la chaussure de vair

Transcription

la chaussure de vair
LA CHAUSSURE DE VAIR
Conte théâtralisé
Xavier DAUDET
Il y a un banc au milieu de la scène. Le Balayeur nettoie la scène en sifflotant. Cendrillon entre.
CENDRILLON : Vous n’auriez pas vu une chaussure ?
LE BALAYEUR : Une chaussure comment ?
CENDRILLON : Une chaussure de vair.
LE BALAYEUR : Une chaussure en verre ?
CENDRILLON : Non ! Pas en verre ! L’erreur vient de cet abruti de Walt Disney ! Charles Perrault
a écrit vair : v, a, i, r. Le vair c’est une sorte de fourrure. Je vous demande vraiment !... Comment
voulez-vous mettre votre pied dans du verre vous ?
LE BALAYEUR : Et en plus c’est dangereux... Si le verre se brise, vous avez le pied coupé !...
Pardonnez-moi Mademoiselle, mais vous êtes qui au juste ?
CENDRILLON : On m’appelle Cendrillon.
LE BALAYEUR : Ouah ! Vous êtes vraiment Cendrillon ? La Cendrillon ? Enfin, je veux dire,
Cendrillon du conte de fées ?
CENDRILLON : Oui, c’est moi !
LE BALAYEUR : Eh ! Ben ! J’ai pas perdu ma journée, moi ! Quand je vais raconter ça aux
copains, ils voudront jamais me croire... (Il sort un papier et un crayon de sa poche.) Vous pouvez
me signer un autographe ? C’est pour montrer aux copains.
CENDRILLON (Signant) : Voilà. Vous êtes content ?
LE BALAYEUR : Ah! Dame! Si je suis content, vous pensez!... Mais dites-moi Mademoiselle
Cendrillon, ce n’est pas le Prince qui doit retrouver votre chaussure ?
CENDRILLON : Comment savez-vous ça, vous ?
LE BALAYEUR : Mais tout le monde le sait ! Je suis persuadé que tous les gens qui nous regardent
le savent eux aussi.
CENDRILLON : Pour tout vous dire, le Prince possède l’autre chaussure, celle qui permet de faire
la paire. Mais mon problème, c’est que j’ai égaré la première.
LE BALAYEUR : Attendez ! Ne vous inquiétez pas ! Dans ce théâtre, il y a une caisse où on range
tous les accessoires. Avec un peu de chance... (Il va chercher la caisse et vient la poser devant
Cendrillon. Il fouille longuement et en sort une botte.) Ce ne serait pas celle-là ?
CENDRILLON : Ça, c’est une botte idiot !
LE BALAYEUR : Et celle-là ?
CENDRILLON : Faites voir de plus près... Non, ce n’est pas celle-ci !
LE BALAYEUR : Ah ! Dame ! Je crois que j’ai trouvé votre bonheur Mademoiselle Cendrillon.
CENDRILLON : Oh ! Vous êtes chou ! Vous permettez que je vous embrasse ? (Elle lui donne un
baiser sur la joue.)
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LE BALAYEUR : Les copains me croiront jamais !... Qu’est-ce que je peux vous donner, moi ? (Il
cherche dans ses poches.) Ah ! Voilà ! J’ai trouvé : c’est une fleur de théâtre, une fleur en papier.
Vous n’aurez pas besoin de l’arroser celle-là !
(Cendrillon s’assied et sourit en mettant la fleur sous son nez. Soudain, elle met la tête entre ses
mains.)
LE BALAYEUR : Que se passe-t-il ? On dirait que vous n’êtes pas heureuse ?
CENDRILLON : Hélas non ! (Elle se met à pleurer.)
LE BALAYEUR : Ben ! quoi ! Vous pleurez ? Qu’est-ce que c’est que ce gros chagrin ? Ne vous
inquiétez pas Mademoiselle Cendrillon, le Prince vous aime et il va venir. (En direction du public)
Il en a de la chance le Prince !
CENDRILLON : C’est justement ce qui me rend chagrine.
LE BALAYEUR : Vous avez peur qu’il ne vienne pas ?
CENDRILLON : Oh ! Non ! Je suis même sûre qu’il va venir.
LE BALAYEUR : Je ne comprends rien ! Absolument rien !
CENDRILLON : Quand une femme attend un homme et qu’elle pleure, ça vous dit quoi ?
LE BALAYEUR : Ça me dit que..., cette femme l’aime trop.
CENDRILLON : Non ! C’est le contraire !
LE BALAYEUR : Attendez ! Attendez ! Vous êtes en train de me dire que vous n’aimez pas le
Prince charmant ?
CENDRILLON : Vous avez tout compris !
LE BALAYEUR : Ah!Bençaalors! Ah!Bençaalors!...
(Blanche Neige entre alors sur scène.)
CENDRILLON : Tiens, voilà Blanche Neige. (Elle lui fait la bise.)
LE BALAYEUR (Interloqué) : Excusez-moi, vous êtes Blanche Neige ?
BLANCHE NEIGE : Oui, c’est mon nom !
LE BALAYEUR : Là, c’est trop pour les copains ! Ils vont me prendre pour un fou ! Il faut que
j’aille prendre l’air. (Il sort.)
BLANCHE NEIGE : Ça n’a pas l’air d’aller ma grande ?
CENDRILLON : J’ai mal dans mon cœur. Je crois que je n’aime plus mon Prince...
BLANCHE NEIGE : Il ne faut pas te mettre dans des états pareils ! C’est une chose qui peut arriver
à tout le monde !
CENDRILLON : Sauf que ça ne t’arriverait pas à toi ma douce Blanche Neige.
BLANCHE NEIGE : Eh ! Bien ! Tu te trompes ma belle Cendrillon !
CENDRILLON : Comment, je me trompe ?... Es-tu en train de me dire que toi aussi ?...
BLANCHE NEIGE : Oui, moi aussi ! Comme tu dis.
CENDRILLON : Et pourquoi ?
BLANCHE NEIGE : Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne sais pas, moi ! En fait, il y a plein de raisons...
Oui plein !... Il ne sait rien faire de ses dix doigts... Ah ! Pour faire le beau, ça, il sait s’y prendre ! Il
passe sa vie devant un miroir. Et “Est-ce que mon habit est digne de moi ? Est-ce que les couleurs
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vont bien ensemble ? Mon chapeau me donne-t-il fière allure ?” etc., etc. Mais quand il s’agit de
réparer une prise de courant ou de changer les bougies de la voiture, Monsieur trouve que ce n’est
pas de son rang... Ça lui salirait les mains !
CENDRILLON : Et alors ?
BLANCHE NEIGE : Et alors ? Eh ! bien ! Voilà trois jours que je n’ai plus d’électricité dans ma
cuisine et deux semaines que la voiture a du mal à démarrer ! Tu voulais des raisons ? En voilà ! Il y
en a d’autres, bien sûr, mais je préfère les taire !...
CENDRILLON : Finalement, c’est la Belle aux Bois Dormant qui en a de la chance !
BLANCHE NEIGE : Ah ! S’il te plaît Cendrillon mon amie, ne me parle pas de cette pimbêche ! (La Belle au Bois dormant entre.)
LA BELLE : Vous êtes là les filles ?
BLANCHE NEIGE : Comment allez-vous ma chère ? Nous parlions justement de pensons
tellement à vous... Je me demandais comment vous alliez ?
vous ! Nous
LA BELLE : Je ne sais quoi répondre...
CENDRILLON : Votre Prince va bien ?
LA BELLE : Oh!Je vous en prie, ne me parlez pas de mon Prince!
CENDRILLON et BLANCHE NEIGE : Et pourquoi ?
LA BELLE : Il est toujours exténué !... Il revient de la chasse et il va directement se coucher !
Quand on va danser au bal, il est tellement fatigué qu’il dort pendant une semaine !... Ah ! Mes
chéries, il y a des jours où je me dis qu’un paysan bien costaud aurait été préférable à un Prince bien
né...
BLANCHE NEIGE : (Se tournant vers Cendrillon.) A propos, qui c’était le type qui est parti quand
je suis arrivée ?
CENDRILLON : C’est le balayeur du théâtre.
BLANCHE NEIGE : Il est mignon, tu ne trouves pas ?
LA BELLE : Qui est cet homme dont vous parlez ?
CENDRILLON : En fait, je le connais très peu..., mais je reconnais qu’il est gentil et affable. Il m’a
même offert une fleur en papier. (Elle la montre.)
BLANCHE NEIGE ET LA BELLE : Une fleur en papier ! Qu’elle est jolie !
BLANCHE NEIGE : Tu en as de la chance Cendrillon. Ce n’est pas mon Prince qui penserait à
m’offrir une fleur en papier !...
LA BELLE : Ni le mien non plus ! Il ne m’offrirait ni une fleur en papier ni même une vulgaire
fleur qu’on arrose !
(Le personnage de 7 nains entre.)
7 NAINS : Salut les filles !
LES FILLES : Bonjour 7 nains.
7 NAINS : Vous savez ce que j’ai apporté !
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BLANCHE NEIGE : Non, mais tu vas nous le dire 7 nains.
7 NAINS : Regardez ! (Il rit en montrant la seconde chaussure de Cendrillon.)
CENDRILLON : Mais c’est la chaussure de vair ?
LA BELLE : Le Prince va en faire une tête quand il se rendra compte qu’il n’a plus la chaussure de
Cendrillon !
BLANCHE NEIGE : Quel coquin ce 7 nains ! (Elle rit.)
CENDRILLON : Ecoutez-moi les filles, j’ai une idée. Nous allons mettre du coton dans la
chaussure et comme cela, elle sera trop petite pour moi !
LA BELLE : Tu exagères ? Et si elle me va à moi?
BLANCHE NEIGE : Ou à moi ? Que fait-on dans ce cas-là ?
CENDRILLON : Nous allons mettre suffisamment de coton pour qu’aucune d’entre nous ne puisse
la chausser...
LA BELLE : L’idée me ravit, Cendrillon. Et toi Blanche Neige, qu’en penses-tu ?
BLANCHE NEIGE : Ecoutez les copines, pressons-nous avant qu’il n’arrive.
Elles mettent du coton dans la chaussure de vair et Cendrillon met l’autre chaussure à son pied. Le
Balayeur entre alors.
LE BALAYEUR : C’est vous qui faites autant de bruit ?
LA BELLE : C’est vrai qu’il est chou ce balayeur !
BLANCHE NEIGE : Et au moins, lui, il travaille ! Il sait se servir de ses deux mains !
LE BALAYEUR : (Considérant 7 nains.) On dirait un nain de chez Mademoiselle Blanche Neige.
7 NAINS : Je ne suis pas 1 nain, je suis 7 nains !
LE BALAYEUR : Vous voulez dire que vous êtes les sept nains à vous tout seul ?
7 NAINS : On ne peut rien vous cacher.
LE BALAYEUR : Je comprends pourquoi je n’ai pas été payé le mois dernier... Il n’y a vraiment
plus un sou dans ce théâtre ! (S’adressant à la Belle.) Ne me dites pas que... Non !...
LA BELLE : Si!
LE BALAYEUR : Noooooooon ! ! !
LA BELLE : Et si ! Je suis bien la Belle au Bois Dormant !
LE BALAYEUR : Qu’est-ce que vous êtes belle !
LA BELLE : Je suis la Belle.
CENDRILLON ET BLANCHE NEIGE : On ne vous ennuie pas là ?
LE BALAYEUR : Mais vous êtes toutes plus belles les unes que les autres ! Vous êtes à croquer
toutes les trois... Tiens ! J’entends du bruit dans les coulisses. Je crois que c’est votre Prince
charmant Cendrillon. Je vais vous laisser...
LES FILLES : Non ! Restez !
Le Prince entre et devient électrique en apercevant les filles.
LE PRINCE : Mais que vois-je ici en secret réunies ? Ne serait-ce pas ma petite Cendrillon ? Et
celle-ci ma douce Blanche Neige ? Et celle-là ma Belle enfin réveillée ?
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LE BALAYEUR : Que venez-vous faire en ce lieu ?
LE PRINCE : Je suis, en théorie, venu pour faire essayer la chaussure de vair au pied de
Cendrillon... Mais... On m’a volé la chaussure !
BLANCHE NEIGE : Oh ! Que c’est vilain ! Et qui a fait cela?
LE PRINCE : Je n’en ai aucune idée !
7 NAINS : J’ai trouvé une chaussure sur le chemin. Ce ne serait pas celle-ci ?
LE PRINCE : Oh ! Comment te remercier Petit Poucet ?
7 NAINS : Je ne suis pas le Petit Poucet ni Tom Pouce... Je suis 7 nains de Blanche Neige !
LE PRINCE : Pardon 7 nains ! Peux-tu me donner cette chaussure qui doit épouser le pied de
Cendrillon comme un gant ?
7 NAINS : La voici !
LE PRINCE : Oh ! La petite chaussure de vair qui va épouser le pied de ma petite Cendrillon !
Cendrillon, ton pied ! (Il essaie en vain la chaussure.) Mais je n’y comprends rien ! Que signifie
cela ?... A moins que... (Il sourit.) A moins que cette chaussure ne soit faite pour le pied de Blanche
Neige ? J’ai toujours rêvé de changer d’histoire. Permettez-moi de l’essayer !
BLANCHE NEIGE : Faites donc ! (Elle tend son pied.)
LE PRINCE : Non plus ? Mais je suis damné !... Que signifie cela ?... A moins que... (Il sourit.) A
moins que cette chaussure ne soit faite pour le pied de la Belle au Bois Dormant ? Je n’y perdrais
pas au change... Permettez-moi de l’essayer !
LA BELLE : Essayons toujours. (Elle tend son pied.)
LE PRINCE : Mais que se passe-t-il ? Cette chaussure ne va à personne. Ni à Cendrillon, ni à
Blanche Neige, ni à la Belle ! Elle est beaucoup trop petite !
LE BALAYEUR : Attendez Monsieur le Prince, il reste un personnage !
LE PRINCE : Je ne vois personne d’autre.
LE BALAYEUR : Si ! Il y a 7 nains.
LE PRINCE : Pourquoi cette chaussure irait-elle à 7 nains ?
7 NAINS : Je vois que mon avis n’intéresse personne !
LE BALAYEUR : Essayez toujours Monsieur le Prince.
LE PRINCE (Mettant la chaussure au pied de 7 nains.) : Le pire est que vous avez raison. Que
signifie cela ?
LES FILLES : (Riant.) Et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants !
(Elles se lèvent et partent en courant, entraînant le balayeur par la main. Il revient et déclare :)
LE BALAYEUR : Les copains ne me croiront jamais ! ! !
(Elles reviennent et le tirent par la main)
LES FILLES : Viens !
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