Éditorial complet
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JTDE_210_06_2014.fm Page 233 Jeudi, 26. juin 2014 11:20 11 Juin 2014 I No 210 I 22e année Bureau de dépôt : Louvain 1 - Mensuel, sauf juillet/août - P301030 Journal de droit européen Paul Nihoul, rédacteur en chef ISSN 0779-7656 – D 2013/0031/012 Éditorial Éditorial L’arrêt Costa c. Enel : cinquante ans déjà C. Blumann 233 Analyse Égalité des langues ? L’évolution du régime linguistique de l’Union à l’aune de la jurisprudence S. Weerts 234 Vie du droit Arrêt « Hay » : les partenaires (de même sexe) pacsés doivent-ils être traités comme des (hétérosexuels) mariés? F. Lambinet et S. Gilson 242 Commentaires Arrêt « Commission c. Belgique » : le nouvel assaut du droit européen général contre la fiscalité de l’épargne-pension A. Autenne 247 Arrêt « Digital Rights Ireland » : invalidité de la directive sur la conservation des données de trafic I. Chatelier et M. Verónica Pérez Asinari 250 Chroniques Droit social européen M. Schmitt 253 Droit fiscal européen E. Traversa et A. Maitrot de la Motte 260 Actualités 269 L’arrêt Costa c. Enel : cinquante ans déjà À l’image de son prédécesseur de 1963, Van Gend en Loos, l’arrêt Costa c. Enel du 15 juillet mérite de figurer au Panthéon des grands arrêts de la Cour de justice. S’il conserve aujourd’hui l’éclat qui a été le sien en 1964, c’est parce qu’il s’est prononcé sur des questions ontologiques relatives au droit de l’Union, celle de sa nature — c’est la thèse de la spécificité — et celle de son autorité — c’est la thèse de la primauté. À La spécificité de l’ordre juridique de l’Union. — On se souvient des propos maladroits formulés par la Cour dans l’arrêt Van Gend, qui qualifie le droit communautaire de « nouvel ordre juridique de droit international ». Ces termes semblaient repositionner le droit nouveau issu des traités européens dans l’ordre juridique international. Heureusement, la Cour rectifie le tir en précisant « qu’à la différence des traités internationaux ordinaires, le Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres... ». Ainsi se voit affirmée la thèse de la spécificité du droit de l’Union, d’un tiers ordre juridique, différent à la fois du droit international et du droit interne, un tiers ordre qui puise cependant dans ses deux modèles classiques un certain nombre de caractères identifiants. Un droit qui découle en effet d’une création étatique, d’une limitation de droits souverains des États membres, ce qui en fait un sujet dérivé du droit international, mais qui possède tous les attributs ou presque pour se mouvoir et dans la sphère internationale et dans la sphère interne : la personnalité, la capacité de représentation internationale, etc. Cette thèse de la spécificité va traverser l’histoire de l’Union européenne (l’idée de fédération européenne s’en inspire à l’évidence). Elle résistera contre vents et marées notamment contre certains négationnistes tant du droit international que du droit interne, offusqués de l’éclatement des confortables catégories classiques et qui tenteront de noyer cette spécificité Claude Blumann1 en ravalant les communautés au rang de simples organisations internationales améliorées ou en tentant de les couler dans le moule étatique, avec notamment la quête d’une identité constitutionnelle mal comprise ou en niant la composante étatique de l’Union. La primauté du droit de l’Union. — Le mot « primauté » n’est pas employé et la Cour reste prudente en évoquant seulement la prééminence du droit communautaire. Elle se fonde à la fois sur des arguments proches du droit international « l’impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure ». D’autres sont puisés dans la lettre des traités : le caractère directement applicable des règlements (ex-article 189 CEE), l’impossibilité des États de s’affranchir de certaines contraintes sans l’accord des institutions (clauses de sauvegarde) et d’autres enfin se fondent sur la nature même des Communautés, cette « nature spécifique originale » qui ne saurait tolérer un acte national contraire sans « perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ». C’est une conception très exigeante, celle d’une primauté absolue, qui ressort de l’arrêt Costa, car celleci ne saurait se voir opposer « un texte interne, quel qu’il soit ». La primauté ne se limite ni aux règlements administratifs ni aux lois, mais s’étend aux normes de nature constitutionnelle, ce que la Cour confirmera dans la suite de sa jurisprudence. Elle ne se départira jamais de cette position (Simmenthal). Mais la montée en puissance des cours constitutionnelles nationales, de même que l’irruption des droits fondamentaux — devenus la matrice devant laquelle toute règle interne, européenne ou internationale doit céder — vont conduire à une remise en cause de la primauté. (1) Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit européen.