les changements climatiques dans l`arctique : defis pour la
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les changements climatiques dans l`arctique : defis pour la
SCIENCES ET TECHNOLOGIES 180 STC 05 F Original : anglais Assemblée parlementaire de l'OTAN LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES DANS L’ARCTIQUE : DEFIS POUR LA COMMUNAUTE DE L’ATLANTIQUE NORD PROJET DE RAPPORT SPECIAL PIERRE CLAUDE NOLIN (CANADA) RAPPORTEUR SPECIAL* Secrétariat international * 5 octobre 2005 Aussi longtemps que ce document n’a pas été approuvé par la Commission des sciences et des technologies, il ne représente que les vues du rapporteur. Les documents de l’Assemblée sont disponibles sur son site web, http://www.nato-pa.int 180 STC 05 F i TABLE DES MATIERES I. INTRODUCTION....................................................................................................................... 1 II. FACTEURS DE RISQUE POUR LA STABILITÉ GÉOPOLITIQUE MONDIALE....................... 2 III. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES : UNE MENACE A LONG TERME ? ........................... 3 IV. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LE RECHAUFFEMENT DE L’ARCTIQUE............. 5 V. L’INTENSIFICATION DU RECHAUFFEMENT DANS L’ARCTIQUE AU COURS DU XXIE SIECLE ............................................................................................................................. 9 VI. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES BRUSQUES : L’AFFAIBLISSEMENT DE LA CIRCULATION OCEANIQUE DANS LA REGION DE L’ATLANTIQUE NORD ..................... 13 VII. CONCLUSION : LA NECESSITE DE MIEUX COMPRENDRE LES DEFIS QUE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES BRUSQUES POSENT POUR LA SECURITE DE L’OTAN ................................................................................................................................... 17 180 STC 05 F I. 1 INTRODUCTION 1. De nos jours, lorsque nous parlons de sécurité, nous le faisons avec un vocabulaire extrêmement différent de celui utilisé pendant la guerre froide. Il n’est plus question d’endiguement, de destruction mutuelle assurée, de rivalité entre superpuissances ou d’intérêt des blocs. Ces concepts décrivaient une époque bien différente de celle que nous vivons aujourd’hui. 2. Certes, cette époque était plus stable, mais elle était aussi plus dangereuse, car un conflit nucléaire entre les superpuissances aurait abouti à une destruction mondiale, qui aurait pu être permanente. Elle était plus stable parce que l’environnement stratégique était plus ordonné; chacun savait de quel côté il se trouvait et les États protégés étaient contrôlés par leurs protecteurs. 3. Aujourd’hui, l’environnement stratégique est moins menaçant, mais il est bien plus instable. Notre réalité, ce sont des États non viables, le terrorisme international, les conflits tribaux, les enfants soldats, le trafic d’êtres humains et les organisations criminelles transnationales. Les défis qui se posent pour notre sécurité et notre bien-être sont multiples. L’aphorisme de Nietzsche selon lequel «[…] la folie est rare chez les individus, mais elle est la règle dans les groupes, les parties, les nations et les âges » l’illustre bien. 4. Pour répondre à ces situations, nous avons adopté un discours inspiré par un ensemble de concepts plus vastes et plus subtils que nous ne le pouvions auparavant. Nous parlons de sécurité humaine, de renforcement des capacités, de caractère sacré de l’individu, de multilatéralisme et de la nécessité de demander des comptes aux chefs d’Etat. 5. Nous n’estimons plus que la quête d’une véritable sécurité pour chaque être humain soit nécessairement contraire au fondement de la société internationale. L’intervention au sein des États dans le but de protéger la population est désormais un principe accepté des relations internationales. Le génocide survenu au Rwanda, il y a dix ans, nous a montré que cela pouvait parfois être une obligation. Il s’agit-là de bien plus que de rêveries d’intellectuels dissidents ou d’utopistes. Ce sont des tentatives d’appréhender une réalité que nous comprenons difficilement et qui nous met mal à l’aise. Ce dont nous sommes certains, c’est que le terme « sécurité » signifie aujourd’hui qu’il faut composer avec des formes de domination et d’insécurité sur lesquelles nous avons longtemps fermé les yeux ou que nous avons sacrifiées sur l’autel de la Realpolitik. 6. Du fait de la primauté de l’État dans la pensée stratégique, la signification de la sécurité s’appliquant aux individus n’est plus la même que celle s’appliquant à l’État. Pour que la sécurité soit un concept sensé au niveau international, il faut qu’elle le soit également au niveau de l’individu. Ainsi, pour comprendre la complexité des menaces pour la sécurité, nous devons étudier les données de base non seulement à travers les perceptions et les antécédents des hommes d’États et des diplomates mais également en prenant en compte les expériences de ceux que l’ordre international actuel insécurise. L’aide étrangère demeure importante, mais nous avons aujourd’hui accepté le fait que le principe de la souveraineté des États puisse être violé pour sauver ceux que l’État et ses agents menacent. La sécurité des personnes comprend au premier chef la sécurité physique – la sécurité fondamentale de l’individu. Sans elle, l’aide étrangère ne demeure guère plus qu’une aumône pour ceux qui sont sur le chemin d’un désespoir permanent. 7. La langue de la Realpolitik cède lentement aux principes plus nuancés et humanitaires du pouvoir discret et de la sécurité humaine. Grâce à cette nouvelle terminologie, nous avons pu élargir nos horizons et mettre à l’avant-plan des préoccupations en matière de sécurité qui étaient auparavant reléguées à l’arrière-plan, quand on daignait s’en occuper. C’est en partie à la suite de cette nouvelle pensée que nous pouvons sérieusement nous pencher sur les répercussions de la dégradation de l’environnement pour notre sécurité commune à long terme. 180 STC 05 F 2 8. Même si nos horizons peuvent s’élargir sur le plan intellectuel, il faut se rappeler que les soi-disant menaces non traditionnelles à la sécurité ont toujours été présentes. La maladie, la criminalité, la pauvreté, la malnutrition, le terrorisme, la dégradation de l’environnement, etc., ne sont pas nouveaux. Ils ont toujours fait partie de la condition humaine. Si nous ne nous y sommes pas véritablement attaqués par le passé, c’est essentiellement en raison de la pauvreté, des théories antérieures et de notre incapacité de faire face aux réalités de la politique mondiale. Bien que déconcertant pour certains, l’après-Guerre froide, malgré la myriade de problèmes laissés dans son sillage, offre de nouveaux horizons prometteurs. Pour en tirer parti, il nous faut recourir à l’approche intellectuelle appropriée pour que nous puissions retrouver notre chemin dans ces nouveaux labyrinthes ainsi que la volonté politique de nous attaquer aux enjeux qui se présentent. 9. La croissance démographique, l’immigration, la rareté des ressources et la dégradation de l’environnement sont perçues comme ayant deux types de répercussion sur la sécurité. D’abord, elles peuvent nuire à la sécurité soit directement, comme ce serait le cas d’un accident nucléaire, soit indirectement, par des modifications négatives de la société. À titre d’exemple, le gouvernement des États-Unis a récemment décidé de définir le SIDA comme un problème de sécurité. Ce qui est surtout important, c’est que les préoccupations citées sont transnationales et de nature mondiale. Dans de nombreux cas, les États ne peuvent s’y attaquer efficacement seuls, car leur gestion exige une coopération internationale. Certaines, comme le SIDA, sont des risques immédiats, tandis que d’autres le sont à plus long terme. II. FACTEURS DE RISQUE POUR LA STABILITÉ GÉOPOLITIQUE MONDIALE 10. Dans un rapport intitulé : State of the World 2005 : Trends and Facts, le World Watch Institute décrit les cinq facteurs suivants comme présentant des risques croissants : • Ressources naturelles : Elles sont à l’origine de nombreux conflits. Les ressources non renouvelables comme le pétrole et les minéraux alimentent des rivalités géopolitiques et des conflits avec les populations indigènes et, parfois, financent les guerres civiles. Des différends surgissent également au sujet de ressources naturelles renouvelables comme l’eau, les terres arables et les forêts. Les effets d’une dégradation de l’environnement renforcent souvent les iniquités sociales et économiques ou exacerbent les fractures ethniques et politiques. • Pénurie alimentaire : La pénurie alimentaire résulte de la conjugaison des facteurs suivants : pauvreté, manque d’eau, répartition inégale des terres et dégradation de l’environnement. À peu près 1,4 milliard de personnes, dont la presque totalité vit dans des pays en développement, vivent dans un environnement précaire en raison de l’aridité, d’une productivité trop faible, d’une pénurie de terres ou encore de la pauvreté des sols. • Maladie : Les maladies peuvent parfois être répandues au point de saper les bases de l’économie et menacer la stabilité sociale. Les maladies infectieuses et autres pathologies traversent toujours plus aisément les frontières. La menace actuelle d’une pandémie de grippe aviaire pourrait avoir, si elle se concrétise, des effets catastrophiques à l’échelle mondiale. Le SIDA, quant à lui, paralyse les sociétés à tous les niveaux. Il mine aussi la résilience globale des États d’une part, et la capacité de ces derniers à gouverner les populations et de répondre à leurs besoins fondamentaux d’autre part. Pénurie d’emploi, incertitude économique et croissance démographique rapide : Il s’agit là d’un mélange parfois explosif. Le chômage des jeunes connaît une flambée jusque là inconnue. Et, lorsque des quantités de jeunes hommes sont frustrés dans leur quête de position sociale et de moyens de subvenir à leurs besoins, ils peuvent constituer une force • 180 STC 05 F 3 déstabilisatrice si leur mécontentement les pousse vers la criminalité ou vers des milices ou groupes extrémistes. 11. Le dernier facteur de risque identifié par le World Watch Institute est la dégradation de l’environnement, qui constituera le principal sujet du présent document. Cette dégradation combinée à d’autres actions humaines risquent de précipiter des catastrophes naturelles et sociosanitaires plus meurtrières. Selon plusieurs observateurs, leur fréquence devrait s’accélérer à mesure que les changements climatiques se traduiront en tempêtes, ouragans, inondations, vagues de chaleur et sécheresses plus intenses. Il pourrait en résulter un nombre croissant de réfugiés pour cause écologique et une prolifération de certaines maladies graves comme la malaria. III. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES : UNE MENACE A LONG TERME ? 12. L'atmosphère joue un rôle vital dans le maintien des températures terrestres à des niveaux qui permettent la vie sur terre. Ce mécanisme régulateur est ce que l'on appelle l'effet de serre, par lequel certains composants de l'atmosphère, les gaz à effet de serre, retiennent la chaleur. Les gaz à effet de serre les plus répandus sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane et l'oxyde d'azote. Ils sont le résultat de processus naturels et de beaucoup d'activités humaines, notamment la combustion des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz ainsi que les activités agricoles telles que l'élevage du bétail et la culture du riz. L'existence de l'effet de serre est incontestable; sans lui, la Terre serait trop froide pour être habitée. 13. Au cours des dernières années, plusieurs études scientifiques ont fait état des conséquences néfastes des changements climatiques provoqués par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, non seulement pour les divers écosystèmes terrestres, mais aussi sur l’économie, l’agriculture et les politiques sociales de plusieurs pays. Les médias rapportent souvent, à l’aide d’images ou de récits sensationnalistes, des catastrophes météorologiques attribuées automatiquement au réchauffement de la planète. 14. Bien que les bases scientifiques sur lesquelles repose la théorie des changements climatiques soient d’une extrême complexité, que l’avis des scientifiques soit coloré d’incertitudes vu l’existence de nombreux modèles de prévisions météorologiques et, enfin, que plusieurs groupes d’intérêts aux idées divergentes exercent des pressions importantes auprès des décideurs politiques afin de faire reconnaître leur point de vue dans les politiques gouvernementales de nombreux États, une chose demeure : depuis le début de la révolution industrielle, au XIXe siècle, le climat de la Terre s’est réchauffé et ce phénomène est particulièrement imputable aux activités industrielles des humains. 15. Déjà, en 1998, la Commission des sciences et des technologies de l’AP-OTAN avait étudié dans un rapport spécial cette question ainsi que les options qui s’offraient aux décideurs politiques, notamment le Protocole à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, relatif à une réduction des émissions de gaz à effet de serre (le Protocole de Kyoto), pour réduire les effets du réchauffement des températures.1 16. Or, de nouvelles données publiées au cours des dernières années sur les changements climatiques ont provoqué une prise de conscience, voire une grande inquiétude auprès des scientifiques et de nombreux gouvernements. Jusqu’à tout récemment, la plupart des études climatologiques présentaient leurs effets à long terme de façon linéaire et graduelle, s’étendant sur 1 Voir Ibrügger, Lothar. De Kyoto à Buenos Aires : L’accord sur les émissions de gaz à effet de serre. Bruxelles. Commission des sciences et des technologies – Assemblée parlementaire de l’OTAN. 1998. 180 STC 05 F 4 plusieurs décennies au gré de l’influence naturelle et humaine. Aujourd’hui, elles n’écartent plus la possibilité que, passé un certain seuil critique difficilement déterminable, le réchauffement des températures pourrait entraîner des changements climatiques brusques et irréversibles engendrés par un refroidissement des températures dans l’hémisphère Nord. 17. En 2002, la National Academy for Science définissait de la façon suivante ce phénomène qui pourrait avoir des conséquences majeures environnementales, économiques, politiques et géostratégiques pour tous les pays de la communauté de l’Atlantique Nord : « Les changements climatiques brutaux se réfèrent généralement à une modification importante du climat qui perdure pendant plusieurs années, avec des effets sur la température moyenne. Ils peuvent altérer les modèles climatiques qui provoquent les tempêtes, les inondations ou les sécheresses. Ils se produisent sur une superficie géographique qui peut atteindre la dimension d’un pays, voire d’un continent. Ils surviennent tellement rapidement et soudainement que les humains ou les écosystèmes peuvent difficilement s’y adapter. Lorsqu’on mentionne les changements climatiques brusques survenus par le passé, le terme « rapidement » signifie habituellement qu’ils s’étalent sur une période d’une décennie. »2 (Traduction) 18. En 2001, le Groupe international d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) – créé conjointement, en 1988, par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme pour l’environnement des Nations Unies – a publié son Troisième rapport d’évaluation sur les changements climatiques.3 Ce groupe a pour mission de fournir une évaluation des connaissances relatives à tous les aspects de l’évolution du climat, et notamment de la façon dont les humains peuvent à la fois causer de tels changements et en subir les effets.4 19. Après avoir présenté divers scénarios de réchauffement climatique, le GIEC mentionnait que de nombreux pays devaient s’attendre, au cours du XXIe siècle, à une instabilité climatique accrue et une augmentation en intensité et en fréquence d'événements météorologiques comme El Nino dans l’océan Pacifique Sud. Ils devaient aussi envisager des changements brusques dans certains écosystèmes dont plusieurs pourraient être irréversibles.5 Enfin, le groupe d’experts précisait aussi que la communauté internationale pourrait assister à l’affaiblissement de la circulation océanique notamment dans la région de l’Atlantique Nord. 20. En 2002, une autre étude importante réalisée par un groupe d’experts, cette fois-ci, pour le compte de la prestigieuse National Academy for Science, évoquait un scénario semblable.6 Selon d’importantes recherches paléoclimatologiques menées au cours des dernières années, le rapport concluait que le climat a parfois évolué très rapidement, de façon brusque, au cours des 100 000 dernières années et qu’un tel phénomène pourrait se reproduire prochainement dans 2 3 4 5 6 Collaboration. Abrupt Climate Change: Inevitable Surprises – Report in Brief. Washington. National Academy Press. 2002. p. 1. Collaboration. Climate Change 2001 : IPCC Third Assessment Report. Cambridge University Press, Cambridge, 2001, 398 p. Le GIEC est composé de trois groupes de travail. Les attributions de ces groupes sont les suivantes : le Groupe I doit étudier les aspects scientifiques du système climatique et de son évolution; le Groupe II s’intéresse aux incidences des changements climatiques et aux moyens de s’adapter à ces changements; enfin, le Groupe III examine les diverses possibilités d’atténuer les changements climatiques. Le GIEC a produit un premier grand rapport d’évaluation en 1990 et un deuxième en 1996. Collaboration. Climate Change 2001: Synthesis Report – Summary for Policymakers. 2001. pp. 14-15. Collaboration. Abrupt Climate Change: Inevitable Surprises. Washington. National Academy Press. 2002, 244 p. 180 STC 05 F 5 l’hémisphère Nord.7 Encore une fois, le rapport affirmait que l’affaiblissement, voire l’interruption complète, de la circulation océanique dans la région de l’Atlantique Nord, pouvait être responsable de ces changements. 21. Une telle possibilité semble avoir inquiété les autorités gouvernementales américaines au plus haut point. En effet, au moment même où le terrorisme international était perçu comme étant la plus grande menace à la sécurité nationale des États-Unis, le Département américain de la Défense a publié, en 2004, un rapport sur les effets possibles d’un changement climatique brusque engendré par un refroidissement des températures dans l’hémisphère Nord, les conséquences politiques et économiques régionales et mondiales d’une telle situation et, finalement, ses implications pour la sécurité nationale des États-Unis.8 22. Cela dit, avant d’approfondir les changements climatiques brusques et leurs conséquences pour la communauté de l’Atlantique Nord, il est important d’expliquer brièvement les mécanismes qui peuvent les engendrer. Dans ce domaine, les recherches scientifiques tendent à démontrer que le réchauffement présentement en cours dans l’Arctique pourrait être l’un des éléments déclencheurs de ce phénomène. IV. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LE RECHAUFFEMENT DE L’ARCTIQUE 23. En 2001, le troisième rapport du GIEC démontrait que la décennie des années 90 avait été la plus chaude jamais enregistrée depuis 1861 – année où l’on entrepris de consigner les températures enregistrées à divers endroits du globe dans des registres – et que l’année 1998 était celle où les températures furent les plus élevées. Ces changements ne se sont toutefois pas produits de façon uniforme et varient selon les régions et les différentes parties de la basse atmosphère. À titre d’exemple, entre 1910 et 1945, le réchauffement était principalement concentré dans la région de l’Atlantique Nord. Par la suite, de 1945 à 1975, les températures dans cette même région, tout comme celle de l’hémisphère Nord, se sont légèrement refroidies alors qu’elles augmentaient dans l’hémisphère Sud. La période de réchauffement la plus récente (19761999) a concerné la presque totalité de la planète, bien que les hausses les plus marquées aient été enregistrées aux latitudes moyennes et élevées de l’hémisphère Nord. 9 24. En somme, le GIEC établit l’augmentation mondiale de la température à +0,6 degré Celsius (°C) tout au long du XXe siècle.10 Le rapport souligne que cette augmentation résulte d’un accroissement rapide des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notamment de CO2. En effet, les recherches paléoclimatologiques récentes ont évalué les concentrations de CO2 dans l’atmosphère à 280 parties par million (ppm) pour la période s’étalant de l’an 1000 à l’an 1850. En 2000, ce taux est passé à 368 ppm, soit une augmentation de 31 % depuis le milieu du XIXe siècle! À cet égard, le GIEC affirme : « La concentration actuelle de CO2 n’avait encore jamais été atteinte au cours des 420 000 dernières années et probablement pas non plus au cours des 20 millions d’années précédentes. Le taux d’augmentation actuel est sans précédent depuis 7 8 9 10 La paléoclimatologie analyse les données historiques comme celles qui proviennent de carottes de glace prélevées dans les régions polaires, particulièrement dans le but de mieux comprendre les effets des activités humaines sur les processus climatiques. Les meilleurs exemples de variation climatique sont illustrés par les périodes de glaciation et de réchauffement. Les mécanismes sous-jacents à de tels changements incluent les courants marins, la dérive des continents liée à la tectonique des plaques, mais aussi les variations cycliques de l’orbite annuelle de la Terre autour du Soleil et de l’inclinaison de son axe par rapport au plan de cette orbite dite écliptique. Randal, Doug et P. Shwartz. An Abrupt Change Scenario and Its Implications for United States National Security. Washington. United States Department of Defence, 2003. 22 p. Collaboration. Bilan des changements climatiques 2001 : Les éléments scientifiques – Rapport du Groupe de travail 1 (GIEC). Cambridge. Cambridge University Press. 2001. p. 25. Ibid., p. 25 (supra, Note 9) 180 STC 05 F 6 au moins 20 000 ans. »11 En février dernier, l’Institute for Public Policy Research du Royaume-Uni a publié une étude établissant à 400 ppm le seuil critique de concentration de CO2 au-delà duquel, le réchauffement de la température mondiale pourrait entraîner des changements climatiques brusques et, parfois, irréversibles. Selon cette dernière, il pourrait être franchi au cours des prochaines décennies et provoquerait une augmentation de la température mondiale moyenne d’au moins 2oC.12 Cela dit, bien que plusieurs scientifiques aient publié, au cours des dernières années, diverses hypothèses afin d’établir ce seuil, il n’existe aucun consensus sur cette importante question. 25. Le rapport du GIEC précise également que la majeure partie du réchauffement climatique provoqué par l’augmentation des émissions de CO2, depuis 1950, est causée par des facteurs anthropiques, c’est-à-dire par le biais d’activités humaines. Ainsi, toujours selon le groupe d’experts onusiens, près de 75 % de ces émissions sont provoqués par la combustion de combustibles fossiles. Le reste est imputable essentiellement aux modifications dans l’utilisation des sols et, plus particulièrement, au déboisement dans les pays en voie de développement.13 Ce réchauffement a eu plusieurs effets sur les écosystèmes, dont : • • • • • • • • une élévation du niveau des océans de 1 à 2 millimètres annuellement au cours du XXe siècle, soit entre 10 et 20 centimètres au cours de cette période14; une augmentation du nombre d’événements de type El Nino dans l’océan Pacifique Sud au cours des 30 dernières années, événements qui s’étalent sur une plus longue période et dont l’intensité est plus forte qu’auparavant15 ; une hausse, entre 1950 et 1993, d’environ 0,2°C tous les dix ans des températures quotidiennes minimum de l’air relevées de nuit à la surface. Cela représente environ le double du taux d’augmentation des températures journalières maximum de l’air relevées pendant la journée, soit 0,1°C toutes les décennies pour la même période; une diminution de plus de deux semaines de la période de gel des lacs et rivières dans l’hémisphère Nord16 ; un allongement de la saison de croissance biologique d’un à quatre jours par décennie au cours des 40 dernières années dans cette même région17; une augmentation des précipitations de 0,5 à 1 % toutes les décennies sous la plupart des latitudes moyennes et élevées de l’hémisphère Nord, comparativement à seulement 0,2 à 0,3 % dans les zones tropicales18; une réduction importante du nombre de glaciers situés dans les montagnes à l’extérieur des régions polaires notamment dans les Alpes et en Europe;19 une diminution, d’après les données recueillies par satellite, de la couverture de neige d’environ 10 % depuis la fin des années 60.20 26. Comme on peut le constater, plusieurs des effets susmentionnés se sont produits dans l’hémisphère Nord principalement dans la région de l’Arctique, largement reconnue comme étant l’habitat des Inuits et des ours polaires. À cet égard, le GIEC affirme : « L’Arctique est extrêmement vulnérable aux changements climatiques et des incidences physiques, écologiques 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Ibid., p. 6. (supra, Note 9) International Climate Change Task Force. Meeting the Climate Challenge. Londres. Institute for Public Policy Research. 2005. p. 4 Ibid., p. 6 (supra, Note 9) Ibid., p. 6 (supra, Note 9) Ibid., p. 6 (supra, Note 5) Ibid., p. 6 (supra, Note 5) Ibid., p. 6 (supra, Note 5) Ibid., p. 28 (supra, Note 9) Ibid., p. 29 (supra, Note 9) Ibid., p. 29 (supra, Note 9) 180 STC 05 F 7 et économiques majeures devraient être observées rapidement. Une variété de mécanismes de rétroaction entraînera une réponse amplifiée, avec des effets sur d’autres systèmes et populations [ailleurs dans le monde]. »21 En 2001, le groupe d’experts inter-gouvernemental mettait davantage l’accent sur les conséquences du réchauffement global en Arctique qu’en Antarctique puisque, mise à part une augmentation de la température dans la péninsule antarctique, les données scientifiques disponibles combinées aux prévisions climatiques pour le XXIe siècle, démontraient que les incidences d’un tel phénomène s’étaleraient sur une plus longue période au pôle Sud. 27. Contrairement à ce que les scientifiques ont observé sur la majeure partie du territoire de l’Arctique, plusieurs régions de l’Antarctique ne se sont pas réchauffées au cours des dernières décennies. De plus, aucune évolution significative de la surface des glaces de mer n’y a été enregistrée depuis 1978, date à laquelle a commencé la période des mesures fiables par satellite. Selon le GIEC, la masse de la calotte glacière de l’Antarctique devrait augmenter, dans son ensemble, au cours des prochaines décennies, mais après un réchauffement continu, elle pourrait diminuer sensiblement, et contribuer de plusieurs mètres à l’élévation du niveau de la mer prévue au cours des 1 000 années à venir. 28. Plusieurs scientifiques expliquent ces prévisions différentes pour les deux pôles par le fait que la majeure partie de la calotte glaciaire antarctique est située sur un continent où les températures dépassent rarement le point de congélation plutôt que sur l’océan comme c’est le cas au pôle Nord où les températures sont plus clémentes lors de la période estivale, influençant ainsi davantage la couverture de neige et de glace et l’évolution du climat.22 29. Cela dit, en novembre 2004, le Conseil de l’Arctique – un forum intergouvernemental qui regroupe les pays ayant une frontière avec cette région polaire – a publié une importante étude réalisée au cours des quatre dernières années par plus de 300 scientifiques provenant de 15 pays ayant trait aux conséquences des changements climatiques sur cet important et fragile écosystème.23 30. Les constats de cette étude sont troublants et confirment certaines observations du GIEC.24 L’Arctique se réchauffe plus rapidement que d’autres régions du monde et les effets de ce réchauffement seront ressentis à travers le monde au cours du XXIe siècle. Trois raisons expliquent l’influence de l’Arctique sur le climat mondial. D’abord, grâce à l’importante couverture de neige et de glace qui s’y trouve, la majeure partie de l’énergie solaire est réfléchie vers l’espace, contrairement à ce qui se produit dans les régions tropicales. Ce phénomène se nomme l’albédo. À titre d’exemple, la glace marine réfléchit près de 90 % de l’énergie solaire. De surcroît, cet écosystème joue également un grand rôle dans la circulation océanique de l’Atlantique Nord. Enfin, toute augmentation de la température du pergélisol (qui contient du méthane) et toute modification de la végétation arctique combinée à la diminution de la couverture de neige et de glace pourrait réduire l’albédo de la région arctique, contribuer davantage au réchauffement global et augmenter la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. 31. Par ailleurs, l’étude du Conseil de l’Arctique a révélé que la température moyenne dans cette région, malgré certaines variations locales, a augmenté deux fois plus rapidement que celle de la 21 22 23 24 Collaboration. Bilan des changements climatiques 2001 : Conséquences, adaptation, vulnérabilité – Rapport du Groupe de travail II (GIEC). Cambridge. Cambridge University Press. 2001. p. 65. New, Mark. « Arctic Climate Change with a 2oC Global Warming ». p. 8. Dans L. Rosentrater. 2o is too much: Evidences and Implications of Dangerous Climate Changes in the Artic. Norvège. LDR Consulting for World Wildlife Fund. 2005. 70 p. Les membres du Conseil de l’Arctique sont le Canada, le Danemark (Groenland et Îles Faroe), les États-Unis (Alaska), la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède, ainsi que les communautés autochtones habitants le territoire de ces pays. Collaboration. Impacts of a Warming Arctic: Arctic Climate Impact Assessment. Cambridge. Cambridge University Press. 2004. 144 p. 180 STC 05 F 8 planète au cours des dernières décennies. À titre d’exemple, elle s’est accrue de 3°C à 4°C en Alaska et dans l’Ouest du Canada au cours des 50 dernières années!25 Fait important à noter, ce réchauffement est plus marqué lors de la saison hivernale. Les scientifiques expliquent cette augmentation inhabituelle, sans commune mesure avec le passé, par l’augmentation des gaz à effet de serre causée principalement par des facteurs anthropiques. 32. Cette hausse marquée des températures combinée à d’autres facteurs comme les vagues et les courants marins ont eu pour effet de réduire (comme le démontrent les images 1 et 2) l’étendue annuelle moyenne de la glace de mer de près de 8 % ou de plus d’un million de kilomètres carrés au cours des 30 dernières années, une superficie plus grande que les territoires réunis de la Norvège, la Suède et du Danemark.26 Non seulement la superficie de la calotte glacière recouvrant l’océan Arctique diminue rapidement, mais son épaisseur est aussi affectée par les changements climatiques. Depuis 1960, son épaisseur moyenne a diminué de 10 à 15 %, certaines régions démontrant une réduction de 40 %.27 Du côté de la couverture de neige sur la partie continentale de l’Arctique, cette dernière a diminué de 10 % au cours des 30 dernières années.28 Une étude publiée récemment par le Fonds mondial pour la nature (WWF) démontrait un allongement de la période de fonte de la glace marine et de la neige de l’ordre de 13 jours pour la calotte glaciaire située sur l’océan Arctique, de quatre jours pour celle située sur le Groenland, et de cinq jours pour le Nord du Canada et de l’Alaska.29 Image 1 : Étendue de la glace marine, 1979 Source : NASA (2003) Image 2 : Étendue de la glace marine, 2003 Source : NASA (2003) 33. Les auteurs de l’étude du Conseil de l’Arctique, tout comme ceux de celle réalisée pour le compte du WWF, soulignent que ces changements sont irréversibles et qu’ils menacent déjà la survie de nombreuses espèces animales telles que les ours polaires, les éléphants de mer, les phoques et certaines espèces d’oiseaux qui dépendent de la glace marine ou de la neige pour leur nourriture, leur reproduction ou leur habitat. Dans le cas des ours polaires, la réduction de l’étendue de la glace marine combinée à sa formation tardive à l’automne ainsi qu’à sa fonte prématurée au printemps dans la baie d’Hudson, au Canada, ont déjà des effets significatifs. Ainsi, entre 1981 et 1998, les ours polaires ont subi une diminution de 15 % tant au niveau de leur poids que du nombre de naissances. Plus les femelles sont maigres, plus leurs nouveau-nés risquent d’être en mauvaise santé ou de mourir prématurément. 30 25 26 27 28 29 30 Collaboration, Impacts of a Warming Arctic: Arctic Climate Impact Assessment – Supporting Evidence for the Key Findings. Cambridge. Cambridge University Press. 2004. p. 23. Ibid., p. 25 (supra, Note 24) Ibid., p. 25 (supra, Note 24) Ibid., p. 31 (supra, Note 24) Comiso, Josefino O. « Impact Studies of a 2oC Global Warming on the Arctic Sea Ice Cover ». p. 50. Dans L. Rosentrater,. 2o is too much: Evidences and Implications of Dangerous Climate Changes in the Artic. Norvège. LDR Consulting for World Wildlife Fund. 2005. 70 p. Ibid., p. 58 (supra, Note 24) 180 STC 05 F 9 34. Bien que certaines incertitudes scientifiques persistent quant aux moyens de mesurer efficacement les précipitations dans un environnement aussi froid que celui de l’Arctique, ces dernières ont également augmenté de 8 % au cours du XXe siècle. Fait inquiétant, la majeure partie de cette augmentation s’est produite sous forme de pluie, notamment au cours de l’hiver et, dans une moindre mesure, de l’automne et du printemps. Dans certaines régions comme l’Ouest de la Russie, les épisodes de précipitations liquides ont augmenté de 50 % au cours des 50 dernières années.31 35. L’augmentation des températures dans l’Arctique a également eu des effets sur les différentes zones de végétation de la région qui comprend, du nord au sud, le désert polaire, la toundra et la forêt boréale. N’oublions pas que les étendues forestières et boisées situées dans l’Arctique constituent près de 30 % de la totalité des forêts de la planète et que la forêt boréale, à elle seule, couvre 17 % de la superficie terrestre. Comme nous le verrons plus loin, les effets les plus dommageables et irréversibles surviendront, dans ce domaine, au cours du XXIe siècle. 36. Tous ces changements sont bien perceptibles pour les communautés autochtones qui vivent dans l’Arctique. À titre d’exemple les Inuits qui habitent le Nord du Canada depuis des centaines d’années affirment que la hausse des températures menace l’environnement dont découle leur mode de vie ancestral. Ainsi, au fil des ans, ils ont remarqué une diminution du nombre d’ours polaires, une augmentation du nombre de tempêtes estivales, un dégel important du pergélisol qui provoque l’érosion des côtes et des dommages significatifs aux infrastructures routières et économiques vitales au développement du Grand Nord, l’arrivée de nouvelles espèces animales et marines provenant du Sud du pays et, enfin, l’inefficacité croissante, vu l’instabilité climatique, des méthodes traditionnelles de prévisions météorologiques pour organiser les excursions de chasse et de pêche. Ces observations sont confirmées entre autres par les autochtones vivant en Alaska, une région où les côtes formées par le pergélisol de la mer de Barents (située au Sud-Ouest de l’océan Arctique) ont subi une forte érosion en raison de l’accroissement du nombre de tempêtes violentes.32 V. L’INTENSIFICATION DU RECHAUFFEMENT DANS L’ARCTIQUE AU COURS DU XXIe SIECLE 37. Malheureusement, les prévisions climatiques pour le XXIe siècle ne sont pas optimistes tant pour l’ensemble de la planète que pour l’Arctique. En 2001, le rapport précité du GIEC prévoyait, selon six modèles de prévisions climatiques, une augmentation moyenne des températures mondiales de 1,4°C à 5,8°C d’ici l’an 2100. Ces hausses sont fondées sur une augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère, pour la même période, de 540 à 970 ppm.33 Ainsi, l’augmentation des températures moyennes susmentionnée serait, selon les divers scénarios, de deux à dix fois plus importante que celle enregistrée au cours du XXe siècle et, en tenant compte des données paléoclimatologiques, sans précédent depuis 10 000 ans.34 Le GIEC précise que, malgré une stabilisation des émissions de CO2 au cours du XXIe siècle, les températures continueront tout de même d’augmenter puisqu’il faudra plusieurs années pour que les concentrations atmosphériques de ce gaz diminuent. 31 32 33 34 Ibid., p. 22 (supra, Note 24) Ibid., pp. 78-81 (supra Note 24); Crowler, Paul, T. Fenge et S. Watt-Cloutier. « Responding to Global Climate Change: The Perspective of the Inuit Circumpolar Conference on the Arctic Climate Impact Assessment ». pp. 58-60. Dans L. Rosentrater. 2o is too much: Evidences and Implications of Dangerous Climate Changes in the Artic. Norvège. LDR Consulting for World Wildlife Fund. 2005. 70 p. Ibid., p. 8 (supra Note 5) Ibid., p.8 (supra Note 5) 180 STC 05 F 10 38. Toujours selon les six scénarios de prévisions climatiques, le rapport du GIEC prévoit, malgré certaines variations régionales, une augmentation des précipitations annuelles de l’ordre de 5 à 20 %. Elles augmenteront notamment au cours des périodes estivales et hivernales dans l’hémisphère Nord. Toujours selon ces mêmes modèles, le niveau des océans – sous l’effet combiné de la fonte des glaces et de la neige et de la hausse à la fois des précipitations et de la température de l’eau – augmenterait de 9 à 88 centimètres, ce qui menacerait les populations habitant sur les côtes de nombreux pays comme le Bangladesh, le Sénégal ou celles des États de la Floride et de la Louisiane, aux États-Unis.35 39. Tout comme les changements climatiques observés dans l’Arctique au XXe siècle, ceux qui s’y produiront d’ici 2100 seront plus importants que ceux observés à l’échelle mondiale. 40. Ainsi, se basant sur cinq modèles de prévisions tenant compte de différentes variables pouvant influencer le climat de cette région, les auteurs de l’étude publiée par le Conseil de l’Arctique prévoient que la température moyenne annuelle augmentera, d’ici l’an 2100, de 3°C à 5°C près de la surface terrestre et de 4 à 7°C au-dessus de l’océan. Cette hausse sera plus prononcée au cours de la période hivernale avec des augmentations respectives de 4°C à 7°C et de 7°C à 10°C. Au niveau régional, les températures augmenteront, de façon importante, dans le nord de la Russie et du Canada.36 41. Les incidences du réchauffement important des températures seront multiples. D’abord, les précipitations, principalement sous forme de pluie, augmenteront de plus de 20 % d’ici la fin du XXIe siècle à la suite de l’évaporation accrue de l’eau provenant de la fonte de la glace et de la neige. Elles seront concentrées dans les zones côtières au cours de l’automne et de l’hiver. L’accroissement des précipitations lors de ces deux saisons pourrait atteindre, à lui seul, près de 30 %.37 42. Du côté de la glace marine, les cinq modèles utilisés par le Conseil de l’Arctique prévoient, toujours d’ici 2100, une réduction additionnelle de son étendue de l’ordre de 10 à 50 %. Ce phénomène inquiétant sera accentué au cours de l’été puisque les données des chercheurs prévoient une réduction de plus de 50 % de l’étendue de la glace marine estivale pour la même période. Certains modèles prédisent même la disparition presque complète de la calotte glaciaire de l’océan Arctique au cours de l’été!38 Du côté du Groenland, les données précisent que le réchauffement local des températures sera de 3°C au cours du XXIe siècle, ce qui enclenchera la fonte à long terme et de façon irréversible de l’épaisse couche de glace qui recouvre la majeure partie de ce territoire danois. Depuis 1979, la superficie affectée par la fonte de glace s’est accrue de 16 %, une étendue comparable au territoire de la Suède. Les auteurs de l’étude affirment que, même si les conditions climatiques se stabilisent au siècle prochain, la hausse aura été telle qu’elle provoquera, au cours des prochains siècles, la disparition complète de la calotte glaciaire continentale du Groenland, entraînant ainsi une hausse du niveau des océans de plus sept mètres.39 35 36 37 38 39 Ibid., p. 9 (supra Note 5) Ibid., pp. 26-27 (supra Note 24) Ibid., p. 29 (supra Note 24) Ibid., p. 30 (supra Note 24) Ibid., p. 33 (supra Note 24) 180 STC 05 F 11 Image 3 : Superficie projetée de la glace marine au cours du mois de septembre tout au long du XXIe siècle selon la moyenne des cinq modèles 43. Le même phénomène affectera la couverture de neige sur la partie continentale de l’Arctique. La superficie de cette dernière pourrait être réduite de 10 à 20 % d’ici 2100. Ainsi, avec le réchauffement de la température, la neige fondra prématurément au printemps, augmentant le débit d’eau douce des rivières qui se jettent dans les océans Arctique et Atlantique Nord.40 44. Dans un autre ordre d’idées, la composition de la végétation dans l’Arctique pourrait être sérieusement modifiée, comme nous l’avons déjà mentionné. En effet, une étude publiée par le WWF, en janvier dernier, précise qu’une augmentation de la température mondiale de 2°C, qui pourrait survenir entre 2026 et 2060, provoquerait, d’ici la fin du XXIe siècle, une réduction des zones abritant la toundra de 42 %, une augmentation de plus de 55 % des zones de forêt boréale et la disparition complète de celles où se trouve actuellement le lichen.41 Ainsi, les limites de la forêt boréale seraient repoussées plus au nord. Toutefois, l’étude réalisée pour le Conseil de l’Arctique précise qu’une augmentation rapide des températures pourrait compromettre ce scénario puisque la période de transition serait trop rapide, provoquant la mort des arbres et l’apparition de nouveaux écosystèmes jusqu’alors inexistants dans l’Arctique.42 À titre d’exemple, la forêt boréale en Sibérie pourrait disparaître dans certains endroits plutôt que de migrer vers le nord. Autrement dit, les territoires abritant la savane côtoieraient directement la toundra. 45. De surcroît, l’étendue du pergélisol pourrait être grandement réduite et compromettre le déplacement vers le nord de la forêt boréale. Ce type de sol qui recouvre la plupart de la surface continentale de l’Arctique est constitué principalement de terre, de roches ou de sédiments dont la température demeure sous 0°C pendant plus de deux années consécutives. Il existe deux catégories de pergélisol. La première concerne le pergélisol continu, c’est-à-dire qui occupe la totalité d’un territoire donné et dont la profondeur peut atteindre 1 500 mètres. On le retrouve principalement en Alaska, dans le Nord du Canada, plus particulièrement dans les Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, et en Sibérie. La deuxième catégorie englobe le pergélisol dit sporadique ou discontinu. Ce dernier n’occupe que de dix à 90 % d’une surface terrestre dans l’Arctique et sa profondeur n’atteint, tout au plus, que quelques mètres. 46. Habituellement, la partie supérieure, dite active, du pergélisol dégèle durant l’été. Or, au cours des dernières décennies, les scientifiques et les communautés autochtones ont remarqué 40 41 42 Ibid., p. 31 (supra Note 24) Kaplan, Jed O. « Climate Change and Arctic Vegetation ». p. 25. Dans L. Rosentrater. 2o is too much: Evidences and Implications of Dangerous Climate Changes in the Artic. Norvège. LDR Consulting for World Wildlife Fund. 2005. 70 p. Ibid., p. 52 (supra Note 24) 180 STC 05 F 12 que la température de ce type de sol dans les zones sub-arctiques a augmenté de plusieurs degrés Celsius pour atteindre +2oC, accentuant ainsi la profondeur du dégel. Dans certaines régions, la portion active ne gèle plus au cours de l’hiver, ce qui provoque des dégâts considérables aux infrastructures routières et économiques de l’Arctique.43 Ainsi, au cours des 30 dernières années, le ministère des Ressources naturelles de l’Alaska a dû réduire de 200 à 100 jours la période où des équipements lourds peuvent être utilisés pour l’exploration et l’exploitation pétrolières et ce, à cause du dégel important du pergélisol. 47. A cet égard, le réchauffement des températures aura deux conséquences au cours du XXIe siècle. Dans un premier temps, la zone de dégradation du pergélisol atteindra de 10 à 20 % de la superficie totale où l’on trouve ce type de sol. Dans un deuxième temps, la frontière méridionale où s’arrête le pergélisol reculera de plusieurs centaines de kilomètres notamment en Alaska, au Canada et en Russie.44 48. Certains affirment qu’un tel changement sera bénéfique à long terme puisqu’il permettra à la forêt boréale de se déplacer au nord d’une part, et qu’il favorisera l’exploitation de nouvelles terres agricoles d’autre part. Pour que ces scénarios optimistes se réalisent, les changements climatiques doivent se produire de façon linéaire et prévisible. 49. Or, comme dans le cas de la végétation, les auteurs de l’étude du Conseil de l’Arctique affirment qu’un dégel rapide du pergélisol pourrait provoquer la mort des arbres et d’autres formes de végétation qui s’y trouvent puisqu’ils seraient littéralement noyés par les importantes quantités d’eau provenant du dégel du sol. Une fois complètement dégelée, l’eau contenue dans le pergélisol pourrait tout simplement s’égoutter vers les réseaux d’eau souterrains, asséchant ainsi les lacs et rivières dont dépend la survie de la population, des animaux, des poissons et des oiseaux. Finalement, cela provoquerait la désertification partielle de certains territoires.45 Comme nous le disions plus tôt, le dégel du pergélisol accroîtra aussi les émissions de gaz à effets de serre puisqu’il contient du méthane provenant de la décomposition d’arbres et de la toundra lorsqu’il est dégelé. Bien que présent en moins grandes quantités, ce gaz à effet de serre capture 23 fois plus de chaleur dans l’atmosphère que le CO2. 50. Ainsi, si les scénarios précités ayant trait à l’augmentation des températures, à la fonte de la glace marine et de la neige, aux changements dans la végétation et au dégel important du pergélisol se concrétisent, le réchauffement climatique s’accentuera dans l’Arctique, ce qui créerait une forme de cercle vicieux dont il sera difficile de briser la dynamique. 51. À vrai dire, tous ces facteurs expliquent pourquoi l’Arctique se réchauffe plus rapidement que tout autre endroit sur la planète. Premièrement, au fur et à mesure que la glace marine et la neige fondent, le sol ainsi que l’océan absorbent davantage d’énergie solaire puisque le processus d’albédo est grandement réduit, ce qui, combiné aux effets du dégel du pergélisol, augmente davantage les températures dans l’Arctique. Deuxièmement, la réduction de la superficie océanique recouverte de glaces marines fait en sorte que l’énergie solaire absorbée par l’océan au cours de la période estivale est plus facilement transférable à l’atmosphère, ce qui explique, en partie, la raison pour laquelle la température augmente plus rapidement en hiver qu’en été dans cette région du globe. Enfin, les modifications des courants, tant océaniques qu’atmosphériques, observées au cours des dernières décennies, influencent également le réchauffement de cette région polaire.46 43 44 45 46 Ibid., p. 87 (supra Note 24) Ibid., p. 87 (supra Note 24) Ibid., pp. 91-92 (supra Note 24) Collaboration. Impacts of a Warming Arctic: Arctic Climate Impact Assessment –Summary. Cambridge. Cambridge University Press. 2004. p. 20. 180 STC 05 F VI. 13 LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES BRUSQUES : L’AFFAIBLISSEMENT DE LA CIRCULATION OCEANIQUE DANS LA REGION DE L’ATLANTIQUE NORD 52. A première vue, le réchauffement de l’Arctique, outre certains avantages que nous avons mentionnés quant à la végétation, pourrait favoriser, à condition que les changements se produisent graduellement, le développement des communautés nordiques, dans le nord de la Russie, en Alaska et au Canada dans les domaines de l’exploration minière et pétrolière. La fonte des glaces marines pourrait également ouvrir de nouvelles voies maritimes hautement lucratives. Si cela se produit, certains pays de la communauté de l’Atlantique Nord comme le Canada, les États-Unis, la Norvège et la Finlande risquent d’être confrontés à de nouveaux défis économiques et géostratégiques. Ils s’exposeront aussi à de possibles catastrophes environnementales dans un écosystème déjà grandement fragilisé par les changements climatiques. 53. Cela dit, nous avons évoqué au début de cette étude un autre problème tout aussi inquiétant susceptible de toucher la plupart des pays de l’hémisphère Nord. Nous avons mentionné que, passé un certain seuil critique difficilement identifiable, le réchauffement global pourrait enclencher des changements climatiques brusques tel un refroidissement marqué des températures dans certaines régions du globe. Comment cela pourrait-il se produire et quel rôle joue l’Arctique dans ce phénomène? 54. L’hémisphère Nord, plus particulièrement l’est de l’Amérique du Nord, l’Islande et l’Europe, jouit d’un climat tempéré accompagné d’hivers doux. À cet égard, l’Europe est particulièrement choyée. Alors que les villes de Londres, Paris et même Moscou bénéficient d’hivers où les températures sont relativement clémentes et où il y a peu d’averses de neige, des villes situées à des latitudes comparables au Canada doivent affronter des saisons hivernales où les températures diurnes ne dépassent pas les -15oC pendant plusieurs jours et où les tempêtes de verglas et de neige se succèdent laissant plusieurs dizaines de centimètres de glace et de neige au sol entre les mois de novembre et mars. 55. Cette situation résulte de la circulation océanique planétaire qui traverse à la fois les océans Atlantique, Antarctique, Indien puis Pacifique. Ce que certains appellent le Grand convoyeur des océans transporte la chaleur provenant des zones équatoriales jusqu’aux latitudes nordiques. Sans cette circulation, les températures seraient plus élevées dans la région de l’Équateur et plus froides dans l’hémisphère Nord. 56. L’eau de surface des océans bénéficie d’un apport important de chaleur sous les tropiques lui permettant d’atteindre des températures entre 25oC et 30oC alors que dans les régions polaires, elle ne dépasse guère la température de congélation de l’eau de mer, soit -2 oC. Ainsi, il se forme une couche d’eau chaude atteignant parfois une profondeur de plusieurs dizaines de mètres qui est transportée vers le nord grâce au courant de l’Atlantique Nord, mieux connu sous le nom de Gulf Stream. Près des côtes de l’Europe, du Groenland et de l’Islande, la température de l’eau se refroidit puisque la chaleur s’évapore dans l’atmosphère. La chaleur est ensuite reprise par les vents provenant de l’Ouest et soufflée vers l’Europe. Une fois libérées de cette chaleur, les eaux de surface possèdent un taux de salinité élevé faisant en sorte qu’à mesure qu’elles se refroidissent, elles s’enfoncent profondément dans l’océan pour rejoindre les eaux plus denses et froides provenant de l’Arctique par le biais des courants du Labrador, du Danemark (Groenland) et des Îles Faeroe, situées à l’ouest de l’Islande. Elles s’écoulent ensuite vers le sud, garantissant l’apport constant d’eau chaude dans les latitudes nordiques. 57. Ce mécanisme marin illustré par l’image 4 est en perpétuel mouvement et, en conséquence, joue un rôle crucial dans la régulation du climat mondial. Son fonctionnement dépend d’un fragile équilibre entre l’eau douce et l’eau salée. Il porte le nom de « circulation thermohaline », thermo qui signifie « chaleur » et haline qui représente la « salinité de l’eau » et permet d’amoindrir les 180 STC 05 F 14 différences de températures entre les régions équatoriales et les zones polaires.47 À cet égard, l’Arctique joue un rôle important puisque la formation de glace marine permet de maintenir le taux de salinité des eaux de mers, garantissant la formation d’eau plus dense qui alimente la circulation thermohaline.48 58. Selon le Ocean and Climate Change Institute (OCCI) affilié au Woods Hole Oceanographic Institution du Maryland aux États-Unis, l’influence décisive du courant de l’Atlantique Nord ne doit pas être négligée puisque ce dernier permet de transporter deux fois plus de chaleur que ne le feraient les courants marins engendrés par les vents. Or, selon les relevés de données paléoclimatologiques réalisées par ce même institut, le courant de l’Atlantique Nord constitue également le plus instable des chaînons de la circulation thermohaline mondiale.49 Image 4 : Circulation thermohaline dans l’Atlantique Nord Source: United States National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) 59. Cette instabilité historique s’explique notamment par l’influence du réchauffement climatique dans l’Arctique, quoique des recherches plus approfondies soient nécessaires au cours des prochaines années pour confirmer cette théorie. Comme nous l’avons mentionné, l’augmentation des températures fait fondre la glace marine ainsi que la neige beaucoup plus rapidement, provoquant ainsi un afflux toujours plus grand d’eau douce dans l’océan Arctique qui s’écoule ensuite vers l’océan Atlantique Nord. Combinée à l’augmentation des précipitations prévue par le GIEC en 2001, l’accroissement du taux d’eau douce n’a pas seulement pour effet d’élever légèrement le niveau des mers. Il brise également le fragile équilibre entre les masses d’eau douce et celles plus salées. En d’autres mots, plus il y a d’eau douce dans l’océan Atlantique Nord, plus le taux de salinité de l’eau située à basse latitude sera élevé, ce qui fait en sorte qu’une fois franchi un certain seuil critique que les scientifiques ne peuvent pas établir à l’heure actuelle, les eaux de surface ne seront plus assez denses pour plonger dans les profondeurs de l’océan et perpétuer la circulation thermohaline. Suivant l’augmentation du niveau d’eau douce, la circulation 47 48 49 Ibid., pp. 35-36 (supra Note 24); Joyce, Terrance et Lloyd Keigen, Abrupt Climate Change: Are we on the Brink of a New Little Ice Age? Wood Hole. Woods Hole Oceanographic Institution (Ocean and Climate Change Institute), 7 p. Ibid., p. 36 (supra Note 24) Ibid., p. 4 (supra Note 46) 180 STC 05 F 15 thermohaline peut soit s’affaiblir ou complètement s’arrêter pour une période s’étalant sur plusieurs décennies, voire plus d’un siècle.50 60. Les modèles utilisés par le OCCI précisent qu’un affaiblissement marqué ou une interruption totale du courant de l’Atlantique Nord provoquerait une baisse de température dans l’hémisphère Nord de 3 à 5oC, soit au moins le tiers des refroidissements climatiques recensés au cours des périodes de glaciation majeures qu’a connues la Terre au cours des millénaires. 61. Ces modifications climatiques sont loin d’être négligeables. Selon l’OCCI, elles sont deux fois plus importantes que celles observées lors des pires hivers dans l’est de l’Amérique du Nord. Il est toutefois important de préciser qu’un refroidissement des températures dans l’hémisphère Nord n’affectera pas la planète entière. En effet, les changements survenant dans les hautes latitudes sont moins susceptibles, selon les climatologues, d’influencer le climat mondial que ceux qui se produisent à basse latitude comme ceux engendrés par El Nino.51 62. Les données paléoclimatologiques utilisées non seulement par le OCCI, mais également par les scientifiques de la National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis et par ceux qui ont réalisé l’étude précitée pour le compte du National Academy for Science sur les changements climatiques brusques, tendent à démontrer qu’un affaiblissement important du courant de l’Atlantique Nord aurait provoqué, il y a 12 700 ans, un refroidissement à la fois brusque et marqué des températures dans l’hémisphère Nord, et ce pour une période de 1 300 ans. Ce phénomène se serait produit à la suite d’un réchauffement important des températures à la fin de la dernière grande ère glaciaire, il y a 14 500 ans. Après un réchauffement climatique rapide de plus de 10oC, les températures chutèrent brutalement, en l’espace de quelques décennies, de plus de 5oC au Groenland. Cette période plus froide accompagnée d’un climat sec est connue comme étant celle du Dryas Récent, du nom d’une fleur qui poussait en Europe à cette époque. Ce refroidissement est survenu au moment même où les afflux d’eau douce étaient très élevés dans l’océan Atlantique Nord. À l’époque, il n’était pas rare de trouver des glaciers près des côtes du Portugal. Cette période s’est brusquement terminée, il y a 11 400 ans, par une augmentation de la température, toujours au Groenland, de 10oC en une seule décennie !52 63. Un refroidissement de moindre envergure s’est produit dans l’hémisphère Nord, il y a 8 200 ans, après une période de réchauffement climatique semblable à celle que nous vivons actuellement. Cet épisode où la température au Groenland a chuté de 5oC aurait également été provoqué par un affaiblissement important du courant de l’Atlantique Nord.53 Plus récemment, des données paléoclimatologiques suggèrent que le Petit Âge glaciaire qui a durement frappé l’Europe de 1300 à 1850 aurait été causé à la fois par un affaiblissement du courant de l’Atlantique Nord, des éruptions volcaniques et une baisse momentanée de l’énergie provenant du soleil. Au cours de cette période, la température dans l’ouest de l’hémisphère Nord a baissé de 1oC, entraînant une réduction des précipitations qui a durement affecté l’agriculture et l’économie européenne. La rareté de la nourriture et d’autres ressources a également provoqué de nombreux problèmes politico-militaires, de grandes famines – notamment au pays des Vikings entre 1315 et 1319 et en Irlande où un million de personnes sont décédées - et des épidémies de pestes dévastatrices. 64. Dans son rapport publié en 2001, le GIEC affirme que, malgré le relevé de températures plus chaudes au cours du Moyen Âge, les données paléoclimatologiques démontrent que, du XIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, au début de la Révolution industrielle, la température de 50 51 52 53 Ibid., p.4 (supra Note 46), Ibid., p. 2 (supra Note 2), Ibid., pp. 8-10 (supra Note 9) Ibid., p. 4 (supra Note 46) Collaboration. Mechanisms that Can Cause Abrupt Climate Change. National Atmospheric and Oceanographic Administration. United States Government, 3 p. Ibid., p. 6 (supra Note 9), Ibid., (supra Note 2) 180 STC 05 F 16 l’hémisphère Nord affichait une tendance lourde à la baisse, tendance qui s’est brutalement renversée comme le démontrent les données que nous avons déjà citées.54 65. Cela dit, le courant de l’Atlantique Nord pourrait-il de nouveau s’affaiblir au cours des prochaines décennies au point que des épisodes comme le Petit Âge glaciaire ou, pire, le Dryas Récent se reproduiraient, menaçant ainsi la stabilité économique, politique et géostratégique de l’hémisphère Nord, notamment en Europe ? Au cours des dernières années, le magazine Nature a publié une série d’études scientifiques fondées sur des observations récentes et des données paléoclimatologiques qui confirment un certain affaiblissement du courant au cours des 40 dernières années, plus particulièrement depuis le début des années 90.55 En résumé, elles affirment que le taux de salinité de l’eau dans l’Atlantique Nord, surtout celle qui provient des courants profonds du Labrador, du Danemark et des Îles Faeroe, a légèrement diminué alors que plus au sud, près de l’Équateur, il a légèrement augmenté, attaquant ainsi l’équilibre sur lequel repose la circulation thermohaline dans cette région. D’ailleurs, plusieurs de ces études, tout comme celle réalisée pour le Conseil de l’Arctique, constatent que la partie ouest de l’Atlantique Nord s’est refroidie au cours des dernières années alors que l’Arctique s’est grandement réchauffé. 66. Le 16 juin 2005, le magazine Science a publié une étude inédite financée par le Woods Hole Oceanographic Institution et le Norwegian Research Council qui confirmait les constats susmentionnés.56 Pour la première fois dans l’histoire scientifique, des experts ont évalué qu’une quantité d’eau douce supplémentaire de 19 000 kilomètres cubes (km3) s’était écoulée de l’Arctique vers l’Atlantique Nord, entre 1960 et 1995, par le biais des courants profonds situés à la fois à l’ouest et à l’est du Groenland. Habituellement, 5 000 km3 d’eau douce s’écoulent annuellement dans ces profondeurs marines. L’étude précise que près de la moitié de ce débit supplémentaire s’est ajoutée, à la fin des années 60, à celui normalement enregistré faisant ainsi augmenter ce dernier de plus de 40 %, soit à 7 000 km3.57 Malgré l’existence de plusieurs incertitudes scientifiques qui devront être éliminées au cours de recherches subséquentes, les auteurs de cette étude affirment tout de même que ce processus inquiétant devrait se poursuivre. Ils précisent également que, au-delà d’un seuil critique difficilement identifiable qui pourrait être franchi au cours du XXIe siècle, la circulation océanique dans l’Atlantique Nord pourrait être perturbée d’ici 2200. 67. Les auteurs de toutes ces études ne disposent pas de données suffisantes pour confirmer s’il s’agit d’un phénomène momentané ou d’une tendance lourde, annonciatrice de changements climatiques importants à long terme pour l’Europe et l’Amérique du Nord, semblables à ceux survenus dans le passé. Ils s’entendent toutefois pour dire qu’il s’agit peut-être là des conséquences du réchauffement global des températures, de la fonte de la glace marine et de la neige et, enfin, de la hausse des précipitations dans l’Arctique. 54 Ibid., (supra Note 20) Voir Hansen, Bogl, S. Osterhus et W.H. Turrell. « Decreasing overflow from the Nordic seas into the Atlantic Ocean through the Faroe channel since 1950”. Nature. Vol. 411. 21 juin 2001. pp. 927-930; Dickson Bob, Stephen D., J. Holfort, J. Meincke, W.R. Turrell et I. Yashayaev. “Rapid Freshening of the deep North Atlantic Ocean over the past four decades”. Nature. Vol. 416. 25 avril 2002. pp. 832837; Curry, Ruth, B. Dickson et I. Yashayaev. “A change in freshwater balance of the Atlantic Ocean over the past four decades”. Nature. Vol. 426. 18-25 décembre 2003. pp. 826-829; Häkkinen et P.B. Rhines. “Decline of Subpolar North Atlantic Circulation During the 1990s”. Science Magazine. Vol. 304. 23 avril 2004. pp. 555-559. 56 Curry, R et C. Mauritzen. « Dilution of the Northern North Atlantic Ocean in Recent Decades”. Science. Vol. 308 No. 5279. Juin 2005. pp. 1772-1774 57 À titre de comparaison, le débit du fleuve Mississipi aux États-Unis est de 500 km3 par an et celui du fleuve Amazone, le plus important de la planète, est de 5 000 à 6 000 km3. 55 180 STC 05 F 17 68. En 2001, le GIEC mentionnait dans son rapport que les modèles de simulation de réchauffement climatique pour le XXIe siècle laissent entrevoir un affaiblissement du courant de l’Atlantique Nord. Toutefois, au-delà de 2100, ces modèles prévoient que ce même courant pourrait s’interrompre complètement, de façon irréversible, si le réchauffement se poursuit à un rythme accéléré tout au long du XXIe siècle.58 69. Les auteurs de l’étude réalisée pour le compte du Département américain de la défense sur les conséquences d’une interruption de la circulation thermohaline dans l’Atlantique Nord ont fondé leur scénario sur l’épisode du refroidissement survenu il y 8 200 ans. Ils ont simulé un affaiblissement marqué de cette dernière entre 2010 et 2020. Selon leur scénario, une telle situation entraînerait une chute des températures dans l’hémisphère Nord de près de 5oC, une diminution des précipitations de 30 % et une augmentation de la force des vents de 15 % au cours de cette décennie. 70. Les auteurs affirment d’emblée que leur scénario ne repose sur aucune étude scientifique spécifique qui prévoit sa concrétisation d’ici les 15 prochaines années et que, dans le cas contraire, il se produirait plutôt sur plusieurs décennies ou siècles. Or, leur étude a le mérite de simuler les effets sur l’homme, l’économie, la politique et la géostratégie qu’un tel refroidissement, et plus particulièrement la baisse des précipitations aurait sur la communauté de l’Atlantique Nord. 71. Certains diront que cet événement ne se concrétisera peut-être jamais ou que les nombreuses incertitudes entourant les résultats d’études paléoclimatologiques et scientifiques citées dans ce rapport doivent inciter les décideurs politiques à la plus grande prudence et à concentrer leur efforts sur les mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous estimons avoir agi avec discernement et honnêteté intellectuelle afin de décrire de façon rigoureuse un phénomène ne constituant, pour l’instant, qu’une simple menace théorique. Les données présentées dans ce rapport démontrent toutefois qu’il risque peut-être de se produire de nouveau et que ses répercussions pourraient être plus graves que dans le passé vu le degré d’avancement économique et technologique des sociétés vivant dans l’hémisphère Nord. Comme le rappelait Richard B Alley, responsable du comité de recherche qui a piloté les travaux de la National Academy for Science dans ce domaine : « Les modèles utilisés pour prévoir les changements climatiques futurs et leurs effets ne sont pas toujours efficaces pour simuler l’envergure, la vitesse et l’ampleur des changements antérieurs, provoquant ainsi les nombreuses incertitudes inhérente aux projections sur cette question. Ainsi, il est donc probable que des surprises climatiques soient au rendez-vous. »59 (Traduction) Il ne s’agit pas d’être alarmiste mais bien de mieux prévenir des situations chaotiques provoquées par des changements climatiques brusques importants auxquelles la race humain n’a jamais été confrontée. VII. CONCLUSION : LA NECESSITE DE MIEUX COMPRENDRE LES DEFIS QUE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES BRUSQUES POSENT POUR LA SECURITE DE L’OTAN 72. Inutile de préciser que faire d’une question un « problème de sécurité » lui donne un statut qu’elle n’aurait pas autrement. La sécurité deviendra un outil politique dans la concurrence pour obtenir l’attention des gouvernements. Ainsi, les priorités stratégiques pourraient bien refléter les intérêts de certains par rapport à d’autres. Si le réchauffement planétaire et les changements climatiques brusques sont véritablement des questions de « sécurité collective », le rapporteur est d’avis que, tout en continuant d’encourager fermement les efforts de réductions des émissions de gaz à effet de serre, nous devons aussi prendre soin de ne pas laisser de côté ces intérêts, car 58 Ibid., p. 15 (supra Note 5) Collaboration. Abrupt Climate Change: Inevitable Surprises – Executive Summary. Washington. National Academy Press. 2002. p. 5 (Préface). 59 180 STC 05 F 18 leurs effets sont essentiellement asymétriques; c’est-à-dire qu’ils sont plus problématiques pour le monde en développement que pour les autres pays. Il faut considérer comme prioritaire de s’y attaquer. 73. À cet égard, le rapporteur est d’avis que l’OTAN a, dans une certaine mesure, déjà fait le premier pas. Son Comité sur les défis de la société moderne, mis sur pied en 1969, a pour objet d’étudier les problèmes influant sur l’environnement des pays membres et la qualité de vie de leurs populations. Aujourd’hui, le Comité se réunit également avec des pays partenaires. Ses principaux objectifs sont : • • • • • réduire l’incidence des activités militaires sur l’environnement ; mener des études régionales, notamment sur les activités transfrontalières ; prévenir les conflits liés à la rareté des ressources ; étudier les risques émergents pour l’environnement et la société qui pourraient causer une instabilité économique, culturelle et politique ; étudier les menaces non traditionnelles pour la sécurité. 74. Le Comité n’effectue pas lui-même les recherches. Ses travaux sont menés de manière décentralisée, essentiellement par des études pilotes d’une durée de trois à cinq ans et par des projets à court terme ne dépassant pas une période de 12 à 18 mois. Ils sont financés à l’échelle nationale. Le Comité organise également des ateliers thématiques et coparraine des conférences et des séminaires internationaux. Bien que son travail soit limité, il est au moins la preuve que des facteurs environnementaux comme les brusques changements climatiques gagnent en importance dans l’analyse stratégique. 75. En notre qualité d’Assemblée, le rapporteur croit que nous sommes bien placés pour recenser ces nouvelles préoccupations en matière de sécurité – en raison de leurs répercussions politiques, militaires, économiques, scientifiques et sociales. Nos diverses commissions peuvent souhaiter consacrer certains efforts à l’examen de ces répercussions de leur point de vue particulier; elles nous permettent ainsi de faire œuvre utile collectivement. 76. En ce sens, dans une étude précitée, le National Academy for Science a produit une série recommandations dont l’Assemblée pourrait s’inspirer pour orienter ses recherches. Le rapporteur tient à souligner que plusieurs d’entre elles furent reprises par le Woods Hole Oceanographic Institution dans une brochure distribuée aux grands décideurs politiques et économiques de la planète qui participaient au Forum économique mondial de Davos, en janvier 2003.60 Ainsi, il recommande notamment: • D’établir des programmes de recherche afin de recueillir des données sur le caractère non linéaire de l’évolution des écosystèmes. Cela inclut le fonctionnement des courants marins et atmosphériques, de la glace marine et des réseaux hydrologiques qui constituent tous, comme nous l’avons déjà mentionné, des facteurs pouvant engendrer des changements climatiques brusques; • D’augmenter le nombre de données paléoclimatologiques et de maximiser l’utilisation de ces dernières dans le but de mieux comprendre les raisons qui ont engendré de tels phénomènes ainsi que leurs conséquences néfastes. Un tel exercice doit être pluridisciplinaire. • De développer des modèles de prévisions à long terme en ce qui concerne l’évolution de l’environnement et de ses effets sur l’économie et la société, qui tiennent non seulement Collaboration. Abrupt Climate Change: Inevitable Surprises – Executive Summary. Washington. National Academy Press. 2002. pp. 1-9 60 180 STC 05 F 19 compte des changements climatiques brusques mais aussi des changements graduels et linéaires; et • De mettre en œuvre des politiques préventives pour réduire les effets de changements météorologiques extrêmes et irréversibles sur l’environnement et la société, c’est-à-dire stabiliser puis réduire les émissions de gaz à effets de serre, amoindrir les dommages causés à la biodiversité et renforcer certaines institutions publiques et privées afin qu’elles résistent à une telle situation. La réalisation de ces objectifs passe obligatoirement par un appui des pays développés à ceux plus pauvres afin que cet exercice ne se limite pas à certaines régions de la planète. 77. Les auteurs du rapport publié par le ministère américain de la Défense reprennent la plupart des recommandations précitées. Ils ont toutefois proposé d’autres pistes de réflexion qui, bien que destinées principalement aux États-Unis, pourraient s’appliquer à d’autres pays. Ainsi, ils recommandent: • le développement de méthodes par le gouvernement américain afin de mesurer la vulnérabilité du pays aux changements climatiques brusques dans les domaines de l’agriculture, de l’eau potable, de la cohésion sociale, des ressources naturelles et des technologies; • la réalisation de ce même exercice dans chaque région du pays; et • la création d’équipes d’interventions rapides si ce phénomène se concrétise afin de mieux contrôler les migrations de populations, les pandémies et la distribution d’eau et de nourriture. 78. Ces recommandations démontrent qu’il est nécessaire de rapidement approfondir nos connaissances dans ces domaines. Cela dit, l’urgence des études proposées est encore, selon le rapporteur, plus manifeste si l’on considère les résultats des simulations présentées par le document produit pour le compte du ministère américain de la Défense. Bien que ce dernier soit extrême, il remet en question « notre sécurité pour des raisons qui devraient être analysées immédiatement » (Traduction)61. Ce rapport conclut que le réchauffement planétaire « devrait être considéré non plus comme un débat d’ordre scientifique mais comme une question de sécurité nationale pour les États-Unis » (Traduction)62. Si ce dossier devait effectivement devenir une question de sécurité pour les États-Unis, il le deviendrait aussi très certainement pour beaucoup d’entre nous. À moins que nous ne soyons dûment préparés pour affronter des événements climatiques extraordinaires, il se pourrait que la planète soit beaucoup moins capable de répondre aux besoins de la race humaine. 79. Les auteurs du rapport montrent comment de brusques changements climatiques pourraient déstabiliser le contexte géopolitique et mener à divers types et niveaux de conflits causés par des contraintes au niveau des ressources. Il pourrait y avoir, entre autres, des pénuries alimentaires, un amenuisement des sources d’eau potable et des perturbations dans l’approvisionnement en énergie. À mesure que les capacités mondiales et locales diminueraient, les pays dotés de ressources suffisantes, comme les États-Unis, le Canada et la plupart des pays européens, pourraient s’ériger en forteresse, tandis que les moins fortunés pourraient attaquer les pays ou régimes voisins. 80. Par exemple, toujours selon les auteurs du document, la Russie pourrait adhérer à l’Union européenne d’ici 2018, lui apportant une bonne partie des ressources énergétiques nécessaires. Cependant, en raison des luttes intestines générées par la question des flux de réfugiés provenant des pays scandinaves et par la nécessité pour les pays d’avoir accès à des voies fluviales, à l’eau 61 62 Ibid., p. 1 (supra Note 8) Ibid., p. 3 (voir Note 8) 180 STC 05 F 20 et à d’autres ressources naturelles, l’Union européenne pourrait s’effondrer en 2025. En Amérique du Nord, le besoin d’assurer la sécurité pourrait se traduire, d’ici 2020, par une alliance intégrée entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en vue notamment d’endiguer le flux de réfugiés provenant des Caraïbes, victimes d’inondations, et d’Europe. Enfin, une pénurie de pétrole, combinée à des baisses de température dans l’hémisphère Nord, pourrait déclencher un conflit militaire dans le Golfe Persique, où s’affronteraient la Chine, l’Inde, l’Europe et les Etats-Unis. 81. Ainsi, le rapporteur est convaincu que la probabilité de luttes intestines augmenterait, alimentées non seulement par les rivalités ancestrales, mais également par les pénuries de ressources. De nouvelles alliances pourraient se nouer au gré des priorités; leur objectif serait d’obtenir les ressources nécessaires pour survivre plutôt que de répondre à des impératifs idéologiques, religieux ou nationalistes sous leur forme plus traditionnelle. Ces nouveaux défis appelleront de nouvelles approches et de nouveaux mécanismes qui devront être définis au cours des prochaines années par cette Assemblée. _____________