Récompense et frais d`acquisition : unicité de récompense

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Récompense et frais d`acquisition : unicité de récompense
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Lexbase La lettre juridique n˚676 du 17 novembre 2016
[Régimes matrimoniaux] Jurisprudence
Récompense et frais d'acquisition : unicité de récompense...
N° Lexbase : N5208BWS
par Jérôme Casey, Avocat au barreau de paris, Maître de Conférences à
l'Université de Bordeaux
Réf. : Cass. civ. 1, 19 octobre 2016, n˚ 15-27.387, F-P+B (N° Lexbase : A6591R9Y)
Jacques et Jacqueline vivent ensemble pendant quelques mois avant leur mariage, assez en tout cas assez pour
que Jacques remette à Jacqueline une somme de 12 500 euros... Le couple se marie le 2 septembre 2006 sous le
régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. A la suite de leur divorce, des difficultés se sont élevées
à propos de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, donnant lieu à l'arrêt rendu le 19 octobre 2016 par la
première chambre civile de la Cour de cassation. Deux questions, notamment, méritent d'être développées.
La première question a trait à la restitution des 12 500 euros. La remise de fonds ayant eu lieu avant la célébration
du mariage, il s'agit d'un pur problème de restitution de fonds entre étrangers, ou à tout le moins entre concubins.
La seconde question relève de la liquidation de la communauté, et plus spécifiquement du calcul des récompenses, la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 8 avril 2015, n˚ 13/08 055 N° Lexbase : A3636NGR) ayant
estimé que les frais liés à l'acquisition de l'immeuble devaient faire l'objet d'une récompense distincte de celle
due à l'époux pour le financement dudit immeuble au moyen de ses deniers propres.
I — Acquisition et frais d'acquisition : une ou deux récompenses ?
La question la plus importante tranchée par l'arrêt concerne la liquidation du régime matrimonial des époux. Jacques
pouvait prouver qu'il avait financé l'acquisition d'un immeuble commun au moyen de deniers propres. Il était donc
indiscutable qu'une récompense pesait sur la communauté à ce titre. Mais ce qui faisait difficulté, c'était les frais
d'acquisition. Fallait-il inclure ces frais à la somme "prêtée" par Jacques à la communauté pour l'acquisition, ou au
contraire fallait-il considérer qu'il y a, d'une part le capital prêté à la communauté pour l'acquisition et, d'autre part,
les fonds propres ayant servi à régler lesdits frais, soit deux récompenses distinctes ? La question n'a rien d'anodin,
car faire bénéficier les frais d'acquisition de la notion de "profit subsistant" de l'alinéa 3 de l'article 1469 du Code civil
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(N° Lexbase : L1606AB4) est un parti pris qui n'a rien d'évident. En effet, comme l'a très bien démontré un auteur (V.,
les très justes obs. de B. Vareille in Rep. civ. Dalloz, V˚ Liquidation et partage, n˚ 235, et les réf.), si l'on imagine la masse
propre finançant 100 % du bien commun et que la valeur de ce dernier ait doublé au jour du partage, inclure les frais
dans la récompense d'acquisition (au lieu de la compter séparément et donc de la calculer autrement qu'au profit
subsistant) revient à rembourser les frais au double de leur montant d'origine... On peut donc comprendre qu'une
partie importante de la doctrine se montre hostile à une telle inclusion, et ceci depuis longtemps déjà (v., B. Vareille,
préc. ; Aubry et Rau par Ponsard, p. 448, n˚ 270 et note 66 ; R. Le Guidec, Solution d'examen professionnel, JCP éd. N,
1989, Prat. 1068 ; D. Martin, obs. J. — Cl. Civ., art. 1468 s., n˚ 82 et s.).
Avec la présente décision, c'est donc le courant doctrinal inverse qui a été finalement entendu par la Cour de cassation, lequel soutenait depuis un certain temps déjà la thèse de l'inclusion des frais dans le montant servant à
l'acquisition, et donc l'unicité de récompense (v., Morin, Examen de quelques problèmes que soulève en pratique la
nouvelle théorie des récompenses, Defrénois 1971, 1 ; F. Terré et Ph. Simler, Dalloz, Les régimes matrimoniaux, n˚ 671 et
les réf.).
Pour notre part, la solution ne nous choque pas, même si nous entendons fort bien les arguments inverses. La solution
ne nous paraît pas injuste puisqu'il est tout de même difficile de nier que le paiement des frais participe de façon très
claire à l'acquisition du bien. Si les frais n'étaient pas payés, il n'y aurait pas eu d'acquisition. Vue du côté de la masse
prêteuse, c'est une somme globale de X qui a été mise à disposition de la masse emprunteuse, et grâce à laquelle
l'acquisition a pu se faire. Ce qui pourrait, peut-être, gêner davantage, c'est que cette masse prêteuse ne prend pas
grand risque au titre des frais... En effet, il sera aisé de soutenir que les frais constituent une dépense nécessaire, et
seront toujours payés, a minima, au nominal (C. civ., art. 1469, al. 2). Ce qui veut donc dire que le système de dette de
valeur ne jouera qu'en cas de plus-values, pas de moins-values (sauf à dire que l'acquisition elle-même n'était pas
nécessaire, mais si elle a permis la création d'un acquêt, l'affirmation serait curieuse).
En revanche, ce que cette jurisprudence impose de décider, nous semble-t-il, c'est que, pour calculer la récompense
d'acquisition, il faut compter la valeur d'achat frais inclus. Si l'on devait ne pas le faire, on créerait pour le coup, une
plus-value artificielle au bénéficie de la masse prêteuse. Imaginons une dépense de 150 frais inclus, les frais étant
de 40, pour une valeur actuelle de 300, et une valeur au jour de l'acquisition de 150 frais inclus. La récompense est
alors de 300 (150 x 300) / 150. Au contraire si l'on fait le calcul en retenant comme valeur d'achat 110 (et donc hors
frais), la récompense bondit à 409, le calcul étant : (150 x 300) / 110. Cette différence serait clairement injustifiable. Il
nous semble donc que la logique la plus élémentaire conduise à dire que la présente décision tranche directement
la question de l'inclusion des frais dans la dépense d'acquisition, et indirectement tranche la question de l'inclusion
des mêmes frais dans le prix d'achat servant d'assiette à la récompense. Ce point méritera d'être suivi...
II — Le remboursement de remise de fonds entre concubins : une preuve doit être rapportée...
L'autre question tranchée en l'espèce n'a rien de nouveau, même si le taux de cassation montre que cette jurisprudence n'est pas forcément bien connue. Un ancien concubin revendique la restitution de deniers qu'il était pourtant
bien content d'avoir remis des années plus tôt... En l'espèce, la cour d'appel a considéré que devaient être pris en
compte les liens d'affection entre Jacques et Jacqueline qui sont "des éléments objectifs qui constituent des éléments
d'appréciation suffisants pour dire que [Jacques] se trouve dans l'impossibilité morale de fournir la preuve du prêt". La
cour d'appel en conclut alors que cette preuve étant moralement impossible à rapporter, l'existence du prêt est
établie, d'autant que les juges du fond relève que Jacqueline ne prouve pas l'intention libérale de Jacques. Ce motif
était assurément un rien brouillon et méritait d'être précisé, ce qui lui vaut d'être cassé, à juste titre.
On rappellera, tout d'abord, que de jurisprudence constante, la seule remise de fonds à une personne n'impose
aucune obligation à cette dernière de restituer les fonds (v. not., Cass. civ. 1, 20 mai 1981, n˚ 79-17.171 N° Lexbase :
A2706CI3, D., 1983, p. 289, note J. Devèze ; Cass. civ. 1, 4 décembre 1984, n˚ 83-14.360 N° Lexbase : A2543AAG, Bull. civ.
I, n˚ 324 ; Cass. civ. 1, 28 février 1995, n˚ 92-19.097 N° Lexbase : A6183AHH, Bull. civ. I, n˚ 107 ; plus récemment, Cass. civ.
1, 10 octobre 2012, n˚ 11-19.997, F-D N° Lexbase : A3369IUC). Le demandeur à la restitution doit donc établir l'existence
d'un contrat fondant l'obligation de restitution de l'autre partie (par ex., pour un contrat de dépôt, v., Cass. civ. 1, 23
janvier 1996, n˚ 94-12.931 N° Lexbase : A9714ABE, Bull. civ. I, n˚ 41). De toute évidence il sera souvent allégué l'existence
d'un prêt, ce qui était le cas en l'espèce. Reste qu'en pareil cas, il faut se conformer aux règles juridiques gouvernant
la preuve des actes sous seings privés, et en particulier celle de la preuve légale (hier à l'article 1341, aujourd'hui à
l'article 1359 du Code civil N° Lexbase : L1007KZC), qui exige une preuve écrite lorsque le contrat porte sur une somme
supérieure à 1 500 euros. Faute d'écrit, on exigera alors un commencement de preuve par écrit afin d'accéder à la
preuve par tous moyens. C'est là qu'en l'espèce l'arrêt d'appel a commencé à dérailler. Jacques soutient que ses
liens de concubinage le dispensent d'une telle preuve écrite, ce que la cour d'appel admet. Rien de choquant à cela,
la jurisprudence étant assez fournie pour dire que la vie commune peut constituer un cas d'impossibilité morale de
se procurer une écrit (C. civ., art. 1348 ancien et C. civ., art. 1360 nouveau N° Lexbase : L1006KZB ; en jurisprudence,
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sous l'empire de l'ancien texte, v., not., Cass. civ. 3, 7 janvier 1981, n˚ 79-14.831 N° Lexbase : A4141CGH, Bull. civ. III, n˚
7 ; Cass. civ. 1, 16 décembre 1997, n˚ 95-19.926 N° Lexbase : A0722ACQ, Bull. civ. I, n˚ 374). Ce qui dérange davantage,
et justifie pleinement la cassation, c'est lorsque l'on comprend que la cour d'appel a assimilé impossibilité morale
à une dispense de preuve. Un tel raccourci ne peut être admis. En effet, ce que la caractérisation de l'impossibilité
morale supprime, c'est l'obligation de prouver par écrit. Mais cela n'a jamais dispensé le demandeur de prouver la
réalité de la situation qu'il allègue. C'est juste (mais c'est déjà beaucoup) qu'il n'a plus à se soucier de prouver par
écrit, ni même par un commencement de preuve par écrit. Il peut directement prouver par tous moyens. Mais il
n'en demeure pas moins tenu de prouver ce qu'il allègue. Cela revient donc à dire qu'en l'espèce Jacques devait
prouver par tous moyens la réalité du contrat de prêt dont il alléguait l'existence. Or, c'est précisément ce chaînon
du processus probatoire que la cour d'appel a oublié en cours de route. On comprend donc que la censure soit
prononcée, en rappelant au passage que "l'impossibilité morale pour [Jacques] d'obtenir un écrit ne le dispensait pas
de rapporter par tous moyens la preuve du prêt allégué". Il appartiendra donc à Jacques de trouver tout élément de
fait en ce sens pendant l'instance de renvoi...
La morale de tout ceci est claire : faites des écrits pour tout, famille ou pas famille, relation naissante ou pas. Un
écrit pour prouver le prêt, et un autre pour le paiement avec des deniers propres. L'amour et l'argent ne sont pas
incompatibles, il faut seulement les placer chacun à sa juste place. Or, justement, le droit civil est bien placé depuis
des lustres pour affirmer que plus on prévoit, moins on se déçoit. On décevra sans doute l'autre, mais à l'heure de la
séparation on le décevra dans tous les cas, alors....
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