Hommes-dieux du Kerala

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Hommes-dieux du Kerala
photographie
Hommes-dieux du Kerala
[ Dominique Frétard | photos Marion Gronier ]
Hommes le jour, dieux la nuit. Au Kerala, cet Etat du sud-ouest de l’Inde, les danseurs des théâtres
sacrés – le kathakali est le plus connu –, une fois maquillés et habillés, se transforment en divinités
hindouistes dont le mythe remonte à la nuit des temps. La photographe Marion Gronier a capté
les moments fragiles qui accompagnent cette métamorphose.
I
Ci-dessus : un interprète de theyyam, à Kannur, Kerala. Le theyyam est une danse sacrée
du nord du Kerala, bien plus localisée et ancienne que le kathakali.
Page de droite : danseurs de kathakali, à Palakkad et à Chettikulangara, Kerala.
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l en faut du cran pour résister
à la splendeur scénique du
kathakali. Et même un certain
culot pour carrément lui
tourner le dos. Car ce théâtre dansé,
originaire de la province du Kerala, en
Inde, n’a rien d’une quelconque faribole :
il narre une épopée chaotique et grandiose, celle du Ramayana, pleine de crimes
et de métamorphoses, qui fonde la civilisation du sous-continent, son origine
spirituelle,métaphorique,où les hommes
et les dieux vivent en intelligence
magique avec les animaux. Tout y est
« hypertrop ». Mais, ô combien fervent,
infiniment populaire, et très actuel.
Face à ce monstre merveilleux, la
photographe Marion Gronier, non pas par
prudence, mais par instinct de survie, on
la comprend, choisit donc de laisser le
spectacle hors champ. La métamorphose, la possession, la peur, la passion,
l’épuisement, elle va tenter de les surprendre hors scène. Sur le visage même
des acteurs, sur leurs muscles. Elle met
en scène son propre théâtre, cherchant
à saisir d’autres identités, d’autres
illusions, dans ces instants fragiles où
les comédiens ne sont pas encore des
divinités mais déjà plus tout à fait des
humains. En train de disparaître sous
la couche épaisse du maquillage
ou pris au sortir de scène, quand la
tension relâche les nuques, les épaules.
Marion Gronier sait ce qu’elle
VOIR
fait. Car progressivement le À
« FIGURES », portraits
spectacle invisible affleure de danseurs sacrés
et surgit de ces portraits qui du Kerala de Marion
mêlent le vrai au faux, le mas- Gronier. Hudson
21, rue
culin au féminin, le trivial au éditions,
Las Cases, Paris-7 ,
spirituel. Les regards sont les samedis de
habités par la force de ce qui 11 heures à 19 heures
se joue sur scène. Par des et sur rendez-vous
légendes que chaque Indien au 06-87-61-47-87,
jusqu’au 3 novembre.
porte en lui de génération en
génération. Des acteurs comme arrachés
à la nuit des temps. Et si brutalement
nos contemporains.
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