Du R.A.D. et la Wehrmacht au Corps Expéditionnaire Français en Italie
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Du R.A.D. et la Wehrmacht au Corps Expéditionnaire Français en Italie
Du R.A.D. et la Wehrmacht au Corps Expéditionnaire Français en Italie Charles FUSS est né le 26 décembre 1921, à Metz. A la déclaration de la guerre, comme beaucoup de familles habitant dans l’Est de la France, sa famille et lui sont évacués vers la Charente-Maritime (nommée à l’époque Charente-inférieure) pour des raisons de sécurité. Ils arrivent dans la ville de Fouras à la fin du mois de septembre 1939, et sont hébergés villa « Doux Repos », rue de l’Arsenal, quartier du Paradis. A la signature de l’armistice de 1940, certaines des familles évacuées peuvent rentrer chez elles. Parce né en Alsace-Moselle avant 1918, Guillaume, le père de Charles, est dorénavant considéré comme citoyen allemand. Fin septembre 1940, la famille FUSS rentre à Metz. A cette époque, les autorités allemandes ont déjà imposé la germanisation des noms. Son père Guillaume, s’appelle désormais Wilhelm, et Charles s’appelle Karl. A Fouras, il fait la connaissance d’une jeune fille, Pierrette. Il lui promet de revenir la voir. Le 28 août 1942, une loi des autorités allemandes déclare que tous les Alsaciens et les Mosellans sont citoyens allemands. Leur service militaire dans l’armée allemande, la Wehrmacht, devient obligatoire. Comme pour tous les jeunes âgés de 18 à 25 ans, cette incorporation doit être précédée par une période effectuée dans une formation para-militaire, le Reichsarbeitsdienst (R.A.D. = service du travail du Reich). Le 16 octobre 1942, Charles est recensé par le bureau d’enregistrement n° 290 du R.A.D., à Metz. Il est affecté au groupe de travail K5/101, qui dépend du bureau d’enregistrement de Glogau, en Pologne, pays annexé par l’Allemagne (après la guerre, cette ville est redevenue polonaise sous le nom de Glogow). Son numéro matricule est 1712. Il effectue sa période de travail du 25 octobre au 30 décembre 1942. Sur les six groupes de travail qui dépendent du bureau de Glogau (numérotés de 1/101 à 6/101), seul le lieu où était le groupe de Charles est inconnu, mais il est aussi le seul dont le numéro est précédé de la lettre « K ». Cela signifie, qu’en cas de besoin, ce groupe peut être utilisé comme unité combattante (1). Charles (à gauche) en uniforme du RAD avec un camarade Le 13 janvier 1943, avec d’autres jeunes mosellans, il est incorporé dans la Wehrmacht. Il effectue sa formation militaire dans le Sud de l’Allemagne, à Chemnitz, dans un régiment d’infanterie, l’Infanterie Ersatz Bataillon 102. Le 20 janvier 1943, la compagnie d’instruction de ce régiment lui ouvre son livret militaire (2). « … En tant que non-allemands de souche, nous étions parfois soumis à un entraînement plus dur. Nous faisions des exercices de marche plus longs, et il arrivait que nos gradés d’encadrement soient plus sévères envers nous … » (3) Après sa formation militaire, il est transféré dans un autre régiment d’infanterie, à Biala Podlaska, en Pologne. Son affectation à la 1ère compagnie du Réserve Grenadier Bataillon 476, est mentionnée le 19 février 1943. Durant cette période, il est employé comme transmetteur radio. Les contacts avec la population locale sont cordiaux . « … Nous avions été invités à boire un verre chez des gens de la région. La soirée fut tellement arrosée qu’en repartant, j’en ai oublié mon fusil … qui me fut rendu … » Il participe à des opérations militaires contre les partisans (résistants locaux, souvent encadrés par des soldats soviétiques), probablement avec une unité créée pour la circonstance, la 7ème compagnie du Groupe d’intervention « Hengel » (Eingreifgruppe Hengel). « … Nous ne les trouvions presque jamais … les forêts étaient tellement denses … leurs campements étaient souvent enterrés … » Il participe à deux exercices d’entraînement militaires. Le premier à Leitmeritz, en république Tchèque, avec le Grenadier Ersatz Bataillon 476 (4), l’autre à Strasbourg, au Grenadier Ersatz Bataillon 109 (5). Il a également bénéficié d’une permission, pour se rendre à Metz, du 25 avril au 10 mai 1943. Charles (à gauche) avec le camarade qui était avec lui au RAD. Photo faite à Biala Podlaska, et datée du 18 août 1943 Photos faites en 1943 Le 1er décembre 1943, il est fait état de son appartenance à la 2ème compagnie du Réserve Grenadier Bataillon 476. Mi-décembre, sur plusieurs jours, il réintègre un certain nombre d’effets d’habillement, de matériels, et d’armement, et en perçoit d’autres. Selon ses souvenirs, il est séparé de ses camarades mosellans le 22 décembre, et dirigé vers l’Italie le 23. On peut supposer qu’il faisait alors partie du bataillon de marche 305/4 (Marsch-Bataillon 305/4), mis sur pied à cette occasion. Il arrive en Italie le 03 janvier 1944, puis affecté au 134ème Régiment d’Infanterie, régiment d’origine autrichienne. Ce régiment fait partie de la 44ème division d’infanterie, baptisée « Hoch Und Deutschmeister ». Charles occupe les fonctions de chargeur pour une mitrailleuse. Il participe à une manœuvre d’entraînement militaire avec la 1ère compagnie du 134ème Régiment d’Infanterie, puis est affecté à la 2ème compagnie de ce régiment. Mi-janvier, son régiment participe à la bataille de Monte-Cassino, face aux unités américaines dans un premier temps puis, à la fin du mois, face aux troupes françaises, dans le secteur dit du Belvédère. Ces troupes sont composées de soldats nord-africains, encadrés par des européens. Ils font partie de la 3ème Division d’infanterie Algérienne. « … la nuit, nous n’entendions rien. Les ennemis arrivaient en silence près des nids de mitrailleuses, ils poussaient une sorte de cri de guerre, et c’était fini … » Le 1er février 1944, Charles décide de rejoindre les troupes françaises. « … celui qui était avec moi, un autrichien, a tiré sur notre Lieutenant, puis nous avons couru … arrivé dans les lignes françaises, je me suis fait dépouiller de ma montre par les soldats nord-africains … un sousofficier m’a plaqué au mur, et a armé son arme … je lui ai demandé ce qu’il faisait ... tu parles français m’a t’il dit, l’air étonné … je lui dit que j’étais de Metz, et lui ai expliqué mon parcours … il m’a répondu : tu as eu de la chance, je voulais venger mon frère tué la semaine dernière, et m’étais juré de tuer le premier allemand qui me tomberait sous la main … je lui ai demandé s’il était possible de récupérer ma montre … il m’a fait comprendre que non, malheureusement … j’ai remarqué que certains de ses soldats portaient un collier de fil de fer sur lequel étaient accrochées des oreilles humaines, ce qui était écœurant … en descendant vers les lignes françaises, je fus étonné du nombre de canons dont disposaient nos adversaires … pas étonnant que nous ayons eu autant de blessés aux jambes à cause des obus rasants … » (6) Son évasion est réussie, car sa famille reçoit un avis de décès officiel des autorités allemandes précisant qu’il est « mort pour le grand Reich ». Les familles des déserteurs faisaient l’objet de représailles, pouvant être le déplacement vers les territoires annexés par l’Allemagne, à l’Est (Pologne, …). Charles décide de s’engager dans l’Armée Française, jusque la fin de la guerre. « … un Aspirant d’origine alsacienne s’était également évadé … il nous a été demandé de former un groupe de combat, sous ses ordres, et d’essayer d’entrer dans un dépôt munitions qui était bien gardé … nous y sommes arrivés sans nous faire prendre … » « … Le général de Gaulle ne voulait pas que les alsaciens et les mosellans qui s’étaient évadés retournent combattre les allemands. S’ils étaient capturés par eux, ils risquaient d’être fusillés comme déserteurs … » Depuis, Charles était très reconnaissant envers le général. Le 05 février, Charles est affecté à la Base 901, stationnée à Naples puis, le 01 mars, détaché à l’atelier de réparation auto 661/3, non loin de là, à San-Giovanni. D’autres jeunes évadés mosellans et alsaciens l’on rejoint par la suite (Mrs HAMMER, NISSE, KREMER et DOLLE). L’une des missions de cet atelier était de récupérer et de réparer les véhicules ennemis abandonnés, afin qu’ils puissent être ré-utilisés. « … j’ai vu certains officiers, pour leur propre compte, faire du commerce avec des pneus récupérés … » Charles (à droite) Charles (à gauche) avec un parachutiste français du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes. Photo datant probablement de début juillet 1944, date du passage de ce régiment à Naples. Portrait non daté Son livret militaire de l’Armée Française est établi à Alger, le 8 mars 1943, par le 27ème Escadron du Train qui, officiellement, est l’unité qui l’a recruté, et dont il dépend administrativement. La date de son engagement dans l’Armée Française est fixée au 2 février, soit le lendemain de son évasion ! Il passe son brevet de conduire militaire le 29 juin 1944 puis, le 07 août, une extension pour conduire des véhicules de plus de 3 tonnes. L’armistice est signé le 8 mai 1945. Le 25 septembre 1945, il prend le bateau à Naples puis, le 27, débarque à Marseille. Il est démobilisé et rayé des contrôles le 22 octobre 1945, à Metz. Comme promis, il retrouve Pierrette. Ils se marient en 1952, ont trois enfants, et habitent Metz. Son passage dans l’armée allemande l’a tellement marqué, qu’il n’a jamais voulu apprendre l’allemand, ni même le patois mosellan à consonance germanique (le « platt »), à ses enfants. Faute de pouvoir retrouver deux témoins de son évasion, sa demande d’obtention de la médaille des évadés, qui lui tenait à cœur, est malheureusement restée sans suite. Conformément à ses dernières volontés, le jour de son décès, un drapeau français recouvrait son cercueil. Grâce à un voisin, une petite délégation de porte-drapeaux, faisant partie d’associations d’anciens combattants, était présente pour lui rendre les honneurs militaires. (1) Carte d’identité R.A.D. de Charles, et recherches Internet sur les unités du R.A.D. (2) Tous les éléments concernant la Wehrmacht ont été relevés dans le Soldbuch de Charles. (3) Toutes les phrases en italique sont des témoignages oraux de Charles à son gendre, auteur de ce résumé. (4) Le Grenadier Ersatz Bataillon 476 n’est pas le Réserve Grenadier Bataillon 476, dans lequel était affecté Charles. Ces deux unités ont la même origine. Elles sont issues du dédoublement de l’Infanterie Ersatz Bataillon 476, en 1942. (5) (6) Probablement avant ou après sa permission à Metz. Les soldats Nord-africains dont parle Charles sont sûrement des marocains du 3ème Régiment de Tabors. Ces derniers avaient la particularité d’être parfaitement silencieux la nuit. Ils ne percevaient pas de solde, mais avaient le droit de rapine, d’où la « récupération » de la montre de Charles. Quant aux colliers, fait avec les oreilles des ennemis morts, c’était une pratique ancestrale que de nombreux témoignages d’époque confirment.