Des logements qui échappent aux locaux

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Des logements qui échappent aux locaux
international
hébergement en ligne
Des logements qui
échappent aux locaux
L’ampleur de la location
de logements hôteliers
s’approprie une part
grandissante du marché
immobilier. Dans
l’intérêt des populations
locales, il faut agir.
Carlo Sommaruga
Secrétaire général
Asloca Romande
qu’ils soient d’ailleurs locataires ou propriétaires, et réaliser ainsi de l’argent facile hors
des formalités administratives
et fiscales locales.
Qui n’a pas encore cédé
à la tentation Airbnb ou à
celle d’une autre plate-forme
d’économie de partage dans le
secteur immobilier pour améliorer le rapport qualité-prix
de son voyage?
Des millions de voyageurs
sont sans doute prêts à remplacer l’hôtel par un petit logement bien placé au mobilier
design situé au cœur de la ville
à découvrir en quarante-huit
heures. La tendance semble
«Louez des logements uniques
auprès d’hôtes locaux dans plus
de 190 pays», «Ouvrez la porte
à un voyageur et à une nouvelle
vie», «Gagnez de l’argent en accueillant des voyageurs».
Cette réaffectation du parc
immobilier est insidieuse car invisible
contrairement à la transformation
luxueuse d’un immeuble
Par quelques slogans per- irrésistible et probablement
cutants sur la page d’accueil du irréversible. Le marché du losite Airbnb le ton est donné: gement hôtelier est en plein
séduire les voyageurs de la gé- bouleversement.
nération Easyjet qui bougent
frénétiquement à bas prix Prétendue redistribution
et ceux qui rêvent d’argent L’idée qu’Airbnb favorifacile. C’est payant de leur se la démocratisation et la reproposer de sortir de la froi- distribution de la rente fondeur standard des chambres cière loin de la bureaucratie
d’hôtel deux ou trois étoiles par l’obtention d’argent facile
pour leur offrir la chaleur ac- réalisé par la location hôteliècueillante d’un chez-soi de re à court terme de son logel’autre coté de la planète ou ment fait son chemin. Cette
dans le plus perdu des villages vision idyllique, reflet d’une
en chatouillant au passage leur société individualisée où tout
côté aventurier par la décou- peut être source d’argent, est
verte de logements originaux d’ailleurs colportée par les
et la mise en contact avec des médias, même ceux du service
autochtones… logeurs.
public.
Mais Airbnb tente de faire Mais derrière le phénopasser ses usagers de l’autre mène Airbnb, on assiste à une
côté du miroir en les amenant puissante réallocation des resà proposer leur propre loge- sources. Une part croissante
ment à la location hôtelière, du parc immobilier d’un ter-
“
”
16 — Droit au logement • Février 2016 n° 223
ritoire donné destiné à la location à long terme en faveur de
la population locale est transférée vers un marché immobilier globalisé et déterritorialisé
destiné à la consommation de
loisirs ou à la caste des expats
en mission.
Cette réaffectation du parc
immobilier est insidieuse car
invisible, contrairement à la
transformation luxueuse d’un
immeuble. Elle est diffuse dès
lors qu’elle ne repose pas sur
une décision politique sujette à
débat, mais sur l’accumulation
de milliers de décisions individuelles dans un no man’s land
juridique. Elle est importante dès lors qu’elle touche des
milliers de logements dans
les agglomérations, tout particulièrement celles desservies le week-end par les compagnies aériennes low-cost ou
celles abritant des événements
à résonance internationale tels
marché immobilier local par
Airbnb and Co. a déjà mobilisé les autorités des grandes
villes. Berlin, Paris, San
Francisco, New York... Des
durées minimales de location
d’une semaine ou d’un mois
ont été introduites.
Ailleurs, pour limiter
l’offre à la location partielle du
logement, c’est le logeur qui
est tenu de résider simultanément dans le logement. Mais
c’est insuffisant. De grandes
villes passent au contrôle des offres avec de lourdes
amendes comme à New York,
où elles peuvent atteindre
50 000 dollars.
Mouvements de protestation
Des mouvements citoyens
voient le jour en raison des
conséquences sociales provoquées par Airbnb. Des EtatsUnis, ils essaiment en Europe
et ailleurs.
“
Une part croissante du
parc immobilier destiné à la
population locale est transférée
vers un marché globalisé de la
consommation de loisirs
qu’ArtBasel, la Street Parade,
réunions d’experts, etc. Elle
est perfide, car, derrière le
rêve du voyage cosy et de l’argent facile, il y a une puissante pompe à fric qui transfert des millions de dollars de
commission, prélevés sur tous
les marchés immobiliers, pour
les concentrer en mains d’une
petite élite aux Etats-Unis sans
aucune fiscalisation locale.
Siphonage du marché
L’ampleur du siphonage du
”
Dans la région genevoise il y a environ
1000 logements inscrits sur cette plate-forme.
Cela représente environ 40 immeubles de 25 logements sortis
du marché local. Compenser
ces logements par la construction de nouveaux logements
coûte des millions de francs
aux pouvoirs publics et aux locataires, qui vivent dans un
marché déjà très tendu. En
Suisse aussi, il est temps de
réagir.