01.Guttmann (166)

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01.Guttmann (166)
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MAVRIDIS ET AL.
Sport History Review, 2004, 35, 138-150
© 2004 Human Kinetics Publishers, Inc.
Jeux dans la Ville Antique
de Larissa: Un Exemple de Jeux
Régionaux dans l’Antiquité
G. Mavridis, F. Filippou, St. Rokka, E. Varsami,
and K. Gallis
Démocrite Université de Thrace
Dans l’antiquité classique, lorsque les jeux se déroulaient à Olympie,
les anciens grecs ne pouvaient imaginer que, 2 500 ans plus tard, les jeux
Olympiques continueraient d’avoir lieu et même dans des endroits aussi
éloignés que Los Angeles, Séoul, Atlanta, Sydney—pour ne rappeler que
les villes qui les ont organisés ces vingt dernières années—, des régions de
notre planète dont ils n’auraient évidemment pu supposer l’existence avec
les connaissances géographiques de l’époque. Ni qu’ils se tiendraient tous
les quatre ans, comme alors, et dans le même esprit de concurrence pacifique
et loyale, uniquement pour la gloire de la victoire.
Si l’esprit d’émulation a atteint un si haut niveau en Grèce ancienne,
ce n’est sûrement pas le fruit du hasard. Cela est probablement dû au
· le moins
caractère même des Grecs dont on a dit que c’est « le peuple
grégaire du monde », donc que nous avons un sens de l’individualisme
très développé. Ce caractère est peut-être aussi lié, entre autres, à la configuration géographique de notre pays. L’émiettement des terres dans la
mer et le relief sont à l’origine d’une multitude de petites entités
géographiques et de nombreuses îles, des régions qui sont habitées depuis
l’époque préhistorique. Cette configuration a également contribué au
développement, dans l’Antiquité, de la cité-État autonome. Notre caractère
individualiste s’exprime aussi dans une tendance à l’antagonisme et l’esprit
de compétition a toujours été un facteur décisif dans l’histoire de la Grèce,
à l’époque de la guerre de Troie déjà. Et il se retrouve dans la création et le
développement des différents jeux1.
Mavridis, Filippou, and Rokka are with the Département de l’éducation physique et sciences du sport; Varsami is with Piramatiko Gymnasio Kozanis; and Gallis
is with the Département de l’histoire et de l’ethnologie at the Démocrite Université
de Thrace, Komotini, 69100—Grèce
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JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
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Les plus célèbres jeux de l’Antiquité étaient les jeux Olympiques qui
se déroulaient à Olympie, les Isthmia à l’Isthme de Corinthe, les jeux
Néméens à Némée et enfin les Pythia qui avaient lieu à Delphes. Mais on
organisait des jeux dans toutes les grandes cités de la Grèce ancienne, qu’ils
aient eu un caractère local ou un rayonnement plus vaste. La présente étude
s’intéresse aux différents jeux qui avaient lieu à Larissa aux époques
classique, hellénistique et romaine. Les quelques informations que nous
possédons sur eux proviennent de rares fragments d’écrivains anciens,
d’inscriptions et de monnaies. Certaines inscriptions, que l’on appelle
agonistiques, mentionnent des types de concours et des noms de vainqueurs
pour chaque sport ; elles constituent en fait la proclamation officielle des
résultats des jeux. Certaines représentations sur des monnaies de l’ancienne
Larissa sont éclairantes aussi2.
Dans l’Antiquité, Larissa était le siège de la Confédération thessalienne. Deux jeux principaux s’y tenaient. L’un, le plus ancien, était local—
il semble que seuls des habitants de Larissa y prenaient part—et il se répétait
probablement chaque année. On ne connaît pas son nom. Dans les inscriptions il est simplement cité comme « ο αγών » (le jeu). L’autre avait un
caractère panthessalien. Célébré tous les quatre ans en l’honneur de Zeus
Éleuthérios, il portait le nom d’« Éleuthéria » (célébration de la libération de
la domination macedoinne).
Les Éleuthéria furent célébrés pour la première fois en 196 av. J.-C.,
un an après que Philippe V de Macédoine, sous l’autorité duquel se trouvait
alors la Thessalie, eut été vaincu par les Romains et Quintus Flamininus à
Cynoscéphalai. Cet événement marqua en quelque sorte le début de la
libération de la Thessalie du joug macédonien3. La plupart des cités de
Thessalie s’étaient alors rangées du côté des Romains, contre Philippe. C’est
ainsi qu’elles inaugurèrent ces grandes fêtes auxquelles on donna le nom
d’Éleuthéria, pour fêter l’émancipation de la Thessalie. On construisit même
à Larissa un grand temple dédié à Zeus Éleuthérios4. Que les Éleuthéria
avaient lieu tous les quatre ans, comme les jeux Olympiques, on le déduit
d’une inscription du début du Ier s. av. J.- C5 mentionnant que les jeux se
déroulaient alors pour la vingtième et des fois (le chiffre des unités manque).
Nous commencerons notre enquête par les concours qui font partie
des Éleuthéria, lesquels ont débuté sensiblement plus tard que les jeux
annuels locaux et pour lesquels nous avons davantage d’informations, et
nous nous référerons ensuite aux concours des jeux locaux.
Éleuthéria
Les Éleuthéria étaient considérés pour la Thessalie comme un
événement important. Nous le savons du fait que l’« agonothète »—le plus
haut responsable du déroulement des jeux—était le stratège des Thessaliens
qui, à l’époque romaine, au moment de la 2e Confédération thessalienne,
exerçait le pouvoir politique et militaire le plus élevé en Thessalie.
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À Larissa, un assez grand nombre d’inscriptions nous sont parvenues
avec les noms des athlètes qui ont remporté les différents concours. Elles
commencent de la même manière, stéréotypée: « Alors qu’était agonothète
Untel… ont vaincu aux Éleuthéria . . . », avec ensuite les noms des
vainqueurs. Ou bien ainsi: « Alors qu’Untel était agonothète de tel concours
des Thessaliens, en l’honneur de Zeus Éleuthérios, sous la prêtrise de Zeus
Éleuthérios d’Untel. Voici les vainqueurs . . . » avec, à nouveau, les noms
des vainqueurs compétition par compétition6.
Grâce à ces inscriptions donc, nous apprenons quels étaient les
différents concours des Éleuthéria. Il y avait d’abord les jeux gymniques:
le stadion et le dolichos, des courses d’environ 200 m pour la première et 2
km pour la seconde (le dolichos). Pour les courses, les enfants, les éphèbes
(les « imberbes », disent les inscriptions) et les hommes7 étaient séparés. Il
y avait aussi une course en armes à laquelle prenaient part des coureurs
lourdement chargés d’armes défensives et offensives8. Les enfants, les
éphèbes et les hommes concouraient aussi dans des catégories séparées au
pentathlon, qui comprenait la course, le saut, le lancer du disque, le lancer
du javelot et la lutte9. Mais la compétition la plus dangereuse et la plus
dure, puisque les concurrents cherchaient de n’importe quelle manière à
épuiser l’adversaire, allant jusqu’à mettre en danger leur intégrité physique, était le pancrace. Le pancrace était une association de lutte libre et
de boxe qui se déroulait dans trois catégories, suivant l’âge des concurrents10.
Les Concours Hippiques
La cavalerie thessalienne était très réputée en Grèce ancienne. La vaste
plaine de Thessalie, la plus grande de Grèce, se prêtait admirablement au
développement de l’équitation et les divers jeux constituaient pour les
Thessaliens l’occasion rêvée de faire montre de leurs capacités équestres.
On n’est donc pas surpris que les courses de chevaux aient été les plus
importantes des épreuves, et elles donnaient aux Éleuthéria un cachet
thessalien. En même temps, elles constituaient la partie la plus spectaculaire
et la plus intéressante des jeux11.
Les concours hippiques peuvent être classés en deux grandes
catégories: les courses de chars et les concours purement équestres. Les
différentes courses de chars, d’après les témoignages épigraphiques, étaient
les suivantes:
La synoris pôlikè, course de chars tirés par deux poulains.
La synoris teleia, course de chars tirés par deux chevaux dans toute la
force de l’âge.
L’arma pôlikon, course de chars tirés par quatre poulains.
L’arma téleion, course de chars tirés par quatre chevaux dans toute la
force de l’âge.
JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
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Les courses de chevaux proprement dites étaient:
Le pôlikos kélès où les cavaliers montaient des poulains.
Le téleios kélès où les athlètes couraient avec des chevaux dans toute
la force de l’âge12.
L’aphippolampas, une course aux flambeaux à deux chevaux (le concurrent doit sauter de l’un à l’autre). Elle est originaire de Thrace, d’où elle
a été importée en Attique13 au Ve s. av. J.-C. Elle s’est vite diffusée dans
différentes régions de Grèce et elle était particulièrement prisée aux époques
hellénistique et romaine.
L’aphippodroma, une sorte de démonstration d’habileté équestre (une
course à deux chevaux où le concurrent doit sauter de l’un à l’autre). C’était
une course originale et particulièrement en faveur dans des régions où l’on
élevait des chevaux comme la Thessalie, Cyrène, la Sicile et le Sud de l’Italie.
On en déduit qu’il s’agissait d’une compétition complexe et dangereuse—
quelque chose comme ce que l’on appelait l’apobatikos agôn qui se déroulait
avec des chars, mais ici il n’y avait que des chevaux. Comme son nom
l’indique, alors qu’il était sur son cheval, le cavalier devait en descendre et
courir à côté de lui, sans lâcher les rênes ni perdre de la vitesse, et puis
remonter dessus14. Il est probable que cela devait se répéter plusieurs fois à
des endroits précis du parcours. L’aphippodroma était par excellence une
épreuve qui donnait l’occasion de faire montre de ses capacités en
équitation. Il semble qu’elle était comprise aussi bien dans le programme
des Éleuthéria que dans celui des jeux annuels locaux, au moins à partir du
IVe s. av. J.-C. Dans les concours d’aphippolampas et d’aphippodroma, les
athlètes venant de Larissa, de Phères et de Gyrtônè faisaient preuve de
capacités particulières et avaient d’excellentes performances, comme le
laissent entendre différentes inscriptions agonistiques où sont mentionnés
comme vainqueurs deux athlètes de Larissa, un de Phères et un de
Gyrtônè15.
L’importance de l’épreuve d’aphippodroma, en raison de l’intérêt
qu’elle suscitait dans le public, mais aussi en tant que caractéristique
ethnique, apparaît dans le fait qu’elle était représentée sur des monnaies
de Larissa depuis le IVe s. av. J.-C. Sur une drachme en argent de Larissa,
de la première moitié du IVe s. av. J.-C., on voit au droit la tête de la nymphe
Larissa (personnification de la cité) portant dans les cheveux une sphendonè
(sorte de bandeau). Au revers, est figuré un jeune homme vêtu d’une
chlamyde et coiffé d’un pétase (le chapeau à large bord typique des cavaliers, qui était particulièrement en usage en Thessalie pour se protéger
du soleil). Il tient le fouet et les rênes16. La représentation du cheval au
galop montre qu’il s’agit du concours que nous avons mentionné.
Autour de la scène, l’inscription: ΛΑΡΙΣΑΙΑ , c’est-à-dire drachme de
Larissa (Figure 1).
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Figure 1 — Drachme en argent de Larissa, du IVe s. av. J.-C. Au droit, tête de la
nymphe Larissa et, au revers, scène de course hippique.
La Chasse au Taureau
Les Éleuthéria, mais aussi les concours locaux, comprenaient la chasse
au taureau (taurothéria), un concours comparable aux taurokathapsies
(concours pour enfourcher un taureau) de la Crète minoenne. Sauf qu’ici
l’athlète poursuivait le taureau à cheval, l’excitant de multiples façons
jusqu’à épuisement. Au moment opportun, il sautait du cheval et saisissait
le taureau par les cornes.
Sur une drachme en argent du IVe s. av. J.-C., on voit au droit le cavalier au grand galop chassant le taureau, qui est figuré au revers de la
monnaie s’enfuyant en courant 17 (Figure 2). Finalement, le cavalier
s’approche du taureau en galopant à côté de lui. Héliodore, dans ses
Éthiopiques, écrites au IIIe s. ap. J.-C., donne une description très vivante de
cette phase: « Quand il l’eut habitué à sa vue et à ce manège, il [Théagène]
se mit à chevaucher côte à côte avec lui [le taureau]. Cheval et taureau
mêlaient leur souffle et leur sueur. Le rythme de leur marche était si bien
accordé que les deux têtes paraissaient de loin appartenir à un même animal. Théagène est vivement applaudi. On porte aux nues l’homme qui a
su, par un tour de force inouï, réaliser cet attelage d’un cheval et d’un
taureau»18.
Sur une autre drachme de Larissa, de la deuxième moitié du Ve s. av.
J.-C., est représenté au droit un jeune homme, qui tient le taureau par les
cornes, en train de courir et essayant de le terrasser. Il porte une chlamyde
qui vole au vent, tandis que le pétase est rejeté en arrière en raison de la
vivacité du mouvement. Au revers, le cheval court librement, les rênes
pendantes. Inscription: ΛΑΡΙΣΑΙΑ19 (Figure 3).
JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
Figure 2 — Drachme en argent de Larissa du
chasse au taureau.
IVe
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s. av. J.-C., avec une scène de
Figure 3 — Drachme en argent de Larissa, de la deuxième moitié du Ve s. av. J.-C.,
avec une scène de chasse au taureau.
Dans la dernière phase de la compétition, très dangereuse, le jeune
homme luttait avec le taureau, le tenant toujours par les cornes, jusqu’à
épuisement du taureau. Il faisait alors tourner la tête de l’animal, puis le
reste du corps en poussant avec force les cornes vers le sol de façon à
immobiliser la tête, tandis que les pattes s’agitaient dans l’air20. Une
représentation rare d’une monnaie de Larissa montre exactement cette scène
finale où le jeune homme pousse la tête du taureau vers le sol21 (Figure 4).
Les scènes de chasse au taureau sont également représentées sur des
monnaies de plus petite valeur. Sur les trioboles—une demi-drachme
puisque la drachme valait six oboles—, il n’est représenté que l’avant-train
du taureau avec le jeune homme suspendu à ses cornes, et au revers
seulement l’avant-train du cheval (Figure 5). Sur les monnaies encore plus
petites, les trihémioboles—le quart de la drachme—, seule la tête du taureau
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Figure 4 — Drachme en argent de Larissa avec une scène de chasse au taureau.
Figure 5 — Triobole en bronze de Larissa avec une scène de chasse au taureau.
taureau. Le troisième est au galop. Dans la quatrième scène, le cheval est
sans son cavalier. Vers la droite, le jeune homme est assis sur le taureau
qu’il a culbuté sur le sol, pattes en l’air. Dans la dernière scène, le cavalier
est prêt à descendre du cheval, en passant au-dessus de l’encolure, et à
sauter sur le taureau qu’il a attrapé par les cornes. À la fin, toujours d’après
Héliodore23, les serviteurs devaient se précipiter vers le taureau vaincu,
lier le col avec des cordes et le mener à l’autel pour le sacrifice.
Il semble qu’il y ait eu en Thessalie une tradition très vivante
concernant ce type de compétition, issue entre autres de la vie pastorale,
particulièrement dure dans la vaste plaine de Thessalie. Ce n’est
probablement pas par hasard que les anciens avaient fixé en Thessalie le
cadre géographique associé aux mythes des centaures, montrant le rapport étroit entre les habitants de la région et les chevaux dans la vie de tous
les jours24.
Une théorie veut que les taurokathapsies aient eu une signification
religieuse. D’après Cook, il s’agissait d’un véritable rituel lié à la fécondité25.
JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
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est représentée de face avec le haut du jeune homme suspendu aux cornes,
et au revers rien que la tête du cheval (Figure 6). La représentation très
succincte exprime symboliquement la faible valeur de la pièce—la moitié
ou le quart de la drachme.
Un relief de Smyrne qui se trouve maintenant à l’Ashmolean Muséum
d’Oxford est très éclairant sur les différentes phases de la chasse au taureau22.
Il porte l’inscription Ταυροκαθαψίων ηµέρα Β’ (deuxième jour des
Tavrokathapsi). Il représente cinq cavaliers vêtus de tuniques courtes, dans
des jeux de chasse au taureau (Figure 7). Le premier, au grand galop, le
bras levé vers l’avant donne l’impression qu’il poursuit le taureau supposé
être devant lui. Le deuxième est tourné vers la gauche, vers le spectateur,
et saisit le taureau par les cornes. On distingue la tête du cheval devant le
Figure 6 — Trihémiobole en bronze de Larissa avec une scène de chasse au taureau.
(Seules sont représentées la tête du taureau avec le haut du taurélatès [celui qui
excite le taureau] à droite et la tête du cheval).
Figure 7 — Relief de Smyrne, aujourd’hui à l’Ashmolean Museum d’Oxford,
avec des scènes de chasse au taureau.
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Il a également été dit que les concours de chasse au taureau thessaliens ont
leur origine dans les taurokathapsies minoennes. Pourtant, il existe des
différences essentielles: les taurokathapsies minoennes telles qu’elles nous
sont connues par les fresques des palais et les représentations sur vases, se
faisaient sans chevaux et elles avaient un caractère essentiellement
acrobatique, tandis qu’en Thessalie on poursuivait le taureau à cheval et,
une fois terrassées, l’animal était conduit au sacrifice. Aucun élément ne
permet de relier les concours de chasse au taureau qui avaient lieu en
Thessalie à l’époque historique aux taurokathapsies de la Crète minoenne26.
Comme l’a montré Axénidis, il paraît plus vraisemblable que la chasse
au taureau sous la forme qu’elle prenait à Larissa, c’est-à-dire avec l’usage
du cheval, avait sa source en Thessalie, et était liée aux conditions sociales
et à l’environnement naturel, à savoir les grandes propriétés, les capacités
équestres des Thessaliens et les besoins pratiques de la vie quotidienne des
bergers qui devaient capturer les taureaux des troupeaux, dans l’immensité
de la plaine de Thessalie. Il semble probable que les diverses fêtes
religieuses, et en particulier le culte de Zeus Éleuthérios à Larissa, le siège
de la Confédération thessalienne, offraient simplement un cadre aux
différentes manifestations ethniques et sociales de la vie thessalienne27.
Plus tard, aux époques hellénistique et romaine, ces concours se sont
diffusés sur la côte Est de l’Egée—comme le montre le relief de Smyrne—
avec laquelle il existait des relations étroites. À l’époque romaine, quand la
Thessalie s’est trouvée sous la domination des Romains, ces compétitions
sont arrivées jusqu’en Occident, à Rome. Pline dit que ce spectacle fut
introduit à Rome par Jules César. Visiblement, celui-ci avait eu l’occasion
de voir les spectacles en question lors de son expédition contre Pompée en
Thessalie. Suétone aussi témoigne que Claude présenta ce spectacle aux
Romains28.
Il semble qu’à l’époque romaine les concours avec les taureaux
comptaient parmi les spectacles les plus prisés de tout l’empire romain et
qu’ils arrivèrent jusqu’en France et dans la péninsule Ibérique. C’est dans
ces spectacles qu’ont leur origine les corridas qui se déroulent encore
aujourd’hui en Espagne. Il a également été dit que, par l’intermédiaire des
Espagnols, la coutume s’est répandue en Amérique où elle est encore vivante
dans certains États de l’Ouest et connue sous le nom de steer-wrestling. Et
en effet, des scènes de parade et concours d’adresse pour la capture de
taureaux dans les rodéos par des cow-boys à cheval présentent d’étonnantes
ressemblances avec les chasses au taureau29.
Jeux Locaux
Comme nous l’avons dit au début, en dehors des grandes fêtes des
Éleuthéria, il y avait à Larissa, si l’on en croit les témoignages épigraphiques,
d’autres jeux qui se déroulaient probablement chaque année. C’était des
jeux locaux, qui n’avaient pas un caractère panthessalien. La responsabilité
JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
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de ces jeux incombait au chef des cinq tages qui avaient le pouvoir suprême
dans la cité aux époques classique et hellénistique. Dans les inscriptions,
ces jeux sont mentionnés simplement comme « agôn » (le jeu). On ne sait
même pas à quel dieu ils étaient dédiés. Il est possible qu’ils l’aient été,
comme le propose Axénidis, à Athéna Poliade ou à Apollon Kerdôos, les
deux divinités les plus importantes de Larissa30.
Le programme des jeux locaux annuels semble avoir été très riche et
comporter divers types de jeux gymniques, des concours hippiques et des
concours de musique. Certains de ces concours ne paraissent pas avoir été
compris dans les jeux panthessaliens des Éleuthéria. Dans les différentes
inscriptions agonistiques31 sont mentionnés les concours suivants:
Courses: Stadion et Dolichos.
Course aux flambeaux pour les jeunes gens. Dans les inscriptions il
est question de παίδεσ λαµπαδιστα (en traduction: enfants avec flambeaux).
Course en armes. Il y avait aussi une épreuve militaire qu’on appelait
prosdromè, c’est-à-dire une charge sur trois vagues successives de cavaliers,
de fantassins et de chars tirés par deux chevaux. C’était en quelque sorte
une reconstitution de la bataille antique sous ses trois formes principales32.
Il y avait aussi la boxe et le pancrace (éphèbes et hommes séparément). Les
inscriptions mentionnent: παίδεσ πύκται (concours de boxe, catégorie
enfants), άνδρεσ πύκται (concours de boxe, catégorie adultes).
Et puis divers jeux de tir, à pied et à cheval séparément: σκοπώ πεζών
(concours de tir à pied) , σκοπώ ιππέων (concours de tir à cheval) , τόξω
(concours de tir à l’arc).
Naturellement, on comptait aussi la compétition très prisée de chasse
au taureau que nous avons décrite ci-dessus et qui est toujours mentionnée
en premier dans les listes.
Et puis les deux sports composites que nous avons cités: aphippolampas
(course aux flambeaux équestre) et aphippodroma (concours d’adresse à
cheval).
Un autre sport équestre complexe qui, à Larissa, n’est cité que dans
les inscriptions se référant aux jeux locaux mais dont il est très probable
qu’il était aussi inclus dans le programme des Éleuthéria, l’αποβατικόσ
αγών, était une compétition spectaculaire que l’on retrouve dans les jeux
d’autres régions de Grèce. Il s’agissait d’une sorte de course de chars, lors
de laquelle l’homme qui montait dans le char à côté du cocher devait sauter
en certains endroits du parcours, courir derrière le char et remonter alors
que celui-ci roulait à grande vitesse. C’était terriblement dangereux parce
qu’il risquait d’être écrasé par d’autres chars33.
Jeux Musicaux et Autres Jeux
Dans les Éleuthéria comme dans les jeux locaux, en dehors des
différents concours gymniques et hippiques, le programme incluait aussi
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MAVRIDIS ET AL.
des concours musicaux. Plus précisément, il comprenait des concours de
trompettes et de hérauts. Si ces concours étaient semblables à ceux
d’Olympie, le concours était destiné à faire connaître la trompette ou la
voix qui s’entendait le plus loin34. Les vainqueurs avaient respectivement
l’honneur de jouer de la trompette et d’annoncer les noms des athlètes pendant la durée des jeux. Aux Éleuthéria étaient aussi organisés des concours
d’aulos (flûte), de cithare et de citharodie (la guitare accompagnée une chanson ), comme l’attestent les diverses inscriptions agonistiques35. Nous
voyons qu’il y avait dans l’Antiquité des manifestations analogues à ce
que nous appellerions aujourd’hui l’Olympiade culturelle.
Dans les jeux locaux de Larissa, on comptait même des concours
purement littéraires. C’étaient, comme les appellent les inscriptions, les
λογικά εγκώµια (concours d’éloges rédigés en prose), les επικά εγκώµια
(concours d’éloges en vers épique), et diverses épigrammes36. On a aussi
recensé deux sortes de concours de récitation: la παλαιά καταλογή (un
concours de poésie dans les règles de la métrique ancienne) et la νέα
καταλογή (un concours de poésie avec la nouvelle prononciation de la
langue)37. Les inscriptions auxquelles se réfèrent ces concours de poésie
datent du temps d’Auguste, de l’époque de la naissance du Christ. La langue
grecque que l’on parlait alors était ce qu’on appelait la « koinè » (la langue
commune). Ainsi, comme permettent d’en déduire les inscriptions, les concurrents pouvaient présenter des poèmes soit selon la métrique ancienne,
soit dans la prononciation nouvelle, ce qui veut dire que la « prosodie »
antique, la prononciation différenciant syllabes longues et brèves, devait
déjà avoir été supprimée38. En d’autres termes, on voit qu’on avait déjà à
l’époque romaine le problème de deux langues, comme qui dirait la
katharévoussa (langue pure) et la démotique (populaire).
Remarques d’Ordre Général
Les diverses inscriptions nous apprennent que les Éleuthéria
accueillaient des athlètes et des artistes non seulement de Thessalie mais
d’autres régions du monde grec, et même des colonies lointaines. C’est
ainsi que dans les différentes listes sont mentionnés des vainqueurs de
Béotie, de différentes cités d’Asie Mineure (comme Éphèse, Magnésie du
Méandre, Milet, Cyzique, etc.). Et puis aussi de Cumes en Italie du Sud, de
Syracuse, de Patras, de Corcyre, d’Epire et d’îles de l’Égée, comme Thassos
et Kos39. Bien sûr, nombreux étaient les vainqueurs des cités de Thessalie.
En dehors de Larissa, ils venaient de Métropoles en Thessalie de l’Ouest,
de Kiérion, d’Atrax, de Phères et de Gyrtônè. La plupart d’entre eux s’étaient
distinguée dans les concours hippiques, comme l’aphippodroma, la synoris
et les autres types de courses de chars40. Au nombre des vainqueurs de
courses de chars, on signale deux femmes, de Larissa: Aristokleia, fille de
Mégaklès, qui avait gagné la course de chars tirés par deux poulains et
Épionè, fille de Polyxénos, qui avait gagné au char tiré par quatre chevaux41.
JEUX DANS LA VILLE ANTIQUE DE LARISSA
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Il nous faut préciser ici que ce n’était pas les femmes elles-mêmes qui
couraient. Les chars étaient conduits par des cochers, mais on mentionnait
comme gagnantes les propriétaires des chars.
Les jeux panthessaliens des Éleuthéria comme les jeux locaux, laissent
entrevoir le rôle essentiel que jouait Larissa dans les différentes activités en
Thessalie, surtout en raison de sa position centrale dans cette région de
Grèce. Les Éleuthéria étaient pour la Thessalie la plus belle fête, quelque
chose comme les Panathénées en Attique. Les divers concours musicaux et
littéraires témoignent aussi d’une vie spirituelle intense. L’exercice du corps
et l’entraînement de l’esprit ont contribué à la création de l’individu dans
lequel les dons physiques, spirituels et moraux se trouvaient en coexistence harmonieuse, donnant naissance au type idéal de l’homme considéré
comme kalos kagathos (un homme bon).
Notes
1
Konstantinos J. Gallis, “The Games in Ancient Larissa” in The Archeology of
the Olympics. The Olympics and Other Festivals in Antiquity, ed Wendy J. Raschke
(The University of Wisconsin Press 1988, 217.
2
Pour une présentation d’ensemble des jeux en Thessalie ancienne, voir
Axénidis 1947. Pour recension des jeux, surtout à Larissa, voir Gallis 1988.
3
Th. D. Axénidis, Les jeux antiques thessaliens et leur importance culturelle,
Athènes, 1947, 9(en grec).
4
Th. D. Axénidis, La Larissa pélasgique et la Thessalie antique, vol 2, 1949,
170-171 (en grec).
5
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 528. (Berolini apud Georgium 1908). Axénidis,
1947, 10.
6
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 525, 528 (1908).
7
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 534 (1908).
8
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 526 (1908).
9
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 525, 528, 534 (1908).
10
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 526, 527 (1908).
11
Axénidis 1947, 12-15. Gallis, 1988, 219-225.
12
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 526 (1908).
13
Nikolaos Yalouris, Manolis Andronicos, Ioannis Th. Kakridis, Th.
Karaghiorga-Stathakopoulou, B.A. Kyrkos, M. Pentazou, K. Paleologos, J.
Sakellarakis, The Olympic Games in Ancient Greece (Athens: Ekdotike Athenon, 1982),
251.
14
Yalouris et al., 1982, 246.
15
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 527, 534 (1908).
16
Percy Gardner, A Catalogue of the Greek Coins in the British Museum: Thessaly
to Aetolia, pl. V, 11 (London: Longmans, B. Quaritch 1883).
17
Gardner, 1883, pl. V, 13.
18
J. Maillon trad. Ethiopika X28 de Héliodore (Paris: Les Belles Lettres).
19
Colin Mackennal Kraay et Max Hirmer, Greek Coins, pl. 148, N0 466, (New
York, sans date d’édition).
20
Axénidis 1947, 16. L. Robert, Deux épigrammes de Philippe de
Thessalonique, Jsav (avril-juin 1982), 139-162.
150
MAVRIDIS ET AL.
21
Sylloge Nummorum Graecorum, Danish National Museum, Thessaly—
Illyricum, (Copenhagen E. Munskgaard: 1942 – 1943, pl.3, 113).
22
Robert, 1982, 152s.
23
Maillon trad. Ethiopika X30 de Héliodore.
24
Axénidis 1947, 19 & 23. Gallis, 1988, 223.
25
A.B. Cook, Zeus: A Study in Ancient Religion (I. Cambridge: 1914), 499s.
26
Gallis, 1988, 224.
27
Axénidis 1947, 22-23.
28
Robert, 1982, 151.
29
C. Seltman, Greek Coins, London, 1965, 160.
30
Axénidis 1947, 37- 44.
31
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 527, 531, 532 (1908).
32
Axénidis 1947, 41.
33
Yalouris et al., 1982, 246 - 247.
34
Yalouris et al., 1982, 128 - 129.
35
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 525, 528, 534 (1908).
36
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 531, (1908).
37
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 531, 532 (1908).
38
Axénidis 1947, 42.
39
Axénidis 1947, 26-28.
40
Axénidis 1947, 28-32.
41
Inscriptiones Graecae, IG IX 2, 526 (1908). Axénidis 1947, 28-29.
Remerciements
Les auteurs remercient chaleureusement Mme Mando Œconomidès, Docteur,
Éphore honoraire des Antiquités et ancienne Directrice du Musée Numismatique
d’Athènes pour les facilités qu’elle leur a accordées lors des prises de vue des figures 1 à 5 et de l’étude des monnaies au Musée Numismatique d’Athènes.
Les auteurs remercient l’archéologue du Musée de Volos, le Docteur Roula
Doulgéri-Intzésiloglou qui leur a accordé toutes les facilités pour prendre la
photographie de la fig. 6.
Les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements au Directeur du Musée
Épigraphique d’Athènes, Ch. Kritzas qui leur a signalé l’existence du relief de la
figure 7.

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