L`émancipation des femmes 10.
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L`émancipation des femmes 10.
Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) 10. L’émancipation des femmes La place des femmes dans la société française (qu’il s’agisse de leur représentation dans la vie publique, de leur intégration dans le monde du travail ou de leur « rôle » social) a profondément évolué, et est en passe de progresser encore très sensiblement. Un décompte des femmes présentes aujourd’hui au sein de la vie publique illustre le hiatus considérable qui demeure encore entre les sexes (ou entre les « genres », pour utiliser le vocable aujourd’hui consacré) : songeons ainsi qu’elles n’étaient, début 2001, que 5,9 % au Sénat, 6,6 % dans les conseils généraux, 8 % à la tête d’une municipalité et 10 % à l’Assemblée nationale. Mais cette approche quantitative ne doit pas occulter les progrès réels qui ont été réalisés dans de nombreux domaines depuis la Seconde guerre mondiale. DE 1950 A NOS JOURS : UNE ENTREE EN SCENE SANS PRECEDENT En matière de droits accordés à la femme, le pays des droits de l’homme a pris quelque retard ! Tandis que les Anglaises votent dès 1918, il faut en effet attendre le décret de 1944 pour que les Françaises se voient octroyer ce droit par le gouvernement provisoire du Général de Gaulle. Le préambule de la constitution du 24 octobre 1946 proclame le principe selon lequel « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Mais comment et jusqu’où ce principe s’est-il incarné aux plans politique, économique et social ? Acquis… • Politiques. À la faveur du suffrage universel, les femmes entrent – lentement – en politique, même si l’on n’observe aucune progression linéaire sur la période (cf. graphique 1). La mixité de l’éducation aidant — aujourd’hui le niveau d’éducation et de formation est globalement identique pour les deux sexes —, elles deviennent progressivement visibles dans la vie publique et économique. Afin de pallier la domination masculine persistante et de porter un coup à la subordination historique des femmes, le vote de la révision constitutionnelle du 28 juin 1999 et la loi du 3 mai 2000 introduisent l’objectif paritaire dans notre système juridique, en entérinant le principe d’une évolution de la définition traditionnelle de l’universalisme républicain. • Individuels et sociaux. Les années 1960-70 introduisent un bouleversement majeur dans le rôle et la liberté des femmes ; la maîtrise des moyens contraceptifs, la dépénalisation de l’avortement et la légalisation comme l’acceptation progressive de l’IVG leur donnent la possibilité de choisir leur destin. Avec la maîtrise de la reproduction, mais aussi avec la libéralisation du divorce (le divorce par consentement mutuel est instauré en 1975) et l’égalité juridique des époux dans la gestion du patrimoine de la famille, s’estompe la représentation déterministe (et bien sûr caricaturale) de la femme-épouse-mère vouée par nature à procréer et materner. La très forte progression du taux de scolarité féminin pendant la période a largement contribué à l’émancipation des femmes — en 1999-2000 dans l’enseignement supérieur, les étudiantes représentent 55,5 % de l’effectif total. • Économiques. La réforme des régimes matrimoniaux (1965) a résolument consacré l’autonomie – au moins formelle – des femmes, qui peuvent exercer librement une profession et disposer de leurs biens personnels – en 1970, le père n’est plus le « chef de famille ». Lentement et de façon inégale sur le territoire, le taux d’activité des femmes ne cesse alors d’augmenter (elles représentaient en mars 2000 environ 48 % de la population active, contre 35 % au début des années soixante), et l’égalité professionnelle entre les sexes devient une norme légale. Depuis le début des années soixante-dix, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes ont diminué. …Et rigidités Mais ces amendements brossés à grands traits n’empêchent pas que l’égalité demeure inachevée. On ne change pas la société – et encore moins les comportements – par décret. Certains préjugés et représentations passéistes persistent ; certaines réalités ne sont pas remises en cause. 101 103 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) • Inégalités face au travail. Les écarts de rémunération entre hommes et femmes subsistent (cf. graphique 2). Ils trouvent principalement leur origine dans une segmentation des emplois. En outre, en dépit du fait que les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes, elles ont moins accès aux postes de responsabilité, et sont davantage exposées à la précarité. Par ailleurs, le taux d’emploi féminin demeure faible, surtout chez les jeunes (cf. graphique 3). Quant à leur présence politique, elle demeure faible comparativement à d’autres pays ; avec moins de 11 % de femmes parmi les députés, la France est largement en deçà de la majorité des pays membres de l’Union Européenne (cf. graphique 4 ). • Domination sexuée. Certes plus stigmatisées car leur dénonciation est plus courante, les différentes formes de violence à l’égard des femmes sont pourtant loin d’avoir disparu. Difficilement chiffrable, la domination sexuée implicite ou explicite (dans la famille, au travail, etc.) est massive, et la loi française peine à faire appliquer les recommandations de la Commission européenne en la matière. • Mentalités. Ces rigidités diverses sont sans doute en grande partie imputables aux pesanteurs des mentalités, qui n’évoluent naturellement pas au gré des mesures institutionnelles et légales. En témoigne par exemple l’assignation sexuée implicite des rôles sociaux et familiaux. La moindre implication des hommes dans la sphère domestique, dont témoigne le graphique 5, relativise ainsi sensiblement notre perception de l’émancipation des femmes. Autre prégnance symbolique : concernant la répartition dans les filières de l’enseignement, les femmes sont encore sous-représentées dans les filières mathématiques, scientifiques et techniques. L’inégalité d’accès entre les femmes et les hommes aux postes de décision demeure par ailleurs importante , comme y insiste un rapport du Conseil Économique et Social paru fin 2000 (cf. encadré 1). Il convient donc d’observer que si les opinions et la législation évoluent dans le sens d’une égalisation entre les hommes et les femmes, les pratiques bougent, elles, beaucoup plus lentement. 2000-2030 : VERS UNE LIBERATION DES MENTALITES ? À l’heure de la mise en œuvre de l’objectif de parité, quelles sont les évolutions possibles qui peuvent être anticipées concernant la place des femmes dans la société française ? Compte tenu des tendances et résistances à l’œuvre, et à considérer la situation dans d’autres pays, quatre scénarios contrastés peuvent être ébauchés. La guerre des sexes. C’est là une configuration qui peut émerger si les résistances au changement se perpétuent. Face à l’immobilisme et à une politique d’évitement, l'exacerbation des revendications en faveur des femmes peut prendre la forme d’un nouveau communautarisme agressif, décrétant le cas échéant une différence d’essence entre les genres. La loi serait alors considérée comme une arme juridique réactive davantage que comme une avancée positive. S’ensuivrait une méfiance généralisée dans les rapports entre les femmes et les hommes comme on peut parfois l’observer Outre-Atlantique. Si la place des femmes dans la société s’étendait, ce serait donc davantage par la force que par l’assentiment général. L’animosité animerait les deux sexes, et les mentalités traditionalistes risqueraient de s’exacerber pour longtemps. Il y a là le risque d’un cercle vicieux contre-productif, procédant des pesanteurs de la société et de l’incommunicabilité. Le statu quo. Dans cette hypothèse, la place des femmes ne change plus significativement. Les réformes juridiques ne s’accompagnent pas de la représentation des femmes escomptée, à la fois au plan politique et dans le monde du travail. Le volontarisme politique échoue à entraîner dans son sillage un changement notable dans les représentations. L’égalité formelle est jugée garantir de façon suffisante les inégalités de fait les plus criantes. L’affirmative action est un thème que l’on considère de plus en plus comme un extrémisme déplacé. La progression de la place des femmes dans la société ne se fait que marginalement et nombre d’inégalités et de discriminations subsistent, notamment aux postes de décision. Le retour de la femme au foyer. Cette hypothèse, qui signifie un retrait progressif des femmes du marché du travail, n’est peut-être pas qu’un cas d’école. D’aucuns, comme Francis Fukuyama par exemple, dans The Great Disruption. Human Nature and the Reconstitution of Social Order, présagent un recentrage autour des valeurs familiales, comme si le genre humain (en particulier la femme) y était naturellement porté, et qu’une dynamique cyclique de retour à un « ordre social » était à l’œuvre. Refuser le jugement de valeur implicite qui peut se 102 104 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) cacher dans ce propos n’empêche pas d’envisager la survenue d’une tendance à l’inflexion du taux d’activité des femmes, qui aurait éventuellement partie liée avec un nouveau rapport au travail et à la famille. Il est d’ailleurs loisible d’observer un tel phénomène en Scandinavie, où le taux d’activité féminin, qui a déjà atteint un niveau sensiblement proche de celui des hommes, tend à décroître légèrement. Mais, à l’examen du processus passé de libération des femmes, il y a fort à croire, si le cas se présente un jour, qu’il s’agira davantage d’un choix assumé (au moins consciemment) que d’un retour imposé du partage sexué des tâches. Évolution des mœurs et partenariat. On envisage ici que les mentalités et les mœurs évoluent progressivement pour aboutir à une indifférenciation croissante entre les rôles et statuts des hommes et des femmes. L’objectif formel de parité, qui constitue d’abord une contrainte pragmatique que certains réprouvent au nom de l’universalisme républicain, devient bientôt superfétatoire car il permet d’engager une dynamique favorable à la représentation des femmes, et de banaliser dans les esprits (des hommes et des femmes) l’égal accès des sexes aux différents postes et rôles sociaux. Cette éventualité favorable prend la forme d’un processus autoréalisateur. Corrélativement, les diverses formes de sexisme sont de plus en plus stigmatisées, sans que règne un quelconque climat de défiance rivale entre les sexes. Les effets de générations contribuent à ce changement social ; à terme, femmes et hommes sont traités à égalité dans la sphère publique, et la division du travail selon les sexes n’existe pratiquement plus. La nouvelle place des hommes dans l’éducation des enfants peut rompre la reproduction de la domination sexuée. Sélection bibliographique : • BOURDIEU Pierre. La Domination masculine. Paris, Seuil, 1998. • MEDA Dominique. Le Temps des femmes, pour un nouveau partage des rôles. Paris, Flammarion, 2001. • GENISSON Catherine. Femmes - Hommes: quelle égalité professionnelle ? : un rapport au Premier ministre. Paris, La documentation française, 1999. • COTTA Michèle. Femmes dans les lieux de décision. Paris, Conseil économique et social, 2000. • MOSSUZ-LAVAU Janine. « La parité hommes/femmes en politique : bilan et perspectives », in Population et sociétés n°377, mars 2002. • MC CORDUCK Pamela, RAMSEY Nancy. The Futures of women. Scenarios for the 21st Century. Reading, Addison-Wesley, 1996. • PERROT Michelle. An 2000 : Quel bilan pour les femmes ? Paris, La documentation française, « problèmes politiques et sociaux », 2000. 103 105 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) Graphique 1. Pourcentage de femmes parmi les députés de l'Assemblée nationale 12 10 8 6 4 2 0 1945 1946 1946 1951 1956 1958 1962 1967 1968 1973 1978 1981 1986 1988 1993 1997 Graphique 2 . Salaire net moyen des femmes (en % du salaire des hommes) 78 76 74 72 70 68 66 64 62 1950 1953 1956 1959 1962 1965 1968 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 Source : Déclarations annuelles de salaire, Insee 104 106 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) Graphique 3. Taux d'emploi des femmes en France selon l'âge 75 25-54 ans 65 55 45 35 55-64 ans 25 15-24 ans 15 1979 1980 1981 1982 1983 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Source : OCDE Graphique 4. Part des femmes dans les parlements (au 25/09/2000) 70,0% 60,0% 50,0% 40,0% 30,0% 20,0% 10,0% 0,0% France États-Unis Japon Allemagne Suède Part des femmes dans la chambre basse 10,9% 12,90% 7,30% 30,90% 42,70% Part des femmes au Sénat 5,90% 9% 17,10% 59,40% 105 107 1999 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) Graphique 5. Évolution de la proportion des femmes dans les effectifs d'étudiants par discipline universitaire 80 77,9 75,4 73,9 73,3 70 67,1 61,5 60 56,8 55 55,5 54,2 50 45 43,2 En % 65,9 62,6 45,8 44,5 38,5 40 34,7 30 24,6 32,9 34,1 26,7 26,1 22,1 20 10 0 Droit Sciences 1949-50 Femmes * Lettres Médecine 1999-2000 Femmes Sources : Bureau Universitaire de Statistique et MENR 106 108 Pharmacie 1949-50 Hommes * Total général 1999-2000 Hommes * Métropole et Alger Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) Encadré 1. L’inégalité professionnelle Les Femmes représentent… - 55 % des élèves du second cycle général et technologique ; - 55,9 % des étudiants des universités ; - 38,1 % des étudiants inscrits dans les classes préparatoires aux grandes écoles mais 75 % dans les classes littéraires et 25 % dans les classes scientifiques ; - 22,3 % des étudiants des écoles d'ingénieurs ; - 45,5 % de la population active (INSEE, Enquête Emploi 2000); - 34,4 % des cadres et professions intellectuelles supérieures: - dont 280 000 cadres administratifs et commerciaux d'entreprises (33,3 %), - dont 105 000 ingénieurs et cadres techniques d'entreprises (14,7 %) ; - 46,1 % des professions intermédiaires; - 76 % des employés et 19,6 % des ouvriers (INSEE, Enquête Emploi 1999); - 28,2 % des cotisants à 1'AGIRC (1998); - 9 % des numéros « un » (PDG) et 22,6 % des numéros « deux » (DG) dans les entreprises (fichier DIANE, Cabinet Van Djick) ; - 7,4 % des membres des conseils d'administration (fichier DIANE, l Cabinet Van Djick) ; - 18,8 % des administrateurs salariés dans les conseils d'administration ; - 3 % des numéros « un » et 6 % des numéros « deux » dans les 2 000 entreprises de plus de 500 salariés ; - 53,9 % des agents de la catégorie A dans la Fonction publique (DAGFP, 1998) ; - 20,3 % dans les inspections générales de 1'administration ; - 13,8 % des « grands corps » : Conseil d'Etat, Cour des Comptes, Inspection générale des Finances ; - 8,9 % des emplois à la décision du Gouvernement : préfets, ambassadeurs, directeurs d'administration centrale... - 12,4 % des autres emplois d'encadrement de la Fonction publique : chefs de service, directeur adjoint, sous-directeur ; - 47,2 % des magistrats (1998) mais deux femmes seulement Premières présidentes dans les Cours d'Appel et une seule femme Procureure générale ; - 32,8 % des cabinets ministériels (septembre 2000) ; - 3,3 % dans les Conseils généraux des grands corps techniques (Conseil général des mines, Conseil général du génie rural, des eaux et forêts, Conseil général de l'agronomie, Conseil général des ponts et chaussées, Conseil général vétérinaire) ; - 18 à 60 % des adhérents aux organisations syndicales ; - 9 à 45 % des congrès et 0 à 40 * des instances des organisations syndicales ; - 0 à 12 % des instances des organisations professionnelles d'employeurs ; - 28 % des délégués du personnel (DARES, 1994) ; - 44 % des électrices dans le collège des salariés aux Conseils de prud'hommes et 22 % des élues (1997) ; - 28 % des électrices dans le collège des employeurs aux Conseils de prud'hommes et 15 % des élues, (1997) ; - 18 % du Comité économique et social européen ; - 19 % du Conseil économique et social ; - 9,5 % des Conseils économiques et sociaux régionaux ; - 38 % des professions libérales (INSEE, Enquête Emploi 1999) dont 63,3 % des pharmaciens, 44,3 % des avocats, 36,4 % des médecins, 33,1 % des chirurgiens-dentistes… - 25 % des membres des conseils d’administration des caisses de sécurité sociale (ACOSS, CNAF, CNAVTS, UCANSS) ; - 12 % des représentants de l’État ou des collectivités territoriales et 25 % des représentants des organisations syndicales dans les conseils supérieurs des fonctions publiques (Conseil supérieur de la Fonction publique de l’État, Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière). Extrait de la note de présentation de COTTA Michèle. Femmes dans les lieux de décision. Paris, Conseil économique et social, 2000. 107 109 Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030) Tableau 1. Quelques dates clés Famille Éducation Travail Conception 1944 1945 Création de l’ENA (mixte) Avortement thérapeutique autorisé 1959 1960 1965 Introduction de la mixité dans l’enseignement Les mères célibataires peuvent avoir un livret de famille Une femme peut travailler sans l’accord de son mari Ceci grâce à la réforme des régimes matrimoniaux (elle peut aussi percevoir l’allocation principale de chômage) 1967 La loi Neuwirth autorise la contraception 1971 1972 Egalité des droits des enfants légitimes et naturels Dans l’enseignement supérieur, les filles dépassent en nombre les garçons Polytechnique devient mixte Congé maternité indemnisé à 90 % La loi stipule l’égalité de rémunération entre les sexes 1974 1975 Remboursement de la contraception La loi Veil légalise l’interruption volontaire de grossesse Remboursement de l’I.V.G. Divorce par consentement mutuel 1982 1983 1985 1992 Les femmes deviennent électrices et éligibles Exercice du vote et élection des femmes Notion de « salaire féminin » supprimée. « À travail égal, salaire égal » 1955 Droits politiques Projet de loi rejeté par le Conseil Constitutionnel, prévoyant un quota de 25 % de femmes pour les listes de candidature Loi sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes Égalité des époux dans la gestion des biens Loi sanctionnant le harcèlement sexuel 1993 Dépénalisation de l’auto-avortement 1995 Création d’un Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes Loi organisant la parité hommesfemmes aux différentes élections. 2000 108 110