1943 l`affaire jean moulin

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1943 l`affaire jean moulin
1943
L’AFFAIRE JEAN MOULIN
Le 21 juin 1943, Jean Moulin, allias Max, se rend à Caluire, près de
Lyon, dans la maison du docteur Dugoujon où il retrouve Raymond Aubrac, le
colonel Lacaze et André Lassagne, trois dirigeants de l’Armée secrète, le colonel
Schwartzfeld, fondateur du mouvement France d’abord, et, enfin, René Hardy, le
responsable de Sabotage-Fer.
Informé de cette réunion par l’un de ses agents, Klaus Barbie, chef de
la Gestapo de Lyon, investit la villa du docteur Dugoujon, à la tête d’un groupe de
S.S, et arrête Jean Moulin et les autres dirigeants de la Résistance. Seul René
Hardy parvient à s’échapper.
Après le coup de Caluire, Barbie croit atteindre l’apothéose de sa
carrière et il est prêt à tout pour ne pas laisser échapper une telle chance. Il lui
faut convaincre les hauts personnages de la Gestapo à Paris de ne pas le dessaisir
de « l’affaire de sa vie » et de ne pas le ramener au rôle obscur de gardien
temporaire de prisonniers illustres.
Pour cela, il sent qu’il lui faut obtenir, au cours des premiers
interrogatoires, des résultats spectaculaires et probants. La torture sera le moyen.
Barbie commence par se tromper de cible et par confondre André
Lassagne avec le fameux Max. Lassagne subit, pendant quatre à cinq jours,
interrogatoires sur interrogatoires et a même droit à un simulacre d’exécution.
Puis c’est le tour de Jean Moulin que Barbie a donc mis cinq jours à
identifier. Le rapport allemand situe l’arrestation de Moulin au 25 juin 1943.
Moulin est odieusement martyrisé, pour lui faire dire son nom et lui arracher des
renseignements.
A partir du 23, il est chaque jour, amené à l’Ecole de Santé, le siège de
la Gestapo, pour y être interrogé. Le 23 au soir, le docteur Dugoujon voit qu’il a un
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pansement autour de la tête et qu’il boîte fortement. Le lendemain, Aubrac le voit
soutenu, presque porté par deux soldats.
Néanmoins,
ces
souffrances
ne
semblent
pas
réduire
l’homme
volontaire et déterminé qu’est Jean Moulin. Barbie enrage :
« S’il ne crève pas cette nuit-là, je le finirai à Paris. »
Le tortionnaire atteint le comble de l’exaspération le vendredi 25. Ce
jour-là, il se livre à un nouvel interrogatoire. Gottlieb Fuchs, résistant d’origine
suisse, infiltré au cœur de la Gestapo lyonnaise, nous livre son témoignage, dont
je ne retiendrais que quelques passages significatifs :
« Vendredi 25 juin 1943, quatre heures de l’après-midi. Quelqu’un
court dans l’escalier en tirant une charge qui rebondit sur les marches. Barbie, en
bras de chemise, traîne un homme par les pieds. Parvenu dans le hall, il souffle un
instant, le pied sur le corps inanimé.
Congestionné, mèche sur le front, il s’élance vers la cave, attelé à ce
corps qu’il tire à l’aide d’une courroie fixée aux pieds garrottés. Le prisonnier a le
visage tuméfié, sa veste est en loques. »
Gottlieb Fuchs parvient à descendre à la cave et raconte ce qu’il voit :
« J’ai trouvé le prisonnier couché sur le ventre à moitié nu. Son dos
était lacéré, sa poitrine défoncée… Les yeux étaient clos, il respirait encore, il
n’était pas conscient. »
Le 25 au soir, une sentinelle vient chercher, au fort Montluc, le
prisonnier Christian Pineau et le prie d’emporter avec lui son rasoir.
Tout au long du parcours, celui-ci se demande bien à quoi correspond
cette étrange consigne. On le mène jusqu’à un homme étendu sur un banc. On
ordonne à Christian Pineau de raser cet homme.
En se penchant sur le blessé, Christian Pineau reconnaît, avec
stupéfaction et horreur, Jean Moulin. Sous la contrainte du S.S qui l’accompagne,
Pineau rase le visage de son ami.
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Quelques jours après cette scène, Jean Moulin, moribond, est emmené
en voiture à Paris. Il est incarcéré à Neuilly, dans la villa du chef de la Gestapo
parisienne.
C’est là qu’André Lassagne et le général Delestraint le voient pour la
dernière fois. Tous ces témoignages, établissent d’une façon formelle que Klaus
Barbie est bien l’assassin et le tortionnaire de Jean Moulin.
Le premier document, établi par le Service régional de la police
judiciaire est daté du 14 octobre 1945. Il contient l’audition d’Heinrich Meiners,
membre de la police criminelle allemande à Paris, détaché comme interprète à la
Gestapo de l’avenue Foch.
«
Dans cette villa, habitait le chef de la Section IV, le SS
Sturmbannführer (commandant) Boemelburg. Le véritable propriétaire devait être
un industriel israélite.
Les caves et le premier étage étaient installés pour y servir de cellules.
On y mettait les prisonniers importants.
J’ai reçu l’ordre d’y prendre un prisonnier et de l’amener, pour un
interrogatoire, au 84, avenue Foch.
Pendant que j’attendais que le prisonnier se prépare, j’ai regardé dans
une cellule au premier étage, où une femme de ménage faisait le nettoyage. Un
gardien de la S.S surveillait. La pièce était meublée d’un lit, d’une armoire et d’une
chaise.
J’ai vu un prisonnier, dans cette cellule, qui me fit une impression très
bizarre. Le prisonnier était allongé, puis il s’est assis et je l’ai vu marcher une fois
dans la chambre en s’appuyant aux meubles et aux murs.
Il était oppressé et se tenait le ventre ou les reins.
Il m’a fait l’impression d’un homme très malade et qui n’avait plus
longtemps à vivre.
J’ai demandé au gardien qui était ce prisonnier. Il m’a dit que c’était
une haute personnalité française, un ancien préfet, Jean Moulin, de Montpellier, je
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crois. Je fis remarquer à mon collègue, et au Referat Misselwitz, que cet homme ne
pouvait rester dans ces conditions, car il n’avait plus que quelques jours à vivre.
Ils m’ont semblé surpris et m’ont parlé de l’importance de M.Moulin,
autant en ce qui concerne l’enquête, qu’en raison de sa haute fonction sans la
Résistance. »
« Je confirmai à M.Kieffer, que M. Jean Moulin paraissait mourant et je
suggérai qu’on le mette à l’hôpital. Quelques jours plus tard, un infirmier S.S, me
dit qu’il était chargé de transporter M.Moulin à l’hôpital de la police à Berlin.
A peine deux ou trois jours après, Misselwitz, me dit que M.Moulin était
mort au cours de son transfert, un peu avant Francfort.
Il m’apprit qu’un message avait été envoyé par téléscripteur de Paris à
Francfort, avec ordre de ne pas faire d’autopsie et de brûler le corps. »
Second document : Johan Meiners, qui était alors commissaire à la
direction de la Sûreté à Francfort-sur-le-Main, fut chargé de constater le décès de
Jean Moulin, quand le train Paris-Berlin, transportant le chef de la Résistance,
s’arrêta dans cette ville.
« Je reçus, le 15 octobre 1946, un appel téléphonique de la police des
chemins de fer de la gare de Francfort, m’informant qu’on y avait déposé le
cadavre d’une personne qui, au cours de son transfert de Paris à Berlin, serait
décédée, peu avant d’arriver à Francfort.
Peu après, survint un appel téléphonique de la Gestapo, je reçus
l’ordre de ne rien entreprendre dans cette affaire, car elle serait du ressort de la
police secrète. J’ignore ce qui s’est passé ensuite avec le cadavre. »
Ce qui s’est passé ensuite, nous le savons aujourd’hui grâce au
troisième document. C’est un rapport établi par Roger Wybot lui-même, alors chef
de la D.S.T. Il s’appuie sur les déclarations faites après la guerre par Misselwitz,
qui avait suivi, en son temps, l’affaire Jean Moulin.
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Tout en ignorant les conditions – tenues secrètes - dans lesquelles le
corps fut rapatrié et incinéré, Misselwitz, qui détenait à Paris le dossier Jean
Moulin, rapporte qu’il reçut de l’infirmier Millitz, à son retour, le certificat de décès
et, quelques jours plus tard, une nouvelle pièce officielle, dont il ne peut spécifier
la provenance, signalant que l’urne renfermant les cendres de Jean Moulin
(N°10137) avait été déposée au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Des vérifications ont été faites au Père-Lachaise. On y trouve
effectivement une urne, à propos de laquelle est consignée, sur le registre des
incinérations, au N°10137, la mention : X… venant d’Allemagne.
Ces trois documents montrent que Barbie savait que le chef de la
Résistance avait succombé à ses tortures.
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