420 pages 6 - École du Val-de-Grâce

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420 pages 6 - École du Val-de-Grâce
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Ministère de la Défense
École du Val-de-Grâce
Livre de l’École
du Val-de-Grâce
Annales 2011-2012
1
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
« En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, complétés pars la loi
du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation
expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre éconimique des
circuits du livre. »
© École du Val-de-Grâce - Paris, 2012
ISBN : 978-2-11-129952-8
2
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Sommaire
Éditorial ..................................................................................7
MGI Maurice Vergos
Liste des auteurs ...................................................................9
Transfusion sanguine dans les armées
La nouvelle stratégie transfusionnelle du Service de santé
des armées.
Justification et rationnel scientifique..............................................17
Sylvain Ausset
Prise en charge du choc héorragique en opération extérieure :
du ramassage à la structure chirurgicale inclus ............................35
Éric Meaudre-Desgouttes
Passé, présent et futur de la transfusion sanguine
dans les armées............................................................................51
Jean-Jacques Lataillade
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence
appliquée aux armées
L’enseignement de la médecine opérationnelle pour les médecins
anesthésistes-réanimateurs militaires :
enjeux, objectifs, moyens..............................................................69
Jean-Yves Martinez
Évacuation sanitaire aériennestratégique collective de brûlés
thermiques ....................................................................................87
Stéphane Mérat
Préparation de l’accueil dans un Hôpital d’instruction des armées
métropolitain de blessés de guerre en nombre évacués d’un
théâtre d’opération extérieure .......................................................99
Guillaume Pelée de Saint Maurice
3
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Chaire de chirurgie appliquée aux armées
Chirurgie orthopédique
Infection osseuse des membres en traumatologie......................115
Frédéric Rongiéras
Historique des moyens de stabilisation
des fractures des membres.........................................................131
Didier Ollat
Chirurgie viscérale et générale
Les plaies ano-périnéales de guerre...........................................149
Hassan Tahiri
Triage et conflits actuels.
Les nouveaux concepts en chirurgie de guerre ..........................167
Philippe Sockeel
Chaire de chirurgie spéciale appliquée
aux armées
Chirurgie reconstructrice et thérapie cellulaire............................213
Éric Bey
Chaire de médecine appliquée aux armées
Poumon en environnements extrêmes .......................................229
Jacques Margery
Épidémiologie et facteurs de risque des cancers de l’adulte jeune
en milieu militaire (hémopathies exclues) ...................................241
Lionel Védrine
Conseils et aptitude en aéronautique civile et militaire
pour les déplacements en milieu tropical ....................................249
Mohamed Chemsi
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique
appliquée aux armées
Confrontation des jeunes engagés
aux évolutions du milieu militaire ................................................261
Jean-Philippe Rondier
4
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire de recherche appliquée aux armées
La physiologie est-elle une science moderne ?
Enjeux pour les armées. .............................................................283
Nathalie Koulmann
Les interfaces cerveau-machine :
besoins, opportunités et risques .................................................315
Damien Ricard
Chaire d’imagerie médicale appliquée
aux armées et risque radio-nucléaire
Imagerie moléculaire et traitements en cancérologie : de la mise en
œuvre initiale au suivi de leur efficacité. .....................................329
Gérald Bonardel
Chaire d’épidémiologie, santé publique et
prévention appliquée aux armées
Traçabilité, sur le long terme, des expositions environnementales
occasionnées par le métier des armes .......................................351
Jean-Baptiste Meynard
Zoonoses émergentes : quels risques pour l’homme ? ..............377
Jean-Lou Marié
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée
aux armées et risque chimique
Les produits de santé pour la médecine de l’avant.....................399
Xavier Bohand
5
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Coordination de l’ouvrage :
Médecin général Jean-Didier Cavallo, École du Val-de-Grâce.
Médecin en chef Gilles Wendling, École du Val-de-Grâce.
Médecin en chef Gilles Defuentes, École du Val-de-Grâce.
Madame Martine Scherzi, École du Val-de-Grâce.
6
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Éditorial
Le recrutement des praticiens professeurs agrégés du Service de santé des armées
est une des missions dévolues à l’École du Val-de-Grâce.
À l’issue de quatre épreuves jugeant, en trois jours, du parcours professionnel, des
qualités scientifiques et de l’art oratoire pédagogique du candidat à l’agrégation, la
tradition veut qu’une cinquième épreuve, surnommée à juste titre « leçon des 24
heures », vienne clôturer une semaine pour le moins éprouvante physiquement. Cette
figure imposée permet au postulant de mobiliser les troupes : camarades de la spécialité
ou non, maîtres et patrons d’un temps, partenaires du même service, mais aussi
disciples plus jeunes, auxiliaires précieux pour le maniement des supports
d’information et la maîtrise des bases de données non limitatives cette fois, a contrario
des épreuves précédentes.
Le jury, quant à lui, s’enquiert souvent d’intitulés à tonalité transversale et médicomilitaire, permettant d’apprécier l’état de l’art sur une question, les capacités de
synthèse et d’actualisation du futur agrégé et les possibilités de mise en perspective de
thématiques intéressant plus largement la collectivité militaire. Jusqu’à présent, ces « leçons », la plupart du temps de très haut niveau, ont
rarement fait l’objet d’une restitution autre que celle de la prestation orale terminant
le concours. C’est pour cette raison que l’idée nous est venue de
« transformer l’essai » en vous proposant, dans ce troisième volume des Annales du
Livre de l’École du Val-de-Grâce, une sélection parmi les leçons prononcées durant
ces cinq dernières années.
Nous souhaitons, au-delà de la représentation de toutes les chaires, illustrer ainsi
la diversité d’exercice et le niveau d’excellence atteints par les praticiens du Service
de santé des armées, tant dans la pratique médicale du quotidien que dans les
perspectives d’avenir. Il ne fait nul doute que vous prendrez plaisir à parcourir ces
pages, garantes de la qualité du corps professoral et de son investissement constant
pour « porter la science », en répondant aux impératifs qui sont l’essence même de
notre existence : le soutien des forces d’une part et la participation au service public
hospitalier d’autre part.
Je vous souhaite d’avance, d’excellents moments de lecture !
Médecin général inspecteur Maurice Vergos
Professeur agrégé du Val-de-Grâce
Directeur de l’enseignement et de la formation
du Service de santé des armées
Directeur de l’École du Val-de-Grâce
7
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Liste des auteurs
Agay Diane, vétérinaire en chef, Institut de recherche biomédicale des armées,
Département des effets biologiques des rayonnements, Unité de thérapie
cellulaire des irradiés, La Tronche.
Arigon Jean-Philippe, médecin en chef, Service de chirurgie thoracique et générale,
HIA Percy, Clamart.
Asencio Yves, médecin principal, Département d'anesthésie-réanimation, HIA
Sainte-Anne, Toulon.
Aupée Olivier, pharmacien principal, Service de médecine nucléaire, HIA du
Val-de-Grâce, Paris.
Ausset Sylvain, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service
d'anesthésie-réanimation, HIA Percy, Clamart.
Balandraud Paul, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
chirurgie viscérale, HIA Laveran, Marseille.
Banzet Sébastien, médecin en chef, Institut de recherche biomédicale des armées,
Département environnements opérationnels, Unité physiologie des activités
physiques militaires, Brétigny.
Barbier Florence, infirmière des HA, HIA PERCY, Clamart.
Bardot Sébastien, pharmacien en chef, Pharmacie centrale des armées, Orléans.
Bargues Laurent, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Centre de
traitement des brûlés, HIA Percy, Clamart.
Bauduceau Olivier, médecin en chef, Service radiothérapie, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Béchir Jarraya, civil. Service de neurochirurgie, Hôpital Foch, Université de
Versailles, Suresnes, CEA Saclay.
Bertani Antoine, médecin en chef, HIA Laveran, Marseille.
Bey Éric, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de chirurgie
plastique, HIA Percy Clamart.
Bisconte Sébastien, médecin principal, Centre principal d'expertise médicale du
personnel navigant, Clamart.
Blot Jean-Marc, colonel (ER), École du Val-de-Grâce, Paris.
Bohand Xavier, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service
de pharmacie hospitalière, HIA Percy, Clamart.
Bompaire Flavie, médecin des armées, HIA du Val-de-Grâce.
Bonardel Gérald, médecin en chef. professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
médecine nucléaire, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Bordes Julien, médecin principal, Département d'anesthésie-réanimation, HIA
Sainte-Anne, Toulon.
Bordier Emmanuel, médecin en chef, Département d'anesthésie réanimation, HIA
du Val-de-Grâce, Paris.
Bourdon Lionel, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Institut de recherche biomédicale des armées, Département soutien médicochirurgical des forces, Brétigny sur Orge.
9
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Brachet Michel, médecin en chef, Service de chirurgie plastique reconstructive,
HIA Percy, Clamart.
Bredin Christian, médecin en chef, Service de gastro-entérologie, HIA Legouest, Metz.
Brunot Jacques, médecin général des armées, Inspection générale, Paris.
Buffat Stéphane, médecin en chef, Institut de recherche biomédicale des armées,
Brétigny sur Orge.
Canini Frédéric, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, École du
Val-de-Grâce, Paris - Institut de recherche biomédicale des armées, Département
environnements opérationnels, Unité neurophysiologie du stress, Brétigny sur Orge.
Castagnet Xavier, médecin en chef, ESNA Alerte, Toulon.
Catajar Jean-François, médecin en chef, Services des Affaires juridiques et
administratives, DCSSA, Vincennes.
Cazeres Christophe, médecin en chef, Service de chirurgie viscérale, HIA Laveran,
Marseille.
Cazorla Céline, docteur.
Ceppa Franck, pharmacien en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Fédération
de biochimie, HIA Bégin, Saint Mandé.
Chargari Cyrus, médecin principal, Service d'oncologie et radiothérapie, HIA du
Val-de-Grâce, Paris.
Chaudet Hervé, médecin en chef réserviste, Centre d'épidémiologie et de santé
publique des armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Chauvin Frédéric, médecin en chef, Service de chirurgie orthopédique, HIA Desgenettes, Lyon.
Chemsi Mohamed, médecin lieutenant-colonel, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Hôpital militaire d'instruction Mohamed V, Rabat, Maroc
Chennaoui Mounir, commandant, Institut de recherche biomédicale des armées,
Département environnements opérationnels, Unité vigilance, Brétigny sur
Orge.
Cinquetti Gaël, médecin principal, Service de médecine interne, HIA Legouest,
Metz.
Clavier Benoit, médecin en chef, Centre de transfusion sanguine du Service de santé
des armées, Clamart.
Colas Marie-Dominique, médecin en chef, SMPCAA, HIAPercy, Clamart.
Créhange Gilles, pharmacien en chef, Bureau d'expertises des risques sanitaires,
DCSSA, Vincennes.
Daban Jean-Louis, médecin lieutenant, Service d'anesthésie-réanimation, HIA
Percy, Clamart.
Davoust Bernard, vétérinaire chef des services. Service vétérinaire des armées,
Toulon.
De Greslan Thierry, médecin en chef, Service Neurologie, HIA du Val-de-Grâce,
Paris.
De Rudnicki Stéphane, médecin en chef, Département d'anesthésie réanimation,
HIA du Val-de-Grâce, Paris.
10
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
De Serre De Saint Roman Charlotte, médecin, Service de chirurgie viscérale, HIA
Legouest, Metz.
Debien Bruno, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service d'anesthésie-réanimation, HIA Percy, Clamart.
Defuentes Gilles, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Direction
École du Val-de-Grâce, Paris.
Deparis Xavier, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Centre
d'épidémiologie et de santé publique des armées, Îlot Bégin Saint Mandé.
Deshayes Anne, pharmacien en chef, Centre de transfusion sanguine du Service de
santé des armées, Clamart.
Desjeux Guillaume, médecin en chef, Caisse nationale militaire de sécurité sociale,
Toulon.
Desruelles Xavier, médecin en chef, Bureau organisation, Sous direction organisation,
soutien et projection, Direction centrale du Service de santé des armées,
Vincennes.
Donat Nicolas, médecin principal, Service d'anesthésie-réanimation, HIA du Valde-Grâce, Paris.
Dot Jean-Marc, médecin en chef, Service de pneumologie, HIA Desgenettes, Lyon.
Doucet Christelle, docteur.
Dubost Clément, médecin lieutenant, Service d'anesthésie-réanimation, HIA Bégin,
Saint Mandé.
Dubourdieu Dominique, médecin en chef, Centre principal d'expertise médicale
du personnel navigant, Clamart.
Ducluzaux Marc, capitaine psychologue, Clinique de psychiatrie, HIA Percy,
Clamart
Duhamel Patrick, médecin en chef, Service de chirurgie plastique reconstructive,
HIA Percy, Clamart.
Duhoux Alexandre, médecin principal, Service de chirurgie plastique reconstructive,
HIA Percy, Clamart.
Dulac Christophe, médecin en chef, HIA Desgenettes, Lyon.
Farthouat Philippe, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Service de chirurgie viscérale, HIA Desgenettes, Lyon.
Faure Nina, docteur vétérinaire, CESPA Sud, Marseille.
Favaro Pascal, pharmacien en chef, Direction centrale du Service de santé des
armées, Sous direction organisation soutien projection, Vincennes.
Foehrenbach Hervé, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Service de médecine nucléaire, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Fossat Sébastien, médecin en chef, Service de chirurgie plastique reconstructive,
HIA Percy, Clamart.
Fusaï Thierry, médecin en chef, Institut de recherche biomédicale des armées,
Division appui scientifique, Brétigny sur Orge.
Galvez Olivier, pharmacien principal, Service de pharmacie hospitalière, HIA Percy,
Clamart.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Gérome Patrick, médecin en chef, Service de biologie médicale, HIA Desgenettes, Lyon.
Gil Céline, médecin principal, Département d'anesthésie réanimation, HIA du
Val-de-Grâce, Paris.
Girardot Samuel, lieutenant colonel, Centre d'épidémiologie et de santé publique
des armées, Îlot Bégin Saint Mandé.
Gontier Éric, médecin en chef, Service de médecine nucléaire, HIA du Val-deGrâce, Paris.
Gonzalez Jean-François, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Service de chirurgie orthopédique, HIA Legouest, Metz.
Goudard Yvan, médecin principal, École du Val-de-Grâce, Paris.
Granger Veyron, Nicolas, médecin en chef, PPE États-Unis.
Grasser Laurent, médecin en chef, Département d'anesthésie réanimation, HIA du
Val-de-Grâce, Paris.
Guigay Joël, docteur, professeur agrégé, Institut Gustave Roussy, Villejuif.
Guilloton Laurent, médecin en chef, Service de neurologie, HIA Desgenettes, Lyon.
Holy Xavier, docteur.
Huberfeld Gilles, docteur.
Hupin Christian, médecin en chef, IRBA, IMATSSA, Marseille.
Imperato Marc, médecin en chef, Service de chirurgie viscérale, HIA Desgenettes,
Lyon.
Jandard Vincent, pharmacien principal, Service de pharmacie hospitalière, HIA
Percy, Clamart.
Joussemet Marcel, médecin général inspecteur, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
2e section.
Kaiser Éric, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, GMC Bouffard
Djibouti.
Koulmann Nathalie, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Institut
de recherche biomédicale des armées, Département environnements opérationnels, Unité physiologie des activités physiques militaires, Brétigny sur
Orge - École du Val-de-Grâce, Paris.
Lahutte Marion, médecin en chef, Service d'imagerie médicale, HIA du Val-deGrâce, Paris.
Lahutte Bertand, médecin en chef, Clinique de psychiatrie, HIA du Val-de-Grâce,
Paris.
Lataillade Jean-Jacques, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Département recherches et thérapies cellulaires, Centre de transfusion
sanguine des armées Jean Julliard, Clamart.
Le Bars Richard, pharmacien principal, Direction des approvisionnements en
produits de santé des armées, Bureau contrat opérationnel, Orléans.
Le Brousse-Kerdilès Marie-Caroline, professeur.
Le Floch Broquevieille Hervé, médecin, Service de pneumologie, HIA Percy, Clamart.
Le Moulec, Sylvestre, médecin en chef, Service d'oncologie et radiothérapie, HIA
du Val-de-Grâce, Paris.
12
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
LeNoel Anne, médecin des armées, Département d'anesthésie réanimation, HIA du
Val-de-Grâce, Paris.
Ligier Caroline, Ingénieur biomédical, Centre d'épidémiologie et de santé publique
des armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Malgoyre Alexandra, médecin principal, Institut de recherche biomédicale des
armées, Département environnements opérationnels, Unité physiologie des
activités physiques militaires, La Tronche.
Manet Ghislain, vétérinaire en chef réserviste, Centre d'épidémiologie et de santé
publique des armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Marchaland Jean-Pierre, médecin en chef, Service de chirurgie orthopédique, HIA
Bégin, Saint Mandé.
Margery Jacques, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
pneumologie, HIA Percy, Clamart.
Marié Jean-Lou, vétérinaire en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Antenne
vétérinaire, Marseille.
Martinez Jean-Yves, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Département
d'anesthésie-réanimation CITERA, HIA Desgenettes, Lyon.
Massoure Marie-Pauline, médecin principal, Service de gastro-entérologie, HIA
Legouest, Metz.
Mathieu Laurent, médecin principal, Service de chirurgie orthopédique, HIA Percy,
Clamart.
Mayet Aurélie, médecin principal, Centre d'épidémiologie et de santé publique des
armées, Îlot Bégin Saint Mandé.
Meaudre-Desgouttes Éric, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Département d'anesthésie-réanimation, HIA Sainte-Anne, Toulon.
Mérat Stéphane, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Département
d'anesthésie réanimation, HIA Bégin, Saint-Mandé.
Meynard Jean-Baptiste, médecin en chef, professeur agrégé, Centre d'épidémiologie
et de santé publique des armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Migliani René, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Centre
d'épidémiologie et de santé publique des armées, Îlot Bégin Saint Mandé.
Montcriol Ambroise, médecin principal, Département d'anesthésie-réanimation,
HIA Sainte-Anne, Toulon.
Mottier Franck, médecin en chef, Service de chirurgie orthopédique, HIA Desgenettes, Lyon.
N'Gabou David, médecin commandant, Service de chirurgie thoracique et générale,
HIA Percy, Clamart.
Nguyen Minh Khan, médecin en chef, Service de chirurgie orthopédique, HIA
Sainte-Anne Toulon.
Nioche Christophe, technicien de laboratoire, informaticien, Service d'imagerie
médicale, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Oliviez Jean-François, médecin en chef, Centre principal d'expertise médicale du
personnel navigant, Clamart.
Ollat Didier, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
chirurgie orthopédique, HIA Bégin, Saint Mandé.
13
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Ouologuem Madani, médecin principal, Clinique de neurologie, HIA du Val-deGrâce, Paris.
Paris Jean-François, médecin en chef, Service de médecine interne, HIA SainteAnne, Toulon.
Pasquier Pierre, médecin principal, Service d'anesthésie-réanimation, HIA du Valde-Grâce, Paris. Pavic Michel, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
médecine interne, HIA Desgenettes, Lyon.
Pelée De Saint Maurice Guillaume, médecin en chef, professeur agrégé du Valde-Grâce, Service d'anesthésie-réanimation, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Pellegrin Liliane, capitaine, IRBA, IMTSSA, Marseille.
Peltzer Juliette, docteur.
Péraldi Céline, infirmière anesthésiste de classe normale, Département d'anesthésie
réanimation, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Petijeans Fabrice, médecin en chef, Département d'anesthésie-réanimation
CITERA, HIA Desgenettes, Lyon.
Pommier de Santi Vincent, médecin principal, Centre d'épidémiologie et de santé
publique des armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Prat Marie, docteur.
Prat Nicolas, médecin principal, IRBA, UCPE, Marseille.
Précloux Pascal, médecin en chef, Département d'anesthésie-réanimation, CITERA,
HIA Desgenettes, Lyon.
Psimaras Dimitri, docteur, Service de neurologie, Hôpital de la Salpêtrière, Paris.
Raffray Pierre, médecin principal, Clinique de psychiatrie, HIA du Val-de-Grâce,
Paris.
Ricard Damien, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Clinique de
neurologie, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Rivière Frédéric, médecin principal, École du Val-de-Grâce, Paris.
Rondier Jean-Philippe, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Service de psychiatrie, HIA Percy, Clamart.
Sauvet Fabien, médecin principal, Institut de recherche biomédicale des armées,
Département environnements opérationnels, Unité vigilance, Brétigny sur Orge.
Schiele Philippe, médecin en chef, Service de chirurgie orthopédique, HIA ClermontTonnerre, Brest.
Snoussi Amel, docteur.
Sockeel Philippe, Médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
chirurgie viscérale, HIA Legouest, Metz.
Soret Marine, commandant, Service de médecine nucléaire, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Tahiri Hassan, médecin lieutenant colonel, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Service de chirurgie viscérale, Hôpital militaire d'instruction Mohamed V,
Rabat, Maroc.
Tanti Marc, docteur en documentation, Unité de veillec CESPA, IRBA, IMTSSA,
Marseille.
14
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Texier Gaëtan, médecin principal, Centre d'épidémiologie et de santé publique des
armées, Îlot Bégin, Saint Mandé.
Thépenier Cédric, médecin principal, Centre de transfusion sanguine, Clamart.
Thiery Gaëtan, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Chirurgie
maxillo-faciale, HIA Laveran, Marseille.
Tournier Jean-Nicolas, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, École
du Val-de-Grâce, Paris - Institut de recherche biomédicale des armées,
Département de microbiologie, Unité interaction hôte-agents pathogènes, La
Tronche.
Trouillas Marina, docteur.
Trousselard Marion, médecin en chef, École du Val-de-Grâce, Paris - Institut de
recherche biomédicale des armées, Département environnements opérationnels,
Unité neurophysiologie du stress, Brétigny sur Orge.
Truc Jean, médecin principal, Département d'anesthésie-réanimation CITERA, HIA
Desgenettes, Lyon.
Védrine Lionel, médecin en chef, professeur agrégé du Val-de-Grâce, Service de
radiothérapie, HIA du Val-de-Grâce, Paris.
Verret Catherine, médecin en chef, Centre d'épidémiologie et de santé publique
des armées, Paris.
Viance Patrice, médecin chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce,
Direction centrale du Service de santé des armées, Sous direction action
scientifique et technique, Vincennes.
Vittori Emmanuel, pharmacien en chef, Bureau d'études et pilotage, Cellule études
et prospective/stratégie-cohérence-synthèse, DCSSA, Vincennes.
Watier-Grillot Stéphanie, vétérinaire principal, Antenne vétérinaire, Toulon.
Wey Pierre-François, médecin en chef, Département d'anesthésie-réanimation
CITERA, HIA Desgenettes, Lyon.
15
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
16
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Transfusion sanguine
dans les armées
Transfusion sanguine dans les armées
17
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
18
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
La nouvelle stratégie transfusionnelle du
Service de santé des armées.
Justification et rationnel scientifique
Sylvain Ausset
1. Introduction
L’importance de la transfusion en chirurgie de guerre nous est quotidiennement
rappelée par l’exemple des conflits actuels en Irak et en Afghanistan puisqu’entre 25
et 30 % des blessés (civils ou militaires) pris en charge dans les formations médicales
de l’US Army nécessitent une transfusion [1-3] et 5 à 7 % une transfusion massive
(plus de 10 unités de produits sanguins) [2-4]. Ces données concordent avec les
statistiques françaises, puisque sur une série de 107 soldats blessés de 2002 à 2004,
15 % ont été transfusés (moyenne : 10±6 poches). Les urgences absolues représentaient
19 % des blessés avec un choc hémorragique dans 83% des cas [5].
2. Recommandations pour la pratique clinique
2.1. Les produits sanguins disponibles en opération extérieure
(OPEX) dans le Service de santé des armées (SSA)
Les Concentrés de globules rouges (CGR) disponibles sont préparés et
conditionnés en métropole par le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA).
Ils sont conservés entre + 2 et + 6°C, et leur durée de validité est de 42 jours.
Le plasma en dotation est du plasma lyophilisé (PLYO) [6]. Il s’agit d’un mélange
lyophilisé de Plasmas frais congelés (PFC) issus d’aphérèse et viro-inactivés par la
technique intercept utilisant l’Amotosalen, décongelés. Il peut être conservé à
température ambiante pendant deux ans et reconstitué en moins de six minutes. Les
plasmas sélectionnés sont de groupes ABO éventuellement différents mais exempts
d’anticorps immuns anti-A ou anti-B. Le produit final est ainsi compatible avec tous
les groupes sanguins et possède des propriétés biologiques et hémostatiques en tous
points comparables à du PFC décongelé [7]. Il n’y a pas de PFC en dotation en raison
des difficultés logistiques que représente le nécessaire maintien d’une chaîne du froid
négative [8, 9].
Le concentré de plaquettes ne peut pas trouver sa place à l’avant (au front). En
effet, les plaquettes doivent être conservées entre + 20°C et + 24°C et sous agitation
permanente, pour une durée maximale de cinq jours. Contrairement aux Américains
qui disposent depuis 2004 d’une machine d’aphérèse en Irak [10], le SSA français n’a
pas fait le choix d’une préparation de plaquettes sur site. Les apports en plaquettes sont
donc assurés par la transfusion de sang total [8].
Transfusion sanguine dans les armées
19
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
La dotation en produits sanguins des structures médico-chirurgicales avancées (20
à 50 CGR de groupe A et O, 10 à 40 unités de plasma) permet d’assurer la prise en
charge des blessés hémorragiques pendant la durée nécessaire à la collecte de sang total.
2.2. Quelles modalités d’attribution des produits sanguins
« de banque » en OPEX ?
En OPEX, les règles de transfusion sont de transfuser les CGR dans un groupe
iso-compatible avec le receveur. En tenant compte de la limite des stocks, cela revient
à transfuser les receveurs de groupe O, B et AB avec des CGR de groupe O ; les
receveurs de groupe A avec des CGR de groupe A. Le fait de transfuser en sang « standard » sans disposer de recherche d’agglutinines
irrégulières (RAI) est associé à un très faible risque dans ce contexte. Dans une
population de soldats donneurs de sang, c’est-à-dire supposés ne jamais avoir été
transfusés, le risque de rencontrer des agglutinines irrégulières a été mesuré à
14,5/10 000 chez la femme et 2,4/10 000 chez l’homme [11]. Seul un tiers de ces
anticorps irréguliers étaient des anti-D (anti-RH1), en conséquence il n’est pas, non
plus, tenu compte en OPEX du phénotype Rhésus pour la transfusion.
2.3. Stratégie lors d’une transfusion massive
Depuis la publication princeps de Borgman et al. montrant un bien meilleur
pronostic chez les blessés de guerre ayant bénéficié d’un ratio paritaire de globules
rouges et de plasma par rapport à ceux ayant bénéficié d’une stratégie « classique »,
plus d’une vingtaine d’études ont retrouvé des résultats comparables [12] (tableau 1).
Dans le cadre d’une transfusion massive, le pronostic vital du blessé de guerre [3, 4,1317], mais aussi du polytraumatisé est largement influencé par la stratégie
transfusionnelle [18-28]. L’utilisation concomitante de facteurs de coagulation (plasma,
plaquettes, fibrinogène…) lors d’un apport massif en globules rouges dans une
proportion s’approchant de la composition du sang total améliore significativement le
pronostic des traumatisés graves, notamment la survie. Quoique toutes
individuellement critiquables, entachées pour la plupart d’un « biais de survie » et
divergentes dans les exacts ratio transfusionnels testés [29, 30] ces études montrent
par la concordance de leurs résultats que la nature de la thérapeutique transfusionnelle
joue un rôle majeur dans la survie des patients hémorragiques, et ce soit au travers de
l’augmentation de la quantité et/ou de la précocité [3] des apports en plaquettes, plasma
ou fibrinogène, soit au travers d’un monitorage de l’hémostase biologique « au lit du
patient » par méthode viscoélastique (TEG®-ROTEM®) [32-35]. Pour les hémorragies massives, le ratio CGR/plasma doit donc se rapprocher de
1/1 [4, 19, 21, 26-28, 36-39] (Tableaux 2 et 3). Chez les patients n’ayant pas nécessité
de transfusion massive, un tel ratio semble également associé à une diminution de la
mortalité [40, 41] au prix d’un risque accru de lésions pulmonaires [42].
20
Transfusion sanguine dans les armées
Étude de cohorte
Rétrospective
Sperry et al.
[22]
415
134
77
Étude de cohorte
Suivi longitudinal
après modification
des pratiques
Étude de cohorte
Rétrospective
266
133
383
Étude de cohorte
Suivi longitudinal
après modification
des pratiques
Étude de cohorte
Rétrospective
Étude de cohorte
Rétrospective
Snyder et al.
[20]
Riskin et al.
[44]
Cotton et al. [21]
Kashuk et al. [43]
Teixeira et al. [19]
466
708
Étude de cohorte
Rétrospective
Spinella et al. [14]
Étude de cohorte
Rétrospective
252
Étude de cohorte
Rétrospective
Stinger et al. [13]
Holcomb et al. [18]
246
Effectif
Étude de cohorte
Rétrospective
Méthodologie de l’étude
Borgman et al. [4]
Auteurs
Traumatologie civile
415 polytraumatisés ayant nécessité une TM
Traumatologie civile
polytraumatisés ayant nécessité une TM
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives (2 plasma/2 CGR et 1 unité plaquettaire/5 CGR) chez 266 patients
133 patients de traumatologie civile ayant reçu une transfusion massive
Analyse des données transfusionnelles en fonction du décès ou non ou
de la survenue d'une coagulopathie ou non
Traumatologie civile
383 polytraumatisés sans TC grave ayant nécessité une TM parmi 4 241
patients transfusés dans un registre de 25 599 polytraumatisés
Traumatologie civile
polytraumatisés ayant nécessité une TM
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu un
ratio Pl/Gr ≥ 1/1,5 avec un hazard ratio de 2
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu un
ratio Pl/Gr ≥ 1/1,3 avec un odds ratio de 2,7
Diminution de la mortalité intrahospitalière de 45 à 19 %
après la mise en place d’une politique transfusionnelle
Pas d’incidence sur la mortalité à 24 heures
Diminution de la mortalité à 30 jours de 56,8 à 37,6 %
Diminution de l’incidence des SDMV de 37 à 16 %
Ratio Pl/Gr médian de 1/2 chez les patients
survivants et de 1/4 chez les décèdés
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu un
ratio Pl/Gr ≥ ⅓ avec un odds ratio de 3,46
Diminution de la mortalité de 19% chez les patients
ayant eu un ratio Pl/Gr ≥ ½
Blessés de guerre
Diminution de la mortalité avec un odds ratio de 1,2
708 patients transfusés parmi une cohorte de 3 287 blessés de guerre en
pour chaque unité de plasma transfusée
Irak ou Afghanistan
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu
plus de 0,2 g de fibrinogène/unité de CGR avec un odds
ratio de 2,7
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu un
ratio Pl/Gr ≥ ½ avec un odds ratio de 8,6
Blessés de guerre
246 patients ayant eu une TM parmi les 5 293 patients admis de novembre 2003 à septembre 2005 au Combat Support Hospital de Bagdad
Blessés de guerre
252 patients admis dans une structure sanitaire de campagne américaine en Irak ayant eu une TM
Résultats
Cadre de l’étude
Études portant sur l’impact de la stratégie transfusionnelle au cours des transfusions massives (TM) en traumatologie. Pl/Gr: ratio
nombre d’unités plasmatiques / nombre de concentrés érythrocytaires. TC : traumatisme crânien. SDMV : syndrome de défaillance
multiviscérale.
Tableau 1.
l’École du Val-de-Grâce
LES ANNALES DE
Transfusion sanguine dans les armées
21
22
259
466
832
659
216
118
157
75
307
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
multicentrique
Rétrospective
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
Rétrospective. Analyse d’un
registre de traumatologie
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Étude de cohorte
Rétrospective. Analyse d’un
registre de traumatologie
Gunter et al.
[24]
Zink et al.
[44]
Johansson et al.
[45]
Borgman et al.
[46]
Shaz et al.
[47]
Duchesne et al.
[48]
Dente et al.
[49]
Zaydfudim et al.
[50]
de Biasi
[31]
713
Étude de cohorte
Rétrospective
Maegele et al.
[23]
Tableau 1. Suite
Transfusion sanguine dans les armées
Traumatologie civile
Polytraumatisés ayant nécessité une TM
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Polytraumatisés ayant nécessité une TM
Mortalité décroissante avec l’augmention de l’apport en
plasma.
Diminution de la mortalité intrahospitalière de 53 à 31 %
après la mise en place d’une politique transfusionnelle
Diminution de la mortalité intrahospitalière de 83 à 64 %
après la mise en place d’une politique transfusionnelle
Diminution de la mortalité intrahospitalière de 79 à 60 %
après la mise en place d’une politique transfusionnelle
Pas de différence entre les deux périodes.
Amélioration de la survie chez l’ensemble des patients
ayant effectivement reçu une plus grande proportion de
facteurs de coagulation (plasma, plaquettes, fibrinogène…)
Diminution de la mortalité intrahospitalière avec un odds
ratio de 2,5 entre les patients ayant été transfusés avec
un ratio Pl/Gr > 1/2 et ceux transfusés avec un ratio de < 1/2
Diminution de la mortalité intrahospitalière de 32 à 20 %
après la mise en place d’une politique transfusionnelle
Diminution des mortalités à 6 heures et intrahospitalière
avec la diminution des ratios Pl/Gr et Plaquettes/Gr
Traumatologie civile
Polytraumatisés ayant nécessité une TM
Comparaisons des survies selon le ratio transfusionnel
(<1/4, 1/4-1,1, >=1/1)
Traumatologie civile
Etude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Diminution de la mortalité chez les patients ayant eu un
ratio Pl/Gr ≥ 2/3 avec un odds ratio de 1,8
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives chez 259 patients
Traumatologie civile
Diminution de la mortalité avec l’augmentation du ratio
713 polytraumatisés ayant nécessité une TM, extraits d’un registre de poPl/Gr
lytraumatisés
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
437
Étude de cohorte rétrospective. Analyse d’un registre
de traumatologie
O’Keeffe
[53]
Brown et al.
[54]
703
178
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Dirks
[52]
Étude de cohorte rétrospective des données de 23 centres de traumatologie aux
USA.
253
Étude de cohorte
Suivi longitudinal après modification des pratiques
Magnotti
[51]
Rowell et al.
[55]
103
Étude de cohorte retrospective. Analyse d’un registre
de traumatologie
Tableau 1. Fin.
Diminution de la mortalité à 24 heures et 30 jours pour
les patients transfusés avec un ratio > ½ quelque soit
le mécanisme lésionnel.
Diminution de la mortalité à 24 heures avec
l’augmentation de la proportion de plasma transfusé
quelque soit l’INR d’admission. Au total, diminution
de la mortalité entre 28 et 48% dès lors que le ratio
est au moins égal à ½.
Traumatologie civile
Analyse de l’impact sur la survie du ratio transfusionnel employé
au cours des transfusions massives en fonction du degré de
coagulopathie apprécié par l’INR à l’admission.
Traumatologie civile
Polytraumatisés ayant nécessité une TM.
Analyse de l’effet du ratio transfusionnel en fonction du mécanisme
lésionnel (pénétrant ou non).
Pas d’effet sur la mortalité des 24 premières heures.
Diminution de la mortalité au-delà des 24 premières
heures avec le protocole.
Pas d’effet sur la mortalité des 24 premières heures.
Diminution de la mortalité au-delà des 24 premières
heures avec le protocole.
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
Étude « avant-après » évaluant l’impact d’une stratégie transfusionnelle
pour les hémorragies massives
Traumatologie civile
polytraumatisés ayant nécessité une TM
Les patients transfusés avec un ratio Pl/Gr > ½ ont
eu une meilleure survie (62 vs 41 %). Mais cette
différence disparait en excluant les décès survenus dans
les six premières heures ou quand la
transfusion de plasma est traitée comme une variable
temps dépendante dans l’analyse statistique.
l’École du Val-de-Grâce
LES ANNALES DE
Transfusion sanguine dans les armées
23
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
De la même manière, une transfusion de fibrinogène dans un ratio ≥ 0,2 g/unité de
CGR permettrait également d’améliorer le pronostic des patients nécessitant une
transfusion massive [13]. Cet apport peut lui aussi être assuré par du sang total.
2.3.1. Transfusion de sang total
En opération extérieure, le SSA recommande, avec l’assentiment d’experts choisis
parmi les professionnels de l’AFSaPPS (actuellement ANSM), du Comité national
d’hémovigilance et de l’Académie de médecine, de recourir à une collecte de sang
total pour des indications collectives et logistiques (épuisement des réserves de la
banque de sang locale), mais aussi pour des indications individuelles (transfusion
massive et coagulopathie).
Tableau 2.
Analyse groupée des études de cohorte ayant évalué l’impact du ratio transfusionnel plasma/CGR dans le
cadre d’une transfusion massive (plus de 10 CGR) chez des patients traumatisés sur la mortalité dans les
24 premières heures. Les valeurs seuils des ratios testés variaient entre 1/1 et 1/3. Calculs effectués au
moyen du logiciel Revman en faisant l’hypothèse d’un effet fixe.
Tableau 3.
Analyse groupée des études de cohorte ayant évalué l’impact du ratio transfusionnel plasma/CGR dans le
cadre d’une transfusion massive (plus de 10 CGR) chez des patients traumatisés sur la mortalité tardive (30
jours postopératoire et intra-hospitalière). Les valeurs seuils des ratios testés variaient entre 1/1 et 1/3. Calculs
effectués au moyen du logiciel Revman en faisant l’hypothèse d’un effet fixe. On note une hétérogénéité des
données (I2= 72 % et chi2 pour hétérogénéité = 0,0002), cette hétérogénéité est due à l’inclusion des données
de Teixera et al [19] dont le retrait de l’analyse groupée améliore l’homogeneité du résultat (I2= 44 % et chi2
pour hétérogénéité = 0,07).riaient entre 1/1 et 1/3. Calculs effectués au moyen du logiciel Revman en faisant
l’hypothèse d’un effet fixe.
24
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Le mélange d’un CE (335 ml avec un hématocrite de 55 %), d’un CP (50 ml avec
55 000 plaquettes/mm3) et d’un PFC (275 ml avec un taux d’activité des facteurs de
coagulation de 80 %) permet d’obtenir un soluté ayant un hématocrite de 29 %,
88 000 plaquettes/mm3 et un taux d’activité des facteurs de coagulation de 65 %, tandis
qu’une unité de sang total correspond à 500 ml de fluide avec un hématocrite de 38 à
50 %, 150 000 à 400 000 plaquettes/mm3, et une activité de coagulation supérieure à
85 % [2, 56]. Une unité de sang total possède l’effet hémostatique de 10 concentrés
plaquettaires ; elle permet d’augmenter le taux d’hémoglobine en moyenne de 1,7 g/dl
et de corriger l’INR de 0,4 point [2, 57].
Plusieurs études rapportent une meilleure survie chez les patients transfusés par
du sang total comparativement à la thérapie transfusionnelle conventionnelle [57, 58].
Le délai nécessaire pour mener à bien une transfusion de sang total – de l’ordre
d’une heure pour une équipe entraînée [56] – conduit à distinguer les indications de
collecte des indications de transfusion de sang total. Une transfusion de sang total
pourra ainsi être anticipée en déclenchant très précocement une collecte sur les
premières données médicales disponibles [59-65]. Une telle anticipation est le seul
moyen de disposer de produits de coagulation, et notamment de plaquettes, au moment
opportun. Il est donc parfaitement admissible d’interrompre une collecte (si l’état du
patient s’améliore ou s’il décède), ou même de jeter du sang total que l’on ne
transfusera pas, si l’hémostase a pu être faite sans recourir au sang total.
2.3.1.1. Quelles modalités d’attribution du sang total ?
Le sang total apportant à la fois les antigènes (hématies) et les anticorps (plasma)
du donneur, la transfusion ne doit plus être seulement isocompatible comme pour les
CGR, mais iso-groupe. Pour les mêmes raisons que pour les CGR, la compatibilité
Rhésus en OPEX n’est pas impérative. Une détermination Rhésus sera effectuée lors
de la qualification biologique des dons uniquement afin de pouvoir documenter le
dossier transfusionnel. 2.3.1.2. Quels délais pour utiliser le sang total ?
Le sang total est constitué d’une suspension de cellules à durée de vie très variable
dans une solution de différents composés eux-mêmes de durée de vie très variable.
Les capacités thérapeutiques du sang total, ainsi que les complications potentielles qui
découlent de son utilisation, sont directement fonction du temps qui s’est écoulé entre
le prélèvement et son utilisation. Le sang total est donc à utiliser dans la journée qui
suit son prélèvement. Toute conservation à basse température conduirait à une perte
de la fonction plaquettaire.
2.3.2. Produits adjuvants de l’hémostase
2.3.2.1.Facteur VII activé( FVIIa)
De nombreux cas cliniques et séries, rapportant l’utilisation du FVIIa dans le
traitement de la coagulopathie des patients traumatisés, ont été publiés, et montrent
une réduction des besoins transfusionnels, sans différence significative en ce qui
concerne le pronostic [1, 66, 67]. Transfusion sanguine dans les armées
25
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Un double essai clinique multicentrique international, randomisé, en double
aveugle, contre placebo, chez des patients victimes de traumatismes fermés ou
pénétrants a montré parmi les patients victimes de traumatismes fermés une diminution
des besoins transfusionnels dans le groupe recevant du FVIIa. En revanche, dans les
traumatismes pénétrants, la tendance à la réduction des besoins transfusionnels
observée n’était pas significative [68]. Un deuxième essai multicentrique – l’étude CONTROL – réalisé dans 100 hôpitaux
répartis dans 20 pays a inclus 573 patients (481 traumatismes fermés et 92 traumatismes
pénétrants) victimes d’hémorragies graves. 560 reçurent du FVIIa (474 traumatismes
fermés et 86 traumatismes pénétrants) [69]. L’essai a été interrompu avant d’avoir
atteint les 1 502 patients planifiés à l’avance, en raison d’une absence de différence
lors de l’analyse intermédiaire qui, combinée avec une mortalité nettement plus basse
que prévue (10,8 % au lieu de 27,5 %) rendait illusoire toute recherche d’une
quelconque différence entre les deux groupes. En effet, en dépit d’une réduction des
besoins transfusionnels, il n’existait pas de différence de mortalité entre le groupe traité
et le groupe placebo. La prise en charge était rigoureusement standardisée de
l’admission à la réanimation post-chirurgicale afin de limiter les facteurs confondants
liés à la variabilité des soins. On peut raisonnablement penser que cette standardisation
des soins est dans une large mesure à l’origine de cette mortalité basse et d’ailleurs
l’analyse post-hoc de cette cohorte retrouve la mauvaise compliance au protocole
associée à un surcroît de mortalité. Cette association persistait après ajustement sur les
caractéristiques des patients et du traumatisme [70].
Le résultat négatif de cette étude rejoint ceux d’une méta-analyse des essais
randomisés portant sur les indications « hors-AMM » du FVIIa publiée peu après et
qui ne retrouve pas de bénéfice à ce produit en termes de mortalité [71]. En revanche,
en traumatologie, le FVIIa n’est pas associé à une fréquence accrue d’évènements
thromboemboliques et est associée à une diminution modeste (5 %) du risque de
SDRA. Dans les autres principales indications « hors-AMM » – les hémorragies
intracrâniennes et la chirurgie cardiaque – aucun bénéfice n’est constaté sur la mortalité
tandis que le risque thromboembolique est accru.
Chez le blessé de guerre, l’emploi du FVIIa fait partie des recommandations
émises par l’armée américaine pour la prise en charge des patients hémorragiques [72],
et il est employé sur le front chez 25 % des patients transfusés [73]. Reprenant le Joint
theater trauma register (JTTR) de 2003 à 2009, Wade et al. ont analysé parmi les
18 638 patients enregistrés les 2 050 blessés américains ayant reçu une transfusion
(11 %) [73]. Un quart d’entre eux avaient reçu du FVIIa, soit 2,7 % de l’ensemble des
blessés de guerre. Une analyse multivariée après utilisation d’un score de propension
ne retrouvait pas de bénéfice en terme de mortalité selon que les patients aient reçu du
FVIIa ou non (20 % de décès vs 14 %, p=0,08). Il n’existait pas non plus de différence
en termes de complications (21 % vs 21 %, p = 0,88). L’effet d’épargne sanguine du
FVIIa suggérée par de précédentes études n’était pas retrouvé dans ce travail.
26
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
2.3.2.2. Antifibrinolytiques
Les agents antifibrinolytiques se sont avérés efficaces pour réduire le saignement
en chirurgie réglée, en particulier cardiaque [74]. L’acide tranexamique chez les
traumatisés a récemment fait l’objet de l’étude CRASH-II (Clinical Randomisation of an
Antifibrinolytic in Significant Heamorrhage), portant sur une population de 20 000 traumatisés
en choc hémorragique ou à risque de saignement important. Cette étude a montré que
l’administration d’acide tranexamique à la dose de un gramme en 10 minutes, suivie
de l’administration de un gramme sur 8 heures réduit de manière significative la
mortalité, sans majoration significative du nombre d’événements thrombotiques
symptomatiques [75]. L’analyse post-hoc de cette cohorte révèle que ce gain de survie
est d’autant plus marqué que le produit est administré précocement avec une absence
de gain pour une administration au-delà de trois heures après le traumatisme, tandis
que la diminution du nombre de décès de cause hémorragique est de 32 % si le produit
est administré dans la première heure et de 21 % entre la première et la troisième
heure [76].
2.3.2.3. Quelles indications aux thérapeutiques pharmacologiques de
réduction du saignement ?
L’utilisation du FVIIa dans les hémorragies graves d’origine traumatique ne
parvient pas à faire la preuve de son efficacité en termes de mortalité alors que d’autres
options thérapeutiques montrent une réelle efficacité dans cette même indication.
Le premier enseignement à en tirer est que le damage control resucitation [77] est
au cœur des préoccupations des réanimateurs militaires. Un des résultats majeur de
l’étude CONTROL est en effet que l’échec à mettre en œuvre une telle stratégie était
associé à une mortalité multipliée par trois [70].
Le second enseignement est que l’acide tranexamique employé précocement est
une thérapeutique simple, peu onéreuse et ayant montré une réduction significative de
la mortalité dans ce contexte sans surcroît de complications thrombotiques.
Le troisième enseignement est que le fait que le FVIIa n’ait pas pu montrer de
bénéfice alors que les autres stratégies y sont parvenues dans un contexte comparable
confirme que ce produit n’a qu’une place d’adjuvant dans une stratégie de damage
control resucitation bien menée. Pour autant, l’analyse des « survies inespérées » du
registre britannique nous rappelle qu’une réanimation agressive en complément d’une
stratégie de damage control surgery peut être payante [78]. Dans ce contexte, le FVIIa
conserve le rôle de « produit de la dernière chance » que lui avait défini le Comité
consultatif du Service de santé en 2008 [79].
3. Conclusion
La transfusion en OPEX demeure donc un élément fondamental dans la prise en
charge des blessés hémorragiques. Ses options stratégiques sont maintenant éclairées
par plusieurs vastes études de cohorte et encadrées par des recommandations de bonne
pratique du Service de santé des armées, sous contrôle des instances françaises de
régulation et de surveillance de la transfusion sanguine. Transfusion sanguine dans les armées
27
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Benoît Clavier, Anne
Deshayes, Patrick Gérome, Nicolas Granger-Veyron, Éric Kaiser, Éric Meaudre
Desgouttes, Emmanuel Vittori.
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Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Prise en charge du choc
hémorragique en opération
extérieure :
du ramassage à la structure
chirurgicale inclu
Transfusion sanguine dans les armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Prise en charge du choc hémorragique
en opération extérieure : du ramassage à
la structure chirurgicale inclus
Éric Meaudre-Desgouttes
1. Introduction
Le choc hémorragique en Opération extérieure (OPEX) est responsable de
nombreux décès dont une partie importante est évitable. L’hémostase constitue la pierre
d’angle de leur prise en charge. Le médecin anesthésiste – réanimateur qui s’envole
vers une structure médico-chirurgicale de l’avant doit connaître les spécificités
opérationnelles de la prise en charge de ce type de blessé. 2. Choc hémorragique au combat :
physiopathologie
Les Improvised explosing devices (IED) représentent les principaux agents
vulnérants en Afghanistan. Ils sont à l’origine d’hémorragies externes, par lésions de
membres, non protégés par l’armure du combattant, et peuvent aboutir en quelques
minutes à une exsanguination. Les blessures par balles et par éclats (mortier, roquette
antichar) sont également fréquentes. En opération extérieure, des hémorragies internes
sont possibles, secondaires à des traumatismes fermés au cours d’accidents de la
circulation, loin d’être exceptionnels en OPEX.
L’hémorragie aboutit à un état de choc hémorragique lorsque la perfusion tissulaire
n’est plus assurée. La pression artérielle est maintenue tant que l’hypertonie
sympathique compense la diminution du volume sanguin circulant. La diminution de
la pression artérielle témoigne d’une perte sanguine supérieure à 40-50 % du volume
sanguin total. Une bradycardie, adaptation physiologique ultime pour permettre au
ventricule gauche de se remplir, signe une hypovolémie extrême et annonce un arrêt
cardio-circulatoire imminent.
Initialement au cours du saignement, l’hémoglobine et l’hématocrite ne reflètent
pas le volume sanguin perdu car les proportions de plasma et de globules rouges sont
conservées [1]. C’est en réalité le remplissage vasculaire qui démasque l’anémie. Une coagulopathie traumatique est fréquente [2]. Elle aggrave le pronostic,
augmente les besoins transfusionnels et la mortalité. Elle est initiée par le traumatisme
tissulaire qui consomme des facteurs de coagulation. Elle est amplifiée par l’état de
choc qui active l’endothélium vasculaire. Enfin et surtout, elle risque d’être aggravée
par cinq déterminants si la réanimation est mal conduite. Ainsi, un hématocrite inférieur
à 25 % éloigne les plaquettes de l’endothélium et diminue leur agrégation. La dilution
Transfusion sanguine dans les armées
37
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
des facteurs de coagulation est liée à une disproportion de la restauration vasculaire
par les solutés de remplissage et la transfusion de Concentrés de globules rouges
(CGR). L’hypothermie entraîne la séquestration des plaquettes, diminue leur fonction,
et abaisse le fibrinogène disponible et l’activité des facteurs de coagulation ; elle
augmente également la fibrinolyse [3, 4]. L’acidose métabolique secondaire à l’état de
choc diminue fortement l’activité enzymatique des facteurs de coagulation [5].
L’hypocalcémie, qui peut être précoce, est multifactorielle : dilution, chélation et
trapping par les colloïdes, le lactate et par le citrate des CGR [6].
Par conséquent, l’arrêt de l’hémorragie tout en assurant une coagulation efficace
constitue l’objectif du traitement du choc hémorragique. Ce traitement repose sur cinq
aspects (figure 1) [7, 8] :
– une hémostase « tactique », sur le terrain, pour arrêter les hémorragies
extériorisées,
– une réanimation hémodynamique spécifique jusqu’à l’hémostase chirurgicale
pour éviter d’aggraver l’hémorragie et la coagulopathie : acceptation d’un niveau de
pression artérielle basse, volume de remplissage limité et recours précoce aux
vasopresseurs [9, 10],
– une hémostase chirurgicale écourtée,
– une réanimation transfusionnelle pour permettre une coagulation efficace,
– une réanimation hémodynamique après l’hémostase qui vise à restaurer la
perfusion tissulaire.
3. Une structure chirurgicale à organiser pour
accueillir un blessé en choc hémorragique
Figure 1.
État de choc hémorragique en opération extérieure : actions thérapeutiques.
38
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Les moyens humains et matériels sont limités et différents de ceux disponibles
dans nos hôpitaux d’instruction. Ces moyens dépendent de la structure (Role 2 ou 3)
et peuvent également varier d’une mission à l’autre. L’organisation de la structure
chirurgicale de l’avant est donc essentielle. Ceci est particulièrement vrai pour les
équipes constituées ponctuellement à l’occasion d’un « renfort hospitalier », non
habituées à travailler ensemble, contrairement aux équipes des antennes chirurgicales.
La présence d’équipes multinationales ajoute de la complexité à l’organisation
(standards différents, difficulté de communication selon le niveau d’anglais de chacun).
Afin d’optimiser ce potentiel, des actions sont à mener dès les tous premiers jours.
3.1. Au sein de la structure chirurgicale
Parmi les personnels paramédicaux, l’expérience de la pratique des urgences
vitales est souvent inégale. Un personnel d’un Service d’accueil des urgences (SAU)
n’a pas la même expérience qu’un personnel d’un service médical. La pratique
transfusionnelle est également très variable. Un infirmier d’oncologie ou d’orthopédie
a habituellement une plus grande expérience transfusionnelle que les autres. C’est
pourquoi des rappels concernant la prise en charge du choc hémorragique et de la
transfusion sont utiles en début de mission. Si un technicien de laboratoire est présent,
les tâches de détermination du groupage sanguin et de qualification du don de sang
total lui sont naturellement confiées, sinon il faut l’organiser.
Les Produits sanguins labiles (PSL) sont limités. La dotation est de 30 à 40 CGR
conservés entre 4 et 6° C. Il s’agit essentiellement de groupe A et O. Le ravitaillement
est assuré par le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) toutes les trois
semaines (figure 2). Les CGR non utilisés sont détruits lorsque leur durée de
Figure 2.
État quotidien de la
banque de sang.
Transfusion sanguine dans les armées
39
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
conservation atteint 42 jours. Il n’y a ni plasma frais congelé, ni concentré plaquettaire.
Le Plasma cryodesséché (PCS) est un produit remarquable fabriqué par le CTSA. Il
est aussi efficace que le plasma frais congelé. Il se conserve 2 ans dans son emballage
d’origine, idéalement à + 4° C, mais tolère la conservation à température ambiante
(figure 3). Produit à partir de plusieurs donneurs et dépourvu d’hémolysine, sa
transfusion se fait indépendamment du groupe sanguin du receveur. Des dispositifs
d’auto-transfusion (récupération de sang peropératoire, système de drainage
thoracique) sont présents (figure 4). Une dotation de rFVIIa (NOVOSEVEN®) et de
fibrinogène est habituelle.
Figure 3.
Plasma cryodesséché produit par le
Centre de transfusion sanguine des
armées avant et après reconstitution.
Figure 4.
Autotransfusion d’un hémopéritoine par Cell-saver (A), autotransfusion d’un hémothorax (B), transfusion d’un
concentré érythrocytaire de la banque de sang (C).
3.2. Avec le Comsanté et les médecins des unités déployées
La transfusion de sang total, prélevé sur combattant, est prévue et encadrée [11]
(figure 5). Elle est autorisée en cas de transfusion massive et/ou de coagulopathie
40
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
clinique parce que le risque lié à cette transfusion (viral notamment) est très inférieur à
celui de décéder du choc hémorragique. Ceci a bien été souligné par les experts civils
et militaires à l’occasion du Comité consultatif du Service de santé des armées en 2008,
consacré à la transfusion en OPEX [11] ; aboutissant ainsi à la rédaction de fiches
techniques par le CTSA (disponibles sur le site Intradef). L’organisation de la collecte
dépend de la ressource « sur pied » disponible, exclusivement française ou
internationale. Le rôle des médecins d’unité est essentiel pour que la collecte soit la plus
rapide et la plus sûre possible, particulièrement lorsque la ressource est limitée. Elle est
organisée par l’anesthésiste-réanimateur et les médecins d’unité. La transfusion de sang
total est particulièrement efficace parce qu’elle apporte tous les éléments sanguins, en
proportion physiologique, et en particulier des plaquettes et des facteurs procoagulants,
à température ambiante, avec des globules rouges non déformés et performants [12,
13]. Cette transfusion est isogroupe (globule rouge et plasma) et non nécessairement
isoRhésus. Il faut environ 60 minutes pour obtenir une poche de sang total, temps
nécessaire pour récupérer les donneurs de même groupe sanguin que celui du blessé,
les sélectionner, les prélever et qualifier le sang prélevé (groupage sanguin, test de
diagnostic rapide de l’infection à VIH, et prochainement à VHC). C’est la raison pour
laquelle la distinction est faite entre indication de collecte d’une part, et indication de
transfusion de sang total d’autre part. L’indication de collecte de sang total peut être
décidée dès l’admission d’un blessé, ce qui permet de gagner un temps précieux.
L’indication de transfusion de sang total est posée en cas de transfusion massive (> 5 CGR
en 3 heures), en cas d’échec de l’hémostase chirurgicale, et en cas de ressources
insuffisantes de la banque de sang locale. La traçabilité est essentielle.
Figure 5.
Prélèvement et transfusion de sang total.
Transfusion sanguine dans les armées
41
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
3.3. Avec les structures chirurgicales alliées [11]
Les stratégies en matière de transfusion sont variables selon les Services de santé
mais les moyens peuvent être partagés dans certaines situations. La transfusion de PSL
de pays alliés est possible, y compris ceux provenant du Royaume-Uni, en tenant
compte du risque d’infection à prion. En effet, en cas de choc hémorragique, le rapport
bénéfice/risque est en faveur de la transfusion, le risque de décès étant proche de 4050 %. Ici encore, la traçabilité est essentielle.
Au total, le tour d’horizon des premiers jours concerne à la fois la structure
chirurgicale et son environnement. L’organisation qui en découle permettra de gagner un
temps précieux quand le blessé sera annoncé. C’est la raison pour laquelle l’idéal est de
travailler rapidement, ce qu’impose d’ailleurs parfois la situation opérationnelle, afin de
prendre rapidement possession des lieux et de favoriser la cohésion de l’équipe. Des
exercices sont utiles, notamment pour valider l’organisation de la collecte de sang total. 4. Prise en charge au ramassage : le sauvetage au
combat
Le sauvetage au combat correspond à l’ensemble des mesures de prise en charge
du blessé à l’avant, appliquées par le combattant lui-même et/ou ses camarades
(Sauvetage au combat de 1er niveau SC1) et/ou les personnels du Role 1 (Sauvetage
au combat de 2e niveau SC2).
Il s’agit d’actes réflexes, formalisés, enseignés dans les Centres d’instruction des
techniques de réanimation de l’avant (CITeRA), relayés dans les régiments par les
médecins d’unité et les infirmiers. Ces actes sont revus périodiquement par le Comité
tactique des CITeRA. Ils ont deux objectifs : assurer une hémostase « tactique », et
débuter une réanimation hémodynamique spécifique. La procédure est décrite ainsi : – répondre si besoin par les armes pour extraire le blessé sous le feu, sans se mettre
en danger, et le mettre à l’abri,
– arrêter les hémorragies externes : le garrot dit « tactique » est la première mesure
à mettre en œuvre au niveau des membres (SOF® Tactical Tourniquet en dotation).
Le garrot est le seul moyen d’hémostase à utiliser sous le feu. Sa mise en place est
facile, efficace, grevée de peu de complications [14, 15]. Tout combattant doit savoir
le mettre sur lui-même ou sur un camarade. Sa conversion par un pansement
compressif de type israélien doit être tentée dans les deux premières heures, dès le
contact avec un médecin. Un pansement hémostatique (QUIKCLOT® Combat Gaze)
peut être utilisé pour relayer un pansement compressif inefficace, notamment au niveau
des régions frontières non garrotables (cou, régions axillaires et inguinales). Sa mise
en place ne se fait qu’après avoir mis le blessé à l’abri, car son recours nécessite du
temps : compression manuelle pendant 5 minutes. Ce pansement ne sera retiré qu’au
niveau du Role 2.
– un abord vasculaire par cathéter 18G est mis en place. Il est obturé si le blessé
est conscient et le pouls palpable. Après deux échecs de tentative de pose de voie
42
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
veineuse, un cathéter intra-osseux est posé. L’accès intra-osseux permet d’administrer
tout type de médicament ou de soluté. – le remplissage vasculaire est limité pour éviter toute dilution néfaste. Il ne débute
que si le pouls radial n’est pas perçu (soit une Pression artérielle systolique (PAS)
proche de 80 mmHg) et/ou si le blessé est somnolent, selon les modalités suivantes :
250 ml de sérum salé hypertonique (7,5 %) en titration sur 20 minutes, renouvelable
une fois ; ou 500 ml de VOLUVEN®. – le recours aux vasopresseurs est précoce après avoir débuté le remplissage.
L’absence de pouls radial conduit à l’administration de 0,1 mg d’adrénaline (1 mg
d’adrénaline dilué dans 10 ml de sérum physiologique), puis en continu à la posologie
de 0,25 à 1 mg/h. L’objectif hémodynamique est la perception du pouls radial. – l’hypothermie est prévenue en isolant le blessé du sol, en utilisant les couvertures
en dotation.
– les traitements complémentaires comportent : immobilisation des fractures,
analgésie et antibiothérapie par amoxicilline-acide clavulanique en cas de lésion
ouverte. – le blessé est évacué le plus rapidement possible vers une structure chirurgicale.
5. Prise en charge dans la structure chirurgicale
Alertés et renseignés autant que possible sur l’état du blessé (message et
information téléphoniques), les personnels attendent le blessé en salle de déchoquage.
Les tâches de chacun des membres de l’équipe de déchoquage sont connues car elles
ont été établies à l’avance.
Son accueil diffère peu du choc hémorragique pris en charge dans nos hôpitaux
d’instruction. Les modalités de la réanimation transfusionnelle constituent la principale
spécificité en OPEX. En moins de 20 minutes, il faut établir le diagnostic, compléter
les hémostases externes, poursuivre la réanimation hémodynamique, poser l’indication
de collecte de sang total, débuter la réanimation transfusionnelle et conduire le patient
au bloc opératoire.
5.1. Diagnostic
Le diagnostic positif d’état de choc hémorragique est clinique : pression artérielle
pincée, tachycardie, et soif (hypovolémie), marbrures cutanées et somnolence
(hypoperfusion tissulaire), anamnèse lésionnelle, hémorragie extériorisée, pâleur
conjonctivale et cutanée (anémie).
Le diagnostic de gravité comprend une PAS < 80 mmHg et une bradycardie. Il
impose un remplissage rapide et le recours aux vasopresseurs. La mesure de
l’hémoglobine par microméthode permet de décider de la transfusion immédiate de
CGR O négatif. Le diagnostic lésionnel repose sur l’examen clinique (patient déshabillé et
Transfusion sanguine dans les armées
43
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
retourné), et l’échographie de type PREP®. L’hémostase externe est complétée pendant
l’examen clinique.
Les diagnostics différentiels (pneumothorax compressif, tamponnade) d’un tableau
associant état de choc et hémorragie sont éliminés grâce aux examens précédents.
5.2. Poursuivre la réanimation hémodynamique
L’abord vasculaire est vérifié et utilisé. Une autre voie veineuse périphérique est
mise en place. La pose d’un désilet court et de fort diamètre par voie fémorale se
discute en quelques instants. Sa mise en place est justifiée en présence de signes de
gravité (nécessitant remplissage et transfusion rapide), en même temps qu’un capteur
artériel (monitorage des faibles niveaux de pression artérielle). L’admission au bloc
opératoire ne doit pas être retardée par la pose de ces cathéters qui pourra se faire en
début d’intervention. En mettant en place ce (ces) abord(s) vasculaire(s), il est essentiel de réaliser un
prélèvement sanguin comportant : – un tube EDTA pour déterminer le groupe sanguin par technique de
Beth-Vincent ; la première détermination étant donnée par la plaque d’identité du
patient. La mesure de l’hémoglobine par microméthode donne alors une estimation de
l’hémoglobine.
– la numération formule et le bilan de coagulation, lorsqu’ils sont disponibles
(longs à obtenir), ne servent que de référence de départ. La réanimation hémodynamique donne la priorité aux vasopresseurs jusqu’à
l’hémostase (noradrénaline en particulier). Des posologies élevées (supérieures à 0,51 μg/kg/min) peuvent être nécessaires pour maintenir une PAS entre 80 et 90 mmHg.
La priorité est donnée aux PSL pour éviter toute dilution délétère. En attendant leur
disponibilité, le sérum salé hypertonique et /ou les colloïdes sont poursuivis. Après
quelques minutes, le réanimateur se fait une idée du débit de l’hémorragie en mettant
« en équation » les variations hémodynamiques (PAS surtout) et les variations de
l’intensité du soutien hémodynamique (posologie de noradrénaline, remplissage
vasculaire, transfusion). Ce raisonnement sera poursuivi au bloc opératoire en intégrant
dans « l’équation » les informations chirurgicales (« cela saigne », « cela saigne
moins », « cela ne saigne plus »). L’hémostase chirurgicale est habituellement suivie
d’une amélioration hémodynamique spectaculaire qui peut aboutir au sevrage des
vasopresseurs. Dans le cas contraire, cela signifie que le patient saigne encore ou qu’il
présente d’autres lésions responsables de l’instabilité hémodynamique (pneumothorax,
lésions médullaires, cardiaques). Néanmoins, l’utilisation de vasopresseurs est
habituellement nécessaire compte tenu de la vasoplégie liée à l’inflammation
systémique générée par l’état de choc. 44
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
5.3. Anesthésie du choc hémorragique – Hémostase
chirurgicale
En opération extérieure, l’anesthésie pour état de choc hémorragique est identique
à celle réalisée en métropole. Le risque principal est l’aggravation de l’instabilité
hémodynamique, voire la survenue d’un arrêt cardio-circulatoire, liée à la diminution
du remplissage ventriculaire gauche, elle-même secondaire à la baisse du retour
veineux par diminution de l’hypertonie sympathique générée par tous les agents
anesthésiques. L’induction de l’anesthésie est donc précédée d’une augmentation des
vasopresseurs. Sur le terrain, comme dans la structure chirurgicale, il s’agit d’une
induction à séquence rapide. Si l’hypnomidate est possible pour l’induction, la
kétamine offre l’avantage de pouvoir être utilisée pour l’induction et l’entretien de
l’anesthésie. Au bloc opératoire, le volume de l’hémorragie est un facteur critique et la précocité
de l’hémostase chirurgicale prime sur tout le reste. Les gestes doivent être rapides,
sans chercher une réparation définitive en un temps. L’identification du saignement
est la première difficulté (siège intra- ou rétro-péritonéal ? atteinte d’organes pleins
et/ou de vaisseaux ?). Le blessé présentant au cours de la prise en charge un arrêt
circulatoire avec présence de signes vitaux (tracé électrocardioscopique, présence de
réflexe cornéen ou pupillaire) doit bénéficier d’une thoracotomie de sauvetage soit par
voie antérolatérale gauche permettant le massage cardiaque interne et le contrôle de
l’aorte, soit d’une bithoracotomie par section transversale du sternum. Le chirurgien
recherche une plaie du cœur et une plaie du hile pulmonaire. Au cours d’une
laparotomie, le clampage de l’aorte abdominale devant un arrêt cardiaque peropératoire
est plus rapide en abordant l’aorte au niveau des piliers du diaphragme. À l’instar de la métropole, les mesures chirurgicales sont codifiées et écourtées :
hémostase évidente, tamponnements, sutures des fuites digestives. La fermeture
abdominale temporaire est une attitude logique, qui accélère le temps de fermeture,
facilite la réintervention et prévient, dans une certaine mesure, la survenue d’un
syndrome du compartiment abdominal. Les hémorragies intra-thoraciques sont résolues 8 fois sur 10 par simple drainage
aspiratif ; 20 % d’entre elles nécessitent un geste chirurgical, dont 5 % seulement en
extrême urgence. Concernant les traumatismes maxillo-faciaux, l’hémostase est
réalisée dans la majorité des cas avec les tamponnements à mèches ou à ballonnets.
La ligature carotide externe est efficace pour tarir une épistaxis traumatique
intarissable. Les lésions des membres sont parées et l’hémostase complétée. Les indications
de fasciotomie sont larges. Les lésions orthopédiques des membres bénéficient
précocement d’une fixation externe. Une amputation précoce peut constituer une
décision de chirurgie écourtée parce que la lésion du membre s’associe à une autre
lésion engageant le pronostic vital. Transfusion sanguine dans les armées
45
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
5.4. La réanimation transfusionnelle
Elle se poursuit tout au long de la prise en charge. Il est très utile de désigner un
infirmier uniquement occupé à cette tâche dès la prise en charge du blessé, optimisant
ainsi l’efficacité et la sécurité transfusionnelle. À tout instant, ce personnel est capable
de renseigner le médecin sur ce qui a déjà été transfusé (auto-transfusion, CGR, PCS)
et sur les transfusions en cours. Avec le médecin, il se tient régulièrement au courant
de l’avancée de la procédure de collecte de sang total. L’anticipation de la transfusion au cours du choc hémorragique est nécessaire, afin
d’éviter des niveaux d’hémoglobine ou de facteurs coagulants trop bas. Pour anticiper,
il faut d’abord s’être fait une idée du débit de l’hémorragie : degré d’instabilité
hémodynamique, estimation de l’hémoglobinémie par microméthode, données
chirurgicales et efficacité des mesures thérapeutiques effectuées. L’hémoglobinémie
doit se maintenir entre 7 et 9 g/dl. Dans les cas les plus graves d’exsanguination, la
transfusion se fait en continu jusqu’à ce que des mesures chirurgicales d’attente
(clampage vasculaire, compression hépatique) aient été effectuées. L’auto-transfusion
est mise en œuvre autant que possible. Le ratio transfusionnel entre plasma et CGR a
récemment évolué, pour réduire la disproportion intravasculaire entre hématocrite et
facteurs coagulants. Les facteurs de coagulation déjà perdus dans l’hémorragie et
consommés par la coagulation risquent d’être dilués par la transfusion de CGR. S’il
est probable que cette disproportion n’impacte que faiblement le pronostic des
traumatisés peu sévères, plusieurs travaux ont montré que le respect d’une proportion
plus importante de plasma dans la stratégie transfusionnelle avait un impact clinique
important chez les traumatisés sévères. Ainsi, Borgman et al. [16] ont analysé les
blessés au combat en Irak qui avaient reçu plus de 10 CGR au cours des 24 premières
heures. La mortalité était de 65 % lorsque le ratio était de 1 plasma/8 CGR, de 34 %
avec un ratio de 1/2,5, et de 19 % avec un ratio de 1/1,4. Les résultats d’autres auteurs
plaident en faveur d’une utilisation précoce et intensive, dès l’admission, de plasma
avec un ratio de 1/1. Récemment, l’impact favorable de cette stratégie a été retrouvé
en traumatologie civile. Le ratio précis reste encore débattu par manque d’études
robustes. En pratique, il importe de retenir un ratio autour de 1 PCS pour 1 à 2 CGR.
L’hypothermie est prévenue et la température mesurée régulièrement.
L’administration de chlorure de calcium évite l’hypocalcémie multifactorielle (1g
intraveineux tous les 3 à 5 CGR). La correction de l’acidose par des solutés
bicarbonatés n’est pas justifiée car elle n’améliore pas la coagulation.
La transfusion de sang total, l’administration de fibrinogène et de rFVIIa
s’envisagent dès lors que le régime transfusionnel en PSL de banque est celui d’une
transfusion massive. Cette situation est définie (parmi d’autres définitions) par une
hémorragie supérieure à 50 % du volume sanguin total en moins de 3 heures, et on
estime – par approximation – qu’elle correspond à la transfusion de 5 CGR en moins
de 3 heures. 46
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Trois situations doivent conduire à la transfusion de sang total : transfusion
supérieure à 5 CGR en moins de 3 heures, hémostase chirurgicale difficile et risque de
pénurie de sang de banque. L’apport de fibrinogène (CLOTTAFACT® ou CLOTAGEN® 1,5 g) est justifié
car l’apport induit par les PCS et les plasmas frais est modeste (1,5 g pour 5 CGR).
Le rFVIIa peut être utilisé en présence d’une hémorragie massive non contrôlée
avec échec d’hémostase chirurgicale malgré la mise en œuvre des mesures
chirurgicales disponibles, et malgré une prise en charge adaptée de la coagulopathie
(CGR, PCS, fibrinogène…). Il ne doit pas être utilisé avant le traitement chirurgical.
Il est contre-indiqué en cas de pronostic jugé au-delà de toute ressource thérapeutique
par l’équipe médicale. Une posologie moindre que celle des recommandations
européennes est proposée (90-100 µg/kg en bolus IV, comme celle des armées
britannique et israélienne) [11, 17].
5.5. Après l’hémostase chirurgicale
La réanimation hémodynamique change et l’objectif est de restaurer un niveau de
perfusion tissulaire suffisant (pression artérielle moyenne > 65 mmHg). L’utilisation
de vasopresseurs est nécessaire compte tenu de la vasoplégie liée à l’inflammation
systémique. Les efforts pour lutter contre la coagulopathie traumatique sont activement
poursuivis pour maintenir une « ambiance coagulante ».
Les éléments de surveillance clinique (pression artérielle, tachycardie, redons,
pansement) et biologiques peuvent aboutir à la décision d’une reprise chirurgicale. La demande d’évacuation sanitaire peut comporter une demande de ravitaillement
en PSL pour le blessé et/ou pour la structure chirurgicale.
6. Conclusion
Arrêter l’hémorragie et permettre la coagulation sont les objectifs primordiaux de
la prise en charge du choc hémorragique.
En OPEX, elle débute sur le terrain par des actes réflexes qui réduisent
l’hémorragie et la coagulopathie traumatique. Elle demande une adaptation et une
anticipation, notamment pour organiser l’accueil du blessé dans la structure
chirurgicale et pour organiser la collecte de sang total.
Des évolutions récentes ont permis de clarifier certains aspects de cette prise en
charge (indications de la transfusion de sang total en particulier). Une évaluation de la
thromboélastographie est en cours et pourrait permettre à terme de mieux prendre en
charge la coagulopathie traumatique. Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Yves Asencio, Julien
Bordes. Ambroise Montcriol, Transfusion sanguine dans les armées
47
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Transfusion sanguine dans les armées
49
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
50
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Passé, présent et futur de la transfusion
sanguine dans les armées
Jean-Jacques Lataillade
1. Introduction
« Liquide rouge, chaud et poisseux », le sang a depuis longtemps intrigué et fasciné
les hommes. Déjà en Égypte ancienne, il était considéré comme un symbole de vie,
on parlait de lui comme de « la rivière de la vie ». Il a été aussi l’objet de beaucoup de
croyances, mythes, légendes et superstitions. Il a cependant tout au long de l’histoire
marqué les temps forts de nombreuses batailles et guerres. Symbole de vie, le sang est
également très vite apparu source de transmission de maladies à l’origine d’une crise
sanitaire majeure du XXe siècle : l’affaire du sang contaminé. De cette crise, est née
une prise de conscience sécuritaire qui fait aujourd’hui de la transfusion sanguine un
modèle du genre tant le risque transfusionnel est devenu tabou. L’élaboration de
stratégies de « réduction du risque » toutes plus sophistiquées les unes que les autres
est sans cesse rattrapée par l’émergence de nouveaux agents transmissibles. Certains
ont même pensé qu’une hémoglobine de synthèse pourrait être à l’origine d’un sang
artificiel universel et sans risque de transmission inter-humaine d’agent infectieux.
D’autres ont imaginé, par génie cellulaire, fabriquer des globules rouges à partir de
cellules souches. Certains de ces progrès scientifiques seront probablement à l’origine
de la transfusion du futur qu’elle soit civile ou militaire, le sang n’ayant pas
d’uniforme ! Nous n’aborderons ci-après que les étapes principales qui ont conduit les
hommes, en passant de l’empirisme au scientifique, à proposer le sang et ses dérivés
comme « source de vie », avant de se transposer dans le futur pour imaginer ce que
pourraient être les nouveaux produits sanguins de demain.
2. La transfusion sanguine : une histoire riche en
évènements jalonnée par les grands conflits armés
Avant d’imaginer en 2012 ce que pourrait être la transfusion du futur, il est
intéressant de se replonger dans l’histoire et parcourir ainsi les expériences de nos
ancêtres médecins qui ne manquaient pas d’imagination sur le sujet.
Durant l’hiver 1667, le Docteur Denis, éminent médecin du roi Louis XIV,
déclarait pouvoir soigner la folie d’un malade mental devenu violent par une
transfusion de sang de veau, affirmant qu’elle apaiserait ses accès de violence. Bien
que son état s’améliore après la deuxième transfusion, le patient finît par mourir
rapidement [1]. Ces expériences de xénotransfusion effectuées par Denis avec du sang
animal déclenchèrent une violente controverse si bien qu’en 1670, le Parlement
français interdit les transfusions (figure 1) [2]. La transfusion sanguine tomba alors, et
ce pendant près de 150 ans, dans l’oubli complet.
Transfusion sanguine dans les armées
51
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 1.
Xénotransfusion. Gravure
illustrant l’appendix de l’édition
de 1671 de l’ouvrage
Armamentarium chirugicum
Renovatum et Auctum du
chirurgien allemand Jean Scultet, éditée par Jean-Baptiste
van Lanzweerde
(Source :
www. donnersonsang.org).
En 1818, l’obstétricien anglais James Blundell fit connaitre un nouvel essor à la
transfusion sanguine en transfusant le sang de son épouse à une femme souffrant d’une
hémorragie cataclysmique du post-partum. Il soulignait ainsi la nécessité de n’utiliser
que du sang humain. C’est en 1878 qu’un médecin français nommé Georges Hayem,
mit au point une solution saline pouvant être utilisée comme substitut du sang mais
avec l’avantage de ne pas coaguler et de ne pas donner d’effets secondaires. Mais très
vite, le médecin viennois Karl Landsteiner fit une découverte qui allait redonner à la
transfusion tous ses espoirs en permettant de comprendre pourquoi les expériences
passées s’étaient souvent terminées de façon tragique : l’existence des groupes sanguins
et du concept de compatibilité ABO [3]. C'est à la même époque que les chirurgiens
Carrel (Prix Nobel 1912) et Crue mettent au point une méthode de suture des vaisseaux
sanguins, l'anastomose, les premières transfusions bras à bras relevant en effet
totalement du geste chirurgical (figure 2). Grâce à cette avancée majeure, la transfusion
regagna la faveur des médecins, ce qui tombait à point nommé puisque devait éclater
la Première Guerre mondiale [4]. Lorsque la guerre éclate en 1914, la demande de sang devient importante, mais la
transfusion reste un acte dont les conséquences sont encore plus dommageables que
les plaies qu'elle prétend soigner. En effet, si on commence à comprendre le rôle de la
Figure 2.
Appareil de Curtis et David (1911).
Transfusion bras à bras (photo de
http://www.ints.fr/SangTransfHitoric.aspx).
52
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
compatibilité ABO pour éviter l'hémolyse, on ne dispose encore d'aucun test rapide et
fiable pour déterminer les groupes sanguins. Le danger d'accident transfusionnel est
donc assumé par quelques médecins militaires, soucieux de ne pas laisser leurs blessés
se vider de leur sang [5]. L'un de ces pionniers, Émile Jeanbreau, estimait le risque
d’hémolyse à seulement 3 % des cas transfusés. Mais en réalité seulement quelques
dizaines de blessés furent transfusés de bras à bras, les donneurs étant soit des blessés
légers, soit le personnel médical des hôpitaux de campagne [4]. L'acte nécessitait une
véritable dextérité de la part du praticien puisqu'il l'obligeait à une véritable course
contre la montre pour éviter la coagulation. Un formidable mouvement de recherche
à la fois sur le terrain des opérations et dans les laboratoires de recherche des pays en
guerre a permis la réalisation de progrès considérables et en particulier la découverte
de l’anti-coagulation. C’est aux États-Unis que le docteur Richard Lewisohn, du Mount
Sinai Hospital à New York, a expérimenté avec succès les vertus anticoagulantes du
citrate de sodium [6] Sur le terrain, la capacité de dissocier le prélèvement de sang du
donneur et sa transfusion chez le receveur a très largement facilité l’utilisation du sang.
Les premières techniques étaient certes rudimentaires, mais très efficaces, consistant à
prélever le sang en présence de citrate et à le réinjecter directement au receveur (figure 3).
igure 3.
Utilisation de citrate de soude par Hustin (1914) et
Levisohn (1915) ;
(photo de http://www.ints.fr/SangTransfHitoric.aspx).
Les médecins militaires débordent alors d’ingéniosité pour développer des
appareillages simples et efficaces pour assurer ces transfusions sur le terrain.
Néanmoins, les conditions de recueil font que le sang n’est pas réellement conservé.
Parallèlement, en laboratoire, des techniques se développent qui permettent une réelle
conservation, certes encore modeste, du sang total [4]. Ainsi, la guerre a engendré plus
de mises au point techniques que de réelles avancées scientifiques mais elle a permis
en revanche de prendre conscience de l’importance de la transfusion pour la médecine
hospitalière. En France en 1923, deux médecins de l'Assistance publique de Paris,
Lévy-Solal et Tzanck, installent un service de transfusion sanguine d'urgence (groupe
O uniquement) à l'hôpital Saint- Antoine de Paris. La transfusion s'effectue de bras à
bras avec un appareil mis au point par Tzanck, constitué de deux canules et d'une
seringue permettant de calculer le volume de sang injecté (figure 4). Les donneurs
devaient remplir une déclaration sur l'honneur attestant leur bon état de santé, mais
l'hôpital pratiquait déjà le dépistage biologique, a posteriori, de la syphilis, du
paludisme et de la tuberculose [4]. De 1933 à 1939, plus de 50 000 transfusions y ont
été réalisées. Compte tenu de ces développements, le principal problème devient la
conservation du sang, c'est-à-dire la substitution du sang en flacon à la transfusion de
Transfusion sanguine dans les armées
53
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 4.
Appareil à transfuser d’Arnault Tzanck ;
(photo de WH Schneider. Arnaud Tzanck
MD (1886-1954). Transfusion Medicine
Reviews. 2010, Volume 24, Issue 2:147-50).
bras à bras. Le problème technique majeur posé par le sang en conserve est d'empêcher
sa coagulation. La Première Guerre mondiale avait été marquée par l'invention du
citrate de soude, mais des doutes persistaient sur son innocuité. Le physiologiste
Wurmser, qui travaillait pour le Service de santé des armées, confirmait l'innocuité du
citrate et mettait au point avec la collaboration de Jeanneney, une technique de
conservation du sang à basse température. Ce système est très vite adopté par Tzanck et
pour la transfusion militaire à partir de 1938. L'armée utilisera des ampoules scellées de
250 cm3 de sang total, dont la qualité était assurée pendant une quinzaine de jours [4].
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les besoins en sang augmentèrent fortement.
On voyait partout des affiches portant des slogans tels que « Donnez votre sang » ou
« Votre sang peut le sauver ». La prise en charge transfusionnelle des blessés était
assurée par les Services de santé de toutes les armées impliquées, avec essentiellement
du sang conservé en flacons scellés, mais les recherches se poursuivaient activement
pour en augmenter la durée de conservation qui n’était alors que de 10 jours [6]. Cette
période a réellement été à l’origine de la transfusion moderne, grâce à trois
développements majeurs : le fractionnement du plasma, la mise au point d’une solution
de conservation du sang et l’introduction des poches en plastique en remplacement
des flacons de verre. Cependant, le mode de fonctionnement de la recherche
scientifique a divergé entre les deux conflits. Alors que le premier avait vu les médecins
militaires jouer le rôle d'instigateurs et passer ensuite le relais à la médecine hospitalière
civile, cette fois-ci, la responsabilité de la mobilisation scientifique était confiée aux
civils [4].
Au printemps 1940, trois commissions médicales du CNRS s'intéressaient à la
médecine de guerre, l'une pour l'étude de la physiologie du choc, la seconde pour la
cicatrisation des plaies et la troisième pour l'étude des problèmes de transfusion
sanguine. Cette dernière était animée par le médecin lieutenant-colonel Jame du Valde-Grâce. Il réunît les chirurgiens-transfuseurs déjà cités et des scientifiques de renom
afin de répondre aux questions suivantes :
– quelles sont les indications d’utilisation du sérum physiologique et du sang total ?
– peut-on séparer l'usage des produits labiles du sang humain (hématies et
leucocytes) des produits plasmatiques (protéines)?
Depuis le conflit précédent, on connaissait certains substituts, solutions salées,
54
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
plasmas d'origine animale, mais aucun n’avait donné entière satisfaction. En fait, une
des réponses à ces questions sera apportée par la mise au point du fractionnement du
sang par les Américains, mais elle résulte aussi des programmes de guerre. En 1941,
les États-Unis ont mis en place un Office of Scientific Research and Development
(OSRD), à l'image du CNRS français, dont la priorité des programmes de recherche
est donnée aux maladies tropicales, surtout le paludisme, à la médecine aéronautique
et à la transfusion sanguine. Cette dernière est reconnue par le Service de santé militaire
comme le traitement du choc traumatique, mais au lieu de recourir au sang total dont
on vient de discuter des difficultés de conservation et de stockage, les Américains ont
misé sur l'utilisation du plasma. Sous-produit du sang, dont le premier usage clinique
est réalisé aux États-Unis en 1938, le plasma peut être conservé « desséché » en gardant
ses protéines actives et donc être facilement transporté et utilisé sur les théâtres
d'opérations militaires. La mise au point d'un procédé industriel de fractionnement
sanguin est confiée au chimiste Cohn de l'Université de Harvard. En 1941, une usine
pilote de fractionnement des protéines plasmatiques par un procédé utilisant l’éthanol
à basse température (technique de Cohn) est installée à Boston. C’est à cette époque
que les transfuseurs français engagés aux côtés des Alliés découvrent le plasma. En
novembre 1942, les troupes américaines débarquent en Afrique du Nord. Le Professeur
Benhamou installe à l’Hôpital Maillot d’Alger, l’Organisme de réanimation transfusion
(ORT), un centre de transfusion sanguine qui reprend les grandes méthodes mises au
point en France avant-guerre, et qui utilise aussi les produits américains. Au même
moment, les Médecins Commandants Julliard et Stora créent deux Centres de
transfusion sanguine de l’armée, respectivement à Fez et à Tunis. L’idée maîtresse de
ces pionniers de la transfusion militaire était de former des médecins transfuseursréanimateurs permettant de prendre en charge le blessé au plus près du front, grâce à
des flacons de sang total et du plasma produits par l’ORT. L’évidence de ce concept a
été démontrée en décembre 1943 lors de la bataille du Mont Cassin, au cours de
laquelle dix mille flacons de sang total ont été consommés. L’ORT d’Alger aurait
délivré d'août 1944 à mai 1945 cinq mille litres de produits sanguins aux armées. À
l’arrivée à Paris, pendant les combats de la Libération, l’ORT s’installe à Saint Antoine
et fusionne avec le Centre national de transfusion sanguine (dirigé par le Médecin
Lieutenant-Colonel Tzanck) pour constituer une structure mixte, civile et militaire qui
fournira les produits sanguins pour les combats de la libération du territoire national.
Au cours de l’été 1945, le principe de la séparation entre structures civile et militaire
est acquis, et quatre emplacements sont envisagés :
– « l’immeuble de la pénicilline » au 5, rue Alexandre Cabanel,
– le lycée italien, rue de la Faisanderie,
– un immeuble au 53, rue de Grenelle,
– l’Hôpital militaire Percy, à Clamart.
Le 12 novembre 1945, deux pavillons de l’Hôpital militaire Percy sont évacués
pour créer le Service central de transfusion réanimation de l’armée (SCTRA). Pendant
Transfusion sanguine dans les armées
55
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
ce temps, la bataille des poches de l'Atlantique donne lieu au troc de plasma américain
contre du cognac charentais, tandis que le CNRS tente de fabriquer du plasma sec dans
ses laboratoires de Meudon-Bellevue. C'est en fait la transfusion militaire qui justifie
les premières usines de production françaises, à l'hôpital Percy de Clamart, puis au
Centre Cabanel à Paris. Pendant l’immédiat après-guerre, Loutit et Mollison mettent
au point « la » solution de conservation (solution dite « ACD » pour Acide citrique,
citrate, et dextrose), prolongeant la conservation du sang total jusqu’à 21 jours [7].
L’après-guerre voit franchir une autre étape décisive dans le développement de la
transfusion sanguine, avec la première utilisation, en 1952, de poches de sang en
plastique, par Walter et Murphy. Cette technologie révolutionnaire à l’époque mettra
cependant plus de 20 ans à être acceptée par tous, alors qu’aujourd’hui, on ne pourrait
imaginer de transfusion sans elle [6]. De 1952 à nos jours, de très grands progrès ont
été réalisés, basés sur des données établies dans la première moitié du vingtième siècle,
tant dans le domaine des groupes sanguins que dans celui des techniques de
prélèvement et de préparation des produits sanguins labiles. Citons à titre d’exemples,
la séparation des plaquettes par centrifugation selon la méthode dite du « PRP » en
1963, l’utilisation d’une solution saline additive de conservation des concentrés de
globules rouges à base d’adénine et de glucose (SAG) en 1978. De 1945 à 1975, c’est
la période d’euphorie des « trente glorieuses » dans le domaine médico-scientifique,
rendant possible des actes chirurgicaux jusqu’alors inimaginables (greffe de cœur,
circulation extra-corporelle…). Les transfusions deviennent alors très courantes et une
industrie internationale du sang voit le jour. Cependant, des inquiétudes relatives à la
transmission de certaines maladies par voie transfusionnelle commencent à apparaître.
Pendant la guerre de Corée, par exemple, 22 % des personnes qui reçoivent une
transfusion de plasma sont contaminées par le virus de l’hépatite B [7]. On réussira
plus tard à réduire le nombre de cas de transmission d’hépatite B grâce à un meilleur
dépistage et à une sélection plus rigoureuse des donneurs. Dans les années 80, le monde
découvre que le sang pouvait aussi être contaminé par le VIH, virus du SIDA. Les
scandales du sang contaminé éclatent alors. En France, entre 6 000 et 8 000 personnes
ont été contaminées par le VIH à la suite de transfusions reçues entre 1982 et 1985.
Dans les pays développés, la transmission du VIH par voie transfusionnelle est
maintenant rare grâce à l’amélioration des tests de dépistage. En revanche, elle
constitue toujours un problème grave dans les pays en développement, qui ne disposent
pas des mêmes moyens. Le maître mot en matière de transfusion devient « sécurité »
à tout prix.
Puis la transfusion sanguine se restructure avec la création de l’Agence française
du sang (AFS) et du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies
(LFB) par la loi 93-5 du 4 janvier 1993. Cinq ans plus tard, les secousses de l’affaire
du sang contaminé sont encore patentes, motivant la création de l’Institut national de
veille sanitaire (InVS), de l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de
santé (AFSSaPS) et de l’Établissement français du sang (EFS) selon la loi 98-535 du
56
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
1er juillet 1998. Cette amélioration de la sécurité transfusionnelle va imposer la mise
en place d’une sélection des donneurs préalablement au don, basée sur un questionnaire
écrit et un entretien avec un médecin, la mise en place d’une qualification biologique
systématique des dons de sang (QBD) et la mise au point de techniques de sécurisation
des Produits sanguins labiles (PSL) par atténuation virale et bactérienne (filtration
leucocytaire, inactivation photochimique et biochimique des agents pathogènes)
(tableau 1) [8].
Tableau 1.
Qualifications biologiques des dons obligatoires réalisées selon le type de dons et les circonstances du don.
Circonstances et type
de dons
Systématique sur tous les
dons autologues et
homologues
En fonction du contexte
épidémiologique, selon les
données de l’entretien
pré-don
Systématique sur tous les
dons homologues
Obligatoires annuellement ou
avant certain types de don
Critères d’éligibilité
Avant chaque don d’aphérèse
plaquettaire et de granulocytes
Avant chaque don de granulocytes par aphérèse
Immuno-hématologie
ABO et RH1 (D)
RH2, 3, 4 et 5
RAE
Anticorps anti-A et
anti-B immuns
Agents transmissibles
Dépistage :
de la syphilis
Ac-Ag HIV1 +2+O
Ac anti-VHC
Ag HBs et Ac anti-HBc
Ac anti-HTLV I/II
Autres pour la protection du donneur
Numération sanguine qualifiante pour chaque don
Hb pré-don avant chaque don
autologue
Dépistage sérologique des
Ac dirigés contre l’agent du
paludisme ou l’agent de la
maladie de Chagas
Dépistage génomique viral du
VIH-1, VHC
Dosage des protéines totales
pour les dons d’aphérèse
plaquettaires et plasmatiques
Hb pré-don pour tout
nouveau donneur ou si ses
résultats antérieurs
nécessitent un contrôle ou
s’il n’a pas donné depuis 2 ans
NFS et numération
plaquettaire
Bilan d’hémostase
Aujourd’hui, la transfusion sanguine repose presque exclusivement sur l’utilisation
de PSL obtenus par des étapes de centrifugation et séparation : concentré érythrocytaire,
concentré plaquettaire et plasma. La transfusion de sang total reste cependant encore
répandue dans les pays en voie de développement et en milieu militaire, en situation
dérogatoire d’exception. Ainsi la transfusion sanguine ne concerne pas uniquement
l’injection de cellules différenciées du sang mais également celle de plasma qu’il soit
cryoconservé ou lyophilisé, comme celui produit spécifiquement par le Centre de
transfusion sanguine des armées au profit des militaires en opérations extérieures. Enfin
la transfusion sanguine, c’est aussi l’utilisation dans un futur plus ou moins proche de
substituts sanguins cellulaires ou acellulaires (transporteurs d’oxygène), même si des
dizaines d’années de recherche n’ont abouti à aucun produit utilisable chez l’homme
à ce jour.
Transfusion sanguine dans les armées
57
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
3. La transfusion sanguine dans les armées
aujourd’hui
La transfusion sanguine française aujourd’hui repose sur deux opérateurs, l’un
civil, l’EFS et l’autre militaire, le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA).
Le CTSA « Jean Julliard » est un organisme du Service de santé des armées créé en
1945 et placé sous l’autorité du ministre de la Défense. Il est constitué d’une structure
centrale située à Clamart et d’un site secondaire à Toulon. Il possède l’ensemble des
plateaux techniques de la chaîne transfusionnelle, du prélèvement à la distribution en
incluant la préparation et la qualification biologique des produits sanguins. Sa mission
prioritaire est l’approvisionnement en PSL des forces armées en opérations extérieures
(OPEX) et le soutien transfusionnel des différents Hôpitaux d’instruction des armées
(HIA) implantés en région parisienne (HIA Percy, HIA du Val-de-Grâce et HIA Bégin)
et à Toulon (HIA Sainte-Anne). Les différentes activités annexes à la transfusion
sanguine (thérapie cellulaire, banque de tissus, centre de soins transfusionnels) sont
également développées au CTSA et sont soumises, comme l’activité transfusionnelle,
aux contrôles et agréments de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament
et des produits de santé) [9]. Le CTSA produit pour approvisionner les OPEX et ses HIA, de manière identique
à l’EFS :
– des Concentrés de globules rouges déleucocytés (CGRD) qui se conservent à
+4°C pendant une durée de 42 jours, pouvant être allongée à 49 jours de manière
dérogatoire en situation d’exception. Les CGRD envoyés en OPEX sont des produits
sans hémolysine et seulement de groupe A et O.
– du Plasma frais congelé sécurisé déleucocyté et du Plasma frais congelé
déleucocyté viro-atténué par solvant détergent (PFCSD et PFCD-SD), qui se
conservent à -20°C pendant un an. Ces plasmas sont uniquement délivrés aux HIA.
Leur utilisation dans le cadre des OPEX est impossible pour des raisons évidentes de
difficultés dans le respect de la chaîne du froid.
– des Concentrés plaquettaires d’aphérèse et issus de sang total, déleucocytés
(CPAD et MCPD) qui se conservent à +20°C en agitation pendant 5 jours. Ils ne sont
délivrés que pour les HIA et de manière exceptionnelle pour des évacuations sanitaires,
mais ne sont pas disponibles en OPEX.
– du Plasma cryodesséché sécurisé déleucocyté (PCSD) qui se conserve à
température ambiante pendant 1 an. Il est produit exclusivement par le CTSA en France
et uniquement à l’usage des OPEX. Il s’agit d’un plasma « universel » sécurisé par
quarantaine, sans groupe ABO et qui est équivalent sur un plan biologique au PFC
(figure 5).
Figure 5.
Kit de Plasma Cryodesséché Déleucocyté Inactivé
Amotosalen du CTSA.
58
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
– du Sang total (ST) prélevé uniquement en OPEX et en situation d’exception sur
des militaires volontaires et pré-sélectionnés quand l’approvisionnement en PSL
conventionnels par le CTSA n’est pas possible. Il est prélevé à l’aide de kits spécifiques
fournis par le CTSA et apporte des globules rouges, des plaquettes et du plasma. Sa
qualification biologique est limitée à la seule détection rapide du VIH et du VHC et il
doit être transfusé dans les 24 heures (figure 6).
Figure 6.
Kit de prélèvement de Sang Total du SSA.
4. Que pourrait être le futur de la transfusion sanguine dans les armées ?
Imaginer le futur de la transfusion sanguine dans les armées, c’est se placer à
différents niveaux d’évolution et d’amélioration : ceux des techniques de sécurisation,
de qualification biologique et de conservation des produits et ceux de développement
de nouveaux produits ou de substituts sanguins qu’ils soient cellulaires ou acellulaires.
La sécurité des PSL a été accrue par la mise en œuvre de mesures portant sur la
sélection médicale et biologique des donneurs, sur la mise en place de nouveaux
algorithmes de dépistage biologique des virus transmissibles utilisant des tests de plus
en plus sensibles (dépistage génomique), sur la déleucocytation systématique de tous
les produits dès leur préparation [10].
4.1. Vers une sécurisation totale des PSL vis-à-vis des
agents pathogènes ?
Il est clair que la transfusion de PSL est aujourd’hui une thérapeutique
indispensable, efficace. Les progrès techniques et la surveillance des donneurs et
receveurs ont permis d’en améliorer la sécurité à la fois vis-à-vis du risque infectieux
mais également du risque immunologique. Toutefois, le risque zéro et le principe de
précaution ont leurs limites et même si de nouveaux tests de dépistage des agents
pathogènes peuvent encore être mis en place, il persiste un risque résiduel de
transmission d’une infection. Les tests utilisés ne dépistent pas tous les agents
infectieux (prion) et de nouveaux virus émergents sont toujours susceptibles
d’apparaître (West Nile virus, Coronarovirus de la grippe aviaire…). Ce sont autant
Transfusion sanguine dans les armées
59
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
de raisons qui incitent à développer de nouvelles méthodes d’inactivation des agents
pathogènes dans les PSL. Ces méthodes ont déjà montré leur efficacité et innocuité
sur le plasma et les médicaments dérivés du sang avec la viro-atténuation par
solvant/détergent. De nouvelles méthodes utilisant des techniques photo-chimiques et
biochimiques pourront être dans un futur très proche appliquées au plasma mais
également aux CGR et aux plaquettes [11]). D’une manière générale, ces techniques
sont efficaces sur un grand nombre de virus mais plus efficaces sur les virus
enveloppés, sur les bactéries Gram+ et Gram-, peu sur les spores et également sur les
parasites pour certaines d’entre elles. Parmi les méthodes d’inactivation des agents
pathogènes des PSL, disponibles ou en développement, citons :
– la technique solvant-détergent pour le plasma,
– la technique d’inactivation photo-chimique par bleu de méthylène avec
illumination du produit par la lumière visible pour le plasma,
– la technique d’inactivation photo-chimique par Amotosalen avec illumination
UVA pour le plasma et les plaquettes (tableau 2),
– les techniques d’inactivation biochimique FRALE et Inactine pour les CGR,
– la technique d’inactivation biochimique par Riboflavine (Vitamine B2) avec
illumination du produit par la lumière visible pour le plasma, les plaquettes et les CGR.
Tableau 2. Niveau d’inactivation des virus et bactéries par l’Amotosalen.
Virus
Inactivation (log10)
Bactéries - Parasites
Inactivation (log10)
VIH
> 6,8
Klebsiella pneumoniae
> 7,4
VHB
> 4,5
Yersinia enterocolitica
> 7,3
VHC
> 4,5
Staphylococcus epidermidis
> 7,3
HTLV1
> 4,5
Treponema pallidum
> 5,9
HTLV-II
> 5,7
Borrelia burgdorferi
> 10,6
WNV
> 6,8
Plasmodium falciparum
> 6,9
> 6,9
Trypanosoma cruzi
> 5,0
1,8
Babesia microti
> 5,3
Adénovirus
5 humain
Parvovirus
B19
Pour le plasma, d’ores et déjà, deux méthodes sont autorisées par l’ANSM : bleu
de méthylène et Amotosalen. Pour les plaquettes, seule la méthode Amotosalen vient
d’être autorisée. Au CTSA, la technique d’inactivation photo-chimique par Amotosalen
a été retenue et sera mise en place pour le plasma et les plaquettes. Ainsi, le CTSA
fournira un Plasma frais congelé déleucocyté inactivé par Amotosalen (PFCD-IA), un
Plasma cryodesséché déleucocyté inactivé par Amotosalem (PCD-IA) et des
Concentrés de plaquettes d’aphérèse et issus de sang total déleucocytés et inactivés
60
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
par Amotosalen (CPAD-IA et MCPD-IA). Brièvement, le principe d’inactivation des
agents pathogènes par l’Amotosalen est le suivant : l’Amotosalen est un dérivé du
psoralène, agent intercalant de l’ADN et de l’ARN qui se fixe de façon irréversible
après illumination par les UVA sur certains acides nucléiques rendant les deux brins
d’ADN ou d’ARN inséparables et donc incapables d’effectuer ni réplication ni
transcription. Ainsi les agents pathogènes qui pourraient se trouver dans les PSL traités
selon ce procédé d’inactivation ne pourraient se multiplier. À terme l’objectif serait
l’introduction de ces techniques d’inactivation pour l’ensemble des PSL et surtout pour
le sang total pouvant être utilisé en OPEX en situation d’exception et qui aujourd’hui
ne présente pas tous les critères de sécurité des autres PSL.
4.2. De la percée des nanotechnologies vers les
laboratoires-puces
La progression des développements scientifiques dans le domaine des
nanotechnologies a été fulgurante ces dernières années. La qualification biologique
des dons à la frontière entre le diagnostic de masse et le contrôle de qualité n’échappera
pas à ces avancées. L’émergence de nouveaux agents pathogènes, la course vers la
haute sensibilité et la rapidité d’exécution des analyses biologiques de dépistage fera
à moyen terme appel à ces dispositifs miniatures appelés bio-puces [12]. Ce concept
découvert dans les années 90 est constitué d’un support de petite taille (quelques mm2)
en verre ou en plastique, sur lequel sont greffées des milliers de sondes composées de
brins d’ADN, d’anticorps ou de cellules. Ces sondes réagissent avec les marqueurs
contenus dans l’échantillon à étudier, au préalable amplifié. Les signaux d’hybridation
sont ensuite détectés par fluorescence et analysés informatiquement. On comprend
aisément que ces laboratoires équipés de bio-puces apporteront des avantages
considérables à la QBD dans un contexte militaire :
– possibilité de réunir un nombre important de tests dans un même dispositif,
– possibilité de transporter ces dispositifs sur un théâtre d’opérations militaires,
– diminution du temps d’analyse,
– réduction des volumes des échantillons à tester.
4.3. Optimiser la conservation à long terme des PSL
Les conditions de conservation des PSL posent des problèmes de logistique
d’approvisionnement en milieu militaire. Par exemple, il n’est pas possible aujourd’hui
d’approvisionner un théâtre d’opérations en concentrés plaquettaires (conservation à
22°C en agitation pendant seulement cinq jours). De même, le transport des CGR à
+4°C pour l’approvisionnement en zone tropicale impose un certain nombre de
contraintes pour respecter la chaîne du froid. L’amélioration de la conservation des
plaquettes et de leur durée de vie permettrait d’envisager leur mise à disposition pour
les OPEX.
Depuis de nombreuses années, des équipes travaillent sur la lyophilisation des
plaquettes mais se heurtent à des difficultés liées à une mauvaise récupération
Transfusion sanguine dans les armées
61
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
fonctionnelle à la remise en solution du produit. Un nouveau procédé de zéodratation
est en cours de mise au point, il utilise les propriétés des zéolytes, pierres volcaniques
poreuses qui possèdent une grande capacité déshydratante. Ce procédé permet de
déshydrater les plaquettes à température ambiante sans qu’elles perdent ni leur fonction
ni leur efficacité. Le froid, au contraire, les abîme irréversiblement, ce qui n’autorise
pas le recours aux procédés classiques de lyophilisation. Si la mise au point du procédé
de zéodratation des plaquettes permet de préserver toutes leurs propriétés
fonctionnelles après une conservation à température ambiante, cela pourrait permettre
de disposer de plaquettes à tout moment et en tous lieux.
Certaines armées s’intéressent à la cryoconservation des globules rouges dans une
solution composée de glycérol. Un procédé automatisé a été mis au point mais il reste
encore long et coûteux pour pouvoir être utilisé de manière industrielle. Il pourrait
cependant avoir un intérêt pour la constitution d’un stock de CGR de groupe O négatif
ou de phénotype rare. Un nouveau procédé de congélation par gradient uni-directionnel
multi-thermique a été mis au point par une société israélienne (Core Dynamics),
permettant de lyophiliser des CGR de manière quasiment industrielle. La fonctionnalité
du produit réhydraté doit cependant encore être démontrée chez l’homme.
4.4. Les PSL du futur
Si les substituts plasmatiques sont utilisés depuis longtemps en clinique, il n’en
est pas de même des transporteurs d’oxygène ou des substituts plaquettaires. Un des
challenges de la transfusion depuis de nombreuses années est de découvrir des
substituts de globules rouges et de plaquettes [13]. Le mythe de l’hémoglobine de
synthèse après plusieurs dizaines d’années de travaux demeure alors que d’autres voies
comme celle de la bio-ingénierie cellulaire semblent devenir plus réelles. On peut
classer les PSL du futur en deux grands groupes.
4.4.1. Les produits acellulaires
On y trouve les transporteurs d’oxygène et les substituts plaquettaires. Les premières expériences sur les transporteurs d’oxygène datent des années 20
avec des résultats fonctionnels certes intéressants mais surtout des effets secondaires
de toxicité rénale et des difficultés de préparation et de conservation. Les premières
solutions utilisées étaient constituées d’hémoglobine bovine dont l’affinité pour
l’oxygène était proche de celle de l’hémoglobine corpusculaire humaine, puis très vite
elle a été remplacée par une hémoglobine recombinante produite dans E. Coli. Cette
dernière a une durée de conservation infinie sous forme congelée, sans toxicité notoire ;
elle est actuellement en essai clinique de phase II chez l’homme aux États-Unis
(Optro™). Afin d’améliorer l’affinité pour l’oxygène de l’hémoglobine native, de
prolonger sa demi-vie vasculaire et de ralentir son élimination rénale, des modifications
62
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
chimiques et galéniques ont été envisagées. Parmi ces modifications citons la
polymérisation de l’hémoglobine humaine (PolyHeme™, Hemolink™ et
Hemopure™), la réticulation intramoléculaire entre les chaînes  et , ou  et 
(Diaspirin Cross-linked Hb développé par l’armée américaine et Baxter), la
conjugaison à des macromolécules (Hemospan™), l’encapsulation de l’hémoglobine
dans des nanoparticules ou des liposomes. Dans leur ensemble, même si des progrès
ont été réalisés, ces solutions d’hémoglobine restent problématiques en raison des
modifications vasomotrices qu’elles entraînent et qui motivent encore de futurs travaux
de recherche. Les hémoglobines modifiées du futur devront être dépourvues d’effet
vasomoteur : des chercheurs ont donc eu l’idée de leur greffer des enzymes antioxydantes ou de l’albumine recombinante. Enfin, beaucoup d’espoir est placé dans
une hémoglobine très originale issue d’un ver marin (hémoglobine extracellulaire
d’Arenicola marina) qui est naturellement polymérisée. À la différence des vertébrés,
les molécules d'hémoglobine « extracellulaire » de l’arénicole ne sont pas enfermées
dans des globules rouges, ce qui leur assure une compatibilité avec tous les groupes
sanguins et une bonne efficacité dans le transport d'oxygène. Même si elle a montré
son efficacité sur des modèles animaux, elle doit encore fait ses preuves chez l’homme
et en particulier démontrer son absence de toxicité et d’effet vaso-suppresseur.
Parallèlement au développement de ces solutions d’hémoglobine, l’engouement pour
des transporteurs artificiels d’oxygène est né dans les années 60 avec les expériences
d’immersion de rongeurs dans des émulsions d’hydrocarbures synthétiques fluorés ou
bromés (perfluorocarbones) qui fixent l’oxygène. Différentes générations de
fluorocarbures ont été ensuite développées (Perftoran et Perflubron) mais leur efficacité
s’est avérée réduite et la survenue d’effets secondaires à type de syndrome pseudogrippal a entraîné l’arrêt des essais cliniques. Enfin, citons le développement conceptuel
de nanorobots ou respirocytes constituées de nanosphères de diamant et saphir de 100 nm
de diamètre, capables de transporter de l’oxygène, du dioxyde de carbone et du glucose
et gérées par un nano-ordinateur embarqué [14]. Il s’agirait de véritables globules
rouges artificiels qui, après injection dans la circulation sanguine pourraient oxygéner
les tissus. Le développement de substituts plaquettaires est motivé par les difficultés
récurrentes d’approvisionnement et par les conditions de conservation qui en font
aujourd’hui un produit non projetable pour les OPEX. Parmi les substituts plaquettaires
en cours de développement, on peut distinguer les produits dérivés des plaquettes et
les substituts au sens propre. A côté de travaux anciens qui ont tenté d’améliorer la
conservation des plaquettes en ajoutant des glycoprotéines anti-congélation issues de
poisson pour une conservation à 4°C, des cryoprotecteurs comme le DMSO pour une
congélation à -80°C, des travaux plus récents s’orientent plutôt vers la lyophilisation
voire la zéodratation avec des résultats encore trop préliminaires pour une application
chez l’homme. Un autre concept intéressant est l’utilisation de microvésicules
plaquettaires qui possèdent des propriétés pro-coagulantes et facilitatrices de l’adhésion
Transfusion sanguine dans les armées
63
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
cellulaire. Ainsi une société américaine (Cypress Bioscience) a développé une
préparation de microvésicules plaquettaires humaines (Cyplex®) obtenues par des
cycles successifs de congélation/décongélation à partir de concentrés plaquettaires
périmés. Cette préparation à l’avantage d’être stable pendant 2 ans à +4°C. L’efficacité
hémostatique de Cyplex® a été démontrée chez l’animal, le développement du produit
se poursuivant par des essais de phase I et II chez l’homme, avec semble-t-il des
résultats mitigés pour l’heure.
D’autres substituts plaquettaires sont également en développement au stade préclinique. Il s’agit de microsphères ou microcapsules porteuses (sphères d’albumine,
liposomes ou globules rouges), recouvertes de molécules actives pro-coagulantes
(fibrinogène) ou des glycoprotéines (Synthocytes®, Thrombosphères® et
Plateletsomes). Ces préparations semblent avoir une efficacité hémostatique in vivo
chez l’animal mais aussi une toxicité importante si bien qu’il n’est pas raisonnable de
croire que l’on pourra disposer dans un futur plus ou moins proche de substituts
plaquettaires capables de diminuer efficacement des hémorragies graves.
Des molécules recombinantes telles que des facteurs de croissance ou cytokines
(érythropoïétine, thrombopoïétine, interleukine 11) ou encore des facteurs de
coagulation (anti-fibrinolytiques, facteur VII activé) permettent en outre de réduire les
hémorragies et de limiter la consommation des concentrés plaquettaires [13].
4.4.2. Les substituts cellulaires
Il s’agit des globules rouges modifiés et des produits cellulaires issus des cellules
souches.
Réduire l’immunogénicité des globules rouges est un challenge important qui
permettrait de disposer sur le terrain d’un PSL universel [15]. Différentes approches
sont en développement, l’une consistant à convertir des hématies de groupe A en groupe
O (A-enzyme converted in O : A-ECO) et des hématies de groupe B en groupe O
(B-enzyme converted in O : B-ECO) par l’action d’enzymes telles que respectivement,
l’alpha galactosidase produite à partir de grains de café et l’alpha N-acétyl
galactosaminidase extraite de foie de poulet. Ces EcoGR sont en cours d’essais
cliniques de phases I et II mais le problème de ces préparations réside dans la
disponibilité de grandes quantités d’enzymes. Une autre approche visant à réduire
l’immunogénicité des hématies est le camouflage antigénique par le
Polyéthylèneglycol (PEG) qui forme une gangue aqueuse autour des globules rouges.
Ces GR « pégylés » posent toutefois un problème d’antigénicité lié au PEG lui-même [15].
Produire des globules rouges en quantité illimitée à partir de cellules souches
adultes, de cellules souches embryonnaires ou d’iPSC (inductible Pluripotent Stem
Cells : cellules matures reprogrammées en cellules souches pluripotentes) devient
aujourd’hui un scénario du futur tout à fait réaliste [16, 17]. Grâce aux progrès des
connaissances en matière de cellules souches hématopoïétiques (CSH) et de thérapie
cellulaire, on s’est logiquement demandé s’il était possible de fabriquer des globules
rouges à partir de cultures de ces CSH, que l’on trouve dans la moelle osseuse, dans
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Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
le sang après mobilisation par facteur de croissance (G-CSF, Granocyte® ou
Neupogen®) ou dans le sang du cordon ombilical (également appelé sang placentaire).
Le concept de globules rouges de culture a été créé en 2002 par une équipe française
dirigée par le Professeur Douay [17] en démontrant la possibilité de générer chez
l’animal à partir de précurseurs érythroïdes, des globules rouges fonctionnels (figure 7).
Ainsi, si l’on considère qu’un CGR contient 2.1012 globules rouges, une poche de sang
de cordon (4.106 progéniteurs CD34+) pourrait générer l’équivalent de 3 à 4 CGR et
un produit de cytaphérèse après mobilisation par G-CSF pourrait générer l’équivalent
de 5 CGR. Puis le concept de génération de globules rouges a été élargi au modèle des
cellules souches pluripotentes embryonnaires humaines et aux iPSC (figure 8).
L’objectif idéal est maintenant de parvenir à produire in vitro des culots globulaires
de phénotype universel à partir d’une source illimitée de cellules souches et de façon
industrielle. Plusieurs équipes travaillent actuellement sur cet aspect biotechnologique
et une réponse est probable dans les 3 à 5 ans à venir. Imaginons donc qu’un dispositif
GMP automatique existe déjà et soit disponible pour produire à grande échelle ce
nouveau type de produit sanguin labile : le GR de culture (GRc), notamment issu
d’iPSC. L’accès à de telles cellules comme source de GRc offre de nouvelles
possibilités qui pourraient considérablement changer une partie importante du
processus de transfusion pour ce qui concerne le phénotypage érythrocytaire des CGR.
Aujourd’hui, si l’on tient compte du nombre de donneurs impliqués, cette activité est
coûteuse en temps et en argent. Les iPSC pourraient contribuer à la fois à une
simplification et à une amélioration de la gestion des patients allo-immunisés. Ceci
pourrait être réalisé en recherchant un nombre limité de combinaisons phénotypiques
afin de transfuser en toute sécurité la grande majorité des patients allo-immunisés par
Figure 7.
Production in vitro de globules rouges à partir de progéniteurs hématopoïétiques CD34+.
Transfusion sanguine dans les armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 8.
Production in vitro de globules rouges à partir de
cellules iPSC
(inductible
Pluripotent
Stem Cells)
des anticorps fréquents. Dans ce contexte, la sélection d’un nombre limité de iPSC
allogéniques très utiles faciliterait le processus industriel et l’utilisation de iPSC
autologues serait marginale. Ainsi il n’est pas déraisonnable d’imaginer de produire à
partir de cellules souches hématopoïétiques dérivées de moelle osseuse ou même de
sang de cordon de groupe O des stocks importants de GRc qui pourraient être congelés
et utilisés en cas de besoin massif. La disponibilité d’une source illimitée de cellules
souches élargit considérablement cette perspective permettant d’envisager le maintien
d’un stock permanent de CGR de phénotypes connus et adéquats dans les systèmes
antigéniques érythrocytaires majeurs (Rh, Kell, Duffy, Kidd et MNS). Une fois les
difficultés liées à la production industrielle surmontées, un nombre très limité de clones
d’iPSC permettrait non seulement de fournir des cellules compatibles à presque tous
les patients, mais aussi d’organiser une politique efficace pour la prévention de l’alloimmunisation des patients polytransfusés. Une stratégie identique pourrait être
appliquée en théorie aux plaquettes, même si l’on sait d’ores et déjà que l’obtention in
vitro de plaquettes à partir de cellules souches est plus délicate que pour les globules
rouges.
5. Conclusion
Après avoir parcouru l’ensemble des innovations en cours de développement et
celles qui pourraient l’être, imaginer celles qui seront appliquées dans les armées dans
un futur plus ou moins proche est un exercice difficile. Cependant, il serait raisonnable
de penser que les techniques d’inactivation des agents pathogènes seront applicables
très vite au sang total ce qui rendrait ce produit beaucoup plus sécurisé qu’il ne l’est
actuellement sur un théâtre d’opérations. Également, la mise à disposition de kits de
dépistage rapide permettra d’assurer une Qualification Biologique des Dons plus
étendue. À plus long terme, une hémoglobine de substitution telle que celle issue du
ver marin pourrait faire partie du paquetage du combattant et des stocks de CGR
produits à partir des cellules souches pourraient être constitués très rapidement en cas
de crise, à condition d’anticiper la mise en place de la chaîne de production et d’en
obtenir une autonomie complète.
66
Transfusion sanguine dans les armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Xavier Holy, Marcel
Joussemet, Marie-Caroline Le Brousse-Kerdilès, Juliette Peltzer, Marie Prat, Cédric
Thépenier, Marina Trouillas .
Références bibliographiques
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Transfusion sanguine dans les armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire d’anesthésieréanimation et urgence
appliquée aux armées
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
L’enseignement de la médecine
opérationnelle pour les médecins
anesthésistes-réanimateurs militaires :
enjeux, objectifs, moyens
Jean-Yves Martinez
1. Introduction
La médecine opérationnelle regroupe l’ensemble des soins réalisés par les
personnels du Service de santé des armées au cours des Opérations extérieures
(OPEX). Les trois piliers de la doctrine de prise en charge échelonnée des blessés
restent d’actualité : médicalisation au plus près de la blessure, chirurgie ultra précoce
et évacuations sanitaires stratégiques vers les hôpitaux d’infrastructure. Les Médecins
anesthésistes-réanimateurs (MAR) sont impliqués à chacun de ces échelons. Les
spécificités et l’évolutivité du contexte opérationnel, la nature différente des blessures
et des patients traités par rapport à l’activité métropolitaine, les particularités de l’outil
et des procédures de travail font de l’enseignement de la médecine opérationnelle un
enjeu important pour les futurs MAR militaires. 2. Les enjeux de la formation des médecins
anesthésistes-réanimateurs à la médecine
opérationnelle
Pour honorer son contrat opérationnel sur les différents théâtres d’opérations, le
Service de santé des armées doit projeter des personnels formés et compétents, chacun
à son poste. Ce qui s’apparente ainsi à une évidence se heurte en réalité à plusieurs
difficultés, notamment quand il s’agit des futurs MAR. Ils sont une population en voie
d’évolution disposant aujourd’hui d’une moindre expérience opérationnelle. Un
enseignement spécifique est alors nécessaire pour faciliter leur adaptation à l’emploi
en mission extérieure.
2.1. La médecine opérationnelle aujourd’hui : quel
contexte, quels patients ?
En 2010, environ 400 personnels du Service de santé soutiennent la projection de
8 000 soldats français en OPEX, pour la moitié en Afghanistan au sein de la force
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
multinationale de l’OTAN. Ce conflit asymétrique se caractérise par un engagement
armé de type contre-insurrectionnel, pourvoyeur parmi les soldats et la population
civile impliquée d’une majorité de lésions par explosion et éclats (engins explosifs
improvisés, roquettes, suicide bomber…), et de lésions balistiques par armes
automatiques dont les projectiles à haute vélocité ont un grand pouvoir vulnérant. La
répartition des blessés est trimodale : ceux qui décèdent en moins de quelques minutes
quoi que l’on fasse, une majorité de blessés sans gravité (60 % rejoignent leur unité
en moins de trois jours), et environ 20 % de blessés se présentant d’emblée en détresse
vitale. Il s’agit majoritairement de blessés hémorragiques. Les décès au combat sont
particulièrement précoces. Au cours des deux premières heures suivant la blessure, 15 à
20 % des décès sont encore évitables. C’est une véritable chaîne de survie des blessés
en opérations extérieures que les armées et le Service de santé ont mise en place. Le
sauvetage au combat représente le premier maillon de cette chaîne. Puis, selon les
objectifs actuels fixés par l’OTAN, l’évacuation tactique héliportée (MEDEVAC) doit
intervenir en moins d’une heure (deuxième maillon), et la chirurgie ultra précoce de
contrôle des lésions hémorragiques doit intervenir avant deux heures (troisième
maillon). Enfin, l’évacuation stratégique (STRATEVAC) qui permettra la poursuite
de la prise en charge dans les hôpitaux d’instruction représente le dernier maillon de
la chaîne de survie des blessés. L’épidémiologie des blessés de guerre diffère nettement de celle des traumatisés
civils par la létalité importante des agents vulnérants, la prédominance des lésions
pénétrantes, l’accroissement des délais avant traitement définitif lié aux contraintes
tactiques. Il en résulte en particulier une mortalité plus élevée des états de choc
hémorragiques : 65 % versus 50 % en milieu civil [1]. Les hémorragies majeures sont
responsables de 80 % des décès parmi les blessés qui auraient pu survivre ; il s’agit
surtout d’hémorragies du tronc, mais aussi d’hémorragies des membres pourtant
« garrotables » ou compressibles, et d’hémorragies jonctionnelles (cou et racines des
membres) difficiles à contrôler [2]. La topographie lésionnelle des blessés de guerre
se caractérise par une augmentation en proportion des lésions de l’extrémité céphalique
et du cou (30 %) au cours des conflits récents en Irak et en Afghanistan, alors que les
lésions du tronc régressent grâce aux effets de protection individuels (10 à 15 %). Les
membres restent les plus touchés (50 à 60 %) [3-5].
Aujourd’hui encore les blessés liés aux actions de combat ne sont pas majoritaires
au cours des opérations extérieures : accidents de la circulation, traumatologie et
pathologies non spécifiques représentent habituellement les deux tiers des patients.
Les soins aux populations civiles apportent une part notable d’activité pédiatrique (30
à 40 % pour l’antenne chirurgicale des Eléments français au Tchad, environ 30 % pour
l’Hôpital médico-chirurgical (HMC) de Kaboul).
Ainsi, au cours des missions extérieures, les MAR doivent faire preuve d’un savoir
faire polyvalent, qui ne correspond pas à leur pratique quotidienne en métropole. 72
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
2.2. Une formation destinée à améliorer la survie des
blessés de guerre : l’exemple du sauvetage au combat
Dans le domaine de la médecine opérationnelle, le sauvetage au combat est un
modèle de système de soins adapté à l’environnement hostile. Il permet la survie des
blessés jusqu’à leur prise en charge chirurgicale, tout en maîtrisant l’exposition des
personnels Santé. Ici encore la différence avec la médecine pré hospitalière civile est
notable : ce n’est pas l’équipe Santé mais le blessé qui est mobile. Les blessés sont
d’abord extraits du feu ennemi et regroupés à l’abri sur un nid de blessés, bénéficiant
très rapidement de la pose de garrots « tactiques » (Sauvetage au combat de niveau 1 :
SC1). Les gestes salvateurs non différables sont exécutés par un brancardier secouriste
formé au Sauvetage au combat de niveau 2 (SC2), par délégation médicale. Le
complément de mise en condition d’évacuation, les soins au poste médical et la
MEDEVAC correspondent au Sauvetage au combat de niveau 3 (SC3). Ce système
de soins, partagé par de nombreuses armées (Tactical Combat Casualty Care américain
et canadien, Battlefield Advanced Trauma Life Support britannique…) est focalisé sur
la recherche et le traitement des causes de décès évitables dès les premières minutes
qui suivent la blessure. L’analyse des décès américains au Vietnam a permis d’identifier
les trois principales causes de décès évitables qui restent d’actualité : hémorragies des
membres, pneumothorax compressif et obstruction des voies aériennes. La mortalité
parmi les blessés a été réduite environ de 25 % au Vietnam à 12 % actuellement [6].
Il est très probable que la généralisation du sauvetage au combat, comme la réduction
des délais de prise en charge chirurgicale, a participé à la réduction de la mortalité au
cours des derniers conflits [7].
2.3. Les médecins anesthésistes-réanimateurs présents à
chaque échelon de la prise en charge des blessés
Sur les théâtres d’opérations extérieures, les MAR occupent chaque échelon de la
prise en charge des blessés, dans les antennes chirurgicales présentes au Tchad, en Côte
d’Ivoire, en République centrafricaine (Role 2), à l’hôpital médico-chirurgical de
Kaboul (Role 3), au groupement médico-chirurgical des forces françaises de Djibouti,
dans les vecteurs des évacuations sanitaires stratégiques individuelles et collectives
(Role 4). Enfin, ce sont les MAR qui assurent la préparation opérationnelle des équipes
santé (Role 1) au sein des CITERA. L’année 2008 aura été la plus opérationnelle avec
38 équipes chirurgicales projetées en un an. L’année 2011 aura été la plus engagée et
la plus meurtrière pour les soldats français en Afghanistan. Les « forces vives » de
l’anesthésie-réanimation reposent sur environ 80 praticiens certifiés répartis dans les
hôpitaux d’instruction. 50 à 60 internes et praticiens confirmés sont en formation (5 ans
pour le Diplôme d’études spécialisées en anesthésiologie et réanimation (DESAR)).
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
73
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
2.4. Nécessité d’une formation d’adaptation à l’emploi
pour les internes et praticiens confirmés en anesthésieréanimation
Les futurs MAR sont une population qui a récemment évolué. Jusqu’en 2009, il
s’agissait exclusivement de praticiens confirmés issus des forces, ayant pour la plupart
une expérience opérationnelle, soumis à la préparation des épreuves médico-militaires
des concours de praticien confirmé et certifié. Depuis 2010, il s’agit d’une majorité
d’internes issus de l’examen national classant ou de praticiens confirmés plus jeunes
sans expérience opérationnelle. Le concours de praticien certifié sur titres ne comprend
plus d’épreuve médico-militaire. Ainsi, l’expérience opérationnelle des futurs MAR
se réduit inéluctablement et une formation d’adaptation à l’emploi est nécessaire. Les
résultats d’une enquête menée auprès des praticiens en formation montrent qu’une
telle formation est jugée indispensable ou très utile par 95 % d’entre eux. Les modules
d’enseignement les plus demandés sont par ordre décroissant « La gestion d’un afflux
de blessés » (90 %), « Les spécificités du MAR en OPEX, techniques, matériels »
(86 %), « Les évacuations médicales, Morphée » (81 %), « La transfusion sanguine
en OPEX » (71 %), « La prise en charge d’un brûlé grave » (71 %)…
3. Les objectifs et le contenu de l’enseignement
de la médecine opérationnelle pour les médecins
anesthésistes-réanimateurs
Le but d’un enseignement spécifique de la médecine opérationnelle destiné aux
futurs MAR n’est autre que de former des praticiens adaptés aux différentes missions,
pour remplir le contrat opérationnel avec compétence. 3.1. Avant d’envisager le contenu de la formation, il y a
les objectifs à atteindre
Ils peuvent être définis comme suit :
– acquisition des connaissances spécifiques complémentaires de l’enseignement
universitaire (savoir). Par exemple, la connaissance du milieu des OPEX, du matériel
en dotation dans les formations chirurgicales… ;
– mise en œuvre des procédures de soins spécifiques (savoir faire). Par exemple,
la perfusion intra-osseuse, la réalisation d’un examen de FAST échographie, la
transfusion de sang frais total… ;
– intégration dans la chaîne de soins (savoir être). Par exemple, adaptation des
techniques anesthésiques, gestion d’un afflux de blessés, participation aux évacuations
aériennes stratégiques, participation à l’enseignement des CITERA.
74
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
3.2. Pour atteindre ces objectifs.
Le contenu de l’enseignement pourrait s’appuyer sur les thèmes suivants :
– connaissance de l’outil de travail du MAR en OPEX ;
– adaptation des techniques au contexte et aux patients ;
– prise en charge des blessés de guerre selon les principes du damage control
resuscitation ;
– réanimation transfusionnelle et hémostatique ;
– prise en charge de blessés multiples, afflux saturant ;
– prise en charge de brûlés ;
– EVASAN collectives MORPHÉE.
3.2.1. Connaissance de l’outil de travail du MAR en OPEX
L’Antenne chirurgicale modèle 2005 (AC05) est la plus petite formation
chirurgicale en OPEX (figure 1). C’est aussi la plus spécifique, largement différente
du cadre hospitalier. Le déploiement initial s’effectue dans un contexte opérationnel.
L’infrastructure peut se limiter à un assemblage de trois tentes qu’il faut apprendre à
mettre en œuvre (montage en 20 minutes pour 6 personnels, incluant l’équipe
d’anesthésie). Avec l’entraînement, le bloc opératoire peut être opérationnel en moins
de 2 heures. Les moyens diagnostiques se résument à une source mobile de radiologie
conventionnelle, un échographe portable, quelques examens biologiques. En l’absence
de respirateur d’anesthésie et de gaz halogénés, l’anesthésie générale est exclusivement
une anesthésie intraveineuse totale et le respirateur de transport (LTV 1200) peut être
alimenté par de l’oxygène à basse pression issu d’un extracteur. Le MAR est
responsable de la banque de sang.
Figure 1.
9e Antenne chirurgicale aérotransportable,
Birao (Centrafrique) 2008. Modèle AC 05.
Un hôpital médico-chirurgical tel que celui de Kaboul ressemble bien plus à un
hôpital conventionnel, installé pour durer, avec plusieurs spécialités chirurgicales et
salles d’intervention, un scanner performant, un véritable laboratoire de biologie, des
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
75
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
lits de réanimation et une capacité d’hospitalisation conséquente. La disponibilité en
oxygène n’est plus limitée, le plateau technique d’anesthésie est très proche de celui
d’un hôpital d’infrastructure. Le mode de vie des personnels reste malgré tout contraint
par le milieu opérationnel (disponibilité permanente, mesures de protection, alertes
tirs de roquettes…)
Quelques MAR peuvent rejoindre les équipes du Module de chirurgie vitale : il
s’agit de praticiens disposant déjà d’une solide expérience opérationnelle. 3.2.2. Adaptation des techniques au contexte et aux patients
Les ressources limitées de l’antenne chirurgicale forcent la réflexion des MAR
pour adapter leurs techniques. Les nouveaux extracteurs d’oxygène (10 litres par
minute avec FiO2 > 95 %) permettent de réaliser des anesthésies sans consommer
l’oxygène en bouteilles. Pour la chirurgie des membres, une large place doit être faite
aux Anesthésies loco-régionales (ALR), moins consommatrices en dispositifs
médicaux et agents anesthésiques en particulier morphiniques, plus rapides à enchaîner,
et plus simples à surveiller dans le secteur d’hospitalisation. Ces atouts sont
particulièrement intéressants pour la prise en charge de blessés multiples.
La population pédiatrique caractérise l’aide médicale aux populations. L’induction
anesthésique avant la pose de voie veineuse et sans respirateur d’anesthésie peut se
faire avec le sévoflurane grâce au dispositif d’inhalation Anaconda® alimenté par une
seringue électrique. Les techniques d’ALR sont tout aussi intéressantes chez l’enfant
(épargne morphinique et qualité de l’analgésie) et l’échoguidage doit être maîtrisé. L’échographie générale pratiquée par les antennes chirurgicales en l’absence de
radiologue est particulièrement intéressante en situation d’isolement. L’intérêt du FAST
pour la recherche des épanchements péritonéaux et péricardiques, étendue aux plèvres,
n’est plus à démontrer. Cet outil d’évaluation simple et rapide a été utilisé récemment
par les équipes françaises au Tchad pour le triage de plus de 450 blessés de guerre [8].
Il peut également être utile de positionner l’échographie lors de la consultation
conjointe chirurgicale et anesthésique pour la chirurgie programmée. À l’antenne
chirurgicale de Birao (République centrafricaine), l’échographie a été jugée fortement
contributive, en modifiant les indications ou la technique opératoire ou anesthésique,
dans 6 % des cas. En particulier dans le contexte obstétrical, elle est une aide précieuse [9].
L’abord vasculaire chez l’enfant ou le blessé exsangue sans abord veineux
immédiat peut faire appel à la voie intra-osseuse, illustrant une nouvelle fois
l’adaptation de la technique au contexte. 3.2.3. Prise en charge des blessés de guerre selon les
principes du damage control resuscitation
La chaîne de survie en OPEX, telle que nous l’avons décrite, permet d’appliquer
76
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
à chaque blessé un continuum de soins débutés dès les premières minutes suivant la
blessure et poursuivis pendant la MEDEVAC, dans la structure chirurgicale et dans le
vecteur de la STRATEVAC. Ce continuum de soins, appelé damage control resuscitation, est focalisé sur le
contrôle des lésions susceptibles d’altérer les fonctions vitales, au premier rang desquelles
les lésions hémorragiques. Il s’agit de lutter précocement contre la coagulopathie
traumatique, l’acidose par hypoxie cellulaire et l’hypothermie, qui constituent la triade
létale des traumatisés sévères. La coagulopathie traumatique, multifactorielle, augmente
les besoins transfusionnels et aggrave le pronostic [10]. On distingue une coagulopathie
précoce liée à des facteurs endogènes, présente chez 30 à 40 % des patients [11], et une
coagulopathie secondaire surtout liée à cinq facteurs exogènes qui dépendent étroitement
du contrôle du saignement et de la qualité de la réanimation : anémie, dilution des facteurs
de coagulation, hypothermie, acidose et hypocalcémie [12]. L’hypothermie est un facteur
indépendant de mortalité bien établi [13]. Ainsi, le damage control ne se limite pas aux procédures chirurgicales écourtées,
mais inclut les actions de sauvetage au combat et l’ensemble de la réanimation péri
opératoire (hémostase externe, remplissage vasculaire à faible volume, objectif de
pouls radial perceptible…). Tout MAR en OPEX doit être rompu aux procédures de
damage control resuscitation.
3.2.4. Réanimation transfusionnelle et hémostatique
Pour le MAR, la prise en charge d’un blessé de guerre diffère assez peu de celle
d’un polytraumatisé en métropole, à l’exception de la stratégie transfusionnelle et des
procédures spécifiques de réanimation hémostatique. On peut parler de damage control
hémostatique. Environ 10 % des blessés de guerre nécessitent d’être transfusés. Les besoins en
Concentrés érythrocytaires (CGR) ont été estimés à 1,5 CGR par blessé tout venant
(ce qui a une valeur logistique) et surtout à 10 +/- 6 CGR par blessé transfusé, ce qui
correspond à des situations individuelles de transfusion massive (définie par une
transfusion d’au moins 10 CGR en 24 heures).
Sont disponibles en OPEX des concentrés érythrocytaires déleucocytés (CGR),
des unités de Plasma cryodesséché sécurisé déleucocyté (PCSD, production exclusive
du Centre de transfusion sanguine des armées), du fibrinogène, du facteur VII activé,
et de l’acide tranexamique. La transfusion de CGR a la particularité d’être
isocompatible et non nécessairement isogroupe. Il n’y a pas de concentrés plaquettaires
en OPEX, eu égard à leur difficulté de conservation. Le recours à la collecte et à la
transfusion de Sang frais total (SFT) isogroupe est alors le seul moyen d’apporter des
plaquettes fonctionnelles ainsi que tous les facteurs de coagulation, sans dilution,
contenant moins d’anticoagulant, à température proche de 37°C. Une amélioration de
la survie a été observée chez les blessés de guerre recevant du SFT comparativement
à ceux bénéficiant d’une transfusion conventionnelle [14]. Le rapport technique de
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
77
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
2009 sur la transfusion sanguine en OPEX, a valeur de recommandations pour la
pratique clinique dans les formations chirurgicales hors du territoire métropolitain [15].
La transfusion de SFT a reçu l’aval de l’ANSM et du comité national d’hémovigilance,
non seulement pour des indications logistiques (exceptionnelles) mais aussi pour des
indications individuelles de réanimation hémostatique. Cette activité a fortement
progressé depuis 2010 à l’HMC de Kaboul. La stratégie transfusionnelle en OPEX consiste à transfuser des globules rouges
et des facteurs de coagulation dans une proportion se rapprochant de la composition
du sang total [16]. La première ligne transfusionnelle fait toujours appel aux produits
sanguins du dépôt de sang, CGR et PCSD, disponibles immédiatement, complétés par
l’administration de fibrinogène et d’acide tranexamique. La décision de collecte de
SFT doit être anticipée. Il faut prendre en compte le délai d’une heure, incompressible
même pour des équipes entraînées, entre la décision de collecte et la réalisation de la
transfusion. Ceci conduit en pratique à déclencher très précocement la collecte de SFT
sur les premières données médicales disponibles évocatrices d’une situation de
transfusion massive. 3.2.5. Prise en charge de blessés multiples
Les afflux saturants de blessés auxquels les équipes chirurgicales sont
régulièrement confrontées sont des situations critiques, déstabilisantes pour les
personnels et source de désorganisation. L’anticipation et l’entraînement sont les clés
de la réussite. Chaque structure chirurgicale établit son plan « MASCAL » (Mass
casualties), identifiant les flux de blessés et la répartition géographique des moyens et
des personnels, définissant des fiches de postes pour chacun. Dans le domaine de la
prise en charge de blessés multiples, l’enseignement auprès des futurs MAR passe
nécessairement par des mises en situation concrètes. 3.2.6. Prise en charge de brûlés
Les brûlés sont en nombre très variable en OPEX, actuellement moins de 5 %
quand il s’agit de soldats d’unités d’infanterie, beaucoup plus si l’on considère les
soins aux populations civiles. L’enseignement a deux objectifs pour le MAR : optimiser
la prise en charge d’un brûlé grave pendant les 36 premières heures avant la
STRATEVAC et la prise en charge spécialisée, se familiariser avec les soins itératifs
aux brûlés des populations civiles, en particulier les enfants. 3.2.7. EVASAN collectives MoRPHÉE
Le dispositif MoRPHÉE (Module de Réanimation pour patient à haute élongation
d’évolution) permet les évacuations sanitaires collectives de blessés graves à bord des
avions KC 135 ravitailleurs de l’armée de l’Air. À chaque mission, l’avion est équipé
avec la version sanitaire modulaire adaptée au nombre et à la nature des blessés. Pour
les deux MAR qui participent à ces missions aux heures extrêmement denses, une
78
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
formation spécifique porte sur la connaissance de l’aéronef et des contraintes
aéronautiques, la gestion cruciale de l’alimentation électrique et de l’oxygène, les plans
de chargement et déchargement des blessés, les soins en vol, la gestion des équipes… 4. Les moyens de l’enseignement de la médecine
opérationnelle pour les médecins anesthésistesréanimateurs
4.1. Analyse des formations et moyens existants
Pour tous les élèves en école de formation, il existe un enseignement de médecine
opérationnelle de Role 1. Le Brevet de médecine de l’avant (BMA) est enseigné à
l’École de santé des armées au cours du deuxième cycle des études médicales ; il
comporte 20 heures de cours magistraux alignés sur le programme du Sauvetage au
combat de niveau 3, complétés par des séances de travaux pratiques et de simulation
sur mannequin au CITERA de Lyon. L’exercice Septembrax sur blessés grimés clôture
cet enseignement pour les élèves en fin de 6e année. Il leur permet de réaliser une
extraction sous le feu (SC1), une prise en charge de blessés multiples regroupés sur
un nid de blessés (SC2), et une prise en charge au poste médical (SC3). Un module de
cours est enseigné à l’École du Val-de-Grâce (EVDG), pour la prise en charge de
blessés de guerre, par des enseignants chirurgiens et anesthésistes réanimateurs
principalement. L’exercice Exosan permet une restitution et une évaluation des élèves
dans le domaine de la médecine opérationnelle, avant le concours de fin de cursus.
Pour les futurs MAR militaires, le socle de la formation initiale est d’abord
hospitalo-universitaire. Le DESAR, quelle que soit l’université d’appartenance, inclut
notamment un module de traumatologie ou encore un module de pédiatrie. La
polyvalence requise en OPEX incite à cibler les stages hospitaliers, dans un service
d’accueil des urgences vitales, dans un centre de traitement des brûlés, en anesthésie
pour chirurgie viscérale, thoracique, vasculaire, orthopédique, pédiatrique… Plusieurs
diplômes d’université sont intéressants pour les futurs MAR militaires ; ils concernent
notamment la « prise en charge de traumatisés sévères », « l’échographie en anesthésieréanimation et urgences »… Dans la deuxième partie du DESAR, des stages de deux
mois sont proposés pour découvrir la pratique de la spécialité en milieu militaire, soit
en antenne chirurgicale (Epervier-N’Djamena) soit au GMC Bouffard (Djibouti). Les
stages de formation MoRPHÉE (niveau 1) sont également ouverts aux futurs MAR
en fin de cursus de spécialité.
Enfin, dans le cadre de la mise en condition de projection, une préparation
opérationnelle est organisée pour les MAR et personnels désignés : stages de
transfusion sanguine en OPEX encadrés par le Centre de transfusion sanguine des
armées, visioconférences et retours d’expérience à la Division préparation
opérationnelle santé (DPOS) du Centre de formation opérationnelle santé (CEFOS),
instruction sur le tir de combat au Régiment médical de La Valbonne…
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
79
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
4.2. Les outils pédagogiques à développer
Pendant leur formation initiale, les internes et praticiens confirmés sont dispersés
dans les hôpitaux d’instruction. Toutes les formations les concernant posent de fait la
difficulté des déplacements à la fois pour eux et pour les enseignants. Les coûts
engendrés sont notables. Deux pôles de formation se complètent géographiquement :
l’EVDG et le pôle de médecine opérationnelle de Lyon (ESA, CEFOS, Régiment
médical, CITERA). Pour réduire la charge de l’enseignement présentiel, ou plutôt pour
le recentrer sur l’enseignement pratique, le télé-enseignement est un outil très
intéressant. À l’instar de nombreuses universités, le Service de santé a acquis une
plateforme pédagogique animée par l’EVDG (plateforme Dokéos). Les premiers
projets ont été coordonnés par l’Institut de recherche biomédicale des armées, antenne
de Toulon ; une application concerne la transfusion de sang frais total en OPEX. Un
autre projet concerne la préparation opérationnelle des pharmaciens. La plateforme
Dokéos présente de multiples intérêts : élaboration rapide des cours à partir de fichiers
type Powerpoint®, production plus élaborée de cours et de cas cliniques multimédia,
interactivité importante grâce aux vidéoconférences, blog, forum de discussion… Des
parcours pédagogiques peuvent être construits, avec des tests d’évaluation et une
validation de chaque étape. L’enseignant dispose à tout moment d’une vue sur la
progression de chaque étudiant (assiduité, tests validés…).
La simulation est un outil pédagogique d’entraînement et d’évaluation devenu
incontournable, dans le vaste domaine de l’éducation médicale, notamment de
l’anesthésie [17], de la traumatologie [18, 19] et de la médecine opérationnelle [2022]. De nombreux simulateurs sont dédiés à la répétition d’un geste technique, tel que
la pose de voie veineuse, la perfusion intra osseuse, l’intubation trachéale, la
coniotomie, le contrôle des hémorragies… Des vecteurs biologiques permettent
également de réaliser des gestes techniques. Le développement de simulateurs
d’échographie permet d’entraîner les praticiens à l’acquisition des coupes anatomiques
usuelles et à la reconnaissance d’images pathologiques. Les mises en situation,
appelées « immersions cliniques » sont de trois types : simulation informatique,
mannequins haute fidélité, et simulation grandeur nature à l’aide de blessés grimés.
La simulation informatique permet de tester les prises de décision et d’explorer les
algorithmes décisionnels. Elle est facile à diffuser et repose sur des logiciels
commerciaux et des serious games existants (MicroSim Military, Laerdal pour le Role 1
par exemple). Les mannequins haute fidélité permettent des simulations très avancées,
non limitatives, répétées à souhait, et intégrées dans des environnements réalistes. Le
debriefing vidéo, avec ses règles, a un fort impact pédagogique. En France, la société
Laerdal s’est fortement implantée, mais d’autres produits concurrents sont tout aussi
intéressants (METI, Medical education technologies, USA) (Trauma Man, Simulab,
USA) et certains sont spécifiquement développés pour le contexte militaire (Caesar©,
société CAE, Canada par exemple). Les mannequins les plus modernes sont pilotés
80
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
sans fil à partir d’une tablette PC, des scenarios sont programmés pour faire évoluer
les paramètres cliniques en fonction des évènements et des actions entreprises. La
simulation sur mannequin se prête particulièrement aux situations critiques et aux
situations rares. Les gestes invasifs tels que l’abord vasculaire, l’abord des voies
aériennes, l’exsufflation de pneumothorax, peuvent être exécutés en temps réel. La
simulation sur mannequin permet également l’entraînement au travail en équipe. Elle
développe le rôle du leader, la communication entre les membres de l’équipe, la gestion
des ressources et du stress. Cette simulation de type « gestion des ressources de crise »
réduit probablement l’implication des facteurs humains dans les erreurs médicales. Par
contre, dans le domaine de la médecine opérationnelle où l’environnement tactique
hostile pèse énormément sur les décisions médicales, la simulation sur mannequins ne
permet pas d’explorer pleinement les capacités de décision et de coordination des
équipes. La simulation grandeur nature à l’aide de blessés grimés répond précisément
à cet objectif ; elle est actuellement réalisée pour les équipes de Role 1 au cours des
stages de Médicalisation en milieu hostile (MedicHos). Elle permet également
l’entraînement à la prise en charge de blessés multiples, et d’afflux saturants, au Role
1 et à la porte des formations chirurgicales. Le développement de prothèses de grimage
médical permet de réaliser des gestes techniques tels que la coniotomie sur blessé
grimé. 4.3. Un plan de formation opérationnelle coordonné
Pour répondre aux objectifs pédagogiques définis précédemment, un plan de
formation opérationnelle pourrait être coordonné et proposé à l’ensemble des internes
et des praticiens qualifiés en anesthésie-réanimation, en complément des formations
universitaires (figure 2). Figure 2.
Plan de formation opérationnelle pour les futurs médecins anesthésistes-réanimateurs militaires.
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
81
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Avant l’obtention du DESAR, l’enseignement prendrait la forme d’un parcours
pédagogique individuel sur la plateforme Dokéos. Les grandes lignes du contenu de
cet enseignement ont été définies au paragraphe 3.
Après l’obtention du DESAR, un enseignement collectif présentiel pourrait être
créé à l’exemple du CACHIRMEX (Cours avancé de chirurgie en missions
extérieures). Cet enseignement pourrait s’intituler CADARMEX (Cours avancé
d’anesthésie-réanimation en missions extérieures). Il comprendrait quatre modules
(figure 3) : – module 1 « Opérations extérieures, Blessés de guerre » : épidémiologie, agents
vulnérants, décès évitables, chaîne de survie en OPEX… Ce module serait commun
avec le premier module du CACHIRMEX ;
– module 2 « Damage control resucitation » : choc hémorragique traumatique,
perfusion intra-osseuse, réanimation hémostatique, stratégie transfusionnelle… Ce
module inclurait la formation existante sur la transfusion sanguine en OPEX ;
– module 3 « Matériels et Techniques » : présentation d’une antenne chirurgicale
AC 05 et de ses matériels pour l’anesthésie et la réanimation (extracteur d’oxygène,
respirateur, banque de sang, anesthésie intraveineuse pilotée, automate de biologie,
échographe…) ;
– module 4 « Dynamique de groupe » : participation à des séances de simulation
en équipe sur mannequin haute fidélité pour l’accueil d’un blessé grave (déchocage
au Role 3) et sur blessés grimés pour la gestion d’un afflux saturant (triage et déchocage
au Role 2). Ce module permettrait également l’enseignement des techniques de
Figure 3.
Sommaire du Cours avancé
d’Anesthésie-Réanimation en
Missions Extérieures
(CADARMEX).
82
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
gestiondu stress (techniques d’optimisation du potentiel).
Une évaluation continue de la réalité des OPEX est nécessaire pour faire évoluer
et adapter l’enseignement aux besoins de formation. Les outils actuels de cette
évaluation sont peu formalisés : retours d’expérience individuels, base de données du
Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), comptes-rendus opératoires des
formations chirurgicales à l’aide du logiciel File Maker… Il existe un projet
institutionnel de Registre des actes techniques réalisés en OPEX (projet ReACTO).
Enfin, la qualité de la formation reçue par les futurs MAR militaires pourrait aussi être
évaluée de façon annuelle, grâce à la plateforme Dokéos d’une part, et à l’occasion
des exercices de simulation d’autre part. Il pourrait exister un exercice Exosan
spécifique pour les futurs MAR et chirurgiens militaires…
5. Conclusion
L’anesthésie-réanimation est une spécialité opérationnelle qui impose de délivrer
aux futurs praticiens militaires un enseignement d’adaptation à l’emploi, notamment
dans les formations chirurgicales en opérations extérieures. Le projet MoRPHÉE est
un formidable exemple d’adaptation opérationnelle parfaitement réussi. Pour
l’enseignement, les moyens existants de grande qualité pourraient être coordonnés
dans un plan de formation appliqué à l’ensemble des futurs anesthésistes-réanimateurs.
Les outils pédagogiques modernes, télé-enseignement, simulation informatique,
mannequins de simulation haute fidélité, se développent et deviendront rapidement
incontournables, à la fois pour l’acquisition des compétences et pour leur évaluation.
Tel est l’enjeu pour une spécialité médicale déjà largement imprégnée de la culture de
l’amélioration continue de la qualité.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Fabrice Petitjeans,
Pascal Précloux, Jean Turc, Pierre-François Wey. Références bibliographiques
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Évacuation sanitaire aérienne
stratégique collective de brûlés
thermiques
Stéphane Mérat
1. Introduction
Le 2 juillet 2011, lors d’une patrouille, une roquette de RPG7 pénètre à l’intérieur
d’un Véhicule de l’avant blindé (VAB) avec huit soldats à bord. Et si un incendie s’était
déclaré à l’intérieur du VAB ? Voilà vraisemblablement comment aurait été organisée
et réalisée l’évacuation sanitaire des blessés vers la métropole.
2. Brûlures thermiques à l’avant : épidémiologie
et généralités
En Irak et en Afghanistan, les brûlures concernent 5 à 10 % des blessés de guerre.
Ces brûlures sont en général peu étendues, 80 % des brûlés ayant une Surface cutanée
brûlée (SCB) inférieure à 20 % [1]. Cependant, la moitié des brûlures concerne les
mains [2].
Les combats sont directement responsables de 63 % des brûlures ; et 37 % ne sont
pas directement liées au combat et sont provoquées par l’inflammation de carburants,
la manipulation de munitions, des feux de poubelle ou des accidents électriques [3].
D’avril 2003 à avril 2005, les brûlures traitées à l’Institut militaire américain de
recherche chirurgicale étaient de gravité faible à moyenne, ISS à 11, mais dans 52 %
des cas, étaient accompagnées d’une lésion associée, dont 17 % d’inhalation [3].
La gravité des brûlures est liée à plusieurs facteurs :
– la surface : peut s’estimer à l’aide de plusieurs méthodes (paume de la main 1 %,
règle des 9 de Wallace). ;
– la profondeur : 2e degré superficiel ou profond, 3e degré ;
– la localisation : détermine le pronostic fonctionnel, la survenue de complications
septiques et de difficultés de cicatrisation (visage, cou, mains, orifices naturels, périnée) ;
– lésions traumatiques associées : orthopédiques, neurologiques, viscérales ;
– inhalation de fumées et intoxications associées : monoxyde de carbone, cyanures.
Dans notre exemple, les formations de l’avant du Service de santé étant
confrontées à plusieurs brûlés, le triage des blessés est indispensable afin de répartir
au bénéfice du plus grand nombre les ressources des différentes structures. Le modèle
de triage retenu est la catégorisation OTAN :
– Priorité 1 : urgence immédiate « Urgent »
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
 Brûlés en détresse respiratoire ou choc
 SCB : 15 à 50 %
– Priorité 2 : urgence différée « Delayed »
– Priorité 3 : urgence minime « Minimal »
 Petites brûlures < 15 %
– Priorité 4 : urgence dépassée « Expectant »
 Brûlures > 50 %
3. Prise en charge des brûlures thermiques
Les objectifs de traitement et de prise en charge des patients brûlés en vue d’une
évacuation imposent plusieurs actions débutées le plus précocement possible :
– un brûlé est un blessé qui nécessite un remplissage vasculaire : il faut disposer
d’accès veineux de gros calibre et sécurisés ;
– le remplissage vasculaire est classiquement guidé par un monitorage, rendu
d’autant plus difficile que les surfaces cutanées habituellement concernées (tronc,
membres supérieurs) font elles-mêmes partie des zones lésées : le monitorage minimal
comporte la mise en place d’un cathéter artériel et d’une sonde urinaire à demeure
(figure 1) ;
– en raison d’une dégradation pulmonaire rapide des conditions de ventilation, un
brûlé doit bénéficier d’un mode ventilatoire assurant une hématose optimale, et ce
malgré l’existence de brûlures pulmonaires ou de difficultés d’accès aux voies
aériennes : la prise en charge initiale comprend l’intubation ou la trachéotomie précoces
et la mise sous ventilation mécanique, accompagnée de la pose d’une sonde nasogastrique ;
– les brûlures des membres et du thorax s’accompagnent très rapidement
d’œdèmes importants retentissant sur le pronostic vital et fonctionnel : les indications
d’incisions de décharge sont larges ;
– le risque d’hypothermie est très important : le réchauffage précoce lutte contre
les pertes thermiques.
Figure 1.
Localisation des brûlures rendant difficile
le monitorage classique.
88
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
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Toutes ces actions doivent être réalisées ou débutées avant le début de l’évacuation,
l’environnement technique de certains vecteurs d’évacuation ne permettant pas la
réalisation de certaines d’entre elles. Le bon déroulement d’une évacuation aérienne
dépend directement de la qualité de la mise en condition initiale et de la stabilité des
fonctions vitales des blessés.
3.1. Le remplissage vasculaire
Durant les 48 premières heures le remplissage vasculaire obéit à un schéma de
perfusion en fonction de la surface cutanée brûlée, qui permet de compenser la
déplétion volémique (tableau 1). Cette période de 48 heures comprend la prise en
charge initiale et tout ou partie de l’évacuation du blessé. Il est important que tous les
acteurs respectent le même protocole de remplissage vasculaire afin que la prise en
charge reste homogène et compréhensible à toutes les étapes de l’évacuation. Les objectifs du remplissage vasculaire sont de maintenir la pression artérielle
systolique au delà de 90 mm Hg et la diurèse à 0,5 à 1 ml/kg/h. Afin de guider le
remplissage, le monitorage repose essentiellement sur la mesure invasive de la pression
artérielle, la surveillance par pression non invasive, cardioscope et saturométrie (SpO2)
étant souvent impossible du fait de la localisation des blessures.
Tableau 1.
Remplissage vasculaire du brûlé, formule du Service de santé des armées.
RL : Ringer lactate – SAD : Sérum albumine dilué à 4 % – SCB : Surface cutanée brûlée – H0 : début de la perfusion – H8,
H24 et H48 : 8e, 24e et 48e heure.
H0 à H8 : 2 ml/kg/% SCB (RL)
Brûlures <20% SCB
H8 à H24 : 1 ml/kg/% SCB (RL)
H24 à H48 : 1 ml/kg/% SCB (RL)
H0 à H8 : 2 ml/kg/% SCB (RL)
Brûlures >20% SCB
H8 à H24 : 0,5 ml/kg/% SCB (RL) + 0,5 ml/kg/%
SCB (SAD)
H24 à H48 : 0,5 ml/kg/% SCB (RL) + 0,5 ml/kg/%
SCB (SAD)
Le remplissage vasculaire permet de compenser la déplétion liée à la plasmorragie.
La transfusion de produits sanguins labiles (Concentré de globules rouges (CGR),
Plasma frais congelé (PFC)) peut être nécessaire en raison de lésions associées.
3.2 Oxygénation
Un brûlé est un blessé potentiellement rapidement très hypoxémique.
L’oxygénation précoce est impérative et systématique. L’oxygénation peut nécessiter
la mise sous ventilation mécanique d’emblée et un abord des voies aériennes par
intubation ou trachéotomie dans les cas suivants :
– brûlures du 3e degré de la face et du cou ;
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
– inhalation de fumées ;
– SCB > 50 % ;
– troubles de conscience.
3.3. Sédation et analgésie
Les douleurs liées aux brûlures sont très importantes et doivent être prises en
considération selon les moyens disponibles en fonction du niveau de prise en charge :
– 1er stade : morphine sous-cutanée du combattant ;
– 2e stade : titration de morphine par voie intraveineuse (IV), titration de kétamine
à faibles doses ;
– 3e stade : sufentanil ;
– 4e stade (patients ventilés) : benzodiazépines et morphiniques IV en
administration continue.
3.4. Principes thérapeutiques concernant les lésions
cutanées
Le risque infectieux chez le brûlé est important et existe dès les premières heures.
Un des objectifs du traitement des lésions cutanées brûlées est d’éviter la contamination
des brûlures par des germes et le développement de résistances bactériennes. Le
traitement initial est constitué d’une première étape de désinfection (savon / eau stérile
/ antiseptique), puis de l’application d’un antibactérien local, le sulfadiazine argentique
(Flammazine•).
3.5. Incisions de décharge
L’apparition rapide d’œdème menace le pronostic vital et fonctionnel et impose
la réalisation précoce d’incisions de décharge (figure 2). Il s’agit des :
– brûlures profondes circulaires avec ischémie d’un membre : le geste étant
impératif avant la 6e heure ;
– brûlures profondes thoraciques circulaires.
Figure 2.
Incisions de décharge.
90
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
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4. Évacuation sanitaire aérienne stratégique
collective
4.1. Évacuation sanitaire aérienne
Les Évacuations sanitaires aériennes (EVASAN) sont des missions dimensionnant
l’engagement de la France dans un conflit armé loin de ses frontières. C’est un maillon
essentiel de la doctrine de soutien santé des forces armées françaises.
Une EVASAN est un acte médical qui s’inscrit dans une démarche de prise en
charge médicale globale (Instruction ministérielle 208/DEF/EMA/OL.5 du 28 janvier
1998). Le transport sanitaire aérien d’un blessé est réalisé afin de garantir le maximum
de chances de survie et de récupération fonctionnelle. Il s’effectue sous surveillance
médicale ou paramédicale en poursuivant les traitements préalablement initiés.
Les EVASAN sont des composantes de la médicalisation de l’avant (médecin à
proximité du combattant pour assurer sa survie immédiate) et de la chirurgicalisation
de l’avant (bloc opératoire près du combattant afin de permettre une stabilisation
précoce). L’EVASAN doit être précoce dans le but d’assurer le traitement spécifique
des lésions dans un hôpital d’infrastructure et ce dans les plus brefs délais.
Évacuer les blessés au combat est une nécessité d’intérêt :
– médical : la capacité médicale est limitée et l’EVASAN permet un traitement
spécifique précoce, aussi que le traitement des urgences vitales et fonctionnelles ;
– psychologique pour les blessés et leurs camarades ;
– logistique en restaurant la capacité de soins à l’avant.
L’organisation des EVASAN comprend 2 composantes, 3 étapes et 5 acteurs
principaux (figure 3) :
Figure 3.
Organisation des EVASAN.
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
91
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
– les 2 composantes sont les 2 filières de décision qui vont juger de la nécessité,
de la faisabilité et de la réalisation des EVASAN : une filière aéronautique
(commandement) et une filière médicale ;
– les 3 étapes sont la petite boucle d’amont qui permet l’acheminement du blessé
de la formation sanitaire de l’avant jusqu’au vecteur d’évacuation, la grande boucle
représentée par le vol entre le théâtre et la métropole, la petite boucle d’aval qui va du
vecteur d’évacuation jusqu’à l’hôpital d’infrastructure ;
– les 5 acteurs principaux sont le demandeur situé sur le théâtre (exprime sa
demande au régulateur médical), le régulateur médical (reçoit la demande du théâtre,
exprime une demande de besoins auprès du ministère de la Défense et de la filière
aéronautique, met en alerte l’hôpital receveur et désigne l’équipe de convoyage), le
décideur, l’équipe de convoyage et l’hôpital receveur (figure 4).
Figure 4.
Les cinq acteurs principaux d’une EVASAN.
4.2. Contraintes physiopathologiques du transport aérien
sanitaire
Les EVASAN sont réalisées dans un milieu (aérien) et dans un environnement
(aéronef) qui sont à l’origine de contraintes importantes avec des conséquences non
négligeables sur la prise en charge médicale. Il s’agit de contraintes : – liées à l’altitude :
•
dysbarie : la diminution de la pression atmosphérique à l’intérieur de l’avion
engendre une augmentation du volume d’air contenu dans les organes creux (les
pneumothorax doivent être drainés) et les dispositifs médicaux (remplir le ballonnet
92
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
des sondes d’intubation avec de l’eau ou adapter un régulateur automatique de
pression), et a des conséquences sur le fonctionnement des appareils de ventilation en
particulier (penser à compenser le volume courant, intérêt des respirateurs à turbine
type LTV 1200) ;
• hypoxie : la pression d’un gaz est la somme des pressions partielles des différents
gaz qui le constituent (loi de Dalton). Si la pression atmosphérique totale diminue, la
pression partielle d’oxygène diminue d’autant. Il faut donc anticiper les besoins en
oxygène d’au moins 150 % et économiser l’oxygène ;
• thermo-hygrométrie : le milieu aérien est un milieu sec provoquant un
assèchement des sécrétions (majorer les apports hydriques) et froid avec un risque
d’hypothermie ;
– liées à l’aéronef :
• le niveau sonore est élevé ce qui nuit à la transmission des informations, à la
qualité de l’auscultation …
• l’ambiance thermique est fluctuante entre le chaud et le froid ;
• l’ambiance lumineuse peut être diminuée ;
• c’est un milieu exigu, nécessitant un rangement optimisé et une gestuelle adaptée ;
• l’équipe de convoyage est soumise à un isolement psychologique et technique
(ressources limitées en oxygène, électricité, fluides …).
– liées au vol :
• les différentes phases du vol génèrent des forces de gravité liées aux accélérations
et décélérations, principalement au décollage et à l’atterrissage. Le retentissement est
hémodynamique (les patients instables sur le plan hémodynamique sont positionnés
pieds en avant) et chez les traumatisés crâniens (positionnés tête en avant). D’autre
part, les vibrations sont responsables de mal de transport, aussi bien chez l’équipe de
convoyage que chez les patients. Enfin, ces stimulations peu habituelles chez un patient
conscient mais sanglé pour les besoins du vol peuvent être à l’origine d’épisodes
d’agitation.
4.3 Évacuation stratégique et collective
Dans notre exemple, les blessés sont à Kaboul et doivent être rapatriés à Paris,
soit une distance de 5 697 km et environ 8 heures de vol. Il s’agit donc d’une évacuation
sanitaire aérienne stratégique, d’un théâtre vers la métropole, à la différence des
évacuations tactiques réalisées sur le théâtre lui-même. Compte tenu des distances
concernées, le choix des aéronefs utilisables est restreint : Falcon 50 et 900, Airbus
A310 et A340, Boeing C135FR Morphée.
Pour une durée de vol de 8 heures, compte tenu des ressources électriques et en
fluides, les Falcon 50 et 900 permettent l’évacuation d’un seul blessé intubé et ventilé.
De plus, l’environnement de travail est exigu et la capacité d’emport logistique limitée
(figure 5).
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
93
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 5.
Intérieur d’un Falcon 50. Noter le
caractère exigu.
Les avions gros porteurs ont des avantages et des inconvénients différents selon
leur modèle (tableau 2). Leurs avantages sont leur polyvalence, leur vitesse, leur rayon
d’action et leur capacité. Leurs inconvénients sont liés à leur disponibilité et au délai
de mise en œuvre, à la nécessité d’un relais de nombreux véhicules au sol, à la maîtrise
de l’espace aérien, à des contraintes aéronautiques et de piste.
Tableau 2.
Capacités d’évacuation des avions gros porteurs.
Avions
Rayons
d’action
(km)
Piste (m)
Capacité
sanitaire
théorique
Oxygène
Électricité
A310
8 000
3 000
9 à 18
(2 graves)
4 bouteilles
AF (3250L/
bouteilles)
+4
220 V oui
2 prises
A340
14 000
3 000
25
50 bouteilles
max
220 V : non
2 prise US
(15 V 400Hz)
A135F
7 000
3 000
6 lourds ou
4 lourds
6 légers
16 bouteilles
de 3 000l
+40 000 O2
liquide
L’Airbus A340 est médicalisé en 6 à 12 heures par le lot CS7 et 13 personnels du
SSA, et comporte 25 civières. L’absence de possibilité d’alimentation électrique en
220 V le réserve aux blessés légers.
La médicalisation des Airbus A310 est pratiquement identique (18 barquettes)
mais la possibilité d’alimentation en 220 V permet l’évacuation de blessés
intermédiaires.
Les Boeing C135FR Morphée sont médicalisés par un lot Morphée avec
12 personnels dont 2 anesthésistes réanimateurs pour un décollage en moins de
94
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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24 heures. Selon la configuration ils peuvent permettre le rapatriement de 12 blessés
dont 4 patients de réanimation (figure 6).
Figure 6.
Évacuation de blessés avec Morphée.
L’évacuation de blessés en nombre est une évacuation collective. Dans l’exemple
choisi de plusieurs blessés brûlés, c’est l’association des problèmes rencontrés lors
d’une évacuation individuelle classique à la spécificité des brûlés. La réussite d’une
EVASAN collective de ce type repose sur l’anticipation et la logistique. L’anticipation
dépend de la qualité des échanges entre le théâtre, l’équipe de convoyage et les équipes
hospitalières de métropole. La logistique doit prendre en considération la durée de vol,
le nombre et la gravité des blessés, l’estimation des besoins correspondants en solutés,
oxygène, pansements spécifiques …
L’adéquation entre les moyens humains et le nombre et la gravité des blessés obéit
à la classification de Chabanne et Pujol qui définit les ratios patients / IDE, IADE,
anesthésiste-réanimateur, médecin aéronautique.
5. En pratique
L’incendie survenu après l’attaque du VAB est responsable de 4 blessés catégorisés
P1 (urgence immédiate) intubés et ventilés dont 2 brûlés avec une SCB de 30 % et
2 avec une SCB de 20 % ; et de 4 blessés catégorisés P3 (urgence minime) brûlés avec
une SCB de 10 %.
Compte tenu de la distance à parcourir, du nombre et de la gravité des blessés, des
contraintes logistiques et en personnel engendrées par les brûlures, le choix du vecteur
se porte vers un Boeing C135FR Morphée.
Tous les patients sont mis en condition avant évacuation : stabilité
hémodynamique, chirurgie, pansements, identification précise des blessés. La petite
boucle d’amont est organisée entre le Role 3 déployé à Kaboul et l’aéronef utilisé pour
l’évacuation.
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
95
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Sur le plan logistique, la prise en charge pendant 24 heures des huit blessés
préalablement mentionnés (poids moyen 80 kg) et selon les principes précédemment
décrits impose de prévoir les quantités suivantes :
– remplissage vasculaire : 210 litres de Ringer lactate et 58 litres de Sérum
albumine dilué à 4 % ;
– produits sanguins (CGR et Plasma sec cryo-desséché (PSCD)) : fonction du
bilan d’évolution ;
– oxygène : 16 bouteilles de 3 000 litres en plus de l’accès aux 40 000 litres
d’oxygène liquide de l’avion ;
– Flammazine• : 15 pots ;
– hypnotiques et morphiniques : 20 ampoules de 250 µg de sufentanil et 80 ampoules
de 50 mg de midazolam.
Le vol aller est consacré au repos de l’équipe de convoyage, à l’optimisation de
l’ergonomie de l’avion, au briefing et à l’élaboration du plan d’embarquement.
L’embarquement et le débarquement des blessés sont les périodes les plus à risque
de rupture des soins. Immédiatement avant l’embarquement la mise en condition est
réévaluée et optimisée : un geste facilement réalisable au sol avant le vol ne doit jamais
être différé. L’optimisation porte sur la stabilité hémodynamique, le dépistage et la
prévention des facteurs susceptibles de décompenser en vol et la finalisation du
conditionnement au sol.
L’embarquement se déroule sous la direction du directeur médical de la mission
selon le plan précédemment élaboré, celui-ci étant évolutif. Les blessés sont embarqués
du plus léger au plus grave. Le brancardage dans l’avion nécessite l’optimisation des
personnes présentes à l’intérieur de l’avion. Les ressources du théâtre (oxygène,
drogues, solutés …) sont utilisées jusqu’à la fermeture des portes.
En vol, la continuité des soins est poursuivie : remplissage vasculaire, gestion des
voies aériennes, prévention de l’hypothermie, nursing (exudation importante, réfection
précoce des pansements), gestion des effets liés au vol (agitation). Les documents de
surveillance et de suivi sont réalisés.
À l’arrivée, le débarquement se déroule dans l’ordre inverse de l’embarquement,
du plus grave au plus léger. La boucle d’aval permet la répartition et l’accueil des
blessés par les services hospitaliers préalablement désignés.
6. Conclusion
Une évacuation sanitaire aérienne stratégique et collective est un défi logistique
et humain. L’évacuation de brûlés graves est un défi supplémentaire. La réussite de la
mission repose sur l’entraînement des équipes, l’organisation logistique et
l’anticipation permanante.
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
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Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Laurent Bargues,
Emmanuel Bordier, Céline Gil, Laurent Grasser, Anne LeNoel, Céline Péraldi,
Stéphane de Rudnicki.
Références bibliographiques
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
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Préparation de l’accueil dans un Hôpital
d’instruction des armées métropolitain
de blessés de guerre en nombre évacués
d’un théâtre d’opération extérieure
Guillaume Pelée de Saint Maurice
Dans quelques années, médecin senior, vous exercerez à l’hôpital ou en unité.
Votre activité de médecin militaire vous amènera peut-être à participer à la prise en
charge de plusieurs militaires, blessés au cours d’une action de combat. Au delà de la
prise en charge initiale, qui mobilise toute la chaîne santé depuis le lieu de la blessure
jusqu’à la structure chirurgicale de l’avant, ces blessés seront évacués vers les
hôpitaux de la métropole. Que vous soyez en unité ou à l’hôpital, ce texte, qui
rassemble quelques réflexions de bon sens, peut vous être utile pour savoir comment
va s’organiser la prise en charge d’un afflux de blessés de guerre dans un Hôpital
d’instruction des armées (HIA). Soit parce que votre téléphone de garde vient de sonner
pour organiser la prise en charge de 12 blessés qui arrivent dans 24 heures, soit pour
informer les blessés ou leurs proches de la manière dont ils vont être accueillis au
terme de leur évacuation.
1. Introduction
Pour une structure hospitalière, qu’elle soit civile ou militaire, métropolitaine ou
en opérations, l’accueil d’un nombre important de patients dans un délai très court est
susceptible de saturer la capacité de soins et de prise en charge. La catastrophe se
transporte du lieu où elle est survenue vers l’hôpital, créant une situation de crise
potentielle. La définition d’un afflux saturant est relative, dépendante de la gravité et
du nombre des patients, mais également des caractéristiques de la structure hospitalière
en termes de taille, de personnels, de spécialités, de moyens techniques, d’architecture
et d’occupation des services à un instant donné. Ces afflux peuvent être secondaires à
des causes diverses (catastrophes naturelles, actes de terrorisme, pandémies), parmi
lesquelles les conséquences des opérations de guerre.
La prise en charge d’un afflux de blessés de guerre est une des principales raisons
d’être du Service de santé des armées. La littérature sur ce thème est principalement
focalisée sur la prise en charge immédiate, à l’avant puis dans les structures
hospitalières de théâtre [1]. Pourtant, la prise en charge d’un blessé de guerre repose
sur une chaîne ininterrompue de soins qui débute avec le ramassage par les camarades
de combat, la médicalisation de l’avant, la prise en charge dans une structure
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
chirurgicale de théâtre dont l’objectif est de catégoriser le blessé pour sauver sa vie et
sauvegarder son avenir fonctionnel. Elle se poursuit par l’évacuation sanitaire
stratégique médicalisée puis l’accueil du patient dans un hôpital métropolitain adapté
à la poursuite des traitements.
Une situation de guerre peut conduire à des pertes massives qui vont engendrer
un afflux saturant de blessés qui va s’exporter des structures de l’avant vers les hôpitaux
de métropole.
L’objet de ce texte est de décrire la préparation de l’accueil d’un afflux de blessés
en nombre dans un hôpital d’instruction des armées métropolitain, en éclairant les
aspects spécifiques de cette situation par rapport à une situation de catastrophe civile
en France métropolitaine. Après la présentation du contexte des opérations extérieures,
le plan de préparation de l’HIA sera décrit, avant de montrer les adaptations
indispensables à la situation qui devront être faites.
2. Rappels sur les opérations extérieures
2.1. Répartition de la présence française dans le monde
En 2011, la présence militaire française en opérations extérieures se répartit sur
six localisations (figure 1), pour un total de 8 700 hommes. En 2012, la situation devrait
a priori peu changer, hormis une diminution progressive des effectifs stationnés en
Afghanistan.
Figure 1.
Cartes des Opex en 2011. © bcissa dcssa
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Les opérations extérieures présentent des contraintes spécifiques que sont
principalement l’isolement et l’éloignement, ayant toutes deux comme corollaire la
limitation des moyens. Ainsi Kaboul est à environ 6 000 km de Paris, soit 7 à 8 heures
de vol direct, 9 heures si une escale technique est nécessaire.
2.2. Particularités des conflits modernes
Les conflits dans lesquels la France est engagée, le plus souvent au sein de forces
coalisées sur mandat des Nations Unies, présentent plusieurs caractéristiques [1].
Ce sont des conflits dits asymétriques : le temps des conflits entre états avec un
relatif équilibre des forces (conflits dits « symétriques ») semble aujourd’hui révolu
[2]. Ces conflits modernes mettent en présence des occupants militairement forts face
à des belligérants numériquement et techniquement plus faibles. De ce fait, ceux-ci
recourent à des formes de combat non conventionnelles pour poursuivre leurs objectifs
militaires : guérilla urbaine, actions terroristes, voire attentats suicides.
La nature de l’agent vulnérant de guerre est principalement projectilaire, à la
différence de la traumatologie civile du temps de paix. Ce dernier point découle des
caractéristiques déjà citées. Il peut s’agir des éclats, produits par des Engins explosifs
improvisés (EEI, ou IED en anglais pour Improvised explosive device) ou de balles de
fusil d’assaut. Les EEI sont assemblés à partir d’explosifs bruts, de munitions non
explosées qui sont déclenchées par la victime ou à distance (rayon infrarouge,
téléphone mobile). Ces engins sont responsables de lésions multiples par projection
de fragments (polycriblage) associées à des lésions d’amputation traumatique et de
blast si la victime est proche de l’épicentre de l’explosion [3]. Les autres mécanismes
lésionnels sont classiquement les traumatismes fermés, l’onde de choc (blast) et les
brûlures. L’aphorisme de nos anciens demeure : le blessé de guerre est un blessé par
explosion, polyblessé, polycriblé, blasté, parfois brûlé. Dans une série rétrospective
de près de 1 566 combattants américains blessés en Afghanistan, 8 sur 10 l’ont été par
explosion et dans un cas sur deux il s’agissait d’un engin improvisé [4].
2.3. Répartition anatomique des blessures
Face à ces agents vulnérants particuliers, le combattant est protégé : casque kevlar,
masque oculaire balistique, protection pare-éclats du tronc. Des zones de faiblesses
persistent, en particulier la région cervicale, les membres. Enfin ces effets de protection
restent sans efficacité pour protéger des effets de l’onde de choc, voire aggravent leurs
conséquences [5]. Owens montre que la répartition anatomique des blessures intéresse
plus d’une fois sur deux les membres, et une fois sur trois la région céphalique et le
cou. Ces données sont confirmées par une série française de 93 patients ayant bénéficié
d’une évacuation stratégique depuis l’Afghanistan [6].
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
101
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
2.4. Rappels sur les principes de prise en charge
2.4.1. Principes d’organisation
Le soutien santé d’une force en opération de guerre a comme objectif de sauver
la vie et de préserver l’avenir fonctionnel du plus grand nombre de blessés. Le concept du soutien santé est fondé sur deux principes fondamentaux [7-10] :
•
la médicalisation et la réanimation / chirurgicalisation de l’avant qui
impliquent de porter au plus près des combattants les moyens mobiles, performants et
adaptés aux conditions de l'engagement ;
•
la systématisation des évacuations sanitaires précoces vers les hôpitaux de
traitement définitif. La voie aérienne est privilégiée, même si elle ne représente pas
l’unique mode d’évacuation envisageable.
Sa mise en œuvre repose sur une chaîne continue de soins débutée très
précocement par le secourisme de combat par le blessé lui même ou son binôme sur
le lieu de la blessure et poursuivie jusqu’au lieu de traitement définitif dans un hôpital
d’infrastructure. La doctrine du service de santé en opérations, articulée avec la doctrine
de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) [11], fait suivre au blessé un
chemin clinique en quatre étapes : •
le niveau 1 (Role 1) est celui de la médicalisation de l’avant qui correspond
à la relève et au conditionnement médical primaire réalisés au sein des unités de combat ;
•
le niveau 2 (Role 2) est celui d’une structure chirurgicale avancée pour
effectuer le triage médico-chirurgical et les interventions de sauvetage et de
stabilisation avant l’évacuation ; •
le niveau 3 (Role 3) est celui du traitement des blessés sur le théâtre ; •
le niveau 4 (Role 4) est celui des évacuations sanitaires stratégiques et du
traitement définitif, en principe sur le territoire national.
2.4.2. Principes médicaux
La prise en charge des blessés hémorragiques repose sur deux principes majeurs
que sont la catégorisation et le triage d’une part, et sur le damage control d’autre part
dont le rationnel physiopathologique repose sur la lutte contre la triade létale engendrée
par le choc hémorragique. Cette triade comporte la coagulopathie, l’acidose
métabolique et l’hypothermie, chacun de ces éléments interagissant avec les deux
autres dans une spirale infernale qui conduit à la mort. Le damage control comprend
des actions chirurgicales limitées à l’essentiel à la phase initiale, entourées par des
actions de réanimation et par la transfusion sanguine, qui rendent possible un deuxième
temps chirurgical des blessures plus complet [1].
2.4.3. Évacuations sanitaires (EVASAN) aériennes stratégiques
Intégrée à la prise en charge médicale des blessés de guerre, l’évacuation aérienne
stratégique a pour objectif de ramener les patients en métropole pour permettre la
102
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
poursuite de leur prise en charge dans les meilleures conditions, les rapprocher de leurs
familles, et désengorger les structures de l’avant. Elle comprend classiquement trois
boucles, une petite boucle d’amont qui conduit les blessés du Role 2 ou 3 au point
d’embarquement (aéroport) par voie routière ou héliportée, une grande boucle de
transport aérien sur de longues distances, puis à nouveau une petite boucle routière ou
héliportée pour transférer les patients du point de débarquement vers l’hôpital
métropolitain. La grande boucle est le plus souvent réalisée soit par avion Falcon, soit
par Boeing C 135FR équipé MoRPHÉE (Module de réanimation pour patients à haute
élongation d’évacuation). Ces deux vecteurs permettent d’évacuer des patients de
niveau de soins de réanimation, en poursuivant la suppléance et le monitorage des
grandes fonctions vitales.
Ces différentes boucles, qui s’ajoutent à la prise en charge initiale, nécessitent un
certain délai de planification et de déclenchement. Répondant à des protocoles
préétablis, cette évacuation est demandée par l’équipe médicale du Role 2 ou 3. Sa
mise en route, en particulier pour une évacuation aérienne multiple type Morphée,
nécessite une douzaine d’heures, en fonction du niveau d’alerte. En ajoutant les temps
de parcours pour un théâtre d’opérations éloigné d’environ 6 000 kilomètres, ceci
implique que les blessés mettront entre 36 à 48 heures avant d’arriver dans un hôpital
métropolitain. Ce délai est capital : c’est un atout qu’il faudra mettre à profit.
3. Comment se prépare un hôpital d’instruction
des armées à recevoir un afflux de blessés :
plans de prise en charge spécifiques
3.1. Mission et contrat opérationnel
Inscrite dans le Livre blanc pour la Défense, et récemment rappelée dans circulaire
de la Direction centrale du Service de santé des armées est l’accueil des blessés de
guerre [12]. En amont de l’accueil de blessés de guerre, cette mission nécessite une
préparation permettant de se doter d’un outil d’optimisation de l’allocation des moyens
de l’hôpital en cas d’afflux.
Le « contrat » du Service de santé des armées dans le cadre du Livre blanc de la
Défense [13] est de pouvoir accueillir 114 blessés de guerre par jour, soit 12 blessés
par jour pour chacun des 9 HIA. Par ailleurs, le dimensionnement de l’afflux de blessés
de guerre pour un HIA correspond en fait à la taille du vecteur d’évacuation aérienne
stratégique : le dispositif MoRPHÉE peut évacuer de 6 à 12 blessés, en fonction de
leur degré de gravité. Pour ces deux raisons, il apparaît légitime de dimensionner la
préparation de l’hôpital autour de ce nombre de 12 blessés de guerre.
Des exemples récents viennent conforter ce choix :
– l’attentat de Karachi (Pakistan), en 2002 : 26 morts, 12 blessés évacués vers la
France.
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
103
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
– le coup de force de Bouaké (République de Côte d’Ivoire), en 2004 : 9 morts,
34 blessés évacués vers la France ;
– l’embuscade de la vallée d’Uzbin (Afghanistan) en 2008 : 10 morts, 20 blessés
évacués vers la France ;
– très récemment la fusillade de Gwan (Afghanistan) en 2012 : 4 morts, 14 blessés
évacués vers la France.
Répartis dans les trois HIA franciliens, et évacués en plusieurs vols, ces exemples
récents valident le dimensionnement d’un afflux à 12 blessés pour un hôpital
d’instruction des armées.
3.2. Pourquoi un plan ?
Un hôpital d’instruction des armées dispose de moyens étoffés, mais
nécessairement limités. Le risque de la prise en charge d’un afflux de blessés est de
saturer la structure hospitalière et sa capacité de traitement. L’élaboration d’un plan
est une étape de réflexion a priori visant à adapter l’organisation de l’hôpital pour une
mission spécifique et temporaire.
Au plan réglementaire, tout établissement de santé est dans l’obligation de mettre
au point un plan de crise dénommé Plan blanc. Révisé en 2002, le dispositif
réglementaire cherche à adapter les capacités de secours et de soins, particulièrement
hospitalières, à la prise en charge des victimes d’une situation de catastrophe naturelle,
climatique, industrielle? pandémique ou terroriste. Ce dispositif comprend le Plan
rouge de secours, et son corollaire hospitalier : le Plan blanc. Ce dispositif a une
architecture territoriale, avec une organisation en zone de défense sous l’autorité d’un
préfet de zone [14-17]. Des exemples récents de catastrophes en France ont contribué
à ces obligations réglementaires, à l’instar la catastrophe industrielle de l’usine AZF
près de Toulouse : 30 morts, 3 000 blessés dont 30 % seulement ont bénéficié d’une
prise en charge médicale, et 60 % n’ont pas été régulés [18, 19]. Par ailleurs, le Plan
blanc a également servi de base à la mise au point d’une réponse adaptée à la pandémie
de grippe H1N1 annoncée en 2009 en France, en termes de prévision du nombre de
patients nécessitant potentiellement un lit de réanimation, d’accueil des urgences…
Cette catastrophe annoncée n’aura finalement pas eu lieu.
3.3. Spécificités de l’accueil de blessés de guerre évacués
Dans le cas de l’accueil de blessés de guerre, il est capital de prendre en compte
les délais d’évacuation pour plusieurs raisons.
Ces délais font que les blessés n’arriveront à l’hôpital receveur que 24 à 48 heures
après la blessure. Ce délai est un atout majeur que la structure doit mettre à profit pour
se mettre en ordre de bataille, pour adapter son activité à l’arrivée des blessés. Cet
atout s’accompagne pour un hôpital recevant des blessés de guerre d’une exigence de
performance. Dans le cas d’une catastrophe civile, qui se produit aux portes mêmes
de l’hôpital receveur, les premières victimes se présentent dès la première heure. Les
104
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
plus valides (les moins gravement touchés) se présentent d’eux mêmes, avant que
l’organisation des secours n’ait pu se mettre en place.
Autre avantage, les blessés de guerre évacués vers la métropole sont déjà triés,
stabilisés et ont bénéficié d’une mise en condition d’évacuation, ce qui contraste avec
la prise en charge des victimes d’attentats ou de catastrophes civiles.
3.4. Plan « afflux massif » d’un HIA
3.4.1. Objectifs
L’objectif prioritaire du plan afflux massif d’un établissement de santé est de créer
les outils pour faciliter la prise en charge de blessés en nombre dans un HIA. L’objectif
secondaire, qui ne doit pas être perdu de vue, est de poursuivre la prise en charge des
patients déjà présents, sans altérer la qualité des soins dont ils bénéficient. Pour
satisfaire ces deux objectifs, il s’agit de réorienter les moyens humains, matériels et
l’organisation de la structure.
3.4.2. Principes
Le plan repose plusieurs principes :
– une organisation modulaire, à niveaux, qui va induire une perturbation
progressive de l’activité réglée, graduée et proportionnelle aux besoins. Cette
organisation est déclinée dans le temps, dans l’espace et de manière fonctionnelle sous
la notion de zones de soins ;
– un triage dynamique, tout au long de la prise en charge des patients, pour tenir
compte de l’évolutivité des patients et pouvoir réorienter un patient dont l’état se
modifie ;
– un plan adaptatif, permettant de composer avec des situations de crise différentes ;
– une organisation en cellules qui va penser la prise en charge des blessés en termes
de flux de patients. 3.4.3. Cellules
Ces cellules sont principalement la cellule de coordination des soins, la cellule de
crise et la cellule de communication.
3.4.3.1 Cellule de coordination des soins
Un médecin coordonnateur est identifié comme chef de la cellule de coordination.
Une mission exclusivement médicale lui est assignée, se focalisant sur l’objectif
prioritaire : assurer la prise en charge des patients évacués. Il doit superviser la prise
en charge des blessés. Il coordonne et organise les équipes médicales d’accueil. Il rend
compte à la cellule de crise. Anesthésiste-réanimateur ou urgentiste senior, le médecin
coordonnateur s’entoure d’une cellule comprenant un chirurgien, un urgentiste et le
cadre de santé du service d’accueil des urgences.
3.4.3.2. Cellule de crise
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
105
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
La cellule de crise, sous l’autorité du médecin chef, rassemble cinq acteurs
principaux, faisant converger dans une structure de petite taille les grandes fonctions
du management de l’hôpital (gestionnaire, directeur des soins, secrétariat de la
chefferie) et de la prise en charge médicale (chef du service d’accueil des urgences,
chef du service d’anesthésie-réanimation). L’objectif est de réussir l’adéquation des
moyens de l’hôpital avec les besoins des blessés. Chef d’orchestre du plan d’afflux de
blessés, cette cellule pilote l’accueil des blessés et la continuité de l’activité réglée.
Elle décide de l’éventuelle suppression d’activités, de redéploiements internes de
certains patients, du transfert de patients vers d’autres établissements, de sorties
anticipées, voire des ouvertures de locaux inoccupés. Elle centralise l’information en
temps réel, et assure l’enregistrement des données du déroulement du plan pour une
réévaluation ultérieure sous la forme d’un retour d’expérience.
Cette cellule dispose d’un local adapté, prédéfini pour cet usage, et pré équipé de
téléphones dont les numéros sont individualisés et de moyens informatiques
immédiatement utilisables.
3.4.3.3. Cellule de communication
Elle centralise les informations, et communique vers les familles en toute
transparence, et les médias dans le cadre d’une politique de communication.
3.4.4. Actions
Dans le cas de l’accueil de blessés en nombre, la cellule de crise doit prendre
certaines décisions indispensables.
3.4.4.1. Contrôler les accès
Il faut contrôler les accès routiers à l’hôpital pour filtrer les entrées, en permettant
aux familles, aux soignants d’entrer et éventuellement en organisant l’accueil des
médias sans gêner les accès. Un circuit d’accès des ambulances doit prioritairement
être fléché, respectant si possible une marche en avant qui simplifiera les norias.
Le contrôle des accès s’applique également aux accès téléphoniques. Le téléphone
est un outil essentiel de la prise en charge médicale permettant l’échange
d’informations entre les praticiens au service des patients. Le risque existe qu’une
saturation d’appels extérieurs, provenant de familles à la recherche d’un proche, ou de
médias en quête d’informations, vienne rendre inutilisable cet outil et perturbe des
soignants occupés à d’autres tâches. Le téléphone doit être réservé à la transmission
médicale : la clef de voute de l’organisation est la communication entre les différents
acteurs de la prise en charge. Une centralisation des accès extérieurs peut donc être
nécessaire, redirigeant ces appels vers des postes dédiéS, au niveau desquels les
informations adéquates seront délivrées au besoin par la cellule de communication.
Pour améliorer la communication inter médecins, le recours à des communications
radios de type talkie-walkie peuvent être utiles.
3.4.4.2. Anticiper
106
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Au plan géographique, il faut déterminer la zone d’accueil des blessés, en
identifiant des locaux adaptés, mais également des circuits (flux) qui respectent autant
que possible la marche en avant pour éviter les encombrements. Par exemple, en
fonction de l’architecture locale, les blessés Urgence absolue (UA) peuvent être
accueillis en salle de surveillance post-interventionnelle, les blessés Urgence relative
(UR) au service d’accueil des urgences, et les blessés éclopés dans un autre lieu.
Concernant les personnels, le plan doit s’appuyer sur des listes de gardes et des
listes d’astreintes, voire des listes complémentaires de personnels avec leurs
coordonnées à jour, pour renforcer les équipes en place quand ce sera nécessaire, soit
dès la phase initiale, soit ultérieurement. Des tableaux de personnels doivent être établis
à l’avance, renforçant par exemple les moyens du service d’accueil des urgences, et
posant comme règle qu’un patient UA est pris en charge par une équipe composée
d’un médecin, un infirmier diplômé d’État et un aide-soignant. Une équipe identique
pourra assurer la prise en charge de 3 à 5 patients UR, en fonction de leur gravité. Une
équipe de brancardage et une équipe de secrétaires, indispensables, seront
dimensionnées en fonction du nombre de patients attendus.
En termes de matériel, il faut déterminer quels seront les moyens techniques, mais
également logistiques et hôteliers nécessaires. Le plan pourra prévoir la constitution
de lots de renforts, voire de stock de matériel en cas d’afflux. La poursuite de la prise
en charge dans la durée nécessitera le réassort des stocks en produits consommables,
en bouteilles d’oxygène de transport, en médicaments et en produits sanguins.
3.4.4.3. Penser le chemin clinique des blessés
Cette action permet de suivre le blessé au cours de la phase d’accueil, de
catégorisation, d’évaluation paraclinique, d’actes thérapeutiques puis d’admission dans
un service d’aval. Il convient de garder à l’esprit que le triage est un acte dynamique,
tout au long de la prise en charge, et que le chemin clinique n’est pas linéaire : certains
des patients les plus graves, dont l’état s’est déstabilisé au cours du transport devront
par exemple être admis immédiatement au bloc opératoire, d’autres au contraire
(impliqués non blessés) pourront être admis directement en service d’hospitalisation
d’aval (figure 2).
3.4.4.4. Organiser l’accueil des blessés décédés
Au cours de l’évacuation ou de la prise en charge, des blessés peuvent décéder
malgré les soins prodigués. La morgue de l’hôpital peut s’avérer trop petite pour
accueillir les dépouilles. Il convient donc que le plan d’afflux de blessés prévoit
éventuellement une chapelle ardente, organise le rappel des ministres des cultes, et
rende possible le recueillement des familles. En fonction des circonstances, l’autorité
judiciaire peut diligenter une enquête qui aura des exigences médico-légales, en
particulier en termes d’autopsie nécessitant un transfert secondaire des dépouilles vers
l’institut médico-légal.
3.4.5. Limites du plan
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
107
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 2.
Chemin clinique
blessés.
des
Déterminé a priori, le plan est nécessairement figé sur une situation imaginaire.
Pour être utile en cas d’afflux réel son exécution doit associer adaptabilité et flexibilité.
Le plan, déterminé à un instant donné, doit également être réévalué au fur et à mesure
de l’évolution de la structure hospitalière.
3.4.6. Exercice
Ce plan d’afflux de blessés doit être testé et adapté dans le cadre d’exercices. Un
afflux de blessés est un événement rare, qui nécessite d’anticiper et de s’entraîner.
L’exercice permet de tester l’architecture du dispositif, de sensibiliser et de former les
personnels.
Il doit être conduit par une équipe d’évaluateurs externes, basé sur un scénario
plausible, prévu ou inopiné, et être relu a posteriori pour en tirer des actions
d’améliorations.
4. Mise en œuvre : accueil d’un afflux de blessés
4.1. Déclenchement de la procédure
La réception d’un message d’alerte déclenche la procédure. Il peut se faire en
pleine nuit auprès du personnel de garde de l’hôpital (officier de permanence ou
médecins de garde). Ce message doit être relayé sans attendre auprès du médecin-chef
de l’hôpital afin que le plan d’afflux de blessés puisse être activé, avec en premier lieu
l’activation de la cellule de crise sous l’autorité du médecin-chef. Le message
d’EVASAN émane de la Direction centrale du Service de santé des armées, comprend
des informations sous une forme pré formatée, qui donne le nombre des blessés pour
lesquels l’évacuation aérienne stratégique est demandée, leur catégorisation selon la
norme OTAN, et un bilan lésionnel initial succinct. Ces données restent, au plan
médical, très parcellaires, et l’évolution des blessés au cours du délai d’évacuation est
108
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
souvent difficile à connaître.
4.2. Mise à profit du temps disponible
Le temps de latence entre l’alerte et l’arrivée des premiers blessés doit être mis à
profit pour organiser d’une part la montée en puissance des moyens de l’hôpital en
vue d’accueillir les blessés, et l’adaptation du plan aux besoins spécifiques de cet afflux
au fur et à mesure que les informations le permettent. Cette phase de montée en
puissance va permettre en 36 à 48 heures, en fonction du nombre de blessés attendus
et des données concernant leur état, de diminuer l’activité réglée, en particulier afin
de pouvoir disposer de structures d’accueil, de blocs opératoires, et d’équipes
disponibles, mais également d’accès aux examens d’imagerie et de lits d’aval au
moment de leur arrivée. Cette phase d’adaptation de l’activité est une phase délicate
qui vise à répondre à la mission prioritaire de nos hôpitaux, sans perte de chance pour
les patients hospitalisés.
4.3. Application des principes du plan
Les principes du plan sont appliqués à la situation donnée, dans la limite de ce
qu’on peut en connaître durant la phase de préparation. La zone d’accueil est géographiquement sectorisée pour accueillir d’une part les
blessés instables, d’autre part les blessés stables, et par ailleurs les éclopés et impliqués.
Les diverses cellules du plan se mettent en place, en particulier la cellule de
coordination.
Les principes de fonctionnement sont rappelés à tous les intervenants, en
particulier la présence et l’autorité du médecin coordonnateur, la présence d’un
médecin senior responsable de chacune des trois zones, et l’affectation par blessé d’un
interne responsable de la coordination des soins et de la centralisation des informations
pour le blessé dont il a la charge.
Une équipe de brancardiers assure les transports intra-hospitaliers des patients.
L’un des brancardiers est spécifiquement détaché aux transferts des tubes de
prélèvements vers les laboratoires, et deux brancardiers sont affectés à la liaison avec
le centre de transfusion sanguine. Le transfert des blessés UA se fait en présence de
l’équipe soignante décrite dans le plan, les blessés UR sont transportés par deux
brancardiers.
4.4. Chemin clinique des blessés
L’accueil des patients se fait dans chacune des zones dédiées. L’enregistrement
administratif dans le système d’information de l’hôpital est une étape capitale, ne
devant pas retarder les soins urgents, et engageant la suite de la prise en charge en
termes d’identito-vigilance.
L’examen clinique est réalisé par chaque interne, sous le contrôle du médecin
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
109
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
senior responsable de la zone, et avec le concours des spécialistes hospitaliers, en
particulier les chirurgiens. Le triage médico-chirurgical est revu par le couple
anesthésiste-réanimateur et chirurgien seniors, donnant lieu à une nouvelle
catégorisation qui détermine la hiérarchisation du passage dans le parcours de soins :
intervention chirurgicale immédiate de sauvetage ou secondaire de reprise, examens
complémentaires ou admission dans un service d’aval. Il est capital que le triage réalisé
à l’hôpital soit exhaustif et répété. Il doit concerner tous les blessés, toutes les blessures.
À l’hôpital, chaque patient a un dossier médical. Il est de la responsabilité de
l’interne, et du médecin responsable de zone, de s’assurer que pour chaque blessé est
rédigée une observation succincte, qui doit comprendre obligatoirement pour ces
patients de traumatologie un avis chirurgical, une consultation anesthésique et un
dossier transfusionnel complet. La traçabilité d’éventuelles transfusions antérieures,
réalisées sur le théâtre d’opérations, sera assurée par la communication sans délai de
ces éléments au centre de transfusion sanguine par les équipes médicales du théâtre.
Dès la zone d’accueil, les prescriptions médicales comprendront les données de
remplissage vasculaire, d’analgésie, d’antibioprophylaxie, les radiographies
conventionnelles et les examens biologiques.
4.5. Transmission de l’information
Le chemin des informations médicales, codifié par le plan d’afflux massif, sera
appliqué. Chaque médecin responsable de zone transmet au médecin coordonnateur
le bilan pour chacun des patients dont il a la charge. Ces informations sont utilement
colligées sur un tableau affiché au mur, qui permet une vision globale de la situation
par les acteurs principaux. Les informations font l’objet d’un compte-rendu à la cellule
de crise, qui en lien avec la cellule de communication, peut répondre aux familles, aux
autorités, aux médias éventuellement, et également assurer une rétro-information
interne pour que les acteurs de soins sachent comment se déroule globalement la prise
en charge de l’afflux de blessés dans l’hôpital. Dès que possible, l’information des
proches des blessés s’inscrira dans le cadre d’une relation normale entre le patient, la
famille et les équipes soignantes.
4.6. Relation avec les familles
Durant la phase aiguë de l’afflux des blessés, une attention particulière doit être
portée à l’accueil des familles et des proches. Un accueil attentif et bienveillant doit
être prévu, en tenant compte du nombre de blessés à accueillir : pour 10 blessés, jusqu’à
30 à 40 personnes peuvent se présenter à l’hôpital, venant parfois de loin, et mêlant
famille, camarades du régiment, supérieurs hiérarchiques, voire autorités militaires. À
la phase initiale, les soignants doivent idéalement être déchargés des relations avec la
famille, tout en permettant une information claire et précise. Les circonstances de
survenue peuvent également nécessiter la mise en place d’une cellule psychologique
110
Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
d’aide aux familles. Les ministres du culte peuvent être d’un grand soutien auprès des
familles dans ces moments particuliers, de même que les personnels de la Cellule
d’aide aux blessés de l’armée de Terre (CABAT).
4.7. Penser à l’après
Après la phase initiale, il faut envisager de réarmer la structure, afin qu’elle puisse
reprendre son activité normale, voire éventuellement se préparer à une deuxième
arrivée massive de blessés si une deuxième rotation MoRPHÉE a été nécessaire par
exemple. Ce réarmement comprend avant toute chose les personnels : comment
organiser la prise de repos, le remplacement, voire la montée en puissance ? Cette
mission doit être confiée aux cadres des services pour réorienter les plannings de
personnels si nécessaire. Dans une situation exceptionnelle qui se pérennise au fil du
temps, le dépistage des situations d’épuisement professionnel chez les personnels devra
être attentif. Ce réarmement comprend également les médicaments, les produits
consommables, la stérilisation des boites d’instruments chirurgicaux, les produits
sanguins labiles.
4.8. Retour d’expérience (RETEX)
Une fois la crise passée, une démarche de retour d’expérience devra être menée
pour tirer les leçons de l’événement et mettre à jour le plan d’afflux au vu des
enseignements recueillis. Ce RETEX pourra concerner l’organisation, mais également
les situations particulières sous la forme de revue de morbi-mortalité par exemple.
5. Conclusion
L’accueil d’un afflux de blessés de guerre en nombre évacués d’un théâtre
d’opération extérieure est un défi médical, logistique et humain qui nécessite de
répondre à une exigence de performance au service des patients évacués. C’est la
mission première des hôpitaux militaires. Elle ne peut réussir qu’en anticipant
l’organisation à mettre en place en rédigeant un Plan blanc, et en profitant pleinement
du délai d’évacuation pour optimiser la structure d’accueil aux modalités de prise en
charge.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Jean-Louis Daban,
Nicolas Donat, Clément Dubost, Pierre Pasquier.
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Chaire d’anesthésie-réanimation et urgence appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire de chirurgie appliquée
aux armées
Chirurgie orthopédique
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Infection osseuse des membres en
traumatologie
Frédéric Rongiéras
1. Introduction
L'infection osseuse des membres est la complication la plus redoutée en
traumatologie. Elle est définie par la multiplication d'un micro-organisme pathogène au sein de
la médullaire de l'os, contaminant la corticale. Ce processus est à l'origine d'une
destruction osseuse et de l’apposition d'os pathologique. Nous exclurons de cet exposé
les champignons et parasites.
Les membres correspondent à la partie appendiculaire du corps humain, fixée au
tronc permettant soit la locomotion, soit la préhension. Dans tous les cas, il s'agit d'un
squelette axial entouré d'une enveloppe pluri-tissulaire. Nous exclurons de cet exposé
les infections osseuses distales du pied et de la main.
La traumatologie couvre l’étude des blessures, des lésions locales produites par
l'impact mécanique d'un agent extérieur. Le contexte peut être différent avec les
accidents de la voie publique, les accidents du travail, les chutes de grande hauteur ou
certains traumatismes sportifs en pratique civile, mais également les traumatismes
balistiques en pratique militaire, à l’origine de délabrements tissulaires importants. 2. Historique
Historiquement, ce sont les guerres qui ont pu faire progresser la prise en charge
de l’infection osseuse. On peut déjà relever depuis l’Antiquité des ébauches de
traitement des fractures ouvertes. Environ 4 000 ans avant Jésus-Christ (JC), les
Sumériens lavaient les fractures ouvertes alors qu’en 1 600 avant JC, les Égyptiens
appliquaient des topiques (papyrus de Smith et papyrus Ebers).
Pour Hippocrate et Galien, la guérison passe par une phase de suppuration
bénéfique (le « pus louable »), favorisée par des traitements locaux.
Avec l’apparition des armes à feu, les lésions deviennent plus graves. La poudre
à canon est incriminée dans l’apparition de la «carie osseuse ». Ambroise Paré traite à
la fois les parties molles par cautérisation, et l’os carié par des curetages à l’aide de
rugines de toutes sortes.
Durant les campagnes napoléoniennes, Dominique Larrey, qui avait fait sa thèse
sur les caries osseuses (figures 1 et 2), pratique largement l’amputation sur le champ
de bataille qui seule, peut éviter l’infection mortelle des fracas des membres.
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
115
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 1.
Jean Dominique LARREY.
La prise en charge des infections des membres progressera ensuite grâce aux
évolutions majeures du XIXe siècle : la découverte de l’anesthésie en 1847 est un
élément important dans le traitement chirurgical des infections en permettant au
chirurgien d’augmenter ses possibilités techniques grâce à l’allongement du temps
opératoire.
Figure 2.
Thèse de LARREY.
Joseph Lister démontre en 1867 que les germes nocifs de l’air sont à l’origine de
la contamination des plaies. Dans son service, il utilise très largement l’eau phéniquée.
Celle-ci imprègne les pansements et les fils de catgut, et permet de réduire la mortalité
liée à l’infection de 60 à 15 %. C’est seulement en 1878 que Louis Pasteur découvre
que l’origine de l’infection est due aux microbes, même s’il expliqua la cause de la
fermentation trente ans avant.
Au cours de la Grande guerre, après une période d’errance où les principes neufs
de l’antisepsie sont peu mis en application, les infections mortelles (gangrène et
tétanos) vont réapparaître. C’est Alexis Carrel qui prônera le premier un traitement
complet en trois temps : – désinfection continue reposant sur un lavage au goutte à goutte par de
l’hypochlorite de soude (solution de Dakin) ;
– comptage journalier des germes ;
116
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
– fermeture secondaire entre le huitième et le douzième jour, la stabilisation des
fractures étant généralement vouée aux méthodes orthopédiques (figure 3).
Figure 3.
Service des fistuleux, Première
Guerre mondiale.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la découverte des antibiotiques par Sir
Alexander Fleming finira de révolutionner le traitement des infections osseuses. Ce
traitement s’applique dès 1941 sur les blessés de l’armée américaine.
La deuxième moitié du XXe siècle est riche en avancées techniques : apparition et
progrès des techniques de l’ostéosynthèse, utilisation des greffes osseuses,
développement des lambeaux et de la chirurgie plastique. Par ailleurs, des progrès sont
réalisés en antibiothérapie avec l’apparition de nouvelles molécules.
Ainsi, le seul traitement de l’infection osseuse est longtemps resté l'amputation.
Secondairement, la découverte pastorienne des bactéries, le temps de l'antibiothérapie
avec Fleming et les progrès de l'ostéosynthèse ont permis de faire diminuer ces
infections osseuses, mais malheureusement de ne jamais les faire disparaître. Le taux
de décès des fractures ouvertes a évolué : de 8 % pendant la Première Guerre mondiale,
à 4,5 % pendant la Seconde Guerre mondiale pour n’être plus que de 2 % en 1990 lors
de la guerre du Golfe. Toutefois, nous sommes encore loin de ne plus avoir à déplorer
de décès par infection osseuse. 3. Anatomie et physiopathologie
Du point de vue anatomique, l’os comporte une diaphyse et une métaphyse
vascularisées. L’épiphyse, ici, ne nous intéresse pas car son infection entre dans le
cadre des ostéo-arthrites. Cet os métaphyso-diaphysaire dispose d’une vascularisation
intrinsèque par les canaux de Havers, au niveau de la médullaire, de la membrane
endostée mais également du périoste. Cet os appartient à un segment de membre. À ce titre, il est entouré d'une
enveloppe musculaire, de fascia et d'une enveloppe cutanée. Le caractère superficiel
de certains segments osseux pose des problèmes de prise en charge comme c’est le
cas notamment pour le tibia à la face antéro-interne de la jambe. Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
117
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
3.1. Quelles sont les conditions nécessaires d’une
infection osseuse ?
L’os traumatisé, fracturé doit être mis en contact avec une colonie bactérienne. De
cette rencontre fortuite, apparaît une infection. La solution de continuité osseuse
constituée par la fracture met en communication la cavité endo-médullaire avec le
milieu extérieur. La fracture est également à l’origine d’un saignement osseux qui peut
être abondant et développer un hématome péri-fracturaire. Cet hématome, pourtant
indispensable à la consolidation osseuse, peut devenir un véritable milieu de culture
pour les bactéries introduites à ce niveau. Enfin, dans les suites d’une fracture,
l’évolution locale de l’os fracturé se fait vers une nécrose localisée et une
dévascularisation des extrémités osseuses qui peuvent aussi faire le lit de l’infection. Le contexte, quant à lui, peut être très différent. Il peut s'agir de lésions
traumatiques de la pratique civile, constituée par tous les traumatismes de haute énergie
rencontrés en particulier lors des accidents de la voie publique mais aussi de lésions
très contaminées rencontrées lors des traumatismes de guerre. Les délais de prise en
charge sont dans ce cas souvent plus longs.
3.2. Quels sont les mécanismes de l’infection osseuse ?
Tout d'abord, la contamination du foyer de fracture peut être directe lors d’une
fracture ouverte. Les germes sont ainsi inoculés directement au sein du foyer de
fracture. Les germes rencontrés sont ceux de la flore cutanée ou tellurique. Il existe
une atteinte des parties molles autour de l’os fracturé variable selon l’agent vulnérant.
Cette atteinte est décrite selon la classification de Gustillo et Anderson [1], elle-même
inspirée de la classification de Cauchoix et Duparc [2]. Du stade I au stade III,
l’aggravation des lésions tissulaires péri-osseuses est à l’origine d’une augmentation
du taux d'infection osseuse.
La contamination peut s’effectuer également en per-opératoire, que ce soit dans
des ambiances précaires (antennes chirurgicales, Opérations extérieures (OPEX)) mais
aussi dans des blocs opératoires très modernes où le risque n'est pas nul, malgré toutes
les précautions prises en per-opératoire et le traitement du milieu (traitement de l’air
notamment). La contamination peut également intervenir après l'intervention. Dans ce cas, il
s'agit d'une intervention réalisée sur une fracture fermée. Dans un second temps, du
fait de décollements (hématomes), d’une nécrose cutanée, une désunion de la plaie
mettant à l'air le matériel d'ostéosynthèse peut survenir, aboutissant à une infection du
site opératoire sur matériel. Cette infection est le fait de germes commensaux.
Elle peut plus rarement survenir de façon secondaire par voie hématogène.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit que toute infection nosocomiale notamment chez
des patients polytraumatisés, fragiles peut contaminer un foyer fracturaire même fermé.
Cette infection secondaire peut également apparaître par contiguïté. C'est le cas
d'infection survenant sur une fiche de fixateur externe, source d’inoculation osseuse.
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LES ANNALES DE
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3.3. Que se passe-t-il localement?
Il existe, quel que soit le mode de contamination, un œdème, une réaction
inflammatoire pourvoyeuse d’ischémie artériolaire et veineuse, de zones
d'infarcissement de la moelle puis de la formation de micro-abcès bordés par une
réaction ostéoporotique. Si ces lésions sont de petite taille, une résorption ostéoclasique
localisée est notée. Si ces lésions sont plus importantes, un séquestre osseux se forme. 3.4. Cas particulier des infections sur matériel
L'infection peut également apparaître sur du matériel d’ostéosynthèse,
occasionnant des difficultés thérapeutiques. Les infections sur matériel ont surtout été
étudiées avec le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus). L’infection est facilitée
par l’adhésion des germes par le biais d'une protéine de transport (fibronectine) sur le
matériel. Localement, un biofilm appelé « slime » renforce les phénomènes d’adhésion
bactérienne. Des micro-colonies se forment, organisent leur survie en phase
stationnaire, et se protègent du monde extérieur en se rendant inaccessibles aux
antibiotiques. Ces derniers sont d’autant moins efficaces qu’ils ne peuvent agir que
sur des bactéries en phase de croissance.
3.5. Quelle écologie bactérienne ?
Les germes les plus fréquemment rencontrés sont ceux de la flore cutanée
commensale : staphylocoques dorés et staphylocoques à coagulase négative (>60 %
des cas), streptocoques hémolytiques et plus rarement entérocoques, bacilles Gram
négatif et anaérobies (Propionibacterium acnes).
En chirurgie de guerre, en plus des germes habituels, il existe une entité particulière
avec des infections à bacilles Gram négatif et en particulier des infections à
Acinetobacter baumanii [3] mais aussi à Pseudomonas aeruginosa et Klebsiella
pneumoniae. La physiopathologie n'est pas bien connue. Il peut s'agir, en Irak
actuellement, soit d'un environnement local de germes différents, soit d'une pression
de sélection créée par l'antibiothérapie réalisée mais aussi du non respect des règles
d’hygiène dans ces conditions exceptionnelles. Les infections tardives et récidivantes
sont, quant à elles, des infections à Gram positif assimilables aux infections en milieu
civil [4]. 4. Stratégie diagnostique
Le diagnostic de l’infection osseuse des membres peut être clinique. Il est facile
lorsqu'il existe un aspect inflammatoire associé à un écoulement de la voie d'abord,
une fistule nettement productive et/ou de la fièvre. Dans certains cas, seuls existent un
œdème, une rougeur locale ou l’apparition de « mauvaises odeurs ». Enfin, parfois
seule une douleur peut faire évoquer ce diagnostic [5].
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Si le diagnostic ne peut être évoqué cliniquement, des examens paracliniques
s’imposent.
Dans un premier temps, il convient de réaliser une radiographie simple du segment
osseux. Cette radiographie peut mettre en évidence une apposition périostée (figure 4)
mais aussi préciser l’état du foyer de fracture et montrer une résorption osseuse
anormalement majorée.
Le scanner permet quant à lui d’être plus précis et de visualiser les séquestres.
Enfin, l’IRM (figure 5) peut montrer l'existence d'un abcès centro-médullaire mais
aussi une inflammation péri-lésionnelle importante ou l’existence d’abcès des parties
molles autour de l’os.
Figure 5.
IRM abcès cortical fémoral.
Figure 4.
Apposition périostée.
Dans certains cas, seule une scintigraphie au technétium Tc 99 couplée à un
leucoscan ou à une scintigraphie aux polynucléaires marqués permet d’évoquer le
diagnostic d’infection osseuse.
Les examens biologiques n’ont de valeur que s'ils sont anormaux : ils comportent
une numération formule sanguine, un dosage de la C réactive protéine ou une vitesse
de sédimentation. Les examens bactériologiques ont une grande importance. En effet, le diagnostic
d'infection ne peut être affirmé que sur des arguments bactériologiques. Ces examens
sont à réaliser avec grand soin. Il faut éviter de faire des prélèvements à l'écouvillon
et privilégier les prélèvements profonds en ambiance stérile, réaliser de nombreux
prélèvements sur des milieux de culture (flacons d’hémoculture aéro/anaérobie, flacons
stériles). Un examen direct peut être utile mais n’a de valeur qu’en cas de positivité.
Enfin, le recours à des techniques d’amplification génique avec recherche d’ARN 16S
est de plus en plus employé.
L’analyse de prélèvements osseux en anatomo-pathologie peut mettre en évidence
des zones de nécrose mais surtout la présence de polynucléaires dans la zone suspectée
d'infection. Une fois le bilan local et le diagnostic d’infection réalisés, il faut compléter ceuxci par un bilan locorégional. Il comporte l’évaluation de l'enveloppe et notamment de
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l’état cutané, la recherche d’éventuelles fistules, cicatrices et adhérences dont on tiendra
compte dans la stratégie chirurgicale ultérieure. Enfin, en cas de perte de substance
avérée ou envisagée à la suite d’un nouveau parage, il importe de réfléchir au choix
du geste de couverture dans la phase de reconstruction. L’évaluation de l’enveloppe comporte également l’évaluation des tissus
musculaires. Il est nécessaire d’apprécier si les tissus musculaires sous-jacents sont
souples, sclérosés ou rétractés. L’évaluation des tissus musculaires est indispensable
s’il est envisagé de réaliser des lambeaux musculaires pour couvrir le foyer de fracture. Enfin, il faut s’intéresser à l'état des vaisseaux car sans une vascularisation
optimale, il n'y aura pas de guérison possible de cette infection. Les vaisseaux peuvent
avoir été lésés lors du traumatisme mais aussi lors de gestes chirurgicaux précédents.
Une artériographie peut s’avérer indispensable avant l’utilisation de certains lambeaux
et notamment, l’utilisation de lambeaux micro-anastomosés sur des vaisseaux à bon
débit. L’étude du contexte et du segment osseux nous met en présence de diverses
situations :
– soit il s'agit d'une fracture infectée, et dans ce cas, il s’agit d’une ostéite aiguë ;
– soit il peut s’agir d’une ostéite chronique sur un os consolidé (figure 6) ;
– soit il s’agit d’une fracture infectée non consolidée dénommée pseudarthrose
septique (figure 7). Figure 6.
Ostéite chronique.
Figure 7.
Pseudarthrose septique de jambe.
Cette pseudarthrose septique peut exister avec du matériel d’ostéosynthèse en
place. On parle alors de « pseudarthrose septique armée ». La fonction globale du membre doit ensuite être appréciée surtout s’il existe des
lésions graves pluritissulaires. En effet, des lésions majeures peuvent faire discuter
l’amputation si le résultat fonctionnel à en attendre est désastreux. Cette évaluation
comporte la recherche de lésions nerveuses, de lésions musculo-tendineuses et de
raideur des articulations sus- et sous-jacentes à l'os infecté. Enfin, les contraintes ne
seront pas les mêmes aux membres inférieurs et supérieurs, les membres inférieurs
ayant à s'affranchir des contraintes de la marche. Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Le bilan général cherche enfin à apprécier l’état général du patient. Il faut
rechercher tous les facteurs péjoratifs en lien avec l’infection mais aussi influant sur
la consolidation osseuse : de façon non exhaustive, existence d’un diabète, d’une
artériopathie, de foyers infectieux chroniques proches du foyer de fracture. L’âge
avancé et la dénutrition sont aussi des facteurs délétères. Le tabac est réputé de mauvais
pronostic sur la consolidation osseuse et sur la vascularisation des tissus infectés.
5. Traitement de l’infection osseuse avérée
Le but du traitement est d'éradiquer l'infection. Dans tous les cas, il est
indispensable d'obtenir la consolidation de l'os car une fracture qui ne sera plus infectée
sur un os non consolidé ne sera pas compatible avec une fonction normale du membre.
Tous les traitements doivent être réalisés avec l’objectif prioritaire de préserver la
fonction.
5.1. Traitement médical
Le traitement médical repose sur l’antibiothérapie dont nous ne donnerons que le
cahier des charges. Il faut une antibiothérapie active sur les germes isolés lors des
prélèvements bactériologiques, testés sur un antibiogramme avec calcul des
Concentrations minimales inhibitrices (CMI). Si les germes n’on pas été mis en
évidence, le traitement se veut probabiliste, ciblant les germes présumés les plus
fréquents. L’antibiotique doit avoir une bonne diffusion osseuse, doit être au mieux
bactéricide et administré à des doses correctes avec une durée prédéfinie minimale
afin d’éviter la sélection de souches résistantes. Les modalités d’administration sont la voie parentérale pendant deux à trois
semaines suivie d’un relais oral, lorsqu’il est possible, pour une durée de six semaines
à trois mois en fonction de la réponse locale ou de six mois s’il reste du matériel.
Plusieurs protocoles antibiotiques sont possibles. Par exemple, pour une infection
à Staphylococcus aureus méticilline-sensible, le traitement instauré peut être de la
cloxacilline associée à un aminoside par voie intraveineuse, relayés secondairement
par une fluoroquinolone et de la rifampicine. Si l’infection est non documentée ou
décapitée par une antibiothérapie préalable, une association cefotaxime / fosfomycine
peut être utilisée. Enfin, s’il existe une infection sévère des parties molles, il est possible
d’utiliser une association béta-lactamine / clindamycine qui est réputée plus active
contre la libération de toxines bactériennes.
5.2. Traitement chirurgical
Ce traitement ne sera pas le même s’il s’agit d’une infection sur os continu ou
d’une infection sur os non consolidé.
122
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5.2.1. Infection sur os continu
Sur un os continu, il faut dans un premier temps assécher le foyer d’infection puis
le recouvrir. Pour assécher le foyer de fracture, il est nécessaire de réaliser un parage
de l’os infecté et nécrosé. Il faut réaliser l’exérèse des séquestres et réaliser une
trépanation osseuse afin d’aborder la cavité médullaire (figure 8) [6].
Figure 8.
Exérèse séquestre et trépanation osseuse sur ostéite.
Cet abord de la cavité médullaire est indispensable et doit être réalisé à la mèche
ou à la scie et jamais au ciseau à frapper. L’excision doit être prudente à la recherche
d’un os saignant mais cette limite est parfois difficile et nécessite le recours à un
colorant comme le Bleu de Disulfine®.
La résection sur un os diaphysaire ne doit pas dépasser un quart de la
circonférence. Si la résection est plus étendue, il existe un risque fracturaire important
qui peut nécessiter une immobilisation ou une fixation préventive.
Cet assèchement peut passer aussi par un geste de saucérisation. Ce geste permet
de transformer une cavité rétentive, de drainage difficile, en une perte de substance
plate et évasée sur laquelle les soins locaux sont possibles. Cette saucérisation était
notamment réalisée sur la face antéro-interne du tibia : la cicatrisation était lente,
difficile au pris de pansements douloureux et son indication actuelle demeure
exceptionnelle.
Enfin, si le parage osseux est extensif, il est possible de réaliser une entretoise en
ciment afin de pouvoir effectuer dans un second temps une greffe selon les principes
développés par Masquelet (figure 9) [7].
Une fois, le parage osseux réalisé et le foyer infecté asséché, il est nécessaire de
réaliser une couverture de ce foyer infectieux. Pour cela, diverses techniques sont
possibles. Il est possible de réaliser une sculpture des parties molles. Celle ci s’effectue
en réalisant un vaste décollement de ces parties molles à la rugine ou au ciseau. Ces
parties molles sont mobilisées puis suturées. Les limites de cette sculpture des parties
molles sont l’existence de cicatrices adhérentes ou de tissus rétractés.
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 9.
Exérèse segmentaire diaphyse tibia
et mise en place entretoise en ciment
selon MASQUELET.
En fonction de l’état trophique de la peau et des tissus sous-jacents, il est possible
de réaliser un lambeau local, locorégional ou un lambeau libre. Le lambeau local n’est
réalisable que s’il n’existe pas de lésion cutanée dans la zone à mobiliser.
Selon la façon dont on les mobilise, on distingue trois types de lambeaux cutanés :
d'avancement, de rotation, et de transposition.
Le lambeau d'avancement est en général un rectangle. L'avancement du lambeau
sur sa zone receveuse n'est lié qu'à l'élasticité cutanée et à la longueur du lambeau. Le lambeau de rotation est un arc de cercle dont la rotation sur sa zone receveuse
se fait grâce à l'élasticité cutanée.
Le lambeau de transposition enjambe une zone non décollée, ou « îlot d'arrêt »,
pour couvrir sa zone receveuse. Les lambeaux fascio-cutanés, décrits pour la première fois en 1981, se basent sur
les réseaux vasculaires anastomotiques longitudinaux qui sont situés de part et d'autre
de l’aponévrose. La dissection sous l’aponévrose permet de respecter la vascularisation
cutanée. Un certains nombre de lambeaux fascio-cutanés ont été décrits et permettent
des gestes de couverture avec des pédicules soit proximaux, soit distaux (lambeaux à
flux rétrograde) (figure 10).
Figure 10.
Lambeau fascio cutané en ilot.
Les lambeaux musculaires ou musculo-cutanés reposent sur la vascularisation du
muscle par un pédicule qui donne des perforantes cutanées vascularisant une palette
cutanée de taille variable en fonction des sites. Le lambeau de gastrocnémien est l’un
des lambeaux musculaires les plus connus et utilisable dans de bonnes conditions
124
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LES ANNALES DE
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même en situation précaire (figure 11). La vascularisation des muscles a été décrite
par Mathes et Nahai [8], définissant cinq types de vascularisation :
– type I : un pédicule vasculaire ; – type II : un pédicule dominant, et des pédicules accessoires ne permettant pas
de vasculariser la totalité du muscle ;
– type III : deux pédicules dominants ; – type IV : pédicules segmentaires multiples ;
– type V : un pédicule dominant, et des pédicules segmentaires accessoires
capables de vasculariser tout le muscle.
Enfin, tous ces lambeaux musculo cutanés ou musculaires avec un pédicule défini
et de taille suffisante peuvent aussi être employés en lambeaux libres microanastomosés.
Figure 11.
Lambeau musculaire de gastrocnémien.
5.2.2. Infection sur os non consolidé
Nous distinguerons deux cas de figure : l’infection précoce dans les trois premières
semaines qui correspond à une fracture infectée, et la non consolidation infectée qui
correspond à la pseudarthrose septique. Dans le premier cas, il faut bloquer l’évolution du sepsis afin d’éviter une évolution
vers l’ostéite. Le geste doit être le plus précoce possible et passer par un débridement
et un lavage agressif. En cas de geste chirurgical préalable, il faut reprendre toute la
voie d’abord, laver le site opératoire. Les parties molles sont en général préservées si
le geste est réalisé rapidement. Le matériel d’ostéosynthèse peut être laissé en place si
la couverture est réalisable dans le même temps
Dans le second cas, la prise en charge d’une pseudarthrose septique est plus
compliquée et comporte plusieurs objectifs : guérir l’infection osseuse, guérir les parties
molles et obtenir la consolidation osseuse.
Le préambule à toute prise en charge d’une pseudarthrose septique passe par une
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
immobilisation du foyer de fracture. Celle ci est réalisée par une exofixation, soit par
un fixateur externe monoplan suivant des règles strictes de mise en place, soit par un
fixateur type Ilizarov. Dans tous les cas, la mise en place d’un fixateur doit prendre en
compte les gestes ultérieurs et notamment les gestes de recouvrement par des lambeaux
fascio-cutanés ou musculo-cutanés.
Ici aussi, il est nécessaire d’obtenir l’assèchement du foyer de fracture. L’excision
du tissu osseux infecté est un geste difficile durant lequel l’expérience du chirurgien
est déterminante. Dans certains cas, des excisions itératives sont nécessaires pour
obtenir un os sain. Ce geste de parage osseux est parfois très extensif et peut poser le
problème de la reconstruction osseuse secondaire. Il existe également des tissus
inflammatoires et pathologiques autour de cet os infecté. Il faut exciser les trajets
fistuleux, les adhérences cicatricielles de façon suffisante avant de réaliser la couverture
du foyer de fracture.
Le second temps de couverture sera réalisé selon les mêmes principes que ceux
évoqués dans les infections sur os continu. Néanmoins, les lambeaux fascio-cutanés
et musculo-cutanés, pédiculés ou libres, seront préférés.
Certaines techniques, telles que l’oxygénothérapie hyperbare ou l’irrigation
continue aux antibiotiques, n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans la prise en
charge des pseudarthroses infectées.
Pour obtenir la consolidation osseuse, il faut associer à la stabilisation osseuse une
relance des processus d’ostéogénèse.
Historiquement, Ilizarov relançait l’ostéogénèse en stabilisant le foyer de fracture
de façon dynamique. Papineau, par l’irrigation continue de greffon osseux, obtenait
une consolidation au prix d’une période longue de traitement. Le cal n’était pas toujours
de bonne qualité et les séquelles locales, à type d’adhérences, importantes.
Les moyens de relancer l’ostéogénèse sont nombreux : décortication-greffe de
Judet, utilisation de greffe spongieuse, cortico-spongieuse ou spongieuse massive après
utilisation de membrane induite de Masquelet. Il est aussi possible dans les pertes de
substance étendues de réaliser des transferts osseux segmentaires (« fixateur externe
ascenseur ») mais aussi des transferts osseux vascularisés, à l’instar d’une fibula
vascularisée.
Ainsi, pour le traitement des pseudarthroses septiques, plusieurs stratégies sont
possibles et récapitulées dans le tableau suivant. Cette stratégie est séquentielle et
nécessite des gestes itératifs pour obtenir la guérison de cette pseudarthrose :
Pseudarthrose simple
Pseudarthrose septique
Pseudarthrose septique exposée
Assécher
0
+
+
Recouvrir
0
0
+
Consolider
+
+
+
Il est nécessaire d’évoquer le traitement des pseudarthroses en OPEX. En effet,
en cas de prise en charge des populations locales, il existe de nombreuses
pseudarthroses et pseudarthroses septiques. Ces infections sont souvent des infections
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
installées de longue date. Les moyens sont limités en antibiotiques. L’observance du
traitement est parfois difficile. Les ressources d’hospitalisation sont limitées. Il est
donc nécessaire de réaliser un traitement simple, fiable et rapide. Souvent, le traitement
antibiotique est donné à dose correcte mais les durées ne sont pas toujours optimales.
Il existe une limitation quant au choix de la molécule et de sa disponibilité quantitative.
Les lambeaux sont à réaliser avec prudence. Il faut privilégier des lambeaux simples
et bien vascularisés comme le lambeau de jumeau interne. Parfois, la gravité des lésions
locales et loco-régionales peut aboutir à un choix raisonné et à un traitement radical
comme l’amputation.
6. Prévention de l’infection en traumatologie
des membres
Prévenir la survenue d’une infection, c’est mettre en place des moyens capables
d’éviter la rencontre entre le foyer de fracture et le(s) germe(s) pathogène(s). Cette
rencontre peut être programmée dans le cadre d’une chirurgie réglée ou d’urgence,
durant laquelle le foyer de fracture et l’hématome péri-fracturaire sont en contact avec
des germes. Dans une fracture ouverte, cette rencontre est imposée par la situation et
le traumatisme initial.
6.1. Rencontre programmée
Dans le cadre de la chirurgie réglée, il faut contrôler le statut vaccinal anti-tétanique
et effectuer les mises à jour le cas échéant. Les voies d’abord sont réalisées selon les
principes habituels, en évitant les reliefs osseux. La peau est manipulée avec grand
soin afin d’éviter toute nécrose cutanée qui exposerait les tissus sous-cutanés ou même
osseux. En fin d’intervention, le site opératoire est lavé abondamment. Un drainage
est laissé en place afin d’éviter la formation d’un hématome qui peut être à l’origine
d’une désunion cutanée puis d’une infection secondaire de l’hématome.
Lors de ce geste de chirurgie réglée, il est indispensable de faire une
antibioprophylaxie. Cette antibioprophylaxie permet de diminuer l’incidence des
infections du site opératoire sans toutefois les faire disparaître. Le cahier des charges de cette antibioprophylaxie est le suivant [9] :
– utilisation d’un antibiotique efficace sur les germes habituellement en cause dans
les infections ;
– molécule utilisée différente des antibiotiques utilisés en traitement des infections
afin d’éviter toute sélection de germe ;
– administration de l’antibioprophylaxie avant la chirurgie (idéalement 30 minutes)
afin d’obtenir au moment de l’incision un taux sanguin optimal de cet antibiotique ;
– antibioprophylaxie réalisée avant la mise en place du garrot pneumatique ;
– faible toxicité des antibiotiques utilisés, à forte posologie (souvent supérieure à
celle préconisée dans les traitements curatifs), en dose unique. Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
6.2. Rencontre forcée
Il s’agit ici des fractures ouvertes. La molécule antibiotique étant mise en place
après la contamination de l’os, il ne s’agit plus d’une antibioprophylaxie mais souvent
d’une antibiothérapie.
Il n’existe pas de consensus sur la durée de cette antibiothérapie, la durée étant
variable et s’étalant de 48 heures à 10 jours. Les prélèvements sont à réaliser après le
parage et le lavage du site. L’antibiothérapie est adaptée en fonction des germes
identifiés et de l’antibiogramme obtenu 48 heures après le prélèvement. Les schémas
antibiotiques recommandés comportent des associations de type acide clavulanique/
amoxicilline associées à de la gentamicine. Cette antibiothérapie doit impérativement
être réévaluée à réception des résultats bactériologiques.
La vaccination anti-tétanique doit être vérifiée et au besoin, actualisée. En cas de
délabrements importants, il peut être nécessaire d’administrer une sérothérapie
antitétanique.
Lors de cette rencontre forcée, c’est aussi la qualité du parage chirurgical qui va
permettre de diminuer quantitativement l’inoculum bactérien dans la plaie.
Les principes du parage sont habituels [10] : débridements larges avec des voies
d’abord longitudinales, excision raisonnée des lésions cutanées puis du tissu souscutané dévascularisé, ouverture des fascias, parage musculaire avec exérèse de
fragments de muscles nécrosés qui font le lit de l’infection. À chaque temps de ce
parage, est réalisé un lavage au sérum physiologique, au besoin en utilisant un jet pulsé
permettant une détersion mécanique des tissus. L’action de détersion mécanique peut
aussi être effectuée par l’utilisation d’une brosse stérile ou d’un nettoyage avec une
compresse tissée.
Après ce temps de parage et de lavage, il est nécessaire de mettre en place une
fixation de l’os. Les techniques à foyers ouverts avec mise en place de matériel sont
proscrites dans le contexte de fracture ouverte. Classiquement, il est nécessaire de
mettre en place une exofixation par un fixateur externe qui permet de ponter la fracture
et de ne pas mettre de matériel dans la zone potentiellement contaminée. Néanmoins,
s’il s’agit d’une ouverture de grade 1 ou 2, si les délais de prise en charge sont courts
et si la prise en charge des parties molles a été réalisée de façon correcte, il est admis
de mettre en place un enclouage centro-médullaire en pratique civile.
En pratique militaire, la prise en charge dans une structure de Role 2 ou 3 impose
un geste simple. Un fixateur externe est mis en place selon les principes du damage
control [11]. Le fixateur est alors utilisé ici comme une vraie traction portable. Il n‘est
pas considéré comme étant le traitement définitif. La fixation est limitée à deux fiches
de part et d’autre de la fracture avec un membre réaligné mais une fracture parfois non
réduite idéalement. Cette fixation est temporaire et sera suivie dans ce cas, d’un
nouveau geste réalisé dans les 5 à 15 jours (soit modification du montage du fixateur
externe qui deviendra alors un traitement définitif, soit remplacement de ce fixateur
externe par une ostéosynthèse comme un clou centro-médullaire à distance de la
contamination liée à la fracture), sur des tissus non infectés.
128
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
7. Conclusion
L’infection osseuse est un problème majeur en traumatologie. Les nombreux
délabrements tissulaires, en pratique civile mais aussi en pratique militaire, font le lit
de la nécrose au sein de laquelle la contamination initiale va permettre le
développement d’infections graves. Ces infections, responsables avant l’avènement
des antibiotiques d’une mortalité consécutive aux traumatismes des membres, peuvent
être très longues et difficiles à traiter si l’os est infecté.
L’infection osseuse est à éradiquer et nécessite des traitements médicaux longs et
des gestes chirurgicaux itératifs. Les séquelles fonctionnelles en l’absence de guérison
sont importantes, surtout aux membres inférieurs.
La stratégie chirurgicale séquentielle nécessite de nombreux gestes chirurgicaux
qui maintiennent le patient de longs mois à l’hôpital. Les conséquences sont parfois
dramatiques avec un risque de perte d’emploi et de désocialisation.
De ce fait, la prévention est essentielle, aussi bien en chirurgie réglée où tout doit
être fait pour limiter les risques d’infection du site opératoire, qu’en traumatologie où
des règles de prise en charge strictes et intangibles doivent être respectées, telles que
la diminution des délais de prise en charge et l’optimisation de l’antibiothérapie.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Céline Cazorla,
Antoine Bertani, Frédéric Chauvin, Christophe Dulac, Laurent Mathieu, Minh Khan
Nguyen, Nicolas Prat, Philippe Schiele.
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130
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Historique des moyens de stabilisation
des fractures des membres
Didier Ollat
1. Définition du sujet
On définit comme moyen de stabilisation des fractures des membres tout dispositif
qui va supprimer toute mobilité au sein du foyer de fracture. Ces moyens de
stabilisation peuvent être externes ou internes au foyer de fracture. Les moyens de
contention exclusivement externes sont représentés par le plâtre, les bandages, les
attelles. Les moyens de stabilisation internes sont représentés par l'ostéosynthèse
comprenant les plaques, les vis, les clous, les broches et les cerclages. Enfin la fixation
externe qui comprend un appareillage externe associé à un matériel interne réduit à
son strict minimum. Nous aborderons également la réduction des fractures qui est le préalable obligé
avant la stabilisation. Le sujet, traitant des fractures des membres, exclura l'atteinte du rachis ainsi que
les luxations et entorses.
2. Historique
Quel plan choisir pour cet exposé ?
On peut choisir un plan chronologique se déroulant au fil du temps telle une frise
historique (figure 1) ou bien un plan thématique centré sur les différents appareillages
existants.
- 8 000 000
3000
476
1492
1799
Les temps
modernes
Le
La
L’Antiquité
et la
Moyen-âge
Préhistoire
Révolution
Le XIXe
siècle
1914
Le XXe
siècle
Figure 1.
Exemple de frise historique.
Nous avons fait le choix d'utiliser un plan chronologique dont l'intérêt est de
montrer l'évolution des différents matériels au fil du temps, modelée par diverses
influences extérieures notamment les guerres. Cependant certains sujets, chers aux
chirurgiens militaires, comme la fixation externe seront repris de façon thématique…
3. La Préhistoire
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
131
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
L’apparition des premiers hommes peut être estimée vers -800 000 avant JésusChrist. La connaissance que nous avons de cette époque est essentiellement basée sur
l'étude des peintures rupestres et des ossements. L'étude de ces derniers est très riche
d'enseignements. Nous savons que les hommes préhistoriques étaient dotés d'une
certaine connaissance médicale. En effet, ils étaient capables de pratiquer des
préparations crâniennes (figure 2). Il est également admis qu'ils étaient capables
d'effectuer des amputations (figure 3). Il a été retrouvé de nombreux ossements portant des signes de consolidation
osseuse après fracture. Un certain nombre de ces fractures est connu pour être le siège
Figure 2.
Trépanation.
Figure 3.
Vestige d’amputation.
de pseudarthroses fréquentes notamment en l'absence d'immobilisation. On peut donc
supposer que le fait de retrouver ces fractures consolidées démontre que les hommes
de cette époque étaient capables de confectionner des moyens sommaires
d'immobilisation. Cependant compte tenu des matériaux probablement utilisés (bois)
pour confectionner ces attelles, il n'a pas été retrouvé de fossile.
4. L'Antiquité
4.1. L’Égypte
La période égyptienne a pu être également étudiée par les nombreuses fresques et
peintures murales (figure 4). L'étude des papyrus et des momies a été également une
source précieuse de renseignements. La chirurgie était peu pratiquée. On sait
néanmoins, qu'ils étaient capables de réduire les fractures et de confectionner des
immobilisations. En effet, des attelles en bois maintenues par des bandelettes (figure 5)
ont été retrouvées dans des sarcophages. On sait également qu'ils étaient capables de
pratiquer des orthèses relativement sophistiquées.
Figure 4.
Fresque égyptienne
(immobilisation pied et
main).
Figure 5.
Ancêtres des attelles
en bois.
132
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
4.2. La Grèce
Hippocrate rapporte dans ses écrits, diverses méthodes de réduction des fractures
et luxations, notamment sur un banc de traction. Les immobilisations sont décrites
avec des attelles en bois et des bandages cohésifs. C'est à cette époque qu'apparaissent
les premiers dispositifs de contention externe. On peut considérer ceux-ci comme les
ancêtres de la fixation externe (figure 6).
Figure 6.
Dispositifs de contention externe.
4.3. Rome
Galien décrit également les principes de réduction et d'immobilisation des
fractures, ainsi que l'utilisation d'un forceps pour extraire des fragments d'os.
5. Le Moyen Âge
Le début du Moyen Âge a été largement influencé par les textes grecs et romains
conservés dans les monastères. La pratique médicale n’est pas encore une profession
convenable pour les chrétiens, car la maladie est assimilée à une punition divine. Il y
a peu de traces écrites relatives à cette période. Les Vikings pratiquaient la médecine
en utilisant des procédés relevant davantage de la magie qu'autre chose. Cependant,
ils possédaient certaines compétences en chirurgie, mises à profit lors des blessures
survenant pendant les invasions.
Avicenne (980-1037), perse, écrit un Canon de la médecine, synthèse des doctrines
d'Hippocrate, d'Aristote et de Galien, qui énonce les grands principes de prise en charge
des fractures. Nombre d’entre eux sont encore d'actualité… Il détaille les principes de
réduction, de traitement des fractures ouvertes, évoque le syndrome des loges, l'intérêt
de la stabilisation et le traitement des cals vicieux. Henri de Mondeville (1260-1320), chirurgien français de Philippe le Bel et de
Louis le Hutin, produit une œuvre littéraire majeure avec un livre en cinq parties dont
l'une spécifiquement dédiée aux fractures et luxations. Guy de Chauliac (1298-1368), écrit un Traité de grande chirurgie dans lequel il
décrit la réduction des fractures avec deux ou trois aides, membres en extension,
fragments osseux remis en place, utilisation de spatules et leviers. Il utilise un
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133
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
cataplasme à base d’huile de rosat et de blanc d'œuf posés sur un linge. Il décrit
également un mélange de farine et d'albumine d'œuf pour la rigidification des attelles.
Il décrit également : un suspensoir, système de poids et de poulies associés à une attelle
suspendue. Hans von Gersdorff (1455-1554), à Strasbourg, produit en 1524 un manuel de
chirurgie de guerre, le Feldtbuch der Wundartzney, dans lequel il traite également des
principes de l'anesthésie avec des extraits de plantes soporifiques. Il utilise aussi un
système de réduction avec un banc de traction pour réduire et immobiliser les fractures
(figures 7 et 8).
Figure 7.
Banc de traction servant à la réduction des fractures
du membre supérieur.
Figure 8.
Banc de traction servant à la réduction des fractures
du membre inférieur (reproduction extraite du Feldtbuch der Wundartzney de von Gersdorff, 1524).
6. Du Moyen Âge à la Révolution française
Cette période s’étalant de 1453 à 1792, comprend la Renaissance, la Réforme et
le Siècle des Lumières. C'est le triomphe de la modernité. La société évolue ainsi que
la médecine. Les avancées médicales et chirurgicales sont majeures avec la publication
de traités d'anatomie et de dissection et la réalisation de vues anatomiques d'artistes,
tels que de Vinci et Fallope (figure 9).
En parallèle surviennent de grandes avancées techniques comme l'imprimerie et
l'évolution de l'artillerie avec les premières armes à feu. Ambroise Paré (1510-1590), barbier-chirurgien, considéré comme le père de la
chirurgie moderne, codifie les positions d'immobilisation des membres dans les attelles.
Ce sont les positions de fonction connues actuellement. Il rédige dix traités de chirurgie 134
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 9.
Vues anatomiques de Vinci.
Figure 10.
Première page d’un des traités d’Ambroise Paré.
dont un dévolu aux bandages et un dévolu aux fractures (figure 10). Il rapporte
également, pour la réduction des fractures de cuisses, l'utilisation d'un banc de traction
appelée glossocomium (figure 11). Il décrit de nombreuses attelles en bois, en métal
ainsi que l'utilisation des bandages (figure 12). Apparaîssent également les premières
immobilisations métalliques externes appelées cassoles en fer-blanc (figure 13). Ce
dispositif permet une immobilisation rapide et efficace par une contention externe des
foyers de fracture. Figure 11.
Le glossocomium
d’Ambroise Paré.
Figure 12.
Utilisation des
bandages (ici sous le
genou, au pôle
supérieur de la plaie).
Figure 13.
Cassoles en fer-blanc.
Médecins et chirurgiens s'opposent : au XVIIe siècle la faculté de médecine de
Paris obtient la déchéance des barbiers-chirurgiens de Saint-Côme. Au XVIIIe siècle,
en 1731, Louis XIV inaugure l'Académie royale de chirurgie. C’est le renouveau pour
les barbiers-chirurgiens, temporairement car l'Académie est dissoute à la Révolution.
En 1741, Nicolas Andry est à l'origine du mot « orthopédie » : « orthos » (exempt
de difformité) et « paidon » (enfant).
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135
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
7. Le XIXe siècle
Les instituts de correction sous l’égide de bandagistes issus de tradition familiale
(Verdier, Bailleul) sont créés. Ils sont les premiers à introduire des dispositifs en
caoutchouc (figure 14) pour immobiliser des fractures.
Les chirurgiens de la Grande armée, Dominique Larrey, Pierre-François Percy,
participent également aux principes d'appareillage inamovible dans le traitement des
fractures. Cependant, faute de mieux sur les champs de bataille, ils utilisent parfois
des branches d'arbres en guise d’attelle… Guillaume Dupuytren, chirurgien-chef à l'Hôtel-Dieu de Paris, et son élève
Flaubert (père de l'écrivain) développent le concept de suture osseuse. Figure 14.
Dispositifs en caoutchouc.
Figure 15.
Ancêtre du fixateur externe
selon Malgaigne.
Jean-François Malgaigne (1806-1865) est à l'origine de la fusion de l'orthopédie
avec la traumatologie. Il écrit un traité sur les fractures-luxations en 1862. Il développe
la ligature osseuse par un cerclage pour les fractures obliques. Il jette les bases de la
fixation externe par « pointe » qui est une fiche métallique insérée dans un anneau de
cuir (figure 15). Il développe également un processus de réduction percutanée par griffe
(figure 16). Figure 16.
Principe de la réduction par griffe.
Lucien Baudens (1804-1857), professeur au Val-de-Grâce, met au point une boîte
d'immobilisation permettant la réduction du membre lésé en effectuant des soins locaux
sans avoir à mobiliser le membre (figure 17). 136
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LES ANNALES DE
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Figure 17.
« Boîte d’immobilisation » de Baudens.
À cette époque apparaît un événement majeur qui va influencer directement la
réduction et l’immobilisation des fractures : l'anesthésie. En 1846, la narcose à l'éther
est mise au point par Morton à Boston. Elle permet à l'ostéosynthèse à foyer ouvert de
faire une progression importante. C’est à cette époque qu’une autre invention majeure
pèsera sur la prise en charge des fractures : Roentgen réalise en 1895 la première
radiographie aux rayons X. Des grandes écoles chirurgicales françaises se mettent en place à Lyon et Paris. À
Lyon, Ollier (1830-1900) et son élève Nove-Josserand (1868-1949) décrivent les
premières ostéosynthèses par broche, de concert avec Péan à Paris. La plaque vissée
de Hansmann (figure 18) est présentée au congrès de Berlin en 1886, et soulève
d’emblée une controverse virulente : en effet, les extrémités coudées de la plaque,
visant à faciliter son ablation, font saillie en dehors de la plaie ! L’ostéosuture (figure 19)
apparaît également, mais nécessite un abord étendu qui dévascularise l’os.
Figure 18.
Plaque vissée de Hansmann.
Figure 19.
Principe de l’ostéosuture.
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137
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
8. Le XXe siècle
Ce siècle sera marqué par les deux conflits mondiaux pourvoyeurs de nombreuses
avancées. La prise en charge des lésions des membres au début de la Première Guerre
mondiale suit les règles et les principes tirés des conflits précédents. Il est en général
procédé à un empaquetage sommaire à l'avant associé à un processus d'évacuation
souvent long et aléatoire. Cela aboutit régulièrement à des catastrophes fonctionnelles
voire vitales.
La guerre des tranchées modifie l'épidémiologie des lésions avec un afflux de
lésions ostéo-articulaires complexes. Entre 600 à 700 blessés par jour affluent à Verdun
en 1916, dont 60 % de lésions des membres, avec atteinte osseuse dans 40 % des cas.
Ceci impose la modification de la prise en charge des blessés. L'immobilisation des
fractures des membres devient prépondérante à l'avant et au niveau du poste de secours.
Le traitement chirurgical primaire de la fracture intervient plus en arrière au niveau
d'hôpitaux d'opération et d'évacuation.
L'intérêt d'une immobilisation bien faite est rapporté par le Médecin général
inspecteur Mignon : diminution de la douleur et des signes d'infection, meilleure
pronostic dans la guérison.
Il apparait ainsi de nombreuses immobilisations plus rigides pour le membre
inférieur et plus légères pour le membre supérieur. Au niveau du membre supérieur il s'agit en général de simples écharpes ou de
bandages coude au corps (figures 20 et 21).
Figure 20.
Immobilisation par écharpe, contre-écharpe,
bandage coude au corps.
Figure 21.
Immobilisation par bandage
coude au corps.
Au niveau du membre inférieur (figure 22) il s'agit de gouttières métalliques en
zinc ou en aluminium grillagé ou non, parfois associées à du plâtre. L'attelle d'extension
continue pour le fémur fait son apparition avec différents modèles, dont la célèbre
attelle de Thomas Lardennois (figure 23). Progressivement, la doctrine se modifie avec le développement de gestes
chirurgicaux au plus près de la zone des combats. Une nouvelle doctrine est élaborée
en 1917. 138
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LES ANNALES DE
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Figure 22.
Immobilisation du membre inférieur par gouttière métallique.
Figure 23.
Attelle de Thomas Lardennois.
Le traitement orthopédique est parfois poursuivi à l'arrière avec des
immobilisations plâtrées fermées ou fenêtrées (figure 24). Il prend le relais de
l’immobilisation initiale faite à l’avant, par exemple la méthode de Gourbet (1911)
avec le plâtre à anses (figure 25).
Les appareils de traction continue, traction suspension sont nombreux (figures 26
et 27). Par exemple, la traction trans-osseuse permet un perfectionnement du traitement
orthopédique grâce aux clous de Fritz Steinman décrits en 1912 et aux broches de
Figure 24.
Exemple d’immobilisation plâtrée fenêtrée.
Figure 26.
Appareils de traction suspension.
Figure 25.
Plâtre à anses.
Figure 27.
Appareil de traction continue.
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139
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Martin Kirschiner décrits en 1927. Leur principe est une réduction et un maintien de
l’alignement du membre avec comme avantages peu de soins locaux et une
mobilisation modelante. L'inconvénient principal est le décubitus souvent prolongé et
une réduction insuffisante. La chirurgie progresse également avec l'ostéosynthèse par vis et plaques qui
supplantent progressivement les techniques d'ostéosuture, d'enchevillement,
d'enclavement. Les techniques d'ostéosynthèses sur pseudarthrose et cal vicieux avec
des arthrodèses et des greffes osseuses se développent (figures 28 et 29).
Figure 28.
Équipe chirurgicale au bloc opératoire.
Figure 29.
Principes illustrés de la technique de greffe osseuse.
La compression inter-fragmentaire progresse avec Robert Danis (1880-1962) qui
publia en 1932 la Théorie et pratique de l’ostéosynthèse avec la création d’une vis à
os spongieu en 1930 et la création d’une plaque à compression « coapteur » en 1938.
L'enclouage centro-médullaire est une avancée spectaculaire. A Kiel puis à
Hamburg, Gérard Kuntscher présenta en 1939, la technique de l’enclouage
centromédullaire. Ce chirurgien allemand (1900-1972), chirurgien sur le front de l’Est
durant la Seconde Guerre mondiale, présente au 64e Congrès de la Société de chirurgie
allemande en 1940 son rapport « Medullary nailing of fractures ». La technique est
ensuite adoptée par Boehler. L’évolution vers le verrouillage n’apparaîtra que bien plus
tard en 1972. La technique comporte une réduction exacte des fragments sur une table
à traction (figure 30) et un contrôle radiographique. La fixation est effectuée par
Figure 30.
Immobilisation après enclouage
fémoral centro-médullaire.
Figure 31.
Clou.
140
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
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l’introduction d’un clou (figure 31) à travers une courte incision à distance du foyer
de fracture. Ceci permet une mobilisation précoce.
Le principe est une stabilisation dynamique avec possibilité de glissement des
fragments le long du clou. Le respect de l’hématome péri-fracturaire et du périoste est
un élément fondamental. La Seconde Guerre mondiale provoque un tournant dans la prise en charge des
fractures des membres. Le concept de préservation des membres devant un fracas
ouvert prend forme alors que l’amputation était fréquente lors de la Première Guerre
mondiale Les plaies sont mieux décrites avec le principe suivant : excision – parage – non
fermeture. L’utilisation de la pénicilline, découverte par A. Fleming en 1928 et utilisée
sur l’homme en 1941 par Florey, se généralise. La fixation externe se développe
également.
9. La fixation externe
Les précurseurs de la fixation externe sont Hippocrate avec un premier appareil
de stabilisation externe pour fracture de tibia (figure 32) et Malgaigne avec, en 1840,
un appareil pour fracture de jambe et en 1843 une griffe à rotule (figure 33).
Figure 32.
Ancêtre du fixateur externe.
Figure 33.
Griffe à rotule.
Von Heine en 1878 maintient des fragments osseux grâce à des pointes d’ivoire
après réduction à foyer ouvert. Keetley en 1893 parvient à fixer un fémur. Le vrai début
de l’ère moderne est marqué par Lambotte en 1902 avec un fixateur à fiche unicorticale
(figure 34) et en 1907, un second modèle plus élaboré. Parkhill en 1894 crée un Bone
Clamp (100 % de guérison sur 14 cas). Lambert, Codvilla, Steinman prônent
l’utilisation de fiches trans-fixiantes. Groves en 1916 ajoute un arceau (ancêtre des
fixateurs circulaires). Judet en 1932 augmente la rigidité par une double barre. À propos
des moyens de réduction et d’osteotaxis, Anderson en 1934 utilise des fiches pour la
réduction de la fracture sans abord puis les fixe par une barre (figure 35). Hoffmann
en 1936, propose le premier appareillage modulable et modifiable grâce à un montage Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
141
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
adapté à partir de pièces standardisées (cheville, fiches, barre d'union). Plusieurs
appareillages voient le jour, à la discrétion de leur concepteur : barre à cornière de
Judet en 1932, montage en V de Lamare en 1933, fixateur en cadre de Chanley en
1948, fixateur à compression élastique (Judet en 1956) autorisant une compression du
foyer (figure 36).
Figure 34.
Fixateur à fiche unicorticale.
Figure 35.
Technique de fixation externe selon Anderson.
Figure 36.
Fixateur à compression élastique de Judet.
Figure 37.
Fixateur externe selon Vidal (1969).
La Seconde Guerre mondiale permet l’amélioration de la fixation externe car celle-ci
est parfaitement adaptée aux besoins du conflit. Ses avantages sont une remise en
charge précoce, une mobilisation rapide des articulations voisines et une diminution
de la durée du séjour hospitalier. La gamme des inconvénients est riche du risque
infectieux, des matériaux encore peu rigides, favorisant l’évolution vers la
pseudarthrose. La fixation externe tombera en désuétude durant la periode de l’après
guerre.
Vidal, en 1969, améliore la rigidité par une multiplication des pièces et des plans
(figure 37). Puis l’ère des premiers fixateurs circulaires s’ouvre (figure 38), inspirée
des travaux précurseurs de Bitner (1934), Ilizarov (1951), prolongés par Fischer en
1970, Volkov-Organesian en 1976.
142
Chaire de chirurgie appliquée aux armées - Chirurgie orthopédique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 38.
Fixateurs externes circulaires.
Figure 39.
Fixateur externe du service de santé des armées (FESSA).
Lortat-Jacob propose une évolution du Hoffmann avec utilisation de grosses
fiches. La société Orthofix met au point un modèle maniable et rigide. En 1978, le
modèle créé par le Service de santé des armées francais (FESSA) par Meyrueis est
validé. Il représente le premier fixateur créé pour la chirurgie de guerre, hyper-rigide,
monobloc ou articulé (figure 39).
La notion de dynamisation et de dérigidification apparaît dans les années 1980.
La dérigidification semble bénéfique à la consolidation : Zbikowski (1980) et la
dérigidification permanente, Meyrueis (1981) et la dérigidification multidirectionnelle,
Bastiani (1984) et la dérigidification axiale, Ilizarov (1951-1980) et le mouvement
compression-distraction.
Figure 40.
Fixateur externe Percy FX (vue générale).
Figure 41.
Fixateur externe Percy FX (détail).
Enfin les années 90 permettent au FESSA d’évoluer vers un nouveau fixateur
utilisé dans le Service de santé des armées : le PERCY FX (figures 40 et 41). Ce
fixateur plus moderne associe rigidité et maniabilité. Il est constitué de fiches
métalliques montées par des colliers en plastique sur des barres en carbone. Il est léger
et radio-transparent. Il est désormais le modèle règlementaire en usage.
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143
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
10. Le plâtre et la contention externe
Il s’agit d’un appareil de contention externe utilisant un système de substance
durcissable servant à assurer la contention d’un membre en cas de fracture, lésions
ligamentaires ou pour corriger une déformation. À partir de l'Antiquité de nombreuses
substances sont utilisées (cire, colle de farine, bois, tissus imbibés de jaune d'œuf, terre
glaise, résine, amidon…). L’inconvénient principal est la sensibilité aux conditions
hygrométriques. Le plâtre est réellement introduit par les Perses à la fin du Xe siècle,
appliqué sous forme de bouillie directement sur la peau. Le docteur Mathijsen, médecin
militaire néerlandais, invente la bande saupoudrée de plâtre sec, mouillée au moment
de l'emploi vers le milieu du XIXe siècle (figure 42). Dans les années 1970 les
matériaux synthétiques prennent souvent le relais d'une immobilisation plâtrée. Il s’agit
de support synthétique de fibres tissées (fibres de verre, polyester, Nylon®),
imprégnées d'une résine de polyuréthane qui polymérisent dans l'eau (figure 43).
Il existe également des mousses expansées de polyuréthane sous forme de deux
liquides à mélanger et à couler dans un jersey. Il existe aussi des matériaux
thermomalléables à basse ou haute température (figure 44) permettant de réaliser de
nombreux appareils tels que celui de Sarmiento pour les fractures de jambe. Il existe néanmoins des complications qui sont maintenant bien connues :
syndrome des loges, complications thrombo-emboliques, cutanées, fonte musculaire,
compression nerveuse, déplacement secondaire, enraidissement… Tout cela impose
une surveillance étroite dont la nécessité n’est plus à démontrer !
Figure 42.
Plâtre en bandes.
Figure 43.
Résine plâtrée.
Figure 44.
Gouttière de jambe
thermomalléable.
11. Le ciment chirurgical
En 1890 un chirurgien allemand Themistokles Gluck échoue dans la fixation
d’endoprothèses en ivoire. En 1943, le véritable premier « ciment osseux à base
acrylique » auto-durcissable est mis au point, amélioré en 1969 avec l’adjonction d’un
antibiotique. On l’utilise dans les fractures avec perte de substance pour une fixationcomblement provisoire en attente de la greffe osseuse définitive.
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12. Les broches
Elles permettent la fixation temporaire ou définitive d’un fragment osseux. C’est
la stabilisation définitive d’une fracture par un positionnement intra (Kapandji 1976)
ou extra-focal (Castaing, Py). Les avantages sont nombreux : faible encombrement,
agression réduite, coût. Il existe cependant des inconvénients : pas de compression du
foyer de fracture, migration, atteinte des éléments nobles.
13. L’Embrochage centromédullaire élastique
stable (ECMES)
Diverses méthodes apparaissent (figure 45) : enclouage de Ender, technique de
Métaizeau…
Figure 45.
Embrochage centro-médullaire
élastique stable.
Les avantages sont nombreux : facilité, mobilisation immédiate, pas de stress
shielding, risque septique peu élevé, préservation des cartilages, cicatrices peu
étendues. Il existe néanmoins des inconvénients : instabilité, agressivité des broches à
la peau, nécessité d’un amplificateur (rayons X) et faible contrôle de la rotation.
14. L’association pour l’ostéosynthèse
Fondée en 1958 en Suisse sous l’impulsion de Maurice Edmond Müller, elle
reprend les principes de Robert Danis : consolidation « sans cal visible » par la mise
en compression des fractures diaphysaires, Gerhard Küntscher : enclouage per-cutané
et Lorenz Boelher : mobilisation précoce. Elle élabore une instrumentation complète
ainsi qu’une documentation intégrale et centralisée avec un enseignement des
Figure 46.
Principe de compression du foyer de fracture.
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145
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techniques chirurgicales. Elle développe aussi une activité de recherche avec un
laboratoire de chirurgie expérimentale à Davos. Elle va permettre de nombreuses
avancées dans le domaine de l’ostéosynthèse : principe de compression du foyer
notamment (figure 46).
Elle développe ainsi le principe des vis à têtes verrouillées (figure 47) dans les
plaques transformant les plaques en véritables fixateurs internes (figure 48) et la
technique de pose mini invasive avec des ancillaires dédiés (figure 49).
Figure 47.
Vis à têtes verrouillées.
Figure 48.
Plaques d’ostéosynthèse réalisant
une « fixation interne ».
Figure 49.
Technique de pose miniinvasiveavec ancillaires.
15. Le XXIe siècle
L’évolution se fait dorénavant vers une ostéosynthèse la plus « biologique »
possible, avec une prééminence des impératifs de vascularisation sur la stabilité. Ces
concepts remontent aux années 1980. Leurs principes généraux sont des techniques
atraumatiques, des ouvertures cutanées minimisées, le recours aux nouvelles voies
d’abord (percutanées), à des vis auto-taraudeuses, à des plaques mono-corticales. Le développement des biomatériaux est aussi en plein essor. Ils apparaissent dans
les années 1960 mais de nombreux échecs freinent leur diffusion : problème de rigidité,
de biocompatibilité des polymères (figure 50). Il existe actuellement de nombreux
travaux de recherche expérimentant de nouveaux matériaux bio-résorbables de haute
masse molaire et auto-renforcés. Dans l’avenir, l’utilisation de matériaux bioactifs
(antibiotiques, facteurs de croissance…) est également espérée.
Figure 50.
Biomatériaux.
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16. Conclusion
À travers cet exposé, on s’aperçoit que l’immobilisation des membres pour traiter
les fractures fut un souci dès les prémices de l’homme sur terre. Au fil des siècles les
techniques se sont perfectionnées et les guerres, pourvoyeuses de nombreux blessés,
ont permis d’effectuer des progrès significatifs. Il persiste cependant de grandes
disparités sur la planète concernant l’accès aux soins et de nombreux patients
bénéficient encore de traitements obsolètes (figure 51). Tout n’est donc pas résolu sur
le plan technique : le vieillissement de la population, porteur d’un os porotique dans
lequel le matériel d’ostéosynthèse n’a pas une bonne tenue est certainement le prochain
défi technique à relever …
Figure 51.
Immobilisation de membre supérieur en Afrique.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Florence Barbier,
Jean-Pierre Marchaland, Laurent Mathieu, Franck Mottier.
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aux armées
Chirurgie viscérale
et générale
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Les plaies ano-périnéales de guerre
Hassan Tahiri
1. Introduction
Les plaies ano-périnéales de guerre représentent l’ensemble des lésions par
projectiles de guerre, intéressant une région anatomique étroite et cachée : le périnée.
Ce sont des plaies rares dont la prise en charge constitue un challenge diagnostique et
thérapeutique. Elles sont graves, engageant le pronostic vital dans l’immédiat du fait
des complications hémorragiques et secondairement des complications infectieuses
qu’elles entraînent. En pratique de guerre, ces plaies ano-périnéales sont souvent
associées à des lésions frontières : génito-urinaires, abdomino-pelviennes, crurofessières, ostéo-articulaires (bassin, hanche…). Toutes ces lésions peuvent engager de
plus le pronostic fonctionnel, digestif et génito-urinaire.
2. Rappel anatomique
La région ano-périnéale occupe la partie postérieure du périnée (figure 1).
Superficiellement, elle forme un triangle centré par l’orifice anal, entouré d’espaces
cellulo-graisseux pairs et symétriques : les fosses ischio-rectales. Ces dernières
contiennent, hormis la graisse, les paquets vasculo-nerveux honteux internes et leurs
branches terminales. Elles communiquent avec la loge pénienne, les régions fessières,
Figure 1.
Rappels anatomiques sur la
région ano-rectale.
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151
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
les espaces pelvi-viscéraux, le canal anal et son appareil sphinctérien, les releveurs de
l’anus, le rectum sous- et sus-péritonéal et les organes pelviens en profondeur. Ces
rapports intimes de la région ano-périnéale expliquent la fréquence des lésions
associées. En revanche, les complications hémorragiques sont liées à la richesse de la
vascularisation, tributaire des réseaux hypogastrique et iliaque externe. Les
complications infectieuses, quant à elles, sont favorisées par la graisse ischio-rectale
et les espaces pelvi-viscéraux.
3. Épidémiologie
3.1. La fréquence
La fréquence des plaies ano-périnéales de guerre est faible, ne dépassant pas 5 %
de l’ensemble des plaies par projectiles de guerre [1-3]. Cette fréquence se voit
diminuée grâce aux moyens de protection corporelle des soldats sur les théâtres
d’opérations. Une analyse des plaies par projectiles de guerre portant sur 3 300 blessés
au cours de l’opération « Freedom » en Irak a montré que les plaies recensées au niveau
ano-périnéal (représentant 5 % de l’ensemble des plaies survenues au cours de ce
conflit) concernaient toutes des patients de nationalité irakienne, dépourvus de
protection corporelle (figure 2) [2].
La prise en charge de ce genre de plaies engage des soins lourds et longs avec une
morbidité variant de 15 à 20 %. Elles restent malheureusement graves puisque le taux
de mortalité est estimé selon les séries entre 10 et 58 % [1-3].
Figure 2.
Répartition des blessures par balle en
guerre d’Irak opération « Freedom ».
3.2. Les agents vulnérants
Les agents vulnérants sont multiples et variés. Ils proviennent des armes de poing,
des fusils d’assaut, des explosifs conventionnels et terroristes, de fabrication artisanale.
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3.2.1. Les éclats
Les éclats proviennent d’engins explosifs tels que les obus, les mines ou les
bombes artisanales. Ces projectiles sont essentiellement rencontrés dans les conflits
modernes. Ils représentent 80 % des agents vulnérants impliqués dans les lésions par
projectiles de guerre. Classiquement, on distingue les éclats primaires provenant
directement de l’engin explosif et les éclats secondaires (débris de verre, débris
telluriques, éclats osseux…) générés par le souffle de l’explosion ou par les éclats
primaires. Ces éclats se distinguent également en éclats d’ancienne et de nouvelle
générations. Les éclats d’ancienne génération sont de grosse taille, irréguliers et
tranchants, issus du morcellement de l’engin explosif. Ils sont caractérisés par leur
pouvoir lésionnel dévastateur en rapport avec leur forme irrégulière et leurs bords
tranchants. Les éclats de nouvelle génération proviennent de munitions destinées à la
fragmentation. Ils sont de petite taille, homogènes et parfois radio-transparents. Ils sont
à l’origine de polycriblages souvent importants dans leur étendue et leur densité.
3.2.2. Les balles
Les balles sont des projectiles de guerre issus de l’armement individuel d’épaule
ou de poing, utilisés dans les assauts et les combats urbains. Durant le conflit irakien,
la fréquence des plaies par balle a augmenté pour atteindre 50 % de l’ensemble des
plaies. Ces projectiles sont classés selon leur poids, leur calibre, leur structure interne
et leur vitesse initiale. Classiquement, les projectiles d’armes de poing sont de faible
vitesse et de grand calibre et ceux des armes d’épaule sont de petit calibre (5,56 mm)
et de haute vitesse (supérieure à 1 000 m/s). Les balles de petit calibre et grande vitesse
ont un pouvoir lésionnel (wound injury) très important, lié à leur instabilité dans la
cible. Les balles tirées par le fusil Kalachnikov RPK 40 en constituent le meilleur
exemple. La notion du blindage des balles est apparue avec les Conventions
internationales de Genève et de La Haye qui ont imposé aux armées régulières
l’utilisation de balles non déformables, non fragmentables et ne contenant pas de
substance explosive inflammable ou toxique.
3.2.3. Les armes blanches
Les armes blanches sont rarement impliquées dans les plaies ano-périnéales de
guerre. En situation de guerre, elles peuvent être utilisées dans les combats rapprochés,
de type corps à corps. En temps de paix, les empalements représentent la cause
principale des plaies ano-périnéales.
3.3. Rappels sur la balistique lésionnelle
Le trajet et le comportement des projectiles de guerre au sein des tissus dépendent
de leurs caractéristiques (forme, poids, structure, vitesse initiale), bien décrites pour
les balles et très aléatoires pour les éclats, de leurs propriétés mécaniques et de leurs
effets physiques. Théoriquement, à partir des études de comportement de balle au sein des milieux
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
homogènes inertes [4-5], chaque projectile possède un trajet rectiligne d’entrée appelé
neck. Ce trajet reste filiforme et rectiligne tant que le projectile reste stable dans sa
progression jusqu’à la perte de sa vitesse ou sa sortie du milieu homogène. C’est le
cas des balles à basse vélocité qui sont tirées par les armes de poing. Afin d’augmenter
leur pouvoir vulnérant, la structure de ces projectiles peut être rendue déformable lors
de l’impact (par pointe creuse ou extrémité non blindée) : ceci provoque alors le
« champignonnage » de la balle, qui augmente son diamètre, se ralentit brutalement,
créant ainsi une cavitation. Les balles à haute vélocité, quant à elles, sont blindées et
conçues pour devenir instables dès l’impact, puis lors du freinage ; elles libèrent alors
une énergie importante, provoquant un étirement (stretching) des tissus avoisinants, à
l’origine d’une cavitation temporaire débordant une cavité faite d’attrition tissulaire,
en rapport avec l’action directe du projectile par cutting sur les tissus traversés
(figure 3).
Figure 3.
Trajet du projectile in vitro.
A. Projectile à basse vélocité sans bascule.
B. Projectile à haute vélocité avec fragmentation.
C. Projectile non blindé avec « champignonnage ».
D. Projectile à haute vélocité n’ayant pas fragmenté.
Ces notions balistiques générales sont difficiles à transposer sur le corps humain.
Ce dernier est une mosaïque de tissus se comportant différemment lors de l’impact
des projectiles. Les parties molles sont le siège de cavitations et les os peuvent être à
l’origine de déstabilisations des projectiles voire de fragmentations à l’origine d’éclats
secondaires osseux ou métalliques.
Ainsi, afin d’optimiser la prise en charge des blessures par projectiles de guerre,
le chirurgien militaire doit garder à l’esprit ces notions de balistique, l’aidant à
comprendre les phénomènes physiopathologiques propres à la chirurgie de guerre.
4. Anatomie pathologique des plaies anopérinéales de guerre
Sur le plan anatomo-pathologique [6-9], les plaies ano-rectales de guerre
surviennent le plus souvent dans le cadre d’un syndrome pluri-lésionnel :
– les lésions ano-rectales sont présentes dans 89 % des cas. Ces lésions intéressent
154
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LES ANNALES DE
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le rectum sus- et sous-péritonéal dans 70 % des cas et le canal anal ainsi que l’appareil
sphinctérien dans 60 % des cas. Les lésions uro-génitales sont représentées à ce niveau par
les atteintes testiculaires dans 30 % des cas et de l’urètre postérieur dans 5 % des cas ;
– les lésions associées sont retrouvées dans 80-90 % des cas (figure 4). Ces lésions
intéressent essentiellement le matelas musculaire de la région glutéale dans 75 %, la
ceinture pelvienne dans 55,6 % et la vessie dans 50 % des cas. Le grêle et les gros
vaisseaux pelviens peuvent être concernés respectivement dans 10 et 18 % des cas. À
distance, il peut s’agir de lésion thoraco-abdominales, de lésions crânio-rachidiennes
et de l’appareil locomoteur. En situation de guerre, le blessé peut être exposé à l’effet
de blast, à des brûlures, au polycriblage, ce qui fait de lui à la fois un polytraumatisé
Figure 4.
Les lésions associées.
et un polyagressé.
5. Physiopathologie [7]
La complexité des lésions ano-périnéales de guerre et la diversité des atteintes qui
peuvent leur être associées expliquent l’évolution potentiellement grave, pouvant
engager le pronostic vital immédiatement du fait des complications hémorragiques
(77 % des cas) et secondairement du fait des complications septiques (52 % des cas).
L’étendue des lésions des parties molles (5-15 %) pose le problème de leur couverture
cutanée, à l’origine de séquelles fonctionnelles digestives et uro-génitales pouvant
atteindre 20 % des blessés. Ceci justifie une prise en charge médicale échelonnée
depuis le ramassage, jusqu’à l’hôpital d’infrastructure en passant par l’hôpital
chirurgical avancé.
6. Prise en charge des plaies ano-périnéales de
guerre
6.1. À l’avant
Dans notre contexte, la prise en charge médicale de ce genre de blessure de guerre
commence dès le ramassage. À ce niveau, le médecin de l’avant joue un rôle très
important. Par un examen clinique rapide, il doit évaluer les grandes fonctions vitales,
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administrer les premiers soins et les premiers gestes salvateurs permettant de maintenir
en vie le blessé. Ainsi une réanimation hydro-électrolytique doit être démarrée pour
maintenir une stabilité hémodynamique, la liberté des voies respiratoires doit être
assurée pour prévenir une détresse respiratoire et une hémostase temporaire doit être
assurée afin de limiter les déperditions sanguines. Tous ces gestes salvateurs seront
consignés sur la fiche médicale de l’avant, de même que la nature et l’heure de la (des)
blessure(s).
En fonction de la gravité des lésions, une évacuation primaire est assurée par voie
aérienne ou par voie terrestre à l’antenne médico-chirurgicale la plus proche. Dans
notre expérience, ces antennes sont déployées sous tente, sur camion ou sous
CORIMEC. Elles représentent le modèle français de soutien des forces qui a été
déployé lors des opérations de maintien de la paix dans le Sahara marocain. En mission humanitaire, en opérations extérieures, des structures modulaires
dédiées à la pratique gynécologique, obstétricale, pédiatrique, ophtalmologique et ORL
sont ajoutées. L’ensemble constitue l’Hôpital médico-chirurgical de campagne
Figure 5.
Organisation
du
Service de santé
militaire marocain.
(HMCC), d’une capacité d’accueil de 40 lits, éventuellement extensible (figure 5). Les plaies ano-périnéales de guerre sont en fait prises en charge dans des conditions
d’environnement particulières et climatiques difficiles avec un plateau technique limité.
L’expérience marocaine lors de la Mission de l’organisation des Nations Unies au Congo
(MONUC) au sein de l’hôpital de soutien des forces de 2e niveau a permis à ses équipes médicochirurgicales de travailler dans des conditions difficiles. Son déploiement à Goma, en 2002, a
coïncidé avec l’éruption volcanique du Nyiragongo, obligeant au transfert de l’hôpital au nordest du pays, à Bunya, territoire très pluvieux et infesté par l’anophèle, moustique vecteur du
Plasmodium falciparum, responsable des formes graves de paludisme. Ces conditions hostiles
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et dégradées aggravent assurément le pronostic des plaies ano-périnéales de guerre,
comparativement aux mêmes lésions survenues en pratique civile [6], avec une mortalité de 15
à 18 % versus 0 %, une morbidité élevée avec des complications post-opératoires de 60 % versus
20 % et des séquelles touchant 15 % des patients versus 10 %.
Une meilleure prise en charge de ces lésions dépend de l’expérience du couple
anesthésiste-réanimateur/chirurgien et de leur capacité à optimiser les moyens humains
et matériels, dans des contextes fréquents d’afflux massifs de blessés. 6.2. À l’hôpital médico-chirurgical de campagne
Le blessé doit bénéficier d’un examen clinique rapide, minutieux et complet avec
une poursuite et une adaptation éventuelle de la réanimation entreprise à l’avant. Cette
mise au point lors de l’admission permettra de réaliser des examens complémentaires
simples, radiologiques et biologiques. Au terme de ce bilan, les orifices d’entrée et de
sortie des projectiles de guerre sont identifiés (figure 6). Le trajet projectilaire est
ensuite défini, permettant d’en déduire les lésions certaines (cutanées et des parties
molles), probables (ano-rectales et urinaires), possibles (vasculo-nerveuses et ostéoarticulaires). Idéalement, la réalisation rapide d’une tomodensitométrie précisera le
trajet projectilaire et ses lésions associées (figure 7). Ainsi, sera(ont) localisée(s) une
(des) balle(s) incarcérée(s), précisées les lésions en rapport avec un polycriblage. Par
défaut, un cliché d’abdomen sans préparation peut objectiver des éclats métalliques,
des images gazeuses extra-digestives et des débris osseux. En revanche, en ambiance
Figure 6.
Orifices d’entrée (OE) et de sortie de
balles (OS).
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
157
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
de guerre, les opacifications digestives et urinaires sont très rarement réalisables. Ce bilan clinique et paraclinique ne doit jamais retarder le traitement spécifique
des lésions ano-périnéales. Le traitement des plaies ano-périnéales est chirurgical. En
effet, un traitement exclusivement non opératoire conduit au décès dans 90% des cas.
Ce traitement a pour buts :
– de contrôler l’hémostase ;
– d’effectuer un bilan lésionnel ;
– de procéder aux traitements spécifiques visant à contrôler le sepsis et répondant
à la règle des « 4 D » de nos confrères anglo-saxons (Damage repair, Diversion of the
fecal steam, Drainage, Distal rectal wash out) ;
Figure 7.
Trajet projectilaire.
– de traiter les lésions associées.
6.2.1. Contrôle de l’hémostase
L’hémostase temporaire est assurée le plus souvent par un tamponnement à l’aide
d’un pansement ou bandage compressif. Souvent, il est insuffisant et ne sert qu’à
réduire les déperditions sanguines en attendant le transfert du blessé au bloc opératoire.
À ce niveau, des tentatives d’hémostase par des ligatures et des sutures de plaies
hémorragiques permettent d’espérer un arrêt du saignement. L’embolisation sélective
utilisée en milieu civil, certes utile, n’a pas sa place sur le terrain des combats. La
laparotomie reste enfin le moyen ultime le plus efficace pour assurer l’hémostase
définitive par la ligature d’une, voire des deux artères hypogastriques, au prix du risque
de nécrose pelvienne et glutéale (figure 8). Dans des situations plus graves,
l’amputation abdomino-périnéale de sauvetage peut être pratiquée.
Le damage control est indiqué chaque fois que la tension artérielle systolique est
inférieure à 70 mm Hg, la transfusion sanguine dépasse 5 culots globulaires ou plus
de 2 culots par heure, la température corporelle est inférieure à 34°C et le pH sanguin
158
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
est inférieur à 7,25. Il permet d’éviter l’évolution vers la triade malheureuse de Moore
[10] : coagulopathie-acidose-hypothermie. Il consiste alors en un packing pelvien local
(figure 9) ou pré-péritonéal en cas de crush ou de saignement veineux.
Figure 8.
Nécrose périnéo-fessière.
Figure 9.
Packing pelvien.
6.2.2. Le bilan lésionnel
Il nécessite un examen clinique sous anesthésie générale sur un blessé installé sur
la table opératoire en position gynécologique. Ainsi le chirurgien militaire peut être confronté à :
– une plaie délabrée évidente (figure 10) qui posera le problème de sa couverture
et d’une future reconstruction ;
– une plaie transfixiante avec un orifice d’entrée punctiforme souvent difficile à
mettre en évidence et un orifice de sortie habituellement évident. La problématique
du diagnostic d’une atteinte ano-rectale et de ses lésions associées reste entière. Le
toucher rectal est un geste capital pour rechercher une plaie évidente des dix derniers
centimètres du rectum ou une crépitation péri-rectale. La présence de sang sur le
doigtier doit faire évoquer de principe une plaie ano-rectale. La rectoscopie rigide
parfois difficile à réaliser en ambiance de guerre peut être remplacée par un examen
sous écarteur anal (de type écarteur de Parks ou d’Heisenamer) permettant de confirmer
les données suggérées par l’examen clinique.
Au total, il peut s’agir : – d’une contusion simple ;
– d’un hématome ;
– d’une plaie superficielle ;
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
159
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 10.
Périnées délabrés.
– d’une plaie transfixiante avec visibilité de la graisse péri-rectale ;
– d’une fistule recto-périnéale, recto-urétrale ou recto-vaginale ;
– d’une avulsion ano-rectale avec un arrachement de l’appareil ano-sphinctérien.
Dans tous les cas, toute suspicion d’atteinte du rectum sus-péritonéal doit imposer
une laparotomie exploratrice sans aucun retard.
6.2.3. Traitement spécifique
Ce traitement doit répondre à la règle des quatre « D » de nos confrères anglosaxons.
6.2.3.1. Damage repair : le débridement.
C’est le temps du parage chirurgical. Il consiste en l’exérèse des tissus dévitalisés,
des débris telluriques et vestimentaires. Ce geste fondamental doit être méthodique,
de la superficie à la profondeur et en même temps, économe et prudent en pensant à
la réparation ultérieure.
Ainsi, en cas de lésion du rectum intra-péritonéal, toute plaie antérieure doit être
parée et suturée sans hésiter à mobiliser la charnière recto-sigmoïdienne, afin de réparer
d’éventuelles plaies de la face postérieure.
En cas de lésion du rectum sous-péritonéal, le champ opératoire doit être élargi
jusqu’au plan des releveurs. Les lésions de petite taille doivent être parées et suturées.
Dans les autres cas on peut se contenter d’un simple drainage des espaces péri-rectaux
avec une colostomie d’amont.
En cas de lésion de l’appareil sphinctérien, la réparation primaire est au maximum
souhaitable. Cette condition constitue un dilemme entre la préservation d’une fonction
sphinctérienne ultérieure et un risque de sepsis gravissime [11,12]. Toutefois, des
études incitent à la prudence et préconisent de ne réparer que les lésions simples de
rencontre [13].
À la fin du parage, en guise de règle générale, la peau doit être laissée ouverte.
6.2.3.2. Diversion of the fecal steam : la colostomie d’amont
Il n’existe aucune recommandation consensuelle pour son indication. Elle doit
160
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
être discutée pour chaque cas en fonction des conditions locales. Elle n’est pas
obligatoire en l’absence de lésion ano-rectale. En présence d’une (de) telle(s) lésion(s),
l’indication de la colostomie est fonction de l’importance de cette (ces) lésion(s),
évaluée(s) par le « Rectal Injury Scaling System » (RISS) (tableau 1). Ce score permet
de classer l’atteinte rectale par ordre de gravité en cinq grades [14]. Ainsi, la colostomie
d’amont est indiquée dans les grades IV, V et dans les délabrements majeurs du
périnée ; elle est discutée dans les grades II et III ; et n’a pas de place dans les grades I.
En revanche, en situation de guerre, au-delà de la gravité des lésions ano-rectales, la
complexité du triage, les difficultés d’évacuation médicalisée et la multiplicité des
niveaux de soins constituent des facteurs aggravants pour le pronostic de ce type de
blessures. Ces facteurs aggravants ont été la raison principale faisant privilégier, durant
l’opération « Freedom » en Irak [15], la colostomie temporaire systématique devant
tout traumatisme pénétrant ano-rectal.
Tableau 1.
Rectal injury scaling system (RISS)
Grade* Type
of injury
Description of injury
ICD-9
AIS-90
I
Contusion or hematoma without devascularization
Pratial-thichness laceration
Lacertion< 50% of circumference
Lacertion >_ 50% of circumference
Ful -thichness lacertion with extention into the perineum
Desvascularized segment
863.45
863.45
863.55
863.55
863.55
863.55
2
2
3
4
5
5
II
III
IV
V
Hematoma
Lacertion
Lacertion
Lacertion
Lacertion
Vascular
* Advance one grade for mutiple injuries up to grade III
En pratique, le choix du type de colostomie dépend de l’importance et de l’étendue
des lésions. Différents types de colostomies peuvent être réalisés (figure 11). Leur site
de prédilection est la fosse iliaque gauche. Cependant il n’existe aucun argument
permettant de préférer une région à une autre concernant la terminalisation de cette
stomie. Enfin, il faudra garder à l’esprit la colostomie transverse en cas de
reconstruction rectale étendue ou de sepsis extensif installé.
6.2.3.3. Drainage
Son but principal est le drainage des espaces cellulo-graisseux péri-rectaux pour
contrôler le sepsis et éviter les abcès péri-anaux. Il est de réalisation aisée et consiste
en une contre-incision rétro-anale avec effondrement du raphé ano-coccygien. Cette
technique était le dogme après les expériences de la Seconde Guerre mondiale et de la
guerre du Vietnam.
Actuellement le drainage pré sacré est l’objet de controverses [16-18]. La plupart
des études n’ont pas démontré son avantage sur la diminution de la morbidité liée à
l’infection. Son usage systématique oblige en effet à ouvrir des espaces non
contaminés. En pratique, le drainage n’est recommandé qu’au sujet de zones déjà
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
161
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
ouvertes.
6.2.3.4. Distal rectal wash out : lavage du rectum
Le but du lavage rectal est d’évacuer les matières fécales, les débris organiques,
les tissus dévitalisés et les corps étrangers intra-rectaux. En pratique, il repose sur
l’injection dans l’ampoule rectale de sérum mélangé avec de la polyvidone iodée, à
l’aide d’une seringue à embout conique, ou au travers de la colostomie distale avec
évacuation par l’aide opérateur du liquide une fois arrivé au rectum. Il constitue le
temps essentiel pour certaines équipes, car il diminue la morbidité post-opératoire [19,
20]. Il est décrié par d’autres car il n’est pas toujours réalisable et susceptible de faire
diffuser des éléments intra-luminaux vers les espaces péri-ano-rectaux [7, 12, 16].
Dans tous les cas, l’incidence des sepsis à point de départ pelvien et des fistules rectales
au décours du traitement spécifique des plaies ano-rectales rencontrées en milieu civil
lors des trois dernières décennies ne semble pas être influencée par la pratique
systématique du lavage rectal et du drainage pré-sacré.
Colostomie iliaque
gauche terminalisée
Double stomie
Colostomie iliaque gauche
Hartmann
Colostomie transverse
AAP
Figure 11.
Les différentes colostomies.
6.2.4. Le traitement des lésions associées
Les lésions osseuses seront stabilisées en premier lieu. Le fixateur externe est le
moyen de stabilisation le plus utilisé en temps de guerre.
Les lésions urétrales et vésicales peuvent être traitées par simple dérivation
urinaire, par une sonde urétrale ou de préférence par une cystostomie, afin de ne pas
aggraver une éventuelle plaie urétrale. Certaines fois, le chirurgien militaire sera amené
à réparer une plaie vésicale sur sonde à demeure, ou à effectuer une suture a minima
162
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
sur une sonde tutrice d’un délabrement de l’urètre.
Les lésions des organes génitaux externes seront explorées et parées. Le taux
d’orchidectomie est de 45 %. Sinon un parage et une réparation sommaire par des
sutures simples peuvent suffire.
Les lésions pelvi-fessières peuvent être parées avec des pansements itératifs
quotidiens au bloc opératoire afin d’éviter l’évolution fatale vers la gangrène gazeuse
(la « plaie des plaies de guerre »).
6.3. Au niveau des hôpitaux d’infrastructure
Après avoir bénéficié des temps essentiels du traitement spécifique à l’Hôpital
médico-chirurgical de campagne, les blessés sont évacués vers les hôpitaux
d’infrastructure. À ce niveau, ils vont bénéficier :
– de traitements itératifs chirurgicaux sous anesthésie générale, permettant la
réfection des pansements et/ou la réalisation de parages complémentaires ;
– d’oxygénothérapie hyperbare ou de VAC- thérapie (Vacuum Assisted Closurethérapie) ;
– de chirurgie de reconstruction, par des resurfaçages pelvi-périnéaux et des
techniques de comblement.
6.3.1. Oxygénothérapie hyperbare [21]
Elle est indiquée devant un risque important de survenue de gangrène gazeuse.
Son principe est l’apport local d’oxygène hyperbare. Le but est de freiner l’infection
et d’optimiser la cicatrisation. En France, elle fait partie des recommandations de la
Haute autorité de santé depuis 2007, grâce à un consensus d’experts avec un faible
niveau de preuve (niveau C). Il s’agit d’une thérapeutique adjuvante à intégrer dans
un protocole thérapeutique multidisciplinaire nécessitant la présence d’un caisson
hyperbare permettant d’administrer l’oxygène à des pressions dépassant la pression
atmosphérique.
6.3.2. Vacuum Assisted Closure (VAC)-thérapie
Son principe est de favoriser la cicatrisation sous pression négative continue ou
intermittente. Ses objectifs sont de diminuer l’œdème, d’évacuer les exsudats, de
favoriser et accélérer la granulation et de préparer le « terrain » pour une greffe ou un
lambeau ultérieur.
6.3.3. Chirurgie de reconstruction
Elle concerne les pertes de substance superficielles pelvi-périnéales. Dans ces cas,
la couverture fait appel à : – des techniques de surfaçage par des greffes cutanées après stérilisation et
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
163
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
bourgeonnement de la plaie pelvi-périnéale. Il peut s’agir soit d’une greffe de peau ou
de lambeaux cutanés et fascio-cutanés loco-régionaux. Plusieurs types de lambeaux
peuvent être proposés dans ce cas : lambeau fascio-cutané pudendal, lambeau antérolatéral de cuisse, lambeau inguinal, lambeau suprapubien, lambeau hypogastrique. À
titre d’exemple, un lambeau d’avancement en V prélevé sur la face antéro-interne des
cuisses permet de couvrir la perte de substance cutanée pelvienne occasionnée par une
explosion de mine ;
– des techniques de comblement destinées à des plaies très profondes avec des
pertes de substance majeures. Elles font appel à des lambeaux du muscle gracilis pour
remplacer un appareil sphinctérien détruit, un lambeau glutéal inférieur ou un lambeau
du muscle grand droit de l’abdomen.
7. Évolution
La prise en charge de ces plaies ano-perinéales est lourde et longue, nécessitant
l’intervention de plusieurs intervenants, dans un cadre multidisciplinaire.
Le rétablissement de la continuité digestive doit répondre à certains critères. Il ne
faudra l’envisager qu’après cicatrisation complète du périnée, en l’absence de fistule
digestive éventuelle et surtout après vérification d’une continence anale.
La colostomie est définitive dans 15 à 20 % des cas [6].
7.1. Des complications tardives peuvent survenir
7.1.1. L’incontinence anale
Cette incontinence est associée aux plaies ano-rectales dans 33 % des cas [13]. Le
diagnostic peut être évident à l’exploration initiale. À distance, elle est confirmée par
la manométrie ano-rectale et prouvée par l’échoendoscopie et l’IRM périnéale. Le
traitement des incontinences anales post-traumatiques est complexe, nécessitant un
centre expert. Il consiste en une sphinctéroplastie par lambeau musculaire pédiculé ou
libre, dont la graciloplastie constitue la procédure la plus utilisée. Elle donne de bons
résultats à court terme dans 2/3 des cas. À long terme les résultats se maintiennent
dans moins d’1/3 des cas. Le recours à un sphincter artificiel donne quant à lui des
résultats médiocres et ressort de centres qualifiés.
7.1.2. La sténose anale
Elle est souvent découverte après le rétablissement de la continuité digestive, alors
révélée par des proctalgies et des difficultés d’exonération. Le diagnostic est clinique.
Le traitement repose sur les dilatations anales avec ou sans anesthésie générale et/ou
l’anoplastie chirurgicale.
7.1.3. Les complications urogénitales
Elles surviennent dans 50 % des cas [13]. Elles sont représentées par les
dysfonctions érectiles et les incontinences urinaires. Leur traitement nécessite une prise
en charge dans un service d’urologie expert.
7.2. Les complications psychologiques
164
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Elles sont résumées dans le syndrome dépressif post-traumatique, nécessitant une
prise en charge psychiatrique au long cours, afin d’assurer à ces jeunes blessés de
guerre une réinsertion socio-professionnelle. Dans notre pays, ces blessés sont déclarés
inaptes définitifs au service armé et pris en charge par la Fondation Hassan II pour les
œuvres sociales des anciens militaires et anciens combattants.
8. Conclusion
Les plaies ano-périnéales sont un véritable challenge chirurgical du fait de leurs
complications hémorragiques et septiques. Elles sont à l’origine de séquelles
importantes chez des sujets souvent jeunes. Elles engagent des traitements longs et
lourds obligeant à une collaboration multidisciplinaire.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant parti-cipé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Jean-Philippe Arigon,
Philippe Farthouat, Yvan Goudard, Marc Imperato, David N'Gabou.
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Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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166
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Triage et conflits actuels.
Les nouveaux concepts en chirurgie
de guerre
Philippe Sockeel
1. Introduction
La chirurgie de guerre constitue une branche de la traumatologie. Elle est l’art de
traiter les blessures dues au combat, dans les conditions défavorables de l’état de
guerre. Tout en obéissant aux principes de base de la traumatologie, la chirurgie de
guerre doit tenir compte des impératifs militaires tactiques, du nombre des blessés, du
lieu où on opère, des modalités d’évacuation. Ceci implique pour éviter le désordre et
la confusion, une doctrine ferme, univoque et précise. Cette doctrine établie par le
Service de santé des armées (SSA) s’organise autour de quatre étapes échelonnées en
profondeur à partir de la zone de combat qui constituent la « chaîne de soutien
médical». Ces quatre étapes sont : la relève et le ramassage, le triage, l’évacuation et
le traitement. La prise en charge d’un afflux massif de blessés a naturellement amené
le concept de triage. « Le principal problème de la médecine militaire est que nous avons vécu de
nombreuses décennies de paix, où nous avons fait moins de progrès (…) que le secteur
civil. Cette guerre nous a permis de rattraper notre retard » [1]. Les Services de santé des armées se sont avant tout développés et renforcés au
cours des guerres, depuis la fin du XVIIIe siècle. Cette dynamique se poursuit avec
l’Irak pour les États-Unis et l’Afghanistan pour les pays de l’OTAN. Ces nouveaux
conflits mettent à rude épreuve toutes les armées qui y combattent parce qu’ils exigent
de mobiliser bien plus de ressources et de savoir faire que les conflits des années 1990.
Cette remise en cause touche également les Services de santé des armées qui sont
confrontés eux aussi au « durcissement » de ces conflits. Après avoir défini la doctrine classique et la notion de triage du Service de santé
des armées (SSA) français, nous présenterons les particularités de ces nouveaux
conflits auxquels sont confrontées nos armées. Les conflits armés actuels ne procèdent
plus de la logique du duel institutionnalisé, de la confrontation de forces animées par
un code d’honneur. Ces « conflits asymétriques » opposent des groupements plus ou
moins organisés à des institutions, et non plus un État à un autre. Ces conflits se
déroulent sous l’égide de coalitions, dans un contexte multinational, obligeant chaque
nation à respecter les règles de l’OTAN ou de l’ONU, et notamment sur le plan
médical. Le recours aux actes terroristes, quatrième arme de destruction massive, et
l’évolution des moyens de protection individuels ont modifié le profil lésionnel de nos
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
167
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
blessés : les lésions par explosion sont prépondérantes, l’atteinte des membres
prédomine. Les conventions de Genève n’offrent plus de protection, les véhicules
sanitaires et les personnels du Service de santé sont pris pour cible, justifiant un
renforcement de la formation militaire de ses personnels. Par ailleurs, ces conflits
surviennent dans un contexte de sur-médiatisation, qui influence l’opinion publique
française concernant les pertes et l’acceptation même de la notion de triage. La
judiciarisation des affaires militaires est incontournable, y compris sur le plan
chirurgical. Ainsi, le Service de santé des armées doit s’adapter à ces nouveaux concepts. Une
nouvelle catégorisation de triage a été mise au point afin d’homogénéiser les
catégorisations lors de la relève, de l’évacuation et du triage et d’utiliser une
catégorisation compréhensible par tous en milieu multinational. En amont du triage,
les aspects logistiques et militaires ont été optimisés : la médicalisation de l’avant est
renforcée, les transferts intra-théâtres ont été densifiés. Un nouveau Role 3 est déployé,
des formations adaptées au théâtre sont proposées. Enfin, la prise en charge
thérapeutique du blessé de guerre s’est améliorée ; le recours aux techniques de damage
control, l’évacuation précoce vers la métropole grâce au module « MoRPHÉE » et la
mise en place du lot de chirurgie vitale ont permis une diminution de la morbi-mortalité
de ces conflits. 2. Généralités
2.1. Le triage
2.1.1. Définition
Selon le dictionnaire Larousse, le triage est l’action de trier, de répartir en
choisissant [2]. Dans le Littré, la définition du triage est : « tirer d’un plus grand nombre
avec choix après examen » [3]. Trier c’est choisir, séparer, classer, optimiser les moyens
dans l’intérêt du plus grand nombre. Il s’agit d’un acte médical de caractère
diagnostique qui doit être complété par des gestes de nécessité et de mise en condition
de survie et de transport. Dans le cadre de la chirurgie de guerre, il s’agit donc de
définir la priorité des traitements, le degré d’urgence de l’indication opératoire et des
évacuations. 2.1.2 Historique
Le concept de triage est pour la première fois évoqué par le Baron Larrey lors de
la campagne de Russie : dans ses mémoires, on peut lire « Il faut savoir commencer
par le plus dangereusement blessé, sans avoir égard au rang et aux distinctions. Les
moins maltraités peuvent attendre que leurs frères d’armes, horriblement mutilés, aient
été pansés et opérés. » [4] 168
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Il s’agit d’un concept français, mais le terme triage est universel. Quelle que soit
la langue, il s’agit du mot « triage » qui est utilisé.
L’évolution du concept s’est faite à la fois sous l’influence des modifications des
conditions de combat, des techniques médicales et de la logistique sanitaire. La
Première Guerre mondiale constitue une étape majeure dans l’évolution de la doctrine
du Service de santé des armées et de la prise en charge des blessés de guerre. Le terme
de triage sera utilisé la première fois en 1915. Le Médecin général Mignon écrivait en
1917 : « un triage qui ne permettrait pas le traitement des blessés les plus graves,
manquerait à son but » [5]. Le concept sera mis au point en interposant, entre la zone
de ramassage et l’hôpital de campagne, une formation de triage, de manière à optimiser
l’évacuation de la foule de blessés [6]. Ce triage visait à faire un diagnostic sommaire afin de catégoriser. 2.1.3. Quand trier ?
La nécessité d’un triage s’impose lorsqu’il y a inadéquation entre le nombre de
blessés et les possibilités thérapeutiques. L’arrivée de plusieurs victimes dans le même
temps introduit la notion d’afflux. Les difficultés apparaissent en cas d’afflux massif,
ou afflux saturant (mass casualties) lors de catastrophes majeures ou de guerre. La
disproportion qui existe entre les moyens de traitement immédiatement disponibles et
les besoins impose une stratégie sanitaire adaptée aux circonstances ; en effet, cette
impossibilité technique, relative ou absolue, liée à l’absence de moyens en matériels
et personnels, justifie que soit établie une classification ou une catégorisation
permettant de répartir les victimes en différents groupes de gravité variable et dont le
traitement pourra être retardé ou différé dans le temps. Les structures médicales sont
dépassées, le triage s’impose pour privilégier « le bien du plus grand nombre »,
prioriser la prise en charge des blessés, en sachant que certains ne pourront pas être
traités.
2.1.4. Où trier ?
En milieu militaire, ce triage se déroule, selon la doctrine du SSA, à tous les
niveaux de la chaîne santé. La doctrine du Service de santé, s’appuyant sur les concepts
de médicalisation, chirurgicalisation et réanimation de l’avant, précédant l’évacuation
sanitaire, s’articule en quatre niveaux, afin d’éloigner de la zone de combats le
maximum de blessés et de respecter le principe de la précocité du traitement chirurgical
et de sa continuité [7]. Cette doctrine est l’héritière des conflits classiques opposant
deux belligérants bien identifiés.
Le Niveau 1, au plus près des combats, est équipé d’une structure de Role 1 : le
poste de secours. La relève, le ramassage et un pré-triage y sont effectués par le
médecin d’unité, permettant de mettre nos blessés en condition d’évacuation et de
déterminer l’ordre d’évacuation. Mis à l’abri, le blessé reçoit les premiers secours et
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
169
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
les premiers soins qui ont pour but d’assurer sa survie, d’éviter l’aggravation des
lésions et de permettre son transport à un poste de secours médicalisé. On parle de
médicalisation de l’avant. Ce premier triage est formalisé par la réalisation de la fiche
médicale de l’avant. L’évacuation fait partie intégrante du traitement. Le choix du moyen, de la durée,
de la destination, conditionne la survie des blessés, en fonction de l’appréciation des
délais opératoires tolérables qui permettent de fixer l’ordre des priorités d’évacuation. Les blessés sont évacués vers les structures médico-chirurgicales (niveau 2 ou 3)
déployées sur le théâtre : antennes chirurgicales (Tchad), Groupement médicochirurgical
(GMC), ou Hôpital mobile de campagne (HMC). Ces évacuations sanitaires intra théâtre
sont nommées EVASAN tactiques (MEDEVAC). Le triage par rapport à l’évacuation
tient compte des moyens disponibles les plus adéquats en fonction de la distance à
parcourir et du degré d’urgence.
Un triage médico-chirurgical ou triage hospitalier est effectué au niveau 2 ou 3,
permettant de classer les blessés en fonction du délai pré opératoire acceptable pour
permettre la survie. Selon l’instruction ministérielle du 5 janvier 1999, il consiste à réaliser [7] :
– le bilan des lésions et des fonctions vitales ;
– l’évaluation des délais admissibles avant la mise en œuvre d’un traitement
chirurgical et/ou des gestes thérapeutiques de réanimation lourde et prolongée ;
– la catégorisation qui définit les priorités de traitement ou d‘évacuation et
l’orientation vers la formation de traitement adaptée à l’état des blessés ;
– la mise en condition d’évacuation. Il déterminera donc l’ordre de passage au bloc et est couplé à des gestes essentiels
et élémentaires de réanimation (conditionnement minimal de survie). En per opératoire,
après constatation des lésions, il pourra être complété par un triage purement chirurgical
déterminant l’ordre de traitement des lésions. Une fois les blessés stabilisés, ils seront évacués vers les hôpitaux d’infrastructure
(niveau 4) pour un traitement définitif (RAPASAN ou EVASAN stratégique
STRATEVAC). Une nouvelle catégorisation permettra de définir l’ordre des
rapatriements. 2.1.5. Qui trie ?
Au niveau 1, le médecin d’unité effectue le triage déterminant l’ordre
d’évacuation. Au niveau 2, classiquement, il s’agissait du chirurgien trieur, choisi
comme étant le plus ancien et le plus expérimenté. À l’heure actuelle, la fonction de
trieur est dévolue au couple complémentaire chirurgien-réanimateur, le réanimateur
ayant une vision plus globale de la charge de travail pré- et post opératoire qu’impose
un blessé. 2.1.6. Comment trier ? Les différentes classifications
2.1.6.1 Modalités du triage
Le triage doit être précoce, continu, rapide, sûr, complet, précis et pragmatique. Il
est dynamique et révisable, à chaque niveau de la chaîne d’évacuation. 170
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
L’organisation des locaux doit être réfléchie, il est nécessaire de disposer d’espace,
de lumière, avec des brancards bien accessibles, de personnels formés et expérimentés. Les blessés doivent être examinés un par un, nus, à pansement ouvert, en les
retournant, en examinant le périnée, en écartant les fesses, en explorant le cuir chevelu,
pour ne pas oublier un impact. Le trieur pourra faire appel à des examens
complémentaires : radiographie, échographie et tomodensitométrie. Enfin, un triage ne s’improvise pas au dernier moment. Un entraînement de
l’ensemble de l’équipe est indispensable afin que chacun trouve sa place au moment
voulu. Les éventuels problèmes logistiques (lumière, organisation de l’espace,
identification des blessés…) doivent avoir été anticipés.
2.1.6.2. Catégorisation classique SAN 101
Selon la directive SAN 101 qui fixe les délais préopératoires, les blessés se
répartissent en cinq catégories, dites officielles, résumées dans l’annexe 1. Cette
catégorisation ne devrait plus être utilisée actuellement. Les catégories seront
différentes en fonction du contexte : pertes classiques ou pertes massives. Le plan
spécial « pertes massives » est un plan de triage réservé habituellement aux situations
de guerre nucléaire, mais l’efficacité vulnérante des armes actuelles conventionnelles,
capables de créer une véritable saturation des urgences, peut être l’occasion de son
application. Il est décidé par le commandement, sur proposition du Service de santé
des armées. Il n’est appliqué que pour une durée limitée bien définie. En cas de pertes classiques, les cinq catégories sont les suivantes :
– EU : extrêmes urgences (représentant empiriquement 5 % des cas) : il s’agit de
blessés en danger de mort à très court terme dont le traitement s’impose
immédiatement ;
– U1 : première urgence (25 % des cas) : il s’agit des blessés en danger de mort
par l’apparition dans un bref délai de troubles physiopathologiques irréversibles. Le
traitement chirurgical peut tolérer un retard de 6 heures, sous réserve de la mise en
œuvre rapide d’une réanimation efficace et continue ; – U2 : deuxième urgence (30 % des cas) : il s’agit de blessés qui ne sont pas
immédiatement en danger de mort. Leur traitement peut être différé jusqu'à la dixhuitième heure ;
– U3 : troisième urgence (40% des cas) : il s’agit de blessés légers, ne rentrant pas
dans les catégories précédentes et dont le traitement peut attendre jusqu'à la trentesixième heure sous réserve d’un conditionnement approprié et d’une révision sanitaire
en cours d’évacuation ; – Éclopés : blessés très légers, justifiables de soins simples ; en principe, ces
blessés sont arrêtés au poste de secours de l’unité et peuvent reprendre éventuellement
leur poste de combat. Une sixième catégorie doit être connue : les « morituri » qui sont les blessés au
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
171
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
delà de toute ressource thérapeutique. Ils relèvent de soins antalgiques et ne doivent
pas accaparer l’équipe médico-chirurgicale. Le plan de triage en cas de « pertes massives » intègre les notions de blessures et
d’irradiation, il donne la priorité aux blessés « pouvant être sauvés », et relègue les
blessés jugés trop graves qui nécessiteraient des soins complexes et accaparants. Les
cinq catégories officielles sont les suivantes : – P0 : blessés légers, pas d’évacuation ;
– P1 : blessés urgents, geste simple avant 6h ;
– P2 : blessés dont le geste peut être différé jusqu'à la 18e heure ;
– P3 : blessés dont le geste peut être différé jusqu’à la 36e heure ;
– P4 : blessés graves, traitement long et aléatoire.
2.1.6.3. Catégorisation dite simplifiée
Courbil et Malchair, en 1980, suite à leur expérience au Tchad ont proposé une
classification simplifiée, reprise par la SAN 101, qui différencie deux grands groupes
de blessés : – les urgences absolues (15 à 30 % des cas) qui comprennent les extrêmes urgences
et les premières urgences (EU + U1). Un geste immédiat est nécessaire, et une
réanimation s’impose d’emblée. Le délai thérapeutique est inférieur à six heures ;
– les urgences relatives, regroupant les deuxièmes et troisièmes urgences, et pour
lesquelles un conditionnement simple paraît suffisant initialement pour permettre une
prise en charge chirurgicale plus tardive. Le geste peut attendre six heures.
Le terme « d’urgence potentielle » regroupe les blessés stables à l’arrivée mais
dont l’état peut se dégrader rapidement comme par exemple les plaies thoraciques par
balles ou par éclats qui n’avaient pas initialement présenté de symptomatologie
respiratoire ou hémorragique, ainsi que les polycriblages du tronc, des fesses, des
lombes, dont la pénétration peut être suspectée. Ces blessés seront confiés au
réanimateur en salle de surveillance. Ce terme d’urgence potentielle introduit la notion
de classification évolutive. En effet, un blessé peut se dégrader rapidement et donc une
U2 peut devenir UE, de la même façon, un blessé EU initialement, qui bénéficie d’un
geste chirurgical simple, permettant de stabiliser son état, peut ensuite être étiqueté U2
ou U3. On parlera d’urgences dépassées pour les blessés très graves dont la prise en charge
sera lourde, longue et aléatoire. On y inclut les blessés crâniens comateux, les plaies
de l’abdomen datant de plus de trois jours, les péritonites généralisées, les gangrènes,
les moribonds… Le terme d’ « éclopés » est conservé pour les blessés légers. 2.1.6.4. Classification OTAN
L’annexe 2 présente les différentes classifications en fonction des organisations
sanitaires. Toutes suivent la même philosophie, et sont basées sur les délais
préopératoires. 172
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Les accords de standardisation de l’OTAN ont adopté l’usage unifié pour cette
organisation de la classification des blessures de l’Emergency War Surgery handbook
de l’United States Departement of Defense [8]. Cette classification définit un ordre de
priorité et range les blessés sur la base de leur besoin individuel d’intervention
chirurgicale en tenant compte du devenir probable de chaque blessé et des ressources
médicales qu’il sollicite. Cinq catégories sont dégagées : – URGENT : ce sont les blessés qui nécessitent une intervention immédiate. Ce
sont nos extrêmes urgences. Les gestes thérapeutiques s’échelonnent de l’intubation
trachéale, de la mise en place des drains thoraciques et du remplissage vasculaire rapide
jusqu’aux interventions chirurgicales en urgence : laparotomie, thoracotomie,
craniotomie. – IMMEDIATE : les blessés classés dans cette catégorie présentent des blessures
graves qui peuvent être vitales et qui nécessitent des gestes chirurgicaux dans des délais
relativement brefs. Ce groupe peut être assimilé à nos premières urgences. – DELAYED ou « traitement différé » : les blessés de cette catégorie peuvent
supporter un temps d’attente avant une intervention, sans que soit compromise leur
chance de survie complète. – WALKING WOUNDED ou MINIMAL : patients ambulatoires, dont les lésions
ne nécessitent que des soins minimes. – EXPECTANT : blessé dont les blessures sont tellement étendues que même s’il
était l’unique blessé et pouvait bénéficier de l’application optimale des ressources
médicales, sa survie demeurerait improbable. En pratique, cette division des patients en cinq catégories est peu utilisée par les
unités chirurgicales américaines. Les blessés sont en réalité divisés en trois groupes :
« emergent », « non-emergent » et « expectant ». Cette catégorisation met en exergue
les blessés qui nécessitent une prise en charge précoce (emergent), en opposition aux
autres, moins lésés, nécessitant des soins qui peuvent être réalisés dans des délais plus
tardifs (non-emergent). Il est considéré que seulement 10 à 20 % des blessés, qui seront
accueillis par une unité chirurgicale, seront étiquetés « emergent » [8].
2.2. Les conflits actuels
La guerre est l’utilisation mutuelle et durable d’une violence destructive entre des
groupes institutionnalisés, à des fins de domination. Les dernières années du XXe siècle
ont conduit à une profonde transformation des conflits collectifs, au point qu’on a pu
conclure à la fin de la guerre. Les conflits actuels sont marqués par deux événements
mondiaux : – la fin de la guerre froide opposant les blocs Est-Ouest, la chute du mur de Berlin
en 1989 en est l'élément le plus remarquable : il s’agit de la fin de la « bipolarisation
du monde », libérant le pluralisme politique, religieux, économique [9] ;
– la 1re guerre du Golfe en 1991, opposa les forces armées irakiennes à une
coalition de 34 nations soutenue par l'ONU [10] ;
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
173
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Ces événements ont amorcé d'importantes évolutions dans les concepts et doctrines
des forces armées occidentales, notamment dans le domaine du soutien sanitaire. Les
conflits armés actuels ne procèdent plus de la logique du duel institutionnalisé, de la
confrontation de forces animées par un code d’honneur. Pourtant les violences
perdurent et semblent d’autant plus prégnantes qu’elles sont imprévisibles. Les guerres
de conquête et d’expansion ont disparu [11]. Les guerres se présentent plutôt comme
des efforts de réparation d’une injustice. Aujourd’hui, toute initiative militaire doit être
justifiée aux yeux de l’opinion internationale. De la sorte, dans nos sociétés
occidentales, on ne prend plus les armes qu’au nom des nobles causes : la liberté, le
droit, la légitimité. Les interventions militaires ont un cadre collectif multinational, souvent hors du
territoire (forces projetées, « dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est plus seulement à
nos frontières que l’on défend la France » N. Sarkozy [12]), comportant des missions
variées. Elles doivent faire preuve de souplesse et d’adaptabilité. Les opérations
militaires procèdent désormais d’une stratégie élargie : guerre de l’information, de la
technique, de restructuration. F. Géré, historien français spécialiste en géostratégie,
déclare « Il a suffit de faire croire à l’existence d’armes de destruction massive pour
attaquer l’Irak. Provocation ici, intoxication là-bas, seul le résultat compte et l’art de
dissiper les responsabilités entre instances complices fait le reste » [9]. Les conflits
s’inscrivent dans un processus durable qui ne peut être réduit à l’usage de la force,
puisque la force s’exerce maintenant aux yeux de tous. Même l’usage de la force est
appelé à être savamment dosé : on cherche à éviter les pertes humaines, on vise les
centres de commandement et de communication.
Les conflits sont localisés, ils opposent des factions, des groupements plus ou
moins organisés à des institutions, et non plus un état à un ou plusieurs autres. La
disproportion entre les forces opposées conduit à parler de « guerre asymétrique ». Le
Centre des hautes études de l’armement a défini ces conflits asymétriques comme
« impliquant au moins un acteur qui utilise des moyens non conventionnels et/ou
s’attaque à des cibles non conventionnelles et/ou répond à des motivations non
conventionnelles » [10]. Les moyens conventionnels de la guerre sont mis à mal,
éprouvés par la guérilla. Mais l’inégalité des forces ne donne aucune garantie sur l’issue
du conflit. « L’asymétrie militaire (fort/faible) constituant durablement le cadre
stratégique dominant, guérilla et terrorisme sont désormais les modes d’action de tous
les perturbateurs. Leurs armes matérielles font apparaître un mélange d’archaïsme
profond (meurtre rituel) et d’extrême modernité (guidage GPS). Les armes spirituelles
sont appelées à jouer un rôle croissant. L’information et la communication, déjà
importantes dans les siècles passés, prennent une dimension d’outils stratégiques sans
précédent » [9]
Les forces armées équipées d'armements modernes font face à des groupuscules
difficilement identifiables, mêlés aux populations civiles (États-Unis en Irak,
américains et européens en Afghanistan, Russie en Tchétchénie, Israël au Sud-
174
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Liban ... ) [11]. Cette conception conduit à battre en brèche la notion de conflit
conventionnel et à redéfinir les structures de soutien des unités au combat. Le concept
de Three Block War défini par le Général Krulak (US Marine Corps) [13], repris par
l’armée britannique et canadienne [14], définit ainsi les trois nouveaux domaines de
compétence simultanés des militaires : les actions de guerre, le maintien de la paix et
les actions humanitaires au profit des populations civiles. Hervé Morin, Ministre de la
Défense de mai 2007 à novembre 2010, disait lors d’une interview en juillet 2010
« Nous ne sommes pas en guerre au sens constitutionnel du terme, en Afghanistan ...,
nous y sommes engagés en vertu d’un mandat des Nations Unies pour assurer la paix
et la sécurité et leur redonner la souveraineté » [15].
Ce type de conflit s'est très souvent accompagné d'actes terroristes sur le sol des
pays occidentaux, et a conduit à redéfinir à la fin du XXe siècle un ensemble de plans,
de moyens et d'actions, tant civils que militaires. Les Nations Unies ont proposé une
définition simple du terrorisme comme étant « un équivalent de crime de guerre en
temps de paix » [16]. 3. Nouveaux conflits, nouveaux blessés
3.1. Conflits classiques
3.1.1. Exemples d’afflux massif
3.1.1.1. Tchad
Au Tchad, les combats opposent des bandes armées à l'armée régulière, dont ils
partagent les mêmes tenues, les mêmes véhicules et les mêmes armes. Des attaques
rebelles en février 2008 ont généré un afflux massif au sein de l’antenne chirurgicale
déployée à N’Djamena, composé de 98 % de militaires tchadiens, et 8 % de civils.
Parmi eux 54 % étaient polycriblés, 46 % présentaient une blessure par balle, un était
brûlé et aucun blasté. Lorsque les combats se déroulent à proximité des structures sanitaires, les blessés
sont évacués rapidement, sans prise en charge, de préférence à la tombée de la nuit.
Le triage se déroule classiquement à la structure de Role 2, l'antenne chirurgicale. Ce
triage est fait par le chirurgien et le réanimateur conjointement. Le plus souvent
toutefois, les combats se déroulent à distance des structures sanitaires, et les blessés
arrivent par vagues successives, plusieurs heures et souvent plusieurs jours après la
blessure. La catégorisation se fait ainsi d'elle même, les EU et les U1 étant décédées,
seules les U2 et les U3, suffisamment stables, c'est-à-dire essentiellement les plaies
des membres, et quelques plaies thoraciques arrivent jusqu'à l’antenne.
3.1.1.2. Djibouti
En juin 2008, des accrochages secondaires à un différend frontalier entre la
République de Djibouti et l’Érythrée ont eu lieu à l’extrémité nord du pays. Deux
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
175
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
équipes médicales des régiments stationnés à Djibouti ont été engagées à Moulhoulé,
à 12 km de la ligne de contact, pour trier, mettre en condition et évacuer par hélicoptère
sur le Groupement médico-chirurgical (GMC) de Bouffard, 63 blessés de guerre
djiboutiens. L’accueil des blessés au poste de secours s’est échelonné de minuit à 9h30
en deux vagues, obligeant à une réévaluation de la catégorisation des blessés et une
réorganisation des priorités d’évacuation. Au total, l’échantillon était composé de 5 U1
(8 %), 17 U2 (27 %), 39 U3 (62 %) et 2 « urgences dépassées » (plaies crâniocérébrales) [17]. Peu d’EU ou d’U1 ont donc été prises en charge, fait classique dans
ce genre de conflit, résultant des difficultés d’évacuation et du peu de gestes
élémentaires de survie effectués à l’avant ; 19 morts étaient déplorés sur place. Il est à
noter un taux non négligeable d’urgences fonctionnelles : 3 plaies de l’œil, 7 plaies de
mains (plaies par éclats, plaies par balle). À l’arrivée au GMC, la catégorisation des
blessés était similaire, illustrant la stabilité hémodynamique des blessés et la qualité
de la prise en charge initiale.
Sur le plan organisationnel, l’équipe a travaillé dans l’obscurité « à la lampe
frontale ». Les soldats ne parlant pas français, le recueil de l’identité des blessés étant
difficile, l’identification des blessés a été effectuée par « numéro » inscrit sur la fiche
médicale de l’avant et sur son treillis ou sur le corps. Cette « numérotation » a permis
de faciliter les transmissions, notamment par téléphone, avec le GMC. 3.1.2. Synthèse
L’armée française reste impliquée dans des conflits dits « classiques ». Durant ces
deux dernières décennies, outre l'implication dans l'organisation d'évacuation de
ressortissants, nous avons été concernés par les conflits en Afrique (Rwanda, Tchad,
République de Côte d’Ivoire) mais également en ex-Yougoslavie (Bosnie, Kosovo).
L’essentiel des blessés issus de ce genre de conflit garde un profil « classique » :
blessures par balles, ou par armes blanches principalement, peu de blastés. Souvent,
les délais d’évacuation sont tels que peu d’EU sont prises en charge par les équipes
sanitaires, il s’agit principalement d’U2 ou d’U3. Le problème dans ce cas n'est plus
la catégorisation, qui se fait au poser de l'avion en quelques minutes, mais bien
l'organisation du temps de travail par roulement afin de ménager les opérateurs. Pour
ce type d'emploi, le triage classique reste redoutablement efficace. 3.2. Actes terroristes
3.2.1. Quatrième arme de destruction massive
Les armes de destruction massive ont été jusqu’alors assimilées aux armes de type
Nucléaire, Biologique et Chimique (NBC) seules capables de toucher le plus grand
nombre de personnes possible [18]. Cette définition ne tient pas compte de l’utilisation
terroriste des explosifs. Ils sont devenus l’arme de destruction et de terreur la plus
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Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
répandue autour du monde de et par la disponibilité des matériaux nécessaires à leur
fabrication et par les faibles moyens financiers et techniques nécessaires à leur emploi.
Aucune autre arme conventionnelle ne peut remplir la mission terroriste qui est de
générer le plus de dégâts et de blessures à moindre coût. Ainsi le terrorisme par attentats
suicides peut être qualifié de quatrième arme de destruction massive [19].
En raison de la totale liberté de choix dans l’horaire et le lieu de la détonation,
l’action terroriste par attaque suicide garantit habituellement des pertes massives.
L’explosion reste « opérateur dépendant » selon la détermination du terroriste. Plus
récemment, des détonateurs radiocommandés ont été utilisés dans les attentats
terroristes de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 [20, 21]. Dans notre expérience
en Afghanistan, l’utilisation de téléphone cellulaire a été démontrée, permettant de
déclencher « à distance » l’explosion en cas d’interpellation par les forces de la
coalition ou de défaillance du suicide bomber.
De nouveaux paramètres sont ainsi à prendre en compte face à cette guérilla
urbaine : l’effet dévastateur des explosifs utilisés ; la capacité des agresseurs à se fondre
au sein d’une foule, augmentant l’effet de masse; les agresseurs n’étant pas repérables,
le caractère imprévisible du lieu et de l’heure de l’explosion ; le caractère multi
lésionnel des blessures par le polycriblage de type shrapnel qui accompagne l’explosion
elle-même.
3.2.2. Impact physiopathologique des explosions
Sur le corps humain, le blast peut exercer plusieurs types de lésions. On distingue
schématiquement quatre effets.
Les lésions initiales sont directement liées au blast, on parlera de blast primaire.
Les variations brutales de pression provoquent des phénomènes de
compression/décompression qui conduisent à la rupture pariétale d’organes contenant
les milieux aériens et liquides. De la même façon, l’onde de blast peut soumettre
certains organes à des accélérations brutales provoquant des phénomènes de
cisaillement et d’arrachement. Tous les organes ne sont pas touchés de la même façon
par le blast. Il existe un seuil lésionnel dont les niveaux les plus faibles sont représentés
par l’oreille, le poumon, suivent ensuite le larynx, les intestins, les organes pleins.
Même si les lésions initiales de blast pulmonaire sont retrouvées chez moins de 1 %
des victimes, elles sont responsables d’un taux de mortalité élevé – proche de 11 %
[22] – représentant ainsi une des blessures les plus fréquemment évoquées comme
cause de décès immédiat sur le site de l’explosion. Les lésions tympaniques et les
pneumothorax sont avant tout des marqueurs d’un potentiel blast pulmonaire associé
ou, tout du moins, d’une exposition à l’onde de choc [23, 24]. De loin le type de blessure le plus classique, les lésions secondaires sont dues aux
impacts de projectiles. La gestion du polycriblage par ces projectiles inertes fait partie
des classiques de la prise en charge des polytraumatisés [25]. Ce sont des particules
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
inertes, de faible vélocité, peu pénétrantes, généralement sans orifice de sortie mais
au trajet aberrant et aux dégâts imprévisibles.
Les lésions tertiaires sont les blessures induites par la projection des corps sur le
sol ou les structures immobilières. Il s’agit du deuxième mécanisme lésionnel par ordre
de fréquence, ces lésions semblent toutefois plus sévères dans le cadre d’un attentat
par explosif [26]. De 10 à 39 % des blessés sont porteurs de fractures [27], elles
concernent essentiellement les membres et le rachis.
Le quatrième impact lésionnel fait référence à toutes les autres blessures qui
peuvent être induites directement ou indirectement par une explosion : brûlures,
intoxication, lésions de crush lors de l’incarcération des victimes sous des débris,
exposition à des agents chimiques ou à la radioactivité dans le cas de bombes « sales »,
décompensation de co-morbidités pré-existantes… La complexité inhabituelle et les localisations multiples des blessures liées au blast
conduisent à utiliser le terme de « multidimensional injury » [28]. Le caractère
trompeur de ces blessures induit des erreurs de triage, la proportion de blessés intubés
au déchocage en cas d’explosion terroriste est six fois supérieure à celle des autres
causes d’afflux massif [29]. Dans les études qui ont suivi l’attentat terroriste
d’Oklahoma City en 1997, la proportion de thoracotomies et de laparotomies
exploratrices était, elle aussi, anormalement élevée [30] par rapport aux prises en
charge de blessés avec une plaie pénétrante unique.
3.2.3. Le Main Gate Syndrome
La proximité des explosions, qui ont lieu dans les endroits les plus passants de
nos grandes villes, ramène le « point zéro » au plus proche des portes d’entrée (Main
Gate) de la structure hospitalière. Une des premières conséquences est de diminuer le
délai d’arrivée des premiers blessés dans la structure d’accueil. Des travaux récents,
surtout israéliens, estiment que 34 % des blessés arrivent dans un délai de 10 minutes
et 65 % des blessés sont pris en charge dans les 30 minutes après l’heure zéro de
l’explosion [31]. Mais du fait de cette proximité, la mise en place d’une structure de
ramassage classique qui effectue une première catégorisation et une mise en condition
avant évacuation hiérarchisée vers le trauma center est retardée et le plus souvent
inefficace [32]. Les blessés les plus graves ne sont pas nécessairement les premiers à
arriver au triage [30], les éclopés arrivant en premier par leurs propres moyens sans
mise en condition préalable, augmentant la charge de travail des personnels d’urgence.
Il en résulte un engorgement de la structure de triage et de déchoquage par des blessés
présentant des tableaux lésionnels correspondant à des urgences relatives [33]. Les circonstances entourant ce type d’attaque terroriste influencent également le
conditionnement des victimes et la prise de décision thérapeutique d’urgence.
L’incertitude sur l’arrivée d’autres victimes, les scènes de terreur associées à ce type
de blessure, la possibilité que des connaissances du personnel hospitalier soient au
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
nombre des victimes et le risque d’une seconde explosion intensifient l’atmosphère
chaotique qui existe déjà, en règle générale, dans une salle de déchoquage [34].
3.2.4. Exemple d’afflux massif dans le cadre d’actes terroristes
3.2.4.1. Patients et méthodes
Nous rapportons l’expérience du Groupement médico chirurgical (GMC),
structure de type Trauma Center de Role 2 mise en place par le Service de santé des
armées à Kaboul (Afghanistan) pendant le premier trimestre 2007. Nous avons réalisé
une étude rétrospective des victimes d’attentats suicides prises en charge par le GMC.
Durant cette période, 42 blessés étaient victimes d’actes terroristes. Il s’agissait de
33 hommes, 4 femmes et 5 enfants de moins de 16 ans ; 40 (95 %) étaient de nationalité
afghane. Ces 42 blessés ont été pris en charge par le GMC dans les suites de sept
attentats. Cinq explosions étaient dues à des engins explosifs improvisés commandés
à distance, deux secondaires à un acte terroriste par suicide bomber. Le nombre moyen
de blessés traités par évènement était de six (extrêmes de 4 à 10).
3.2.4.2. Résultats
On décrivait des lésions primaires liées au blast chez 28 (66 %) des blessés ; lésions
essentiellement à type de perforation tympanique suite à la surpression, seulement cinq
d'entre eux (12 %) présentaient également des lésions pulmonaires dont trois (7 %)
des pneumothorax.
Tous les blessés présentaient des lésions de polycriblage, quatre blessés
présentaient des lésions pénétrantes de la tête sans atteinte des structures cérébrales ni
fractures associées, mais deux d’entre eux avaient des lésions oculaires. Tous les
patients présentaient des impacts au niveau des membres inférieurs, 11 (26 %) d’entre
eux ont été opérés de fasciotomies au niveau des quatre loges de jambe en raison de la
dilacération musculaire par polycriblage sans qu’il y ait de fractures associées. Les blessés présentant des lésions liées au quatrième effet d’une explosion étaient
de présentations très diverses : six d’entre eux (14 %) présentaient des brûlures, stade
I essentiellement, de la face et des membres ou toute partie du corps non protégée par
les vêtements, un blessé présentait des lésions secondaires à l’incarcération sous des
débris. On retrouvait des corps étrangers alimentaires (fruits et légumes) chez deux
d’entre eux sans qu’ils présentent de complications particulières. Trente et une procédures chirurgicales étaient réalisées pour des lésions induites
par un polycriblage, 12 blessés (28 %) présentaient des lésions pénétrantes abdominopelviennes qui ont été explorées chirurgicalement à titre systématique. On décrivait
un hémopéritoine massif chez sept d’entre eux, nécessitant une laparotomie écourtée
avec procédure de type damage control ; quatre blessés décédaient de défaillance
multiviscérale sur choc hémorragique. Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Les fractures de membres étaient opérées par ostéosynthèse (12 %), par
exofixation en cas de fractures septiques (21 %) ou par amputation (7 %) en cas de
gros délabrement, dix blessés recevaient un traitement orthopédique d’attente avant
nouvelle évaluation dans des hôpitaux d’infrastructure. On déplorait huit décès : un syndrome de détresse respiratoire aiguë (blast
pulmonaire), quatre défaillances multiviscérales liées à une hémorragie massive après
polycriblage, un traumatisme crânien grave et une décompensation de co-morbidité
cardiaque.
3.2.5. Synthèse
Les actes de terrorisme par attaques suicides mettent en évidence un profil nouveau
et unique de blessures de guerre. Les fragments, clous, ferrailles ou débris humains
sont dispersés sur une zone plus ou moins vaste, créant des plaies pénétrantes souvent
punctiformes mais dont le degré de pénétration peut être extrêmement variable en
fonction de la distance à l’impact, de la protection que constituent les vêtements ou
les effets pare-éclats en dotation dans les forces armées de l’OTAN. Les blessés
présentent des lésions multiples, sans hémorragie extériorisée, bien tolérées chez des
patients souvent jeunes mais ces lésions superficielles ne présagent pas des lésions
sous-jacentes. Une étude israélienne rétrospective compare de façon exhaustive les
victimes d’attentats terroristes et tous les autres patients hospitalisés en urgence pour
motif traumatologique de 2000 à 2004. Les résultats confirment la gravité des lésions,
imposant intubation, thoracotomie et laparotomie [29]. 3.3. Conflits modernes
3.3.1. Improvised explosive device (IED), Engin explosif
improvisé (EEI)
L’association d’actions terroristes et de combats classiques définit la nature des
conflits modernes. Les meilleures illustrations de ces conflits modernes sont les guerres
d’Irak (Operation Iraki Freedom (OIF)) et d’Afghanistan (Operation Enduring
Freedom (OEF)). Ces nouveaux conflits sont caractérisés par l’absence de ligne de
front, un ennemi difficilement individualisable, car mêlé à la masse et une zone de
combat mouvante dans le temps et l’espace. Les adversaires avancent masqués, civils
le jour, insurgés la nuit, toujours disposés à mourir s’il le faut [11]. Le 14 juillet 2011,
après avoir effectué une visite aux soldats blessés en Afghanistan, hospitalisés au sein
de l’Hôpital d’instruction des armées (HIA) Percy, Monsieur le Président Nicolas
Sarkozy déclarait : « nous sommes maintenant davantage face à des actions de type
terroriste que des actions de type militaire (…) il s’agit de nouveaux concepts (…)
l’armée française doit s’adapter ». Le 13 septembre 2011, on dénombrait 75 décès de
soldats français en Afghanistan depuis le début de l’opération. Sur ces 75 décès, 16,
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
soit 22 %, résultaient directement d’attaques terroristes. Les techniques de terrorisme sont désormais utilisées par les combattants contre
des combattants. L’Improvised explosive device (ou IED) est devenu l’arme par
excellence des conflits modernes, ils se déclinent utilisés comme piège, manipulés
pour des attentats suicides ou dans des véhicules contre les installations
d’infrastructure. Une nouvelle forme de blessé apparaît dans ces conflits. Le profil lésionnel associe
des lésions de conflits classiques et d’actes de terrorisme ce qui aboutit à une différence
de répartition d’origine et de proportion de ces lésions. Belmont, et al., effectuent une étude détaillée des statistiques des blessés au combat
survenus au sein d’une US Army Brigade Combat Team pendant une période de
15 mois durant l’opération « Freedom ». Au total, 361 soldats étaient blessés. Le
mécanisme lésionnel des blessures était principalement des explosions (87,4 %) avec
78 % des blessés par IED, alors qu’il n’était décrit que 9 % de lésions par balles [35].
Les effets dévastateurs de ces IED sont majeurs, la proportion de KIA (Killed in action:
morts au combat) secondaire aux explosions est statistiquement supérieure au taux de
KIA par plaie par balle.
Depuis 100 ans, les lésions par projectiles n’ont cessé de diminuer en proportion
au profit des lésions par explosions. Le tableau suivant résume les mécanismes
lésionnels en fonction des conflits, illustrant la prépondérance des lésions par
Projectiles (%)
Explosion (%)
1re Guerre mondiale [36]
65
35
2e Guerre mondiale [36]
27
73
Corée [37]
31
69
Vietnam [38]
35
65
OEF/OIF [39]
19
81
explosions.
La conjonction de l’avènement des IED et les progrès de la protection individuelle
(casque, gilet pare-éclat) ont également changé la topographie lésionnelle. Selon
Belmont et al., en Irak, les lésions étaient localisées au niveau des membres dans 50 %
des cas, tête et cou dans 36 % des cas, thorax 7,5 %, abdomen 7 % [35]. Selon Owens
et al., dans une étude portant sur les deux conflits, OIF et OEF, entre octobre 2001 et
janvier 2005, soit 3 102 blessés, les chiffres sont similaires : 54 % des lésions
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
181
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
concernent les membres, 30 % tête et cou, 11 % abdomen, et 6 % thorax [39]. Dans
les deux études, l’atteinte céphalique est significativement moindre alors que l’atteinte
des membres est significativement supérieure, comparativement aux données
historiques de la Deuxième Guerre mondiale, et de la guerre du Vietnam. De même le
pourcentage de lésions thoraciques est moindre. Une étude prospective française,
réalisée à Kaboul entre octobre et décembre 2008, met en évidence un taux non
négligeable de traumatismes oculaires (21 %) [40] correspondant aux données de la
littérature américaine [41]. Ces lésions nécessitent le plus souvent des explorations
chirurgicales, ce qui souligne l’importance de pouvoir disposer de cette chirurgie
spécialisée.
Concernant les militaires français, un rapport récent du Département
d’épidémiologie et de santé publique décrit les caractéristiques des blessures survenues
en OPEX entre janvier 2004 et juillet 2010 : les plaies compliquées étaient les plus
fréquemment rencontrées (36,4 %). Les blessures au niveau des membres inférieurs
(46,2 %) et des membres supérieurs (33 %) étaient les plus fréquentes. En OPEX, le
port du casque diminuait significativement la fréquence des lésions au niveau de la
tête et le port du gilet diminuait non significativement les lésions du tronc [42].
L’annexe 3 décrit la distribution des localisations des blessures survenues lors de faits
de guerre ou d’opérations en Afghanistan et sur les autres territoires d’OPEX. 3.3.2. Les nouveaux « troubles du vent du boulet »
Les blessures psychiques sont connues depuis les guerres napoléoniennes ainsi
que les « troubles du vent du boulet » : les médecins avaient ainsi remarqué qu’au
passage des boulets, des soldats souffraient de troubles qu’on ne comprenait pas [43].
La confrontation avec les combats, la mort et les blessures peut s’avérer une expérience
traumatisante, qui s’ajoute au stress d’une guerre menée dans un environnement
fortement anxiogène, où chaque soldat peut avoir le sentiment d’être à la merci d’un
IED [44]. Pour supporter l’expérience [45], 12 % des troupes de combat américaines
en Irak et 17 % en Afghanistan prennent des antidépresseurs ou des somnifères. Selon
le Pentagone, tous les soldats américains déployés sont confrontés au stress, 70 %
réussissant à le gérer, 20 % souffrant de « blessures temporaires liées au stress » et
10 % étant touchés par de véritables « maladies du stress » [45]. En 2008, 115 soldats
américains se sont suicidés dont 36 en Irak et en Afghanistan. En France, en l’absence de toute évaluation systématique, les données sont
parcellaires. La fiche épidémiologique du SSA qui concerne les pathologies post
traumatiques est très peu renseignée et les données fournies concernant les États de
stress post traumatique (ESPT) au sein des armées sont donc à la fois sous évaluées et
peu significatives. Depuis 2004, deux soldats français se sont suicidés en Afghanistan.
Une étude réalisée entre 2002 et 2005 sur une population de 202 militaires permet de
constater que 16,4 % ont été rapatriés pour un état de stress aigu et moins de 2 % pour
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Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
un état de stress post traumatique. Des études plus ciblées comme celle effectuée dans
deux unités opérationnelles de l’armée de Terre notent un taux de moins de 2 %
d’ESPT [46]. Longtemps insuffisamment pris en compte, ce problème atteint aujourd’hui une
ampleur telle au sein de l’armée américaine qu’il ne peut être nié ou passé sous silence,
pas plus d’ailleurs que dans l’armée française, même si elle est pour l’instant moins
confrontée à ce problème, comme le montrent les chiffres cités, et qu’elle a fait des
progrès importants à ce sujet comme nous le détaillerons [44].
3.3.3. Contexte multinational, médiatisation, judiciarisation
Ces conflits modernes sont désormais dirigés par des coalitions qui certes
apportent des solutions au niveau logistique mais créent des nouveaux problèmes de
communication, de législation et d’éthique. En effet, les conflits militaires aujourd’hui paraissent échapper au cadre juridique
qui les avait caractérisés pendant l’époque moderne. Le droit de la guerre est d’abord
le droit à la guerre, sa légitimité. Depuis la prohibition de la guerre comme moyen de
règlement des conflits, la paix est devenue le seul but de la guerre. On présente les
interventions extérieures comme des opérations de sécurité. Le droit de la guerre se
base sur le droit de La Haye concernant l’interdiction de certaines armes, et le droit de
Genève concernant la protection des civils et des individus hors combat, que la réalité
des conflits du XXIe siècle paraît mépriser. Le code d’honneur du soldat et son lien
avec un État sont remis en cause. En situation extrême, dans un climat de mercenariat,
le combattant voit son lien avec le droit distendu. Les violences localisées touchent
indistinctement les civils. Les modes de règlement et de prévention des conflits doivent
en conséquence être repensés dans le cadre de l’évolution du droit international. Ces interventions militaires sous l’égide de coalitions permettent une prise en
charge multinationale des blessés, mais obligent chaque nation à respecter les règles
de l’OTAN ou de l’ONU. Malheureusement des divergences existent encore que ce
soit dans l’organisation des équipes chirurgicales, dans l’organisation des compétences
et dans les règles éthiques. L’aspect multinational de l’évacuation des blessés pose des
problèmes de traçabilité de la prise en charge (produits sanguins par exemple, suivi
lésionnel), de dilution des responsabilités et du respect des droits d’information des
blessés et des familles. La sur-médiatisation des conflits modernes influence l’opinion publique
concernant les pertes et l’acceptation même de la notion de triage et d’urgence
dépassée. La société civile est imprégnée des concepts d’obligation de moyens, mise
en danger de la vie d’autrui, obligation de résultats, judiciarisation du système de santé,
tendance à la négation de la mort, transparence des opérations extérieures, principe de
précaution… Ceci est révélé par la médiatisation de certaines affaires, comme le
scandale du Walter Reed Army Medical Center en 2007 aux États-Unis, ou les réactions
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
des familles de soldats français, tués dans la vallée d’Uzbin, déposant plainte devant
le tribunal aux Armées de Paris pour « mise en danger de la vie d’autrui », plainte
contre X. Cette plainte inhabituelle est susceptible de mettre en cause la responsabilité
pénale de cadres militaires dans la mort de militaires français en opérations extérieures.
En mars 2011, un juge d’instruction a ouvert une information judiciaire pour « violation
manifeste d’une obligation particulière de sécurité et de prudence » et « mise en danger
de la vie d’autrui ». Ces affaires témoignent de l’évolution de l’état d’esprit des blessés,
de leur famille, et des médias. La mort au combat était autrefois une mort glorieuse,
elle peut maintenant être ramenée à une simple mort violente, voire à une mort
suspecte. De même, les blessures au combat et leur prise en charge peuvent être l’objet
d’interrogations, voire de revendications. La judiciarisation des affaires militaires est
devenue incontournable. Le constat de l'intervention systématique de la sphère judiciaire est ici traduit avec
un vocabulaire qui amène à considérer une autre dimension de la problématique : la
relation du soldat à son métier deviendrait avec la professionnalisation des armées une
simple relation contractuelle entre un employeur et un salarié. Le métier de soldat
disparaîtrait donc du champ régalien, comme incarnation du pouvoir légitime de l'État
d'user de la force, pour devenir un échange de services, une marchandise commerciale.
Cette mercantilisation traduit certainement une perte de repère de la société et une
distanciation grandissante entre le peuple et son armée [47, 48]. 3.3.4. Un Service de santé des armées exposé
Enfin, un facteur contraint l’action des Services de santé des armées en
Afghanistan, il s’agit de l’absence de protection spécifique dont disposent ces services
sur le terrain. Les équipes du SSA bénéficient de la même protection individuelle
(casque, gilet, arme) que les combattants, les installations, les véhicules et les
personnels du SSA sont pris pour cible. Les conventions de Genève n’offrent plus de
protection. Depuis 2004, trois infirmiers sont décédés en Afghanistan dont deux en
2010 ainsi que deux brancardiers secouristes [49]. Le 21 juillet 2009, trois militaires
français ont été blessés lors de l’attaque contre un Véhicule de l’avant blindé (VAB)
sanitaire par un IED. Le plus grièvement touché était un médecin, affecté au 126e
Régiment d’infanterie (RI). Face au manque ou à l’inexistence de protection spécifique pour les unités
médicales, les personnels de santé sont obligés de renforcer leur savoir-faire militaire
afin de pouvoir se protéger s’ils sont attaqués. Dans l’hebdomadaire Le Point, un article
récent illustre, rien que par son titre « Avec les médecins soldats », l’évolution du statut
du médecin militaire. Cet aguerrissement du personnel de santé risque de faire
disparaître la frontière entre médecin et soldat, le médecin peut se retrouver à des postes
de tir, se voir jouer un rôle actif et non juste défensif pendant les attaques, ce qui pose
des problèmes éthiques et techniques (comment éviter de donner raison aux insurgés
qui ne respectent pas les conventions de Genève ? Comment respecter le serment
d’Hippocrate ?). 184
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
4. L’adaptation du triage
4.1. En amont : optimisation des aspects logistiques et
militaires
4.1.1. Majoration de la médicalisation de l’avant
La prise en charge d’un blessé est rythmée par les échelons successifs, appelés
Roles : relève, évacuation primaire vers une structure chirurgicale (Role 2 ou 3),
évacuation secondaire vers les hôpitaux d’infrastructure. En traumatologie militaire (ou civile), il est admis actuellement que 40 % des
blessés meurent dans les deux heures suivant la blessure, certains sur le terrain (morts
au combat, ou Killed In Action) d’autres après avoir atteint une structure chirurgicale
(morts de leurs blessures, ou Died Of Wound) [50]. Pour une diminution de la mortalité,
la prise en charge des blessés dans ces deux premières heures est cruciale. En pratique
civile, il a été défini la golden hour (heure d’or), délai durant lequel le blessé
hémorragique doit être transféré dans une structure chirurgicale. Plus récemment, on
évoque même les 10 minutes de platine. La relève des blessés est donc fondamentale.
La doctrine israélienne énonce « l’évacuation n’est jamais urgente mais la réanimation
l’est » [51]. Les hôpitaux et les savoir-faire médicaux permettent de sauver de
nombreuses vies pour peu que les blessés arrivent vivants à l’hôpital. Le traitement rapide des blessures sur le champ de bataille par les combattants
eux-mêmes est crucial, le renforcement de la médicalisation de l’avant est donc devenu
une des priorités du Service de santé des armées. La formation du combattant aux
gestes d’urgences est essentielle : ils doivent savoir déplacer le blessé pour le mettre à
l’abri (pick and run: porte et cours), arrêter une hémorragie, monter une ligne de
perfusion… De nouvelles attitudes sont mises en exergue telles que l’usage délibéré
du garrot, le développement de nouveaux pansements hémostatiques externes, et
surtout une formation protocolisée de tous les personnels, camarades de combat,
auxiliaires sanitaires, infirmiers et médecins aux techniques de sauvetage et de
médicalisation. Pour l’armée française, il s’agit du développement de l’enseignement
de sauvetage au combat (SC1 et SC2) ; les américains parlent de T3C, Tactical Combat
Casualty Care. Le SC1 correspond à la base de secourisme et aux gestes de réanimation
d’urgence, destiné à tous les combattants ; le SC2, deuxième niveau, s’adresse aux
auxiliaires sanitaires et infirmiers. Après une année complète de retour d’expérience du sauvetage au combat de
deuxième niveau (SC2), le SSA a décidé d’élargir l’accès à cette formation. Ainsi, les
infirmiers déployés en postes isolés dans les OMLT (Operational Mentor and Liaison
Team ou en français, Équipe de liaison et de tutorat opérationnel) pourraient être
remplacés par des militaires du rang formés au SC2 [52]. En complément de la formation, les équipements ont été modifiés. Les combattants
sont dotés d’une Trousse individuelle du combattant (TIC) repensée, contenant un
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
garrot tourniquet, un pansement compressif d’urgence, deux auto-injecteurs de
morphine, pansements, compresses, antiseptique, kit complémentaire de perfusion
[53]… Par ailleurs, un effort a été fait pour intégrer tous les personnels de soutien à la
Mise en condition avant projection (MCP). Cet entraînement leur permet d’être mieux
formés, plus aguerris, avant leur déploiement en Afghanistan avec leurs régiments [54].
La mise en condition avant projection du GTIA (Groupement tactique inter armes)
dure six mois, durant lesquels les éléments du Service de santé sont intégrés aux trois
phases d’entraînement opérationnel et d’évaluation.
Un stage Medichos (médicalisation en milieu hostile) est organisé par les Centres
d’instruction des techniques de réanimation de l’avant CITERA. Le personnel du
Service de santé des armées doit également suivre de l’instruction militaire pure : tir
au combat, connaissances techniques militaires, condition physique… En complément,
une phase individuelle décentralisée est proposée, contenant pour les médecins une
semaine en CITERA et une semaine au bloc opératoire. Les personnels du SSA
participent à la préparation des auxiliaires sanitaires au stage SC2 et à leur formation
continue, à la formation des moniteurs SC1 et des « sauveteurs de combat référents »
au sein des groupes de combat.
4.1.2. Optimisation des transferts intra théâtre
Après une optimisation des premiers soins délivrés aux blessés, la rapidité de
l’évacuation vers la première structure chirurgicale est d’une importance majeure. Le
point clé est la brièveté des délais, basée sur un rapprochement du chirurgien vers le
blessé et une densification des moyens d’évacuation primaire. Le soutien médical des opérations doit, par son organisation, permettre le respect
de ses différents délais de prise en charge d’un blessé [55] : – 10 minutes (ten minutes platinum) : dans les 10 minutes qui suivent la blessure,
le blessé doit avoir reçu au minimum les premiers soins liés au « sauvetage au combat »
(garrot, pansement hémostatique) ;
– 30 minutes : la médicalisation du blessé doit être faite dans les 30 minutes ; – 1 heure (golden hour) : l’heure d’évacuation médicalisée, l’évacuation doit être
faite dans l’heure qui suit la blessure, prioritairement par un moyen héliporté
médicalisé ; – 2 heures, les « 2 heures chirurgicales » : le blessé doit avoir été transféré au sein
d’une unité médico-chirurgicale opérationnelle où aura lieu une prise en charge
chirurgicale appliquant les principes de damage control. Depuis le 1er novembre 2009, un Patient evacuation coordination center (PECC)
est intégré dans l’état major de la Brigade La Fayette (en anglais Task Force la Fayette,
TFLF, unité inter-armes des forces françaises déployées en Afghanistan). Le PECC
centralise et gère l’ensemble des demandes d’évacuation médicale (MEDEVAC) dans
l’aire de responsabilité de la Brigade. Cette cellule est placée sous l’autorité du médecin
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
conseiller de la Task Force. Son intégration au sein du centre opérationnel tactique de
la TFLF lui permet d’assurer la gestion globale des évacuations, depuis le lieu de la
blessure ou le poste médical jusqu'à l’HMC KAIA. Le PECC dégage ainsi les équipes
médicales de la charge que représentent la gestion, la coordination et l’organisation
du transport médicalisé héliporté [56]. La trame pré-formatée du message qui sert à
transmettre l’ensemble des informations nécessaires à la réalisation d’une MEDEVAC
s’appelle le nine line (9-line), composé d’une partie de neuf lignes suivi d’un bilan
médical.
Le PECC s’appuie sur un bataillon d’hélicoptères, BAT HELICO. Aujourd’hui
l’ensemble des militaires français blessés sur le théâtre est intégralement pris en charge
par une chaîne nationale, dans la mesure du possible. Ainsi, les délais des évacuations
primaires pour les militaires correspondent en moyenne aux objectifs de temps fixés
par l’OTAN, avec une prise charge chirurgicale dans les 90 minutes après la blessure
[40].
Une Fiche médicale de l’avant (FMA) adaptée au théâtre afghan a été également
mise en place afin de faciliter les transmissions inter-équipes (annexe 4). Elle peut être
modifiée par les équipes sur place. Une catégorisation (Urgent/Non Urgent) sera portée
sur la FMA décidant de la priorité d’évacuation. Cette catégorisation se réfère à la
nouvelle catégorisation du SSA (cf infra). Les blessés étiquetés URGENT sont ceux
dont le pronostic vital est menacé et dont l’évacuation doit se faire le plus tôt possible.
Cela correspond à la catégorie T1. Dans l’établissement du message 9-line
MEDEVAC, ces blessés sont classés A (Alpha). Les blessés NON-URGENT sont les
patients dont le pronostic vital n’est pas engagé et dont l’évacuation doit se faire dès
que possible : T2 et T3. Dans l’établissement du message 9-line, ces blessés sont classés
B (Bravo) [55].
4.2. Renforcement des moyens du triage
4.2.1. Un nouveau Role 3
Les moyens disponibles dans les conflits du Moyen-Orient, comme
l’Afghanistan, ont été redimensionnés. Le Role 2 français est devenu l’Hôpital
militaire de campagne (HMC) KAIA (Kaboul International Airport), Role 3, avec
des locaux repensés, dédiés au SSA. L’hôpital de KAIA est le premier construit par
l’OTAN dans une de ses zones d’opération. Il a deux missions principales : le soutien
de la région de Kaboul et l’accueil des patients afghans. Son fonctionnement est
multinational, répondant aux règles d’emplois de l’OTAN. L’HMC est équipé de 3
blocs opératoires, 6 lits de réanimation et de 29 lits d’hospitalisation. Le dispositif
est complété par un poste de secours, Role 1, d’une salle d’accueil des urgences
permettant l’accueil des patients, principalement des afghans, et d’une Crash Crew
Team (équipe de piste). Tous les patients éligibles aux règles de prise en charge
médicale de l’OTAN peuvent y être admis. Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
L'HMC est commandé par un médecin-chef, ayant une expérience opérationnelle,
120 personnels travaillent à l'HMC : un tiers provient des HIA français, un tiers
provient des régiments médicaux et un tiers d'autres nations (Belgique, Hongrie,
République Tchèque, Bulgarie, Roumanie…) équipant notamment le Role 1 et
complétant les équipes chirurgicales françaises.
L'HMC dispose d'un mini Centre opérations (CO) armé 24 heures sur 24 par le
personnel d'un Régiment médical. Ce CO est en contact permanent avec les centres
opérationnels des états-majors et le centre de coordination des évacuations (PECC) de
Kaboul. Les centres de coordination des évacuations gèrent les évacuations héliportées
de l'avant mais aussi les transferts par avion de patients entre les différents hôpitaux
de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) (International Security
Assistance Force (ISAF)). Après plusieurs mois de fonctionnement, la composition de l'équipe hospitalière
a été revue afin de mieux prendre en compte les missions de l'hôpital. L'HMC offre
plusieurs spécialités comme la psychiatrie et l'ophtalmologie. Pour pallier
l’hyperspécialisation des chirurgiens, une plus grande diversité de spécialistes est
déployée. Devant le nombre croissant de blessés crâniens, un neurochirurgien a été
déployé au sein de l’HMC. L’HMC est également doté d’un scanner 32 barrettes, très
performant pour l’urgence, permettant de réaliser en quelques minutes une imagerie
du corps entier, ce qui constitue un apport considérable dans la tactique de prise en
charge d’un polytraumatisé. Il existe également de lourds moyens de réanimation, des
produits sanguins et un laboratoire sophistiqué. L’installation de l’hôpital au sein de l’aéroport, au plus près de la piste permet
d’éviter les trajets à risque dans Kaboul et d’optimiser les évacuations. Les moyens de soutien médical que la France offre à ses blessés tendent à être le
plus proche possible du plateau technique dont on pourrait disposer en métropole.
L’évolution des communications réduit la notion d’isolement du chirurgien projeté,
lui permettant de prendre des avis via téléphone portable ou internet. Dans ces
conditions, la chirurgie de guerre ne doit pas être systématiquement considérée comme
une chirurgie en conditions dégradées [57]. 4.2.2. Multinationalité, des protocoles communs
Le fonctionnement multinational de l’hôpital impose la maîtrise de l’anglais pour
permettre à tous de communiquer ainsi qu’une bonne connaissance de la procédure
OTAN et de son organisation. Le triage est effectué par équipe « chirurgien/réanimateur ». Les autres équipes
opèrent. Il est préférable que la prise en charge des blessés soit faite par un chirurgien
de la même nationalité pour des raisons évidentes de compréhension. Il nous paraît
important que chaque blessé ait un triage longitudinal par l’anesthésiste appréciant le
blessé dans sa globalité et le retentissement hémodynamique des lésions et un triage
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
transversal par le chirurgien, ciblé sur le profil lésionnel appréciant le potentiel morbide
des différents impacts. Les israéliens ont pris l’habitude lors des afflux massifs, survenant à l’occasion
des nombreuses actions terroristes dont ils ont été victimes, de désigner un Surgeonin-charge. (SIC). Il s’agit du chirurgien, spécialiste en traumatologie, le plus
expérimenté. Il devient le responsable et le chef de l’équipe du service d’urgence, il
effectue le triage des victimes au niveau de la trauma room, détermine l’ordre de
passage au bloc opératoire, mais ne participe pas aux procédures chirurgicales [34].
Ses décisions doivent être respectées de tous. Dans un souci d’homogénéité entre les catégorisations lors de la relève, de
l’évacuation de l’avant et du triage chirurgical et afin de tenter d’utiliser une
catégorisation compréhensible par tous en milieu multinational, une nouvelle
catégorisation a été mise au point par le Service de santé des armées français. Elle
comporte quatre catégories identifiées par un T et un chiffre comme cela est vigueur
dans la plupart des services de santé et certaines organisations telles que la Croix Rouge
(annexe 5) [55]. Cette catégorisation n’est utilisée au niveau du Role 2/3 qu’en cas
d’afflux saturant de blessés, imposant de déterminer un ordre de prise en charge et de
passage au bloc opératoire. La catégorie T1 correspond à ce qu’on appelait auparavant « les urgences
absolues », c’est-à-dire les blessés dont le pronostic vital est mis en jeu si un traitement
chirurgical ou de réanimation n’est pas entrepris le plus vite possible. Ils doivent être
opérés au niveau de la formation chirurgicale et peuvent être subdivisés en deux
catégories : – ceux qui nécessitent un geste dans les minutes qui suivent l’admission. Ce sont
ces blessés très graves pour lesquels l’évacuation doit se faire en moins d’une heure et
chez lesquels la survie passe par une prise en charge chirurgicale appliquant les
principes du damage control (cf infra) ; – ceux qui, si nécessaire, peuvent attendre quelques heures (classiquement
quatre heures) un geste chirurgical sous réserve d’une réanimation appropriée. L’ordre
de passage au bloc entre les blessés de cette même catégorie T1 est un élément très
difficile du triage et doit être déterminé conjointement par l’anesthésiste et le chirurgien
en fonction de l’état clinique et du type de blessure.
La catégorie T2 regroupe les blessés nécessitant un traitement chirurgical urgent,
mais qui peut être différé sans mettre en jeu le pronostic vital. Elle correspond « aux
urgences relatives ». Ils peuvent être opérés ultérieurement ou adressés vers une autre
formation chirurgicale sous réserve d’un conditionnement approprié. La catégorie T3 est le groupe de blessés nécessitant un traitement chirurgical sans
urgence ou ne nécessitant pas de geste chirurgical (blessés légers, éclopés). Ils doivent
être orientés et pris en charge hors de la structure chirurgicale (médecin d’unité).
La catégorie T4 constitue les patients trop gravement blessés qui nécessiteraient
un traitement lourd et long avec une chance de survie très limitée (urgences dépassées).
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Ils doivent être isolés, mis à l’écart, et bénéficier de traitements antalgiques et de
conditions de confort. Cette catégorie est la plus inhabituelle et la plus spécifique d’un
contexte de guerre et doit être envisagée avec soin en fonction du contexte. Dès que la
situation d’afflux cesse, ils doivent être réévalués et éventuellement opérés. Certains blessés stables dont la nature exacte des lésions est incertaine seront
classés « urgences potentielles » ce qui signifie qu’ils ne seront pas opérés mais qu’ils
resteront surveillés régulièrement dans la zone de triage pour ne pas méconnaitre une
décompensation secondaire d’une plaie passée inaperçue, les reclassant alors dans la
catégorie T1 [55].
4.2.3. Formations et techniques diagnostiques
4.2.3.1. Nouvelles perspectives éducatives
Le chirurgien militaire français a également considérablement changé. Le jeune
chirurgien est issu de cette société civilo-médiatique que nous avons décrite auparavant,
imprégné des mêmes concepts de crainte de la judiciarisation, d’obligation de moyens
et de résultats ainsi que des principes de médecine factuelle ou Evidence Based
Medicine, laissant peu de place au sens clinique et à l’expérience. Sur le plan de la
formation, il est poussé vers l’hyperspécialisation, la chirurgie générale est appelée à
disparaître et l’enseignement de la chirurgie d’urgence est peu développé, notamment
en France, où le chirurgien traumatologue, (trauma surgeon), n’existe pas. Cette
chirurgie d’urgence est actuellement dominée par la traumatologie routière, alors que
le nombre des accidents de la route est en nette régression depuis quelques années,
après la mise en place d’une politique routière répressive. Le jeune interne en chirurgie
est ainsi de moins en moins confronté en métropole au polytraumatisé instable, aux
blessés par traumatisme pénétrant. Comparés aux États-Unis ou à l’Afrique du Sud,
les pays européens présentent un faible taux de plaies par projectiles en pratique civile
[58, 59]. Les chirurgiens des armées doivent ainsi être compétents dans une spécialité qu’ils
pratiquent dans les hôpitaux en métropole et pouvoir du jour au lendemain devenir des
chirurgiens généralistes, formés aux urgences traumatiques de toutes les régions du
corps, et au fait des concepts et de la pratique du damage control [60]. La chaire de chirurgie de l’École du Val-de-Grâce relève le défi de la formation
de ses jeunes chirurgiens en organisant depuis peu un Cours avancé de chirurgie en
mission extérieure (Cachirmex), composé de cinq modules répartis sur deux ans,
abordant région par région les règles de prise en charge des traumatismes ouverts et
fermés. Ces cours font intervenir des chirurgiens ayant participé à des missions
extérieures, permettant une présentation des missions en cours, de cas cliniques et un
partage de retour d’expérience. Des exercices pratiques sur sujets anatomiques ou
réacteurs biologiques visent l’acquisition par les élèves des gestes indispensables dans
la pratique de l’urgence [60]. 190
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
4.2.3.2. Imagerie
Après un bilan lésionnel précis basé sur l’ABCDE (Airways, Breathing,
Circulation, Disability, Exposure) de l’Advanced Trauma Life Support (ATLS), le trieur
peut s’aider de l’imagerie. L’échographie est utilisée de manière courante dans les
services d’urgence [23] sous le terme de « FAST », Focussed Assessment Sonography
Trauma, datant de 1993 [61] et permettant de détecter en moins de 5 minutes grâce à
l’exploration de six points (2 culs-de-sac pleuraux, espace spléno-rénal et hépato-rénal,
cul-de-sac de Douglas, vue xyphoïdienne) les épanchements en péritoine libre, dans
la cavité péricardique et pleurale (règle des 3 P) [23, 31]. C’est un examen de bonne
spécificité mais de faible sensibilité, et qui reste opérateur dépendant [62]. Plus de
30 % des lésions intra-abdominales sans épanchement ne sont pas détectées sur le
FAST. Les limites de l’échographie dans le cas des plaies pénétrantes ont de plus été
bien évaluées ; toutefois, dans le cadre d’un afflux massif de blessés, sa mobilité, sa
reproductibilité et ses résultats immédiats en font un instrument valable et adapté à
cette configuration surtout chez le patient instable chez qui la découverte
d’épanchement posera l’indication chirurgicale en urgence, sans avoir recours au
scanner thoraco-abdominal dont le délai serait une perte de chance pour le blessé [28].
En revanche, chez le patient stable avec forte suspicion de lésions d’organes,
l’échographie a peu d’intérêt et le recours au scanner est indispensable pour le bilan
lésionnel [63]. Les progrès techniques permettent dorénavant d’utiliser des appareils portables
miniaturisés autonomes d’un usage simple et performant [64]. Le Service de santé des
armées a doté les antennes chirurgicales, les structures isolées (sous-marins, transport
de chaland de débarquement, porte aéronefs, avion C135FR « Morphée ») du Titan,
un appareil d’échographie portable et compact. Ces appareils nécessitent d’être utilisés
par des médecins formés, intégrant les données obtenues pour guider la prise en charge.
Le SSA propose ainsi des formations non universitaires au sein de certains HIA et
CITERA, qui sont en accord en terme de contenu pédagogique et de durée de formation
avec les données de la littérature médicale. L’enseignement du FAST est également
intégré au Cachirmex. Quelques Diplômes universitaires (DU) ou interuniversitaires
(DIU) proposent d’aborder le concept FAST au sein de formations plus générales sur
l’échographie (DIU d’échographie générale, DIU d’échographie appliquée à
l’urgence), mais ces formations restent très lourdes (deux ans, plusieurs modules), et
donc difficilement abordables [65].
4.3. En aval : de nouvelles techniques thérapeutiques
4.3.1. Laparotomie écourtée, damage control, réanimation
agressive
4.3.1.1. Physiopathologie
Il a été démontré que les blessés graves hémorragiques entrent à partir d’un certain
délai, même si l’hémorragie est contrôlée, dans un cercle vicieux fait d’hypothermie,
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
191
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
d’acidose et de troubles de la coagulation, se potentialisant les uns les autres et
aboutissant inévitablement à la mort. Ceci constitue la « triade de Moore » [66]. La
principale cause de la coagulopathie est la consommation de plaquettes et de facteurs
de coagulation liée à l’hémorragie, indissociable de l’hémodilution secondaire au
remplissage vasculaire. L’état de choc hémorragique se traduit par une acidose qui
participe à l’aggravation de la coagulopathie. L’hypothermie, très fréquente, aggravée
par le remplissage vasculaire et la transfusion, majore elle aussi la coagulopathie
préexistante. Enfin, certaines lésions traumatiques s’accompagnent d’une fibrinolyse
majeure alors même que le saignement est relativement limité de même que
l’hémodilution : il s’agit surtout des hématomes rétro-péritonéaux, des traumatismes
crânio-cérébraux, notamment en cas de traumatisme pénétrant balistique, et plus
exceptionnellement de contusion pulmonaire sévère [67]. La lutte contre cette triade
létale intègre donc un contrôle précoce de l’hémorragie, associé à des mesures de
prévention contre l’hypothermie et la coagulopathie résiduelle, dans des délais les plus
courts possibles. Avec la reconnaissance du rôle essentiel de cette triade dans le choc hémorragique,
une approche médico-chirurgicale spécifique s’est développée dans les années 1990
aux États-Unis, la trauma damage control surgery [68]. Il s’agit à l’origine d’un terme
de la Marine américaine, désignant les moyens à mettre en œuvre face à des dommages
subis par un bâtiment au combat. Il s’agissait d’une stratégie en trois temps : colmater
les brèches, ramener le bâtiment au port, et effectuer ensuite les réparations définitives.
Pour prévenir l’apparition de la triade de Moore, une prise en charge en trois temps
des blessés hémorragiques graves de l’abdomen, calquant la stratégie de la Marine
américaine, a été conçue dans les trauma center américains par les chirurgiens
viscéraux : – un premier temps chirurgical rapide, partiel, hémostatique ;
– un deuxième temps réanimatoire avec correction agressive des troubles de la
coagulation et de l’acidose ;
– un troisième temps chirurgical, dans des délais variables, une fois le blessé
stabilisé, permettant le traitement définitif des lésions [68] .
Initialement la technique concernait la cavité abdominale, mais peu à peu le
concept s’est étendu aux atteintes thoraciques, orthopédiques ou vasculaires [69].
4.3.1.2. Une efficacité prouvée
La stratégie de damage control est associée à une morbidité de 40 % environ, et
d’une mortalité de 20 à 50 % selon les séries [70, 71]. Johnson et al. effectuent une étude rétrospective concernant la prise en charge de
blessés en choc hémorragique suite à un traumatisme pénétrant de l’abdomen, dans le
cadre d’une pratique civile. En comparant deux séries de blessés pris en charge à 10 ans
d’intervalle, les auteurs mettent en évidence une amélioration de leur taux de survie
après l’introduction des techniques de damage control [72]. 192
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
En France, Arvieux et al. réalisent une étude rétrospective de 109 blessés issus de
27 centres traités par laparotomie écourtée entre janvier 1990 et septembre 2001. Le
taux de mortalité globale était de 42 % [73], comparable à ceux retrouvés dans la
littérature américaine. Le taux de survie corrigé, c’est-à-dire le taux de survie des
blessés qui ont pu être réopérés, était de 83 % (63 blessés sur 76). Ce taux, que l’on
peut considérer comme un indicateur de l’efficacité des équipes dans ce domaine, est
relativement stable dans les autres séries de la littérature et il est situé entre 65 % et
90 % [74, 75]. Dans le cadre de la chirurgie de guerre, Eiseman en 2000 prétendait que le concept
de damage control n’était pas applicable sur le terrain, en raison des lourdes contraintes
logistiques qu’il requière, et était peu compatible avec une situation de guerre où les
ressources sont limitées [76]. En effet, le problème principal serait le lieu où se ferait
le deuxième temps chirurgical, qui nécessite une lourde structure hospitalière avec de
nombreux moyens de réanimation. Mais actuellement, les armées, américaine et
française, disposent de moyens d’évacuation fiables permettant le rapatriement des
blessés graves, intubés, ventilés vers des structures adaptées en métropole (Hôpital
américain de Landstuhl en Allemagne notamment), où ont lieu les premiers gestes du
deuxième temps chirurgical. Ils sont ensuite évacués vers les hôpitaux des États-Unis
où sont poursuivis les gestes de réparation puis de réhabilitation. De nombreuses
publications basées sur les données du Joint Theater Trauma Registry (JTTR) ont
démontré l’efficacité de cette stratégie, et ont rapporté la survie de blessés extrêmement
graves [70]. Sambasivan et coll., notamment, effectuent une étude rétrospective
comparant deux populations de blessés ayant bénéficié d’une laparotomie écourtée :
l’une civile, issue d’un trauma center de niveau 1 de l’Oregon, l’autre militaire, issue
de l’hôpital militaire de Landstuhl (Allemagne). Ils rapportent que les blessés militaires
bénéficient d’un plus grand nombre de procédures chirurgicales (en raison de lésions
plus complexes), sans différence significative du taux de complications ni du taux de
mortalité [77].
4.3.1.3. En pratique
4.3.1.3.1 Indications
Sharp et Locicero avaient identifié dès 1992 les facteurs de risque de mortalité
indépendants préopératoires suivants : pH<7,18, température <33°C, troubles sévères
des tests de la coagulation et transfusion de plus de dix concentrés globulaires [78].
Ces facteurs ont été confirmés très significativement corrélés avec la mortalité, avec
des seuils d’alerte d’hypothermie à partir de 34°C et de transfusion de cinq culots
globulaires [79, 80].
Au total, la décision de réaliser une laparotomie écourtée doit être prise par
l’équipe médicochirurgicale le plus précocement possible, au début de la prise en
charge ou pendant l’intervention devant des critères de gravité simples [73, 81] : Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
193
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
– absence de réponse au remplissage vasculaire, état de choc ;
– perte sanguine de plus de 2 litres ou transfusions de plus de cinq culots
globulaires (CGR) ;
– acidose avec un pH<7,20, hypothermie < 34°C ;
– présence de troubles de la coagulation, ratio du temps de céphaline activée > 2.
4.3.1.3.2. Le premier temps chirurgical
Au niveau abdominal, on réalisera une incision xypho-pubienne d’emblée.
L’installation doit permettre d’agrandir si besoin l’incision médiane en thoracotomie
droite ou sternotomie pour exposer toutes les surfaces du foie, y compris la veine cave
inférieure rétro-hépatique. L’hémopéritoine est aspiré au travers d’un récupérateur de
sang (Cell saver®). L’hémostase doit être obtenue rapidement : tamponnement périhépatique (packing), splénectomie, ligatures vasculaires, néphrectomie d’hémostase,
packing pelvien, shunt endoluminal… Le chirurgien effectue ensuite une exploration
rapide et complète de la cavité abdominale à la recherche d’autres saignements et de
perforations [82]. La coprostase doit être réalisée sommairement en utilisant des pinces
automatiques, sans rétablissement de continuité ou dérivation. La plupart des plaies
bilio-pancréatiques peut être contrôlée par un drainage aspiratif. De même, une ligature
urétérale associée à une néphrostomie, ou la pose d’un cathéter sus-pubien sont des
procédures rapides [83]. En prévention du syndrome du compartiment abdominal, une
fermeture temporaire, « abdomen ouvert », doit être effectuée : fermeture cutanée
exclusive ou laparostomie (bogota bag ou vacuum pack) [84]. Ce premier temps
chirurgical ne doit pas dépasser les 90 minutes.
La cavité thoracique ne peut bénéficier d’un packing qu’au niveau de l’apex ou
de l’angle cardiodiaphragmatique. L’hémorragie et la fuite aérique peuvent être
maitrisées par des résections non anatomiques du parenchyme pulmonaire [85]. Les
plaies trachéales peuvent être abordées directement au niveau de la blessure. Quant
aux lésions oesophagiennes, la dérivation et le drainage apporteront une solution
temporaire [86]. Quand l’état de choc est mal contrôlé, les tentatives de traitement conventionnel
des fractures des membres, qui allongent démesurément les interventions et les pertes
sanguines, précipitent le patient dans la triade létale. La seule conduite raisonnable est
la fixation externe. La pratique d’aponévrotomies doit être large, et la difficile décision
d’amputation de sauvetage ne doit pas donner lieu à des tergiversations lorsque l’état
de choc n’est pas contrôlé et qu’existent d’autres lésions vitales : dans cette ambiance
de chirurgie de guerre, le seul objectif est la survie au détriment des aspects
fonctionnels [87]. La stratégie du traitement des lésions des membres en contexte
d’opération extérieure repose sur trois priorités hiérarchisées : sauver la vie, sauver le
membre et préserver la fonction [88].
En cas de lésion artérielle d’un membre, une ligature simple peut être salvatrice,
si nécessaire complétée par la pose d’un shunt.
194
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
4.3.1.3.3. Le deuxième temps réanimatoire
Le deuxième temps est réanimatoire, en insistant sur la lutte contre l’hypothermie
(réchauffement), l’hémodilution et la coagulopathie. Dans les formations de l’avant américaines, un quart des blessés pris en charge
sont transfusés et en Irak, 8 % d’entre eux ont nécessité une transfusion massive [89].
La transfusion en proportion d’un Plasma frais congelé (PFC) pour un Concentré de
globules rouges (CGR), accompagnés de concentrés plaquettaires, permettrait de
diminuer la mortalité [90]. La transfusion de fibrinogène dans un ratio ≥ 0,2 g/unité
de CGR permettrait également d’améliorer le pronostic [91], ainsi que l’apport d’acide
tranexamique [92]. L’utilisation de facteur VII activé réduirait, dans les hémorragies
massives, les besoins transfusionnels [93]. De même, la transfusion de sang total serait
plus efficace que l’apport combiné de CGR, PFC et concentrés plaquettaires [94]. En OPEX, les règles sont de transfuser les CGR dans un groupe iso-compatible
avec le receveur. S’il est aisé de concevoir qu’une collecte de sang total puisse être
nécessaire en temps de guerre en cas d’épuisement des ressources de la banque de
sang, prendre la décision d’utiliser du sang total alors que les stocks ne sont pas épuisés
relève d’une toute autre logique qui va à l’encontre des pratiques de temps de paix.
Aussi, le comité consultatif du SSA recommande-t-il en opération extérieure, avec
l’assentiment de l’ANSM, du comité national d’hémovigilance et de l’Académie de
médecine, de recourir à une collecte de sang total pour des indications collectives et
logistiques (épuisement des réserves de la banque de sang locale) mais aussi pour des
indications individuelles (transfusion massive et coagulopathie) [95]. Une autre
conclusion importante est la nécessité de prendre en compte le délai nécessaire à la
réalisation d’un processus aussi complexe que celui de la convocation des donneurs,
de leur sélection médicale et de la qualification biologique des dons. Ce délai de l’ordre
d’une heure pour une équipe entraînée est déjà décrit dans l’expérience américaine
[96]. L’importance (et la nécessité) de ce délai a conduit les experts à distinguer les
indications de collecte des indications de transfusion de sang total. Une transfusion de
sang total pourra ainsi être anticipée en déclenchant très précocement une collecte sur
les premières données médicales disponibles. Une telle anticipation est le seul moyen
de disposer de produits de coagulation, et notamment de plaquettes, au moment
opportun [97].
4.3.1.3.4. Le deuxième temps chirurgical
La ré-intervention programmée s'effectue chez un malade parfaitement « cadré »,
lorsque la triade létale est maîtrisée, par une équipe de chirurgiens et d'anesthésistes
expérimentés. En fait, seuls 2/3 des patients vont pouvoir bénéficier de cette chirurgie
« programmée » [82], les autres blessés étant décédés ou ayant présenté un tableau
justifiant une reprise précoce. Le délai se situe en moyenne 20 à 48 heures après la
laparotomie initiale [74; 98] mais certains opérés ont été repris, en pratique civile, 4 à
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
7 jours après la laparotomie initiale sans que le taux de complications septiques
apparaisse augmenté [99] . Dans le cadre de nos blessés de guerre, ce deuxième temps
chirurgical pourra être effectué en métropole lorsqu’une évacuation stratégique précoce
est réalisée. La ré-intervention a deux objectifs : réparation définitive des organes et fermeture
des fascias. La continuité digestive est rétablie, une stomie est mise en place si
nécessaire. À ce stade, la fermeture des fascias est possible dans 85 % des cas. Dans
le cas contraire, il est recommandé de se donner 48 à 72 heures supplémentaires. Si le
tableau inflammatoire est contrôlé, la reprise de la diurèse et la diminution de l’œdème
permettront une fermeture définitive de l’abdomen [100]. Dans le cadre de la prise en charge des blessés de guerre, ce deuxième temps est
effectué, le plus souvent, dans les hôpitaux d’infrastructure après une évacuation
stratégique, grâce notamment au MOdule de Réanimation pour Patient à Haute
Élongation d'Évacuation (MORPHÉE). 4.3.2 MoRPHÉE
Après la chirurgie et la réanimation de sauvetage et de stabilisation, l’évacuation
sanitaire doit être précoce pour éviter l’engorgement de la structure et permettre aux
blessés d’être admis dès les premiers jours post-traumatiques dans les hôpitaux
d’instruction des armées.
Le kit MORPHÉE permet d'évacuer jusqu'à douze blessés graves sur des vols de
longue distance. Il est opérationnel depuis 2006 et apporte aux armées françaises une
capacité d'évacuation médicale collective susceptible d'être mise sur pied sous court
préavis et adaptable au besoin. Véritable service de réanimation volant, MORPHÉE
est conçu pour assurer au blessé un niveau de soins comparable à celui d'un service
hospitalier de soins intensifs. L’équipe médicale dispose d’un espace de travail
ergonomique permettant des soins de réanimation lourde. Les onze avions ravitailleurs
C135-FR de l'armée de l'Air sont équipés pour recevoir le kit MORPHÉE (modules
de transport des patients, alimentation en énergie, climatisation, plateau technique),
ces avions ont comme principal avantage un long rayon d’action, permettant de relier
Paris à des destinations lointaines sans escale. Le kit est également adaptable aux
Airbus A310 et A330 de l’Armée française, ainsi qu’au futur A400M.
L'équipe médicale MORPHÉE est composée de deux médecins, cinq infirmiers,
deux convoyeurs de l'air et, selon les besoins de la mission, un psychiatre, un spécialiste
des brûlés, un chirurgien ou un officier de liaison étranger. Une équipe est d'astreinte
en permanence.
Deux évacuations par avion MORPHÉE ont été réalisées en 2008. Chacune a
permis d'évacuer onze soldats blessés, le 18 mars à partir du Kosovo et le 19 août, à
partir de l'Afghanistan, à la suite de l'embuscade d'Uzbeen. Le 22 avril 2011, le
dispositif a permis l'évacuation des soldats blessés en Afghanistan deux jours plus tôt.
196
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Les patients ont tous été admis dans les hôpitaux militaires parisiens.
Ainsi depuis le début du conflit afghan, tous les blessés militaires rapatriés ont été
sauvés. Toutes les pertes françaises d’Afghanistan sont donc décédées sur place.
4.3.3. Le module de chirurgie vitale
Les retours d’expériences, notamment américains et israéliens, liés aux opérations
militaires du début du siècle montrent qu’entre 20 et 30 % des décès au combat sont
dus à des lésions potentiellement curables. Il s’agit des décès potentially salvable, ou
décès évitables. Les causes de ces décès consistent dans 80 % des cas en des lésions
hémorragiques, essentiellement du tronc et des membres [101]. Aussi leur prise en
charge nécessite l’intervention d’un chirurgien rompu à la chirurgie traumatologique
viscérale, thoracique et vasculaire [102]. Visant à sauver ces blessés et en réponse à une demande des forces spéciales dont
les actions peuvent se dérouler à une distance importante de la France, voire de toute
structure hospitalière, comme dans le cas des opérations de contre piraterie dans
l’Océan indien ou en soutien d’une opération ponctuelle menée par les forces spéciales
ou de la DGSE (libération d’otages ou autre), le SSA a créé une nouvelle unité médicale
opérationnelle, le Module de chirurgie vitale (MCV). Il est destiné à soutenir des
actions limitées dans le temps, l’espace et le nombre de personnels engagés. Le MCV
permet de mettre en œuvre une chirurgie de sauvetage très précoce (dans l’heure qui
suit la blessure), et est considéré comme un Role 2 light manœuvre. La doctrine
d’emploi de ce module est de se placer un peu plus en avant dans la chaîne d’évacuation
pour raccourcir le délai avant le premier geste chirurgical et de n’opérer que les blessés
instables, à condition qu’ils puissent être évacués immédiatement après ce geste. Son
déploiement n’est utile que si les gestes chirurgicaux sont réalisés moins d’une heure
après la blessure. En conséquence l’évacuation médicale des patients vers le module
doit être réalisée au mieux par hélicoptère médicalisé et le positionnement tactique du
module doit être très avancé. Le MCV est en mesure de traiter chirurgicalement trois ou quatre blessés
hémorragiques au maximum avec des contraintes de poids et de volume importante :
quatre mètres cubes et moins d’une tonne. Ces contraintes s’expliquent par la nécessité
d’une empreinte logistique minimale pour pouvoir être employé au sein des forces
spéciales. Ce contexte d’emploi spécifique justifie sa capacité à être aéro-largué à la
mer ou à terre, ainsi que la possibilité d’être déployé dans un avion de transport
tactique. Pour les mêmes raisons, le personnel est réduit au minimum : un chirurgien,
un médecin anesthésiste-réanimateur, un infirmier de bloc opératoire et un infirmier
anesthésiste. Le personnel est un personnel médical hautement qualifié, apte à la
pratique de gestes chirurgicaux de sauvetage avec des moyens limités, dans un
environnement rustique. Il doit posséder en outre les qualités mentales et physiques
nécessaires à un environnement d’emploi spécifique. Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Son lot technique (dit lot de chirurgie vitale (LCV)) regroupe essentiellement une
tente gonflable, des équipements de réanimation et d’anesthésie, une aspiration
chirurgicale, cinq boites d’instruments chirurgicaux. Certains matériels ont été
sélectionnés ou élaborés spécifiquement pour le LCV comme les scialytiques, ou la
table opératoire. Le lot est conditionné dans huit caisses étanches et munies d’une valve
de dépression. Le montage de la tente et le déploiement du matériel demandent moins
de trente minutes. Le MCV peut être déployé à terre avec sa tente ou dans une pièce
présentant une surface d’au moins 24 m2, sur des frégates légères furtives, sur des
frégates de surveillance, sur des frégates de lutte anti sous-marine, sur des bâtiments
de commandement et de ravitaillement ou dans la soute d’un avion de transport tactique
[103]. Cette structure a une capacité de traitement limitée et surtout n’a aucune possibilité
ni d’hospitalisation ni de stérilisation. Son utilisation n’est que ponctuelle. Le MCV
impose qu’une évacuation immédiate du blessé soit possible après le geste chirurgical,
vers une unité médicale opérationnelle déployée comportant la possibilité d’admettre
les patients en unité de soins intensifs et permettant des reprises chirurgicales ou vers
un HIA ou un hôpital d’infrastructure. Il ne peut en aucun cas se substituer aux missions
des antennes chirurgicales [102]. 4.3.4. Le soutien psychologique
La mission en Afghanistan est complexe et éprouvante psychologiquement.
L’équilibre psychique du combattant est une donnée opérationnelle essentielle
aujourd’hui, prise en compte comme telle au sein des armées de l’OTAN, avec
cependant des modalités propres à la culture de chaque État mais également aux
moyens mis en œuvre pour cela. En France, les armées se sont adjoint le concours de
nouveaux acteurs pour tenter d’aider les soldats à faire face aux contraintes auxquelles
les soumettent les situations opérationnelles. Des militaires sont désormais
spécialement formés afin de pouvoir conseiller le commandement dans sa gestion du
« facteur humain » et mener des actions jugées nécessaires à une optimisation du
potentiel du combattant. Ainsi, un « officier psychologue », interlocuteur direct du
commandement du dispositif français, est aujourd’hui présent sur le théâtre afghan
ainsi que des conseillers « environnement humain » au niveau régimentaire et des
« référents sections » dans les unités élémentaires. Un psychiatre du SSA est actuellement en Afghanistan. Rattaché à l’HMC KAIA,
il y effectue des consultations adressées par les médecins d’unité ou sur place dans les
unités. La mobilité du psychiatre est essentielle à sa mission auprès des combattants.
Elle doit être absolument garantie par le commandement de la force. Cette mission
comprend un aspect médico-technique et de conseil auprès des médecins d’unité ainsi
qu’un aspect médico-psychologique de diagnostic, de soin et d’expertise pour les
militaires qui présentent des troubles psychiques. Elle s’inscrit sans ambiguïté en
198
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
cohérence avec le dispositif santé opérationnel [104]. Les militaires français déployés en Afghanistan bénéficient d’une phase de
décompression avant de revenir en métropole. Cette période leur permet de se détendre
et de se déconnecter de l’ambiance opérationnelle. Ils se réadaptent au milieu civil et
commencent à évacuer le stress de la mission. Ils passent trois jours dans un hôtel très
confortable situé au sud ouest de Paphos, sur le littoral sud de Chypre. Des séances
individuelles ou collectives de debriefing sont organisées ainsi que des réunions
d’information sur le retour d’OPEX, des séances de Techniques d’optimisation du
potentiel (TOP) et des activités sportives. Le dispositif est doté d’un infirmier
expérimenté, intégré à l’encadrement. Son rôle prioritaire est d’assurer la continuité
des soins et des traitements initiés pendant la mission. Il reste à l’écoute, et peut ainsi
dépister et repérer les militaires en souffrance psychologique et alerter leur médecin
d’unité. 5. Conclusion
Le triage répond à la définition d’adapter ses ressources à la sauvegarde du plus
grand nombre. L’évolution des conflits vers des effets plus destructeurs dans des zones
de combat moins prévisibles a fait évoluer les techniques et le matériel à la disposition
du trieur. Sur le terrain, la médicalisation de l’avant a été repensée, l’évacuation
restructurée. Une nouvelle structure hospitalière a été déployée, enrichie de praticiens
hospitaliers spécialisés. Sur le plan chirurgical, le damage control qui initialement était
une solution de dernière chance après échec des techniques chirurgicales classiques,
est maintenant une décision pré opératoire ou per opératoire précoce.
Le maître-mot du triage doit rester l’anticipation et la prévention. Anticiper c’est
s’organiser, établir des plans, des protocoles, des arbres décisionnels. L’anticipation
passe par la formation afin que tous parlent un même langage, technique ou linguistique
pour permettre une meilleure circulation de l’information. Elle implique également la
connaissance des différents plans et la répétition des gestes afin que chacun connaisse
son poste et son rôle en situation critique. Une nouvelle classification adaptée au
contexte international, et applicable à tous les niveaux de la chaîne santé doit être
connue de tous. La prévention passe par la mise en adéquation des moyens avec les
problèmes prévisibles. La confrontation du Service de santé des armées à ces nouveaux conflits a permis
la mise en place de nouvelles méthodes thérapeutiques et d’améliorer les aspects
logistiques concernant le déploiement des moyens de santé. Ces améliorations sont à
poursuivre dans la formation des personnels et dans le suivi épidémiologique des
blessés de guerre. La mise en place d’un registre français similaire au Joint Theater
Trauma Registry américain, permettrait une étude précise du profil plus spécifique des
blessés français.
Trier c’est choisir dans l’intérêt du plus grand nombre. Le triage chirurgical c’est
penser à l’impensable. Nul ne peut prédire quand, ni comment, ni combien mais
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
l’importance de la tâche impose d’y réfléchir, de s’y entraîner et d’établir des plans
qui seront respectés par tous les intervenants.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Christian Bredin,
Christophe Cazeres, Gaël Cinquetti, Jean-François Gonzalez, Marie-Pauline Massoure,
Charlotte de Serre de Saint Roman.
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Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
ANNEXES
ANNEXE 1. Catégorisation et modalités de prise en charge des blessés
selon la SAN 101.
PERTES CLASSIQUES Catégorisation
Répartition
Extrèmes
urgences
délais opératoires
5%
Destination
Les plus brefs
possibles
Formations chirugicales de
l’avant et de proximité
30 %
1re Urgence
25 %
Avant 6 heures
Hôpitaux de campagne
2e Urgence
30 %
Avant 18 heures
Hôpitaux d’infrastructure
ou de campagne (selon
éloignement du théâtre)
3e Urgence
40 %
Avant 36 heures
Hôpitaux d’infrastructure
70 %
PERTES MASSIVES
Catégorisation
Répartition
Délais prè-opératoires
Priorité 0
20 à 25 %
Sans objet
Priorité 4
25 à 30 %
Sans objet
Priorité 1
10 %
6 heures
Priorité 2
30%
Avant 18 heures
Priorité 3
15 %
24 heures et plus
Destination
Hôpitaux de campagne (dès
que possible)
Formations chirurgicales de
l’avant et de proximité
Hôpitaux de campagne ou
d’infrastructure
ANNEXE 2. Différentes classifications de triage selon les organisations sanitaires.
Armée française
Pertes classiques
Armées française
Pertes massives
OTAN
HANDBOOK (US)
Armée britanique
DMCC
HANDBOOK
P1, T1
Immediate
Croix Rouge
Extrèmes urgences
P1
(EU)
Immediate
1re Urgences
(U1)
P1
Urgent
P2, T2,
Urgent
2e Urgences
(U2)
P2
Delayed
P3, T3,
Delayed
CAT III
3e Urgences
(U3)
P3
?
CAT IV
Éclopés
P0
Walking
wounded
Urgences
dépassées
P4
Expectant
T4
CAT II
CAT I
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
207
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
ANNEXE 3. Localisations des blessures survenues lors de faits de guerre
ou d’opérations en Afghanistan et sur les autres territoires d’OPEX, SEA
du 1er janvier 2004 au 31 juillet 2010.
Afghanistan
208
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
Autres OPEX
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
ANNEXE 4. Fiche médicale de l’avant.
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
209
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
210
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
ANNEXE 5. Nouvelle catégorisation pour la relève et le triage des
blessés de guerre (55).
Définition
Ancenne
catégorisation
Terme
anglo-saxon
T1
Mise en jeu du pronostic vital si un
traitement chirurgical ou réanimation
n’est pas entrpris le plus vite
possible
T2
tyraitemant chirurgical urgent mais qui
Urgences relatives
peut être différé sans mettre en jeu le
(U2 et certains U3)
pronostic vital
Delayed
T3
Patients nécessitant un geste
chirurgical sans urgence ou ne
nécessitant pas de geste chirurgical
Minimal
T4
Patients trop graement blessés qui necessiteraient un traitement lourd et
Urgences dépassées
long avec une chance très limité de
(P4)
survie
Urgences absolues
(EU et U1)
Blessés légers
(certains U3)
Éclopés
Immediates
(Urgent)
Expectant
Chaire de chirurgie appliquée aux armées – Chirurgie viscérale et générale
211
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
212
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire de chirurgie
spéciale appliquée
aux armées
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
213
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
214
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chirurgie reconstructrice et thérapie
cellulaire
Éric Bey
1. Introduction
Chirurgie reconstructrice et thérapie cellulaire… voilà une question importante
qu’il faut voir comme un véritable trait d’union entre le passé et l’avenir.
La chirurgie reconstructrice se définit par la restauration tissulaire. Cette
restauration peut intéresser un ou plusieurs tissus mais elle doit surtout assurer un
avenir fonctionnel, et de plus en plus de nos jours, répondre également à des critères
esthétiques. Il s’agit donc d’un véritable challenge : répondre à la fois à des exigences
fonctionnelles mais aussi esthétiques.
À côté de cette réparation tissulaire chirurgicale conventionnelle, se dresse de nos
jours la thérapie cellulaire. Il faut comprendre par thérapie cellulaire, non pas la
réparation cellulaire mais l’utilisation de la cellule pour réparer le tissu. En effet, la
cellule est l’unité élémentaire du tissu et c’est l’utilisation de cellules vivantes qui
permet d’aider à la régénération tissulaire. Il faut aussi comprendre la thérapie cellulaire
comme l’utilisation de la cellule médicament, de la cellule adjuvante pour régler des
dysfonctionnements cellulaires et s’opposer ainsi à des processus dégénératifs, qu’ils
soient d’origine traumatique ou tumorale.
« Chirurgie reconstructrice et thérapie cellulaire » est un sujet d’actualité, comme
l’illustrent les 250 millions de dollars investis par les États-Unis sur 5 ans au profit de
l’Armed Force Institute of Regenerative Medicine (AFIRM). Cette politique
d’investissement des États-Unis fait suite aux 900 amputés des conflits armés menés
en Irak et en Afghanistan. En effet, selon les mêmes chiffres américains, ces derniers
conflits modernes ont entraîné plus de 32 000 blessés dont 80 % traumatisés des
membres, 30 % blessés de la face et du cou et 6 % brûlés très graves. De même, en pratique civile, nous sommes quotidiennement impliqués dans la
prise en charge des brûlures graves, essentiellement de deux types : les brûlures
thermiques au premier plan, mais aussi les brûlures par irradiation, présentant plusieurs
particularités sur lesquelles nous reviendrons.
Au-delà de l’actualité, notre propos démontrera comment la thérapie cellulaire est
devenue, en ce début de XXIe siècle, une aide précieuse et incontournable à la chirurgie
reconstructrice moderne.
2. La chirurgie reconstructrice : passé et présent
L’histoire de la chirurgie reconstructrice est pratiquement millénaire. Elle a été
marquée par de très grandes avancées et bien souvent ces progrès réalisés par à-coups
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
215
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
ont été malheureusement et paradoxalement ralentis par des oublis spectaculaires.
Il faut rappeler que le premier ouvrage d’anatomie remonte à 1543 : « De humani
corporis fabrica » d’André Vésale. Au cours de ce même siècle, époque de la
renaissance, Ambroise Paré édictait les principes de la chirurgie (1579). À cette même époque, Gaspare Tagliacozzi, chirurgien italien (1599), par ses
travaux, est considéré comme le père fondateur de la chirurgie plastique. Les
chirurgiens étaient alors considérés comme des barbiers et à ce titre, ne profitaient
d’aucun respect de leurs pères. C’est la raison pour laquelle Gaspare Tagliacozzi, du
fait de ses travaux de dissection, a été excommunié par l’Église. Il reste cependant
célèbre pour sa technique de reconstruction du nez, dite « à l’italienne », utilisant un
lambeau prélevé au niveau du bras. Il faudra ensuite attendre deux siècles pour que l’on reparle de la rhinopoïèse avec
Joseph Carpue qui publie dans un rapport, la reconstruction du nez par lambeau frontal.
Il semble que cette technique ait été décrite au VIe ou VIIe siècle avant Jésus-Christ en
Inde, d’où son appellation de « rhinopoïèse selon la technique indienne ».
L’expression « chirurgie plastique » n’apparaît qu’en 1838 dans un ouvrage écrit
par Carl Zeiss. Mais il faut attendre le XIXe siècle pour que soient posés les
fondamentaux de la chirurgie moderne. Retenons quelques dates : la première
anesthésie générale par inhalation d’éther, a été pratiquée par le chirurgien John Collins
Waren à Boston en 1846 ; à la même époque, les travaux de Louis Pasteur (1822-1895)
soulignent l’importance des infections microbiennes ; Joseph Lister en 1912 traitera
de l’importance de l’asepsie chirurgicale ; enfin, Alexis Carrel en 1902 se pose en père
incontestable de la chirurgie vasculaire, rôle pour lequel il recevra le prix Nobel en
1912. L’utilisation du microscope opératoire apparaîtra quelques années plus tard en
1921 avec Carl Nylen.
Parallèlement à ces découvertes médicales et chirurgicales majeures, les grandes
avancées de la chirurgie reconstructrice se calquent sur les principaux conflits armés
du XXe siècle.
En effet, la Première Guerre mondiale, avec son lot particulier de blessés de la
face, « les gueules cassées », correspond absolument avec la naissance de la chirurgie
maxillo-faciale. Ces blessés de la face sont alors si nombreux, que sont créés en hâte
des hôpitaux spécialisés pour les recevoir. Pour ceux qui reviennent du front, les lésions
n’engagent pas le pronostic vital mais ces blessés présentent des lésions très
impressionnantes sur le plan fonctionnel et esthétique, avec des défigurations majeures. Nous ne retiendrons de cette époque que deux noms : Hippolyte Morestin et
Harold Gillies. Morestin, chirurgien des Hôpitaux de Paris, dirigea le « Service des
Gueules Cassées » de l’Hôpital du Val-de-Grâce. Les principes du traitement des
blessés de la face décrits par Morestin durant le premier conflit mondial restent encore
de nos jours d’actualité. Dans le même temps, Gillies décrivit les lambeaux migrateurs
pour la réparation des pertes de substance de la face. Si Gillies vint à Paris pour profiter
de l’enseignement de Morestin, une compétition entre les deux hommes fut inévitable,
216
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
et abrégée par le décès de Morestin en 1919, victime de l’épidémie de grippe espagnole.
On attribue cependant encore la description des tubes migrateurs à Gillies en 1916. Ainsi, au début des années 1920, les connaissances anatomiques et techniques
étaient suffisantes pour concevoir et pratiquer la chirurgie plastique d’aujourd’hui.
La Seconde Guerre mondiale est un tout autre conflit. La bataille des airs entraîne
un lot très important de blessés brûlés en particulier au niveau de la face et l’on doit à
Archibald Mac Indoe, et à sa détermination sans faille la prise en charge des blessés
de la Royal Air Force. Les travaux d’Archibald MacIndoe concernant les greffes de
peau restent la référence, à l’instar de ceux de George Paget (1932) et Karl Braun
(1937) concernant les utilisations d’allogreffes cutanées. En 1941, la première banque
de peau est créée aux États-Unis.
Si les bases fondamentales de la chirurgie moderne sont mises en place dès le
début du XXe siècle, les circonstances exceptionnelles des conflits mondiaux ont
entraîné inévitablement des réponses exceptionnelles avec des progrès considérables
dans le domaine de la chirurgie reconstructrice. Ces progrès considérables sont
cependant marqués par des oublis spectaculaires.
En effet, le lambeau inguinal décrit en 1863 par John Wood a été complètement
oublié durant un siècle pour être redécouvert en 1973. Ce lambeau est encore
actuellement utilisé couramment dans la couverture des mains comme l’avait décrit
son auteur. De même, les travaux d’anatomie des territoires vasculaires cutanés décrits
par Carl Manchot et Michel Salmon en 1889 et 1930, ont été eux aussi redécouverts
dans les années 70 avec la description de lambeaux cutanés des différents territoires
anatomiques. Enfin, le lambeau musculo-cutané de Latissimus dorsi décrit en 1892
par Igno Tansini sera, lui aussi, oublié pendant près d’une centaine d’années pour être
redécouvert en 1976. Ce lambeau de grand dorsal reste encore actuellement le lambeau
le plus utilisé et le plus universel de la chirurgie reconstructrice.
Ce survol de la chirurgie reconstructrice ne peut omettre la transplantation, en
distinguant d’emblée l’auto-transplantation ou replantation, de l’allo-transplantation.
On parle d’allo-transplantation lorsqu’on transplante un organe ou des tissus d’un
donneur à un receveur, transplantation alors opérée entre deux individus différents de
la même espèce. L’auto-transplantation ou plus exactement la replantation est la
transplantation le plus souvent d’un membre ou d’un segment de membre ou tout
simplement d’un lambeau, le donneur étant son propre receveur.
Toutes les étapes de cette transplantation au sens large (allo- et autotransplantation) s’inscrivent de manière dynamique sur plus d’un demi-siècle et sont,
ne l’oublions pas, le prolongement des travaux inauguraux d’Alexis Carrel en 1902.
Comme nous l’avons déjà signalé, la première allogreffe de peau a été réalisée en
1932 par George Paget puis Karl Braun en 1937 ; la première banque de peau a vu le
jour en 1941 aux États-Unis. La première allo-transplantation d’organes remonte à la
transplantation du rein par Joseph Murray aux États-Unis en 1954, suivie en 1963 par
une transplantation hépatique par Thomas Starzl aux États-Unis et enfin en 1967, la
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
transplantation cardiaque par Christiaan Barnard en Afrique du Sud. Parallèlement, la
première replantation de membre supérieur date de 1962 et la première replantation
de main par Chen de 1964. Ces travaux d’auto- et allo-transplantation sont
concomitants. Ils auraient été impossibles sans les progrès de la chirurgie vasculaire
et notamment des techniques de microchirurgie. Ces dernières sont à l’origine, dans
les années 70, de l’essor des lambeaux libres. Il s’agit d’auto-transplantations
d’éléments tissulaires ou pluritissulaires prélevés chez le patient lui-même et replantés
au niveau de la région à reconstruire, avec anastomoses vasculaires et parfois nerveuses
microchirurgicales.
Si l’auto-transplantation ne présente en fait que peu de problèmes limités aux
incidents techniques vasculaires, l’allo-transplantation ne peut se suffire à elle-même
et doit être entourée de traitements adjuvants immunosuppresseurs. Ces traitements
ne sont apparus qu’en 1978 avec la ciclosporine, puis en 1989 le tacrolimus. Depuis
1997, ces traitements immunosuppresseurs consistent en une trithérapie
immunosuppressive associée à une corticothérapie. C’est ainsi que la survie
fonctionnelle des allogreffes de rein à un an est passée de 50 % en 1960 à plus de 90 %
en 2007. On dénombrait, en 2004, plus de 3 950 greffes d’organes en France.
Ainsi, si de nombreux écueils semblent avoir été écartés en allo-transplantation
grâce à l’association de traitements médicaux, dans le cas de la replantation, les
résultats fonctionnels dépendent d’un grand nombre de facteurs qui vont déterminer
les indications et la sélection des patients. Si les progrès techniques permettent de
réaliser, a priori, toute replantation, les indications doivent être sérieusement étudiées
afin de prévenir les mauvais résultats fonctionnels.
En effet, toute replantation de membre sous-entend l’excellente qualité du membre
amputé notamment au niveau du fragment d’amputation avec des sections franches.
La durée d’ischémie avant la revascularisation est également fondamentale, de même
que les conditions de conservation du membre avant sa replantation. L’âge du patient,
ses antécédents, son engagement actif dans la période de rééducation fonctionnelle
post-opératoire sont primordiaux. Si ces replantations peuvent intéresser n’importe
quelle partie du corps, la première réimplantation décrite par Miller en 1976 concernait
le scalp.
La démonstration est donc faite qu’à la fin du XXe siècle l’allo-transplantation
d’organes ne présente plus de contraintes insurmontables. De même, en autotransplantation, la chirurgie reconstructrice bénéficie de la microchirurgie pour parfaire
les résultats fonctionnels et esthétiques. Il n’y avait en fait qu’un pas à franchir pour
concilier les progrès de l’allo- et de l’auto-transplantation et réaliser les Allotransplantations de tissus composite (ATC) en chirurgie reconstructrice. La première tentative d’allo-transplantation de main a été réalisée en 1963 avec
un échec à trois semaines. En 1989, Guimberteau décrivait la première allotransplantation d’un appareil fléchisseur digital complet. Puis les années 1990 ont
connu l’essor des allogreffes osseuses. Il faut retenir de ces interventions que les échecs
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
n’étaient pas uniquement dus à la spécificité technique microchirurgicale, mais que la
qualité des résultats fonctionnels s’améliorait essentiellement sous l’influence du
traitement immunosuppresseur adjuvant. C’est ainsi qu’on découvrait l’effet favorable
du tacrolimus, lors des allogreffes nerveuses pratiquées par Susan Mac Kinnon dans
les années 90. La première allo-transplantation de larynx a été réalisée en 1998 par
Marshall Strome aux États-Unis. Depuis 1999, on dénombre plus de dix ATC de paroi
abdominale. L’essor de cette allo-transplantation est dû directement à leur médiatisation
avec les allo-transplantations de main et plus récemment de face. La première allotransplantation de main est le fruit du travail du Professeur Jean-Michel Dubernard en
septembre 1998, à l’origine également de la première reconstruction bilatérale de main
en 2009. On compte actuellement plus de 40 allo-transplantations de main ou de doigt.
Le suivi à distance est très encourageant, notant très peu de complications et surtout
des résultats fonctionnels comparables voire même supérieurs à ceux des replantations,
en dépit des contraintes de l’indispensable immunosuppression. L’amputation bilatérale
chez les jeunes patients en reste à ce jour la meilleure indication.
Enfin, on doit en 2005 au Professeur Bernard Devauchelle, la première allotransplantation partielle de face après défiguration par morsure animale. La plus grande
expérience d’allo-transplantation partielle ou totale de face revient cependant au
Professeur Laurent Lantieri, depuis janvier 2007.
Les limites de la reconstruction semblent avoir été ainsi dépassées par les ATC,
en insistant sur l’importance d’un traitement médical adjuvant immunosuppresseur,
lourd et contraignant. Il est alors facile de faire un parallèle entre cette chirurgie
reconstructrice associée à des traitements immunosuppresseurs et la chirurgie
reconstructrice aidée par la thérapie cellulaire, cette dernière s’inscrivant de la même
façon comme adjuvant incontournable de la chirurgie réparatrice.
3. La thérapie cellulaire : histoire et principes
3.1. Définition de la thérapie cellulaire
La thérapie cellulaire doit être considérée comme une méthode thérapeutique. Elle
est fondée sur l’utilisation de cellules vivantes auto- puis allo-géniques, c’est-à-dire
provenant soit du patient lui-même, soit d’un autre patient.
Ces cellules vivantes sont utilisées pour régénérer un tissu et/ou sa fonctionnalité.
La méthode thérapeutique consiste donc à prélever, modifier ou amplifier les cellules
avant de les administrer.
Que faut-il comprendre par cellule vivante ? Il faut d’emblée parler de cellule
souche. Celle-ci possède des capacités d’auto-renouvellement, mais aussi et surtout
des capacités de différenciation. Cette capacité est un élément primordial puisqu’elle
permet la différenciation en tissus distincts, dépendants du milieu environnemental
dans lequel la cellule souche se trouve ou dans lequel elle est réinjectée. De plus, cette
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
cellule souche libère des exsudats : il a été démontré récemment que ces exsudats
possèdent des caractéristiques immuno-modulatrices, anti-inflammatoires,
antiseptiques et pro-angiogéniques. L’action des cellules souches, pouvant provenir
de différents tissus, se situe donc à deux niveaux : au niveau cellulaire globalement,
mais aussi au niveau de l’excretat cellulaire. Ces cellules peuvent donc être utilisées
soit sur le mode cellulaire, soit en tant que cellule médicament.
3.2. Objectifs de la thérapie cellulaire
La thérapie cellulaire a pour objectif de pallier à un déficit cellulaire, qu’il soit
d’ordre quantitatif ou qualitatif. Ces objectifs sont remplis par les deux caractéristiques
précitées de la cellule souche : la différenciation et l’effet trophique. La différenciation permet de reconstituer un stock cellulaire et donc d’assurer une
réparation cellulaire et tissulaire en apportant une cellule capable de se différencier et
d’orienter sa multiplication vers le tissu à régénérer.
L’effet trophique est directement lié à l’excretat de ces cellules qui présentent des
caractéristiques évidentes d’immuno-modulation permettant de contrôler les différents
mécanismes de réparation et donc de cicatrisation au sens large du terme. Cet effet
trophique est également amélioré par leur capacité anti-inflammatoire, antiseptique et
pro-angiogénique.
La thérapie cellulaire peut donc se situer à deux niveaux d’objectifs : rétablir un
contingent cellulaire natif avec des capacités de multiplication et de régénération
tissulaire d’une part, et des effets apocrines avec libération de facteurs de croissance
et de cicatrisation d’autre part.
3.3. Historique
Si l’on en revient à la définition que la thérapie cellulaire consiste à utiliser la
cellule, la première application de thérapie cellulaire dans l’histoire est clairement
définie par la transfusion sanguine. En effet, la transfusion sanguine, qu’elle soit de
type auto- ou allo-transfusion, répond bien à la définition et aux objectifs de la thérapie
cellulaire : répondre à un dysfonctionnement cellulaire tant sur un plan quantitatif que
qualitatif. La transfusion sanguine intéresse les différentes lignées hématopoïétiques,
ne remplissant cependant pas les caractéristiques de différenciation remarquées dans
la thérapie cellulaire proprement dite.
Par ailleurs, la première greffe de moelle osseuse a été réalisée en 1958, à l’Hôpital
Paul Brousse de Villejuif, par Georges Mathé et son équipe, dans les suites d’un
accident d’irradiation concernant cinq patients en aplasie médullaire, dont quatre ont
survécu.
Dans ces deux exemples – transfusion et irradiation – les lignées cellulaires
manquantes ou détruites sont remplacées par des lignées cellulaires de même type,
réalisant en fait des allogreffes cellulaires.
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LES ANNALES DE
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Les cellules souches mésenchymateuses ont été découvertes, quant à elles, en 1966
par A.J Friedenstein. Il s’agissait de cellules souches mésenchymateuses d’origine
hématopoïétique, prélevées dans la moelle osseuse. Les premières greffes de cellules
souches mésenchymateuses remontent à 2002.
3.4. Les différents types de cellules souches
Il faut d’emblée distinguer deux types de cellules souches : les cellules souches
totipotentes et les cellules souches multipotentes. Les cellules souches totipotentes sont des cellules souches embryonnaires dotées
d’une capacité de différentiation dans n’importe quel tissu. À l’opposé, les cellules souches multipotentes sont des cellules souches adultes
comme les Cellules souches mésenchymateuses (CSM).
La différence est donc la limite de différenciation de ces cellules souches adultes.
En France, l’utilisation des cellules souches embryonnaires totipotentes demeure
très controversée. Elles ne sont pas utilisées en clinique à la fois pour des raisons
éthiques mais également pour des raisons de tumorigénicité.
Les CSM sont des cellules adultes et comme toutes les cellules souches, elles
présentent deux caractéristiques importantes, leur différenciation et leur rôle trophique.
La différenciation des CSM permet d’obtenir différents types cellulaires : os, moelle,
cartilage, muscle, tendon et graisse. Leur rôle trophique est directement en rapport
avec leur effet anti-inflammatoire, immuno-modulateur, antiseptique et proangiogénique. Au-delà de leur potentiel réparateur ou substitutif d’une lignée cellulaire,
les CSM peuvent se comporter comme d’authentiques médicaments libérant des
facteurs de croissance. 3.5. Les différentes origines des cellules souches adultes
Les cellules souches adultes sont présentes dans tous les tissus. Cependant, les
principaux sites donneurs sont la peau, la moelle osseuse, la graisse et le muscle. Nous
utilisons préférentiellement les CSM d’origine hématopoïétique, purifiées et mises en
culture à partir d’un prélèvement médullaire, mais il est également facile de les cultiver
à partir de prélèvements de graisse.
3.6. Production d’un produit de thérapie cellulaire
Dans notre expérience, le Produit de thérapie cellulaire (PTC) est essentiellement
constitué de CSM d’origine hématopoïétique. Ces cellules souches proviennent
directement d’un prélèvement médullaire osseux réalisé au niveau de la crête iliaque.
Ce prélèvement est ensuite adressé à l’unité de thérapie cellulaire, les cellules souches
étant alors purifiées et mises en culture. Cette expansion des CSM est réalisée en salle
blanche, en univers clos, dans un milieu de grade clinique. Cette culture dure deux
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
semaines en moyenne, permettant d’obtenir un PTC directement injectable à une
concentration de 4.106 CSM/ml. Ce PTC est directement injecté soit localement in situ
dans les tissus malades, soit par voie systémique. Il existe un autre PTC couramment utilisé. Il s’agit de la Culture d’épiderme
autologue (CEA). À partir d’une biopsie cutanée, les cellules souches épidermiques
sont isolées. Elles sont cultivées et amplifiées afin de réaliser des feuillets de
kératinocytes. Ces feuillets sont obtenus après trois semaines de culture et utilisés dans
la couverture des grands brûlés pour réaliser une couverture épidermique lorsque les
sites donneurs de greffes cutanées sont totalement détruits, n’offrant alors aucune autre
alternative de traitement chirurgical. Ces CEA sont utilisées régulièrement dans les
centres spécialisés de traitement des grands brûlés. Il s’agit d’une technique
exceptionnelle, répondant à des indications très précises lorsqu’ aucune autre alternative
de réparation cutanée n’est utilisable.
4. Place de la thérapie cellulaire en chirurgie
reconstructrice
4.1. Liste des tissus candidats
Les CSM sont donc capables de se différencier et de reconstituer différents tissus.
De nombreux essais sont réalisés notamment dans le domaine du tissu musculaire tant
au niveau myocardique qu’au niveau des sphincters. De nombreuses études ont
également été menées pour la reconstruction cartilagineuse et tendineuse mais dans
bien des cas, il s’agit là d’essais cliniques en cours de réalisation et de validation.
Deux tissus cependant semblent bénéficier de ces recherches à un stade plus
avancé avec une utilisation en clinique humaine : il s’agit du tissu osseux et du tissu
cutané. Nous insisterons plus particulièrement sur le tissu cutané et exposerons notre
expérience et nos résultats dans le domaine de la brûlure thermique ou par irradiation.
4.2. La reconstruction osseuse
Les lésions des membres représentent plus de 75 % des blessés de guerre. Ces
lésions des membres sont complexes et leur physiopathologie est très riche compte
tenu qu’elles intéressent plusieurs tissus. En effet, ces lésions des membres intéressent,
au premier plan, les parties molles mais le plus souvent le squelette osseux sans oublier
les éléments nobles vasculo-nerveux. Les lésions importantes des parties molles,
constamment contaminées, font le lit de la surinfection, engageant alors le pronostic
vital. Par ailleurs, la complexité des lésions et surtout la difficulté de leur réparation
engagent ensuite le pronostic fonctionnel comme l’atteste le taux important
222
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
d’amputation dans ces lésions de guerre. Préserver l’avenir fonctionnel doit répondre
à des principes thérapeutiques bien codifiés. Les thérapeutiques conventionnelles
consistent donc à parer les plaies, à stabiliser les fractures, à rétablir la couverture. La
reconstruction des tissus mous environnementaux, est un préambule indispensable à
la reconstruction osseuse qui peut être réalisée dans le même temps, mais le plus
souvent secondairement. Cette reconstruction fait donc appel à un apport osseux spécifique, essentiellement
de type autologue. Cependant, les allogreffes osseuses gardent encore pour certains
des indications. Cette reconstruction osseuse est malheureusement dominée par les
risques de retard de consolidation, et surtout de pseudarthrose, cause majeure
d’amputation différée. Par ailleurs, l’ensemble de ces thérapeutiques conventionnelles sont très longues
à mettre en œuvre, entraînant un retentissement socio-professionnel majeur et une
désocialisation des patients. La reconstruction osseuse fait appel à plusieurs techniques :
– des techniques simples de type greffes osseuses avec les limites qu’on leur
connaît lorsque la perte de substance osseuse est très importante. Il s’agit de greffes
osseuses de type autologue : greffe cortico-spongieuse ou greffe spongieuse pure
comme l’a décrit Masquelet selon la technique dite de la membrane induite ;
– des reconstructions plus complexes pour des pertes de substance plus
importantes faisant appel à des lambeaux osseux libres revascularisés permettant
d’apporter alors un fragment osseux vivant, présentant une vascularisation propre.
À mi-chemin entre ces deux techniques, la distraction osseuse ou technique dite
« de l’ascenseur » permet de mobiliser un fragment osseux d’une extrémité à l’autre.
Cette migration osseuse entraîne dans son sillage, une reconstruction osseuse
spontanée. Ces différentes techniques se sont enrichies récemment d’un traitement adjuvant
à base de CSM humaines le plus souvent de type autologue, et de l’adjonction de
Plasma riche en plaquettes (PRP), puis plus récemment de Plasma riche en fibrine
(PRF). En effet, ces différents traitements adjuvants ont pour action d’être ostéoinducteurs par libération in situ de facteurs de croissance pro-ostéogéniques.
D’autres études ont été menées pour remplacer l’os par des biomatériaux servant
de trame, recolonisée secondairement par les cellules osseuses. Ces techniques ont été,
là aussi, combinées avec les injections de CSM. Malgré ces développements, il n’existe actuellement aucun consensus clair et
précis dans le domaine de la reconstruction osseuse. Si la plupart des équipes habituées
à ce type de chirurgie préconise encore les autogreffes osseuses ou les lambeaux libres
osseux revascularisés, un espoir réside dans les travaux d’Hernigou sur le traitement
de la pseudarthrose par réinjection d’un produit sanguin reconcentré ostéo-inducteur.
Ce protocole consiste à réaliser au bloc opératoire sous anesthésie générale, un
prélèvement médullaire qui est ensuite concentré au laboratoire, puis réinjecté dans le
Chaire de chirurgie spéciale appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
même temps au niveau du foyer de pseudarthrose par voie percutanée. Cette technique
est validée et reconnue pour le traitement des pseudarthroses. Elle reste en cours
d’évaluation pour le traitement préventif des pseudarthroses en cas de fracture ouverte.
4.3. La régénération cutanée
La brûlure est également une des spécificités de la chirurgie réparatrice en général,
et tout particulièrement de la chirurgie de guerre.
En matière de brûlure thermique, la gravité est conditionnée par deux critères
essentiels : la surface corporelle brûlée (SCB) et la profondeur. En effet, une brûlure
du 2e degré profond et/ou du 3e degré nécessitera systématiquement un traitement
chirurgical de couverture. Une brûlure très grave nécessitant une hospitalisation en
Centre de traitement des brûlés (CTB) se définit comme une brûlure profonde
intéressant une SCB supérieure à 60 %. D’autres critères de gravité viennent compléter
ces deux critères : il s’agit de toutes les lésions associées, polyfractures ou
polytraumatismes. L’ensemble de ces critères de gravité engage significativement le
pronostic vital du patient.
La prise en charge d’un tel blessé fait appel à une équipe multidisciplinaire dans
des centres très spécialisés. Le traitement princeps de la brûlure consiste sur le plan
chirurgical, à réaliser le parage des zones brûlées, l’excision de la peau brûlée et dans
le même temps, si possible, une couverture par greffe de peau autologue. La
problématique apparaît alors clairement, car les possibilités de couverture d’un brûlé
dépendent directement des zones cutanées saines restantes. La meilleure technique de
régénération cutanée est donc l’autogreffe cutanée avec de multiples techniques
d’amplification de cette greffe de peau, afin de faire face à l’inadéquation entre la
surface brûlée et les zones saines restantes accessibles au prélèvement. Dans les cas
extrêmes, nous sommes confrontés à une insuffisance de sites donneurs de peau et
recourons à des techniques sophistiquées, faisant appel à la CEA. Cette technique
décrite par Howard Green, consiste, à partir d’une biopsie cutanée, à isoler des cellules
souches épidermiques et à obtenir, après amplification et culture, des greffons de
kératinocytes. Il s’agit de feuillets d’épiderme, dont la manipulation est très délicate,
et qui nécessitent avant leur application sur le patient, de multiples traitements
chirurgicaux de préparation du patient. Le recours à cette technique reste exceptionnel.
Elle est réservée aux très grands brûlés lorsqu’il n’y a aucune autre technique utilisable
et pour des patients pouvant supporter de longues semaines de réanimation, avec le
risque d’une défaillance multiviscérale éventuelle. Parallèlement, de nombreux travaux de recherche ont été menés sur les substituts
dermiques permettant de recouvrir temporairement le patient et de reconstruire
simultanément la couche dermique. En effet, les CEA n’offrent qu’une seule couche
de kératinocytes, élément superficiel constituant de la peau avec une absence totale de
derme et des résultats fonctionnels très moyens. Il existe actuellement deux types de
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
substituts dermiques couramment utilisés : l’Intégra® et le Matriderm® qui permettent
de reconstituer le derme du patient mais sur lesquels nous échouons à appliquer de
manière courante et stable, les CEA. Dans un souci d’amélioration de l’efficacité de
ces dermes, des études ont été menées en cellularisant ces dermes au moyen de
fibroblastes ou de CSM, sans application en clinique humaine à ce jour.
Le postulat demeure cependant clairement établi, que l’amélioration de la
régénération cutanée passe par une reconstruction au laboratoire d’une peau totale,
c’est-à-dire constituée à la fois de derme et d’épiderme. En effet, cette constitution
bipartite de la peau est le seul moyen d’assurer une qualité de vie correcte.
Reconnaissons que cette prise en charge médico-chirurgicale très spécialisée des grands
brûlés a permis d’améliorer considérablement leur taux de survie. Il y a 20 ans, la
survie était exceptionnelle pour une surface corporelle brûlée supérieure à 50 % alors
qu’aujourd’hui, elle s’inscrit à plus de 50 % pour des SCB dépassant 80 %. Parallèlement à cette brûlure thermique, il existe un autre type de brûlure très
spécifique et intéressant tout particulièrement le domaine militaire, il s’agit de la
brûlure par irradiation suite à une exposition aux rayonnements ionisants. Si pour
l’instant, les derniers conflits n’ont pas souffert de l’utilisation de l’arme nucléaire, il
faut se souvenir de l’importance et de la relative fréquence des accidents par irradiation.
Dans le monde, ces accidents par irradiation sont essentiellement d’origine industrielle,
alors qu’a contrario, en France, les accidents de surexposition aux rayonnements
ionisants sont un modèle d’iatrogénie médicale. La brûlure radiologique a une
spécificité toute particulière qui l’oppose en tout point à la brûlure thermique.
L’importance de la lésion est directement liée à la dose absorbée. La brûlure
radiologique caractérise les effets déterministes de ces rayonnements ionisants. Il est,
par ailleurs, très difficile de connaître avec exactitude la dose absorbée en fonction des
circonstances de l’accident. On sait, cependant, que pour une dose absorbée supérieure
à 25 Gray (Gy), la nécrose des tissus mous est inéluctable. En règle, l’ostéoradionécrose
apparaît à partir de 40 Gy. Ainsi, l’évolution de cette brûlure radiologique est très
imprévisible. Lorsque la cicatrisation a pu être obtenue de façon spontanée, elle reste
très instable. Tout traumatisme, même minime, déséquilibre cette cicatrisation avec
une reprise évolutive et une nouvelle poussée inflammatoire parfois accompagnée de
lésions de nécrose. Cette évolution est, dans le temps, récurrente avec des poussées
inflammatoires pouvant survenir plusieurs années après l’exposition aux
rayonnements, et faisant le lit d’une éventuelle transformation néoplasique d’une telle
lésion. Ce risque néoplasique fait partie des risques stochastiques, c’est-à-dire ne
survenant pas systématiquement et pour lesquels il est impossible d’établir un pronostic
prédictif.
Le traitement de ces brûlures radiologiques, dit conventionnel, était jusqu’alors
bien codifié : il s’agissait de réaliser un parage des zones nécrotiques. Mais assimilé à
un traumatisme, ce geste chirurgical – nécessaire – entraîne une réactivation des
phénomènes inflammatoires délétères avec un effet adverse et à terme une extension
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
lésionnelle inexorable. Ainsi, dans les cas d’irradiation grave, avec forte dose absorbée,
le patient échappe au traitement mis en œuvre, entraînant malheureusement dans bien
des cas l’amputation ou la désarticulation du membre atteint. Depuis 2005, une nouvelle approche thérapeutique a été mise en œuvre combinant
la chirurgie à la thérapie cellulaire. Sur le plan chirurgical, l’exérèse des tissus irradiés
est menée lorsque cela est possible très précocement par rapport à l’accident sous
couvert d’une reconstruction dosimétrique permettant d’apprécier l’étendue de
l’irradiation localisée et de guider ainsi cette exérèse. Dans le même temps, une
reconstruction des tissus mous est réalisée le plus souvent par un lambeau cutané ou
musculo-cutané. Ce geste chirurgical est alors combiné à des injections in situ de CSM.
Nous préconisons actuellement 4 à 6 injections de CSM d’origine hématopoïétique et
autologue. Nous avons pu constater, dans notre expérience, le rôle anti-inflammatoire évident
de ces CSM, à deux niveaux. En premier lieu, la douleur disparaît après injection de
ces CSM puis la courbe de la protéine C réactive décroît parallèlement aux
administrations de CSM. Le rôle des CSM dans cette indication est essentiellement
trophique, grâce à la libération de facteurs de croissance. Nous avons actuellement la
plus grande série mondiale de patients avec brûlure radiologique, traités par ce principe,
combinant chirurgie et thérapie cellulaire, avec des reculs de plus de sept ans et de très
bons résultats. Notre expertise et notre savoir-faire sont internationalement reconnus.
L’Hôpital d’instruction des armées Percy (Clamart) est actuellement le Centre de
référence du blessé radiologique, reconnu par les instances civiles nationales, Agence
de sûreté nucléaire (ASN) et Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Les avancées sont donc très encourageantes dans le domaine de la thérapie
cellulaire. Il faut insister sur le caractère adjuvant de cette thérapie cellulaire, traitement
combiné à la chirurgie, que ce soit dans le domaine de la reconstruction osseuse, de la
régénération cutanée ou de la prise en charge du blessé radiologique. Concernant la
brûlure thermique, la CEA, découverte en 1975, n’a été commercialisée qu’en 1986.
Le problème persistant encore actuellement est la résistance mécanique de cette peau
reconstruite, compte tenu de l’absence de jonction dermo-épidermique engendrant une
instabilité cicatricielle à long terme. Dans le domaine de la brûlure radiologique, les
résultats cliniques sont prometteurs. Il s’agit encore d’un principe thérapeutique mis
en œuvre uniquement sur un mode compassionnel, après accord de l’ANSM.
Actuellement, nous menons une étude expérimentale sur le gros animal.
5. Limites techniques et obligations réglementaires
5.1 Limites techniques à l’utilisation de la thérapie cellulaire
La mise en œuvre d’une thérapie cellulaire comporte différentes étapes.
Tout d’abord, la production d’un PTC nécessite un prélèvement pour recueillir
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
ces cellules souches. Ce prélèvement peut être réalisé sous anesthésie générale,
comporter des risques, liés soit à l’anesthésie, soit au prélèvement lui-même avec des
complications secondaires infectieuses. Par ailleurs, certains patients peuvent présenter
des contre-indications majeures pour ces prélèvements ou pour une anesthésie générale. Secondairement, le traitement de ce prélèvement impose des manipulations d’une
rigueur extrême, au sein d’une unité de thérapie cellulaire, sous couvert d’une salle
blanche avec toutes les exigences et obligations réglementaires qui en découlent.
Enfin, le délai d’amplification peut poser secondairement un problème de
disponibilité immédiate et finalement ne pas être utilisable ou tout du moins, ne pas
être adapté à une situation de crise en cas d’afflux massif. La question de la constitution
de banques cellulaires ou tissulaires avec la contrainte d’utilisation des allogreffes est
donc légitime.
À côté de ces limites techniques de production et de disponibilité, apparaissent
d’autres interrogations qui sont autant liées à l’amélioration du PTC (exemple de la
CEA), qu’aux problèmes de posologie, quantité et nombre d’administrations (exemple
des injections de CSM en traitement adjuvant des brûlures radiologiques). Par ailleurs, il persiste des incertitudes à court et moyen termes concernant le
devenir de ces cellules, leur risque de tumorigénicité et leur contre-indications
d’utilisation en cas d’anomalies caryotypiques constatées après amplification.
C’est pour ces raisons que de nouvelles voies de recherche s’orientent vers
l’utilisation exclusive de l’excretat de ces cellules, privilégiant ainsi leur rôle trophique.
Enfin, la thérapie cellulaire se heurte à des obstacles éthiques, imposant les
principes de précaution tant à l’égard du patient qu’à l’égard des PTC. Ainsi, pendant
une période, l’utilisation des CSM adultes était prohibée ; et la France s’oppose encore
à l’utilisation en clinique des cellules souches d’origine embryonnaire. 5.2. Obligations réglementaires
Ces obligations réglementaires s’inscrivent parfaitement dans le principe de
protection du patient. Elles intéressent toutes les chaînes du procédé de production et
d’utilisation du PTC.
En termes de prélèvement, le don et la distribution sont régis par une
réglementation reposant sur le décret n°2006-477 du 26 avril 2006.
La fabrication du PTC doit répondre aux bonnes pratiques de fabrication selon les
directives 2003/94/EC.
Son utilisation est soumise à des essais cliniques, conformément aux bonnes
pratiques cliniques inscrites dans les directives 2001/20/EC et 2005/28/EC. Elle obéit
à des critères libératoires. L’utilisation des CSM en cas de brûlure radiologique est
soumise à un accord auprès de l’AFSSaPS, enregistré sur le mode compassionnel,
engageant la responsabilité des prescripteurs qui devront antérieurement avoir produit
la preuve de l’insuffisance et de l’échec des traitements conventionnels dans le cadre
de ces lésions graves d’irradiation aiguë localisée.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Enfin, plus en aval, se pose la question de l’Autorisation de mise sur le marché
(AMM) et la validation des PTC. Cette AMM obéit à des directives non encore très
clairement établies tant au niveau national qu’européen, et toujours soumises à des
interrogations empêchant pour l’heure, la publication des directives d’utilisation des PTC.
6. Perspectives d’avenir et conclusion
Ces dernières années, la thérapie cellulaire a connu un engouement manifeste. En
guise de témoin, l’expression « cellules souches mésenchymateuses » apparaît
désormais dans le langage courant.
De nombreux progrès restent cependant à réaliser en termes de production et
d’utilisation des produits de thérapie cellulaire, tant sur le plan technique que
réglementaire.
En effet, la cellule peut être considérée à la fois comme l’élément de base du tissu
mais aussi comme une cellule médicament libérant des principes actifs. La thérapie
cellulaire s’inscrit donc à juste titre comme une médecine régénérative. Elle peut être
utilisée de manière isolée, étant l’unique modalité existante de reconstruction
tissulaire ; mais peut aussi être considérée comme un traitement adjuvant améliorant
les techniques chirurgicales classiques.
L’expérience de mon équipe nous fait plaider cette deuxième option. En effet, dans
le cadre de la brûlure radiologique, tout se passe comme si la chirurgie apportait la
pierre angulaire de la reconstruction et la thérapie cellulaire son ciment.
Il s’agit, en tout cas, pour l’avenir d’un magnifique champ de recherche avec des
perspectives thérapeutiques très encourageantes. L’innovation naît de ce partenariat
entre la recherche et la clinique. Chercheurs et cliniciens doivent donc travailler
ensemble pour mieux connaître les contraintes des uns et des autres, et œuvrer dans le
même sens pour répondre à des objectifs thérapeutiques clairement établis.
L’histoire nous a prouvé à maintes reprises que le progrès a été malheureusement
la conséquence de situations exceptionnelles, ayant nécessité de mettre en œuvre ex
abrupto des traitements appropriés. Après tout, l’innovation en médecine ne passeraitelle pas par la recherche, la clinique et… la transgression ?
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Michel Brachet,
Christelle Doucet, Patrick Duhamel, Alexandre Duhoux, Sébastien Fossat, Marie Prat,
Cédric Thépenier.
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Chaire de médecine
appliquée aux armées
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Poumon en environnements extrêmes
Jacques Margery
1. Introduction
Savez-vous que la baleine bleue est capable de plonger pendant deux heures à une
profondeur de 900 mètres ? Savez-vous encore que de nombreux oiseaux peuvent
atteindre une altitude de 1 800 mètres et qu’un record du monde a même été décerné
à un rapace du massif himalayen pour un vol à une altitude maximale de 9 000 mètres ?
Si certaines espèces animales évoluent dans ces environnements extrêmes, l’homme
parfois s’y aventure également. C’est pourquoi notre conférence portera sur le thème
du « poumon en environnements extrêmes ».
2. Un peu de physiologie
Par poumon, nous entendons l’appareil formé par les voies de conduction aérienne,
les alvéoles, l’interstitium, la circulation pulmonaire et le compartiment pleural. Nous
définirons l’environnement comme un espace qui sera naturel quand une modification
de ses constantes de fonctionnement provoquera chez l’homme des réactions
physiologiques discrètes et considérées comme naturelles. L’environnement extrême
sera lui défini comme un espace inhabituel, dans lequel l’homme devra développer
des capacités adaptatives pour conserver une activité quasi normale, pour maintenir
son autonomie et au minimum pour survivre. En fonction du terrain de l’individu et
notamment d’éventuelles pathologies respiratoires, environnement normal et
environnement extrême vont parfois se recouvrir car la moindre modification
physiologique fera basculer l’individu dans le pathologique. L’environnement extrême
offre un espace bien corrélé aux capacités adaptatives du sujet, délimitant ainsi une
frontière extensible jusqu’aux limites d’une possible vie. Trois situations pourront être alors rencontrées. La première situation est celle
d’un sujet programmé pour une projection dans un environnement extrême. Parce que
le poumon est une toute petite masse cellulaire dans un grand volume, il constitue une
surface d’échanges considérable de plus de 200 m2 avec l’extérieur et offre ainsi des
réserves fonctionnelles considérables qui peuvent être mises à profit. Cette capacité
adaptative respiratoire n’est acquise qu’au prix d’un exercice physique régulier qui
vise à acquérir un conditionnement de bonne qualité. L’individu est alors souvent
préservé des accidents pathologiques, mais pas de manière absolue, car des affections
graves peuvent malgré tout être observées. La seconde situation est celle d’un sujet
qui quitte brutalement son environnement naturel. Cette transposition soudaine dans
des conditions extrêmes ne lui laisse alors pas le temps de s’adapter et il est susceptible
de développer des pathologies. Le troisième cas de figure est celui d’un sujet porteur
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d’un poumon préalablement pathologique, sans aucune tolérance, même au plus
minime changement d’environnement, qui voit alors sa pathologie respiratoire
s’aggraver. Principale interface avec l’environnement, le poumon est l’objet d’agressions
diverses variant selon le type, les conditions géographiques et temporelles de l’activité
de l’individu, variant selon qu’il existe ou non une acclimatation, des pathologies
préexistantes respiratoires ou interagissant avec d’autres organes. Ces agressions
peuvent parfois encore être de nature traumatique, thermique, toxique, en rapport avec
des accidents, des exactions terroristes ou des faits de guerre. Au plan physiologique, le poumon sert principalement aux échanges gazeux et sa
première fonction est de permettre à l’oxygène contenu dans l’air atmosphérique de
pénétrer dans le sang pulmonaire, et au gaz carbonique d’en sortir. Il faut donc d’abord
acheminer l’air dans les alvéoles. À chaque inspiration, environ 500 ml empruntent
les voies aériennes de conduction jusqu’à la région pulmonaire des échanges gazeux,
bordée par l’interface gaz – sang capillaire. Les gaz traversent alors les parois
alvéolaires et sont prélevés par les veines pulmonaires, la qualité de cet échange
témoignant du niveau d’adéquation entre la ventilation et la perfusion. Parce qu’il est
ouvert sur l’extérieur, le poumon voit son fonctionnement modulé par différentes
caractéristiques environnementales. Tout d’abord, la pression barométrique qui
diminue avec l’altitude et augmente d’une Atmosphère (Atm) par palier de plongée
subaquatique de 10 mètres, et dont les variations induisent des modifications de la
composition de l’air inspiré, mais aussi interfèrent sur les régimes pressionnels du
compartiment pleural. Nous bénéficions également d’un système respiratoire réglé sur
un mode quasi tropical, avec des voies aériennes toujours humidifiées et à une
température de 37°C ; cette autorégulation peut être menacée par les constantes
thermiques et hygrométriques environnementales. Enfin le poumon est également une
structure spongieuse, dont l’engorgement peut varier dans certaines circonstances,
l’exposant alors à l’impact de la gravité, et modulant aussi les rapports
ventilation/perfusion.
3. « Le grand bleu »
L’immersion en eaux profondes constitue pour l’homme un stress sévère, car il
s’agit d’un environnement hostile caractérisé par des constantes thermiques
relativement abaissées et surtout soumis à un excès de pression barométrique (1 Atm
par palier de 10 mètres). Ces paramètres environnementaux inhabituels pour l’humain
(plutôt terrestre) vont être susceptibles de modifier la qualité des échanges gazeux mais
aussi d’induire des variations de la vascularisation pulmonaire. Quand on s’intéresse
au plongeur, il est capital de bien distinguer le plongeur apnéiste du plongeur autonome.
L’apnéiste se limite à des immersions dans une seule dimension, enchainant plongées
et remontées verticales, sans grande capacité à l’échange avec le milieu extérieur ; son
compartiment pleural et sa vascularisation sont soumis à la règle de Boyle-Mariotte
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selon laquelle le produit de la pression par le volume est une constante. À l’inverse, le
plongeur autonome (parce qu’il est équipé de bouteilles), va être en interaction
prolongée avec l’environnement aquatique à l’occasion d’immersions de longue durée
qui permettent des évolutions dans les trois dimensions.
L’apnée expose à deux principaux phénomènes schématiquement en rapport avec
chacune des deux phases de la plongée. Au cours de la descente, le problème principal
est celui de l’accroissement de la pression barométrique sur la cage thoracique du
plongeur. Cette compression pulmonaire mécanique est susceptible de provoquer un
collapsus vasculaire et alvéolaire. Pour s’en protéger, le plongeur apnéiste devra
développer une capacité d’hyperinflation volontaire et ainsi pouvoir majorer le volume
sanguin intrathoracique. Par ailleurs, la pression barométrique augmentant, la pression
partielle de l’oxygène retenu en inspiration profonde sera potentiellement augmentée,
conduisant parfois à une hyperoxie pathologique, elle-même responsable de la
classique « ivresse des profondeurs ». À la remontée, les phénomènes observés lors
de la descente s’inversent : la restauration d’une pression barométrique tendant vers
la normale de manière parfois brutale est responsable d’une baisse de la pression
partielle en oxygène, potentiellement source de syncope au retour à la surface. Le
temps d’immersion étant souvent limité, le risque d’accumulation tissulaire du
monoxyde d’azote (NO) est très faible, expliquant ainsi la rareté des problèmes de
décompression chez l’apnéiste, sauf rythme intensif de plongée, fermement
déconseillé. Chez le plongeur autonome, les temps d’immersion sont longs et permettent
d’atteindre de grandes profondeurs. L’hyperoxie à la descente est une problématique
de premier plan, par sa fréquence et sa gravité potentielle. En effet, l’hyperoxie
détermine un stress oxydatif à tropisme neurologique dit « effet Paul Bert » avec des
manifestations allant de simples vertiges jusqu’à la comitialité, mais également à
tropisme respiratoire jusqu’à l’œdème pulmonaire potentiellement mortel (« effet
Lorrain Smith »). D’autres troubles de l’hématose à expression neurologique peuvent
être observés chez le plongeur autonome, souvent imputables à des contaminations
des mélanges gazeux inspirés, à type de carbonarcose par inhalation de monoxyde de
carbone (CO) ou d’intoxication au NO. La seconde problématique dominante de la
plongée autonome est d’ordre pressionnelle, en rapport avec la restauration brutale de
la pression barométrique accompagnant une remontée à la surface trop rapide. Les gaz
non expirés, retenus dans les alvéoles, vont être soudainement détendus, ce phénomène
exposant au risque d’une surpression voire d’une rupture alvéolaire, avec
pneumothorax, pneumodiastin, emphysème sous-cutané. Une seconde problématique,
toujours sous la dominante de la variation de la pression barométrique, est encore plus
grave : la maladie de décompression. Lors de la descente, tous les gaz inspirés, et en
particulier le NO, présentent une diminution de leur pression partielle respective, sous
l’effet d’une majoration de la pression barométrique ambiante. Le NO est alors
solubilisé dans les tissus, tout particulièrement dans les graisses. Lors de la remontée,
le phénomène s’inverse et on observe une libération des gaz jusqu’à présent prisonniers
des graisses, relargage pathologique dès lors que les capacités d’épuration
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physiologique du poumon sont dépassées, par exemple à l’occasion d’un retour à la
surface ne respectant pas les classiques paliers de décompression. Cet échappement
gazeux donne lieu à des phénomènes d’embolie gazeuse, avec constitution de bulles
elles-mêmes responsables de lésions tissulaires et de troubles de la coagulation par
altérations endothéliales. Cette pathologie de décompression présente un tropisme
assez caractéristique associant des lésions cutanées, des lésions ostéo-articulaires (à
type d’ostéonécrose aseptique des grosses articulations, et notamment de la hanche),
des manifestations cliniques neurologiques (confusion, vertige, céphalées) et une
atteinte respiratoire par œdème pulmonaire lésionnel qui conditionne le pronostic vital.
Si les manifestations mineures comme les bends et les arthralgies fugaces évoluent
favorablement de manière spontanée, une prise en charge spécifique est nécessaire
dans les formes graves avec atteinte respiratoire. L’objectif est alors de restaurer une
surpression alvéolaire supérieure à 3 kPa pour limiter les conséquences de la
pneumatose de décompression, au moyen d’un caisson hyperbare. Une dernière problématique, d’identification plus récente, fait l’objet de travaux
de recherche en secteur civil mais aussi dans de nombreuses armées : l’œdème
pulmonaire à la remontée. Il s’agit d’un œdème pulmonaire typiquement
cardiogénique, caractérisé par la survenue encore peu élucidée d’une dysfonction
cardiaque sur cœur sain. Cet accident est plutôt observé chez les sujets jeunes et sains,
qui semblent partager certains facteurs favorisants : un entrainement physique intensif,
des expositions en eaux froides, une ventilation en hyperpression, l’usage de mélanges
gazeux hyperoxiques. 4. « Sahara »
Le désert a toujours fasciné l’homme qui s’y aventure régulièrement, et davantage
ces dernières années à l’occasion de randonnées trans-sahariennes voire de marathons
des sables. Quelles sont les conséquences au plan respiratoire d’une exposition en zone
aride ? Les militaires disposent dans le contexte d’une expertise toute particulière,
acquise lors des déploiements répétés de fortes concentrations de combattants,
notamment dans la péninsule arabique. Plusieurs publications scientifiques émanant
du Service de santé américain évoquent l’existence de pathologies respiratoires
spécifiques au désert, comme par exemple la survenue inhabituelle en termes de
fréquence et de gravité de la pneumopathie aiguë à éosinophiles [1]. Si le tableau
clinique est assez classique, excepté que les sujets, tous fumeurs récents, sont
également constamment exposés au sable, ces observations militaires présentent une
gravité inhabituelle avec un taux de mortalité de l’ordre de 15 % alors qu’il s’agit d’une
pathologie réputée pour sa haute cortico-sensibilité, garantissant une guérison
systématique.
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5. « Mission banquise » (Jean-Louis Etienne)
L’immersion en milieu polaire est caractérisée par des expositions au grand froid,
dont on sait qu’elles sont susceptibles d’entrainer des modifications de la ventilation.
Ce constat est bien documenté depuis plusieurs études réalisées sur des effectifs de
scientifiques affectés aux missions arctiques. Une étude indienne a ainsi objectivé une
diminution significative des paramètres spirométriques comme le VEMS et la capacité
vitale, de survenue précoce à la transposition arctique, mais se corrigeant spontanément
avec un retour à des valeurs normales dans les quatre semaines suivant le retour dans
le milieu habituel des missionnaires [2]. Ces phénomènes sont encore plus importants
chez les sujets préalablement asthmatiques ou présentant une hyperréactivité
bronchique, notamment à l’occasion d’exercices physiques. Ainsi la moitié des athlètes
suédois de haut niveau pratiquant un sport d’hiver présenterait une symptomatologie
asthmatiforme à l’effort par le biais de la sècheresse des voies aériennes sous la
conjonction de la baisse de l’hygrométrie ambiante et de l’augmentation de la
fréquence respiratoire induite par l’effort [3]. En dessous de 15°C, ces modifications
ont un impact sur les performances des athlètes, non par altération de la capacité
aérobie mais bien parce que le niveau maximal de la VO2max est atteint plus
rapidement qu’en ambiance tempérée. 6. « Au sommet de l’Everest » (Edmund Hillary)
Le « bon air des montagnes » est un paradoxe trompeur. Dans les armées, cette
prise de conscience est totale depuis l’identification des problématiques et des limites
de l’engagement durable de troupes à des altitudes supérieures à 8 500 mètres, lors du
conflit du Kashmir en 1965, opposant à l’époque l’Inde et le Pakistan. Le problème
principal n’est plus alors le froid, même s’il reste tout à fait patent, mais bien davantage
l’hypobarie et la diminution de la pression partielle en oxygène qui en découlent.
L’exposition à une hypoxie environnementale est responsable d’un réflexe de
vasoconstriction pré-capillaire. Cette vasoconstriction est aggravée par des
complications rhéologiques combinant à la fois une hyperviscosité (souvent liée à la
restriction des apports hydriques et un degré variable d’oligurie), des complications
thromboemboliques à type de microthromboses pulmonaires, des phénomènes proagrégants favorisés par les lésions endothéliales induites par le froid. Tous ces éléments
concourent au développement d’une élévation des régimes pressionnels dans la
circulation artérielle pulmonaire avec constitution d’une Hypertension artérielle
pulmonaire (HTAP). En haute montagne, trois pathologies à expression respiratoire
sont individualisées : le Mal aigu des montagnes (MAM), l’Œdème pulmonaire de
haute altitude (OPHA) et la maladie de Monge [4]. Le MAM peut être observé chez tous les montagnards, qu’ils soient aguerris ou
non, porteurs ou non de pathologies respiratoires pré-existantes, et quel que soit le
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niveau de l’entrainement préalable à l’immersion en haute montagne. La fréquence de
survenue du MAM est en revanche bien corrélée avec le niveau de l’altitude atteint :
6 % à 1 800 mètres, jusqu’à 30 % au-dessus de 3 600 mètres. Le MAM est de
présentation clinique insidieuse et trompeuse avec une symptomatologie dominée par
des signes neurosensoriels associant céphalées, vertiges, insomnie (micro-œdème
cérébral), des signes digestifs à type d’embarras évoquant une gastro-entérite virale,
des signes respiratoires à type de dyspnée et d’oppression thoracique. L’examen
clinique est pauvre dans les formes frustes en dehors de l’observation d’œdèmes
localisés au visage (orbites notamment), aux poignets ou aux chevilles, souvent
transitoires mais qui constituent de solides signes d’alarme et méritent d’être
activement recherchés au moindre doute. Tous ces symptômes s’installent de manière
insidieuse, en 24 à 36 heures, avec une intensité maximale en fin de nuit expliquée par
la majoration de l’œdème cérébral sous l’effet de l’hypoventilation liée au sommeil,
laquelle est susceptible d’aggraver l’hypoxie. Ces manifestations régressent
spontanément en trois à quatre jours, et ne doivent pas être considérées comme des
manifestations d’inadaptation chronique à l’altitude. Au plan thérapeutique, les formes
mineures sont accessibles à une simple soustraction à l’altitude, obtenue par descente
au bas de la montagne d’un palier de dénivelé négatif minimal de 500 mètres. Dans
les formes sévères, il faut hâter la descente pour gagner un niveau inférieur au
minimum de 1 000 mètres, et surtout rétablir une oxygénation tissulaire adéquate le
plus souvent au besoin d’un caisson hyperbare (évacuation sur un site fixe de médecine
hyperbare ou caisson portable). La corticothérapie et l’acétalozamide offrent un
bénéfice symptomatique immédiat. La prévention repose principalement sur
l’éducation sanitaire destinée à tous les montagnards compte tenu de l’absence de
facteur prédictif de susceptibilité individuelle, avec pour message principal le classique
« montez haut mais dormez bas ». L’acétazolamide, correcteur de l’alcalose aux
propriétés diurétiques, peut également être prescrit à titre préventif chez les sujets avec
antécédent de MAM ou dépistés positifs au test d’hypoxie pratiqué dans les centres
de médecine de haute montagne (équivalent d’une épreuve d’effort sur cycloergomètre
avec une ventilation par un mélange faiblement enrichi en O2).
Autre pathologie plus grave mais heureusement plus rare : l’OPHA qui touche
volontiers les sujets jeunes, souvent grands sportifs en bonne santé, de manière
totalement imprévisible [5]. Le tableau clinique est celui d’un œdème pulmonaire cette
fois non cardiogénique, survenant de manière évocatrice entre le deuxième et le
cinquième jour de la randonnée, plutôt au-delà de 3000 mètres d’altitude. Les signes
cliniques sont dominés par une brutale dyspnée avec une toux, des douleurs
thoraciques, une fièvre pouvant égarer le diagnostic vers une pneumopathie infectieuse.
La cyanose est un élément particulièrement intéressant car précoce, sensible et
constant. L’hémoptysie est tardive et associée à des crépitants respiratoires diffus et
symétriques. La physiopathologie de l’OPHA associe une susceptibilité individuelle
très probable, une hypoxémie aux conséquences viscérales multiples (de niveau
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variable selon l’altitude atteinte, mais plus encore selon la rapidité de l’ascension), des
phénomènes thrombotiques, une rétention hydrosodée et des troubles de la perméabilité
vasculaire sous la dépendance de phénomènes inflammatoires médiés par l’acide
arachidonique. Tous ces éléments favorisent une HTAP qui fait secondairement le lit
de l’OPHA. Les principes thérapeutiques découlent directement de cette
physiopathologie et le traitement repose sur la correction de l’hypoxie (descente de 1
000 mètres minimum, oxygénothérapie, caisson, ventilation mécanique si nécessaire),
une déplétion hydrosodée par furosémide, une vasodilatation artérielle pulmonaire par
nifédipine, une correction de l’inflammation par corticothérapie. Malgré une prise en
charge adaptée et précoce, l’OPHA est souvent mortel, ce qui légitime une prévention
active en favorisant les marches d’approche lentes avant l’ascension du sommet.
Comme dans le MAM, le test d’hypoxie peut être envisagé pour dépister aléatoirement
un sujet mauvais répondeur à l’hypoxie. La maladie de Monge est une pathologie spécifique des sujets résidents chroniques
en haute altitude. Il s’agit d’une polyglobulie chronique de haute altitude, conséquence
de la désadaptation à l’hypoxie chronique. Ce phénomène est observé chez près de 5 à 10 % des sujets vivants à une altitude supérieure à 3 200 mètres. Il est dû à une
diminution de la sensibilité des chémorécepteurs à l’hypoxie. Il entraine donc une
hypoxémie qui elle-même fait le lit d’une HTAP liée à la vasoconstriction artériolaire
et à l’augmentation des résistances vasculaires provoquées par l’hyperviscosité induite
par la polyglobulie réactionnelle à l’hypoxie. Sur le plan clinique, la maladie de Monge
associe polyglobulie, hypoxie sévère avec fréquent cœur pulmonaire chronique et
HTAP, et la particularité d’une réversibilité complète potentielle de cette HTAP en cas
de retour en basse altitude décrite dans une série bolivienne.
Pour clore les manifestations respiratoires observées en haute montagne, abordons
rapidement les événements thromboemboliques dont la prévalence est discutable, qui
n’ont rien de spécifique. On sait malgré tout que certains éléments de la classique triade
de Virchow vont se trouver favorisés dans cette ambiance froide, sèche, chez un patient
rapidement exposé à la déshydratation et à un degré certain d’hyperviscosité, à des
phénomènes de stase vasculaire et à une authentique dysfonction endothéliale
parfaitement imputable aux expositions au froid. Souvent le tableau est limité à une
phlébite du membre inférieur. Malheureusement, des observations d’embolies
pulmonaires souvent létales sont régulièrement rapportées, isolées ou plus souvent
associées à un OPHA.
7. « L’étoffe des héros »
Sauf quelques parachutistes téméraires s’élançant à très haute altitude (avec un
record à 36 000 mètres), seuls les pilotes aéronautiques disputent aux oiseaux le
privilège d’évoluer dans l’azur. Le risque d’exposition à l’hypoxie est réel du fait de
l’hypobarie encore plus accentuée qu’en haute montagne. Cette problématique n’a en
pratique pas d’impact sur une fonction respiratoire normale, du fait essentiellement du
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caractère intermittent des expositions aéronautiques. La pressurisation des cabines
d’aéronefs permet de lutter contre l’hypoxie ambiante, avec pour objectif de
pressurisation une altitude de 2 500 mètres qui correspond au seuil d’adaptation
physiologique respiratoire caractérisé par l’apparition constante d’une hyperventilation.
Chez les pilotes d’aéronefs de combat, la grande mobilité des appareils dans les
différentes dimensions est source de problèmes mécaniques directement corrélés aux
capacités d’accélération dans tous les plans de l’espace. Ces contraintes mécaniques
sont source d’altérations des rapports ventilation/perfusion et de phénomènes
compressifs sur la cage thoracique, avec un risque de pneumothorax et de trouble
ventilatoire à type d’atélectasie. La prévention de ce risque repose sur un équipement
en surpression qui permet une distension plus facile de la cage thoracique mais au prix
d’un coût fonctionnel respiratoire du fait d’un travail expiratoire nécessairement
dynamique, à l’opposé du régime physiologique avec une inspiration passive et une
expiration active. Pour finir, rappelons que comme chez le plongeur subaquatique,
l’hypobarie du milieu aéronautique peut favoriser des manifestations d’hyperpression
intrapleurale (pneumothorax, pneumomédiastin) mais aussi la maladie de
décompression (aéroembolisme). Au-delà des cieux, quelles sont les conséquences respiratoires d’un vol spatial ?
Il existe déjà de solides données sur la physiologie respiratoire dans l’espace, grâce
aux études menées notamment lors des missions embarquées à bord des stations
spatiales internationales. La principale information porte sur le caractère bénéfique de
la microgravité qui est gage d’une adéquation parfaite des rapports perfusion/ventilation,
notamment au niveau des bases pulmonaires [6]. Désormais équipées en mode
normoxique et normobare, les navettes spatiales offrent un cadre sécurisant au plan de
la physiologie respiratoire, excepté le risque théorique d’inhalation de microparticules,
inhérent aux évolutions en milieu confiné.
8. Conclusion
Les manifestations respiratoires observées lors d’exposition en milieu extrême
sont nombreuses et variées. Nombre d’entre elles sont accessibles à une prévention
dont il convient de souligner le caractère évolutif, avec l’identification d’une
susceptibilité individuelle adaptative, notamment en matière de MAM comme
démontré dans une étude chinoise récente, mais aussi avec l’optimisation des
équipements de protection rapprochée de l’individu pour lui permettre toujours de
repousser les limites de l’extrême. N’oublions pas non plus que notre environnement
est lui aussi en évolution constante, cette plasticité étant à la fois naturelle et provoquée
par la main de l’homme. Voilà bien une problématique qui concerne également les
Armées et son Service de santé, régulièrement sollicité dans la gestion de l’activité
opérationnelle en environnements extrêmes. 238
Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Cyrus Chagari, Gilles
Defuentes, Marc Dot, Joël Guigay, Hervé Le Floch, Frédéric Rivière, Cédric Thépenier,
Jean- Lionel Védrine.
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Chaire de médecine appliquée aux armées
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Épidémiologie et facteurs de risque des
cancers de l’adulte jeune en milieu
militaire (hémopathies exclues)
Lionel Védrine
1. Introduction
La définition d’un adulte jeune est une définition sociale et donc évolutive selon
les époques et les populations étudiées. En France, l’INSEE considère actuellement
qu’un adulte jeune est un individu appartenant à la classe d’âge des 18-30 ans. Par
milieu militaire, on entend l’ensemble des unités dans lesquelles peuvent servir les
militaires y compris les théâtres d’opérations extérieures. Étudier l’épidémiologie et
les facteurs de risque des cancers de l’adulte jeune en milieu militaire revient à se poser
trois questions : quels cancers observe-t-on chez le jeune militaire, en lien avec quels
facteurs de risque et pour quelles conséquences médico-militaires ?
2. Épidémiologie
En milieu civil, les jeunes adultes de 18-30 ans représentent 20 % de la population
générale et 2 % de tous les cancers soit 1 700 nouveaux cas annuels en France. Ces
chiffres sont une estimation réalisée à partir de neuf registres départementaux en
l’absence de registre national exhaustif de cancers de l’adulte jeune. Les décès par
cancer sont la troisième cause de mortalité de cette classe d’âge après les accidents de
la voie publique et les suicides. Les cancers de l’adulte jeune sont dominés par les
hémopathies malignes (lymphomes et leucémies) qui représentent 31,6 % de ces
cancers. Parmi les tumeurs solides, les plus fréquentes sont les tumeurs germinales
gonadiques (20,1 %), le mélanome (10,9 %), les cancers différenciés de la thyroïde
(6,7 %) et les sarcomes des tissus mous (5,9 %) et osseux (3 %). Ces tumeurs sont
caractérisées par des pics d’incidence caractéristiques comme par exemple les tumeurs
germinales testiculaires entre 25 et 35 ans ou le sarcome d’Ewing entre 15 et 19 ans.
Ces tumeurs ont la particularité de voir leur incidence augmenter (+1,5 %) ces dernières
années mais d’être souvent guéries avec des taux de survie à 5 ans élevés : plus de
85 % pour les tumeurs germinales et le mélanome, 98 % pour les cancers différenciés
de la thyroïde, un peu moins pour les sarcomes avec des taux compris entre 51 et 59 %
selon le type histologique [1].
Dans les armées, une surveillance épidémiologique des cancers a été mise en place
en 2002 en unité et en 2005 dans les hôpitaux. La population des 18-30 ans représente
44 % des militaires, soit 40 % des effectifs en Gendarmerie et 60 % des armées Terre-
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Air-Mer. Entre 2002 et 2007, sur 610 cas de cancers recensés chez des militaires, 82 concernaient des adultes jeunes. Tous âges confondus, les cancers les plus fréquents
en milieu militaire sont les cancers du poumon (17,2 %), du testicule (14,1 %), de la
prostate (10,5 %), cutanés (8,9 %) et colorectaux (8,5 %). Il n’existe pas de données
disponibles sur la répartition en fonction de l’âge pour tous les cancers mais les tumeurs
les plus fréquemment déclarées chez le militaire âgé de 18 à 30 ans sont les tumeurs
germinales et les cancers de la thyroïde.
Le taux d’incidence annuelle de cancer chez l’adulte jeune est nettement inférieur
en milieu militaire qu’en milieu civil, aussi bien chez les 20-24 ans (12,1 versus 32,4
pour 100 000) que chez les 25-29 ans (18,4 versus 46,2 pour 100 000). Le nombre de
cas observés est ainsi bien inférieur au nombre de cas attendus, 51 contre 134 pour les
20-24 ans et 81 contre 206 pour les 25-29 ans. Cette différence peut s’expliquer par
une sous-déclaration en milieu militaire ou résulter de la sélection médicale effectuée
à l’engagement des militaires [2].
Avec une incidence de 6 pour 100 000 en France, les tumeurs germinales
séminomateuses et non séminomateuses représentent les tumeurs solides les plus
fréquentes de l’homme jeune entre 20 et 35 ans (1 800 cas annuels). Cette incidence a
augmenté de 2,4 % par an entre 1978 et 2000 en France. Si la plupart des tumeurs
germinales sont de siège gonadique (tumeurs testiculaires ou ovariennes), 2 à 5 % de
ces tumeurs sont extra-gonadiques (rétropéritonéales, médiastinales ou pinéales).
Les cancers différenciés de la thyroïde représentent en 2005 en France
6 672 nouveaux cas de cancers dont 76 % surviennent chez la femme. Si la mortalité
de ce cancer diminue depuis 1970, son incidence augmente de 6 % par an entre 1980
et 2005. Les facteurs de risque de survenue sont dominés par l’irradiation cervicale
dans l’enfance. Le rôle de la catastrophe nucléaire civile de Tchernobyl sur la
population française reste débattu.
Avec un doublement de son incidence tous les 10 ans, le mélanome concerne
désormais 7 personnes pour 100 000 habitants en France. Son lien avec l’exposition
solaire est maintenant bien établi et même avec la surexposition paradoxale induite
par l’usage des crèmes antisolaires. Les sarcomes des tissus mous représentent 1 % des cancers et 3 000 nouveaux cas
par an en France. Ils peuvent survenir à tous les âges avec un sex-ratio équilibré. Ils
concernent essentiellement les membres inférieurs (45 %), le tronc et le rétro-péritoine
(30 %), les membres supérieurs (15 %) et la tête et le cou (10 %). Le sarcome d’Ewing
est l’apanage de l’adulte jeune et représente 10 % des tumeurs osseuses primitives. Il
se localise préférentiellement sur la diaphyse des os longs et le bassin avec 25 % de
diffusion métastatique au diagnostic initial. Les antécédents de radiothérapie datant de
plus de 5 ans sur le territoire concerné représentent le facteur de risque essentiel [3].
3. Facteurs de risque héréditaires
La survenue de cancers chez l’adulte jeune conduit à s’interroger sur l’existence
de facteurs génétiques prédisposants. La prédisposition héréditaire est retrouvée dans
5 % des cancers. Monogénique, elle est en lien avec une mutation rare d’un gène
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
suppresseur de tumeur ou plus exceptionnellement d’un oncogène. De transmission
autosomique dominante, elle se caractérise par une forte pénétrance quoiqu’incomplète
et se traduit par de nombreux cancers intrafamiliaux. Ce tableau de prédisposition
génétique se distingue de la susceptibilité génétique, plus fréquente (15 % des cancers),
multigénique et de faible pénétrance.
La prédisposition génétique aux tumeurs germinales n’est pas encore identifiée
mais est suspectée devant l’existence de facteurs de risque bien établis que sont les
antécédents familiaux et personnels de tumeurs germinales (risque relatif de 8 à 10
entre frères et de 4 à 6 entre père et fils), les anomalies de la différenciation de la sphère
urogénitale comme la cryptorchidie et le syndrome de Klinefelter. Des facteurs
géographiques et ethniques plaident aussi pour une prédisposition génétique.
L’incidence de ces tumeurs est variable dans le monde, plus élevée en Europe du Nord
et plus faible en Afrique et en Asie ; au sein d’une aire géographique, elle varie avec
l’ethnie. Ces variations persistent après migrations de populations. Enfin, il existe de
véritables formes familiales de tumeurs germinales. Elles concernent 1,2 à 3,5 % des
tumeurs germinales et se définissent par la survenue d’au moins deux cas apparentés
au 1er degré. L’âge au diagnostic est plus jeune (29 ans contre 32 ans pour les tumeurs
non séminomateuses et 32 ans contre 37 ans pour les séminomes), les formes bilatérales
plus fréquentes (8-10 % contre 2-3 %) et les anomalies urogénitales associées plus
fréquentes également (11 % contre 5,2 %). Le gène incriminé (TGCT1) est positionné
sur le chromosome X (Xq27).
La prédisposition génétique aux cancers du sein et de l’ovaire représente 4 à 5 %
de ces cancers. Les gènes en cause sont des gènes suppresseurs de tumeurs appelés
BRCA 1 et 2. Ces mutations germinales concernent une femme sur 800 dans la
population générale. Elle se traduit par l’existence de plusieurs cas familiaux de cancers
du sein et de l’ovaire avec un âge jeune au diagnostic et un phénotype agressif de
cancer du sein (grade histologique élevé, absence d’expression des récepteurs
hormonaux et à l’oncogène HER2).
Le syndrome de prédisposition au cancer colique ou syndrome HNPCC encore
appelé syndrome de Lynch représente 5 % des cancers colorectaux. Il se caractérise
par un jeune âge de survenue de cancer colique (âge médian de 42 ans) intéressant le
côlon proximal associé à des antécédents familiaux de cancers coliques mais également
de cancers gastriques, de l’intestin grêle, des voies urinaires excrétrices et organes
génitaux féminins. Les critères d’Amsterdam, bien que rarement remplis peuvent
orienter le diagnostic : trois cas familiaux de cancers coliques dont un apparenté au
1er degré, avant 50 ans, sur deux générations successives et l’absence de polypose
colique. Les gènes en cause (essentiellement hMLH1, hMSH2 et hMLH6)
appartiennent au système de réparation de l’ADN appelé MMR (mismatch repair)
dont la déficience entraîne une instabilité microsatellitaire (phénotype MSI).
La polyadénomatose familiale est impliquée dans 1% des cancers colorectaux.
Elle est définie cliniquement par la présence de plus de 100 polypes chez des patients
Chaire de médecine appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
dont l’âge médian est de 35 ans. La lésion colique est associée à des antécédents
familiaux de cancers coliques et à d’autres néoplasies, rétiniennes, desmoïdes ou à
type de médulloblastome ou d’hépatoblastome. Cette prédisposition est liée à une
mutation du gène APC qui survient de novo dans 30 % des cas.
Le carcinome médullaire de la thyroïde ou CMT représente 5 à 10 % des cancers
thyroïdiens. Il s’agit d’une affection familiale dans 25 à 30 % des cas, pouvant
s’inscrire alors dans le cadre d’une néoplasie endocrinienne multiple de type 2. Le
CMT est lié à la mutation du proto-oncogène RET. En cas de mutation germinale, la
pénétrance de la maladie est de 100 %.
Cinq pour cent des mélanomes sont familiaux. Ils se définissent par la survenue
d’au moins deux cas apparentés au 1er ou au 2e degré. Les gènes impliqués sont
multiples : p14, CDK14, CDNK2H. Cette entité, récemment identifiée, est en cours
d’étude.
Le syndrome de Li Fraumeni représente moins de 1 % des cancers de l’adulte
jeune. Il associe de multiples tumeurs malignes primitives comme des sarcomes ou
des corticosurrénalomes. L’altération génétique en cause est la mutation du gène
suppresseur de tumeur p53.
La prédisposition héréditaire est retrouvée dans 2 à 3 % des cas de cancers du rein
et se caractérise par un jeune âge de survenue. Cette prédisposition concerne
essentiellement les carcinomes rénaux à cellules claires (75 % des cas de
prédisposition) avec mutation germinale du gène VHL. La tumeur rénale peut alors
s’inscrire dans le contexte plus large de la maladie de Von Hippel Lindau comprenant
également des hémangioblastomes du système nerveux central et de la rétine, des
phéochromocytomes et des kystes et tumeurs du pancréas. La prédisposition génétique
aux carcinomes papillaires du rein concerne 5 % des types 1 par mutation du gène
MET et 10 % des types 2 par altération du gène FH. Enfin, le carcinome rénal
chromophobe est héréditaire chez 10 % des patients par mutation du gène BHD [4].
4. Facteurs de risque environnementaux
Ces facteurs de risque sont multiples. Certains d’entre eux sont universels et peu
spécifiques de la collectivité militaire ; d’autres en revanche sont davantage liés aux
conditions d’exercice parfois en situation extrême ou sur des théâtres d’opérations
extérieures. L’OMS estime que 80 % des cancers sont liés à des facteurs
environnementaux et répertorie 14 000 produits environnementaux potentiellement
carcinogènes. Ces produits sont classés par l’Agence internationale de recherche sur
le cancer (IARC) en quatre groupes selon la vraisemblance de leur imputabilité :
carcinogènes certains (groupe I), carcinogènes probables (groupe IIA), carcinogènes
possibles (groupe IIB), données non disponibles chez l’homme (groupe III).
Le plus tristement célèbre de ces toxiques environnementaux reste le tabac et sa
fumée avec plus de 4 000 produits chimiques sous forme de particules ou à l’état
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
gazeux. Certains d’entre eux sont des composants toxiques et irritants tels que
l’ammoniac, le monoxyde de carbone ou la nicotine. D’autres sont cancérigènes
comme le benzo-A-pyrène, le benzène ou l’arsenic. Le tabagisme quotidien est en
recul pour les jeunes adultes de 18-25 ans (40,4 % en 2000 contre 36,2 % en 2005)
mais le nombre de fumeurs occasionnels (moins d’une cigarette par jour) augmente
(20 % en 1999 contre 43 % en 2007). On considère que le risque de cancer augmente
avec le nombre de cigarettes par jour et la durée d’exposition. Le tabagisme est en
cause dans plus de 27 % des cancers et 33 % chez l’homme. Il a été responsable de
34 500 décès en France en 2004. Les cancers impliqués sont évidemment bronchopulmonaires mais aussi ORL, digestifs (œsophage, pancréas, foie) et urinaires (vessie).
Le cannabis est également un carcinogène. On considère qu’un « joint » est
l’équivalent de sept cigarettes. La consommation de plus de dix « joints » par an
multiplie ainsi par 57 le risque de cancer du poumon.
La consommation d’au moins trois verres d’alcool par jour est reconnue par 2 %
des adultes jeunes. L’alcool est un co-carcinogène synergique du tabac sans influence
de la durée d’exposition. En 2002, 150 000 décès par cancer en Europe ont été attribués
à l’alcool, en lien avec des cancers digestifs, ORL ou mammaires.
Les virus peuvent être des carcinogènes redoutables. Les critères pour définir le
rôle causal d’un virus dans la survenue d’un cancer sont la présence régulière et
persistante de l’acide nucléique viral dans la tumeur, des études épidémiologiques
convergentes, la reproduction des éléments du phénotype tumoral in vitro et in vivo et
l’efficacité de l’intervention thérapeutique. Les virus impliqués sont de transmission
sexuelle et sanguine. Les HPV 16 et 18 sont en cause dans plus de 80 % des tumeurs
invasives du col de l’utérus, du canal anal, du vagin et du pénis. Le VHB est en lien
avec la survenue du carcinome hépato-cellulaire. Le VIH a un pouvoir oncogénique
propre débattu mais favorise la survenue de cancers comme le sarcome de Kaposi ou
le carcinome du canal anal par le déficit immunitaire qu’il induit et les traitements antirétroviraux utilisés.
Au chapitre des produits chimiques, les carcinogènes sont représentés par les
hydrocarbures retrouvés par exemple dans les déchets industriels auxquels les militaires
en opération extérieure peuvent être exposés. Ces produits sont responsables de cancers
cutanés et de vessie. Les organophosphorés tels que les pesticides ou le gaz sarin
favorisent la survenue de tumeurs cérébrales et colorectales.
Les perturbateurs endocriniens environnementaux, des produits à activité
œstrogéno-mimétique, anti-androgénique sont mis en cause dans la survenue des
cancers du testicule. Ils sont retrouvés dans les pesticides et les déchets plastiques
alimentaires.
Les rayonnements ionisants comprennent les rayons X, gamma, alpha, bêta, des
neutrons et des protons. Leurs sources sont naturelles ou artificielles. En ambiance
naturelle, il s’agit des rayonnements telluriques, variables selon les régions du globe
(100 fois plus élevés en Iran qu’en France par exemple) ou cosmiques tels que subis
Chaire de médecine appliquée aux armées
245
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
lors des vols en haute altitude et prolongés. Les sources artificielles de rayonnements
sont multiples. Il peut s’agir de friches industrielles ou médicales échappant à toute
réglementation, de combustion nucléaire sur les systèmes d’armes à propulsion
nucléaire, d’armes nucléaires voire d’explosion atomique. Quelle que soit leur origine,
ces rayonnements ionisants sont responsables de lésions chromosomiques avec cassure
double brin, de mutations viables en agissant comme agent promoteur et d’effet
stochastique c’est-à-dire non dose-dépendant. D’après l’étude de la cohorte des
survivants de Nagasaki-Hiroshima, 1 à 2 % des cancers sont ainsi radio-induits [5].
Les séjours outre-mer, les missions sur bâtiments de la Marine et les vols en
altitude sont des sources d’exposition au rayonnement ultraviolet. Les tumeurs induites
par ce type de rayonnement sont les mélanomes et les carcinomes spino-cellulaires.
D’autres facteurs environnementaux présentent un potentiel oncogénique plus
incertain. C’est le cas des champs électromagnétiques et des radio-fréquences émises
par les brouilleurs électromagnétiques, les radars et les systèmes de transmissions. Les
études épidémiologiques à leur sujet sont contradictoires mais des cas ont pu être
rapportés de survenue de tumeurs cérébrales après un intervalle libre de moins de 10 ans chez de jeunes militaires postés sur radars.
5. Conséquences médico-militaires
Les enseignements à tirer concernent tout d’abord la prévention. Celle-ci doit
comprendre des campagnes d’information sur les risques de cancer liés aux maladies
sexuellement transmissibles, à l’exposition solaire et aux substances addictives telles
que l’alcool, le tabac ou le cannabis. Les vaccinations contre les virus oncogènes (VHB
et HPV) sont à proposer largement de même qu’une information sur l’infection à VIH
et l’intérêt de son dépistage. La prévention passe également par une limitation de
l’exposition aux sources de rayonnements ionisants, de produits chimiques et de radiofréquences tout particulièrement sur les théâtres d’opérations extérieures.
Le dépistage de masse des cancers en milieu militaire ne répond à aucune
réglementation spécifique. En revanche, le dépistage individuel prend sa place au
moment des visites réglementaires de sélection, d’aptitude initiale et systématiques
annuelles. Ce dépistage individuel reste néanmoins limité par la crainte de l’inaptitude,
le médecin d’unité n’étant pas perçu dans cette situation comme un médecin traitant.
La déclaration des cancers en milieu militaire doit désormais être systématique à
travers la fiche épidémiologique spécifique dite F2, intitulée « Cancers et hémopathies
malignes ». Seule une déclaration exhaustive permettra d’avoir une meilleure
connaissance de cette pathologie du militaire et d’en tirer toutes les conclusions en
termes d’aptitudes et de prévention.
La question de l’aptitude est en effet primordiale. Elle doit préserver sans
complaisance l’intérêt de la collectivité mais ne pas pénaliser l’individu par un excès
de rigueur. Au moment de l’engagement, trois situations peuvent se présenter : le
246
Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
postulant présente un antécédent de cancer guéri, un cancer en cours de traitement ou
des facteurs de risque de cancer. Dans le premier cas, la question est d’évaluer le risque
de rechute d’une part et d’autre part les séquelles éventuelles de ce cancer et des
traitements subis. Le risque de rechute décroît en fonction du délai depuis la rémission
et le seuil des cinq ans avant guérison peut être raisonnablement retenu pour la plupart
des cancers et même raccourci pour certains types histologiques comme les tumeurs
germinales. Les séquelles éventuelles sont représentées par les amputations et les
troubles de la croissance, de diagnostic aisé, ainsi que le retentissement psychologique
et le risque de second cancer parfois plus difficiles à appréhender. Dans le cas d’un
cancer en cours de traitement, la décision d’inaptitude définitive est prononcée sauf
cas particulier d’une tumeur réputée curable dans l’attente d’une rémission complète
prolongée, situation temporaire qui conduira probablement le postulant à envisager
une autre orientation professionnelle. Enfin, l’existence de facteurs de risque de cancer
n’a pas d’implication sur l’aptitude y compris en cas de prédisposition génétique
avérée.
En cours de carrière, le diagnostic de cancer conduit à prononcer une inaptitude
temporaire compte tenu des contraintes et complications liées aux traitements. Le
militaire bénéficie d’un congé de longue durée par périodes de 6 mois renouvelables
pour une durée maximale de 5 ans. Au delà de la question de l’aptitude, la survenue
d’un cancer pose le problème de l’imputabilité et de l’après-cancer. L’imputabilité
repose sur la connaissance de l’exposition du patient, l’intrication éventuelle de facteurs
étiologiques et l’existence d’une susceptibilité individuelle. L’après-cancer revêt des
aspects médicaux et psychosociaux multiples où se mêlent les problèmes
d’hypogonadisme, d’ostéoporose, d’asthénie, de troubles cognitifs et thymiques avec
toutes les difficultés de la réinsertion professionnelle. L’aptitude après cancer dépend
des séquelles éventuelles et se décide au cas par cas en fonction de postes de travail
aménagés le cas échéant. Cette question de la réhabilitation physique, sociale et
professionnelle après cancer est une priorité du Plan Cancer 2009. Elle comprend la
mise en place d’un programme personnalisé de l’après-cancer avec un volet social et
impliquant le médecin traitant afin d’offrir un suivi et une évaluation du risque de
rechute et de séquelles. C’est dans cet esprit qu’a été renouvelée la convention «
s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé » en 2007.
6. Conclusion
La population militaire présente des spécificités épidémiologiques (population
jeune et sélectionnée), d’emploi (outre-mer, opérations extérieures, vols en altitude)
et d’environnement avec l’exposition potentielle à des carcinogènes chimiques,
ionisants ou électromagnétiques. Les cancers observés dans cette population sont des
cancers rares mais souvent curables imposant une surveillance spécifique et
réglementaire pour une meilleure prévention et le cas échéant un diagnostic précoce.
Chaire de médecine appliquée aux armées
247
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
La mise en œuvre d’une veille épidémiologique continue est donc prioritaire pour
l’évaluation des risques et la limitation des expositions. Cette veille épidémiologique
peut parfaitement incarner un exemple de coopération entre les forces et les hôpitaux.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Olivier Bauduceau,
Cyrus Chargari, Sylvestre Le Moulec, Jacques Margery, Michel Pavic, Damien Ricard.
Références bibliographiques
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Conseils et aptitude en aéronautique
civile et militaire pour les déplacements
en milieu tropical
Mohamed Chemsi
1. Introduction
Nous vivons ces cinquante dernières années une révolution dans le transport et dans
les voyages. L’introduction de l’avion à réaction a permis le développement logarithmique
du nombre annuel de passagers, passant de 5 millions en 1950 à 2,75 milliards
actuellement. Ce développement permet de mettre les tropiques à quelques heures
d’avion de nos capitales et, malheureusement, de nous faire partager les risques liés à
ces destinations. Le médecin aéronautique occupe une place centrale pour prévenir les risques que
peuvent courir à la fois les équipages, tant civils que militaires, et les passagers vers
les destinations rencontrées, dans une direction ou dans l’autre. La dernière
problématique est la diffusion par le biais de l’avion des maladies émergentes et des
pandémies, ce que nous venons de connaître avec les épidémies de Chikungunya, de
grippe aviaire H5N1 ou de grippe A H1N1.
À travers la sélection et la surveillance du personnel navigant tant civil que
militaire, des décisions d’aptitude adaptées permettent aux sujets les plus fragiles de
ne pas se rendre dans ces zones à risque. Désormais, la pratique de la médecine
aéronautique s’élargit aux passagers sur le mode d’une authentique « médecine des
voyages » et permet de donner des conseils adaptés pour les passagers prenant l’avion
pour se rendre dans les zones tropicales.
2. Champ d’étude et problématiques
2.2. Le milieu tropical
Le milieu tropical peut se définir comme la zone géographique située entre le
tropique du Cancer au nord et le tropique du Capricorne au sud. Cependant, les
conditions environnementales de ces régions ne se limitent pas à cette stricte
connotation géographique du milieu tropical. Ainsi, la distribution géographique du
milieu tropical est plus large, et fait intervenir en plus des notions climatiques, avec
leurs variations saisonnières, des notions de situation sanitaire locale, d’écologie
spécifique de la faune et la flore, dans des contextes socio-économiques souvent
précaires, et géopolitiques plutôt instables. Au total, le milieu tropical doit être
appréhendé comme un milieu hostile et agressif. Cette agressivité trouve son
Chaire de médecine appliquée aux armées
249
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
expression au travers des risques infectieux et non infectieux. On entend par risque
infectieux l’exposition à des agents cosmopolites à pouvoir pathogène élevé,
bactériens, viraux et parasitaires, en rappelant ici que le paludisme demeure la première
endémie mondiale parasitaire. De manière évidente et rapportée largement dans la
littérature, ce risque infectieux est à l’origine d’une lourde morbi-mortalité, par
exemple dans cette étude de Freedman parue dans le New England Journal of Medicine
en 2006 [1] : plus de 10 % des voyageurs présentent une infection au cours ou au retour
d’un séjour tropical, le spectre étiologique faisant la part belle aux maladies du péril
fécal (30 % des cas) et au paludisme (20 % des cas). Cet aspect trouve son
prolongement dans ces données d’épidémiologie hospitalière, qui montrent néanmoins
une hétérogénéité suivant les zones tropicales fréquentées : citons par exemple la
prévalence élevée de la leishmaniose en Amérique du Sud, du paludisme en Afrique
et de la dengue dans le sud-est asiatique [2]. Cette hétérogénéité est aussi le fait de
l’émergence régulière de nouveaux risques infectieux. La notion d’émergence fait
craindre la survenue de cas graves, en bouffées épidémiques aiguës, à potentiel
pandémique. Elle est le résultat d’une unité biologique interactive constituée par un
sujet réceptif, l’homme, porteur d’un agent microbiologique, qu’il transporte, intègre
éventuellement à son génome et dissémine [3]. Nous prendrons pour exemple le virus
Chikungunya, dont l’épidémie entre 2004 et 2008 de polyarthralgie fébrile aiguë a
diffusé de l’Océan Indien jusqu’à donner des foyers d’importation dans le sud de
l’Italie, faisant redouter une mondialisation d’une infection initialement à tonalité très
tropicale [4, 5]. De même, la notion de foyers de fièvre hémorragique virale de type
Marburg, hautement létale (88 % de mortalité en Angola en 2005) n’empêche pas la
description encore toute récente de cas d’importation, ainsi que le rapporte l’OMS au
sujet d’une femme néerlandaise décédée quatre jours après être rentrée d’Ouganda où
elle avait séjourné trois semaines. Nous sommes enfin toujours en alerte vis-à-vis d’une
pandémisation du virus de la grippe aviaire du fait d’une adaptation du virus permettant
une évolution des modes de transmission. Cependant, les expériences planétaires
récentes font retenir une dichotomie entre des pathologies à fort taux de létalité (par
exemple les fièvres hémorragiques virales ou la grippe aviaire H5N1), sans
dissémination cosmopolite pour l’instant, et d’autres pathogènes à forte transmission,
volontiers pandémique, mais de pronostic plutôt favorable (l’exemple très récent de
la grippe A H1N1 en est une bonne illustration). La compréhension de ces profils
épidémiologiques antinomiques reste pour l’instant mal comprise dans sa globalité.
Les risques malheureusement vont bien au-delà de leur simple composante
infectieuse et s’enrichissent des conséquences directes du climat sur l’état
d’hydratation, l’acclimatation, et la morbidité liée au relâchement de la prévention en
matière d’accidents de la voie publique, de conduites addictives, dans un surcroît de
risque de criminalité exposant à une majoration du stress et de ses conséquences
psychologiques.
250
Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
2.2. L’aéronef
L’aéronef, de par ses caractéristiques techniques (plus loin, plus gros, plus vite)
catalyse l’exposition à ces risques comme vecteur de maladies. Ceci est le fait de la
promiscuité des passagers, en ambiance confinée, avec la possibilité de transporter
non seulement les passagers mais aussi les insectes vecteurs, justifiant la lutte antivectorielle à bord des aéronefs dont les méthodes sont exposées dans le Règlement
sanitaire international (RSI), de même que les moyens de désinfection des aéronefs.
Enfin, l’aéronef est le modèle type de l’hypoxie relative, associée à des contraintes
hygrométriques, au risque de dysbarisme dans un milieu climatisé, pressurisé au sein
duquel les contraintes thermiques reproduisant l’effet de serre dans les cockpits de
l’aviation de chasse peuvent mettre en jeu la sécurité des vols. Imaginez le pilote de
chasse dans son Mirage F1 en alerte de bout de piste, sur la base aérienne de Kossei
au Tchad, sous 45°C, attendant impatiemment le signal du décollage…
2.3. Les populations concernées
Le Personnel navigant (PN) militaire s’expose au caractère inopiné de sa projection
en milieu tropical dans des situations difficiles, au risque sanitaire varié mais qui
peuvent aller jusqu’à séjourner en brousse, pour des durées parfois prolongées.
Les conditions de séjour en zone tropicale pour les PN techniques et commerciaux
de l’aéronautique civile pourraient paraître meilleures du fait des modalités d’accueil
à l’aéroport, d’hébergement en hôtel climatisé. Il ne faut pas oublier cependant la
possibilité de tourisme en zone rurale à risque lors des escales, ou des conditions
d’emploi différentes pour certains pilotes professionnels avec les activités d’épandage
dans le cadre des politiques agricoles extensives en Afrique intertropicale, ou le travail
des pilotes d’hélicoptères sur les plates-formes pétrolières comme au Nigeria.
Quant aux passagers, les situations sont multiples selon le type de voyage organisé,
parfois à tonalité aventureuse, seul ou en groupe, dans des conditions climatiques
parfois extrêmes, à des âges et/ou dans des conditions physiques qui peuvent nous
surprendre en tant que praticien aéronautique investi dans une politique de prévention.
Pour conclure ce premier volet, je positionnerais volontiers le médecin
aéronautique comme pivot du triptyque « milieu tropical-aéronef-voyageur ». Notre
rôle s’inscrit de manière pérenne aux différents temps du voyage. Il débute lors de la
préparation de celui-ci dans un rôle d’éducation, de conseil et parfois d’aptitude ; se
poursuit pendant le séjour, dans le cadre de nos activités éventuelles de soutien des
forces projetées ; pour se finaliser dans le post-séjour en tant qu’acteur épidémiologique
des pathologies d’importation et le cas échéant, décideur de la réhabilitation en
procédure d’expertise.
3. Conseils aux voyageurs
La justification de la nécessité d’un conseil médical pour le voyageur trouve une
illustration dans les résultats d’une enquête téléphonique déclarative de l’institut TNS
Chaire de médecine appliquée aux armées
251
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
SOFRES, réalisée les 2 et 3 décembre 2009, qui met en évidence un paradoxe flagrant
entre des voyageurs qui craignent avant tout les infections, mais dont 1/3 à la moitié
d’entre eux ne s’encombrent pas de trousse médicale, de chimioprophylaxie, voire de
carnet de vaccinations. Néanmoins, les recommandations aux voyageurs existent bel
et bien. Elles font l’objet d’une actualisation selon un rythme annuel, sont publiées en
France dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, en principe en juin, sous
l’égide de l’Institut national de veille sanitaire, et constituent à ce titre un document
opposable en pratique médicale [6].
3.1. Avant le départ
3.1.1. Une consultation médicale qui doit être complète
Lors de la consultation de conseil, le médecin aéronautique s’attachera tout
particulièrement à préciser les antécédents médicaux et chirurgicaux, les notions
d’allergie, d’antériorités de séjour outre-mer, fera un examen clinique complet
permettant de dépister des tares organiques, ou d’en vérifier le bon contrôle. Une
attention particulière sera portée à l’état bucco-dentaire, avec la pratique recommandée
d’un panoramique dentaire, afin de ne pas méconnaître un foyer infectieux latent. Il
n’omettra pas de recenser les traitements observés au long cours, et de repérer ceux
inducteurs de décompensation organique.
3.1.2. Cette consultation est l’occasion de certaines
vérifications
Tout d’abord, il conviendra de contrôler les vaccinations, certaines
incontournables: diphtérie, tétanos, poliomyélite, hépatites A et B, méningite
cérébrospinale pour les sérotypes A, C, W135, Y, typhoïde. D’autres sont d’indications
beaucoup plus circonstancielles : vaccination anti-rabique pour les professionnels
exposés au risque de rage, encéphalite japonaise, etc. Il importe d’insister ici sur les
recommandations du RSI concernant la vaccination anti-amarile, en rappelant qu’elle
est à considérer comme obligatoire pour tout séjour en zone intertropicale, et ce même
si l’adage « pas de fièvre jaune dans les pays jaunes » peut paraître rassurant. Ce serait
méconnaître les possibilités de contage lors d’escales inopinées en zone endémique.
Cette vaccination n’est réputée efficace que dix jours après la première injection, elle
doit donc être effectuée suffisamment tôt en cas de personnel potentiellement projetable
parmi la population de PN soutenue.
Ensuite, ces vérifications concernent évidemment la mise à jour du carnet
international de vaccinations, la documentation du groupage sanguin ABO Rhésus, et
enfin l’existence d’une protection sociale adaptée et d’une couverture d’assistance
médicale au rapatriement éventuel.
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
3.1.3. Cette consultation préalable au départ donne lieu à des
prescriptions de moyens prophylactiques, en dehors du
champ des immunisations.
Le médecin aéronautique doit conseiller le voyageur dans la constitution de sa
trousse médicale : l’antalgique antipyrétique de référence est le paracétamol, en
déconseilllant fermement les attitudes d’auto-médication par aspirine ou antiinflammatoire non stéroïdien (AINS) ; l’antidiarrhéique est de préférence un
anti-secrétoire de type lopéramide par exemple ; la prévention des cinétoses, plutôt
rares à bord des aéronefs peut justifier la prescription d’un antiémétique ; enfin on
n’oubliera pas la prescription du petit matériel à pansements.
Un point fondamental de la prophylaxie repose sur la bonne connaissance de
l’épidémiologie de la pandémie palustre, avec l’actualisation régulière des zones de
chloroquino-résistance. En règle, le voyageur se rendant en milieu tropical doit être
considéré comme séjournant en région de forte chloroquino-résistance, de groupe 3.
Les modalités de chimioprophylaxie sont claires : recours à l’association atovaquone
+ proguanil (Malarone®) ou à la doxycycline, cette dernière molécule étant devenue
la molécule de référence dans les armées marocaines et françaises. La méfloquine n’a
plus sa place dans la prophylaxie anti-palustre de première intention : elle est un recours
de deuxième ligne chez les voyageurs non PN, et est interdite chez le PN.
Enfin, cette prophylaxie s’étend au domaine de la prévention de la maladie
thrombo-embolique veineuse, indépendamment d’antécédents ou non dans ce
domaine. Les études ont montré que l’incidence des thromboses veineuses latentes
après les vols long courrier étaient sous-estimées, que l’acuité et le pronostic de gravité
des embolies pulmonaires n’étaient plus à prouver comme en témoigne cet article
original de Lapostolle de l’équipe de Bobigny, paru en 2001 dans le New England
Journal of Medicine (7). Ainsi, tout voyageur se verra proposer des consignes
d’hydratation abondante durant les vols, des levers fréquents pour déambuler dans
l’aéronef, des contractions musculaires provoquées des membres inférieurs, et parfois
une contention veineuse élastique de classe 2. L’intérêt d’une injection d’héparine de
bas poids moléculaire à dose isocoagulante le jour du vol demeure controversé. Elle
peut être indiquée chez certains patients à risque de récidive très élevé, majoré par le
voyage aérien.
3.1.4. Certains groupes de voyageurs méritent d’être
distingués
Désormais, le voyage est un droit. L’Organisation de l’aviation civile internationale
(OACI) est extrêmement claire à ce sujet : aucune raison médicale ne doit empêcher
un voyageur d’embarquer à bord d’un aéronef, même si certaines pathologies ou
certaines conditions physiologiques sont, par nature, pour certaines organisations, en
particulier l’United States Department of Transport, des contre-indications : infection
Chaire de médecine appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
sinusienne, angor ou douleurs thoraciques de repos, drépanocytose, accident vasculaire
cérébral récent,… mais aussi nourrisson de moins de 48 heures ou femme enceinte
après la 36e semaine de grossesse, cette liste étant non limitative. Néanmoins, l’accord
de la compagnie reste nécessaire en cas de transport allongé ou de nécessité
d’oxygénothérapie embarquée. Ainsi, le passager vulnérable se rendant en milieu
tropical s’expose au risque de décompensation d’un état physiologique ou d’une
pathologie pré-existante.
À titre d’exemple, les personnes âgées sont plus vulnérables car propices à
l’hypertension artérielle, avec le risque de déséquilibre hydro-électrolytique bien connu
sous diurétiques ; au diabète avec toutes les difficultés de stockage de l’insuline et de
l’adaptation des doses dans des conditions de métabolisme basal accru. Ce problème
s’étend à la disponibilité locale des médicaments en général et à leurs modalités de
conservation.
Dans un autre registre, un passager fragilisé s’expose à une décompensation d’une
pathologie organique : insuffisance cardiaque, maladie coronaire, insuffisance
respiratoire (ce d’autant qu’il existe des risques de surinfection bactérienne clairement
démontrés en milieu tropical), insuffisance rénale, ou hépatique. Une
immunodépression acquise, viro-induite dans le cadre des rétroviroses ou iatrogènes
lors de corticothérapie au long cours ou de traitements immunosuppresseurs, favorise
les infections opportunistes ou banales. Enfin, citons l’exemple du voyageur
handicapé : les conditions climatiques sont considérées en milieu tropical comme une
« épine irritative » aggravant le handicap.
Certaines situations physiologiques doivent inciter à la vigilance : c’est le cas de
la femme enceinte, qui ne ressort d’aucune interdiction formelle de voyage, mais le
médecin aéronautique joue là son rôle de conseil pour adapter les recommandations
au terrain sur lequel survient la grossesse. Le nourrisson est vulnérable, et il est de bon
ton de conseiller aux parents de rajouter dans la trousse médicale des solutés de
réhydratation type GES 45.
3.2. Pendant le séjour
3.2.1. La période d’acclimatation
Le voyageur prend pied dans son territoire de destination. Il doit être prévenu du
risque auquel expose la période d’acclimatation, durant laquelle le processus
d’acclimatement permet à son organisme d’améliorer la tolérance des contraintes du
milieu tropical. Le médecin conseil insistera donc sur la nécessité d’une hydratation
abondante, supérieure à 2 litres par jour, à base de boissons non alcoolisées ; sur la
nécessité d’éviter l’exposition solaire prolongée, et sur la limitation des activités
physiques. Ces mesures, lorsqu’elles sont non observées, peuvent aboutir à des
situations critiques mettant en jeu le pronostic vital. C’est ainsi que la collectivité
médicale militaire est sensibilisée au risque de coup de chaleur d’exercice, dont on
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LES ANNALES DE
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rappelle que les principaux facteurs de risque sont environnementaux, vestimentaires
chez des personnels insuffisamment entraînés.
3.2.2. Les règles d’hygiène générale
Passée cette période d’acclimatation, le rappel des règles élémentaires d’hygiène
générale est de mise. La règle d’une toilette quotidienne et du lavage des mains avant
chaque repas et après chaque passage aux toilettes, même si elle ressort du bon sens,
mérite d’être évoquée. L’adaptation vestimentaire aux conditions tropicales mais aussi
au risque d’impaludation en période crépusculaire doit être bien connue : tenue courte
type Gao en journée, vêtements clairs, amples et couvrants dès la tombée de la nuit, à
l’heure d’activité silencieuse et indolore de l’anophèle femelle. La prévention du risque
oro-fécal repose sur la maîtrise de l’hygiène de l’eau, en évitant la consommation de
bouteilles encapsulées reconditionnées, en disposant de comprimés de désinfection de
l’eau de boisson en situation dégradée. Les règles de bon usage alimentaire
déconseillent l’absorption de fruits et légumes crus, ou de viandes achetées localement,
à l’instar du marché de Djibouti, surnommé par les Européens le « marché aux
mouches », pour une raison simple à imaginer.
3.2.3. La lutte anti-vectorielle
Le séjour en milieu tropical doit être également le moment de l’application des
mesures de lutte anti-vectorielle. Aux moyens chimiques assurés par une observance
rigoureuse de la prophylaxie anti-palustre, s’ajoutent des barrières physiques. Elles
peuvent être individuelles (répulsifs cutanés, treillis imprégnés, moustiquaires de tête),
intra-domiciliaires (moustiquaires de lits imprégnées, local climatisé), et péridomiciliaires en luttant contre les eaux et collections stagnantes, sources de gîtes
larvaires. 3.2.4. Les risques comportementaux
Le séjour peut s’émailler de morbidités en rapport avec des risques
comportementaux. La consommation excessive d’alcool est souvent le point de départ
de nombreuses complications : accidents de la voie publique, baignades en eaux douces
lors de manifestations festives et collectives exposant au risque de bilharziose,
désinhibition aboutissant à des conduites sexuelles à risque de contamination par le
virus VIH et les agents des Infections sexuellement transmissibles (IST).
3.2.5. La gestion des problèmes durant le séjour
Le voyageur doit également être renseigné sur les modalités de gestion des
évènements médicaux qui surviendraient durant son séjour. La classique « turista »
ou diarrhée d’acclimatation relève de l’automédication à base d’antalgiques et d’anti-
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
diarrhéiques à disposition dans la trousse médicale personnelle. Toutefois, toute fièvre
durant plus de 48 heures doit inciter à consulter en milieu médicalisé sécurisé : le
voyageur recevra donc les coordonnées des dispensaires existant dans le cadre des
accords de coopération, des antennes locales de l’Institut Pasteur, et des centres
médicaux des sites militaires internationaux. Enfin, il n’existe pas de « petite plaie »
en milieu tropical, et des soins locaux seront prodigués dès la moindre égratignure, en
déconseillant une nouvelle fois fermement l’automédication à base d’aspirine et
d’AINS.
3.3. Après le retour
3.3.1. La chimioprophylaxie anti-palustre
Elle doit impérativement être poursuivie selon des modalités précises : 7 jours
après le retour pour la Malarone®, 28 jours après le retour pour la doxycycline.
Toute entorse à cette règle peut se payer lourdement : le défaut d’observance de
la chimioprophylaxie et le retard diagnostique lors de quatre cas de paludisme grave à
Plasmodium falciparum survenus en 2008 au Maroc chez des PN civils (trois PN
commerciaux et un PN technique) ont abouti au décès de ces personnes, ce qui a
déclenché une sensibilisation accrue des médecins aéronautiques au péril palustre.
3.3.2. Une consultation médicale systématique en cas de fièvre
Toute fièvre au retour d’Outre-Mer reste à considérer comme un paludisme
d’importation jusqu’à preuve du contraire. Quatre diagnostics doivent être évoqués
systématiquement du fait de leur potentiel de gravité : paludisme à Plasmodium
falciparum, méningococcémie avec purpura fulminans, fièvre typhoïde de présentation
systémique, fièvre hémorragique virale, qui peuvent tuer en quelques heures. Le délai
de survenue de la fièvre par rapport à la date de retour fait éliminer après le quinzième
jour du fait de leur délai d’incubation la possibilité d’une salmonellose, d’une
shigellose, des pathologies à tropisme hépatique ou des hépatonéphrites aiguës en
rapport avec une leptospirose ou une arbovirose, des infections à germes spiralés
(borrélioses et rickettsioses), ainsi que les fièvres hémorragiques virales.
3.3.3. Le dépistage adapté aux risques
Enfin, en cas de conduite sexuelle à risque et avec le consentement du patient,
seront proposées une sérologie de dépistage de l’infection par le VIH et la recherche
d’une autre IST de type chlamydiose, gonococcie voire syphilis.
Pour conclure cette partie dédiée aux conseils au voyageur, précisons que ce
dernier dispose de supports d’information variés : guides médicaux, sites internet listant
les conduites à tenir par pays (Santé-voyage, Edisan) et la possibilité de renseignements
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
obtenus dans un centre de consultations et de vaccinations au profit des voyageurs.
Ainsi, l’activité de conseil aux voyageurs équivaut au plan individuel à une véritable
visite médicale d’aptitude sans décision.
4. Aptitude et conseils chez les PN militaires et
civils
Pour les PN militaires, l’aptitude repose sur une décision formelle, qui échoit
initialement au médecin d’unité, et pour laquelle le médecin expert n’est que
ponctuellement consulté. Elle aboutit à la rédaction d’un certificat obligatoire
d’aptitude certes aux opérations extérieures, mais qui peut aussi concerner un séjour
outre-mer dont la durée peut aller jusqu’à 36 mois. Cette aptitude est évidemment soustendue par une mise en condition sanitaire complète qui, outre les conseils déjà
développés, comporte des particularités : calendrier vaccinal spécifique, généralisation
de l’utilisation de la doxycycline comme moyen de prophylaxie anti-palustre, conseils
adaptés au pays de projection avec une consultation obligatoire dans le mois précédant
le départ, pratique d’un examen panoramique dentaire non seulement dans un but
sanitaire mais aussi pour les besoins d’identification médico-légale dans le cadre d’un
décès en service, par crash aérien ou par explosion, réalisation d’un groupage sanguin
ABO Rhésus gravé sur les plaques métalliques remises individuellement en double
exemplaire au départ du personnel militaire. L’ensemble de ces éléments est consigné
dans un dossier médical réduit remis au personnel lors de son départ.
Évidemment, cette aptitude est variable en fonction de la survenue d’affections
intercurrentes au cours de la carrière, à la lumière du résultat des explorations et ce, en
parallèle avec l’aptitude PN. C’est dans ce cas que le recours à l’expert en Centre
d’expertise médicale du personnel navigant (CEMPN) s’avère nécessaire, l’aptitude
pouvant être maintenue sous réserve d’un avis spécialisé, par le biais ou non d’une
dérogation. Les dérogations peuvent être obtenues par la Commission médicale
aéronautique de défense (CMAD), qui est une commission mixte, dont les propositions
sont collégiales après en général une évaluation initiale hospitalière, la décision finale
étant du ressort de commandement. C’est le cas de la gestion de la maladie lithiasique rénale, pour laquelle les facteurs
environnementaux liés au milieu tropical sont au premier plan, aboutissant à un
déséquilibre de la lithogénèse : hydratation insuffisante, pertes hydriques avec le port
de vêtements ou de combinaisons de protection du PN. Ce risque de décompensation
est majeur dans le cadre de missions quelquefois longues de reconnaissance ou de
survol de terrains hostiles avec de multiples ravitaillements en vol. Dans ce contexte,
chez des PN aux antécédents lithiasiques, le risque de récidive est augmenté, dépendant
de facteurs individuels qui reposent sur l’histoire, le recul, la pratique de gestes
éventuels et bien entendu le contrôle des facteurs lithogènes. Ainsi, chez ce pilote de
chasse, âgé de 34 ans, entré dans la maladie par une colique néphrétique mais chez
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
qui persistent de multiples calculs millimétriques et une hypercalciurie, l’inaptitude
outre-mer et aux opérations extérieures, a fortiori en milieu tropical, est évidente. A contrario, chez ce PN pilote de transport, âgé de 32 ans, chez lequel une lithiase
rénale a été découverte sur un examen échographique systématique demandé dans un
autre but, et qui a bénéficié d’une lithotritie ne laissant en place que quelques fragments
résiduels stables lors des contrôles ultérieurs, la restitution d’une aptitude aux
opérations extérieures de courte durée semble légitime.
Chez le PN civil, la décision d’aptitude outre-mer n’est pas formalisée mais un
avis peut être suggéré par l’expert, n’ayant finalement que valeur de conseil au médecin
du travail en charge du PN. Celui-ci pourra décider d’une adaptation ou non, en
fonction du poste exercé et du type de vol effectué. Pour une affection susceptible de
bénéficier d’une dérogation, le Conseil médical de l’aéronautique civile (CMAC) ne
donnera en général pas d’avis sur l’aptitude aux vols vers les pays tropicaux. Là encore,
il existe des situations simples et des situations plus complexes. Par exemple, chez
cette candidate PNC, âgée de 28 ans, porteuse d’une maladie de Crohn ayant déjà
bénéficié d’un traitement chirurgical et d’une troisième ligne de traitement médical,
l’immunodépression iatrogène expose à une majoration du risque infectieux et
empêche définitivement toute aptitude PNC. Autre exemple, l’infection chronique par
le VIH est un modèle d’évolution temporelle en matière d’admission PNC : cette
infection chronique est actuellement rarement compliquée sous plurithérapie bien
tolérée, permettant une restitution immuno-virologique de qualité. Ces différentes
caractéristiques, associées à un meilleur pronostic, à des thérapeutiques d’observance
simplifiée et donc améliorée, ont fait évoluer favorablement les positions du CMAC,
même si le milieu tropical reste traditionnellement à risque pour les personnes
infectées.
5. Conclusion
La projection en milieu tropical est actuellement grandement facilitée par l’avion,
et le médecin aéronautique se trouve au cœur des décisions et des conseils qui peuvent
être donnés aux uns et aux autres, qu’il s’agisse des personnels navigants, des passagers
ou des décideurs des compagnies aériennes, des décideurs des armées, voire des
gouvernements, pour éviter que cette projection n’entraîne des problèmes graves au
plan individuel ou collectif. La légitimité de ses conseils passe par une bonne connaissance à la fois du
personnel navigant, des caractéristiques des passagers, des particularités des pays de
destination, et une mise à jour permanente de ses connaissances, pour éviter
l’introduction malencontreuse de nouvelles maladies émergentes dans les mégapoles
des pays du Nord, à l’origine de potentielles catastrophes sanitaires. Enfin, le médecin aéronautique reste dans ce contexte un acteur majeur de la veille
épidémiologique. À titre d’exemple, tiré d’une expérience personnelle remontant à
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Chaire de médecine appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
2001 lors d’une projection en République Démocratique du Congo, la survenue de cas
graves de paludisme à Plasmodium falciparum chez des militaires marocains observant
correctement une chimioprophylaxie par chloroquine et proguanil (Savarine®) a
entraîné la rédaction d’un rapport technique, aboutissant à la révision du schéma
prophylactique dans les Forces armées royales marocaines.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Sébastien Bisconte,
Dominique Dubourdieu, Jean-François Oliviez, Jean-François Paris, Amel Snoussi.
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Chaire de médecine appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire de psychiatrie
et psychologie clinique
appliquée aux armées
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Confrontation des jeunes engagés aux
évolutions du milieu militaire
Jean-Philippe Rondier
1. Introduction
Les évolutions actuelles du milieu militaire sont génératrices de contraintes
spécifiques. Les jeunes recrues doivent s’y confronter pour trouver leur place dans ce
milieu. Ces contraintes mettent à l’épreuve leurs capacités d’adaptation. La notion
d’adaptation renvoie à des champs de connaissance variés. En un sens, elle n’est pas
un concept précis. La mise en défaut de la capacité d’adaptation convoque une réalité
clinique, dont la délimitation nous est permise grâce à la CIM 10 (Classification
internationale des maladies 10e édition). Les troubles de l’adaptation sont des états de
détresse et de perturbation émotionnelle entravant le fonctionnement et les
performances sociales, se révélant au cours d’une période d’adaptation à un événement
stressant. Il s’agit d’une définition vaste, par certains points imprécise ou méritant
d’être explicitée. Notons d’emblée le caractère protéiforme des manifestations
cliniques, tout comme un positionnement se trouvant aux frontières de l’activité
psychique normale (la réaction, l’adaptation) et du pathologique (le trouble et son
retentissement psychosocial). Hétérogène, discontinue, cette entité nosographique ne
nous semble pas devoir être considérée comme un diagnostic résiduel. Pour autant, sa
proximité avec d’autres manifestations marquant une rupture dans le fonctionnement
d’un individu, nous en impose une lecture critique. En effet, des interactions du sujet
et du milieu, naît un équilibre variable, qui n’est jamais vraiment acquis. Nous appuyant
sur l’entité nosographique des troubles de l’adaptation, nous aborderons donc le spectre
des difficultés de l’adaptation en milieu militaire.
Ses spécificités font néanmoins apparaître à la fois la dimension impérative de
cette adaptation, et sa nécessité vitale, notamment en lien avec les enjeux opérationnels. Le milieu militaire peut être considéré comme une organisation professionnelle
particulière, rigide et robuste par certains aspects, mais aussi soumise à d’importants
et de très actuels remaniements. En cela, il est à la fois un lieu d’adaptation et
intrinsèquement en perpétuelle adaptation, en vue de répondre au mieux aux missions
qui lui sont confiées. Le médecin militaire a pour rôle de repérer et de prendre en charge une grande
variété clinique de troubles de l’adaptation, des plus bruyants aux plus silencieux, une
part importante d’entre eux passant relativement inaperçus. Mais il est également
fréquemment le destinataire d’un ensemble de demandes et de plaintes en regard de
difficultés d’adaptation, qui ne se recoupent pas nécessairement avec les manifestations
symptomatiques des troubles de l’adaptation. Notons qu’il existe un discours de la
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
modernité sur la souffrance au travail, allant de la pénibilité au harcèlement. L’actualité
nous présente les issues les plus tragiques de cette souffrance, qui en elles-mêmes nous
exposent le tranchant de l’adaptation entre un individu et son environnement. Si le
continuum adaptation normale-trouble de l’adaptation peut être difficile à affirmer ou
ses délimitations délicates à poser, les enjeux pour l’individu et pour la collectivité ne
peuvent être méconnus. 2. La notion d’adaptation
2.1. Définition et évolution du concept
L’adaptation désigne l’adéquation harmonieuse d’une personne à son
environnement, grâce à un état d’équilibre autorisant une certaine liberté de jeu
adaptatif entre ceux-ci. Il s’agit d’un processus permanent et dynamique, qui ne se
laisse pas réduire à un état donné.
Pour autant, une approche biologique du concept nous rappelle que l’adaptation
est une caractéristique intrinsèque du vivant. Elle peut être abordée comme une
« modification d’une fonction ou d’un organe ayant pour résultat de les mettre en
accord avec tout ou partie de leur milieu, soit interne, soit externe ». Ce regard
biologique met en exergue la place du « milieu », en tant que l’organisme s’ajuste en
fonction de ses déterminants propres, mais aussi de ceux qui lui sont imposés par son
environnement, ou qui se présentent à lui dans sa trajectoire. Beaucoup moins
automatique et souvent moins réussi que la restructuration des paramètres chimiques
dans le métabolisme, l’effort que l’homme entreprend pour imposer au monde ses
projets se présente comme une entreprise pénible et précaire. L’inadaptation
fondamentale de l’homme n’est pas tant une inadaptation au milieu qu’à soi-même,
comme être tendant à se réaliser dans ce milieu. Cette remarque trouve un éclairage particulier avec les travaux de Seyle [1]. Il
donne une interprétation originale de l’adaptation. Selon lui, il existe « une réponse
non spécifique que donne le corps à toute demande qui lui est faite » : c’est le stress.
Ce terme désigne aussi bien l’agent stressant que la réponse qui procède de son
interaction avec l’organisme. Une séquence particulière en découle, dans ce qu’il
dénomme le syndrome général d’adaptation, constitué de la succession d’une réaction
d’alarme, puis d’une phase de résistance et d’épuisement. Ces processus initialement
décrits à partir de la physiologie comprennent in fine une visée adaptative : celle de
rétablir un état d’équilibre antérieur, soit l’homéostasie. Devons-nous donc considérer
l’immuabilité comme la finalité du processus adaptatif ? Même dans une perspective
éthologique, cette proposition ne peut être soutenue, quand bien même la question de
la perpétuation de l’espèce est très liée chez l’animal aux processus d’adaptation. Ce rapport à la survie de la collectivité nous renvoie aux travaux de Lamarck [2]
et de Darwin [3], à partir desquels l’adaptation se pose comme le pivot de la sélection
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Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
des espèces. L’application de ces principes évolutionnistes a donné lieu à des travaux
et parfois des dérives lorsqu’elles étaient appliquées à l’homme et à son milieu dans
une perspective hygiéniste et eugénique : le terreau de la dégénérescence, le criminelné, etc. Cette vision de l’évolution adaptative est à cette époque fortement marquée
d’un regard moral et social stigmatisant, dont la psychiatrie moderne va se démarquer
en se recentrant sur l’individu et sur la dynamique de ses interactions avec son
environnement. Soulignons ainsi l’importance des travaux concernant la notion de
réaction en psychopathologie, dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Selon Henri Ey [4], « la réaction est la propriété même du vivant, dans la mesure
même où la vie est le contraire de l’inertie. » « [...] l’être vivant, en tant qu’il se
constitue en individu, ne peut assurer son autonomie dans ses relations avec son milieu,
que par le rétablissement constant d’un équilibre que toutes les circonstances et toutes
les variations du milieu extérieur menacent à chaque moment de son existence. » « [...]
lorsque nous parlons de « réaction d’adaptation » nous introduisons nécessairement
dans le « comportement humain » l’idée [...] d’un système de la réalité et d’un système
de valeurs propres à l’individu. Les réactions d’adaptation sont à cet égard normales,
non parce qu’elles sont conditionnées, mais parce que leur conditionnement est luimême intégré dans le sens de l’existence, dans l’être en tant qu’il dispose d’un modèle
personnel de son monde [...] ». Ainsi, la notion de réaction constitue un premier écart
par rapport à la normativité à laquelle renverraient les processus adaptatifs. Et même
si la « réaction » s’inscrit dans le plan de la finalité, par exemple de la normativité de
l’organisme avec son milieu naturel, pouvons-nous associer l’idée d’adaptation à celle
de normalité ?
Une lecture critique, philosophique et sociologique, nous renvoie à une acception
positiviste de l’adaptation, résumant les faits à une épreuve de réalité et associant une
adaptation optimale à un idéal de perfection : « savoir pour prévoir, prévoir pour agir ».
Canguilhem [5] objecte au positivisme de Comte que tout ce qui est dans la norme
n’est pas nécessairement exclu d’une dimension pathologique et que par ailleurs, tout
ce qui est pathologique n’est pas obligatoirement hors norme. L’adaptation « normale »,
c’est-à-dire non pathologique, ne peut plus désormais avec Canguilhem se réduire à
l’alignement sur la norme. Dès lors, s’il y a écart de l’adaptation entre l’individu et
son milieu, ce trouble renvoie nécessairement à la particularité, à la temporalité et à la
singularité de ce qui lie l’individu à son milieu.
À cet égard, reprenons les propos de Canguilhem : « Il faut bien voir qu’une action
ainsi docile aux conclusions d’une prévoyance bien informée tient davantage de la
résignation à l’ordre du monde, que de la remise en question de cet ordre. » Ceci nous amène à l’étude des particularités du milieu militaire et des individus
qui le composent.
2.2. Les évolutions du milieu militaire
Parler d’adaptation en milieu militaire, c’est ouvrir une réflexion sur les mutations
sociologiques et anthropologiques à l’œuvre dans notre monde post-moderne où le
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
principe même de guerre semble remis en cause. Le militaire d’aujourd’hui est-il le
soldat d’hier, possède t-il les mêmes capacités d’adaptation au combat, de lutte pour
la survie face à la blessure et à la rencontre avec la mort ? Regardons, brièvement, quelles sont les grandes mutations des conditions
d’exercice du militaire.
L’action du militaire s’inscrit, de fait, dans trois cercles.
Le premier cercle est géopolitique. Dans nos sociétés, pour les soldats engagés,
se posent toujours les questions : pour qui meurt-on ? Quelle est la légitimité de notre
action, de notre sacrifice ? La Grande Guerre et la Deuxième Guerre mondiale sont
des guerres de défense de notre identité nationale, c’est l’affaire de tout un peuple. Le
corps expéditionnaire en Indochine puis la guerre d’Algérie sont vécus comme
l’héritage de notre passé colonial. Les interventions récentes dans un cadre
multinational font appel à une armée de professionnels volontaires, engagés au bout
du monde pour « gagner la paix ».
Projeté loin du territoire national, avec des missions souvent ambiguës, le soldat
a du mal à trouver un sens à sa mission. Le brouillage des frontières entre guerre et
paix fragilise sa légitimité et l’abandonne à une opinion publique versatile.
Le second cercle correspond au contexte de l’exercice de la puissance. Dans notre
monde multipolaire, des états de violence remplacent les guerres déclarées. Mais ces
nouveaux conflits dits asymétriques ne sont finalement que des adaptations à
l’évolution du monde et aux nouvelles technologies selon le camp auquel on appartient.
La difficulté de résoudre le conflit afghan témoigne de l’impuissance de la puissance.
Le troisième cercle est l’omniprésence de la technologie. Cette technologie
s’inscrit pour nous, dans ce qu’il est convenu d’appeler des « systèmes d’armes ». On
est passé du fantassin avec son fusil, à l’opérateur qui utilise pour combattre des
systèmes interfacés qui permettent de gérer et d’intégrer une quantité importante
d’informations (l’homme machine appareillé : le FELIN). Il fonctionne en réseau dans
ce qu’il est convenu d’appeler le « théâtre d’opérations ». Dans cet ensemble, le
comportement du groupe humain, du système militaire, ressemble un peu à celui d’une
communauté de fourmis ; l’action est pilotée, la décision est prise à un niveau très
supérieur, parfois très à distance des combats. Il va de soi que cela nécessite de la part
de l’homme une sorte de renoncement individuel, un sentiment de confiance dans le
« système », qui lui apporte des « représentations du réel », des images « virtuelles »
dans une temporalité séquencée. Toutes ces évolutions ont nécessairement un impact sur l’aptitude physique,
cognitive et psychologique de l’homme dans cette rencontre active avec un
environnement extrême. Le soldat d’aujourd’hui est soumis à d’autres contraintes
sensorielles et finalement à une sollicitation permanente de ses capacités d’adaptation,
surtout quand l’ennemi lui oppose un cadre d’engagement dégradé où tous ces
systèmes d’arme sont rendus inopérants comme par exemple en Afghanistan. L’organisation militaire appartient au corps social de la nation. Elle ne s’affranchit
266
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
pas des progrès technologiques qui accélèrent, diffusent l’information, programment
l’individu et donnent au champ de bataille une réalité virtuelle déroutante. Dans ces
conditions, maintenir un lien humain devient une impérieuse nécessité.
Sans lien, la perte de moral, l’effacement du groupe et du collectif et les fragilités
psychiques individuelles deviennent très vite des vulnérabilités et minent des armées
qui supportent mal l’absence de résultats immédiats à l’instar de la société dont elles
sont issues. C’est pourquoi les états-majors mettent en avant leur souci d’une bonne adaptation
au milieu en projetant des spécialistes du soutien de l’homme, des officiers
environnement humain, et en édictant des standards minimaux de confort en opération
extérieure (Wellfare). L’adaptation requiert une mise en condition par un
aguerrissement, c’est l’objet de la politique d’aguerrissement au combat de l’armée de
Terre qui énonce le besoin d’endurcir les combattants pour les rendre aptes à supporter
toutes les vicissitudes de la guerre. Le livre blanc de la Défense aborde aussi la question de la « résilience » en tant
que capacité à se réadapter après des événements exceptionnels, favorisant l’inscription
dans une lignée commune, la capacité du corps militaire d’associer les individus dans
un collectif par l’entremise du rituel, ciment du lien social. C’est le défi actuel des armées occidentales que de concilier instruction,
entraînement et activités créatrices de lien.
Notez que la théorie de Freud dans « Psychologie collective et analyse du moi »
indique que des processus d’identification très puissants au groupe et à l’alter ego sont
à l’œuvre au sein de l’Armée comme de l’Église.
2.3. La confrontation au milieu militaire
Les situations peuvent parfois être repérées à des moments particuliers de la
trajectoire des militaires. Il importe de considérer certaines coordonnées, constituant
des moments qui, pour chacun, prennent une valeur particulière et mettent à l’épreuve
les aménagements de leur personnalité.
En effet, la carrière militaire passe par la traversée d’un certain nombre de jalons.
Dès l’intégration, les militaires sont confrontés à un milieu inconnu, avec lequel ils
doivent se familiariser. Il s’agit d’une rencontre précédée par ce qui a déterminé leur
engagement, ce qui ne se recoupe pas nécessairement avec leurs motivations. Le jeune
engagé ne mesure pas toujours la force d’arrachement à un milieu familial ou
sentimental, que représentent le milieu militaire et son inconnu. Dès ce stade, des
difficultés d’adaptation peuvent survenir. C’est alors que vous assisterez peut-être à
des décompensations brutales, dans l’angoisse, l’agitation ou la fugue, traduisant la
mise en échec précoce des aménagements personnels. Cette période de l’engagement
initial est aussi marquée par la rencontre du groupe, celui des pairs, mais aussi d’un
groupe hiérarchisé, porteur de certaines valeurs et notamment de l’exigence de
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
s’intégrer dans ce groupe. Le jeune engagé fait l’expérience d’une part de l’autorité,
sous la figure du commandement, et d’autre part de la nécessité de trouver une place
dans un groupe de semblables. Plus qu’une adaptation, ce mode d’entrée nécessite une
adhésion totale et « sans nuance » aux valeurs de l’Institution. L’adaptation, dans ce
moment précis, peut avoir valeur de « tout ou rien ». L’intégration dans le groupe
devient alors un impératif, qui amène le militaire à se saisir de l’identification qui lui
est proposée. La place à laquelle il accède alors dans le groupe constitue un important
facteur de soutien, en particulier par le vécu de solidarité et de fraternité. Par ailleurs,
il peut trouver un autre étayage, dans le rapport aux figures du commandement ou dans
ce qui vient structurer les valeurs de l’Institution militaire. Dans une perspective plus
dynamique, le groupe lui assure une fonction protectrice, en mettant à distance
l’angoisse, notamment dans les moments les plus sensibles. Même si l’émulation et la
compétition sont de rigueur, dans certains corps, cela n’est pas antinomique de
l’adhésion globale aux valeurs militaires. Se singulariser comporte alors le risque de
se désolidariser ; ce qui sera ressenti comme une faute envers le collectif. Le sujet doit
accepter de se départir d’une gratification purement individuelle, mais qui sera
rétrocédée. Il s’agit d’un processus complexe et difficile, que doivent opérer le groupe
et l’individu, dont la stabilité n’est jamais assurée. Vous pourrez le constater au contact
de petits groupes, isolés notamment sur le plan des transmissions, insuffisamment
préparés, parfois privés de leur chef ou de leurs ordres.
L’issue de la période de formation initiale, les « classes », mène les jeunes engagés
à trouver une place dans une nouvelle unité déjà constituée. Y succède généralement
une période de spécialisation, marquée par l’investissement dans l’action et d’une
certaine gratification professionnelle. Mais cela peut être aussi la confrontation à une
réalité radicalement différente de ce qui a pu être idéalisé. C’est pour certains le temps
de la désillusion. La confrontation opérationnelle peut venir surprendre par sa rapidité
ou au contraire l’aspiration guerrière peut être contrariée par un fonctionnement
routinier et administratif dans l’Institution.
Par la suite, vous pourrez identifier d’autres moments clés, moments de
franchissements symboliques. Certains sont aisément repérables : passages de grade,
modifications du statut (par exemple le passage sous-officier), changements d’unité,
mutations, arrivée d’un nouveau chef ou d’un nouvel encadrement.... D’autres
ressortent davantage de déterminants plus intimes : séparations affectives, deuil,
modification de la configuration familiale (paternité). Là encore un hiatus douloureux
peut apparaître entre les aspirations de l’individu, ses capacités, ce qu’il attend en
termes de reconnaissance de l’Institution et ce que ce changement trouve comme écho
chez lui. Enfin, attardons nous sur ces militaires sur le point de quitter l’Institution. Il s’agit
d’une période de vulnérabilité, au cours de laquelle vous remarquerez la fréquence des
plaintes quant à l’épuisement, à la déception, à la rancœur, aux incertitudes quant au
devenir. Vous serez vigilant face aux demandes d’une « dernière mission », avant de
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
quitter le service, car parfois, elles dévoilent des situations complexes. Parfois
l’Institution, dans ses aménagements, ou par une tolérance excessive, occulte un jeu
adaptatif très restreint. Mais surtout, il s’agit d’un nouveau moment d’adaptation, cette
fois face à la séparation à venir et à la perte de repère du quotidien.
Nous n’avons évoqué le processus d’adaptation qu’au niveau individuel. Le
groupe peut présenter lui aussi des troubles de l’adaptation. Il peut s’agir d’une
désorganisation panique ou d’actes qui procèdent d’un décrochement du sens moral :
lynchages, exactions… On peut considérer que dans ces circonstances, il convient
d’être inadapté au groupe. 3. Approche épidémiologique
3.1. En milieu civil [6]
En médecine générale, la prévalence du trouble de l’adaptation concerne 4,5 % à
20 % des consultations. En psychiatrie ambulatoire civile, elle est de 15 à 23 % contre 10 % en institution
psychiatrique. On retrouve deux tiers de femmes. L'âge moyen des patients est de 39 ans et 58 %
d'entre eux exercent une activité professionnelle. Les facteurs de stress incriminés le
plus souvent sont le travail pour 23 % des patients et dans 18 % des cas les problèmes
de santé, 72 % des patients sont sans antécédents psychiatriques. 3.2. En milieu militaire [7]
En pratique militaire nous ne disposons pas de chiffres précis concernant le trouble
de l’adaptation au sein de l’unité. Un motif psychiatrique est retrouvé dans 20 % des
arrêts de travail d’un régiment d’une durée généralement inférieure à 20 jours [8]. Dans
le cas spécifique de la Légion, le trouble de l’adaptation prend souvent le masque de
la désertion pour des raisons qui ont trait au mode de fonctionnement de cette
institution. Durant l’année 2006, la Légion étrangère a compté 153 désertions pour un
effectif total de 7 700 hommes [9].
En milieu hospitalier militaire, sur 100 patients adressés en psychiatrie pour une
décision médico-militaire, un trouble de l’adaptation a été retenu dans 36 % des cas [7].
Chez les militaires rapatriés [10], le diagnostic de trouble de l’adaptation
insuffisamment descriptif n’est pas utilisé en tant que diagnostic mais plutôt en tant
que descripteur étiopathogénique. Un facteur étiopathogénique intitulé « trouble de
l’adaptation à la mission » est retrouvé dans 15,3 % des rapatriements sanitaires. On
notera que 5,1 % des rapatriés ont été réformés, principalement pour une inadaptation
à la vie militaire. L’épidémiologie du trouble de l’adaptation est difficile à apprécier et ce en raison
de plusieurs limites : un repérage initial difficile et une prise en charge tardive, une
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
plainte mal définie pouvant prendre un masque souvent fonctionnel. De plus, le
diagnostic est porté en excès alors qu’il masque une pathologie psychiatrique plus
évolutive.
4. Un polymorphisme de situations cliniques
Les manifestations cliniques du trouble de l’adaptation sont polymorphes. Nous
les décrirons en en limitant les contours. Mais d’abord deux observations cliniques
nous montrent combien le développement d’un trouble de l’adaptation en milieu
militaire est lié à l’interaction avec le milieu et comment il aboutit souvent à une rupture
de lien avec l’environnement, avec le groupe.
Thomas, caporal-chef, âgé de 26 ans, engagé dans une dynamique de carrière,
projette d’intégrer les commandos de montagne. Il se trouve en mission en Afghanistan.
Il fait partie de l’équipe de protection rapprochée du chef de corps. Il connait, dans le
début de sa mission, une appréhension mêlée d’une forme d’« enthousiasme »,
d’excitation, dans la présence du danger. Néanmoins, il ne s’était pas préparé à la
menace aveugle du terrorisme. L’intolérable – dit Thomas – « c’est de ne rien
maîtriser ». C’est au décours du décès d’un adjudant de son unité, victime d’une voiture
suicide, un taxi, que – dit-il – « tout s’est compliqué ». Il n’arrive plus alors à
« décompresser » au retour des patrouilles. Peu après, il se trouve dans un
embouteillage – moment de vulnérabilité critique vis-à-vis d’un attentat. Il repère un
taxi. Son regard croise celui du conducteur. Il y lit de la haine. Il voit sa fin. Il est très
éprouvé au retour bien que son appréciation de la situation ait été erronée.
Cet épisode provoque une rupture. Il est envahi par une angoisse qui le paralyse.
Il ne peut plus tenir sa fonction. Sortir du camp lui est intolérable. Il a perdu sa
motivation. Il n’a plus envie « de connaître le feu », et se sent en décalage avec ses
camarades. Il se culpabilise beaucoup de cela. Le sentiment d’être dans une situation
dont il ne parvient pas à dénouer les éléments de contradiction, l’ébranlement du sens
qu’il donnait à son engagement, l’incertitude qui s’ouvre, le déstabilisent. La prise en charge prodiguée sur place pendant plusieurs semaines ne permettra
pas la résolution des troubles. Il ne pourra reprendre sa place dans son unité. Il sera
rapatrié.
Jacques est un quartier-maître, âgé de 23 ans. Il a trois ans d’ancienneté dans la
Marine. Il n’a pas d’antécédent de trouble psychiatrique et n’a présenté aucun indice
d’une difficulté d’intégration à son unité embarquée. Il évoque a posteriori qu’il
présentait déjà une lassitude aux exigences de disponibilité de la vie à la mer. Il est appelé inopinément à partir en mission pour une durée de quatre mois sur
un bâtiment qui n’est pas celui où il est affecté. Il est placé en subsistance. C’est le
terme consacré dans la Marine. Terme qui indique une certaine dimension de précarité
de sa situation. De plus l’absence de fonction déterminée à bord va favoriser le
développement d’un sentiment d’inutilité. Ce départ survient alors que son père tombe
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LES ANNALES DE
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malade et doit être hospitalisé. Dès les premiers jours il est envahi de préoccupations,
les ressasse incessamment. Il s’inquiète pour son père. Il culpabilise de ne pas être
auprès de lui. Il tourne en rond dans le bateau, s’isole. Il se sent enfermé, pris au piège
dans une situation de contrainte. Il présente des insomnies presque complètes. Il a
perdu l’appétit, va perdre quatre kilogrammes en deux semaines. Il confie ses difficultés
à son adjudant de compagnie et lui exprime l’impossibilité qu’il ressent de poursuivre
la mission. Celui-ci ne donne pas suite à sa demande. Il lui enjoint de prendre sur lui,
de ne pas s’écouter. Dans un moment de détresse, Jacques se scarifie l’avant-bras. Il
est pris en charge par le médecin qui décide d’un rapatriement. Jacques indique que
cette décision lui apporte un soulagement considérable. Lorsqu’on le reçoit à l’hôpital
il est asymptomatique et ne prend pas de traitement psychotrope.
Il s’agit donc de circonscrire la clinique d’un trouble, le trouble de l’adaptation,
souvent suspect de réduire la complexité d’une situation clinique, d’être un diagnostic
fourre-tout, une catégorie résiduelle. Il correspond cependant à des situations cliniques
dument repérables. Nous allons ici en préciser les critères cliniques. Il faut pour ce
faire revenir à la définition du trouble de l’adaptation dans la CIM 10.
La CIM 10 définit le trouble de l’adaptation comme un état de détresse et de
perturbation émotionnelle, entravant le fonctionnement et les performances sociales,
survenant au cours d’une période d’adaptation :
– à un changement existentiel important, particulièrement marquant dans la vie
du sujet : l’incorporation d’un sujet en milieu militaire par exemple ;
– à un événement stressant : situation institutionnelle de conflit, ou rupture
affective.
Un point est important : la réponse est plus marquée que celle qui est
habituellement observée en réponse à l’événement stressant.
Ce qui est primordial est la corrélation, la coïncidence temporelle entre l’exposition
à une situation vécue comme contraignante et la survenue des troubles cliniques.
La symptomatologie emprunte ses éléments à des grands tableaux de la clinique
psychiatrique : l’anxiété, la dépression et les troubles des conduites. Cela conduit à
distinguer des sous-types du trouble de l’adaptation : trouble de l’adaptation avec
anxiété, avec humeur dépressive, avec perturbation des conduites.
Le trouble de l’adaptation est classé dans la CIM 10 dans les troubles anxieux. Ce
qui indique la prévalence des manifestations anxieuses.
Elle s’exprime dans ses différentes manifestations psychiques, somatiques et
comportementales.
Sur le plan psychique, par un état de tension permanent, une hypervigilance, une
inquiétude, une anticipation catastrophique des événements. Les soucis, les difficultés
rencontrées par le sujet dans la situation présente, sont démesurément grossis dans
leurs conséquences.
Au niveau somatique, le sujet présente des troubles fonctionnels : sensation
d’oppression thoracique, difficultés respiratoires.
Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Ces troubles s’accompagnant d’une instabilité comportementale, parfois jusqu’à
des états d’agitation ou alors d’une inhibition motrice.
Il faut insister ici sur la labilité de ces manifestations : un sujet asymptomatique à
son domicile peut présenter une réactivation anxieuse aiguë à la perspective de son
retour à l’unité.
L’humeur dépressive peut être au premier plan du tableau clinique. C’est une
humeur triste, dont l’intensité est variable. Cependant le ralentissement psychomoteur
est modéré.
Quand aux contenus de pensée liés à l’humeur dépressive, ils sont centrés sur la
situation contraignante. Ils sont l’objet d’un ressassement permanent. Le pessimisme
notamment : tout ce qui concerne cette situation est l’objet d’une considération
péjorative. Aucun changement, aucune amélioration, issue favorable n’est envisagée.
Plus encore il existe, pour notre quartier-maître par exemple, un sentiment d’aliénation,
d’enfermement, sentiment de ne pouvoir s’extraire d’une situation pour laquelle il
développe une aversion, une intolérance absolue.
Il y a une fixation du sujet dans une dimension temporelle très rétrécie, une
immédiateté, une absolue polarisation de la conscience sur la situation contraignante. C’est ce qui amène certains patients à formuler des demandes impérieuses d’être
soustraits à la situation. Tel soldat sollicite de manière insistance d’être rapatrié
immédiatement alors que la mission de cinq mois dans laquelle il se trouve engagé se
termine dans deux semaines. Et ce parce que l’amie qu’il avait rencontrée 15 jours
avant le départ vient de le quitter.
Pour l’encadrement, l’intensité de l’expression des troubles peut sembler
disproportionnée par rapport la situation désignée comme cause. Cela risque d’ouvrir
à une incompréhension renforçant l’intensité des troubles.
La dévalorisation se présente plutôt sous la forme d’une incapacité à faire face, à
supporter la situation. Ce qui est aussi une forme de culpabilité. Cependant la culpabilité n’est pas ici le plus souvent au premier plan. Plus que de
s’adresser des reproches, le sujet présentant un trouble de l’adaptation au milieu
militaire, dénonce la situation qui lui apparaît intolérable et au sujet de laquelle il
formule une plainte, parfois insistante. Plainte qui est le plus souvent sous-tendue par
une dimension de méconnaissance, méconnaissance de son implication personnelle
dans les difficultés qu’il dénonce.
Ces troubles s’accompagnent souvent de modifications du caractère : irritabilité,
agressivité ou bien alors d’un détachement, repli sur soi d’un sujet qui s’isole du
groupe. Des troubles des fonctions instinctuelles sont également observés. Les
perturbations du sommeil et de l’appétit peuvent être importantes.
Des idées suicidaires peuvent survenir. Elles sont le plus souvent
fugaces. Un passage à l’acte est cependant à redouter, impulsif, dans un
moment de recrudescence anxieuse. Il a souvent valeur d’appel. Il vient
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Chaire de psychiatrie et psychologie clinique appliquée aux armées
LES ANNALES DE
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montrer ce qui n’a pu être dit ou ce qui n’a pas été entendu.
Le trouble de l’adaptation peut se manifester de manière prévalente par des
troubles des conduites.
Ce sont notamment des conduites à incidence disciplinaire. Il s’agit de retards,
d’absences irrégulières qui se répètent. Il peut s’agir de conduites d’opposition, refus
d’un ordre, ou sous une forme spectaculaire, d’une menace avec son arme, réalisant
un usage inapproprié de l’arme, situation d’une particulière dangerosité. Ce sont parfois
des conduites de rupture : des fugues, fuite d’un milieu jugé trop contraignant chez
des sujets ne pouvant contenir leur angoisse.
Il y a dans ces situations la possibilité d’une escalade des sanctions, par une
méconnaissance de la souffrance psychique par l’encadrement. Cette situation va placer
le sujet dans une impasse pouvant provoquer le développement de conduites autoagressives : tentatives de suicide ainsi que nous l’évoquions et aussi conduites
d’automutilation telles que des scarifications comme ce fut le cas pour notre patient.
Des conduites addictives peuvent se développer comme expression de la
souffrance psychique liée au trouble de l’adaptation. Il peut s’agir d’un mésusage
d’alcool ou d’une autre substance psychoactive, le cannabis par exemple. La
consommation d’alcool a souvent pour fonction d’apaiser une angoisse. Des ivresses
aiguës pourront se compliquer de rixes, d’accidents avec leurs conséquences
traumatologiques.
Pour porter le diagnostic de trouble de l’adaptation, le plus souvent chez les jeunes
engagés en milieu militaire, mais aussi chez des personnels plus anciens dans le
contexte d’une désadaptation tardive, il faut donc que le développement de ces
manifestations présente un lien de causalité avec l’exposition à un facteur de stress.
Il existe dans la CIM 10 un critère de temps. Les troubles doivent survenir dans le
mois qui suit la survenue de l’événement stressant. Leur durée est inférieure à 6 mois
après sa disparition.
Le diagnostic de trouble de l’adaptation ne peut être porté formellement que dans
l’après-coup.
Il faut distinguer le trouble de l’adaptation d’autres manifestations :
– les démotivations sans trouble de soldats qui décident d’interrompre leur
engagement. Un tiers d’entre eux le font pendant la période probatoire ;
– en situation opérationnelle, des éprouvés intenses de peur face à la mise en
danger vitale ne rentrent pas dans le cadre de la pathologie.
On différencie le trouble de l’adaptation d’un épisode dépressif majeur. La
symptomatologie dépressive y est plus fixée. On retrouve parfois un événement
intervenant comme facteur déclenchant. Mais le fait de soustraire le sujet à la situation
éprouvante n’entraîne pas un amendement significatif et rapide des symptômes
dépressifs. Il faut distinguer par ailleurs le trouble de l’adaptation de l’état de stress aigu :
c’est un trouble transitoire survenant à la suite d’un facteur de stress exceptionnel. On
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273
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
retrouve une dimension réactionnelle comme dans le trouble de l’adaptation. Mais le
facteur de stress est ici exceptionnellement catastrophique et menaçant, comme une
action de combat de haute intensité. De plus l’état de stress aigu présente des
manifestations cliniques caractéristiques comme une dissociation péri-traumatique,
qui est une altération des capacités d’intégration de la conscience, un syndrome de
répétition traumatique, avec des cauchemars nocturnes et des souvenirs envahissants
relatifs à l’événement traumatique pendant l’état de veille.
Certaines troubles psychotiques aigus surviennent dans un contexte de
confrontation à un facteur de stress comme l’incorporation au milieu militaire. On
parlait par exemple de la schizophrénie des trois jours. Si la dimension réactionnelle
peut être retenue, les troubles psychotiques se distinguent des critères cliniques du
trouble de l’adaptation et ouvrent sur une évolution plus aléatoire.
Une question importante est celle du rapport entre trouble de l’adaptation et trouble
de la personnalité qui sont souvent comorbides. C’est d’ailleurs la révélation d’un
trouble de l’adaptation ou sa répétition qui peut dévoiler le trouble de la personnalité.
Les circonstances de confrontation à certaines situations du milieu militaire, entraînant
un trouble de l’adaptation, dévoilent des aménagements rigides de personnalité.
Notamment des traits pathologiques d’intolérance aux frustrations, d’impulsivité, chez
un sujet qui fugue après qu’on lui ait refusé sa permission, des traits de dépendance
affective pour un soldat qui va présenter un état de décompensation en lien avec une
intolérance à l’éloignement des proches.
5. Étiopathogénie et psychopathologie
La plupart des événements de vie demandent une adaptation bio-psychologique,
que celle-ci soit inobservable, ou évidente. C’est cette adaptation qui va déterminer
l’impact de ces événements sur notre équilibre. Les manifestations cliniques du registre
émotionnel ont conduit à faire penser que leur support biologique pourrait résulter
d’une anomalie de la régulation de la réponse au stress. Le lien entre anxiété et
activation de l’axe corticotrope est ancien. Plus récemment, est pointée l’interaction
constante des systèmes noradrénergiques (éveil émotionnel et comportemental) et
cholinergiques (alerte et inhibition comportementale) au sein d’un système
d’adaptation comportementale [11]. Ceci se rapproche des réactions physiologiques
au stress, mettant en jeu un système d’alarme (neurones centraux du locus coeruleus
et système sympathique), ainsi qu’un système de défense (neuroendocrinien). Par
ailleurs, dans de nombreux cas, s’adapter c’est apprendre, acquérir des connaissances. Les théories comportementales [12] font dépendre les problèmes d’adaptation de
ces apprentissages, qu’ils soient conscients ou inconscients. Il en découle un certain
nombre d’hypothèses quant à ces modes d’apprentissages, parmi lesquels les
conditionnements sont les plus inconscients. Il est possible d’en rapprocher le postulat
adaptationnel, selon lequel les émotions, phylogénétiquement, ont une fonction
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
d’adaptation. Leur expression en dehors de ce contexte rendrait compte de la dimension
pathologique du trouble de l’adaptation. Les modèles cognitifs quant à eux, sont
nombreux. Certains postulent l’existence de plans cognitifs antérieurement établis.
Leur interruption par un stimulus, un événement, vient polariser l’attention du sujet
vers la cause de l’interruption et produit une activation physiologique, l’éveil. Celleci ne peut être interrompue que par le fait de réamorcer une séquence plus adéquate,
au risque d’être enregistrée en mémoire, par feed-back successifs, si elle persiste. Il en
découle un certain nombre de biais cognitifs.
L’interaction entre un individu et son environnement peut également être
appréhendée comme un ensemble de transactions, qui ne sont considérées comme
stressantes, qu’à travers l’interprétation cognitive qui en est faite.
Le mot coping [13] vient du mot anglais to cope with, dont il faut retenir la
signification « faire face à ». Les capacités à faire face correspondent à l’ensemble des
pensées et des actes développés par le sujet pour résoudre des problèmes auxquels il
est confronté, et ainsi réduire le stress qu’ils engendrent. Le coping vise donc la
minimisation du lien stress – détresse. Le coping est toujours présent lorsque l’individu
a perçu une demande d’adaptation et comprend beaucoup de processus, autant
conscients qu’inconscients. Les processus de coping conscients soumis aux lois de
l’apprentissage, sont les stratégies d’ajustement au problème. Ces stratégies sont
constituées de trois grandes classes : les stratégies d’ajustement axées sur le problème,
axées sur les émotions et pour finir sur l’hygiène de vie.
Cette approche du coping n’est pas sans évoquer ce que vous aurez entendu de la
notion de résilience, qui désigne la capacité à prendre acte d’un événement pour ne
plus le vivre dans l’effondrement.
L’approche systémique [14] prend particulièrement en compte la place du groupe.
Les individus sont ainsi considérés en tant qu’ensembles, soit comme des systèmes à
part entière, régis par des lois qu'il s’agit de dégager. Les troubles de l’adaptation des
individus sont donc une résultante d'une anomalie du système en lui-même, la fonction
première d’un système étant sa propre conservation. Il doit donc rester dans un état
constant, orienté vers un optimum. Cette relative stabilité comporte en elle-même des
déséquilibres, provoqués par des flux d’entrées et de sorties, flux d’informations par
exemple. Ces interactions sont la condition même de réalisation de l’équilibre du
système. Elles constituent une modalité particulière d’adaptation du système. Ainsi,
paradoxalement, du point de vue systémique, les troubles de l’adaptation résultent d’un
déséquilibre, généré par l’épuisement de tous les échanges possibles avec
l’environnement. Au sein de cette approche, la cybernétique se concentre sur la
description des relations entretenues avec l'environnement, en identifiant les structures
communicantes de l'objet étudié, en se concentrant exclusivement sur l'effet externe,
sans considérer les raisons internes de ces effets, soit une schématisation en boîte noire
et boucles de rétroactions. L’approche cybernétique a particulièrement influencé l’école
de Palo Alto, notamment autour de la valeur de la situation de crise, comme moment
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
propice au changement. Ainsi, les situations de désadaptation, c'est-à-dire de perte du
point d'équilibre, sont propices à une intervention, en vue d’atteindre un nouvel
équilibre.
D’un point psychanalytique, l’adaptation renvoie à la capacité de mettre en œuvre
tout le registre des mécanismes de défense, comme le déni, le refoulement, le
déplacement... Elle est donc davantage à situer du côté de la conséquence de la
mobilisation des aménagements subjectifs et des compromis symptomatiques les plus
singuliers, dans la mise en tension des rapports d’un individu avec les coordonnées
d’une situation donnée.
6. La prise en charge
La question de la prise en charge nous amène à envisager les différentes
circonstances de rencontre.
Il peut s’agir d’une situation de crise : ivresse aiguë pour un patient présentant une
intolérance à l’ennui sur un théâtre opérationnel stabilisé ou d’une crise clastique d’un
soldat au décours d’une altercation avec son chef.
On rencontre aussi ces patients en consultation plus réglée. Ils adressent une plainte
insistante, une sollicitation pressante d’être soustrait à une situation dans laquelle ils
ont le sentiment d’une absolue impossibilité à poursuivre.
Parfois la plainte est mal définie, imprécise. Elle peut prendre l’expression de
troubles fonctionnels chez des patients qui viennent solliciter le médecin pour des
douleurs rebelles, des malaises à répétition. Il faut penser à interroger le patient sur la
qualité de son adaptation.
Après des conduites à incidence disciplinaire, des patients consultent à la demande
du commandement. Ces troubles des conduites révèlent parfois un trouble de
l’adaptation. Plus encore une vigilance s’impose vis-à-vis des sujets relevant de sanctions
disciplinaires, situation qui peut amener le médecin à prendre l’initiative d’une
évaluation clinique notamment dans certaines conjonctures d’escalade punitive.
Dans la rencontre avec ces sujets présentant des troubles de l’adaptation, il y a
une place privilégiée donnée à l’abord relationnel et un enjeu particulier du premier
entretien. Il peut dénouer une situation ou à l’inverse renvoyer le sujet à un sentiment
d’isolement, d’incompréhension.
Il faut savoir écouter. L’attention médicale se manifeste par la pertinence des
questions. C’est par le récit qu’il élabore que le sujet va prendre une distance avec la
situation. Il est possible qu’il lui permette d’avoir une vision plus nuancée. L’objectif
est de lui permettre de se décaler des aspects les plus manifestes de sa plainte afin
d’apercevoir comment il est impliqué lui-même dans les difficultés de la situation qu’il
dénonce.
On peut illustrer ce propos par l’histoire d’un patient rencontré alors qu’il se
trouvait en mission à Djibouti. Il consulte alors qu’il présente des troubles anxieux
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
intenses. Il demande d’emblée un rapatriement dans les plus brefs délais. Il dénonce
les traitements injustes de son adjudant avec lequel il a eu une altercation. Il s’agit d’un
jeune caporal pour lequel est envisagée une orientation vers une carrière de sousofficier. Il est parfaitement intégré à la vie de son unité en métropole. Trois entretiens
à quelques jours d’intervalle lui permettent de s’apaiser. Il fait part de la difficulté qu’il
ressent de l’éloignement de sa famille. Il peut finalement reprendre sa place dans son
unité. Cette observation nous indique combien il importe de prendre en compte la
qualité du lien du sujet à l’institution militaire. Notre patient a pu prendre appui sur ce
lien pour dépasser des difficultés conjoncturelles.
Cette observation nous montre également dans les conditions des opérations
extérieures combien un temps d’observation est souvent nécessaire avant de prendre
des décisions de rapatriement sanitaire chez des sujets présentant des troubles de
l’adaptation. Si l’on prend cette décision, elle doit s’intégrer à un projet thérapeutique avec un
souci de la continuité des soins, d’où l’importance des contacts pris avec les médecins
qui recevront le patient : le médecin hospitalier et son médecin d’unité. Un rapatriement sanitaire peut ne pas être sans conséquence sur l’engagement
d’un soldat, son renouvellement de contrat par exemple. Il existe par ailleurs une
possibilité d’un mode de rapatriement pour événement grave dans le contexte de ce
que l’on nomme événements de vie. Le commandement doit y recourir pour des
rapatriements de sujets ne présentant pas de souffrance pathologique.
Les principes de prise en charge des troubles de l’adaptation peuvent se référer
aux principes de la psychiatrie de l’avant édictés par Salmon : une prise en charge dans
l’immédiateté, favorisée par la proximité, avec ce principe d’une expectative, le temps
d’observation que nous évoquions, et avec une économie de moyens. C'est-à-dire
qu’une prescription de psychotrope n’est pas toujours nécessaire. S’il faut dans certains cas y recourir, il s’agit d’une prescription symptomatique,
sédative, à action rapide par des benzodiazépines, de type alprazolam. Si la prescription
doit se poursuivre, elle est le plus souvent de courte durée, quelques jours, avec une
posologie minimale efficace, et une réévaluation régulière de la nécessité de la
maintenir. Certaines situations de crise aiguë pourront requérir un traitement
antipsychotique, de type loxapine. C’est une occurrence rare.
7. Aspects médico-militaires
7.1. Cadre et orientation
En milieu militaire, la norme d’aptitude est fixée par le commandement. En effet,
selon le principe du statut général des militaires du 24 mars 2005 (article 20) : « le
militaire doit présenter les aptitudes exigées par l’exercice de sa fonction ». Le profil
d’aptitude est centré sur le cœur de métier, les missions dont les exigences sont
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
précisées par une instruction ministérielle spécifique. Ce n’est en aucun cas une
entreprise normative visant à adapter l’individu au milieu pour un plus de performance.
Il s’agit d’un processus d’évaluation continu de la sélection initiale jusqu’au circuit
départ du militaire. Le médecin n’est ni recruteur ni directeur des ressources humaines. Soumis aux
règles du secret médical, il ne peut communiquer ses constatations que par des
décisions d’aptitude à servir dont le caractère est bien codifié.
Ces visites d’aptitude s’appuient sur des constats anamnestiques, cliniques et
paracliniques ; rappelons qu’elles se réfèrent à des normes médicales d’aptitude
adaptées aux divers emplois et qui évoluent en fonction de la connaissance médicale
du moment. Il n’est pas question de définir une normalité (bien difficile à cerner en
médecine) mais d’évaluer un risque acceptable. 7.2. Cela commence par la sélection initiale
Bien évidemment, il arrive de statuer sur des cas cliniques où la désadaptation est
patente. Pour autant, la détermination de la décision médico-militaire est nettement
plus délicate quand il s’agit d’évaluer ce qu’il en est de l’adaptabilité.
Comment pouvons-nous estimer le pronostic d’adaptabilité d’un jeune engagé ?
Comme nous l’avons mentionné on s’appuie sur les antécédents rapportés, en
repérant dans la trajectoire personnelle tout particulièrement les carences affectives,
les situations de maltraitance, les ruptures et l’aspect chaotique du parcours
biographique. On s’intéresse aux premières acquisitions et aux apprentissages, ce qui
éclaire sur les rapports les plus précoces à l’autorité, notamment dans le milieu scolaire.
Il en est de même pour les conduites transgressives, les éventuelles condamnations,
confrontations aux forces de l’ordre. La richesse, la diversité, la nature des
investissements personnels, particulièrement les loisirs, permettent d’apprécier
l’inscription sociale et relationnelle. En ce qui concerne les interactions familiales, il
peut être important de repérer les moments d’opposition, de rupture, les éventuelles
fugues ou les étayages trouvés à l’extérieur du cercle parental, tout comme les
premières relations amoureuses. Il est important de considérer également le rapport au
corps durant la phase pubertaire, mais également lorsqu’il peut être l’objet d’agir
particulier : les scarifications, les tatouages ou les marques d’une certaine négligence :
l’incurie, la répétition des blessures somatiques. Les premières rencontres avec les
substances tout comme les premières ivresses sont clairement abordées avec le jeune
candidat à l’engagement. Au décours de ce survol, on est en mesure d’apprécier des
traits de fonctionnement comme l’impulsivité, l’intolérance aux frustrations, la
dépendance affective.
Au terme de cette démarche, la décision médico-militaire est catégorique du côté
soit d’une aptitude à l’engagement avec un classement P=0, soit d’une inaptitude
définitive avec un classement P=5.
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LES ANNALES DE
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Ce pronostic sera confronté à l’expérience que fera le sujet durant sa période
d’engagement pendant sa période probatoire. Une réévaluation de cette aptitude sera
peut-être nécessaire dans le courant ou au terme de celle-ci. Les enjeux au début de l’engagement restent le maintien ou l’éviction de
l’institution. Insistons sur l’importance de la précocité du repérage d’éventuelles
difficultés en particulier au vue de la situation médico-administrative des jeunes
engagés. 7.3. La sélection est un processus continu
Au-delà de cette phase précoce de l’engagement, l’enjeu est le maintien de
l’adaptation du sujet dans son milieu. On estime la pertinence d’inaptitude partielle au
vu des risques de l’éventuelle dangerosité, par exemple face à des conduites addictives
ou des idéations suicidaires. Il s’agit alors de prononcer une inaptitude au port d’arme
ou à la conduite des véhicules. La dichotomie aptitude/inaptitude est peu souple à l’emploi, d’où l’intérêt des
mesures d’exemption, beaucoup plus souples à pratiquer, notamment dans l’emploi à
un poste très spécifique. Prenons l’exemple de ce pilote expérimenté d’hélicoptère qui
se présente plusieurs fois de suite en consultation avec des plaintes somatiques diffuses
et polymorphes sur lesquelles les prescriptions symptomatiques initiales sont peu
efficaces. Il convient de replacer l’analyse de cette plainte dans le champ
psychosomatique et de l’interrelation du sujet et de son environnement. Il peut ainsi
apparaître que cette plainte est à rapporter à une composante anxieuse. Une prescription
brève de psychotropes s’assortit d’une action concertée entre le commandement, ce
pilote et vous-même pour le soustraire à l’activité aéronautique pendant les quelques
jours où il bénéficie d’un traitement anxiolytique. On sait que les personnels de
l’aéronautique redoutent de voir figurer sur leur carnet de vol le mot inaptitude. On a
souvent la capacité, comme dans cette vignette clinique, de gérer les inaptitudes en
obtenant l’adhésion et la confiance des personnels en utilisant cette notion d’exemption.
Il faut être tout particulièrement attentif aux demandes parfois insistantes,
soutenues par la hiérarchie pour un départ en opérations extérieures chez un personnel
dont l’entourage espère que ses difficultés d’adaptation pourraient être résolues par
l’éloignement géographique. Ici, cependant, il ne faut pas céder à l’insistance, sans
auparavant saisir au devant de quoi se précipiterait ce personnel dans une telle
entreprise.
8. Conclusion
Résolument les troubles de l’adaptation sont une entité protéiforme, aux limites
parfois imprécises et à l’homogénéité critiquable. Nous en avons parcouru les aspects
symptomatiques, pour en isoler les particularités en regard de l’évolution actuelle du
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
milieu militaire. Si l’adaptation est une propriété intrinsèque et fondamentale du vivant,
elle est particulièrement valorisée en milieu militaire. Ceci nous invite à mesurer la
profondeur et la polyvalence de la notion d’adaptation, pour mieux en cerner tant la
dynamique que la faillite. L’adaptation est un processus que nous pouvons penser sans
fin. Elle ouvre la perspective d’une demande normative également illimitée, qui ne
semble pas se résorber dans le développement autonome de la technicité, en elle-même
pourvoyeuse de nouveaux besoins adaptatifs... Ce repérage clinique et épistémique prend toute son importance, au vu des enjeux
de la clinique (soit le repérage et la prise en charge de ces troubles), mais également
des intrications avec le milieu militaire en tant que tel, le rôle et la fonction du groupe
n’étant pas les moindres.
La critique de ce trouble nous incite également à porter un regard éclairé sur notre
pratique et notre positionnement médical. À la conjonction des nécessités du sujet et
des impératifs de l’Institution, le phénomène adaptatif expose le médecin à des choix,
à des décisions. Les troubles de l’adaptation restent par essence peu accessibles, ne
serait-ce que par leur révélation dans un après-coup. La lecture qui en est faite pourrait
renvoyer à un horizon d’exigences sous le regard social (et donc militaire).
Paradoxalement, dans l’abord de ces situations où l’adéquation prévaut, nous
constatons que le sujet rencontre une limite dans son fonctionnement, tandis que le
médecin rencontre celle de son acte.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Franck Ceppa,
Marie-Dominique Colas, Marc Ducluzaux, Bertrand Lahutte, Pierre Raffray.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire de recherche appliquée aux armées
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l’École du Val-de-Grâce
Chaire de recherche
appliquée aux armées
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La physiologie est-elle une science
moderne ? Enjeux pour les armées
Nathalie Koulmann
À l’heure où, du dire même du Professeur Daniel Rivière, Président de la Société
de physiologie, la physiologie cherche à garder (ou à retrouver) toute sa place dans les
programmes des études scientifiques, médicales et pharmaceutiques, la question posée
trouve tout son sens. 1. La physiologie est-elle une science moderne ?
1.1. Vers une définition de la science moderne
La science, considérée comme l’ensemble des connaissances qui permet de
comprendre le monde, s’est enrichie progressivement au fil de l’histoire des hommes
et des civilisations. Elle n’a acquis sa dimension expérimentale qu’à la fin du
XVIe siècle, et c’est cette grande étape méthodologique qui historiquement lui a conféré
le qualificatif de moderne. En effet, les fondements de la science moderne ont été posés
par un mouvement philosophique connu sous le nom d’empirisme moderne, qui
préconisait une méthode fondée sur le raisonnement expérimental. Francis Canon
(1561-1626), le père de l’empirisme, a basé les principes de l’action scientifique sur
l’observation objective, précise et vérifiable, et les expériences qui font connaître les
faits, permettant ainsi de formuler des lois générales par un raisonnement inductif.
L’avènement de la méthode expérimentale a marqué le début d’un développement
considérable des connaissances, structurées en domaines scientifiques distincts, dont
la liste non exhaustive n’a fait elle aussi que s’accroître. Au-delà de cet aspect purement historique, intéressons-nous à la définition
littéraire du mot « moderne ». D’après le dictionnaire Larousse de la langue française,
« est moderne ce qui appartient au temps présent ou à une époque relativement récente,
qui est conforme aux usages actuels, bénéficie des progrès les plus récents, et s’adapte
à l’évolution des mœurs ». Nous retiendrons comme définition qu’une science moderne
est conforme aux paradigmes contemporains tout en étant évolutive, et bénéficie des
dernières avancées technologiques. 1.2. Un bref survol de l’histoire de la physiologie
La physiologie (du grec phusis, la nature, et logos, la science) est par étymologie
la science du vivant, c’est-à-dire la science qui vise à mettre en évidence les
mécanismes de fonctionnement des organismes vivants. Le terme de physiologie,
emprunté à Aristote, réapparait avec Jean Fernel (1497-1558) dans un livre paru en
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
1542 (De naturali parte medicins) dans lequel la physiologie tient une grande part.
Non distincte de la médecine, elle est encore à cette époque essentiellement descriptive,
et les moyens instrumentaux étant restreints, cette description est rudimentaire, souvent
dogmatique et parfois erronée. Il faut attendre William Harvey (1578-1657) pour avoir
une description exacte des différentes étapes et du sens de la circulation dans
« Exercitatio anatomica de motu corbis et sanguinis in animalibus » (Francfort, 1628).
Cet ouvrage fut très critiqué lors de sa parution ; en effet, cette découverte constituait
une véritable révolution, détruisant d’un coup tout l’enseignement traditionnel qui
reposait encore sur l’héritage d’Aristote et de Galien. Longtemps controversée, la
démonstration de Harvey ne fit consensus que vers la fin de la vie de son auteur et ne
fut enseignée en France qu’à partir de 1672 à la demande de Louis XIV. Le travail de
Harvey est remarquable non seulement par le compte rendu précis et juste du
fonctionnement de la grande circulation, mais aussi par l’approche expérimentale qu’il
utilise pour faire sa démonstration, laquelle le fait appartenir au mouvement empirique. Harvey était un anatomiste, et ces notions fondamentales étaient alors enseignées
en cours d’anatomie. Plus tard, au XVIIIe siècle, c’est la chimie qui apportera de
nouvelles connaissances au fonctionnement du vivant, avec Antoine Lavoisier (17431794) qui démontre, entre autres choses, le rôle de l’oxygène dans la respiration
végétale et animale (« Traité élémentaire de chimie », 1789). Mais la physiologie ne
se constitue comme une science autonome qu’à la date de parution du livre d’Albrecht
von Haller « Elementa physiologiae corporis humani » (1757-1766). À partir de la fin
du XVIIIe siècle, la physiologie fait progressivement l’objet d’un enseignement séparé,
d’abord en Allemagne, puis dans les autres universités d’Europe. En France, la
première chaire de physiologie est créée à la Sorbonne en 1855, et c’est Claude Bernard
(1813-1878) qui en est le premier titulaire. Il obtiendra de Napoléon III, en 1864, la
création d’un laboratoire de recherche qui formalise la dimension expérimentale de la
physiologie. Claude Bernard reste la figure de proue de la physiologie, non seulement
pour les découvertes fondamentales qu’il a apportées, mais également comme
l’initiateur de la démarche expérimentale hypothético-déductive, décrite dans la
Médecine expérimentale (1865). Il donne à la physiologie la définition qu’elle gardera
tout au long du XXe siècle, « science qui a pour objet l’étude des fonctions et des
propriétés des organes et des tissus des êtres vivants ». Le XXe siècle est celui de l’épanouissement de la physiologie, avec la
généralisation de son enseignement non seulement dans les facultés de médecine, mais
également dans les facultés de sciences. En effet, il n’y a plus une physiologie mais
des physiologies, comme autant d’êtres vivants différents : physiologie végétale,
physiologie animale, et bien sûr physiologie humaine. Cette dernière, à laquelle nous
limiterons dorénavant notre propos, s’est également subdivisée en physiologie
d’organes – physiologie pulmonaire, cardio-vasculaire, rénale… –, en physiologie de
fonctions – physiologie digestive, physiologie de la reproduction… –, ou de façon
transversale en physiologie de système – neurophysiologie par exemple – ou bien
encore selon l’âge étudié en physiologie fœtale, du développement, du vieillissement…
Ainsi il s’est opéré une véritable diffraction (au sens étymologique de ce mot) de la
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
physiologie humaine, avec autant d’enseignements séparés et de laboratoires de
recherche que de sous-spécialités identifiées. De plus, la physiologie apparaît sans
frontières morphologiques, s’intéressant aux organes, mais aussi aux tissus et grâce à
l’apport de nouvelles technologies, aux cellules (physiologie cellulaire). En effet,
n’ayant pas ou peu d’instruments spécifiques, elle détourne à son profit toute technique
susceptible de l’aider à observer et à comprendre. La physiologie a au fil du temps
bénéficié des avancées des techniques anatomiques, chimiques, physiques mais aussi
des techniques histologiques et cellulaires ainsi que des outils mathématiques. Une nouvelle révolution scientifique, le décryptage du génome humain, devait
faire entrer la physiologie humaine dans le XXIe siècle. Le développement des
techniques dites de biologie moléculaire a permis d’étudier l’expression génique aussi
bien au niveau des ARN messagers (transcriptome) qu’à celui des protéines (protéome)
et à leurs fonctions (physiome). Cette nouvelle ère des techniques en « omique » est
pourvoyeuse d’une énorme accumulation de données qui réclame de nouvelles
méthodes d’études. Pour Swynghedauw, ancien Président de la Federation of European
Physiological Societies, ces techniques ont bouleversé la recherche biomédicale au
point d’en modifier les fondements logiques [1]. À la méthode hypothétivo-déductive
chère à Claude Bernard vient dorénavant se rajouter une recherche globalisée fondée
sur les données exhaustives produites par l’analyse génomique. Cependant, la
compréhension des mécanismes de fonctionnement de l’être humain ne peut pas se
suffire de l’analyse individualisée, même exhaustive, de l’ensemble des gènes et de
leur expression. En effet cette approche réductionniste de l’expression génique ne tient
pas compte des mécanismes de régulation, qui existent à tous les niveaux et
particulièrement au niveau génomique, et qui ont une dimension explicative
primordiale dans l’apparition d’un marqueur phénotypique singulier. C’est précisément
en intégrant les multiples phénomènes qui interviennent à tous les niveaux
d’organisation, que la physiologie peut apporter une connaissance de plus en plus
précise des fonctions de l’être vivant. Cet aspect fondamental des régulations que prend
en compte la physiologie permet à Cowley, 70e président de l’American Physiological
Society, de définir la physiologie comme étant la biologie intégrée [2], définition
ensuite reprise par Swynghedauw [3].
Ainsi, en répondant aux trois principes de modernité que sont la conformité aux
paradigmes contemporains, la prise en compte des avancées technologiques, et la
capacité d’évolutivité, la physiologie est sans nul doute une science moderne.
2. La physiologie est une science moderne. Quels
enjeux pour les armées ?
2.1. Les besoins des armées
Les forces armées se sont construites autour de l’Homme, et leur puissance s’est
trouvée démultipliée par la création de systèmes d’armes toujours plus complexes et
plus performants. Si l’Homme reste le maillon central des forces armées, il est
Chaire de recherche appliquée aux armées
287
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
également devenu le facteur limitant des systèmes d’armes. Cette ambivalence est
exacerbée lorsque ces systèmes sont utilisés dans des conditions d’environnements
hostiles et agressifs, mais aussi lorsque les conditions d’emploi de ces systèmes
génèrent des contraintes qui nuisent à l’intégrité physiologique et psychologique de
ceux qui les mettent en œuvre. Que ce soit à l’entraînement et encore plus au combat,
le militaire se trouve confronté à de multiples risques, soit provoqués (armes), soit
naturels (divers environnements). La vulnérabilité du militaire en milieu hostile ou
contraignant est une problématique centrale pour les forces armées. Le maintien de
l’état de santé des militaires à court, moyen et long terme, et par conséquent des
capacités opérationnelles, est une mission prioritaire pour le Service de santé des
armées (SSA). Les contraintes environnementales susceptibles d’influencer la vulnérabilité des
personnels sont multiples et de nature diverse, qu’il s’agisse de conditions climatiques
extrêmes, du stress émotionnel et affectif inhérent à la violence, ou encore des
conditions de vie difficiles. Celles-ci sont notamment liées à l’altération des rythmes
activité-repos, aux déficits ou déséquilibres des apports alimentaires, ou encore aux
variations drastiques du niveau des activités physiques en excès (suractivité) ou au
contraire en défaut (sous-activité).
Parallèlement aux contraintes environnementales, les militaires subissent des
contraintes liées aux systèmes d’armes, spécifiques de leurs caractéristiques d’emploi.
Ces contraintes physiologiques, cognitives (charge mentale) et sensorielles (réalité
augmentée) ne font qu’augmenter avec l’accroissement des performances et de la
complexité des systèmes d’armes. La combinaison et la durée d’exposition à ces différents facteurs de contraintes
potentialisent la vulnérabilité des individus qui y sont soumis. La connaissance et la
prise en compte des limites humaines avérées dans le contexte opérationnel est un
enjeu primordial pour les armées. La mission du SSA s’inscrit précisément dans ce
cadre et le rôle des physiologistes du SSA y contribue pour au moins deux raisons.
D’une part, ils se doivent de comprendre les mécanismes intimes sous-jacents à
l’exposition à ces contraintes, dans le but de protéger et prévenir. D’autre part, lorsque
malheureusement l’intégrité physique des militaires est atteinte, leur mission est alors
d’apporter les connaissances les plus récentes en termes de physiopathologie, d’en
faciliter les applications pour permettre une prise en charge clinique optimisée des
blessés, c'est-à-dire répondre à l’objectif de comprendre pour traiter, sinon guérir.
Il ne peut s’agir ici d’être exhaustif et d’envisager en détail l’ensemble des
questions posées. Nous avons choisi d’évoquer quelques exemples particulièrement
démonstratifs de ce que la physiologie peut apporter en amont pour contribuer à
l’excellence du Service de santé des armées.
2.2. Enjeux pour le combattant : comprendre pour
protéger et prévenir
Pour mieux cerner l’apport de la physiologie, intéressons-nous aux contraintes
imposées au combattant lors de son exposition à la chaleur, à une accélération extrême
ou à son environnement microbien naturel. 288
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
2.2.1. Environnements climatiques : chaleur
Les problèmes posés par la poursuite des opérations militaires en climat chaud
ont été rapportés dès les premiers récits de guerre qui nous soient parvenus, soit dès
l’Antiquité [4]. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, la campagne d’Afrique du
Nord mit au premier plan les risques liés à l’exposition des combattants au climat
chaud. Ceci marqua les débuts d’un formidable effort de recherches pour comprendre
les réactions physiologiques de l’Homme à la chaleur, marqué par la publication en
1947 du livre princeps d’Edward Adolph et associés, « Physiology of man in the
desert » [5]. Les chercheurs de l’armée américaine développèrent dès lors de nombreux
travaux de recherche concernant l’Homme en environnements extrêmes, en particulier
la chaleur [4]. En France, la Division de physiologie du Centre de recherches du
Service de santé des armées (CRSSA) de Lyon entreprit dès le milieu des années 60
de développer des travaux visant à comprendre les mécanismes d’adaptation de
l’Homme à la chaleur, sous l’impulsion de Hénane [6, 7], notamment en développant
un modèle d’hyperthermie passive contrôlée [8, 9]. Avec ses collègues de l’École
lyonnaise de physiologie, Hénane mit en évidence l’amélioration de la réponse sudorale
sous l’effet de l’entraînement en endurance [10], et alerta sur la majoration de la
contrainte thermique sous l’effet des vêtements de protection [11]. Les travaux prirent
ensuite une double orientation sous l’impulsion de Curé : d’une part l’étude des effets
de la déshydratation sur les performances et les réponses hormonales au cours de
l’exercice en ambiance chaude [12-14], d’autre part, la recherche des mécanismes
physiopathologiques du coup de chaleur d’exercice [15, 16]. Nous allons brièvement
rappeler l’état des lieux des connaissances concernant ces deux aspects et les
perspectives en cours de développement.
2.2.1.1. Réponses physiologiques à l’exercice à la chaleur [17]
La réalisation d’un exercice physique s’accompagne d’une production de chaleur
métabolique proportionnelle à l’intensité de l’exercice, qui peut atteindre 4 500 à
5 000 kJ.h-1. Si elle était intégralement stockée, cette charge thermique serait suffisante
pour augmenter la température corporelle de 1°C toutes les 5-7 minutes. Cependant,
la chaleur produite par les muscles actifs est transférée vers la surface cutanée par
convection forcée, le sang jouant le rôle de fluide vecteur, puis éliminée dans le milieu
extérieur. Le flux de chaleur des muscles actifs vers la peau dépend du gradient de
température entre muscles et peau, et des flux sanguins qui varient avec la résistance
vasculaire cutanée. L’élimination de la chaleur vers le milieu extérieur dépend du
gradient de température entre la peau et l’environnement : le sens de ces échanges
s’inverse dès que la température ambiante est supérieure à la température cutanée
moyenne (en pratique supérieure à 35°C). Dans ce cas, à la charge thermique endogène
s’ajoute une charge thermique exogène. L’évaporation devient alors l’unique moyen
de dissipation de la chaleur. L’évaporation sudorale dépend étroitement des facteurs
physiques de l’ambiance : elle est d’autant plus importante que l’air est chaud et sec.
Chaire de recherche appliquée aux armées
289
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
L’évaporation sudorale dépend également des vêtements, qui dans certains cas peuvent
être totalement imperméables à l’eau. L’évaporation sudorale dépend enfin du débit
sudoral qui peut être considérable quand la température corporelle augmente, en
relation avec l’intensité relative de l’exercice, les conditions climatiques d’ambiance
(température d’air, humidité relative, vitesse du vent), et des caractéristiques
intrinsèques de l’individu comme le niveau d’entraînement physique et
d’acclimatement à la chaleur. En effet, chez le sujet entraîné et surtout chez le sujet
acclimaté à la chaleur, l’abaissement de la température seuil de déclenchement de la
sudation et l’augmentation du débit sudoral maximal permettent un moindre stockage
de chaleur dès le début de l’exercice, mais exposent encore plus au risque de
déshydratation. La déshydratation même modérée entraîne une élévation marquée de
la fréquence cardiaque qui ne peut cependant pas compenser la diminution du volume
d’éjection systolique. Dans ces conditions particulièrement défavorables, il existe une
compétition entre la demande métabolique et les nécessités thermolytiques pour une
possibilité réduite d’adaptation du débit cardiaque aux différentes demandes [18]. Pour
une même production de chaleur métabolique, il existe une augmentation du stockage
thermique sous l’effet de la déshydratation, liée à la diminution de la dissipation de la
chaleur [19]. En effet, l’insuffisance du transfert de la chaleur des muscles en activité
vers la peau en raison de l’élévation du seuil thermique de déclenchement de la
vasodilatation et de la diminution du débit sanguin cutané maximal [20] est sans doute
aggravée par l’insuffisance du transfert de la chaleur de l’enveloppe cutanée vers
l’ambiance, en raison de l’augmentation parallèle du seuil thermique de déclenchement
de la sudation [21]. Ces réponses thermorégulatrices s’instaurent avec un certain délai, pendant lequel
l’organisme stocke de la chaleur et la température corporelle augmente. Quand les
conditions de réalisation de l’exercice physique (nature des vêtements portés, ambiance
climatique, état d’hydratation du sujet) le permettent, l’évacuation de chaleur par
évaporation sudorale compense la production métabolique de chaleur, l’équilibre
thermique est alors réalisé et la température corporelle profonde de l’organisme se
stabilise au niveau atteint à ce moment, toujours à un niveau plus élevé que le niveau
normal. Cela explique que tout exercice physique intense et prolongé s’accompagne
d’une hyperthermie.
Dans certaines conditions, l’équilibre n’est jamais réalisé, soit parce que les
conditions climatiques sont défavorables (temps chaud et humide par exemple), soit
parce que les vêtements portés sont trop isolants (tenue de combat, tenue de protection).
Dans ces conditions, la température de la peau, qui n’est pas refroidie par l’évaporation
sudorale, peut atteindre des niveaux très élevés, supérieurs à 37°C ; il s’agit alors d’une
hyperthermie qualifiée d’« incompensable », qui conduit obligatoirement à un accident
si l’exercice physique n’est pas interrompu à temps [22].
La connaissance des réponses physiologiques au cours de l’exercice à la chaleur
a conduit à proposer de véritables stratégies de réhydratation, en termes de quantité,
de qualité et de chronologie des boissons à ingérer [23]. 290
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
À l’heure actuelle, les recherches menées sur les réponses physiologiques à la
chaleur ont évolué vers une dimension davantage cellulaire voire moléculaire, avec
notamment l’étude des protéines de choc thermique ou heat shock proteins (HSP) [24].
Ces protéines ont la propriété d’interagir et de se fixer sur toute protéine qui se trouve
dans une conformation non « native » et contribuent soit à leur donner leur
conformation spatiale définitive (protéines immatures), soit à leur redonner une
conformation normale ou les diriger vers les systèmes de dégradation protéique de la
cellule (protéines dénaturées). L’exercice physique induit une transcription rapide des
gènes des HSP qui se traduit par une augmentation de ces protéines après l’exercice.
Cette réponse est dépendante de l’intensité de l’exercice et l’effet d’un exercice unique
est cumulatif, l’entraînement provoquant une augmentation du contenu musculaire en
HSP chez l’homme. L’effet cyto-protecteur de ces protéines au cours de l’exercice
n’est encore que partiellement connu. Elles pourraient protéger les pompes à calcium
sarcoplasmiques de l’inactivation induite par la chaleur, évitant une accumulation de
calcium délétère pour la fonction contractile et la survie de la cellule musculaire [25].
D’autre part, les HSP sont des ligands des récepteurs de type Toll (Toll like receptors
(TLRs)), protéines trans-membranaires hautement conservées, qui sont des acteurs
majeurs de l’immunité innée [26], et contribuent également au développement des
réponses de l’immunité adaptative [27]. Les TLRs agissent également avec un grand
nombre de ligands endogènes et influencent l’activité de nombreux autres processus
cellulaires. Par exemple, leur activation par les acides gras non estérifiés jouerait un
rôle dans le développement de l’insulino-résistance [28]. L’exercice physique, qu’il
soit aigu ou chronique, susciterait une régulation à la baisse de l’expression des TLRs
dans divers tissus, peut-être par l’intermédiaire de la liaison des HSP [29]. Au cours
de l’exercice intense et prolongé à la chaleur, l’expression des TLRs diminue à la
surface des monocytes [30]. Le rôle que pourraient jouer ces acteurs moléculaires dans
les réponses physiologiques en particulier lors de la répétition d’exercices à la chaleur
fait l’objet de travaux en cours de développement. Dans cet exemple, il apparaît que
les développements de la biochimie des protéines ont permis d’isoler des facteurs clés
de grandes fonctions, pendant longtemps analysées indépendamment les unes des
autres, mais qui se révèlent liées par des interactions fortes, empiriquement connues
(relation tolérance à la chaleur – activité physique – pathologie métabolique),
comprises et explicitées par les paradigmes physiologiques.
2.2.1.2. Le coup de chaleur d’exercice [31]
Parmi les pathologies liées à l’exposition à la chaleur, le coup de chaleur d’exercice
est la forme la plus grave, d’évolution spontanément péjorative. Le coup de chaleur
d’exercice peut se définir comme une « forme d’hyperthermie associée à une réponse
inflammatoire systémique conduisant à un syndrome de défaillance multiviscérale
dans laquelle l’encéphalopathie prédomine » [32] survenant le plus souvent chez des
sujets jeunes et indemnes de toute affection cliniquement ou biologiquement décelable
par des examens standard, effectuant un exercice physique intense et prolongé en
Chaire de recherche appliquée aux armées
291
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
environnement contraignant [33-37]. En milieu militaire, les coups de chaleur
d’exercice surviennent le plus souvent après 30 à 60 minutes d’effort exhaustif, lors
de courses à pied réalisées avec la tenue de combat complète et souvent avec une
charge [38, 39]. D’autres facteurs tels que la fatigue, le surmenage, le stress, le manque
de sommeil augmentent également le risque de coup de chaleur. La motivation est le
principal facteur pouvant conduire une personne, entraînée ou non, à fournir un effort
allant au-delà de ce qu’elle peut supporter, qui favorise la survenue d’un coup de
chaleur d’exercice. Les individus jeunes, non acclimatés à la chaleur, physiquement
non entraînés, inexpérimentés et très désireux de prouver quelque chose sont donc plus
sensibles au risque de coup de chaleur d’exercice. Si à ce jour la physiopathologie n’est toujours pas élucidée, plusieurs hypothèses
sont avancées. L’hypothèse myopathique fut la première à être explorée dans les
travaux de recherche du CRSSA [15]. Cette hypothèse se fonde sur le modèle de la
crise d’hyperthermie maligne per-anesthésique, myopathie autosomique dominante
rare sans traduction clinique en situation normale, qui provoque des crises de
contracture musculaire généralisée quand les sujets sont exposés à un gaz halogéné
anesthésique [40]. Les crises sont provoquées par une anomalie du contrôle des
mouvements intracellulaires de calcium dans les fibres musculaires striées. Le
diagnostic initial de susceptibilité à l’hyperthermie maligne se fait par exposition in
vitro d’un lambeau musculaire à des agents inducteurs. Ce test (très sensible mais assez
peu spécifique) est positif pour un nombre beaucoup plus élevé de sujets ayant présenté
un coup de chaleur d’exercice que dans la population générale [41]. Il est donc possible
que dans un nombre faible, mais significatif de cas, le coup de chaleur d’exercice soit
associé à une anomalie de l’homéostasie calcique intracellulaire des fibres musculaires
striées qui ne se dévoilerait qu’à l’occasion d’exercices musculaires intenses [16, 41,
42]. Cette hypothèse est renforcée par des travaux récents sur le fonctionnement du
récepteur à la ryanodine, le canal calcique qui contrôle la libération cytosolique de
calcium dans le muscle lors de sa contraction [43, 44]. La deuxième hypothèse
physiopathologique se fonde sur un phénomène clé du coup de chaleur d’exercice,
l’évolution vers un syndrome de réponse immuno-inflammatoire systémique avec
défaillance multiviscérale, laquelle pourrait être liée à des mécanismes d’ischémiereperfusion tissulaire. En effet, la redistribution sanguine induite par l’exercice
physique intense et prolongé nécessaire à l’augmentation des débits sanguins
musculaire et cutané se fait aux dépens des autres territoires, en particulier
splanchnique. Ceci est susceptible de provoquer une altération fonctionnelle de la paroi
intestinale à l’origine de la translocation dans la circulation portale de fragments
bactériens (endotoxines) normalement cantonnés à la lumière intestinale, à l’origine
de la production de médiateurs de l’inflammation en quantité suffisante pour déborder
les capacités de contrôle de l’organisme [32, 45, 46]. D’autre part, l’ischémie
fonctionnelle de certains tissus pourrait entraîner une atteinte endothéliale
microvasculaire des tissus [47, 48]. Dans cette hypothèse, tout phénomène immunoinflammatoire peut être contributif de l’accident, en particulier les infections banales
292
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
des voies aériennes supérieures fréquemment constatées [49], mais aussi la constitution
de micro-lésions musculaires liées à l’intensité de l’exercice [50, 51].
Enfin, il existe une hypothèse neurologique susceptible d’expliquer la survenue
du coup de chaleur d’exercice. Cette hypothèse se base sur l’existence d’une ischémie
fonctionnelle cérébrale relative lors de l’exercice intense. Lors d’un exercice en
ambiance chaude, le cerveau est soumis à des contraintes importantes : il travaille
intensément et évacue difficilement la chaleur qu’il produit puisque le sang artériel est
plus chaud. Il subit les conséquences physiologiques des altérations immunoinflammatoires générales précédemment évoquées, conduisant à une fatigue centrale
plus précoce [52] et éventuellement à des altérations métaboliques cérébrales [53]. Il
n’existe probablement pas de mécanisme unique rendant compte du
dysfonctionnement cérébral et éventuellement des lésions cérébrales lors du coup de
chaleur, mais un ensemble de mécanismes intriqués et cohérents entre eux [54, 55].
Les principaux facteurs de dysfonctionnement constatés dans les modèles animaux de
coup de chaleur sont l’hyperthermie et le déficit énergétique relatif qu’elle provoque,
en relation avec une insuffisance vasculaire cérébrale [56] (aggravée chez l’homme
par l’hypocapnie d’exercice), et des troubles de la perméabilité de la barrière hématoencéphalique [57], l’ensemble aboutissant à un mécanisme excitotoxique [58, 59]
conduisant à des dérégulations centrales du contrôle de l’homéostasie, en particulier
cardiovasculaire et thermique. En effet, l’inhibition des récepteurs glutamatergiques
NMDA induit une poïkilothermie [60] qui se traduit au chaud par la survenue plus
rapide de coups de chaleur [61]. Enfin un syndrome inflammatoire central est retrouvé
dans ces modèles avec des concentrations cérébrales et sériques en IL-1β et TNF-α
systématiquement élevées lors du coup de chaleur [62]. L’ensemble de ces mécanismes
pourrait être sous-tendu par une altération du fonctionnement de l’axe corticotrope
puisque la réduction de tolérance à la chaleur est associée à des concentrations sériques
moindres en glucocorticoïdes, faisant du coup de chaleur une pathologie de
l’inadéquation de l’adaptation selon le sens défendu par Hans Selye [61]. Ici aussi, c’est bien l’intégration physiologique qui permet de créer les modèles
de compréhension s’appuyant sur des données issues de l’utilisation des techniques
les plus modernes, et ce faisant de faire progresser les connaissances. 2.2.2. Les accélérations +Gz
Historiquement, un des pilotes pionniers de l’aviation française, Louis Blériot,
avait écrit cette prédiction : « Ce n’est pas la résistance de la matière qui sera la limite
des performances aérobatiques de l’oiseau artificiel mais bien la résistance physique
de l’homme, qui en est le cerveau » (cité dans [63]), prédiction qui s’avère absolument
exacte au regard des accélérations. Les accélérations liées aux variations de direction
du vecteur vitesse constituent la contrainte majeure en aéronautique militaire.
Appliquées suivant le grand axe du corps, les accélérations +Gz de longue durée
génèrent des forces d’inertie dirigée dans le sens tête-siège. Elles entraînent des effets
subjectifs bien connus qui commencent par une sensation de compression sur le siège
Chaire de recherche appliquée aux armées
293
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
avec difficultés à bouger les membres, et s’accompagnent progressivement de troubles
visuels (réduction de la vision périphérique dite « voile gris », puis perte totale de la
vision dite « voile noir »), parfois suivis dans des cas extrêmes de perte de
connaissance, traduisant la limite de tolérance de l’être humain à ces contraintes.
L’apparition des avions de combat dotés de commandes de vol électriques, pouvant
effectuer des évolutions brusques et soutenues qui s’accompagnent d’accélérations
pouvant atteindre +9 voire +12 Gz établies de façon rapide (8 G/s), a vu disparaître la
progressivité des symptômes et survenir des pertes de connaissance de façon
inaugurale. L’avènement de l’ère des Mirage 2000 s’est accompagné d’accidents liés
à ce qui est désormais communément dénommé G-LOC (G induced loss of
consciousness). Ceci a conduit à intensifier les travaux de recherches sur les effets
physiologiques des accélérations, menés conjointement au sein de l’Institut de
médecine aérospatiale du Service de santé des armées (IMASSA), et au Laboratoire
de médecine aérospatiale (LAMAS) du Centre d’essais en vol (CEV). L’hypothèse hydrostatique a été la première à apporter des éléments d’explication
aux manifestations liées aux accélérations +Gz de longue durée. Les connaissances en
hémodynamique circulatoire stipulent qu’à tout endroit du corps, la pression artérielle
est égale à la somme de la pression d’éjection systolique, de la pression hydrostatique
et de la pression cinétique :
– la pression d’éjection systolique est fournie la contraction du myocarde ; elle
est de l’ordre de 16,1 kPa ;
– la pression hydrostatique est celle de la colonne de sang dans le réseau vasculaire,
le point de référence étant fixé à l’origine de l’aorte ; elle est le produit de la masse
volumique du sang, de l’accélération de la pesanteur et de la hauteur de la colonne
hydrostatique. Cette formule montre bien que lors des accélérations +Gz, la valeur de
la pression hydrostatique est multipliée par le facteur de charge. Au niveau de la base
du crâne pour un sujet en position verticale (debout ou assis), la pression hydrostatique
est de -2,9 kPa en gravité normale, elle est de -15 kPa à +5Gz ;
– la pression cinétique est due à la vitesse du sang à l’intérieur du vaisseau. Dans
les conditions physiologiques de la circulation systémique, la valeur de la pression
cinétique est assez faible, de l’ordre de 0,03 kPa au repos. Elle augmente lorsqu’une
réaction cardio-vasculaire augmente la vitesse circulatoire.
Ainsi, en gravité normale, le bilan de la pression artérielle (PA) totale dans la
carotide à la base du crâne, est donc : PA = PES + Phydr + Pcin = 16,1 – 2,9 + 0,03 =
13,23 kPa. Lorsque l’organisme est soumis à une accélération de +5,5 Gz, la pression
artérielle au niveau de la base du crâne devient quasiment nulle. Cette théorie
hydrostatique situe la limite de la tolérance humaine aux accélérations à +5,5 Gz, ce
qui s’avère à peu près exact. Cependant la pression hydrostatique exerce aussi une
influence sur les pressions veineuse et du liquide céphalo-rachidien, en provoquant un
phénomène de « succion » sous facteurs de charge élevés. La pression de perfusion
cérébrale étant la résultante du différentiel entre la pression d’entrée (pression artérielle
dans la carotide) et la pression veineuse de sortie, cet effet de succion pourrait accroître
294
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
le débit sanguin cérébral périphérique et moduler par conséquent la tolérance
individuelle aux accélérations. D’autre part, la baisse de la pression sanguine au niveau
céphalique entraîne des réactions cardio-vasculaires d’adaptation qui se traduisent par
une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, et qui
augmentent la tolérance aux accélérations d’environ +1Gz. La diminution progressive
de la perfusion cérébrale explique l’apparition progressive des troubles visuels, qui
précèdent la perte de connaissance. Plusieurs expérimentations menées en
centrifugeuse sur modèle animal ont confirmé la théorie ischémique de la perte de
conscience, en mettant en évidence une diminution du débit sanguin cérébral précédant
toujours la perte de conscience de l’animal [64]. Cependant, d’autres mécanismes interviennent également dans la tolérance aux
accélérations. En effet, lors des mises en accélération rapides, une perte de conscience
inaugurale, c’est-à-dire sans prodromes visuels, peut survenir dans un délai inférieur
à 6 secondes, ce qui est le délai le plus court pour qu’une ischémie cérébrale globale
puisse induire une perte de conscience. Une théorie mécanique impliquant une
augmentation des contraintes mécaniques intra-cérébrales a été proposée par Quandieu
[65]. Des études biomécaniques menées après mise au point d’un modèle d’encéphale
de bovidé isolé [66, 67] ont montré que les accélérations génèrent des contraintes de
compression à la base des hémisphères cérébraux, et des contraintes de traction et de
cisaillement au niveau de l’incisure de la tente du cervelet, contraintes qui appliquées
à la paroi externe des vaisseaux cérébraux parenchymateux favoriseraient leur
collapsus [68, 69].
Quel que soit l’intérêt fondamental à la compréhension des mécanismes à l’origine
des conséquences des accélérations, les recherches physiologiques ont permis de
développer des contre-mesures efficaces pour améliorer la tolérance aux accélérations
des pilotes, qu’il s’agisse des manœuvres musculo-respiratoires, du pantalon anti-G,
ou plus récemment de l’inclinaison du siège à 30° et de la respiration en pression
positive sous facteurs de charge. L’histoire ne s’arrête pas là, car la description par les
pilotes de nouveaux symptômes en particulier respiratoires, jusqu’alors absents après
des vols avec forts facteurs de charge, nécessite d’explorer toujours et encore ces
questions, et de s’interroger si les contre-mesures adoptées ne pourraient pas à leur
tour provoquer des effets néfastes et limiter la tolérance aux accélérations. Il ne fait
pas de doute que tous les aspects de la physiologie seront concernés par cette course
technologique. La cible des recherches conduites actuellement dans ce domaine
s’inscrit dans cette problématique. Un des aspects abordés est de mieux appréhender
la variabilité intra- et inter-individuelle des effets néfastes des contre-mesures en
s’intéressant au rôle délétère possible du niveau de stress des pilotes dans la genèse de
ses manifestations.
2.2.3. Environnements naturels
Des travaux récents se sont intéressés aux relations existant entre l’Homme et
l’environnement naturel micro-organique. Les bactéries résidentes au niveau de
Chaire de recherche appliquée aux armées
295
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
l’organisme humain sont dix fois plus nombreuses que les cellules somatiques et
germinales du corps humain. Elles représentent un métagénome dont le nombre de
gènes est cent fois supérieur à celui du génome humain. L’intestin peut donc être
considéré comme l’archétype du concept d’organe immunoprivilégié [70], c’est-à-dire
bénéficiant d’une protection immunitaire tout en évitant une réponse inflammatoire
immunopathologique interférant gravement avec sa physiologie. Le système
immunitaire de l’intestin est exposé en permanence à des antigènes étrangers :
antigènes alimentaires, composants du microbiote et antigènes propres aux microorganismes pathogènes. La plupart de ces antigènes pénètrent au travers de la
muqueuse intestinale ; de ce fait, l’intestin et les organes lymphoïdes associés
contiennent plus de lymphocytes que l’ensemble des organes lymphoïdes secondaires
réunis. Cependant, chez le sujet en bonne santé, l’intestin garde son potentiel
d’immunoréactivité sous contrôle, en regard de cette énorme masse antigénique [71].
La flore commensale colique exerce un effet de barrière contre l’occupation de la
niche par des pathogènes [72, 73]. Cet effet de barrière du microbiote résident implique
un véritable « ménage à trois » entre microbiote, hôte et pathogène [74]. Une défense
optimale de l’hôte requiert l’interprétation très précise de son environnement microbien
pour être en mesure de discriminer les bactéries commensales résidentes établies de
façon stable et qu’il convient de respecter, des pathogènes épisodiques à éradiquer.
L’épithélium représente la première ligne de défense grâce à ses propriétés de
perception et d’échantillonnage des bactéries commensales et pathogènes, de
production de facteurs anti-microbiens et d’orchestration des fonctions des cellules du
système immunitaire (polynucléaires, cellules dendritiques, macrophages résidents et
lymphocytes T). Il existe à la surface des cellules de l’épithélium des récepteurs
Pathogen recognition receptors ou PRRs, assurant la reconnaissance de molécules
caractéristiques des procaryotes, qui induisent des signaux intracellulaires amenant à
l’induction de l’expression de cytokines et chimiokines régulant le niveau d’activation
et l’orientation de la réponse des cellules immunitaires. Un continuum « flexible » a
été décrit entre les fonctions immunitaires innée et adaptative dans le contrôle du
microbiote commensal [75], avec une réponse adaptative accrue dans des conditions
de déficit de la réponse innée, permettant de maintenir le mutualisme entre hôte et
microbiote. La tolérance au microbiote commensal correspond à la capacité pour 1014 microorganismes de survivre dans la lumière intestinale sans donner lieu à une réponse innée
et adaptative de nature inflammatoire, alors que l’irruption accidentelle de certains de
ces micro-organismes dans la muqueuse causerait immédiatement une telle réponse.
Les mécanismes régulant la tolérance au microbiote commensal facilitent
l’établissement et le maintien de la tolérance aux antigènes alimentaires [76] et
participent à la protection de l’intestin contre tous types de lésions [77]. Mais bien audelà, de récentes données suggèrent que si la symbiose entre hôte et microbiote est
rompue, l’Homme se trouve exposé à un risque accru de pathologies communes, non
seulement localement de maladies inflammatoires de l’intestin, mais également de
296
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
maladies métaboliques [78]. Ce domaine de recherches est actuellement en plein essor,
et mêle aux études de génomique en cours pour le décryptage du métagénome, des
études d’immunologie et de nutrition. Cet exemple met en évidence l’évolution du concept d’homéostasie du milieu
intérieur cher aux physiologistes bernardiens vers un concept d’homéostasie élargie à
l’environnement naturel dans lequel l’Homme baigne. Tel est aussi le modernisme de
la physiologie. 2.3. Enjeux actuels pour le combattant : comprendre pour
traiter
Un nombre important de lésions et de traumatismes est causé par des engins
explosifs improvisés fabriqués de façon artisanale ; c’est la malheureuse réalité des
nouveaux conflits, en particulier en Afghanistan. Les traumatismes crâniens légers
(Mild Traumatic Brain Injury) représentent la blessure la plus fréquente des nouveaux
conflits en Irak et en Afghanistan [79], souvent associés à d’autres lésions liées à
l’explosion. Les lésions provoquées par explosion sont classées en lésions primaires (liées à
l’onde de choc), lésions secondaires (liées à la projection de débris sur la victime) et
lésions tertiaires (liées à la projection de la victime elle-même), voire quaternaires
(lésions indirectes par inhalation de fumées, brûlures, écrasement, développement
ultérieur d’un état de stress post-traumatique) [80]. Les lésions primaires, liées à l’onde
de choc, sont également appelées lésions de blast (ou blast injuries). Alors que les
mécanismes physiques d’une explosion ont été bien décrits (onde de choc, souffle et
effet thermique), la physiopathologie du blast est encore mal comprise et fait l’objet
de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Des études de neuro-imagerie extrêmement modernes couplées à une nouvelle
méthode d’analyse de l’électro-encéphalogramme ont permis de mettre en évidence
des altérations structurales des faisceaux de substance blanche chez des militaires ayant
subi un traumatisme crânien, suggérant une diminution de la coordination interhémisphérique de l’activité cérébrale [81, 82]. De plus ces lésions apparaissent diffuses,
étendues et variables d’un site à l’autre [83]. Lors d’une explosion, les lésions
cérébrales sont la conséquence du mouvement des tissus cérébraux qui subissent des
phénomènes d’accélération et de décélération rapides liés au passage de l’onde de
choc. L’hypothèse la plus répandue repose sur la formation de déchirures
microscopiques de la membrane des cellules neuronales en réponse aux phases
d’étirement et de compression du cerveau, qui entraînent la perte de l’homéostasie
ionique et l’activation de protéases telles que les calpaïnes, précipitant la mort
neuronale [84, 85]. Cependant, le mécanisme cellulaire permettant la transmission de
l’onde de choc dans les tissus du cerveau restait jusqu’à présent largement méconnu.
Afin de comprendre le mécanisme de formation et de propagation de ces lésions, une
approche pluridisciplinaire a été développée pour étudier les effets de blast à l’échelle
cellulaire [86]. D’une manière particulièrement originale, ces chercheurs ont développé
Chaire de recherche appliquée aux armées
297
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
différents outils expérimentaux (pinces magnétiques, étireur à grande vitesse, etc.) qui
permettent de reproduire fidèlement sur des tissus cérébraux isolés les contraintes
mécaniques et biochimiques exercées par le souffle d’une explosion. Ces travaux ont
permis d’identifier un mécanisme cellulaire à l’origine de l’apparition par cisaillement
de lésions axonales diffuses de la substance blanche, qui met en jeu des protéines
transmembranaires de type intégrines. Ces travaux remettent en cause l’hypothèse
classique de rupture de la membrane cellulaire qui ne semble pas être une étape
nécessaire à la formation des lésions, et montrent également que l’inhibition
pharmacologique de la voie de signalisation utilisée par les intégrines permet de
diminuer significativement les lésions cellulaires, ce qui ouvre la voie vers le traitement
précoce des lésions cérébrales traumatiques. Ces recherches sur la physiopathologie du traumatisme crânien induit par effet
blast montrent comment les outils modernes d’imagerie, d’électrophysiologie, et de
physiologie cellulaire couplés à une nécessaire approche multidisciplinaire et intégrée
permettent de faire progresser les connaissances et de proposer de nouvelles voies
thérapeutiques ciblées. 3. La physiologie est une science moderne.
Quels défis pour les armées ?
3.1. Le défi de l’évolution des contraintes
De nombreux pays se sont lancés dans la modernisation de leur infanterie, véritable
révolution technologique ayant pour objectif de lui permettre de s’intégrer jusqu’au
plus bas échelon dans la numérisation de l’espace de bataille, et de donner aux
combattants des capacités d’agression et d’observation inégalées tout en leur assurant
une protection efficace [87]. L’OTAN a défini cinq domaines opérationnels visés par
ces améliorations technologiques : la létalité, la protection, la mobilité, la soutenabilité
et le commandement et contrôle. L’armée française est la première à mettre en œuvre
ce nouveau programme, appelé Fantassin à équipements et liaisons intégrées (FELIN).
Les avantages attendus de ces systèmes répondent pour partie aux domaines
d’amélioration visés. En effet, avec l’intégration d’une protection comparable aux
meilleurs gilets pare-balles actuels, le combattant devrait être mieux protégé. Les
capacités d’observation et de communication seront également très significativement
augmentées, permettant une meilleure compréhension de la situation opérationnelle,
une identification facilitée de l’ennemi, une circulation plus rapide des informations
et des ordres, et une meilleure acquisition des cibles donc une amélioration de la
précision des tirs. Cependant l’utilisation de ces nouveaux systèmes entraîne
l’accroissement des contraintes physiques et cognitives pour le combattant. Ces
données nouvelles interpellent le SSA dans sa capacité d’adaptation, et de fait les
physiologistes qui y travaillent. Les défis actuels doivent être considérés comme des
challenges scientifiques et médicaux ; parmi eux, deux challenges se posent avec une
acuité croissante pour les physiologistes du SSA. 298
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
3.1.1. L’augmentation des contraintes physiques
La généralisation du port des protections balistiques et le poids de ces nouveaux
systèmes, plus lourds que les équipements classiques, transforment les fantassins en
véritables « mules du champ de bataille » [87]. Les conséquences pour l’organisme
sont d’abord une augmentation très marquée de la dépense énergétique avec
l’apparition de fatigue et d’un épuisement d’autant plus précoce que la charge portée
est importante. Deux documents de synthèse militaires récents issus de groupes de
travail OTAN traitent des problèmes liés au port de charges [88] et à l’optimisation de
l’aptitude physique opérationnelle [89]. Ces documents font une revue très complète
des travaux civils et militaires récents où il apparaît que le port de charges lourdes à
dos d’homme est un facteur de risque important de pathologies ostéo-articulaires des
membres inférieurs dites d’hyper-sollicitation (tendinites, bursites, chondropathies,
gonalgies, métatarsalgies et fractures de fatigue). Il favorise par ailleurs la survenue
de pathologies aiguës (lombalgies, entorses et fractures) en augmentant la fatigue. Les
recommandations actuelles en termes de masse [89] sont celles de l’armée américaine
(maximum de 22,7 kg au combat, 34,5 kg pour les marches d’approche, et 57,6 kg
pour les déplacements non tactiques). Par ailleurs le poids du sujet doit être pris en
compte pour le calcul de la charge portée (20-30 % du poids corporel pour les missions
de combat, 45 % du poids corporel pour les déplacements tactiques et jusqu’à 75 %
du poids corporel pour les déplacements non tactiques). La charge portée peut aussi
être modifiée en tenant compte du terrain (dénivelé, qualité du sol) et des distances
parcourues. Cependant, les conditions de combat modernes entraînent une surcharge qui
dépasse systématiquement les recommandations préconisées. Les retours d’expérience
de nos militaires en Afghanistan, où les opérations exigent de combattre à pied, en
terrain difficile face à un ennemi mobile, ont mis cette problématique au cœur des
enjeux stratégiques et les physiologistes de l’exercice ont été interpelés pour proposer
des voies d’amélioration possibles de la condition physique des militaires. 3.1.2. L’augmentation des contraintes cognitives
L’augmentation du flux de données et la difficulté de gérer ce surplus
d’informations en temps réel fait apparaître pour le fantassin, un autre défi à relever,
celui de la surcharge cognitive. Les innovations technologiques, en particulier
informatiques, permettent d’effectuer le tri, la gestion et la présentation des données
pour fournir une information utile au combattant. Cependant, cela transforme la
perception du monde qui l’entoure et l’expose à une réalité augmentée, dans laquelle
aux informations données par l’environnement physique (réel) se superposent des
informations calculées et produites par un système informatique (virtuel). Cette
problématique est une réalité déjà connue des pilotes d’avions ou d’hélicoptères de
combat, qui doivent faire face à une véritable surcharge mentale. Celle-ci est
particulièrement délétère lorsqu’à la surcharge cognitive se rajoute une surcharge
Chaire de recherche appliquée aux armées
299
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
sensorielle liée aux évolutions de l’aéronef, plus ou moins aggravée par des conditions
de vie précarisées (dette de sommeil, déshydratation), et de combat (stress émotionnel).
3.2. Quelques réponses disponibles
Encore une fois, il ne peut être question ici d’être exhaustif, mais de donner
quelques exemples concernant les possibilités de répondre aux nouveaux défis posés
par l’évolution des contraintes, sous le prisme de la physiologie. 3.2.1. L’optimisation de la condition physique des militaires
La prédominance de la technologie des systèmes d’armes, de communication et
de renseignement dans le combat moderne pouvait laisser croire à une moindre
importance de la condition physique du personnel. Or il n’en est rien, bien au contraire.
De plus, cette exigence physique croissante des contextes d’engagements opérationnels
s’oppose à une fragilisation de la condition physique des militaires inhérente à la
sédentarisation de la société. Ce constat a conduit à revisiter les concepts
d’entraînement et de préparation physique des militaires. Le Centre national des sports
de la Défense a proposé une nouvelle doctrine pour l’entraînement physique militaire
et sportif, dont l’objectif est d’optimiser les effets de l’entraînement physique militaire
et sportif sur le personnel [90]. Parmi les principes généraux adoptés dans cette
nouvelle doctrine, la diversité vise à privilégier non seulement l’entraînement en
endurance, mais également à favoriser l’entraînement en force, pour limiter la pénibilité
du port de charges. Les bénéfices liés à l’entraînement en endurance sont essentiellement une
amélioration de la disponibilité en oxygène et de la fourniture des substrats
énergétiques au niveau des muscles actifs, deux facteurs limitant l’exercice prolongé.
Ces adaptations « aérobies » sont d’ordre respiratoire, cardio-vasculaire (augmentation
du volume plasmatique et du débit cardiaque) [91] et musculaires (augmentation de la
capillarisation, du nombre des mitochondries et des activités enzymatiques oxydatives,
amélioration de l’utilisation des substrats lipidiques) [92]. Elles sont obtenues par la
pratique régulière d’activités physiques plus ou moins intenses et prolongées, selon
des protocoles d’entraînement bien codifiés. Elles concourent à faire reculer le seuil
de la fatigue. L’un des principaux stimuli responsables de ces réponses adaptatives est
le déficit énergétique au sein de la cellule qui se contracte [93].
L’entraînement en force permet d’augmenter la masse musculaire, principalement
par le biais d’une hypertrophie des fibres musculaires pré-existantes. Ces adaptations
sont obtenues par un travail en résistance au cours de séances de musculationrenforcement. Les modes de travail (concentrique-excentrique-isométrique) et les
intensités retenues sont responsables de contraintes mécaniques variables à l’origine
des adaptations musculaires [94]. Au plan biologique, ces contraintes mécaniques
provoquent une augmentation des synthèses protéiques, qui peuvent cependant être
inhibées par le déficit énergétique intracellulaire [95]. Ceci est le fondement biologique
300
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
de l’antinomie relative entre entraînement en force et en endurance.
Les recherches fondamentales menées ces dix dernières années en physiologie de
l’exercice ont considérablement amélioré la compréhension des mécanismes à l’origine
des adaptations respectives à l’entraînement en force et en endurance [96-99]. Il nous
faut désormais approfondir les interrelations entre ces deux types d’entraînement, de
façon à proposer à ceux qui ont en charge la préparation physique dans les armées,
une stratégie optimale pour développer en parallèle ces deux qualités indispensables
aux activités physiques militaires que sont la force et l’endurance. Cet exemple illustre le va-et-vient incessant et nécessaire entre les différents
niveaux d’analyse de la physiologie humaine. Partant de l’organisme entier à
l’exercice, elle s’est ensuite focalisée sur les adaptations tissulaires (musculaires), puis
cellulaires et moléculaires (signalisation intra-cellulaire) permettant de relier les stimuli
élémentaires de la contraction musculaire (mouvements du calcium, stress mécanique,
déséquilibre énergétique, production de radicaux libres, hypoxie…) à l’expression
génique conduisant aux adaptations phénotypiques observées. Elle doit maintenant
adopter une nouvelle démarche d’intégration permettant de concilier les modifications
élémentaires et proposer une approche pragmatique à l’échelle de l’organisme.
3.2.2. L’optimisation des fonctions cognitives
Avec la possibilité qu’offre l’Imagerie par résonance magnétique (IRM)
fonctionnelle de voir fonctionner le cerveau en direct, les neurosciences vivent une
véritable révolution. Cet outil d’imagerie pourrait offrir la tentation d’optimiser les
capacités des individus pour les rendre aptes à accomplir des missions dont nous avons
souligné qu’elles réclament des performances toujours accrues. Dans le domaine de
la cognition, les performances sont liées aux capacités nécessaires pour acquérir
l’information (perception), la sélectionner (attention), la prendre en compte
(représentation), la retenir (mémoire), la confronter à ce qui est attendu par soi
(détection d’erreur) et par les autres (confrontation sociale), la lier à un niveau
d’efficacité espéré (récompense/punition) pour agir en conséquence c’est-à-dire
prendre une décision et définir un comportement orienté (fonctions exécutives) [100].
L’entraînement spécifique à une tâche est la première forme d’optimisation des
fonctions cognitives et la plus utilisée par les militaires ; l’apprentissage d’automatisme
permet en effet de développer des aptitudes qui ne seront pas dégradées par le stress
de combat. L’usage de substances pharmacologiques visant à potentialiser les capacités
cognitives est également ancien. Il peut s’agir d’agents anxiolytiques destinés à réduire
l’activation émotionnelle à un niveau qui autorise le travail cognitif, ou d’agents
éveillants permettant de maintenir un certain niveau de vigilance et par conséquent de
performances, à un moment du rythme circadien où elles sont particulièrement
dégradées. Récemment, l’Instruction ministérielle 744 du 31 mars 2008 a précisé le
cadre d’emploi de molécules permettant de maintenir l’éveil ou de faciliter un sommeil
réparateur, ainsi que les modalités de décision de cet emploi par le commandement et
de prescription par le SSA [101]. Ce document officiel rappelle les mesures hygiéno-
Chaire de recherche appliquée aux armées
301
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
diététiques efficaces et indispensables à prendre en opérations afin de préserver la
vigilance du personnel militaire ; il précise par ailleurs que ce n’est qu’en cas
d’impossibilité d’application de ces mesures que le commandement peut désigner les
soldats pouvant bénéficier d’une aide pharmacologique, en fonction de la nature de la
mission et de l’évolution prévisible de la situation sur le théâtre d’opérations. Dans
tous les cas, la prise effective de l’aide pharmacologique est du ressort ultime du
combattant dûment informé par son médecin du rapport bénéfices/risques. Ce
document donne un cadre à l’utilisation de molécules actives afin d’assurer une bonne
gestion de la vigilance en opérations, mais soulève clairement la question du dopage
sur ordre et du dopage collectif [100,102]. Malgré tout, il ne s’agit encore que
d’optimiser les fonctions cognitives, c’est-à-dire de limiter la baisse des performances
cognitives attendues dans le contexte opérationnel. Nous sommes encore dans le
domaine des contre-mesures à la dégradation de la performance. Cet exemple montre l’intrication étroite et transversale de la physiologie avec
d’autres disciplines comme la psychologie et la pharmacologie, pour ne citer qu’elles,
au sein des neurosciences. 3.2.3. L’amélioration des performances cognitives
L’amélioration des performances cognitives peut être une propriété incidente des
molécules éveillantes. Ainsi, le modafinil, molécule déjà disponible qui dispose d’une
autorisation de mise sur le marché dans le cadre thérapeutique de la maladie de
Gélineau, a son utilisation déjà prévue en tant que molécule éveillante dans le cadre
de l’Instruction ministérielle 744 [101], mais limitée aux situations où la survie du
combattant est en jeu. Elle pourrait avoir par ailleurs un impact positif sur l’attention
et la mémorisation sans que son effet sur les processus cognitifs complexes ne soit
prouvé [103].
Une nouvelle étape a été franchie avec l’arrivée de substances qui peuvent être
qualifiées d’amplificateurs cognitifs, dont une classification rationnelle a été
récemment proposée par Lynch et coll. [104]. Parmi eux les « ampakines »,
modulateurs des récepteurs glutamatergiques AMPA, ont un effet positif sur l’encodage
de la mémoire [105], améliorent la fonctionnalité des réseaux neuronaux complexes
[106], autorisant une véritable amélioration des performances cognitives. Par ailleurs,
ces mêmes molécules augmentent la sécrétion de facteurs neurotrophiques comme le
Brain-derived neurotrophic factor (BDNF), conduisant à une amélioration de la
trophicité cérébrale mais également à des effets sur la mémorisation [107]. Ces
molécules présentent un intérêt thérapeutique potentiel évident, en cours d’évaluation.
Leur utilisation chez le sujet sain en général, et chez le combattant en particulier, pose
quant à lui d’aussi évidentes questions d’éthique. 3.3. Limites éthiques
La question des enjeux et défis de la physiologie, qu’elle soit ou non appliquée
aux armées, s’inscrit avant tout dans le cadre légal de la bioéthique française qui
302
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
encadre les comportements s’adressant à l’Homme pris dans sa dimension biologique.
Trois lois de bioéthique ont été adoptées en 1994, révisées et réunies en 2004 sous la
forme d’une loi unique, avec le souci de trouver « un point d’équilibre entre la
protection des droits fondamentaux de la personne et la non-entrave aux progrès de la
recherche » [108]. Si la physiologie est de fait totalement légiférée par ce texte, certaines nouvelles
disciplines, dont les neurosciences ne le sont pas. Leur essor a été un des moteurs
importants de la tenue d’états généraux de la bioéthique, initiés en 2009, dans le but
de « promouvoir la réflexion instruite et éclairée du plus grand nombre sur des
questions qui engagent l’avenir commun » [109]. Les deux questions que posent avec
une acuité croissante les neurosciences sont d’une part, celle des possibilités offertes
en termes d’amélioration des performances exécutives, sensorielles et cognitives et
d’autre part, celle de l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans les domaines extramédicaux. L’importance des questions en jeu justifie d’abord de s’attarder sur le
concept d’éthique. Il convient ensuite de prendre en compte que les acteurs de la
physiologie dans les armées ont le plus souvent un triple statut : celui de militaire, celui
de médecin et celui de chercheur. Ce triple référentiel d’appartenance impose de
considérer les exigences éthiques dans ces cadres précis pour définir les limites d’un
comportement éthique et donc, in fine, d’une éthique de la physiologie appliquée aux
armées, condition sine qua non à sa modernité, selon la définition qui a été posée. 3.3.1. L’éthique : de quoi parle-t-on ?
D’un point de vue étymologique, l’« ethos » des grecs renvoie au comportement
et au lieu de séjour, première marque de l’ambiguïté du concept d’éthique. Au niveau
individuel, selon le dictionnaire Petit Robert, l’éthique se définit comme « la science
de la morale, l’art de diriger sa conduite ». Cette réflexion, développée à titre personnel
chez un individu qui choisit consciemment de faire ou ne pas faire un acte compte tenu
de l’idée qu’il a de lui-même, a des développements systématisés du fait de l’adhérence
de cet individu à des principes qu’il partage avec les autres individus de sa collectivité.
Ces éléments de définition imposent donc de considérer l’éthique également en
collectivité. L’éthique se lie en effet aux comportements qui modèlent au quotidien l’individu
dans ce qu’il est (habitude), et qui le placent ipso facto dans le spectre des
comportements communs (mœurs). Cette ambivalence a conduit à proposer une
définition universalisée de l’éthique, tout en restant dépourvue de jugement de valeur.
Même si chaque homme est unique, il n’en partage pas moins un certain nombre de
caractéristiques avec ses congénères, ce lui qui permet de se reporter à un
comportement standard minimum auquel il se conforme sans effort puisqu’il n’est que
l’expression de son humanité. Dans ce contexte, il faut considérer que la sérénité de
l’individu dans une collectivité est alors garantie par la certitude d’avoir œuvré pour
une cause juste avec des moyens adaptés et en conformité avec le point de vue des
autres hommes, qu’ils soient ou non de sa communauté. La définition d’un
Chaire de recherche appliquée aux armées
303
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
comportement normal a donc pour autre incidence celle de garantir les conditions de
vie harmonieuse. C’est en cela que l’on peut considérer l’éthique comme « se situant
à un degré supérieur à la morale » [110].
3.3.2. L’éthique pour le militaire
Si le comportement attendu du militaire est d’abord celui de tout citoyen dans sa
communauté, encadré par des lois et des codes (civil et pénal), il doit en outre respecter
des conventions internationales propres à son statut militaire (de Genève ou de La
Haye selon les situations) et s’y conformer dans un cadre d’actions particulier, marqué
par des circonstances exceptionnelles sinon dramatiques. Le militaire, bras armé de
son pays, est alors susceptible de faire usage d’une violence autorisée dans un contexte
d’affrontement entre communautés, usage qui doit rester conforme à sa dignité. Pour
un combattant en opérations, le facteur principal à prendre en compte est l’équilibre
des forces en présence. Dans le cadre d’une guerre asymétrique (i.e. mettant en
présence une armée régulière et une guérilla), l’absence de zone de sécurité hors le
groupe militaire rend la peur omniprésente. Il convient de garder à l’esprit que les
limites que le combattant peut attribuer à son comportement peuvent être modifiées
par l’état psycho-physiologique dans lequel il se trouve : un niveau de stress important
modifiant le fonctionnement habituel de son système nerveux peut le conduire à avoir
des comportements extrêmes. Le second facteur est le commandement qui fixe les
missions, désigne les responsables et attribue les moyens de leur réalisation. Le
caractère raisonnable des missions au regard des moyens mis en œuvre est un élément
important de la pression qui pèse sur le combattant. Un troisième facteur réside dans
la qualité du travail du médecin d’unité dont le rôle est de mettre en œuvre les
conditions d’une santé optimale (Hygie) ainsi que les thérapeutiques restauratrices les
plus adaptées (Panacée). In fine, nous sommes face à une définition de l’éthique
correspondant à des référentiels différents, dont l’hétérogénéité ne doit pas masquer
la réalité de l’individu agissant au nom de sa charge. 3.3.3. L’éthique pour le médecin
Si l’on admet la définition princeps, l’éthique d’un médecin est simplement le
comportement attendu par tous d’un homme ayant le statut de médecin. Le serment
d’Hippocrate est ici le texte fondateur qui définit le comportement d’un homme face
à lui-même et à la société dans le cadre d'un statut librement choisi, conféré par autrui
sur la base d’un savoir, et d'un parcours universitaire clos par la soutenance d’une thèse. Le comportement d’un médecin est borné par des textes connus sous le nom de
code de déontologie, ensemble de règles et devoirs régissant la profession. Dans sa
dynamique, le code de déontologie est étroitement lié à la société à laquelle il se réfère.
C’est l’observation et la réflexion sur les faits et actes des praticiens, se confrontant au
point de vue sociétal dans le cadre de procès ou de lois, qui aboutissent à une
jurisprudence professionnelle modelant le comportement attendu d’un médecin dans
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Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
une société donnée. Il offre aux médecins un garde-fou pour les aider à se comporter
conformément à leur statut dans des situations délicates dans lesquelles ils pourraient
ne pas avoir de point de vue spontané. 3.3.4. L’éthique pour un acteur de la physiologie appliquée aux
armées
Dans le cas de la Défense, le souhait des autorités est de tout mettre en œuvre pour
que les combattants soient au mieux de leurs capacités afin d’assurer leur mission dans
des conditions parfois difficiles. Le problème est évidemment dans la définition de ce
« tout ». Les chercheurs militaires et particulièrement les physiologistes se trouvent
dès lors confrontés aux problèmes éthiques liés à la possibilité d’accroitre les capacités
humaines, soit par une approche pharmacologique, soit par le conditionnement
neurobiologique. Si l’accroissement des capacités humaines rejoint le problème du
dopage, il ne s’y limite pas. En ce qui concerne les capacités du cerveau, se doper,
c’est faire fonctionner les réseaux neuronaux au delà de leur capacité. Cela pose donc
un problème de santé à court terme (i.e. risque aigu lié à la substance ou à un
comportement anormal) et à long terme (e.g. induction d’une toxicomanie). Augmenter
sa capacité cérébrale peut aussi s’entendre comme accroitre le fonctionnement d’un
système neurobiologique au détriment des autres, profilant les capacités de l’individu
sur une fonction au détriment de sa capacité à répondre au monde de manière
harmonieuse. Dans tous les cas, les changements peuvent être réversibles ou non, et le
risque potentiel réside dans une réduction du libre-arbitre et de l’autonomie de
l’individu. La difficulté de l’adéquation de la réflexion éthique individuelle aux
principes collectifs trouve alors toute son ampleur. La modernité de la physiologie,
particulièrement appliquée à la Défense, se cristallise particulièrement dans cette
question. Il convient bien de saisir que ce défi ne peut être évité.
3.3.5. Quelles limitations pour les acteurs de la physiologie
dans le cadre de la Défense ?
In fine, les limitations à l’activité humaine dans le domaine de la physiologie
doivent se poser d’un point de vue transcendant par l’idée que la communauté humaine
se fait d’elle-même et, d’un point de vue individuel par la nécessité des différents
acteurs de se comporter selon leur statut social librement choisi, et selon le point de
vue que chacun a de lui-même. Pour le médecin, le comportement se fonde sur les lois
du pays, le code professionnel de déontologie et l’altérité loyale fondamentale pour
l’acte médical. Pour le chercheur, il s’agit de révéler les limites, les dangers et les
risques inhérents aux nouvelles avancées afin de donner au praticien les outils d’une
pratique éclairée en comprenant mieux la contextualisation des risques liés à ces
pratiques, et en délimitant autant que faire se peut le domaine d’utilisation raisonnable
duquel il ne faut pas déroger. Pour le physiologiste militaire, ces limitations s’inscrivent
de surcroît dans leur appartenance à la collectivité de la Défense.
Chaire de recherche appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
La physiologie, moderne de par la puissance de ses outils et de ces concepts, doit
également l’être du fait de son intégration dans la réflexion sur la conception que nous
avons de l’Homme. 4. Conclusion
Au terme de cette réflexion nécessairement partiale et incomplète, il apparaît que
la physiologie, science qui vise à comprendre les mécanismes de fonctionnement du
vivant, est véritablement une science moderne. Sa conception diffractée du siècle
dernier a laissé place à une entité dans laquelle s’effectue un incessant et nécessaire
va-et-vient entre une approche réductionniste allant jusqu’à l’essence moléculaire de
vie, et une vision holistique du vivant étendue à son environnement. Bien plus qu’une
simple interface au contact des autres disciplines du vivant, elle prend en compte les
derniers raffinements conceptuels et technologiques faits dans l’une ou l’autre de ces
disciplines, pour les confronter et les inclure dans un corpus intégratif mettant en avant
les régulations, à quelque niveau d’organisation qu’elles se trouvent. Elle justifie ainsi
pleinement sa définition de « biologie intégrée ».
En analysant le fonctionnement biologique de l’homme normal, la physiologie en
dessine aussi les limites, et ce faisant pointe en creux l’écart potentiellement pathogène
du fonctionnement de l’organisme soumis à des conditions environnementales
contraignantes. L’un des enjeux de la physiologie en milieu militaire réside dans la
gestion et la minimisation de cet écart en dépit des contraintes imposées au combattant
du fait de son activité professionnelle. De ce fait, elle participe pleinement à
promouvoir une pratique médicale la plus performante possible au service des forces,
et ainsi à l’excellence du Service de Santé des Armées. Le défi que doit dorénavant relever la physiologie réside dans la réflexion
philosophique nécessaire à la maîtrise de l’ensemble des connaissances toujours
accrues de la complexité de notre organisme pour in fine mieux respecter le respecter.
En d’autres termes, il nous appartient de nous confronter lucidement au dilemme de
Faust et de savoir résister à la tentation d’utiliser la puissance à notre disposition pour
mieux préserver l’idée que nous avons de l’Homme.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Diane Agay,
Sébastien Banzet, Lionel Bourdon, Frédéric Canini, Mounir Chennaoui, Thierry Fusaï,
Alexandra Malgoyre, Fabien Sauvet, Jean-Nicolas Tournier, Marion Trousselard.
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314
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Les interfaces cerveau-machine :
besoins, opportunités et risques
Damien Ricard
1. Introduction
Les Interfaces cerveau-machine (ICM) consistent en l’ensemble des systèmes qui
établissent une communication directe entre le cerveau et des appareils technologiques
divers extra-corporels [1-3]. Le principe est que l’appareil externe soit d’abord capable
d’acquérir un signal produit par l’activité cérébrale, principalement le signal électroencéphalographique pour les systèmes existants actuellement, puis de l’analyser et de
le décoder en un signal de commande. Ce signal est alors interprété par un outil
informatique en mesure de réaliser une action correspondant à l’intention de
l’utilisateur (figure 1). L’ICM constitue ainsi un nouveau mode d’interaction du
cerveau avec l’extérieur ne passant pas par les voies nerveuses centrales puis
périphériques jusqu’aux effecteurs musculaires.
Figure 1.
Principes d’une ICM.
Un capteur rentre en contact avec
le cerveau (système d’électroencéphalographie,
ensemble
d’électrodes implantées directement dans le cerveau etc.) pour
recueillir le signal électrique
généré par la région du cerveau
qui est enregistrée et est relié à un
système informatique qui analyse
et décode ce signal électrique
pour le transmettre à un système
effecteur qui est alors commandé
par le signal décodé (machine).
Enfin, le système effecteur peut
transmettre un signal de retour au
cerveau réalisant ainsi une boucle
fermée.
Ces dernières années, les ICM ont rapidement progressé du fait des avancées en
neurosciences (anatomiques, notamment la cartographie corticale, fonctionnelles et
cellulaires), en acquisition et traitement des signaux (miniaturisation des électrodes,
systèmes d’amplification et d’extraction du signal d’intérêt) et des sciences
Chaire de recherche appliquée aux armées
315
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
informatiques (algorithme d’apprentissage, traitement simultané de données haut
débit). Par ailleurs les progrès dans le domaine de la robotique dynamisent le
développement des ICM en augmentant leur champ d’application, même si le système
effecteur ne fait pas, stricto sensu, partie de l’ICM. Des niveaux de performance
croissants ont ainsi pu être atteints chez les animaux (rongeurs et primates) et chez
l’homme [2, 4-10]. Ainsi des programmes qui relevaient de la science-fiction il y a
40 ans voient actuellement le jour avec succès amenant un immense espoir pour des
millions de patients qui souffrent d’un handicap moteur sévère à travers le monde.
L’état actuel des développements des ICM reste cependant en deçà de ce que
conçoit l’imaginaire collectif. Les avancées chez l’homme ont été médiatisées au delà
de la réalité et en omettant les limitations biologiques et technologiques, notamment
celles liées aux remaniements tissulaires, apparues souvent à distance des
démonstrations princeps. Toujours est-il que les ICM deviennent un champ
d’investigation avec des applications déjà réelles en médecine de rééducation et de
substitution. Dans la mesure où elles augmentent les capacités de l’homme, il est licite
de s’interroger sur le bien-fondé de leur utilisation chez le sujet sain et notamment à
des fins militaires. Les médecins militaires sont là encore confrontés à la délicate
question éthique de choisir de s’impliquer dans un domaine aux applications
indéniables pour le bien être des vétérans, en particuliers des blessés cérébraux et/ou
médullaires et des amputés de membres, au risque de se voir demander d’en tirer profit
pour augmenter les performances des combattants.
2. Besoins et opportunités
Dans ce domaine en pleine évolution il est délicat de traiter des besoins sans
évoquer l’état des développements technologiques et les opportunités qu’ils présentent.
Les avancées de ces dernières suscitent les premiers. Dans cette partie nous allons
dresser un panorama des recherches en cours et de leurs applications ainsi que les
utilisations qu’elles laissent entrevoir à court terme.
L’idée d’une communication directe entre le cerveau et un dispositif externe a
trouvé un ancrage technologique concret avec le développement d’une part de
l’imagerie cérébrale fonctionnelle et des progrès réalisés dans la compréhension du
fonctionnement cérébral, et d’autre part des interfaces électroniques et informatiques
de recueil et de décodage du signal neuronal. En pratique, un système d’ICM comporte
(figure 1) : un capteur qui rentre en contact avec le cerveau (système
électroencéphalographique, ensemble d’électrodes implantées directement dans le
cerveau etc…) pour recueillir le signal électrique généré par la région du cerveau qui
est enregistrée, un système informatique qui analyse et décode ce signal électrique
pour le transmettre à un système effecteur qui est alors commandé par le signal décodé.
Enfin, le système effecteur peut transmettre un signal de retour au cerveau réalisant
ainsi une boucle fermée. La capacité à réaliser une mesure de l’activité cérébrale à
316
Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
l’aide d’un capteur, de discriminer différents états du système nerveux central à l’aide
d’algorithmes et de déclencher une commande sans action motrice de la part de
l’animal ou du sujet utilisant une ICM (mouvement ou parole) est actuellement possible
en laboratoire [2, 4-10]. L'essor de ce type de technologie est de plus porté par deux
axes principaux d'application possibles :
– le premier vise à répondre au handicap physique, soit en restaurant les fonctions
motrices d’un paralysé en court-circuitant, par l’ICM, la lésion cérébro-médullaire,
soit en remplaçant, par des prothèses cybernétiques (commandées par un ordinateur,
lui même assujetti à une ICM), des membres amputés. Cet axe de recherche est
considéré comme la motivation historique de la recherche sur les ICM, débutée dans
les années 70 ;
– le deuxième est la commande directe de système en dehors de tout handicap.
Elle compose essentiellement le champ prospectif militaire. Cet axe de recherche vise
à améliorer l’opérateur humain et/ou lui permettre d’utiliser un système plus
efficacement. Une autre application potentielle qui s'en approche est le jeu vidéo. Ce
domaine est aujourd’hui fortement stimulé par les applications commerciales de haute
technologie mais aussi de masse, et forme un débouché croissant. Ainsi la compagnie
NeuroSky (San José, Californie) commercialise pour le grand public une ICM ludique
à 99 $.
En fonction du mode de recueil et de la nature du signal cérébral, on distingue
trois types d’ICM : les premiers sont les systèmes invasifs c’est-à-dire comportant un
dispositif de recueil du signal au contact du cortex cérébral, à la différence des seconds
dits systèmes semi-invasifs qui recueillent le signal à proximité de la dure-mère (face
interne ou externe) et des troisièmes dits systèmes non invasifs pour lesquels le signal
est recueilli à la surface de la tête par des casques au contact de la peau [11]. Les
systèmes invasifs traitent des signaux issus de neurones uniques ou de potentiels de
champs locaux captés par des micro-électrodes dont la mise en place sur la bonne zone
de cortex est un challenge rendu possible par les technologies actuelles. Les implants
invasifs permettent d’acquérir des signaux de meilleure qualité, mais posent des
problèmes éthiques afférents à leur caractère invasif, nécessitant une intervention
neurochirurgicale. Leur utilisation a culminé en 2006 avec les travaux de l’équipe de
Donoghue [4] qui ont apporté la preuve du concept chez l’homme qu’un système
composé de micro-électrodes implanté sur le cortex sensori-moteur et relié à une ICM
permettait à un tétraplégique de déplacer un curseur sur un écran d’ordinateur. Ce
travail publié dans Nature a rapidement fait le tour du monde. Depuis, plusieurs équipes
développent des systèmes permettant à des patients tétraplégiques placés dans un
exosquelette de pouvoir se déplacer grâce à des neuroprothèses implantées (caractère
invasif minimal dans le crâne sur le cortex cérébral sensori-moteur) (Clinatec). Une
première étape devrait consister à l'horizon 2012 ou 2013 à implanter un dispositif
pour mettre en œuvre des interfaces de type souris d’ordinateur ou fauteuil roulant.
Cependant, avec le recul, il apparaît que la durée de performance des micro-électrodes
Chaire de recherche appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
est limitée dans le temps (quelques mois chez l’homme) du fait des remaniements
inflammatoires et fibrotiques. Des recherches sont menées pour développer des
matériaux les plus bio-compatibles possible.
Les systèmes semi-invasifs sont moins sujets à cette limitation. Ils traitent le signal
recueilli sous forme de potentiels évoqués et nécessitent une analyse plus fine du signal
ne permettant la réalisation que de tâches moins complexes alors qu’elles nécessitent
tout de même le coût et les risques d’une chirurgie [2, 6, 12, 13].
En France, et plus généralement en Europe, le développement d’implants invasifs
ou semi-invasifs est encadré par la loi de bioéthique qui limite fortement leur utilisation
et la majorité des travaux concerne le développement d’ICM non invasives. Les
capteurs placés sur la peau recueillent le signal Électro-encéphalographique (EEG). À
l’heure actuelle les signaux cérébraux d’autres natures (IRM fonctionnelle (IRMf),
scintigraphiques, magnéto-encéphalographiques) ne sont pas exploitables car les
systèmes capables de les recueillir ne sont pas mobiles. Les résultats obtenus par les
équipes françaises sont moins spectaculaires que ceux décrits ci-dessus, mais les efforts
semblent commencer à porter des fruits. Initié en 2005 sur un financement de l’Agence
nationale pour la recherche (ANR) et piloté par l’INRIA et l’INSERM, le projet
OpenViBE a ainsi abouti en 2008 à la mise au point d’un logiciel permettant de
concevoir, construire et tester des ICM. Aujourd’hui gratuit et en open-source [14], ce
logiciel traite des données issues de capteurs électrophysiologiques tels que EEG,
recueilli par un casque à électrodes posé sur le cuir chevelu. Trois prototypes
d’applications développés dans le cadre du projet OpenViBE concernent la réalité
virtuelle et par extension les jeux vidéo, tandis qu'un autre permet d'aider les personnes
lourdement handicapées à saisir un texte sur ordinateur par le biais de l’activité
cérébrale.
Après un premier atelier de réflexion organisé par la Fondation pour la recherche
médicale (FRM) en 2007 (École d’automne du code neural à l’interface Cerveau/ Machine
27-29 septembre 2007, Château de Montvillargenne), l’ANR a défini dans un atelier de
réflexion prospective sur les Sciences et technologies cognitives (PIRSTEC [15]), des
thèmes prospectifs sur les ICM. Cette initiative fédère une quinzaine de laboratoires
en France travaillant dans le domaine afin de développer des projets aussi ambitieux
que ceux développés aux USA. En octobre 2009, des axes de recherche ont été
identifiés, tels que les systèmes de mesure et de stimulation de l'activité cérébrale, les
méthodes de traitement du signal en temps réel et les potentialités d'applications
cliniques. En vue de capitaliser et de partager les recherches et les connaissances, un
effort a été entrepris par différentes instances académiques, notamment européennes,
pour mettre en commun leurs compétences et expertises depuis quelques années au
travers de plates-formes pour les chercheurs et les non spécialistes [16].
Si pour l’instant, en France, les programmes concernent principalement les
applications médicales et dans une moindre mesure les jeux vidéo, aux États-Unis, la
recherche dans le domaine des ICM appliqué au contexte militaire a démarré dès les
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Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
années 70, avec le soutien de la Defense Advanced Research Projects Agency
(DARPA). Un ouvrage publié aux États-Unis en 2008 par un organisme du ministère
de la Défense [17], explore plusieurs domaines de recherche ayant des implications
pour la sécurité nationale américaine. Ce rapport dresse un paysage des attentes des
recherches sur les technologies cognitives pour les vingt années à venir. En ce qui
concerne les ICM, on y trouve des réflexions sur les possibilités de contrôler le cerveau
(comme cela est possible chez le rongeur en lui imposant des directions de déplacement
[18]), d'améliorer les performances des combattants, de perturber la motivation de
l'ennemi, d'aider le cerveau à supprimer la peur ou la douleur. Le budget de la DARPA
pour l'année 2009-2010 comporte le financement d'un programme nommé Silent Talk
[19, 20] à hauteur de quatre millions de dollars. Ce projet doit permettre la
communication d'homme à homme sur le champ de bataille, sans utiliser la parole (ce
qui permet de rester discret ou de s’affranchir d’un environnement bruyant) par un
dispositif ICM non-invasif à partir du signal EEG. Ce système de télépathie assistée
par ordinateur a déjà passé le stade expérimental avec succès [20].
Les projets dans les domaines opérationnels sont :
– les commandes de drones et d’armement télé-opérés. Le recours à un système
d’ICM intégré à un visuel de casque pour commander un armement télé-opéré pourrait
permettre de s’affranchir d’un poste de commande fixe. En ce sens, l’opérateur pourrait
déclencher un tir en envoyant un signal cérébral, sans utiliser de boitier de commande
classique. Il pourrait aussi participer à des opérations sans être physiquement sur le
théâtre;
– la conduite d’exosquelette [21]. Elle repose actuellement sur une technologie
électromécanique. Les mouvements sont analysés par des microcontrôleurs, qui
envoient des signaux à des servomoteurs dont le but va être d’actionner les
mouvements et d’amplifier la force musculaire du sujet. L’intérêt porté aux ICM repose
sur la possibilité d'interpréter des signaux permettant d’anticiper des mouvements à
l’avance, ou d’intégrer des commandes additionnelles (exemple : changement de
puissance, à l’instar d’un changement de vitesse dans la conduite automobile);
– le pilotage d’avions de combat à réaction. Dans ce cadre, la perte de conscience
est un évènement adverse problématique. La surveillance des états cérébraux comme
la fatigue pourrait permettre d’alerter le système suffisamment en amont de la survenue
d’une perte de conscience, afin de passer en mode de pilotage automatique avec une
série de phases de vols conservatoires préétablies ou guidées par des paramètres et des
règles. La surveillance de la vigilance et de l’attention des pilotes de drones fait l'objet
d'un programme de recherche mené par l’US Army, dénommé UAV Operators Training
and Workload Assessment for Safe Piloting [22], où la question de l’évaluation en
continu de la charge de travail par une ICM est envisagée ;
– l'amélioration de systèmes d'alerte, avec un couplage entre des lunettes de très
haute résolution et une ICM qui répondrait à des cibles détectées de manière
inconsciente par le cerveau. Cela pourrait permettre de détecter des menaces à une
distance d'une dizaine de kilomètres, avec un champ de vision de 120° [23, 24].
Chaire de recherche appliquée aux armées
319
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
La DARPA soutient de plus des projets reposant sur le signal d’IRMf, en vue
d'applications diverses : détection de mensonges, augmentation de la charge mentale,
meilleure gestion de la peur, traitement et régulation de l'information à traiter pour un
pilote, lecture dans la pensée. Au final, toutes ces applications semblent bien lointaines. Le Laboratoire de
recherche de l’armée américaine Army Research Lab [25] favorise actuellement une
direction plus pragmatique, en testant les possibilités des ICM comme superviseur et
soutien de l’opérateur (contrôle de sa vigilance, prévision d’erreurs de décision, état
de stress). L’accent est mis sur des technologies portables, sûres et non vulnérantes.
Ainsi, une ICM devrait pouvoir être réellement portée sur la tenue de combat d’un
fantassin, être autonome en énergie avec des batteries adaptées, et ne pas être
susceptible de devenir une source de projectiles secondaires en cas d’exposition à une
explosion de mine ou d’engin explosif improvisé.
3. Limites et risques des ICM
Si les programmes affichés par les équipes en pointe dans les ICM, en France et
dans le monde, laissent songeurs, il ne faut pas oublier les défis importants qu’il reste
à relever avant de voir les ICM envahir les théâtres d’opérations ou notre vie
quotidienne. En effet des problèmes techniques majeurs restent à résoudre. Un des
enjeux principaux consiste à améliorer les systèmes de recueil du signal afin
d’augmenter le rapport signal/bruit extrinsèque d’une part (tous les émetteurs
électromagnétiques de voisinage) et intrinsèque d’autre part (activités mentales
involontaires du sujet ou superposition des champs électriques de larges populations
neuronales). Des techniques de filtrage spatial et temporel sont donc nécessaires en
prétraitement du signal d’activité cérébrale. Face aux limitations actuelles des ICM, notamment en matière de précision des
capteurs et de capacité de contrôle, les recherches se tournent activement vers les ICM
hybrides [26]. Une ICM hybride est constituée d’au moins une ICM « classique »
couplée à un ou plusieurs autres dispositifs, d’une toute autre nature. Il est par exemple
possible de coupler deux ICM différentes pour ajouter un autre moyen de contrôle par
l’activité cérébrale, ou bien d’optimiser l’utilisation d’une ICM en ajoutant des
informations tirées de capteurs physiologiques tels que le rythme cardiaque ou les
mouvements oculaires [27].
La réduction du coût des systèmes est nécessaire à son utilisation à large échelle.
Si les efforts sont souvent placés sur la qualité du signal reçu, l’émergence récente des
casques d’acquisition EEG dédiés aux jeux vidéo laisse entrevoir un déploiement hors
du laboratoire, avec une convergence de la qualité des signaux et du design du matériel.
La possibilité de développer des électrodes « sèches », par exemple, (actuellement,
elles doivent être recouvertes d’un gel pour assurer un bon contact électrique avec la
peau) est une problématique capitale pour bénéficier de casque facile d'utilisation, tout
en conservant une bonne qualité de signal. Ainsi, les compagnies qui commercialisent
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Chaire de recherche appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
les ICM dédiées aux jeux, proposent déjà des versions améliorées du casque EEG et
de l’interface informatique pour des applications de recherche en neurosciences.
Enfin, la grande variabilité entre les individus chez l'homme impose de construire
des bases de données sur le comportement humain et la mise à jour de celles-ci par un
suivi dans le temps. En effet, les signaux physiologiques qui doivent être détectés sur
l'utilisateur face à son environnement sont très variables d'un individu à l'autre.
Actuellement, une phase d’apprentissage réciproque de l’utilisateur et de la machine,
par essais corrigés successifs de quelques jours [5] à plusieurs mois est nécessaire à la
mise en œuvre d’une ICM [28] réalisant des tâches simples. La résolution de ces défis techniques passera par le travail en équipes
multidisciplinaires comportant ingénieurs, médecins et neurophysiologistes, au sein
d'une même entité.
Mais au delà des enjeux techniques, l'essor des neurosciences ne permet pas encore
une compréhension globale du fonctionnement du cerveau humain. Nous ne
connaissons en particulier pas ses limites théoriques en termes de traitement de
l’information. Quatre questions essentielles permettent de rendre compte de ce que
cela sous-entend en termes de limitations des ICM :
– comment différencier dans l’activité mentale les signaux correspondants à de la
réflexion voire à de l’imagination de ceux correspondant à l’action volontaire ? On
sait qu’il existe des réseaux de neurones dits « neurones miroirs » qui s’activent dans
le cortex moteur lorsque nous voyons une action ou lorsque nous l’imaginons [29] ;
– le cerveau a-t-il suffisamment de capacités d’adaptation pour permettre le
fonctionnement de tout type d'ICM, dans toutes conditions ? Si on cherche à utiliser
une ICM pour piloter plusieurs drones ou plusieurs bras articulés par exemple, les
performances vont dramatiquement chuter car la commande de chacun des systèmes
demande un effort de concentration dans la mesure où il ne se fait qu’en pleine
conscience. Il faut impérativement considérer la charge mentale générée par la mise
en œuvre d'ICM ; – que mesure-t-on comme activité cérébrale ? Malgré les très grands progrès
techniques, nous ne pouvons en pratique qu’enregistrer une activité de surface, qui est
une somme de signaux provenant de sources à la fois superficielles (cortex) et
profondes (noyaux profonds du cerveau). Certes, il est possible d’utiliser certains de
ces signaux dans des interfaces assez simples (discrimination entre deux états par
exemple), dans le cadre d’une tâche précise (recherche d’une cible dans des images
satellites). Cela devient plus compliqué si l’on sort d’une tâche contrôlée (conduite de
véhicule en terrain libre), et si l’interface doit pouvoir réagir à un contexte qui ne lui
est pas connu. De plus, les conditions réelles d’utilisation nécessitent un recueil des
données par des dispositifs peu encombrants, portables, voire à la présentation
conviviale ;
– dans l’activité mentale, jusqu’à quel degré peut-on dissocier l’activité effectrice
volontaire des informations neurosensorielles ? En effet, toutes les expériences
Chaire de recherche appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
mentales consistent en une synthèse cohérente entre le monde que nous percevons et
celui avec lequel nous interagissons, les ICM utilisées dans la télécommande d’engins
déséquilibrent cette situation.
Enfin, l’utilisation des ICM fait courir des risques soulevant des questions
règlementaires et éthiques majeures.
À première vue, le cadre réglementaire d’une ICM est celui d’un dispositif médical
selon la définition de l’ANSM. Une ICM impliquant une intervention
neurochirurgicale est classée III (risque maximal). Les processus d’examen
règlementaire en vue d’un marquage CE et d’une autorisation de l’ANSM (à titre
d’investigation ou de soin) sont ceux des dispositifs médicaux, ce qui permet de régler
un nombre important des défis. Cependant la grande complexité de ce dispositif
médical implique une réflexion particulièrement exigeante.
Le recueil et le stockage des états cérébraux d’un individu menace son intimité,
sa sécurité et peut être le lieu de malveillances [30]. Du fait de la sensibilité de ces
données et des risques liés à leur détournement, il convient de s'interroger sur la
pertinence du cadre juridique, français et international, relatif à leur protection. En
France, la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978
modifiée notamment par la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes
physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel [31] impose des
règles strictes pour le recueil, le stockage et les traitements de ces données. Aussi, il
convient en premier lieu de déterminer si l’activité électrique du cerveau d’un individu
doit être appréhendée comme une donnée personnelle ce qui aurait pour conséquence
de soumettre les traitements de données réalisés au moyen d’ICM aux dispositions de
la loi du 6 janvier 1978. Une exception au principe d’interdiction de traitement des
données sensibles présente un intérêt dans le cas des ICM, celle du consentement
exprès de l’intéressé [32]. Le responsable de traitement devra au préalable avoir déclaré
le traitement envisagé auprès de la CNIL et se soumettre aux exigences de la loi
informatique et liberté. Celles-ci doivent être traitées loyalement et licitement, mais
également, être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. La
loi informatique et liberté offre ainsi un haut degré de protection. Mais si les ICM sont
susceptibles de trouver des applications dans les domaines de l’informatique, du jeu
vidéo, des services à la personne, etc., est-il légitime de permettre à une multitude
d’opérateurs civils d’avoir accès aux données cérébrales de leurs clients ? Le cadre
juridique actuel peut-il permettre de protéger efficacement de telles données ? Les
ICM pourraient en effet être utilisées à des fins de « neuromarketing », dans le secteur
de l'assurance ou encore dans le cadre de procédures de recrutement professionnel,
afin de contourner les dispositions de l’article 16-14 du Code civil précisant quel « les
techniques d'imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu'à des fins médicales ou
de recherche scientifique, ou dans le cadre d'expertises judiciaires. Le consentement
exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de
l'examen, après qu'elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le
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LES ANNALES DE
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consentement mentionne la finalité de l'examen. Il est révocable sans forme et à tout
moment ». Cette première disposition législative visant à encadrer les pratiques issues
des neurosciences a été introduite en droit français par la loi du 7 juillet 2011 relative
à la bioéthique [33] afin de se prémunir contre les dérives observées outre-Atlantique
(plusieurs sociétés de services privées ont été créées aux États-Unis dans le but de
proposer des consultations de détection de mensonges fondées sur l’interprétation
d’IRMf) en matière d’utilisation de l’imagerie dans le monde professionnel et social,
dans les recrutements ou encore dans le secteur de l’assurance. Dans ce domaine, tout ne peut être appréhendé par le cadre réglementaire. « Les
neurosciences constituent un des champs où le domaine de l’éthique est le plus fragile.
En touchant au cerveau, on touche au cœur même de l’espèce humaine, à son âme
même pour certains. […] C’est donc l’essence même de l’humain qui risque d’être
mise en cause » [34]. Cette déclaration du Professeur Vincent devant l’Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques résume à elle-seule
la difficulté d’appréhender les problématiques éthiques afférentes aux neurosciences.
Composante des neurosciences, les ICM, et plus particulièrement les ICM invasives,
soulèvent en effet de nombreuses interrogations éthiques et juridiques. Plus
précisément, elles conduisent à s’interroger sur des problématiques cardinales telles
la dignité de la personne ou plus largement la notion d’identité humaine. Ainsi,
comment ne pas s’interroger sur la licéité des ICM invasives en l’absence de nécessité
thérapeutique ? Les interventions sur le corps humain sont notamment encadrées par
les dispositions de l’article 16-3 du Code civil qui dispose qu'« il ne peut être porté
atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne
ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de
l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ». En l’état actuel
de la réglementation, l’implantation d’ICM sans nécessité thérapeutique est considérée
comme illicite même si l’individu y consent expressément. Les ICM invasives
soulèvent évidement bien d’autres interrogations auxquelles il convient de répondre
afin de déterminer l’acceptabilité de pratiques visant à hybrider l’homme et la machine
à des fins non médicales. Ainsi, quel est l’impact potentiel des ICM invasives à des
fins d’anthropotechnie sur le principe de non-discrimination ou sur le principe d’égalité ?
Dès lors que les ICM sont susceptibles d’induire une augmentation des performances
humaines, elles sont susceptibles d’engendrer une rupture d’égalité entre les individus
implantés et les non-implantés au même titre que les techniques de dopage [35]. En
définitive, en ce qu’elles touchent à l’une des composantes majeures de l’identité humaine,
les ICM doivent faire l’objet de toutes les attentions. La composante invasive de cette
technologie marque a fortiori un changement de paradigme dans les rapports qu’entretient
l’homme avec la technique. Avec les ICM, l’« humanité imprégnée de technique » [36]
cède la place à une humanité hybridée de technique, une techno-humanité. Comme le
relève le Professeur Chneiweiss « l’activité de notre cerveau est à la fois l’origine et
Chaire de recherche appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
l’émergence de la pensée, de la perception et de l’action, ainsi que l’expression de
notre identité personnelle » [37]. Bien que les problématiques d’homme augmenté au
moyen de l’implantation de puces informatiques dopant ses capacités mnésiques ou
cognitives n’appartiennent pour l’heure qu’au domaine du fantasme voire au domaine
de la science fiction, les interfaces cerveau-machine, aussi balbutiantes qu’elles soient,
soulèvent des interrogations nombreuses et complexes auxquelles le droit doit dès
aujourd’hui accorder toute son attention.
4. Conclusion
Les ICM rejoignent l’imaginaire de la communication directe par la « pensée »,
et de l’interaction directe entre l’homme et la machine. Ainsi, ces dispositifs
technologiques sont imprégnés de nombreux mythes et imaginaires sur les possibles.
La connexion de l’activité cérébrale attire d’ailleurs régulièrement l'attention des
médias et des auteurs de science fiction. Depuis plus d'une dizaine d'années, le nombre de laboratoires travaillant sur les
ICM invasives et non invasives a crû significativement. Les réalisations y compris
chez l’homme ont récemment franchi un cap pour les systèmes invasifs laissant
entrevoir un développement à court terme. Les principaux points d’achoppement
actuels sont la qualité des signaux électro physiologiques recueillis sur le terrain, leur
interprétation, la variabilité interindividuelle des sujets, l’indexation des données ainsi
que les questions d'ergonomie et l'apprentissage des dispositifs par les utilisateurs. Les applications visées par les ICM sont principalement le suivi des états internes
de l’opérateur (fatigue, attention, vigilance, stress), les communications (programme
silent talk ou télépathie assistée par ordinateur) et les commandes systèmes (prothèses
ou systèmes d’augmentation des performances). Cet ordre reflète, à notre sens, la
probabilité de leur application dans le domaine de la défense.
La mesure des états cérébraux pose des questions d'utilisation et de respect du
droit, liées à la sécurité des sujets et à la confidentialité des enregistrements. La
protection des données issues des neurosciences représente un enjeu très sensible. En
effet, la collecte de données brutes, le traitement, la conservation et les utilisations
potentielles de celles-ci peuvent susciter de nombreuses questions en termes de
consentement, de confidentialité, de non-discrimination, ou encore de droit à
l’information.
Les ICM invasives qui semblent justifiées lorsque leur implantation est motivée
par des raisons médicales soulèvent des questions éthiques majeures pour des
applications chez le sujet sain. Si la doctrine juridique ne manifeste pas pour l’instant
un intérêt aux ICM, correspondant aux développements prévisibles à moyen terme.
En conclusion, il est souhaitable que la réflexion au sein du ministère de la
Défense, soit poursuivie au regard des évolutions des réponses sociétales, éthiques et
juridiques, afin d'orienter la prise de décision sur le développement de ces technologies. 324
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Flavie Bompaire,
Stéphane Buffat, Xavier Desreulles, Thierry Fusaï, Thierry de Greslan, Gilles
Huberfeld, Béchir Jarraya, Madani Ouloguem, Dimitri Psimaras, Jean-Nicolas
Tournier, Lionel Védrine.
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Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
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l’École du Val-de-Grâce
Chaire d’imagerie médicale
appliquée aux armées et
risque radio-nucléaire
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
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Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
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l’École du Val-de-Grâce
Imagerie moléculaire et traitements en
cancérologie : de la mise en œuvre
initiale au suivi de leur efficacité
Gérald Bonardel
1. Introduction
Les mécanismes qui supportent la maladie cancéreuse sont profondément de type
moléculaire et biologique et l'histoire naturelle de la maladie est largement dominée
par les anomalies microscopiques. Qu'il s'agisse de la compréhension du cancer ou de
son traitement, ces dernières années voient une évolution de l'approche diagnostique
et thérapeutique vers ces phénomènes microscopiques. Ainsi pour ce qui est de la
clinique et de la biologie, on assiste à un glissement de l'approche macroscopique
(classification TNM ou histologie) vers la biologie moléculaire. En imagerie, pour
appréhender ces phénomènes microscopiques, les techniques d'imagerie moléculaire
trouvent leur place aux cotés des techniques morphologiques macroscopiques
traditionnelles. En thérapeutique, la transition se fait de plus en plus de la
chimiothérapie classique ou de la radiothérapie 2D vers des protocoles de thérapie
ciblée ou de radiothérapie guidée par l'image.
L'imagerie moléculaire peut se définir comme l'ensemble des techniques
permettant de visualiser et d’enregistrer la distribution spatiale et temporelle de
molécules ou de processus cellulaires en vue d’applications biochimiques, biologiques,
diagnostiques ou thérapeutiques. Les techniques d'imagerie pré-clinique comme
l'imagerie optique, mais également la spectro-IRM (Imagerie par résonance
magnétique) ou l'IRM de diffusion et surtout les techniques de médecine nucléaire
(Tomographie d'émission monophotonique ou TEMP et Tomographie par émission de
positons ou TEP) entrent dans ce cadre. Ce n'est pas le cas en revanche des techniques
d'imagerie morphologique que sont l'échographie, la tomodensitométrie ou TDM et
l'IRM standard. Aussi en pratique clinique, notamment en cancérologie, l'imagerie
moléculaire est largement dominée par la TEP (du fait de sa meilleure résolution
spatiale par rapport à la TEMP) et plus particulièrement la TEP au 18Ffluorodéoxyglucose (18F-FDG ou FDG) qui permet de rendre compte du métabolisme
glucidique. La TEP-FDG, du fait de performances diagnostiques supérieures par
rapport à l'imagerie morphologique, a trouvé sa place dans le diagnostic et le bilan
d’extension des affections cancéreuses en raison de son aptitude à la caractérisation
tissulaire des lésions et elle constitue désormais l'examen clé pour le bilan d'extension
des cancers hypermétaboliques.
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331
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Rapidement après son introduction dans la pratique clinique, il est apparu que la
comparaison des images obtenues avant et après traitement permettait de distinguer
des patients répondeurs, dont les lésions perdaient toute activité métabolique, et les
autres dont les lésions restaient stables voire accroissaient leur activité métabolique.
Cette deuxième catégorie était fortement corrélée avec la progression de la maladie
vers une issue fatale. Ainsi, son utilisation évolue actuellement vers l’évaluation de
l’effet anti-tumoral des traitements anticancéreux en raison de la corrélation entre la
fixation d’un traceur métabolique et la viabilité des cellules malignes. Par ailleurs, afin
de dépasser les limites du FDG, des traceurs plus spécifiques sont développés et leur
principale indication pourrait justement concerner l'évaluation de l'efficacité
thérapeutique. Les propriétés des émetteurs de positons permettent d’envisager le
marquage des molécules thérapeutiques elles-mêmes afin de tester in vivo les produits
avant leur utilisation chez un patient donné. Ces perspectives constituent les bases
d’une véritable personnalisation des traitements en cancérologie et ouvrent un champ
de recherche clinique immense [1].
Après avoir rappelé dans un premier temps les principes généraux de l'imagerie
moléculaire en se focalisant essentiellement sur la TEP, nous verrons comment elle
permet d'optimiser la prise en charge initiale des patients cancéreux puis comment elle
contribue à évaluer l'efficacité des traitements anti-cancéreux. À chaque fois nous
verrons ce qui est du domaine de l'actualité et celui des perspectives d'avenir.
2. Imagerie moléculaire
Toute image médicale en coupes résulte d’une mesure physique en tout point du
segment anatomique étudié. Ainsi, l’image de TDM résulte d’une mesure de la densité
électronique des tissus traversés par les rayons X. Celle d’IRM est produite par
l’interaction des protons avec une onde de radiofréquence lorsqu’ils sont soumis à un
champ magnétique intense. Dans les deux cas, on remarque que l’on va inférer des
propriétés de la matière vivante, c’est-à-dire d’un niveau d’organisation moléculaire
complexe à partir de celles des atomes qui les composent. L’IRM de diffusion permet
de visualiser les mouvements des molécules d’eau à l’échelle microscopique. De
manière schématique, une lésion à forte cellularité présente une restriction de diffusion
traduite par une baisse du coefficient de diffusion apparent. La spectro-IRM cherche
à quantifier les différentes molécules présentes dans le tissu par une technique de
déplacement chimique. Elle constitue ainsi un modèle d'imagerie moléculaire.
De la même façon, l’appareil de TEP a pour finalité de mesurer un paramètre
précis, la concentration radioactive en tout point du segment anatomique étudié. Dès
lors, une image de TEP n’est rien d’autre qu’un immense tableau, le plus souvent
tridimensionnel, de concentrations radioactives. Lors de l’examen d’un patient, ces
concentrations résultent de l’accumulation tissulaire d’un traceur radioactif qui lui a
été injecté. La notion de traceur doit être comprise comme l’association d’un vecteur
332
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LES ANNALES DE
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moléculaire porteur de la fonction biochimique de l’ensemble et d’un marqueur
radioactif n’ayant d’autre intérêt que le suivi in vivo du vecteur. Si le traceur est
spécifique d’un processus métabolique particulier, son accumulation locale, en tout
point d’un tissu, résulte alors de l’activité de ce processus au sein de ce tissu. On voit
ici que les données de TEP proviennent directement du niveau d’organisation
moléculaire spécifique de la cellule vivante.
Avec le FDG, traceur actuellement le plus utilisé, au travers de la mesure locale
des concentrations radioactives, on évalue l'activité glycolytique en tout point du
segment anatomique étudié. Ainsi, la TEP est en réalité une technique d’investigation
biologique dont le résultat est fourni sous la forme d’une image. Cette signification
fondamentalement biologique de l’image de TEP a plusieurs conséquences très
importantes.
La première est l’extrême polyvalence de la technique de TEP. Selon le traceur
radioactif choisi, il est possible de cartographier un très grand nombre de métabolismes
différents. Une des erreurs les plus fréquemment rencontrées et vraisemblablement la
plus réductrice est l’établissement d’un lien obligatoire entre la technique et le vecteur
biochimique associé de la même façon que les produits de contraste iodés sont associés
au scanner X et ceux à base de gadolinium à l’IRM. Par exemple, il est fréquent
d’entendre que la TEP ne peut mettre en évidence les métastases cérébrales en raison
de l’activité corticale. Ceci représente en réalité une limite du traceur actuellement le
plus utilisé en France, le FDG, mais certainement pas de la technique TEP elle-même.
L’utilisation d’un acide aminé marqué au fluor 18, comme la F-DOPA, permet
d’étudier l’extension cérébrale sans perturbation physiologique car il n’existe pas
d’accumulation corticale spontanée d’un tel traceur. Aussi, afin de ne plus faire de
confusion entre la technique de TEP et le traceur utilisé, et du fait de la multiplicité à
venir des traceurs disponibles, il convient de préciser systématiquement le couple
Technique-Traceur comme par exemple TEP-FDG, TEP-FDOPA, TEP-FCholine etc...
La seconde procède de la parenté de la technique de TEP avec toute investigation
biologique. En biologie, la valeur numérique obtenue à partir d’un prélèvement,
sanguin par exemple, est en soi porteuse de sens. Des glycémies mesurées à 5, 6 ou
10 mmol/l n’ont pas la même signification. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun médecin
de réduire le dosage du glucose plasmatique à la valeur binaire « normale-anormale ».
Il en va de même pour l’image de TEP. Le niveau de fixation d’une lésion est en soi
porteuse de sens. Une forte accumulation ou une faible accumulation de FDG ne
représentent pas les mêmes types de lésions ou le même niveau de différenciation.
Ceci constitue une différence majeure avec les produits de contraste utilisés en imagerie
anatomique où l'information réside plus dans la prise ou non de contraste d'une lésion
(ne reflétant que sa vascularisation) de manière essentiellement binaire, qualitative et
non quantitative. Cette différence tient au fait que l’information fournie par la TEP est
directement d’origine cellulaire. Un des facteurs qui conduit les cliniciens à négliger
cette dimension quantitative de la TEP est vraisemblablement le fait qu’à l’heure
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333
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
actuelle, lors de la prise en charge initiale d'un patient cancéreux, elle n'entraîne
concrètement aucune réaction thérapeutique spécifiquement adaptée et que pour une
histologie et une classification TNM données, le traitement entrepris sera le même que
la fixation du traceur soit faiblement, modérément ou particulièrement intense.
Ainsi, en TEP-TDM, l’information TEP est moins destinée à montrer une lésion
(c’est la partie « scanner » qui s’en charge souvent) qu'à la caractériser. La fixation du
traceur facilite la reconnaissance de la lésion et mesure avant tout son comportement
métabolique. C’est là encore, la spécificité biologique de la TEP.
Même si l’analyse des images TEP est surtout visuelle, il est possible de calculer
divers indices chiffrés exprimant la quantité de traceur fixée ou accumulée dans une
structure anatomique ou une lésion. En effet, la TEP fournit une image, au sein de
laquelle existe une relation directe entre l'intensité du signal et la fixation in vivo du
traceur. Cette intensité est une mesure quantitative de la fixation, et peut être exprimée
en concentration radioactive par millilitre, au moyen d'une procédure d'étalonnage de
la machine. À partir de ces images et d'un modèle mathématique, il est possible de
quantifier la consommation de glucose au sein des différentes lésions, si le traceur
utilisé est le FDG par exemple. La quantification, spécificité de la TEP, a un intérêt
clinique dans le diagnostic différentiel entre les lésions bénignes et malignes, mais
aussi pour évaluer l'efficacité ou l'inefficacité de la thérapeutique aux différentes étapes
du traitement chez le même patient. La technique de quantification la plus largement
utilisée est le Standardized uptake value (SUV). Il s'obtient en normalisant la
concentration tissulaire de traceur par l'activité injectée et par le volume du patient. Le
SUV est une valeur sans dimension. Pour plus de commodité, le volume du patient est
généralement remplacé par son poids, en supposant une densité moyenne de 1. En
résumé, une valeur de SUV égale à 1 signifie que l'activité est diluée de manière
uniforme dans le volume. Une valeur de 10 dans une lésion signifie que la lésion
présente une fixation 10 fois supérieure à la dilution uniforme du traceur dans le
volume représenté par le patient.
La mesure du SUV présente un rôle relativement limité pour le diagnostic des
cancers, l'interprétation qualitative étant en général tout aussi performante. En revanche
son principal intérêt dans la prise en charge de la pathologie cancéreuse est double :
– pronostique : la valeur du SUV reflétant alors l'activité proliférative de la tumeur,
elle est un indicateur de la survie sans progression ou de la survie globale pour bon
nombre de cancers hyper-métaboliques ;
– prédictif de la réponse au traitement : les variations de valeur entre SUV initial
et SUV après administration du traitement (même de manière précoce dès une ou deux
cures) seraient alors prédictives de la réponse au traitement. Même si le SUV est l’index le plus communément utilisé pour caractériser la fixation
du FDG, cette grandeur présente des inconvénients et nécessite de tenir compte de
nombreux paramètres et d'appliquer une méthodologie rigoureuse [2, 3]. Il est néanmoins
un outil de quantification très utile et robuste si on connaît et tient compte de ses limites.
3. Optimisation de la prise en charge initiale
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3.1. Actualités
Depuis son introduction dans la pratique clinique en cancérologie au début des
années 1990, la TEP-FDG a désormais trouvé sa place dans la prise en charge initiale
des cancers hypermétaboliques. Avec des performances diagnostiques inégalées par
la seule imagerie morphologique, la TEP-FDG (et notamment la TEP désormais
systématiquement couplée au scanner X) entraîne un impact clinique important à
l'occasion du bilan d'extension initial de ces cancers, ce dernier se situant en moyenne
entre 10 et 30 %. En effet, l'adjonction de l'information métabolique à la seule
information anatomique permet dans un certain nombre de cas de dédouaner des
lésions morphologiquement jugées suspectes en montrant l'absence de toute
hyperactivité métabolique comme cela peut être le cas par exemple d'adénomégalies
non actives, de masses surrénaliennes dans le cadre du bilan d'extension d'un cancer
du poumon, d'une image hépatique non caractérisée dans un cancer digestif ou encore
d'une image osseuse jugée litigieuse dans un cancer du sein. Dans ces exemples, la
TEP permet, en rectifiant et revoyant à la baisse une classification TNM péjorative,
de rendre opérables des patients qui auraient été jugés à tort métastatiques. À l'inverse
et de manière malheureusement beaucoup plus fréquente, la TEP, réalisant une
imagerie mixte morphométabolique du corps entier (en réalité souvent de la base du
crâne à mi-cuisse) entraîne une majoration de la classification TNM en découvrant des
métastases, ganglionnaires (parfois infracentimétriques), viscérales, squelettiques ou
encore des cancers synchrones méconnus par le bilan initial purement morphologique
(figure 1). Ainsi, et conformément aux recommandations pour la pratique clinique
(Standards, Options et Recommandations pour l'utilisation de la TEP-FDG en
cancérologie) et plus récemment celles du Guide du Bon usage des examens d'imagerie
édicté par la Haute Autorité de Santé, une TEP-FDG doit être réalisée en complément
des examens morphologiques (souvent le TDM, parfois l'IRM) préconisés dans le bilan
Figure 1.
TEP-FDG et optimisation du bilan d'extension initial.
TEP-FDG Maximum Intensity Projection (MIP): Bilan d'extension
d'un cancer pulmonaire.
Mise en évidence de la lésion maligne primitive pulmonaire
du lobe supérieur droit (1), d'adénopathies malignes hilaires et
médiastinales homolatérales (2), d'un cancer ORL synchrone (3),
d'un cancer colique (4), de métastases
ganglionnaires abdomino-pelviennes (5), hépatiques (6),
osseuses (7), cérébrales (8) et splénique (9).
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335
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
d'extension de la plupart des cancers broncho-pulmonaires, de la sphère ORL,
mammaires, gynécologiques, digestifs, mélanomes et des lymphomes. Quelques
exceptions sont cependant notables comme les petits cancers a priori N- à faible risque
métastatique et à l'inverse, les cancers d'emblée multi métastatiques et clairement
reconnus comme tels, pour lesquels il est d'ores et déjà envisagé un traitement
uniquement à visée palliative et la découverte de métastases supplémentaires n'aurait
aucun impact clinique. En effet, même si la plupart des études médico-économiques
ont montré un bénéfice à l'intégration de la TEP-FDG dans l'arsenal diagnostique, il
convient de rappeler le coût non négligeable de cet examen, facturé 1 100 € en France,
et ainsi de ne pas le réaliser lorsqu’aucun impact clinique n'est attendu en aval.
Un autre exemple caractéristique de l'optimisation de la prise en charge initiale
par la TEP-FDG peut-être apporté par l'optimisation des champs de radiothérapie. Dans
cette indication la TEP-FDG permet une meilleure sélection des patients du fait de ses
meilleures performances concernant l'atteinte métastatique mais elle détermine
également une meilleure définition des champs d'irradiation des aires ganglionnaires
en raison de ses meilleures performances pour détecter et caractériser les adénopathies
malignes. Enfin, concernant le volume d'irradiation de la lésion tumorale, elle permet
par exemple en oncologie bronchopulmonaire de différencier les lésions tumorales
actives d’une éventuelle nécrose ou de troubles de ventilation associés (figure 2). Avec
son concept nouveau particulièrement de Biological Target Volume (BTV), elle
constitue une voie de recherche clinique active via la radiothérapie conformationnelle
par modulation d'intensité guidée par les données de la TEP-FDG. Il convient
cependant d'être prudent et réservé concernant cette dernière application puisqu'il
n'existe pas encore de consensus quant à la méthodologie de délimitation du volume
cible en TEP.
Figure 2.
TEP-FDG et optimisation des
champs de radiothérapie.
TEP-FDG MIP, coupes axiales
transverses, frontales et sagittales
TEP, TDM et fusion TEP-TDM.
Hyperfixation correspondant à
la partie hypermétabolqiue
maligne d'une lésion tumorale
pulmonaire lobaire supérieure
droite (Flèche pleine).
Absence de fixation de l'atélectasie
d'aval (Flèche creuse).
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LES ANNALES DE
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Enfin dans cette rubrique concernant l'actualité, il convient de rappeler que si le
FDG représente de loin le traceur le plus employé en pratique clinique, il n'est pas le
seul traceur TEP à avoir une autorisation de mise sur le marché. Ainsi, le Fluorure de
sodium (FNa) est susceptible de mettre en évidence des métastases osseuses
ostéoblastiques qui auraient été méconnues par le bilan plus classique reposant sur la
scintigraphie osseuse aux diphosphonates technétiés. La Fluoro-Choline (FCH) en tant
que marqueur de la synthèse des membranes permet d'optimiser la prise en charge des
patients dans le cancer de la prostate et dans l'hépatocarcinome. Enfin, le Fluoro-Dopa
(FDOPA), marqueur du métabolisme de la dopamine, permet une meilleure
caractérisation tissulaire des tumeurs endocrines (de manière complémentaire avec
l'imagerie des récepteurs à la somatostatine et la TEP-FDG) et des tumeurs cérébrales.
Concernant ces dernières, la TEP-FDOPA en utilisant des acquisitions dynamiques
couplées à l'analyse compartimentale permet de différencier par imagerie les gliomes
de bas grade et de haut grade de malignité.
3.2. Perspectives
D'innombrables molécules sont susceptibles d'être marquées par des
radionucléides émetteurs de positons et dans ce domaine les capacités des
radiochimistes sont quasiment sans limite. En effet, si de très nombreux émetteurs de
positons sont théoriquement disponibles, il convient de tenir compte de la période
souvent très courte de ces derniers (2 min pour l'oxygène 15, 10 min pour l'azote 13,
20 min pour le carbone 11 et enfin 110 min pour le fluor 18) et ainsi la nécessité de
disposer d'unités de production (cyclotrons) en nombre suffisant pour assurer un
maillage du territoire et parfois même sur le site même de l'appareil d'imagerie TEP
comme ce doit être le cas pour les trois premiers exemples cités. Bien que la chimie
du fluor soit un peu moins « naturelle », puisqu'il s'agit de substituer un atome
d'hydrogène par du fluor et non de remplacer un atome naturel d'oxygène, d'azote ou
de carbone par son homologue radioactif, la période relativement longue du fluor 18
explique sa préférence pour les nouvelles molécules [4].
Ainsi, et à titre d'exemple, en marge du 18F-FDG, l'imagerie de l'hypoxie présente
un grand intérêt en radiothérapie et de nouveaux traceurs TEP tentent de trouver leur
place dans ce domaine dans le cadre de protocoles de recherche. Le FMISO est le
traceur de l'hypoxie cellulaire le mieux documenté, avec de nombreuses études et
corrélations in vivo et in vitro. Cependant son emploi en routine se heurte à plusieurs
limitations comme sa lente fixation par les cellules hypoxiques, un faible rapport
signal-cible/bruit de fond et des métabolites radioactifs parasites. De nouveaux traceurs
sont en cours de développement (64Cu-ATSM et 18F-AZA) et s'ils confirment leurs
bonnes performances dans les évaluations cliniques, ils permettront d’identifier les
tumeurs ou les régions tumorales hypoxiques. Il sera alors possible d’envisager des
thérapies plus ciblées, plus performantes et plus respectueuses des tissus environnants.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
L’analyse globale ou régionale de l’hypoxie tumorale par la TEP trouve ainsi un intérêt
accru avec les progrès de la radiothérapie et des traitements anti-angiogéniques [5].
4. Évaluation de l'efficacité thérapeutique
4.1. Actualités
La cancérologie est l’une des disciplines médicales les plus coûteuses tant du point
de vue financier pour la collectivité, qu’humain pour les patients en raison des
problèmes de tolérance des produits thérapeutiques. Ces coûts comportent plusieurs
composantes. La première est bien sûr celle des traitements eux-mêmes. La seconde
est la prise en charge des effets secondaires des traitements. Il faut enfin ajouter les
nombreux examens d’imagerie et de laboratoire destinés à la surveillance de la maladie
et au contrôle de l’efficacité des traitements. Les coûts induits par un traitement ne
permettant pas la guérison du patient, même le contrôle de la maladie peut ainsi être
considéré comme un excès de coût. Il est bien évident que le choix de tels moyens ne
résulte pas d’une action délibérée mais d’une insuffisance d’information relative aux
conditions d’efficacité d’un traitement chez un patient donné. Le manque de données
spécifiques à la maladie néoplasique d’un patient existant lors de la sélection du
traitement se retrouve lors de l’évaluation de l’efficacité du moyen choisi.
Exclusivement basée sur des critères cliniques, biologiques et anatomiques, elle est
confrontée au retard existant entre l’effet cellulaire, but ultime du traitement, et la
réduction de volume tumoral qui en résulte. De plus, cette approche classique ne peut
comporter aucune économie puisque l’évaluation anatomique n’a de sens qu’après la
mise en œuvre effective du traitement.
La TEP se caractérise par la spécificité et la précocité de l’information relative à
l’efficacité thérapeutique. En effet, l’information métabolique ou biologique fournie
par la TEP est un reflet direct de l’activité cellulaire présente dans une lésion, ce qui
en fait toute sa spécificité comparée aux simples informations morphologiques,
dominées par la taille et la vascularisation des lésions, l'exemple le plus marquant étant
celui des masses résiduelles post-thérapeutiques. Ainsi, la constatation après traitement
d’une fixation conservée, même si le volume fixant résiduel est de taille plus faible,
permet d’affirmer la présence de cellules résistantes au traitement. Ceci est une
illustration de la décorrélation entre la réponse anatomique et métabolique tumorale,
particulièrement bien connue pour les lymphomes (figure 3).
La précocité de l'information fournie par la TEP résulte de la cascade
d’événements suivant la mise en place d’un traitement efficace. Sa première
conséquence est nécessairement une altération du métabolisme des cellules malignes.
Si elle est suffisante et non réversible, il en résulte la mort de la cellule, l’apoptose
étant la voie la plus efficace. C’est seulement après l’élimination macrophagique des
cellules tuées que survient la réduction du volume tumoral. Le décalage entre la
338
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 3.
Traitement antinéoplasique et phénomène de sélection clonale.
Pour certaines maladies comme les lymphomes, il persiste très fréquemment une masse au site des lésions
initiales. Lorsque la tumeur traitée est globalement sensible à la chimiothérapie utilisée, il ne persiste plus
de cellule maligne viable dans la lésion et l’existence d’une masse résiduelle ne présente aucune signification
péjorative (voie de gauche). Par contre, lorsqu’au sein de la même lésion coexistent des contingents cellulaires
de sensibilité différente, seule les cellules les plus sensibles sont éliminées. Dès lors, les cellules les moins
sensibles persistent dans la masse restante. Dans ce cas, la fixation du traceur métabolique correspond à
l’activité de ces cellules résistantes et annonce une récidive précoce.
perception métabolique et anatomique de l’efficacité d’un traitement est par conséquent
obligatoire et l'information biologique fournie par la TEP est de ce fait beaucoup plus
précoce quant à l’activité réelle d’un traitement antinéoplasique (figure 4).
Un certain nombre de conditions doivent cependant être remplies pour utiliser la
TEP comme moyen d'évaluation de l'efficacité thérapeutique.
Figure 4.
Cascade de phénomènes induite
par la chimiothérapie et moyens
d’évaluations.
Dans l’enchaînement de processus
cellulaires induits par les traitements
anti-cancéreux, les phénomènes
métaboliques sont les premiers
perturbés, bien avant toute
modification anatomique tumorale.
L’évaluation par la TEP du
fonctionnement métabolique se
caractérise par la spécificité et la
précocité de la réponse au traitement
par rapport à l'imagerie morphologique.
En premier lieu on rappelle que l’évaluation de l’efficacité d’un traitement résulte
de la comparaison d’un examen de référence réalisé avant traitement et du même
examen reconduit pendant le traitement ou à sa fin. Ceci implique qu’il est absurde de
demander l’évaluation d’un traitement sans avoir d’images initiales des lésions non
affectées par une action extérieure. Pourtant, l’expérience quotidienne rapporte la
fréquence de telles demandes hors de propos malgré l’augmentation de la disponibilité
de la technique permettant l’acquisition de données initiales de référence.
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
339
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Il faut également se rappeler que l’évaluation peut être menée de deux façons
différentes. La première est subjective et consiste à comparer visuellement les images
avant et après traitement. L’analyse ne porte, très simplement, que sur la comparaison
directe des niveaux de fixation visibles dans les images. Une seconde approche est
plus précise, plus objective, mais requiert des précautions méthodologiques plus
rigoureuses afin d’en garantir la fiabilité. La comparaison porte alors sur la valeur
d’index quantitatifs calculés à partir de la distribution des concentrations radioactives
mesurées par la caméra à positons, l’index le plus simple à obtenir et le plus souvent
utilisé étant le SUV. Pour assurer la reproductibilité de la quantification d'un examen
par rapport à l'autre et d'un centre par rapport à l'autre, il convient de tenir compte des
différents facteurs susceptibles d'influencer la mesure du SUV qu'ils soient physiques
(atténuation, diffusion), technologiques (résolution spatiale, temps mort), statistiques
(émission aléatoire des rayonnements), algorithmiques (reconstruction tomographique)
ou liés au patient (mouvements physiologiques, variation de poids). Cette
reproductibilité est essentiellement assurée et garantie par le contrôle de qualité strict
des appareillages et l'harmonisation des conditions de réalisation des examens selon
des guides de procédures. Ainsi, pour les examens de TEP-FDG, le patient doit être à
jeun depuis 4 à 6 heures, bien hydraté, avec une glycémie de préférence équilibrée et
en tous cas stable d'un examen par rapport à l'autre, à distance (10 à 15 jours) de
l'administration d'une chimiothérapie cytotoxique (cette dernière entraînant un effet
de sidération cellulaire susceptible de diminuer la captation réelle des cellules, et
pourvoyeuse d'éventuels résultats faussement négatifs). De même, les critères de
réponse par TEP sont en cours d'harmonisation. Des critères de réponses incluant
l'information de TEP-FDG ont été proposés par l’EORTC en 1999 [6]. Ces derniers
considéraient comme progression métabolique : une augmentation du SUV supérieur
à 25 % ou une augmentation du plus grand diamètre de la cible métabolique supérieur
à 20 % ou l’apparition de nouvelles cibles métaboliques ; comme réponse métabolique
stable : une augmentation du SUV inférieure à 25 %, une diminution inférieure à 15 %
ou une augmentation du plus grand diamètre de la cible métabolique inférieure à 20 % ;
comme réponse métabolique partielle : une diminution relative du SUV supérieure à
15 % après la première cure et supérieure à 25 % après la deuxième cure de
chimiothérapie ; et enfin comme réponse métabolique complète : une normalisation
de l’examen TEP. Depuis, il est apparu qu'il existe en fait une grande variabilité de
seuils de diminution du SUV en fonction des études, des types de cancers, de leurs
types histologiques et des situations cliniques. Pour les cancers solides, la séparation
répondeurs/non répondeurs après une ou deux cures de chimiothérapie néo-adjuvante
s’effectue avec des valeurs seuils de différence de SUV en moyenne de 35 à 50 % [7,
8]. Plus récemment, les critères Positron Emission tomography Response Criteria In
Solid Tumor (PERCIST) [9] ont été proposés et ont la particularité de tenir compte des
données dynamiques entre pourcentage de variation métabolique et nombre de cures
thérapeutiques ou de semaines après initiation du traitement. Schématiquement, et
340
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
comme c'est le cas pour les lymphomes, les patients répondeurs (et donc de meilleur
pronostic) auront tendance à négativer rapidement, dès une ou deux cures, leurs
examens (figure 5) alors que les non-répondeurs (de pronostic défavorable) mettront
de nombreuses cures pour négativer leurs examens et plus vraisemblablement n'y
arriveront jamais.
Figure 5.
TEP-FDG et évaluation précoce de
l'efficacité thérapeutique.
TEP-FDG MIP avant traitement(1) dans
le cadre d'un lymphome agressif:
Adénopathies axillaires et sus-claviculaires
gauches (flèches pleines) et découverte
grâce à la TEP de deux métastases
osseuses du rachis lombaire et du
sacrum (flèches creuses). Après deux
cures de chimiothérapie (2), disparition
complète de toute activité pathologique
au sein des lésions pré-existantes
indépendamment de la réponse
morphologique.
En termes de résultats, l’information métabolique fournie par la TEP constitue un
paramètre pronostique indépendant particulièrement robuste pour les lymphomes
agressifs et les maladies de Hodgkin [10]. Ainsi, les patients en rémission
scintigraphique complète dès la première ou la deuxième cure de chimiothérapie
présentent un taux de récidive très inférieur à celui des patients qui ne le sont pas. Ces
informations prédictives de la réponse au traitement après évaluation précoce
concernent également de nombreuses autres néoplasies telles les cancers de l'œsophage
[11], de l'estomac, du colo-rectum [12], du sein [13], du col de l'utérus [14], des voies
aéro-digestives supérieures [15] et des poumons non à petites cellules [16]. Qu'il
s'agisse de protocoles de recherche clinique ou bien de la pratique clinique, la TEPFDG est de plus en plus utilisée dans cette indication qui est appelée sans doute à
devenir son application majeure en cancérologie, bien au-delà de la caractérisation
métabolique des lésions ou de l'optimisation du bilan d'extension [17, 18]. En effet,
une utilisation moderne de la technique, plus ou moins couplée aux résultats de la
biologie moléculaire qui réalise le portrait moléculaire des différentes mutations d'une
lésion donnée guidant ainsi le choix des thérapies ciblées, permet de vérifier rapidement
par imagerie la preuve du concept d'utilisation de tel ou tel traitement. Cette interaction
entre biologie moléculaire et imagerie biologique se fait de manière complémentaire
dans le cadre d'une interadaptabilité. À la différence d’évaluations cytologiques ou
histologiques pouvant être effectuées sur des prélèvements biopsiques, la TEP offre
l’avantage d’explorations in vivo, non invasives, et surtout du corps entier. En une
seule procédure, il est possible d’évaluer non seulement la lésion primitive mais
également toutes les localisations secondaires distantes et de tester ainsi
individuellement leur sensibilité au traitement. Ce concept se confirme pour la plupart
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341
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
des chimiothérapies cytotoxiques et pour certaines thérapies ciblées au premier rang
desquelles il convient de citer l'imatinib mesylate (Glivec®) dans le cadre du traitement
des tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST). Il est cependant important de signaler
que les données de la littérature sur les autres molécules de thérapies ciblées,
notamment celles concernant les inhibiteurs de mTOR, montrent qu’il faut rester
prudent dans l’utilisation de la TEP-FDG pour l’évaluation de la réponse. Les
variations de l'activité métabolique des cellules sont un phénomène complexe
multifactoriel. Les effets précoces, mesurés quelques heures à quelques jours après
l’exposition aux substances, sont liés à la pharmacocinétique de chaque substance.
Elles sont le reflet du mécanisme d’action de chaque molécule sur la captation du
glucose (modifications de l’expression des récepteurs GLUT et/ou de l’activité de
l’hexokinase). Les effets tardifs, mesurés après deux à trois semaines (au moins un
cycle), sont liés à la diminution de la viabilité cellulaire et sont corrélés à la survie sans
progression. Les deux types d’effets ne sont pas forcément liés, et il faut donc toujours
se demander si la variation du signal mesuré est bien le témoin précoce d’une efficacité
thérapeutique. Des études complémentaires sur modèle animal ou des études
précliniques en parallèle (études ancillaires) sont nécessaires pour préciser et définir
les modalités de réponse par TEP-FDG en fonction de la thérapie ciblée utilisée. Le
délai de réponse et le seuil définissant la réponse dépendent probablement du type de
substance utilisée, mais aussi des lignées cellulaires en cause. Enfin, il faut se méfier
de possibles phénomènes de flare reaction, décrits pour les substances antiangiogéniques ou sous hormonothérapie, qui pourraient faire conclure à tort à l’absence
d’efficacité d’un produit [19].
Ceci étant, indépendamment du type de traitement proposé et de manière beaucoup
plus marquée qu'en simple imagerie morphologique, la TEP-FDG met souvent en
évidence, et de manière précoce, des évolutions dissociées de la maladie néoplasique,
certaines lésions répondant correctement au traitement alors que d'autres voient leur
activité métabolique persister à des niveaux élevés ou se majorer, signant et annonçant
la future progression de la maladie à partir de ces probables clones résistants. Là encore,
la puissance de l'imagerie métabolique permet de rendre compte de manière plus
spécifique et plus précoce de l'hétérogénéité et de la complexité de la pathologie
cancéreuse, notamment à un stade métastatique (figure 6).
Concrètement et en termes d'impact clinique, Hillner et al. [20] en exploitant les
données du registre national oncologique dédié à la TEP aux États Unis dans le cadre
bien précis de l'utilisation de la TEP dans l'évaluation des traitements à partir de
10 497 examens réalisés dans 946 centres (dont 90 % de TEP-TDM) notent les
éléments suivants : l'utilisation de la TEP-FDG (TEP-TDM) dans le cadre de
l'évaluation de l'efficacité thérapeutique épargne la réalisation d'autres procédures
d'imagerie (notamment la TDM seule) ou des gestes diagnostiques invasifs dans 90 %
des cas ; l'impact en termes de modification de l'attitude thérapeutique est majeur
puisqu'il change radicalement de type de traitement dans 26 à 28 % des cas ou modifie
le traitement initialement entrepris en termes de dose ou de durée dans 16 à 19 % des
cas, soit un total de 42 à 47 % des cas.
342
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 6.
TEP-FDG et suivi évolutif de la maladie métastatique.
TEP-FDG MIP dans le cadre du suivi évolutif d'une néoplasie urothéliale métastatique. Avant traitement (1)
hyperfixations correspondant à des métastases ganglionnaires sus et sous-diaphragmatiques (flèches pleines).
En cours de traitement (2), nette régression des lésions cibles mais persistance d'une activité résiduelle
suspecte de résistance au traitement (flèches creuses). Ré-augmentation de l'activité maligne au niveau
des lésions résiduelles et apparition de nouvelles métastases (chevrons).
4.2. Perspectives
Nous l'avons vu précédemment, le champ des possibilités de l’imagerie à positons
est ouvert par la variété des marquages réalisables au moyen des émetteurs de positons.
Cela tient au fait qu’ils sont des isotopes d’éléments naturels comme le carbone
(Carbone 11), d’halogènes très réactifs pouvant remplacer un atome d’hydrogène
(Fluor 18) ou d’éléments métalliques permettant un marquage aisé de peptides
(Cuivre 64, Gallium 68). Lors de la transformation maligne d’une cellule, l’augmentation du métabolisme
du glucose n’est qu’une des multiples anomalies induites. Elle est de plus très variable
en fonction de la nature des cellules, parfois si faible qu’elle ne peut être révélée par
l’imagerie au FDG. De plus, parmi les multiples phénomènes plus ou moins complexes
intervenant dans la réponse aux traitements antinéoplasiques, se pose le problème de
la fixation résiduelle du FDG sur les cellules macrophagiques détergent des cellules
néoplasiques, et responsables de foyers d'hyperfixation en TEP-FDG, en raison de leur
activité énergétique. Ces foyers sont interprétés comme des faux positifs en FDG, sousestimant ainsi l'importance de la réponse au traitement.
À côté du métabolisme énergétique, on observe également une augmentation du
métabolisme des acides aminés, des acides nucléiques ainsi que de la synthèse de
membranes, pour ne citer que certaines anomalies pouvant être aisément représentées
par l’imagerie métabolique. Un analogue de la tyrosine, la 18F-tyrosine peut rendre
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
343
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
compte du premier, une forme marquée de la thymidine, la 18F-thymidine, du second
et enfin la 18F-choline, analogue du précurseur des phospholipides membranaires
permet de mesurer la synthèse des membranes cellulaires. Ainsi, parmi ces traceurs
fluorés mieux ciblés, la 18FluoroL-Thymidine (18FLT), s’accumulant peu dans les
foyers inflammatoires, pourrait permettre de suivre de façon plus spécifique la réponse
thérapeutique en tant que marqueur de la prolifération cellulaire. Les résultats
préliminaires de ce traceur radiopharmaceutique testé dans le cancer du sein, les lymphomes
non hodgkiniens agressifs ou encore les gliomes sont plutôt encourageants [21].
D'autres exemples peuvent être cités [22] comme des anticorps marqués, dirigés
contre des cibles antigéniques particulières (antigène CD20 dans le cas des lymphomes
ou PSA des cellules de cancer prostatique), des ligands spécifiques de l'expression de
HER2 marqués par des émetteurs de positons [23] ou encore l'œstradiol marqué au
Fluor 18 pour prouver et prédire la sensibilité à l’hormonothérapie des lésions
néoplasiques mammaires [24]. De manière encore plus innovante, on assiste au glissement de l'imagerie
diagnostique à visée pronostique ou prédictive de l'efficacité d'un traitement vers la
notion d'imagerie thérapeutique. Les possibilités de marquage offertes par les émetteurs
de positons ont permis de remonter plus en amont encore en transformant les
substances thérapeutiques elles-mêmes en traceurs radioactifs. Dès lors, la localisation
du traceur montrée par la TEP devient en soi prédictive de la sensibilité de la lésion au
traitement, avant même la première administration d'une dose thérapeutique. Il est
effectivement intuitif de se dire qu’une molécule thérapeutique ne s’accumulant pas
dans une lésion donnée n’a aucune chance d’être efficace. Cette hypothèse commence
à recevoir des confirmations expérimentales à la fois chez le petit animal et en
recherche clinique humaine comme par exemple pour le paclitaxel marqué au fluor 18
[25] ou pour l'imagerie de l'expression de l'intégrine alphaVbéta3 dans le cadre de
l'évaluation des traitements antiangiogéniques [26]. Une fixation de ce traceur signe
l’activité angiogénique au sein d’une lésion tumorale. L’information fournie par le
traceur spécifique de l’intégrine est potentiellement utile car elle fait envisager la
sélection les patients pouvant bénéficier de traitements anti-angiogéniques. Une telle
hypothèse est encore à valider mais cette approche montre à quel point ce nouveau
champ d’investigation peut être vaste. Ainsi, des travaux radiochimiques permettent
de préparer des formes marquées d’inhibiteurs de tyrosine kinase, préfigurant
l’existence de traceurs permettant d’évaluer la sensibilité cellulaire à certaines thérapies
ciblées [27].
Ce concept de prédiction de l'efficacité d'un traitement par des biomarqueurs
d'imagerie n'est pas nouveau en médecine nucléaire. En effet, en radiothérapie interne
vectorisée, l'utilisation d'un agent thérapeutique, souvent marqué par un radionucléide
émetteur béta-, est subordonnée à la mise en évidence préalable de manière
diagnostique de la concentration au sein des lésions à traiter de ce même agent ou
vecteur mais marqué par un radionucléide émetteur gamma pour la scintigraphie ou
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
béta+ pour la TEP. C'est le cas par exemple du Quadramet®, diphosphonates marqués
au Samarium 153 pour le traitement palliatif des métastases osseuses, dont l'utilisation
doit être précédée par la réalisation d'une scintigraphie osseuse aux diphosphonates
marqués par le Technétium 99m. Un autre exemple plus récent concernant le traitement
des tumeurs endocrines peut être donné de manière similaire : le traitement par
analogue de la somatostatine marqué par un émetteur béta- (177 Lu-Dotatate ou 90YDotatoc) est conditionné par la réalisation préalable d'une scintigraphie des récepteurs
à la somatostatine marquée par l'Indium 111 ou par le Gallium 68. Enfin, on ne pourrait clore ce paragraphe consacré aux perspectives d'avenir sans
citer les évolutions technologiques elles-mêmes, au premier rang desquelles se trouve
actuellement la TEP-IRM. Ce nouveau type d'appareil hybride se développe
actuellement un peu partout dans le monde mais sa diffusion est limitée à quelques
centres universitaires de grande taille pour deux raisons. Tout d'abord son prix (entre
4,5 et 6 millions d'Euros, 2 à 3 fois plus élevé par rapport à la TEP-TDM) mais surtout
sa place et son apport clinique par rapport à la TEP-TDM et les autres techniques
d'imagerie qui ne sont, à ce jour, pas définies. Cependant, la réunion en un seul
appareillage de deux techniques d'imagerie moléculaires (la TEP avec son nombre de
traceurs théoriquement sans limite et l'IRM fournissant à la fois une imagerie
morphologique très résolue et non irradiante et une imagerie moléculaire très
prometteuse avec la diffusion et la spectro-IRM) impose de suivre de très près les
travaux qui seront réalisés sur ce type de machine.
Si l’étendue des possibilités de l’imagerie à positons est très vaste, cela ne signifie
pas que ce travail soit simple et de nombreux obstacles doivent être surmontés [28].
Développer l'imagerie à positons impose naturellement de disposer de suffisamment
de capacité de production de ces émetteurs de positons, c’est-à-dire de cyclotrons. Par
ailleurs, la faible quantité de traceur potentiellement disponible pour un patient impose
pour obtenir des informations pertinentes, de pouvoir mettre en œuvre les systèmes
d’imagerie actuels les plus sensibles. Seuls ces derniers pourront être à même de fournir
des données avec un rapport signal/bruit suffisant pour permettre l’exploitation
quantitative des images obtenues. Systèmes de production offrant une capacité de
production suffisante et appareils d’imagerie de haute sensibilité sont à l’origine du
troisième écueil représenté par le coût financier de ce développement qui doit être
absolument pris en compte dans le contexte économique actuel. Néanmoins, si l’on a
bien perçu les enjeux réels, notamment en matière d’aide à la définition des stratégies
thérapeutiques, il apparaît bien que la sélection initiale des patients potentiellement
répondeurs permet de réduire considérablement le nombre de traitements inefficaces
car mis en œuvre sur une présomption exclusivement statistique. Enfin, il est nécessaire
de tenir compte de la lourdeur réglementaire et administrative, frein majeur assez
spécifique à la France, pour le développement de ces traceurs radiopharmaceutiques,
assimilés totalement à des médicaments malgré le fait qu'il s'agit la plupart du temps
de molécules totalement physiologiques, utilisées à des doses infinitésimales
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
(ou "traceuses") et marquées par des radionucléides délivrant de faibles doses de
rayonnements ionisants. Enfin, le dernier obstacle, et non des moindres, est d’ordre
culturel. Culturel car la majorité de la communauté oncologique française, qu'il s'agisse
de la pratique clinique mais également de la recherche clinique, ne s'est pas encore
appropriée la TEP comme outil d'évaluation de l'efficacité des traitements et reste à ce
jour sur une évaluation essentiellement morphologique se basant sur les critères
RECIST. Il reste donc encore beaucoup à faire, à commencer par la TEP-FDG afin de
convaincre les cliniciens chercheurs comme praticiens de faire pression sur les tutelles
pour promouvoir l'imagerie moléculaire et le développement de l'imagerie biologique
TEP dotée d'une palette de traceurs personnalisés et adaptés aux questions cliniques
posées pour un patient donné.
5. Conclusion
L’utilisation de la TEP, en particulier au FDG, pour l’évaluation de l’efficacité des
traitements antinéoplasiques devient progressivement prépondérante. Cela s’explique
par le fait que cet examen rend compte de façon directe de l’activité des processus
biologiques au sein des cellules cancéreuses en cours de traitement. En cela, la TEP
s’apparente plus aux techniques de biologie mais en fournissant des mesures locales
de la distribution du traceur in vivo, à l'échelle du corps entier et en présentant le résultat
sous la forme directement utilisable d’une image quantitative. L’action première des
traitements antinéoplasiques sur les métabolismes cellulaires explique la précocité de
leur impact sur les mesures effectuées par la TEP. Cela explique également la fiabilité
de la technique pour confirmer ou infirmer l’efficacité de la thérapeutique.
Malgré de telles aptitudes, cette application n’est qu’une étape intermédiaire dans
l’évolution de la technique. Il est indubitable que le grand défi actuel de l’imagerie en
cancérologie n’est pas de trouver toujours plus de lésions mais bien de contribuer le
plus directement possible au traitement des lésions déjà connues. C’est pourtant dans
ce domaine que la TEP présente ses atouts majeurs. Des recherches récentes qui ont
été citées illustrent de façon remarquable comment la technique pourra contribuer à la
définition des stratégies thérapeutiques en facilitant la sélection des molécules ayant
les meilleures conditions d’efficacité. De ce fait, même si les difficultés à surmonter
sont nombreuses, il deviendra possible de faire l’économie de thérapeutiques dont
l'inefficacité aura été prédite. Cette économie doit s’entendre en termes financiers pour
la collectivité mais surtout en termes d’effets secondaires pour un patient qui n’aura
aucun bénéfice à attendre du traitement. Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Olivier Aupée, Cyrus
Chargari, Hervé Foehrenbach, Éric Gontier, Marion Lahutte, Sylvestre Lemoulec,
Christophe Nioche, Marine Soret.
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Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
LES ANNALES DE
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire d’imagerie médicale appliquée aux armées et risque radio-nucléaire
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Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire d’épidémiologie,
santé publique et prévention
appliquée aux armées
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
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Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Traçabilité, sur le long terme, des
expositions environnementales
occasionnées par le métier des armes
Jean-Baptiste Meynard
1. Introduction
La traçabilité des expositions environnementales des militaires est une question
qui a pris véritablement sa source au moment de la guerre du Golfe. Le souci de
traçabilité est alors devenu une impérieuse nécessité, à la fois pour ce conflit, mais la
réflexion a concerné aussi rapidement l’ensemble des opérations extérieures (OPEX).
En août 1990, un conflit aux caractéristiques originales a en effet débuté. La
participation française a atteint 14 000 hommes et a été soutenue sur le plan médical
par plus de 1 100 personnels du Service de santé des armées (SSA). Au total avec les
rotations, ce sont 25 000 militaires français qui ont participé à l’opération « Tempête
du désert » [1]. Certains personnels ont été soumis à un cocktail d’expositions diverses.
L’incendie des raffineries de pétrole a entrainé une pollution atmosphérique majeure
pendant plusieurs mois, l’utilisation d’insecticides à titre collectif ou individuel a pu
être importante dans certaines zones du théâtre, la prise médicamenteuse de
prétraitement face à un risque d’agression par arme chimique, le stress psychologique
et physiologique, la dispersion d’uranium appauvri provenant des obus flèches et
certaines maladies infectieuses comme les leishmanioses ainsi que des associations
vaccinales (charbon, botulisme) ont fait partie des facteurs de risque identifiés et étudiés
dans de nombreuses publications américaines, anglaises mais aussi françaises pour
tenter d’expliquer ce que l’on a appelé dès 1996, le syndrome de la guerre du Golfe
[2-16]. À partir de 1993, plusieurs milliers de vétérans américains ont fait état de
troubles médicaux non spécifiques, ce qui a conduit de 1993 à 2000 à mandater
plusieurs commissions d’enquête du Sénat américain sur le sujet. Depuis cette date,
plus d’un milliard de dollars américains a été dépensé en recherche fondamentale et
appliquée sur ce sujet. Le SSA français, pendant cette période, est resté en liaison avec
les autorités américaines et anglaises. Un groupe d’experts français a été créé en juin
2000. Parmi les mesures retenues ont figuré la facilitation de la communication des
dossiers médicaux aux anciens militaires qui le demanderaient, la proposition d’un
bilan médical et la mise en place d’une vaste enquête épidémiologique en santé
publique qui a été confiée au Professeur Salamon de l’Université de Bordeaux. Les
résultats et conclusions n’ont pas permis d’accréditer l’existence certaine d’un
syndrome de la guerre du Golfe [17-20].
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
353
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Par la suite, les forces françaises ont été engagées en dehors des zones
d’intervention traditionnelles du continent africain, notamment sur le théâtre d’Europe
centrale, au milieu des zones urbaines et de friches industrielles qui favorisent
l’exposition du combattant à des risques émergents. Trois types de risques génériques
ont alors été distingués : le risque directement lié à l’emploi des armes, le risque de
type professionnel transposé en opération et le risque lié à l’environnement (naturel
ou industriel, biologique, chimique ou radiologique). C’est dans cette dernière rubrique
que se situe la nouveauté. Le théâtre du Kosovo a constitué un exemple démonstratif
de la diversité des risques. En effet l’implantation à l’été 1999 des troupes françaises
à proximité du complexe métallurgique et minier de Zvecan a occasionné le premier
cas concret représentatif d’un risque environnemental industriel [21]. Mais également
les friches industrielles résultant de l’exploitation ancienne et de l’abandon des
installations souvent dévastées par le conflit, recelaient des sources d’exposition
potentielle par exemple à l’ammoniaque, aux acides, au pyralène et même à des sources
radioactives (anciens paratonnerres). Le risque environnemental a été pris en compte
par le SSA dès le mois d’octobre 1999 avec une première expertise du site au mois de
novembre 1999 par le laboratoire d’analyses de surveillance et d’expertise de la Marine
de Toulon. La surveillance de l’exposition au plomb des militaires français qui se sont
rendus au Kosovo a compris entre 2000 et 2003 deux volets principaux : un volet
atmosphérique avec surveillance d’un certain nombre de points dans la ville de
Mitrovica et un volet humain avec surveillance de l’évolution des plombémies chez
les personnels au départ et au retour de leur mission. Au total, plus de
46 000 plombémies ont été effectuées pendant cette période chez les militaires français
[22]. Les leçons tirées de cet épisode au Kosovo renvoient à l’ubiquité du risque mais
aussi à la dimension sociale, médiatique et humaine [1].
La prise en compte des pathologies pouvant être liées aux expositions des
militaires dans le cadre des procédures mises en place au titre du Code des pensions
militaires d’invalidité, constitue aussi une spécificité qu’il convient maintenant de gérer
en tenant compte là aussi des évolutions jurisprudentielles. En effet, le Code des
pensions militaires d’invalidité exige d’une part que l’infirmité ait été provoquée par
un fait précis de service et que la preuve formelle soit apportée par le demandeur, et
d’autre part que le lien de causalité soit établi sur la base d’une « relation directe et
essentielle ». Il s’agit donc d’un système de réparation par preuve basé sur l’expertise,
assez différent du système existant dans le régime général instaurant la présomption
sur la base des tableaux de maladie professionnelle. Une des conséquences réside
surtout dans l’impérative nécessité d’une traçabilité administrative et médicale des
expositions et de ses conséquences, afin de documenter et d’argumenter la requête.
Les difficultés dans ce domaine ont donné lieu à l’interpellation du ministre lors de la
78e session du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) en octobre 2008. Elle
concernait les expositions potentielles à l’amiante des officiers mariniers lors de leurs
affectations à terre. L’autre exemple qui renvoie également à la gestion du passé est
354
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
illustré par la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation
des victimes des essais nucléaires français qui constitue par le système de liste
préétablie de maladies une originalité en termes de réparation pour les militaires.
La traçabilité est une question qui a été retenue par l’Inspection générale du SSA
pour le rapport annuel d’évaluation et de prospection sur la fonction « santé » au sein
des armées pour l’année 2010 [1]. Toute une partie du travail présenté dans cet article
figure également dans le rapport suscité. Les objectifs étaient de dresser un état des
lieux de la traçabilité des expositions environnementales occasionnées par le métier
des armes et d’émettre des propositions pour l’avenir.
2. Définitions
2.1. Traçabilité
La traçabilité est d’un usage de plus en plus fréquent dans de nombreux domaines,
dont celui de la santé. Plusieurs définitions ont été proposées pour appréhender les
différents aspects de ce concept. La traçabilité est définie comme « l’aptitude à
retrouver l’historique, l’utilisation ou la localisation d’une entité au moyen
d’identifications enregistrées » [23] et comme « la capacité à assurer le suivi, si possible
en temps réel, des flux (transfonctionnels voire inter-organisationnels) d’informations
pluridimensionnelles (spatio-temporelles) associés aux flux physiques au sein de la
chaîne logistique. La traçabilité doit permettre à l’entreprise de combiner les données
ainsi recueillies de manière à reconstruire l’image d’ensemble du flux concerné et à
restituer les données d’origine » [24].
Ces définitions montrent que la traçabilité est un mécanisme complexe, intriqué
avec les actions de connaître, mémoriser et exploiter (figure 1). La traçabilité est aussi
à rapprocher de la traçabilitique, définie quant à elle comme l’ensemble des moyens
techniques et procédures permettant d’établir une traçabilité [25].
2.2. Long terme
Le long terme signifie que l’enregistrement des informations d’exposition
concernant les militaires doit commencer dès l’incorporation, avec prise en compte
des données d’anamnèse existantes, concerner toute la période sous les drapeaux
jusqu’à la fin du service, mais aussi couvrir la suite de la vie jusqu’au décès. En effet,
la traçabilité doit pouvoir mettre en relation des expositions chroniques, type
rayonnement ionisant (radon) ou des expositions à effet cumulatif, type mercure, avec
des effets retardés, type mésothéliome (survenant 30 à 50 ans après l’exposition) ou
des effets chroniques, type atteintes musculo-squelettiques, en rapport par exemple
avec la pratique du parachutisme militaire. Cette nécessité de pratiquer la traçabilité sur le long terme impose de prendre en
compte différents types de contraintes : mobilité professionnelle des militaires,
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
355
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 1.
Complexité et intrications de la traçabilité.
instabilité des structures, volume important de données à gérer, multiplicité des sources,
archivages dispersés, évolution des connaissances scientifiques sur plusieurs décennies,
évolution de la sémantique, vieillissement et incompatibilité des supports.
2.3. Expositions environnementales
Selon l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’exposition désigne, dans le domaine
sanitaire, le contact entre une situation ou un agent dangereux et un organisme vivant.
L’exposition peut aussi être considérée comme la concentration d’un agent dangereux
dans le ou les milieux pollués, mis en contact avec l’homme [26]. Ces expositions
peuvent être aiguës, comme lors d’un feu de décharge (cyanure), le contact avec une
tour aéro-réfrigérante (légionellose) ou la survenue d’accidents type Tchernobyl
(irradiation). Elles peuvent aussi être chroniques, comme lors de la survenue du
naufrage de l’Erika (hydrocarbures), de l’exposition à un incinérateur (dioxine) ou
pour les travaux de carrosserie ou de peinture (benzène). Dans le domaine de la santé,
la prise en compte de ces expositions est assurée grâce à la métrologie. L’évaluation
du risque peut ainsi être qualitative, avec l’utilisation de biomarqueurs, ou quantitative,
en étudiant différentes classes d’exposition, les effets dose-réponse et cumul. Les
mesures doivent être réalisées à une échelle individuelle et collective, en favorisant
l’utilisation de matrices d’exposition.
La définition de l’environnement est polysémique. Selon le Petit Larousse,
l’environnement est défini comme l’ensemble des éléments naturels et/ou artificiels
qui entourent un individu humain, animal ou végétal ou une espèce. C’est aussi
l’ensemble des éléments objectifs et subjectifs qui constituent le cadre de vie d’un
individu [27]. L’environnement traduit donc l’idée générale de « ce qui est autour ». Il
356
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
véhicule à la fois le concept d’interface et d’interactions entre l’homme et la nature.
Plusieurs types de classification existent. Nous retiendrons dans le cadre de cette étude
celle qui différencie l’environnement biotique (avec la faune, la flore), l’environnement
abiotique ou physique (avec l’air, l’eau, le climat) et l’environnement sociétal (avec le
travail, le psychique). Sont exclus pour ce travail tout ce qui est lié aux traitements
médicamenteux, aux vaccins et à la pratique de sport. La traçabilité doit donc prendre
en compte l’exposition à des agents biologiques (bactéries, virus, parasites,
champignons), chimiques (cancérogènes, mutagènes, cytotoxiques), physiques
(rayonnements ionisants, accidents), psychiques (conditions de travail, stress, blessures
psychiques).
2.4. Métier des armes
Le métier des armes ou métier de militaire est avant tout lié aux engagements
opérationnels. Le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale de 2008 définit
les objectifs opérationnels que devront atteindre les armées pour les quinze ans à venir
[28]. Plusieurs objectifs ont été assignés aux armées parmi lesquels ceux de
« contribuer à la stabilité et à la paix dans le monde en participant à des opérations de
stabilisation et de maintien de la paix avec les moyens terrestres et une présence navale
et aérienne appropriées, tout en renforçant selon le besoin les positions de prévention,
de protection et de sauvegarde sur le territoire national » et de « faire face à un conflit
majeur à l’extérieur du territoire, dans un cadre multinational, et être capable de projeter
en six mois, une force terrestre pouvant aller jusqu’à 30 000 hommes pour une durée
d’un an, suivie d’une action de stabilisation … » [28]. Ainsi en octobre 2010,
l’implication opérationnelle des forces armées est forte puisqu’environ
35 000 militaires sont en permanence en situation opérationnelle en France et dans le
monde sur terre, en mer et dans les airs (figure 2), soulignant l’importance d’une bonne
traçabilité des événements de santé qui peuvent survenir chez ces personnels et des
situations à risque pour la santé auxquels ils peuvent être exposés. La prise en compte
des nouveaux contrats opérationnels et de l’effort de réduction, a conduit à réorganiser
les armées en bases de défense ramenant l’effectif global, hors Gendarmerie et services,
à 225 000 à l’horizon 2014-2015 (131 000 pour l’armée de Terre, 44 000 pour la
Marine et 50 000 pour l’armée de l’Air).
Les militaires représentent une population particulière, avec des durées de service
très différentes, des conditions d’emploi parfois extrêmes pour certaines OPEX,
évoluant dans une logique de milieux (terre, air, mer). Les armées connaissent par
ailleurs une féminisation croissante ces dernières années avec un taux de féminisation
de 14,2 % en 2008 [29]. La population militaire est de plus extrêmement mobile, avec
des individus difficiles à suivre et à retrouver, exerçant des multitudes de métiers
répartis en 17 familles, 59 filières et 450 emplois types [30] dans diverses situations
d’exercice allant de la simple activité de base à l’OPEX, avec des expositions à risques
croissants (figure 3).
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
357
Figure 2.
Engagement opérationnel et répartition géographique des armées françaises en 2010.
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
358
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 3.
Diversité des métiers
des armes et variation du risque.
3. Enjeux de la traçabilité des expositions
3.1. Enjeux de santé publique et de recherche
fondamentale
Les enjeux de santé publique passent d’abord par une évolution des connaissances
sur les conséquences liées aux expositions. Cela peut nécessiter le suivi prospectif de
cohortes ou la reconstitution de cohortes rétrospectives pour étudier les relations entre
expositions et maladies. Cela doit permettre le renforcement des mesures de prévention
pour minimiser l’impact des expositions, mais également l’optimisation des mesures
médicales mises en œuvre, à type de traitement ou de vaccinations. La surveillance
épidémiologique est fortement liée à ces enjeux, avec la nécessité de détecter
précocement l’émergence de nouveaux problèmes de santé ou de clusters. La
prévention de ces expositions passe aussi par l’information de la population militaire
(ainsi que des familles de militaires), afin d’adapter les comportements, limiter les
expositions additives et sensibiliser aux risques. Ces enjeux sont à rapprocher de la
nécessité de développer la recherche fondamentale sur les expositions, avec mise en
place d’études expérimentales maîtrisant l’exposition (quand elles sont éthiquement
faisables).
3.2. Enjeux juridiques
Les enjeux juridiques sont représentés avant tout par le respect des lois et des
réglementations, que ce soit le Code du travail, le Code de la défense, le Code pénal,
le Code civil, le Code de la santé publique ainsi que les directives européennes. La
responsabilité pénale peut alors être engagée s’il y a mise en danger d’autrui et il peut
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
359
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
y avoir une responsabilité personnelle de la hiérarchie. La responsabilité civile peut
aussi être concernée, avec nécessité d’indemnisation, responsabilité de l’institution et
prise en compte de la loi informatique et libertés.
3.3. Enjeux sociétaux
Les enjeux sociétaux prennent une part de plus en plus importante pour la
communauté de défense, avec la nécessité de renforcer le lien armées – Nation. Le
ministère de la Défense doit montrer une image médiatique positive et être transparent
sur la réalité des conditions de travail des militaires. L’État doit également être capable
d’assumer les coûts d’indemnisation liés aux expositions pouvant être mises en cause.
3.4. Enjeux politiques
Le pouvoir politique a lancé le Plan national santé-environnement (PNSE) entre
2004 et 2008 et le PNSE 2 depuis juin 2009, décliné en Plans régionaux santéenvironnement (PRSE). Dans la même dynamique, des Grenelles de l’environnement
ont été organisés entre 2007 et 2009. Il est important pour le pouvoir politique de se
positionner sur cette thématique qui mobilise aussi le milieu associatif, comme par
exemple l’Association santé environnement France (ASEF) créée en 2008. Au niveau
international, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) organise périodiquement des
conférences ministérielles sur le thème santé et environnement (Londres en 1999,
Budapest en 2004).
3.5. Enjeux économiques
Le montant des réparations subies par les militaires dans le cas de l’imputation au
service est une charge supportée par l’État. Ce dernier doit rechercher une efficience
optimale : le coût du dispositif d’évaluation des expositions doit être appréhendé au
regard d’une évaluation financière des réparations mais aussi de la perte d’image pour
la Défense, avec impact qui peut être durable sur l’attractivité du métier des armes.
3.6. Enjeux militaires
Ces enjeux font partie du contrat opérationnel du SSA, dont la mission est
d’assurer le soutien santé des forces armées. Mais ces enjeux concernent aussi toute la
période après le désengagement, par le contrôle et le suivi de l’état de santé du militaire
tout au long de sa vie.
4. Situation actuelle
En matière de risques professionnels, le ministère de la Défense a adopté une
position originale par rapport au reste de la fonction publique. Cette situation résulte
360
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
du poids historique de l’industrie de l’armement au sein du ministère. Ainsi, la fonction
santé sécurité au travail repose sur un décret de 1985 (Décret n° 8.5-755 du 19 juillet
1985) qui affiche un alignement volontaire sur le Code du travail, pour les personnels
civils mais aussi pour les militaires placés dans des conditions de travail similaires. À
ce titre, le décret de 1997 (Décret n° 97-239 du 12 mars 1997) modifiant le précédent,
a renforcé les dispositions concernant le personnel militaire lorsqu’il exerce dans des
conditions identiques des activités de même nature que celles confiées au personnel
civil. Il en découle que, outre la surveillance propre à son état, le personnel militaire
placé dans cette situation doit bénéficier en tant que de besoin des prestations
techniques correspondantes en matière de médecine de prévention. Le décret fondateur
de 1985 mentionne également que, dans tous les autres cas, le personnel militaire se
voit appliquées des dispositions d’hygiène et de sécurité fixées par les autorités
d’emploi.
4.1. Réglementation
Dans le domaine de la traçabilité des expositions, la réglementation prend d’abord
en compte des aspects législatifs, avec la notion de faute par imprudence, négligence
ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité si décès (article 121-3 du
Code pénal) ou invalidité (articles 221-6, 221-7, 222-19 et 222-20 du Code pénal), la
notion d’exposition volontaire à un risque immédiat de mort ou de blessures (articles
223-1 et 223-7 du Code pénal), la notion de réparation des dommages à autrui (articles
1382 et 1383 du Code civil), la notion de responsabilité des personnels employés
(article 1384 du Code civil), la notion de risques environnementaux à gestion
particulière (article R1312-1 du Code de la santé publique), enfin le contenu et la
gestion du dossier médical (dossier médical en santé au travail – DMST, articles
D4624-46 de la Haute autorité de santé - HAS).
Les aspects juridiques concernent le responsable du Système d’information (SI)
de la traçabilité, avec des obligations de déclaration à la Commission nationale
informatique et libertés (CNIL, article 226-16 du Code pénal), de sécurisation des
données (article 226-17 du Code pénal), d’information préalable du patient (article 131-13
du Code pénal), de conservation des données (article 226-20 du Code pénal), de finalité
des traitements (article 226-21 du Code pénal) et de confidentialité des données (article
226-22 du Code pénal). Les acteurs de la traçabilité sont quant à eux soumis au secret
professionnel (article 226-13 du Code pénal), au secret médical (article 1110-4 du Code
de la santé publique) et au secret des correspondances (article 226-15 du Code pénal).
Le responsable du SI doit être particulièrement vigilant, car la dématérialisation de
l’information rend beaucoup plus facile la transgression de ces règles.
4.2. Dans les armées françaises
4.2.1. Fiche Emploi – Nuisances (FEN)
De façon spécifique au ministère de la Défense, une fiche emploi-nuisances (FEN)
a été mise en place depuis 2001 pour les personnels civils et militaires selon des
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
361
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
modalités pratiques d’application propres à chaque armée et service [31]. Élaborée
sous la responsabilité des chefs d’organismes, elle est transmise au médecin de
prévention et doit être archivée dans le dossier médical. Son format est variable et
libre. C’est un document commun aux trois chaînes fonctionnelles : chaîne d’emploi,
médicale et administrative. Actualisée annuellement, elle reprend les risques et
nuisances liés au poste de travail occupé par les intéressés au cours de l’année. Elle
est donc limitée à l’enregistrement des risques connus au moment de sa rédaction.
Individuelle, elle mentionne aussi des activités ou des situations particulières. Visée
par l’agent civil ou militaire concerné, elle permet ainsi au chef de l’organisme de
satisfaire à son obligation d’information. Enfin elle doit conduire à réaliser une
surveillance médicale renforcée adaptée aux risques et aux expositions réelles. Se
voulant exhaustive, elle permet le recensement des expositions habituelles mais aussi
occasionnelles. Dans la réalité, les disparités rencontrées dans son élaboration en raison
du cadre même de sa mise en place, sont un obstacle à l’informatisation, voire à la
cohérence des recensements. En particulier, son utilisation en OPEX n’est à l’heure
actuelle pas complètement systématisée. De même, il n’existe pas de base de données
centralisée contenant l’information de toutes les FEN pour les armées françaises.
4.2.2. Hygiène et Sécurité en Opérations (HSO)
Dans les armées, la contrainte renvoie à la liberté d’action nécessaire à l’exécution
de la mission. Concilier ces deux impératifs et rompre avec une dissociation
caricaturale entre territoire national et théâtre d’opérations qui serait mal comprise et
mal acceptée par le personnel, constituent les fondements de la démarche novatrice
d’Hygiène et sécurité en opérations (HSO). Cette nouvelle organisation comporte une
prise en compte systématisée par étapes : anticipation (recherche des risques potentiels,
veille), évaluation et analyse des risques (a priori de préférence), détermination de
l’acceptabilité (définition d’un seuil d’exposition tolérable), enfin mise en place de
mesures préventives adaptées et si nécessaire, en raison du risque résiduel possible et
réparation du détriment sanitaire, le cas échéant grâce à une traçabilité efficace dans
la durée. Il faut cependant rappeler trois caractères particuliers des risques industriels, les
deux premiers concernent pleinement les militaires déployés : ces risques sont
cumulatifs, leur impact sur la santé dépend de la durée et de l’intensité de l’exposition
et il existe des interactions ; il existe un délai de latence qui peut être important entre
l’exposition et la survenue de la maladie, d’où l’intérêt d’une traçabilité rigoureuse ;
certains groupes humains sont plus sensibles au risque comme les femmes enceintes.
Enfin la démarche HSO s’inscrit souvent dans un cadre international et place le
ministère de la Défense dans une situation d’exception par rapport au reste de la
fonction publique ou du droit privé qui relève du Code du travail dans la mesure où
l’obligation de maîtrise du risque qui pèse sur l’employeur militaire est ici plus
complexe du fait de l’environnement imposé et des aléas des combats. Dans ce
362
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
domaine l’exemple le plus récent concerne l’exposition aux ondes hyperfréquences
des personnels constituant l’équipage des véhicules équipés de brouilleurs
d’autoprotection contre les engins explosifs improvisés en Afghanistan. La constante
désormais de ces opérations est qu’il convient d’apporter aux militaires et à leur
entourage des réponses pertinentes aux préoccupations légitimes qui sont les leurs.
L’interrogation génère la rumeur qui se transforme en inquiétude.
L’exposition à des situations opérationnelles nouvelles comme celles vécues en
Afghanistan représente un facteur de risque de rencontre traumatique sur le plan
psychique, avec une confrontation à la mort pouvant générer des effets à court, moyen
et long termes sur le psychisme à type d’état de stress post-traumatique, de dépression,
de troubles anxieux et de troubles des conduites. Le problème de la blessure psychique
est son caractère invisible et l’absence d’outils de métrologie. La traçabilité est
cependant nécessaire pour sa prise en charge et la reconnaissance de l’imputabilité.
4.2.3. Outils actuels de la traçabilité
Les outils réglementaires de traçabilité des risques relèvent de l’employeur et du
médecin selon le cas ou des deux conjointement. Certains ont une finalité collective,
d’autres ont une vocation individuelle. La base réglementaire qui régit leur élaboration,
leur consultation, leur transmission ou leur conservation renvoie au code du travail.
Les principaux acteurs de cette traçabilité sont représentés par l’État-major des armées,
le Service historique de la Défense, la Caisse nationale militaire de sécurité sociale
(CNMSS), le SSA, l’Observatoire de la santé des vétérans (OSV), le Service des
pensions et des anciens combattants. La traçabilité des expositions fait partie d’un
ensemble plus large de traçabilité santé pour les militaires (figure 4).
Figure 4.
Schéma synthétique de la traçabilité des données médicales militaires.
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
363
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
4.2.3.1. Eléments relevant de l’employeur
Les éléments relevant de l’employeur trouvent leur fondement dans la démarche
globale d’évaluation et d’identification des risques initiée par une directive européenne
(Directive cadre européenne 89/391/CEE du 12 juin 1989). Ainsi le document unique
mis en place par décret en 2001 (Décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001 et objet de
l’article 4121-1 du Code du travail) permet de tracer et de transcrire la démarche dans
toutes ses étapes. Il est communicable au médecin du travail. Conformément au décret
de 1985, ce texte est transposé au ministère de la Défense où le document unique prend
le nom de Document d’analyse des risques (DAR). À l’issue de l’évaluation des
risques, l’employeur doit établir plusieurs documents : une liste actualisée des
personnels exposés qui précise la nature de l’exposition, sa durée ainsi que son degré
s’il est connu à l’issue des contrôles réalisés (art. R4412-40) au titre du risque
chimique ; une notice de poste pour satisfaire à l’obligation d’information, pour toute
exposition à des agents chimiques dangereux (art. R4412-39) ; une attestation
d’exposition aux agents chimiques dangereux remplie par l’employeur et le médecin
du travail, remise au travailleur à son départ, quel qu’en soit le motif ; une fiche
individuelle d’exposition est établie par l’employeur pour chaque travailleur exposé à
au moins un agent chimique dangereux (art. R4412-41) et donc aussi aux agents
cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). La FEN décrite plus haut fait
également partie des documents devant être produits par l’employeur. Au titre du suivi
post professionnel, un projet de décret concernant les militaires a été présenté à la
séance de juin 2009 du Conseil supérieur de la fonction militaire. Il est en cours de
validation. Il se calque sur les procédures existantes dans le droit commun déjà
transposées pour les agents contractuels et les ouvriers d’état et bientôt pour les
fonctionnaires dans un contexte interministériel.
Dans le cas particulier du risque radiologique, les dispositions de droit commun
s’appliquent intégralement. Toutefois la fiche individuelle d’exposition dont le modèle
n’est pas imposé a donné lieu à l’élaboration d’une fiche spécifique au ministère de la
Défense. Cette fiche, dénommée FIAVERI comporte des renseignements sur
l’exposition à charge de la personne compétente en radioprotection, mais aussi sur les
examens médicaux pratiqués et la décision d’aptitude. Un exemplaire est adressé au
Service de protection radiologique des armées (SPRA) pour archivage et l’autre reste
dans le dossier médical des intéressés. Elle permettra de constituer un dossier spécial
partie intégrante du dossier médical, le DMRB qui permet un archivage spécifique des
examens pratiqués au cours du suivi médical découlant de l’exposition aux
rayonnements ionisants du Code du travail. Il convient de constater que le dispositif
de traçabilité de l’exposition aux rayonnements ionisants est l’un des plus élaborés.
Le dispositif actuel de traçabilité est pris en compte dans sa globalité car au titre
de l’HSO la traçabilité est expressément mentionnée dans l’instruction de 2005 comme
faisant partie des responsabilités des commandants de formations déployées sur les
364
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
théâtres opérationnels. Elle consiste à assurer la traçabilité des expositions individuelles
et collectives par la tenue des Journaux de marche des opérations (JMO) et surtout en
élaborant des FEN. Il dispose pour ce faire d’un chargé de prévention et rédige
également en fin d’opération un rapport de Retour d’expérience (RETEX) portant sur
l’ensemble des activités en relation avec tous les domaines de la prévention des risques.
L’armée de Terre a mis en place pour les troupes intervenant en Afghanistan une fiche
individuelle de suivi post-opérationnel qui collige les événements graves vécus par le
militaire, la réalisation d’une information post-opérationnelle, du sas de fin de mission
à Chypre, la durée des permissions au retour et la réalisation de l’entretien postdéploiement à trois mois.
4.2.3.2. Éléments relevant du Service de santé des armées
Les éléments relevant du SSA sont à la fois des données individuelles et des
données collectives.
Sur le plan individuel, l’élément central de la traçabilité est représenté par le
dossier médical du militaire, qui comprend à la fois son dossier de soins, mais aussi
son Dossier médical en santé au travail (DMST). Ce dossier est constitué pour tout
militaire dès l’incorporation. Il est complété après chaque examen médical ultérieur
(article R.4624-46). Le dossier médical permet de participer à la traçabilité des
expositions professionnelles, des informations et conseils de prévention délivrés au
militaire, des propositions en termes d’amélioration ou d’aménagement du poste ou
des conditions de travail et de maintien ou non dans l’emploi. Si nécessaire, il doit
contenir le double des fiches individuelles d’exposition transmises par l’employeur.
Le suivi médical pour les militaires exposés aux risques CMR est encadré par la
surveillance médicale renforcée (article R.4624-19). Le médecin établit une fiche
d’aptitude attestant que le travailleur ne présente pas de contre-indication médicale à
ces travaux (article R.4412-44). Cette fiche d’aptitude doit comporter la date de l’étude
du poste de travail et celle de la dernière mise à jour de la fiche d’entreprise (article
R.4412-47). Également les données des examens paracliniques doivent nécessairement
comporter la nature, la date, les motifs de prescription et le résultat et si besoin les
conditions de réalisation ou le motif de non réalisation. Les avis éventuels de spécialiste
concernant le suivi d’une pathologie spécifique dans le cadre de l’évaluation du lien
entre l’état de santé et le poste de travail ou la recherche de contre-indication doivent
être insérés dans le dossier médical. La conservation du dossier médical vise à assurer
la continuité du suivi médical du militaire tout au long de sa prise en charge par le
SSA, la traçabilité des expositions professionnelles, des conditions de travail et des
données sanitaires, dans le respect du secret professionnel. Le dossier doit être conservé
dans des conditions permettant son accessibilité, son intégrité et garantissant la
confidentialité des données. Le support d’archivage doit permettre la pérennité des
données et être compatible avec les obligations réglementaires en matière de
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
365
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
conservation des données. La possibilité de transfert doit être intégrée dans les
différents logiciels avec un format qui doit être le plus largement compatible. Les autres
éléments de traçabilité individuelle sont représentés par l’historique de carrière, le
registre des constatations et la FEN.
Sur le plan collectif, des éléments relatifs aux risques professionnels déterminés
en fonction de l’état et des besoins de la santé des salariés sont consignés par le médecin
du travail chaque année dans un plan d’activité (article R.4624-33) pour une ou
plusieurs entreprises. Un rapport annuel d’activité est établi par le médecin du travail
pour les entreprises de plus de 300 salariés (article R.4624-45). Ce rapport est transmis
au comité d’entreprise ainsi qu’au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de
travail (CHSCT). Le médecin du travail établit et met à jour une « fiche d’entreprise »
par entreprise ou établissement (article R.4624-37). La rédaction de cette fiche est de
la seule compétence et responsabilité du médecin du travail. Cette fiche est transmise
à l’employeur, un exemplaire est conservé par le service de santé au travail. Cette fiche
d’entreprise pourrait évoluer ou s’intégrer dans un dossier d’entreprise où seraient
également, au titre de la traçabilité collective, colligés tous les résultats de métrologie
atmosphérique ou surfacique mais aussi de campagne de biométrologie qu’il s’agisse
d’actions réglementairement imposées ou non par le code du travail. Une insertion des
données de cette gestion collective du risque pourrait déboucher sur la réalisation de
matrices emploi-exposition. La médecine de prévention pour les personnels militaires
est intégrée à la médecine d’armée et exercée à ce titre par les médecins des armées
affectés dans les unités. Les prestations délivrées sont identiques à celles dont bénéficie
le personnel civil. Toutefois la fiche d’entreprise ne revêt pas actuellement un caractère
d’obligation pour ce qui concerne les personnels militaires. Les rayonnements
hyperfréquences constituent comme l’exposition au laser, une particularité du ministère
de la Défense en raison des textes spécifiques. Aucun examen complémentaire n’est
requis au cours de la SMR mise en place en cas d’exposition aux REM, en revanche
une fiche spécifique est établie par la personne compétente en lien avec le médecin en
cas de suspicion d’accident de surexposition (séjour en zone rouge et plaintes médicales
de l’intéressé). L’utilisation exponentielle des équipements de brouillage des engins
explosifs improvisés sur le théâtre afghan rend ces dispositions très actuelles [1]. Les
autres éléments du volet collectif de la traçabilité sont représentés par la veille et la
surveillance épidémiologique, les enquêtes épidémiologiques prospectives et
rétrospectives.
4.2.3.3. Bases de données
Les informations existantes concernant la traçabilité des expositions des militaires
sont actuellement disponibles sous format papier et font l’objet d’archivage. Elles
proviennent de sources multiples et parfois anciennes. Dans cette situation, il est
difficile d’accéder à l’information et des enquêtes ponctuelles peuvent être nécessaires.
366
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Pour certaines informations, des bases de données numérisées sont réalisées.
L’utilisation de l’informatique laisse présager que l’accès à l’information sera plus
facile, mais cela n’est pas toujours le cas. Les bases de données sont dispersées, sans
forcement de passerelles ou de variables de chaînage. Les bases de données sont
actuellement principalement représentées par celles de la CNMSS, du système
AMADEUS, les bases médicales dans les Centres médicaux des armées (CMA) avec
des systèmes ad hoc (GESTSAN, SIMBA), les bases de ressources humaines, celles
des organismes spécifiques (comme le SPRA), les archivages hospitaliers, le Service
des pensions et des anciens combattants. Les avancées récentes concernent d’abord la
base centralisée « carrière » au niveau du ministère de la Défense, devant concerner
tous les militaires et le développement du Logiciel unique médico militaire et médical
(LUMM), le chaînage des informations entre les données des CMA et celles des HIA
et les bases centralisées au niveau du Centre de traitement de l’information médicale
dans les armées (CeTIMA).
4.3. Dans les armées étrangères
Le bilan de l’existant montre qu’à l’heure actuelle l’hétérogénéité est grande entre
les systèmes de traçabilité médicale mis en œuvre au sein des forces armées des pays
de l’OTAN [1]. Les forces armées américaines sont clairement celles pour lesquelles
cette capacité est la plus avancée. Mais cela ne veut pas dire que tous les problèmes
sont réglés, car même si de nombreux systèmes informatisés et bases de données
existent déjà, il n’est pas simple de pouvoir les relier entre eux et de pouvoir disposer
d’un outil facilement accessible, permettant de faire des requêtes individuelles (cadre
d’une demande de réparation) ou collectives (cadre d’une étude épidémiologique). En
matière de suivi et de collaborations internationales sur lesquelles s’appuyer pour
bénéficier du retour d’expérience, il semble que ce soient les services de santé des
armées américaines, canadiennes et allemandes qui soient le plus en avance dans ce
domaine.
Pour ce qui concerne les armées américaines, la stratégie de traçabilité (recueil et
archivage) des données médico-militaires et des expositions est basée sur la
constitution de registres des données médicales et des expositions individuelles des
militaires américains. En 1997, une directive a été initiée directement par le Président
USA Bill Clinton : la « White House Force Health Protection Program Directive ».
Cette directive demandait au ministère de la Défense américain (Department of
Defense – DoD) de développer un système longitudinal de traçabilité avec
enregistrement des données médicales et des expositions des militaires américains,
principalement les expositions environnementales. Depuis cette date, le DoD a fait des
avancées pour atteindre cet objectif, mais en 2011, des développements étaient encore
nécessaires en particulier concernant l’accès aux documents de surveillance
environnementale, d’accidents d’exposition à des risques chimiques et
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
367
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
d’enregistrements médicaux documentant ces expositions. L’enregistrement
longitudinal de données d’exposition, incluant les données d’exposition des militaires
en opérations extérieures, a été jugé nécessaire pour le diagnostic, le traitement et la
prévention de certaines maladies, aussi bien à l’échelle individuelle que collective ;
pour établir un lien entre certaines expositions et problèmes de santé, en garantissant
les droits de réparation pour les militaires concernés ; enfin pour créer des registres
permettant le suivi de cohortes exposées/non exposées et pour répondre aux questions
des effets de ces expositions à long terme sur la santé des militaires. Un objectif
intermédiaire est d’établir un enregistrement longitudinal individuel des expositions
pour tous les militaires, comprenant des données d’exposition à des agents chimiques,
biologiques, radiologiques et physiques, que ce soit pendant le service sur le territoire
national mais aussi au cours des déploiements, et ce, durant toute la période d’activité
des militaires. Ces enregistrements doivent comprendre les expositions aux agents ou
matériels industriels, environnementaux et risques NRBC. Pour atteindre cet objectif,
deux capacités essentielles doivent être disponibles : une capacité de monitorage
biologique permettant de suivre des indicateurs biologiques individuels (sang, urines,
salive ou autres) permettant de déterminer des expositions particulières grâce à des
dosages réguliers ; mais aussi une capacité de monitorage de l’air ambiant respiré, afin
de mesurer le degré d’exposition des militaires aux agents transmissibles ou véhiculés
par voie aérienne ou respiratoire. Ces deux capacités nécessitent de continuer les efforts
de recherche sur l’identification de biomarqueurs d’exposition au niveau individuel.
Les technologies permettant d’atteindre ces objectifs ne sont pas encore toutes
disponibles. L’enregistrement longitudinal des données d’exposition fait alors
actuellement appel à un certain nombre d’autres méthodes : l’enregistrement médical
des données d’exposition quand elles sont disponibles avec les résultats des examens
cliniques et paracliniques effectués ; la mise en œuvre d’une capacité encore limitée
de monitorage biologique utilisant des prélèvements sériques effectués
systématiquement au retour des missions extérieures, mais aussi monitorage d’autres
prélèvements biologiques quand ils sont disponibles ; l’enregistrement des expositions
rapportées directement par les militaires au cours des visites médicales au retour de
mission extérieure (exposition avérée ou simplement ressentie), systématiquement
enregistrées, même sans preuve biologique, sur des supports particuliers (DD Form
2796 et 2900) ; enfin l’enregistrement des données de monitorage et de métrologie
résultant de l’hygiène industrielle et environnementale grâce à deux systèmes : le
système OEHSAs (Occupational and Environmental Health Site Assessments) et le
système POEMSs (Periodic Occupational and Environmental Monitoring
Summaries). Les données de ces deux systèmes sont croisées avec le système de
géolocalisation quotidienne des forces du DMDC (Defense Manpower Data Center).
Il existe aussi le système PBCT (Personal Blast and Contaminant Tracking) pour les
gardes nationaux, permettant de documenter les individus ayant été potentiellement
exposés à des agents chimiques ou divers contaminants. Une originalité de ces
368
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
systèmes est de proposer un système d’enregistrement des expositions permettant de
s’adapter aux différents cas de figures : expositions confirmées (données de monitorage
environnemental), expositions probables (accidents d’expositions avec certains
personnels présentant des manifestations cliniques, mais absence de données de
monitoring environnemental), expositions possibles (présence dans une zone de
contamination possible). Ces différentes méthodes de traçabilité ne sont à l’heure
actuelle pas encore connectées de façon électronique. Les passerelles n’étant pas
totalement fonctionnelles, cela limite leur utilisation à la fois pour la fourniture
d’informations permettant de renforcer la sécurité des personnels exposés, mais aussi
la répondre aux des demandes de réparation.
5. Perspectives et propositions
5.1. Améliorer la connaissance
L’amélioration de la traçabilité passe par l’amélioration de la connaissance des
expositions, de la survenue d’événements sanitaires et par la connaissance conjointe
des deux. Cette amélioration passe par des mesures collectives et individuelles.
5.1.1. Les expositions
Sur le plan collectif, la première étape de l’amélioration de la connaissance des
expositions passe par l’amélioration de la capacité de géoréférencement, avec des
enregistrements systématiques pour chaque unité au moment des missions, notamment
en OPEX, et par l’informatisation des JMO sous un format standardisé permettant leur
centralisation dans une base de données unique. Cela passe aussi par l’amélioration
des connaissances a priori avec une montée en puissance de la capacité de veille
sanitaire stratégique et tactique comme la Banque de données sur l’outre-mer et la
zone inter tropicale (BEDOUIN), mais aussi par la mise en œuvre de méthodes de
modélisation locale, avec la technique de krigeage pour extrapoler les expositions et
l’utilisation de logiciels ad hoc de simulation de diffusion des expositions.
L’amélioration des connaissances a posteriori est aussi nécessaire, avec création d’une
sérothèque, mise en œuvre d’une surveillance zoonotique et entomologique efficace,
de l’environnement physique, en collaboration avec les équipes dédiées hors SSA,
dénommées Sampling identification of biological chemical and radiological agents
(SIBCRA) dans la terminologie de l’OTAN, qui sont des équipes spécialisées
rattachées à la cellule interarmées nucléaire radiologique biologique et chimique de
Lille.
Sur le plan individuel, la capacité de géoréférencement à l’échelle du combattant
est en cours d’étude avec le nouveau système d’équipement Félin. Des travaux
pourraient aussi être utilement menés pour le développement de biomarqueurs, comme
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
369
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
les marqueurs génétiques de susceptibilité, les antigènes salivaires de moustique et
l’exposition à des agents comme le plomb. Il serait également opportun de généraliser
l’utilisation des échelles de stress, comme le Global health questionnaire (GHQ) et le
Post traumatic disorder checklist scale (PCLS). L’emploi du self reported exposure
des armées américaines pourrait être expérimenté auprès d’un échantillon de militaires
français. Au niveau de la visite médicale, il serait important au cours de la visite
d’incorporation de faire une évaluation aussi précise que possible des expositions
cumulées avant l’entrée dans le ministère de la Défense. De même, il serait nécessaire
au cours de la visite médicale finale, avant le départ à la retraite, d’évaluer les
expositions cumulées en cours de carrière et de mettre en place un dispositif pour leur
suivi.
5.1.2. Les événements sanitaires
Pour renforcer la connaissance de la survenue d’événements sanitaires, une priorité
est représentée par le renforcement de la capacité de surveillance épidémiologique.
Idéalement, le système de surveillance mis en œuvre doit permettre d’identifier des
événements sanitaires inhabituels comme les émergences, les agrégats spatio-temporels
(clusters) et les épidémies. Cela améliore la capacité de diagnostic de situation, avec
une distinction importante entre l’alarme (produite par le système de surveillance) et
l’alerte (confirmation du signal d’alarme après intervention d’un médecin
épidémiologiste). La généralisation du système d’Alerte et surveillance en temps réel
(ASTER) à l’ensemble des forces françaises projetées en OPEX devrait permettre
d’avoir une meilleure capacité dans le domaine. Ce système qui se dénommera alors
Épidémiologie en temps réel (ETR) est l’un des piliers d’un objectif d’état-major se
rapportant à l’Infostructure santé (ISSAN). Un des avantages important d’ASTER est
d’assurer une traçabilité au niveau individuel et au niveau collectif. Un autre axe
d’amélioration des connaissances en matière d’événements sanitaires pourrait être la
réalisation d’un suivi de cohorte en milieu militaire, si et seulement si les moyens
financiers et humains sont effectivement disponibles pour l’assurer dans le respect des
bonnes pratiques. Cette cohorte pourrait être constituée à partir de l’incorporation, avec
un recueil initial rétrospectif des expositions, faire l’objet d’investigations transversales,
notamment au cours et au décours de la participation à des OPEX. Ce travail pourrait
se faire en collaboration avec l’OSV et d’autres partenaires militaires et civils,
notamment avec des spécialistes du suivi de cohorte. Le dernier axe est représenté par
une meilleure connaissance des données disponibles dans les bases de données de la
CNMSS, en lien et en complément avec les données de surveillance épidémiologique.
5.1.3. Les expositions et les événements sanitaires
Une meilleure connaissance conjointe des expositions et des événements sanitaires
passerait par la réalisation d’enquêtes multidisciplinaires associant par exemple
370
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
médecins du travail, cliniciens, épidémiologistes, biologistes, toxicologues et
ingénieurs environnementaux. Cela pourrait également passer par le renforcement de
la capacité d’investigation des signaux sanitaires, avec un support qui pourrait être
celui de l’Élément militaire d’intervention biologique et épidémiologique (EMIBE)
dans les armées françaises ou des Rapid deployable outbreak investigation teams
(RDOIT) des missions multinationales de l’OTAN. Dans tous les cas, il est nécessaire
de créer ou de renforcer des bases de connaissances avec comme objectif de faciliter
le croisement entre symptômes, diagnostic et expositions. Ces bases de connaissances
devraient pouvoir être enrichies à la fois par la connaissance des expositions et la
survenue des événements sanitaires, accessibles directement sur les théâtres d’OPEX
et en métropole. La démarche d’évaluation des risques devrait compléter ces
informations, en particulier avec la généralisation des matrices d’exposition
individuelle et la détermination des budgets espace-temps au niveau de chaque
combattant. Pour être capable de mettre en évidence un lien entre une exposition et la
survenue d’un événement sanitaire puis pour raisonner en terme de causalité, il faudra
rechercher de façon systématique les principaux critères de causalité, représentés par
la preuve statistique de l’existence d’une association, la quantification de la force de
l’association, la mise en évidence d’une relation dose-effet, l’existence d’une preuve
biologique documentée, l’existence d’une séquence temporelle et la convergence des
études.
5.2. Améliorer le système d’information
Améliorer le SI nécessite au préalable une étude du besoin et des fonctionnalités.
Cette étude comprend une démarche diagnostique, afin de permettre d’associer une
possible exposition environnementale à une pathologie observée chez un militaire ou
un ancien militaire. La fonction attendue est la recherche de risques associés aux
emplois tenus et compatibles avec le tableau clinique. L’autre démarche peut être
qualifiée de préventive, afin de permettre de rechercher les militaires et anciens
militaires potentiellement co-exposés d’un cas identifié. La fonction attendue est alors
la conservation des cas ayant été associés à une exposition environnementale et la
possibilité de retrouver tous les sujets ayant été soumis à la même exposition.
La structure organisationnelle (figure 5) pourrait s’articuler autour d’un organisme
conservateur des données, l’OSV ou un établissement du SSA, réalisant le pilotage,
l’hébergement, l’entretien des bases, la mise en correspondance des informations, avec
des producteurs de données, principalement représentés par le SSA pour toutes les
données issues du vivant (humain et animal) et par les forces armées pour toutes les
données issues de l’environnement (via les équipes SIBCRA). Indépendamment des
établissements concernés, l’architecture générale des serveurs et des bases de données
devra permettre l’urbanisation des SI (figure 6), c’est-à-dire la possibilité de faire
évoluer les SI (réingénierie) afin de garantir la cohérence vis-à-vis des objectifs et de
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
371
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 5.
Perspective de structure
organisationnelle
générale.
l’évolution du métier des armes, en prenant en compte des contraintes internes et
externes, tout en tirant parti des opportunités de l’état de l’art informatique.
Améliorer le SI consiste aussi à améliorer le processus général d’archivage. Ce
processus doit lui-même être composé de trois sous-processus permettant l’intégration
(identification de l’information relative à l’exposition à conserver), la pérennisation
(stockage et support) et l’accès (communication et gestion des droits). Il doit être
soumis à des règles précises, avec des procédures de protection contre la perte, la
corruption, la détérioration des données, mais aussi des règles d’authentification des
données et d’identification de l’information qui fait foi en cas de sources multiples.
Ce système in fine doit permettre la traçabilité de la traçabilité et l’auditabilité, c’està-dire la preuve que la conception et le fonctionnement du système et de ses contrôles
internes sont conformes aux exigences et aux normes.
Figure 6.
Perspective d’architecture
permettant une urbanisation
des systèmes d’information.
5.3. Améliorer la traçabilité pour l’action
Améliorer la traçabilité pour l’action consiste d’abord à améliorer la traçabilité de
372
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
l’exposition avec identification des populations à risque, amélioration de la prise en
charge médico-administrative et de l’organisation du travail, en réduisant les temps
d’exposition, mise à disposition de mesures de protection (type treillis imprégnés) en
fonction des résultats de la supervision des moyens de mesure de la traçabilité. Cela
consiste également à améliorer la traçabilité des événements sanitaires, avec le
développement du patient tracking, l’adaptation de la surveillance médicale renforcée
aux premiers résultats, l’adaptation des visites médicales systématiques (périodicité,
contenu), la mise en œuvre d’une politique de dépistage sur une population identifiée
comme à risque, l’amélioration de l’identification des parcours de soins.
Ces améliorations ne peuvent être envisagées que s’il est possible de renforcer la
formation des acteurs de la traçabilité, d’adapter le cadre réglementaire à une traçabilité
à long terme et en opération, d’orienter la recherche dans le domaine des systèmes
d’information et de communication, l’ergonomie cognitive du travail, les nouveaux
marqueurs d’exposition. Cela nécessite également une implication directe du
commandement militaire, avec en particulier la nécessaire collaboration avec les
officiers RH et HSO, la réalisation régulière d’évaluations et d’audits, coordonnés par
l’Inspection générale du SSA et/ou le CESPA, l’amélioration de l’intégration
interalliée, avec les processus de normalisation et l’écriture de Standardization
agreements (STANAG) ad hoc, la montée en puissance du Deployment Helath
Surveillance Capability de Munich (en charge de la surveillance épidémiologique pour
les missions multinationales de l’OTAN) et le développement de l’interopérabilité dans
le domaine des SI. Enfin, les processus de communication interne et externe concernant
la traçabilité devront être renforcés.
6. Conclusion
La traçabilité des expositions environnementales occasionnées par le métier des
armes est devenue une obligation légale, mais également éthique. Elle doit s’inscrire
dans un processus global de traçabilité dans les armées, non limitée aux seules
expositions environnementales, offrant les meilleures garanties de détecter, de
comprendre et d’anticiper les événements de santé pouvant toucher la collectivité
militaire. Elle nécessite une approche multidisciplinaire, sans laquelle il est illusoire
d’atteindre des objectifs réalistes. Elle nécessite un changement de mentalité de
nombreux acteurs et une montée en puissance des systèmes d’information. Ceux-ci
doivent devenir une priorité en matière de développement, d’interopérabilité mais aussi
d’utilisabilité. Ces systèmes d’information devront pouvoir être chaînés avec le dossier
médical des militaires, de façon à optimiser leur utilisation opérationnelle. De
nombreux organismes militaires et civils sont concernés par ces évolutions à venir, en
particulier l’Observatoire de la santé des vétérans, qui pourrait jouer un rôle central en
matière de traçabilité pour la santé des militaires et anciens militaires.
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
373
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Paul Balandraud,
Jean-Marc Blot, Jacques Brunot, Xavier Castagnet, Jean-François Catajar, Hervé
Chaudet, Gilles Créhange, Xavier Deparis, Guillaume Desjeux, Samuel Girardot,
Laurent Guilloton, Christian Hupin, Caroline Ligier, Ghislain Manet, Aurélie Mayet,
René Migliani, Liliane Pellegrin, Vincent Pommier de Santi, Marc Tanti, Gaëtan Texier,
Gaétan Thiery, Catherine Verret, Patrice Viance.
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[22] Direction centrale du Service de santé des armées. Document
N°3390/DEF/DCSSA/AST/TEC du 12 novembre 2003 relative aux résultats de
la surveillance de l’exposition au plomb des militaires français à Mitrovica.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
[27] Petit Larousse, édition 2012. http:/www.larousse.fr/
[28] Ministère de la Défense. Défense et sécurité nationale. Le livre blanc. Ed. Odile
Jacob/La documentation française. Juin 2008.
[29] Ministère de la Défense. Annuaire statistique de la Défense 2009/2010.
[30] Ministère de la Défense. Référentiel des emplois de Défense (REDEF).
[31] Ministère de la Défense. Instruction N°303747/DEF/SGA/DFP/PERS/5 du
17/12/2001 modifiée relative à la fiche emploi nuisances.
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Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Zoonoses émergentes : quels risques
pour l’homme ?
Jean-Lou Marié
1. Introduction
Pendant longtemps les maladies infectieuses ont constitué la principale cause de
mortalité dans le monde. Les progrès de l’hygiène, le développement de
l’assainissement urbain mais aussi les avancées de la médecine avec l’avènement des
anti-infectieux et des vaccins, ont permis de les faire régresser dans les pays développés
mais malheureusement très insuffisamment dans les pays en voie en développement.
Parmi les maladies infectieuses qui touchent l’homme, les zoonoses émergentes
tiennent une place particulière dans l’actualité en raison des crises sanitaires qu’elles
provoquent et des peurs, amplifiées par les médias, qu’elles suscitent. Pandémie du
virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans les années 1980, nouveau variant
de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à partir de 1996, ou encore Syndrome respiratoire
aigu sévère (SRAS) en 2003, sont autant de crises sanitaires qui ont fortement marqué
les esprits.
Face à la menace permanente d’apparition de maladies infectieuses nouvelles à
partir de réservoirs animaux, il est important de pouvoir en comprendre les
déterminants et d’en évaluer les risques afin de les prévenir et de les combattre.
2. Concept de zoonose émergente
2.1. Définitions et importance
Les zoonoses correspondent aux maladies infectieuses transmises naturellement
des animaux vertébrés à l’homme et vice versa [1]. Nous limiterons l’étude aux
maladies transmises à l’homme à partir des animaux, connues sous le nom
d’anthropozoonoses, sans considérer la transmission inverse qui est peu documentée
(zooanthroponoses). Les agents responsables sont des virus, des bactéries, des prions,
des parasites et des champignons. Cette définition exclut les maladies comme le paludisme pour lesquelles l’agent
pathogène est présent chez un arthropode hématophage mais sans qu’il existe de
réservoir vertébré. Ne peuvent plus être qualifiés de zoonotiques les agents pathogènes
qui comme le VIH sont d’origine animale mais qui se sont entièrement adaptés à
l’homme avec uniquement désormais une transmission interhumaine. Il en est de même
pour les agents de la rougeole et de la coqueluche qui ne circulent plus que chez les
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
humains. Les zoonoses ne comprennent pas non plus les maladies infectieuses
communes à l’homme et aux animaux mais qui ne sont pas transmissibles, comme le
tétanos. L’homme et l’animal sont dans ce cas contaminés à partir de la même source
environnementale.
Ce qui caractérise les zoonoses est donc le réservoir animal du pathogène. À partir
de ce réservoir, la transmission peut être directe par contact traumatique ou non, par
aérosols, par l’intermédiaire de l’environnement, par voie vectorielle ou alimentaire
(figure1). La plupart des agents zoonotiques sont pas ou peu transmissibles de personne
à personne, l’homme constituant un cul-de-sac épidémiologique. Il s’agit par exemple
des virus de la rage et de la fièvre de la vallée du Rift ou de Borrelia burgdorferi, agent
de la maladie de Lyme. Environ 10 % des zoonoses, comme la peste ou le SRAS, se
transmettent en réalité presque exclusivement de personne à personne, c’est-à-dire par
contagion. En outre, environ 25 % des zoonoses se transmettent de personne à personne
mais ne persistent pas sans réintroductions régulières à partir de réservoirs animaux [2].
Figure 1.
Schématisation des voies de
transmission des agents
infectieux zoonotiques.
Au sens épidémiologique, l’animal réservoir permet le maintien de l’agent
pathogène dans le cycle naturel de la maladie. Les animaux réservoirs des agents
zoonotiques présentent une grande diversité. Il s’agit d’animaux de compagnie, de
sport, de production, d’animaux synanthropes ou de la faune sauvage, dans leur habitat
naturel ou détenus en captivité. Le réservoir doit être distingué d’un simple hôte, qui
est victime et ne joue pas de rôle dans le cycle naturel. IL est parfois responsable d’une
amplification de l’agent. Dans certains cas le réservoir est formé de l’association entre
un animal vertébré et un arthropode hématophage [3]. Les vecteurs sont des
arthropodes hématophages : moustiques, phlébotomes, poux, puces, glossines,
triatomes, tiques. Environ 50 virus pathogènes pour l’homme sont transmis par des
arthropodes vecteurs ; on parle d’arbovirus (arthropod-borne virus).
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LES ANNALES DE
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Une maladie est émergente lorsqu’elle est provoquée par un agent nouveau,
lorsqu’elle apparaît dans une région nouvelle ou bien lorsque son incidence dans une
région donnée s’accroît. Les fausses émergences répondent à la définition précédente
mais la mise en évidence de l’agent résulte du développement d’outils diagnostiques
ou du développement de l’épidémiosurveillance ou encore d’une plus grande
médiatisation. Si dès les années 1960, des maladies émergentes sont décrites en
médecine vétérinaire [4], c’est en 1989 que ce concept s’est vraiment démocratisé avec
la première conférence sur les virus émergents, qui s’est tenue à Washington. C’est en
1995 qu’a été publié le premier numéro de la revue Emerging Infectious Diseases.
Un travail systématique a permis de recenser 1 407 agents pathogènes pour
l’homme, dont 58 % sont zoonotiques. Au total, 177 agents sont considérés comme
émergents ou ré-émergents [2]. Les auteurs considèrent qu’un agent zoonotique a deux
fois plus de chance d’être dans la catégorie « émergent » qu’un agent non zoonotique.
Les différentes catégories de micro-organismes sont représentées dans les agents
infectieux émergents mais les virus à ARN y contribuent à eux seuls pour 37 %. Pour
la décennie 1990-2000, 52 % des maladies infectieuses qui ont émergé provenaient de
la faune sauvage et 28,8 % étaient vectorielles [5].
2.2. Comment évaluer les risques ?
La détection d’un phénomène infectieux anormal doit être réalisée le plus tôt
possible, grâce à la surveillance épidémiologique, la veille et l’alerte. Il s’agit de
collecter, d’analyser et d’interpréter en continu des données relatives à la santé. La
surveillance porte sur les agents infectieux, les maladies ou les syndromes qu’ils
causent, les vecteurs, les réservoirs, les facteurs liés à l’environnement [6]. Dans le
cas des zoonoses émergentes, qui sont par définition des évènements inhabituels et
inattendus, la surveillance dépasse donc le suivi habituel des indicateurs de morbidité
(incidence, taux d’incidence) et de mortalité. Dans ce cas, la surveillance syndromique
est jugée plus pertinente [7]. Il est par exemple possible de surveiller le nombre
journalier de passages aux urgences hospitalières pour des syndromes respiratoires.
De façon générale, pour une maladie infectieuse émergente, les syndromes d’allure
infectieuse non spécifique à surveiller couvrent l’essentiel des manifestations de fièvre,
diarrhée, signes respiratoires aigus, éruptions et déficits neurologiques aigus. Au-delà,
la surveillance porte aussi sur des données d’activités médico-administratives, comme
les admissions ou les passages aux urgences, les appels au centre 15, les visites
médicales. La veille sanitaire internationale utilise différents outils, dont la littérature
publiée, les informations diffusées par des sites comme Promed, voire les occurrences
de recherche sur internet ou le contenu de blogs d’information sanitaire. Le programme
Promed est gratuitement accessible sur internet et diffuse des informations récoltées
par de nombreuses sources de médias, de rapports ou revues scientifiques mais aussi
les informations collectées par un réseau de correspondants locaux [8]. Pour renforcer
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
la surveillance, il est demandé depuis 2004 aux praticiens exerçant en France de
signaler tout syndrome infectieux dont la fréquence, les circonstances de survenue, la
présentation clinique ou la gravité sont jugées inhabituelles. Finalement la surveillance
porte sur des indicateurs issus de la surveillance organisée mais également sur une
grande variété d’évènements de santé touchant la population et pouvant inclure des
rumeurs captées par les médias [9].
Concernant plus spécifiquement les agents zoonotiques, la surveillance doit porter
une grande attention aux professions plus exposées comme les vétérinaires et les
éleveurs et s’étendre aux populations animales [10]. Pour le volet animal, des données
sont collectées grâce au dispositif des maladies à déclaration obligatoire et des maladies
réputées contagieuses. Par ailleurs, le réseau SAGIR suit les causes de mortalité dans
la faune sauvage. Pour ce faire, des agents de l’Office national de la chasse et de la
faune sauvage (ONCFS) récoltent les cadavres d’animaux de la faune sauvage puis
des autopsies et au besoin des examens complémentaires sont réalisés dans les
laboratoires départementaux d’analyse. Les signaux ainsi collectés sont ensuite analysés par des experts, conformément
au schéma présenté en figure 2. Ce travail permet d’éliminer le bruit de fond qui est
d’autant plus important que le système de surveillance est sensible. Il s’agit d’évaluer
la fiabilité de la source, la plausibilité des informations en recoupant avec d’autres
données connues, d’établir une description clinique et épidémiologique et d’analyser
les éléments de confirmation biologique, en particulier les méthodes employées et les
laboratoires prestataires. Au bilan, les signaux peuvent être classés en trois catégories :
absence de risque pour la santé publique, signal nécessitant un suivi et risque potentiel
pour la santé publique [9].
Figure 2.
Traitement des signaux
dans le cadre de la
surveillance
épidémiologique,
adapté du rapport
annuel 2006 de
l’Institut de veille
sanitaire (InVS).
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Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Tout signal validé, traduisant une situation inhabituelle, n’implique pas
nécessairement un risque pour la santé publique. Aussi, pour chaque signal validé, une
évaluation des risques doit être réalisée. En première approche les risques pour
l’homme résultent du croisement de la probabilité de survenue de la maladie et de sa
gravité. La probabilité d’occurrence peut être estimée à partir de la probabilité
d’émission de la source et de la probabilité d’exposition, c'est-à-dire de mise en contact
du pathogène avec une personne (figure 3). Pour apprécier l’émission, il faut disposer
de données sur la prévalence de l’agent, qui peuvent par exemple être obtenues par
des enquêtes épidémiologiques transversales. La probabilité d’exposition correspond
à l’évaluation de la probabilité de contact en tenant compte des doses minimales
infectieuses et des facteurs de risque. Lorsqu’un agent infectieux émergent est
contagieux, la probabilité d’infection devient beaucoup plus importante. Les
conséquences s’entendent en terme de santé publique (morbidité, mortalité) et aussi
au plan économique. Par exemple, le coût de l’épidémie de SRAS en 2003 a été estimé
à 60 milliards de dollars US au plan mondial, principalement du fait de l’effondrement
du trafic aérien. Figure 3.
Les différentes
étapes de l’analyse
des risques.
Plus globalement, outre l’évaluation du risque, il est nécessaire de prendre en
compte des éléments sur la perception du risque et les impacts économiques et sociaux,
dans un processus d’appréciation du risque. Pour réaliser cette démarche, l’Institut de
veille sanitaire (InVS) utilise différents critères qui sont résumés dans le tableau I. Il
est également possible de recourir à des modèles mathématiques permettant d’estimer
le risque d’importation d’une infection, sa rapidité de propagation et l’impact potentiel
des mesures de contrôle. Si le risque dépasse un risque jugé acceptable, des mesures
de réduction du risque devront être mises en œuvre : c’est la phase de réponse. Le
risque acceptable est apprécié par le gestionnaire et correspond au niveau de risque
jugé compatible avec la santé, compte tenu d’un ensemble de données
épidémiologiques, sociales et économiques. Les aspects de réponse en santé publique,
au plan des structures et des moyens, ainsi que leur évaluation, seront évoqués en
dernière partie.
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Pour prévenir les risques dans le domaine de la santé publique, il est également
important d’accroître la recherche et de surveiller plus particulièrement les agents que
les experts considèrent comme des zoonoses potentielles. Il s’agit par exemple de la
maladie de Borna, due à un virus de la famille des Bornaviridae, qui se traduit dans sa
forme classique par une atteinte neurologique sévère des moutons et des équidés. La
paratuberculose provoquée par Mycobacterium avium paratuberculosis, a souvent été
incriminée dans l’étiologie de la maladie de Crohn chez l’homme, notamment après
la mise en évidence de cet agent dans le sang de patients infectés [11].
L’encéphalomyocardite du porc provoquée par un Cardiovirus de la famille des
Picornaviridae, est connue depuis 1986 chez le porc et est à l’origine de morts subites
des porcelets et de troubles de la reproduction des truies. Des personnes infectées par
cette bactérie auraient présenté des signes cliniques d’hyperthermie, de pharyngite ou
méningo-encéphalite [12].
Agent
- Est-il connu ou proche d’une espèce déjà identifiée ?
- Virulence, sévérité
- Est-il possible de caractériser l’agent ou de faire un diagnostic différentiel ?
- Existe-t-il une chaîne de transmission (inter-humaine, animal-homme) ?
- Modes de transmission (supposés ou avérés)
Hôte
- Données cliniques et épidémiologiques
- Degré de susceptibilité (immunité antérieure, vulnérabilité, immunodépression…)
- Type d’exposition (contact avec animaux, voyages, environnement professionnel…)
Environnement
- Nature de l’exposition (contact inter-espèces, hôte intermédiaire, milieu de soins…)
- Risque de diffusion internationale (phénomène identifié dans plusieurs pays ?)
- Rôle du changement climatique ?
- Autres facteurs environnementaux ?
- Environnement social et économique
- Perception sociale, médiatique et politique du risque
Tableau I.
Critères utilisés dans l’appréciation des risques à l’Institut de veille sanitaire [9]
3. Les facteurs d’émergence
Dans la nature, il existe un équilibre entre les agents pathogènes, les hôtes et leur
environnement. La maladie apparaît, à la jonction de ces trois ensembles, lorsque cet
équilibre est rompu (figure 4). Une rupture brutale de cet équilibre favorise les
mécanismes d’émergence. Plus généralement, le processus d’émergence des maladies
infectieuses semble associé à une combinaison multiple et complexe de facteurs
environnementaux, sociodémographiques, économiques ou comportementaux que
nous allons maintenant illustrer à l’aide d’exemples.
3.1. Agent nouveau
Une émergence est due à un agent nouveau lors de la première identification du
micro-organisme. Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas d’une émergence mais de la
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Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 4.
Schématisation du
principe des équilibres
dynamiques entre
l’homme, un agent
infectieux et son
environnement.
reconnaissance, grâce aux progrès des techniques de laboratoire, d’un agent étiologique
responsable d’une maladie déjà connue. Par exemple, la maladie des griffes du chat
constituait une entité clinique connue bien avant la mise en évidence de son agent
étiologique, Bartonella henselae.
Le SRAS est apparu sous forme épidémique en 2003, provoqué par un
Coronavirus nouveau pour l’homme [13]. Entre les mois de février et de juillet, environ
8 000 personnes ont été touchées dans 33 pays et 774 décès ont été constatés (données
OMS). Issu d’un réservoir animal mal identifié, ce virus s’est transmis de personne à
personne par des gouttelettes de salive, lors de contacts rapprochés [14]. La réponse
internationale a été rapide et efficace grâce au partage des compétences scientifiques
et une coordination assurée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
3.2. Modifications de l’agent
Les micro-organismes ont la capacité d’évoluer et de s’adapter à leur
environnement. Ils peuvent, par exemple, devenir plus virulents ou plus contagieux,
produire de nouvelles toxines, changer leur apparence pour tromper la mémoire
immunitaire de leurs hôtes ou, plus rarement, devenir pathogènes alors qu’ils ne
l’étaient pas auparavant. Des phénomènes de mutation ou des réassortiments de matériel génétique sont
connus pour avoir modifié la virulence de certains agents. Les virus influenza aviaire
faiblement pathogènes de sous-type H1 à H16 circulent dans la nature, au sein des
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
populations d’oiseaux sauvages, notamment les canards. Ces virus peuvent passer sur
des volailles domestiques et dans certains cas des mutations, pour les sous-types H5
ou H7, peuvent conduire à l’apparition d’un variant hautement pathogène, à l’origine
d’épizooties aviaires. Ce mécanisme s’est produit à plusieurs reprises dans le passé.
Dans le cas du virus de la grippe aviaire H5N1 hautement pathogène, des
contaminations humaines ont eu lieu secondairement, dans des situations de
promiscuité importante avec les oiseaux malades. Le virus grippal H1N1 2009 à l’origine de la dernière pandémie grippale, résulte
d’une succession de réassortiments entre des souches porcines, aviaires et humaines
(figure 5). Les virus grippaux, de par leur ARN segmenté, ont en effet une importante
capacité de recombinaison, lorsque des sous-types différents infectent une même
cellule. Figure 5.
Réassortiments génétiques successifs dans la genèse du virus grippal A H1N1 2009 pandémique.
La toxoplasmose à Toxoplasma gondii est une zoonose parasitaire largement
répandue au plan mondial et en principe bénigne, sauf pour les femmes enceintes et
les individus immunodéprimés. Pourtant, en Amazonie, des formes graves ont été
diagnostiquées, avec implication viscérale principalement pulmonaire. En milieu
militaire, au moins 15 cas sévères dont un cas mortel se sont produits en Guyane,
depuis le début des années 1990 [15]. Ces cas de toxoplasmose sévère survenant chez
des individus en bonne santé, sont dus à une souche particulièrement virulente de
Toxoplasma gondii, associée à un cycle épidémiologique différent dans lequel de
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LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
grands félidés sauvages sont les hôtes définitifs à la place du chat dans le cycle
domestique.
Dès 1945, Fleming avait mis en garde sur les risques liés à la mauvaise utilisation
de sa découverte, la pénicilline ; il évoquait la nécessité d’utiliser la juste dose pour
tuer les microbes, afin de ne pas « éduquer » les germes à devenir résistants. L’OMS
a identifié différents facteurs incriminés dans l’apparition de résistances aux
antibiotiques : prescription excessive chez l’homme, traitements mal suivis ou
empiriques, automédication dans les pays pauvres, utilisation abusive en élevage
notamment pour des traitements préventifs. Les mécanismes de résistance acquise
reposent sur la sélection de mutations (verticale) ou le transfert génétique (horizontal).
À l’échelle mondiale, on a assisté par exemple à la propagation de Salmonella
typhimurium, phage type 104 (DT 104), multirésistante définitive. Les staphylocoques
résistant à la méticilline représentent par ailleurs un problème de santé publique. Outre
les cas d’infections nosocomiales, des contaminations ont pu se produire au contact
de chevaux, de chiens ou de chats. Aux États-Unis, 27 personnes et 79 chevaux ont
été infectés entre octobre 2000 et novembre 2002. Sur les 27 personnes, 17 travaillaient
à l’hôpital vétérinaire où des chevaux infectés étaient soignés [16].
3.3. Franchissement de la barrière d’espèce
À l’interface entre l’agent pathogène et les facteurs liés à l’homme, se trouve la
notion de barrière d’espèce et son franchissement [17]. Il est rare qu’un agent
pathogène n’infecte qu’une seule espèce d’hôte. En général, de nombreuses autres
espèces sont réceptives même si elles ne sont pas sensibles et ne développent pas de
signes cliniques. L’infection peut alors être révélée par la mise en évidence de l’agent
ou les anticorps qu’il a induits. Le franchissement de la barrière d’espèce, aboutissant
à des signes cliniques, pourrait être favorisé par l’évolution de facteurs écologiques,
socio-économiques et sanitaires. De façon générale, les agents pathogènes qui
franchissent la barrière d’espèce deviennent moins virulents, mais il existe des
exceptions. De plus, le franchissement de la barrière d’espèce est souvent associé à
une faible transmission ultérieure de personne à personne, de sorte que, s’il s’agit d’un
évènement banal notamment pour les virus, la réussite émergentielle est beaucoup plus
rare [18].
La capacité d’un agent à franchir la barrière d’espèce, c'est-à-dire à provoquer des
signes cliniques chez une nouvelle espèce, a pu être constatée lors de l’apparition chez
l’homme d’infection due au nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cet
exemple sera développé ultérieurement.
Le virus H5N1 responsable de la dernière une épizootie d’influenza aviaire a
provoqué les premiers cas humains en Asie en 1997 mais a surtout diffusé à partir de
2003, au Moyen-Orient et en Afrique. En 2010 des cas humains sont apparus en Europe
de l’Est. Des cas de contamination humaine sont restés en nombre limité au plan
mondial et se sont produits dans des conditions particulières de grande promiscuité
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
385
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
avec des oiseaux infectés. De 2003 à fin 2011, 577 cas humains dont 332 décès (létalité
de 58 %) ont été déclarés dans 15 pays (données OMS). Le franchissement de la
barrière d’espèce s’est également produit vers d’autres espèces puisque des chats,
grands félidés, chiens et ânes ont été trouvés infectés. Les Lentivirus sont également dotés de capacité de franchissement de la barrière
d’espèce. Le VIH, responsable du SIDA, a émergé au début des années 1980 [19].
Dans ce cas, le franchissement de la barrière d’espèce est une réussite complète puisque
le virus s’est entièrement adapté à l’homme de sorte que tous les cas résultent d’une
transmission interhumaine.
La fièvre Ébola, en partie responsable de la raréfaction des grands singes
d’Afrique, a provoqué des épidémies humaines identifiées depuis 1976 [20]. Certaines
personnes disposent d’une immunité qui les protège contre ce virus au pouvoir
pathogène très élevé.
3.4. Modifications du réservoir vertébré
En Europe occidentale et centrale, il apparaît que les cas d’hantavirose provoqués
par le sérotype Puumala, sont étroitement corrélés à la densité de population de leur
réservoir naturel, le campagnol roussâtre, Myodes glaerolus [21]. En réalité, la
prévalence de l’infection s’accroît chez le rongeur sauvage avec la densité de la
population, ce qui induit une plus forte excrétion dans l’environnement via les matières
fécales. La dynamique des populations de campagnols roussâtres est notamment
fonction des ressources alimentaires, en particulier les faînes de hêtres et les glands de
chêne. Il existe ainsi des épidémies tous les 2 à 4 ans, en rapport avec les conditions
climatiques et météorologiques qui entraînent un accroissement de la biomasse. Cet
exemple montre l’aspect global des zoonoses émergentes et l’enchaînement des
évènements, d’autant que dans la réalité, de nombreux autres facteurs interviennent
(Heyman, communication personnelle).
La première épizootie à virus Hendra (Henipavirus, Paramyxoviridae) survenue
en Australie en 1994, résulte du passage du virus de son réservoir habituel, une chauvesouris (roussette), à des chevaux. Une amplification virale s’est produite chez les
chevaux, ce qui a permis un passage à l’homme. D’autres épizooties sont survenues
en 1995, 1999 et 2004. Au cours de ces épisodes, quatre personnes ont été touchées,
dont deux sont décédées. L’émergence réussie chez les chevaux est restée pour le
moment, heureusement, un échec relatif chez l’homme [22].
3.5. Modifications liées aux vecteurs
De nombreux facteurs influencent la transmission par des arthropodes
hématophages. Les vecteurs peuvent être dispersés vers de nouvelles régions par les
vents ou le déplacement de leurs hôtes animaux. Les migrations des oiseaux ont pu
être mises en cause dans la dispersion de pathogènes transmis par les tiques molles. 386
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
À côté de ces mécanismes naturels, l’homme intervient également. Ainsi, il est
reconnu qu’Aedes albopictus, nommé moustique tigre, vecteur du Chikungunya et de
la dengue, a été transporté depuis son berceau asiatique, dans le monde entier,
notamment par l’intermédiaire des pneus usagés qui constituent d’excellents gîtes
larvaires. Le moustique tigre est désormais implanté en Europe du Sud où il fait l’objet
d’une surveillance entomologique [23].
Bien connu de longue date en Afrique et en Europe, le virus West Nile est apparu
pour la première fois dans le Nouveau Monde, à New York, en 1999 [24]. Son
introduction pourrait résulter de l’importation de moustiques infectés dans un
écosystème très favorable au développement d’un cycle d’amplification. Le cycle entre
les moustiques vecteurs et les oiseaux réservoirs s’est propagé en quelques années à
l’ensemble des États-Unis pour provoquer 600 cas mortels d’encéphalite entre 1999
et 2003. Cet exemple illustre le cas d’une importation par les voyages internationaux
d’un virus dans un lieu naïf, puis sa pérennisation et sa diffusion à l’échelle de tout un
continent, puisque le Canada et différents pays d’Amérique du Sud ont également été
touchés.
Les insecticides sont largement utilisés en santé publique, en agriculture et pour
un usage domestique. Cette pression insecticide a été à l’origine de l’apparition de
résistances, notamment chez des moustiques. Un gène de résistance commun à
différentes espèces de moustiques a d’ailleurs été identifié [25].
3.6. Modifications liées à l’environnement
Les facteurs environnementaux peuvent être physiques (changements climatiques,
déforestation…), socio-économiques (guerres, urbanisation…) mais aussi organisationnels
lorsque les structures de gouvernance sont défaillantes.
La mondialisation et le transport toujours plus rapide d’un nombre croissant de
marchandises et de passagers à travers le monde, s’accompagne aussi de la propagation
des agents pathogènes émergents. Le transport d’animaux vivants et de produits
d’origine animale est une voie très efficace de dispersion d’agents zoonotiques, parfois
sur de longues distances. Or, l’accroissement de la population et la mondialisation ont
considérablement accru les échanges de marchandises et par voie de conséquence, les
possibilités de diffusion d’agents infectieux. Si les oiseaux migrateurs ont été mis en
cause dans l’épizootie d’influenza aviaire H5N1, les experts considèrent que le virus
s’est surtout propagé par l’intermédiaire de produits de volailles. Par exemple, la
diffusion de la grippe aviaire en Turquie en 2005, s’est effectuée le long des voies
ferrées, en liaison avec le commerce de volailles infectées. C’est aussi le transport de
petits ruminants en provenance du Kenya, qui a provoqué l’introduction du virus de la
fièvre de la vallée du Rift, en Arabie saoudite et au Yémen, en 2000, causant une
importante épizootie. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est par le biais des
voyages aériens que le SRAS s’est répandu très rapidement, dans le monde entier, en
2003.
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
387
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
L’urbanisation avec le développement rapide de mégapoles sans infrastructure
correcte, favorise le développement de maladies infectieuses, de par la concentration
humaine, le manque d’hygiène et la promiscuité avec certains animaux. La
déforestation entraîne un déplacement de rongeurs sauvages et d’arthropodes, chassés
de leur habitat naturel, vers les habitations, ce qui peut conduire à la transmission
d’agents zoonotiques aux populations.
Aux États-Unis, c’est l’extension des villes à proximité des forêts qui semble être
le principal déterminant de l’émergence de la maladie de Lyme, due au spirochète
Borrelia burgdorferi. Les tiques vectrices se contaminent sur des rongeurs sauvages
qui jouent le rôle de réservoir.
Le réchauffement climatique qui se manifeste par une augmentation lente mais
avérée des températures moyennes, est un facteur pouvant favoriser la pullulation et
l’extension des zones de distribution des vecteurs [26]. Néanmoins, certains auteurs
considèrent qu’il est difficile de mettre en évidence un rôle déterminant et
statistiquement mesurable, du changement climatique sur l’émergence et la distribution
géographique de maladies infectieuses [27].
La mise en eau du barrage d'Assouan en Égypte, en 1977, a favorisé la pullulation
des moustiques et induit une épizootie de fièvre de la vallée du Rift. Habituellement
les épizooties font suite à des inondations ou des précipitations abondantes, qui
permettent une amplification virale chez les moustiques vecteurs.
3.7. Influence des systèmes d’élevage
L’homme agit également en modifiant les systèmes d’élevage pour y introduire
des perturbations qui peuvent être dévastatrices. L’abaissement des barèmes de traitement thermique des farines de viandes et d’os
en Grande-Bretagne, a provoqué à partir de 1986 une anadémie d’Encéphalopathie
spongiforme bovine (ESB), due à un variant du prion responsable. Ce n’est que
beaucoup plus tard, en 1996, en raison de la longueur de la période d’incubation, que
sont apparus les premiers cas humains provoqués par le nouveau variant de la maladie
de Creutzfeldt-Jacob (hv-MCJ). Contrairement aux estimations alarmistes initiales, les
mesures de gestion qui ont été prises ont permis de limiter l’impact du nouvel agent
dans les populations humaines. Jusqu’en 2011, 174 personnes ont été touchées au
Royaume-Uni et 25 en France.
Le virus Nipah a brusquement émergé chez l’homme en Malaisie, en 1998,
provoquant une grave épidémie d’encéphalites, faisant suite à une épizootie porcine
qui avait tué 5 % des porcs atteints [28]. Entre septembre 1998 et avril 1999, 245
personnes ont été infectées, dont 104 sont décédées [29]. La maladie a diffusé en
Australie, à Singapour, au Bangladesh, et en Inde. C’est l’intensification de l’élevage
porcin qui est mis en cause dans la survenue de ces épidémies.
Une épidémie majeure de fièvre Q (Coxiella burnetii) a touché les Pays-Bas de
2007 à 2010. La contamination humaine avait pour origine des élevages intensifs de
388
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
chèvres (jusqu’à 5 000 têtes) dans des stabulations ouvertes présentes à proximité de
grandes agglomérations. Le vent est en effet capable de transporter des aérosols
infectieux sur de grandes distances et la bactérie survit de façon prolongée dans le
milieu extérieur [30]. 3.8. Rôle des facteurs socio-économiques
Les facteurs socio-économiques jouent un rôle essentiel dans l’émergence des
maladies infectieuses. Les conflits et les guerres réduisent à néant les systèmes de santé
souvent fragiles. L’arrêt des mesures de lutte contre les rongeurs et les vecteurs laissent
la voie libre à la réémergence de zoonoses [5]. Dans ces situations, les services
vétérinaires sont également entièrement désorganisés et la lutte contre les agents
pathogènes n’est plus réalisée au niveau des populations animales. La pauvreté,
l’hygiène insuffisante, la malnutrition et la promiscuité, favorisent partout la
transmission des agents infectieux. Ainsi, la tularémie due à Francisella tularensis, a
provoqué une grave épidémie au Kosovo pendant la période de l’après-guerre (19992000), avec 327 cas confirmés sérologiquement [31]. La prolifération de rongeurs et la
contamination des puits et réserves alimentaires ont été identifiées comme facteurs de
risque, lorsque les habitants ont regagné leurs habitations après les bombardements [31].
D’autres bactérioses transmises par des arthropodes, comme Borrelia recurrentis,
Rickettsia conorii, Rickettsia prowazekii, Bartonella quintana, émergent en France
chez des personnes sans logis [32]. La promiscuité avec des animaux (chiens), une
mauvaise hygiène corporelle et un terrain immunitaire défaillant constituent des
facteurs de risque.
3.9. Modifications liées à l’homme
Il existe désormais des évidences sur la sensibilité individuelle qui explique que
face à la même exposition, certains individus développent la maladie et d’autres pas.
Le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob frapperait des sujets
génétiquement sensibles [33]. De même, le virus West Nile toucherait davantage
certaines personnes [34].
L’homme peut devenir plus sensible aux infections en raison de
l’immunodépression et de l’altération des barrières naturelles de protection.
L’immunodépression acquise peut elle même résulter d’une maladie comme le SIDA
ou de la mise en œuvre de traitements. Le VIH est devenu la première cause de
mortalité par maladie infectieuse dans le monde. La tuberculose est la maladie
opportuniste par excellence associée à l’immunodéficience du SIDA dans les pays en
voie de développement. D’autres infections zoonotiques opportunistes comme la
toxoplasmose, les leishmanioses ou la cryptosporidiose, émergent chez les sidéens.
Il est désormais reconnu que les individus sont plus sensibles aux microorganismes nouveaux pour lesquels leur système immunitaire est naïf. Cette situation
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
se produit lors des voyages, particulièrement vers des destinations exotiques et dans
les phénomènes migratoires [35].
L’homme, par son comportement alimentaire et son goût pour certains loisirs, a
pu favoriser l’apparition de zoonoses. La consommation de viande hachée
insuffisamment cuite a été à l’origine de foyers d’infection à Escherichia coli
O157 : H7, responsable d’un gravissime syndrome hémolytique et urémique chez les
enfants de moins de cinq ans. La prévention reste difficile car de nombreux ruminants
domestiques sont réservoirs et porteurs inapparents de cette bactérie. Le passage de la
bactérie du contenu digestif à la viande peut se produire à l’abattoir, si toutes les bonnes
pratiques d’hygiène ne sont pas mises en œuvre. En Pennsylvanie, 51 personnes ont
été contaminées entre septembre et octobre 2000, suite à la visite d’une ferme de vaches
laitières, dans laquelle plus de 10 % des animaux étaient excréteurs [36].
En France, des cas de trichinellose sont survenus suite à la consommation de
viande d’ours ramenée de parties de chasse au Canada. Ce carnivore concentre en effet
les parasites à partir de la consommation de proies infectées. La congélation de la
viande ne permet pas la destruction de certaines souches du parasite, plus
particulièrement résistantes. Au plan mondial, le commerce illégal de viande de brousse
constitue une vraie problématique. Ces denrées peuvent favoriser la transmission à
l’homme de nombreux Retrovirus portés par des singes africains. Des épidémies dues
au virus Ébola se sont produites en Afrique de l’Ouest, suite à la consommation de
viande de chimpanzés retrouvés morts.
Au début des années 1980, des épidémies de listériose d’origine alimentaire, après
consommation de produits de charcuterie ou de fromages au lait cru, ont provoqué
plusieurs dizaines de cas mortels. La mise en place de plans basés sur la méthode
d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (dite HACCP), dans toute
l’industrie agro-alimentaire et l’information des personnes à risque, ont permis une
diminution drastique des cas. À partir de 2006, une augmentation de l’incidence
touchant davantage les personnes âgées de plus de 60 ans a été mise en évidence. Cette
réémergence pourrait être en rapport avec la consommation d’aliments nouveaux,
d’aliments à teneur réduite en sel et de produits à date limite de consommation
prolongée [37].
Le comportement humain vis-à-vis des animaux de compagnie est également
incriminé. Des contacts étroits facilitent la transmission directe d’agents zoonotiques
(figure 6). Le développement des Nouveaux animaux de compagnie (NAC), à savoir
des rongeurs, reptiles, oiseaux, a été à l’origine de l’apparition de zoonoses nouvelles
[38]. En 2009, 20 cas de Cowpox sont survenus en France, tous dus à la même souche.
Simultanément, des cas semblables étaient rapportés en Belgique et en Allemagne,
suite au contact avec des rats de compagnie. Les investigations épidémiologiques
transfrontalières conduites ont permis de localiser en République tchèque l’élevage
qui avait approvisionné les différentes animaleries.
Aux États-Unis, 6 % des cas sporadiques de salmonellose seraient associés à la
détention d’un reptile ou d’un amphibien et cette proportion s’élève à 11 % pour les 390
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Figure 6.
Contact rapproché homme – animal.
personnes de moins de 21 ans [39]. Les auteurs estiment que 74 000 cas de
salmonellose sont attribuables chaque année, aux États-Unis, à la détention d’un reptile
ou d’un amphibien.
Par ailleurs, le développement des visites dans les fermes pédagogiques et les
parcs zoologiques, a été à l’origine de cas de zoonoses chez des enfants, suite à des
contacts directs ou indirects avec des animaux souvent porteurs inapparents [12].
Dans le tableau 2, les principaux facteurs d’émergence des maladies infectieuses
(incluant les zoonoses) sont classés par ordre de priorité. Ce classement a été établi à
partir d’une revue systématique portant sur 177 agents infectieux émergents [2]. Le
facteur arrivant globalement en tête et correspondant aux pratiques agricoles et
d’élevage, est encore plus important lorsque l’étude est limitée aux seuls agents
zoonotiques.
4. Organisation de la réponse
4.1. Les institutions
Au plan international, trois institutions principales sont impliquées dans la lutte
contre les zoonoses. Il s’agit de l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et de l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Aux États-Unis, les Centers for disease control and prevention (CDC) sont
également impliqués dans la lutte contre les zoonoses et mènent des actions dans le
monde entier. En Europe, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies,
European centre for disease prevention and control (ECDC), est opérationnel depuis
fin 2005.
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
391
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Rang
Facteur
Exemples d’agents
zoonotiques
1
Changement d’usage des sols, pratiques agricoles
et agronomiques et procédés liés
hv-MCJ
Nipah
2
Changement démographiques, sociétaux et
comportementaux
3
Précarité des conditions sanitaires
4
Liés à l’hôpital (nosocomial) ou à des erreurs de
soins et de pratiques
SRAS
Ébola
5
Evolution des agents pathogènes (augmentation
de la virulence, résistance aux antibiotiques…)
Influenza A H5N1
Toxoplasma gondii
6
Contamination par les aliments ou l’eau
7
Voyages et échanges humains intercontinentaux
Influenza A H1N1 2009
SRAS
8
Défauts, désorganisation des systèmes de santé
et de surveillance
Francisella tularensis
Brucella abortus
9
Transport économique de biens commerciaux et
d’animaux
Monkeypox
Fièvre de la vallée du Rift
10
Changement climatique
VIH
Trichinella spp.
Mycobacterium bovis
Rickettsia prowazekii
Salmonella spp.
E. coli
Leishmania spp.
Anaplasma phagocytophilum
Tableau 2.
Principaux facteurs identifiés dans l’émergence des maladies infectieuses, classés par ordre de priorité,
adapté de [2].
En France, la surveillance des zoonoses repose sur des réseaux
d’épidémiosurveillance civils et militaires. L’Institut de veille sanitaire (InVS) est au
cœur du dispositif et coordonne également un grand nombre de laboratoires, dont les
Centres nationaux de référence (CNR). 4.2. Les moyens
Tirant l’expérience de l’épidémie de SRAS en 2003, l’OMS a publié en 1995 un
nouveau Règlement sanitaire international (RSI), instrument juridique contraignant
pour les états membres signataires, qui vise à faire face aux maladies ayant une
importance internationale. Le texte précédent, publié pour la première fois en 1969,
ne faisait mention que de trois maladies à déclaration obligatoire, le choléra, la peste
et la fièvre jaune. Désormais, tout pays membre doit déclarer une urgence de santé
publique de portée internationale, définie selon un algorithme décisionnel. C’est la
Direction générale de la santé (DGS) qui est le point de contact RSI en France.
Afin de détecter au plus tôt et de combattre les maladies émergentes et
réémergentes, l’OMS s’est dotée en 1995 d’un outil, le réseau mondial d’alerte et
392
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
d’action (Global alert and response : GAR). Le GAR s’appuie sur environ
120 institutions comme en France les Instituts Pasteur, l’Institut national de veille
sanitaire ou encore l’Institut de médecine tropicale du service de santé des armées.
L’Institut Pasteur de Paris a mis sur pied une Cellule d’intervention biologique
d’urgence (CIBU), susceptible d’intervenir en cas d’épidémie, dans un contexte naturel
ou de malveillance. Pour répondre à ce même besoin d’investigation d’épidémies, le
ministère de la Défense a décidé de se doter d’un Élément militaire d’investigation
biologique et épidémiologique (EMIBE). Sur ordre de l’État-major des armées,
l’EMIBE sera capable d’intervenir en cas d’épidémie en milieu militaire ou civil,
partout dans le monde. Il regroupera des moyens de laboratoire de terrain et différents
spécialistes, épidémiologiste, biologiste, clinicien, vétérinaire et entomologiste. Le
Service de santé des armées dispose également du Groupe de travail en épidémiologie
animale (GTEA) dont la vocation est d’étudier les agents infectieux, dont les agents
zoonotiques, circulant dans les populations animales, en France et dans les différents
pays de déploiement des forces. Outre un travail de veille et d’expertise, le GTEA
conçoit et réalise des enquêtes de terrain visant à dépister des agents infectieux, évaluer
leur prévalence, identifier des facteurs de risque.
L’OIE dispose d’une base de données accessible sur internet (Handistatus) sur les
maladies touchant les animaux, dont les zoonoses, alimentée à partir de la déclaration
des pays membres. L’organisation dispose également d’un réseau de laboratoires de
référence et d’experts mondialement réputés. L’OIE édicte des normes reconnues par
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour les échanges d’animaux vivants
et de produits d’origine animale.
Ces différentes institutions coordonnent des réseaux d’épidémiosurveillance qui
reposent notamment sur des systèmes de déclaration obligatoire de maladies, en
médecine vétérinaire et humaine et l’exploitation des données des centres nationaux
de référence (CNR) et laboratoires nationaux de référence. Il existe aussi des réseaux
plus spécifiques, comme le réseau FluNet, qui depuis 1948 assure une surveillance
mondiale de la grippe.
Les moyens de laboratoire sont essentiels pour détecter, identifier et caractériser
les agents infectieux. Le diagnostic des agents zoonotiques émergents est réalisé dans
des laboratoires experts qui emploient diverses techniques, microbiologie classique,
sérologie, détection d’antigènes par des méthodes immunologiques, détection du
génome ADN ou ARN (PCR, RT-PCR). Dans l’avenir des méthodes physiques de
spectrométrie de masse et les biopuces sont amenées à se développer.
4.3. La mise en œuvre
Pour toute zoonose émergente, il est possible de distinguer trois phases, à savoir
l’introduction de l’agent dans la population, sa dissémination, puis sa pérennisation. Il
est donc important de savoir détecter au plus tôt l’introduction d’un pathogène, pour
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
393
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
limiter les deux phases suivantes. Face à une menace zoonotique, la rapidité de
détection est cruciale afin de mettre en place des actions de lutte efficaces. En effet, il
n’est pas rare qu’une maladie se propage pendant une longue période avant d’être
détectée, ce qui en accroît les conséquences défavorables.
Lorsque un risque potentiel pour la santé publique est décelé suite à l’analyse des
signaux fournis par la surveillance, des mesures de communication aux acteurs et à la
population concernée et des mesures de réduction du risque sont mises en œuvre. Dans
le domaine des zoonoses, les mesures de réduction du risque en amont consistent à
agir sur le réservoir animal. Il est ainsi possible de vacciner des renards par voie orale
contre la rage, de dépister et d’abattre les ruminants atteints de brucellose. Mais le plus
souvent les actions mises en œuvre consistent à interrompre les voies de contamination
à l’homme. Dès lors, l’information de la population est essentielle pour communiquer
sur les risques, les modes de transmission et les moyens de protection. Les mesures
spécifiques de lutte sont fonction des modes de transmission, de l’existence de vaccin
ou de chimioprophylaxie. Une stratégie globale de réponse à la menace peut alors être
élaborée.
Face à la menace des zoonoses émergentes, il ne doit pas exister de frontière entre
médecine humaine et vétérinaire, selon le principe one health, une seule santé. Plus
largement, la prévention et la lutte contre les zoonoses nécessitent une collaboration
étroite entre différentes disciplines scientifiques, médecine, épidémiologie,
microbiologie, écologie, modélisation mathématique et environnementale. La
pandémie grippale a également mis en évidence l’importance de l’apport des sciences
humaines et sociales qui permettent de comprendre les attitudes et le comportement
de la population.
5. Conclusion
L’émergence d’une zoonose résulte d’interactions complexes entre des facteurs
liés à l’agent, à l’hôte et à l’environnement dans ses différentes composantes.
Habituellement, l’inquiétude initiale est renforcée par le manque de données sur
l’agent, sa provenance et ses modalités de transmission. Aussi, la préparation implique
de renforcer la recherche dans tous ses domaines et selon une approche
interdisciplinaire.
S’agissant de zoonoses, la surveillance des agents, en amont, à savoir au sein des
populations animales, permet une détection précoce de phénomènes anormaux et par
conséquent, une lutte plus efficace voire une prévention des cas humains. À titre
d’exemple, la menace permanente que représentent les virus grippaux de par leur
capacité à muter rapidement, justifie d’une surveillance renforcée portant notamment
sur les populations aviaires et porcines.
Les expériences des épidémies du SRAS et de la grippe A H1N1 2009, ont permis
de constater l’efficacité de la réponse internationale, à la fois scientifique et politique,
394
Chaire d’épidémiologie, santé publique et prévention appliquée aux armées
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
ce qui constitue un point rassurant pour l’avenir. Si comme le disait Nicolle en 1930,
« il y aura donc des maladies nouvelles », au moins est-il permis d’espérer que les
pires expériences du passé, comme les épidémies de peste au Moyen-âge, seront
évitées.
Enfin, l’aide aux pays en voie de développement est dans le domaine des zoonoses
émergentes plus que jamais nécessaire, pour assurer la protection de ces pays mais
aussi celle des pays développés, dans un ensemble mondialisé.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Bernard Davoust,
Nina Faure, Catherine Verret, Stéphanie Watier-Grillot.
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
398
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Chaire de sciences
pharmaceutiques
appliquée aux armées et
risque chimique
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
399
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
400
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Les produits de santé pour la médecine
de l’avant
Xavier Bohand
1. Introduction
« Dans son combat contre le terrorisme, la France vient d’être durement frappée.
Hier, dix de nos soldats appartenant au 8e Régiment de parachutistes d’infanterie de
Marine, au 2e Régiment étranger de parachutistes et au Régiment de marche du Tchad
sont morts en Afghanistan. Vingt et un autres ont été blessés, au cours d’une mission
de reconnaissance conjointe avec l’armée afghane ». C’est par ces mots que s’exprimait
le Président de la République française au lendemain de l’embuscade tendue aux
militaires français dans la vallée de l’Ouzbeen en 2009. Plusieurs mois après cet
événement majeur, certains de ces blessés étaient toujours hospitalisés dans les
hôpitaux d’instruction des armées et ne devaient leur survie en partie qu’à une prise
en charge sanitaire très précoce. Cette tragique expérience démontre que le feu du combat rend le milieu, dans
lequel évoluent les militaires, de plus en plus hostile. Bien évidemment, d’autres
facteurs comme le relief du terrain, l’environnement géographique, les conditions
climatiques, le port de charges lourdes (tenues de protection et munitions), ou encore
les difficultés de communication contribuent également à entretenir une sensation
d’isolement anxiogène pour le combattant. Déployé au plus près du combattant, le
soutien sanitaire répond ainsi à une demande forte des états-majors militaires désireux
d’apporter aux forces une aide efficace et rassurante. Le Service de santé des armées
(SSA) a ainsi pour mission prioritaire d’assurer le soutien sanitaire des forces dans le
but de maintenir leur capacité opérationnelle.
Ce soutien doit s’exercer en permanence et particulièrement quand les unités
s’éloignent de leurs bases arrières, notamment sur ces théâtres d’opérations extérieures.
Pour être efficace, il doit disposer de produits de santé adaptés à cet exercice médical
très particulier.
2. La médecine de l’avant
L’avant, c’est le lieu où se trouvent les combattants blessés. C’est au XIXe siècle
sous le 1er Empire que les barons Percy, Larrey et Desgenettes ont inventé le concept
de la médicalisation de l’avant. À l’origine, un constat simple : les blessés graves
décédaient durant leur transport avant l’arrivée à l’hôpital. Il devenait impératif
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401
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
d’apporter sur place les soins qui leur étaient nécessaires. Le principe de la compétence
médicale qui se déplace au plus vite auprès du blessé venait de naître. Le baron Percy
propose alors la création d’un corps de brancardiers d’ambulance afin d’améliorer la
relève des blessés. Il accroît la mobilité des équipes chirurgicales en transformant un
caisson d’artillerie en ambulance mobile très vite baptisée par les grognards « Saucisse »
ou « Wurst » de Percy (figure 1).
Figure 1.
La Wurst du Baron Percy.
Jusqu’en 1989, date de l’effondrement du bloc soviétique, le soutien sanitaire est adapté
à une menace frontale, un engagement massif de blindés et de fantassins en Centre
Europe et le soutien sanitaire s’articule autour de quatre étapes orientées dans la
profondeur. Cette organisation hiérarchisée ne permettait au blessé de recevoir des
soins médicaux qu’au niveau du poste de secours. Depuis 1995, un nouveau concept
est adopté, basé sur deux constats éthiques devenus primordiaux : – le combattant doit pouvoir bénéficier des mêmes soins sur les théâtres
d’opération qu’en métropole ;
– il ne suffit plus de sauver des vies, il faut préserver ou restaurer au maximum
les fonctions garantissant aux blessés la meilleure qualité de vie future.
Parallèlement, de nouveaux types d’armes comme les engins explosifs improvisés
(véhicules chargés d’explosifs ou bombes déclenchées à distance) et d’autres modalités
de guérilla (attentat suicide notamment) sont apparus [1]. L’analyse des causes de
blessures observées en Irak et en Afghanistan pointe une large proportion de blessures
des extrémités. Elles sont essentiellement dues à des explosions, bien loin devant celles
par armes à feu [2]. Le blessé de guerre moderne est donc essentiellement un blessé
des membres par explosion [3]. Par rapport à des conflits plus anciens, les blessures
au niveau du thorax sont proportionnellement en régression, témoignant probablement
de l’efficacité des gilets pare-éclat. L’utilisation des nouvelles armes confronte ainsi
le SSA à des types de blessures particulièrement délabrantes et pouvant occasionner
402
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LES ANNALES DE
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des brûlures étendues. En l’absence d’intervention médicale rapide, l’hémorragie,
l’obstruction des voies aériennes supérieures et le pneumothorax créent des situations
rapidement létales pour le combattant blessé [4]. Dans ce contexte et selon les principes de la doctrine du SSA, les équipes
médicales et chirurgicales sont amenées au plus près du combattant et les blessés
doivent être évacués précocement. La médicalisation de l’avant correspond au Role 1
et comprend la relève (soin under fire), le conditionnement médical primaire (soin au
point médical) et les évacuations sanitaires tactiques réalisées au sein des unités. Elle
a pour but de sauver le maximum de vies, de limiter les séquelles potentielles des
blessures tout en contribuant à l’entretien du moral des combattants dans un
environnement difficile et hostile.
La composante santé d’une unité en opérations, appelée Unité médicale
opérationnelle (UMO) placée sous l’autorité du médecin chef de l’unité comporte au
niveau de l’avant :
– des Postes médicaux (PM) qui disposent de dotations techniques particulières
(figure 2) ; – des moyens d’évacuation sanitaire.
Figure 2.
Poste médical dans
l’armée de Terre.
Selon les circonstances, l’UMO sera installée dans un bâtiment, un véhicule, sous
tente mais en version « allégée », il pourra s’agir seulement de cantines dans un
véhicule ou parfois d’un simple sac à dos.
La mission de l’équipe du PM, souvent éloignée d’une structure chirurgicale, est
de soutenir les personnels sur le terrain, en particulier ceux qui patrouillent à plusieurs
heures de leur PM. Le médecin n’est pas forcément présent avec les combattants. Le
soutien santé est alors confié à des infirmiers et des brancardiers-secouristes ayant la
qualification de Sauvetage au combat niveau 2 (SC2). L’implication de paramédicaux
dans les unités opérationnelles a été largement illustrée par leur intégration au sein des
Operational Mentor and Liaison Teams (OMLT) en Afghanistan [5].
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Aujourd’hui, l’exercice de la médecine de l’avant fait partie des missions
régaliennes du SSA dans le cadre du soutien apporté aux forces. Il représente un
objectif ambitieux, difficile à mettre en œuvre en tout temps et en tous lieux. L’équipe
médicale projetée à l’avant doit être dotée à la hauteur des missions qui lui sont
confiées. Les réflexions menées au sein du SSA ont pour objectifs de mettre en place
une organisation efficace et de proposer aux équipes qui devront intervenir sur le
terrain des produits de santé adaptés.
3. Les produits de santé nécessaires à la
médecine de l’avant
Aujourd’hui, le concept qui prévaut est celui du damage control, dont le but est
de privilégier à toutes les étapes de la prise en charge du blessé la priorité de la
correction des désordres physiologiques sur la réparation anatomique, en insistant
particulièrement sur le contrôle des hémorragies, des états de choc et l’amélioration
de l’oxygénation tissulaire. C’est en effet au niveau du Role 1 que doivent être réalisés
les gestes de survie simplifiés à l’aide de produits de santé adaptés. La méthode
MARCHE (Massive bleeding control, Airway, Respiration, Choc, Heat/Hypothermia,
Evacuation) s’attache à classer par ordre de priorité les points vitaux à évaluer lors de
la prise en charge du blessé. Le choix des produits de santé doit ainsi répondre à ce
concept de prise en charge, à d’autres situations moins fréquemment rencontrées
(risque chimique…) mais également aux contraintes de leur utilisation. Ainsi, au-delà
de l’intérêt thérapeutique qui prévaut, tout produit de santé destiné à la médecine de
l’avant mérite une évaluation complète. En effet, des critères comme la praticabilité
en toute circonstance, la simplicité d’utilisation, la légèreté, le coût, mais également
les modalités de formation des intervenants sont à prendre en compte pour valider ou
réfuter le référencement d’un produit de santé destiné à la médecine de l’avant.
À partir de l’ensemble de ces éléments, le SSA a défini et mis en œuvre au cours
des dernières années une politique de choix de produits de santé afin d’équiper de la
façon la plus efficiente possible les équipes soignantes assurant la médicalisation de
l’avant. 3.1. Hémorragies et produits de santé
Les hémorragies sont très redoutées. Elles représentent la première cause de
mortalité en opérations extérieures. En effet, si près de 50 % des blessés décèdent de
leur hémorragie dans les minutes suivant la survenue de leurs blessures, environ 75 %
d’entre eux vont décéder dans la première heure. De ce constat découlent deux notions :
– la notion des « 10 minutes de platine » (platinum ten minutes) : délai pendant
lequel seuls les camarades de combat du blessé vont pouvoir donner les premiers gestes
salvateurs ;
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LES ANNALES DE
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– la notion de « l’heure en or » (golden hour) : délai maximal de la prise en charge
médicale permettant la stabilisation en vue de l’évacuation [6].
Dans ces conditions, l’hémostase doit être la plus rapide possible. Les blessés en
état de choc dont le saignement est externe doivent bénéficier d’une hémostase
immédiate, souvent à l’aide de moyens simples d’efficacité reconnue comme les
garrots [7]. Il existe deux grandes situations de pose d’un garrot : la situation «
médicale » après échec du pansement compressif et des compressions manuelles et la
situation « tactique » où le dispositif est appliqué par la personne la plus proche, ou
parfois par le blessé lui-même, dans des conditions de sécurité précaires (dites « sous
le feu ») en attendant d’être à l’abri. Plusieurs types de garrot existent. Historiquement,
le garrot réglementaire de l’armée française est constitué d’une ceinture tressée que
l’on serre manuellement à la racine du membre. Le garrot de type « tourniquet » a été
rajouté à la dotation de la trousse du combattant fin 2008. Ce garrot peut être mis en
place par le blessé lui-même à l’aide d’une seule main (figure 3). Désormais, chaque
combattant porte sur lui, immédiatement accessible, son garrot « tourniquet ». Le garrot
pneumatique possède une large section comprimant efficacement la racine du membre,
mais il est de coût plus élevé, plus fragile et surtout plus lourd. Ce garrot est disponible
dans les PM.
La prise en charge des hémorragies repose également sur la compression manuelle
et sur l’utilisation de pansements. Pansement simple composé de compresses et d’une
bande de jersey afin de le maintenir sur la plaie, le pansement de type C a rapidement
montré ses limites et son efficacité relative (figure 4). Les pansements compressifs et
les bandages modulaires de type Olaes® constituent une alternative intéressante
(figure 5). Figure 3.
Le garrot tourniquet.
Figure 4.
Pansement de type C.
Les dernières recherches se sont orientées vers l’utilisation de pansements
hémostatiques en traumatologie de guerre. Ces pansements sont indiqués après les
échecs des moyens traditionnels, sur des lésions non accessibles au garrot ou utilisables
d’emblée sur des hémorragies majeures. Le Dry Fibrin Sealant Dressing®, élaboré
par des chercheurs de l’US Army mais de coût élevé, le HemCon Bandage® utilisé
par les américains en Irak et Afghanistan et le WoundStat® illustrent ces nouveaux
dispositifs. Le SSA a, pour sa part, fait le choix du QuikClot®, constitué de zéolithe.
Il s’agit d’un microgranule minéral non biodégradable, qui au contact du sang adsorbe
fortement l’eau, et procure en concentrant les éléments figurés du sang un effet
hémostatique. Il est conditionné dans un sachet de gaze à quatre compartiments, prêt
à l’emploi et adaptés aux grandes lésions (figure 6).
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
Figure 5.
Pansements compressifs d’urgence (pansement israélien).
Figure 6.
Pansement QuickClot®.
3.2. Choc hémodynamique et produits de santé
Le choc hémodynamique fait partie des pathologies à traiter pendant la golden
hour [8]. La réanimation initiale du choc hémorragique est basée sur un remplissage
vasculaire n’ayant pas comme objectif la restauration de la pression artérielle normale
mais plutôt l’obtention de valeur compatible avec la survie du patient jusqu’à son
arrivée au bloc opératoire. En effet, de nombreux travaux ont montré que, tant que le
saignement n’est pas contrôlé, un remplissage massif augmente la spoliation sanguine
et induit une surmortalité. Le remplissage par sérum salé hypertonique, du fait du faible
volume administré et de sa simplicité d’utilisation, est particulièrement intéressant
pour le choc traumatique de l’avant. Préféré au soluté associant du chlorure de sodium
à 7,2 % et un hydroxyéthylamidon de poids moléculaire de 200 000 daltons pour des
raisons de pouvoir d’expansion volémique, de coût et d’absence de toxicité rénale, le
chlorure de sodium hypertonique 7,5 %, fabriqué par la Pharmacie centrale des armées
(PCA) d’Orléans est adapté au concept de small volume resuscitation permettant de
remplir sans détériorer le poumon et le cerveau et de rétablir la microcirculation
(figure 7). Il est actuellement présenté sous forme de poche PVC de 250 mL, sous
statut de préparation hospitalière. La durée de péremption est actuellement fixée à 2 ans
mais son remplacement en 2012 par une poche polyoléfine tri couche sans PVC doit
406
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LES ANNALES DE
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permettre d’augmenter cette péremption et faciliter la gestion logistique de ce
médicament. La poche de chlorure de sodium hypertonique 7,5 % est désormais
disponible dans la trousse individuelle du combattant.
Figure 8.
Dispositif d’injection
intra-osseuse : Bone
Injection Gun®.
Figure 7.
Poche de NaCl 7,5 %.
Figure 9.
Dispositif d’injection intra-osseuse : EZ-IO®.
Un accès vasculaire est nécessaire en médecine de l’avant pour effectuer un
remplissage, injecter des produits analgésiques ou anesthésiques, une
antibioprophylaxie ou titrer l’adrénaline. Pourtant le cathétérisme veineux périphérique
est un geste difficile, d’autant plus que le sujet est hypovolémique ou hypotherme. La
voie intra-osseuse est alors une solution intéressante. Développée initialement en
pédiatrie [9], son utilisation chez l’adulte s’est multipliée [10]. Les solutés et
médicaments perfusés par voie osseuse possèdent des profils cinétiques très proches
de la voie intraveineuse. La mise en place d’une perfusion intra-osseuse peut se faire
en moins d’une minute avec des conditions d’administration aussi sûres qu’avec une
voie veineuse. Le Bone Injector Gun® et l’EZ-IO® sont actuellement disponibles au
sein du SSA (figures 8 et 9). L’évaluation de l’utilisation de ces dispositifs médicaux
dans un contexte militaire apparaît très satisfaisante [11]. Le risque infectieux ou la
fracture de l’os perforé constituent les principales complications de cet abord. 3.3. Détresses respiratoires et produits de santé
La désobstruction de la cavité buccale et du pharynx repose sur l’extraction des
corps étrangers et la mise en place d’une canule oro-pharyngée de type canule de
Guédel empêchant la chute de la langue en arrière. Dans les cas de détresse respiratoire
asphyxique avec mort imminente, la coniotomie, trachéotomie réalisée entre les
cartilages cricoïde et thyroïde, peut être mise en œuvre facilement en urgence. Cette
technique se pratique sous anesthésie locale par incision au bistouri de la membrane
cricothyroïdienne puis intubation trachéale par une sonde courte de taille 6 ou
l’utilisation d’un kit Minitrach II®.
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En opération extérieure, l’oxygène s’avère d’une grande utilité dans certaines
circonstances comme les syndromes de détresse respiratoire. Le SSA a fait le choix de
l’autonomie et assure lui-même la production, le contrôle et l’approvisionnement de
ce médicament. Afin de s’affranchir des contraintes logistiques avec la métropole, le
SSA a mis en place un système de production adapté aux théâtres d’opération,
garantissant ainsi la sécurité d’approvisionnement. Le module de production d’oxygène
d’usage médical par concentrateurs intégrés en conteneur iso 20 pieds produit de
l’oxygène à 93 %, désormais conforme à la pharmacopée européenne.
3.4. Douleur, stress et produits de santé
La prise en charge de la douleur est basée sur la mise à disposition du combattant
d’un dispositif d’auto-injection plastique de 1ml de morphine 10mg/1ml produit par
la PCA. Cet Uniject® de morphine a désormais remplacé les syrettes de morphine
(figure 10). La trousse individuelle du combattant contient deux Uniject® de morphine.
Ce dispositif peut être mis en œuvre directement par le blessé lui-même ou par son
binôme de combat. Dans le cas de douleurs très intenses, le fentanyl, qui existe sous
différentes formes (comprimés gingivaux, formes nasales…), pourrait constituer un
complément intéressant. La kétamine, anesthésique général vieux de plus de 50 ans,
présente un intérêt certain en médecine de l’avant. Il possède en effet un effet
Figure 10.
Uniject® de morphine.
hypnotique dose-dépendant, un effet analgésique et préserve la ventilation spontanée.
Son utilisation concomitante à un morphinique en potentialise les effets. Sont
néanmoins à regretter des effets psychodysleptiques et une hypersialorrhée.
La prise en charge des troubles psychiatriques induits par la violence des situations
vécues se fait selon les principes de Salmon, psychiatre américain qui officiait durant
la Première Guerre mondiale : proximité, expectative, simplicité des moyens et
parcimonie. Aussi, le traitement de l’état de stress aigu rencontré dans les combats de
haute intensité se limite, au plan pharmacologique, à la prise en charge des
manifestations comportementales du sujet exposé. Les éventuelles manifestations
confusionnelles sont traitées par l’administration d’un antipsychotique : la loxapine.
Ce principe actif est caractérisé par un profil incisif et une action sédative assez rapide.
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LES ANNALES DE
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Lors du debriefing après retour à la base avancée, le temps est laissé à l’expectative
associée à une médication anxiolytique à base de benzodiazépines. Il s’agit pour le
médecin et le psychiatre éventuellement appelé « pour avis » de répondre à la question
« que faire du combattant présentant un état de stress aigu non blessé : retour au combat
ou évacuation sanitaire vers le Role 2 ou 3? ». Enfin, il ne faut surtout pas oublier que
tout blessé somatique est aussi un blessé psychique.
3.5. Autres risques et produits de santé
La diversité des situations rencontrées impose aux équipes médicales qui
interviennent très tôt de faire preuve d’une très grande capacité d’adaptation dans un
contexte parfois difficile et d’assurer au plus vite les premiers soins. Pour ce faire, il
est nécessaire de disposer de matériels et produits de santé répondant aux objectifs
fixés, dont voici quelques exemples.
Si l’on prend le problème de l’infection des plaies traumatiques, le dogme « toute
plaie de guerre est une plaie contaminée » impose la mise en place d’une
antibioprophylaxie dans les plus brefs délais. Le SSA après avis d’expert a retenu
l’association amoxicilline/acide clavulanique. Le choix de l’US Army s’est porté sur
l’utilisation d’une fluoroquinolone directement détenue par le combattant dans sa
trousse de secours.
Dans un registre tout à fait différent, sur le théâtre afghan, le risque d’une
utilisation de l’arme chimique a conduit le SSA à mettre à disposition des équipes
soignantes l’Ineurope®. Ce médicament est indiqué dans le traitement des intoxications
par les neurotoxiques organophosphorés [12]. Il se compose d’un compartiment
contenant sous forme lyophilisée du sulfate d’atropine (2 mg), du chlorhydrate
d’avizafone (20 mg) et du méthylsulfate de pralidoxime (350 mg), et d’un
compartiment contenant le solvant de reconstitution (figure 11). L’Ineurope® doit être
reconstitué sur ordre des autorités compétentes et s’injecte par voie intra musculaire
dès les premiers symptômes. L’injection se répète 15 minutes après la première
injection uniquement en cas de persistance des symptômes. La péremption de ce
médicament sous statut d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) est de 4 ans,
conservé entre +2 et +8°C (non reconstitué), et de 6 mois à température ambiante après
reconstitution.
Enfin, même si les brûlés ne représentent que 2 % des blessés, les équipes
soignantes de l’avant disposent de compresses hydrogel de type Brulstop®. Toutefois,
Figure 11.
Ineurope®.
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
409
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
un groupe de travail de l’OTAN auquel participent des médecins militaires français
réfléchit sur l’intérêt d’une application précoce de Flammacerium® sur des brûlures
graves.
4. L’organisation du Service de santé des armées
face aux exigences opérationnelles
Face aux besoins que crée la médicalisation de l’avant et face à l’éventail des
produits de santé disponibles, le SSA est aujourd’hui en mesure d’apporter des réponses
concrètes, en s’appuyant notamment sur trois composantes essentielles :
– l’échelon décisionnel chargé de définir la politique adaptée à cette pratique très
particulière de la médecine militaire ;
– l’échelon exécutif chargé de mettre en œuvre les orientations adoptées ;
– la formation, chaînon indispensable à une utilisation efficiente des produits de
santé retenus.
4.1. L’échelon décisionnel
La Direction centrale du Service de santé des armées (DCSSA) constitue l’échelon
décisionnel. L’État major des armées (EMA) lui a d’ailleurs transmis en 2009 le contrat
d’objectifs auquel elle doit répondre, à savoir le soutien de 35 000 hommes en
opération. La DCSSA est rédactrice d’un des chapitres du contrat opérationnel fixé
par l’EMA dont elle réalise chaque année une actualisation. Dans ce cadre, la Sousdirection Organisation soutien et projection (OSP) définit la politique à mettre en œuvre
pour répondre à ce contrat et son état-major opérationnel santé précise les moyens
nécessaires à déployer en liaison avec l’EMA. Pour les produits de santé, la définition
des moyens est assurée spécifiquement par le bureau politique du ravitaillement et des
équipements. Il transmet à la Direction des approvisionnements en produits de santé
des armées (DAPSA) les directives concernant les programmes de ravitaillement et
de fabrication. Ce bureau assure également le suivi de la réglementation relative aux
équipements sanitaires et aux actions de vigilance des produits de santé. L’application
aux armées des normes pharmaceutiques rentre également dans son domaine de
compétence, notamment celles relatives aux produits stupéfiants.
Pour la définition de sa politique en produits de santé, la Direction centrale
s’appuie également sur des avis d’experts. En 2003 a été créé le Comité de coordination
du médicament et des dispositifs médicaux stériles ou CCOMEDIMS. Ce
CCOMEDIMS a pour mission d’harmoniser les différentes pratiques professionnelles
au sein du SSA tout en évaluant de façon régulière les innovations en matière de
produits de santé. Pour cela, il est assisté par trois commissions, dont une est
spécifiquement dédiée aux formations sanitaires de Role 1 et aux centres médicaux
des armées. 410
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
Enfin, pour mettre en œuvre sa politique de soutien santé, et en particulier de
produits de santé, la DCSSA fait appel aux compétences de plusieurs organismes qui
lui sont subordonnés. Le centre de transfusion sanguine des armées intervient
principalement par la fabrication et l’envoi de produits sanguins labiles (Concentrés
de globules rouges) et stables (Plasma cryodesséché sécurisé déleucocyté) sur les
théâtres d’opération. Ces produits sont pour l’instant utilisés dans les formations de
Role 2 et 3. Néanmoins, des réflexions et des axes de recherche sont d’ores et déjà
engagés quant à la possible utilisation de certains d’entre eux dès le Role 1. Pour sa
part, l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) est partie prenante dans
le développement de nouveaux produits de santé pour la médecine de l’avant. La mise
au point, l’évaluation et l’obtention de l’AMM de l’Ineurope® illustrent l’efficace
collaboration entre IRBA, PCA et DCSSA.
4.2. L’échelon exécutif
Pour l’essentiel, la mise en œuvre des directives de l’échelon décisionnel est
assurée par la DAPSA et par ses établissements subordonnés, qui constituent le
véritable échelon exécutif. Les missions de la DAPSA comprennent
l’approvisionnement, l’entretien, la gestion et la distribution des produits de santé. À
ce titre, la DAPSA assure la mise à jour des catalogues et des tableaux de composition
des UMO et sous-unités collectives déployées au niveau du Role 1. Pour assurer sa
mission d’approvisionnement, elle réalise les achats dans le respect du Code des
marchés publics et utilise les capacités de production de son établissement de
fabrication, la PCA. Cet établissement a le statut d’établissement pharmaceutique
depuis 1997 pour la fabrication des médicaments bénéficiant d’une AMM, ainsi que
le statut de pharmacie à usage intérieur du SSA pour la fabrication des préparations
hospitalières. La PCA réalise aujourd’hui la fabrication de 17 médicaments avec AMM
dont l’Ineurope®. Elle réalise également une vingtaine de préparations hospitalières,
dont certains sont des antidotes qui font l’objet de plans de développement afin de les
faire passer sous statut d’AMM. Également impliquée dans la prévention du risque
médicamenteux, la PCA a développé sous brevet un système de sécurisation fixé sur
l’Uniject® de morphine à la suite de signalements d’évènements indésirables
médicamenteux, notamment des activations intempestives et involontaires des
dispositifs.
Suite logique de la chaîne logistique subordonnée à la DAPSA, les Établissements
de ravitaillement sanitaire des armées (ERSA) assurent le stockage puis l’expédition
des produits de santé vers les centres médicaux des armées, les hôpitaux d’instruction
des armées et les théâtres d’opération. Ils ont le statut d’établissement pharmaceutique
de distribution. Parallèlement à leur activité logistique, les ERSA assurent également
une activité de fabrication par leur activité de constitution et d’entretien des UMO et
des sous-unités collectives. Les lots constitués par les ERSA particulièrement impliqués
dans la médicalisation de l’avant comprennent notamment le Lot de projection initiale
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
411
LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
(LPI). Ce LPI permet à l’équipe médicale de l’avant de réaliser la prise en charge
médicale initiale et de stabiliser les blessés en vue de leur évacuation. Il comprend
notamment tous les produits nécessaires à l’analgésie, la coniotomie, l’immobilisation,
la sédation, l’anesthésie, l’intubation et le drainage thoracique. D’autres sous unités
collectives sont constituées par les ERSA dans le cadre de la médicalisation de
l’extrême-avant et des « 10 minutes de platine » : il s’agit des trousses individuelles
du combattant, déployées en Afghanistan depuis juillet 2008 (figure 12). Ces trousses
permettent la réalisation des gestes de survie par les camarades de combat ou les
personnels santé et se déclinent soit en kit de base permettant le traitement
hémostatique (pansement compressif d’urgence et garrot tourniquet) et la prise en
charge de la douleur, soit en kit complet comprenant également une poche de soluté
(NaCl 7,5 %) et le nécessaire à perfusion. La trousse contient deux Uniject® de
morphine 10mg/1ml, pour la prise en charge de la douleur. Ce dispositif est complété
par la mise à disposition d’autres équipements au profit des équipes soignantes qui
interviennent auprès des combattants. Ces équipements comprennent notamment
différents sacs plus ou moins légers et permettant un soutien médicalisé de plusieurs
jours (trousse de cuisse, sac Titan®, sac Conterra®…) ainsi que des panneaux
modulaires pouvant être par exemple disposés dans les VABSAN.
Figure 12.
Trousse individuelle du combattant.
Enfin, sur les théâtres d’opération, les Unités de distribution en produits de santé
(UDPS), placées sous le commandement d’un pharmacien, assurent
l’approvisionnement et le stockage en produits de santé pour le ravitaillement de toutes
les formations déployées sur le théâtre, et notamment les PM du Role 1. L’UDPS a
également la charge de l’entretien des UMO prépositionnées, l’approvisionnement sur
le théâtre en trousses individuelles du combattant, et le remplissage des bouteilles
d’oxygène. Le pharmacien peut également contribuer aux essais de nouveaux produits
de santé, réalisés in situ [13].
Toute cette organisation mise en œuvre par le Service de santé permet d’assurer
l’approvisionnement en produits de santé au plus près des combattants, répondant ainsi
au concept français de la médicalisation de l’avant. 412
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
LES ANNALES DE
l’École du Val-de-Grâce
4.3. La formation des acteurs
La formation des acteurs impliqués reste la condition indispensable pour garantir
la sécurité et l’efficacité des modalités de prise en charge des blessés. Le déploiement
relativement récent des trousses individuelles du combattant a conduit à la mise à
disposition de produits de santé destinés à la perfusion auprès de personnels non
soignants. Un mésusage de ces produits est dès lors possible en raison d’un manque
de formation ou de connaissance de leur emploi. La formation revêt un caractère
d’autant plus important que de nombreux facteurs supplémentaires peuvent contribuer
à l’iatrogénie :
– multiplicité des intervenants ;
– variété des théâtres d’opération ;
– contexte multinational avec les problèmes inhérents à la barrière de la langue et
à l’utilisation possible de produits de santé de nations étrangères.
Les retours d’expérience sont un paramètre essentiel d’amélioration permettant
l’optimisation non seulement des moyens disponibles mais aussi de la formation,
favorisant ainsi le bon usage des produits de santé [14].
Pour répondre à ce besoin de formation, les armées disposent de plusieurs
structures. Au sein du SSA, le Département de préparationopérationnelle Santé
(DPOS) assure une information globale sur l’engagement et l’organisation du soutien
sanitaire de la mission. Les six Centres d’instruction aux techniques de réanimation
de l’avant (CITeRA) assurent la formation technique et pratique des binômes médecininfirmier sous l’égide de l’École du Val-de-Grâce (EVDG). L’EVDG coordonne
également l’ensemble de la formation initiale et continue des personnels (médecins,
pharmaciens et paramédicaux du SSA). Il est par ailleurs, de la responsabilité de chaque
armée d’assurer la formation au sauvetage au combat de ses personnels. Les armées
disposent d’une Division instruction santé des armées (DISA) qui assure la formation
de sauvetage au combat niveau 1 et 2 à des brancardiers-secouristes. Enfin, des stages
de médicalisation en milieu hostile (stage MEDIC-HOS) réalisés avant projection
permettent de parfaire cette formation [15].
5. Conclusion
Perdre son sang, manquer d’air ou subir les effets des toxiques de guerre tuent
aussi vite et de la même manière sur tous les champs de bataille depuis des décennies.
Dans cette course à la survie, la médicalisation de l’avant s’appuie sur un arsenal
thérapeutique, qui doit répondre aux attentes des personnels médicaux, paramédicaux
et du combattant. La DCSSA en s’appuyant sur l’avis d’experts et sur les retours
d’expérience, en assurant une veille scientifique permanente, en participant à des
groupes de travail internationaux et en s’enrichissant des expériences d’autres armées
adapte en permanence sa réponse aux besoins des armées. Dans ce contexte, la mise à
disposition de nouveaux moyens comme le déploiement récent de la trousse
individuelle du combattant, la formation aux différents niveaux du sauvetage au combat
Chaire de sciences pharmaceutiques appliquée aux armées et risque chimique
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LEÇONS DES CONCOURS D’AGRÉGATION DU VAL-DE-GRÂCE
illustrent cette volonté du SSA d’adapter les réponses aux attentes des combattants. Il
est par ailleurs important de souligner que les aspects pratiques, logistiques et
économiques sont systématiquement intégrés dans les études et évaluations engagées.
Soucieux de respecter une réglementation importante, qu’elle concerne le Code des
marchés publics ou la comptabilité des médicaments stupéfiants, particulièrement
impliqués dans les procédures de ravitaillement sanitaire depuis la métropole vers les
théâtres d’opération extérieure, les pharmaciens militaires apportent une contribution
importante dans la mise en œuvre de la médicalisation de l’avant. Toutefois, la mise
en place de moyens importants, la définition d’une organisation adaptée aux risques
encourus perdent toute valeur en l’absence d’une formation dispensée aux différents
intervenants. Cette dimension est intégrée par la DCSSA et déclinée au sein des
différentes structures.
Remerciements
L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes ayant participé à
la construction de la leçon de 24 heures (par ordre alphabétique) : Sébastien Bardot,
Bruno Debien, Pascal Favaro, Olivier Galvez, Vincent Jandard, Richard Le Bars.
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