LE TATOUAGE GINGIVAL AU SÉNÉGAL : LE “PIMPI”. INCIDENCE
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LE TATOUAGE GINGIVAL AU SÉNÉGAL : LE “PIMPI”. INCIDENCE
LE TATOUAGE GINGIVAL AU SÉNÉGAL : LE “PIMPI”. INCIDENCE SUR LE PARODONTE DU CARBONE DIALLO P.D.*, DIALLO-SECK A.M.*, SEMBENE M.*, NGOM-NDOYE M.N.D.*, MOREAU J.L.** DIENE A.* INTRODUCTION MATERIEL ET METHODE Le tatouage gingival est une pratique traditionnelle qui consiste en une pigmentation artificielle des gencives qui peut s’adjoindre à une gencive rose ou pigmentée naturellement, et qui est obtenue par l’introduction d’une matière colorante dans la gencive au moyen de piqûres par des épines végétales ou des aiguilles à coudre attachées en fagots de 10. Une enquête a été réalisée auprès de 67 femmes dont 37 présentaient une gencive tatouée et une population témoin de 30 femmes n’ayant pas fait de tatouage gingival. Une fiche comportant différents éléments a été utilisée : - Identité de la patiente : nom, prénoms, âge, ethnie Trois grandes variétés de produits sont utilisées pour enduire la gencive ; ils sont le résultat de la carbonisation de l’huile (“pimpi huile”), de l’arachide (“pimpi arachide”), ou du pétrole (“pimpi lampe à pétrole”). - Fréquence ou nombre de renouvellements Plus qu’un mode, cet élément de notre patrimoine culturel est à la fois initiation, critère de beauté, mais aussi pratique thérapeutique, d’où l’intérêt particulier suscité dans le domaine de la parodontologie. INTÉRET ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE Le tatouage gingival est souvent utilisé, en plus du rendu esthétique créé par le contraste des effets de la couleur gris-noir de la gencive avec le blanc-laiteux des dents, dans le traitement traditionnel des parodontopathies. Il lui serait attribué un rôle bénéfique dans le soulagement des douleurs et des sensations de démangeaisons, de cuisson de la gencive ainsi que dans la disparition des gingivorragies. Nous avons initié ce travail pour voir l’impact de cette thérapeutique traditionnelle sur le parodonte et évaluer si les effets recherchés sont réels ou virtuels. Quels sont les effets du processus inflammatoire résultant des éléments agressifs que constituent la piqûre et l’introduction d’un corps étranger dans la gencive ? Ou encore, la fibrose de l’épithélium et du chorion suite au tatouage constitue-t-elle une protection contre la maladie parodontale ? * Service de Parodontologie - Institut d’Odontologie et de Stomatologie - Université Cheik Anta Diop - DAKAR ** Attaché Bordeaux II - Ancienneté du tatouage - Prise de contraceptifs oraux ou état de grossesse - Indices parodontaux : IHOS, IG, IP, SBI - Examen anatomo-pathologique (ce paramètre ne sera pas exploité dans ce travail préliminaire dont le but est essentiellement épidémiologique). RESULTATS 1 - Population d’étude Notre étude a concerné 67 femmes dont l’âge est compris entre 15 et 63 ans avec une moyenne de 28,50 ans. Parmi elles, 30 représentent la population témoin, c’est - dire, n’ayant pas fait de tatouage gingival. Nous avons relevé différents chiffres chez les tatouées : - 35,1 % ont leur tatouage datant d’au moins 5 ans, - 40,3 % n’ont jamais renouvelé leur tatouage, - 97,3 % ne prennent pas de contraceptifs oraux, - 97,3 % ne sont pas enceintes. 2 - Résultats en fonction de l’IHOS Il n’y a pas de différence significative quant à l’IHOS dans les deux groupes (environ 40 % des femmes ont un indice compris entre 1 et 2 que leur gencive soit tatouée ou non). Les femmes ont donc tendance à maintenir en général une bonne hygiène dentaire et, globalement, elles ont le même comportement par rapport à la pratique de l’hygiène (figure 1). Odonto-Stomatologie Tropicale Le tatouage gingival… Figure 1 : Indice d’hygiène orale dans une population avec une gencive tatouée et non tatouée contre 40 % des femmes dont la gencive est tatouée. Ainsi, on peut dire que l’inflammation gingivale s’exprime beaucoup plus sur le plan clinique dans le groupe témoin. On remarque aussi le même pourcentage de gencive saine dans les deux échantillons. Dans les gencives tatouées, les tissus parodontaux profonds sont atteints dans 11,1 % des cas, bien que les changements qualitatifs du tissu gingival soient moindres. On peut penser que la lésion parodontale installée avant le tatouage gingival continue d’évoluer comme le confirment les résultats de ce traitement dans les parodontites juvéniles (figure 3). Tatouées Série1 % 50 Non Série2 tatouées 40 30 20 10 IHOS 0 <1 1≤I<2 2≤I<3 3≤I<4 Figure 3 : Indice parodontal dans une population avec gencive tatouée et non tatouée 4≤I<5 5≤I<6 3 - Résultats en fonction de l’IG 80 Nous trouvons que 51,9 % des gencives tatouées sont indemnes d’inflammation cliniquement décelable contre 40 % des gencives de femmes témoins. Dans ce groupe, 68 % présentent une inflammation de légère à modérée de la gencive contre 29,6 % pour le groupe de femmes ayant une gencive tatouée. On constate aussi une moindre tendance au saignement quand la gencive est tatouée ; le tatouage réduirait donc l’une des manifestations de l’inflammation gingivale que constitue le saignement. Deux hypothèses peuvent expliquer cette confirmation : l’hyperacanthose ou la réduction du lit vasculaire. Cependant, l’inflammation histologique polymorphe demeure. On constatera aussi que malgré le tatouage, et en l’absence de rougeur et d’œdème, il y a 18,5 % des gencives qui saignent spontanément (figure 2). 60 Série1 Tatouées 40 Non Série2 tatouées 20 0 IP 0 1 2 6 Nous avons tenté d’étudier les corrélations entre l’IP, l’âge du tatouage et la fréquence des renouvellements. Les figures 4 et 5 montrent qu’il n’y a pas de lien. L’action du tatouage n’est pas indéfiniment installée. On n’a pas noté plus d’altération tissulaire chez les femmes qui ont eu à renouveller leur tatouage de façon plus fréquente ; de même, la distribution de l’IP n’a pas suivi l’ancienneté du tatouage. Figure 2 : Indice gingival dans une population avec une gencive tatouée et non tatouée 80 % Figure 4 : Indice parodontal et ancienneté du tatouage % 60 Tatouées Série1 40 Non Série2 tatouées 3 IP (moyenne) IP Série1 20 IG 0 2 0≤I<1 1≤I<2 2≤I<3 1 4 - Résultats en fonction de l’IP En utilisant les critères de l’indice parodontal, on retrouve 70 % du groupe témoin qui présentent une gingivite 0 ans < 5 5 5 à 10 11 à 15 16-20 21-25 26-30 Odonto-Stomatologie Tropicale Le tatouage gingival… Figure 5 : Indice parodontal et renouvellement du tatouage 4 CONCLUSION Les études préliminaires sur le tatouage gingival, critère de beauté dans la culture africaine, révèlent une tendance nette, sur le plan épidémiologique, à la réduction des manifestations cliniques de l’inflammation gingivale, en particulier, le saignement (68 % des gencives non tatouées ont un score entre 1 et 2, contre 29,6 % des gencives tatouées). IP (Moyenne) Série1 IP 3 2 1 Globalement, pour les autres paramètres, la gencive tatouée ne montre pas de différence significative avec une gencive naturellement pigmentée ou rose. Les lésions parodontales se sont aggravées devant les parodontites évolutives où cette thérapeutique traditionnelle a été instaurée. 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Renouvellement 10 11 Ainsi, nous nous intéressons à l’étude de l’état gingival au moment du tatouage et son évolution dans le temps ainsi qu’au devenir des inclusions de carbone dans le chorion et l’épithélium. Un tel travail nécessite une analyse hystopathologique qui va constituer le second volet de notre étude. Ainsi les résultats histopathologiques donneront bientôt les renseignements nécessaires sur le devenir du carbone dans le tissu épithélio-conjonctif, l’organisation de la défense vis-à-vis de l’introduction d’un corps étranger et les effets de cette réaction sur le parodonte. BIBLIOGRAPHIE 1 - ANGLERAUD R. 3 - EL SAHILI K. Etude en microscopie électronique de la gencive pigmentée tatouée. Thèse C.D., Lyon, 1978, n° 121. 4 - NDIAYE N.D. Le tatouage gingival : impact des produits employés sur les tissus gingivaux. Thèse C.D., Dakar, 1975, n° 27. La gencive : anatomie, histologie. A.O.S., 1985, 149, 17-22. 2 - CORREA M.R. Le “njam” (tatouage gingival et labial), de la tradition à la modernité. G.E.F.E. - CESTI, Dakar, 1984, 185. 6