Snoezelen,un monde en quête de senspar la sensorialité

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Snoezelen,un monde en quête de senspar la sensorialité
DOSSIER
Snoezelen, un monde
en quête de sens par la sensorialité
Marc THIRY,
Professeur de communication sociale, relations humaines et méthodologie de la relation dans différentes
hautes écoles de l'enseignement supérieur social et paramédical en Belgique, Diplômé en éducation à la
santé et épidémiologie, Kinésithérapeute, Psychomotricien, Haptonome, Coordinateur pédagogique des
formations Snoezelen, Fondateur de Snoezelen Sans Frontières
[email protected]
La démarche Snoezelen est, selon notre conception, un art de la relation fondé sur la sensorialité dont l’objectif est la
relation à l’autre sur un mode d’égal à égal, favorisant la joie de communiquer et l’apaisement de pouvoir transmettre
à autrui son monde intérieur. Sa spécificité repose sur la possibilité d’adapter un environnement personnalisé pour
chacune des rencontres en intégrant ensemble ou séparément des éléments visuels, sonores, olfactifs, gustatifs,
tactiles et labyrinthiques. Initialement prévu pour des personnes handicapées, Snoezelen s’est élargi à divers publics:
en périnatalité, enfants de crèches, d’écoles de tous niveaux, enfants ou adultes avec handicaps, personnes en institution psychiatrique, en maisons de retraite, en soins palliatifs, traversant ainsi les âges de la vie. Il exige de la part de
l’accompagnateur des compétences d’observation et de communication essentiellement non verbale; une connaissance des systèmes sensoriels, une bonne dose de créativité et des attitudes de disponibilité affective à autrui permettant un regard capacitaire sur la personne pour s’adresser à son élan de vie.
Mots-clés: snoezelen, art de la relation, communication non verbale, sensations corporelles, émotions
S
noezelen est un art de la
relation basée sur la sensorialité, permettant une rencontre de qualité dans un espace
et un temps définis par la qualité
de cette rencontre. Un environnement sensoriel, lumineux, visuel,
sonore, gustatif, odorant, tactile,
kinesthésique est proposé pour
favoriser une communication
entre des personnes parfois très
fragilisées et celles qui accompagnent, éducateurs ou soignants, sur un mode d’égal à égal
permettant le rapprochement des
affects et favorisant la communication. Nous sommes des êtres
sociaux, c’est-à-dire des êtres de
communication traduisant à
autrui notre monde intérieur: «On
ne peut pas ne pas communiquer»1. Cette rencontre dans une
ambiance qui se veut adaptée à la
personne accueillie, favorise des
moments de communication et
nous pouvons nous émerveiller
de partager sans enjeu de performances corporelles ou d’acquisition cognitive une relation faite
d’éprouvés, de sensations corporelles, d’émotions.
Snoezelen, ses origines
Snoezelen est un néologisme hollandais né en 1978 de la fusion de
deux verbes très imagés: «doezelen» et «snuffelen». Le premier est
un verbe passif qui peut se traduire par «somnoler doucement»,
«être en état de douce somnolence»; le deuxième est un verbe
actif : «fureter», «explorer», «flairer», traduisant une exploration
sensorielle dénuée de programmation mentale élaborée. Né cette
année-là au Centre Piusoord à
Tilburg (Pays-Bas)2, Snoezelen a
été présenté pour la première fois
lors d’un symposium sur le jeu
organisé par l'Association néerlandaise pour l’étude du handicap
mental. Les animateurs y parlaient avec enthousiasme de réactions positives manifestées par
des personnes polyhandicapées
sévères, obtenues dans une «tente
d’activités». II s’agissait d’activités
proposant des bruits, des lumières,
des ballons, de la paille, etc. Pour
leur fête d’été au Centre du
Hartenberg qui accueillait le
même public, Hulsegge et Verheul
ont repris l’idée qui sera formalisée dans leur premier ouvrage
1. Célèbre axiome de Paul Watzlawick (1921-2007) théoricien dans la
théorie de la communication et du constructivisme radical, membre
fondateur de l'École de Palo Alto.
2. Mais on retrouve déjà en 1966 un article de Cleland et Clark aux
Etats-Unis présentant un espace précurseur de la démarche Snoezelen, appelé « la cafeteria sensorielle ». Les auteurs y décrivent des
situations où différentes matières stimulent les sens et les réactions de
personnes atteintes d’autisme.
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consacré à Snoezelen3.
Si, à l’origine, Snoezelen s’adressait à des personnes porteuses de
handicaps sévères, aujourd’hui il
s’est élargi à tout public, atteint
ou non de déficiences. Il couvre
ainsi tous les âges et tous les secteurs depuis la naissance en
maternités jusqu’à la fin de vie en
maisons de repos, en passant par
des lieux aussi divers que les
crèches, les écoles (maternelles,
primaires et secondaires) ou des
lieux d’accueil de personnes
atteintes d’autisme, de déficiences
sensorielles ou cognitives ou
encore de troubles psychiatriques… Snoezelen a connu un
important engouement au niveau
mondial et nous venons ainsi de
créer à Strasbourg Snoezelen Sans
Frontières.
Détente et sécurisation,
ingrédients clés pour
bien «doezeler»
Doezelen est donc le premier pôle
de snoezelen. Doezelen est un
état de détente, non pas de sommeil profond. C’est l’état qui, à
l’inverse de la rétraction, permet
pleinement l’ouverture à des sensations agréables. Notre corps est
un système biologique vivant
dont l’existence repose sur le
principe d’équilibre (homéostasie, équilibration dynamique,
3. HULSEGGE J., VERHEUL A., Snoezelen, un autre monde [titre original :
Snoezelen, een andere wereld], Namur, Erasme, 1987 [éd. originale :
1986].
4. Paul D. MacLean est un médecin et neurobiologiste américain (19132007.) auteur de la théorie dite du cerveau triunique selon laquelle l'évolution du cerveau dans le règne animal se retrouve dans la structure du système nerveux central humain avec un étage reptilien, un étage limbique et
enfin le néocortex. Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_D._MacLean.
5. MASLOW A., "A Theory of Human Motivation", Psychological Review, n°50,
1943, p. 370- 396.
6. ANDRIEU B.,Intervention Colloque IFAS, «Vieillissement choisi, vieillissement subi?», Pont St Vincent, 2012
7. BOWLBy J., Attachement et perte. vol 1, L'attachement; PUF 2002; Attachement et perte. vol 2, La séparation, angoisse et colère; PUF 2007 ;
Attachement et perte. vol 3, La perte; PUF 2002
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etc.) et je dirais en langage commun: «doezelen» est «lézarder»;
métaphore que j’utilise aussi à un
niveau physiologique – celui de
notre cerveau reptilien tel que
défini dans les travaux de Paul
Mc Lean, auteur de la théorie du
cerveau triunique4. Ce premier
cerveau situé juste au-dessus de
notre nuque maintient notre équilibre en contrôlant les homéostats
corporels: température du corps,
pression sanguine, fréquence respiratoire… Il assure notre survie
par des répertoires de comportements instinctifs: boire, manger,
se reproduire, avoir un territoire… qui interpellent les
réflexions fondamentales de problèmes cruciaux en institution
concernant la nourriture, la sexualité, la défense de territoire…
Il est ainsi est aisé de comprendre
qu’il ne sera pas possible de
«doezeler» si nous avons froid,
faim ou si nous sommes insécurisés… Les professionnels associeront immédiatement la rencontre
des besoins de base selon la
fameuse pyramide de Maslow5.
L o r s de l ’a c com pa g n em en t
Snoezelen, l’attention bienveillante et bientraitante portée par le
personnel soignant à la personne
permet, ou essaie du moins, de
favoriser la détente. Étymologiquement, «dé» vient du latin «de»
qui veut dire «hors de»: dé - tente,
est ainsi une rencontre qui se veut
hors de la tension. La détente est
un préalable à toute ouverture
sensorielle au monde. Il n’est pas
possible de s’ouvrir dans un climat menaçant: notre système nerveux provoque des mécanismes
de défense, de repli.
J’ai été amusé lors d’une formation en EHPAD (Établissement
d’Hébergement pour Personnes
Âgées Dépendantes) à La Clairière des Bernardins en Bretagne,
accueillant des personnes
atteintes de démence, d’entendre
cette sympathique équipe me
dire: «Sylvie, elle n’a pas son
pareil pour doezeler les personnes
angoissées»… Le verbe est ainsi
devenu actif et associé à câliner. Il
y a donc des championnes du
«douzelage», du «douzelement»… Mais ne serait-ce pas
infantiliser? N’est-ce pas plus à la
famille, aux proches, d’accomplir
ces actes intimes de maternage?
Qu’en est-il de la distance professionnelle?
Doezelen: sécurisation,
proximité corporelle et
distance professionnelle
«Prendre soin de quelqu’un n’est pas
une précaution de principe: l’acte
engage très concrètement, à travers
des paroles et des gestes, une communication entre des personnes»6 B.
Andrieu.
Comment développer cette empathie corporelle et non combler nos
éventuels manques? La distance
professionnelle est trop souvent
confondue avec la proximité corporelle. Pourquoi tenir la main de
quelqu’un qui souffre, qui a
besoin de rassurance?
Le deuxième cerveau, le cerveau
limbique, en anneau autour du
premier (cerveau triunique) précédemment décrit est celui de
l’attachement, de la mémoire
affective, des émotions. Cerveau
lié aux mammifères qui ont tous
une «maman» avec mamelles,
source du premier lien affectif,
des premières mémoires sonores,
olfactives et tactiles… Le cerveau
limbique est intensément stimulé
lors des actes de maternage
qu'une mère (entendons ici une
«figure d'attachement» telle que
John Bowlby 7 l'a décrite) prodigue à son enfant. Chez les
enfants présentant des carences
affectives et, notamment, un
défaut de maternage précoce,
la dimension affective et les
capacités d'attachement et de
sécurisation sont bien souvent
«azimutées», fragmentées. L'accompagnement en Snoezelen
C’est le besoin de chaleur affective
qui crée l’élan de vie et qui justifie
de mettre en jeu nos ressources
affectives pour favoriser la relation dans une rencontre des
affects. Il est plus simple d’interdire ou de s’interdire tout contact
et toute proximité pour éviter les
débordements émotionnels qui
influencent notre raison, qui
influencent le troisième cerveau
de notre région frontale: le néo–
cortex, cortex associatif, celui de
l’intelligence. La proximité corporelle demande une grande distance professionnelle pour ne pas
confondre nos propres besoins et
l’empathie corporelle. Le contact,
le toucher n’est pas un simple acte
technique: toucher l’autre inclut
inévitablement d’être soi-même
touché. Soigner, c’est prendre soin.
Les anglais différencient le «cure»,
le soin au sens thérapeutique, et le
«care», le «prendre soin» au sens
plus affectif. Et si Snoezelen permettait de prendre soin dans le
soin?
Snoezelen en
périnatalité: là où
l’attachement prend
sa source
L’approche snoezelen en périnatalité a tout son sens, c’est là où l’attachement prend sa source. Françoise Clerquin, infirmière cadre et
sage-femme de la maternité des 10
Lunes à Ath, nous dit ainsi: «Les
milieux périnataux accueillent chaque
jour des familles ou futures familles
porteuses d’une histoire, de leur histoire dans les processus d’attachement. Nous sommes des êtres de liens
et la maternité ouvre la voie à l’installation de ceux-ci. L’importance qu’on
y accorde permet la construction optimale de cet attachement d’où vont
découler les capacités de séparation.
La démarche snoezelen apporte une
aide fondamentale dans l’accompagnement des personnes lorsqu’une
fragilité, physique ou psychique est
envisagée. Cet accompagnement spécifique en cours de grossesse et dans
les premiers temps de la vie est l’objet
de notre travail et l’impact d’une naissance «contrariée» par une césarienne
non prévue, une complication médicale, peut également être diminué et
positivé. Je dirais que la spécificité de
l’approche snoezelen nous permet de
favoriser la contenance, le maternage,
la confirmation, la valorisation, la
réappropriation».
Réminiscence de sensations maternantes en
Snoezelen
A. Lucie Hazebrouck-Lorne est
psychologue clinicienne et travaille en France dans une MECS
(Maison d’enfants à caractère
social). Elle nous parle d'un jeune
âgé de 14 ans que nous dénommerons ici A., qui est accueilli dans le
cadre d’une mesure d’assistance
éducative en raison de l’incapacité
de ses parents à assurer sa prise en
charge.
«A. est né en France de l’union d’une
mère originaire de la Réunion et d’un
père métropolitain. Alors que A.
n’était âgé que de quelques semaines,
sa mère est repartie vivre à la Réunion, le laissant aux soins de son père.
En raison des difficultés de celui-ci à
le prendre en charge, il a été confié à
plusieurs assistantes maternelles
avant d’être accueilli en MECS.
Ainsi, sa toute petite enfance est marquée par de nombreuses ruptures et
par le départ brutal de sa maman dont
il n’a plus jamais eu de nouvelles. Ce
parcours de vie a généré chez A. des
troubles du comportement: passages à
l’acte auto et hétéro agressifs, encoprésie (ndlr: forme d'incontinence fécale),
coprophagie (ndlr: fait de consommer
ses matières fécales), auxquels s’est
associée une déficience mentale classifiée légère.
Si la pharmacopée, associée à une
lourde prise en charge éducative et
pédopsychiatrique ont permis de diminuer les troubles du comportement
que présentait A., il n’en restait pas
moins l’intense souffrance qu’il exprimait quant à l’absence de sa mère: A.
se frappait souvent la tête au sol en
appelant sa maman, témoignait
auprès du personnel soignant d’une
importante quête affective souvent
envahissante.
DOSSIER
peut alors permettre à l'enfant
d'expérimenter une relation
maternante, douce, bienveillante
et nécessairement pérenne qui
l'amènera à régresser jusqu'à être
de nouveau un «petit être psychique» qui se «nourrira» du
maternage dont il a manqué.
Au regard de ces éléments a été proposé, en équipe pluridisciplinaire, que
A. puisse bénéficier d’un accompagnement dans la «Zénosphère» de l’institution, c’est ainsi qu’a été baptisé
l’espace Snoezelen de la MECS. Voici
un compte-rendu des séances:
Lors de la première rencontre nous
nous sommes entretenus avec A. sur
ce qu’est Snoezelen et je lui ai proposé
de passer avec moi un temps dans
notre Zénosphère. Aucun autre objectif spécifique à la séance n’avait été
défini partant du postulat que tisser la
relation, en substance, serait apaisante pour ce jeune. Au fil de nos
rencontres, A. s’est peu à peu apaisé,
et a investi systématiquement le matelas d’eau chauffé à 35 degrés comme
s’il le portait comme le ventre de sa
mère l’a porté en manifestant des
signes de régression: prendre un nounours, sucer son pouce, babilller, etc.
M’ajustant à ses besoins, à ses
demandes infra-verbales, je me suis
mise à cajoler, bercer, porter, masser ce
jeune comme une maman avec son
petit enfant. Et A. s’est ouvert au
monde, il a été habité par un nouvel
élan vital, une nouvelle dynamique
que nous ne lui connaissions pas dans
et hors de la Zénosphère.
Après plusieurs semaines d’accompagnement en Snoezelen, A. s’est mis,
uniquement dans le cadre sécurisé de
la Zénosphère, à m’appeler «maman»,
réalisant ainsi le transfert de ses
affects destinés à sa mère. L’imago
maternel, dont je suis devenue le substitut en séances, fait l’objet de projec-
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tions de toutes sortes d’émotions :
amour, colère, rancœur,… Je l’accompagne dans ses émotions les plus
vives: pleurs, cris, rires,... Ainsi, A.
parvient peu à peu à rejouer, dans le
cadre de son accompagnement en
Snoezelen, sa relation à sa mère et la
manière dont il a été porté (au sens du
holding de Winnicott) et renouer sa
relation à sa mère absente.
L’approche sensorielle que permet la
spécificité des communications en
Snoezelen a permis à A., en l’espace
de quelques mois, de montrer dans et
hors de la Zénosphère des signes
durables de «mieux-être» et de mettre
simplement par mon accompagnement des mots de manière plus juste
et sans se faire souffrir. »
Snuffelen: sentir, notre
accès au monde...
Snuffelen: «sentir», «sniffer» est le
deuxième pôle de snoezelen. La
traduction exacte est «fureter»,
«explorer», «flairer»… comme le
fait un petit chien qui «sniffe à la
découverte», sans avoir de représentation précise de ce qu’il
cherche: il se laisse entraîner par
son odorat, mais aussi tout à la
fois par la vue, les sons, etc. Ce
pôle renvoie au versant actif de
snoezelen, soulignant les aspects
d’exploration et de découverte,
dénués de rationalisation. Le
verbe «senti » est intéressant car
on peut sentir avec le nez, la peau,
les doigts, ressentir de la douleur,
des émotions. Ce pôle nous renvoie aux stimulations sensorielles
recherchées ou vécues tant au
niveau des viscères (sens viscéroceptifs: la faim, la soif, le som-
8. Ethologie : c’est-à-dire l’étude du comportement humain qui s’est faite à
la suite de l’étude du comportement animal.
9. La proxémie est une approche de l’espace introduite par E. T. Hall en
1963. Il définit que selon les personnes en interaction et selon le contexte et
la culture , la distance physique qui sépare les interlocuteurs est différente,
allant d’une distance intime comme celle du contact mère enfant à une distance publique, comme celle conférencier dans un amphithéâtre.
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meil), que dans les stimulations
intéroceptives (au niveau des propriocepteurs : les muscles, les
tendons, les articulations,…) ou
dans les stimulations extéroceptives plus connues (la vue, le goût,
l’ouïe, le toucher, l’odorat), c’està-dire les systèmes sensoriels qui
renseignent la personne sur son
intériorité ou les systèmes qui lui
permettent d’être en relation avec
le monde extérieur forgeant la
mémoire émotionnelle.
Avant de penser le monde nous
devons le sentir. Aujourd’hui, il
est admis que le sensible caractérise tout simplement le vivant: un
être vivant dispose d’un appareil
sensoriel aussi rudimentaire soitil, lui permettant d’interagir avec
son environnement. L’huître dispose de deux sens, la taupe de
quatre et l’homme de sept si nous
intégrons aussi les sens kinesthésiques permettant l’équilibre et le
codage de la position et des mouvements du corps.
On a rappelé en introduction le
célèbre axiome de Watzlawick:
«On ne peut pas ne pas communiquer» Dans notre société, la communication est la base de nos
relations sociales. Elle est le
moyen pour chacun d’entre nous
d’échanger, de construire des relations, de se faire comprendre et de
montrer à l’autre ce qui nous intéresse, nous déplait; en somme
d’exprimer nos ressentis. Il existe
deux formes de communication:
verbale et non verbale.
La communication verbale fait
référence à la parole, au langage, à
un système de signes linguistiques, vocaux, graphiques ou
gestuels. Il s'agit du mode de
communication à la fois le plus
abouti mais aussi le plus fragile.
Nombre d'entre nous n'a pas (ou
plus ou pas encore) accès au langage verbal: le bébé, certaines
personnes handicapées ou
malades psychiques,… De plus,
ce langage ne jouit pas de l'universalité puisque les codes
changent selon les cultures.
La communication non verbale
constitue le fait d’envoyer et de
recevoir des messages sans passer
par la parole, mais au moyen
d’expressions du visage (ex. les
froncements des sourcils, écarquiller les yeux), des postures (ex.
bras croisés sur la poitrine), des
gestes (ex. pointer l’index), de
diverses modalités d’un langage
corporel. L’approche Snoezelen
fait d’emblée référence à la communication non-verbale et est
formalisée, entre autres, par des
disciplines telles que l’éthologie8
et la proxémie9.
Elle se base sur cet accès à notre
monde sensible et les communications non-verbales axées sur le
langage du corps. Le corps et les
sens font toute la particularité de
cette approche.
L’approche d’accompagnement Snoezelen
mise en évaluation
quantitative
Différents travaux témoignent
lors d’études randomisées d’une
diminution des troubles du comportement pendant la séance et
d’une courte période suivant
celle-ci. Différentes études sont en
cours comme celle développée
depuis février 2012 dans plusieurs services du pôle gérontologie du Centre hospitalier régional
universitaire (CHRU) de Nîmes.
«En stimulant les cinq sens de la
personne âgée grâce à la lumière, aux
couleurs, à la musique, au toucher et
aux senteurs, cette approche a pour
objectif de détendre le patient et de
l’ouvrir à son environnement tout en
facilitant le travail de l’agent hospitalier», explique le CHRU. Pour
vérifier si, depuis un an, cette
forme d’accompagnement a amélioré le quotidien des équipes soignantes tout en participant au
mieux-être des personnes âgées
accueillies, une étude a été lancée
au sein du pôle Gérontologie du
Snoezelen en établissement d'hébergement
pour personnes âges
désorientées: des
échanges de coeur à
coeur
N. Strube accompagnante aux
Maisons de l’Arribet dans les
Pyrénées Atlantiques, Ehpad
(Etablissement d’hébergement
pour personnes âges dépendantes) nous explique comment
l'accompagnement Snoezelen
crée des moments de partage et
favorise un apaisement, une
détente profitable à la personne
âgée en difficultés émotionnelles,
à ses condisciples et à l'équipe
soignante.
«L’accompagnement Snoezelen des
personnes vivant au sein de l’Ehpad
où je travaille s’inscrit dans un souhait d’améliorer la qualité de vie, le
confort et le bien-être des résident(e)s.
La plupart des personnes que j’accompagne sont désorientées,
confuses, manifestent des troubles du
comportement, ont une mobilité
réduite et souvent ne communiquent
plus verbalement. Mais j’aime plutôt
décrire ce qui est vivant et présent en
elles plutôt que ce qui fait défaut. Les
moments de rencontre, de partage et
de vie avec ces personnes me montrent
que nous, êtres humains, avons
besoin de relation, de l’autre, de sensorialité d’un bout à l’autre de la vie
et que même si les mots disparaissent,
si les notions de temps et d’espace se
dissolvent dans des brumes inconnues, nous restons sensibles à ce qui
se passe autour de nous, à la qualité
d’un toucher, d’une présence, d’une
atmosphère et restons capables de
relations, légères, souriantes, graves,
d’échanges profonds qui passent par
d’autres canaux… de cœur à cœur.
Les séances sont adaptées à chaque
personne, à ses choix exprimés par les
mots ou de manière non verbale, par
un sourire, un élan du corps, un
regard,… à son rythme propre et sans
idée de résultat à obtenir, sans idée
préconçue sur ce qui va se passer et sur
la manière d’orienter la séance. Pour
cet accompagnement, la dame âgée de
plus de 100 ans, m’interpelle en tendant la main vers moi à mon passage
près d’elle, je vois bien à son visage
tiré, à cette main fortement tendue
qu’elle n’est pas tranquille… Je lui
propose de passer un moment
ensemble, elle accepte d’un hochement
de tête. Une fois seule dans la pièce, je
m’assieds à ses côtés, et elle vient poser
sa tête sur mon épaule. Je l’entoure
alors de mon bras et nous restons
ainsi, immobiles, respirant à l’unisson
pendant près de 20 minutes. Puis, elle
bouge doucement et progressivement,
nous mettons fin à ce moment partagé
et revenons vers les pièces à vivre communes. Elle participe en suivant à
l’animation en cours, restant sou-
riante et ouverte le reste de l’aprèsmidi dans la collectivité.
J’accompagne cette autre dame en
espace snoezelen, j’ai préparé un
environnement musical, une atmosphère lumineuse tamisée et chaleureuse, il fait chaud dans la pièce, je
sais la dame frileuse. Arrivée depuis
peu dans l’établissement, elle est dans
un état de santé amoindri avec de
profonds escarres, douloureux, elle
est dénutrie et visiblement angoissée,
elle s’exprime par faibles écholalies. Je
la connais peu au niveau de ses goûts,
je sais qu’elle aime lire et j’ai préparé
un livre sur les villages de France
sans trop savoir s’il pourrait lui
plaire ou pas. Elle accepte de découvrir la pièce qu’elle ne connait pas.
Émerveillement à l’entrée en voyant
la colonne à bulles devant laquelle
nous resterons à satiété puis je lui
propose le livre et nous le feuilletons
ensemble avec intérêt, ajoutant des
commentaires personnels. Lors du
retour en salle commune elle partage
avec l’entourage ce qu’elle vient de
vivre. L’infirmière me dira le lendemain que les soins, habituellement
très douloureux ont été mieux vécus,
par la dame tout comme par elle !
DOSSIER
CHRU. Il est prévu que cette
étude globale inédite débute en
mars 2013 et dure un peu plus
d’un an. Elle comprend d’une
part, un projet de recherche d’envergure nationale portant sur les
effets du dispositif Snoezelen sur
les patients âgés, soutenu par le
CHRU de Nîmes et retenu, en
décembre 2012, au titre du Programme national hospitalier de
recherche infirmière et paramédicale (PHRIP); d’autre part, un
projet d’évaluation de l’impact de
ce dispositif sur le stress ressenti
par les soignants chargés des
seniors souffrant de maladies
neuro-dégénératives, type Alzheimer. Au total, 6 infirmières et 18
aides-soignants officiant au sein
de l’un des centres d’hébergement de longue durée pour personnes âgées du CHRU participeront à ce volet de l’étude. Plusieurs
questionnaires leur seront remis
afin d’évaluer leur bien-être et
leur stress au travail, la reconnaissance dont ils estiment être l’objet
ainsi que leur opinion sur les
bienfaits ou non de l’approche
Snoezelen. Sachant que l’enquête
ne concerne ici que l’impact de
l’approche Snoezelen sur la toilette du patient.
J’entends lors des séances proposées :
«je me sens bien», «quand est-ce que
je reviens?», «j’attends ce moment
depuis longtemps», «c ’est merveilleux, comme quand j’ étais petite»,
des souvenirs d’enfance, ou bien j’observe sourires, bâillements, soupirs,
profondes respirations, déglutition,
les yeux qui se ferment, des mouvements spontanés d’un membre, meilleure harmonisation du tonus, la
détente de la main, extension possible
des membres, déposé de la tête ou du
dos sur le support… tous signes non
verbaux de détente, de bien-être ou
d’intériorisation… Pour le personnel
soignant qui le pratique, snoezelen
apporte aussi bien-être, plaisir, une
autre vision de la personne, une relation hors du temps urgent des soins, a
permis de comprendre et d’approfondir les modes sensoriels privilégiés de
chaque résident et d’accompagner
dans le bien-être les résidents
jusqu’en fin de vie.
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