La « deuxième transition » des PECO
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La « deuxième transition » des PECO
DOSSIER 2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE » La « deuxième transition » des PECO WLADIMIR ANDREFF* L L’élargissement de l’Union européenne profitera aussi bien à ses membres actuels qu’aux nouveaux entrants. Pour les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), les échanges avec l’Ouest et la modernisation institutionnelle liée à l’adhésion ouvrent des perspectives de croissance – même s’ils connaissent actuellement une baisse de la protection sociale et un accroissement des inégalités. Mais, après leur conversion à l’économie de marché, il leur faudra affronter une deuxième période de transition avant de devenir membres à part entière de l’Union, et de bénéficier pleinement de ses mécanismes de solidarité. Une épreuve difficile pour la cohésion européenne, et dont les principes mêmes de certains « acquis » communautaires pourraient sortir transformés. L e sommet européen de Copenhague de décembre 2002 a clos les négociations avec dix pays, dont huit d’Europe centrale et orientale (PECO)1, pour une adhésion définitive à l’Union européenne au 1er mai 2004. Le traité d’adhésion ayant été signé à Athènes le 16 avril 2003, les populations se prononcent par référendum sur l’adhésion de leurs pays à l’UE. La Lettonie sera le dernier pays à le faire le 20 septembre 2003. De l’adhésion, les PECO espèrent des gains2, dont certains se sont déjà concrétisés. L’UE elle-même a à gagner, sur le plan économique, à cet * Professeur à l’Université de Paris 1, directeur honoraire du ROSES (CNRS). Dernier ouvrage publié : La mutation des économies post-socialistes. L’Harmattan, 2003. élargissement, et en a déjà engrangé quelques bénéfices. Ce « jeu à somme positive » va cependant connaître une fin de partie plus délicate, sur la question du partage des gains après l’adhésion. La solution de ces difficultés fait entrer les PECO dans une deuxième phase de transition, après celle qui les a conduits de l’économie planifiée à l’économie de marché. UN JEU À SOMME POSITIVE A daptation institutionnelle à l’acquis communautaire, intégration économique et commerciale, croissance au sein d’un marché unique élargi, plus forte attraction de l’investissement direct étranger, convergence macroéconomique, rattrapage de développement, perspectives d’entrée dans l’euro à terme : tels sont les principaux gains, inégaux mais positifs, que les nouveaux entrants – comme les membres actuels de l’UE – peuvent attendre de l’élargissement. Le principal bénéfice est certainement d’ordre qualitatif et institutionnel. En adoptant l’acquis communautaire, les PECO se sont dotés des règles, lois et institutions nécessaires au fonctionnement normal d’une économie 1 Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie ; hors PECO : Chypre et Malte. L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie est reportée à 2007. 2 Andreff W., « Quand les PECO font leurs comptes », Sociétal, n°32, 2e trimestre 2001. Sociétal N° 41 e 3 trimestre 2003 105 DOSSIER LES ÉTAPES DE L’ÉLARGISSEMENT 4 Le gouverneur de la Banque de France, JeanClaude Trichet, appelait encore récemment les nouveaux Etats membres à la lutte contre le blanchiment des capitaux et à la traque des fonds utilisés par le crime organisé et le terrorisme (voir « L’euro, l’eurosystème et l’élargissement de l’Union européenne », Bulletin de la Banque de France, n°107, novembre 2002). 5 W. Andreff, « The New Multinational Corporations from Transition Countries », Economic Systems, vol. 26, n°4, décembre 2002. Sociétal N° 41 3e trimestre 2003 106 L’actuel élargissement de l’UE est l’aboutissement d’un processus entamé en 1993 avec l’entrée en vigueur des accords européens d’association, créant à l’horizon 2002 une zone de libre échange entre les PECO et l’UE, puis se prolongeant par la période de pré-adhésion, ouverte en 1999. Durant cette période, sont versées des aides spécifiques aux PECO (programmes PHARE, SAPARD pour l’agriculture , ISPA pour les transports et l’environnement). Ces instruments de préadhésion doivent être éliminés et intégrés dans les fonds structurels d’ici à 2006. de marché – et au minimum de confiance qu’il requiert. Les libertés publiques, la libre circulation des personnes et de l’information, et la sécurité y sont globalement assurées. Du moins dès lors que les lois et règles y sont bien appliquées : il existe encore, en effet, d’importantes marges de progression. Pour donner quelques exemples, les lois sur les faillites sont encore peu effectives dans ces pays. Le droit des sociétés a été mis en conformité avec l’acquis communautaire,mais sa mise en œuvre réelle doit encore beaucoup s’améliorer, en particulier pour la protection des droits des actionnaires minoritaires et le gouvernement d’entreprise. La politique de la concurrence et l’octroi des aides publiques ont posé des problèmes jusqu’à la fin des négociations, notamment avec la Pologne (sidérurgie), la Hongrie et la République tchèque (automobile), ainsi qu’avec la Slovaquie.Son application ne se fera pas sans douleur dans les PECO où existent toujours des subventions qui faussent la concurrence, une collusion entre l’Etat et les entreprises, et où les privatisations souffrent d’un opacité certaine. La corruption, la présence d’organisations criminelles, une justice pas encore indépendante et man- 2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE » quant de moyens, et le faible degré de décentralisation sont régulièrement dénoncés par la Commission européenne. La répression de la criminalité économique et de la corruption4 dans ces pays a encore de beaux jours devant elle et sera, pour tous les membres de l’UE, un des gains les plus substantiels de l’après-adhésion. L’entrée des PECO devrait aussi stimuler leur croissance : on escompte un rythme de 4 % par an en moyenne en régime normal, de plus de 4,5 % dans les scénarios optimistes. Il en résultera un gain pour l’ensemble de l’UE ; cependant, étant donné le faible poids des PECO (4 % du PIB communautaire élargi), le surplus de croissance pour les membres actuels sera de l’ordre de 0,1 % par an. La moitié de cette amélioration sera due à l’effet de création du marché unique à 25 (puis 27), avec une transmission par les gains de productivité (aujourd’hui en hausse dans les PECO). L’Ouest devrait aussi bénéficier de l’apport d’une population en général bien formée et qualifiée (les dix nouveaux membres représenteront 15 % de la population de l’UE élargie et 19 % de sa superficie) et de la constitution d’une puissance économique assise sur un marché de 375 millions de consommateurs. L’INTÉGRATION EST DÉJÀ EN MARCHE L es avantages liés au commerce international se sont déjà assez largement concrétisés, avant même l’adhésion, grâce aux effets des accords européens d’association. Ces gains sont majeurs pour les PECO, puisque leurs partenaires de l’UE comptent aujourd’hui pour près de 70 % de leur commerce total (contre 40 % en 1990). En outre, la qualité de leurs exportations s’élève, le poids dans celles-ci des produits intensifs en ressources naturelles et en travail non qualifié régresse au profit de produits intensifs en travail qualifié et en technologie. Pour les quinze pays membres de l’UE, l’impact est plus limité, les PECO pesant moins de 4 % de leur commerce extérieur ; il est cependant positif, puisqu’ils ont réalisé ensemble, en 2002, un excédent commercial de plus de 20 milliards d’euros dans les échanges avec les futurs membres. La progression du commerce entre l’UE et les PECO est, en partie, impulsée par l’investissement direct étranger (IDE). Le stock d’IDE entrant dans les PECO est passé de 12 milliards de dollars en 1993 à 69 milliards en 1998 et 122 milliards en 2001, avec l’amélioration du climat d’investissement, du risque-pays et du régime (notamment fiscal) des IDE qui a accompagné la convergence institutionnelle. La pression fiscale rapportée au PIB varie de 26,8 % en Lituanie à 38,6 % en Slovénie : ce sont là des niveaux inférieurs à ceux de l’Irlande et du Portugal. L’immense majorité des IDE (78 %) a été réalisée par des sociétés mères originaires des pays de l’UE, surtout allemandes. Fin 2002, les entreprises françaises possédaient 2 182 filiales en Roumanie, 582 en Pologne, 347 en République tchèque, 142 en Hongrie, 123 en Slovaquie, 38 en Lettonie, 31 en Slovénie, 22 en Estonie et 16 en Lituanie. Plus récemment, les firmes des PECO ont commencé à se multinationaliser à leur tour, y compris par de premiers investissements dans l’UE, bien que la zone de prédilection de leurs IDE sortants reste pour l’instant l’ex-CAEM5. Derrière la croissance et la taille du marché se profilent la perspective du développement économique des PECO et la nécessité de leur rattrapage (convergence réelle), puis l’amélioration de leur stabilité macroéconomique (convergence nominale), condition préalable à leur entrée dans l’euro. Le niveau de développement de ces pays (mesuré par le PIB par tête en parité de pouvoir d’achat) est actuellement de 35 % de la moyenne de l’UE, la Slovénie étant LA « DEUXIÈME TRANSITION » DES PECO LES PECO ET L’UNION Tableau 1. NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT, SALAIRES, PAUVRETÉ ET INÉGALITÉS Pays PIB/habitant, SPA, en euros(1) 1996 2000 2000 UE 15 10 PECO Bulgarie Estonie Hongrie Lettonie Lituanie Pologne Rép. tchèque Roumanie Slovaquie Slovénie 18 500 6 664 4 600 6 100 8 600 4 700 5 300 6 200 12 000 6 100 8 500 12 200 22 416 7 919 4 935 8 193 11 267 6 131 6 380 8 120 12 888 5 791 10 527 15 705 100 35,3 22,0 36,5 50,3 27,4 28,5 36,2 57,5 25,8 47,0 70,1 Salaires bruts en euros(2) 1996 1999 1999 3634 319 105 282 304 257 252 405 343 118 241 886 243 55 195 245 192 144 257 285 99 209 750 Pauvreté(3) 1998 2000 Inégalités(4) 1991 1999 33,0 40,0 2,0 23,0 46,0 13,0 1,0 22,0 1,0 1,0 0,262 n.d. 0,291 0,249 0,385 0,242 0,210 0,205 n.d. 0,269 100 8,8 2,9 7,8 8,4 7,1 6,9 11,1 9,4 3,2 6,6 24,4 18,0 19,3 15,4 34,8 22,5 18,4 0,8 44,5 8,6 1,3 n.d. n.d. 0,349 0,332 0,363 0,305 0,257 0,381 n.d. 0,305 (1) (2) Standard de pouvoir d’achat. Source : Eurostat. Salaire moyen mensuel (source : Deutsche Bank) Population vivant avec moins de 4 dollars par jour (% de la population totale) (4) Indices de Gini relatifs aux inégalités de revenus, selon J. Rutkowski, « Earnings inequality in transition economies of Central Europe : trends and patterns during the 1990’s », World Bank, 2001. (3) Tableau 2. CONVERGENCE NOMINALE ET CONVERGENCE RÉELLE Indicateurs (en %) 1992 Nominaux Taux d’inflation moyen des 10 PECO 364 Taux d’inflation moyen de l’UE 4,7 Déficit budgétaire/PIB des 10 PECO 4,9 Réels Taux de croissance du PIB des 10 PECO -11,5 Taux de croissance du PIB de l’UE 1,1 Taux de chômage dans les 10 PECO 8,1 Taux de chômage dans l’UE 8,5 Source : Andreff W. (2003). (1) Estimation BERD à 70 %, la Lettonie à 27 % et la Bulgarie à 22 % (tableau 1). Leur taux de croissance économique a rattrapé celui de l’UE en 2000 et le dépasse nettement depuis lors. Il en est de même pour la croissance de la productivité. Au rythme actuel, le rattrapage prendra tout de même entre 15 et 40 ans, selon les pays. Plus l’écart se réduira dans 1995 1997 1999 2000 2001(1) 2002(2) 27,6 3,0 2,9 132 2,0 2,3 11,5 1,3 3,5 10,0 2,5 2,7 8,7 2,6 2,9 6,2 4,2 3,3 9,5 9,9 2,8 3,3 9,4 9,5 1,0 3,7 11,8 9,0 4,2 4,3 11,9 8,1 4,2 1,7 11,8 7,6 3,6 3,4 1,8 (2) Prévision les prochaines années, moins difficile sera le partage des avantages des politiques communautaires. Un des indicateurs de la convergence nominale peut se lire dans les taux de change. Les monnaies des Etats baltes et le lev bulgare ont une parité fixe par rapport à l’euro. La plupart des autres devises sont en cours de stabilisation (voir page 110 l’article de Nicolas Meunier). Après une période de transition d’au moins deux ans dans le mécanisme de change européen, et à condition de respecter les critères du pacte de stabilité en matière de taux de change, d’inflation, de taux d’intérêt, de déficit budgétaire et de dette publique (tableau 2), les monnaies des PECO Sociétal N° 41 e 3 trimestre 2003 107 DOSSIER 6 J. Fayolle, « Acquis social, acquis communautaire ? La solidarité à l’épreuve de l’élargissement », Chronique internationale de l’IRES, n°79, novembre 2002. 7 Conclusion vers laquelle convergent tous les tests économétriques (voir W. Andreff, « The Global Strategy of Multinational Corporations and their Assessment of Eastern European and C.I.S. Countries » ; V. Tikhomirov, ed., Anatomy of the 1998 Russian Crisis, CERC, University of Melbourne 1999 ; et K. Meyer, Direct Investment in Economies in Transition, Edward Elgar, Cheltenham 1998). Sociétal N° 41 3e trimestre 2003 108 2. LES DILEMMES DE LA « GRANDE EUROPE » Après avoir lancé au début une politique de protection sociale assez généreuse pour faire face à la montée des inégalités et de la pauvreté, les PECO ont révisé en baisse ces régimes d’aide trop coûteux. Par exemple pour les allocations de chômage : interdiction de cumul, durcissement du pointage au bureau local de l’emploi, cessation de l’assistance aux chômeurs en fin de droit, durée maximale de versement réduite, contrepartie forcée en travail, taux de remplacement abaissé. Même durcissement pour les allocaLES COÛTS SOCIAUX tions familiales, les allocations-logeDE LA TRANSITION ment, les bourses d’étudiants, etc., ’ombre la plus importante dans dans tous les PECO. L’âge légal de ce paysage concerne le départ à la retraite a été domaine social. L’Europe Après avoir repoussé très au-delà de 60 sociale n’est déjà pas le fer lancé des ans pour les hommes (et de de lance de la construc55 ans pour les femmes). A tion européenne. L’adhé- politiques de part la Slovénie, tous les sion ne devrait pas la protection PECO ont fait croître rapirenforcer, au contraire, sociale dement les cotisations d’autant que l’acquis comsociales et ont adopté le munautaire que les PECO généreuses, régime de retraite recomdoivent assimiler est loin tous les PECO mandé par la Banque mond’être la réunion des les ont revues diale, reposant sur trois acquis sociaux ancrés dans piliers : l’ancien système par les réalités nationales des à la baisse. répartition et deux systèmes Quinze6. Depuis 1990, par capitalisation, l’un comdans les PECO, l’emploi est en plémentaire obligatoire et l’autre supbaisse, le chômage, les inégalités de plémentaire facultatif. Compte tenu revenus et la pauvreté sont en des difficultés des Quinze dans beauhausse. Après avoir convergé vers coup de ces domaines, une certaine celui de l’UE, de 1992 à 1998, leur fragilisation du modèle social eurotaux de chômage moyen s’est mis péen, dont la base légale communauà remonter pour atteindre 12 %, taire est le traité d’Amsterdam entré alors qu’il baissait en dessous de 8 en vigueur en 1999, ne peut être % dans l’UE. Outre des situations exclue. très inégales sur le marché du travail entre les citoyens des anciens En revanche, les craintes naguère et des futurs pays membres, l’adexprimées d’un « dumping social » hésion va se traduire par un surcroît passant par des délocalisations de de plus de 5 millions de chômeurs production massives vers les PECO dans l’UE élargie. Le chômage des sont moins à craindre, pour deux raijeunes est particulièrement élevé sons : les deux tiers des IDE entrant dans les PECO (28,6 %). La pauvreté dans ces pays sont motivés par l’exprogresse partout sauf, en fin de tension du marché, un tiers seulement période, en République tchèque, en par la recherche de moindres coûts Estonie et en Lituanie (elle reste élede production7 ; d’autre part, la hausse vée dans ces deux derniers pays) des salaires (tableau 1) et des coûts et demeure faible, bien qu’en augunitaires du travail (une fois pris en mentation, en Slovénie. Elle affecte compte les différentiels de producsurtout les jeunes à la recherche tivité) est générale depuis 1994. d’un premier emploi, les chômeurs de longue durée et les agriculteurs. pourront être admises dans l’euro. Cette admission sera favorable aux échanges avec l’UE, et renforcera la coordination des politiques économiques des PECO. La convergence nominale, lente à se dessiner jusqu’en 1997, s’accentue ces dernières années pour le taux d’inflation et le taux d’intérêt à long terme, même si plusieurs pays ont eu encore du mal en 2002 à rapprocher leur déficit budgétaire de l’objectif de 3 % du PIB. L L’ÉPINEUSE QUESTION DES AIDES L e total des dépenses d’élargissement se monte, sur la période 2004-2006, à 40,8 milliards d’euros (moins de 0,3 % du PIB des Quinze), à répartir entre les huit PECO, Chypre et Malte, soit un coût net de 28 milliards d’euros pour l’UE, déduction faite des contributions prévisibles des nouveaux Etats membres. Ce qui représentera un coût d’un peu moins de 10 euros par an et par habitant pour les Quinze. Du côté des PECO, l’Agenda 2000 avait plafonné à 250 euros par habitant et par an le versement maximal dont ils devraient bénéficier au titre des fonds structurels, alors que la Grèce et le Portugal, plus développés, recevaient déjà 400 euros par habitant en 1999. On est donc loin du compte. Le vrai partage au sein de l’UE élargie pour les années ultérieures est celui qui sera défini lors de l’adoption du budget communautaire pour 2007-2013 : l’accord budgétaire sera d’autant plus difficile à trouver que le Conseil européen de Bruxelles (octobre 2002) a précisé que l’effort de discipline budgétaire engagé au Conseil européen de Berlin (1999) doit être poursuivi après 2007. La négociation promet d’être chaude avec ces pays qui seront désormais membres de l’UE, mais resteront longtemps plus pauvres, plus agricoles, et en proie à de fortes disparités régionales et à des besoins urgents de restructuration industrielle. Nul doute qu’ils exigeront de bénéficier à due proportion des fonds structurels pour leurs régions moins développées (presque toutes), et seront tous éligibles pour les fonds de cohésion sociale (servis aux pays membres dont le PIB par tête est inférieur à 90 % de la moyenne de l’UE, cas de tous les PECO). Avec l’adhésion, le nombre de régions et d’habitants bénéficiaires des fonds structurels va augmenter plus que proportionnellement : 67 nouvelles régions, dont toutes celles des PECO à l’exception de Bratislava, Ljubljana LA « DEUXIÈME TRANSITION » DES PECO et Prague, soit 116 millions d’habitants, seront éligibles dans l’Union à 25. Dans les actuels pays membres de l’UE, 15 régions au moins (23 après l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie), perdront le bénéfice des fonds structurels qu’elles perçoivent : en effet, l’entrée des régions pauvres des PECO fera baisser (de 13 %) le PIB régional moyen dans l’UE, et donc le niveau d’attribution des fonds structurels, fixé à 75 % de ce PIB moyen. Cet effet d’éviction va toucher plusieurs régions d’Italie, de Grèce et d’Espagne, ainsi que la Corse. L’attribution des fonds structurels sera encore déterminée à l’unanimité en 2005, ce qui permettra sans doute aux anciens Etats membres d’obtenir des compensations pour leurs régions perdantes, ou de tenter de prolonger la période transitoire audelà de 2006. En fait, les aides structurelles accordées aux dix nouveaux membres pour 2004-2006 (21,7 milliards d’euros) sont une sorte d’enveloppe d’apprentissage. Comment concilier l’extension de la politique de développement régional de l’UE avec la volonté de stabiliser le budget communautaire et avec le refus probable des régions actuellement bénéficiaires d’abandonner tout ou partie de leurs fonds structurels ? L’idée d’une renationalisation des politiques régionales a de nombreux adeptes parmi les experts budgétaires des pays contributeurs nets (Allemagne, Pays-Bas, Royaume Uni)8. UNE NORMALISATION TRÈS PROGRESSIVE M ême avec une nouvelle réforme de la politique agricole communautaire (PAC), comment financer sans inflation budgétaire le coût des aides directes à verser aux trois millions d’agriculteurs polonais, à ceux des autres PECO, et en 2007 aux deux millions d’agriculteurs roumains ? La contribution des futurs membres au budget de l’UE sera modeste (étant donné le poids relatif de leurs PIB) : la hausse des recettes (de 4 à 5 %) sera très inférieure aux montants à leur verser, à droits pleins, au titre des fonds structurels et des aides directes à leurs agriculteurs. Pour l’heure, en 2004, 2005 et 2006, les agriculteurs des nouveaux membres ne toucheront que 25 %, puis 30 % et 35 % des aides directes allouées aux agriculteurs des Quinze. Il leur faudra attendre 2013 pour bénéficier des mêmes droits, à 100 %. L’argument avancé par Bruxelles est que des aides directes à 100 % risqueraient de stopper la restructuration de l’agriculture des PECO et la forte régression de sa production depuis 1990. Ce qui est certain, c’est qu’elles feraient supporter le coût de cette restructuration à l’UE au-delà de ce que les anciens pays membres acceptent d’envisager. Les PECO vont donc connaître une deuxième période de transition, entre le 1er mai 2004 et le moment où ils bénéficieront de la PAC et des autres politiques communautaires sur un pied d’égalité. ront encore appliquer des mesures nationales. La période transitoire devrait cesser à l’issue de ces cinq années. Une prolongation de deux ans sera encore possible en cas de sérieuses perturbations sur le marché du travail – perspective très probable dans le cas de l’Allemagne. Ces demandes de périodes transitoires ne proviennent pas seulement des Quinze. En sens inverse, la Pologne, par exemple, a demandé un délai de transition de sept ans pour autoriser la vente des terres agricoles aux étrangers originaires de l’Union. Enfin, en ce qui concerne les services financiers, les PECO disposent de périodes limitées pour se mettre aux normes européennes et établir une régulation suffisante La Pologne du secteur bancaire. recevra, en 2004-2006, Au sein même des PECO, le partage sera asymétrique. La Pologne recedes dépenses vra à elle seule, en d’élargissement. 2004-2006, 11,4 milliards d’euros au titre des fonds Quant aux négociations sur la libre structurels et 4,6 millions d’euros circulation des travailleurs, elles se au titre de la PAC, soit 40 % des sont soldées par la mise en place dépenses d’élargissement, en raid’une période transitoire de sept son de sa taille, certes, mais aussi ans. Toutes les études convergent de son faible niveau de développevers un potentiel migratoire de 3 à ment et du poids de son agriculture. 5 millions d’individus vers l’UE La Slovénie, le PECO le plus déveactuelle sur une période de trente loppé, risquait au contraire de deveans, soit un peu plus de 1 % de la nir dès son adhésion contributeur population totale de l’Union élarnet au budget de l’UE, si un dispogie et près de 5 % de celle des dix sitif technique n’avait été mis en PECO. La répartition sera inégale : place pour éviter cette anomalie. de l’ordre de 2,5 millions de migrants vers l’Allemagne, de 470 000 vers La transition des pays ex-socialistes l’Autriche et de 100 000 vers la vers l’économie de marché a été France. Il s’agira d’une population marquée par une forte récession, majoritairement masculine (aux une crise de liquidité ou encore par deux tiers), jeune, mieux équipée et l’enracinement des anciens manaqualifiée que la moyenne de leur pays gers à la tête des firmes privatisées. d’origine. C’est pourquoi la période Mais, au sein de cet ensemble, les de transition à la libre circulation PECO ont été favorisés par la prode la main-d’œuvre est structurée messe d’être admis dans l’UE : ils en trois étapes. Pendant les deux ont été moins affectés par ces désaannées suivant l’adhésion, les gréments que les pays de la CEI et mesures restrictives à l’entrée chez des Balkans. Beaucoup en ont déduit les Quinze resteront en vigueur. Puis, que la transition serait définitivependant trois ans, ces derniers pourment achevée au jour de l’adhésion à l’UE. Cette vision est trop opti40 % 8 J.-F. Drevet, « Europe : les fonds communautaires et l’élargissement », Futuribles, n°282, janvier 2003. Sociétal N° 41 e 3 trimestre 2003 109 DOSSIER tif, il est à craindre que l’indépendance stratégique de l’Union ne s’apparente pour longtemps encore au rocher de Sisyphe. l Sociétal N° 41 3e trimestre 2003 110 WWWW