Un voyage à Dresde Surnommée la Florence de l`Elbe, Dresde fut

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Un voyage à Dresde Surnommée la Florence de l`Elbe, Dresde fut
Un voyage à Dresde
Surnommée la Florence de l’Elbe, Dresde fut un haut lieu des arts pendant l’époque
moderne, en particulier sous l’impulsion du prince-électeur Frédéric-Auguste (16701733) et de son fils, Frédéric-Auguste II (1696-1763). Sous leur règne, la musique fut
particulièrement à l’honneur, avec la présence de plusieurs ensembles musicaux, dont la
Hofkapelle, alors l’un des plus brillants orchestres d’Europe. Celle-ci fut successivement
dirigée par le Flamand Jean-Baptiste Volumier – formé en France – et Johann Georg
Pisendel, de formation italienne, amenant un véritable brassage culturel qui fit de la ville
un centre de confluence stylistique. Les œuvres entendues ce soir proviennent de
compositeurs liés plus ou moins directement à la capitale saxonne, dressant ainsi un
portrait évocateur de la vie musicale dresdoise au cours du premier XVIIIe siècle.
JEAN-FERY REBEL (1666-1747)
Les Caractères de la danse
Membre d’une dynastie de musiciens s’étant illustrée à Versailles, Jean-Fery Rebel fut
remarqué encore enfant par Lully qui lui enseigna le violon et la composition. Après
avoir fait partie des Violons du roi, il fut nommé compositeur de la Chambre du roi.
Hormis un opéra, Ulysse, et des Leçons de ténèbres perdues, l’œuvre de Rebel est
essentiellement instrumentale et profane. Écrit en 1715, son ballet Les Caractères de la
danse est, avec Les élémens [sic], une de ses musiques les plus goûtées. L’œuvre, créée
par trois danseuses étoiles, eut un immense succès et fut même jouée en Angleterre en
1725. Elle fut probablement aussi exécutée à Dresde, puisqu’on y a retrouvé une copie
faite par Pisendel. Elle donne en quelque sorte des « échantillons » des principales danses
de l’époque – la courante, le menuet, la bourrée, la chaconne, la sarabande, la gigue, le
rigaudon, le passepied, la gavotte, la loure et la musette – encadrées par un prélude et
deux sonates.
JOHANN FRIEDRICH FASCH (1688-1758)
Lamento [Fantasie, FaWV O : F1]
Johann Friedrich Fasch était un des musiciens les plus respectés de son époque, y
compris par Bach qui transcrivit quelques-unes de ses œuvres. Largement autodidacte, il
occupa plusieurs postes avant d’accepter, en 1722, celui de maître de chapelle à la cour
d’Anhalt-Zerbst, ce qui ne l’a pas empêché d’entretenir une relation privilégiée avec la
cour de Dresde. Écrivant dans un style galant préclassique, le compositeur se distingue de
ses contemporains par son orchestration singulière. Retrouvé dans les archives
dresdoises, le Lamento – un singulier assemblage probablement exécuté en 1733 à
l’occasion de la mort de Frédéric-Auguste Ier – commence par un Andante en fa majeur
où un duo de hautbois plane au-dessus des pizzicatos des violons. Vient ensuite un autre
Andante, en sol mineur, qui oppose les cordes en sourdine aux flûtes. Les deux derniers
morceaux proviennent du Concerto pour chalumeau (ancêtre de la clarinette),
FaWV L : B1. L’ajout des deux premiers mouvements de cette œuvre, dans le ton de si
bémol majeur, nous permet d’apprécier les qualités de cet instrument, tantôt virtuose,
tantôt lyrique.
ANTONIO VIVALDI (1678-1741)
Concerto pour trois violons en fa majeur, RV 551
Un autre compositeur fréquemment joué à la cour de Dresde fut Vivaldi dont quelques
partitions ont été retrouvées dans les archives de la ville. On y trouve notamment une
copie de la main de Pisendel du Concerto pour trois violons en fa majeur, RV 551. Le
musicien avait dû avoir accès à la partition lors de son séjour à Venise en 1716. Cette
œuvre fait partie des quelque 30 concertos pour plusieurs instruments du Prêtre roux.
L’énergique Allegro initial fait la part belle aux trois solistes, à qui sont réservés
plusieurs traits des plus virtuoses. L’Andante en ré mineur est probablement le
mouvement le plus original du concerto. Pendant que le premier violon déroule une
guirlande de notes en bariolage et que le second joue de rapides arpèges en pizzicatos, le
troisième chante une ample mélodie cantabile. Retour à fa majeur pour le robuste Allegro
final, où les solistes prennent successivement la parole.
JOHANN CASPAR SEYFERT (c. 1697-1767)
Concerto grosso en la majeur
C’est auprès du cantor d’Augsbourg, Philipp David Kräuter, que Johann Caspar Seyfert a
appris son métier, avant de se rendre à Dresde auprès de Pisendel. Le musicien fut ensuite
engagé comme violoniste et luthiste à l’église Sainte-Anne d’Augsbourg, avant de
succéder à son premier maître. La faible quantité de partitions qui nous est parvenue rend
difficile tout jugement sur sa musique, encensée par la plupart de ses contemporains,
mais dénigrée par certains. Le Concerto grosso en la majeur, qui lui est attribué, a été
retrouvé dans les archives dresdoises et demeure de paternité incertaine. Après un
Allegro d’esprit vivaldien où la plupart des instruments ont leur minute de gloire, le
compositeur insère un Adagio en mi majeur où les vents volent la vedette. Le finale, en la
majeur, sollicite quant à lui le violon solo de manière particulièrement virtuose.
JAN DISMAS ZELENKA (1679-1745)
Hypocondrie à 7 concertanti, ZWV 187
Admiré par Bach, Zelenka est assurément l’un des compositeurs baroques les plus
injustement négligés. Né à Loudovice, dans les environs de Prague, il fut engagé en 1710
comme contrebassiste dans l’orchestre de la cour de Dresde et succéda à Johann David
Heinichen en 1729 à titre de responsable de la musique de la chapelle royale. Surtout
connu pour sa musique religieuse – on ne compte plus ses innombrables messes, motets
et psaumes –, Zelenka laisse néanmoins un certain nombre de partitions instrumentales
d’une grande valeur. Composée en 1723, son Hypocondrie à 7 démontre d’incroyables
dons au plan de l’harmonie et du contrepoint. L’origine du titre reste assez mystérieuse.
Peut-être que les nombreux emprunts au mode mineur qui pimentent la partition
contribuent à dépeindre cette « sorte de neurasthénie dépressive » que décrivit plus tard
D’Alembert. La partition, calquée sur une ouverture à la française, commence par une
section lente, avant d’enchaîner avec deux allegros et une section lente aux harmonies
savoureuses.
GEORG FRIDERIC HANDEL (1685-1759)
Sonate en trio en fa majeur, HWV 392
De 1706 à 1710, Handel séjourna en Italie où il donna plusieurs ouvrages lyriques et
sacrés qui contribuèrent à établir sa réputation dans toute la péninsule. Écrite vers 1707,
sa Sonate en trio en fa majeur, HWV 392, ne fut pas sans lendemain, puisqu’il en écrivit
plusieurs autres, qui furent réunies en deux recueils publiés en Grande-Bretagne dans les
années 1730. La partition a également voyagé en Allemagne puisque trois copies
manuscrites de différentes mains furent retrouvées dans les archives de Dresde. Par son
instrumentation – deux violons, basse et clavecin – et ses rythmes de danse, l’œuvre se
rapproche du style de la sonata da camera profane. Après un élégant Andante, un Allegro
expose un thème espiègle en fugato. Une brusque rupture amène une incise de sept
mesures aux harmonies fascinantes, sorte de transition vers l’émouvant Adagio en ré
mineur. L’œuvre se conclut par un virevoltant Allegro en fa majeur, où les triples croches
des violons répondent aux rythmes pointés du continuo.
GEORG PHILIPP TELEMANN (1681-1767)
Concerto pour violon en fa majeur, TWV 51 : F 4
Comme le signale le musicologue Marc Vignal, « né avant Bach, Telemann mourut alors
que Haydn parvenait à maturité et que Mozart s’apprêtait à partir pour l’Italie. Cette
longévité contribue à expliquer l’abondance extrême d’une production couvrant tous les
genres pratiqués à l’époque ». Compositeur le plus prolifique de son temps – il laisse plus
de 3 000 partitions –, Telemann a été fortement influencé par les styles français et italien.
Basé à Hambourg, le musicien a entretenu une liaison particulière avec la ville de Dresde,
où il avait séjourné en 1719, se liant d’amitié avec Pisendel. C’est à cet endroit que
repose le manuscrit original du Concerto pour violon en fa majeur, TWV 51 : F4. Cette
œuvre de grandes dimensions – sept mouvements et un effectif important incorporant
cuivres et timbales – fut écrite après 1740. Les mouvements – tous en fa majeur, hormis
la Corsicana, en ré mineur – forment une suite cohérente et diversifiée où l’orchestre est
loin de pâlir face au soliste.
Emmanuel Bernier