espèces animales présentes sur l’archipel Derrida, philosophe : « l’animal que donc je suis ».12 le dire, entendons bien, plastiquement parlant, au moyen d’images ? Christiane Geoffroy tente une réponse et, ce des Kerguelen, rend en effet possible une friction peu 18 courante avec l’animal même, sur son site de vie, et sans Pour une écriture sans antécédent crainte de sa part. Le temps presque infini qu’elle a de- La plupart des créations de Christiane Geoffroy se ré- vant elle, le plus souvent celui de la solitude, vécue dans vèlent par leur singularité propre, et une tournure inédite le cadre de longues expéditions sur la lande, permet à qui tourne ostensiblement le dos aux formes convention- l’artiste de vivre et d’échanger avec différents animaux du nelles d’art. À l’exception du cinéma ou de l’écriture, la cru – goélands, pétrels, albatros, rennes, otaries, man- « manière » de l’artiste privilégie une forme en rapport chots, lions de mer, dauphins… – tout en envisageant direct avec la substance du bios. Exposer de l’eau, des en retour sa propre animalisation. Longues, patientes et images scientifiques, des cartes pédagogiques, du ma- méditatives animalséances 10 . Comment l’animal pense- tériel, les toponymes d’espaces oubliés où se développe t-il son environnement ? Comment perçoit-il son milieu et une nature croissant à l’écart (Les Délaissés du courant ceux qui l’occupent ? Quelle est, s’il en possède une, sa circumpolaire)… Le temps est loin où l’artiste naturaliste, conception de l’espace-temps ?... amant des formes merveilleuses de la nature, sortait son Cette mise en situation prêterait à sourire si de tous carnet de croquis devant un papillon ou dépliait son che- temps, et plus encore aujourd’hui tandis que triomphe valet face à la forêt. le principe de Arne Næss (l’homme ne domine pas la À nouvelle poétique, en l’occurrence, nouvelle esthé- nature mais il en est un constituant parmi d’autres es- tique. Ainsi compris, l’art selon Christiane Geoffroy n’est pèces, et avec celles-ci), l’homme ne s’était envisagé pas en effet sans créer une nouvelle écriture poétique. en animal, à des fins de perfectionnement de sa propre Tout comme la ponctuation disparaît chez les futuristes, nature. Christiane Geoffroy, au milieu de manchots-pa- qui divinisent la vitesse, et la figure, pareillement, chez pous : « Je rentre en position assise pour progresser sans les artistes partisans de l’abstraction, tout un pan de la les stresser (…). Vivre quelques heures à leur rythme me représentation conventionnelle et de ses modes usuels donne la sensation d’un temps millénaire. Je m’imprègne de traduction plastique ne trouve plus place dans son d’eux, mes vêtements aussi. »11 L’humanisation, en tant vocabulaire et sa grammaire. Parce que la réquisition, que facteur culturel, est indissociable de l’animalisation. simplement, en serait déplacée, et parce que cette re- Je ne regarde pas seulement l’animal pour comprendre présentation conventionnelle appartient à un corpus son altérité, je le considère tout autant pour concevoir, à méthodologique en large part révolu. Comment dire le faisant, balise la voie. Elle est de celles et ceux qui mènent et entraînent dans leur sillage la cohorte des artistes pionniers de cet art écologique ralliant à lui, chaque jour nouveau que vit la nature souffrante, un nombre croissant d’adeptes concerned, militants souvent, motivés toujours. Une éclaireuse. 1 - À propos de Colonne de l’évolution, l’artiste précise ce qui suit : « Cette pièce a été faite en utilisant des pochoirs et les lettres sont réalisées avec de la mine de crayon directement sur le mur. Le graphite étant un matériau fossile à base de carbone, sa matérialité même rentre dans l’histoire de l’évolution, la typographie utilisée étant le Times (les « Temps », au pluriel). La fragilité du matériau (puisqu’il n’est pas fixé) fait partie de la pièce. Un doigt posé ou traîné sur une lettre laisse des traces.» 2 - Jacques Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, éditions du Seuil, 1970. 8 - Günther Anders, Philosophische Stenogramme (1965), Munich, C. H. Beck, 2002, p. 65. 9 - En 1960, le philosophe norvégien Arne Næss (19122009), fondateur du courant de l’écologie profonde, formule cette sentence devenue le credo de l’écologie environnementale et politique, « l’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans l’écosphère comme une partie qui s’insère dans le tout. » L’écosophie en découle, riche de multiples composantes critiques et agrégatives (Félix Guattari, Les trois écologies, Paris, éditions Galilée, 1989). 10 - Terme emprunté au philosophe Jacques Derrida, voir note 11, ci-après. 11 - Christiane Geoffroy, On dirait que j’étais… l’archipel des Kerguelen, version dactylographie, inédit, 3ème trim. 2014, p. 34. 12 - Jacques Derrida, L’animal que donc je suis, Paris, éditions Galilée, 2006. « Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis - et qui je suis au moment où, surpris nu, en silence, par le regard d’un animal, par exemple les yeux d’un chat, j’ai du mal, oui, du mal à surmonter une gêne. Pourquoi ce mal ? J’ai du mal à réprimer un mouvement de pudeur. Du mal à faire taire en moi une protestation contre l’indécence. Contre la malséance qu’il peut y avoir à se trouver nu, le sexe exposé, à poil devant un chat qui vous regarde sans bouger, juste pour voir. Malséance de tel animal nu devant l’autre animal, dès lors, on dirait une sorte d’animalséance : l’expérience originale, une et incomparable de cette malséance qu’il y aurait à paraître nu en vérité, devant le regard insistant de l’animal, un regard bienveillant ou sans pitié, étonné ou reconnaissant. Un regard de voyant, de visionnaire ou d’aveugle extra-lucide » (extrait de la 4ème de couverture). 3 - Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Un organisme créé en 1988 pour évaluer dans le détail les variations et évolutions du climat (IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change en anglais). 4 - Jan Zalasiewicz, et al. « The New World of the Anthropocene », in Environmental Science and Technology 44.7 (2010), p. 2228-31. 5 - Bruno Latour, « L’Anthropocène et la destruction de l’image du Globe », in Émilie Hache (sous la direction de), De l’univers clos au monde infini, éditions Dehors, Paris, pp. 27-54, 2014. 6 - James E. Lovelock, La Terre est un être vivant : L’hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion Champs, 1999. 7 - Article « Hypothèse Gaïa », Wikipedia, 2015. 19 symbolisation is indeed the effect of human beings meta- a single gene separates humans from the horse) shows and, within that, a few tens of thousands of years for the on a scientific model called the Earth System, founded physical inclinations, both here are placed in the service natural creation to be anything but a ferment of chaos. Holocene, two or three hundred years of human activity on several ecological, climatological, geological or bio- of a return to concrete reality, to the phusis, to the physi- They demonstrate, on the contrary, the extreme coher- are all it will have taken to change a large number of equi- logical observations (notably through the notion of eco- cal nature of the world. To nature itself. ence of the natural plan as it evolves moderately in ac- libriums hitherto mastered by man and his environment. evolution). The recent evolution of this Earth System is cordance, as Jacques Monod once said, with necessity It is, certainly, a very short period, whose irruption against pointing towards alarmist predictions as to the future of and chance 2. the background of the multiple industrial revolutions that the biosphere, given, notably, the challenge of climate have taken place since James Watt’s invention of the change. ” 7 steam engine in the 18th century signals a usurpation of Should we tremble for perishing pure Gaia ? We have power. If, in 2015, all the countries of the world were as good reason. Did not being twenty in around 1980 mean active as the United States of America, the world’s lead- having to face the brutality of the treatment inflicted by ing power and champion of production and consump- humans in general and western humans in particular on tions, the power produced by all human activity would be their environment ? This was the age of acid rain, of coal 100 Terawatts (it is currently 15 Terawatts). Whereas tel- clouds or, following the Chernobyl disaster, of clouds lurian activity on the planet (volcanoes, tectonic plates) is charged with radioactivity, and of the advance of deserts. no higher than 40 Terawatts. We cannot deny, therefore, And, also, the exhaustion of natural fossil and even veg- that the human has become a major force, even if it does etal resources, not forgetting the collapse of biodiversity, not work the same levers as nature. the dilapidation of the ozone layer because of acute at- Poetic ecology Il y a 30 000 ans… (30,000 years ago) is a title which takes us back to the dawn of humanity, when man was a much more modest creature, in the Early Palaeolithic period, and lived more or less in osmosis with the natural 22 Humanity and degradation For Geoffroy, the ecological question is a key to our current relation to nature – in the sense, too, of disquiet, and order. Il y a 30 000 ans is one of the artist’s most explicit of gloomy hypotheses (those of the IPCC 3 in particular) pieces. On a base stands a transparent glass phial 80 regarding the beginning of a new era, the “ anthropo- cm long. It contains pure water from a core brought up cene ”, in which man is the main shaping force. In one from under the permafrost in the Antarctic. This is thirty of his recent talks, considering the future of the planet, thousand years old. Here we are clearly if surprisingly Bruno Latour comments as follows on man’s harmful im- placed before a world that has disappeared, that of the pact on terrestrial life : “ As it has changed the flow of all climax community, a point of equilibrium attained by na- rivers, the 'anthropos' (the human) is now the most im- ture whose workings were perturbed not by man but by portant factor for change in all the world’s hydrographic mospheric pollution, plus the degradation of agricultural Gaia my mother, Gaia my sister and urban land. How to react ? Some, environmentalists, its own physico-chemical mechanics. basins; it is already the main agent in the production and Geoffroy’s bio-art is, in essence, as didactic as it is aes- distribution of the nitrogen cycle ; through deforestation, In generational terms, Christiane Geoffroy belongs to the before the current fashion for all things Green, engaged in thetic. The artist shows and explains. She encourages it has become one of the main factors of accelerated ero- period of humanity’s break with " Gaya ", the sustaining ecological struggle. Others, who saw their artistic action the viewer’s gaze to connect with the neural field and sion ; and of course, its role in the carbon cycle is becom- earth maintained in its natural state of functioning. For as a form of combat, tried to raise consciousness. Nico- with knowledge in order to excite the first and enrich the ing as immense as its responsibility for the extinction of the English ecologist James Lovelock, who formulated las Uriburu in South America, who coloured in natural second. Colonne de l’évolution (Column of Evolution), species ” 4/5. Welcome to the era of nature remodelled by the “ Gaia hypothesis ” (a “ biogeochemical hypothesis ”) green coasts, rivers and estuaries, Gordon Matta-Clark a mural inscription made in pencil using a stencil, ap- man – and this time decisively. in 1970 6, our Earth is a “ a dynamic physiological system in New York, giving out fresh air to passers-by (Fresh Air pears to be a vertical juxtaposition of a series of letters Although it is contested by many geologists, the notion of that has kept our planet fit for life for over three billion Kart, 1974), Joseph Beuys in Kassel, planting thousands in the Roman alphabet 1. They represent four DNA se- the “ anthropocene ” corresponds, no less, to a moment years ”. What is the equation ? The ensemble of living be- of oaks with the enthusiastic help of visitors to that West- quences for, respectively, the colibacillus, the fruit fly, the of the Holocene (the geological epoch we are currently ings on Earth, that “ vast super-organism ” called “ Gaia ” phalian city (7,000 Oaks, 1982), got the project started. horse and, finally, man. All were at some point studied living through, the latest state in the evolution of the Qua- by James Lovelock (from the name of the Ancient Greek In turn, Geoffroy joined them, in order to pursue it in her by Charles Darwin, the author of The Origin of Species ternary period) signalled by the irruption of the famous goddess of the Earth), carries out the “ self-regulation of own way. To represent life, to celebrate it aesthetically, and the father of the theory of evolution. The multiplica- “ golden spike ”. On the line of geological time, that is, the system ” in order to “ promote life ” and not diminish to make it the exclusive object of her poetics – that is tion of sequences, which here are almost identical (only on a little less than two million years for the Quaternary or destroy it. For Lovelock, the Gaia hypothesis “ rests the option she has taken. To be in phase with the most 23 traumatic present, which is also the most disturbing for was given this opportunity for a period of four months in aging her own “ animalisation ”. These were long, patient ops in isolation (Les Délaissés du courant circumpolaire) the future, implies a duty of lucidity. The bios continues, 2014, when she sailed to the Kerguelen Islands in the In- and meditative “ animalséances ” . How does the animal – the time is long gone when the artist and naturalist, out until further notice, to resist, but it is buckling under man’s dian Ocean with a scientific mission. For Geoffroy, access think about its environment ? How does it perceive its of love for nature’s wondrous forms, would take out a blows. It is this resistance and this suffering that must be to this protected and not totally denatured and anthropic surroundings and those who occupy them ? What, if it sketchbook to capture a butterfly or unpack an easel in talked about, and it is to express them that images are territory was, primarily, an occasion to observe in vivo the has one, is its conception of space-time ? front of the forest. modelled and given, a tangible and sublimated percep- damage done by global warming. The rise in tempera- This situation might cause amusement if man had not A new poetic means, in this instance, a new aesthetic. tion. Create, yes, but so that nature itself may continue tures on the island, the growing scarcity of animal food, always – and especially now, with the triumph of the Arne Thus understood, art “ according to ” Geoffroy does in- to create. the multiplication of parasite species, the higher levels Naess principle (man does not dominate nature but is deed involve the creation of a new poetic writing. Just as of salinity in the sea, are bringing about unprecedented one constituent of it alongside other species) – seen punctuation disappeared in the work of the Futurists, who Ecology as sophia changes in this fragile austral ecosystem exposed to the himself as an animal, in order to perfect his own nature. worshipped speed, and the figure disappeared from that Dérive des continents (Continental Drift) : with this – once violence of the winds and to dramatic climatic variations. Here is Geoffroy amidst the Gentoo Penguins : “ I get of artists who favoured abstraction, a whole dimension of again – limpid work Geoffroy unsparingly confronts us On dirait que j’étais… les îles Kerguelen (As if I was the back into a sitting position so that I can move without conventional representation and its usual modes of visual with a reality that is already an element of geopolitics, pol- Kerguelen Islands), a documentary text and personal stressing them […] Spending a few hours at their rhythm translation have been displaced from her vocabulary and lution on a global scale. Dérive des continents is a classic journal written after this vivid experience, gives an ac- gives me the sensation of millennial time. I absorb them, grammar. Because, quite simply, the requirements are Mercator’s projection, but here the size of the countries count of changes that we can sense are irreversible. my clothes likewise ” 11. As a cultural factor, humanisation displaced and because that form of conventional rep- is proportional not to their land mass but to the amount This journey, again, gave the artist a chance to muster is inseparable from animalisation. I don’t look at animals resentation belongs to a methodological corpus that is of carbon dioxide they emit. As we would expect, the her thoughts about the multiple aspects of natural life and just to understand their alterity, I am also interested in to a large degree obsolete. How do we speak of global North, led by the United States of America and liberal- its appropriation by the human, expressed in the form them in order to conceive my own alterity with regard to warming, rising acid levels in the oceans, rampant de- communist China, crushes the South. This disastrous, of word-pairings : “ Animal-Animal ”, “ Animal-Human ”, them. The animals and myself, different as we are, and forestation, the inexorable advance of anthropization and iniquitous, unjust situation gives good reason to join the “ Animal-Scientific ”, “ Animal-Landscape ”, and “ Wild- however impossible or nearly impossible it is us to share the negative effects on what little remains on our Earth of alarm-givers, to warn of the risks of the present and, even Domestic ”. Finally, apart from “ real presence ” and our respective uses of the biotope, do belong to the the climax ? And how, to be clear, do we do this visually, more, in the future, even if that means using the “ princi- direct contact, for Geoffroy this austral sojourn was an same generic ensemble. Jacques Derrida, philosopher : with images ? Geoffroy is trying to find an answer and, in ple of exaggeration ” championed in the last century by unhoped-for chance to animalise her own nature as a “ the animal that I am, therefore. ” 12 doing so, is showing the way. She is one of those who Günther Anders. 8 human being, or at least to try to do so. The absence It is no doubt wise to take a broad view of ecology, one of predators for most of the animal species living on the that does not end with paying attention to our environ- Kerguelen archipelago, effectively makes it possible to be Most of Geoffroy’s creations are distinguished by their ment, with a view to respecting it, and only it. Ecosophy unusually close to the animals, in their habitat, and with- singularity, by a novel approach that openly turns its back needs to take over, to invite us to get beyond the practi- out fear on its side. The almost infinite time she had be- on the conventional forms of art. With the exception of cal relation to the environment and drive us towards a fore her, often in solitude, experienced in long expeditions cinema or writing, the artist’s “ manner ” privileges forms politico-social ecology, widening the relation to the Bios over the tundra, enabled the artist to live and exchange that are direct related to the substance of the bios. Exhib- in the sense, too, of embodiment . To embody ecology with various local animals – seagulls, petrels, albatrosses, iting water, scientific images, educational maps, equip- or, to put it better, to make ourselves nature : the artist reindeer, sea lions, penguins, dolphins, etc., while envis- ment, the names of forgotten spaces where nature devel- 9 24 10 are leading and inspiring the cohort of artists pioneering Towards a writing without antecedents this ecological art that, with every new day of nature’s suffering, gains new champions – concerned, sometimes militant, always motivated. A pathfinder. 25 1 - Regarding Colonne de l’évolution, the artist points out that “ This piece was made using stencils and the letters were done in pencil directly on the wall. Graphite being a carbon-based fossil material, its materiality is itself part of the history of evolution, and the font used was Times. A finger placed on or dragged over a letter leaves marks. ” 2 - Jacques Monod, Chance and Necessity : An Essay on the Natural Philosophy of Modern Biology (1970), New York : Knopf, 1971. 3 - The International Panel on Climate Change (IPCC) was set up in 1988 to monitor in detail variations and developments in the climate. by immodesty. Trouble keeping silent within me a protest against the indecency. Against the impropriety that comes of finding oneself naked, one’s sex exposed, stark naked before a cat that looks at you without moving, just to see. The impropriety [malséance] of a certain animal nude before the other animal, from that point on one might call it a kind of animalséance : the single, incomparable and original experience of the impropriety that would come from appearing in truth naked, in front of the insistent gaze of the animal, a benevolent or pitiless gaze, surprised or cognizant. The gaze of a seer, visionary or extra-lucid blind person. ” 4 - Jan Zalasiewicz et al. “ The New World of the Anthropocene ”, in Environmental Science and Technology 44.7 (2010), p. 2228-31. 5 - Bruno Latour,," L’Anthropocène et la destruction de l’image du Globen " in Émilie Hache (ed.), De l’univers clos au monde infini, Paris : Dehors, 2014, pp. 27-54. 6 - James E. Lovelock, The Revenge of Gaia: Earth’s Climate Crisis & The Fate of Humanity, Basic Books, 2006. 7 - “ Hypothèse Gaïa ” Wikipedia article, 2015. 8 - Günther Anders, Philosophische Stenogramme (1965), Munich, C. H. Beck, 2002, p. 65. 9 - In 1960 the Norwegian philosopher Arne Næss (19122009), founder of the deep ecology movement, formulated what has become the credo of environmental and political ecology : “ Man does not stand at the top of the hierarchy of life, but belongs on the contrary to the ecosphere, like a part of a whole ”. The rich ecosophy stemming from these ideas is exemplified by Félix Guattari’s Les trois écologies, Paris : Galilée, 1989. 10 - Term taken from the philosopher Jacques Derrida, see note 11, below. 11 - Christiane Geoffroy, On dirait que j’étais… l’archipel des Kerguelen, typescript, unpublished, 3rd quarter, 2014, p. 34. 12 - Jacques Derrida, “ The Animal that Therefore I am ”, Critical Inquiry, vol. 28, no. 2, winter 2002, p. 372 : “ I often ask myself, just to see, who I am – and who I am (following) at the moment when, caught naked, in silence, by the gaze of an animal, for example the eyes of a cat, I have trouble, yes, a bad time overcoming my embarrassment. Whence this malaise ? I have trouble repressing a reflex dictated 26 27 46 47 L’ange des mers 2015 Film HD de 7 minutes, en boucle Tournage images : Hakihiro Hata. Montage : Mario Baux-Costesèque & Christiane Geoffroy. Remerciements à l’aquarium Kaiyukan, Osaka. © Christiane Geoffroy 2015 ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// J’ai choisi l’ange des mers comme emblème poétique de la lutte contre l’acidification des océans. Les anges des mers (nom scientifique, Clione limacina) ne mesurent que quelques centimètres. Ils possèdent un corps transparent, sauf l’appareil digestif qui est rouge orangé. Ils vivent dans des eaux profondes, sous la banquise de l’Arctique et dérivent avec les courants. Ces animaux à l’apparence fragile se déplacent dans l’eau « en volant ». Ils sont d’une grande beauté et d’une délicate élégance. Leur mode de vie est énigmatique. Ils peuvent rester quasiment une année sans absorber de nourriture. Les Cliones grandissent avec une coquille dont ils se débarrassent à l’âge adulte et ils se nourrissent aussi d’animaux à coquille, les Limacina hélicina. Ils sont directement affectés par l’acidification des océans, du fait des taux de CO2 élevés, d’origine anthropique. Le pH de l’eau s’acidifie et empêche le calcaire de se fixer. Les coquilles des animaux deviennent molles fragilisant ainsi leur croissance et leur vie. Angel of the Seas (HD Videoprojector, Blu-Ray and DVD player) - I chose the sea angel as a poetic emblem of the struggle against rising acid levels in the oceans. Sea angels (scientific name : Clione limacina) are only a few centimetres long. Their bodies are transparent, apart from orange-red of the digestive apparatus. The live in deep water under the Arctic ice cap and drift with the current. These fragile-looking creatures “ fly ” through the water. They are extremely beautiful and delicately elegant. Their existence is enigmatic. They can go almost a year without absorbing food. Cliones grow with a protective shell, which they discard when fully formed. Adult Cliones in turn feed on another creature with a shell, the Limacina hélicina. They are directly affected by the acidification of the oceans caused by high levels of CO2 of anthropic origin. The decreasing pH of water prevents calcium from setting, causing the shells of animals to become soft and making them vulnerable by hampering their growth. 50 51 Bibliographie 54 1987 Sonja Van Der Burg, Word Wide Vidéo Festival, La Haye. 1988 Bart de Bare, Clive Robin, Nouveaux francs, ELAC, Lyon. 4e manifestation d’art vidéo, Le 19, Centre d’Art Contemporain, Montbéliard. Christiane Geoffroy, Vidéoart Plastique, Caen. 1989 Vidéoformes, Clermont-Ferrand. 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On dirait l’éternité..., Plateforme Arte Créative. Aqua Vitalis, positions de l’art contemporain, Acte 2, Artothèque, espace d’art contemporain, Palais Ducal, Caen. L’Homme est un animal qui vénère, Centre d’Art Contemporain, Istres. Collections publiques 58 Bourses de recherche, aides publiques & résidences 1992 Réalisation de 3 audiovisuels pour l’exposition L’homme et la santé, Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris. 1993 Production d’une vidéo Le droit et le vivant, par Les nouveaux commanditaires, programme de la Fondation de France, avec la collaboration de l’INRA. 2005 Résidence à Nicosie, Chypre, programme autour des nouvelles capitales européennes, Ville de Strasbourg. 2006 Bourse d’aide à la création, DRAC Bourgogne. 2008/10 Résidence à l’atheneum, Centre Culturel de l’Université de Bourgogne, réalisation de deux expositions et collaborations avec Pierre Ancet, philosophe des sciences et de bioéthique et Yves Richard, climatologue au centre de recherche de climatologie, Dijon. Lauréate de la résidence de création, l’Atelier des ailleurs 2, sur la base subantarctique de Port- aux-Français à l’archipel de Kerguelen, DRAC Réunion/TAAF (Terres australes et antarctiques françaises). 1989 Centre d’Art Contemporain, Grenoble, Narcisse et sa chorégraphie en chambre, vidéo. Bibliothèque Nationale, Lyon, Narcisse et sa chorégraphie en chambre, vidéo. FNAC, Paris, Simulation solaire, installation/vidéo. 1992 Caisse des Dépôts et Consignations, Paris, Geo-reproduction les canards, installation/photos. 2013/14 1993 Frac Rhone-Alpes, Lyon, Chambre ovulaire, chambre spermatic, salle de jeux genetic, installation MNAM, Centre Pompidou, Paris, Geo-genetic, vidéo. Institutions 1995 Caisse des Dépôts et Consignations, Paris, Fermenteurs à géométrie variable, installation/vidéo (dépôt au FRAC Franche-Comté). Bibliothèque municipale, Limoges, Geo-genetic, vidéo. Centre Multimédia, Riga, Geo-genetic, vidéo. 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Frac Basse-Normandie, Caen, Geo-biologic, techniques mixtes. 2011 Médiathèque de Neudorf, Strasbourg, Mental horizon, photographies argentiques. 2015 Musée des collections de l’Université Jean Fourier, Grenoble, Il y a 30 000 ans ..., installation. 1986/89 Chargée des programmations d’art vidéo, Centre d’Art Contemporain, le Magasin, Grenoble. 1987 Organisation de conférences scientifiques, École Supérieure des Beaux-arts, Grenoble. 1987/91 Enseignement de l’Art Contemporain en milieu scolaire, Grenoble. 1992 Conseiller artistique pour l’exposition permanente : L’homme et la santé, Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris. 1998/01 Professeur de vidéo, École Supérieure des Beaux-Arts, Toulouse. Depuis 2001 Professeur à la Haute École des Arts du Rhin. Séminaire art science & société, Strasbourg. 59 Musée des beaux-arts de Rennes Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition Christiane Geoffroy (même la lune tangue) au musée des beaux-arts de Rennes, du 16 octobre 2015 au 17 janvier 2016. Direction, commissariat général Anne Dary Secrétariat de l’exposition Lynda Bihan Que soient remerciées toutes les personnes qui, par leur bienveillance, leur concours et leur aide matérielle ont permis la réalisation de cette exposition : Nathalie Appéré, maire de Rennes, Benoit Careil, adjoint à la Culture, Catherine Phalippou, conseillère municipale, déléguée aux musées, Jean-Luc Chenut Président du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, Jean-Loup Lecocq, directeur adjoint des Affaires Culturelles de Bretagne, Evelyne Schmitt-Marchal, conseillère pour les musées à la DRAC Bretagne. Nous voudrions exprimer tout particulièrement notre gratitude envers Christiane Geoffroy pour sa collaboration, sa disponibilité lors de la préparation de cette exposition. Conservation François Coulon, conservateur Laurence Imbernon, conservatrice Guillaume Kazerouni, responsable des collections d’art ancien Communication Nadège Mingot Mécénat Caroline Resmond Christiane Geoffroy tient tout particulièrement à remercier Mario Baux-Costeseque, assistant de l’exposition même la lune tangue pour son grand engagement, Akihiro Hata, pour le tournage de L’ange des mers, à l’Aquarium Kaiyukan à Osaka (Japon) ainsi que M. Murakami, et le Responsable scientifique des animaux, Annie Latimier pour la relecture des notices des œuvres, Olivier Lerch pour la conception de la Résidence de l’Atelier des ailleurs, ainsi que Michel Cabaret, Alain Della-Negra, Elisa Dupuis, Léa Henry-Geoffroy, Marcel Hibert, Aline Huber, France Geoffroy, Sébastien Mourot, Oh Eun Lee, Dominique Leray, Estelle Pagès, Eléonore Patternotte, Camille Roux, Jonathan Shall, Amanda SilvaSébastien Soubiran, Jérome Thomas et toutes les personnes en mission à l’archipel des Kerguelen lors de la résidence de l’Atelier des ailleurs 2. Régie des œuvres Anne-Laure Le Guen Action culturelle Marine Certain, Anne-Sophie Guerrier, Odile Hays, Carole Marsac Administration Chantal Meslif, Marie-Chrystelle Henry-Louis, Françoise Le Floc’h, Armelle Gautier, Valérie Richard, Martine Day Accueil du public David Biet, Aurélie Brielle, Annaïck Christel, Jany Clin, Fabienne Desnoux, Florence Gicquel, Gilles Hurault, Lydie Lemonnier, Christine Renaudin, Meriam Rezzik, Graziella Sollier, Isabelle Trubert, Corinne Yves Équipe Technique Gérard Carrascosa, Pascal Darragon, Olivier Lambin, Christian Lebreton, Ronan Gicquel Bibliothèque Béatrice Lambart Sécurité Philippe L’Hostis Photographie Jean-Manuel Salingue Conseillers pédagogiques Fabrice Anzemberg, Yannick Louis Société des amis du musée des beaux-arts de Rennes Sylvie Blottière-Derrien, présidente 60 61