La stimulation cérébrale profonde : un outil pour la modulation
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La stimulation cérébrale profonde : un outil pour la modulation
La stimulation cérébrale profonde : un outil pour la modulation thérapeutique du comportement et des émotions L. MALLET (1) INTRODUCTION PRINCIPES ET INDICATIONS ACTUELLES Parmi les traitements basés sur la neuroanatomie et les techniques de stimulation, comme la stimulation magnétique transcrânienne ou la stimulation du nerf vague, nous focaliserons cet exposé sur la stimulation cérébrale profonde (SCP), particulièrement adaptée au développement de procédures thérapeutiques en lien avec des dysfonctionnements sous-corticaux conduisant à des désordres comportementaux et émotionnels. La stimulation cérébrale profonde est un traitement reconnu dans la maladie de Parkinson et d’autres pathologies du mouvement. Sa réversibilité, son adaptabilité et sa faible morbidité, suggèrent que ce traitement pourrait être proposé dans des pathologies où une intervention sur un groupe de neurones au sein d’un réseau cérébral est susceptible de modifier une fonction ou un symptôme. En ciblant avec précision son action sur des régions et des circuits cérébraux profonds impliqués dans la physiopathologie de maladies neuropsychiatriques, elle offre l’espoir d’une amélioration de troubles sévères et résistants aux thérapeutiques médicales. Actuellement, la stimulation cérébrale profonde est utilisée ou en cours de développement pour le traitement du tremblement essentiel, la maladie de Parkinson, la dystonie, l’épilepsie, le trouble obsessionnel compulsif (TOC), la maladie de Gilles de la Tourette, la dépression. L’application de la stimulation dans ces différentes pathologies a permis une meilleure compréhension de certains aspects de comportements compulsifs et de divers troubles émotionnels au cours des maladies du mouvement, en particulier au cours de la maladie de Parkinson. Cette technique consiste en l’implantation stéréotaxique d’électrodes dans des structures cérébrales profondes. Ces électrodes sont connectées par un câble souscutané à un générateur électrique permettant d’appliquer en continu à la structure cible un courant à haute fréquence (80-150 Hz). L’effet de la stimulation est réversible, les différents paramètres de stimulation (fréquence, voltage, durée d’impulsion) sont ajustés afin d’obtenir un résultat de qualité sans effets indésirables et une faible morbidité, rendant les traitements bilatéraux possibles (jusqu’alors très risqués avec la chirurgie lésionnelle). Dans la maladie de Parkinson, la stimulation bilatérale à haute fréquence du noyau sous-thalamique ou du globus pallidus interne permet d’améliorer l’ensemble de la symptomatologie motrice de l’ordre de 60 à 80 %, avec une bonne efficacité à 5 ans (11). Les complications sont rares, de 1-2 % pour l’hémorragie intracérébrale à 3-4 % pour les infections, pouvant nécessiter le retrait du matériel et une antibiothérapie adaptée. À ce jour, cette technique est maîtrisée par de nombreuses équipes multidisciplinaires, associant neurochirurgiens, neurologues, neurophysiologistes et neuroradiologues, depuis quelques années dans plusieurs Centres Hospitalo-Universitaires de France. La surveillance très rigoureuse et continue (clinique et à l’aide d’outils standardisés) de l’évolution psychologique, neuropsychologique et psychopathologique depuis plusieurs années des patients bénéficiant d’un traitement par SCP, pour le traitement de la maladie de Parkinson ou pour les dystonies généralisées par exemple, permet de confirmer la très bonne tolérance de cette technique. (1) INSERM, Centre d’Investigation Clinique, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris. S 44 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 44-7, cahier 2 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 44-7, cahier 2 MODULATION DES CIRCUITS MOTEURS Depuis plusieurs années cette intervention chirurgicale a donc été proposée dans le traitement de plusieurs maladies du mouvement, la maladie de Parkinson, mais aussi le tremblement essentiel avec l’application d’une stimulation à haute fréquence dans le noyau ventral intermédiaire du thalamus (7), la dystonie avec l’application d’une stimulation dans la partie interne du globus pallidus (18) avec une amélioration parfois spectaculaire du handicap moteur chez les patients souffrant d’une dystonie généralisée mais aussi plus récemment pour des patients ayant une dystonie non généralisée ou focale (torticolis spasmodique, par exemple). De manière isolée, des améliorations variables ont été décrites chez des patients souffrant de mouvements anormaux dans le cadre de pathologies génétiques ou métaboliques avec pour la plupart une stimulation bilatérale du GPi (maladie de Hallevorden-Spatz, Gangliosidose…). Enfin, plus récemment, des travaux laissent envisager un espoir de traitement efficace pour les patients souffrant de mouvements anormaux secondaires à un traitement neuroleptique prolongé (6), ce qui est susceptible de concerner un bon nombre de patients psychiatriques. Les indications éprouvées produisent des critères précis de sélection des malades qui peuvent évoluer parallèlement à la technique et la précision du ciblage. Pour la maladie de Parkinson, les critères cliniques d’inclusion pour la stimulation du noyau sous-thalamique sont actuellement : maladie de Parkinson idiopathique, âge < 70-75 ans, bonne dopasensibilité : amélioration du handicap moteur parkinsonien > 50 % par la lévodopa, handicap moteur sévère, complications motrices induites par le traitement antiparkinsonien (fluctuations motrices et/ou dyskinésies), absence de troubles cognitifs ou psychiatriques sévères, ce point étant sujet à une redéfinition constante, absence de contre-indications chirurgicales. Les résultats portent sur la motricité mais aussi sur les aspects fonctionnels : amélioration du handicap moteur et des activités de la vie quotidienne : + 50 à 80 %, amélioration de la qualité de vie : + 25 %, réduction du traitement antiparkinsonien : – 50-70 %, réduction des complications motrices induites par la lévodopa : – 60-90 %. Les paramètres de stimulation utilisés dans la maladie de Parkinson pour le traitement chronique sont déterminés au cours de la période postopératoire (3 mois en moyenne). Chaque électrode comprend 4 contacts permettant la stimulation électrique, le choix du contact dépend du rapport entre amélioration motrice et effets secondaires (liés à la localisation du contact dans la région cible). En général, un contact est utilisé de chaque côté, la fréquence de stimulation est de 130 Hz, la durée d’impulsion de 60 us et le voltage aux alentours de 3 volts. Il existe une période d’adaptation thérapeutique postopératoire pendant laquelle le traitement médicamenteux est réduit en fonction de l’amélioration motrice induite par la stimulation cérébrale profonde. Le déroulement des étapes postopératoires est variable d’un centre à l’autre. L’objectif des premiers mois est de déterminer avec précision les paramètres de stimulation chronique permettant d’obtenir la La stimulation cérébrale profonde meilleure amélioration du handicap moteur pour le moins d’effets secondaires, tout en adaptant le traitement médicamenteux. Cette période dure de 3 à 6 mois en moyenne. À long terme, les changements des paramètres de stimulation ou du traitement médicamenteux sont moindres et dépendent principalement de l’évolution de la maladie. En effet, les résultats à 5 ans montrent que l’effet de la stimulation sur les symptômes moteurs dopasensibles persiste au cours du temps. D’un point de vue neurochirurgical, la SCP présente peu d’effets indésirables. Il n’existe pas de répercussion sur les fonctions cognitives, à condition qu’il n’existe pas de déclin cognitif au moment de l’intervention. Récemment, des effets secondaires psychiques, parfois graves, ont été rapportés par exemple des cas de suicides (5), mais l’origine de ces modifications psychiques reste encore mal expliquée : influence de l’état psychique préopératoire, effet de la stimulation sur les circuits cérébraux impliqués dans le contrôle des émotions ou réaction psychologique à la chirurgie ? Les séries publiées jusqu’à présent ne permettent pas de répondre avec précision à ces questions. MODULATION DES CIRCUITS ASSOCIATIFS ET LIMBIQUES L’efficacité spectaculaire de cette technique sur les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson est considérée comme résultant de la modulation de circuits neuronaux striato-pallido-subthalamo-thalamo-corticaux impliqués dans la motricité. La description de manifestations émotionnelles et comportementales observées chez des patients parkinsoniens opérés pour une SCP du NST (accès, hypomaniaque, rire, symptômes dépressifs, délire, agitation) (2, 3, 12) ou d’amélioration symptomatique (dépression, anxiété, TOC) (13) suggère que la SCP module la partie non-motrice des circuits neuronaux striato-pallido-subthalamo-thalamo-corticale. En accord avec ces données cliniques, plusieurs études d’imagerie fonctionnelle plaident en faveur d’une modulation de circuits limbiques par la stimulation cérébrale profonde. L’existence d’effets de la SCP chez l’homme non limités à la sphère motrice et la production de travaux chez le primate visant à mieux identifier la localisation des territoires fonctionnels au sein des ganglions de la base et leur rôle dans la production de comportements pathologiques (9) a permis d’envisager une extension des indications. Une manipulation restreinte des parties les plus inférieures ou ventrales du système des ganglions de la base pourrait ainsi induire des modifications comportementales et émotionnelles ou à l’inverse réduire des comportements anormaux. En accord avec ces hypothèses, un essai thérapeutique multicentrique de SCP du noyau sousthalamique, basé sur l’hypothèse d’un dysfonctionnement des systèmes limbiques au sein des noyaux gris, a été proposé pour le traitement de patients souffrant d’un trouble obsessionnel compulsif (TOC) sévère et résistant aux traitements médicamenteux. Parallèlement, la SCP de structures impliquées dans le fonctionnement des circuits dits limbiques a permis l’amélioration des symptômes moteurs S 45 L. Mallet (tics), mais aussi des symptômes du registre psychiatrique (automutilations, comportements répétitifs pathologiques) chez quelques patients ayant une maladie de Gilles de la Tourette (10, 19). En ciblant avec précision son action sur des régions et des circuits cérébraux profonds impliqués dans la physiopathologie de maladies psychiatriques, la SCP offre l’espoir d’une amélioration de troubles sévères et résistants aux thérapeutiques médicales. De plus, la SCP représente un outil d’investigation physiopathologique original permettant d’étudier les bases anatomophysiologiques de certains troubles psychiatriques. On rappellera l’intérêt qu’offre le système des ganglions de la base dans ce contexte étant donné la neuromodulation dont ils sont le siège, et le fait de recevoir et de projeter de façon ubiquitaire vers les aires corticales, subdivisées fonctionnellement en territoires sensori-moteur, oculomoteur, associatif et limbique. Le dysfonctionnement de la boucle associative (fonctions cognitives) et de la boucle limbique (processus émotionnels) pourrait contribuer à l’apparition de troubles psychiatriques. Le dysfonctionnement de tels circuits cortico-striato-pallido-thalamo-corticaux est d’ailleurs étayé par les données de neuroimagerie, tant dans le TOC que dans la dépression, indications actuelles en développement pour les techniques de SCP (1, 14, 17). UNE ACTION MULTIPLE Certains avantages de la SCP sont ainsi liés à la complexité de son effet et imposent un approfondissement des connaissances sur les mécanismes en jeu sur les structures cibles. La stimulation exerce son effet sur le fonctionnement cérébral via plusieurs types de mécanismes distincts mais reliés entre eux, et dont les rôles respectifs dépendent du site de stimulation, de la maladie et de sa physiopathologie, et de la valeur des paramètres de stimulation utilisés. Le mécanisme exact, inhibition, activation, ainsi que l’effet sur la chimie de la neurotransmission est encore en cours d’élucidation (8, 16). Le parallèle toutefois avec l’approche lésionnelle n’est pas constamment confirmé par l’expérience de la stimulation dans les maladies du mouvement. Il existe probablement d’autres mécanismes possibles d’action, incluant le fait que l’inhibition de l’information n’est pas la seule règle. Un autre point important est que l’effet de la SCP sur l’état fonctionnel d’une structure ou d’une voie de communication peut changer au fur et à mesure que la distance de l’électrode augmente (15). Finalement, les effets cliniques observés avec la SCP reflètent une combinaison complexe d’inhibition et d’activation des corps cellulaires et des axones et dépendent de l’orientation des électrodes (4). Cet ensemble d’éléments laisse entrevoir la possibilité d’une restauration par la SCP de capacités de traitement d’informations complexes, comme la régulation comportementale et émotionnelle. De plus, des aspects pratiques laissent entrevoir la possibilité d’étendre les indications de la SCP à des situations psychopathologiques : le dispositif S 46 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 44-7, cahier 2 technique offre la possibilité d’ajuster l’aire d’effet anatomique de la stimulation : la fréquence, l’intensité, et la largeur d’impulsion sont programmables ; la stimulation chronique peut être unipolaire, bipolaire ou multipolaire, procurant la possibilité de varier les patterns de champ électrique émis ; la stimulation peut être délivrée de façon continue ou intermittente, selon des cycles programmables. Un dispositif auto-programmable peut aussi être envisagé. Ainsi, des patients pourraient activer ou désactiver le stimulateur ou modifier un certain nombre de paramètres dans les limites prévues par les médecins. Ce large potentiel d’espace paramétrable offre l’opportunité d’optimisation du traitement et de protocoles d’essais thérapeutiques contrôlés. PERSPECTIVES Sur le plan des indications, dans l’attente d’études d’efficacité et d’innocuité, celles-ci sont pour l’instant réservées aux indications « traditionnelles » de la chirurgie, c’est-à-dire aux troubles résistants à toute prise en charge. Sur le plan conceptuel, les modèles physiopathologiques des troubles comportementaux impliquant le dysfonctionnement de boucles sous-cortico-corticales sont encore insuffisants pour recourir à la SCP dans une approche autre qu’une recherche médicale structurée et multidisciplinaire. Ainsi, même les simples observations cliniques sur les variations comportementales et émotionnelles reliées à l’effet de la SCP, pratiquée pour des indications non psychiatriques, nécessitent un travail de précision anatomique pour établir des corrélations anatomocliniques fiables. Mais l’apparente « facilité » de la technique, renforcée par un sentiment relatif d’innocuité, constitue aussi une limite importante : il y a en effet tout à craindre d’une généralisation trop rapide de procédures de psychochirurgie stéréotaxique fonctionnelle. Des équipes qui pratiqueraient la SCP sans collaboration transversale, ni expertise clinique, anatomique, ou neurophysiologique, en procédant à une approche empirique peu approfondie, n’apporteraient aucun progrès médical. De telles démarches pourraient également poser de sérieux problèmes éthiques. Suite aux essais thérapeutiques en cours dont l’essai de SCP du territoire associativo-limbique du noyau sousthalamique pour le TOC sévère et résistant, des thérapeutiques focalisées sur d’autres cibles sous-corticales pourront être disponibles à l’avenir, fondées sur la physiopathologie fonctionnelle et non lésionnelle de maladies neuropsychiatriques, ce qui est en cours pour la maladie de Gilles de la Tourette, modèle d’intrication des processus pathologiques moteurs et émotionnels. Le paradigme de la SCP en psychiatrie est ainsi susceptible d’apporter une compréhension de la genèse de troubles psychopathologiques à partir de modèles bâtis sur une meilleure connaissance physiopathologique, en précisant les bases neurales des troubles émotionnels et comportementaux en relation avec notamment le fonctionnement des ganglions de la base. Les progrès qui en découleront sont thé- L’Encéphale, 2006 ; 32 : 44-7, cahier 2 rapeutiques, en précisant les indications neurochirurgicales à partir d’une nosographie décortiquée, claire, précise, fondée sur des observations cliniques au plus près de la physiopathologie. En ce qui concerne la technique en ellemême, les limites sont actuellement essentiellement matérielles car la SCP faisant reculer peu à peu les frontières anatomiques fonctionnelles connues, il faut maintenant envisager une action sur certaines parties de petites structures, jusqu’alors visées seulement dans leur globalité, comme le noyau sous-thalamique. Des avancées pourront être obtenues en partie grâce aux essais en cours pour les procédures de stéréotaxie fonctionnelle dans l’utilisation du ciblage multimodal en améliorant l’intégration de l’imagerie et de la reconnaissance peropératoire électrophysiologique des subdivisions anatomiques fonctionnelles, en faisant évoluer le matériel implanté avec la mise à disposition d’électrodes plus fines pouvant délivrer des courants à effet plus limité localement, et/ou de dispositifs techniques augmentant les possibilités de combinaisons spatiales et paramétriques. Finalement, l’apport de la SCP dans le champ de la psychopathologie donne une possibilité profondément stimulante pour la recherche clinique d’intégrer des faits scientifiques expérimentaux au travers de leur validité pragmatique, dans une démarche au service des patients. Références 1. AOUIZERATE B, CUNY E, MARTIN-GUEHL C et al. 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