Snoezelen,un monde en quête de senspar la sensorialité
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Snoezelen,un monde en quête de senspar la sensorialité
DOSSIER Snoezelen, un monde en quête de sens par la sensorialité Marc THIRY, Professeur de communication sociale, relations humaines et méthodologie de la relation dans différentes hautes écoles de l'enseignement supérieur social et paramédical en Belgique, Diplômé en éducation à la santé et épidémiologie, Kinésithérapeute, Psychomotricien, Haptonome, Coordinateur pédagogique des formations Snoezelen, Fondateur de Snoezelen Sans Frontières [email protected] La démarche Snoezelen est, selon notre conception, un art de la relation fondé sur la sensorialité dont l’objectif est la relation à l’autre sur un mode d’égal à égal, favorisant la joie de communiquer et l’apaisement de pouvoir transmettre à autrui son monde intérieur. Sa spécificité repose sur la possibilité d’adapter un environnement personnalisé pour chacune des rencontres en intégrant ensemble ou séparément des éléments visuels, sonores, olfactifs, gustatifs, tactiles et labyrinthiques. Initialement prévu pour des personnes handicapées, Snoezelen s’est élargi à divers publics: en périnatalité, enfants de crèches, d’écoles de tous niveaux, enfants ou adultes avec handicaps, personnes en institution psychiatrique, en maisons de retraite, en soins palliatifs, traversant ainsi les âges de la vie. Il exige de la part de l’accompagnateur des compétences d’observation et de communication essentiellement non verbale; une connaissance des systèmes sensoriels, une bonne dose de créativité et des attitudes de disponibilité affective à autrui permettant un regard capacitaire sur la personne pour s’adresser à son élan de vie. Mots-clés: snoezelen, art de la relation, communication non verbale, sensations corporelles, émotions S noezelen est un art de la relation basée sur la sensorialité, permettant une rencontre de qualité dans un espace et un temps définis par la qualité de cette rencontre. Un environnement sensoriel, lumineux, visuel, sonore, gustatif, odorant, tactile, kinesthésique est proposé pour favoriser une communication entre des personnes parfois très fragilisées et celles qui accompagnent, éducateurs ou soignants, sur un mode d’égal à égal permettant le rapprochement des affects et favorisant la communication. Nous sommes des êtres sociaux, c’est-à-dire des êtres de communication traduisant à autrui notre monde intérieur: «On ne peut pas ne pas communiquer»1. Cette rencontre dans une ambiance qui se veut adaptée à la personne accueillie, favorise des moments de communication et nous pouvons nous émerveiller de partager sans enjeu de performances corporelles ou d’acquisition cognitive une relation faite d’éprouvés, de sensations corporelles, d’émotions. Snoezelen, ses origines Snoezelen est un néologisme hollandais né en 1978 de la fusion de deux verbes très imagés: «doezelen» et «snuffelen». Le premier est un verbe passif qui peut se traduire par «somnoler doucement», «être en état de douce somnolence»; le deuxième est un verbe actif : «fureter», «explorer», «flairer», traduisant une exploration sensorielle dénuée de programmation mentale élaborée. Né cette année-là au Centre Piusoord à Tilburg (Pays-Bas)2, Snoezelen a été présenté pour la première fois lors d’un symposium sur le jeu organisé par l'Association néerlandaise pour l’étude du handicap mental. Les animateurs y parlaient avec enthousiasme de réactions positives manifestées par des personnes polyhandicapées sévères, obtenues dans une «tente d’activités». II s’agissait d’activités proposant des bruits, des lumières, des ballons, de la paille, etc. Pour leur fête d’été au Centre du Hartenberg qui accueillait le même public, Hulsegge et Verheul ont repris l’idée qui sera formalisée dans leur premier ouvrage 1. Célèbre axiome de Paul Watzlawick (1921-2007) théoricien dans la théorie de la communication et du constructivisme radical, membre fondateur de l'École de Palo Alto. 2. Mais on retrouve déjà en 1966 un article de Cleland et Clark aux Etats-Unis présentant un espace précurseur de la démarche Snoezelen, appelé « la cafeteria sensorielle ». Les auteurs y décrivent des situations où différentes matières stimulent les sens et les réactions de personnes atteintes d’autisme. l’observatoire n°80/2014 67 consacré à Snoezelen3. Si, à l’origine, Snoezelen s’adressait à des personnes porteuses de handicaps sévères, aujourd’hui il s’est élargi à tout public, atteint ou non de déficiences. Il couvre ainsi tous les âges et tous les secteurs depuis la naissance en maternités jusqu’à la fin de vie en maisons de repos, en passant par des lieux aussi divers que les crèches, les écoles (maternelles, primaires et secondaires) ou des lieux d’accueil de personnes atteintes d’autisme, de déficiences sensorielles ou cognitives ou encore de troubles psychiatriques… Snoezelen a connu un important engouement au niveau mondial et nous venons ainsi de créer à Strasbourg Snoezelen Sans Frontières. Détente et sécurisation, ingrédients clés pour bien «doezeler» Doezelen est donc le premier pôle de snoezelen. Doezelen est un état de détente, non pas de sommeil profond. C’est l’état qui, à l’inverse de la rétraction, permet pleinement l’ouverture à des sensations agréables. Notre corps est un système biologique vivant dont l’existence repose sur le principe d’équilibre (homéostasie, équilibration dynamique, 3. HULSEGGE J., VERHEUL A., Snoezelen, un autre monde [titre original : Snoezelen, een andere wereld], Namur, Erasme, 1987 [éd. originale : 1986]. 4. Paul D. MacLean est un médecin et neurobiologiste américain (19132007.) auteur de la théorie dite du cerveau triunique selon laquelle l'évolution du cerveau dans le règne animal se retrouve dans la structure du système nerveux central humain avec un étage reptilien, un étage limbique et enfin le néocortex. Cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_D._MacLean. 5. MASLOW A., "A Theory of Human Motivation", Psychological Review, n°50, 1943, p. 370- 396. 6. ANDRIEU B.,Intervention Colloque IFAS, «Vieillissement choisi, vieillissement subi?», Pont St Vincent, 2012 7. BOWLBy J., Attachement et perte. vol 1, L'attachement; PUF 2002; Attachement et perte. vol 2, La séparation, angoisse et colère; PUF 2007 ; Attachement et perte. vol 3, La perte; PUF 2002 68 l’observatoire n°80/2014 etc.) et je dirais en langage commun: «doezelen» est «lézarder»; métaphore que j’utilise aussi à un niveau physiologique – celui de notre cerveau reptilien tel que défini dans les travaux de Paul Mc Lean, auteur de la théorie du cerveau triunique4. Ce premier cerveau situé juste au-dessus de notre nuque maintient notre équilibre en contrôlant les homéostats corporels: température du corps, pression sanguine, fréquence respiratoire… Il assure notre survie par des répertoires de comportements instinctifs: boire, manger, se reproduire, avoir un territoire… qui interpellent les réflexions fondamentales de problèmes cruciaux en institution concernant la nourriture, la sexualité, la défense de territoire… Il est ainsi est aisé de comprendre qu’il ne sera pas possible de «doezeler» si nous avons froid, faim ou si nous sommes insécurisés… Les professionnels associeront immédiatement la rencontre des besoins de base selon la fameuse pyramide de Maslow5. L o r s de l ’a c com pa g n em en t Snoezelen, l’attention bienveillante et bientraitante portée par le personnel soignant à la personne permet, ou essaie du moins, de favoriser la détente. Étymologiquement, «dé» vient du latin «de» qui veut dire «hors de»: dé - tente, est ainsi une rencontre qui se veut hors de la tension. La détente est un préalable à toute ouverture sensorielle au monde. Il n’est pas possible de s’ouvrir dans un climat menaçant: notre système nerveux provoque des mécanismes de défense, de repli. J’ai été amusé lors d’une formation en EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) à La Clairière des Bernardins en Bretagne, accueillant des personnes atteintes de démence, d’entendre cette sympathique équipe me dire: «Sylvie, elle n’a pas son pareil pour doezeler les personnes angoissées»… Le verbe est ainsi devenu actif et associé à câliner. Il y a donc des championnes du «douzelage», du «douzelement»… Mais ne serait-ce pas infantiliser? N’est-ce pas plus à la famille, aux proches, d’accomplir ces actes intimes de maternage? Qu’en est-il de la distance professionnelle? Doezelen: sécurisation, proximité corporelle et distance professionnelle «Prendre soin de quelqu’un n’est pas une précaution de principe: l’acte engage très concrètement, à travers des paroles et des gestes, une communication entre des personnes»6 B. Andrieu. Comment développer cette empathie corporelle et non combler nos éventuels manques? La distance professionnelle est trop souvent confondue avec la proximité corporelle. Pourquoi tenir la main de quelqu’un qui souffre, qui a besoin de rassurance? Le deuxième cerveau, le cerveau limbique, en anneau autour du premier (cerveau triunique) précédemment décrit est celui de l’attachement, de la mémoire affective, des émotions. Cerveau lié aux mammifères qui ont tous une «maman» avec mamelles, source du premier lien affectif, des premières mémoires sonores, olfactives et tactiles… Le cerveau limbique est intensément stimulé lors des actes de maternage qu'une mère (entendons ici une «figure d'attachement» telle que John Bowlby 7 l'a décrite) prodigue à son enfant. Chez les enfants présentant des carences affectives et, notamment, un défaut de maternage précoce, la dimension affective et les capacités d'attachement et de sécurisation sont bien souvent «azimutées», fragmentées. L'accompagnement en Snoezelen C’est le besoin de chaleur affective qui crée l’élan de vie et qui justifie de mettre en jeu nos ressources affectives pour favoriser la relation dans une rencontre des affects. Il est plus simple d’interdire ou de s’interdire tout contact et toute proximité pour éviter les débordements émotionnels qui influencent notre raison, qui influencent le troisième cerveau de notre région frontale: le néo– cortex, cortex associatif, celui de l’intelligence. La proximité corporelle demande une grande distance professionnelle pour ne pas confondre nos propres besoins et l’empathie corporelle. Le contact, le toucher n’est pas un simple acte technique: toucher l’autre inclut inévitablement d’être soi-même touché. Soigner, c’est prendre soin. Les anglais différencient le «cure», le soin au sens thérapeutique, et le «care», le «prendre soin» au sens plus affectif. Et si Snoezelen permettait de prendre soin dans le soin? Snoezelen en périnatalité: là où l’attachement prend sa source L’approche snoezelen en périnatalité a tout son sens, c’est là où l’attachement prend sa source. Françoise Clerquin, infirmière cadre et sage-femme de la maternité des 10 Lunes à Ath, nous dit ainsi: «Les milieux périnataux accueillent chaque jour des familles ou futures familles porteuses d’une histoire, de leur histoire dans les processus d’attachement. Nous sommes des êtres de liens et la maternité ouvre la voie à l’installation de ceux-ci. L’importance qu’on y accorde permet la construction optimale de cet attachement d’où vont découler les capacités de séparation. La démarche snoezelen apporte une aide fondamentale dans l’accompagnement des personnes lorsqu’une fragilité, physique ou psychique est envisagée. Cet accompagnement spécifique en cours de grossesse et dans les premiers temps de la vie est l’objet de notre travail et l’impact d’une naissance «contrariée» par une césarienne non prévue, une complication médicale, peut également être diminué et positivé. Je dirais que la spécificité de l’approche snoezelen nous permet de favoriser la contenance, le maternage, la confirmation, la valorisation, la réappropriation». Réminiscence de sensations maternantes en Snoezelen A. Lucie Hazebrouck-Lorne est psychologue clinicienne et travaille en France dans une MECS (Maison d’enfants à caractère social). Elle nous parle d'un jeune âgé de 14 ans que nous dénommerons ici A., qui est accueilli dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative en raison de l’incapacité de ses parents à assurer sa prise en charge. «A. est né en France de l’union d’une mère originaire de la Réunion et d’un père métropolitain. Alors que A. n’était âgé que de quelques semaines, sa mère est repartie vivre à la Réunion, le laissant aux soins de son père. En raison des difficultés de celui-ci à le prendre en charge, il a été confié à plusieurs assistantes maternelles avant d’être accueilli en MECS. Ainsi, sa toute petite enfance est marquée par de nombreuses ruptures et par le départ brutal de sa maman dont il n’a plus jamais eu de nouvelles. Ce parcours de vie a généré chez A. des troubles du comportement: passages à l’acte auto et hétéro agressifs, encoprésie (ndlr: forme d'incontinence fécale), coprophagie (ndlr: fait de consommer ses matières fécales), auxquels s’est associée une déficience mentale classifiée légère. Si la pharmacopée, associée à une lourde prise en charge éducative et pédopsychiatrique ont permis de diminuer les troubles du comportement que présentait A., il n’en restait pas moins l’intense souffrance qu’il exprimait quant à l’absence de sa mère: A. se frappait souvent la tête au sol en appelant sa maman, témoignait auprès du personnel soignant d’une importante quête affective souvent envahissante. DOSSIER peut alors permettre à l'enfant d'expérimenter une relation maternante, douce, bienveillante et nécessairement pérenne qui l'amènera à régresser jusqu'à être de nouveau un «petit être psychique» qui se «nourrira» du maternage dont il a manqué. Au regard de ces éléments a été proposé, en équipe pluridisciplinaire, que A. puisse bénéficier d’un accompagnement dans la «Zénosphère» de l’institution, c’est ainsi qu’a été baptisé l’espace Snoezelen de la MECS. Voici un compte-rendu des séances: Lors de la première rencontre nous nous sommes entretenus avec A. sur ce qu’est Snoezelen et je lui ai proposé de passer avec moi un temps dans notre Zénosphère. Aucun autre objectif spécifique à la séance n’avait été défini partant du postulat que tisser la relation, en substance, serait apaisante pour ce jeune. Au fil de nos rencontres, A. s’est peu à peu apaisé, et a investi systématiquement le matelas d’eau chauffé à 35 degrés comme s’il le portait comme le ventre de sa mère l’a porté en manifestant des signes de régression: prendre un nounours, sucer son pouce, babilller, etc. M’ajustant à ses besoins, à ses demandes infra-verbales, je me suis mise à cajoler, bercer, porter, masser ce jeune comme une maman avec son petit enfant. Et A. s’est ouvert au monde, il a été habité par un nouvel élan vital, une nouvelle dynamique que nous ne lui connaissions pas dans et hors de la Zénosphère. Après plusieurs semaines d’accompagnement en Snoezelen, A. s’est mis, uniquement dans le cadre sécurisé de la Zénosphère, à m’appeler «maman», réalisant ainsi le transfert de ses affects destinés à sa mère. L’imago maternel, dont je suis devenue le substitut en séances, fait l’objet de projec- l’observatoire n°80/2014 69 tions de toutes sortes d’émotions : amour, colère, rancœur,… Je l’accompagne dans ses émotions les plus vives: pleurs, cris, rires,... Ainsi, A. parvient peu à peu à rejouer, dans le cadre de son accompagnement en Snoezelen, sa relation à sa mère et la manière dont il a été porté (au sens du holding de Winnicott) et renouer sa relation à sa mère absente. L’approche sensorielle que permet la spécificité des communications en Snoezelen a permis à A., en l’espace de quelques mois, de montrer dans et hors de la Zénosphère des signes durables de «mieux-être» et de mettre simplement par mon accompagnement des mots de manière plus juste et sans se faire souffrir. » Snuffelen: sentir, notre accès au monde... Snuffelen: «sentir», «sniffer» est le deuxième pôle de snoezelen. La traduction exacte est «fureter», «explorer», «flairer»… comme le fait un petit chien qui «sniffe à la découverte», sans avoir de représentation précise de ce qu’il cherche: il se laisse entraîner par son odorat, mais aussi tout à la fois par la vue, les sons, etc. Ce pôle renvoie au versant actif de snoezelen, soulignant les aspects d’exploration et de découverte, dénués de rationalisation. Le verbe «senti » est intéressant car on peut sentir avec le nez, la peau, les doigts, ressentir de la douleur, des émotions. Ce pôle nous renvoie aux stimulations sensorielles recherchées ou vécues tant au niveau des viscères (sens viscéroceptifs: la faim, la soif, le som- 8. Ethologie : c’est-à-dire l’étude du comportement humain qui s’est faite à la suite de l’étude du comportement animal. 9. La proxémie est une approche de l’espace introduite par E. T. Hall en 1963. Il définit que selon les personnes en interaction et selon le contexte et la culture , la distance physique qui sépare les interlocuteurs est différente, allant d’une distance intime comme celle du contact mère enfant à une distance publique, comme celle conférencier dans un amphithéâtre. 70 l’observatoire n°80/2014 meil), que dans les stimulations intéroceptives (au niveau des propriocepteurs : les muscles, les tendons, les articulations,…) ou dans les stimulations extéroceptives plus connues (la vue, le goût, l’ouïe, le toucher, l’odorat), c’està-dire les systèmes sensoriels qui renseignent la personne sur son intériorité ou les systèmes qui lui permettent d’être en relation avec le monde extérieur forgeant la mémoire émotionnelle. Avant de penser le monde nous devons le sentir. Aujourd’hui, il est admis que le sensible caractérise tout simplement le vivant: un être vivant dispose d’un appareil sensoriel aussi rudimentaire soitil, lui permettant d’interagir avec son environnement. L’huître dispose de deux sens, la taupe de quatre et l’homme de sept si nous intégrons aussi les sens kinesthésiques permettant l’équilibre et le codage de la position et des mouvements du corps. On a rappelé en introduction le célèbre axiome de Watzlawick: «On ne peut pas ne pas communiquer» Dans notre société, la communication est la base de nos relations sociales. Elle est le moyen pour chacun d’entre nous d’échanger, de construire des relations, de se faire comprendre et de montrer à l’autre ce qui nous intéresse, nous déplait; en somme d’exprimer nos ressentis. Il existe deux formes de communication: verbale et non verbale. La communication verbale fait référence à la parole, au langage, à un système de signes linguistiques, vocaux, graphiques ou gestuels. Il s'agit du mode de communication à la fois le plus abouti mais aussi le plus fragile. Nombre d'entre nous n'a pas (ou plus ou pas encore) accès au langage verbal: le bébé, certaines personnes handicapées ou malades psychiques,… De plus, ce langage ne jouit pas de l'universalité puisque les codes changent selon les cultures. La communication non verbale constitue le fait d’envoyer et de recevoir des messages sans passer par la parole, mais au moyen d’expressions du visage (ex. les froncements des sourcils, écarquiller les yeux), des postures (ex. bras croisés sur la poitrine), des gestes (ex. pointer l’index), de diverses modalités d’un langage corporel. L’approche Snoezelen fait d’emblée référence à la communication non-verbale et est formalisée, entre autres, par des disciplines telles que l’éthologie8 et la proxémie9. Elle se base sur cet accès à notre monde sensible et les communications non-verbales axées sur le langage du corps. Le corps et les sens font toute la particularité de cette approche. L’approche d’accompagnement Snoezelen mise en évaluation quantitative Différents travaux témoignent lors d’études randomisées d’une diminution des troubles du comportement pendant la séance et d’une courte période suivant celle-ci. Différentes études sont en cours comme celle développée depuis février 2012 dans plusieurs services du pôle gérontologie du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nîmes. «En stimulant les cinq sens de la personne âgée grâce à la lumière, aux couleurs, à la musique, au toucher et aux senteurs, cette approche a pour objectif de détendre le patient et de l’ouvrir à son environnement tout en facilitant le travail de l’agent hospitalier», explique le CHRU. Pour vérifier si, depuis un an, cette forme d’accompagnement a amélioré le quotidien des équipes soignantes tout en participant au mieux-être des personnes âgées accueillies, une étude a été lancée au sein du pôle Gérontologie du Snoezelen en établissement d'hébergement pour personnes âges désorientées: des échanges de coeur à coeur N. Strube accompagnante aux Maisons de l’Arribet dans les Pyrénées Atlantiques, Ehpad (Etablissement d’hébergement pour personnes âges dépendantes) nous explique comment l'accompagnement Snoezelen crée des moments de partage et favorise un apaisement, une détente profitable à la personne âgée en difficultés émotionnelles, à ses condisciples et à l'équipe soignante. «L’accompagnement Snoezelen des personnes vivant au sein de l’Ehpad où je travaille s’inscrit dans un souhait d’améliorer la qualité de vie, le confort et le bien-être des résident(e)s. La plupart des personnes que j’accompagne sont désorientées, confuses, manifestent des troubles du comportement, ont une mobilité réduite et souvent ne communiquent plus verbalement. Mais j’aime plutôt décrire ce qui est vivant et présent en elles plutôt que ce qui fait défaut. Les moments de rencontre, de partage et de vie avec ces personnes me montrent que nous, êtres humains, avons besoin de relation, de l’autre, de sensorialité d’un bout à l’autre de la vie et que même si les mots disparaissent, si les notions de temps et d’espace se dissolvent dans des brumes inconnues, nous restons sensibles à ce qui se passe autour de nous, à la qualité d’un toucher, d’une présence, d’une atmosphère et restons capables de relations, légères, souriantes, graves, d’échanges profonds qui passent par d’autres canaux… de cœur à cœur. Les séances sont adaptées à chaque personne, à ses choix exprimés par les mots ou de manière non verbale, par un sourire, un élan du corps, un regard,… à son rythme propre et sans idée de résultat à obtenir, sans idée préconçue sur ce qui va se passer et sur la manière d’orienter la séance. Pour cet accompagnement, la dame âgée de plus de 100 ans, m’interpelle en tendant la main vers moi à mon passage près d’elle, je vois bien à son visage tiré, à cette main fortement tendue qu’elle n’est pas tranquille… Je lui propose de passer un moment ensemble, elle accepte d’un hochement de tête. Une fois seule dans la pièce, je m’assieds à ses côtés, et elle vient poser sa tête sur mon épaule. Je l’entoure alors de mon bras et nous restons ainsi, immobiles, respirant à l’unisson pendant près de 20 minutes. Puis, elle bouge doucement et progressivement, nous mettons fin à ce moment partagé et revenons vers les pièces à vivre communes. Elle participe en suivant à l’animation en cours, restant sou- riante et ouverte le reste de l’aprèsmidi dans la collectivité. J’accompagne cette autre dame en espace snoezelen, j’ai préparé un environnement musical, une atmosphère lumineuse tamisée et chaleureuse, il fait chaud dans la pièce, je sais la dame frileuse. Arrivée depuis peu dans l’établissement, elle est dans un état de santé amoindri avec de profonds escarres, douloureux, elle est dénutrie et visiblement angoissée, elle s’exprime par faibles écholalies. Je la connais peu au niveau de ses goûts, je sais qu’elle aime lire et j’ai préparé un livre sur les villages de France sans trop savoir s’il pourrait lui plaire ou pas. Elle accepte de découvrir la pièce qu’elle ne connait pas. Émerveillement à l’entrée en voyant la colonne à bulles devant laquelle nous resterons à satiété puis je lui propose le livre et nous le feuilletons ensemble avec intérêt, ajoutant des commentaires personnels. Lors du retour en salle commune elle partage avec l’entourage ce qu’elle vient de vivre. L’infirmière me dira le lendemain que les soins, habituellement très douloureux ont été mieux vécus, par la dame tout comme par elle ! DOSSIER CHRU. Il est prévu que cette étude globale inédite débute en mars 2013 et dure un peu plus d’un an. Elle comprend d’une part, un projet de recherche d’envergure nationale portant sur les effets du dispositif Snoezelen sur les patients âgés, soutenu par le CHRU de Nîmes et retenu, en décembre 2012, au titre du Programme national hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP); d’autre part, un projet d’évaluation de l’impact de ce dispositif sur le stress ressenti par les soignants chargés des seniors souffrant de maladies neuro-dégénératives, type Alzheimer. Au total, 6 infirmières et 18 aides-soignants officiant au sein de l’un des centres d’hébergement de longue durée pour personnes âgées du CHRU participeront à ce volet de l’étude. Plusieurs questionnaires leur seront remis afin d’évaluer leur bien-être et leur stress au travail, la reconnaissance dont ils estiment être l’objet ainsi que leur opinion sur les bienfaits ou non de l’approche Snoezelen. Sachant que l’enquête ne concerne ici que l’impact de l’approche Snoezelen sur la toilette du patient. J’entends lors des séances proposées : «je me sens bien», «quand est-ce que je reviens?», «j’attends ce moment depuis longtemps», «c ’est merveilleux, comme quand j’ étais petite», des souvenirs d’enfance, ou bien j’observe sourires, bâillements, soupirs, profondes respirations, déglutition, les yeux qui se ferment, des mouvements spontanés d’un membre, meilleure harmonisation du tonus, la détente de la main, extension possible des membres, déposé de la tête ou du dos sur le support… tous signes non verbaux de détente, de bien-être ou d’intériorisation… Pour le personnel soignant qui le pratique, snoezelen apporte aussi bien-être, plaisir, une autre vision de la personne, une relation hors du temps urgent des soins, a permis de comprendre et d’approfondir les modes sensoriels privilégiés de chaque résident et d’accompagner dans le bien-être les résidents jusqu’en fin de vie. l’observatoire n°80/2014 71