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LA MÉLANCOLIE
DES DRAGONS
Philippe Quesne / Vivarium Studio
conception, mise en scène et scénographie : Philippe Quesne
avec : Isabelle Angotti, Zinn Atmane, Rodolphe Auté et Hermès, Sébastien Jacobs,
Émilien Tessier, Tristan Varlot, Gaëtan Vourc’h.
Coproduction : Wiener Festwochen (Vienne), Hebbel am Ufer (Berlin), La rose des vents - Scène nationale
de Lille Métropole à Villeneuve d’Ascq, Nouveau théâtre - Centre dramatique national de Besançon,
Ménagerie de Verre - Paris, Le Forum - Scène conventionnée de Blanc-Mesnil, Le Carré des Jalles, Festival
Perspectives de Sarrebruck.
Avec le soutien de la Région Île-de-France et du Parc de la Villette.
Avec l’Aide à la Création du Centre National du Théâtre.
Création : Wiener Festwochen (Autriche) Schauspielhaus, du 31 mai au 2 juin 2008
© Pierre Grosbois
© Pierre Grosbois
« L’attitude mélancolique
ne peut-elle pas aussi
s’entendre comme une mise
à distance de la conscience
face au désenchantement
du monde ?» (Starobinski)
© Pierre Grosbois
LA MELANCOLIE DES DRAGONS
Antoine de Baecque pour le Festival d’Avignon
Dressée au sommet de la montagne, au milieu des nuages, du vent et des éléments
déchaînés, Isabelle contemple un panorama grandiose. On pourrait dire cela autrement: le
sommet est exactement situé au sixième barreau d’un escabeau, les nuages proviennent
d’une petite soufflerie à fumée, le vent d’un ventilateur rudimentaire, les éléments surgissent
essentiellement d’une machine à faire des bulles de savon. Mais, dans La Mélancolie des
dragons, ces deux visions finissent par n’en faire qu’une grâce à la poésie fragile de ce
spectacle d’invention permanente, où tout se construit, se compose et se recompose en
direct. Les spectateurs voient le monde avec les yeux d’Isabelle, qui trouve tout “super”,
“incroyable”, et, dans le même temps, personne n’est dupe : cette fertilité créative de tous les
instants commence toujours avec les rituels ordinaires de la vie contemporaine, rejoués sur
scène, disséqués, très légèrement pervertis.
C’est dans cet écart que se tient le travail de Philippe Quesne et du Vivarium studio, une mise
en scène, mise en espace, autant qu’une relecture critique des habitudes grégaires des
jeunes gens d’aujourd’hui. La Mélancolie des dragons propose un regard décalé sur les élans
de l’amitié, la constitution d’une communauté et la création d’un univers collectif. Invitant une
amie, Isabelle, à partager le spectacle de leur création, les membres chevelus d’un groupe de
hard rock en plein marasme guident cette intruse curieuse — en avant-première mondiale —
au sein d’un “parc d’attractions” portatif contenu dans le coffre de leur Citroën et de leur
remorque blanche. C’est du moins ce que les rockers appellent comme cela avec une certaine
gêne, celle de devoir passer, eux aussi, par la “Disneyïsation” du monde. La durée du
spectacle est exactement calquée sur le temps qu’il faut à la troupe (et à sa seule spectatrice)
pour déployer (et voir, puis tester) les différentes attractions du parc. Sagement, Isabelle,
obstinément contente et optimiste, parfois un peu sceptique mais pas trop, va parcourir une à
une les stations de cette visite, qui devient, sous les yeux des spectateurs, une forme
d’aventure de la croyance confrontée à l’imagination fertile de ces hommes enfermés entre
eux. “Eux” sortent d’une voiture en panne. Ils sont six, plus un chien (Hermès), et sont
incapables de réparer quoi que ce soit dans ce moteur récalcitrant.
Par contre, ils savent porter les cheveux longs, font tourner leurs idées autant qu’eux-mêmes,
et leur présence ingénieuse, mais décalée, bricolée, apprivoisant difficilement la matière, est
le seul élément tangible de ce parc en devenir. Ils sont très sérieux mais inventent de drôles
de cérémonies désœuvrées, entre festnoz druidique et happening bio, entre son et lumière
sans trop de lumière et radiocassette de Citroën AX. Ils étalent devant Isabelle les trouvailles
de leurs imaginations ordinaires qui sont autant de cérémonies à la fois dérisoires mais
indispensables à leur survie d’hommes peu à l’aise dans le monde contemporain. Voici des
hard rockers légèrement dépressifs, errant dans un paysage de neige qu’ils tentent de faire
coller aux visions de leur pays imaginaire. Il y a là, au creux de leurs fantasmes, des fumées,
des forêts, des sources, du vent dans les branches, une montagne magique, beaucoup de
cheveux, des jeans et des cuirs, mais surtout de grandes formes noires gonflables où se
nichent les dragons mélancoliques nés de leur esprit primitif d’enfants éternels. Et ça marche!
Le Vivarium studio installe par petites touches le milieu naturel permettant aux dragons
mélancoliques de venir s’acclimater sur la scène enneigée… Comme si une espèce disparue,
sauf dans les livres pour enfants ou les contes et légendes celtes (qu’on lira dans la
bibliothèque improvisée sur scène), pouvait reprendre vie sur le plateau par le seul fait de la
croyance têtue des acteurs en leur capacité à aiguiser leur propre mélancolie, donc à stimuler
leur invention créatrice.
Avec cette matière, et pas mal d’humour à froid, Philippe Quesne organise patiemment des
saynètes collectives, improvisées à partir de rites ludiques d’essence ultra contemporaine,
détournés vers un dérèglement relatif de l’imaginaire des hard rockers vieillissant. Ce qui
donne, sur le plateau, un laboratoire de situations extrêmes de l’ordinaire, un développement
jusqu’au-boutiste des infra expériences de la mélancolie nordique. Le titre est baudelairien,
mais cette Mélancolie des dragons regarde aussi vers ce qu’on peut imaginer de l’humour
islandais, saga nordique dépouillée en courtes histoires à mourir de rire, et pays où le
Vivarium studio est parti en tournée en guise de sources (chaudes) d’inspiration.
Rien n’est grave, mais tout est sérieux, rien n’est utile, mais tout semble absolument
nécessaire, tout est contingent mais surtout minutieusement préparé. Cet humour, qui
surprendra même les plus pince-sans-rire, démontre l’étendue des capacités inventives et
l’importance de la conquête de l’inutile, chez les acteurs du Vivarium studio. Tous les gestes
et toutes les situations se transforment ainsi en un spectacle sur l’amitié. Car il faut croire dur
comme fer en ce lien humain solidaire, et le territoire étrange qui se dessine ici est davantage
qu’un détournement ironique de nos habitudes de consommateur culturel.
Une communauté se constitue et se soude en réinventant le monde ensemble. Certes, ces
inventions ne sont pas foudroyantes, certes ils ne sauveront pas le monde, peut-être même
n’enregistreront-ils jamais de disque et n’ouvriront-ils pas de parc d’attractions, mais ils ont
créé quelque chose de plus important encore: une utopie où vivre ensemble, qu’ils sont fiers
de faire visiter. Ce qu’ils nomment, clignotant en lettres de couleurs changeantes : “Parc
Antonin Artaud”. Collage de l’extrême cruauté…
© Pierre Grosbois
ENTRETIEN avec Philippe Quesne
Propos recueillis par Antoine de Baecque, pour le Festival d’Avignon
La Mélancolie des dragons, drôle de titre…
Pour chaque projet, l’écriture commence en considérant le titre du spectacle comme un champ de
recherches et d’expérimentations. Aujourd’hui, La Mélancolie des dragons : deux mots associés qui
m’ouvrent un champ de possibles. Deux thèmes qui ont très largement hanté l’histoire de l’art, la
littérature et la musique. Le créateur mélancolique est devenu le cliché occidental et romantique par
excellence, comme en état de spleen face au monde qui avance, face à la difficulté de le comprendre et
de s’en saisir. J’ai commencé le travail en pensant à cette phrase de Starobinski : L’attitude
mélancolique ne peut-elle pas aussi s’entendre comme une mise à distance de la conscience face au
désenchantement du monde ?
Concrètement le projet s’est nourri ensuite de différentes circonstances : Une tournée de L’Effet de
Serge en Islande dans des paysages enneigés, nos répétitions sur le terrain des anciens studios de
Georges Mélies à Montreuil, des repérages dans un dépôt de mobil home en banlieue, et le fait de
créer le spectacle à Vienne en Autriche…
Depuis cinq ans l’activité de notre compagnie, s’invente avec le même groupe de travail. Un répertoire
composé de pièces qui se construisent les unes après les autres, les unes à partir des autres même
pour être plus précis. Ainsi, La Mélancolie des Dragons s’ouvre sur la dernière scène de L’Effet de
Serge, soit « un groupe d’hommes invisibles dont on ne voit que les cheveux s’agitant sur une petite
musique dans une lumière rouge » tout comme L’Effet de Serge s’ouvre sur la dernière image de
D’après Nature, un cosmonaute. On pourrait presque parler d’un effet de dominos, dont certains
spectateurs fidèles reconnaissent les règles.
Et le lien entre la mélancolie et les dragons ?
On pourrait dire que la pensée mélancolique peut parfois engendrer des monstres.
C’est explicite par exemple dans le tableau de Goya Le rêve de la raison produit des monstres. On y
voit un homme assoupi, des monstres semblent surgir de ses pensées.
C’est sous-jacent dans la gravure de Dürer Melancolia. Un corps songe, rêve, absorbé dans ses
pensées. Les projections de son esprit sont disposées autour de lui, comme des éléments qu’il ne
parvient pas à contenir dans son esprit : l’animal, la religion, les objets de la connaissance et de la
création. Tout est là, placé autour du corps mélancolique. C’est de cette manière que je conçois le
disposif scénique dans lequel les acteurs évoluent et tentent de résoudre des questions qu’ils se
posent. Je pense souvent à Beckett, celui du Dépeupleur, avec la fascination entomologique pour la vie
qui grouille et s’organise à partir de rien, ou encore La Vie des termites de Maeterlinck, un texte que
j’aime beaucoup.
Le chien Hermès est toujours dans le spectacle ?
Oui, il est là, avec le même groupe d’acteurs, réunis depuis près de cinq ans pour mon premier
spectacle La Démangeaison des ailes. On peut dire que tous sont maintenant devenus des
« personnages ». J’aime les retrouver d’un spectacle à l’autre. On vieillit ensemble, cela fait partie du
jeu. J’aime aussi reprendre et recycler des éléments de scénographie. Dans L’Effet de Serge et dans
La Mélancolie des dragons, on retrouve par exemple : une machine à fumée, des branchages, une
voiture, une baie vitrée, etc.
Pourquoi y a-t-il tant de musiques dans vos spectacles?
La partition sonore me donne les principaux repères. Je ne nourris pas les acteurs d’indications
psychologiques, mais musicales. Les assemblages se font par les sons et les associations musicales. Il
n’y a jamais de manuscrit avant de commencer les répétitions, même si je lis des textes pour moi. Par
contre, il existe des morceaux de musique, des chansons. Cette fois pour La Mélancolie des dragons,
ce sont des musiques du moyen-age et du hard rock…
Comment travaillez-vous avec les acteurs ?
On passe du temps ensemble, on voit des expositions, des films, on écoute de la musique... Certains
participent à la contruction du dispositif scénique. Répéter un spectacle c’est surtout s’autoriser à
essayer des choses. On travaille à partir de matériaux hétéroclites puisés dans la littérature, les
sciences humaines, les arts plastiques, le cinéma, la bande dessinée.
Le spectacle se fait à partir de notations, de références, d’emprunts au vocabulaire gestuel et verbal
des acteurs. C’est une composition par suggestions. La fable se dessine peu à peu.
VIVARIUM STUDIO / Philippe Quesne
En 2003, j’ai fondé l’association Vivarium Studio, afin de concevoir et mettre en scène mes
propres créations et d’interroger le théâtre comme un art d’assemblage, un art hétérogène.
Mon premier spectacle, La Démangeaison des ailes, a été inventé avec un groupe de travail
composé d’acteurs, de plasticiens, d’un danseur-musicien, d’un régisseur de cinéma et d’un
chien. Riche de cette première aventure, l’expérience se prolonge depuis cinq ans maintenant
avec ces mêmes collaborateurs, auxquels se joignent ponctuellement des invités ou des
figurants, qui viennent enrichir en France et à l’étranger chacune de nos créations.
Depuis ma première pièce, mes projets mettent en relation un thème et un mode de narration
approprié : le désir d’envol et la chute (La Démangeaison des ailes, 2003), l’hébétude face
aux risques du futur (la série Des Expériences, 2004-2005), les menaces environnementales
et notre incapacité à y remédier (D’après Nature, 2006). En considérant que le théâtre de
textes existe, qu’il est primordial, mais qu’il n’est pas seul apte à interroger notre monde, je
conçois des spectacles qui cherchent à développer une dramaturgie contemporaine
constituée à partir de problématiques qui nous habitent. Les sujets abordés souvent avec une
douce ironie, le sont via différents types de textes (interviews, articles, poèmes, chansons,
listes de mots) qui contribuent à la cohérence narrative de la scène en se combinant avec
d’autres éléments du théâtre (corps, son, lumière, vidéos).
Ce principe d’écriture scénique repose également sur une relation privilégiée entre l’espace de
jeu, la scénographie et les corps qui y sont mis en scène. Je conçois des dispositifs scéniques
qui sont autant des décors que des ateliers de travail, des « espaces vivarium » pour étudier
des microcosmes humains. Mes spectacles se nourrissent de références hétéroclites puisées
dans la littérature, les sciences humaines, les arts plastiques, la musique, le cinéma, la bande
dessinée, etc. Dans le cadre de certains projets, j’utilise des matériaux empruntés au « réel »
(collectes de témoignages, interviews). L’idée de départ est souvent prétexte à des
expérimentations, du processus de création à la représentation, préservant l’ambiguïté vrai /
faux, réel / artificiel, illusion / vérité. Le flottement du vivant…
Depuis près de quatre ans, tous mes projets ont été conçus avec le même groupe de
collaborateurs ce qui m’a permis de constituer un répertoire des spectacles, disponible en
tournée en France ou dans des versions adaptées à l’étranger. Nous avons pu jouer
régulièrement les pièces ainsi créées, et il en est de même pour les formes brèves ou
performatives. Dès ma première création, j’ai eu la chance de pouvoir diffuser mes spectacles
très largement en France et de pouvoir rencontrer des publics diversifiés : CDN, scènes
nationales et festivals, centres d’art, centres de vacance, maisons de quartier, appartements
privés, etc. Par ailleurs, certains projets ont été spécifiquement conçus pour des lieux en
extérieur : espaces urbains, parcs et jardins, forêts, etc. Les spectacles de Vivarium Studio ont
très vite été programmés dans des théâtres et des festivals à l’étranger : États-Unis, Brésil,
Allemagne, Suisse, Pologne, Lettonie, etc. Ces collaborations avec les scènes internationales
se sont poursuivies en 2008, autour d’une nouvelle création : La Mélancolie des dragons,
produite notamment par le Wiener Festwochen et le Hebbel am Ufer à Berlin.
Notre compagnie a été pendant trois années consécutives en résidence au Forum du BlancMesnil (2004-2007) avec le soutien du Conseil Général de Seine-Saint-Denis. Une
collaboration qui, tout en favorisant le travail de création et de diffusion des spectacles, a
permis d’imaginer et de mettre en place des temps de rencontre avec les publics et la
population d’une ville et d'inscrire notre activité dans la durée. Dans ce cadre, j’ai également
pu créer des formes spécifiques (films, interventions urbaines, éditions, spectacles, etc.)
directement nourries des échanges avec les habitants et le contexte urbain immédiat. La
compagnie a également été en résidence, durant trois ans, dans un autre lieu plus
expérimental : la Ménagerie de Verre à Paris. Nous y avons mené des ateliers de recherche,
de répétition et de formation, et avons programmé des événements ouverts à d’autres artistes
Philippe Quesne - 2007
VIVARIUM STUDIO / Philippe Quesne
In 2003, Philippe Quesne created Vivarium Studio to develop and set up his own projects. The
first piece, titled La Démangeaison des Ailes (The Itching of the Wings), featured actors,
plasticians, musicians and a dog. Since this first experience, and for five years now, the story
of Vivarium Studio still goes on, with the same people, and sometimes inviting new guests to
join projects both inFrance and other countries.
Since the beginning, Philippe Quesne tries to connect a subject with an appropriate narrative
mode: the desire of flight and the fall (La Démangeaison des Ailes, 2003), the uncertainty
facing the risks of the future (Des Expériences, 2004-2005), the environmental threats and our
incapacity to remedy it (D’après Nature, 2006).
He approaches different topics, often with a soft irony. He works on various types of texts
(interviews, articles, poems, songs, lists of words) combined with other elements of theatre
(like bodies, sound, light, videos, movements).
The scenic writing is based on a strong connection between space, set, and bodies. The sets
often become working studios or "Vivarium spaces" that present a human microcosm. The
performances are inspired by diverse references taken from literature, human sciences, visual
arts, music, cinema, comics, etc.
Philippe Quesne also uses materials borrowed from "reality:" (interviews, testimonies,...) but
always maintains the ambiguity between true/false, real/artificial, illusion/truth.
For five years, Philippe Quesne has developed his project with the same people. He creates a
répertoire of performances that tour in France and internationally. He has created site-specific
projects in art galleries, urban spaces, parks and garden, forests, etc.
The performances of Vivarium Studio have been presented in theaters and festivals in such
different countries as USA (P.S.122 New York, TBA:06 Portland), Brazil, Germany,
Switzerland, Poland, Leetonia, Iceland, Finland, Austria, Slovenia, etc.
From 2004 to 2007, Vivarium Studio had a residence in Le Forum du Blanc-Mesnil (Paris).
This collaboration allowed the company to develop his projects but also to imagine and
develop new ways of meeting with people, settling his action in a real durability. During the
residence, Philippe Quesne also created specific forms (movies, urban performances,
publishing, etc.), directly filled out by the exchanges with the inhabitants and the immediate
urban context.
Vivarium Studio had another 3 years residence, in La Ménagerie de Verre (Paris), which is a
more experimental stage. There, Philippe Quesne leaded research workshops, rehearsal and
organized different events by inviting other artists (musicians, plasticians, etc.).
LE THÉÂTRE DE VIVARIUM STUDIO
Pourquoi est-ce si inquiétant de voir un acteur traverser le plateau comme s’il marchait réellement dans
son appartement ? Pourquoi est-ce si fascinant d’observer un chien sur scène ? Pourquoi sommesnous troublés face à des acteurs que l’on voit en train de se parler mais que l’on n’entend pas comme si
le son avait été baissé ? Pourquoi la reconstitution d’une forêt miniature sur scène nous donne-t-elle
froid ? Pourquoi la présence d’une voiture sur scène est-elle ressentie comme une violation de l’espace
? En vrac, ces quelques éléments dramatiques, agencés par Philippe Quesne dans les spectacles du
Vivarium Studio, donnent la mesure d’un travail scénique qui par le biais d’une recherche mécanique,
sorte de théâtre laborantin qui s’ingénue à modifier les conventions du genre, parvient à créer un
univers aux contours incertains entremêlant le songe et la matière, le son et les mots, la fumée et la
lumière, la solitude et le groupe.
Parfaitement réglé, habilement maîtrisé, le théâtre du Vivarium Studio suit avec un esprit de logique les
remous d’un esprit inquiet. Ce décalage entre une forme de pensée structurée, articulant de manière
concrète et perceptive à la fois le rapport de cause à effet, et un informe de pensée possible, donne
toute la puissance de ce théâtre, qui on l’aura compris, réanime le spectateur dans un autre monde,
comme s’il se réveillait d’une plus ou moins longue anesthésie et qu’il pouvait suivre les actions sans
toute fois bien les comprendre. Mais que l’on s’entende bien, les spectacles du Vivarium Studio, de La
Démangeaison des ailes, qui prend pour thème l’envol, à L’Effet de Serge, faux one man show insolite,
en passant par D’après Nature, sorte d’équivalent forestier des combats aquatiques du bateau des
écologistes de Greenpeace, n’entendent pas offrir de réponses. Ce qui paraît « jouable » en revanche,
et c’est l’aspect le plus optimiste de ce travail, c’est la capacité à activer un autre monde en
développant pourtant des actions simples avec des objets courants mais employés à d’autres fins que
celles communément admises.
Le monde de l’enfance n’est pas très loin quand Serge crée ses « effets ». Dans l’espace confiné de
son appartement, l’aventure s’imagine avec des phares de voiture, des boîtes en carton, trois cierges
magiques qui scintillent et un peu de musique et pourtant ce sont des signaux de détresse qui nous
apparaissent dans les hurlements des vagues.
Le théâtre de Philippe Quesne a ceci de fascinant qu’il « tient debout ». Précisément à l’inverse de
quelqu’un dont on dit « qu’il ne tient plus debout », ses spectacles sont étrangement du côté du vivant.
C’est toute son originalité, sa force et sa tension. Tout concourt ici à mettre en valeur ce qui ne saurait
être maîtrisé produisant ainsi, passés le rire et l’amusement, une sensation de malaise, et de
questionnement. L’étonnement éprouvé s’explique certainement parce qu’au théâtre nous sommes
habitués à regarder du côté des morts. On dit cela d’ailleurs : « se glisser dans la peau du
personnage ». Rien à craindre donc dans ces représentations avec date limite de péremption marquée
par la fin de la représentation. Alors quand Philippe Quesne parvient à perturber notre vision, en
travaillant le réalisme des présences scéniques, par le jeu des comédiens du Vivarium Studio, la
présence animale, ou celle des éléments de la nature, notre perception se trouble car le vivant semble
alors grouiller et nous inquiète. Ces acteurs-là débordent de la scène morte, ils s’accommodent de
l’espace, avec le détachement et la concentration de celui qui est saisi dans son univers intime. Ils sont
comme des extra-terrestres ou des fantômes que l’on observerait dans une grotte et leur naturel
apparaît singulièrement étrange.
Étrange et inquiétant, on y revient car le travail de Philippe Quesne, malgré pourrait-on dire mais surtout
grâce à cette aisance dans les mouvements et les enchaînements successifs, relève avant tout de
préoccupations liées à notre organisation sociale, voire à notre capacité d’être des humains. Il convient
d’ajouter aux spectacles précedemment cités que la première ébauche théâtrale de Philippe Quesne
s’inspirait de l’ouvrage La Vie des termites de Maeterlinck. Les termites ne sont pas des insectes
innocents, ils peuvent détruire tout un édifice. La perfection, l’efficacité de leur organisation oblige à
réfléchir. Ils vivent dans un monde des ténèbres car ils ne sont pas dotés de la vue et pourtant cela ne
semble pas limiter les effets néfastes de leurs actions.
Dans le spectacle D’après Nature, les acteurs miment à plusieurs reprises un tableau du peintre
flamand Bruegel intitulé La Parabole des aveugles, qui fait référence à la parabole du Christ adressée
aux Pharisiens : « Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou». Dans le
tableau six personnages aveugles se tiennent par l’épaule et sont tous entraînés dans la chute par celle
de leur guide. Ils ont les yeux levés au ciel, en signe d’appel au secours à Dieu. En mimant les
aveugles de Bruegel et en reconstituant une sorte de vivarium de notre espèce humaine, Philippe
Quesne pose, avec une parfaite efficacité dramatique, la même question « Où irons-nous si nous
suivons à tâtons un guide incapable ? ».
Aude Lavigne (février 2008)
THE THEATRE OF THE VIVARIUM STUDIO
(translation)
Why is it so disturbing to watch an actor crossing the stage as if he were walking around his own
apartment? Why are we fascinated when we see a dog onstage? Why are we troubled when we can
see actors speaking to one another, but somehow the sound has been turned down too low? Why does
the reconstruction of a miniature forest on stage give us the chills? Why is the presence of a car
onstage perceived as a violation of that space? Put together, these dramatic elements, laid out by
Philippe Quesne in the works of the Vivarium Studio, ably quantify his stagecraft, which, by using a kind
of mechanical research, a technical theatre lab which cleverly modifies the conventions of the genre,
generates an ambiguously shaped universe in which dreams and matter, sound and words, smoke and
light, solitude and the group – all mix together.
Perfectly staged, skillfully tuned, the theatre of the Vivarium Studio traces with a logical perspective the
turbulences of an unsettled mind. The interval between a form based on structured thought, articulating
clearly and perceptively the chain of cause and effect – and something formless encompassing possible
thought – is what gives this theatre its strength, re-awakening the spectator in another world, as if
emerging from some kind of anesthesia in which he can follow the action without entirely
comprehending it.
But let us be clear, the works of the Vivarium Studio, ranging from La Démangeaison des ailes (The
Itching of the wings) which is about taking flight, to L’Effet de Serge, a strange, false one man show, as
well as to D’après Nature, a woodsy equivalent of the aquatic battles fought by the ecologists of
Greenpeace on their ship – do not offer us any facile answers. What they find “playable,” the most
optimistic feature of this work, is its capacity to catapult us into another world, developing simple actions
using everyday objects, used in ways that are clearly outside their -- and our comfort zone.
And Serge finds some of its “effects” from inside the world of childhood. In a cluttered apartment space,
the adventure unfolds using car headlights, cardboard boxes, three flickering magic candles and a little
music – yet there are also distress signals which waft toward us in between the cries of the waves.
The theatre of Philippe Quesne has one fascinating aspect, in that it “stands up,” exactly the opposite of
someone about whom they say, “he can’t stand up any more,” his pieces are curiously focused on the
side of the living, deploying all his strength, his originality and his tension. All of this converges to
validate that which cannot be mastered, creating – along with the evident amusement and the laughs, a
sensation of malaise, a need to ask questions. This experience can be explained because we are used
to looking more at the dead. We even say, “to get inside the skin of the character.” So there’s nothing to
worry about in these performances, as their expiration dates happen to be at the performances’ end.
When Philippe Quesne twists our vision, working with the realism of scenic presence, with the acting of
the performers of the Vivarium Studio, an animal presence, or that of certain elements of nature, our
perception is troubled, because the living are somehow swarming and we are taken aback. These
actors overflow what we call the dead stage, adapting themselves to the space with the detachment and
concentration of someone caught in his own private universe. They’re like extra-terrestrials, or strange
ghosts we might glimpse in a far off grotto.
The work is thus odd, troubling, but we come back to it again and again, thanks to Philippe Quesne’s
apparent ease in movement and sequencing, highlighting the concerns we have about our social
organisation, about our capacity to be human.
To the list of his previous works, we must add one more, Philippe Quesne’s first theatrical piece was
inspired by Maeterlinck’s La Vie des termites (Life of the termites). Termites are not innocent insects,
they can – and do – destroy entire buildings. The perfection and the efficiency of their organisation is
cause for reflection, as they live in a world of shadows. They are born blind, but this hardly affects or
limits the deleterious impact of their actions.
In the piece D’après Nature, the actors repeatedly depict in a tableau a painting by the Flemish artist
Pieter Bruegel, La Parabole des aveugles (The Parable of the blind), which refers to Christ’s parable to
the Pharisees, “if the blind lead the blind, both shall fall into the ditch.” In the tableau six blind characters
are holding each other by the shoulder and all six of them fall, swept along as their guide goes down.
They have their eyes turned up toward Heaven, perhaps appealing for help to their God. Imitating the
blind characters of Bruegel, reconstructing a sort of vivarium of human beings, Philippe Quesne asks,
with perfect dramatic effect, the same question, ”Where will we go if we are merely groping our way and
following an incompetent guide?”
Aude Lavigne (February 2008) - Translated from the French by Sara Sugihara
PHILIPPE QUESNE
Né en 1970. Vit et travaille à Paris.
Après avoir suivi une formation d’arts plastiques à l’École Estienne puis aux Arts Décoratifs de
Paris, il réalise pendant près de dix ans des scénographies de théâtre et d’opéra, ou
d’expositions d’art contemporain. En 2003, il fonde la compagnie Vivarium Studio, en
réunissant un groupe de travail composé d’acteurs, de plasticiens, de musiciens, de danseurs,
et d’un chien.
Il écrit, conçoit la scénographie, et met en scène : La Démangeaison des ailes (2003), Des
Expériences (projet évolutif mis à l’épreuve de différents lieux entre 2004 et 2006, galerie
d’art, forêt, étang, terrain vague, etc.), D’après Nature (2006), L’Effet de Serge (2007), La
Mélancolie des dragons (2008).
Parallèlement il crée des performances et des interventions dans l’espace public : Pour en finir
avec les simulateurs (2004), Actions en milieu naturel (2005), Échantillons (2006), Petites
réflexions sur la présence de la nature en milieu urbain (2006), Point de vue (2007),
Groupuscule (2007).
PHILIPPE QUESNE
(translation)
Philippe Quesne was born in 1970 and studied visual arts and graphic design at L’École
Estienne and set design at L’École des Arts Décoratifs de Paris. He has designed for opera,
concerts, theatre performances, and contemporary art exhibitions. In 2003, he created
Vivarium Studio in Paris, a laboratory for theatrical innovation which features painters, actors,
dancers, musicians and a dog. He conceived the multi-media piece, The Itching of the Wings
(La Démangeaison des Ailes) which toured internationally. From 2004 to 2006, Quesne wrote,
designed and exhibited Des Expériences, an evolving project set in such diverse spaces as an
art gallery, a forest, a pond, and a wasteland. Recent works include D’après Nature (2006),
L’Effet de Serge (2007) and La Mélancolie des dragons (2008).
He also developped performative forms : Pour en finir avec les simulateurs (2004), Actions en
milieu naturel (2005), Échantillons (2006), Petites réflexions sur la présence de la nature en
milieu urbain (2006), Point de vue (2007), Groupuscule (2007).
VIVARIUM STUDIO (2003 - 2007)
SPECTACLES
LA DÉMANGEAISON DES AILES (2003 – 2007)
Festival Frictions - Théâtre Dijon Bourgogne (création)
Ménagerie de Verre - Paris
Le Manège de Reims
Festival Contre-Courant / Avignon
Tournée CCAS Provence Alpes Côte d’Azur et Rhône-Alpes
Théâtre de la Bastille / Paris
Gessnerallee Theaterhaus / Zürich (Suisse)
CDN Nouveau Théâtre de Besançon
Le Forum scène conventionnée de Blanc-Mesnil
Le Lieu Unique / Nantes
CDDB - Théâtre de Lorient
Hebbel am Ufer / Berlin (Allemagne)
Festival des 7 collines / St Etienne
Thalia Theater / Hambourg (Allemagne)
P.S.122 / New York / Festival Act French (USA)
La Passerelle / Gap
Festival Riam montévidéo / Marseille
Scène Nationale de Mont-Saint-Aignan
Le Vivat / Armentières
La Faïencerie / Théâtre de Creil
L’Equinoxe scène nationale de Châteauroux
Maison de la Culture d’Amiens
Festival TBA - Portland Institute for Contemporary Arts (USA)
Sesc Paulista / Sao Paolo (Brésil)
Festival Riocenacontemporanea / Rio (Brésil)
TR Warszawa / Varsovie (Pologne)
DES EXPÉRIENCES (2004 - 2006)
Festival Frictions / Théâtre Dijon Bourgogne (création)
Festival d’Avignon
Festival Entre cour et jardins / Bourgogne
Festival Paris Quartier d’Été
Festival Temps Danse / Forum de Blanc-Mesnil
Festival Les Inaccoutumés / Ménagerie de Verre - Paris
Festival des 7 Collines / Saint Etienne
D’APRÈS NATURE (2006 - 2007)
Parc de la Villette - Festival 100 dessus-dessous
Théâtre de la Bastille / Paris (création)
Gessnerallee Theaterhaus / Zürich (Suisse)
Le Forum scène conventionnée de Blanc-Mesnil
Festival Entre cour et jardins / Dijon
Théâtre de l’Agora d’Évry
Hebbel am Ufer / Berlin (Allemagne)
New Theatre Institute of Latvia / Riga (Lettonie)
Théâtre de Valmiera (Lettonie)
L’Equinoxe scène nationale de Châteauroux
L’EFFET DE SERGE (2007)
Festival Les inaccoutumés / Ménagerie de Verre - Paris
+ Tournée 2008-2009
LA MÉLANCOLIE DES DRAGONS (2008)
Wiener Festwochen (Autriche) création mai 2008
+ Tournée 2008-2009
PERFORMANCES / INTERVENTIONS
POUR EN FINIR AVEC LES SIMULATEURS (2004)
PERFORMANCE
Festival Temps d'image - Ferme du Buisson
Festival Emergence - Villette Numérique.
ÉCHANTILLONS (2006 - 2008)
PERFORMANCE
Le Plateau / Frac Île-de-France
Théâtre Ouvert - Paris
Festival actOral montévidéo / Marseille
Hebbel am Ufer / Berlin (Allemagne)
Studio Théâtre de Vitry
École Régionale des Beaux-Arts de Rouen
Carré des Jalles - Festival Des souris, des hommes
Festival TBA – PICA – Portland (USA)
SELON TOUTE APPARENCE (2006)
PERFORMANCE
Le Forum scène conventionnée de Blanc-Mesnil.
POINTS DE VUE (2007-2008)
INSTALLATION - PERFORMANCE
X Wohnungen / Festival Belluard Bollwerk International - Fribourg (Suisse).
Exposition PLAYTIME – Bétonsalon – Paris
GROUPUSCULE (2007)
PIÈCE DE GROUPE POUR AMATEURS
Le Forum scène conventionnée de Blanc-Mesnil.
COLLECTION CONSÉQUENCES (2007)
LECTURE - PROJECTION
Festival actOral montévidéo / Marseille
Théâtre National de la Colline / Paris.
CARTE BLANCHE (2006 - 2007)
PROGRAMMATION ART CONTEMPORAIN & CONCERTS
(Roman Signer, Samuel Bianchini, Grand Magasin, Thierry Fournier, Sébastien Roux,
Nadia Lichtig, Kiev Kirby, André Duracell, Monster K7, Emmanuel Rebus, etc).
Ménagerie de Verre - dans le cadre de la résidence
ÉDITIONS
INVENTAIRE D'ENVOLS (2005)
FILM DVD / réalisé dans le cadre de la résidence au Forum de Blanc-Mesnil.
ACTIONS EN MILIEU NATUREL (2005)
LIVRET édité et diffusé au Parc de la Villette.
PETITES RÉFLEXIONS SUR LA PRÉSENCE DE LA NATURE EN MILIEU URBAIN (2006)
LIVRET édité et diffusé dans le cadre de la résidence au Forum de Blanc-Mesnil.
VIVARIUM STUDIO
direction artistique : Philippe Quesne
production : Anaïs Rebelle
tel : + 33 (0)6 35 12 53 62
[email protected]
adresse postale : 66 rue des Cascades 75020 Paris
siège social : 32 rue Henri Chevreau 75020 Paris
www.vivariumstudio.net

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