Le roman révolutionnaire prolétarien sous la République de Weimar
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Le roman révolutionnaire prolétarien sous la République de Weimar
Le roman révolutionnaire prolétarien sous la République de Weimar Le sujet que je traite aujourd’hui, « Le roman révolutionnaire prolétarien sous la République de Weimar », s’inscrivait au départ dans une recherche plus vaste, { savoir « le roman d’actualité de la République de Weimar », recherche dans laquelle j’avais étudié 37 romans allemands de l’époque dont les auteurs pouvaient être classés comme allant de l’extrême droite nationaliste { l’extrême gauche anarchiste, l’accent étant mis sur les auteurs de la « Neue Sachlichkeit ». Je m’en tiendrai aujourd’hui aux écrivains révolutionnaires prolétariens. Après une introduction présentant la situation du mouvement communiste à la fin de la première guerre en Allemagne, j’évoquerai assez brièvement, dans une 1ère partie, le cas de Franz Jung, puis je retracerai les 3 principales étapes de l’ouverture vers la littérature du KPD. Dans une 3ème et dernière partie, je me pencherai sur quelques types de personnages que l’on rencontre dans les romans des écrivains communistes allemands. Dans les années 1919-1920, période au cours de laquelle la République de Weimar est secouée par des troubles politiques sans précédents, 2 tendances, voire 2 stratégies s’affrontent au sein du mouvement communiste : - la 1ère est celle du KPD (Parti communiste allemand) , né le 1er janvier 1919 et issu de la Ligue Spartakiste (Spartkusbund) qui s’était constituée au cours de la guerre. On peut parler d’une tendance orthodoxe qui prend modèle sur la révolution soviétique et se base sur la marxisme-léninisme ; elle est influencée par le Komintern (Internationale communiste) et par Lénine qui s’oppose au boycott des syndicats et { la non-participation à des élections législatives (il parle du Linksradikalismus, pensée anarchisante d’extrêmegauche, comme d’une « maladie de jeunesse du communisme »). - La 2ème est spontanée et anarchisante. On la retrouve chez les membres du KAPD (Parti communiste ouvrier allemand) qui naît en avril 1920 sous l’impulsion de la fraction d’extrême-gauche exclue du KPD au congrès d’Heidelberg en octobre 1919. La question du parlementarisme illustre le mieux leurs différences : alors que le KPD accepte, à partir de 1920, de présenter des candidats aux élections législatives (2,1% des voix en juin 1920), le KAPD s’engage dans une opposition sans compromis. Si on se penche sur la production littéraire des écrivains communistes au cours des années 1918-1923, on constate qu’elle est le fait de tendances extrémistes et radicales sans qu’on puisse parler d’une littérature révolutionnaire prolétarienne organisée. Ces communistes extrémistes se regroupent autour de journaux dont le plus célèbre est Die Aktion de Franz Pfemfert. Ils gravitent autour du KAPD et les troubles et insurrections des années 1919-1923 constituent le terreau sur lequel grandit leur littérature : Max Herrmann Neisse, Oskar Kanehl, Erich Mûhsam et surtout Franz Jung. I) Franz Jung Exclu du KPD en octobre 1919 car perçu comme « un élément petit-bourgeois, individualiste et anarchique », Franz Jung rejoint en 1920 le KAPD dont il devient vite l’une des principales têtes pensantes. Incarcéré de septembre 1920 { l’été 1921, Jung va écrire en prison 4 romans qui seront publiés au Malik Verlag : Proletarier (Prolétaire), Die rote Woche (La semaine rouge), Arbeitsfriede (Paix sociale) et Die Eroberung der Maschinen (La conquête des machines). Dans ces 4 livres, Jung ne nous livre pas une description précise des événements, mais est davantage attaché { représenter l’évolution qui se produit dans la conscience des masses. Pour Jung, la victoire des masses reste une vision lointaine, le plus important est la transformation qui s’opère dans les esprits, l’émergence d’une nouvelle conscience collective, les premiers pas du Gemeinschaftsrhythmus (élan collectif). Le prolétariat ne parviendra à sa mission historique que dans une autonomie absolue, sans leaders, même si cette voie est longue et remplie d’échecs. Dans un exposé tenu le 9 mai 1922 dans une réunion publique, exposé intitulé « Die bürgerliche Literaturgeschichte und das Proletariat », l’écrivain Max Herrmann Neisse rejoint Jung en estimant qu’il y aura une culture prolétarienne que quand règnera dans le prolétariat une unité spirituelle, un sentiment conscient de communauté. Le prolétariat doit se vivre comme une communauté, se créer sa propre Lebensanschauung. Les personnages de Jung sont dépourvus d’une psychologie profonde et ne sont essentiellement là que comme représentants de leur parti. Les traits qui les caractérisent, leur caractère propre sont plus ou moins déterminés par leur orientation politique. Jung crée des types de révolutionnaires auquel le lecteur peut se comparer. Ses personnages n’ont rien { voir avec les héros traditionnels du roman bourgeois, ce sont des prolétaires semblables au lecteur. « L’héroïsme est, pour la représentation, une erreur dangereuse. C’est un élément bourgeois. Nous, en revanche, nous avons tous la volonté d’être des hommes. Ce n’est pas la manière, mais le fait que nous sommes des hommes qui caractérise la valeur de l’œuvre. » (Préface de Arbeitsfriede) De la même manière, la description de l’espace est réduite { sa plus simple expression, Jung le percevant même comme un élément superflu, inutile, car il pourrait, comme l’écrit Susan Suleiman (Le roman à thèse ou l’autorité fictive), « diluer le sens démonstratif de l’histoire en laissant flotter l’attention du lecteur ou en le détournant vers des choses qui n’ont rien à voir avec la thèse ». Les 3 premiers romans sont plutôt bien accueillis par la critique communiste car Jung ne représente pas de héros individuels mais le prolétariat en tant que sujet collectif. En revanche, le 4ème, Die Eroberung der Maschinen », publié en 1923, ne déclenche plus le même enthousiasme. Gertrud Alexander écrit : »Comme certains jeunes auteurs qui veulent faire de l’art prolétarien, Jung a peur de l’individualisation dont il sait qu’elle est une caractéristique de l’art bourgeois, il veut écrire un roman impersonnel, c'est-à-dire qui ne traite pas des individus et des destins individuels. Tout ceci est mort et froid. » (Rote Fahne du 3 juin 1923). A l’automne 1921, Jung sort de prison et se rend en URSS où il passera 3 ans. A son retour, en 1924, il s’est coupé du mouvement révolutionnaire et ne trouve plus le contact avec les prolétaires. Le début de la phase dite de stabilisation marque pour lui l’entrée dans ses « années grises ». Comme Jung, Pfemfert ou Kanehl, les intellectuels d’extrême gauche se perdent dans des tendances sectaires et se coupent de la base ouvrière. Ils ne cherchent même pas à analyser la réalité économique et sociale. Dans Proletarier, l’organe du KAPD berlinois, on parle du « bluff de la stabilisation ». Chez Pfemfert, l’intellectuel apparaît même comme un traitre. Parallèlement, le KPD se renforce. Le Linksradikalismus (pensée d’extrême-gauche), en tant que mouvement d’influence, est terminé. II) Les 3 principales étapes de la littérature du KPD En 1924, le Parti communiste connaît une situation peu favorable : à la perte de voix subie aux élections législatives (mai 1924 : 12,6% décembre 1924 : 8,9%) correspond une baisse importante du nombre d’adhérents (300 000 septembre 1923, 95000 à la fin de 1924). Comme la situation économique et politique a changé, que le système s’est stabilisé et que la prise du pouvoir par le prolétariat est repoussée à des lendemains lointains, un changement de stratégie s’impose. Le 5ème congrès du Komintern en 1924 impose aux partis communistes de former des sections pour l’agitation et la propagande, on parle de « bolchevisation des partis communistes » Le KPD décide d’intensifier son action de masse au niveau des usines et des organisations syndicales. En ce qui concerne la littérature, des délégués allemands se sont rendus en 1924 à ce 5ème congrès du Komintern et ont discuté avec des écrivains révolutionnaires soviétiques de la VAPP (Association panunioniste des écrivains prolétariens) de questions de littérature. La VAPP veut reconnaître l’activité des écrivains prolétariens révolutionnaires comme une tâche du Parti. Au milieu des années 20, les intellectuels communistes allemands constatent leur retard au niveau de la littérature et voient comme une menace les romans de la paralittérature qui font des ravages dans les milieux ouvriers. Une organisation culturelle, jusqu’{ présent inexistante, doit donc être mise en place dans un double but : permettre de dépasser les tentatives isolées et individuelles des années d’après-guerre et assigner à la littérature la place importante qui lui revient dans la lutte des classes. A cet égard l’essai de Lénine « Organisation du Parti et travail du Parti », publié en Allemagne { la fin de l’année 1924, est d’une grande importance. Lénine met plus ou moins un terme à la conception trotskiste selon laquelle il ne saurait y avoir de culture et de littérature prolétariennes dans une société capitaliste. Il affirme par ailleurs le rôle de guide du Parti dans le domaine de la culture. Au cours des années 1924-1933, la littérature communiste se développe, elle ne connaît pas d’évolution linéaire mais avance par étapes ; elle n’est pas non plus totalement autonome, puisqu’elle est liée { des consignes qui proviennent de la direction du Parti et sont, le plus souvent, calquées sur le modèle soviétique. Dans ce contexte nous retiendrons 3 événements importants qui ont progressivement contribué à l élaboration d’un roman prolétarien : 1) la création du mouvement des correspondants ouvriers 2) la fondation de la Ligue des écrivains prolétariens révolutionnaires 3) le congrès international de Kharkov en 1930. a) Le mouvement des correspondants ouvriers En décembre 1924 est publié dans la Rote Fahne un article écrit par Zinoviev en 1921 dans lequel il dit qu’ »un quotidien communiste ne doit en aucun cas s’occuper de ce qu’on appelle la « haute politique », bien au contraire, ses ¾ doivent être consacrés à la vie et aux activités des ouvriers. » Le lendemain le journal communiste en publie un compterendu dans lequel il est dit que le correspondant est perçu comme un lien entre le journal et la masse des ouvriers et que sa tâche consiste à rapporter à ses collègues, dans une perspective marxiste, la situation dans l’usine et les conditions de vie ouvrière. A partir de 1924, on voit apparaître une quantité de journaux d’usine (700 en 1929 !), mais également des reportages issus de cellules de rue. Ces journaux ambitionnent de changer la conscience de classe des ouvriers et trouvent leur place dans la lutte contre le système. Ces petites formes sont éloignées de ce que sera le roman prolétarien mais elles contribuent à le préparer. Il est recommandé aux correspondants de : 1. Représenter des phénomènes sociaux d’intérêt général 2. Décrire ce qui est caractéristique 3. Ecrire brièvement 4. Ecrire objectivement 5. S’en tenir aux faits 6. Décrire avec précision. Ces recommandations vont influencer le style des écrivains et également dicter le choix de leurs sujets qui seront liés à la vie quotidienne et aux problèmes de la classe ouvrière. Il s’agit finalement de susciter des vocations d’écrivains (Willi Bredel, Hans Marchwitza). b) La ligue des écrivains prolétariens révolutionnaires En novembre 1927 se tient à Moscou le premier congrès international des écrivains révolutionnaires prolétariens. La délégation allemande est représentée par Becher (qui sera ministre de la Culture de la RDA), Gabor et Berta Lask. Becher déplore, en dépit des efforts des « talentueux » correspondants ouvriers, « le manque considérable d’organisation du travail des écrivains et poètes communistes allemands. » Malgré la bonne volonté de ses membres la Correspondance ouvrière n’a pas encore produit les romanciers espérés. Le 1er avril 1928, quelques écrivains communistes se réunissent au Théâtre Lessing de Berlin et, sous la direction de Becher, décident de créer une association « à laquelle doivent appartenir tous les écrivains et correspondants ouvriers qui, sur la base de la lutte des classes, sont prêts par leurs paroles et leurs actes à soutenir le 1 er état ouvrier du monde, l’URSS ». Cette réunion est le 1er pas menant à la fondation de la Ligue qui voit le jour le 19 octobre 1928 à Berlin. Cette ligue a pour but de s’unir pour lutter contre la justice de classe. Elle veut créer un grand mouvement littéraire « d’en bas » dans lequel les masses ne seront pas seulement consommatrices mais aussi productrices. Elle a un journal, la « Linkskurve », qui contribue à la stratégie communiste pour prendre le pouvoir. Résumons les points principaux des lignes directrices du programme de la Ligue : - la littérature révolutionnaire prolétarienne est une arme d’agitation et de propagande dans la lutte des classes, elle sert à préparer la révolution - elle veut gagner à la cause de la révolution les couches moyennes et les intellectuels ou tenter de les neutraliser - en contradiction totale avec la littérature bourgeoise elle dévoile les contrastes sociaux et souligne la priorité du contenu aux dépens de la forme. Elle rejette les tendances littéraires qui se veulent révolutionnaires en bouleversant les formes existantes, car une forme révolutionnaire ne peut naître que d’un contenu révolutionnaire. En 1932, la Ligue compte environ 500 membres répartis en 23 sections. 50% de ses adhérents sont des ouvriers. Sa direction se compose d’un président (Becher) et d’un comité directeur. La Linkskurve peut se prévaloir d’un certain succès dans le domaine romanesque : Elle contribue entre autres au succès de la série du « roman rouge à un mark », lancée en août 1930. c) Le deuxième congrès international de Kharkov Il a lieu du 6 au 15 novembre 1930 ; il réunit les délégués de 22 pays qui, au moment où le monde capitaliste connaît une crise sans précédent, viennent débattre des problèmes de la littérature prolétarienne. Quelques semaines avant de se rendre à Kharkov, Becher dresse un nouveau bilan de la situation de la littérature communiste en Allemagne et, cette fois, son jugement est nettement plus positif qu’en novembre 1927. Il exprime le désir de « créer une littérature de masse bon marché pour essayer d’atteindre les couches qui ne sont que peu sensibles à la littérature marxiste dans laquelle le politique domine ». Il relève dans l’évolution historique de son pays 3 facteurs déterminants : - une accentuation radicale des contrastes sociaux - la menace grandissante du fascisme - le danger d’une guerre contre l’URSS. Face à ce danger de guerre, les communistes doivent serrer les rangs : ils veulent rechercher une unité sur le plan littéraire et tenter d’atteindre les couches moyennes touchées de plein fouet par la crise économique et susceptibles de rejoindre le camp national-socialiste. En ce qui concerne l’esthétique narrative du roman prolétarien dégageons { travers les multiples articles écrits par les cadres du Parti ou les romanciers communistes quelques principes fondamentaux : 1. Suprématie de la fonction didactique, conception aux antipodes de la littérature bourgeoise de l’époque 2. Venant bien souvent de la Correspondance ouvrière, les sujets du roman prolétarien sont tirés de la vie quotidienne ou des événements les plus récents. Il faut coller à l’actualité immédiate 3. Refus du roman bourgeois contemporain qui fait la part belle { l’introspection et { l’individualisme, il faut mieux mettre en valeur un collectif 4. L’auteur doit être fidèle au matérialisme dialectique, base de la nouvelle méthode créatrice. A l’idéalisme bourgeois les communistes opposent le matérialisme prolétarien. Cette maîtrise de la dialectique marxiste entraîne de nombreux débats entre le théoricien Lukacs qui critique le roman-reportage et des romanciers tels Bredel, Ottwalt. Ainsi, au début des années 30, on a 2 tendances qui s’opposent et s’affrontent au moyen d’articles publiés dans la Linkskurve : d’un côté un groupe d’intellectuels qui s’orientent d’après la tradition du roman réaliste du 19ème siècle et jettent les bases de ce qu’on appellera le « réalisme socialiste », de l’autre des écrivains d’origine ouvrière, privilégiant une écriture plus spontanée, directement inspirée du quotidien prolétarien. III) Quelques types de personnages du roman révolutionnaire prolétarien a) Le combattant prolétarien A la lecture des 3 romans Brennende Ruhr (1929) de Karl Grünberg, de Sturm auf Essen (1930) de Hans Marchwitza et de Barrikaden am Wedding (1931) de Klaus Neukrantz, on peut tirer quelques conclusions sur la figuration du combattant prolétarien ainsi que sur la stratégie employée par les auteurs. -Le combattant prolétarien n’est pas un héros au sens traditionnel, mais un représentant de la masse prolétarienne. Il n’est qu’un parmi d’autres. Après sa mort, d’autres poursuivront le combat. Le mouvement est vaincu, mais les auteurs diagnostiquent déj{ des victoires futures et cette projection sur l’avenir a une fonction politique, celle de motiver les lecteurs et de garder intacte leur volonté de se battre. -Le but des auteurs est de reconstituer les événements historiques mais surtout de dénoncer la faiblesse du pouvoir social-démocrate vis-à-vis de l’extrême droite et ce qu’ils considèrent comme la trahison du mouvement ouvrier. On assiste dans les romans à des conversions : des protagonistes quittent le SPD pour rejoindre le mouvement ouvrier, traitant les dirigeants sociaux-démocrates de Sozialfaschisten. Au début des années 30, les communistes parlent davantage du Socialfascisme que du Fascisme ! -La déformation manichéenne de la réalité (surtout chez Marchwitza), la peinture en noir et blanc participent d’une stratégie qui indique au lecteur dans quel camp il doit se situer, sans lui laisser vraiment la possibilité de choisir. b) L’ouvrier Dans un article publié en 1930 dans la Linkskurve, Kurt Kläber demande aux écrivains communistes d’écrire « une littérature d’aujourd’hui et de demain », qui traite de la « rationalisation », « du combat des camarades dans l’usine » et contienne « des descriptions de la vie de l’armée de chômeurs ». Maschinenfabrik N & K (1930) de Willi Bredel et Schlacht vor Kohle (1931) de Hans Marchwitza répondent à cet appel. -Dans ces 2 romans les luttes des combattants prolétariens se situent à l’usine/mine. -L’ouvrier/mineur lutte pour l’amélioration de ses conditions de travail, contre la rationalisation qu’il rend responsable de nombreux accidents du travail en raison de l’augmentation des cadences. -Le journal d’usine (référence { la Correspondance ouvrière) se révèle utile pour dénoncer les abus et injustices. -L’opposition SPD/KPD est transposée au niveau de l’opposition syndicat réformiste (ADGB : Confédération générale des syndicats allemands) / syndicat révolutionnaire (RGO : Opposition syndicale révolutionnaire). -Exemples de conversions : ouvriers qui rejoignent le syndicat révolutionnaire, femme de mineur qui, dans une manifestation, découvre la solidarité prolétarienne. -La grève échoue mais des espoirs d’une victoire repoussée à des moments plus favorables subsistent. -La figuration négative de certains personnages (patrons, contremaîtres, conseillers sociaux-démocrates) remplace l’argumentation. c) La femme Dans le roman des auteurs prolétariens (si l’on fait abstraction de Rudolf Braune), la femme est là essentiellement pour soutenir voire soigner le combattant prolétarien. Celle qui ne s’engage pas politiquement n’a qu’un rôle subalterne dans l’action. Grünberg et Marchwitza dressent le portrait de deux femmes courageuses, les infirmières Mary et Rosa. Grünberg oppose même la prolétaire Mary à la bourgeoise Gisela, représentante d’un mouvement d’extrême-droite et l’opposition entre ces deux femmes très typées n’est l{ que pour souligner les deux tendances politiques qui s’affrontent. D’une manière générale, les auteurs communistes n’accordent qu’une place réduite à la sphère intime ; s’il y a émancipation de la femme, elle se situe sur le plan politique et non sexuel, contrairement aux auteurs de la Nouvelle Objectivité. Otto Biha : »Le type de femme, absent dans la littérature, pour laquelle le problème sexuel n’est plus du tout le contenu essentiel de la vie, est au cœur de notre réalité, dans les usines, les bureaux, les ateliers. « Walter Schönstedt expédie la question sexuelle : »Mais l’essentiel, c’est bien la création de conditions économiques saines. Ainsi la question sexuelle sera, elle aussi, résolue. » Conclusion Au début des années 30, les communistes conçoivent leur littérature comme une arme (métaphores guerrières). Privilégiant le fond { la forme, leurs romans s’inscrivent dans une esthétique narrative typique de l’époque que l’on retrouve par ailleurs chez certains écrivains de la Nouvelle Objectivité et dont on pourrait résumer ainsi les caractéristiques : - rupture avec le roman bourgeois traditionnel - typisation des personnages : type social pour les auteurs de la NS, représentant de la masse prolétarienne pour les communistes - techniques narratives qui s’inspirent du reportage - récit souvent relaté par un narrateur omniscient Poursuivant une intention didactique, ils font preuve les uns et les autres, d’une certaine abnégation, les uns en renonçant à la grande littérature, les autres en se mettant entièrement au service de leur Parti. Pour reprendre un thème développé par Anthony Glinoer, on peut dire que les romans des auteurs révolutionnaires prolétariens s’inscrivent bien dans l’idée que « l’œuvre littéraire est un produit collectif ».