Formation des mots

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Formation des mots
Grammaire égyptienne : formation des mots
FORMATION DES MOTS
I. La racine
En égyptien, la formation des mots repose sur un noyau de consonnes appelées racine, colorées de
voyelles vocaliques non apparentes dans l’écriture. Une racine n’est pas un mot mais le foyer à
partir duquel se forgent des thèmes, éventuellement enrichis d’un préfixe ou d’un suffixe.
La langue arabe dont les mots sont formés selon le même principe permet d’illustrer ce qu’on
entend par racine. Autour du concept de l’écrit, les trois consonnes K, T, B constituent la racine (√)
KTB. La racine consonantique forme des mots analysables en un thème radical accompagné ou non
de morphèmes préfixés ou suffixés : ainsi les mots écrire (en français d’origine latine : scribere) et
bibliothèque (d’origine grecque : biblio-) se diront respectivement KaTaB (thème KaTaB) et
maKTaBa (thème KTaB préfixé et suffixé : ma + KTaB + a)
Lexique
√ racine
Analyse
préfixe
thème
Traduction
suffixe
KaTaB
KTB
KaTaB
écrire
KaTeB
KTB
KaTeB
écrivain
KiTaBa
KTB
KiTaB
maKTuB
KTB
ma-
KTuB
maKTaBa
KTB
ma-
KTaB
Conjugaison
verbale
√ racine
taKTuBu
KTB
inaccompli
KaTaBta
-a
écrit
-a
Analyse
thème
suffixe
tamarque de
personne
KTuB
-u
désinence
verbale
KaTaB
accompli
bibliothèque
Traduction
préfixe
KTB
écriture
-ta
marque de
personne
tu écris
(sujet masculin)
tu as écrit
(sujet masculin)
Variations de la racine ntr en égyptien :
Lexique
√ racine
Analyse
préfixe
thème
Traduction
suffixe
nTr
nTr
nTr
nTr.t
nTr
nTr
-t
déesse
nTr.w
nTr
nTr
-w
dieux
nTrj
nTr
nTrj
(être) divin
snTr
nTr
nTr
encens
s-
dieu
Le genre et le nombre sont formés par l’ajout de compléments consonantiques suffixés au thème ;
Concernant le verbe-adjectif nTrj = divin, la finale « j » appartient au thème proprement dit ;
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Grammaire égyptienne : formation des mots
concernant snTr = encens (plus précisément l’odeur divine), le suffixe produit un mot très différent à
partir d’une racine commune.
nTr = dieu ;
ntr.t = déesse ;
nTr.w = dieux ;
nTrj = divin
A partir du Moyen Empire un phénomène de mutation consonantique affecte les sons T et D qui
tendent à s’assourdir, se prononçant comme des dentales dures qui vont pouvoir s’écrire t et d :
→
nTr
ntr
→
mAT
dieu
mAt
rwD
granit
→
rwd
dur
Autre exemple, le concept de « l’écrit » est formé sur la racine √ sS (certains lisent sXA) : faute de
vocalisation on ne peut différencier phonétiquement les mots « écrire, scribe, écrit, écriture ».
Comme il sera vu dans ce chapitre, certains noms présentent un pluriel apparent ; Séchat, signe
[R20], est une divinité personnifiant l’écriture :
Graphie
Lexique
Traduction
nature
genre
nombre
sS
écrire
verbe
sS
scribe
nom
masculin
singulier
sS
écrit, écriture
nom
masculin
pluriel collectif
sSy.t
inscription
nom
féminin
pluriel collectif
sS(y).t
maquilleuse
nom
féminin
pluriel collectif
sSA.t
Séchat
nom propre
féminin
singulier
II. Le nom
Dans les premières grammaires du français, le nom désignait à la fois le substantif et l’adjectif. Le
nom sert à nommer les êtres et les choses auxquels il réfère dans la réalité, tandis que l’adjectif se
joint au nom pour qualifier le nommé. La variation de l’adjectif est purement syntaxique, il ne prend
le pluriel que parce que le nom auquel il se rapporte est lui-même au pluriel (cf. J. Houyvet,
Grammaires, 1996, 9, n.3).
Le nom est une catégorie lexicale ouverte à la formation d’unités nouvelles. De nombreuses
expressions idiomatiques et métaphoriques résultent de combinaisons entre deux noms ou un nom
en association avec un adjectif : dessinateur signifie littéralement scribe des contours
sS-qd.wt = dessinateur (mot composé)
autre graphie :
jw=f mn=f rA-jb=f : il souffre de son estomac (P. Ebers 52, 1-5, n° 296)
: rA = bouche/entrée + jb = coeur/intérieur → estomac
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Certains noms (vus plus loin sous l’appellation « nisbés ») sont formés à partir de prépositions ou
de noms, ainsi :
- le nom sx.t = champ, campagne donne sxty paysan : celui de la campagne, travailleur des champs
- la préposition xft = en face de, devant donne xfty ennemi : celui qui est en face, l’adversaire
L’adjectif peut servir à former un substantif :
Dw.t = le mal (nom abstrait collectif), à partir de
Dw = mauvais (adj.)
nfr.t = la belle (femme), à partir de nfr = beau (adj.) + det. [B1]
wr : un grand, à partir de wr = grand (adj.) + det. approprié
Le verbe peut servir à former un substantif :
- en tant que participe
jw qrs.n=j jAw Hbs.n=j HAy
J’ai enterré le vieillard, j’ai habillé le dénudé (BM 562, 10-11)
(HAy = être nu → celui qui est nu, participe)
- en tant qu’infinitif
mk nfr sDm n rmT
car l’écoute est bonne pour l’homme (Nauf. 182)
(sDm = écouter → l’écoute, infinitif)
III. Le genre
Formellement l’égyptien semble ne connaître que deux genres grammaticaux, le masculin et le
féminin, mais le neutre, sous l’apparence du féminin singulier, est un genre à part entière :
- le masculin n’a pas de terminaison écrite (il devait se prononcer avec un -w final, susceptible
d’apparaître dans certains conditions)
- le féminin et le neutre s’écrivent avec une terminaison en -t (conventionnellement précédée ici
d’un point, ponctuation facultative selon les auteurs)
Illustration : figuration des saisons selon leur genre grammatical
Ax.t et
pr.t en divinités féminines,
Smw en divinité masculine
(d’après P. Duell, The Mastaba of Mererouka, 1938, jambage de porte d’entrée)
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Certains noms animés se déclinent par genre à partir d’une même racine mais ce nest pas une règle
(père et mère n’ont pas de racine commune) ; rares sont les animaux qui connaissent un féminin (la
chatte my.t ou mjt.t désignera aussi bien le chat que la chatte en néo-égyptien, le « t » n’étant plus
prononcé)
↔
sn
frère
↔
Hm
serf
↔
sn.t
s
soeur
homme
s.t
jt
femme
père
bAk.t
mjw
servante
chat
↔
Hm.t
bAk
serve
serviteur
≠
m(w).t
mère
↔
my.t
chatte
Quelques noms masculins présentent une désinence féminine apparente en -t :
jst
jt
jt
wmt
wt
bt
m(w)t
mt
matelot
orge
père
épaisseur
bandelette
berger
mort
conduit
nxt
xnt
xnt
xt
xt
swt
sst
twt
victoire
face
cabine avant
forteresse
bois
qq. chose
brise
mollet
statue
Particularités :
Le mot
xt = bois (masc.) a deux homophones féminins :
x.t = feu, flammes et
x.t = choses, biens, cependant au sens de « quelque chose », xt devient masculin
xt Sm = quelque chose de chaud
Les toponymes, noms de villes, de nomes, de pays sont considérés comme des mots féminins,
même quand ils ne présentent pas la finale -t. Sans doute faut-il comprendre la ville d’Abydos, le
pays du Réténou :
AbDw = Abydos, présente parfois la graphie du féminin
(BM 567,3)
rTnw = le Réténou (la Syrie-Palestine)
rTnw-Hr.t = le Réténou supérieur, l’adjectif s’accorde au féminin
(Karnak, Jardin botanique)
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rmT = les gens, le peuple est un nom collectif féminin, bien qu’il ne soit pratiquement
jamais écrit dans sa graphie pleine :
rmT.t nb.t = tous les gens
D’une manière générale, les noms abstraits et les termes collectifs (x.t, rmT), sont au genre neutre,
féminin singulier, et déterminés par un pluriel :
js.t = équipage (terme collectif), mais sans déterminatif du pluriel voir jst
jst = matelot est masculin.
IV. Le nombre
L’égyptien connaît trois nombres grammaticaux, le singulier, le pluriel et le duel :
- le singulier n’a pas de désinence écrite
- le pluriel s’écrit avec une terminaison en -w et/ou le déterminatif du pluriel
- le duel (archaïque) ne s’emploie que pour désigner les couples (les deux terres) et les paires (les
deux yeux) avec une terminaison en -wy (masculin) et -ty (féminin).
Au féminin pluriel, la désinence du féminin s’écrit après celle du pluriel :
njw.t = la ville →
njw.wt = les villes
Pour des raisons calligraphiques la lettre -t est susceptible d’être déplacée :
√ sn
masculin
=
féminin
singulier
sn
sn.t
frère
soeur
pluriel
√ xft
(ou)
sn.w
sn.wt
frères
soeurs
masculin
féminin
singulier
xfty
xft(y).t
ennemi
ennemie
pluriel
xfty.w
xft(y).wt
ennemis
ennemies
Dans les faits, en raison de son conservatisme, toutes les formes du pluriel sont utilisables en
égyptien : le pluriel graphique archaïque de l’A.E., le pluriel phonétique, le déterminatif du pluriel
seul et la combinaison couplant terminaison écrite et déterminatif du pluriel.
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1. Le pluriel
L’égyptien a connu plusieurs états de langue au cours de son histoire :
- à l’Ancien Empire, le pluriel est purement graphique, marqué par la triple répétition de
l’idéogramme ou du déterminatif.
- au Moyen Empire (fin de la P.P.I.), le pluriel s’écrit avec une terminaison en -w au masculin et
une terminaison théorique en -wt au féminin.
- au Nouvel Empire (fin de la D.P.I.), la terminaison écrite disparaît au profit du déterminatif du
pluriel.
Singulier
Pluriel
Archaïque
Phonétique
Déterminatif
Combinaison
wr
wr.w
wr.w
wr.w
wr.w
le grand
les grands
les grands
les grands
les grands
var. graphiques
jy.t jn wr.w nw pwn.t m ksw m wAH-tp r Ssp mSa pn n nsw
Venue des grands de Pount prosternés et tête baissée pour recevoir cette expédition du roi (Urk. IV,
324,3-4)
dw r tA r jp.t-s.wt m Aw.t-jb
Accostage à Karnak dans la joie
jn mSa n nb tA.wy wr.w m-xt=sn n xAs.t tn
par les soldats du maître des Deux Terres, les grands de ce pays étranger, derrière eux (Urk. IV,
329,17-330,2)
L’expédition d’Hatchepsout au pays de Pount met en scène : wr.w = les grands (chefs de tribus)
écrits [G36 + Z2] dans le premier exemple, et [G36 + G36 + G36] dans le deuxième exemple ;
même remarque pour mSa = les soldats, l’armée (collectif) écrit [A12 + Z2] et [A12 + A12 + A12].
Autre pluriel : s.wt = les places (dans jp.t-s.wt, toponyme de Karnak) écrit [Q1 + Q1 + Q1].
Particularités
Certains pluriels apparents sont des marqueurs d’abstraction, la graphie étant lexicale et non plus
grammaticale :
adjectif
nom
nfr
beau
nfr.w
beaux
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nfr
nom
beauté
nfrw
perfection
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nfrw = perfection (pourrait être le pluriel nfr.w de l’adjectif nfr),
bAw = puissance (pourrait être le pluriel bA.w du mot âme-bA)
sDd=j bAw=k n jty
j’irai raconter ta puissance au souverain (Nauf. 139)
Le régime des noms « dénombrables et indénombrables » est assez flou en égyptien. Le pluriel est
un marqueur de termes collectifs portant sur :
- des matières non comptables (ex. « sable »),
- des produits composites (ex. « myrrhe, onguent »),
- des êtres et des choses mesurables ou quantifiables (ex. « troupeau, tribut »)
Say = sable ;
antjw = myrrhe ;
mnmn.t = troupeau
Lorsque le nom est accompagné d’un indéfini ou d’un numérateur, l’égyptien peut indifféremment
le traiter au singulier ou au pluriel :
jr.t nb(.t) mA=sn jm=k
Tous les yeux voient grâce à toi (BM 826, 6-7)
(litt. chaque oeil, « ils » voient)
mAj.w nb pr(.w) m rw.ty=f
Tout lion sort de sa tanière (Grand hymne à Aton, col. 4)
(litt. tous les lions sont sortis de « sa » tanière)
pA nTr 42
ces 42 dieux (LdM ch. 125)
(= ce collège de 42 dieux : nTr dieu est au singulier)
Avec un numérateur, en règle générale mais pas systématiquement, le nom reste au singulier ; le
démonstratif pA s’accorde sur le genre mais pas sur le nombre
pA Xrd.w 3
ces trois enfants (West. 9,9)
(= cette engeance de trois enfants : Xrd.w enfants est au pluriel)
2. Le duel
Les mots constituant naturellement des paires, ou des groupements par deux s’écrivent au duel :
- avec une désinence -wy pour le masculin, avant le déterminatif
- avec une désinence -ty pour le féminin, avant le déterminatif
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Grammaire égyptienne : formation des mots
Comme pour le pluriel, toutes les formes du duel sont utilisables en égyptien : le duel graphique
archaïque de l’A.E., le duel phonétique, le déterminatif du duel seul et la combinaison couplant
terminaison écrite et redoublement du déterminatif.
Singulier
Duel
Archaïque
Phonétique
Déterminatif
Combinaison
rd
rd.wy
rd.wy
rd.wy
rd.wy
jambe
les deux jambes
les deux jambes
les deux jambes
les deux jambes
jr.t
jr.ty
jr.ty
jr.ty
jr.ty
oeil
les deux yeux
les deux yeux
les deux yeux
les deux yeux
L’égyptien peut encore former un duel en faisant suivre le substantif de la graphie « sp-sn », qui
signifie « bis, répéter deux fois » :
jr.ty = les deux yeux (et non pas jr.t sp-sn)
bAbA sA rA-jn.t rn=f (et non pas bA sp-sn)
son nom est Baba fils de Rainet (Urk.IV, 2,11)
(litt. Ba-ba, fils de Rainet, est son nom)
Duels apparents :
jty = souverain, variante de
La graphie joue sur la finale -ty qui évoque phonétiquement le duel et renvoie symboliquement au
modèle du roi régnant sur les Deux Terres, dont l’attaque se veut aussi soudaine que celle du
crocodile dont le culte divin tenait une place majeure au début du Moyen Empire.
njwty = local (litt. : qui est de la ville) transposition de
njw.t = ville sous forme de nisbé.
Illustration du pluriel archaïque/symbolique avec 3 idéogrammes triplés en variation du même
concept :
xns sS pHw.w sx.t nb.t nfr.t nt tA-mHw Hbs Xnm
Parcourir en barque tous les bons marais du Delta, disperser la nuée d’oiseaux (Kanawati, Teti Cem.
III, pl. 76)
(litt. : parcourir les marais de canards, les marécages, les marais de roseaux, tous bons du Delta,
disperser la nuée d’oiseaux)
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(Tombe de Seankhouiptah, VIe dyn, d’après Kanawati, Teti Cem. III, pl. 76)
V. L’adjectif
L’adjectif n’est pas une catégorie lexicale en égyptien, comme le nom et le verbe. Excepté nb (tout,
chaque), les adjectifs sont dérivés des participes, pour la plupart des verbes de qualité (intransitifs),
et quelques nisbés servent à former l’adjectif (njwty = local (litt. : qui est de la ville) transposition
de njw.t = la ville) :
- attribut du sujet (= prédicat de qualité)
nfr pr=j wsx s.t=j
ma maison est belle, mon domaine est vaste (ou) ma position est importante (Sin B 155)
- épithète
jw jt jm Hna bd.t nn Drw mnmn.t nb.t aA(.t)
Il y avait là de l’orge et du blé, sans limite, et toutes sortes de nombreux troupeaux (ou) des
troupeaux de toute sorte en nombre (Sin B 84-85)
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