Beihefte der Francia Bd. 58 2003

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Beihefte der Francia Bd. 58 2003
Beihefte der Francia
Bd. 58
2003
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LA RÉÉCRITUR E H A G I O G R A P H I Q U E
DANS L'OCCIDEN T MÉDIÉVA L
deutsches
historisches
Institut
historique
allemand
paris
y \jà
BEIHEFTE DE R FRANCI A
Herausgegeben vom Deutschen Historischen Institut Paris
Band 58
LA RÉÉCRITURE H A G I O G R A P H I Q U E
DANS L'OCCIDENT MÉDIÉVA L
sous la direction de
Monique Goullet et Martin Heinzelmann
JAN THORBECKE VERLAG
2003
LA RÉÉCRITUR E HAGIOGRAPHIQU E
DANS L'OCCIDEN T MÉDIÉVA L
TRANSFORMATIONS FORMELLE S
ET I D É O L O G I Q U E S
sous la direction de
Monique Goullet et Martin Heinzelmann
JAN THORBECKE VERLAG
2003
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Die Deutsche Bibliothek verzeichnet diese Publikation in der
Deutschen Nationalbibliografie ; detailliert e bibliografisch e
Daten sin d im Internet über http://dnb.ddb.de abrufbar .
BEIHEFTE DE R FRANCI A
Herausgeber: Prof. Dr. Werner Paravicin i
Redaktion: Dr. Mareike Köni g
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am Hôtel Duret d e Chevr y
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Printed i n Germany • ISBN 3-7995-7452- 2
TABLE DE S MATIÈRES
Monique GOULLET et Martin HEINZELMAN N
Avant-propos
Martin HEINZELMAN N
La réécriture hagiographique dans Pœuvre de Grégoire de Tours
Christiane VEYRARD-COSME
Alcuin et la réécriture hagiographique: d'un programme avou é
d'emendatio à son actualisation
Klaus HERBER S
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographique s
(IX e -X e siècles) 8
7
15
71
7
Monique GOULLE T
Vers une typologie des réécritures hagiographiques, à partir de quelques
exemples du Nord-Est d e la France. Avec une édition synoptique des deux
Vies de saint Èvre de Toul 10
Joseph-Claude POULI N
Les réécritures dan s l'hagiographie bretonn e (VIII e ~XIP siècles) 14
Anne-Marie HELVÉTIU S
Réécriture hagiographique et réforme monastique : les premières Vitae de
sairit Humbert d e Maroilles (X e -XI e siècles). Avec l'édition de la Vita
Humberti prima 19
François DOLBEA U
Prose, rythme et mètre: réécritures dan s le dossier de saint Ouen 23
9
5
5
1
Patrick HENRIE T
Un hagiograph e au travail: Raoul et la réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrion (années 1130). Avec une première éditio n
des deux prologues de Raoul 25
1
Index des saints cités
285
Index des manuscrits cité s
287
Avant-propos
L'idée d'un e réunio n su r l e thème d e la »réécritur e hagiographique« 1 es t née dans l e
contexte d e l a préparation d'u n livr e paru tou t récemment : Uhagiographie du haut
moyen âge en Gaule du Nord1. Cett e publication contient au premier chef le s résultat s
de recherches menées dans le cadre de SHG (»Sources hagiographiques narratives composées en Gaule avant l'an mil«), entreprise qui sous la direction conjointe de François
Dolbeau, Martin Heinzelman n e t Joseph-Claude Pouli n s e propose d'inventorie r le s
sources hagiographiques d e la Gaule à partir d e leur tradition manuscrite 3. Les étapes
de cet inventaire comprennent une identification détaillé e de tous les éléments de la documentation, suivie d'une analyse et d'un commentaire dont la fin est de faciliter l'accè s
de l'historien d u haut moyen âg e aux sources hagiographiques .
L'élément d e base des études menées dans le cadre de SHG es t le dossier hagiogra phique, formé d e la totalité de s pièces écrites e n l'honneur d'u n sain t donné, c'est-à dire essentiellement s a vita o u ses vitae, de s translations, des miracles et des sermons.
Les cas sont extrêmement rares où un tel dossier ne présente qu'une seule référence: le
livre qui vient d'êtr e évoqu é trait e un ensembl e d e 22 dossiers hagiographiques d e la
Gaule du Nord, représentant un total de 56 œuvres; parmi eux six dossiers seulemen t
ne comportent qu'u n seu l texte. Au sei n des dossiers traités , celui de saint Wandrille
contient, pa r exemple , en plus d e s a Vie vénérable d u VII e siècle , une Vi e perdue d u
1
2
3
Atelier »Réécritur e hagiographiqu e I«, sous la direction d e Martin Heinzelmann , Institu t Historiqu e
Allemand, le jeudi 8 juin 2000, avec les participants suivants, dans l'ordre de leur présentation: M. Heinzelmann (»E n guise d'introduction, l a réécriture dan s l'œuvre d e Grégoir e d e Tours«), Klaus Herber s
(»Le Liber Ponîificalis e t l a réécritur e hagiographique«) , Christiane Veyrard-Cosme (»Alcui n e t l a
réécriture hagiographique : d'u n programm e avou é d'emendatio à son actualisation«) , Joseph-Claud e
Poulin (»L a réécriture dans l'hagiographie d e la Province d e Bretagne«), Laurent Morell e (»La réécriture d e la Vita Adalhardi d e Paschase Radber t a u XI e siècle: contexte e t modalités«), Patrick Henrie t
(»Du passionnaire hispaniqu e à la réécriture monastique clunisienne : le dossier de saint Zoïle de Carrion«), François Dolbeau (»Prose, rythme et mètre: le dossier de saint Ouen de Rouen«), Monique Goul let (»Vers une typologie de la réécriture hagiographique à partir de quelques exemples de l'Est de la France«). Un e conférence d'Anne-Marie Helvétiu s sur le dossier de saint Humbert d e Maroilles était également prévue; comme des obligations universitaires empêchèrent Mme Helvétius d'assister à la réunion
du 8 juin, elle réserva sa participation à la contribution écrite . En revanche Laurent Morelle a renoncé
à publier son texte.
L'hagiographie du haut moyen âge en Gaule du Nord. Manuscrits, textes et centres de production, sous
la direction de M. HEINZELMANN, Stuttgart , Thorbecke, 2001 (Beihefte de r Francia, 52).
Pour une présentation d e l'entreprise, voir les trois auteurs cités, dans: Francia 15 (1987) p. 701-714, et
HEINZELMANN, Préface , dans: L'hagiographie (cit . n. 2) p. 7-10.
8
Monique Goulle t e t Martin Heinzelman n
VIII e , une Vie courte faisant partie des Gestes des abbés de Fontenelle récemment pu bliés et traduits pa r l e Frère Pradié, une autre Vie augmentée d'un e collectio n d e miracles, une autr e collection de miracles, une translation d e la fin d u IX e et un sermo n
de la même époque 4 . On retiendr a surtou t pour l'instan t qu e toutes les pièces qui, au
fil du temps, se sont ajoutées à la Vie ancienne, sont plus ou moin s conditionnées pa r
cette première biographie et se sont, d'une manièr e ou d'une autre , situées en fonctio n
de ce vieux texte mérovingien .
Un autr e exemple , qui aurait pu suscite r un colloqu e à lui seul, illustre plus forte ment encor e la complexité des interrelations textuelle s dans les dossiers hagiographi ques: en 1901, les sources concernant Marti n de Tours étaient répertoriées dan s la Bibliotheca hagiographica latina de s Bollandistes sou s les numéros 5610 à 5666 5, ce qui
correspond à 57 documents identifiés , auxquel s l e Novum Supplementum d e 1986 a
encore d û ajoute r un e séri e considérable d e suppléments 6. Dan s c e cas nous avon s à
faire non seulement à une Vie contemporaine de ce saint du IVe siècle, reprise sous for me de Dialogi quelque s année s plus tard par l e même auteur, versifiée à plusieurs re prises aux Ve (BHL 5617), VIe (BHL 5624), VII/VIIP (BH L 5637d), IX e (BHL 5627),
XI e (BH L 5634d+e ) e t XIII e (BH L 5636/7) siècles, mais encor e à la formation, dè s le
Ve siècle, de toute une documentation composit e à laquelle on donne le nom de Martinellus, e t sur laquelle se grefferont ensuit e régulièrement de s éléments nouveaux 7. Si
l'on feuillette l a liste des oeuvres qui se sont écrites autour de saint Martin, on a la nette impression qu e chaque époque s'est employée à imprimer sa marque littéraire propre, tou t e n préservant l e souvenir de s monuments le s plus anciens, c'est-à-dire, dan s
le cas du Martinellus^ a u moins celu i de la Vie contemporaine, parfois complété e pa r
les Dialogues et/o u les Epîtres, tous composés par Sulpice Sévère.
Réécrire un texte en l'honneur d'u n sain t paraît donc constituer un procédé plutô t
habituel, sino n banal . E t pourtant , l e phénomèn e atten d toujour s un e discussio n
générale qui puisse en rendre compt e su r les plans littérair e e t historique. Cette défi cience avait déjà été signalée par François Kerlouégan , dans un article sur la réécriture
dans le latin du haut moyen âg e paru e n 1986 dans la revue Lalies B, en prolongemen t
d'une discussio n tenu e lor s de s séance s d e l'Atelier d e philologie médio-latin e réun i
4
5
6
7
8
Voir John HOWE , Th e Hagiograph y o f Saint- Wandrille (Fontenelle), Provinc e o f Haute-Normandi e
(SHG VIII), dans: L'hagiographie (cit . n. 2) p. 161sv. (VIII. Wandregisilus); e n plus, un manuscri t d e
Saint-Wandrille du XIV e s. cite un SS. Vandregisili et Vulfranni liber metrice perd u ave c quelque chan ce de remonter a u premier millénaire , voir HOW E p . 128. - Pour l'éditio n Pradi é voir: Pascal PRADIÉ ,
Chronique de s abbé s d e Fontenelle (Saint-Wandrille) . Texte établi , traduit e t commenté, Paris, Belles
Lettres, 1999 (Les classiques de l'histoire d e France au Moyen Age, 40).
Bibliotheca hagiographica iatina [abrégé: BHL], t. II, 1901, p. 823-830.
BHL Novu m supplementum , éd . Henricu s FROS , Bruxelle s 1986, p. 616-622. - Une bonn e par t de s
numéros supplémentaires, c'est-à-dire des numéros pourvus d'une lettre (p. ex. 5616d à 5616h), correspondent plutôt à des identifications plu s précises des différentes partie s d'une sourc e auparavant désignée par un seul chiffre .
Sur le »Martinellus élargi« du IXe siècle et sa composition, voir Pascale BOURGAIN e t Martin HEINZEL MANN, L'œuvr e d e Grégoire de Tours: la diffusion de s manuscrits, dans: Grégoire d e Tours et l'espac e
gaulois. Textes réunis par Nancy GAUTHIE R et Henri GALINIÉ , Tours 1997, p. 273-317, ici p. 300-309.
P. BOUE T e t F . KERLOUÉGAN , L a réécritur e dan s l e lati n d u hau t moye n âge , dans : Lalie s 8 (1986 )
p. 153-168; la première partie, p. 153-163, est signée par F. Kerlouéga n seul .
Avant-propos
9
autour d e Jacques Fontaine . Regrettan t l'absenc e d e tou t colloqu e su r la réécriture ,
l'auteur avai t pourtant laiss é entendre que les choses ne sauraient tarder: »L'heure est
à l'étude de la réécriture, d'un point de vue qui prend en compte et dépasse la seule philologie«9.
La carenc e d e travau x systématique s su r l a réécriture , plu s spécialemen t su r l a
réécriture hagiographique, apparaît encore à la lumière d'un éta t des lieux très détaillé
des travaux français su r l'hagiographie médio-latine, fait par François Dolbeau dans la
revue Hagiographica pou r l a période 1968-1998 10. Celui-ci a pu tou t d e mêm e ren voyer à la thèse de Christiane Veyrard-Cosme, soutenue en 1992, et à un important ar ticle du même auteur, portant sur la réécriture par Alcuin des Vies des saints Willibrord,
Vaast et Riquier 11, mai s aussi à sa propre contribution dan s un volume publié dans la
série des Beihefte der Francia12. Dans cette dernière publication o n retrouvera encor e
quatre pages d'une analyse très dense d u travai l de réécriture, dans une contributio n
de Guy Philippar t intitulée »L e manuscrit hagiographique lati n comme gisement do cumentaire«; étudiant les métamorphose s possibles d'un texte, Guy Philippart conclut
qu'il »n'y a pas de distinction tranchée entre une métamorphose éditoriale et une métamorphose par récriture« 13. Dans ce même volume encore figurent quelque s pages su r
les réécritures de la Vie d e sainte Geneviève, l'une du VIII e et surtout trois du IX e siècle,
dont l'éclosion est partiellement et étroitement liée à des différences marquées , voire à
des polémiques >idéologiques< , entre certain s établissement s ecclésiastique s parisien s
pour c e qui est de l'identification d e saint Denis avec l'Aréopagite14. Il est légitime de
penser en effet que , tout secondaire que puisse paraître ce thème dans la biographie de
la sainte à nos yeux, c'est cette redéfinition d e la personnalité du premier évêque parisien qui a poussé à la rédaction d e la version B de la vita, d e la même façon qu e Fin -
9 Ibid . p. 159 (absence de colloque sur la réécriture), et p. 153.
10 Hagiographica 6 (1999) p. 23-68.
11 Ibid . p. 36 n. 58 et p. 65sv. avec n. 132: Christiane VEYRARD-COSME, L'œuvr e hagiographiqu e e n prose
d'Alcuin. Édition , traduction, étude s narratologiques, thèse soutenue 1992 à la Sorbonne (sous press e
dans l a série >Per Verba<, Florence); EAD., Typologie e t hagiographie e n prose carolingienne: mode d e
pensée et réécriture. Étude de la Vita Willibrordi, d e la Vita Vedasti e t de la Vita Richarii d'Alcuin , dans:
Écriture e t modes de pensée a u Moyen Âg e (VIII e -XV e siècles) . Études rass . par Dominique BOUTE T
et Laurence HARF-LANCNER , Pari s 1993, p. 157-186. Voir aussi du même auteur: Problèmes de réécriture de s texte s hagiographiques latins : la Vita Richarii d'Alcui n e t ses réécritures (sou s presse dan s l e
Journal of Médiéval Latin).
12 F. DOLBEAU, Les hagiographes au travail: collecte et traitement des documents écrits (IX e -XII e siècles),
dans: Manuscrits hagiographiques e t travail des hagiographes. Études réunies et présentées par Marti n
HEINZELMANN, Sigmaringen 1992 , p. 49-76 (Beihefte der Francia, 24). Pour une réécriture du XI e siècle,
voir du mêm e auteur : Vie latine de saint Ame, composée a u XI e siècle par Etienne , abbé de Saint-Ur bain, dans: AnalBoll 105 (1987) p. 25-63.
13 Manuscrits hagiographiques (cit . n. 12) p. 17-48, ici p. 33-36 (»Le travail de réécriture«), avec une citation de la p. 33. - Dans ce même volume on trouvera plusieurs réécritures dans les dossiers des abbés de
Cluny: Dominique IOGNA-PRAT, Panorama de l'hagiographie abbatiale clunisienne (v. 940-v . 1140), ibid.
p. 77-118; toujours dan s l a perspective d e la réécriture hagiographique , voi r encor e d u mêm e auteur :
Agni immaculati. Recherche s su r le s source s hagiographique s relative s à sain t Maieu l d e Clun y
(954-994), Paris 1988.
14 M. HEINZELMANN, Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes: l'exemple de la tradition manuscrite des Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris, dans: Manuscrits hagiographiques (cit . n. 12)
p. 9-16.
10
Monique Goullet e t Martin Heinzelman n
sertion osé e d e sain t Rémi , évêque d e Reims, dans l a biographie d e Genevièv e es t la
marque de fabrication d'un e version effectivemen t rémois e (version E). La voie avai t
été ouverte à ces recherches par les travaux préliminaires d'identification de s différen tes versions, don c de s réécritures , d e la biographie genovéfaine , publié s pa r Joseph Claude Pouli n dan s un livr e de 1986, Les Vies anciennes de sainte Geneviève 15. E t i l
n'est pa s sans intérêt d e constater qu e ce fut spécialemen t c e classement préliminair e
des réécritures, et la manière dont les hagiographes successifs avaien t présenté la sainte, qu i convainquirent très largement le monde de la recherche historique du bien-fon dé de l'argumentation de s deux auteurs en faveur d'une datation haute de la version A
et de sa quasi-contemporanéité ave c les faits relatés .
Familier des problèmes d e la réécriture depuis son livre sur l'hagiographie aquitai ne16, Joseph-Claud e Pouli n l'est devenu encore davantage par ses travaux déjà publiés
dans le cadre de SHG; de manière conséquente, c'est lui qui a souscrit le premier à l'idée
d'un atelie r sur la réécriture, idée également soutenue par François Dolbeau, qui a mis
le sujet au programme de son Séminaire à l'École Pratique des Hautes Études. Les conditions étaien t alor s favorable s à la création d'un e synergie , e t à l'agrandissement d u
cercle des chercheur s intéressé s pa r l e phénomène d e la réécriture hagiographiqu e e t
désireux d'en débattre. Parmi ces nouveaux venus, Monique Goullet s'intéresse au sujet
depuis ses travau x sur Hrotsvita de Gandersheim, poétesse allemande du Xe siècle qui a
produit des réécritures dramatiques et métriques de Vies de saints17, et surtout depuis sa
contribution à SHG18 : le traitement des dossiers toulois, qui a fait apparaître l'intérêt de
réécritures tardive s e t exclues d e l a fourchette chronologiqu e initial e d e l'entreprise ,
d'abord limité e à l'an Mil, a conforté ses directeurs dans l'idée d'inclure dorénavan t le
XI e siècle , fort productif e n ce domaine19. Enfin, conjointemen t à sa préparation, pou r
le Corpus Cbristianorum, d'un e édition de l'œuvre hagiographiqu e d'Adso n d e Montier-en-Der, laquelle met au premier plan la question d e la réécriture dite ou non dite ,
prétendue ou dissimulée, Monique Goullet a entrepris de rédiger une première synthèse sur la question20, dont sa contribution a u présent volume est une esquisse. François
Dolbeau lui a offert duran t son séminaire l'occasion idéale de faire le point sur une série
de problèmes littéraires: qu'il en soit ici très chaleureusement remercié .
François Kerlouégan , dans son article de la revue Lalies cité plus haut, renvoyait à
une bibliographie su r la notion général e d'intertextualité, bie n connue des littéraires,
15 Martin HEINZELMAN N et Joseph-Claude POULIN , Les Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris. Etudes critiques, Paris- Genève 1986 (Bibliothèque d e l'École des Hautes Études IVe section, 329).
16 L'idéal de sainteté dans l'Aquitaine carolingienn e d'après le s sources hagiographiques (750-950), Québec 1975 (Travaux du laboratoire d'histoir e religieus e de l'Université Laval , 1).
17 Hrotsvita. Théâtre. Texte établi, traduit et commenté par Monique GOULLET, Paris, Belles Lettres, 1999
(Auteurs Latin s du Moyen Age); EAD., Le s Drames d e Hrotsvita d e Gandersheim: une réécriture dra matique d e récits hagiographiques. Approche d'un e technique d e composition littéraire , dans: Archivum Latinitatis Medii Aevi (Bulletin Du Cange) 54 (1996) p. 105-130; Hrotsvita de Gandersheim. Œu vres en vers présentées et traduites par Monique GOULLET , Grenoble , Jérôme Millon, 2000.
18 Les dossier s hagiographique s d u diocès e d e Tou l (SH G VI), dans: HEINZELMANN , L'hagiographi e
(cit. n. 2) p. 11-89. Voir aussi EAD. , Le s Vies de saint Mansuetus, premier évêqu e de Toul, dans: AnalBoll 116 (1998) p. 57-105.
19 HEINZELMANN, L'hagiographi e (cit . n. 2), Préface, p. 8.
20 Celle-ci a été présentée dans le cadre d'une habilitation à diriger des recherches: voir infra, p. 109 n. 2.
Avant-propos
11
et plu s précisémen t à l a classificatio n proposé e pa r Gérar d Genett e dan s so n livr e
Palimpsestes, La littérature au second degré, publié au Seuil en 1982. Parmi toutes les
relations pouvan t uni r de s texte s - inter-, para- , meta- , archi- , ou hyper-textualit é -,
c'est dan s cett e dernière catégori e qu'i l propos e d e classer la réécriture, sans prendr e
en compte l'hagiographie en particulier, ni d'ailleurs la littérature médiévale en général.
Néanmoins la notion d'hypertextualité semble à même de rendre compte des procédés
des hagiographes. Elle est en effet défini e par Genette comme »toute relation unissant
un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A (hypotexte) sur lequel il se greffe d'un e
manière qui n'est pas celle du commentaire« 21. Recensant le s passages possibles d'u n
texte à un autre , Genette propose un e classification qu i va des transformations pure ment quantitatives (o u »substantielles« ) e n principe e t en intention, jusqu'aux trans formations ouvertemen t et délibérément conceptuelles ou sémantiques; entre les deux
existe toute une gamme de transformations formelle s no n quantitatives . Les hagiologues auront reconn u l à les procédés d e réécriture auxquel s ils sont habitués: abrévia tion et amplification22, e n principe purement quantitatives; réécritures en meilleur style d'un modèl e réputé »barbare« ou »rustique« , en principe purement formelles; prosification o u versification, etc. ...
Il y a au moins un avantage important à cette nouvelle terminologie, qui pourra paraître irritante o u inutil e à tous ceu x qui ne disposent pa s d'un e formatio n littéraire .
Cet avantage est celui d'une certain e neutralité, contrastant ave c celle de la recherch e
antérieure, encore largement influencée pa r les conceptions d'un e écol e de philologie
médiévale dont l e but principal étai t la reconstruction d'u n chimériqu e Urtext (texte
archétypique)23, et pour qui toute copie devient déclin, tout remploi plagiat, tout em prunt pillage, tout ajou t forgerie . C'es t dan s cet esprit que, dans les manuels d'hagio graphie, le phénomène de la réécriture est soit totalement occulté, soit pourvu d'un vocabulaire qui est majoritairement charg é d'un sen s péjoratif. On n e peut reprocher au
chanoine René Aigrain, à qui nous devon s un manue l d'hagiographie toujour s indis pensable, voire exemplaire à maints égards 24, de n'avoir pa s employé, en 1953, le terme de >réécriture<, dont l'existence remont e à 1964 selon le Robert. Il a donc choisi le
terme de remaniement, ce qui implique - en conformité ave c la tradition éditoriale d e
la philologie médiévale dont il vient d'être questio n - l'existence d'un seu l »bon« tex -
21 G. GENETTE , Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris 1982, p. 13. - Vient de paraître Sophi e
RABAU, Uintertextualit é (Introduction , choi x de textes, commentaires, vade-mecum e t bibliographie) ,
Flammarion, 2002, avec, entre autres, une critique constructive des positions de Genette, p. 68-73; à côté
de l'introduction i l faut y voir le vade-mecum, e n fait un glossaire , p. 227-246.
22 Pour Pamplification et/o u l'abréviation, voir maintenant A. G. RIGG, The Long or the Short of it? Amplification o r Abbreviation? , dans: The Journal o f Médiéval latin 10 (2000) p. 46-73; dans ce texte, les
exemples hagiographiques concernen t l a vita Malchi d e Jérôme réécrit e e n vers par Reginald d e Can torbéry, une version métrique de la vita Oswaldi pa r Henri d'Avranches et les deux Vies d'Aethelwold ,
l'une par Aelfric e t l'autre par Wulfstan .
23 Pour cette école, dont Karl Lachmann (f 1851 ) fut un initiateur décisif, et qui eut une influence presqu e
identique e n Allemagn e e t en France , voir dernièremen t Bernar d CERQUIGLINI , Élog e d e la variante.
Histoire critique de la philologie, Paris, Seuil, 1989, p. 74sv.
24 René AIGRAIN, L'hagiographie . Ses sources - Ses méthodes - Son histoire, 1953. Voir maintenant la reproduction inchangé e de l'édition original e de 1953, avec un complémen t bibliographiqu e par Rober t
GODDING (Bruxelle s 2000), faisant parti e de la série prestigieuse des Subsidia hagiographica (t . 80).
12
Monique Goulle t e t Martin Heinzelman n
te, à qui la tradition manuscrite inflige des déformations, des interpolations, des ajouts,
pour abouti r finalemen t a u plagiat, voire au faux. Dans cett e perspective, le remaniement ne peut correspondre qu'à »tous les degrés et toutes les formes d'éloignemen t d e
l'histoire«25. D'après Aigrain, cette »mode des remaniements« qui aurait »sévi« durant
tout l e moyen âge , a fait »courir , quelle qu e fût l'intentio n d u remanieur , de s risque s
souvent grave s à l'exactitude historique« 26.
La référenc e d u chanoin e Aigrai n à l'histoir e rappell e que , avan t d'êtr e u n phé nomène littéraire , la réécriture es t un fai t historique , e t il n'est pa s u n hasar d qu e l a
réunion d u 8 juin 2000 sur l a réécriture s e soit réalisé e à l'initiative d'u n historien 27.
Mais l'exactitude historique, dans le sens de conformité d e la narration aux faits qu'el le rapporte, es t loin d'êtr e l a seule fin d e la recherche hagiographique . Ainsi, l'entre prise SH G favoris e un e autr e exactitude , historiqu e ell e aussi , qu i es t cell e de s ma nuscrits et du contexte dans lequel ils étaient produits. En faisant abstraction , dans un
premier temps, des sources imprimées, fabriquées e n quelque sorte par un éditeur moderne à partir d'une quantité de manuscrits présentant souvent des variantes, voire des
différences considérables , notre jugement su r les sources elles-même s devien t néces sairement différent . Quan d l e manuscrit lui-mêm e devien t l'obje t d e notre premièr e
approche, il nous revient de voir, pour chaque cas, s'il s'agit d'une rédaction originale,
d'une simpl e copie, d'une copi e aménagée voire interpolée, ou d'un e véritabl e réécri ture. Dans ce s circonstances, et tout spécialemen t e n ce qui concerne l a période don t
SHG a fait so n champ de recherches, on peut aisémen t affirme r qu e la majeure parti e
des manuscrits hagiographiques parvenus jusqu'à nous présente des réécritures ou d u
moins des réécritures potentielles .
Il convient en effet de définir le terme même de réécriture, dont les communications
ici rassemblées font apparaîtr e à quel point il peut s'avérer flou , voire ambigu. Le mot
se trouve défin i dan s le Robert comm e »l'actio n d e réécrire un text e pour e n amélio25 Ibid . p. 164.
26 Ibid . Voir surtout le chap. Actes et passions remaniés (p . 136-140), avec la dernière phrase: »... si bien
que nous possédons pour nombr e de récits des remaniements d e remaniements, dont la valeur ne cesse
de décroître, même quand le point de départ de la série était de la meilleure note, ou du moins accepta ble«. Voir encore p. 163sv . (Des Vies remaniés aux Vies fabuleuses). - Il n'est donc pas étonnant que Baudouin D E GAIFPIER , dan s so n rappor t importan t su r l'hagiographi e e n 1969, ait soulign é >l'instabilité <
des textes hagiographiques, en ajoutant »L e plus souvent anonymes , les Vies des saints sont à la merci
du premier remanieur qui , pour une raison ou une autre, modifie l e texte, ajoutant, retranchant , modi fiant mots et phrases« (Hagiographie et historiographie, dans: La storiografia altomedieval e [Settiman e
di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, XVII-1] Spolète 1970, p. 139-166, ici p. 148).
27 Une contribution tout e récente à l'hagiographie, de la part d'un autre historien, dont le but est de situer
les documents hagiographique s dan s leur >contexte< respectif, est celle de Klaus Herbers dan s le volume Hagiographi e im Kontext , éd. Dieter R. BAUER et Klau s HERBERS , Stuttgart , Fran z Steiner, 200 0
(Beiträge zur Hagiographie, 1); voir spécialement l'excellente introductio n d e K. HERBERS , Hagiogra phie im Kontext. Konzeption und Zielvorstellung, ibid. p. XI-XXVIII. Le volume publie les contributions d'un colloqu e de 1997, dans le cadre de la réunion annuelle du »Arbeitskreis fü r hagiographische
Fragen« (à Stuttgart-Hohenheim o u à Weingarten); la même anné e parut aussi : Stephanie CouÉ, Ha giographie im Kontext. Schreibanlaß und Funktion von Bischofsviten au s dem 11 . und vom Anfang de s
12. Jahrhundert s (Arbeiten zur Frühmittelalterforschung, 24) , Berlin, New York 1997 , donc égalemen t
avec une référence a u >contexte< historique qui concerne évidemment tout spécialement nos réécriture s
hagiographiques: en examinant de près les réécritures d'un texte , il y a de fortes chance s de mieux connaître le public de ces textes, et les raisons d'être d e chaque nouvelle réécriture.
Avant-propos
13
rer l a forme o u pou r l'adapte r à d'autres textes , à certains lecteurs , etc. ,..« 28 . I l sup pose donc un act e volontaire, e t en ce sens il exclut les simples erreur s d e copie mai s
pas forcément le s retouches isolées : on pourra parle r alor s d e réécritur e partielle , li mitée à une phrase ou un paragraphe: c'est ainsi que dans la tradition de la Vie de saint
Amé de Remiremont (BH L 358) certains manuscrits 29, en effaçant totalemen t la mention des pleurs du sain t mourant, donnent d u combat final une vision plus conform e
à l'idéal monastique du »martyr e blanc«.
Quel rappor t y a-t-il , d'autr e part , entr e réécriture e t remaniement, term e auque l
sont habitués les hagiographes? En réalité les auteurs emploient assez indifféremmen t
l'un o u l'autre , n e serait-c e qu e pou r pallie r l e manque d'u n no m d'agen t form é su r
réécrire comme remanieur es t formé sur remanier. Mêm e les dictionnaires s'y perdent :
dans le dictionnaire bilingu e français-anglais e t anglais-français d e Robert e t Collins,
rewrite es t traduit par »remanier« ou »remaniement« selo n qu'il est verbe ou substan tif, mai s l'expression rewrite (o u rewriting) rule par »règl e de réécriture«! On pourr a
donc admettre une synonymie théorique des mots remaniement e t réécriture, tout e n
plaidant instamment pour l'emploi aussi fréquent qu e possible du second, en raison de
la connotation fortemen t péjorativ e don t es t entaché le mot remaniement. Réécriture
a, outre sa neutralité ou son objectivité, cet autre mérite de laisser transparaître la dynamique de l'intertextualité e t d'évoquer l'incessan t travail de réappropriation collec tive dont parle Bernard Cerquiglini 30.
On pourra donc définir la réécriture comme la rédaction d'une nouvelle version (hypertexte) d'u n text e préexistant (hypotexte), obtenu e pa r de s modifications formelle s
qui affectent l e signifiant (modification s quantitatives , structurelles, linguistiques), ou
des modification s sémantiques , qu i affecten t l e signifié . L e term e réécriture désign e
d'abord l'action de réécrire, puis, par métonymie, la nouvelle version obtenue. On parlera de réécriture hagiographique s i cette nouvelle version es t de nature hagiographi que, indépendammen t d e l a natur e d e l'hypotexte , qu i peu t êtr e pa r exempl e un e
notice de gesta episcoporum o u un extrait de chronique. On es t d'ailleurs l à devant u n
autre problème: celui de la définition des limites du discours hagiographique et du genre biographique , un e notic e d e gesta episcoporum o u gesta abbatum étan t souven t
répertoriée dan s l a BHL sou s l e titre d e vita brevior. Enfin , o n n e parler a poin t d e
réécriture pour présente r deux textes concernant u n mêm e saint, dont l'u n a été écrit
par un auteur qui ignorait l'existence d e l'autre.
28 Le Robert retien t le s deux forme s verbales , réécrire ou récrire, avec une préférence pou r l a première,
mais le seul substantif réécriture.
29 Par exemple Paris, BNF lat. 17006 et 16733 (XII e s.) et Paris, BNF lat. 5353 (XIVe s.), qui forment l a famille 5 des manuscrits sur laquelle B. Krusch a fondé so n édition (pour le passage cité, MGH, SRM IV,
p. 220, c. 11), et Châlons 56 (XI/XIP s.) , qui représente l a version 4 de Krusch. Devant l a multiplicit é
des variantes de ces deux versions, ce dernier renonce à les intégrer dans son apparat critique (il s'en ex plique p. 214): on a là un bel exemple des problèmes d'édition posés par les réécritures.
30 CERQUIGLINI (cit . n. 23) p. 57: »Qu'une main fut première, parfois, sans doute, importe moins que cette incessante récriture d'un e œuvr e qui appartient à celui qui, de nouveau, la dispose et lui donne for me. Cett e activité perpétuelle e t multiple fait de la littérature médiéval e un atelier d'écriture. L e sens y
est partout, l'origine null e part. (... )« .
14
Monique Goulle t e t Martin Heinzelman n
On remarquer a enfi n qu e parmi les contributions d e ce livre on trouve principale ment de s recherche s concernan t de s vitae. Néanmoin s le s miracula? 1 peuvent fair e
Tob jet, soit de continuations - c'est-à-dire d'adjonctio n d e faits nouveau x faisant sui te au récit primitif32 -, soit de véritables réécritures. Les premières n'interviennent pa s
sur l'hypotexte, qu'elles ne font que prolonger; les secondes peuvent aller de la simple
retouche 33 à des modifications e n profondeur d u point de vue formel ou idéologique 34.
On pourrai t imaginer de faire d e la question des réécritures des miracles le sujet d'u n
prochain atelier dans le cadre de SHG .
Loin d e vouloir légifére r d e façon contraignante , ce s quelques ligne s on t tent é d e
souligner les enjeux de la pratique et de l'analyse de la réécriture hagiographique. Dans
cette démarche le s approches historiqu e e t littéraire on t plus qu e jamais besoi n l'un e
de l'autre: c'est une des richesses de ce premier atelie r que de l'avoir clairemen t mon tré.
*
Pour les abréviations e t sigles qui ne seraient pas explicités dans les contributions de s
différents auteurs , nous renvoyons le lecteur à la brève liste des sigles du volume »L'hagiographie du haut moyen âg e en Gaule du Nord« 35 .
Monique Goullet Martin
Heinzelmann
31 On pens e ici d'abord au x collections d e miracles, c'est-à-dire à un genr e littéraire à part entière , mais
aussi à des récits de miracle qui se trouvent inclus - de manière plus ou moins isolée - dans des vitae o u
dans d'autres textes ; pour l a question d u >genre< , voir M. HEINZELMANN , Un e sourc e de base de la littérature hagiographique latine: le recueil de miracles, dans: Hagiographies - Culture et sociétés IV e -XII e
siècles, Paris, Etudes Augustiniennes, 1981, p. 235-259.
32 Voir l'ajout d e miracles à une collection préexistante, comme par exemple dans le cas de saint Magloire
de Dol: BHL 5143 qui est ajouté à BHL 5141, ce qui ne correspond pa s à une réécriture.
33 C'est l e cas des Miracles d e saint Gorgon , par exemple: le ms. Wien, ÖN B 563 , originaire d e Neuwil 1er, gomme toutes les marques de l'origine gorzienne du texte des Miracles, en remplaçant, entre autres,
systématiquementpatronus noster par beatus martyr. L e scribe copiait un texte de la version gorzienn e
primitive, en l'adaptant à l'usage de son monastère et en effaçant le s mentions de la présence de l'auteur
aux différentes péripétie s du récit; seul le pronom nobis y à la fin du c. XVI, lui échappe.
34 Un exempl e majeur es t offert pa r le livre VI de la Vie de saint Martin (BH L 5617) versifiée pa r Pauli n
de Périgueux, livre qui correspond à la versification d e la carta indiculi de s miracles posthumes de saint
Martin envoyée au poète par l'évêque de Tours Perpetuus; voir HEINZELMANN, Une source de base (cit.
n. 31) p. 236. Un siècl e plus tard , Grégoir e d e Tours donn e d'ailleur s u n aperç u e n prose d e cette première collection d e miracles martiniens dan s De virtutibus s. Martini^ lib . I 2; là encore, il s'agit d'un e
réécriture ( à partir de s vers de Paulin ) don t i l sera question dan s l a première contributio n d u volum e
présent. Pour d'autre s exemples , plus tardifs, voir le dossier présenté par Patrick Henriet dans ce volume; e t du même auteur »Hagiographi e e t politique a u début d u XIII e siècle: les chanoines réguliers d e
Saint-Isidore et la prise de Baeza«, dans: Revue Mabillon n.s. 8 [69] (1997) p. 53-82, surtout p. 72sv. pour
la réécriture d'un réci t de translation .
35 L'hagiographie... ( cité n. 2) p. 9-10. Ceci concerne spécialement AASS (Acta Sanctorum), AASS OSB
(Acta Sanctorum Ordini s S.Benedicti) , AnalBol l (Analect a Bollandiana) , BiblSS (BibÜothec a Sanctorum), BHL (Bibliotheca hagiographica latina, avec Supplementum), CC (Corpus Christianorum, Séries latina), CCCM (Corpu s Christianoru m Continuati o Medievalis), M GH (Monument a Germania e
Historica), SRM (Scriptores rerum merovingicarum), MIGN E P L (Patrologiae cursus completus ... Séries latina).
MARTIN H E I N Z E L M A N N
La réécriture hagiographique dan s Pceuvre
de Grégoire de Tours
Table des matières
Introduction: Le >testament< de Grégoire: une exécration de la réécriture?, p. 15.
I. Les miracles de saint Martin: l'édification d e l'Église ou la réécriture sans fin du Verbum Dei, p . 23.
IL Le s réécritures formelles d u Liber in gloria martyrum: un e coprésence de l'hypotexte métrique comm e
légitimation, p. 38.
III. L'auto-réécriture d e Grégoire: transformations idéologique s d'u n discours , p. 53.
Conclusions, p. 68.
I N T R O D U C T I O N : L E >TESTAMENT < D E GRÉGOIRE :
UNE EXÉCRATIO N D E L A RÉÉCRITURE ?
»J'ai écrit dix livres d'Histoire, sept de Miracles, un sur la Vie de s Pères, j'ai commen té le Psautier en un livre, j'ai compos é aussi un livre sur les office s de l'Église«1: par ces
mots le dix-neuvième évêque de Tours introduisit la deuxième partie de son bilan récapitulatif d'activités épiscopales2. En présentant son œuvre de cette manière, Grégoire d e Tours opposait un nombre égal de livres historiographiques et >hagiographiques<,
éclipsant du même coup d'autres travaux de sa plume 3 dont l'énumération aurait rompu l'équilibre parfait entre les deux parties de l'œuvre qui répondent au concept foncièrement grégorien d'une histoire qui traite »de manière entremêlée et confondue«,
1
2
3
Decem libros Hi$toriarum y septem Miraculorum, unum de Vita Patrum scripsi; in Psalterii tractatu librum unum commentants sum; de Cursibus etiam ecclesiasticis unum librum condidi, Historiaru m libr i
X, X 31, éd. Bruno KRUSCH et Wilhelm LEVISON, MGH SR M I- 2 1, Hanovr e 1937-1951, p. 535sv. (dorénavant: Hist.). Je n'ai utilisé qu'accessoirement Rober t LATOUCHE , Grégoir e d e Tours, Histoire de s
Francs, 2 vol., Paris 1963-1965 (Les Classique s d e l'histoire d e France au moye n âge , 27-28); les tra ductions retenues sont les miennes. - Je remercie Madame Christiane Veyrard-Cosme de sa relecture de
mon manuscrit et de ses suggestions.
Voir plus généralement mon livre: Gregor von Tours »Zehn Bücher Geschichte« . Historiographie und
Gesellschaftskonzept i m 6. Jahrhundert, Darmstadt, Wiss. Buchgesellschaft, 199 4 (traduction anglaise :
Gregory of Tours. History and Society in the Sixth Century, Cambridge University Press 2001); la première partie de ce bilan épiscopal concern e le s achèvements ecclésiaux : la propagation d e la sainteté à
l'aide de reliques, par la multiplication de lieux saints.
Passio sanctorum septem dormientium apud Ephesum, Liber de miraculis beati Andreae apostoli, et une
édition, avec introduction, de s messes composées par Sidoine Apollinaire, œuvre perdue (Hist. II22).
Pour une première approche de l'œuvre hagiographique de Grégoire voir l'article de Benedikt K. VOLLMANN, Gregor IV (Gregor von Tours) , dans : Reallexikon fü r Antik e un d Christentu m 12 , 1983 ,
col. 916-919.
16
Martin Heinzelman n
des »fait s glorieu x des saints et des catastrophes de s peuples« 4. En fac e de s Histoires,
les dix livres hagiographiques comprennen t les sept livres de Miracles5, c'est-à-dire les
deux livre s In gloria martyrum e t In gloria confessorum, u n livr e su r le s miracle s d e
saint Julien de Brioude, et quatre livres De virtutibus sancti Martini, e n plus d'un livr e
sur la Vie (sainte) d'une séri e de confesseurs gauloi s plus ou moins contemporains d e
Grégoire (Liber Vitae Patrum), e t ils impliquent finalement auss i deux livres dont l'appartenance a u genr e hagiographiqu e n' a pa s encor e ét é reconnu e expressément . I l
s'agit d'une exégès e christologique d u psautier 6, donc d'un livr e qui, d'après sain t Jérôme, fait indubitablement parti e des livres >hagiographiques< 7, et d'un livr e De cursibus ecclesiasticis, intitulé dans le seul manuscrit comple t De cursu stellarum ratio, qu i
correspond e n fait à un trait é sur les grands miracle s - quotidiens - de Dieu don t le s
4
5
6
7
Prosequentes ordinem temporum, mixte confusaeque tam virîutes sanctorum quam strages gentium memoramus, Hist . II prol., p. 36; voir HEINZELMANN , Gregor (n. 2) p. 109-111. Pour l a dichotomie d u
concept qui correspond à celui des duo gênera hominum d e la Cité de Dieu augustinienne, cf. M. HEIN ZELMANN, >Adel< und >Societas sanctorum<: Soziale Ordnungen un d christliches Weltbild von Augustinus bi s zu Grego r vo n Tours , dans: Nobilitas. Funktion un d Repräsentatio n des Adels i n Alteuropa ,
publ. par Otto Gerhar d OEXL E e t Werner PARAVICINI , Göttinge n 1997 , p. 216-256, spéc. p. 225sv.
Éd. par Bruno KRUSC H dans M G H SR M 1-2 , Hanovre 1885; nous nou s serviron s de s sigles suivants :
GM = Liber i n glori a martyrum, V M = Libri I-I V d e virtutibus s . Martini episcopi , VP = Liber vita e
Patrum, GC = Liber in gloria conf essorum. - La suite des livres des Miracles se présente de manière différente d'aprè s le s préfaces d u G C (Septimum de quorundam feliciosorum vita. Octavum hune scribimus de miraculis confessorum, p. 298) et de VP où Grégoire parle de GC en tant que liber inferior (SRM
1-2, p. 212), ordre qui correspond à l'épilogue des Hist. (voir n. 1); l'éditeur a choisi l'ordre des manuscrits (p. 212 n. 3).
Édition d e Bruno KRUSCH , SR M 1/2, p. 424-427. Ce commentair e n'es t conn u qu e par de s fragment s
dont une partie concerne des Diapsalma, c'est-à-dire une série des titres des Psaumes, sans doute destiné à retenir toute la série des 150 Psaumes. Parmi ces séries disponibles a u VI e siècle, Grégoire a choisi
- s'il ne l'a pas produite lui-même - une série singulière d'après laquelle la totalité des Psaumes se réfère
au Christ : Primus psalmus ostendit, quod ipse (seil. XPS) sit lignum vitae; dan s l a suite, tous le s titre s
commencent par »Quod ipse ... «. Contre VOLLMANN (voir n. 3, col. 897) qui met en doute l'attributio n
des fragments à Grégoire, voir M. HEINZELMANN, Heres y in Books I and II of Gregory of Tours* Historiae, dans: After Rome's Fall. Narrators an d Sources of Early Médiéval History. Essays presented t o
Walter Goffart, Toronto , Buffalo, Londre s 1998, p. 80sv. n. 70. Je prépare une étude détaillée sur cett e
oeuvre qui exprime parfaitement le s visées théologiques d e Grégoire .
Prologus sanct i Hieronymi i n libro regum, Bîblia sacra iuxta Vulgatam versionem, recensuit Robertu s
WEBER .. . editionem quartam emendatam ... praeparavit Roger GRYSON , Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1994 , p. 365, Tertius or doapoypayja possidet, etprimus liber incipit ab lob, secundus a David,
quem quinque incisionibus et uno Psalmorum volumine conprehendunt; e t plus loin: Atque itafiuntpariterveteris legis libri viginti duo, id est Mosi quinque, Prophetarum octo, Agiograforum novem. Quamquam nonulli Ruth et Cinnoth inter Agiograf a scriptitent... - Autant qu'Isidor e d e Séville (Etymologiarum libri, VI, I, éd. W. M. LINDSAY, 1911, Tertius ordo Hagiograpborum, id estsancta scribentium, in
quo sunt libri novem, quorum primus lob; secundus Psalterium ...) Grégoire a dû connaître ce texte de
Jérôme qui, dans la suite, se réfère à Ex. 25,2-7; 35,5-9; 26,7-14; 36,14-19, pour parler des dons offert s
à Dieu dan s son tabernacle : de l'or, argent , pierres précieuses, ou seulemen t pelles et caprarum pilos Grégoire, dans le prologue de la Vie de s. Patrocle (MGH, SRM 1-2, p. 252), utilise la même métapho re et conclut finalement Sed cum haec omnia doctores eclesiarum esse allegorica tradidissent et in reliquis donariis gratiarum gênera demonstrassent, in Ulis caprarum puis laudationum verba conparaverunt.
ha nunc et nos... pilos caprarum, id est verba, quae sanctorum atque amicorum Deiprodant miracula,
in eclesia sancta porregimus ...
La réécriture hagiographique dans Pœuvre de Grégoire de Tours
17
étoiles font partie, miracles suscitant les louanges incessantes que l'Église adresse à son
Créateur, même aux heures de la nuit 8.
Si nous employon s l e terme >hagiographique < - mot qu i n'es t pa s utilisé par Gré goire », ce n'est pas en pensant de prime abord à la signification génériqu e du mot, au
sens que nous lui connaissons pour des périodes plus récentes9. Pour l'évêque de Tours,
la différence entr e les deux parties de son oeuvre devait plutôt répondre à la distinction
d'une historia traditionnelle qui raconte le destin d'une Eglise en conflit perpétuel avec
les affaires >d u mondes d'une autr e historia, didactique et eschatologique à la fois, qui
est centrée sur le Christ, ses saints et le royaume des cieux. Dans une telle perspective
la forme littéraire , comme par exemple historia, biographie, traité ou autre, n'import e
que fort peu . En revanche, il n'est guèr e douteux que Grégoire ai t connu l'emploi gé nérique hieronymien du mot hagiografus pou r les auteurs - lob, David, Salomon, Daniel etc. - de neuf oeuvre s des Ecritures saintes 10. Cette acception es t largement sous jacente quand il poursuit son testament littéraire, ouvert au début de notre exposé, par
une sommation-adjuration à ses héritiers qui se présente explicitement comm e solen nelle et fortement porteus e de connotations sacrées :
»Bien qu e j'ai e compos é ce s livre s e n styl e asse z rustique , j e conjur e
pourtant tous les évêques du Seigneur qui gouverneront l'église de Tours
après l'humbl e homm e qu e j e suis , par l'avènemen t d e notr e Seigneu r
Jésus-Christ e t par le jour du Jugement, terrible pour tous les coupables:
pas plu s qu e vou s n e voudriez , confondu s lor s d e c e jugement , êtr e
condamnés e t vous e n alle r ave c le diable, ces livres, ne le s faites jamai s
détruire ou réécrire11, en en gardant une partie tout en laissant de côté une
autre; que l'ensemble reste sous votre garde intact et non remanié, tel que
nous l'avon s laissé . Et si , o évêqu e d e Dieu, qu i que t u soi s (...) si dans
toutes ce s matière s (seil, dans le s sep t discipline s de s art s libérau x
développées un e pa r une ) t u e s devenu exper t a u poin t qu e notr e styl e
te paraiss e rustique , mêm e dan s c e cas-là , j e t'e n prie , n'enlèv e pa s c e
que j'a i écrit . Mai s s i t u trouve s quelqu e chos e qu i t e plaise , j e n e
m'oppose pa s à c e qu e t u l e mette s e n vers , pourv u qu e notr e oeuvr e
soit préservée« 12.
La formule es t loin d'êtr e stéréotypée . Elle ne peut d'abor d êtr e compris e qu e par l a
situation particulièr e d'un e oeuvr e ampl e qu e so n auteu r a rédigée d'u n seu l jet à un
8
9
HEINZELMANN, Gregor (n. 2) p. 140.
Pour PutiÜsation du term e voir Guy PHILIPPART , Hagiographes e t hagiographie, hagiologes e t hagiologie: des mots et des concepts, dans: Hagiographica 1 (1994) p. 1-16.
10 Voir n. 7.
11 .. . numquam libros hos aboleri faciatis aut rescribi: pour l a signification d e rescribere les éditeurs (voi r
n. 1, p. 536 n.4) renvoient à Hist. Y 44 (ut... libriantiquitus scripti, planati pomice, rescriberentur) o ù
Chilpéric fait récrir e les livres scolaires (l à aussi, ce n'est pas le geste technique qui compte, mais le résultat, c'est-à-dire d e nouveaux livre s !); ils proposent don c ici - de manière trop restrictiv e - le sens
technique de »denuo scribi, abrasa scriptura priore, ut palimpsestos fiât« .
12 Pour le début de la citation voir n. 1, pour la suite du texte latin voir dans notre texte le tableau compa ratif p. 19sv .
18
Martin Heinzelman n
moment préci s d e sa vie 13, et par l e fait qu e le s différentes partie s d e cette œuvre, au
moins e n majorité, n'on t pa s encore ét é auparavant diffusées 14. Jusqu' à no s jours, les
commentaires sur ce passage ont essentiellement porté sur l'aspect linguistique lié aux
auto-accusations d e Grégoire à propos de sa rusticité, souvent sans prendre en compte la question du modèle de Grégoire, c'est-à-dire l'existence d'autres formules d u même genre 15. C'est Wilhelm Levison qui, dès 1902, avait proposé comm e modèl e pos sible le texte d'une adjuration comparabl e transmise par l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, traduite en latin par Rufin et provenant d'une oeuvre (perdue) d'Irénée de Lyon16;
le morceau a été repris également par saint Jérôme, d'abord e n tant qu'obtestatio insé rée dans sa traduction d e la Chronique d'Eusèbe , ensuite dans son chapitre sur Iréné e
dans le De viris inlustribus 17. La formule d'Iréné e - dont la réussite est indéniable - se
retrouve, plu s développée , dan s un e préfac e d e Rufi n qu i précèd e s a traduction de s
livres du Periarchon d'Origène 18 . À l'origine, elle fut elle-même sans doute inspirée par
13 La période de rédaction est indiquée par Grégoire lui-même, d'abord dan s la dernière phrase du >testament< Hist . X 31, p. 536 1 . 15sv. Hos enim libros in anno XXI. ordinationis nostrae perscripsimus
(=593/594), ensuite par les dates de Grégoire le Grand e t du roi Childebert; à partir de ces données Lu ce Pietri a conclu à une période comprise entre avril et août 594, voir EAD. , La succession des premiers
évêques tourangeaux: essai sur la chronologie de Grégoire de Tours, dans: Mélanges de l'Ecole françai se de Rome, moyen-âge 94 (1982) p. 608sv. - Les Histoires n'avaien t pas encore été publiées, ce qui n'est
pas nécessairement le cas de tous les livres hagiographiques: quand Venance Fortunat écrivit sa version
poétique de la Vie de s. Martin en 575, il fit déjà allusion, dans une lettre adressée à l'évêque de Tours, à
un opus de ce dernier sur les Miracles de s. Martin, donc sans doute au premier livre du recueil; voir Venance Fortunat, Œuvres , t. IV: Vie de saint Martin. Texte établi et traduit par Solang e QUESNEL , Paris ,
Les Belles Lettres, 1996, p. 2-3.
14 Tore JANSON, Latin Prose Préfaces. Studies in Literary Conventions, Stockholm 1964, p. 143 »This thème (sciL »Prohibition agains t changes«)... naturally arise s from th e circumstance that there were nor mally only a few copies of the work in existence«.
15 Voir Erich AUERBACH , Literatursprache und Publiku m i n der lateinischen Spätantik e und im Mittelalter, Berne 1958, p. 79-81; Walte r BERSCHIN , Biographi e un d Epochensti l i m lateinische n Mittelalter ,
vol. I, Stuttgart 198 6 (Quellen und Untersuchungen zu r lat. Philologie des Mittelalters, 8), p. 301sv. qui
note la particularité qu e le texte ne s'adresse pas aux mauvais copistes, mais aux savants, auxquels il est
demandé de ne pas améliorer l e texte; ainsi, pour Berschin, Grégoire aurait finalement approuv é la latinité de son époque (»Bekenntnis zum >Merowingerlatein<«). - Voir encore JANSON (note précédente) et
surtout W. SPEYER, (art.) Fluch, dans: RAC, vol. 7,1969, col. 1160-1288, ici col. 1267sv.
16 Pour le texte d'Eusèbe, Hist. eccl. V 20,1-3, voir dans notre tablea u comparatif; c'est dans le contexte
d'une autre formule d'adjuration , contenu e dans la préface de la Vie de s. Eloi de Noyon, que Wilhelm
LEVISON avait renvoyé au modèle d'Irénée d'aprè s Jérôme (De viris inlustribus cap. 35) ou d'après Ru fin, voir M GH SRM IV, 1902, p. 781 (Addenda a d p. 665).
17 Eusèbe, Chronique, MIGN E P L 27, col. 39-40, Adjuro te, quicumque hos descripseris libros, per dominum nostrumjesum Christum, et gloriosum eius adventum, in quo veniet judicare vivos et mortuos, ut
conféras quod scripseris, et emendes ad exemplaria ea, de quibus scripseris, diligenter: et hoc adjurationis genus transcribas, et transferas in eum codicem, quem descripseris. -Jérôme, De viris inlustribus, 35
(Clavis Patrum Latinoru m [dorénavant: CPL 3 ], Steenbrugge 31995 [CCSL], n° 616) (dans un chapitr e
sur Irénée dont il cite les œuvres)... et de octava egregium g-suntagma in cuiusfine significans se apostolicorum temporum uicinum fuisse subscripsit: >adiuro te qui transcribis librum istum, per dominum nostrum iesum christum et per gloriosum eius aduentum quo iudicaturus est uiuos et mortuos, ut conféras,
postquam transcripseris, et emendes illum ad exemplar unde transcripsisti, diligentissime; hanc quoque
obtestationem similiter transferas, ut inuenisti in exemplar<.
18 CPL 3 198e; voir le texte dans le tableau.
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
19
l'épilogue de l'Apocalyse de Jean (Apo. 22,18-20)19; ce point de départ apostolique essentiel est d'autant plu s plausible qu'Irénée, évêque sacré par Polycarpe qu i était luimême élève de saint Jean, s'était réclamé expressément d e ses relations apostoliques 20.
Pour comprendr e tout e l a signification de s paroles d'adjuratio n d e Grégoire , nou s
proposons une comparaison avec ses modèles, directs ou indirects. Comme l'historien a
utilisé effectivement l a traduction de l'Histoire eusèbienne par Rufin21, il a dû connaître
le passage sur saint Irénée dont il a emprunté la formule d'adjuration (adiuro/coniuro) e t
le renvoi à Y adventum domini nostri lesu Christi À ce texte sera associée la pièce de la
préface de Rufin au Periarchon en raison des développements importants qui en font un
représentant-type du genre. Dans le corpus même des textes des formules littéraires de
protection ou d'adjuration, o n peut aisément reconnaître trois éléments pourvus d'une
fonction différent e qu i seron t distingué s dan s l e tablea u ci-dessous : premièrement ,
l'adresse, spécifian t le s personnes auxquelle s l a formule d'adjuratio n es t destiné e (en
gras); deuxièmement, la sanction, avec l'évocation de l'autorité suprême à laquelle l'auteur renvoie le transgresseur éventuel autant que le public (en italiques); troisièmement,
un genr e de dispositio avec la dénomination de s actes virtuellement incriminé s (souli gné); enfin, l'espacement de s caractères dans le texte de Grégoire signale l'exemple sin gulier d'une proposition de >réécriture autorisée< sous forme versifiée .
RUFIN, PRAEF. I N LIBRO S ORIGE-
IRÉNÉE (D'APRÈ S EUSÈBE , HIST .
GRÉGOIRE D E TOURS,
NIS PERIARCHON 14 (CPL 3 198e)
ECCL. V 20,1-3, D'APRÈS L A TRA -
HIST. X 31 (>TESTAMENT<)
DUCTION D E RUFIN)
Illud sane omnem, qui hos libros
uel descripturus est uel lecturus,
in conspectu de i patris e t filii e t
Spiritus sancti contesto r
atque conuenio perfptturi regnifidem, per resurrectionis ex mortuis
[ibid. 20,1 ] scribit aute m ide m
Irenaeus et de ogdoade librum, in
quo significat consecutu m se esse
quosdam e x successoribu s apo stolorum. [20,2] cuius libelli subscriptionem satis eleganter adfixam hi s inserere dignum duxi .
»Adiuro te« , inquit , »qu i tran scripseris librum hune,
per dominum
nostrum Iesum
Christum et adventum eius in
gloria, cum veniet iudicare vivos
et mortuos,
Decem libro s Historiarum , Septem Miraculorum, unu m d e Vit a
Patrum scripsi; in Psalterii tractatu libru m unu m commentatu s
sum; de Cursibu s etia m ecclesia sticis unum librum condidi. Quos
libros licet stilo rusticior i con scripserim, tarnen
coniuro omne s sacerdote s Do mini, qu i pos t m e humile m
ecclesiam Turonica m sunt recturi,
per adventum domini nostri lesu
Christi ac terribilem reis omnibus
19 Contestor enim omni audienti verba prophetiae libri huius: Si quis apposuerit ad haec, apponet Deus super illumplagas scriptas in libro isto. Et si quis diminuent de verbis libri prophetiae huius, auferet Deus
partem eius de libro vitae, et de civitate sancta, et de his quae scripta sunt in libro isto: dicit qui testimoniumperhibet istorum. Etiam venio cito: Amen, Veni Domine lesu.
20 Eusèbe, Hist. eccl. V 20,1, scribit autem idem Irenaeus et de ogdoade librum, in quo significat consecutum
se esse quosdam ex successoribus apostolorum. - Pour Irénée élève de Polycarpe voir Grégoire, Hist. 129.
21 Voir Hist. I 22, 24sv. Grégoire n e parle pourtant jamai s de Rufin mêm e quan d i l évoque les Vitae Patrum d e cet auteur (VP XX 3, SRM 1-2, p. 292). Quand i l se réfère a u texte latin de l'Histoire ecclésias tique, il dit historiograffus narravit Eusebius (Hist . IX 15, p. 430), ou Eusebi testatur historia (V P V I 1 ,
SRM 1-2, p. 230); GM 2 0 Grégoire donn e un trè s lon g extrait d e Rufin-Eusèbe, Hist . eccl . VII 14, en
terminant ainsi : Haec Eusebius retulit.
20
sacramentum, per illum quipraeparatus est diabolo et angelis eim
aeternum ignem; sic non illum locum aeterna hereditate possideat,
ubi estfletus et Stridor dentium, et
ubi ignis eorum non extinguetur
et uermis eorum non morietur:
ne adda t aliqui d hui c scripturae »
ne auferat. ne insérât, ne immutet.
sed conférâ t cum exemplaribus
unde scripserit. et emendet ad litteram et distinguât, e t inemenda tum ue l no n distinctu m codice m
non habeat . ne sensuum difficul tas. s i distinctu s code x no n sit .
majores obscuritate s legentibu s
generet.
Martin Heinzelman n
ut conféra s hae c qua e scribi s e t
emendes diligenter ad exemplaria.
de quibu s transcripseris . a d fi nem. et u t sacramentu m adiura tionis huiu s similite r transcriba s
et inseras his quae transcripsisti«.
[20,3] Haec aute m utilite r ab illo
dicta inserere operi nostro neces sarium credidi, quo per haec diligens efficiatur omnis , qui haec vel
legere vel describere dignu m du xerit, sciens exemplum diligentiae
a sanctis viris et inlustribus traditum. verum in his, quae ad Florinum scripsiss e Irenaeu m supr a
diximus, faci t Polycarp i mentio nem, cum quo se etiam conversa tum ess e désignât per haec verba:
»Haec«, inquit , »dogmata , Flo rine, qua e adseris , confidente r
dico, quia non sunt sanae senten tiae. haec dogmata no n sunt consona ecclesiasticae fidei ...
iudicii diem } sic numquam confusi de ipso iudicio discedentes cum
diabolo condempnemini,
ut numqua m libro s ho s aboler i
faciatis au t rescribi . quas i qua edam eligente s e t quaeda m prae termittentes. sed ita omnia vobiscum intégra inlibataque permaneant sicu t a nobi s relict a sunt.
Quod s i te, o sacerdos Dei, quicumque es , Martianu s noste r
septem disciplim s erudii t ...
[longue description de ces sept disciplines]; s i i n hi s omnibu s it a
fueris exercitatus , u t tibi stilus
noster si t rusticus , nec si c quo que. deprecor . u t avella s qua e
scripsi. Se d s i tibi in hi s
q u i d d a m p l a c u e r i t , salv o
opère nostr o t e scriber e
versu n o n a b n u o . Ho s eni m
libros i n ann o XXI. ordinationis
nostrae perscripsimus.
Le caractère unique d e l'adjuration grégorienn e apparaî t tou t d'abor d à l'examen de s
personnes auxquelles l'adjuration-malédiction s'adress e dans les trois textes: dans tous
les textes antérieurs à l'époque d e Grégoire, on visait en première ligne les personnes
susceptibles d e faire elles-même s de s copies d e l'œuvre concerné e (describere, transcribere), alors que le Tourangeau en appelle à la responsabilité de ses héritiers spirituels
qui étaien t e n mêm e temps , a u moin s dan s s a conception d'évêqu e mérovingien , le s
guides spirituel s d e l a sociét é tout e entière 22. L a préfac e d e l a Vi e d e sain t Elo i d e
Noyon, composé e vraisemblablemen t pa r sain t Oue n d e Rouen a u VII e siècle e t dé pendant d u mêm e modèl e qu e Grégoire , s'adresser a d e nouvea u au x praticien s d e
l'écriture23, renouant ains i avec la tradition d'Irénée e t de Rufin .
Toutes les sanctions des textes d'adjuration-malédiction fon t unanimement appel au
Jugement dernier , avec une insistance plus ou moin s prononcée. La simple évocatio n
de l'avènement d u Christ-Juge chez Irénée est amplifiée par Rufin qu i évoque les horreurs du séjour en enfer, mais seul l'évêque de Tours prévoit sans ambiguïté la condamnation avec le diable pour tou s ceux qui oseraient violer l'intégrité d e son opus,
22 Les évêques de Tours, héritiers de saint Martin, tenaient un rôle qui était sans doute capital aux yeux de
Grégoire, mais dans c e contexte préci s ils tiennent la place, plus générale , d'un corp s épiscopa l repré sentant l'église d u Christ . - Pour l'importanc e d e l'évêque dan s la société du VI e siècle voir HEINZEL MANN, Gregor (voir n. 2) p. 158sv. et passim; pour le rôle des évêques comme représentants d e l'Églis e
spécialement a u livre X des Histoires, ibid. p. 69sv.
23 Vita Eligii (voir n. 16), p. 665, Quapropter lectores obsecramus et per gloriosum Christi adventum obtestamur, ut si quis haec legens amore captus exemplare voluerit, syllabarum detrimenta summopere observet et dudum conscripta exemplaribus rursus conférât corrigenda, ut quaeque cum studio et sollicitudine scripta sunt, cum cura et diligentia transcribantur.
La réécriture hagiographique dans Pœuvre de Grégoire de Tours
21
Une évolutio n comparabl e peut êtr e constatée dan s l a description de s acte s incri minés: chez Irénée, qui semble e n cela être e n recul même vis-à-vis d e PApocalyse 24,
les termes d e >conférer< e t d'>amender< n e paraissent concerne r qu e des copistes plu s
ou moin s scrupuleux ; l e context e perme t néanmoin s d e comprendr e qu e c'es t l'au thenticité des dogmes eux-mêmes qui est en jeu. Rufin, par contre, présente une véritable terminologie de la réécriture en énumérant les procédés à proscrire: ajouter e t enlever au texte, modifier (immutare) e t interpoler (inserare), avant d'insister sur la comparaison mot à mot des manuscrits et sur l'interdiction de posséder des manuscrits no n
amendés.
Quant à Grégoire, il ne semble guère se soucier de la fabrication ultérieur e des manuscrits, mais c'est d e son œuvre entière qu'il craint soit la disparition intégrale (aboleriy avellare) soi t l'altératio n fatal e pa r u n mod e d e réécritur e (rescribere). Cette ré écriture qu'i l anticip e d'ailleur s ave c un e étonnant e clairvoyance 25, i l prend soi n d e
l'évoquer comme une sélection de textes opérant par omission (praetermittere)26 a u détriment d e l'intégrité d e ses livres 27. Ce n'es t qu'ensuit e qu'i l expliqu e d'o ù pourrai t
venir cette future intervention : d'un successeur plus érudit que lui-même. Le long passage que l'évêque enchaîn e sur Martianus Capell a et les sept disciplines du trivium e t
du quadrivium, mettant délibérément en relief le contraste entre une culture supérieu re - toujours accessibl e à l'époque d e Grégoir e - et son propr e choi x d'un e écritur e
>rustique<, a sans doute détourné le public des Histoires de s craintes réelles de Grégoire qui , e n vérité, ne concernen t qu e pe u s a culture rhétoriqu e e t so n expressio n lin guistique, mais plus largemen t l a sauvegarde d e la structure d e son œuvre 28 . C'es t l a
raison pour laquelle , finalement, i l revient une fois encor e au thème d e l'intangibilit é
de son œuvre (salvo opère nostro), en en acceptant éventuellement la versification par tielle, seule exception à la règle imposée 29.
24 Voir n. 19, avec >ajouter< (apponere) e t >enlever< (diminuere).
25 Voir les dégâts de la transmission de l'œuvre grégorienne: HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) p. 167sv., et
Pascale BOURGAIN et ID., L'œuvre de Grégoire de Tours: la diffusion de s manuscrits, dans: Grégoire d e
Tours et l'espace gaulois. Textes réunis par Nancy GAUTHIE R et Henri GALINIÉ , Tours 1997, p. 273-317.
26 En tant qu'auteur qui s'exprime, Grégoire utilise praetermittere encor e deux fois: Hist. V 5, iniqua quae
anobispraetermittuntur, ne detractoresfratrum esse videamur; Hist . VII l^dumadhistoriae ceptum reverti cupio, plurima praetermitto. - Les autres occurrence s d u term e son t moin s techniques ; cette re marque concerne aussi eligere.
27 Des deux termes intégra inlibataque c'es t le deuxième qui, pour Grégoire , paraît être le plus technique:
en Hist . IV 40 il se réfère à un pact e entr e Arménien s e t Byzantins, e t e n Hist . X 28 à un pact e entr e
Contran e t Childebert; moins spécifique: Hist. V 20, sed non diu haec sanctitas (de deux évêques) inlibatapermansit. -Voi r aussi VOLLMANN (voir n. 3) col. 908, qui met l'expression en relation avec un sanctuaire; d'après l e même (ibid.), eligere et praetermittere seraien t de s termes caractérisan t spécialemen t
l'exégèse des hérétiques.
28 HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) p. 84sv. , »Vorbemerkung: Gregors >Fluch< und seine sprachlichen Implikationen«; là encore (ibid. p. 89sv.) j'avais estimé que Grégoire, quand i l parlait de l'intégrité d e son
œuvre, avait e n vue surtout le s Histoires: l a découverte d e l'analogie de s di x livres d'histoir e ave c di x
autres livre s >hagiographiques< , une donné e parfaitemen t cohérent e ave c sa conception d'un e ecclesia
>mélangée<, m'a nettemen t fai t change r d'avis . Ses propres mots , entre autres , vont auss i dans un sen s
qui implique l'œuvre entière : ita omnia vobiscum intégra inlibataque permaneant sicut a nobis relicta
sunt; voir aussi la note suivante .
29 AUERBACH , Literatursprache (voir n. 15) p. 79 ne croit concernées, sans doute à tort (voir la note précédente), que les seules Histoires (»... reg t er spätere Leser auch zur Versparaphrase von Teilen der Frankengeschichte an«) . Au contraire , l'invitation de Grégoire à versifier un e partie de son œuvr e (... si in
22
Martin Heinzelman n
Nous avon s proposé ailleurs une analyse des structures de s Histoires qui , livre par
livre e t chapitr e pa r chapitre , fai t apparaîtr e un e histoir e parfaitemen t ordonné e d e
l'Église eschatologique, histoire dont la véritable idée directrice est l'illustration de l'alliance du Créateur-Logo s ave c sa création, l'Église 30. Cette relatio n fondamentale d u
Christ avec l'homme par la sainteté est prolongée et illustrée dans les livres sur les Miracles: selo n Grégoire , la seule existence de ces miracles indiquerait, voir e prouverai t
la réalité d'une Églis e eschatologiqu e qu i s e trouve tout e représenté e dan s le s réper toires d e saint s À la gloire des martyrs e t À la gloire des confesseurs; les autre s livre s
hagiographiques poursuivent un but didactique d'édificatio n tou t à fait analogue 31. À
partir de ces données l'insistance de Grégoire à propos d'une tradition intégrale de son
opus apparaît cohérente , e u égar d au x conséquences fatale s qu e - pour n e parler qu e
de l'exemple de s Histoires - l'omission d u livr e I (explication d u princip e christiqu e
inhérent à toute histoire e t à la création de l'Église) o u d u livre X (fin eschatologiqu e
de l'histoire ) devaien t nécessairemen t avoi r pou r l a compréhensio n de s dessein s d e
l'œuvre e t d e s a théologie; le danger étai t auss i gran d pou r le s ca s d'omission o u d e
simple inversion de chapitres dan s les livres respectifs 32.
Dans un te l contexte qu i est aussi celui d'un bila n solennel d'activité s épiscopales ,
le recours d e l'évêque d e Tours à une formul e à'obtestatio e t le choix de s modèle s d'un côté , plus vaguement, l'épilogue de l'Apocalypse, d'autre côté , plus directement ,
la formule d'Irénée , évêque de Lyon aux références incontestablemen t apostolique s ne peuvent guèr e être innocents: par la réécriture de ces modèles, c'est l e souvenir de s
Écritures saintes elles-mêmes qui est puissamment évoqué et, par conséquent, l'œuvr e
grégorienne elle-même qui s'inscrit dan s un champ proche de ces mêmes Écritures 33.
L'adjuration d e Grégoire ne signifie pourtant point une exécration de la réécriture e n
général. Pareille désapprobation serai t sans doute peu crédible venant d'un auteu r qu i
a pratiqué si puissamment le remploi et la réécriture: les sources dont il a fait un usage
conscient pour construire son propre opus sont innombrables, autant pour les Histoires
30
31
32
33
his quiddam placuerit), renforc e l a conviction qu'i l avai t effectivement l a totalité de son œuvre e n vue
dont la partie >hagiographique< se prêtait san s doute mieux à une telle conversion; en fait, il paraît qu e
les miracles de s. Martin par Grégoire étaient destinés à être versifiés par Fortunat, voir Venance Fortunat, Vie de saint Martin, éd. QUESNEL (voir n. 13) p. 3 (lettre à Grégoire, 2). - Que Grégoire ait prévu la
versification (partielle ) de ses écrits découle de son prologue à GC, voir plus loin, avec n. 35.
HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) passim, et spécialement l e sommaire d u chapitr e III, p. 131sv. (Eloquentia reru m - une rhétorique typologiqu e e t antithétique d e la création) qu i renvoi e au système d e
présentation de s chapitre s singuliers , au début, milie u o u à la fin d'u n livre ; ce système per d tout e s a
signification typologiqu e au cas où Ton touche à Tordre des livres et des chapitres.
M. HEINZELMANN, Die Funktion des Wunders in der spätantiken und frühmittelalterlichen Historiogra phie, dans: Mirakel im Mittelalter. Konzeptionen - Erscheinungsforme n - Deutungen , sous la dir. de D.
BAUER, M. HEINZELMANN, K. HERBERS, Stuttgart 2002 (Beiträge zur Hagiographie, 3), Stuttgart 2002.
Voir n. 30.
II reste encore un point à élucider, celui de savoir dans quelle mesure Grégoire a pu concevoir son œuvre
en tant que telle comme réécriture de livres bibliques. Pour les modèles éventuels, il faudrait san s dou te songer aux livres >hagiographiques< d'après la définition d e s. Jérôme (voir plus haut avec n. 7), mais
aussi, pour les Histoires, au x livres prophétiques (les Juges, les Rois, etc.).
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
23
que pour les livres hagiographiques. Grégoire n'a pas non plus hésité à exposer, le cas
échéant, l a raiso n e t le s principe s d e s a réécriture , comm e dan s le s prologue s de s
Miracles de saint André ou de la Vie de saint Nizier de Lyon (VP VIII); une série d'au to-réécritures prouve de plus qu'un seul récit primitif donnai t naissance à des emplois
bien divers en maints endroits différents d e son oeuvre. Et qui plus est, il a pu encou rager d'autres auteur s à écrire sur un saint dont il venait de composer la Vie: »nous ne
critiquerons pas«, fit-il savoir, »ceux qui, ayant eu connaissance de fait plus importants
le concernant (e n occurrenc e sain t Portien) , viendraient à écrire quelqu e chos e à sa
louange«34. E t dan s l e prologue d u livr e À la gloire des confesseurs il répondai t pa r
anticipation à ses critiques littéraires (litterati): »C'es t votre ouvrage que je fais et par
ma balourdise j'exercerai vos compétences. Car, comme je pense, mes écrits vous four niront a u moin s u n bénéfice : c e qu e j'écri s san s grâce e t brièvement , e n mo n styl e
grisâtre, en le mettant e n vers vous pourrez l'amplifier , d e manière lumineuse e t éclatante, en des pages plus prolixes« 35. Il n'est don c qu'en accord ave c lui-même quand ,
dans sa propre formule d'adjuration , i l se prête finalement à une invitation formelle à
la réécriture - même partielle - de son oeuvre par la versification: cett e invitation étai t
soumise à la seule condition, pourtant irrévocable , de la référence à l'unité spirituell e
de l'œuvre global e telle que lui l'avait légué e à la postérité.
Nous voic i don c engag é à examiner d e plus près l a pratique d e la réécriture che z
l'évêque de Tours, en mettant l'accent sur la réécriture hagiographique: so n adjuration ,
formulée d e façon solennelle , voire sacrale, paraît s'accorde r manifestemen t à ce type
d'écriture36.
I. LES M I R A C L E S D E S A I N T M A R T I N :
L ' É D I F I C A T I O N D E L'ÉGLIS E O U L A R É É C R I T U R E
SANS F I N D U V E R B U M D E I
Grégoire de Tours s'est considéré lui-même comme agent de son prédécesseur Marti n
et comme son héraut; venant de la basilique du saint , il a pu s'adresse r a u roi de la façon suivante: Ecce! a domino meo - il expliquera ensuit e qu'il s'agit de saint Martin in legacione ad te directus sum?7. Le saint joue donc dans l'œuvre d e Grégoire un rôl e
34 Vita Portiani abbati s (V P V 3, SRM 1-2, p. 229), Haec tantum de sancto viro cognovimus, non diiudicantes altos qui maiora de eo cognoverunt, si voluerint aliqua in eins laude conscribere.
35 GC prol., SRM 1-2, p. 298, Sed tarnen respondebo Ulis (seil, litteratis) et dicam t quia: >Opus vestrum fado et per meam rusticitatem vestramprudentiam exercebo. Nam, ut opinor y unum beneficium vobis haec
scripta praebebunt, scilicet ut, quod nos inculte et bréviter stilo nigrante discribimus y vos lucide ac splendide stante versu in paginis prolicioribus dilatetis<.
36 II faut teni r compte de la conception de Grégoire d'après laquell e il n'y a pas de distinction nette entr e
>histoire< et >hagiographie<, mais seulement des nuances dan s le s buts didactique s e t théologiques res pectifs des vingt livres; voir plus loin notre chap. III sur les réécritures a u sein de l'œuvre d e Grégoire .
37 Hist. VIII 6, p. 375. - Ce lien avec Martin es t pour Grégoir e no n seulemen t institutionnel , par le biais
de ses prédécesseurs, mais aussi personnel, car c'est autan t dans sa famille paternelle - l'évêque Perpe tuus, un de ses aïeux, était bien le bâtisseur de la basilique - que maternelle (sa mère, son grand-oncle s.
Nizier) que Martin était spécialement vénéré.
24
Martin Heînzelman n
logiquement important et il y apparaît autant dans les livres historiques que dans la partie >hagiographique<. De manièr e certaine , Martin, l e saint, représent e pou r so n suc cesseur le type même de la relation idéal e entre l'homme e t son créateur, le Christ, e t
illustre ce rapport exemplaire .
La clé de ce rôle préférentiel s e trouve dans le premier livre des Histoires, u n abré gé de 5596 années d'histoir e >ancienne< , où Marti n n'occup e pa s moin s d e trois cha pitres entiers , qui traitent d e sa nativitas - significativement associé e au récit d e l'invention de la vraie Croix -, de son adventus e t de son transitus™. L a terminologie in dique nettement un parallélisme avec les mêmes étapes de la vie du Christ: de plus, pour
Grégoire, l'action d e Martin sur terre marque une époque charnière et le début d'un e
nouvelle époque , a l'insta r d e l'actio n d u Chris t lui-même , dan s l'historiographi e
d'Orose 39 . L a mort terrestre d e Martin ne continue sa mission qu'en l'amplifiant. Pa r
conséquent, il se manifestera e n moyenne dans trois ou quatre chapitres de chacun des
livres des Histoires, o ù il est nommé 164 fois, sans tenir compte des citations de sa basilique! Dans le s livres des Miracles i l sera également présent partout : dans In gloria
martyrum e t De virtutibus sancti Iuliani martyris i l est nommé en association avec des
apôtres et martyrs, comme il l'est, avec une multitude d'autres saint s qui sont souven t
ses disciples spirituels, dans la Vie des Pères et dans In gloria confessorum o ù Grégoi re, d e manière exceptionnelle, lui a réservé une suite de neuf chapitres 40.
La source principale de la gloire martinienne constitue évidemment les quatre livres
De virtutibus sancti Martini auxquel s Grégoire a travaillé pendant toute son existence
d'évêque41. Ce s livres ont l'ambitio n d'êtr e un e documentation représentativ e d e miracles martiniens, tout e n étant l'œuvre l a plus personnelle de l'évêque d e Tours; dans
le prologue l'auteu r s e montre de toute évidenc e sincèrement impressionn é par le caractère sacr é de la tâche qu'il redoute d'aborder , mai s finit pa r aborder e n se fondan t
sur une vision mettant e n jeu sa mère qui le conforte su r l'adéquation d e son expres sion littéraire e t d'un te l sujet 42. E t c'es t a u début d e ce prologue qu'i l expos e l'enje u
de son propos:
38 Hist. I 36: De nativitate sancti Martini et crucis inventione; ibid. 39 : De adventum sancti Martini; ibid.
48 (chapitre final): De transitu sancti Martini.
39 HEÎNZELMANN, Gregor (voir n. 2) p. 96sv., 105,116-118. - Martin, avec s. Hilaire, au début d'une nou velle époque: voir spécialement le prologue au livre III (p. 96, ad nostra tempora revertamur); voi r aussi VM II43, où Martin apparaît comme novus Heliseus saeculo nostro.
40 G M 10,14,46 ; VJ 30,35; VP VIII1, IX 2, X V 1 , XVI1, XIX 2-4, XX 2; GC 4-12 (la suite de chapitres
concernant Martin), 20, 22, 38,45, 56, 58, 94,102,108.
41 SRM 1-2, p. 134-211; j'ai utilisé aussi la traduction d e H. L . BORDIER, Les livres des miracles e t autres
opuscules de Georges Florent Grégoire évêque de Tours, 4 vol., Paris 1857-64, vol. 2, p. 2-335; pour une
traduction anglais e voi r dan s Raymon d VA N DAM , Saint s an d thei r Miracle s i n Lat e Antiqu e Gaul,
Princeton 1993, p. 199-303. - Le premie r livr e trait e de s miracle s avan t l'épiscopa t d e Grégoire , l e
deuxième (portan t l e titre: De virtutibus, quae factae sunt, postquam nos venimus) concern e Pépoqu e
suivant l'avènement d e Grégoire à Tours, en 573, le quatrième était ~ sans doute prématurément - interrompu au chap. 47; le dernier événement datable (de l'œuvre entière de Grégoire!) se passe au chap. 45
et est datable du 4 juillet 593. - Voir pour le recueil M. HEÎNZELMANN, Un e source de base de la littérature hagiographiqu e latine : le recuei l de s miracles , dans : Hagiographie . Cultur e e t société s IV e -XII e
siècles, Paris 1981, p. 235-257.
42 Ibid . p. 136,... sim inops litteris et tam admirandas virtutes stultus et idiota non audeam promulgare; à
ces auto-accusations la mère lui répond: »ne sais-tu pas que, de nos jours, pour se faire comprendre de s
gens, parler comm e t u e n es bien capable , est apprécié davantage?« (... magis> sicut tu loquipotens es.
La réécriture hagiographique dan s Pœuvre de Grégoire de Tours
25
»Les miracle s qu e l e Seigneu r notr e Die u a daign é accompli r pa r so n
pontife lorsqu'i l vivait dans son corps d e chair, il daigne chaque jour le s
confirmer pou r affermi r l a foi de s croyants. Celui qu i à présent orn e d e
prodiges son tombeau, c'est Celu i qui a œuvré par lui lorsqu'il était dans
le monde; Il dispense par lui ses bienfaits au x chrétiens, Celui qui l'a jadis
envoyé comm e évêqu e au x peuples qu i allaien t périr . Qu e personn e n e
doute don c de s prodige s passés , quan d i l peu t se rendr e compt e de s
bienfaits de s miracle s présents , e n voyan t le s boiteu x s e redresser , le s
aveugles retrouve r l a vue , le s démon s prendr e l a fuite , e t toute s autre s
sortes de maux guérir grâce à sa médication. Quant à moi, en plaçant m a
foi dan s c e livre 43 qui a été compos é su r s a vie par me s devanciers , su r
l'ordre d u Seigneu r je confierai à la mémoire ses prodiges présents pou r
l'avenir, autan t que j'en ai en mémoire« 44.
Cet importan t débu t d e prologue décri t un e situation-typ e d e réécriture qu i dépass e
en même temps, et de loin, le simple fait d'écrire d e nouveau su r un même sujet. Sain t
Martin, e n instrument d u Chris t i l est vrai, a opéré de s miracle s d e so n vivant , e t d e
nouveau, deux siècles après, il est à l'origine de miracles qui sont manifestement condi tionnés par les prodiges antérieurs: pour (ré)écrir e le récit de ces miracles postérieurs,
leur chroniqueur s e réfère a u récit des miracles antérieurs, en engageant formellemen t
sa foi dans le récit de base.
Cette relatio n fondamentale de s livres de miracles martiniens par Grégoir e ave c la
Vita Martini^ accompagnée de trois Épîtres et des trois Dialogues (en deux livres)45, sera dorénavan t constammen t remémorée . Ainsi , le premier chapitr e d u premie r livr e
commence par : Multi enim sunt, qui virtutes sancti Martini vel stante ver suvel stilo
prosaico conscripserunt Quibusprimus ille Severus Sulpicius ...; quand Grégoir e préfère appeler la Vie de Martin de Sulpice Sévère liber de mirabilibus vitae eius, il fait d u
habeturpraeclarum; l e magis se réfère à la phrase précédante, dans laquelle Grégoire avait regretté l'absence des Sulpice Sévère, Paulin, et Vénance Fortunat). À la fin Grégoir e renvoie à l'exemple du Chris t
qui a choisi non des orateurs mais bien des pêcheurs, thème qu'il a trouvé dans le prologue de son modèle, la Vie de s. Martin (prol. 4).
43 BORDIE R (voir n. 40) 2, p. 5, traduit Ego verofidem ingerens libri illius par »moi , garant du livr e qui a
été écrit«, donnant u n sen s qui, dans la pensée de Grégoire , est sans doute sous-jacent , mêm e s i notr e
traduction es t plus près du texte. Dans son texte-modèle, la Vita Martini 1, 9, Grégoire a pu trouve r la
demande solennellemen t adressé e pa r l'auteu r (qu i rappell e P>exécration < d e Grégoire ) à ses lecteur s
d'ajouter fo i à son œuvre: Obsecro autem eos, qui lecturi sunt, utfidem dictis adkibeant... Le caractère sacral de la Vita Martini apparaît aussi en VM III42 où Grégoire en parle comme sacer ille huius historiée liber,
44 VM I, prol., SRM 1-2, p. 135, Mir acuta, quae Dominus Deus nosterper beatum Martinum antistitem
suum in corpore positum operari dignatus est, cotidie ad conroborandam fidem credentium confirmare
dignatur. Ille nunc exornans virtutibus eius tumulum, qui in eo operatus est, cum esset in mundum; et
ille praebet per eum bénéficia christianis, qui misit tunepraesolem gentibus perituris. Nemo ergo de anteactis virtutibus dubitet, cum praesentium signorum cernit munera dispensari, cum videat dodos eregi,
caecos inluminari, daemones effugari et alia quaeque morborum gênera, ipsum medificante, curari. Ego
verofidem ingerens libri illius, qui de eius vita ab anterioribus est scriptus, praesentes virtutes, de quanto ad memoriam recolo, memoriae in posterum, Domino iubente, mandabo.
45 Voir l'édition de Jacques FONTAINE, Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, vol. 1, Paris 1967 (Sources chrétiennes, 133), p. 248-345 (Vie et Épîtres; pour les Dialogues voir MIGNE P L 20, col. 183-222).
26
Martin Heinzelman n
coup ressortir l'élément miraculeu x et relègue la composante biographique au second
plan46. Au chapitre suivant, l'évêque signal e la première réécriture de la Vie de Martin
en cinq livres par Paulin de Périgueux qu'il prend de manière erronnée pour Paulin de
Noie, contemporain d e Martin. Une autre réécriture versifiée e n quatre livres par Venance Fortunat ser a brièvement cité e à la fin d e ce long chapitre dont l a partie essen tielle consiste en une paraphrase en prose du sixième livre de la Vita Martini d e Paulin
avec une première collectio n d e miracles posthumes d u saint ; nous reviendron s plu s
loin en détail sur cette réécriture en prose. Au chapitre trois, Grégoire donne un résu mé de la vita anterior, énumérant succinctemen t l a naissance de Martin47, son épiscopat, sa mort, et l'accueil du saint au paradis par le Christ , le jour même du Seigneur (do~
minica dies). Par l'introduction d e cet abrégé, Grégoire a pu souligne r les traits com muns d e son oeuvr e ave c sa source-modèle e t présenter se s quatre livre s comm e un e
véritable réécriture du sacer liber, la Vie de saint Martin par Sulpice Sévère 48.
À plusieurs autres reprises encore, Grégoire parle explicitement, et fait parler, de son
modèle: ad Severi recurramus historiam (V M I 4), dum virtutes de vita illius legerentur (II29), in vita sancti antestitis (II32), vitam sancti coepisset legere confessons (II49),
pro eo quod de te (adresse directe à Martin par une malade) legantur plurima (V M III8),
quid si ad ipsa beatae vitae scripta recurramus? (V M III 42; Grégoire y parle aussi de
la Vita en tant que sacer liber), Ibi enim mortuumprimum sucitasse legitur (V M IV 30,
fait qui correspond à la Vie de s. Martin 7), et ex illo (seil, monasterio, l e monastère de
Ligugé) ad episcopatum ductus scribitur (V M IV 30 = Vita 9).
Les allusions à l'hypotexte, soit à un passage de la vita d e Sulpice Sévère, soit, indirectement, à un événemen t narr é dans ce texte, sont également importantes. Ainsi est
évoqué l'épisode d u pauvre à la porta Ambianensis d e la Vita 3,1 (VM 117), du baise r
au lépreux à une porte d e Paris d e la Vita 18, 3 (VM I 19), de Candes , de qua beatus
confessor ad Christum migravit, d e l'ép. 3, 6 (VM II 48, aussi I 22 et III 22), du fau x
martyr démasqu é de la Vita 11 (VM I 26), du catéchumèn e mor t e t ressuscité grâc e à
l'intervention d e Martin , Vita 7, 6 (VM II 60), de l'empereu r Maxim e à Trêves d e l a
46 VM 1 1 , SRM 1-2, p. 136; Grégoire ne cite que la Vie, »écrit e quand Martin était encore en vie«, et deux
livres de dialogi, post transitum beau viri, omettan t don c les trois lettres . À cett e occasion i l présent e
une citation des Dialogues (III17) où Martin est mis à égalité avec les apôtres.
47 Vie de s. Martin 2,1 Igitur Martinus Sabaria Pannoniarum oppido oriundusfuit..., ce qui donne che z
Grégoire VM I 3, à partir d u term e oriundus: sol novus exoriens, thèm e encor e développé dans Hist . I
39, p. 27, Tune iam et lumen nostrum exoritur, novisque lampadum radiis Gallia perlustratur... Pour
ce thème qui s'appuie su r le verset messianique de Malachie (3,20) Vobis qui creditis orietur sol iustitie,
voir récemment Christiane VEYRARD-COSME, Le thème de la lumière dans l'œuvre d'Alcuin, dans: Bull,
de la Soc. nat. des Antiquaires de France 1997, p. 170-175.
48 Dans le Liber des virtutibus s . Juliani (SR M 1-2, p. 112-134) Grégoire a procédé d e la même manière :
les quatr e premier s chapitre s corresponden t e n fai t à la réécritur e d e la passio d e s . Julien (SR M 1-2,
p. 429-431). Mais dans ce cas, Pévêque de Tours n'a pas fait de référence à h passio antérieure qui n'avait
donc pas la même valeur pour lui que la Vita Martini. L'éditeu r B. Krusch , malgré les similitudes constatées entre les deux textes, a finalement (SR M VII, p. 771) mis en question - à tort - la connaissance d e
h passio par Grégoir e dont la remarque »u t nequeam haec silere« (VJ 4, SRM 1-2, p. 116) ne concern e
pas le seul chapitre 4 (un épisod e effectivemen t déj à présenté dan s la Passion ancienne) , mais tous le s
miracles suivants qu i n e se trouvent poin t dan s h passio ancienne. - La Vie de s. Martin comm e sacer
liber voir en VM III42.
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
27
Vita 20 (VM IV 10)49. Dans l'épilogu e au x deu x premier s livres , Pévêqu e d e Tour s
construit u n lie n entre les cent miracle s racontés jusque-là e t la couronne d u centesimm fructus de s martyrs , à laquelle, d'après lui , Martin avai t droit pou r pri x de s »se crètes embûches et agressions publiques« d e sa vie50.
À plusieurs reprises, Grégoire présente des miracles singuliers comme véritable >réécriture< d'un fait martinien du quatrième siècle. Quand un nourrisson, présenté comme mort, fut amen é par son père à la tombe du saint, et y recommença à respirer, l'auteur renvoie au parallélisme ave c un événemen t passé: »là ne fit pas défaut cett e puissance céleste qu i jadis, entre les mains d u confesseur , a ramené à la vie un petit« 51. À
une autre occasion, deux miracles concernant l'huile qui augmentait sans raison appa rente, donnent à Grégoire l'occasion de confondre le s contradicteurs de Sulpice Sévère, ca r pour lui, l'épisod e en question, en raison même de son caractère répétitif, confir mait la vérité des dires de son prédécesseur 52.
Tout bie n considéré, en présentant se s récits de miracles à ses lecteurs, Grégoire sug gère de les voir comme des réécritures de miracles racontés par Sulpice Sévère, sans que
le rapprochement entre les deux textes, d'un seul point de vue littéraire, ne soit évident
pour chaque récit. Dans un seul cas pourtant, dan s le livre De virtutibus s. Martini, i l
nous présent e un e >véritable < réécriture a u sens conventionne l d u terme . I l s'agit de s
miracles que l'évêque Perpetuu s d e Tours (458/59-488/89) avait fait rassemble r dan s
un indiculuSy appelé aussi carta indiculi, e t transmis ensuite à Paulin de Périgueux pour
versification53; l e résultat du travail de Paulin était les 506 vers qui formaient l e sixième livre de sa Vie métrique d e s. Martin. D e nouveau , Grégoir e allai t alor s propose r
une version e n prose des miracles rassemblé s par so n prédécesseur. E n traitan t c e re49 VM IV 10, Est apud nospatena colore sapphirico, quam dicitur sanctus de Maximi imperatoris thesauro
detulisse. La Vita Martini 20,5 parie d'une coup e (paiera) que Martin tendit à son prêtre, et non à l'empereur, mais ne dit rien du desti n ultérieur de cette coupe.
50 VM II60, SRM 1-2, p. 179,... Martinus, qui viduatus ab hoc mundo virginitatis custodivit integrum déçus, martyrium etiam vel in occultis insidiis vel in publias iniuriis triumphabiliter adimplevit, cui etiam
erat corona trigesimi, sexagesimi vel centesimi frcutus, in bis centum virtutibus augeretur. L e thème d u
martyre d e Martin s e retrouve dans la Vie, ép. 2, 9, gloria tarnen martyris non carebit, quia voto atque
virtute etpotuit esse martyr et voluit.
51 VM II 43, SRM 1-2, p. 174sv., se référant à Dial. II4. Grégoire avait commencé le chapitre par: O quotiens hicprophetarum et sublimium virorum virtutes, quas olim gestas legimus, renovari miramurl
52 VM II32, SRM 1-2, p. 170sv., Cum talia miracula, quae scripsimus, cotidie cernamus, quid Uli miseri sunt
dicturi, qui Severum in vita sancti antestitis mentitum esse pronuntiantf (seil , dans Dial. 126) Nam audivi (sic : Grégoir e dit >entendu< à la place de >lu<) quendam, nequam, ut credo, repletum spiritu, proloquentem, nonpotuisse fieri, ut oleum sub Martini benedictione crevisset ... Quid ergo nuper actum est,
mukös in testimonium exhibens, declarabo.
53 Voir HEINZELMANN, Sourc e de base (voir n. 40) p. 236. Pour le texte de Paulin, voir Paulinus Petricor diae, Carmina, éd. M. PETSCHENIG, Wien 188 8 (Corpus scriptoru m ecclesiasticoru m latinorum , 16-1),
p. 17-159. - Grégoire, à la fin du long chapitre VM 12, renvoya encor e aux Versus Paulini de visitatione nepotuli sui (éd. PETSCHENIG, p. 161-164), en paraphrasant les 80 vers par trois courtes phrases, dont
une avec un discour s du poèt e inventé par Grégoire : »Si tu agrées , o bienheureux Martin , qu e j'écrive
quelque chose à ta louange, fais-le moi connaître par un signe sur ce malade«; d'après c e récit, Yindiculus de Perpetuus, placé sur la poitrine d'un jeune parent malade de Paulin, aurait servi à le guérir.
28
Martin Heinzelman n
cueil de miracles posthumes de manière différente d u dossier sulpicien, Grégoire sou ligne encore une fois que pour lui, le sacer liber - la Vita Martini e t les Dialogi d e Sulpice Sévère - représente en l'occurrence l e seul texte-modèle d e référence .
Pour notr e tableau comparatif d e Phypotexte métrique et de sa réécriture par Gré goire nous avons pu bénéficier d'une présentation analytique du livre VI de Paulin dans
un ouvrag e récent d e Sylvie Labarre 54; elle y propose un e division des 506 vers en 19
sections dont 13 concernent des miracles proprement dits, les six autres étant réservées
à certaines expansion s d u poète . Significativement, Grégoir e n' a pa s ten u compt e d e
ces parties générales, en ne s'intéressant qu'aux miracles proprement dits. Dans la perspective d'un e comparaiso n d e l'ampleu r de s épisode s respectifs , nou s avon s not é l e
nombre des vers du texte de Paulin et le nombre des lignes dans l'édition M.G.H . de s
Virtutes $. Martini.
LABARRE 108 (1)
ibid. (2)
ibid. (3)
ibid. (4)
ibid. (5)
VI v. 1-24 (2 4 v.) louange à Martin — (sans équivalent )
VI v. 25-33 (9 v.) authenticité des — Ce n'es t qu' à l a fi n d u recuei l (V M I 2, 13 9
faits rapporté s pa r Perpetuus , 1. 12sv.) qu e Grégoir e indiqu e l a list e d e Perpetuu s
évêque de Tours. comm
e source de Paulin,
VI v. 34-70 (37 v.) le tombeau d e V M I 2, 13 7 I. 3-5 (3 L). L'essentie l es t condens é
Martin es t lie u d e miracles ; e n un e phras e (utilisan t quelque s mot s de s ver s 39,
des possédés délivrés.
53, 54 , 56 , 58 , 6 2 [daemon, cancelli, aerium iter,
puteuSy iaciuntur] d e Paulin) : pa r u n démon , de s
énergumènes son t emporté s dan s le s air s e t
précipités dan s l e puit s d e la basilique , mai s il s
sont retiré s sain s e t saufs , à la vu e d e tou t l e
peuple.
(commentaire - le seu l qu i interromp e l e recuei l
paulinien - de Grégoire : »Nou s avon s v u l a chos e
se passer ainsi de notre temps«. )
VI v. 71-90 (20 v.) la victime d'un V M I 2, 13 7 1. 6-10 ( 5 L). Encore l'essentie l (c e qu i
démon traverse la Loire. correspon
d au x ver s 82, 83 , 88 , 8 9 [daemon, mersurus praedam, tram fluuium siccas
... uestes,
cella] de Paulin) : u n démo n s'empar e d'u n homm e
et l e précipite dan s l e fleuve, comm e pou r l e noyer ;
mais l'homm e arriv e délivr é à l a cellula d e
Marmoutiers.
VIv.91-105(15v.)Paulinparle,de V M I 2, 13 7 1 . 10-1 2 ( 3 L). L e miracul é d e
manière générale , de s possédé s l'épisod e précéden t avai t parl é l a langu e d e
qui n e s e renden t pa s compt e d e peuple s inconnus , mai s i l es t guéri . (Grégoir e fai t
leur délivranc e pa r l e saint ; il s ains i u n lie n ave c l'épisod e précédent , parlan t d'u n
avaient parl é de s langue s étran - seu l miraculé ; l'hypotext e d e l a plum e d e Pauli n
gères, le Grec, et émis les éclats de suggèr e plutô t - vaguement i l es t vra i - un gran d
voix de s Hun s e t d e peuple s in - nombr e de possédés concernés. )
connus.
54 Sylvie LABARRE , Le manteau partagé . Deux métamorphose s poétique s d e la Vie de sain t Marti n che z
Paulin de Périgueux (Ve s.) e t Venance Fortunat (VIe s.), Paris 1998 (Coll. des Études Augustiniennes .
Série Antiquité, 158), p. 108-110. - Voir aussi VAN DAM , Saints (voir n. 41) p. 201-205.
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
ibid. 109 (6)
ibid. (7)
ibid. (8)
ibid. (9)
ibid. (10)
ibid. (11)
ibid. (12)
ibid. (13)
29
VI v. 106-151 (46 v.) les premiers V M I 2, 137 1 . 13-1 6 ( 4 L). Aegidiu s es t assiég é
vers parlent, de manière générale, (san s indicatio n d e lieu ) e t sauv é pa r Y invocatio n
de démon s contraint s d e dir e l a d e Martin : l e fai t es t révél é pa r u n posséd é
vérité (v . 106-110); Aegidius, (daemoniacus) e n plein e basilique . (Encor e un e
assiégé dans une urbs sur le Rhône fois , Grégoir e n e repren d pa s l e passag e intro (Arles, 458/9), est sauvé par Mar- ductif, d e porté e plu s générale , concernan t de s
tin, c e qu e révèl e u n démo n ( à démon s contraint s d e dir e l a vérité ; i l ajout e la
Tours). précisio
n in medio basilkae)
VI v. 152-217 (6 6 v.) guérison s V M I 2, 13 7 1 . 17-2 0 ( 4 L). Grégoir e ome t le s
d'aveugles, de boiteux, de sourds, guérison s no n précisée s che z Paulin ; pou r l a puella
enfin d'un e paralytica uirgo paralisi bumore gravata i l laiss e totalemen t d e
amenée pa r se s parent s païens : côt é l e rôl e de s parents , primordia l dan s l'hypo après une rechute dans l'idolâtrie, texte , e t n e parl e qu e d e l a rechut e d e l a fill e dan s
elle meurt. l
a maladie précédente.
VI v. 218-249 (3 2 v.) u n Hu n V M I 2, 13 7 1 . 21-2 3 (3 L). U n Hun , rapidus
arrache {stimulis furiosi daemonis instinctu daemonis actus , coronam sepulchri , qua e
actus, v. 222) une couronn e d e l a sancti meritu m declaraba t (Paulin : docebat),
basilique (coronam quae meritum violenter
eripuit (Paulin : abripuit); aprè s s'êtr e
sancti propter coniuncta docebat, repenti , il est guéri,
v. 226sv.) ; aprè s s'êtr e repenti , i l
est guéri .
VI v. 250-264 (1 5 v.) u n autr e V M I 2, 13 7 1.24-26 (3 L). ... quidam vero a temp(Hun), e n fureur , tu e u n autr e tatore commotus, prolato gladio, cum quendam
possédé (perculit obsessumfunes- ferire conaretur in atrium confessons ... ipso se
to a daemone corpus) e t s e tu e mucrone confodit. L a localisatio n in atrium
ensuite lui-même. confessons
es t ajoutée par Grégoir e (voir n° 6).
VI v. 265-290 (2 6 v.) u n homm e V M I 2, 13 7 1 . 27-138 1 . 4 ( 6 L). Un homm e s'op tente d e s'oppose r (instinctu pos e à l'embellissemen t d e la basiliqu e e t a u trans impulsus furiosi daemonis) à por t d e colonnes : ... in alveum exclusum multa
l'embellissement d e la basiliqu e minabatur y pro
eo quod solatium aliquod ad
par de s colonne s e t menac e s a plaustra petentibus non praeberent (l'éditeu r
femme qui prêtait des instruments KRUSC H remarqu e ic i »sensu s latet« ; mai s i l fau t
nécessaires à l'opération ; tomb é traduir e à peu prè s »i l barr a l e fleuv e faisan t pese r
de cheval il suffoque dan s le sable un e lourd e menac e su r tou s ceu x qu i voulaien t
d'un ruisseau . Finalement le poè- soulage r l e transpor t pa r voitures«) . D e tout e
te s'adresse à lui: praecedis nostras façon , i l s'agi t d'u n réci t asse z divergen t d e
iam non prohibendo columnas y l'hypotexte , poursuivan t ainsi , aprè s la mor t pa r
nec rapis ornatum templi ...
suffocation dan s l e ruisseau : tune iuvene
praecedente, columnae usque beatum templum
delatae sunt (Grégoire, introduisan t u n iuvenis
absent d e so n modèle , n e paraî t pa s réalise r qu'i l
s'agit d'un e adress e d e Pauli n à l'homm e qu i avai t
suffoqué).
VI v. 291-294 (4 v.) transition vers —
des miracles moins spectaculaires.
VI v. 295-319 (2 5 v.) pouvoi r d e V M I 2, 13 8 1 . 5-11 ( 7 v.). Reproductio n correct e
l'huile placée près du tombea u d e de s ver s d e Paulin , ave c u n ajout : l'huil e coulan t
Martin par l'évêquePerpetuus qu i su r le s vêtement s d e l'évêqu e répan d un e odeu r d e
ajoute d e l a poussièr e gratté e d u necta r (inventio n d e Grégoir e o u traditio n
tombeau. tourangelle?)
.
VI v. 320-336 (1 7 v.) aprè s un e V M I 2, 13 8 1 . 11-1 2 et L 13-18 ( 8 L). Grégoir e
brève introductio n (v . 320-324): conçoit à tor t le s v . 320-324 de Pauli n comm e
un homm e protèg e so n cham p appartenan t à l'épisod e précéden t concernan t
contre l a grêl e ave c de la cire bé - l'huil e (qui , d e l a sorte , aurai t ét é utilisé e auss i
nite du tombeau . contr
e le s tempêtes , voi r 1. 11-12) . Au réci t de s
bienfaits d e la cire , i l ajout e u n gardie n d e la
basilique (aedituus) comm e distributeu r d e l a cire ;
30
ibid. (14)
ibid. (15)
ibid. (16)
ibid. (17)
ibid. 110 (18)
ibid. (19)
Martin Heinzelman n
VI v . 337-35 0 (1 4 v.) adress e à
Martin.
VI v. 351-415 (6 5 v.) des pèlerins
sauvés de la noyade dans la Loire.
Comparaison ave c la division des
eaux du Jourdain (v . 409).
autre ajout : le s champ s voisin s auraien t ét é ravagé s
les années précédentes.
VM I 2, 13 8 1. 19-139 1. 4 (18 L). Une reproductio n
assez abondant e d u réci t paulinie n su r l e pèleri nage d e Pâques , à Tours , pa r Grégoire . I l expliqu e
l'appellation martinienn e angelicus vir, utilisée pa r
Paulin (v . 356), par »ayan t e u commerc e ave c le s
anges«, e t présent e l e peupl e couvran t le s endroit s
>martiniens< lor s d u pèlerinag e d e baiser s e t d e
larmes, l à o ù i l n' y avai t qu e de s larme s che z
Paulin (v . 357). Lors d u naufrage , Grégoir e invent e
une prièr e d u peupl e à Marti n (»Miserato r
Martine, erip e a praesent i interit u ...«) qui
s'inspire d'un e prièr e d e l'épisod e suivan t che z
Paulin. - La comparaiso n ave c l a divisio n de s eau x
du Jourdai n pa r Pauli n es t mêm e l'occasio n d'un e
importante amplificatio n pou r Grégoir e qu i ajout e
1) les douz e pierre s prise s pa r Iosu é (Ios . 4,20) du
fond d u fleuv e comm e signa apostolka (renvoyan t
à la missio n apostoliqu e d e Marti n qu i pren d effe t
lors de s pèlerinages) ; 2) le sauvetag e d e Pierr e d u
fond de s eau x (Mat . 14,30); 3 ) la virtus qu i
ramène d e la me r a u rivag e l e mari n invoquan t l e
Seigneur d e Marti n (san s dout e référenc e à
l'épisode suivant chez Paulin, v. 416sv.).
VI v. 416-460 (4 5 v.) u n navir e — Grégoire n e ren d pa s expressémen t compt e d e
sauvé e n mer , san s précision s d e ce deuxièm e épisod e d e détress e maritime , tro p
lieu n i d e date . Pauli n rapport e imprécis pou r se s propre s dessein s d e
une prière assez détaillée d'un ma- documentation d e miracles , qu'i l évoqu e tou t d e
rin (v. 447-454, >aspice< ait, >mise-même dan s la dernièr e phras e d u réci t précédent .
ros, spes una et uera salutis / Mar- De plus , l'adress e d u mari n à Marti n che z Pauli n
a trouv é u n éch o che z Grégoir e dan s l'histoir e
tini misereredeus y ...<).
précédente o ù i l a ajout é un e invocatio n
comparable (1381.27sv.).
VI v. 461-466 ( 6 v.) modestie d u
poète
VI v. 467^99 (3 3 v.) u n homm e VM I 2, 13 9 1 . 5-12 ( 8 L). Reproduction fidèle , e n
éteint u n incendi e ave c de l a cir e cinq phrases, des 33 vers de Paulin.
du tombeau .
VI v. 500-506 ( 7 v.) conclusion ;
éloge de Martin.
La réécriture hagiographique dans Pœuvre de Grégoire de Tours
31
C'est d e manière sobre et concise que Grégoire a rendu compte des miracles auxquel s
Paulin avait donné un certain flou poétique 55 . Là où le poète renvoie de façon généra le à des guérisons collective s (d'aveugles , de boiteux, de possédés, etc.), évoquant de s
manifestations pe u précises (n os 3, 5, 6, 7,11,16), chaque fois Grégoir e prend soi n d e
ne présenter qu'u n ca s singulier, e n transformant so n modèl e poétique d e telle sort e
qu'il réponde au style de sa propre narration dans les autres parties de son œuvre. Luimême dira un peu plus tard dans le même recueil que son écriture est succincte et que
son discours doi t présenter brièvet é et simplicité, et qu'il renonc e à la verbosité e t au
»discours plus ample« , ce qui l'amène d'ailleur s à craindre qu e certain s 'sages ' ne di sent avec rigueur qu'un homm e exper t se doit d'amplifier (extendere) s a narration 56.
Si Grégoire a donc régulièremen t condens é so n texte-modèle , i l a accessoiremen t
ajouté certaine s précisions mineure s qui facilitent l a compréhension d u récit; il précise ainsi, par exemple , la localisation d'u n miracle , in medio basilicae (n° 6), in atrium
confessons (n° 9), ou invente le personnage d'un gardie n de la basilique (aedituus), dis tributeur de cire bénite (n° 13). Une seule fois, il intervient en tant que commentateur :
à l'occasion d u miracle s de s énergumène s tombé s dan s l e puits d e la basilique e t re trouvés saufs, il rajoute: »nous avons vu l'événement s e produire ainsi de notre temps«
(n° 3), relevant de cette manière encor e une fois l e parallélisme entre l'action miracu leuse de son époque et celle du siècle précédent.
Dans une telle situation d e condensation général e de l'hypotexte l a seule véritabl e
amplification (n ° 15) attire nécessairement l'attention . L e contexte es t celui de la narration d'un sauvetag e miraculeux de pèlerins menacés de la noyade dans la Loire lor s
d'un pèlerinag e à Pâques, près de Tours. Lorsqu'un vent propice, survenu miraculeu sement aprè s un e prièr e à saint Marti n (emprunté e pa r Grégoir e à l'épisode suivan t
chez Paulin et adaptée à son récit 57), ramène les pèlerins saufs au rivage, Paulin avance
une brève allusio n à la division de s eau x du Jourdain. Reprenan t l a typologie d e so n
modèle, Grégoire l'augmente substantiellement, et surtout, la précise: »là ne fit pas défaut cett e puissance (céleste) , qui, divisant le s eaux du Jourdain, fi t passe r le peuple à
sec dans le lit du fleuve pendant que les flots s'élevaient e n montagnes au-dessu s de sa
tête, alor s qu e Josué consacr a su r l e rivage qu'i l venai t d'atteindr e le s douz e pierre s
prises au fond d u fleuve qu i devaient marquer l a mission apostolique (d'Israël) ; cette
55 Dans HEINZELMANN , Sourc e de base (voir n. 40) p. 236 je ne voulais pas exclure la possibilité que Grégoire a pu voir aussi la carta mêm e de Perpetuus, ce qui me paraît moins évident aujourd'hui, et pas seulement parce qu'il n'en dit rien: un malentendu comm e dans Pépisode n° 10 n'est compréhensible qu' à
partir du seul récit métrique. Dans d'autres cas aussi, il est bien difficile d'identifie r de s récits cohérents,
ou le début/la fin d'un épisode ; voir les nos 4/5,12/13,15/16 .
56 VM II 19, SRM 1-2, p. 165, Dum singula quaque miracula beau viri succincte scribimus nec ea in ampliore sermone expandimus, verendo valde atque timendo iter carpimus inchoatum, ne forte dicatur a
prudentioribus: rnultum haecpoteratperitus extendere. Sed nobis in eclesiasticum dogma versantibus videturt ut bistoria, quae ad aedificationem eclesiae pertenety postposita verbositate, brevi atque simplici
sermone texatur, ut et virtutem beati antestitis prodat et sapientibus fastidium non inponat. - Voir aussi VM I 5, SRM 1-2, p. 141, où l'auteur Grégoir e exprime son désir de raconter seulement le simple fai t
Nam nos utinam vel simplicem possimus bistoriam explicare.
57 Paulinus Petricordiae, Carmina (voi r n. 52), Vita Martini l.VI, vers 383, interea Concors Martini in nomine clamor / auxilium caeleste àet; l a prière du peuple che z Grégoir e se fonde su r l'épisode n ° 16 de
Paulin (voir texte du tableau), concernant un marin en danger à la mer.
32
Martin Heinzelman n
puissance, qui par la main du Seigneur saisit Pierre pour l'empêcher de périr; cette puissance, qui du fond d e la mer rapporta a u rivage désiré le marin e n naufrage qu i invo quait le maître de Martin« 58.
Grégoire a donc profit é d e l'occasion pou r développe r so n thèm e théologiqu e d e
prédilection qui est en même temps, comme nous le verrons ensuite, le véritable arrière-plan de s livre s hagiographique s et , tout spécialement , d e ceu x su r le s miracles d e
saint Martin: la continuité de l'action de la puissance du Christ, créateur du monde e t
de l'Église59, depuis l'époque de l'ancien testament (signifiée par le geste >apostolique<
de Josué, d'après Ios . 4, 20), en passant par l e prince de s apôtres sain t Pierre, jusqu' à
une époque récente, où cette puissance agit par l'intermédiaire de >l'apôtre des Gaules<,
saint Martin 60.
Au débu t d e c e chapitre i l était questio n d'un e situation-typ e d e réécriture, illustré e
par l'exempl e d u prologue de s Virtutes s. Martini, à partir duque l Grégoir e instituai t
une relation essentielle entre le récit des miracles du vivant de Martin et son propre recueil, deux siècles après. Pourtant, par delà cette relation entre deux plans d'écriture d e
miracles, il y avait l'intervention évident e d'un troisièm e plan, plus important encore ,
l'intervention d u Seigneur Lui-même: c'était effectivement Lu i qui agissait par Marti n
quand c e dernier étai t vivant et quand i l était mort, et c'est toujour s Lu i qui continu e
à agir à sa tombe, et c'est su r son ordre que Grégoire prend s a plume d'hagiographe 61.
Le Christ, la véritable origine de tout miracle, est ainsi à l'origine même de son écriture; il convient donc de s'interroger su r son rôle dans l'idéologie de la réécriture. Grégoire a parfaitement exprim é l a place d u Chris t dan s l'histoir e dan s se s livre s histo riques, tout spécialemen t dan s le premier livr e et le prologue d e ce dernier. Au cour s
de la définition d e sa foi, partie déterminant e d e ce prologue, il évoque avan t tou t l e
rôle du Christ-Créateur , princip e e t fin d e toute chose - ce qui implique évidemmen t
58 VM12, SRM1-2, p. 138sv., Non enim defuit Ma virtus, quae Iordanem scindenspopulum sub aquarum
molibus margine arente traduxit, cum, de fundere fluvi duodecim lapidibus ablatis, signa apostolica gestientes, Iosue litori, cui advenerat, consecravit; velilla quae Petrum pereuntem, piam amplectens dexteram, ne periret, eripuk; vel quae navitam submersurum, Martini Dominum invocantem, de profundo
pelagi ad litus, quod optabat, elicuit.
59 Le sujet d e l a Trinité don t l e Christ es t le principe agissan t dè s l a création , es t trait é d e manière pro grammatique dans les Histoires, dan s les prologues des livres I (dans le credo de Grégoire) et surtout III,
et dans le premier chapitre du livre I, voir HEINZELMANN , Grégoir e (voir n. 2) passim.
60 Le renvoi à l'histoire de s. Pierre (d'après Mat. 14,30) était d'autant plus destiné à figurer ici qu'il y avait
une inscription avec une illustration circonstanciée de l'épisode au-dessus d'une porte de St-Martin, porte ouvrant vers la Loire, voir VAN DAM , Saint s (voir n. 40) p. 204 n. 17; pour la sylloge qui contient le s
inscriptions d e la basilique voir Luce PIETRI , L a ville de Tours d u IVe au VI e siècle, Rome 1983 (Coll.
de l'Ecole français e d e Rome, 69), appendices, ici p. 807 n° 9, A parte Ligeris super ostium. Discipulis
praecipiente Domino in mare navigantibus, venus flantibus, fluctibus excitatis y Dominus super marepedibus ambulat; et sancto Petro mergenti manumporrigit; et ipse depericulo liberatur. - La troisième partie d e so n amplification , c'est-à-dir e l e marin invoquan t l e Seigneur d e Martin, Grégoir e l'avai t astu cieusement retirée d'un épisode assez flou (et donc difficilement utilisabl e pour les besoins de son propre
recueil) chez Paulin (n° 16 sur notre tableau).
61 Voir la citation p. 25.
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
33
l'histoire -, un rôle illustré dans le premier chapitre sur la Création 62. Au bea u milie u
de ce premier livre, une série de chapitres illustre la place du Christ incarné dans l'histoire; dans le chapitre sur la Passion, il est également question des miracles qu'il a opérés sur terre 63:
Domino autem Deo nostro Iesu Christo paenitentiam praedicante ,
baptismi gratiam tribuente vel caelestem regnum cunctis gentibu s
prominente atque prodigia et signa per populos opérante, hoc est dum
de aquas vina profert, dum febris extinguit, dum caecis lumen tribuit,
dum sepultis vitam restituit, dum obsessos ab inmundis spiritibus libérât,
dum leprosos miserabili turpentes cute reformat, haec du m alia mult a
signa faciens manifestissime se Deum populis esse déclarât... (Hist. 120).
Quant à la série des chapitre s d e c e premier livr e des Histoires, Grégoir e l a présent e
comme une suit e de figures d u Chris t symbolisan t l'Église , c'est-à-dire l e Christ lui même dont ils constituent le corps: les apôtres, évangélistes, martyrs et grands ascètesconfesseurs64. Dans cette chaîne prestigieuse de sainteté, Martin, avec trois chapitres le
concernant, occup e un e place exceptionnelle . Cett e positio n lu i revient d'aprè s Gré goire en raison d'une conformit é exemplair e de sa propre vie avec celle du Seigneur 65.
Car Martin est présenté comme l'antitype le plus parfait d u Christ comme le sous-entend le passage que Grégoire lui consacre dans cette partie de l'œuvre :
Tune iam et lumen nostrum exoritur, novisque lampadum radiis Gallia
perlustratur, hoc est eo tempore beatissimus Martinus in Gallias praedicare
exorsus est, qui Christum, Dei filium, per multa miracula verum Deum
in populi s declarans , gentiliu m incredulitatem avertit Hic enim fana
distruxit, heresem oppraessit, eclesias aedificavit et, cum aliis multis
vertutibus refulgeret, ad consummandum laudes suae titulum trè s
mortuos vitae restituit (Hist. 139).
C'est e n conséquence par le renvoi à la prédication et à l'action historique menée pour
le bénéfice de s peuples (gentes e t populi)66, mai s particulièrement pa r l a série des mi racles attestant l'essence divine du Christ que se résume principalement la description
du typos et de son antitype; la fonction principale des miracles est donc de rendre manifeste (declarare) la présence de Dieu 67.
62 Voir HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) S. 113sv., 131sv., passim.
63 Hist. 120, De mirabilibus etpassione Christi; le livre contient 48 chapitres dont 16 à 24 sont consacré s
au Christ. J'ai contrasté en gras les éléments-clés de la citation. - Voir aussi HEINZELMANN, Heresy (voir
n. 6) p. 74-78.
64 Hist. 125-26 apôtres et évangélistes, 127-35 martyrs, 136-48 confesseurs. La première partie du livre I est
caractérisée par la suite des personnes préfigurant l e Christ avant l'incarnation, à partir d'Adam (11 : tipum
Redemptoris domini praetulisset), e n passant par Noé (14: tipus [Domini] speciem praeferentem), Iosep h
en Egypte (19: tipumpraeferens Redemptoris), jusqu' à Zorobabel (115: 2orobabily id est Christus).
65 Voir plus haut avec n. 38 pour l e parallélisme de s étapes de la Vie du Seigneu r e t de Martin (nativitas adventus - transitus).
66 Voir plus haut notre citation, p. 25 n. 44, du prologue des VM, où Grégoir e dit expressément: qui (seil.
Christus) misit tunepraesolem gentibus perituris.
67 Voir HEINZELMANN, Funktion des Wunders (voir n. 31).
34
Martin Heinzelman n
Les miracles aussi sont soumis à une typologie littéraire qui a pour modèles les gesta Domini de s évangiles. La présentation la plus complète de miracles par genres dan s
l'œuvre d e Grégoire se trouve logiquement au début de l'œuvre hagiographique, dans
le Liber in gloria martyrum, sou s forme d'une liste qui se réfère au Christ lui-même et
qui retient des événements thaumaturgiques d e toute sorte, comme la transformatio n
de l'eau en vin, la marche sur les eaux, des exorcismes, etc.68; dans la suite des chapitres,
les autres saint s (e n occurrenc e le s martyrs) emprunten t plu s o u moin s à ce modèle.
Dans cette description exhaustive des miracles du Seigneur le point culminant est sans
doute la résurrection d e trois mort s don t cell e de Lazare est restée la plus prestigieu se: en parfait imitateur justement, Martin aussi - ad consummandum lundis suae - avait
ressuscité trois morts e t ce parallélisme étai t loin de passer inaperçu. Dans le livre sur
les confesseurs, Grégoir e s'attard e longuemen t su r le s propos de s contemporain s d e
Martin trouvant qu'il est habité par Celui qui jadis rappela Lazare de sa tombe 69 .
L'auteur mérovingie n insist e su r l a mise e n relief d e c e rapport essentie l de s gesta
Martini ave c les miracles du Seigneur dans le De virtutibus sancti Martini. Ains i il avance (VM I 39): »si tous les miracles de Martin étaient publiés, non seulement le s livres,
mais même le monde entier, comme Pévangéliste le dit du Seigneur (Jo. 21,25), ne pourraient le s contenir« . Ailleur s i l montre u n Marti n réitéran t l e miracle d e la transfor mation de l'eau e n vin70, et présente un malade à la tombe de Martin, bénéficiaire d e la
virtus sancti qui arriv e le jeudi saint , à l'image d u Chris t lor s d e son entré e à Jérusalem71. Lorsque Marti n apparaî t e n rêve à un pauvre pour lu i expliquer le s raisons d e
ses malheurs, Grégoir e rappell e e n lui les traits d u Seigneur , parlant au x disciples a u
sujet de l'enfant aveugle-né 72. Et quand une femme atteinte d'hémorragie es t guérie en
touchant l a couverture (palla) du tombea u d e Martin, notr e auteu r expliqu e qu e »l e
68 G M 2 , SRM 1-2, p. 38sv., Dominus igitur noster Iesus Christus in adsumpta carne de virgine multapopulis miracula est dignatus ostendere. Haustos enim latices in vini sapore convertit, caecorum oculis, depulsa nocte, lumen infudit, paralyticorum gressus, Mata debilitate, direxit, febres aegrotantium, fugato
ardore, restinxit, ydropicum, conpraesso tumore, sanavit, lepram discedere sacri oris virtute mandavit,
mulierem daemonio inclinatam y invidentibus Iudaeis, erexit; super aquas vero y non dehiscentibus aquis,
incessit, profluvium mulieris tactu fimbriae salutaris avertit. Multa quidem et aliafecity quae sacra euangeliorum narrât historia. Tarnen cum mukös salubri caelestique mandato restaurasset ad vitam, très ab
infernali morte reductos vitae restitua, id est archisynagogi filiam resuscitavit in domo y unicum viduae
surgere iussit adportae egressum et Lazarum vocavit ex monumento.
69 GC 4, SRM 1-2, p. 301, Admirabantur autem qui aderant eo tempore et dicebant, eum habitare tune in
Martinumy qui quondam Lazarum vocavit ex monumento (Marti n avait parlé avec son prédécesseur Ga tien qui lui répondait depui s sa tombe); pour l e vocavit ex monumento voi r à la fin d e la citation d e la
note précédante. - Le renvoi aux trois morts ressuscites par Martin se retrouve aussi en Hist. X 31, p. 527,
et encore VJ 30, SRM 1-2, p. 126, où des énergumènes >confessent< : Ecce Martinum ... qui très a nostris
cavernis repulit mortuos.
70 VM II16, SRM 1-2, p. 164, Fuit et illud insigne miraculum, cum Dominus in die epiphaniorum obtentu
beati antestitis ex aquis Falerna produxit ac de alveifundere vinum elieuitpauperi y qui quondam latices
in vina mutavit.
71 V M II33, SRM 1-2, p. 171,... depraecans, ut eum virtus sancti antistitis visitaret, advenit dies illa dominica ante sanetum pascha y in qua dominus noster .. . Hierusolymis venit y turba prosequente atque clamante: >Osannay benedictus qui venit in nomine Dominik
72 V M II 40, SRM 1-2 , p. 173, Tunc vir ille (seil. s. Martin), tamquam diseipulis Dominus de caeco nato,
quia neque ille peceaverat... ait; la référence bibliqu e est Jo. 9,2.
La réécriture hagiographique dans Pceuvre de Grégoire de Tours
35
ruisseau d e sang fut asséch é si bien qu'elle pouvait croir e avoi r touché la frange d e la
tunique d u Rédempteur« 73; Sulpic e Sévèr e déj à avai t fai t c e rapprochemen t entr e l e
pouvoir de s vêtement s d u Seigneu r e t celu i de s vêtement s d e Marti n dan s u n ca s
semblable et Grégoire s'en est ostensiblement inspiré, au même titre qu'il s'est inspiré
du texte de l'évangile 74.
Cette relation intime entre l'activité d'un Marti n et celle du Christ a déjà été un su jet primordial pour Sulpice Sévère, qui va jusqu'à prétendre, qui Martinum non credit
istafecissey non credit Christum ista dixisse: pa r conséquent l'incrédulit é vis-à-vi s des
miracles de Martin racontés dans la Vie du saint, incrédulité jugée diabolique, correspondait, s i l'on e n croit le s mots d e so n am i Postumianus dan s le s Dialogi, a u renie ment même de l'évangile 75.
L'omniprésence d u Christ et de ses miracles dans toute action miraculeuse de Martin - comme d'ailleurs d e tout autre saint de son Église - étant donc une chose acqui se76, on peut s'interroger su r la signification d e cette conclusion. »Interrogeons ces miracles du Chris t su r ce qu'ils nou s disen t d e Lui: quand il s sont bie n compris, ils on t
leur propre langag e à eux. Car, comme c e même Christ es t le Verbe (d e Dieu), même
ce qui est fait par l e Verbe est pour nou s un verbe« 77. Avec cette phrase d u Traité su r
l'Évangile de Jean de la plume d'Augustin, nous possédons une clé extraordinaire pour
saisir le s liens unissant fai t miraculeux , écritur e e t origine divine d u miracle . De ma nière significativ e o n a récemment appel é l a pensée don t cett e phras e fai t parti e un e
»rhétorique d e l'incarnation« 78. L e fait qu e cette pensée d'Augustin n'ai t pu êtr e mé73 VM II10, SRM 1-2, p. 162,... velut ex veste Redemptoris nostri ad beatum sepulchrum fluxus sanguinis sit siccatus. Et, un peu plus loin:... ita sanata est, utputaret se Redemptoris fimbriam contigisse. Voir
Mat. 9,18-22.
74 Dialogi III, ix, MIGNE P L 20, col. 217,... mulieremprofluvio sanguinis laborantem, cum Martini vestem exemplo mulieris illius Evangelicae contigisset, sub momento temporis fuisse sanatam. - L'emploi,
par Grégoir e (voi r note précédente), de contigisse (à la place du tangere che z Mat. 9,20-21) et de vestis
(pour vestimentum, ibid.), de Pautre côté de fluxus sanguinis (- Mat. 9,20) pour profluvium sanguinis
démontre, que Grégoire avait en vue les deux texte s - Dialogues et évangile - lorsqu'il composa le sien.
75 Dialogi I, xxvi, MIGNE P L 20, col. 200, Horreo dicere quod nuper audivi (c'es t Postumianus qu i parle),
infelicem dixisse nescio quem, te (seil. Sulpice Sévère) in Mo libro tuo plura mentitum. Non est hominis
vox ista, sed diaboli; nec Martino in bacparte detrabitur, sedfides Evangeliis derogatur: nam cum Dominus ipse testatus sit, istiusmodi opéra quae Martinus implevit, ab omnibus fidelibus esse facienda; qui
Martinum non credit istafecisse, non credit Christum ista dixisse.
76 Voir plus haut, avec n. 44, le prologue a u De virtutibus sanct i Martini (Miracula, quae Dominus Deus
nosterper beatum Martinum ... operari dignatus est). - Pour le concept hagiologique du corpus Christi voir Gerhar d Ludwig MÜLLER , Gemeinschaf t un d Verehrung der Heiligen. Geschichtlich-systema tische Grundlegung der Hagiologie, Freiburg, Basel, Wien 1986 , p. 241sv., 259sv., et passim.
77 Augustinus , In Iohanni s euangeliu m traetatus , éd. R. WILLEM S (CCS L 36) , 1954 , Tract. XXIV, 2, Interrogemus ipsa miracula, quid nobis loquantur de christo; habent enim si intelligantur, linguam suam.
nam quia ipse christus uerbum est, etiam factum uerbi, uerbum nobis est. - Dan s cette même œuvre, voir
surtout Traetatus VIII, 1-2, pour les miracles opérés par le Verbum dei> à la Création e t en tant que Jésus: idem tarnen deus pater domini nostri iesu christiper uerbum suum facit omnia haec, et regit qui
creauit. priora miracula fecit per uerbum suum deum apud se, posteriora miracula fecit per ipsum uerbum suum incarnatum, etpropter nos hominem factum, sicut miramur quae facta sunt per hominem iesum, miremur quae facta sunt per deum iesum.
78 Marci a GOLISH , Th e mirro r o f language . A study i n th e médiéval theory o f knowledge , Lincoln ,
Londres, édition revue 1983, p. 26, cité d'après Gisell e DE N I E , Di e Sprache im Wunder - da s Wunde r
in der Sprache. Menschenwort un d Logos bei Gregor von Tours, dans: Mitteil, des Instituts für Öster -
36
Martin Heinzelman n
connue de Grégoire, qui s'y réfèr e plus ou moins directement, a été dernièrement dé montré pa r Gisell e d e Nie dan s u n éclairan t articl e su r miracl e e t langage che z Gré goire d e Tours . Ell e parvien t à l a conclusio n convaincant e que , lorsqu e l'auteu r d e
Tours décri t u n miracle , la puissance divin e elle-mêm e fai t parti e intégrant e d e cett e
écriture qui lui permet d'agi r sur les auditeurs 79.
Le texte-clé de la parole incarnée est donc l'évangile de Jean quir dès leur départ, occupe effectivement un e place primordiale dans les oeuvres historiographique e t hagiographiques de Grégoire de Tours. Dans les Histoires, c'est dans son Credo du prologue
au premie r livr e qu e l'évêqu e déclar e Credo y Christum hunc verhum esse patrisy per
quem facta sunt omnia. Hunc verhum carne factum credo..., avant de dire, au premier
chapitre, que Dieu a créé le ciel et la terre in christo suo qui est omnium principium, id
est in Filio suo so.
Dans l'optique qu i est la nôtre, il semble plus instructif encor e de mentionner un e
autre grand e référence d e Grégoir e a u Verbe de Dieu, cett e fois dan s l e premier pro logue d e se s œuvre s hagiographique s qu i précèd e l e Livre à la gloire des martyrs* 1.
D'une manièr e révélatrice notre auteur avait d'abord consacr é un important dévelop pement au thème de l'édification d e l'Église par l'écriture, thème illustrant de meilleure faço n l a transformatio n significativ e d u verb e e n u n résulta t >concret < qu i es t l a
construction de la communauté des saints (ou des chrétiens): par la métamorphose d'u n
>esprit inerte< en membre de l'Église du Christ 82 , métamorphose accomblie par l'action
du verbe, cette Église elle-même se trouve >édifiée<.
Immédiatement après , l'évêque de Tours présente un échantillon approprié des foliacés fahulae »bâtie s sur le sable et destinées à une ruine rapide« (Mat . 7,26-27), pour
prôner ensuit e le retour au x »miracle s divin s e t évangéliques«. C'es t à propos d e ces
miracles, dit-il83, que »Pévangéliste Jean a commencé par ces mots: >Au commencement
reich. Geschichtsforschung 10 3 (1995) p. 1-25, ici p. 5sv. - Voir aussi le phénomène d e Yeloquentia verum (voir n. 30).
79 DE N I E , Sprache (voir n. 78) p. 24-25; pour une connaissance probable des œuvres d'Augustin par Gré goire ibid. p. 7.
80 Hist. I prol., p. 4 1. 3sv. et I 1, p. 5; voir auss i D E N I E , Sprach e (voir n . 78) p. 9 où ell e renvoie auss i au
Traité sur les Psaumes. Pour l'importance général e du prologue voir HEINZELMANN , Gregor (voir n. 2)
p. 107-109.
81 G M prol., SRM 1-2, p. 37sv.
82 Ibid . p. 37, partant d e Rom. 14,19 et Eph. 4,29 (où le terme aedificatio apparaî t chaqu e fois), Grégoir e
note Ergo baec nos oportet sequi, scribere atque loqui, quae eclesiam Dei aedificent et quae mentes inopes ad notitiam perfectae fidei instructione sancta faecundent. Pou r la notion d'>édification d e l'Église<
qui correspond don c à l'acquisition - au sens physique - de nouveaux membres par le corps de l'Église
qui est autant eschatologique qu'historique, voir HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) p. 150-157; voir aussi la note suivante.
83 G M prol., SRM 1-2, p. 38, Sed ista omnia tamquam super harenam locata et cito ruitura conspiciens, ad
divina et euangelica potius miracula revertamur. Unde Iohannis euangelista exorsus est, dicens: Inprincipio erat Verbum . . . . Voir DE N I E , Sprach e (voir n. 78) p. 2, qui traduit unde pa r »c'est pourquoi« (darum) et se rattache au passage cité dans la note précédente, où Grégoire dit, d'après saint Paul, qu'il fau t
penser, écrire et mentionner »c e qui féconde par une sainte instruction les esprits inertes (ou stériles) en
leur faisant connaîtr e la foi parfaite«; mais unde s e réfère à ce qui précède directement, c'est-à-dire à divina et euangelica miracula: ces miracles sont ceux du Créateur qui, d'après Augustin (voir, p. ex., n. 75)
et d'après Grégoir e (voi r surtou t so n De cursu stellarum), son t le s miracles le s plus grand s e t les plus
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
37
était le Verbe, et le Verbe étai t auprè s d e Dieu, e t Dieu étai t le verbe: il était a u com mencement auprè s d e Dieu . Tou t a ét é fai t pa r lui , e t san s lu i rie n n' a ét é fait< «
(Jo. 1,1-3).
À l'origin e d e tou t miracl e s e trouvent don c le s miracle s d u Logos-Créateu r qui ,
seul, peut crée r à partir d e rien 84. Dans l a perspective particulière d e la réécriture qu i
est la nôtre, en l'occurrence la réécriture de miracles, c'est par conséquent le Christ qui,
seul, écri t l'hypotext e d e tou t miracl e e n tan t qu e Verb e d e Dieu : se s imitateur s le s
saints, en se référant obligatoiremen t à leur modèle qui est autant source d'inspiratio n
que de puissance, ne font qu e produire de s hypertextes. En d'autre s termes , l'hagio graphie e n tant qu e telle, c'est-à-dire a u sen s d'une écritur e su r l'église d u Christ , le s
saints et leurs miracles, constitue déjà à l'origine une réécriture, une réécriture qui correspond par son idéologie propre à la norme 85 .
Peter von Moos arrive au même résultat à partir d'une autre piste, qui est celle de la
recherche de Yexemplum hagiographique, quand il livre cette conclusion: »(par opposition à l'utilisation d e Y exemplum pa r le s Romains) le s documents hagiographique s
sont soumis à un principe contraignan t d'unificatio n (e t de standardisation) générale .
Ils ne sont pas que témoignages d u seu l corps du Christ : ils ne font qu e refléter, sou s
des traits divers , la seule vie de Jésus, en tan t qu'illustratio n d e l'œuvr e rédemptric e
continue; plus encore, dans l'établissement esthétiqu e des textes, ils soulignent l'unit é
et l'égalité christocentriques pa r l'identité de s formulations« 86.
importants, tous le s autres miracle s n e faisant qu e renvoye r au x grand s miracle s d e Dieu, voir H E I N ZELMANN, Funktion des Wunders (voir n. 31).
84 DE N I E , Sprach e (voir n. 78) p. lOsv.
85 Voir aussi Marc VAN UYTFANGHE , L e remploi dan s l'hagiographie: une >loi du genre < qui étouffe Pori ginalité?, dans: Ideologie e pratiche del reimpiego nelPalto medioevo, Spolète 1999 (Settimane di studio
del Centro italian o sulPalto medioevo, 46), vol. 1, p. 359-411, qui p. 373sv. parle de »l'Écriture garant e
de sa propre réactualisation« .
86 Peter VON MOOS, Geschicht e als Topos. Das rhetorisch e Exemplu m vo n de r Antike zu r Neuzei t un d
die historiae i m >Policraticus< Johanns von Salisbury, Hildesheim 198 8 (Ordo 2), p. 102: »Während de r
römische Exempla-Gebrauc h Geschichtliche s au f ein e ausgewählt e Zah l vo n persönliche n Tugend verkörperungen reduzier t hat , folgen di e innerchristlich-hagiographischen Beispiel e einem umfassen deren, herausfordernde n Vereinheitlichungsprinzip . Si e sin d nich t nu r Zeugniss e de s eine n Leibe s
Christi..., sondern bilden in je verschiedenen Einzelzügen immer nur das eine Leben Jesu als Zeichen
für das fortgesetzte Erlösungswer k wieder ab; ja sie unterstreichen diese christozentrische Einheit und
Gleichheit untereinander noch ästhetisch durch die Identität der Formulierungen« .
38
Martin Heinzelman n
I L LE S R É É C R I T U R E S F O R M E L L E S D U LIBER IN GLORIA
MARTYRUM: U N
E COPRÉSENC E D E L'HYPOTEXT E
MÉTRIQUE COMM E LÉGITIMATIO N
Les deu x grand s recueil s d e miracle s d e l'Église composé s pa r Grégoire , e n plus de s
deux collections de s virtutes de s saints Julien e t Martin, se distinguent l'u n d e l'autr e
par le genre des saints qu i on t bénéfici é d e la puissance divine 87. Construits à la ma nière de s légendiers hagiographiques , il s présentent de s collections, non d e passiones
ou de vitae, mai s de signa ou miracula qu i se sont produits l e plus souvent auprè s des
tombeaux de ces martyrs ou confesseurs; ces recueils constituent de la sorte principa lement un témoignag e éclatan t d e la continuité de l'Église eschatologique , continuit é
ininterrompue depui s l'action fondatric e d u Chris t dès l'incarnation 88.
Dans le Liber in gloria martyrum cett e Église est manifestement configuré e par une
représentation traditionnelle de la hiérarchie céleste 89, réunissant en l'occurrence tou s
ceux qu i son t à l'origine de s miracles don t c e premier livr e du cycl e hagiographiqu e
fait état. C'est le Christ Lui-même qui est logiquement à la tête des récits, avec des faits
miraculeux concernant s a naissance (ch . 1), sa vie (ch. 2), la résurrection (ch . 3-4), les
instruments d e sa passion (d e la croix à la tunique, ch. 5-7); suivent de s chapitres su r
des miracles au centre desquels se trouvent sa mère, Marie (ch. 8-10,18), et les reliques
du précurseur, Jean Baptiste (ch. 11-18 dont ch. 16-18 portent sur le sujet des eaux du
87 Pour Téditio n voi r n . 5. Une analys e approfondie de s structures d e ce s livres hagiographique s faisan t
toujours défaut , o n s e reportera à la bibliographie d e VOLLMANN, Grego r (voir n . 3) col. 928-930, de
Brigitte BEAUJARD, Le culte des saints en Gaule, Paris 2000, et à la traduction anglaise de GM par Ray mond VA N DAM, Gregor y of Tours, Glory of the Martyrs, Liverpool 198 8 (Translated Texts for Histo rians. Latin Séries , III), bibliographie au x p. 135-143. Pour le s saints dont Grégoir e parle , voir BEAU JARD, passim, et Margarete WEIDEMANN , Itinerare des westlichen Raumes, dans: Akten des XII. Internationalen Kongresse s fü r christlich e Archäologie , Bon n 22.-28 . Septembe r 1991 , Münster 199 5
(Jahrbuch für Antik e und Christentum . Ergänzungsband, 20/1), S. 389-451.
88 Voir HEINZELMANN, Funktio n de s Wunders (voir n. 31) passim. - Contrairement au x recueils de miracles comm e le s collections-témoignages concernan t s . Julien o u s . Martin, écrit s dan s l'espri t d e c e
qu'Augustin avai t demandé pour l'établissement d e tels recueils, les livres à la gloire des martyrs e t des
confesseurs tenden t à rassembler u n maximu m d e récit s provenan t d e saint s d e tou s le s genre s e t d e
toutes les provenances, dans le but de représenter l'Églis e dans sa totalité. En tant que collections thé matiques, GM et GC n'on t pa s de véritable modèle; de ce fait le s deux livres ne constituent pa s de réécritures, en tant que tels.
89 Voir le prologue d e GC , SR M 1-2, p. 298, où Grégoir e récapitule : Et quonUm primum libellum (seil,
des livres sur les miracles, donc le GM) de Domini miraculis inchoavi, velim et huic libello de sanctorum angelorum virtutibus adhibere principium. - L'organisation d e G C qu i s e limite aux confesseur s
gaulois, manquant d e ce fait d e la grande signification ecclésiologiqu e d e GM, n'est pas perceptible d e
la même manière, sans être absente pour autant : après le prologue e t un premier chapitre sur les anges,
suivent des chapitres sur Hilaire de Poitiers, Eusèbe de Verceil, et, avec neuf chapitres (4-12), saint Martin, les trois constituant la triade traditionnelle de saints antihérétiques; les chapitres 12 à 14 concernent
ainsi des miracles en milieu >hérétique< (l'arianisme wisigoth), et avec chapitre 15 se prolonge la suite de
miracles de saints du diocèse de Tours. Comme en GM, la fin du livre est constituée par une sorte d'épilogue, représenté par des chapitres à caractère thématique (108-110), illustrant en occurrence le mal de
l'avarice e t le contre-remède de l'évergétisme .
La réécriture hagiographique dans l'œuvre de Grégoire de Tours
39
Jourdain). On trouv e enfi n troi s chapitres su r des miracles concernant de s images d u
Christ (ch . 20-22), et trois autre s su r l'institutio n l a plus significativ e d u Seigneur , le
baptême (eh. 23-25)90.
Subséquemment, ce sont les apôtres et saint Etienne dont Grégoire rappelle la permanence des miracles jusqu'à s a propre époque , usque bodie: Jacques (ch . 26), Pierre
(ch. 27), Paul (ch. 28), Jean l'évangéliste (ch . 29), André (ch . 30), Thomas (ch . 31-32),
Etienne (ch. 33), et Barthélémy (ch . 34).
C'est ensuite seulement que Grégoire introduit la liste des martyrs proprement dits,
observant, l à encore , un dispositi f hiérarchique , qu i s'exprim e pa r l'origin e géogra phique des martyrs: les témoins d u Chris t e n provenance d e Rome sont ainsi les premiers (ch. 35-41)91, précèdent ceux de l'Italie en général (ch. 42-46)92, ceux de la Gaule (ch. 47-78) qui sont conduits par les disciples des apôtres qui sont Saturnin de Toulouse (ch . 47) 93 e t Iréné e d e Lyo n (ch . 48-49), ceux d e l'Espagn e (ch . 89-92), de
l'Afrique (ch . 93) et de l'Orient (ch . 94-102).
Entre le s martyrs gauloi s e t espagnols notr e auteu r a voulu intercale r un e dizain e
de chapitres assemblés selon une certaine thématique: des miracles confondant de s hérétiques (ch . 79-81), des miracles émanant d'u n ensembl e de reliques (ch . 82-83) 94, et
des miracles frappant l a temeritas coupabl e de ceux qui ne respectent pas la sainteté des
choses sacrées (ch. 84-88) 95.
90 Pour le s significations symbolique s des sources pour Grégoire , et ensuite du baptêm e (l e Christ com me source de la vie), voir Gisell e D E N I E , Views from a Many-Windowed Tower . Studies o f Imagina tion in the World o f Gregory of Tours, Amsterdam 1987, p. 77-88.
91 Deux épisodes paraissent indiquer un rôle particulier de l'Italie pour l'authenticité d e passions de martyrs: voir GM 5 0 et 63, où des passiones concernant les martyrs Bénigne et Patrocle, apportées de lTtalie, fon t autorité après une première contestation des mêmes textes écrits en Gaule; les deux martyrs sont
morts pourtant respectivemen t à Dijon e t à Troyes!
92 Le dernier chapitr e d e la série italienne (GM 46 ) parle de s Milanais Protai s e t Gervais et, ensuite, des
saints Nazaire et Celse, tous les quatre étant des découvertes d'Ambroise; Grégoire commet donc sans
doute un e méprise , quand i l dit pour le s deux derniers - en les associant dans le chapitre su r Milan! (Nazarius e t Celsus) quos apud Ebredunensim Galliarum urbem passos lectio certaminis narrât; i l es t
vrai que la cathédrale d'Embrun disposai t des reliques des deux Milanais.
93 G M 47, SRM 1-2, p. 70, Saturninus vero martyr, utfertur, ab apostolorum disdpulis ordinatus ... : il est
frappant qu e Grégoir e n'ai t pa s cit é ic i la fameus e passio d e s . Saturnin, contrairemen t au x Histoires
(Hist. 130), où le martyre, en conformité ave c le texte de hpassio, es t attribué à la persécution sous Dèce
(250), c'est-à-dire longtemp s aprè s l'époqu e propremen t >apostolique< . Dans le s Histoires^ le chapitr e
sur les martyrs de Lyon, avec s. Irénée et le martyr Vectius Epagathus (qu i est censé être un ancêtre d e
Grégoire lui-même : HEINZELMANN , Gregor, voir n . 2, p. 8sv.) précède l e chapitre su r s . Saturnin e t la
mission des sept à l'époque d e Dèce, contrairement à GM, où l'ordre es t inversé.
94 G M 8 2 concerne les reliques de sept martyrs que le diacre Agiulfus avai t apportées de Rome à Grégoire en 590 (voir HEINZELMANN, Gregor, voir n. 2, p. 203sv. n. 76 et p. 206 n. 83); GM 8 3 parle de reliques
de saints dans un médaillon en or dont les noms étaient déjà inconnus au prêtre qui les avait donnés au
père de Grégoire, avant que ce dernier ne devienne lui-même héritier et bénéficiaire de ces reliques anonymes.
95 G M 84, SRM 1-2, p. 95 débute par la phrase: In nullo est enim temeritas utilis ... ; GM 86, ibid . p. 96 commence par Epacbius presbiter, dum temere quae indignus erat agere praesumpsit, e t note à la fin Sed ad
temerarios revertamur (aprè s avoir raconté un deuxièm e épisode dans lequel Grégoire admet une cer taine >témérité< pour lui-mêm e e u égard à une célébration peu soucieus e de la messe de Noël), et GM
88, ibid . p. 97 finit par Haec de temerariis dicta suffidant.
40
Martin Heinzelman n
Aux derniers chapitres Grégoir e avait sans doute assigné la fonction d'épilogu e d u
livre, au moins pour ce qui est des trois derniers (104-106) 96. Quant aux deux derniers
chapitres, ils ne concernent point un martyr précis, mais ils racontent de manière exemplaire l'importance et l'efficacité miraculeus e du signe de la croix, renvoyant par ce thè me christique au début du livre et rappelant ainsi l'origine mêm e de tout pouvoir mi raculeux97. Les deu x chapitre s son t d e plus assorti s d e plusieurs discour s morau x d e
l'évêque, s'adressant directemen t à son public, incriminant la cupidité et prônant la révérence enver s le s martyrs qu i possèdent, eux , les véritables richesse s d u paradis . L e
troisième chapitre qui fait partie de cet épilogue e n triptyque (ch . 104), en l'introdui sant, correspon d à un réci t don t un e autr e versio n s e trouve dan s le s Histoires: pa r
conséquent, u n de s deu x chapitre s doi t nécessairemen t êtr e la réécriture d e l'autre 98.
La différence principal e entre les deux récits qui traitent de la vengeance exercée par le
martyr sain t Vincen t d'Age n à l'encontr e de s déprédateur s d e s a basiliqu e e n 585
consiste en l'adjonction d'u n discour s moralisateur au récit >hagiographique<"; par cet
ajout qu i souligne l'aide qu e Dieu apport e à ses martyrs et accable la cupidité, le chapitre trouve parfaitement s a place parmi les chapitres-épilogue d e ce livre.
Dans le livre sur la gloire des martyrs, le schéma-type de s notices singulière s est le
suivant: mention es t d'abord fait e du saint en question et , le plus souvent, de h, passio
dont il dispose100. Puis Grégoir e ajout e un o u plusieurs miracle s qui se sont habituel lement produits - plus ou moins longtemps - après la mort glorieus e du saint; dans la
plupart des cas ces histoires proviennent de témoignages oraux, ou remontent à des ex-
96 Sans doute faut-il y ajouter encor e GM 10 3 sur saint Félix de Noie, chapitre qui n'est pas à sa place (chez
les martyrs italiens) et qui raconte surtout - comme GM 10 4 - le secours de Dieu aux siens par des miracles: voir plus loin notre traitement de ce chapitre.
97 Voir spécialemen t GM 106 , SRM 1-2, p. 111, Ergo et tu, si viriliter et non tepide signum velfronti vel
pectori salutare superponas, tune resistendo vitiis martyr habeberis, quia et ipsi martyres ea quae vicerunt non suis viribus, sed Dei haec auxiliisper signaculum crucis gloriosissime peregerunt, in quibus, ut
saepe diximus, ipse Dominus et dimicat et triumphat.
98 Pour un e comparaiso n détaillé e de GM 10 4 et Hist. VII 35 voir Martin HEINZELMANN , Hagiographi scher und historische r Diskurs bei Gregor von Tours?, dans: Aevum inter utrumque. Mélanges offert s
à Gabriel Sanders, publ. par Marc VAN UYTFANGH E e t Roland DEMEULENAERE , L a Haye 1991 (Instrumenta patristica, 23), p. 237-258, ici p. 255sv.; certaines transformations dan s le récit hagiographiques ,
et l'ajout d u méta-discours (pour le texte voir note suivante), font penser que c'est Hist. VII35 qui présente l'hypotexte; voir le chapitre suivant sur les auto-réécritures d e Grégoire.
99 G M 104 , SRM 1-2, p. 109, Ecce quantum Deus praestat martyribus suis! Ecce qualibus eosdem laudibus
Christus dominus bellorum fidelium inspector honorât! Ecce quantum praestat ipsius nominis dignitas
christiani, si non gentilium more aut inhiamus cupiditati aut luxoriae serviamus!
100 Une passio es t citée dans les chapitres suivants: GM 3 1 (Thomas: historia passionis eius), 34 (Barthélémy: historia agonis ipsius), 35 (Clément: passio eius), 37 (Chrysanthe: historia passionis, et scripta certaminis), 46 (Gervais et Protais: historia passionis; il y a aussi Nazaire e t Celse: lectio certaminis), 50 (Bénigne: historia passionis), 56 (Amarand: historia passionis), 57 (Eugène: passio), 63 (Patrocle: historia passionis, et libellum certaminis), 64 (Julien: liber de miraculis [= VJ]) , 70 (Ferréol e t Ferrucion: passio), 73
(Genès de Bigorre: historia passionis), 85 (Polycarpe: passio), 94 (septem dormientes: passio), 104 (Vincent d'Agen: historia passionis). - L'absence d'une passio est notée en GM 39 (Jean, évêque de Rome; et
aussi: multi martyres apud urbem Romam quorum historiaepassionum nobis integrae non sunt delatae),
43 (Agricole et Vital: quia nondum ad nos historia passionis advenit), 55 (Eutrope: quia non aderat historia passionis), 103 (Felix: quia historia passionis non est in promptu).
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
41
périences vécue s pa r l'auteu r lui-même 101. E n général , cett e structur e de s notice s n e
donnait que rarement l'occasion d'une véritable réécriture, car, pour Grégoire , la référence aux passions anciennes avait comme objectif principa l l'illustration d u lien entre
la première écritur e de la virtus d u marty r (révélé e lors de sa passion) e t la confirma tion ultérieure d e cette virtus pa r les miracles posthumes, signes de la permanence d e
l'église eschatologique : a u chapitr e précédent , nou s avon s p u constate r l'existenc e
d'un tel lien, de manière plus explicite, entre la Vie de saint Martin de Tours par Sulpice Sévère et les récits de miracles martinien s composé s par Grégoire . De toute façon ,
dans GM, bien qu'il cite les passions anciennes, notre auteur ne leur emprunte que peu
de choses, comme par exempl e l'endroit o u l e genre du martyre , ou encor e un détai l
de la sépulture 102.
Ailleurs Grégoire a beaucoup soulign é la détermination qu i le guidait dans les libri
miraculorum à ne proposer que les miracles qui se sont produits auprès des tombes des
saints, au détriment de miracles opérés par les saints in corpore10*. Il confirme cett e démarche dans GM lorsqu'il propose un certai n épisode justement parce qu'il ne faisai t
pas déjà partie du texte de la passion104. Les exceptions à la règle de ne pas emprunte r
aux passion s elles-même s son t trè s rares 105, comme cett e histoir e de s sep t dormant s
d'Éphèse don t le sommeil centenaire était en soi le miracle à raconter, réécrite d'aprè s
la passion que Grégoire avait traduite lui-même en latin avec l'aide d'un Syrus du no m
de Jean106.
101 Son témoignage, Grégoire le fait clairement connaître par une multitude de formules personnelles com me ego audiebam saepius y ego vidi (oculis nostris, oculis propriis), cognovi, audivi, ego evidenter expertus sum, etc. , voire aderam, fateor: G M 1 , 5, 8, 10 , 14, 17-20, 28, 31, 33, 39, 41, 43, 46, 50, 53, 62, 75,
81-87, 97,100,101,104,105. - Il se réfère à des témoins, anonymes ou cités, dans GM 1,18,20,33,36 ,
39,41,43,46, 50,52, 53, 70, 75, 81, 82, 85, 87, 101.
102 Voir GM 34,35 (Clemens martyr, ut inpassione eins legitur, anchora collo eins suspenso,, in maripraecipitatus est), 56 (Cuius, ut historia passionis déclarât, sepulchrum diu . .. latuit), 57 (... quem in hac urbe
detrusum exilio, vel ipsius vel sociorum eiuspassio narrât, comm e en GM 56 , h passio de s. Eugène, exilé à Albi, s'est perdue), 73 (passio perdue de s. Genès de Bigorre). - Dans GM 3 7 Grégoire paraphras e
une partie de la Passio Crisanti (BHL1787) où il est question d'une multitude de fidèles vénérant le martyr dans sa crypte, et sur lesquels Yiniquissimus imperator (dan s la Passion: Numérien) fait amasser des
pierres et du sable.
103 VP prologue, SRM1-2, p. 212, Statueram quidem Ma tantum scribere, quae adsepulchra beatissimorum
martyrum confessorumque divinitus gesta sunt...
104 GM 46, SRM 1-2, p. 69,... quae.. audivi, absurdum nonputavi inserere lectioni, quia non contenetur in
historia passionis (seil, des saints Gervais et Protais).
105 L'exception la plus évidente est GM 26, qui raconte le martyre de l'apôtre Jacques (sans miracles) d'après
Theodosius, Libellus de terra sancta, ch.9 et 12, voir SRM 1-2, p. 53 n. 1-2.
106 GM 94 ; la Passion BHL 2313. Nous parlerons d e cette auto-réécriture a u chapitre prochain, p. 59sv. Des cas comparables présentent GM 48 et 95, le dernier à propos des 48 martyrs d'Arménie, e n réalité
les 40 martyrs de Sébaste (en Arménie): là aussi, c'est le miracle des couronnes célestes descendant pen dant la passion des martyrs, qui a sans doute incité Grégoire à reprendre une histoire que ce même Syrien
Jean a pu lu i raconter (i l paraît n e pas avoir utilisé directement l a passio ancienne des 40 martyrs; voir
aussi SR M 1-2, p. 102 n. 4). GM 4 8 traite de s 48 martyrs d e Lyo n don t Grégoir e cit e 45 noms (!) en
racontant leur apparition à des chrétiens, après le martyre, pour se faire connaître; l'auteur a dû s'appuye r
sur une source écrite autre qu e l'histoire ecclésiastiqu e d'Eusèb e d'aprè s Rufin , V 2-4 (où i l n'y a que
dix martyrs cités par leur nom).
42
Martin Heinzelman n
Par contre , Grégoir e a largement réécri t d'autre s récit s d e miracles, en les aména geant en fonction d u dessein de son livre, censé livrer une documentation représenta tive de miracles légitimés témoignant de l'action continue de tous les membres de l'Église céleste 107. Dans cett e voie i l s'est amplemen t report é à la poésie qu'i l a fait ac compagner e n partie - après les avoir mis en prose - de quelques vers d'origine 108. Les
poètes qu'il a mis à contribution sont Paulin de Noie, Venance Fortunat et surtout Pru dence.
Paulin de Noie
»Comme je n'ai pas une Passion du martyr Félix de Noie à ma disposition, je suis heureux de pouvoir reprendre quelque chose de ce que le bienheureux Pauli n a composé
en vers« 109. Dans cett e phrase introductive , Grégoir e s e réfère au x carmina natalicia
(poèmes anniversaires a l'occasion d e la naissance céleste de Felix) que le célèbre aristocrat-ascète, disciple d e saint Martin, avait composé s d e 395 à 407 en honneur d'u n
nouveau patron, saint Félix 110. Sur l'ensemble de s treize natalicia Grégoir e e n a choisi quatre comm e hypotext e pour s a réécriture, dont deu x correspondant à la passion
du saint {natalicia IV et V) et deux à la narration d'un miracl e posthume {natalicia VI
et VII). En conséquence, la structure de son récit reprend les vers suivants:
Grégoire de Tours, GM 103 (SRM 1-2, p. 107-109)
1. introduction = 1 phrase (voir n. 109)
2. biographie (l ère partie) = 24 lignes en SRM natalici
3. biographie (2 e partie) = 16 lignes en SRM natalici
4. miracle posthume 1 =1 4 lignes en SRM natalici
5. miracle posthume II = 18 lignes en SRM natalici
6. conclusion = 1 phrase correspon
Paulin de Noie, Carmina natalicia (MIGN E PL 61)
a IV (poème 15) = 361 vers
a V (poème 16) = 299 vers
a VI (poème 18) = 469 vers, dont v. 220-479
a VII (poème 23) = 335 vers, dont v. 105-335
d à natalicia VII vers 45sv. et passim.
C'est don c parce qu'une passio fit défau t qu e Grégoire a transgressé ses propres pro pos e t qu'il a paraphrasé partiellemen t l a vie même d e saint Félix . Mais so n choi x d e
texte reste pleinement command é par les desseins des libri miraculorum: l à où Pauli n
107 Voir GM 30 , SRM 1-2, p. 56, De quibus (seil, virtütibus) pauca memorari nonputavi absurdum, quia
aedificatio est eclesiae gloria martyrum virtusque sanctorum.
108 D'autres miracle s réécrits sont GM 68 , concernant s. Genès d'Arles, d'après un sermon vraisemblable ment de s. Hilaire d'Arles (BH L 3307; MIGNE P L 50, col. 1273-76), dont Grégoire ne retient ni le nom
de l'auteur n i celui de s. Honorât, prédécesseur de s. Hilaire, qui joue un rôle dans ce petit récit. - G M
30 relate un miracle de s. André après sa mort: le même miracle est narré dans l'édition qu e Grégoire a
faite des actes de s. André, où il renvoie d'ailleurs à GM (voir Liber de miraculis beati Andreae apostoli, 37, éd. Ma x BONNET , SRM 1-2, p. 395sv.).
109 GM 103 , SRM 1-2, p. 107, De Felke Nolano martyre, quia historia passionis non est inpromptu, iuxta id
quod beatus Paulinus versu conscripsit, pauca huic lectioni oblectat inserere. En fait, le s vers de Pauli n
portent tou s les éléments d'une véritable biographie e t il peut paraître plutôt surprenan t qu e Grégoir e
ne les conçoive pas en tant que telle. La biographie de Félix par un prêtre Marcel date peut-être du VIe
siècle (BHL 2874), et au début du VIII e c'est Bède qui a mis en prose les vers pauliniens (BHL 2873).
110 Voir BHL 2870-71 (et Novum supplementum , p. 328); Jacques FONTAINE , Naissance de la poésie dans
l'Occident chrétien. Esquisse d'une histoire de la poésie latine chrétienne du III e au VI e siècle, Paris 1981,
p. 161-176 (pour le s natalicia, p . 169sv.), et Raymond VA N DAM , Leadershi p an d Community in Lat e
Antique Gaul, Berkeley 1985, p. 303-311. Nous avon s utilisé la traduction de s poèmes de Paulin par P.
G. WALSH , New York 1975, dans la série »Ancient Christian Writers« (vol . 40).
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
43
avait consacr é un e centain e d e ver s au x origine s d u sain t e t à s a famill e (poem . 15
v. 1-101), Grégoire reste totalement muet, en ne suivant son modèle qu'à partir du moment où Félix accède à la prêtrise, honneur que l'évêque de Tours lui fait attribuer par
l'évêque Maxime de Noie. Au moment des persécutions - Paulin, en contemporain des
empereurs, ne parle que d'une »guerr e sacrilège« anonyme alors que Grégoire désigne
les empereurs comm e responsables 111 - Maxime s'enfuit dan s les forêts e t Félix est arrêté et torturé. La libération d e Félix de ses chaînes e t de la prison par un ang e était ,
pour Grégoire, la raison profonde d e sa reprise du récit paulinien, car il ne s'agit point
d'un miracle opéré par un homme vivant, mais par un ange de Dieu. Grégoire souligne
cette importance par l'expression réitérée à3angélus Domina ang e auquel il prête en sus
un discours, par lequel il donne à Félix sa tâche: chercher et sauver son évêque; Paulin
avait seulement mentionné la vox divina d e l'ange qui exhorte Félix à se lever112. Ayant
trouvé Maxime à demi mort, c'est grâc e à une grapp e de raisins toute proche que Félix peut sauve r miraculeusemen t l'évêque : pour prolonge r l e miracle d e l'ange, Gré goire appell e cett e grapp e munus angelicum. E n mêm e temps , i l omet , entr e autres ,
l'importante comparaiso n de la sortie de prison que Paulin a faite avec la libération de
saint Pierre (voir Act. 12,6-10), ou encore un long sermon de Maxime s'adressant à Félix (v. 309-328). Puis Félix emporte su r son dos son évêque, le mettant à l'abri dan s la
maison d'une veuve 113.
La deuxième partie de la >biographie< de Félix par Grégoire correspond en réalité au
récit d'u n autr e miracle , miracle d e Die u témoignant , d'aprè s l'hagiograph e touran geau, comme dan s l'épisode d e l'ange, d u secour s qu e Dieu offr e au x siens. Après l a
mort de Maxime, lors d'une nouvell e persécution, Félix est interpellé par le persecutor
missus qui lui demande d e lui indiquer o ù s e trouve Félix ; il montre une directio n e n
disant: »il s'en es t allé par là«. Paulin lui avait fait dire : »je ne connais pas ce Félix que
vous cherchez« . Ensuite Féli x se cache derrière de s murailles e n ruine o ù s e trouvai t
une ouverture, sur laquelle des araignées étendent leur toile grâce à la Providentia Dei,
trompant ains i les persécuteurs. Finalement Féli x gagne un autr e lieu ou il est nourri,
sans se faire voir, par une femme pendant trois mois (Paulin: six mois) jusqu'à la fin des
persécutions; il meurt finalement e n paix.
Le premier des deux miracles posthumes réécrits par l'évêque de Tours concerne un
pauper (Paulin , v. 220: homo re tenuis, plebeius origine, cultu rusticus) possédant un e
paire d e boeuf s ad exercendam culturam suam (Paulin : i l vécu t d e l a locatio n de s
bœufs). Tandis qu'il se repose de la fatigue de son travail (Paulin: pendant son sommeil
habituel dans la nuit), un voleur vole les animaux. Au matin, le pauvre les cherche partout, revient chez lui et se lamente avec sa femme et ses enfants, dans la crainte de mourir de faim114. Dans l'hypotexte de Paulin il n'y a pas de femme, et il n'est question d'en 111 Paulinus, poem. 15, v. 117, MIGNE P L 61, col. 471, Cumpia sacrilego quateretur Eclesia hello; GM 103,
SRM1-2, p. 1071.10, Cum autem imperatorum décréta christianos insequipraecepissent ...
112 Paulinus, ibid. v. 248sv. Sedvox divina morantem / Increpitans, jubet excussis assurgere viridis; GM 103,
ibid. 1.18sv. dixitque ei angélus Domini: >Conscende ad montana et require sacerdotem tuum (etc.). . .<.
113 La vidua de Grégoire est anus che z Paulin.
114 II est question de mourir auss i chez Paulin, mais dans un autr e contexte: après sa visite au tombeau d u
saint, le paysan n e veut plus sortir d e la basilique, disant: »ic i je mourrai e t je ne partirai pas de ta maison sans une raison de vivre« (Paulin, poem. 18, v. 323sv.).
44
Martin Heinzelman n
fants que dans un tout autr e contexte 115; d'après Pauli n le paysan se rend directemen t
à la basilique de Félix, pour adresser un long discours (v. 255-313) à ce dernier, où il va
jusqu'à proposer un contrat (pactum) au saint (qui se met à rire avec le Christ a u ciel:
v. 317): le saint - tenu responsabl e du vol car il voit tout - peut acquitter le s voleurs à
sa guise si lui-même peut récupérer ses animaux116. D'après Grégoire , c'est seulemen t
après s'être lamenté chez lui qu'il va au tombeau du martyr pour lui demander son aide, avan t d e retrouve r se s bœuf s immédiatemen t après , en sortan t d e l'églis e - chez
Paulin i l les retrouve beaucou p plu s tar d sou s so n propre toit . D'après Grégoir e en core, l e pauvre, aprè s avoi r exprim é s a reconnaissanc e a u marty r dan s u n discours ,
rentre dan s l'église , ren d grâc e au martyr , e t es t de plus guér i d'u n œi l qu i ne voyai t
pas. Dan s l'hypotext e paulinien , le pauvre rend grâc e et exige du sain t qu'il s'occup e
maintenant d e ses yeux malvoyants (sic), ce qui est encore accordé par Félix.
Grégoire a donc considérablement travaill é son hypotexte par concision et, en même temps, introduit des éléments pour rendre le bénéficiaire du miracle plus >typé<: ainsi ce dernier, dont la grande originalité chez Paulin est incontestable, vit du travail traditionnel d u paysa n (e t non comm e loueu r d e matérie l d e travail), est fatigué d e so n
travail, pourvu d'un e famille , menac é d e mourir d e faim. Suivan t le s critères d u d i s cours hagiographique s l e saint, d'aprè s Grégoire , apport e so n secour s aussitôt aprè s
avoir ét é imploré 117. En disposan t libremen t de s élément s d e so n hypotext e (le s >enfants< d u pauvre, la mort d e faim), e t en supprimant certain s détail s (pa r exemple, les
revendications exagérées du paysan, fondées sur une foi naïve), Grégoire rend l'histoir e
moins complexe, mais plus impressionnante e u égard à la valeur documentaire du seul
fait miraculeux .
Une même tendance à accentuer le stéréotype de l'histoire prédomine, avec plus de
force encore , dans l'autre miracle (réécriture de natalicia VII) qui narre un épisode vécu par Paulin lui-même; l'histoire se passait pendant les vigiles du saint: coepimus hymnis exsultare Deo (poem . 23, v. 115sv.). En conséquence , Paulin connaissai t parfaite ment le personnage central, lefrater Theridius, don t un œil fut transperc é par l'un de s
trois crochets d'un e lamp e près d u tombea u d e Félix. Cette lampe , soutenue pa r un e
corde, s'était éteint e faute d'huile , et pendait plus bas que d'habitude, la corde s'étan t
décrochée. Theridius rest a accroché au crochet de la lampe sans oser bouger par peu r
de perdre son œil, quand arriv a le puer (le s autres pueri participaien t au x vigiles, ibid.
v. 149), alerté par le s cris d u blessé . C e dernie r s e mit finalemen t à adresser un e trè s
115 GM 103 , SRM 1-2, p. 108,... cum uxoreacliberisplangit, dicens: >Vae mihi, quia, iuvencis def actis, hoc
annofame morieminiU, Che z Paulinus, poem. 18, v. 226sv. il a été question deprogenies qu e le pauvre
n'aimait pas plus que ces boeufs (non carior illiprogenies), e t à laquelle il rendait autant de soins (neque
cura minor saturare juvencos, quam dulces natos educere): cette comparaison a sans doute amené Gré goire à inventer l'épisode familial .
116 Paulinus, poem. 18, v. 290sv. (sermon du pauvre >Félix) Debitor hic meus est: ipsumprofure teneho custodem: tu, sancte, reus mihi, conscius Ulis (seil, des latrones), te teneo; tu scis uhi sint..., et 303sv. Conveniatnohis igitur: diedivide mecum, quae tua, quae mea sunt... aequatoque tuum lihramine constet Judicium: tibi solve reos, mihi redde juvencos. Ecce tenes pactum...
117 Voir HEINZELMANN , Diskurs (voir n. 98) passim, spécialement par l'introduction d e statim, confestim,
etc., dan s le récit, rapprochant le vœu e t son effet .
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
45
longue supplique à Félix (v. 201-254), au terme de laquelle le craintif Theridius , sou tenu pa r la main du saint , eut suffisammen t d e courage pour retire r le fer d e son œil ,
le fer ayant été éloigné sans problème aucun (v. 255-260). Puis, Paulin s'adresse e n tant
qu'auteur à so n publi c (Ergo fidèles cernite nunc animis tanti discriminis instar, v .
266sv.) et rappelle le caractère spectaculaire du miracle, décrivant l'ami commun The ridius, déjà âgé et d'une certain e corpulence, accroché là comme un poisson à l'hameçon, suspendu comm e la lampe elle-même 118.
Quant à Grégoire, il passe totalement sous silence la participation de Paulin aux vigiles du saint , autan t qu e l'identit é d u miraculé , le frère Theridius . Dans l e récit, pa r
contre, il reste très proche de son hypotexte en ce qui concerne certains détails de l'accident lui-même: la lampe supendue à une corde défaite par le responsable119, la corde
lâche, la lampe éteinte trop basse, l'arrivée d'un participant aux vigiles qui, voulant sor tir prendre l'air120, reçoit un des crochets de la lampe dans l'œil121 et se met à crier. Comme l'avait fait Paulin, Grégoire compose un discours - emblématique en ce qui concerne le dessein du récit - que le blessé tient au saint, de manière beaucoup plus succinc te évidemment, mais en s'inspirant ponctuellemen t d e l'hypotexte :
Paulin, poem. 23, v. 200sv. (discours de Theridius):
GM 10 3 (discours du quidam [= Theridius]) :
Hei mihi.. .
[v. 206sv. ] Sancte , precor. succurr e tuo : sci o
... damans no n mediocr i heiulatu a c dicens:
proximus adstas ...
>Succurre, de precor. sancta e sacerdos , e t p r o x i [v. 215sv.] Nunc pr o corporeo medicus mihi curre m u m t e facito pereunti, qui loco proximus adstas.
periclo. Curre , precor. sanctasqu e manu s oppon e Emitt e sacras per occulta medicamina manus et exrninanti lapsum ocul o ...
trahe malum , quo d adversatu r lumini , n e lumin e
[v. 253sv.] Hun e habea m natale m ocul i pariterqu e viduatu s abscedam , qu i lume n miraculoru m tuo celebrem Felicem et lumen mihi de Felice receptum. ru m cernere ven k
La technique de la réécriture grégorienne devient reconnaissable: l'auteur reprend certains termes de l'hypotexte à partir desquels il construit son propre récit, dont la structure est plus simple, et en disposant à sa guise122. Mais c'est le dénouement du récit qui
montre e n plus à quel point l e poème d e Paulin a pu s e transformer e n une narratio n
hagiographique stéréotypée .
118 Paulin, poem. 23, v. 269sv. virjam maturo gravis aevo y et corpore celsus, / staminis uncino quasi piscis
inhaeserat hämo; / et vice suspensus lychnipendehat ...
119 GM 103 , SRM I-l , p . 108, dependens fune lychnus lumen loco sueverat ministrare. Ille autem cui hoc
erat officium contueri ad eius conpositionem.. laxatofune discessit, quasi oleumpetiturus. - Paulin, poem.
23, v. 151sv. Sedpuer, exstincto ahstulerat qui lumine lychnum / quem deponendo funem laxarat y eumdem / neglexit solito adductum restringere nodo.
120 GM 103 , ibid. quidam de adstantihus in vigilia sancti nebula cellulae, quae de exustapapiro surrexerat,
fatigatuSy foris egreditur. - Paulin, poem 23, v. 117sv. Interea meus iste (seil. Theridius) choro digressus
amico, / ut spirante foris aura depelleret aestum, / quemfumosa dahat ceratis cellapapyris /.
121 GM 103 , ibid. funis cum uncinulis.. suhmissior dependeret ... unus de uncinulisfunisfaciem excepit hominis venientisy inlato acumine transfigens oculum eius. - Paulin, poem 23, v. 160sv. Ergo ... pendulus
ille I per tenebras solito funis suhmissior ... pendehat; et inde /... / excepit faciem venientis, et induit unco / occurrens oculum ...
122 Voir par exemple le jeu de mots sur le terme de proximus dan s le discours du miraculé .
Martin Heinzelman n
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D'après Paulin , aprè s l'acciden t d e Theridius, un puer arrive , alerté par le s cris d u
blessé; ce dernier réussit finalement, aprè s son discours tenu au saint, à retirer le crochet de l'œil, avec l'aide de Félix.
D'après Grégoire , c'est toute l'assistance qui arrive après les lamentations de l'accidenté et , tous ensemble , ils deviennent le s témoins d u miracl e {virtus martyris sancti
declaratur in populo> ibid.). Ils voient un homm e suspend u à la corde, l'œil transper cé: cett e particularité , Pauli n l'avai t seulemen t évoqué e dan s so n épilogu e e n tan t
qu'image123. Alors que personne n'osait apporter son concours pour secourir le >pendu< qui perdait son sang en abondance, c'est l a virtus inmensa d u sain t elle-même qu i
enlève le crochet sans faire de mal, arrêtant le flux de sang. Ce qui dans la prière de Theridius avait été demandé au saint, de retirer de ses mains sacrées le fer de l'œil, devien t
une réalité pour Paulin autant que pour Grégoire. Mais de son modèle, Grégoire ne sélectionne que la réalité spirituelle, en faisant l'impasse sur la main de Theridius, lui préférant l a seule main du sain t qui la soutient.
Venance Fortunat
Le poète, proche de Grégoire de Tours, est en même temps pour lui un répondant im portant en ce qui concerne l'écriture hagiographique 124. Grégoire le cite sept fois dan s
son œuvre , dont troi s foi s dan s De virtutibus s. Martini: comm e témoi n d e miracle s
qui se sont produits e n Italie (V M I 13-16), comme auteu r d'un e Vi e de s. Martin e n
quatre livres (VM 12), et surtout comme l'un de ceux qui, après Sulpice Sévère et Paulin, possèdent suffisamment d'envergur e pour s'attaquer à l'écriture des miracles de s.
Martin en vers (VM I prologue). Au début de sa Vie de Martin, Fortunat s'était lui-même situé dans une telle lignée de poètes ayant proposé des réécritures, plus précisément
réécritures en vers d'Écritures saintes ; dans ce contexte il dénombrait Juvencus, Sedulius, Orientius, Prudence (avec ses poèmes sur les martyrs), Paulin (sur saint Martin!),
Arator e t Avit de Vienne125.
Dans so n chapitre intitul é »D u marty r e t lévite sain t Laurent « (GM 41 ) Grégoire
raconte un miracle qui s'est passé quodam loco - plus tard seulement il dira que le lieu
était Brione en Italie126 - à l'occasion de la réfection d e la toiture d'une église consacrée
à saint Laurent et où il y avait des reliques du martyr. Une des poutres amenées se trouvant trop courte, le prêtre qui assistait, adressa un discours à saint Laurent, se plaignant
de l'impossibilité d e se procurer un e autre poutre faut e d e moyens, et demandant d e
l'aide. Au gran d étonnemen t d e tou s l a poutre devin t ensuit e s i longue qu'i l fallu t l a
couper; par la suite, la partie découpée servit à guérir diverses infirmités .
123 Voir plus haut n. 118.
124 Pour les relations entre les deux personnages voir Marc REYDELLET, Tours et Poitiers: les relations entre
Grégoire et Fortunat, dans: Grégoire de Tours et l'espace gaulois. Actes du Congrès international Tours,
3-5 novembre 1994. Textes réunis par Nancy GAUTHIER et Henri GALINIÉ, Tours 1997, p. 159-167. Ibid.
n.l, list e des sept fois que Grégoire mentionne Fortunat (il fau t y remplacer VM 11 par VM I prologue).
125 Vie de saint Martin, éd. QUESNE L (voi r n. 13), 1.1 v. 14-25, p. 6-7; ibid. v. 21 (PaulinusJ uersibus explicuit Martini dogma magistri, s e réfère nécessairement à Paulin de Périgueux qui, selon toute probabilité, étai t confondu ave c Paulin de Noie, non seulement par Grégoire , mais aussi par Fortunat (voi r aussi QUESNE L p. xxxin et 7 n. 9).
126 GM 41 , SRM1-2, p. 66, Acta sunt autem haecapud Brionas Italiae castrum.
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
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Ici le récit de Grégoire s'arrête, mais l'auteur s e fait entendr e de nouveau: »c'est ce
que le prêtre Fortunat a exprimé par les vers suivants«, enchaînant une dizaine de vers
d'un poèm e de Fortunat. Après la citation de ce qui paraît être l'hypotexte d u récit de
Grégoire, c e dernie r avou e avoi r omi s beaucou p d e ver s (multo plures versiculos ...
praetermisi), e n se contentant d e transcrire ceux-ci en témoignage de la vérité127.
Les dix vers de Fortunat sont le résultat d'un choi x de Grégoire, choix qui s'est fait
à partir des 22 vers du poème IX 14128; ils comprennent les deux premiers vers du poème original, et les vers 11 à 18. Les deux premiers vers correspondent à une adresse au
martyr et à la mention de son glorieux martyre par le feu:
Fort.: Laurent!, merito flammis vitalibus uste, /
qui fervente fid e victor ab igné redis, / .. .
Grég. (discours du prêtre): O Laurent i beatissime ,
appositus ign i glorificate, ...
La suit e de s ver s sélectionné s pa r Grégoir e racont e l e renouvellement d e l'église , l a
croissance miraculeuse d u bois , la nécessité d'en recouper , e t la vertu miraculeus e d u
morceau découp é pou r l a guériso n d'aveugles . Le s information s su r l e prêtr e e t l e
manque de moyens, l'incurie expliquant la destruction de la toiture de l'église, le nom
du lieu , tous ce s éléments Grégoir e a dû e n disposer soi t grâc e à Fortunat lui-même ,
soit grâce au témoignage d'un miracul é anonyme dont une rage de dents avait été calmée grâce au bois de la poutre allongée , expérience don t i l fit personnellement par t à
l'évêque de Tours129.
Les vers non sélectionnés par Grégoire (v. 3-10,19-22) concernent, dans la première
partie, le renvoi à des guérisons d'aveugle s par saint Laurent vivant, thème repris pa r
les derniers vers où Fortunat relèv e cette >spécialité< du martyr dan s sa vie posthume:
unde prius flammas, hinc modo lumen habes (IX 14 v. 20). Grégoire, dont l a réécriture devait abouti r a u réci t d'u n miracl e concernan t l a guérison d'un e rag e d e dents, a
donc logiquemen t supprim é le s partie s d u poèm e qu i concernen t l a seul e guériso n
d'aveugles, et l'origine - la légitimation? - de cette faculté dans l'action du martyre pendant sa vie terrestre.
Prudence (et >Aurelius Clemens<)
Ce qui a pu nou s intéresser d e prime abord dan s l'exemple d e GM 41 , c'est l a coprésence130 de l'hypotexte dans sa réécriture. Il y a deux autres cas de ce genre dans le GM,
127 GM 41 , ibid.,.. . hos tantumpro testimonia viriscribens. Tous les manuscrits on t »viri« , mais déjà Ma x
BONNET, Le latin de Grégoire de Tours, Paris 1890, p. 106 n. 2 avait conjecturé l a forme correcte »veri«.
Cette dernière forme trouve en plus une confirmation dan s le parallélisme avec les deux autres lieux dans
GM auxquels on reviendra, surtout le chapitre précédant GM 40, SRM 1-2, p. 65 (ad haec quae narravi confirmanda inserui).
128 Venanti Honori Clementiani Fortunati presbyteri Italici opéra poetica, éd. Friedrich LEO, MGH, Auctores antiquissimi IV-1,1881, p. 218.
129 GM 41 , SRM 1-2, p. 66, Nam vidi ego hominem, qui graviter dentium dolore laborans, acceptam de hoc
ligno particulam a sacerdote, statim ut dentem attigit doloremque protenus caruit.
130 Pour le terme de >coprésence<, dans le cadre de relations intertextuelles, voir Sophie RABAU , L'intertex tualité, Flammarion, 2002, p. 231sv.
48
Martin Heinzelman n
dont l'un es t une réécriture à partir de Prudence, l'autre cell e d'un Aureliu s Clemens,
auteur d'un Liber Coronarum (Peristefanon) ; pour Grégoir e il s'agissait d e toute évidence de deux personnes distinctes 131.
Aux yeux de l'évêque d e Tours, Prudence étai t une autorit é de tout premie r ordr e
de l'écriture chrétienne , ce qu'il exprime entre autres par l'expression répété e Prüdentins noster 132. I l l'a cité nommément cin q fois, une sixième fois sous l'appelation >Au relius Clemens<:
-GM 4 0
- G M 10 5
-VP VI (Vita
s.Galli, prol.)
-GC110
(>épilogue<)
- De curs u
stellarum
ratio (34)
-GM9 2
PRUDENTIUS:
... sicut Prudentius noste r in libro contr a
Iudaeos meminit... (Après l'insertion:) Ho s
tantuni versiculos ad haec quae narrav i
confirmanda inseru i lectioni ...
... quia iuxta Prudentium: ...
... sicut Prudentius ait: ...
Liber Apotheosi s v . 449-502, sans le s
vers: 454, 458-459 , 461-464 , 472-473 ,
475-484
Liber Cathemerino n VI v. 133-136
Amartigenia v . 257 (Auri namque famés
partofit maior ab auro)
Amartigenia v . 257 (Auri namque famis
... iuxta illum Prudenti nostri versiculum: ...
parto conqueritur auro [sic] 133)
Prudentius cum de nativitatis dominicae Stella Liber Cathemerinon XII, v. 21-24 (avec
un texte différent d e celui de l'édition )
prudenter dissereret , haec in hymno sancta e
Epyphaniae ait: ...
>AURELIUS CLEMENS< :
Praebet huius re i testimonium Aureliu s
Clemens in libro Coronarum hi s versibus,
dicens:...
Peristefanon I, v. 82-90
Grégoire a utilisé le livre du Peristefanon pou r tous les martyrs hispaniques de son récit, c'est-à-dir e dan s le s quatr e chapitre s GM 89-92 , et dan s l e ca s d e sain t Cassie n
d'Imola (GM 42); à l'exception d u seul chapitre GM 9 2 (Emetier et Chélidoine) il n'a
pas cit é l'auteur d e c e livre, >Aurelius Clemens< , ce qui diffèr e nettemen t de s utilisa tions de >Prudence< qui est nommé chaque fois, et chaque fois accompagné d'un extrai t
de texte. Selon toute vraisemblance il a donc nettement distingu é >notre Prudence< d e
l'auteur du Liber Coronarum (Peristefanon ) auque l il a manifestement confér é un rang
moins prestigieux.
131 Pour Aurelius Prudentius Clemens voir la riche bibliographie de l'article de Joachim GRUBER , Prudentius (2.), Lexikon des Mittelalters VII, 1995, col. 289sv.; FONTAINE, Naissance (voir n. 110) p. 143-160,
et spécialement p. 177-194; j'ai utilis é l'édition de M. P. CUNNINGHAM , Aurelii Prudentii Clementis carmina, Turnhou t 1966 (Corpus Christianorum , Série s Latina , 126), et l a traductio n anglais e d e H . J .
THOMSON, Prudentius , 2 vol. Cambridge 1949 et 1953 (Loeb Classica l Library 387,398) .
132 Pour l a signification d e l'adjectif possessi f dan s l'œuvre d e Grégoire voir M. HEINZELMANN, Histoire ,
rois et prophètes. Le rôle des éléments autobiographiques dan s les Histoires de Grégoire de Tours: un
guide épiscopal à l'usage du roi chrétien, dans: De Tertullien aux Mozarabes. Mélanges offerts à Jacques
Fontaine, I, Paris 1992, p. 537-550, ici 540-542 (des expression s comparables : Sollius noster [Sidoin e
Apollinaire], Martianus noster [Martianu s Capella] , et Martinus noster [s . Martin]).
133 Cette deuxième citation se distingue de la précédente (en VP VI) qui se trouve aussi dans l'édition; dans
la première partie de la phrase, Grégoire avait noté: Quidam... accensus auri exsecrabilis sacra famis ...,
tiré de Vergile, Aen. III v. 56sv. quid non mortalia pectora cogis, / auri sacra famés: cett e citation favori e
de Grégoire se trouve encore VM 131, GC 109, Hist. IV 46, VI 36, VIII22 (mais la dernière étant citée
d'après s . Jérôme, Vita Pauli c. 4, Se d quid pectora humana non cogat auri sacra famis).
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
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L'utilisation d e ce dernier livre est très restreinte pour le s saints Vincent, Eulalie et
Félix (Péristefano n III à V)134, et un pe u plu s important e e n c e qui concern e l e malheureux maître d'école sain t Cassien, dont l e martyre infligé par ses élèves, au moye n
de tablettes d e cire et de poinçons, est rappelé e n deux phrases, emprunté qu'i l est au
texte de l'hymne IX du Peristefanon 135. Mai s dans le cas du premier hymne de ce livre
(Peristefanon I), du total des 120 vers, Grégoire a choisi neuf vers racontant le miracle
qui s'est produit lors de la décapitation des deux martyrs Emetier et Chélidoine - l'anneau de l'un e t l'étole de l'autre s'étan t envolé s dans les airs -, pour en donner une paraphrase en prose, suivie du texte de base. Cette coprésence de l'hypotexte e t de l'hy pertexte es t justifiée pa r Grégoir e pa r un e fonctio n d e témoignag e d u premie r pou r
l'événement qu'i l venait de narrer (praebet huius rei testimonium).
L'exemple le plus explicite d'une telle coprésence nous est offert par le long chapitre
GM 4 0 qui port e l e titr e »D u chrétie n qu i s e trouv a e n présenc e d'u n païe n sacri fiant«136. Après quelques phrases d'introduction su r le pouvoir (spirituel ) du nom d e
chrétien, Grégoir e renvoi e à une histoire d e >notre Prudences prise à son liber contra
Iudaeos137, qu'i l se met à raconter, e t à laquelle il ajoute un e part important e de s vers
qu'il a trouvées dan s son texte-modèle. Ces 35 vers retenus constituent d'ailleur s un e
première interventio n d e sa part, vu l a série des vers qu'i l avai t retirés auparavan t d e
son >corpus de documentation^38 . Afin d e se rendre compte de l'idéologie propre au x
deux récits, nous en proposons une paraphrase:
M 40
Apotheosis v. 449-502139 G
Prudence se rappelle (meminit) u n événemen t de sa >Notr e Prudence < rappell e (meminit) commen t
jeunesse: un valeureuxprinceps (Julie n / Dioclétien), l'empereur , e n procédant au x sacrifices impur s au x
grand législateu r d e la patrie , mai s adorateu r de s démons , aprè s avoi r ador é le s dieu x e t s'êtr e pro dieux, devant lesquels il se prosterne, fait sacrifie r à stern e devan t leur s images , regardai t le s prêtre s
Hékate; le sang coule d'abondance. immolan
t des troupeaux de bêtes.
Au milieu du sacrifice le vieux prêtre, fouillant de ses U n vieu x (prêtre ) avai t se s main s sanglante s pion mains ensanglantées les entrailles, s'adresse, tout pâ- gée s dan s le s entraille s de s bêtes , interrogean t le s
le, à l'empereur (princeps): fibre
s d e leu r foi e e t fouillan t a u fon d de s viscère s
pour y chercher quelqu e chos e de divin: il y trouv e
le tout bouleversé et s'exclame :
134 GM 8 9 à 91; pour Vincent et Félix, Grégoire n'a gardé de sa source que la qualité du martyr et le lieu de
sa mort, pour Eulalie , il raconte un miracle de floraison d'arbr e e n décembre qui évoque le souvenir de
son martyre .
135 GM 42 ; les vers du Peristefano n intéressan t l e récit d e Grégoir e son t cité s par Krusc h dan s SR M 1-2,
p. 66 n. 6-10.
136 SRM 1-2, p. 35, De cbristianOy qui corampagano immolante stetit. L e chapitre, ibid. p. 63-65, fait parti e
de l'ensemble sur les martyrs romains , entre le pape-martyr Jean (GM 39) et saint Laurent (GM 41).
137 Le titre correspond à une partie seulement du Liber Apotheosis (comprenan t le s vers 320 à 551), intitulée Adversum Iudaeos, voi r CUNNINGHA M (n . 131) p. 88.
138 Les 19 vers du corpus de Prudence que Grégoire avait supprimés a priori concernen t une remarque apparemment trop positive pour l'empereur (v . 455), des détails du culte divin de l'empereur (v . 458-459)
et du sacrific e e n cours (v . 461-464), mais surtout l a plus grand e partie (12 vers sur 19) du discour s d u
prêtre païen (v. 472^73,475-484).
139 KRUSCH, SRM 1-2, p. 64 n. 2 a déjà vu que le modèle de Prudence était un bref épisod e raconté par Lactance, Liber de mortibus persecutorum X, dont je donne le texte d'après MIGN E P L 7, col. 210sv.: ... ut
erat (seil, l'empereur Dioclétien) pro timoré scrutator rerum futurarum, immolabat pecudes s et injecori-
50
Martin Heinzelman n
[discours:] En quid ago ... ? Une divinit é puissant e
intervient, o grand prince, sur l'autel, repoussant les
ombres qu e j'avai s appelées . (Suiven t plusieur s
détails sur l a perturbation d u sacrifice. ) San s dout e
un christicolus se trouve dan s l'assistance. Qu'o n l e
chasse c e baptisé, ce t oin t ..., que l'o n puiss e fair e
revenir Proserpine .
Sur ses paroles il tombe inanimé.
Le princ e pâlit , comm e s'i l avai t v u l e Chris t l e
menacer ave c sa foudre, dépos e so n diadèm e e t re garde autour dans l'assistance pour chercher le néophyte portant l e signe de la croix.
Un armiger d e la garde impériale est trouvé et ne nie
pas, mais jette ses armes par terre, en avouant porter
le signe du Christ .
Le princ e fuyai t c e templ e san s accompagnement ,
passant par-dessu s l e prêtr e étend u à terre , tandi s
que l a foule tremblante , oublian t so n maître , invoquait le Christ, mains et yeux levés vers le ciel.
[discours] Heu, heu, ... je ne sais ce qui se passe de
contraire à nos dieu x qu i s'e n von t san s prendre l e
sacrifice offert . Manifestement , cel a vien t d e ce s
dieux ennemi s de s nôtres . Je n e serai s pa s étonn é
que ce soit l'un d e ces sectateurs du dieu Chris t qu i
contraigne ains i no s dieu x à s'enfuir . Cherch e
donc, o trè s sacr é empereur , celu i qu i aurai t ét é
soumis à de s ablution s e t qu i aurai t ét é oin t d e
baume, qu'il s'e n aille , afin qu e no s dieu x puissen t
s'approcher.
Comme s'il avai t vu le Christ vengeur en personne,
il tomb e mor t pa r terre , e n appelan t le s divinité s
offensées.
Ensuite l'empereu r lui-même , aprè s avoi r dépos é
son diadème, dit: [discours ]
qui es t ic i l'ennemi d e no s divinités , partisan d e l a
religion chrétienne , qui , l e fron t marqu é d u sign e
du Christ, adore le bois de la croix? Qu'il se dévoile!
Ensuite, l'u n de s armigeri d e l a gard e s e me t e n
avant, jette ses armes par terre et dit: [discours ]
Je suis celui dont le Christ est le dieu, je suis lavé par
son baptême et racheté par sa croix, je suis celui qui
n'a cess é d'invoque r so n no m tandi s qu e vo s prê tres consacraien t au x démons . So n no m me t vo s
dieux e n fuite : il s n e peuven t reste r dan s l e mêm e
lieu où l'on invoque un nom d'une telle majesté .
Stupéfait e t tremblant de peur l'empereur abandon na l e templ e de s démon s pou r alle r à so n palais ,
sans être suivi par les assistants. Tous, mains et yeux
levés vers le ciel, louaient e t invoquaient l e Christ .
Au cour s d e son poème, Prudence es t arrivé à construire une scène impressionnante ,
remontant apparemment à des souvenirs de jeunesse140, une scène à peine interrompue
par l e discour s épiqu e d u prêtr e païen . Dan s s a réécriture , Grégoir e a totalemen t
changé le ton et la cible de son récit, accentuant fortement l'opposition de s deux camps
adverses par l'introduction d'un discours pour chacun des deux antagonistes qui, pour
lui, représentent cette opposition: d'abord le sacratissimus augustHS, le prince devenant
persécuteur, tandis qu'il était, chez Prudence, une victime plutôt pitoyable de la bêtise
du cult e de s dieu x païens. Ensuite, à l'opposé, l e chrétien d e la garde impériale, per sonnage totalemen t effac é dan s Phypotexte 141, e t don t le s paroles corresponden t a u
bus earum Ventura quaerebat. Tum quidam ministrorum scientes Dominum cum adsisterent immolanti,
imposuerunt frontibus suis immortale signum. Quo facto, fugatis daemonibus, sacra turbata sunt. Trepidabant aruspices, nec solitas in extis notas videbant; et quasi non litassent, saepius immolabant. Verum
identidem mactatae hostiae nihil ostendebant, donecmagisterille aruspicum Tagis, seu suspicione, seu visu,
ait idcirco non respondere sacra, quod rebus divinisprofani homines intéressent Tune irafuroris sacrificare... universos qui erant inpalatiojussit... (dans la suite, Dioclétien est appelé senex vanus: ce senex entre
dans le récit de Prudence sous les apparences d'un vieux prêtre qui remplace en quelque sorte l'empereur).
140 Voir v. 450 mepuero, ut memini, ...; comme il s'agit d'une réécriture de Lactance (voir n. 139), ce souvenir juvénile ne paraît être qu'une fiction poétique .
141 Dans le modèle de Prudence, Lactance (voir n. 139), il n'est question que de plusieurs chrétiens non identifiés, quidam ministrorum; d e Lactance à Grégoire, il y a donc surtout une accentuation d e la personne du chrétien adversaire de l'empereur. Che z Lactanc e encore, l'empereur-persécuteur es t le véritable
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
51
résumé même du récit de Grégoire et à son objectif: la démonstration d e la valeur d u
nom triomphant d u Chris t vainqueur de s dieux-démons païens. Dans c e contexte, le
seul discour s che z Prudence , celu i d u vieu x prêtre , s e trouve substantiellemen t rac courci, le personnage étan t réduit au rôle de témoin de la défaite d e ses dieux. L'anta gonisme entr e les deux camp s es t souligné che z Grégoir e pa r une important e dépré ciation d e la personne d e l'empereur (Julie n l'Apostat, o u plutôt Dioclétien) 142, don t
les qualités relevées par Prudence sont passées sous silence, ou encor e par la désignation ironiqu e d e l'épithèt e sacratissimus (augustus). Cett e oppositio n es t encor e
soulignée pa r l'assimilatio n de s dieu x païen s à des démons , term e absen t che z Pru dence, mais présent à quatre reprise s che z Grégoir e {cultores daemonum, immolatio
fetida daemoniorum, dum sacerdotes daemonis consecrarent [dans le discours du chrétien], templum daemoniorum) m, o u par une remarqu e - ironisante ell e aussi - sur le
prêtre qui procède au sacrifice, essayant de »trouver quelque chose de divin« dans les
entrailles des bêtes (investigare aliquid tentaret divinum).
Néanmoins, e n ce qui concerne l a crédibilité d e son récit, Grégoir e renvoi e a u té moignage de Prudence, preuve à l'appui: quae relatio ne cuifortassis videatur incredulœ> paucos ex his subiciam versos. Et, après sa documentation, il revient encore à la charge; Hos tantum versiculos ad haec quae narravi confirmanda inserui lectioni 144.
La divergence des deux versions donna à Felix Thürlemann l'occasion d e formule r
son poin t d e vue sur l'idéologi e grégorienn e e n s'appuyan t su r ses paraphrases d'u n
texte-modèle145. À parti r d e la définition d'un e conceptio n général e d e la rhétoriqu e
du Tourangeau, i l conclut qu e ce dernier a fait un e distinctio n fondamental e entr e la
matière d'un réci t e t les moyens rhétorique s d e sa réalisation, entr e ornatus e t materialM>. Par conséquent, d'après lui , le texte de Prudence ne constituerait pour Grégoi re qu'un e accumulatio n d e faits , fait s qu'i l aurai t respecté s d e manièr e servile; c'est
pourquoi il aurait souvent repris les termes d'origine ou d'autres éléments >réels< (dinglich) de Phypotexte147. Quant à la structure du récit de Prudence, Grégoire, d'après lui,
n'aurait pas été à même de la saisir 148.
acteur d e Phistoire, rôle acti f profondément chang é par Prudenc e qu i introduit u n vieu x prêtre: Gré goire reviendra plutôt au concept de Lactance qu'il a pu connaître .
142 Pour la stylisation générale des empereurs romains comme persécuteurs voir HEINZELMANN, Gregor (voir
n. 2) p. 116sv. L'identification ave c Julien voir dans THOMSON (voir n. 131)1, p. 155 n.b, mais voir n. 139.
143 SRM1-2, p. 64 1. 3,4,24,26; quant au modèle de Prudence (voi r n. 139), Lactance, lui aussi parle defugatis daemonibus ...
144 SRM 1-2, p. 65, et il continue, en résumant le tout: ostendens, quid nomen christianum, quid crucis vixillum prosit hisy quifide credentes, opère perficiunt quae crediderunt, sicut superius dictum est.
145 Felix THÜRLEMANN, Der historische Diskurs bei Gregor von Tours. Topoi und Wirklichkeit, Berne 1974
(Geist und Wer k de r Zeiten , 39) , p. 44-48, et p. 114-119 avec un tablea u synoptiqu e d u text e latin d e
Prudence et de Grégoire. Il ne parle pas du modèle de Prudence qui est Lactance, Liber de mort, persecut. 10 (voir n. 139).
146 Ibid. p. 44.
147 Ibid. p. 46sv.; comme exemple il donne: les prêtres a u sacrifice couronné s de laurier (ce sont d'ailleur s
les bêtes qui portent l e laurier, dans les deux textes), le grand prêtr e qui cherche dans les entrailles, les
mains ensanglantées, l'empereur qu i dépose sa couronne, le chrétien jetant ses armes par terre, l'empereur s e précipitant san s so n cortège ; il n'y avai t pas d e raison pou r Grégoir e d'écarte r o u d e changer ,
contrairement à d'autres, tous ces exemples.
148 Ibid. p. 47: »Was Gregor nämlich nicht erkennt , ist die spezifische Struktu r de s umfassenden Rahmen s
der Erzählung , i n welcher dies e Einzelheite n be i Prudentius eigebette t sind . Ihr gegenübe r is t er wi e
52
Martin Heinzelman n
En revenan t a u concep t d'un e distinctio n fondamental e entr e ornatus e t materia
chez Grégoire , o n peut releve r ave c Thürlemann, en ce qui concern e Y ornatus,l'im portance considérabl e d u discour s e n tant qu e moyen essentie l pour l'auteu r d e Pexplicitation d'une histoire ; les trois discours de GM 40 n'en fournissent qu'un e preuv e
parmi d'autres . Pa r contre , on es t loin d u compt e s i on veut identifier l a >matière< de
ses récit s d e miracl e ave c le s élément s >concrets < o u palpable s d'un e histoire : ce qu i
importe à Grégoire, c'est avan t tout - comme nous avon s déjà pu nou s e n apercevoi r
au dernie r chapitr e o u lor s d e l a réécriture de s natalicia d e Pauli n pa r Grégoir e - la
vérité spirituell e d u miracl e qu i ramèn e nécessairemen t à l a seul e vérit é qu i es t l e
Christ e t son Église. L'édification d e cette Église se fait pa r la seule véritable matière ,
c'est-à-dire l a fo i qu i transform e u n récit , agissan t su r le s lecteur s o u su r le s audi teurs149.
*
Si Grégoire a choisi de recourir à la coprésence d'u n text e pour quelques-une s d e ses
réécritures comme preuve d'une vérité profonde d u miracle narré, il a dû présumer que
l'auteur d e son texte-modèle coprésent , donc d e l'hypotexte, étai t anim é d'une spiri tualité et d'une intentionnalité comparables aux siennes: l'expression »Prudentiu s noster« en est peut-être un indice supplémentaire. Le phénomène de cette coprésence paraît à première vue restreint à la réécriture de vers, c'est-à-dire à la transformation for melle d'u n hypotext e pa r prosification ; dan s le s trois exemple s de s GM on rappell e
effectivement chaqu e fois: versiculos... pro testimonio viri [i d est: veri\ scribens (Fortunat),praebet buius rei testimonium Aurelius Clemens .. . bis versibus, e t enfin quae
relatio ne cuifortassis videatur incredula ypaucos ex bis subiciam versos (Prudence). La
forme versifiée en tant que telle a donc dû servir en quelque sorte de garantie pour l'authenticité d'u n récit , procédé qu i présuppos e un e renommé e certain e d u genr e de l a
poésie biblique150. En cherchant d'autres formes de coprésence pour une comparaiso n
possible, o n pourr a éventuellemen t renvoye r à la citatio n d e versets biblique s com plets151. L'autorité d u texte-témoi n y est évidente, même si le volume de la citation e t
son rappor t ave c l'hypertexte son t loi n d'êtr e auss i explicite s qu e dan s le s exemple s
traités.
blind«. - Thürleman n ne voit pas que Grégoire a des intérêts bien à lui qui ne correspondent d u tout à
ceux de Prudence. Grégoire, d'après lui, ne pouvait pas comprendre le récit que par le schéma des actes
de martyrs, c'est-à-dire par l'opposition systématique des chrétiens à l'empereur; il omet totalement Pintentionalité de Grégoire dans le contexte d'une documentatio n d e miracles. D'où cett e idée surprenan te, qu e le s >libertés< de Grégoir e vis-à-vi s d e son texte-modèl e n e seraien t qu e de s déviations incons cientes (p. 46)!
149 Voir plus haut p. 35sv. avec n. 78.
150 Voir plu s haut , p . 46, pour l a filiation d e cett e poésie biblique , comprenan t certain s texte s hagiogra phiques, dans la Vita Martini de Fortunat. Pour le genre, voir FONTAINE, Naissance (voir n. 110) p. 245sv.
et passim. - En ce qui concerne les natalicia d e Paulin, Grégoire n'avait pas à sa disposition de texte relativement bref e t suffisamment représentati f pou r l'ensemble d e son récit .
151 Dans les 106 chapitres de GM il y a 22 citations textuelles des saintes écritures, avec indication de l'auteur respectif; voir p.ex. le prologue, SRM 1-2, p. 37sv., Sed et Paulus apostolus:..., ou: Unde Iohannis
euangelista exorsus est, dicens:..., ou: ita ait propheta:..., etc.
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
53
En définissant l e phénomène d e la coprésence dans l e cadre des relations intertex tuelles, Sophie Rabau a mis en valeur l a dialectique qu i s'installe régulièremen t entr e
le texte cité et le texte de l'auteur qu i cite. »Cette négociatio n ave c l'autorité d u text e
de l'autre tradui t l a présence d'u n dialogism e à l'œuvre dan s toute relatio n de copré sence qui met littéralement e n présence deux voix, la voix de l'auteur cit é et la voix de
celui qui cite«152. Chez Grégoire, ce dialogisme est sans doute intentionnel. Nous avons
vu qu'il a régulièrement fait mention - sans les réécrire - des textes >biographiques< qui
traditionnellement traiten t de la virtus d u martyr concerné, pendant s a vie et son der nier combat terrestre, avant de présenter lui-même les faits miraculeu x équivalents d e
son époque: entre les deux, c'est l a continuité de l'Église du Chris t qui, pour lui , était
censée se révéler dans la longue durée . Les textes poétiques faisan t parti e d'u n genr e
différent despassiones o u vitae n e disposaient donc point d'une notoriét é ou d'une légitimité hagiographiqu e égal e à ce s derniers , malgr é l a renommé e d e leur s auteurs .
C'est pourquoi , dans ces cas précis, Grégoire a proposé de s extraits de l'œuvre su r le
témoignage de laquelle il s'appuyait .
III. L ' A U T O - R É É C R I T U R E D E G R É G O I R E :
TRANSFORMATIONS IDÉOLOGIQUE S D'U N DISCOUR S
L'auto-réécriture est déjà recommandée dans Ylnstitutio oratoria de Quintilien qui parle des innumerabiles modi applicable s à un texte de base153. Grégoire, lui aussi, l'a pratiquée de manière courante, souvent e n renvoyant d'u n text e à l'autre154. Nous avon s
entrepris nous même en 1991 une comparaison systématique d'épisodes de l'œuvre historiographique d u Tourangea u ave c leurs réécriture s dan s l a partie >hagiographique <
de cett e œuvre , o u vic e versa , à l a recherch e d'u n discour s propremen t >hagiogra phique<155. Laissant de côté pour le moment l'épineux problème de la datation des différentes parties de l'œuvre grégorienne , problème qui rend souvent insoluble la question de l'antériorité de s textes comparés - autrement di t l'identification d e l'hypotex te - , nous souhaiterions reveni r sur certains aspects de ces recherches.
Notre enquêt e a finalement about i à la conclusio n qu e Grégoire , e n effet , a fré quemment appliqu é un discour s caractéris é par la fabrication d'un e »causalit é hagiologique« (»hagiologischer Kausalbezug«), dont l'effet es t la subordination de la narration entière à la seule perspective hagiologique ; ce faisant, i l a pu modifie r complète -
152 RABAU, L'intertextualité (voi r n. 130) p. 232.
153 Institutio oratori a lib. X, 4sv. et spécialement X, 9, éd. H. E . BUTLER, The ïnstituti o oratori a o f Quin tilian, vol . 4, Cambridge Mass . 1968 (Loeb Classica l Library), p. 114-118; pour le s différent s modi
(adiectio / detractio, proprietas / tropi, sans ou avec métaphores), voir Heinrich LAUSBERG , Handbuc h
der literarischen Rhetorik, 3 e éd. Stuttgart 1990 , § 1102, p. 531.
154 Pour un e liste d'épisodes réécrits , voir BONNE T (voi r n. 127) p. 7 n. 2 et HEINZELMANN , Diskurs (voir
n. 98), avec p. 243 n. 34.
155 Pour le >discours hagiographiques voir dernièrement Mar c VAN UYTFANGHE , (art. ) Biographie II (spirituelle), dans : Reallexikon fü r Antik e un d Christentum , Supplement-Ban d I, Stuttgart 2000 ,
col. 1088-1364, spécialement col . 1155-1157,1165-1167,1336-1345.
54
Martin Heinzelman n
ment la suite chronologique des événements, sélectionner les éléments du récit pour le
rendre moins complexe e t plus >typé< d'un poin t d e vue didactique, (re)composer ce s
éléments dans la seule intention de glorifier le saint en question et l'Église du Christ 156.
Par contre, ce genre de discours n'était point réservé à la seule partie >hagiographique <
de so n œuvre , mai s s e trouve auss i - donc d e manièr e atypiqu e - dans le s Histoires,
surtout quand i l s'agit d'événements d'u n pass é déjà reculé.
De toute évidence, un épisode raconté de façon différente deu x fois par le même auteur dan s de s contexte s différent s l'u n d e l'autre , doi t nécessairemen t apporte r de s
éclaircissements su r le s desseins d e cet auteur . C'es t pourquo i nou s allon s reprendr e
ici l'analyse de l'auto-réécriture d e Grégoire à partir de deux exemples que nous pen sons particulièremen t éloquents : la réécritur e d u livr e In gloria confessorum 31 (De
duobus amantibus) dan s l e chapitr e 47 du premie r livr e de s Histoires (De castitate
amantium), e t celle de l'histoire des sept Dormants par le chapitre 94 du livre à la gloire des martyrs. Il est vrai que nous avons déjà traité ailleurs du premier exemple, sans
pourtant avoi r détenu tous les éléments nécessaires à son explication 157.
1. De duobus amantibus (GC31)
- De castitate amantium (Hist.
147)
La compréhensio n de s deu x chapitres , écrit s peut-être à peu d e distance , l'u n aprè s
l'autre158, n'es t possibl e qu'e n fonctio n d u context e respecti f de s narrations , qu i es t
dans le premier cas un recueil de miracles aux traits caractéristiques correspondan t a u
recueil de GM dont il était longuement question plus en avant (chap. II), et dans l'autre,
un premie r livr e historiqu e présentan t d e manièr e compact e tout e l'ecclésiologi e d e
Grégoire appliqué e à l'histoire 159. L e thèm e d u livr e es t construi t e n fonctio n d'un e
géométrie simple, avec un centre thématique essentiel au début, au milieu et à la fin. La
156 Voir HEINZELMANN, Diskurs (voir n, 98) p. 256-258 (conclusion); voir aussi nos exemples dans les chapitres précédents. - Pour l a >causalité hagiologique< voir le livre important de Friedrich LOTTER , Seve rinus von Noricum. Legende un d historisch e Wirklichkeit , Stuttgar t 197 6 (Monographie n zu r Ge schichte de s Mittelalters , 12) , chap. III, spécialement 4 (»Historische s Geschehe n i m hagiologische n
Kausalbezug«); un excellent compte rendu de cette oeuvre en langue française: Marc VAN UYTFANGHE ,
Les avatars contemporain s d e r»hagiologie«. À propos d'u n ouvrag e récen t su r sain t Séveri n du N o rique, dans: Francia 5 (1977) p. 639-671.
157 Voir HEINZELMANN , Diskurs (voir n. 98) p. 248-249 (n° 7), et surtout ID., Heresy (voi r n. 6) p. 75sv. Voir encore THÜRLEMANN (voir n. 144) p. 48sv. et Karen A. WINSTEAD, The Transformation o f the Miracle Story in the Libri Historiarum o f Gregory of Tours, dans: Medium Aevum 59 (1990) p. 1-15, ici
p. 4-6, qui passent à côté de l'essentiel, c'est-à-dire la typologie de hpuella figur e de l'église immaculée
dans le cadre de l'ecclésiologie historique de Grégoire.
158 Habituellement, o n date le GC d e 587, et les quatre premiers livre s des Histoires e n 576-580, voir Ia n
WOOD, Gregor y of Tours, Bangor 1994, p. 3. Nous avon s exprimé ailleurs l'idée que ces datations son t
très peu sure s et encore moins satisfaisantes, compte tenu de la rédaction finale importante que l'évêque
a entreprise de son œuvre entière, en 594, voir HEINZELMANN , Gregor (voir n. 2) p. 102; cette difficult é
est sans doute confirmé e pa r l'exemple d'Hist . I 47 dont la rédaction paraî t postérieure à GC 31 (voir
aussi le renvoi final e n Hist. I 47 à GC 31), ou d u moin s daté e de la même époque ! De tout e évidenc e
l'Hist. I 47 ne constitue pas l'hypotexte; G C 31 en est plus proche, même si l'on n e peut exclur e qu'i l
s'agisse d'un e autr e réécriture provenant d'u n modèl e commun .
159 Pour l e rôle e t les typologies ecclésiale s du livr e I dans l e contexte de s Histoires, voi r HEINZELMANN ,
Gregor (voir n. 2) p. 113-118, et p. 131 sv.
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
55
séquence central e (chap . 16-24) a pour suje t l'incarnatio n e t l'actio n historiqu e d u
Christ sur terre, pendant que le livre commence (chap. 1) par un développement sur la
création d'Adam par le Christ, un Adam qui »représente le type du Rédempteur«; puis
Grégoire développe son exégèse de l'origine de l'Église, liée à la Création même, révélée sous form e d e virgo inmaculata eclesia lors d e la Passion 160. L a fin d e ce premie r
livre en deux parties (chap . 47 et 48) n'offre rie n d'autre qu e l'antithèse d e son débu t
(et de son centre): le dernier chapitre raconte le glorieux décès de saint Martin, l'anti type le plus parfait du Christ161, et le chapitre précédent est présenté par Grégoire comme une analogie typologique de la virgo mater eclesia du chapitre premier .
Mû par un tel souci de présentation, notre auteur a subtilement utilisé une histoir e
de miracle, à laquelle il n'a ajout é qu'un e séri e de discours tenu s dan s la nuit de leurs
noces par les deux époux chastes de son récit, discours totalement absent s de l'hypo texte. L'amplification es t de taille: de 192 mots (1.138 signes) e n GC , o n arriv e à 792
mots (4.687 signes), soit à 412% d'augmentation. Dans la présentation synoptique suivante de s deu x textes , nous avon s relevé les différents discour s pa r de s caractères e n
italiques et les mots-clés qui renvoient à la typologie du début, Vinmaculata mater eclesia qui est la sponsa du Christ , par le soulignement .
Historiae lib . 147
In glorî a confessorum cap . 31
47. Pe r idem tempus Iniuriosus quidam de senatoribus Arvernis cum 31 . Duos fuiss e apu d Arvernum ,
magnis opibus similem sibi in coniugio puellam expetiit, datumque ar- viru m scilice t e t puellam , refer t
rabone, diem statuit nuptiarum. Erat autem uterque unicus patri. Ad- antiqukas ,
veniente vero die, celebrata nuptiaru m soUemnitate , in uno strat o e x qu i coniunct i coniugio , no n coitu ,
more locantur. Sed puella graviter contristata, aversa ad parietem, ama- e t i n un o strat u quiescentes ,
rissime flebat. Cui ille: >Quid<, inquid, >turbaris? Indien, quaeso, mihi<.
Iliaque silente, adiecit: >Obsecro teperlesum Christum, filium Peu ut
mihi quid doleas sapienter exponas<. Tune illa conversa ad eum ait: >Si
omnibus diebus vitae meaeplangam, numquid tantae erunt lacrimae,
t*t queant abluere tarn inmensum pectoris mei dolorem? Statueram
enim, ut corpusculum meum inmaculatum Christo a virili tactu servarem, sed vae mihi! qui taliter ab eo relicta sum, ut quod obtahamperficere non valerem et quod ab initio aetatis meae servavi in hac novissima die, quam videre non debueram, perdidi. Ecce enim relicta ab inmortali Christo, qui mihi dotem promittebat paradisum, mortalis
hominis sum sortita consortium; et pro rosis inmarcescibilibus arentium
me rosarum non ornât, sed déformât spolia. Et cum debui super quadrifluo Agni flumine puritatis stolam induere, haec mihi vestis onus exhibuit, non honorem. Sed quidamplius verbaprotrahimusï ïnfelix ego,
quae debui sorte mereripolos, hodie dimergo in abyssos. O, si mihi haec
futura erant, quare non dies vitae meae ipse fuit finis, qui fuit initium!
O, si ante introissem mortis ianuam, quam lactis acciperem alimenta.
160 Hist. 11, »Tandis qu'il dormait (seil. Adam) il lui retira une côte: ce fut l a création de la femme, Eve. Et
il n'y a pas le moindre doute que ce premier homme Adam, avant qu'il ne péchât, présentait le type d u
Seigneur rédempteur (tipum Redemptoris dominipraetulisset). E n effet, lorsque celui-ci s'endormit dan s
le sommeil de la passion, e n faisant coule r de son flanc du san g et de l'eau il fit sortir de lui-même un e
vierge immaculée, l'église, rachetée de son sang, purifiée d e cette eau, sans une tache ou une ride ... «.
161 Voir plus haut p. 24. Pour l'arrangement de s chapitres de ce livre I des Histoires^ où la fin renvoie au début et au centre, et vice versa, voir HEINZELMANN , Gregor (voir n. 2) p. 131.
56
Martin Heinzelman n
O, si mihi dulcium nutricum oscula in funere fuissent expensa! Horrent enim mihi terrenae species, quia pro mundi vita transfixas manus
suspicio Redemptoris. Nec cerno diademas gemmis insignihus coruscantes, cum illam spineam miror mente coronam. Respuo longe lateque
diffusa spatia terrae tuae, quia amaenitate concupisco paradisi. Horrent tua solaria, cum Dominum resedentem suspicio super astra<. Talia
cum magno fletu iactanti commotus pietate iuvenis ait: > Unicos nos nohilissimi Arvernorum habuereparentes et adpropagandam generationem coniungere voluerunt, ne recedentibus de mundo succederet hères
extraneus<. Cui illa: >Nihilest mundus, nihil sunt divitiae, nihil est pompa saeculi huius, nihil est vita ipsa quam fruemury sed illa magis vita
quaerenda est, quae morte terminante non clauditur, quae labe ulla
non solvitur nec aliquo occasu finitur, ubi homo in beatitudine aeterna permanet, luce non occidente vivit et, quod magis est his omnibus,
ipsius Domini praesentiam iugi perfruens contemplatione, in angelico
translatus statu, indissolubili laetitia gaudet<. Ad hae c ille : >Dulcissimis<, inquid, >eloquiis tuis aeterna mihi vita tamquam magnum iubar
inluxit, et ideo, si vis a carnali obstiner e concupiscentiam,particeps tuae
mentis efficiar<. Ill a respondit: >Difficile est sexum virilem mulieribus
istapraestare. Tarnen, sifeceris, ut inmaculatipermaneamus in saeculo, non sunt ab alterutrum polluti in
ego tibi partem tribuam dotis, quam promissam habeo ab sponso do- voluptate carnali 162. Pos t multo s
mino meo ïesu Christo, cui me et famulam devovi esse et sponsam<. vero annos , cum ei s esse t latente r
Tune ill e armatu s cruci s vexill o ait : >Faciam quae hortaris<. E t dati s vita castissima, ex consensu pari vir
inter se dextris, quieverunt, mukös postea i n uno strato recumbente s tonsuratur a d clericatum, puella veannos, se d cum castitate laudabili , quo d poste a i n eoru m transit u ro religiosum induit vestimentum.
declaratum est .
Factum es t autem, ut, impletis die Nam cum, impleto certamine , puella migrare t ad Christum, peracto bus, puella migrare t a saeculo.
Denique vi r eius , praeparata m se vir funeris officio cu m puellam in sepulchro deponeret, ait pulturam, exhibuit corpusculum a d
sepeliendum. Cumqu e ea m sepul chro reconderet , arcanum , quo d
inter eos convenerat, elevatis manibus ad caelum, pandit, dicens:
>Gratias tibi ago, domine Iesu Cbriste. aeternae domine deus noster. >Gratias tibi, rerum omnium artiquia hune thesaurum, sicut a te commendatum accepi, ita inmaculatum fex, ago, quod, sicut mihi eam
conmendare dignatus es, ita tibi redpietati tuae restituo<.
didi ab omni voluptatis contagio
inpollutam<.
Ad hae c ill a subridens : >Quid<, inquid , >loqueris quod non interro- At ill a subridens , ait: >Sile, sile, vir
Dei, quia non est necesse, fatearis
garis*<
nostrum, nemine interrogante, secretum<. Post hae c obteeta m oper turio, recessit.
Illamque sepulta m ips e no n pos t multu m insequitur . Porr o cum Non post multu m ver o tempu s e t
utriusque sepulchru m e diversis parietibus collocatu m fuisset , mira - ipse migravit a saeculo, sepultus que
est in locu m suum . Eran t aute m i n
culi novitas, quae eorum castitate m manifestaret, apparuit .
una quide m basilica , se d e diversi s
parietibus utrumqu e sepulchru m
habebatur, et unum quide m a d meridiem, alterum a d quilonem .
Nam fact o man e cum ad locum populi accédèrent , invenerunt sepul - Mane autem facto, inventa sunt pa chra pariter, quae longe inter se distare reliquerant, scilicet ut, quos te- riter esse sepulchra,
162 Les quatr e partie s de phrase qu e nou s avon s relevée s par de s caractère s gra s dan s G C 31, répondent
chaque foi s a u remplacement , pa r l a paraphrase, d'u n terme-cl é d u réci t d e l'Hist. I 47 (inmaculatus,
Christus, deux fois respectivement) .
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
57
net socios caelum, sepultorum hi c corporum no n separet monumen- qua e usqu e hodi e si c perdurant ,
tum. Hos usque hodie Duos Amantes vocitare loci incolae voluerant. Idcirc o nunc incolae duo s amante s
Meminimus de his in libro Miraculorum. vocitan
t e t summ o venerantu r ho nore.
La différence entr e les deux narrations es t frappante: alor s qu'en Hist . I 47 (De castitate amantium) tou t le poids repose sur le début qui narre un mariage entre deux jeunes
aristocrates auvergnats, suivi d'un dialogue particulièrement important dans la nuit de
noces entre le jeune Iniuriosus et sa femme, le récit GC 31 (De duobus amantibus) fai t
totalement l'impass e su r l e mariag e et , aprè s avoi r racont é l a vi e chast e de s épou x
convertis à la cléricature163, passe très vite à la mort de la femme-vierge. À cette occasion, le mari, qui dans le récit >historique< restera très effacé, prononce le seul véritable
discours du récit hagiographique en rendant grâce à Dieu, et confirme par là-même la
chasteté de sa vie; la jeune femme lu i répond e n souriant d e sa tombe en l'appelant vir
Deiy confirman t ains i l'égalité d e leu r saintet é à tous deux . Cett e saintet é es t ensuit e
définitivement légitimé e par le rapprochement miraculeu x des deux sepulckra.
L'amplification considérabl e de l'épisode de castitate amantium (Hist . 147) est entièrement du e à la série des huit discour s prononcés lor s d e la nuit d e noces. Il s'agit
essentiellement d'un monologue constitué de trois longues plaidoyers de la jeune femme en faveur de la chasteté, qui, devant le caractère transitoire de la vie terrestre, se présente finalement comm e sponsa de Jésus Christ, désirant garder un corps immaculé. La
vierge qui , d e tout e évidence , tien t l e rôl e d e Veclesia inmaculata, rester a san s no m
même si l'on peu t suppose r qu e ce nom - Scholastica - n'était point inconn u d e Gré goire164. L e Chris t e n revanche , qu i n'es t pa s nomm é un e seul e foi s dan s l e réci t
>
hagiographique< G C 31, se trouve maintenan t évoqu é à neuf reprise s dan s les diffé rents discours, devenant ains i l'acteur principal de l'histoire a u détriment d'u n épou x
(iuvenis) largemen t effacé 165. C e rôle capital du Christ répond à celui du Créateu r de s
débuts d e c e premièr e livr e de s Histoires; à côt é d u no m d u Seigneur , dominus et
redemptor, le s autre s mots-cl é pou r caractérise r l a typologie proposé e pa r Grégoir e
sont sponsa (pour la vierge) et sponsus (pour le Christ), et surtout inmaculatus, utilis é
trois fois en Hist. 147 en réponse à Hist. 11, un mot que Grégoire a réservé exclusivement, à une exception près, à ces chapitres 166.
163 On chercherai t ces faits concernan t la qualité sociale de la vie des époux plutôt dans le récit historique ,
où ils font défaut; par contre, le récit d'Hist. 147 commence effectivement pa r une description plus h i storiques ave c le nom du mari (Iniuriosus) e t les origines sociales des deux jeunes gens, enfants unique s
dans leu r famill e respective , éléments qu i n e se trouvent pa s e n G C 31: on e n pourra éventuellemen t
déduire l'existence d'un réci t de base que Grégoire a adapté à ses fins dan s ce contexte précis (voir plus
haut notre note 158 pour l a date des récits).
164 Voir SRM 1-2, p. 317 n. 4: d'après l e liber de ecclesiis Arvernibus d u Xe siècle, les corps d'Iniuriosus e t
de Scholastica reposèrent dans Péglise Saint-Allyre (s. Illidius); l'Auvergnat qu'était Grégoire, connaissant le nom du mari, a dû connaître celui de la femme.
165 Voir la dernière adresse - significative - de la vierge à son mari depuis son tombeau: »Pourquo i parlestu quan d t u n'es t pa s interrogé«, ce qui ne correspond guèr e à la situation e n G C 31, où l'homm e es t
même qualifié de vir Dei\
166 La seule exception étant Hist . 110 à propos du baptême , avec la même signification: renatiper baptismum, inmaculati ab omni inquinamentum carnis.
58
Martin Heinzelman n
D'un autr e côté , e n G C 31, ces mots-cl é son t remplacés , san s exception , pa r de s
termes ou des formulations plu s évasifs: pour migrare ad Christum, GC porte migrare a saeculo, pour l'adresse domine Iesu Christe, G C introduit rerum omnium artifex,
et le terme importan t inmaculatus es t remplacé pa r le s formules embarrassante s non
sunt ab alterutrum polluti in voluptate carnali, et encore ab omni voluptatis contagio
inpollutam; l a renonciation, d e toute évidenc e voulue, à des formulations ecclésiale s
originales (Christus, inmaculatus) fai t envisage r l'idé e qu e G C 31 aussi étai t un e ré écriture, du moin s une réécriture partielle, en étant réécrit en partie après la composition définitive d u chapitre Hist. 147. Ce dernier chapitre apparaî t donc à la fois com me l'hypertexte d e GC 31 et, partiellement, comme son hypotexte !
La langue des interventions d e la vierge-eclesia est extrêmement recherchée et laisse deviner une abondante utilisation de textes se rapportant à la typologie ecclésiale de
Vecclesia-épouse du Christ . Par contre, il est difficile d'identifie r de s extraits substan tiels des textes que notre auteur a pu utiliser, malgré l'apport d u CLCLT-4 . L'expres sion très rar e de quadrifluo Agniflumine pou r le s fleuves d u paradis d'aprè s Gen. II
10 nous ramèn e encor e à Prudence, don t Grégoir e a vu à coup sû r l e Cathemerino n
III 167 , vers 101 (quadrifluo amne), o ù il a trouvé aussi l'Agneau (ver s 161,169) et sur tout l'image rare de spolia rosarum (ver s 21, spolia rosae); dans cet hymne, il était sans
doute encor e impressionn é pa r l a description d e la Créatio n (ver s 96sv.) , du paradi s
(vers lOlsv.), du sort de la femme après l'expulsion d u paradis (vers 123sv.), femme ra chetée par hpuella e t virgo qu i donne naissance au Christ san s faute corporell e (ver s
136sv). D'autres emprunt s concernent le s termes stolam puritatis induere, expressio n
qui pourrait remonter à VExpositio Psalmorum d e Cassiodore168, les diademas gemmis
insignibus corruscantes opposés à la spinea corona, chez Eusèbe >Gallican< 169, et tout e
la spiritualité de la sponsa et immaculata propr e à l'explication d u Cantiqu e des Can tiques par l'Italien Apponius 170 .
Le chapitre Hist. 147 se donne donc comme une réécriture qui, dans sa partie am plifiée, étal e la quintessence d u premier livr e des Histoires - le destin et la tâche de la
création du Christ , so n Église immaculée - en puisant à l'exégèse patristique compé tente. Mai s c'es t finalemen t l a comparaiso n ave c u n text e >hagiographique < G C 31
tenant plac e d'hypotext e qu i perme t d e reconnaîtr e la véritabl e fonctio n d e cett e
réécriture: pour faire découvrir tout le sens de son amplification, Grégoir e a donc cru
bon de renvoyer, dans sa dernière phrase, à ce texte plus originel: Meminimus de his in
libro Miraculorum. Comm e l e texte de G C 31, étant donné e la suppression o u l'alté 167 Pour l'utilisation d e Cathemerinon VI et XII par Grégoire, voir le chapitre précédent, p. 48.
168 Expositio psalmorum, ps. 118 linea 1355,... necpotest illam stolam induere nuptialem, nisi qui per divinam gratiam indulgentiae meruiî accipere puritatem: l'explicatio n étai t cell e de Ps . 118, 80 Fiat cor
meum immaculatum...
169 Eusebius >Gallicanus<, Collectio homiliarum, 4 linea 93,... ut sacrum illud caput ad diadematum gemmas ornaret, sed ut ad coronam spineam praepararet,
170 Voir, entre autres, Apponius, In canticum canticorum expositio, Epilogus, linea 1323,... amicam, sponsam, sororem, columbam et immaculatam appelât; et unamquamque animam, prout viderit dignam, coniunctam sibi quasi reginam in singulis deliciarum introducit et collocat locis; ibid. lib. 5 linea 691,...
quando sacrilega mater spineo diademate coronavit eum synagoga; ibid. 1 linea 199 ... vox Ecclesiae ait:
.. Induit me vestimentis salutis sicut sponsum decoratum corona y et sicut sponsam ornatam monilibus suis
circumdedit me, etc .
La réécriture hagiographique dans l'œuvre d e Grégoire de Tours
59
ration - de toute évidence intentionnelles - des mots-clé se trouvant e n Hist. I 47, ne
peut pa s no n plu s êtr e considér é comm e versio n principal e d e l'épisod e de s deu x
amants, l'écriture de ce chapitre hagiographique a dû servir d'hypotexte fictif au x desseins de l'auteur de s Histoires.
2. Passio sanctorum septem dormientium apud Ephesum - De septem
dormientibus apud Ephesum (GM 94)
Malgré une origine qui n'est pas antérieure à la deuxième moitié du Ve siècle, la légende des septs Dormants a connu un e prolifération dan s le s langues grecque , syriaque,
copte, arabe, arménienne, éthiopienne 171; cette diffusion a déjà eu lieu, en partie, avant
que le texte ne tombe entre les mains de Grégoire. L'édition que le Tourangeau a finalement utilisée pour sa traduction-réécriture e n latin - la première du genre - était très
vraisemblablement grecque, malgré sa remarque passio eorum, quam Syro quodam interprétante in Latino transtulimus 172; c e personnage qu i a donc tradui t pour l'évêqu e
de Tours est mentionné e n tant que Johannes syrus dans Yexplicit de plusieurs manus crits de la Passio173.
La traduction d e h passio par l e Gréco-Syrien Jean e t l'édition latin e de cette tra duction pa r Grégoir e constituen t don c un e premièr e réécriture . Le s deu x série s de s
noms des Dormants - correspondant d'après Grégoir e aux noms portés avant e t après
leur baptême - témoignent d e l'existence d'a u moin s deux versions connues d e lui 174.
Plus encore , Grégoire a dû connaîtr e l a tradition occidental e l a plus ancienn e su r les
171 Pour une bonne introduction, voir Victor SAXER, (art.) Sette dormienti, dans: Bibliotheca Sanctorum 11,
1968, col. 900-907; tout récemment, voir: La leggenda dei Sette Dormienti di Efeso nel racconto di Gregorio, Vescovo di Tours e di Fozio, Patriarca di Costantinopoli, a cura di Antonio D E PRISC O e Guido
AVEZZÙ, Università di Verona 1999,1 9 p., avec une traduction du texte de Grégoire en italien. - Pour la
discussion d e l'antériorité d e la version grecqu e par rapport au x versions syriaque s e t la confirmatio n
de Porigine éphésienne de la légende (en rapport ave c l'église de s sept Dormants, construite effective ment, d'après l e témoignage archéologique , au milieu d u Ve siècle), voir Ernest HONIGMANN, Stephe n
of Ephesu s (April 15 , 448-Oct. 29, 451) and th e Legend of th e Seven Sleepers, dans: ID., Patristic Stu dies, Città de l Vatticano 1953 (Studi e Testi, 173), p. 125-168; voir aussi, pour u n résumé de la discussion et la présentation d'un e version syriaque du Ve siècle, Michel VAN ESBROECK , L a légende des Sept
Dormants d'Éphès e selo n l e Codex Syriaqu e N.S.4 d e Saint Petersbourg, dans : VI Symposio n Syriacum 1992, Rome 1994 (Orientalia Christiana Analecta, 247), p. 189-200.
172 GM 94 , SRM 1-2, p. 102. La,passio a connu un e troisième éditio n par Bruno KRUSCH , aprè s SR M 1-2,
p. 397-403, et AnalBoll 12 (1893) p. 871-87, dans les MGH, SR M VII, p. 757-769. - Les nombreuse s
versions latines de la passio sont présentées dans BHL 2313-2319m.
173 SRM VII, p. 769, Explicitpassio sanctorum martyrum VII dormientium apud Ephesum, translata in latinumper Gregorium episcopum, interprétante Iohanne syro y quae observatur IUI. id. ags.\ le ms. Vindobonensis 332 du X e siècle, d'origine italienne, ajoute à translata: de Greco, en supprimant le terme syrus, - On a pu remarquer, avec raison, que le terme syrus était utilisé à l'époque d e Grégoire indistinc tement pou r le s langues orientau x e t qu'il a pu désigne r autan t l e syrien qu e l e grec, voir SAXE R (voi r
n. 171) col. 901. Compte ten u d e la popularité d u no m Iohanne s i l n'est pa s aisé d'identifier Iohannes
syrus avec l'une o u l'autr e de s trois personnes proches d e Grégoire : un Iohannes leprosus y qui séjour nait un e anné e entière en terr e sainte (GM 18) , un diacr e du mêm e nom qu i visitait égalemen t ces régions et qui fit part de ses expériences vécues à Grégoire (GM 87), un prêtre de Tours (presbitefnoster),
lui aussi grand voyageur (VP VIII 6).
174 Voir, entre autres, VAN ESBROECK (voir n. 171) p. 198, qui illustre en outre les raisons différentes, d'ordr e
théologique et historique, qui étaient à l'origine des variantes importantes de s versions syriaques .
60
Martin Heinzelman n
sept martyrs, tradition représenté e par l e De situ terrae sanctae d'un certai n Theodo sius; ce livre de la première moitié du VIe siècle, abondamment utilisé dans l'œuvre grégorienne, connaît un e list e de noms légèremen t différente , e t ajoute l a mention d e la
mère des sept (Caritina/Felicitas) ains i que celle d'un chio t (ou chaton) du nom de Viricanus175.
Notre sujet proprement dit n'est pas Pécriture-traduction de la Passion, mais la version plus brèv e qu e Grégoir e a donnée dan s l e livre à la gloire de s martyrs . Comm e
point de départ nous proposons une présentation synoptique de l'hypertexte complet ,
et d e so n hypotext e légèremen t abrég é o u paraphrasé ; nou s y ajouteron s le s para phrases respectives , en mettant l'accen t su r les multiples étape s du récit de la Passio n
et leur concision dans la réécriture 176.
Passio sanctoru m martyru m septe m dormientiu m
(SRM VII, p. 761-769)
De septe m dormientibu s apu d Ephesu m (GM 94 )
(SRM 1-2, p. 100-2)
(1) Tempore Decii imperatoris cum Universum orbem persecutio christianorum exagitaretur atque
idolis vanis sacrificia funesta offerentur,fuerunt septem viri inpalatio régis primi et nobilis familia orti,
id est AchillidiSy Diomedis, Diogenus, Probatus y
Sambatus, Stephanus atque Quiriacus. HU cum seva
imperatoris scelera saepe conspicerent, ut pro Deo
sempiterno idola surda et muta coliiuberet, conpuncti divinitus ad baptismum convolant appellatique
sunt regenerationis fonte Maximianus, Malchus,
MartinianuSy Constantinus, Dionisius y Iohannis,
Serapion. Igitur, adveniente Decio ad urbem
Ephesum, iussit omni intentione ita christianum genus inquiri, ut possit, si fas esset y ipsum nomen
religionis extinguere. Denique praeparantur sacrificia (...)
(2) [des persecutores nominis christiani viennent chez
l'empereur e t lui indiquent que tout le monde participe au x sacrifices , à l'exceptio n d e septem viri,
Maximianus, fil s d u préfet , e t se s amis; convoqué s
par l'empereur , le s sep t présenten t leu r fo i e n u n
Dieu unique. ]
(3) [l'empereur les agresse verbalement et les renvoi e
du palais , les épargnant pou r leu r beaut é physiqu e
jusqu'à son prochain retour à Éphèse. Les sept vont
chez eux et distribuent leurs biens aux pauvres.]
Septem ver o germanorum , qu i apu d urbe m Ephe sum requiescunt , haec est ratio. Tempore Decii im peratoris. cum persecutio i n Christiano s ageretur ,
septem viri conprehensi sunt et ducti coram principe. Horu m nomin a hae c sunt: Maximianus. Mal chus. Martinianus. Constantinus. Dionisius .
Iohannes. Serapion: qui diversi s verbis temptati , u t
cédèrent, ne quaquam adquieverunt. Imperato r vero pro eligantia eorum [Passion: pulchritudo corporis], ne i n moment o périrent , spatiu m tractand i in dulget.
175 Voir Theodosii D e situ terrae sanctae, 26, dans: Itineraria e t alia geographica, Turnhout 1965 (Corpus
Christianorum, Série s latina, 175), p. 123, Inprouincia Asia ciuitas Epheso y ubi sunt septem fratres dormientes et catulus Viricanus, adpedes eorum; nomina eorum id est: Achellidis, Diomedis, Eugenius [dan s
la Passion : Diogenus] , Stephanus, Probatus, Sabbatius et Quiriacus, quorum mater Caritina dicitur
graece, latine Félicitas, le chiot a connu u n succè s énorme , spécialemen t dan s l a traditio n arabe , voi r
Guido AVEZZÙ, »Sette, e otto col cane«, dans: La leggenda... (voir n. 171) p. 5sv . - Pour Théodose com me source de l'œuvre grégorienne , voir SRM 1-2, p. 10 (GM 6 , 8,16,17, 26) , et Hist. I 7.
176 Les chiffres d e chapitre d e l'édition KRUSC H d e la passio ne se retrouvent pa s dans les manuscrits. Le s
passages soulignés dans l'hypertexte concernen t de s termes repris de l'hypotexte .
La réécriture hagiographique dans Poeuvre de Grégoire de Tours
61
(...) abierunt in speluncam montis Chillei, portantes
At illi in unam se speluncam concludunt, ibique per
multos dies habitaverunt. Egrediebatu r tarnen unus
secumparumperpecuniae ad emendam victus necesex eis et conparaba t victus e t quae necessaria eran t
sitatem, elegerunt Malchum, ut habiens clam in urbem, cibos emeret et abscultaret, quae imperator de
exhibebat.
christianis cotidiana sanctione decerneret.
(4) [quand l'empereu r revien t à Éphèse i l appren d
Revertente aute m imperator e i n eadem civitate , isti
par les parents des sept, eos inclusos esse in quodam
petierunt a d Dominum, ut eo s ab hoc pericul o
antro montis Chillei. E n apprenan t l a nouvelle , le s
dignaretur eruere ; factaque oratione , prostrati sol o
sept prient Dieu de les protéger] exterritivaldeprosobdormierunt.
traverunt se super terram et cum lacrimis orabant, ut
eos Dominus (...) arceret. Quibus orantibus, providens Deus, quod essent inposterum necessarii, exaudivit orationem eorum suscepitque animas illorum.
Et erant iacentes super humum, quasi suavi somno
dormientes.
(5) [l'empereur ordonn e d e ferme r l a caverne ]
Cumque imperator didicisset , eos in hoc antro mo Abeuntibus autem qui os speluncae debeant oppilarari, nutu De i iussi t os spelunca e magni s lapidibu s
re, praecesserunt eos duo viri, Theodorus et Ruhen
oppilari, dicens : >Ib i intereant, qui du s nostri s im christiani, qui propter minas imperatoris Christum
molare noluerunt< . Quo d dum ageretur, quida m
latenter orabant. Hit scribentes in tabulis plumbeis
christianus in tabula plumbea nomina et martyriu m
omnem historiam sanctorum, posuerunt eas in ineorum scribens , clam i n aditu cavernae. priusqua m
troitu cavernae ... Venientes autem qui missi fueoppilaretur, inclusit.
rant, revolventes lapides magnos, concluserunt aditum antri; tune habierunt, dicentes: >Hicfame déficiant propriisque se morsibus dévorent, qui
contempserunt dus nostris débita exibere libamina<.
Post multoru m ver o annoru m curricula , cum, data
(6) Post haec, mortuo Decio, per succedentia tempoeclesiis pace , Theodosius christianu s obtenuisse t
ra in Theodosio, Arcadi filio, imperii summa conlaimperium. surrexit herese s inmunda Sadduceorum .
ta est. Cuius in tempore inmunda illa Saducaeorum
qui negant resurrectionem futuram .
secta surrexit, volens evertere spem resurrectionis,
dicens, quia: >Mortui non resurgunt<. Capud autem
huius heresis fuerunt Theodorus et Gaius episcopi
(-..) Erat autem tune apud Ephesum Dalius quidam
Tune quidam civis Ephesius, dum caulas ovibus sevalde dives in pecoribus, qui circumiens montem
cum montem ipsum facere destinât ac lapides divolChïlleum, iussit pueros suos, dicens: (...) Ignarus
vit ad coaptanda earu m septa , ignarus qua e ageren enim erat, quid ageretur in spelunca. Operantibus
tur introrsum , patefecit ingressu m eius ; non tarnen
autem pueris et revolventibus ingentia saxa, venecognovit arcanum, quod habebatur intrinsecus .
rum ad os speluncae inveneruntque lapides magnos;
quos revolventes faciebant murum, non tarnen introierunt in antrum.
(7) Dominus autem iussit reverti spiritum in corpora
Dominus aute m inmisit septem viris spiritum vitae,
sanctorum, et surrexerunt, ac salutantes se de more,
et surrexerunt. putantesque, quod una tantum noc putantes una tantum nocte dormisse (...) Converte dormissent, miserunt puerum unum ex se, qui cisique ad Malchum, dixerunt: >Enarra, quaesumus,
bos emeret .
nobis,frater, quae hacnocte locutus est imperator, aut
si inquisiti sumus, ut sciamus<. Quibus ille: >Requisiti<,
inquid, >estis ad sacrificandum diis<. Cui Maximianus
ait: >Nos omnes moriparati sumus pro Christo. Sed tu
accipe nunc argenteos et vade ad conparandas escas
(• • .)<. Erant enim argentei nomine Decii superscripti.
Adpropinquans autem adportam civitatis, vidit sigCumque veniens supra portam civitatis vidisset crunum crucis super portam (...) Ingressus urbe, audivit
cis gloriosae signaculum audissetque per Christi nohominesper Christi nomine iurare atque eclesiam as- itien iurare populum, obstipuit ;
picere clericusque per urbem discurrere moeniaque
nova rimare (...) Accedens ad nondinas, protulit arprolatis nummis , quo s a tempore Decii habebat , a
genteos, depraecans dare sibi escas.
mercatore conprehenditur , dicent e sibi, quia: >Absconditos antiquitus thesauros repperist k
62
Martin Heinzelman n
(8) At Uli numisma argentei intuentes, dixerunt: >Hic
homo tbesauros repperit antiquos; nam ecce argenteos de temporibus Deciiprofert !< (...) Viri autem
adpraebensum ducunt ad episcopum Marinum atque
praefectum. Cuipraefectus ait: (...) [interrogatoire
de Malchu s pa r l e préfet ; Malchu s s e renseign e à
propos d e Dèc e e t appren d d e l'évêqu e qu'i l étai t
mort depuis longtemps].
(9) [Malchus révèle à Tévêque la vérité] (...)Et nunc
suscitavit me Dominus cum fratribus meis, ut
cognoscat omnis saeculus, quia fiet resurrectio mortuorum. [Tou t le monde va à la caverne] (...) ingressus episcopus, repperit scrinium duobus sigillis argenteis praesignatum, egressusque foris, convocans omnem multitudinem civitatis cum praefecto, aperuit
sigilla et invenit duas tabulas plumbeas, in quibus
scripta erat omnis passio eorum (...)
(10) Tune ingressi invenerunt beatos martyres in angulo speluncae sedentes (...) Marinus autem episcopus cum praefecto procidit antepedes eorum et adoravit eos, et omnis populus glorificavit Deum, qui dignatus est talem miraculum ostendere servis suis.
Sancti vero narraverunt episcopo et omni populo,
quae eis tempore Decii accessissent. Episcopus vero
cum praefecto miserunt nuntios ad Tbeodosium imperatorem, dicentes: >(...)Sienim veneris, cognosces,
spe resurrectionis valde esse utilem iuxta sponsionem
promissionis euangelicae<.
(11) [Théodose, après avoir appris la nouvelle, rend
grâce à Dieu, et se rend au plus vite à Éphèse où il est
accueilli par l'évêque, le préfet et le peuple entier; ensemble il s montent l a montagne o ù le s sancti martyres vont à leur rencontre] (...) ceciditque augustus
in terra et adoravit eos, glorificans Deum. Et surgens,
osculavit eos acflevit super collum uniuscuiusque eorum, dicens: >Sic video fades vestras, tamquam si videam dominum meum Iesum Christum, quando vocavit Lazarum de monumento, cui inmensas gratias
refero, quod nonfraudavit me spem resurrectionis<.
(12) Maximianus autem respondit: >Scito, imperator,
quia ad confirmandam fidem tuam nos Dominus resurgere iussit. Ergo iugiter fidens in eum et cognosce,
quia fiet resurrectio mortuorum, cum nos hodie videaspost resurrectionem loqui tecum atque enarrare magnalia Dei<.
Multaque et alia loquentes cum eo, iterum prostrati
in terra obdormierunt, tradentes animas suas régi
inmortali Deoque omnipotenti. Haec videns imperator (...) mandons fiere loculos aureos, in quibus reconderentur. Sed in ea nocte apparuerunt sancti, dicentes: >Ne feceris, sed relinque nos super terram
(... )<. Tune imperator fabricavit super eos basilica
magna et fecit ibi receptaculum pauperibus, imperans eos aleri de publico. Convocatisque episcopis,
At ill e negans, deducitur a d episcopum a c iudice m
civitatis.
Cumque ab his argueretur , conpellent e necessitate ,
absconditum misteriu m revelavi t e t deduxi t eo s a d
speluncam. in qua viri erant.
Cumque ingrederetur episcopus . inveni t tabulam
plumbeam. in qua omnia quae pertulerant habeban tur scripta,
locutusque cum eis,
nuntiaverunt haec cursu rapido imperatori Theodosio.
At ille veniens, adoravit eos pronus in terram;
qui tali colloquio cum eodem usi sunt principe: >Surrexit, gloriosa e auguste , hereses , qua e populu m
christianum a Dei promissionibus conatu r evertere ,
ut dicant, non fieri resurrectionem mortuorum. Ergo ut scias, quia omnes iuxta apostolum Paulum repraesentandi erimu s ante tribunal Christi, ideirco
iussit no s Dominus suscitari e t tibi ista loqui. Vide
ergo, ne seducari s e t excludari s a regno Dei< . Haec
audiens Theodosiu s imperator , glorificavi t Dominum, qui no n permisi t perir e populu m suum . Vir i
autem iterum prostrat i i n terram . obdormierunt ;
quibus cum Theodosius imperator sepulchra ex auro fabricare velit , per visum prohibitus est , ne face ret. Viri autem usqu e hodi e palliolis siricis aut car bassinis cooperti in ipso loco requiescunt .
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
caelebravitfestivitatem sanctorum, et omnes glorificaverunt Deum, cui est in Trinitate perfecta honor et
gloria in saecula saeculorum. Amen.
Explicit passio sanctorum martymm VII dormientium apud Ephesum, translata in latinum per Gregorium episcopum, interprétante Iohanne Syro quae
observatur IUI. Id. Ags.
63
Quod passi o eorum , quam Siro quoda m interpré tante i n Latin o transtulimus , pleniu s pandit .
Paraphrase des étapes narratives de la Passion:
1. Persécution de s chrétien s su r ordr e d e l'empereur Dèce ; dans le palais impérial i l y a sept hommes d e
noble origine qui changent de nom lorsqu'ils sont baptisés secrètement .
2. Les agents de l'empereur lu i signalent que le fils du préfet, Maximien, et ses compagnons, refusent l e sacrifice au x dieux. Il les convoque e t fulmine contr e eux , tandis que les sept lui opposent leu r foi e n u n
Dieu unique .
3. Chassés du palais, mais gratifiés d'un délai de réflexion e n raison de leur beauté, les sept règlent leurs af faires, distribuant leur s biens aux pauvres.
4. Les sept se retirent dans une caverne du mons Chiliens; ils choisissent un des leurs, Malchus, pour aller
en ville avec la mission d e chercher de s vivres e t des nouvelles concernant le s décisions d e l'empereu r
contre les chrétiens.
5. L'empereur, à son retour, apprend par les parents de s sept que ces derniers séjournent dan s la caverne.
À l'annonce d u retour de l'empereur, le s sept demandent protection à Dieu qui, en prévoyant leu r rôle
les plonge dans le sommeil.
6. L'empereur donne l'ordre d e combler l'entrée de la caverne; ses agents sont précédés de deux chrétien s
qui introduisent des plaques de plomb à l'intérieur de la caverne, sur lesquelles l'histoire des saints martyrs est gravée.
7. A l'époque de l'empereur Théodose (II), la secte des Saducéens affirme qu e les morts ne ressuscitent pas; à
leur tête, les deux évêques Theodorus et Gaius font pression sur l'empereur qui, affligé, demande aide à Dieu.
8. À cette époque, le riche Éphèséen Dalius, à la recherche d'étables pour ses bêtes, fait enlever par ses serviteurs les pierres qui obstruent la caverne sans savoir ce qui se passe à l'intérieur.
9. Les sept ressuscitent et, croyant avoir dormi seulement une nuit, ils envoient Malchus en ville, avec de
l'argent frapp é a u nom de Dèce.
10. Entrant dans Éphèse, Malchus remarque les changements de la ville devenue chrétienne: la croix au-dessus de la porte, le peuple jurant par le nom du Christ, en regardant vers l'église, des clercs parcourant la
ville et visitant les nouveaux murs.
11. Au marché, Malchus veut payer en monnaie d'argent au nom de Dèce et est suspecté d'avoir trouvé un trésor caché; il est mené devant l'évêque et le préfet. Ce dernier lui fait subir un interrogatoire circonstancié.
12. Quand l'évêqu e expliqu e à Malchus que Dèce était mort depui s longtemps, le martyr lui expose la vérité sur ses compagnons e t lui-même et leur mission de témoins de la résurrection.
13. Malchus amène tout le monde à la caverne.
14. Pendant que Malchus parle à ses compagnons, l'évêque trouve une boîte scellée de deux sceaux argentés;
il la porte à l'extérieur où , en l'ouvrant, il y trouve deux plaques de plomb avec la Passion des martyrs.
15. Entrant dans la caverne, ils découvrent les martyrs dans toute leur jeunesse; l'évêque e t le préfet s e jettent à leurs pieds et le peuple glorifie Dieu .
16. L'évêque et le préfet envoien t des messagers à l'empereur, lu i promettant u n gran d miracl e qui lui fer a
connaître la vérité sur la résurrection.
17. En entendant l e message, l'empereur s e réjouit e t rend grâce à Dieu; il se rend a u plus vite à Éphèse o ù
tout le monde lui fait l'accueil .
18. Tous escaladent la montagne tandi s que les martyrs sorten t d e la caverne; l'empereur s e jette à terre e t
vénère les martyrs: il les compare au Christ quan d i l a appelé Lazare de sa tombe.
19. Maximien répond à l'empereur: il lui confirme que ses compagnons et lui étaient ressuscites pour confor ter la foi d e l'empereur dan s la résurrection de s morts. Après avoi r parlé longuement avec l'empereur ,
les sept se couchent de nouveau par terre et s'endorment .
20. L'empereur projette de leur fabriquer des tombeaux en or, mais dans une apparition nocturne, les saints
demandent de rester au-dessus de la terre, dans l'attente de la dernière résurrection .
21. L'empereur construit une basilique au-dessus des martyrs, avec un accueil pour les pauvres; il convoque
les évêques et demande la célébration d'une fêt e pour les saints.
64
Martin Heinzelman n
Si Ton veut rendre compte, dans la perspective d'une comparaison , de la trame narra tive du chapitr e d e GM 94 , il faut recouri r à une paraphrase o ù le s distinctions entr e
étapes sont moins prononcées, et où le poids des étapes est réparti de façon différente .
1.
2.
3.
4.
5.
6.
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10.
11.
12.
13.
14.
Persécution et arrestation de sept hommes qui sont amenés devant l'empereur; ils ne cèdent pas aux menaces, mais l'empereur leu r accorde un délai, à cause de leur beauté physique.
Les sept s'enferment dan s une caverne d'où u n seu l sort de temps à autre pour cherche r des vivres.
Lorque l'empereu r es t de retour , le s sept demanden t a u Seigneur d e les arracher a u danger e t ils s'endorment ensuite .
L'empereur fai t obstrue r l a caverne, souhaitant l a mort de s sept; un chrétie n introdui t un e plaque d e
plomb avec l'histoire des martyrs dans la caverne.
Lorsque, de longue s année s après , l'empereur chrétie n Théodos e gouverne , surgit l'hérési e de s Sadu céens qui nient la résurrection.
Un habitant d'Éphèse, voulant faire un enclos pour ses brebis sur la montagne, déplace les pierres bou chant la caverne sans savoir ce qu'elle renferme .
Dieu ressuscite les sept qui, croyant avoi r dormi une nuit, envoient l'un de s leurs chercher des vivres.
Arrivé à Éphèse, il découvre avec étonnement une croix sur la porte de la ville et entend le peuple jurer
par le nom du Christ .
Lorsqu'il donne des monnaies datant du temps de Dèce il est arrêté par le marchant qui l'accuse d'avoi r
trouvé un tréso r ancien ; il est conduit à l'évêque e t au comte de la ville (le index civitatis, à la place d u
préfet, correspondan t a u comte de l'époque mérovingienne) .
Interrogé par ces derniers il dévoile le mystère et les mène à la caverne: l'évêque y entre, trouve la plaque
de plomb avec l'histoire des martyrs; ensuite il parle avec les martyrs.
L'évêque et le comte avertissent au plus vite l'empereur qu i arrive pour adore r les martyrs.
Les martyr s s'adressen t à l'empereur lu i annonçan t l a naissance d e l'hérési e nian t l a résurrectio n de s
morts; ils se disent ressuscite s pour témoigne r d u jugement dernier e t pour parler à l'empereur, qu i est
solennellement mi s en garde contre la séduction exercé e par l'hérésie .
L'empereur glorifi e Dieu e t les sept s'endorment d e nouveau; quand l'empereur veut leur fabriquer de s
tombeaux e n or, il en est empêché par une vision.
Aujourd'hui encor e ils reposent en ce même lieu, recouverts de légères étoffes d e soie ou de lin.
La paraphrase d e l'hypertexte, comparé e à la paraphrase d e la Passion, ne fait pas apparaître d'écarts distinguan t fondamentalement le s deux rédactions, en dépit du volu me plus rédui t d e la seconde; tous le s points important s d u développemen t d e l'his toire s e retrouven t dan s le s deu x version s d e l'histoire . D e manièr e semblable , le s
quelques mots-clé s d e l'hypotexte qu e Grégoir e a voulu reprendr e dan s l a réécritur e
GM 9 4 sont bien répartis sur l'ensemble d u texte de ce chapitre177. Mais là où l'hypo texte a étoffé chaqu e étape de son récit par d'autres élément s narratifs, GM 94 ne présente généralemen t qu'un e seul e phrase e t ne devient véritablement éloquen t qu'un e
seule fois, à l'occasion de l'apogée grandios e de l'histoire, représentée par l'allocution ,
collective et solennelle à la fois, des martyrs à l'adresse de l'empereur .
L'importante concisio n que Grégoire a effectuée e n se fondant su r son édition latine de la Passion des Dormants concerne principalement deu x éléments d'importance :
le discours direct et les personnes engagée s dans les différentes actions .
Venons-en d'abord a u discours dont nous avons déjà appris, dans les chapitres précédents, la fonction fondamentale d'explicitation, voire de commentaire, dans l'écritu 177 II s'agit des termes soulignés dans la présentation de GM 94: Tempore Decii imperatoris, persecutio, Septem viriy spelunca, victus, os speluncae, magnae lapides, diinostri, tabula plumbea, caverna, Tbeodosius,
imperium, surrexit (secta/ beresis) inmunda Sadduceorum, resurrectio, ignarus, surrexerunt, porta civitatis (+crux), antiquitus tbesauros, episcopus, ingredi, nuntiare y imperator, adoravit eos, fieri resurrectio
mortuorum, iterum prostrati in terra, obdormire.
La réécriture hagiographiqu e dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
65
re grégorienne. Des 31 discours de la Passion, Grégoire n'a gardé que trois dans son hypertexte. Dans la Passion, un grand nombre de personnes est pourvu d'un discours direct, à commencer par lespersecutores, e n passant par d'autres agents de l'empereur, par
les Saducéens, les deux empereurs , l'évêque e t le préfet, jusqu'au x saint s eux-mêmes ,
qui s'expriment a u pluriel (trois fois) ou représentés par l'un des leurs (neuf fois) 178. En
ce qui concerne l'hypertexte, le premier de ces trois discours est prononcé par Dèce qui
condamne le s sept à mourir e n martyr s dan s l a caverne: »Qu'il s y périssent, eu x qu i
n'ont pas voulu sacrifier à nos dieux«, discours que l'hypotexte avait d'ailleurs attribu é
aux agents de l'empereur (chap . 5). Le deuxième discours, beaucoup moins significatif ,
contient l'accusatio n d'u n marchan d »t u a s trouv é de s trésor s enfoui s depui s long temps«, mais le troisième, véhiculant les paroles du collectif de s martyrs à l'adresse d e
l'empereur, incarne toute la signification de la réécriture sur laquelle nous reviendrons.
Les interventions massive s de notre auteur, dans la réécriture condensée, en faveu r
d'un nombr e réduit d'acteurs protagonistes , sont de la même importance qu e son action sur l a quantité e t la portée de s discours. Dans l a Passion i l y avai t effectivemen t
un bo n nombre d e personnes appelée s par leur nom c e qui n'est plus le cas dans GM
94: ainsi, à la place des deux chrétiens, Theodorus e t Ruben qui, avant la fermeture d e
la caverne, introduisen t opportunémen t deu x plaque s d e plom b ave c la passion de s
martyrs (chap. 5), Grégoire ne présente en hypertexte qu'un seul chrétien anonyme déposant une seule plaque de plomb. La tête (capud) de 1'»immonde secte des Saducéens«
est concrétisée dan s la Passion (chap . 6) par les deux évêque s Theodorus e t Gaius 179,
tandis que l'on ne parle que de heresis inmunda Sadduceorum dan s GM. Sont nommés
encore l'empereu r Arcadius , pèr e d e Théodos e II, l'évêque d'Éphes e Marinu s
(chap. 8) 180 et le riche Éphèséen Daliu s qui fait déplace r le s grandes pierres obstruan t
la caverne par ses employés (chap. 6), ce que l'anonyme civis Ephesius paraît faire tou t
seul dans GM 181 . En revanche on note l'absence dan s l'hypertexte de s persecutores e t
missi de l'empereur païe n Dèce (chap. 2, 5), des parents des martyrs (chap. 3), des pueri Dalii (chap . 6), des clerc s parcouran t l a vill e d'Éphes e e t se s mur s (chap . 7), des
pauvres bénéfician t de s largesses des Dormants (chap . 3) et de l'empereur (chap . 12),
du peupl e d'Éphes e témoi n d u miracl e (chap . 9, 10 ) et de s évêque s convoqué s pa r
Théodose II (chap. 12)182. Nul doute que l'élimination d e ces personnages secondaire s
prête à l'auto-réécriture d e Grégoire une simplicité et une sobriété qui ne se trouvent
pas dans la Passion.
178 Les saints: chap. 2, 7,12 (Malchus: chap. 7 [3 fois], 8 [3 fois], 9; Maximianus: chap. 7,12); Dèce: chap. 2
(2 fois), 3,4; Théodose: chap. 11 (2 îoïs);persecutores: chap . 2 (2 fois); missi (imperatoris): chap. 5; Theodorus et Ruben: chap. 5; Saducaei: chap. 6; Dalius: chap. 6; >marchands< (ad nundinas): chap. 8; préfet:
chap. 8 (4 fois), 10; l'évêque Marinus: chap. 8,10.
179 Pour les deux évêques, dont Gaiu s constitue vraisemblablement un e invention occidental e sur fond d e
nom de ville, voir SRM VII, p. 765 n. 1.
180 >Mares< dans les versions grecques et syriaques, voir SRM VII, p. 768 n. 2.
181 La caverne est située dans la Passion (chap. 3) sur le rnons Chillei^ dont le nom est également omis dans
GM 94.
182 Voir aussi l'accusation d u préfet d'Éphes e à l'adresse de Malchus: quia inludere venisti sapientes Ephësiorum (chap . 8), les nuntii d u préfet e t de l'évêque envoyés à l'empereur (chap . 10), et l'exclamation d e
Théodose devan t le s martyrs: îamquam si videam dominum meum Iesum Christum, quando vocavit
Lazarum de monumento (chap . 11): pour tout ces éléments il n'y a pas d'équivalent dan s GM 94.
66
Martin Heinzelman n
L'aménagement de s acteurs protagonistes d e la narration e n GM 94183 concerne d e
prime abord le s saints eux-mêmes. On peu t penser que de la Passion déjà, Grégoir e a
éliminé la mère de s sept e t surtout leu r chio t Viricanus, dont l a résurrection a dû lu i
poser quelque problème théologique; la tradition englobant la mère et le chiot lui était
nécessairement connu e par l e De situ terrae sanctae de Théodose 184 . Dans l a Passio n
encore, o n trouv e l a résonanc e d'autre s traditions , divergeantes , touchan t le s Dor mants: en chapitre 2 les persecutores de l'empereur incriminen t Maximien, fils du préfet, »e t ses partisans« (cum satellitibus suis), tandis qu'au chapitr e 9, et seulement là, il
est question de s sep t comm e d'u n group e d e frères 185; e n écho à cette dernière tradi tion, l'hypertext e GM 9 4 débute par l a phrase Septem vero germanorum ... haec est
ratio, pou r n e plus revenir ultérieurement su r c e détail. Toujours dan s la Passion, les
Dormants étaien t d e famille noble , des proches d e l'empereur e t des habitués d e so n
palais; Maximien étant même >fils du préfet< 186. Une fois dan s la caverne, les sept, parlant par la bouche d e Maximien, choisissen t Malchu s pour alle r en ville, qui s'étonn e
devant les transformations qu'i l y constate, qui se fait prendr e au marché et qui subi t
l'interrogatoire circonstanci é du préfet; à la fin c'est encore Maximien qui agit comm e
porte-parole de s Dormants e n face de l'empereur Théodose .
Rien de tout cel a ne se retrouve dans la réécriture: après une première mentio n o ù
les sept sont énumérés par leurs noms chrétiens - Grégoire faisant l'économie de leurs
noms d'origin e - le chapitre en GM 9 4 n'identifie plu s l'un o u l'autr e de s Dormants .
Malchus qui est envoyé en ville devient simplement puer unus ex se, et à la fin, ce sont
les martyrs qui, à l'unisson, s'adressen t à l'empereur.
Avant cette issue, Grégoire a procédé encore en contractant certains épisodes de la
Passion. La modification l a plus frappante concern e sans doute l'évolution d e l'histoire à partir d u momen t o ù Malchus révèle son secret su r le marché d'Éphès e (absconditum misterium revelavit): à cette occasion, l'hypotexte avai t lourdement insist é su r
la narration d'u n interrogatoir e pa r l e préfet, e t d'une visit e à la caverne par l'évêqu e
Marinus, le préfet, et tout le peuple d'Éphèse; en leur présence, l'évêque ouvre un écrin
scellé de deux sceaux contenant l a Passion gravé e sur une plaque d e plomb, avant d e
procéder, avec le préfet, à une première adoration des martyrs. Ensuite seulement, l'empereur es t appelé et accueilli, de manière >officielle<, pa r tout l e monde; approchant l a
caverne à son tour, lui aussi se met à adorer le s Dormants, expriman t s a joie dans u n
discours. Puis, c'est le porte-parole des sept, Maximien, qui lui explique que leur mission est précisément de conforter l a foi de l'empereur e n la résurrection de s morts.
183 Cet aménagement concern e aussi quelques actualisations, comme la secta Saducaeomm (Passio , 6) devenant beresis, les argentei d e Dèce (chap. 8) en tant que nummi, e t le préfet d e la ville changé en iudex
civitatis (chap. 8); voir auss i le personnel no n précisé du marché {ad nondinas, chap . 7) qui est concrétisé par l'invention d'u n mercator e n GM 94.
184 Voir plus haut n. 175.
185 SRM VII, p. 767, quatre attestations: me cum fratribus meis, cumfratribus mei$>fratres meos (trois foi s
dans des discours de Malchus), narrante autem Malchum fratribus suis ...
186 Voir Passio 1, SRM VII, p. 761,fuerunt septem viri inpalatio régis primi et nobilis familia orti; ibid. 2,
p. 762, Maximianus, filius praefecti, cum satellitibus suis; ibid. 4, SRM VII, p. 764, ce sont les parents des
sept qu i renseignent l'empereu r su r leu r séjou r dan s la caverne; ils lui font savoi r qu'i l serai t facile d e
mettre la main sur eux, à l'aide d'une imperatoris iussio regalis (sic).
La réécriture hagiographique dan s l'œuvre d e Grégoire de Tours
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Du côt é de GM 94 , le développement d e l'épisode s e déroule san s éléments retar dateurs, jusqu'à cette allocution finale: c'est l'évêque qui certifie la vérité de la Passion
inscrite simplement sur une plaque de plomb, qui parle aux martyrs et qui fait appele r
l'empereur. I l n'y a ni concours des Éphèséens ni adoration, avant celle de l'empereur ;
il n'y a pas non plus de renvoi répété au miracle de la résurrection qui vient se produire, comm e c'est le cas dans la Passion187. Quand finalement, le s sept parlent d'une seu le voix à l'empereur, c'est pour illustrer la leçon qu'a pu faire un évêque de la fin du VI e
siècle à ses ouailles, et plus encore , à son prince. Les Dormants parlen t d e l'hérésie terme qui n'existe pas dans la Passion - qui a pour but de détourner le peuple chrétie n
des promesses de Dieu en niant la résurrection de s morts. Mais, suivant l'apôtre Paul ,
il faut, disent-ils , savoir que tout l e monde devr a se représenter devan t le tribunal d u
Christ: c'es t l a raison pou r laquell e Die u leu r avai t ordonn é d e s e relever e t dire ce s
choses à l'empereur. Enfi n il s le mettent e n garde, l'invitant à ne pas se laisser séduir e
et se faire exclure du royaume de Dieu 188.
La connaissance de l'œuvre entièr e de Grégoire nous permet de comprendre com bien les desseins pédagogiques de l'évêque étaient d'actualité, en cette fin du VIe siècle.
Au dixième livre de ses Histoires, livr e dont nous avons démontré ailleur s le caractère
profondement eschatologique 189, il a significativement incorpor é un chapitre substan tiel sous le titre éloquent d'»altercation à propos de la résurrection«. Pour l'évêque mérovingien, l'occasio n d'introduir e cett e anthologi e d e théologi e patristiqu e lu i a ét é
donnée par un de ses propres prêtres tourangeaux qui, »infecté par le poison de la perversité saducéenne«190, prétendait effectivement qu'i l n'y aurait pas de résurrection fu ture. La citation de l'hérésie saducéenne, dans la Passion et dans GM 94, était donc davantage qu'une réminiscence purement littéraire destinée à renvoyer aux Acta apostolorum191. A u cour s d u chapitr e cit é de s Histoires, l e plus rich e de l'œuvre entièr e e n
citations bibliques , Grégoire a largement démontr é so n intérêt primordial pour cett e
question de la résurrection de s morts 192 , et il n'est point étonnan t d' y trouve r auss i le
renvoi à la deuxième lettre aux Corinthiens de saint Paul, avec la citation qui a déjà couronné sa réécriture de la Passion des sept Dormants d'Éphèse : Omnes nos repraesentari oportet ante tribunal Christi m.
187 Voir Passion 9, avec les mots de Maichus Et nunc suscitavit me Dominus ... , ibid. 10,.. . talem miraculum ostendere, ibid. (le message à l'empereur) Festina quantotius si vis videre miraculum magnum, ibid.
11, discours de l'empereur qu i renvoie à Lazare ressuscité.
188 Suivent troi s phrase s asse z brèves , contrastan t avec l e lon g développemen t dan s l a Passio n su r l a
construction de s tombes des sept e t celle d'une basiliqu e par l'empereur don t n e parle pas GM 94 ; par
contre Grégoire a ajouté un e remarque sur la présentation de s corps des martyrs à la fin d u VI e siècle.
189 HEINZELMANN, Gregor (voir n. 2) p. 69sv.
190 Hist. X 13, SRM I- 2 1, p . 496, His autem diebus (seil, en 590) extitit quidam de presbiteris nostris Sadduceae malignitatis infectus veneno y dicens, non essefuturam resurrectionem.
1^1 Act . 23, 8, Sadducaei enim dicunt, non esse resurrectionem,
192 Dans Hist. X 13, il y a 21 extraits plus ou moins longs des Écritures. - Voir aussi De cursu stellarum ratio, lOsv. , SRM 1-2, p. 410sv., où Grégoir e fai t l e dénombrement de s sept grand s miracles du Créateu r
(en opposition avec les grands miracles du monde): après le premier miracle qui est celui du flux et reflux
de la mer, et le deuxième, qui est celui de la fécondité, le troisième représente la résurrection figurée pa r
le phénix: resurrectionem humanam valde figurât et ostendit.
193 II Cor. 5,10, voir Hist. X 13, SRM I- 2 1, p . 498 et où, immédiatement après, Grégoire fait suivre un long
extrait de I Thés. 4,12-17, où il est question d e »dormants« (nolo vos ignorare de dormientibus ...).
68
Martin Heinzelman n
C'est donc pour illustrer un sujet théologique de grande actualité et d'un intérêt incontestable que Grégoire a repris son écriture-traduction d e la Passion des sept Dor mants. Il a façonné l a réécriture dan s l a seule perspective de la portée idéologiqu e d u
texte, et non, comme on pourrait le croire, en fonction d'une présentation de saints qui,
eux, ne sont que les porteurs d'u n messag e de la plus haute importance pour l a société entière.
CONCLUSIONS
Les enseignements que nous pouvons retenir des analyses précédentes sont multiples.
De prim e abord , nou s somme s e n éta t d'admettr e qu e Grégoir e étai t pleinemen t
conscient du phénomène d e la réécriture e t de son importance pour ses desseins littéraires. Il l'a exprim é dan s so n testamen t spiritue l e n exécran t solennellemen t tout e
fracture d e l'unit é d e so n oeuvr e qu i compren d di x livre s d'histoir e e t di x autre s d e
contenu hagiographique . Mais par la même occasion, il a lancé une invitation à versifier cette œuvre, admettant de la sorte une réécriture qui était forcément partielle. Cette démarche laiss e présumer que , dans la perspective de l'évêque d e Tours, la relation
de ces versifications futures ave c l'œuvre de base devait être maintenue: le dialogisme194
permanent qui en résulte nous paraît être le propre de toute réécriture et, a fortiori, d e
toute réécriture hagiographique .
L'illustration type de ce dialogisme se présente dans le recueil grégorien des miracles
de saint Martin (voi r chap. I) où, par des allusions et des citations, l'auteur entretien t
une référence constante , d'une part, à la Vie du sain t par Sulpice Sévère, le sacer liber,
et, d'autre part, à la série des miracles du Christ narrés dans les Évangiles. Compte te nu d e l'idéologi e chrétienn e qu i renvoi e obligatoiremen t tou t miracl e à une origin e
christique, les miracles évangélique s apparaissen t nécessairemen t comm e l'hypotext e
de tout miracl e e t de tous le s recueils d e miracle, et le Christ-Logos, Verbum Dei y s e
révèle être le seul auteur possible d'hypotexte e n matière de miracles. Ostensiblement ,
théorie et pratique littéraires du Tourangeau s e montrent indissociables d'une idéologie ecclésiale patristique dont elle s sont tributaires 195.
Le dialogisme dont nous venons de parler, au delà du recueil sur saint Martin, s'est
également révélé comme principe fondamental des livres grégoriens sur les miracles des
194 La notion de >dialogisme< a été mise en évidence par M. Bakhtine (Esthétique et théorie du roman, 1978);
voir RABAU, L'intertextualité (voir n. 130) p. 75sv . et p. 233sv . (s.v. dialogisme), d'après laquelle »les théoriciens de l'intertextualité ont surtout retenu la possibilité de penser le rapport du texte littéraire à la société dans les termes d'u n dialogu e v e r b a l. . . « . - Dans l e cas précis d e Pécriture hagiographique , c'es t
surtout le rapport constant du texte à la »société des saints«, autrement dit à Vecclesia, qui est en jeu, une
>Église< qui à l'époque d e Grégoire présente le modèle de toute société pensable.
195 C'est ce que Christiane Veyrard-Cosme, pour une période postérieure, appelle la »pensée typologique«,
voir EAD. , Typologie et hagiographie en prose carolingienne: mode de pensée et réécriture. Étude de la
Vita Willibrordi, de la Vita Vedasti et de la Vita Richarii d'Alcuin, dans: Écritures et modes de pensée au
Moyen Ag e (VIII e -XV e siècles) , dir. Dominique BOUTE T e t Laurenc e HARF-LANCNER , Pari s 1993,
p.157-186.
La réécriture hagiographique dan s Pœuvre de Grégoire de Tours
69
martyrs et des confesseurs (chap . II). Dans ces collections importantes, Grégoire a établi le dialogue permanent entre l'évocation des miracles opérés par les saints respectif s
à l'époque d e leur passage terrestre, et la description plus circonstanciée de s miracle s
posthumes survenus à proximité des tombes de ces saints à une époque contemporai ne de Grégoire. Le but évident de cette représentation de s deux strates d'action mira culeuse est l'illustration d e l'activité ininterrompu e d e l'Église, où l'accent es t cepen dant clairement mi s sur les manifestations contemporaines . L'expression, peut-être la
plus frappante, du dialogisme hautement conforme aux desseins de notre auteur se manifeste dan s quelque s ca s de coprésenc e qu i réunissent , dan s un mêm e récit , l'hypo texte en vers et l'hypertexte e n prose (chap. II).
Dans le contexte de ses auto-réécritures Grégoir e a aménagé encore une autre for me de dialogisme, avec le dialogue implicite entr e hypo- et hypertexte (chap . III). En
proposant deux versions d'un mêm e épisode à contenu hagiologique dans son œuvre,
et en renvoyant, dan s l'hypertexte , à son modèle, il attire par là même l'attention su r
les divergences entr e le s deux textes . Dans l e cas du réci t su r le s deux amants , il me t
ainsi en lumière, de manière indirecte il est vrai, l'amplification considérabl e d e sa réécriture par l'introduction massive de discours dont la valeur exégétique est encore mise en évidence par un e apparente transtylisation 196. E n c e qui concern e l'exempl e d u
récit su r le s sep t Dormants , l a comparaiso n délibéré e - proposée indirectemen t pa r
l'auteur - de la réécriture avec son modèle, amène à identifier nettemen t la focalisation
sur un message théologique d'actualité; les moyens de la transformation d e Phypotexte sont essentiellement l'agencemen t de s discours e t la concentration d u réci t par un e
réduction importante des acteurs protagonistes. Il est sans doute aussi notable que Grégoire s'interdise d'emprunte r de s passages entier s d e Phypotexte d e sa propre plum e
en n'en reprenant qu'un certai n nombre de mots-clé.
Le maniement sélectif de s discours directs et l'introduction d'un e logiqu e hagiologique (»causalité hagiologique«)197 dans les événements narrés sont les données les plus
évidentes d e la réécriture hagiographiqu e grégorienne ; cett e logique hagiologiqu e s e
manifeste par une représentation des faits et de leur corrélation chronologique sous une
lumière didactique , e t elle implique l e façonnement de s personnages-clé - surtout l e
saint, so n protégé , e t so n adversair e - dont l e stéréotype apparaî t plu s accentu é qu e
dans le texte-modèle.
Toutefois il faut dire que, mise à part l'amplification d u récit des deux amants, la majorité des réécritures grégorienne s correspon d à des concisions (o u condensations) 198,
196 Ici, il s'agit d'un passag e du styl e humble dan s Phypotexte à un styl e noble ou recherch é de s discour s
ajoutés dan s Phypertexte; pour >transtylisation< , voir Gérard GENETTE , Palimpsestes . La littérature a u
second degré , Seuil, 1982, p. 315sv., et Monique GOULLET , dans ce volume, p. 119sv.
197 En term e d'intertextualité, la »causalité hagiologique « (voi r plu s hau t avec n. 156) correspond à »un e
transformation pragmatique , ou modification d u cours même de Paction, et de son support instrumen tal... elle est auss i un aspec t facultati f d e l a transformation sémantique« , voir GENETT E (voi r n . 196)
p. 442.
198 GENETTE (voir n. 196) p. 332, »la concision, qui se donne pour règl e d'abréger u n text e sans en supprimer aucune partie thématique significative, mais en le récrivant dans un style plus concis«, tandis que le
produit d e l a condensation es t plutôt l'abrégé , l e résumé o u l e sommaire (ibid., p. 341). - Le princip e
d'une concisio n important e es t celui de la réécriture de s miracles de Papôtre Andr é par Grégoire , voir
De miraculis beati Andreae apostoli, éd. Max BONNET, SRM1-2, p. 376-396 que nous n'avons pas trai-
70
Martin Heinzelman n
ce qui favorise évidemmen t l'évolutio n ver s l e stéréotype. Dan s l'œuvr e d u Touran geau, il y a une seule amplification important e qu e nous n'avons pourtant pa s traitée:
sa réécriture de la Vie de saint Nizier dans l'une des biographies du recueil De vitapatrum199. Grégoir e y fait savoir qu'il est déjà en possession d'un libellus sur la vie de son
grand-oncle dont il ne connaît cependant pas l'auteur, e t où l'on trouv e »beaucoup d e
miracles, mais qui ne développe pas suffisamment l'origine , la vie de saint, et toute la
série des miracles« 200. D'où l a nouvelle version qu'il propose, où i l supplée effective ment les déficiences don t i l avait fait éta t auparavant, tou t e n maintenant l a référenc e
à la première Vie 201.
En résum é nou s retiendron s encor e que , malgr é un e fidélit é généralemen t asse z
grande des réécritures d e Grégoire d e Tours à leur hypotexte respectif, il n'y a aucun
élément de ce dernier qui ne soit susceptible de subir une transformation sou s la plume de Grégoir e quan d l e but didactiqu e d e l'évêque l'exige . Il n'y a donc pas lieu d e
distinguer fondamentalemen t entr e ornatus e t materia a u sen s d e la rhétorique clas sique qu e Felix Thürlemann prend encor e comm e critèr e de s changement s d e l a réécriture grégorienne 202. Il faut plutôt insister sur le changement - caractéristique de la
littérature patristique - de la signification d e materia: au-del à de la matière, physique
ou mentale, c'est l'incarnatio n d u Verbe qui devient la seule véritable matière de toute
littérature chrétienne et, a fortiori, hagiographique 203. L'édification d e l'Église, c'est-à dire de la société chrétienne, passe par l'action du verbe, mais au-delà de la seule intelligence littéraire.
tée faute d'hypotexte e n latin; voir ibid., prologue (p. 377), Nam repperi librum de virtutibus sanctiAndreae apostoli, quipropter nimiam verbositatem a nonnullis apocrifus dicebatur; de quoplacuit, ut, retractis enucleatisque tantum virtutibus, praetermissis his quae fastidium generabant, uno tantumparvo
volumine admiranda miracula clauderentur ... quia inviolatam fidem non exegit multitudo verbositatis, sed integritas rationis etpuritas mentis. - Pour le s questions d e ce recueil de miracles et de ses hypotextes éventuels , voir Jean-Marc PRIEUR , Acte s d e l'apôtre André , Brepols, 1995 (avec une traduc tion française, p. 67-125); Jan N . BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Andrew, Peeters, 2000; Lieuwe VA N KAMPEN, Act a Andrea e and Gregory' s d e Miraculi s Andreae , dans : Vigiliae Christiana e 45
(1991) S. 18-26, et, dernièrement, la thèse de l'École nationale des Chartes de Charlotte DENOËL , Cul te et iconographie d e saint André e n France (V e -XV e siècle), résumée dans: Positions des Thèses 2001,
p. 41sv .
199 VP VIII, SRM 1-2, p. 240-252; la première Vie, composée du temps du deuxième successeur de Nizier ,
l'évêque Aetherius, est publiée par Bruno KRUSCH , SRM III, p. 521-524. Saint Nizier, en dehors des Histoires, est encore représenté dan s GC 60, où sont racontés des miracles de 590 auxquels VP VIII 6 fait
aussi allusion. Pour Nizier (f 573) et Grégoire, voir HEINZELMANN , Gregor (voir n. 2) p. 20 et passim.
200 VP VIII prologue, SRM 1-2, p. 241, De cuius vita retenetur quidem exinde libellus nobiscum, nescio quo
conpositus, qui mutas quidem virtutes eius pandit, non tarnen vel exordium nativitatis conversionisque
eius velseriem virtutum déclarât ad liquidum. Grégoire propose ensuite le récit de ces miracles quae ad
priorem auctorem non pervenerunt.
201 Dans la perspective du dialogue que Grégoire prête régulièrement à la relation de l'hypo- à l'hypertexte, l e dernier miracle de sa réécriture acquiert une importance tout e particulière (VP VIII12, SRM 1-2,
p. 251 sv.): c'es t le livre de la première Vie de saint Nizier qui, physiquement, est à l'origine d'un miracle .
Grégoire note:... unum adhuc admirandum de libro vitae eius, quem supra a quodam scriptum praefati sumus, memorabo miraculum, de quo virtus divina procedens ...
202 Voir plus haut, p. 51sv. avec n. 145.
203 Voir plus haut, p. 35sv. avec n. 77sv., et HEINZELMANN , Funktion des Wunders (voir n. 31).
CHRISTIANE VEYRARD-COSME
Alcuin et la réécriture hagiographique :
d'un programm e avou é à'emendatio à son actualisatio n
À qui veut étudier les modalités e t les enjeux d e la réécriture hagiographique, les Vita
Vedasti et Vita Richarii, composée s pa r Alcuin vers 800-801, offrent u n cham p d'in vestigation de tout premier plan, en ce qu'elles s'accompagnent no n seulement de leurs
épîtres dédicatoires mai s encore des textes de base dont Alcuin se servit.
Nous aimerion s tou t d'abor d étudie r le s modalités d'actualisation , dan s l'écritur e
alcuinienne, du programme d'emendatio qu e nous livrent les lettres de dédicace, avant
de relever les liens qui s'établissent entr e réécriture et idéologie et de signaler, enfin, les
mutations littéraire s qu'entraîne la réécriture hagiographique 1.
1. D U P R O G R A M M E À L ' A C T U A L I S A T I O N
Dans sa rédaction de la Vita Vedasti, solitaire établi près de Tours, conseiller spiritue l
de Clovis après sa rencontre avec ce dernier, évêque d'Arras et de Cambrai, Alcuin dispose d'un text e de base, ou hypotexte, une Vita Vedasti écrite par Jonas de Bobbio a u
VIIe siècle 2; pour l a Vita Richarii, don t le protagoniste es t fils de paysans de la région
d'Abbeville e t fondateur d e Centula , Alcui n s e sert d'u n libellus anonyme , conserv é
au monastère de Saint-Riquier 3.
1.1. Etude des épîtres dédicatoires
Les lettres de dédicace des Vitae écrite s par Alcuin s e présentent, su r un plan stricte ment littéraire, comme des hors-textes: de fait, la prise en compte des données inscrites
dans ces lettres, qui sont tout à la fois dédicace s e t préfaces, atten d d u lecteur une ad hésion nécessairement critique, puisque la lettre ne peut être assimilée à la Vita réécrite qu'elle présente e t que l'éclairage apport é demeur e réduit, quand i l ne va d'ailleur s
1
Nous tenons à remercier ici Monique Goulle t pour sa relecture minutieuse et ses suggestions et Martin
Heinzelmann pour son précieux soutien .
2 Cf. MGH , SRM III, 1896, p. 406-413, éd. Bruno KRUSCH .
3
Cf . MGH , SR M VII, 1920, p. 444-453, éd. B. KRUSCH. Cf . auss i B. KRUSCH, Die älteste Vita Richarii ,
in: Neues Archi v 29 (1904) p. 24; pour d e plus amples détails cf . I Deug-Su, Uoper a agiografic a d i Alcuino, Spoleto, Centro italiano di studi sulPalto medioevo, 1983, en particulier p. 115-125.
72
Christiane Veyrard-Cosm e
pas jusqu'à induir e e n erreur so n lectorat. Pactes à la fois d'écritur e e t de lecture, ces
lettres avancen t don c un narrateur-auteu r qu i explicite la motivation d e son écriture ,
définit se s objectifs et , en parlant d'emendatio, orient e le lecteur ou le destinataire vers
une réception particulière de ses œuvres.
Nous e n voulons pou r preuv e l a lettre d'Alcui n adressé e à Radon de Saint-Vaast :
tout en s'affranchissant trè s rapidement de son rôle de dédicace pour endosser celui de
Regula ou de Liberpastoralis, ell e signale cependant, en ouverture, le travail opéré sur
l'hypotexte e n de s terme s qu i inscriven t l e résultat escompt é dan s le s domaine s lin guistique et stylistique:
»Dilectionis uestra e uenerabil e secutu s praeceptum , uita m sanct i Vedasti , patri s uestr i e t
intercessoris nostri , emendar e studui : no n quo d aliqui d illiu s excellentissimi s meriti s dignu m
dîcere ualuissem , se d quo d nihil tuae reuerentia e iussi s denegar e ratu m putaui . Idcirc o a d t e
maxime pertinet haru m laus ue l uituperatio litterarum . Utina m tibi et fratribus, qualescumqu e
sint, placeant« 4.
Dans l a lettre 306 qui accompagn e l a Vita Richarii, Alcui n relèv e également l a question stylistique en ces termes 5:
»(...) orauerat meam paruitatem uir magnus in Christo domnus et uenerabilis abbas Angilbertus,
quo in laude m conditoris , qu i mirabili s sempe r appare t i n electi s suis , quenda m libellu m stil o
simpliciori digestum de uita sanctissimi ac uere magnifici confessons Richarii cultius adnotarem«.
Et, dans la même lettre, c'est a u nom d e normes linguistiques encor e qu'il mentionn e
un recueil de miracles en la possession du monastère 6:
»Cuius simplex et minus polita locutio quia fratribus a d recitandum in populo aptio r uidebatur ,
sufficere sib i eandem descriptionem consenserunt« .
Certaines indication s d e cett e lettr e nou s donnen t enfi n d'observe r e n quelqu e sor te«l'hagiographe e n son atelier« 7:
»Hinc eg o uocat o notario , e t fix o pra e oculi s ia m dict o libello , e a qua e referr e uidebatu r d e
conuersatione, d e moribus , d e continentia , e t sanctitat e uer e incomparabili , necno n d e
gloriosissimo transit u eiu s a d Christum, seu d e relation e pretios i corporis in locu m priorem ,
dictatu admodu m compendioso , titulo uitae beatissimi patris Richarii aptauimus« .
Or, si la réécriture avanc e comme motivation explicit e Vemendatio, ell e doit son existence à une finalité liturgique, inscrite toutefois indirectement . Il convient, pour la déceler, d'interroge r le s texte s d'Alcui n qu i relèven t d u domain e liturgiqu e d e l'hagio graphie. Dans l'homélie dédiée à Vaast, Alcuin évoque l'usage de la Vita Vedasti en ces
termes8: Audiuimus itaque, cum Deo dilecti sacerdotis Vita legeretur, quantam in omni bonitate habuit devotionem. O r ce renseignement d'ordre paratextuel se trouve corroboré par les textes eux-mêmes: sur ce point d'ailleurs , nos remarques n e font guèr e
4
Ep. 74, à Radon de Saint-Vaast, MGH, Epîstolae 4, Epistolae karolini aeui II, éd. Ernst DÜMMLER, 1895,
p. 115-117, ici p. 116.
5 Ibid . p. 465-466, ici p. 465.
6 Ibid . p. 466.
7 Ibid .
8
Cf. MIGN E P L 101, col.
679.
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
73
que s'inscrire dan s la droite ligne des recherches inaugurées par M. Van Uytfanghe e t
K. Heene 9 .
La fréquence de s termes illustran t le s champs sémantique s d e la lecture et de l'audition, les nombreuses occurrence s d e commentaires qu e la narratologie nomm e mé tatextuels, l'insertion, dan s l e récit d e l a Vita, d e personnages-types représentan t le s
destinataires immédiats , dénoten t l a fonctio n liturgiqu e de s Vitae alcuinienne s ré écrites.
Le chapitre 18 de la Vita Ricbarii en est une illustration: l'ouverture se fait sur l'apostrophe fratres carissimi, alors même que la clôture d e la séquence offr e un e nette am plification sou s form e d'énumération : fratres carissimi et sanctissimi patres etfilii iocundissimi et totius sanctae congregationis populus qui ad tanti patroni festa conuenistis. O n noter a dans le dernier group e la présence de l'adjectif totius, qu e la stylistiqu e
appelle pantonyme lexical de clôture, qui ouvre en fait l'éventail des destinataires possibles, e n engloban t destinataire s premier s e t destinataire s éventuels 10. Ce s preuve s
viennent ains i s'ajouter a u recours fréquent à la prose d'art, à l'insertion d'un e doxo logie, comme on le voit à la fin du chapitre 18 de la Vita Richarii.
La notio n mêm e d'emendatio a longtemp s nu i à l'imag e de s Vitae d'Alcuin . A .
Kleinclausz11 l'évoqu e pour s a part e n l'identifiant à la question d e l'originalité: »Pa s
davantage ce ne sont des œuvres originales : la vie de saint Waast n'est qu e le texte retouché d'une Vie plus ancienne écrite vers 642 (...) La Vie de saint Riquier présent e un
caractère identique (...)«.
A lire M. Banniard, Yemendatio a une double incidence, car elle élague l'hypotext e
tout e n réduisan t l a porté e d e l'hypertexte : »So n travai l es t presqu e exclusivemen t
grammatical e t stylistique : i l ramène l e text e à des norme s correcte s e t l'enjoliv e d e
quelques élégances« 12.
Seul I Deug-Su, auteur d'articles e t d'un ouvrag e sur Y opéraagiografica diAlcuino,
témoigne de la volonté de montrer que le travail d'Alcuin prend tout son sens dans une
démarche idéologique 13.
Les jugements émi s sur l a réécriture d'Alcui n nou s renvoien t don c ains i de prim e
abord à une interrogation plus large que pose en fait a u lecteur toute lettre de dédica-
9
10
11
12
13
Cf. Mar c VAN UYTFANGHE , Uhagiograph e e t son public à Pépoque mérovingienne , in: Studia Patristi ca 16 (1985) p. 54-62; Katherine HEENE , Merovingia n an d Carolingia n Hagiography . Continuit y o r
Change in Public and Aims?, in: AnalBoll 107 (1989) p. 415-28.
Vita Richarii auct . Alcuino, 18, éd. B. KRUSCH, MGH , SR M IV, 1902, p. 400-401: »Intellegite, fratre s
carissimi, qu i paupe r uolui t esse pro Christo , quales mod o habet diuitias cum Christ o et qu i appéti t
contemptibilis esse inter homines, quam gloriosus nunc régnât inter angelos et honorem que m fugit i n
terris nunc possidet i n caelis. Quapropter dignu m est , ut ab omnibus honorificetur , qu i omnium Dominum semper amabat, propensius tarnen a nobis qui eius corpori cotidie adsistimus, quatenus quos filios genuit in doctrinis dignos possideat heredes in meritis. Nee illi tantum nostra prodest laudatio, quantum nobis eius imitatio. Magis illi placet imitator deuotus quam laudator otiosus. Unde, fratres carissi mi et sanctissimi patres et filii iocundissimi et totius sanctae congregationis populus qui ad tanti patroni
festa conuenistis , dignos uo s facite , ut Deu s omnipoten s per eius intercessiones uestra s exaudia t ora tiones«.
Cf. Arthu r KLEINCLAUSZ , Alcuin, in: Annales de PUniversité de Lyon, 3 ème série, 15 (1948) p. 222.
Cf. Miche l BANNIARD , Genèse culturelle de l'Europe (V ème -VIII ème siècles), Paris 1989, p. 174.
Cf. I Deug-Su (voir n. 3).
74
Christiane Veyrard-Cosm e
ce: l a lettre-préface, qu i est ce que la recherche sur la pragmatique du discours littéraire nomme un contrat et se trouve, en tant que discours, soumise aux lois qui régissent
les actes de communication, respecte-t-elle les principes qui doivent gouverner ces derniers - sincérité, information, inscriptio n dans un genre 14?
1.2. Réécriture et stylistique
La réécriture d'Alcuin , dépassan t l a simple mis e aux normes classicisantes , prend le s
apparences d'un lati n le plus souvent rimé et rythmé, ciselé jusque dans le détail; nous
avons déjà eu l'occasion de souligner ailleurs la tendance alcuinienne à privilégier, tant
au niveau d'une phrase qu'à celu i d'un paragraphe , schèmes e t tropes e t ce goût pou r
la figure s i insulaire d e l'entrelacs, cett e géométri e de s mots, déjà for t prisée , d'aprè s
Alcuin, d e Pévangéliste Jean e t relevée à maintes reprise s par l'auteu r de s Vitae dan s
son Expositio in Iohannis Euangelium 15.
Une étud e synoptiqu e d u chapitr e 6 du Libellus, hypotext e d e l&Vita Richarii al cuinienne, et du chapitre 11 de l'hypertexte offr e un e approche des procédés auxquel s
l'auteur a recours et des modalités de la mise en récit; les extraits proviennent d u mo nologue au style indirect prêté au saint qui s'adresse au roi Dagobert, amplification no table de la seule phrase au style indirect - contrastée e n italiques - en Libellus, 6 16.
Libellus^ 6:
Vita Richarii d'Alcuin , 11 :
Eo tempore Centulo uico , quem postea suus
Nam quoda m tempore rex potentissimu s
meritus condidi t cenubio , Dagobertu s re x illi c Dagobertu s rogant e uir o illustr i Ghislemar o ea s
aduenerat; quam inluster Ghislemaru s a d domu m deueni t i n parte s e t uiru m De i uisitan s u t seipsu m
suam ducebat. Orationem a seruo Dei postulauit; ad sacrosancti s eiu s orationibu s commendaret . Quem
orationem peracta , miru m mod o seruu s De i ips o ips e famulu s De i utrumqu e e t sanctitati s sua e
régi si c castigauit , sicu t e t reliqu o homine ; si c e i benediction e roboraui t e t sacerdotal i auctoritat e
adnuntiauit ut omnino tam superbus, tam elatus non libér a uoc e castigauit , denuntians ei ne in saeculari
esset; nec bland a uerb a ne c molli a adulation e e i superbiret
potentia, ne in fugitiuis speraret diuitiis,
exibuit. ne
uanis adolantium extolleretur rumoribus, ne
caducis gauderet honoribus sed magis Dei timeret
potentiam illiusque immensam laudaret gloriam et
14 Cf. su r ce s points, Dominique MAINGUENEAU , Pragmatiqu e pou r l e discours littéraire , Paris, Bordas,
1990, p. 101-120.
15 Cf. MIGN E PL 100, col. 665-722. Cf. aussi Pétude stylistique dans: Christiane VEYRARD-COSME, L'œuvr e
hagiographique e n prose d'Alcuin. Edition , traduction, étude s narratologiques, ouvrage né de la thèse
de doctora t souten u e n 1992 à la Sorbonne Nouvelle, sou s l a direction d u Professeu r Ren é Martin, à
paraître dans la série >Per Verba< aux Edizioni dei Galluzzo, Florence.
16 Voici une traduction d u monologu e d e Riquier, que nous avon s contrasté e n italiques: »il lui ordonn a
de ne pas s'enorgueillir d e sa puissance dan s le siècle, de ne pas se laisser transporter pa r les vains propos de vils courtisans e t de ne pas mettre sa joie dans des honneurs qu i s'évanouiraient. I l ferait mieu x
de craindre la puissance de Dieu e t louer son immense gloire. La puissance o u la gloire de l'homme n e
devaient avoir aucune valeur à ses yeux; elles s'éloignent e t comme l'ombre volage, comme l'écume su r
les eaux, s'évanouissent a u souffle d u vent de la tentation! Il ferait mieu x de méditer dans la crainte ces
paroles: >Les puissants subissent de puissants tourments< et >plus vous recevez, plus l'on exig e de vous<.
Lui qui avait à peine de quoi rendre personnellement compt e à Dieu a u Jour du Jugement, que ferait-i l
pour tan t d e milliers d'hommes forman t l e peuple qu i lu i avait ét é confié? I l y avait plus d e dangers à
gouverner un peuple qu'à obéir. Lorsqu'on obéissait, on rendait compte à Dieu de ses seules actions personnelles mai s lorsqu'on dirigeait , o n étai t appel é à rendre de s comptes pou r le s actions d e tous ceu x
qui se trouvaient e n son pouvoir«.
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
75
humanam potentiam uel gloriam nullam putaret
quae subito uelut uolatilis umbra recedit et uelut
uento temptationis flaute
spuma super aquam
euanescit et hoc magis timendo cogitaret quia
potentes potenter tormenta patiuntur et cui plus
datur plus exigetur ab eo. Et cui uix sufficit pro se
solo rationem reddere Deo in die iudicii y quomodo
supportare poterit rationem reddere pro tantis
milibus populi sibi
commissi? Idcirco quisque
magis timere potest praeesse quam subesse quia
qui subest pro se solo rationem reddet Deo; qui
autem praeest pro omnibus redditurus erit qui sub
eius sunt potestate constitua.
Comme le montrent les exemples qui vont suivre, formés d e petites unités du texte, la
prose d'Alcui n jou e su r de s procédés ignorés , dans leu r systématisation , pa r Phypo texte, comme les groupements binaires , parallélisme synonymique, ou constructions ,
comme le chiasme, qui participent des parallélismes antithétiques; rimes et assonances
dessinent, dans le texte suivant, Quem (-regem) ipse famulus Dei utrumque et sanctitatis suae benedictione roborauit et sacerdotali auctoritate libéra uoce castigauit, le s
méandres d'une écritur e serpentine :
sanctitatis
roborauit
sacerdotali
castigauit
suae
benedictione
auctoritate
uoce.
Au rejet systématiqu e du sujet e n hyperbate:
»(Richarius) denuntian s e i n e i n saecular i superbire t potentia , n e i n fugitiui s sperare t diuitiis ,
ne uanis adolantium extolleretu r rumoribus, ne caducis gauderet honoribus «
répondent le s parallélismes d e l'extrait suivant , porteurs d'u n chiasm e qui met en valeur le terme gloria:
»sed magis Dei timeret potentiam illiusqu e immensa m laudare t gloria m e t humanam potentia m
uel gloriam nullam putaret«.
Dei potentiam
immensam ... gloriam
humanam potentiam
uel gloriam nullam .
Tout es t fait pou r mettr e e n valeur l a thématique d'inspiratio n bénédictin e d u rationem reddere; un autr e extrait présente un système dont l e rythme es t presque isosyl labique: Quia qui subest pro se solo rationem reddet Deo; qui autem praeest pro omnibus redditurus erit.
76
Christiane Veyrard-Cosm e
Les effets d e variation reposent su r des jeux sonores: la répétition qu i scande l'ou verture des phrases s'accompagne d e paronomase {quia /qui autem ave c paronomas e
et pro). La variation affectan t le s verbes repos e su r l a substitution de s préfixes (subest/praeest) e t l'utilisatio n d u polyptote (reddet / redditurus erit). Le s figure s d e
construction mettent en avant celle de l'hyperbate, à même de mettre en relief Deo, tan dis que l'antithèse pro se solo I pro omnibus renvoi e le lecteur à l'enjeu d e toute charg e
ministérielle.
L'exemple ci-dessous offre , lui , un parallélisme progressif:
»Et cui uix sufficit pro se solo rationem reddere De o in die iudiciî, quomodo supportar e poteri t
rationem reddere pro tantis milibus populi sibi commissi?«
La structure rythmique met encore Dieu e n exergue:
Et cui uix sufficit (6)
pro se solo rationem reddere (10)
Deo in die iudicii (8)
quomodo supportare poterit (10)
rationem reddere (6)
pro tantis milibus (6)
populi sibi commissi (6).
Dans une phrase en expansion, le groupe Deo in die iudicii doit sa mise en relief au jeu
sur les profils sonores, comme l'allitération et , plus encore, la paronomase (Deo I die).
Ainsi les potentes trouvent, inscrit e au cœur de s phrases, la portée eschatologiqu e d e
leurs faits e t gestes.
L'hypotexte, dans ce cas précis, offre à l'hagiographe une trame événementielle minimale, fortement condensé e dan s l'hypertexte. \Jemendatio linguistique , si présente
soit-elle, n'en ser t pas moin s une inflexio n idéologique , propre a u narrateur d u text e
réécrit, définie pa r l'attente de s Temps derniers.
2. R É É C R I T U R E E T I D É O L O G I E
2.1. Vita Richarii et dédicataire(s)
Destinées à des publics monastiques, les Vitae sont aussi des ouvrages qui s'adressen t
à un public plus large , celui que forment le s puissants d u mond e carolingien . L a Vita
Richarii offr e mêm e la particularité d'être accompagné e d'une épîtr e dédicatoire don t
le destinataire n'es t plus so n commanditaire initial , Angilbert, abb é de Saint-Riquier ,
mais le souverain franc 17:
17 Cf. l'Introduction , in : VEYRARD-COSME (voi r n. 15).
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
»DOMINO SEMPE
R VENERABIL
I
SEMPERQUE DESIDERABILI , PIISSIM O
SANCTAE ECCLESIA E TUTORI , GRATI A
DEI SEMPER AUGUSTO KAROLO , VESTRAE
SALUTIS PERPES AMICUS ALBINUS .
Remorante uestrae excellentiae pietate in loco sancto et merito uenerabili Centulo, cum et ego, uestrae
gloriae seruus , uestrae pietati s uestigia ibidem prosecutus, aliquantisper commorarer , orauera t mea m
paruitatem uir magnu s in Christo domnus e t uenerabilis abbas Angilbertus, quo in laudem conditoris,
qui mirabilis semper apparet in electis suis, quendam
libellum stilo simpliciori digestum de uita sanctissimi ac uere magnifici confesson s Richari i cultius adnotarem. (...) Dumque i n hîs, quae rogabant, prae notandis ia m iamqu e animo s applicarem , repent e
uestrae pietatis nunti o su m conuentus , ut i ea , qua e
tractabam, sic notarem, sicut reuera uestre sapientiae
auribus inferenda .
(...) et nisi propria decipio r inperitia, veluti preciosum obrizu m vestra e prudentissimae sapientiae , a d
ornandum diadem a Christiana e philosophiae , fid e
humili devotissim e commenda m E t qui a i n uestr i
pectoris cubili gloria m Christi, et sanctoru m eiu s
honorem regnare cognoscimus, hanc nostri tam beati opusculi praefationem uestra e in Domino beata e
honorificentiae dedicamus« .
77
»AU SEIGNEUR TOUJOURS VENERABLE E T
TOUJOURS DESIRABLE , TRE S PIEU X PRO TECTEUR D E L A SAINT E EGLISE , PA R L A
GRACE D E DIE U TOUJOUR S AUGUSTE , A
CHARLES, ALCUIN , A JAMAIS AMI D E VO TRE SALUT .
Votre pieuse excellence séjournait à Centule, monastère à juste titre saint et vénérable, et, pour ma part,
moi qui suis le serviteur de votre gloire, j'avais marché su r vo s trace s e t m' y trouvai s aussi , quan d l e
vénérable abbé Angilbert, un gran d homm e dans le
Christ, pri a m a modest e personn e d'annote r e t
d'embellir un libellus au style fort simple présentant
la vie d u trè s sain t e t trè s remarquabl e Confesseu r
Riquier, pour l a louange du Créateu r qu i se montre
toujours admirable en ses élus. (...) Et j'étais en train
de noter leur s demandes quan d je vis soudain veni r
à moi un messager de votre piété, me demandant d e
consigner tou s les éléments susceptible s d'êtr e rapportés au x oreille s d e votre sagess e parmi ceu x qu e
j'exposais.
(...) Et s i mo n ignoranc e personnell e n e m'abus e
point, je recommande avec foi et humilité cet ouvrage à votre sagesse très avisée: ornez-en, comme d'u n
or précieux, le diadème de la foi chrétienne. Et comme la gloire du Christ , le respect d e ses saints, nous
le savons , vou s habiten t e t régnen t à demeur e e n
votre coeur , c'es t à votr e grandeur , bienheureus e
dans l e Christ , qu e nou s dédion s l a préface d e ce t
opuscule si saint«.
Ce changement d e dédicataire n'a rien d'étonnant che z un auteur soucieux avant tou t
d'amener se s contemporains , dignitaire s d e l'Eglis e o u puissant s d e c e monde , à
prendre conscience des devoirs inhérents à leur charge, conçue comme ministère . L e
message essentiel de son œuvre tou t entièr e es t pour ains i dire exprimé dan s le Liber
de Virtutibus et Vitiis qu'il rédige à l'intention d e Guy de Bretagne vers 799-800; parlant d u Royaum e de s Cieux , il affirme: »Ub i no n es t distinctio, quis esset in saecul o
laicus uel clericus, diues uel pauper, iunio r ue l senior , seruus uel dominus: sed unus quisque secundum meritum boni operis perpétua coronabitu r gloria« 18.
2.2. Thèmes et amplifications politiques
Les thèmes insérés dans la réécriture hagiographique alcuinienn e avancen t tout parti culièrement la figure du miles chrétien, fortement stylisé e d'après le modèle martinie n
en l'honneur duque l Alcuin avait composé un Scriptum datant de 800. Pour lui, Mar-
18 Cf. ep . 305, p. 465: »là, il n'y a pas de distinction pour savoir qui, dans le siècle, était laïc ou clerc, riche
ou pauvre, jeune ou vieux, esclave ou maître , mais chacun sera couronné de la gloire éternelle en fonc tion du mérite de ses bonnes œuvres« .
78
Christiane Veyrard-Cosm e
tin est un bellator fort d'armes spirituelles, à l'instar d'un Hilaire qualifié d'images grégoriennes comme la colonne et désigné par l'appellation Lucifer , dont la fréquence es t
une autre caractéristique de la poétique alcuinienne 19.
Ce thème donne dans l'œuvre d'Alcuin naissance à un réseau lexical important, dont
on relève la présence permanente dans la correspondance, pour définir notamment les
fonctions de s potentes et les compétences des évêques mais aussi le domaine de Char lemagne. Si Charlemagne est rector et defensor, le s détenteurs d e VaHCtoritaSydzns les
Lettres d'Alcuin , reçoiven t un e qualificatio n fonctionnell e tributair e d e cette théma tique20.
Les Vitae réécrite s développen t don c les notions attachée s à ce martinianisme mé taphorisé, en combinant de s données propres à Alcuin. Dans ce cas précis, l'hypotex te - miles Christi - affleure à la surface de l'hypertexte tou t en subissant une transmu tation: au contact des vocables et des thèmes de prédilection alcuiniens, le texte réécrit
modifie le s perspectives offerte s pa r le texte de base.
En regard du chapitre 8 de son hypotexte, qui porte la mention miles Christ^
»Cotidie tarnen in ieiuniis se confixit, pauimenti s ecclesia e prostratur, orationi s libament a miles
Christi cu m lacrimis Domin o consacrauit . Quantu m igni s amori s De i co r eiu s repleuerat ,
ualentius in Christ i amore anhelabat . Heremu m concupiui t e t uita m soletariam , u t quantu m
secretius, tanto liberalius Deum meditaret« .
Alcuin développe différents passage s que la narratologie nomme résumés ou sommaires
et camp e l e sain t e n deuotus Christi athleta, L a militia Christi décline dan s so n ca s
veilles et prières die noctuque 21:
»Mox ab initio conuersioni s sua e ta m dur a s e castigatione constrinxi t u t pos t longa et diuturn a
ieiunia pane se ordeacio cinere commixto et aqua lacrimis temperata fessum ieiunii s corpusculu m
19 Cf. Scriptum, MIGNE P L 101, col. 657-664, ici ch. 3: »Sanctus Martinus ut fortis athlet a Christi uiriliter
restitit, intrepidusque uera m sancta e Trinitatis fidem docebat . Sed inde Arianorum saeuiti a principu m
depulsus Gallicanas secessit in partes, uenerabilique Pictauiensis urbis antistiti Hilario iunctus, qui tune
temporis quasi firmissima fidei columna omnibus laudabilis exstitit: et quasi Lucifer in coelo stellis clarior caeteri s clarescit , ita ille sanctus uir in Ecclesia Christi, omnibus fama e magnitudine , e t sanctitat e
uitae, et doctrinarum ueritate sanctarum excellentior effulsit: cuiu s disciplinis se sanctus Martinus, post
relictum militiae cingulum, sociauit, ut tanti uiri eruditus exempli s Christianam fortio r processisse t a d
pugnam, fidei armatus galea, et lorica iustitiae accinctus, gladio uerbi Dei armatus, intrepidus contra omnia tela maligni bellator muniretur«. »Saint Martin, en vaillant athlète du Christ , opposa une résistanc e
énergique et , intrépide, enseign a l a vraie fo i e n l a sainte Trinité. Mais la cruaut é de s évêque s arien s l e
chassa de cette ville et il se retira e n pays gaulois; il rejoignit l e vénérable Hilaire , évêque de la ville de
Poitiers, un homme qui, à Pépoque, se dressait comme le plus solide pilier de la foi et dont tous faisaien t
Péloge; oui, à Pimage d e l'Etoil e d u mati n don t l a clart é surpass e e n écla t cell e des autre s étoiles , cet
illustre saint jetait des feux tout particuliers dans PEglise du Christ, qu'il devait à la haute considératio n
que tou s lu i marquaient, à la sainteté de sa vie et à la vérité de ses saints enseignements . Saint Martin ,
après avoir quitté la carrière militaire, s'associa à son enseignement, si bien qu'instruit par les exemples
que lui donnait u n s i haut personnage, il progressait dan s la vaillance au combat, armé du casqu e de la
foi, cein t de la cuirasse de justice, armé du glaive de la parole de Dieu e t qu'il était protégé, en intrépide
soldat, de tous les traits du Malin« .
20 Cf. notr e article : Réflexion politiqu e e t pratique d u pouvoir dan s l'œuvre d'Alcuin , in : Penser l e pouvoir au moyen âge (VIIIème -XV ème siècles). Etudes offertes à Françoise Autrand, Dominique BOUTE T et
Jacques VERGE R (sou s la dir. de), Éditions Ru e d'Ulm , Presse s d e l'Écol e normal e supérieure , 2000,
p. 401-425, ici p. 404-407.
21 Cf.VitaRicharii,3.
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
79
refocilauit e t huiu s cib i sustentacul o deuotus Christi atbleta uigiliis et orationibus die noctuque
Domino militabat, no n aerem uerberans sed corpus suum castigans, ne futurus Christi praedicator
in aliquo reprobus inueniretur «.
Le saint homme s'avance comm e le Martin du Scriptum en bellator 22:
»Galea saluti s indutu s e t gladi o uerb i De i accinctu s e t loric a iustitia e undiqu e circumdatu s e t
scuto fidei armatus calciatusque in praeparatione euangeli i pacis«.
Les thèmes présents dan s l a réécriture alcuinienn e d u chapitr e 3 du libellu$ y tout e n
montrant l'écart considérable entre hypotexte et hypertexte, signalent également l'insertion de thèmes ignorés du texte de base, comme ceux du castigator et du praeco ueritatis23. Le chapitre 11 de la Vita Richarii, qu e nous avons déjà eu l'occasion d'analy ser24, offre ains i un exemple typique de l'infléchissement e t de l'amplification d'u n modèle.
Libellus, 6:
Vita Richarii d'Alcuin , ch . 11 :
Eo tempore Centulo uico, quem postea suus meri- Na m quoda m tempore rex potentissimus Dagober tus condidit cenubio, Dagobertus rex illic aduenerat; tu s rogant e uir o illustr i Ghislemar o ea s deuenit i n
quam inluster Ghislemaru s a d domu m sua m duce - parte s et uirum Dei uisitans ut seipsum sacrosancti s
bat. Orationem a seruo Dei postulauit; ad orationem eiu s orationibus commendaret. Quem ipse famulu s
peracta, mirum modo seruus Dei ipso régi sic casti- De i utrumque et sanctitatis suae benedictione robogauit, sicut et reliquo homine; sic ei adnuntiauit Ht raui t e t sacerdotal i auctorîtat e libér a uoc e casti omnino tam superbus t tam elatus non esset; nec gauit , denuntians ei ne in saeculari superbiret poblanda uerba nec mollia adulatione ei exibuit. Sed tentia y ne in fugitiuis speraret diuitiis y ne uanis adorex ut uidit pro bona recepit et ad mensam suam se- lantium
extolleretur rumoribus y ne caduds gauderet
cum eum perduxit. Ibide m tota die et partemque honoribus
sed magis Dei timeret potentiam illiusque
noctis uerbum Dei admonuit, sicqu e eu m re x i n immensam
laudaret gloriam et hmmanampotentiam
amorem suscepit , u t censicul o a d luminaria m uel
gloriam nullam putaret quae subito uelut uolatifaciendum eide m ipsa die concessit. lis
umbra recedit et uelut spuma super aquam uento
temptationis fiante euanesdt et hoc magis timendo
cogitaret quia potentes potenter tormenta patiuntur
et cuiplus daturplus exigetur ab eo. Et cui uix sufficit pro se solo rationem reddere Deo in die iudidi t
22 Ibid . 9.
23 Lib. 3: »Nec olim in tempore cognitum sacerdotii sui populum quem predicabat, honorem illic prestabant: in alimonia quod ei largiebant, in pauperes ille impertibat; de crastino non cogitabat. Pauperes ref ocilabat, nudos operiebat, infirmos uisitabat, mortuos sepeliebat, leprosos balnea fieri precipiebat. Post
eorum ablutione ipse subsequens in eorum lauacrum ingrediebat, apud eo s sedebat, illos osculabat, ipsos reficiebat et cum ipsis panem uescebat et mire magnitudinis amorem suum in pauperes peregrinosque
et leprosos ponebat. Euangelica mandata in omnibus semper adimplebat, aegris medelam prebebat; infirmi, qu i ad eu m undique ueniebant, sanitatem tarn corporis qua m animae querebant ; Deo largiente ,
omnibus in omnia proderat«. Vita Richarii, 6: »Nec solum carnali refectione ad se uenientes fouebat se d
etiam spirital i solatio sancta e praedicationis reficer e no n cessauit . E t sicu t miseroru m idoneu s ubiqu e
fuit consolato r it a superborum duru s castigato r ess e non timuit . Hos pietatis dementia eleuabat, illo s
seuerae inuectionis censur a deprimebat . Ne c terrenae potestatis ira m fori s metuebat , quem timor in terius diuinae potentiae totum corroboraba t parui pendens diuitum minas ut praeco ueritatis existeret .
Nec fuit arund o uento agitata ut eum aura humanae laudis uel detractionis commoueret, sed in arce solidae ueritatis consistens, ab humano or e secundum apostolu m iudicar i contempsit, uia regia incedens
nec a dextris propter terrore s potentium ne c a sinistris propter blanditia s adolantium declinans . Qua propter magna m plebe m Domin o De o su o in hac praesenti prouincia adquisiui t e t sibi honorem perpetuum promeruit« .
24 Cf. Christiane VEYRARD-COSME, L a constitution de s figures royale s dan s l'œuvr e hagiographiqu e e n
prose à*Alcuin, in: Lalies 14 (1994) p. 263-289, ici p. 273-275.
80
Christiane Veyrard-Cosm e
quomodo supportare poterit rationem reddere pro
tantis milibus populi sibi commissi f Jdcirco quisque
magis timere potest praeesse quam subesse quia qui
subest pro se solo rationem reddet Deo; qui autem
praeestpro omnibus redditurus erit qui sub eius sunt
potestate constitua. Qua castigation e re x ut fui t sapientissimus benigne suscepta congaudens eius libéra ueritatis fiducia sacerdote m Christi secum ad conuiuia uenire rogauit. Qui, Christi confortatu s exemplo saeculariu m non respuentis conuiuia ut
praedicationis nancisceretur occasionem, uenit cu m
rege a d mensam sua m totaqu e di e illa et nocte in ter epulas laetitiae uerbi Dei dapes salutiferas conuiuis suis ministrauit. Cuiu s constanti a moru m e t
instantia praedicationis praefatu s re x delectatus est ,
coepit eum animo amare et honore prosequi, in tantum ut e a ipsa die aliquid de censu suo ad luminari a
domus De i e i condonaret, ratu m aestiman s ut sicu t
ille inuisibili praedicationis lumin e ab eo inlumina tus est , sie uisibili luc e per eu m domu s Domin i in lustraretur e t quod intu s ei fulgebat i n fide, hoc fo ris fulgesceret i n ecclesia, memor praeeepti domini ci qu o dicitur : »Si c lucea t lu x uestr a cora m
hominibus u t uidean t oper a uestr a bon a e t glorifi cent patrem uestrum qui in caelis est item in psalmo:
»In lumine tuo uidebimus lumen«, id es t in lumin e
fidei quod fulget in mente lumen foris scintillât quod
splendescit in opere.
Si la réécriture hagiographiqu e alcuinienn e traduit un e pensée politique soucieus e d e
la dimension ministériell e de s dirigeants , clercs o u laies , elle pose également , e n tan t
que discours littéraire, nombre de questions qui nous renvoient à la poétique de l'œu vre hagiographique .
3. R É É C R I T U R E E T M U T A T I O N S L I T T É R A I R E S
3.1. Hagiographie alcuinienne et changements d'hypotexte
Alors même que nous avons avec la Vita Vedasti de Jonas un hypotexte in praesentia y
la réécriture par Alcuin d e la Vita Vedasti offre u n ca s d'hypotexte in absentia: l'exa men de quelques exemples-ouvertur e de s récits, épisodes mettant e n présence le saint
personnage et un animal- dénote une étroite parenté, non point de la Vita Vedasti, mais
de la Vita Columhani de Jonas, avec la Vita Vedasti d'Alcuin, au niveau des termes, des
vocabulaires e t des microstructures .
La Vita Vedasti de Jonas 25 et le texte d'Alcuin 26 amorcen t en effet l e récit de manière fort différente , alor s même que le thème de lumière que porte le texte d'Alcuin - si25 Vita Vedasti, 1: »Dum sanctorum presolum gloria potissimo semper iure ac solerti indagatione uel imitando exempl o uel litterarum seria e memoriae es t conmendando, ut clar e prorsus luca e reddita a d su i
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
81
eut caelum fulgentibus ornatur stellis y quae tarnen omnes ab uno inlustrantur sole, sic
et lata terrarum spatia sanctis splendescerent doctoribus - s'inspire de s lignes par lesquelles Jonas commente un songe prémonitoire d e la mère de Colomban :
»Nec inmerit o sole m fulgente m su o e sinu mate r conspexit, qui n matris uniuersoru m ecclesia e
membra insta r Foeb i fulgor e micant , Domin o dicente : >Tun c iusti fulgebun t sicu t so l i n regn o
patris eorum< . Sic Debbora precanti s uoe e a d Deum , Spirit u Sanct o monente , oli m loquebatur ,
dicens: >Qui autem diligun t te , sicut so l in ort u su o splendet , it a rutilent<. Aetherea eteni m axi s
siderum distinctione flauescens , d e frequentia celebra e lucis speciosior est ; sicut diei lux, Phoebi
aucta splendore, mundo amoena refulget, ita corpus ecclesiae, cum conditoris ditata opibus, sanctorum augmentata numéro, e t scientia e religion e nitescit , u t e x frequenti a doctoru m pullulen t
lucra subsequentum. Et ut sol uel luna astraque omnia noctem diemque suo nitore nobilitant, it a
sanctorum mérita sacerdotum ecclesiae monumenta roborant« .
De même, les séquences narrative s d e la Vita Vedasti alcuinienne qui mettent e n présence saint et animaux suivent de près des épisodes comparables d e la Vita Columbani qui accordent un rôle de premier plan à un ours 27 et à un corbeau. Qu'il s'agisse d e
l'un o u d e l'autre, o n observ e e n ces lignes u n souc i identique d e relever l'admirabl e
puissance de Dieu qui donne à ses élus de se faire obéir des représentants les plus inattendus de la nature28: O mira aeterni iudicis uirtus! qui tanta suis famulisprestat, ut non
solum hominum honoribus, sed etiam auium oboedientia clarescant.
cultus imitationem delinquentium animu s studeant prouoeare, quatenus non solum sibi mercedis lucra
affatim cumpilata , uerum etia m aliorum profecto quoadunat a congaudeant : eritqu e aequus arbite r re rum sator aeternus ut, qui illis solamina ad augendam relegionis copiam tribuit, imitatoribus supplimen tum perficiendi praebere non abnuat. Nec fastidire quispiam débet, si in aliquibus rebus, que exiguae hominibus uideantur, supernae uirtutis indicia suffragare, cum crebro m magnis ac minimis rectus arbite r
et pensando subueniat e t subueniendo, ut i n maioribus conualescant , prestet auxilium . Venerandi ergo
uiri Vedasti pontificis Atrapatum urbis memoriam posteris commendare ratum ducimus, ut, unde originem duxerit, uel sane uitae cursum peregerit, quemque finem habuerit, prosequi studiamus uerbis«.
26 Vita Vedasti, 1: »Postquam Deus et Dominus Noster lesu s Christus ouem quaerere perditam de caelis
in hune mundum per uirginalem uenera t uteru m et , tota sua e dispensationis e t nostrae saluti s peract a
plenitudine, cum triumpho gloria e ad sedem paternae maiestati s reuersus, ut tetrica s ignorantiae tene bras toto depelleret orbe, multa sanctorum lumina doctorum, euangelicae praedicationis luce fulgentia ,
toto diuiserat mundo ut, sicut caelum fulgentibus ornatu r stellis , quae tarnen omnes ab uno inlustran tur sole, sic et lata terrarum spatia sanctis splendescerent doctoribus, qui tarnen ab aeterno sole inluminati, diuina praeueniente gratia , caecas ignorantiae tenebra s uerae fidei fulgor e e t glorioso Christi nomine inlustrarent, ut , eis ministrantibus, longa ab initio saecul i esuries aeterna e uitae epulis satiaretur .
De quorum numér o sanctu s Dei sacerdos Vedastus et praedicator egregiu s temporibus fortissim i régi s
tune tempori s Francoru m Hloduui i i n has, diuina dirigent e gratia , ob multorum salute m peruenit re giones, quatenus supernae pietatis suffultus auxili o populum diabolic a fraude deceptu m e t errorum la queis captiuum in uiam dirigeret salutis aeternae et uerae quae in Christo est libertati restitueret. Sed ut
hoc acceptabili secundum apostolu m fiere t tempore qui ait: >Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc
dies salutis<. Dominus lesus, qui uult omnes homines saluos fieri conpetentem su o famulo praeuideba t
causam quomodo oportun e ad ministerium uerbi Dei peruenire ualuisset« .
^7 Vita Columbani, I 8, MGH, SRM IV, p. 74-75: »Adgressusque abdita perscrutare, repperit in interior e
sinus ursi habitaculum ipsumque interius residentem. Mitis ergo feram abir e iubet: >Nec deinceps hos<
inquid >repetes calles<. Abiit fera mitis nec prorsus est ausa repetare, distabatque ab Anagrate locus plus
minusue milibu s Septem«. Ibid. I 17, p. 83: »Ad quem uir De i accessit , increpans, ne corium, quo d a d
usus calciamentorum necessarium erat, lederet. Tune bestia, oblita ferocitate, mitis esse coepit, et contra
naturam absque murmore blandiens atque colla submittens, cadauer reliquid«. Ibid. 127, p. 104: »Mira
in fera oboedientia! Nequaquam e x prohibita sibi parte ausa est capere cibos, sed in segregata, permissa sibi fructicum part e tantummodo pabula requisiuit, quoadusque uir Dei eo in loco commorauit« .
28 Cf. ibid. 115, p. 81.
82
Christiane Veyrard-Cosm e
Ce point apparaît dans la Vita Vedasti composée par Alcuin, tout en étant absent de
son hypotexte proprement dit : en regard de l'hypotexte - Ibi et habitatio ursi reperta;
quem cum animae dolore a uallo urbis eiecit y ac ne Crientium fluuiolum, qui ibifluit,
ultra progrederetur, imperauit, nullatenus illuc uisusfuit reuertisse - l'hypertexte 29 in troduit un traitement par dérivation d'extraits propre s à la Vita Columbani. Mai s une
observation plus attentive fait égalemen t apparaître la combinaison d'éléments grégo riens avec ce thème colombanien. Ainsi l'on doi t se reporter au livre II des Dialogues
pour trouve r la source de la comparaison entr e la raison de l'homme e t celle de l'ani mal. Dans ce cas précis, le narrateur d e l'hypertexte emprunt e de s données qu i vien nent certes bien d'un text e de Jonas, la Vita Columbani, mai s ne sont pas issues de la
Vita Vedasti du même Jonas, hypotexte attendu :
»Dum haec itaqu e lacrimosï s murmurare t quaerelis , ecc e subit o e x ruinosi s spelunci s ursu s
prosiluit. Cu i ui r De i cum indignatione praecepit , u t i n désert a secedere t loc a e t sibi commod a
inter condensa siluarum quaereret habitacula nec ultra illius fluminis ripas transiret . Qui mox talî
territus minatione fugit nec umquam postea illis uisus est in partibus. O mir a omnipotentis Dei in
sanctis suis potentia quibus bestiae ferocissimae oboedir e sciunt. O miserabili s hominum audaci a
qui salutiferae praedicationis uerba a sanctis prolata doctoribus contemnere non metuunt. Inrationabilis bestia in obtemperando sanctorum praeceptis quodammodo ratione utitur humana. Hom o
uero a d imaginem De i conditus, ratione praeditus, honorem suum no n intellegens, »comparatu s
est iumentis insipientibus et similis factus est illis«.
Bien mieux, c'est l a Vita Columbani d e Jonas qui nourri t égalemen t l a troisième de s
Vitae écrite s pa r Alcuin , l a Vita Willibrordi, généralemen t présenté e comm e n'étan t
point un e réécriture. Nous nou s contenterons d'évoque r ic i le récit de la vision d e la
mère de Willibrord, dont le vocabulaire et les séquences sont à mettre en relation avec
celui qui a pour figur e central e la mère de Colomban 30 :
»Et ut eiusdem sancti patris Willibrordi altiu s natiuitatis originem et mox in utero matris diuina e
electionis repeta m praesagia , reuerta r und e egressu s sum . Na m sicu t sanctissimu s praecurso r
Domini nostr i Iesu Christi beatus Iohannes Baptista ex utero matris Deo sanctificatus, religiosi s
parentibus, ut euangelica narrât historia, Christum ceu solem praecedens lucifer, multis in salutem
profuturus natu s est, ita et sanctus Willibrordus in plurimorum genitu s salutem religiosis parentibus natus esse dinoscitur. Nam uir uenerabilis Wilgils, de quo nobis paulo ante sermo fuit, a d hoc
tantum, Deo praedestinante, matrimonio iunctus est, ut talis ad profectum multoru m populoru m
ex eo ederetur prolis. Igitur uxor eius, mater scilicet beati Willibrordi patris intempesta noctis quiète caeleste in somnis uidit oroma. Visum est ei quasi nouam in caelo uideret lunam, crescente illa,
usque dum plena uidebatur esse. Quam diligentius intuens, repentino curs u laps a mit i n os eius;
qua deuorata, eiu s intim a splendor e perfus a sunt. Euigilans uer o timor é perterrit a cuida m ho c
religioso praesbiter o retuli t somnium ; illoqu e interrogante , s i ea nocte qua e i uisio facta est su o
more solito iungeretur uiro, acceptaque ab ea eius rei confessione, ita respondit: >Luna enim quam
ex modic o uidist i i n magna m creuiss e filiu s est , quem in e a noct e concepisti ; qu i luc e ueritati s
29 Alcuin, Vita Vedasti, éd. VEYRARD-COSME (cit . n. 15; ch. 7 de Pédition de B. Krusch, SRM III, p. 422).
30 Cf. Vit a Columbani 12, p. 67, »Nam eius genetrix iam cum conceptu aluo grauida teneretur, subito per
intempestam noctem sopore depressa uidit e sinu suo rutilantem solem et nimio fulgore micante m procedere, et mundo magnum lume n praebere . Haec genetrix , postquam sopo r membr a laxaui t e t caeca s
mundo surgens auror a pepulit tenebras , semet intra clauso conamine pensare coepit e t ancipiti gaudi o
tantae uisionîs uim sagaci animo trutinare uicinorumque solamini s supplimentum petit , quos doctrin a
sollertes reddebat , quaerens , ut tanta e uisioni s ui m sapientu m cord a rimarent . Tande m peritoru m li bramine responsa recepit, se egregiae indolis utero tenere uirum, qui et suae saluti utilia et proximorum
prouideret utilitati oportuna« .
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
83
caliginosos tenebraru m errore s discutî t e t quocumqu e perrexerit , comitant e supern i lumini s
splendore, plénu m sua e perfectioni s ostenderi t globum , coruscantequ e rumori s eiu s candore e t
morum pulchritudin e multoru m i n s e adlicit aspectum< . Cuiu s ergo somnii e t interpretatione m
rerum ueritas subsecuta est« 31.
Ainsi la réécriture passe par la référence in praesentia à Jonas de Bobbio, tout e n développant implicitement, par des liens établis in absentia, de s données transmises, non
par l'hypotexte avou é mai s par l a Vita Columbani, elle-mêm e structurée e n fonctio n
de référents qu i sont les Dialogues d e Grégoire, renforcée pa r des thèmes grégoriens ,
comme la ratio accordée par la uirtus d u récit hagiographique a u règne animal par essence privé de raison et promu d e la sorte au statut à'exemplum d e la conduite humai ne. L a réécriture implique donc, pour reprendre les analyses de Nathalie Piégay-Gro s
dans son Introduction a l'intertextualité, un e écriture parfois oblique 32.
Nous abordons là un problème qui relève de l'intertextualité, puisqu'il s'agit de déceler non seulement le texte de base mais encore l'ensemble de s textes que la Vita Vedasti alcuinienne exploite effectivement .
Nous prenon s ic i la notion d'intertext e o u cell e d'intertextualité , no n a u sen s o ù
l'entend Julia Kristeva, pour laquelle 33 il est vain de chercher les fragments d'u n text e
dans un autre, parce que tout fragment détrui t et nie le texte d'où i l vient34, ou bien au
sens de Genette, qui n'admet, dans une étude d'intertextualité, n i les réminiscences n i
les relations de dérivation ni les réécritures implicites auxquelles il réserve le nom d'hy pertextualité35, mais avec l'acception qu e lui donne Lauren t Jenny présentant l'inter textualité comme »travai l de transformation e t d'assimilation d e plusieurs textes opéré par un texte centreur qui garde le leadership d u sens« 36 ou Nathalie Piégay-Gros a u
terme du Bilan critique de la notion qu'ell e avance dans son Introduction à l'intertextualité37.
On le voit, pareille recherche s'inscrit au-del à de la seule étude des stratégies d'écri ture: elle engage également une réflexion su r la lecture de ces textes et leur réception ,
par un public qui y voit un texte sans rupture de continuité, par les destinataires - premiers-commanditaires o u dédicataires - et ultimes - nous-mêmes - capables de repérer les sources, afin d e mieux goûter une esthétique d e la rupture. Si bien que coexistent différents niveau x de lecture dans un même texte, non seulement e n fonction de s
différentes stratégie s mise s e n place par l e texte, mais selo n les différents lecteurs 38 ainsi la réécriture est autant processus d'écriture qu'effe t d e lecture 39.
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Cf. Vit a Wiliibrordi, 2, éd. Wilhelm LEVISON, MGH, SRM VII, p. 117.
Cf. Nathali e PIÉGAY-GROS , Introduction à l'intertextualité, Paris, Dunod, 1996, ici p. 55.
Cf. Julia KRISTEVA, Seméiotikè, Paris, Le Seuil, 1969.
Cf. PIÉGAY-GRO S (voir n. 32) p. 10-11, en particulier les lignes consacrées à la présentation d e ce qu'elle nomme la dynamique textuelle .
Cf. ibid. p. 14. Sur la réflexion d e Genette , cf . le s remarques pertinente s d e Sophie RABAU , L'intertex tualité (Corpus, GF), Flammarion, 2002, en particulier p. 19-20 et p. 231-232.
Cf. PIÉGAY-GRO S (voir n. 32) p. 37. Cf. Lauren t JENNY, La stratégie de la forme, in: Poétique 27 (1976).
Cf. PIÉGAY-GRO S (voir n. 32) p. 35-41.
Cf. Montaigne , Essais II, 10 appelant de ses vœux un lecteur à même de trouver les textes dont i l avait
omis les références. Cité par PIÉGAY-GRO S (voir n. 32) p. 151-152.
Sur ces questions, lire le chapitre »Protocole de lecture« de PIÉGAY-GROS p. 94-111. Cf. également VEY RARD-COSME (voi r n. 15), chap. »Hagiographies. Problèmes d'intertextualité« .
84
Christiane Veyrard-Cosm e
3.2. Réécriture et insertion littéraire
Si la réécriture hagiographiqu e nourri t l'histoir e d e la spiritualité, ell e ne va pas san s
inscrire également la démarche du narrateur dan s une Tradition littéraire.
A e n juger pa r le s préfaces de s Vitae qu i fon t mentio n d e célèbre s prédécesseur s
illustrant le genre hagiographique, force es t de constater qu e la topique de Pauthenti fication masqu e parfois l a conviction, chez l'hagiographe, d e s'insérer dan s une lignée
d'écrivains convoqué s comme garants d'une œuvr e de haute tenue, utilisés aussi comme »types« exégétiques du narrateur lui-même. Jonas de Bobbio, dans la préface d e sa
Vita Columbani, n e rappelle-t-il pas déjà qu e bien des auteurs jouent un rôl e impor tant dans l'écriture hagiographique ?
»Quorum beatu s Athanasius Ântonii , Hieronimus Pauli et Hilarionis uel ceterorurn quos cultu s
bonae uita e laudabile s reddebat , Postumianu s uero , Seueru s e t Gallu s Martin i egregia e nostri s
eorum memoriam dimisere saeclis: plerique aliorum, quos aut fama aut bonorum exempla operum
uel uirtutu m moniment a commendarunt , u t sunt columnae ecclesiaru m Hilarius , Ambrosius ,
Agustinus, qui inter tot saeculi turbidines e t fluctuante mundo statum ecclesia e sustentarunt, n e
flatu aduersant e iniqu o ha c hereticoru m procell a quatiente , uera m fide m aduerska s macularet .
Quorum no s exempl a temerari o conat u secuti , qui nec meritorum supplimentu m ne c facundia e
flore suffult i ne c elucubratae scientiae fonte, tant i patris nostris saecuHs refulgentem Columban i
adgredimur texere gesta« 40.
Ainsi l'on peut se demander si, tout en faisant acte d'allégeance, l'écrivain hagiograph e
n'entend pas rivaliser avec ses modèles. Alcuin hagiographe se poserait alors en »antitype« des hagiographes don t i l aime citer le nom dans ses Lettres.
3.3. Réécriture hagiographique alcuinienne et autoréécriture
L'œuvre hagiographique e n prose d'Alcuin offr e un e ultime particularité, avec la propension à l'autoréécriture qu e nous avons déjà eu l'occasion de signaler ailleurs, à propos notamment d e la Vita Richariu
De nombreuse s concordances , a u niveau de s thèmes, des formules o u d u vocabu laire, apparaissent de fait entr e ce texte et les Lettres d'Alcuin . O n trouv e ainsi une at tention extrêm e apportée aux thèmes développés par le s propos qu'adress e au x puissants l e personnage d e Riquier dan s l a réécriture: le saint, présenté comm e soucieu x
d'une prédicatio n qu i doit s'adresse r à tous, sans distinction d e rang ni de statut, ob servant la mise en garde, toute grégorienne, de parler à tous, sans flatterie ni crainte, le
roi faisan t sienne s le s prise s d e positio n d e Riquier , son t autan t d'incarnation s de s
thèmes de la corrrespondance d'Alcuin. Les lettres mentionnent mot pour mot des expressions de s Vitae* 1, certaines correspondent à une mise en vers de discours prêtés à
40 Cf.inMGH,SRMIV,p.66.
41 Ep. 18 (voir n. 4) adressée au roi Ethelred, p. 49-52, ici p. 51 : »Non solum uos, uiri clarissimi et filii carissimi, his mei s ammone o litterulis . Sed e t omnes dilecta e genti s principes e t diuersaru m dignitatu m
nomina, se u ecclesiastica e pietatis ordine s se u saeculari s potentiae sublimitates , commun i caritati s in tuitu, quasi alumnus uestrae dilectioni deuotus, deprecor Dei diligentissime oboedire praeceptis, praedicatoribus salutis uestrae subditos esse. Illorum est , id est sacerdotum, uerba Dei non tacere. Vestrum
est, oprincipes, humiliter oboedire, diligenter implere. (...) Magnum est totamregere gentem. A regendo
uero rex dicitur; et qui bene regit subiectum sibi populum, bonam habet a Deo retributionem: regnu m
Alcuin et la réécriture hagiographiqu e
85
Riquier dans le texte d'Alcuin 42, l a lettre 267 engage un correspondant évêqu e à parler
aux potentes dans le s banquet s comm e l e Chris t e t Riquie r l e faisaient 43; quan t au x
lettres 136 et 238 adressées à Charlemagne, elles montrent la fusion e n la personne d e
Charles de s qualifications e t attributs spécifique s de s évêques e t font d e Riquier no n
seulement un modèle pastoral mais aussi un modèle de souverain44. Ce sont donc peutscilicet caeleste . Vald e félicite r régnâ t i n terra , qu i d e terren o regn o merebitu r caeleste« . 32. Ibid. ,
p. 49-50: »Studete diligentissime , u t pos t ho s honore s terrenos , caeleste s habere mereamini. Omni a
huius saeculi delectamenta uelut uolatilis fugit umbra ; et solummodo manet in remuneratione bonum ,
quod pro Dei amore egistis«. Ep. 228, de 801, à Gisèle, p. 371-372, ici p. 372: »Quia omnes huius uitae
iocunditates uelut umbra transeunt e t uelut spuma super aquam facile dissipantur« .
42 Ep. 311, à l'archevêque d e Canterbury, p. 479-481, ici p. 481 :
»Insère ueridicis uitalia semina uerbi s
Cordibus humanis, crescat ut inde fides.
Luceat in tenebris oriens ceu lucifer atris ,
Exemplis, uerbis lumen ubique tuum .
Non t e diuitie secli, non magna potesta s
Blanditiis faciat uera tacere quidem.
Nec rex nec iudex etiam nec carus amicu s
Os sacrum claudat a pietate tuum .
Est brève nam tempus uitae et presentis in annis
Atque pede tacito mors citius propera t
Exosisque tuae digitis ferit osti a uitae;
Ingrediens secum quicquid habes rapiet .
Hune ideirco diem atque hoc inamabile tempu s
Preuideas semper nocte dieque tibi;
Utque domus patrem uigilantem Christus a b arce
Inueniat ueniens, tumque beatus eris.
Felix illa dies, uoeem qua iudicis almi
Auditurus eris, proque labore tu o
Tune gaudens: Intra, nimium mi serue fidelis ,
Aeterni aeternus régna beata patris«.
43 Ep. 267 de 804, p. 425-426, ici p. 425: »Superbos e t contumaces duri s increpationibus castiget , humiles
et quietos pus exhortationibus refouea t (...) Non tardâ t Dominus, qui dédit, reuenire, et rationem exi gere pecuniae suae. Vide et intentius considéra , quantas animas in periculo animae tuae regendas accepisti. Fac tibi hieru m ex illis, non damnu m (...) Ad exemplu m domin i De i tu i recurre , quomodo pe r
ciuitates, castella, uicos etiam et domos singulas praedicando cucurrisset, immo conuiuia publicanoru m
et peccatorum non abhorruit, quatenus e x familiaritatis communion e praedicationis occasionem habe ret. Ita tu eius roboratus exempli s ubicumque ad conuiui a uenias, ibi praedicationis offici a gerer e no n
cesses, ut pro carnalibus, quae ministrantur tibi tuisque sociis, spiritalia sibi suisque commanipularibu s
accipiant«.
44 Ep. 136, à Charles, p. 205-210, ici p. 209: »Nec eni m hoc solis sacerdotibus ue l clericis audiendum ib i
arbitreris, sed etiam bonis laicis, et bene in opère Dei laborantibus dicendum esse credas: et maxime his,
qui in sublimioribus positi sunt saeculi dignitatibus, quorum conuersati o bona et uitae sanctitas et ammonitoria aeternae salutis uerba suis subiectis praedicatio poterit esse. Nam unusquisque de pecunia domini sui, quam accepit, rationem redditurus erit in die iudicii; et qui plus laborat, plus mercedis accipiet.
Quapropter, dilectissime et honorande ecclesiarum Christi def ensor et rector, tuae sanctissimae sapien tiae uenerabile Studium alios ammonendo exhortetur, alios castigando corrigat, aiios uitae disciplinis erudiat; ut omnibus omnia factus, ex omnibus mercedem habere merearis perpetuam; ut cum magna et laudabili populorum multitudin e gloriosus in conspectu domin i Dei tui appareas«. Ep. 238, à Charles, de
801, p. 383-384, ici p. 383: »O quam timendus es t omni homini dies ille, et quam necessarium es t unicuique praeparare s e in occursu m domin i De i sui, hortante no s ips a luce, quae inluminat omne m ho minem, atque clamante: »Ambulate, dum lucem habetis, ne uos tenebrae conprehendant«. Sed et quomodo in ea luce ambulare debeamus, alio ostendit loco dicens: »Sic luceat lux uestra coram hominibus ,
ut uideant opéra uestra bona et glorificent patre m uestrum qui in caelis est«.
86
Christiane Veyrard-Cosm e
être moin s le s rapports auctoritas-potestas qu e reflète l e texte réécri t d'Alcui n qu'u n
modèle ministériel où la distinction potentes-religieux est dépassée.
*
On n e saurait donc réduire la portée de s Vitae réécrite s par Alcuin aux modification s
linguistiques e t stylistiques. Les éléments paratextuels - changements de dédicataire et intratextuels - présence d'autres texte s - les parallèles avec le reste de l'œuvre d'Al cuin signalent l'émergence d'autre s enjeux , littéraire s e t politiques, donnés e n un dis cours oblique .
Aussi doit-o n comprendr e qu e l e texte réécri t che z Alcui n es t moin s »mosaïque ,
puzzle, patchwork, tapisserie « - c'est à dire text e morcelé - qu e text e unifié, pa r un e
stratégie d'abord - offrir, a u lecteur ou au destinataire, des textes portant e n inclusion
d'autres texte s qui sont autant de« passages« vers d'autres univers , mais qui reçoiven t
cependant un sens nouveau en étant adoptés par l'hypertexte qu i les reçoit- par un sujet pensant, ensuite, le narrateur, pour lequel la réécriture hagiographique est prétexte
à la mise en oeuvre d'un idéa l politique.
KLAUS HERBER S
Le Liber Pontificalis comme source de réécritures
hagiographiques (IX e -X e siècles )
I. I N T R O D U C T I O N
Au IX e siècle, le fameux Raban Maur, à qui on donnait a u XIX e siècle le titre depraeceptor Germaniae, attribuai t à l'autorité d u pape Damase (366-384) le Liber Pontifi calis, recueil de Vies papales. La version d u Libe r Pontificali s qu e connaissai t Raba n
Maur commençait par l a Vie de l'apôtre Pierre , précédée d'une lettr e au pape Dama se1. Aprè s l e synode d e Soissons d e 866, l'archevêque Hincma r d e Reims ( f 882) demanda à Egilon de Sens une actualisation des gestapontificum à partir du pontificat d e
Serge II (f 847), parce qu'on e n manquait encore in istis regionibus2. Quand , au milieu
du IX e siècle, on all a chercher à Rome pour l e monastère d e Redon le s reliques d'u n
pape - qui furent finalement celles du pape Marcellin -, pour rédiger les texte s qui nous
rapportent le s événements on se fonda encor e sur la Vita Marcellini du Liber Pontifi calis3.
Le Liber Pontificalis es t donc un texte connu e n Europe occidental e a u IX e siècle,
un text e d e base, un text e d e référence. Mai s quell e utilisatio n e n faisait-on? Raban ,
Hincmar e t la délégation d u monastèr e d e Redon poursuivaient-ils le s mêmes objec . legitur in codice quem Damasus de episcopis Romanae ecclesiae petente Hieronymo presbytero
conscripsit... écrit Raban Maur dans son traité sur les chorévêques: MIGNE P L 110, col. 1197; cf. sur Raban le s articles dan s l e volume: Raymund KOTTJE , Haral d ZIMMERMAN N (SOUS la dir. de), Hrabanu s
Maurus: Lehrer, Abt und Bischof, Wiesbaden 1982 (Akad. der Wiss. und der Literatur, Geistes- und Sozialwiss. Klasse, Abh. 4). L'attribution du texte au pape Damase se réfère à la lettre de Jérôme à Damase précédant la deuxième partie du Liber pontificalis (dorénavant : LP), cf. Le Liber pontificalis, éd. Louis
DUCHESNE, Texte , introduction e t commentaire , 2 vol., Paris 1886-1892, vol. 3 sous l a dir. de Cyrill e
VOGEL, Paris 1957; lettre à Damase: I p. 117. Sur la citation de Raban cf. le s additions d e Vogel dans le
troisième volume p. 51. Je tiens à remercier Mlle Maschmann, Mlle Keller et surtout Moniqu e Goulle t
et Martin Heinzelmann pou r la révision du texte et pour leurs suggestions.
2 Hincmar de Reims, Lettres, éd. Ernst PERELS, S. 1.1939 (MGH Epistolae, VIII), p. 194 n. 186 ... ut non
obliviscamini impetrare gesta pontificum ab initio gestorum Sergiipapae, in quibus invenitur Ebo fuisse damnatu$y usque adpraesentem annum istius praesulatusy quia nos in istis regionibus satis hoc indigemus. Cf . su r le concile d e Soissons Wilfried HARTMANN (éd.) , Die Konzilie n de r karolingischen Teilreiche 860-874, Hannover 199 8 (MGH Conc . IV), p. 201-228. Sur la diffusion d u LP au nord des Alpes
cf. déj à Ma x BUCHNER, Zu r Überlieferungsgeschicht e des »Libe r pontificalis« und z u seine r Verbrei tung im Frankenreiche im 9. Jahrhundert, dans: Römische Quartalschrif t 3 4 (1926) p. 141-165.
3 Klau s HERBERS, Leo IV. und das Papsttum in der Mitte des 9. Jahrhunderts - Möglichkeite n und Gren zen päpstlicher Herrschaft i n der späten Karolingerzeit, Stuttgart 1996 (Päpste und Papsttum, 27), p . 375
(avec les références). - Sur le contexte breton cf. Joseph-Claude POULIN , Le dossier hagiographique d e
saint Conwoion d e Redon. A propos d'une éditio n récente, dans: Francia 18/1 (1991) p. 139-160.
1 ..
88
Klaus Herber s
tifs? Pou r l a translation de s relique s d e Marcellin , l a finalité étai t surtou t liturgique :
seule la Vie de ce pape fut utilisé e comme source 4, et non pas le Liber Pontificalis en visagé comme un ensemble. Hincmar, en revanche, s'intéressait au x gesta des pontifes.
Il faut don c faire la différence entr e les Vies individuelles de s papes et le recueil de ces
Vies. Le problème est délicat.
Si l'on considèr e le texte intégral édité par Louis Duchesne 5, on mesure très vite les
difficultés. L'ensembl e ne représente pas seulement des biographies individuelles, mais
également un dossier d'un autr e genre: celui d'une institution, qu i se définit à travers
ces Vies successives. Il importe don c de considérer l'ouvrag e à la fois d u point de vue
de ses parties, les Vies papales, dont il faut s e demander s i elles relèvent de ce qu'il es t
convenu d'appele r »hagiographie« , e t d u poin t d e vue d e l'ensembl e qu'i l constitue .
D'autre part , comme le soulignent le s demandes de Raban, d'Hincmar o u d e la délégation bretonne, le texte ne fut pa s seulement commandité , il fut auss i utilisé. Se pose
alors la question de s modalités d e ses remplois o u remaniements / réécritures succes sifs. En accord avec les définitions proposées dans l'Avant-propos, nous entendons par
réécriture »l'action de réécrire un texte pour en améliorer la forme ou pour l'adapter à
d'autres textes , à certains lecteurs, etc.«. Cette réécriture suppose un acte volontaire et
peut se réduire à un paragraphe ou une phrase6. On adme t en même temps la synonomie du term e remaniement ave c celui d e réécriture. La nouvelle version (hypertexte )
transforme e n généra l un text e préexistant (hypotexte) 7. L e remploi, en revanche, tel
qu'il est défini par Marc van Uytfanghe, »couvr e des réalités certes souvent difficiles à
distinguer (plagiat, emprunt, réminiscence* ressemblance structurelle, communautés de
pensées)«8, mai s qu i on t e n commu n l a réutilisation, à l'identique, d'élément s anté rieurs; il n'est don c qu'un de s procédés possibles d e la réécriture, et de toute écritur e
en général . L a réécritur e vis e à rajeuni r u n text e e n y opéran t de s transformation s
d'ordre divers ; le remploi, au contraire, consiste à importer dan s un texte , sans chan gement, des éléments empruntés à un autre texte.
Il es t impossible d e soumettre ic i le Liber Pontificali s à une analys e exhaustiv e e t
détaillée, et nous nous bornerons à esquisser quelques perspectives sur ses réécritures,
à partir d'un choix de textes des IX e et X e siècles. Mais avant d'entrer dan s le vif du sujet, nous présenterons brièvement l'œuvre dans son ensemble, en nous demandant sur tout dan s quell e mesure le Liber Pontificali s peu t êtr e conçu comm e un text e hagio4
5
6
7
8
Cf. infra , p . 95.
Le LP, éd. DUCHESNE (voi r n. 1 ); cf. l'édition ave c des additions postérieures: Liber pontificalis nell a recensione di Pietro Guglielmo e del card. Pandolfo, glossato da Pietro Bohier, vescovo di Orvieto, 3 vol.,
éd. Ulderico PREROVSKY , Rome 1978 (Studia Gratiana , 21-23).
Voir TAvant-propos d e ce volume, p. 12s. avec la note 28 (citation d e la définition d u Robert) . Cf . e n
plus: Manuscrits hagiographique s e t travail des hagiographes. Etudes réunies e t présentées par Marti n
HEINZELMANN, Sigmaringen 199 2 (Beiheft e de r Francia, 24); L'hagiographie d u hau t moye n âg e e n
Gaule du Nord. Manuscrits, textes et centres de production, sous la dir. de M. HEINZELMANN, Stuttgar t
2001 (Beihefte de r Francia, 52). Cf. auss i les autres contributions dans ce même volume.
Cette terminologie se base sur Genette, cf. T Avant-propos de ce volume (p. 11 avec n. 21 ), n. 81, et Marc
VAN UYTFANGHE , L e remploi dan s l'hagiographie: Un e »lo i du genre « qu i étouff e l'originalité? , dans :
Ideologie e pratiche del reimpiego nell'alto Medioevo, Spoleto 1999 (Settimane di Studio del centro italiano di studi sulPAlto Medioevo [dorénavant : Settimane ...] 46), p. 359-411, p. 371 (avec n. 49).
VAN UYTFANGHE , Remploi (voir n. 7) p. 362.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographique s
89
graphique (II). Les exemple s qu e nou s analyseron s dan s le s deu x partie s centrale s
concerneront successivemen t l a réécriture de certaines Vies papales (III), puis celle de
l'ensemble o u d e partie s importante s d u Libe r (IV). Ils nou s permettron t d e tire r
quelques conclusions générales (V).
II. LE L I B E R P O N T I F I C A L I S , U N T E X T E H A G I O G R A P H I Q U E ?
ENTRE PERSONNE S E T INSTITUTIO N
a) Genèse, composition et structure des différentes parties
e
Jusqu'au IX siècle Pancie n Libe r Pontificali s nou s présent e u n ensembl e d e plus d e
cent vitae. L e titre n'es t pa s contemporain . Gesta o u Chronica pontificum, o u Liber
episcopalis in quo continentur acta beatorum pontificum Urbis Romae, e t encore Chronica Damasi son t les dénominations courantes , avant qu'on ne parle du Liber Pontifi calis à partir du XII e et plus fréquemment à partir du XVe siècle 9.
La plupart de ces notices, auxquelles le terme gesta conviendrait mieu x que vitae ï0,
sont composée s selo n un schém a identique : nom d u pape , origine, durée d u pontifi cat, informations variables sur le pontificat, mai s devenant de plus en plus détaillées au
fur e t à mesure qu'on avanc e dans le temps; suivent les décrets sur la discipline et la liturgie, les donations, les ordinations, la mort, la sépulture et la durée de la vacance du
siège. L a plupar t d e ce s vitae n'étaien t don c pa s conçue s comm e texte s hagiogra phiques, elles poursuivaient u n autr e but. L e Liber Pontificalis s e situe dans une tra dition byzantine répandue surtout en Italie11. Pour le haut Moyen âge, nous ne dispo9
Cf. Alber t BRACKMANN, Der Liber Pontificalis, dans: Realenzyklopädie, 3,1902 (Réimpr.: ID., Gesam melte Aufsätze, 2e éd. Köln, Graz 1967) , p. 383-396 (p. 383 sur les titres différents) ; Ottorin o BERTO LINI, I l »Libe r Pontificalis« , dans : La Storiografi a altomedieval e 1, Spoleto 1970 (Settimane ... 17,1) ,
p. 387-456 (article de base avec une discussion trè s détaillée des titres médiévaux et des manuscrits, cf .
surtout p. 403-416); sur l'attribution a u bibliothécaire Anastase depuis Platina cf. Girolam o ARNALDI ,
Corne nacqu e l a attribuzion e a d Anastasi o de l »Libe r Pontificalis« , dans : Bullet, stor. ital . 75 (1963 )
p. 321-343; orientation générale: Horst FUHRMANN, Papstgeschichtsschreibung. Grundlinien und Etappen, dans: Geschichte und Geschichtswissenschaft i n der Kultur Italiens und Deutschlands. Wiss. Kolloquium zum hundertjährigen Bestehe n des D HI in Rom, Tübingen 1989 , p. 141-191; Françoise M O N FRIN, Liber pontificalis, dans: Dict. historique de la Papauté, Paris 1994 , p. 1042-1043; HERBERS, Le o
(voir n. 3) p. 12-17.
10 Cf. Michel SOT, Gesta episcoporum . Gest a abbatum , Brepol s 198 1 (Typologie de s sources du moyen
âge occidental, 37); en plus il faudrait faire la différence entr e »res gestae« et »narratio rerum gestarum« ,
cf. Hans-Werner GOETZ, Geschichtsschreibung und Geschichtsbewußtsei n i m hohen Mittelalter, Ber lin 1999 (Orbis mediaevalis - Vorstellungswelte n de s Mittelalters, 1 ), p. 134-159.
H Cf . SOT , Gesta (voir n. 10) p. 32s. Cf. pa r ex . pour Ravenne : Agnellus: Liber pontificalis ecclesia e Ra~
vennatis, éd. Oswald HOLDER-EGGER , Hannove r 187 8 (MGH Script , rer . Langob.) , p. 265-391; Jean
Diacre: Gesta episcoporum Neapolitanorum, éd. Georg WAITZ, Hannover 187 8 (MGH Script, rer. Langob.), p. 398-435 (cf. l'éditio n de Bartolomeo CAPASSO , Monumenta a d Neapolitani ducatus historia m
pertinentia I [Naples 1881], p. 145-225). Sur la tradition byzantine et l'importance d e cette source pour
l'histoire de Byzance cf. Peter SCHREINER, Der Liber Pontificalis und Byzanz: Mentalitätsgeschichte im
Spiegel einer Quelle , mit einem Exkurs : Byzanz un d de r Liber Pontificalis (Vat . Gr. 1455) , dans: Forschungen zur Reichs-, Papst- und Landesgeschichte. Peter Herde zum 65. Geb. , sous la dir. de Karl BOR CHARDT et Enno BÜNZ , Stuttgart 1998 , vol. 1, p. 33-48.
90
Klaus Herber s
sons de recueil de ce type pour aucun e autr e institution, exceptio n fait e d e Byzance .
Pourtant l e schéma fut imit é e t modifié, surtou t dan s le s institutions comm e évêché s
et monastères 12.
Quelle a été la genèse de ce livre? Depuis les recherches de Louis Duchesne13, la plupart des chercheurs sont d'accord su r le fait que le Liber Pontificalis »primitif « fu t ré digé a u VI e siècle , suiv i d e rédaction s successive s e t contemporaines , jusqu'a u IX e
siècle. La première édition englobe les Vies jusqu'à Hormisdas (514-523), prolongées
jusqu'à Silvèr e (f 537, cette première couch e n'est accessibl e que par restitution 14), et
la tradition manuscrite ne remonte pour nous qu'à la deuxième édition du recueil. Au
moins jusqu'à Anastase II (496-498) le Liber Pontificalis primiti f es t élaboré à travers
des sources anciennes . Le texte se base sur des listes épiscopales qu i remontent a u II e
siècle et qui furent dressées dans le contexte d'une controverse polémique théologique.
En mêm e temps , on disposai t d e listes commémorative s comm e l a Depositio martyrum (intégré e dans le chronographe de 354)15. On pourrait ajouter d'autre s catalogue s
du Ve siècle, qui servirent dans la querelle des donatistes. En outre, des textes comm e
les collection s d e décrétales , le s inventaire s d e tituli, e t différent s texte s hagiogra phiques servirent surtout pour les Vies de Pierre, Clément, Calixte, Urbain et d'autres.
La seconde partie d u Libe r - rédigée a u VI e ou a u plus tar d à partir d u VII e siècl e -,
tout e n gardant une structure uniforme , recueill e plutôt d u matériel écri t e t compos é
par des contemporains .
12 Cf. SOT , Gesta (voir n. 10) p. 33-41; les gesta sont d'abord plus fréquents dan s la Galliay cf. Heinz H O F MANN, Profile der lateinischen Historiographie im zehnten Jahrhundert, dans: Il secolo di ferro: Mito e
realtà del secolo X, 2, Spoleto 1991 (Settimane ..., 38), p. 837-905, p. 850-853; cf. aussi les notes précédentes et également Dirk SCHLOCHTERMEYER, Bistumschroniken des Hochmittelalters. Die politisch e
Instrumentalisierung vo n Geschichtsschreibung , Paderborn , München , Wien , Züric h 1998 , surtout
p. 13; comme exemple du IX e siècle, cf. les Gesta abbatum Fontanellensium: Pascal PRADIÉ (éd.), Chronique des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille), Paris 1999 (Les Classiques de l'Histoire d e France au
Moyen Age, 40) sur le modèle du LP dans la structure e t le vocabulaire (p. LVI de l'introduction) .
13 LP, éd. DUCHESN E (voi r n . 1), introduction. Cf . Cyrill e VOGEL, Le »Libe r Pontificalis « dan s l'éditio n
de Louis Duchesne. Etat de la question, dans: Monseigneur Duchesne et son temps, Actes du colloqu e
23-25 mai 1973, Rome 1975 (Coll. de l'École française d e Rome, 23), p. 99-127, et les autres contribu tions de ce volume. Cf. les introductions des traductions de Raymond DAVIS, The Book of Pontiffs (Li ber pontificalis): The Ancient Biographies o f the First Ninety Roma n Bishops to A. D. 715, Liverpool
1989 (Translated Texts for Historians , Latin séries, 5); ID., The Lives of the Eighth-Century Pope s (Liber pontificalis): The Ancient Biographies of nine popes from A . D. 715 to 817, Liverpool 199 2 (Translated Texts for Historians , Latin séries, 13); ID., The Lives of the Ninth-Century Pope s (Liber pontifi calis): The Ancient Biographie s o f te n popes from A . D. 817 to 891, Liverpool 199 5 (Translated Text s
for Historians , Latin séries, 20).
14 Entre autre s à travers les sources de la deuxième rédactio n e t l'abrégé félicie n e t cononîen, cf. BRACK MANN, LP (voir n. 9) p. 385-388; Walter BERSCHIN, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter 1 . Von de r Passi o Perpetua e z u de n Dialog i Gregor s de s Großen , Stuttgar t 198 6 (Quelle n un d
Untersuchungen zu r lat. Philol. des Mittelalters, 8), p. 270-277.
15 A côté de ce chronographe ce sont surtout l e Liber generationis d'Hippolyte , l a Notitia regionum ur bis Romae, le Catalogue libérien ou filocalien, cf . surtou t BRACKMANN , L P (voir n. 9) p. 386. Cf. su r le
rôle des martyrs romains au temps du pape Damase: Marianne SÂGHY, Scinditur in partes populus. Pop e
Damasus and the Martyrs o f Rome, dans: Early Médiéval Europe 9 (2000) p. 273-287.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographiques
91
b) Le discours hagiographique dans le Liber Pontificalis
Compte ten u d e ce matériel d'origine hétérogène , qui ne participe pas uniformémen t
de la tradition littéraire de l'Antiquité tardive 16, on se demande dans quelle mesure ce
texte relève de l'hagiographie, si l'on considère l'hagiographie comme un ensemble hétérogène de »tous les documents produits dans le but d'honorer le s saints et de conserver leur souvenir«, sans que cet ensemble constitue un »genre littéraire«17. Certains éléments de base, comme la Depositio martyrum, s'inscriven t sûremen t dan s cette tradition. Mai s le s Vie s on t cec i d e particulie r qu'elle s soulignen t auss i l a successio n
apostolique des évêques de Rome, et qu'elles puisent également dans une tradition an tique qui ne correspond pa s à celle des Vies des saints, parce que l'ensemble vise à décrire l'institution à travers les personnes18 . De ce point d e vue, on ne peut donc guèr e
qualifier l e Liber Pontificalis d e texte hagiographique. Mais la notion d e »genre « ha giographique étan t actuellemen t trè s discutée, et des chercheurs ayan t proposé d e lui
substituer l e concept d e »discour s hagiographique« , défin i comm e u n »langage , un e
écriture, un discours pouvant s e greffer su r plusieurs genres ou sous genres« 19, on observe qu'il y a bien dans le Liber des passages relevant du discours hagiographique; celui-ci ne concerne pas uniquement l e martyre de s premiers évêque s d e Rome, mais il
s'impose également quelquefois dan s la description du contexte historique, comme on
peut le voir dans quelques passages de la deuxième partie des Vies papales.
Prenons l'exemple, au IX e siècle, de Léon IV20, pape inspiré par des visions21 ou disposant d e pouvoir s d e thaumaturge 22. Ce s pouvoir s se montren t surtou t dan s de s
contextes liturgiques et rituels. Au début de son pontificat, Léo n IV apaise un drago n
pendant la procession du 15 août 847: sa prédication, sa prière, ses gestes produisent le
16 Cf. pa r exemple Sofia BOESC H GAJANO , Uagiografia, dans : Morfologie social i e culturali in Europa fra
tarda antichit à e alto medioev o II, Spoleto 1998 (Settimane ... 45) , p. 797-843 et l'expos é d e Marti n
HEINZELMANN, Die Funktion des Wunders i n der spätantiken un d frühmittelalterliche n Historiogra phie, dans: Mirakel i m Mittelalter. Konzeptione n - Erscheinungsforme n - Deutungen , sous la dir. d e
Martin HEINZELMANN , Klau s HERBERS , Dieter R . BAUER , Stuttgar t 200 2 (Beiträge zu r Hagiographie,
3), p. 23-61.
17 Cf. Anne-Marie HELVETIUS , Les saints et l'histoire. L'appor t d e Phagiologi e à la médiévistique d'au jourd'hui, dans : Die Aktualitä t des Mittelalters, sous l a dir. de Hans-Werner GOETZ, Bochum 2000 ,
p. 135-163, spécialement p. 135. - Laissons d e côté dans ce contexte le s définitions classique s de Ren é
Aigrain o u Hippolyt e Delehaye , qu i désignen t égalemen t pa r l e terme »hagiographie « le s études cri tiques sur les saints, que par souci de clarté certains chercheurs proposent de désigner par le terme »ha giologie«: cf. Guy PHILIPPART , Hagiographes et hagiographie, hagiologes et hagiologie: des mots et des
concepts, dans: Hagiographica 1 (1994) p. 1-16; de même HELVETIUS, op. cit., p. 136-137s.
18 Les Vies se placent ainsi dans une certaine tradition littéraire romaine et byzantine, mais se rapprochent
en plus des Gesta, cf. plus haut p. 89s.
19 VAN UYTFANGHE , Remplo i (voi r n . 7) p. 362. Cf. pou r l'introductio n d e la notion d e discour s hagio graphique entr e autre s Mar c VA N UYTFANGHE , L'hagiographie : u n >genre < chrétien o u antiqu e tardif? ,
dans: AnalBoll 111 (1993) p. 135-188, esp. 147-148; M. HEINZELMANN, Hagiographische r und histori scher Diskurs bei Gregor von Tours?, dans: Aevum inter utrumque. Mélanges offerts à Gabriel Sanders,
publiés par Marc VAN UYTFANGHE et Roland DEMEULENAERE , Steenbrugg e 199 1 (Instrumenta patristi ca, 23), p . 237-258; Feiice LIFSHITZ, Beyond Poskivism and Genre: »Hagiographical« Text s as Historical Narrative, dans: Viator 25 (1994) p. 95-113, surtout 98-99 (dans une perspective différente) .
20 HERBERS , Leo (voir n. 3) p. 43-45 sur le discours hagiographique dans la Vita Leonis.
21 Cf. su r la vision à Centumcellae HERBERS , Leo (voir n. 3) p. 153-154.
22 HERBERS , Leo (voir n. 3) p. 421-424.
92
Klaus Herber s
résultat miraculeux 23 et apparaissent comm e service divin. Le passage correspondant ,
qui est intercalé dans une série de listes de donations, puise dans plusieurs traditions ,
et le résultat confirme l a position de Marc van Uytfanghe, pour qui le discours hagiographique es t souvent plutôt »performati f qu'informatif «, ce qui veut dire dans notr e
exemple que le passage incite surtout à »louer Dieu à travers une de ses créatures«24.
Puisque dès le VII e siècle les Vies furent rédigée s par des personnes différentes , o n
ne s'étonnera pas que le discours hagiographique s'applique avec une intensité très variable25. Ainsi un fe u dan s le quartier d e Saint-Pierre, où s e trouvaient le s scholaeperegrinorum26, suscitai t une réaction différente che z Pasca l Ier (817-824) et chez Léo n
IV (847-855): le premier offr e so n aide, devient le »pape pompier« malgr é l'évocatio n
de l'intervention divine 27, tandis que Léon est le thaumaturge qui apaise le feu par ses
prières28. Les passages des deux Vies apparaissent s i différents qu e l'on n e peut guèr e
23 LP, éd. DUCHESN E II (voir n . 1) p. 110: In primo quidem pontificatus sui anno, iuxta basilicam beatae
Luciae martyris, quae in Orphea sita est, in quibusdam tetris abditisque cavernis dirigeneris serpens i qui
basiliscus grece, latine regulus dicitur, ortus est; quiflatu suo ac visione omnes qui ad easdem proper abant cavernas celeriter necabat, mortisque tradebat periculo, ita ut omnes Stupor ac timor invaderet, serpentis virtutem mirantes etgladium. Ipse vero beatissimus etpraeclaruspontifex, bancpopuli necem audiensque perniciem, in orationibus se convertit, atque ieiuniis Dominum deprecare non cessans, ut ab
huiusmodi omnes interitu liberaret. Dum haec agebantur, praeclarus et celeberrimus dies advenit in quo
beatae Dei genetricis semperque virginis Mariae Adsumptio caelebratur; tunepraefatus et universalis papa apatriarchio cum hymnis et canticis spiritalibus, sanctapraecedentés icona, ad basilicam sanctiAdriani martyris, sicut mos est, propriis pedibus cum clero perrexit. De qua regressus cum omnifidelium cetu,
ad beatae genetricis Dei et domini nostri lesu Christi quae Praesepe dicitur, cum Dei laudibus, magna
comitante caterva populi, properabat. Qui cum pervenisset ad locum in quo ipse sevissimus basiliscus tetris, ut iam superius diximus, iacebat cavernis, omni clero et populo stare praecepit, atque iuxta easdem
cavernas properans, super foramen, unde ipsius pestiferi flatus egrediebatur serpentis, intrépide stetit; et
oculos ad caelum pariter tendit etpalmas, Christum qui est super omnia Deusprofusis lacrimis deprecavit ut ab eodem loco diri serpentis genus sua potentia effugaret. Et data super populum oratione, Dei
laudes ad basilicam quam superius memoravimus, profectus est exhibere. Ab eodem vero die, ipse mortifer basiliscus ita effugatus atque ab ipsis proiectus est antris, ut ultra in Ulis locis nulla lesionis eius macula apparereU Cf. Klau s HERBERS, ZU Mirakeln im Liber pontificalis de s 9. Jahrhunderts, dans: Mirakel im Mittelalter (voir n. 16) p. 114-134, spécialement p. 124-126.
24 VAN UYTFANGHE, L'hagiographie (voir n. 19) p. 148-149; ID., Remploi (voir n. 7) p. 408-409 (avec le passage cité).
25 HERBERS , Mirakel im LP (voir n. 23).
26 Cf. HERBERS, Leo (voir n. 3) p. 255-259; Rudolf SCHIEFFER , Karl der Große, die schola Francorum und
die Kirchen der Fremden in Rom, dans: Römische Quartalschrift 9 3 (1998) p. 20-37.
27 LP , éd. DUCHESNE (voir n. 1) II p. 53-54: Sed neque hoc silentio praetereundum esse arbitramur quod
eodem tempore, diabolico opérante versutia, per quorundam gentis Anglorum desidiam ita est omnis
illorum habitatio, quae in eorum lingua burgus dicitur, flamma ignis exundante conbusta [...] . Et dum
haec ter beatissimus pontifex quasi hora noctis conticinium persensisset, subito propter amorem aecclesiae beati Petri apostoli atque tantam peregrinorum illorum devastationem nudis pedibus calciatus
equester cueurrit. Qui tantam omnipotentis Dei in eius adventum misericordiam adfuit, ut locus in quo
prius idem quoangelicus pontifex constitit, nequaquam ulterius impetum ignis transgredi permisit; sed
ipse Dei dementia exorando et multitudo fidelium qui aderant decertando, aciem ignis Deo miserante
extineta est.
28 LP , éd. DUCHESNE (voir n. 1) II p. 111: Quo audito, ipse beatissimus pontifex Ulk céleri cursu profectus
est, et obvius ante ignis impetum se praeparavit, Dominum deprecari caepit ut ipsius incendii flammas
extingueret; et crucis propriis faciens signaculum digitis, amplius ignis extendere flammas nonpotuit; beati virtutem ferre non valens pontifias, extinetus flammas redegit in einerem.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographiques
93
prouver de réécriture ou de remploi hagiographique. On noter a seulement que la notion de virtus s'introdui t dan s la Vie de Léon IV29.
III. R É É C R I T U R E S I S O L É E S D E VIE S P A P A L E S E T L A R O M E
PAPALE A U XIe SIÈCL E
Présentons maintenan t sommairement , à travers de s exemple s de s IX e e t X e siècles ,
quelques cas de réécriture, en tenant compte de la différence entr e réécriture/remanie ment d'une part, et remploi de l'autre 30.
1. La réécriture pouvait commencer du vivant même d'un pape. Nous disposons de
deux Vie s d e plusieur s papes , écrite s à pe u d e distance , comm e pou r Grégoir e II
(715-731) ou Serge II (844-847), mais les différences entr e les deux versions ne concernent que partiellement l e discours hagiographique 31. Pourtant i l est peut-être utile de
regarder d'un peu plus près les deux versions de la Vie de Serge II transmises par le Liber Pontificalis. L a tradition manuscrite ne laisse pas transparaître clairement laquell e
des deux versions est postérieure à l'autre32, mais nous pouvons saisi r avec le manuscrit d u Code x Farnesianu s un e deuxièm e versio n d e la Vie qui laiss e de côt é l e styl e
d'éloges e t de louanges habituel au x Vies du Libe r Pontificalis 33. L a position critiqu e
de la version d u Farnesianu s (colonn e gauch e dans l'édition d e Duchesne) s e trahit à
la fin d e la Vie, au moment o ù l'auteur décri t l'usurpatio n d u pouvoir pa r l e frère d u
pape, Benoît, et l'attaque des Sarrasins à l'église Saint-Pierre. Donc, la version du Far nesianus paraît être écrite un peu plus tard. Le s deux versions n'utilisent qu e partiel lement le discours hagiographique, s'intéressant surtout au couronnement de Louis II,
au concile correspondant, au x dotations de s églises romaines o u bie n au x incursion s
des Sarrasins en 846 34. Le passage concernant la restauration de Saint-Martin e t SaintSilvestre retient pourtant l'attention dans notre contexte, puisque la restauration est accompagnée d'une translation de reliques romaines des cimetières à l'intérieur de la Ville Eternelle. Il est peu probable que l'auteur d e la version du Farnesianu s ai t utilisé le
29 Cf. le s textes latins n. 27 et n. 28. En ce qui concerne le discours hagiographique dans la Vie de Pascal Ier
et Serge II cf. le passage suivant et spécialement note s 35-36.
30 Voir n. 6-8.
31 LP, éd. DUCHESNE (voi r n. 1) I p. 396-410; II p. 91-101. Sur les deux Vies de Serge et le Codex Farne sianus cf. Detlev JASPER, Romanorum Pontificum Décrét a vel Gesta. Die Pseudoisidorischen Dekreta len in de r Papstgeschicht e des Pseudo-Liudprand , dans : Archivu m Historia e Pontificu m 13 (1975 )
p. 85-119; ID., Die Papstgeschichte des Pseudo-Liudprand, dans: Deutsches Archiv 31 (1975 ) p. 17-107,
esp. 54-53 et la bibliographie citée chez Klaus HERBERS, Die Regesten des Kaiserreiches unter den Ka rolingern 751-918 (926/962), Bd. 4 Papstregesten 800-911 , Teil 2: 844-872 , Lieferung 1 : 844-858, Köln,
Weimar, Wie n 199 9 (J. F. Böhmer, Regesta Imperii , 1,4,2), n. 47 et 52 . La plupart des chercheurs son t
portés à croire que les deux versions font témoignag e des tendances politiques actuelles.
32 Cf. LP , éd . DUCHESN E II (voir n. 1) p. I-I V
33 Sur ces éloge s et révolution cf. mon article: Frühmittelalterliche Personenbeschreibungen i m Liber Pontificalis und i n ausgewählten hagiographische n Texten , dans: Mittelalterliche Geschichtsdarstellunge n
und ihre kritische Aufarbeitung, sous la dir. de Johannes LAUDAGE , Düsseldorf 2002 , p. 225-264 (sou s
presse).
34 Cf. HERBERS, Regesten (voir n. 31) surtout n. 30-46 et 59.
94
Klaus Herber s
texte parallèle ou antérieu r de la vita Sergii. Les deux versions s e distinguent surtou t
par leur façon différent e d e citer les noms des saints transférés de s cimetières romain s
à l'église restaurée de Saint-Martin35. En revanche, il y a une observation plus intéressante pour notre propos: l'auteur du Farnesianus, et seulement lui, a très probablement
utilisé pour compose r c e passage une Vie antérieure, cell e de Pascal Ier concernan t l a
restauration e t la translation de reliques à Sainte-Praxède,
Vie de Pascal Ier
Ecclesiam etenim beatissîmae Christi martyris Pra xedis, quae quondam a priscis aedificata temporibus ,
nimia ia m lassat a senio , it a u t fundamenti s casur a
ruinam sui minaretur, isdem venerabilis pontifex il lius ruinam ante praevidens, eidemque ecclesia e curam adhibens , illi c pervigi l sepiu s existens , i n ali o
non long e demutan s loco , in meliorem ea m quam
dudum fuera t erexi t statum. Absidam vero eiusde m
ecclesiae musib o opèr e exornata m varii s decente r
coloribus decoravit . Simil i mod o e t arcu m triumphalem eisdem metallis mirum in modum perficien s
compsit.
Hic eni m beatissimu s e t praeclarus pontife x mult a
corpora sanctoru m diruti s in cimiteriis iacentia, pia
sollicitudine, ne remanerent neglecte, querens atqu e
inventa colligens, magno venerationis affectu i n iamdictae sancta e Christi martyris Praxedi s ecclesia ,
quam mirabiliter renovans construxerat, cum omnium advocatione Romanorum, episcopis, presbiteris,
diaconibus e t clericis laude m De o psallentibus , deportans recondidit . Qu i dum sanctissimi atqu e co angelici praesulis haec intima cordis vigilantia gererentur u t reconditoru m ibide m sanctoru m cor porum De o indesinente r supe r astr a placentiu m
precibus apu d omnipotentem Dominu m iuveren tur... (LP , éd . DUCHESN E II, p. 54)
Vie de Serge II (version du Farnesianus)
Ecclesia etenim beatissimi Martini confessons Christi atque pontificis, quae quondam priscis aedificat a
temporibus, nimio iam lassata senio, ita ut a funda mentis casura ruinam su i minaretur, idem venerabilis pontifex illiu s ruinam ante praevidens, eidemqu e
ecclesiae cura m adhibens , illic pervigil saepiu s exi stens, in alio non longe demutans loco, in meliorem
eam quam dudum fuerat erexi t statum .
Hic eni m beatissimu s e t praeclarus pontife x mult a
corpora sanctoru m diruti s in cimiteriis iacentia, pia
ea sollicitudine, n e remaneren t neglectui , quaeren s
atque inventa colligens, magno venerationis affect u
in iamdicti sancti Martini confesson s Christi atque
pontificis ecclesia m quam mirabiliter renovans construxerat, cum omnium advocation e Romanorum,
presbyteris, diaconibus et clericis laudem Deo psallentibus, deportans recondidit. Quae dum sanctissimi atque coangelici praesulis haec intima cordis vigilantia gererentur , u t reconditoru m quide m sanc torum corporu m De o indesinente r supe r astr a
placentium precibu s apu d omnipotentem Domi num iuvaretur... (LP, éd. DUCHESNE II, p. 93-94)
35 Comparer la première version (texte cité dans la colonne droite de notre tableau) avec la version postérieure: ... ipse a Deoprotectus et beatissimus papa, pia devotione sollicitus pro desiderabili dilectione sanctorum Silvestri et Martini, ecclesiam quae sancto eorum fuerat nomini consecrata, quam ab exordio sacerdotii sui usquequo adpontificatus culmen deductus est strenue gubernavit, et per olitana tempora defecta vetustate marcuerat, ruinisque confracta diu antiquitus lacerata manebat, Dei annuente
clementiam, in meliorem pulcrioremque statum a fundamentis perfecit. Absidam quoque ipsius aureis
musibo perfuso coloribus ingenti amore depinxit. Et ad honorem omnipotentis Dei eiusdemque beatissimi Silvestri praesulis corpus cum beatissimo Fabiano atque Stepbano et Sotere martyribus acpontificibus, simulque Asterio martyre cum sacratissima filia eius sanctoque Ciriaco et Mauro, Largo et Szmaragdo et Anastasio et Innocentio pontificibus, una cum sancto Quirino ac Leone episcopis, pariter Artemio, Sisiano, Pollione, Teodoro, Nicrando, Crescentiano martyribus; cum quibus beata Sotere atque
Paulina, necnon Nemmia, Iuliana et Quirilla, Teopiste, Sophia, virginibus atque martiribus, et beata Ciriacae vidua, cum aliis multis quorum nomina Deo soli sunt cognita, utrosque sub sacro altare dedicans
collocavit. His igitur magnifice peractis, gratanti animo menteque sollicita obtulit in eadem ecclesia perenniter haecpermanenda: ... (LP, éd. DUCHESNE II p. 93-94 pour le s deux versions. )
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographique s
95
Une étud e approfondi e d'autre s passage s de s Vies du Libe r Pontificali s nou s mè nerait sûrement à une découverte d'autres remplois et réécritures comme l'analyse des
éloges des personnes le montre36 . Il faut souligner dans notre contexte, qu'un tel remploi se remarque égalemen t dans deux notices sur la translation des reliques à Rome.
2. Les translations des reliques papales - qui ne concernaient pas uniquement les cimetières romains et les églises de la Ville éternelle - provoquaient-elles la réécriture de
certaines Vies correspondantes? Nou s savon s par les études de Martin Heinzelmann ,
Walter Berschin e t d'autre s que , dan s bo n nombr e d e récit s d e translation, o n men tionne les écrits hagiographiques accompagnant les reliques37. Pour les reliques papales
transférées a u VIII e et au IX e siècle, la question des sources est difficile. Qu e l'on pen se à Grégoire à Saint-Médard et dans d'autres lieux 38, Anastase et Innocent à Gandersheim39, Calixte à Cisoing, Reims ou ailleurs 40, Marcellin à Redon41, Urbain à Erstein
et à Auxerre42. Nous disposons seulement de quelques traces indirectes qui nous indiquent qu e la translation correspondant e menai t à une copie (réduite? ) d u dossier ha giographique, qu i aboutissai t peut-êtr e mêm e à un e réécriture , mai s l a plupar t de s
textes complets et la tradition manuscrite nous échappent .
3. Si la documentation est plutôt insuffisante pou r les translation s au nord des Alpes,
le cas est différent pou r un pape que sa translation mena finalement à Rome: Clément
Ier. De lui, la notice d u Libe r Pontificalis avai t retenu: Qui etiam sepultus est in Grecia43. Peut-être l'auteur est-il influencé ici par la Passio démentis, connu e aussi en Gaule par Grégoire de Tours44.
36 Cf. le s résultats de mon article: Personenbeschreibungen (voir n. 33) (sous presse).
37 Cf. e n généra l Marti n HEINZELMANN , Translationsberichte un d ander e Quelle n de s Reliquienkultes ,
Turnhout 197 9 (Typologie des sources du moyen âge occidental, 33); ID., Einhards »Translati o Marcellini et Petri«. Eine hagiographische Reformschrift vo n 830, dans: Einhard. Studien zu Leben und Werk,
sous la dir. de Hermann SCHEFERS, Darmstadt 1997 , p . 269-298 ; Walter BERSCHIN, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter 3. Karolingische Biographie 750-920 n. Chr., Stuttgart 199 1 (Quellen und Untersuchunge n zu r lat . Philol. des Mittelalters, 10) , p. 325-326, constate un rappor t entr e la
translatio sanctorum e t la translatio studiorum; K . HERBERS, Rom im Frankenreich - Rombeziehunge n
durch Heilige in der Mitte des 9. Jahrhunderts, dans: Herrschaft - Kirch e - Mönchtu m 750-1050 , Fs.
Josef Semmler, sous la dir. de Dieter R. BAUER, Rudolf HIESTAND , Brigitte KASTEN, Sönke LORENZ, Sigmaringen 1998 , p . 133-169, esp. p. 136 avec d'autres références bibliographiques . Cf. auss i Henri FROS ,
Liste des translations et inventions de l'époque carolingienne , dans: AnalBoll 104 (1986) p. 427-429 (se
basant sur les résultats de R. Michalowski); et dernièrement Hedwig RÖCKELEIN , Reliquientranslatio nen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über Kommunikation, Mobilität und Öffentlichkei t i m Frühmit telalter, Stuttgart 2002 (Beihefte de r Francia, 48).
38 Cf. l a Translatio Sancti Sebastiani c, 15, MIGNE P L 132 , col. 594; sur ces traditions cf . Bruno JUDIC, L e
culte de saint Grégoire le Grand e t les origines de l'abbaye de Munster e n Alsace, dans: Uhagiographie
du haut Moyen Age (voir n. 6) p. 263-295, p. 287 avec la note 80 sur Saint-Médard .
39 HERBERS, Regesten (voir n. 31) n. 40 et n. f 41.
40 Sönk e LORENZ, Papst Calixt I. (217-222): Translationen und Verbreitung seines Reliquienkultes bis ins
12. Jahrhundert , dans: Ex ipsis reru m documentis . Beiträge zu r Mediävistik . Fs . für Haral d Zimmer mann zum 65 . Geb. , sous la dir. de Klaus HERBERS, Hans Henning KORTÜM , Carlo SERVATIUS , Sigmaringen 1991 , p . 213-232; HERBERS, Regesten (voir n. 31) n. 19 (avec des indications bibliographiques) .
41 Cf. sur cette translation HERBERS, Regesten (voir n. 31 ) n. 202-203 (avec des indications bibliographiques).
42 Cf. HERBERS , Regesten (voi r n . 31) n. 210; cf. HERBERS , Rom i m Frankenreic h (voir n . 37) p. 140s. et
144-147.
43 LP, éd . DUCHESN E (voir n. 1) I p. 123.
44 Grégoire de Tours, In gloria martyrum, c. 35-36, éd. Bruno KRUSCH, Hannover 1885 , M G H Script , rer.
Mer. 1,2, p. 510-511.
96
Klaus Herber s
Dans le contexte de la dispute ecclésiastico-politique entr e Byzance et Rome45, qui
ne concernait pas uniquement l e schisme photien, mai s égalemen t l a lutte su r la mission des Slaves46, les missionnaires slaves Constantin-Cyrille et Méthode vinrent en 867
à Rome chez le pape Nicolas Ier (858-867). Adrien II (867-872) leur confia l a mission
des Slaves. Je ne veux pas entre r e n détail dans ce fait fondamenta l d e la politique ec clésiastique au IX e siècle. Ce qui importe dans notre contexte est le fait qu e Constan tin-Cyrille et Méthode apportèrent e n 867 les reliques de saint Clément à Rome. A la
demande d e Pévêqu e Gauderi c d e Velletri , l e fameu x bibliothécair e Anastas e com mença à traduire d u gre c des parties d u dossie r d e Clément 47. C e matérie l - aujourd'hui perdu - servit à Jean Immonid e (o u Jean Diacre ) pou r compose r s a Vita démentis. Vi e trè s probablemen t achevé e pa r Gauderic , don t de s fragment s seulemen t
sont connus 48 . Peut-être que la troisième partie de ce dossier latin correspond à la Legenda Italica écrit e de la plume de Léon d'Ostie ( t 1115)49. Si Léon utilise du matérie l
antérieur, Jean Diacre e t Gauderi c on t trè s probablement réécri t a u IX e siècle; pourtant il s ne font pa s directemen t référenc e à cette court e notic e d u Libe r Pontificalis ,
mais plutôt à d'autres matériaux 50.
45 Frantisek DVOKNIK , Th e Photia n Schism . Histor y an d Legend, Cambridge 1948, réimpr. 1970; Klaus
HERBERS, Papst Nikolaus und Patriarc h Photios. Das Bild des byzantinischen Gegner s in lateinische n
Quellen, dans: Die Begegnung des Westens mit dem Osten, sous la dir. d'Odilo ENGELS , Peter SCHREI NER, Sigmaringen 1993 , p . 51-74.
46 Cf. su r la mission de Cyrille et Méthode la concurrence entre Passau, Rome et Byzance: Egon BOSHOF,
Die Regesten der Bischöfe von Passau 1:731-1206, München 1992 (Regesten zur bayerischen Geschichte,
I), p. 37-38, n. 146 (avec des indications bibliographiques); ID., Das ostfränkische Reic h und die Slawenmission im 9. Jahrhundert: die Rolle Passaus, dans: Mönchtum - Kirch e - Herrschaf t (voir n. 37) p . 51-76 .
Sur la lecture de la Vita Constantini sous l'aspect du discours hagiographique cf. Giorgo ZIFFER, Hagiographie und Geschichte. Die altkirchenslavische Vita Constantini, dans : Rhythmus und Saisonalität, sous
la dir. de Peter DILG, Gundolf KEIL, Dietz-Rüdiger MOSER , Sigmaringen 1995 , p. 143-150.
47 Cf. l a lettr e à Gauderic : Éd . Ernst PERELS e t G . LAEHR, Hannove r 1912-1928 , M G H Epistolae , 7,
p. 435-438, p. 436: hinc etiam viroperitissimo Iohanni (se . Immonide) digno Christi levitae scrihendae
eins vitae actus et passionis historiam ex diversorum colligere Latinorum voluminibus institisti. Ad
extremum hinequoque mihi exiguOy ut, si qua de ipso apud Grecos invenissem Latinae traderem linguae,
saepe iniungere voluisti.
48 BHL 1851 (et supplément) avec les éditions fragmentaires indiquées . Cf. e n général Wilhelm WATTEN BACH, Wilhelm LEVISON, Heinz LÖWE, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Ka rolinger IV, Weimar 1963 , p . 472. Sur les fragments, différent s selo n les versions et les manuscrits: Giovanni ORLANDI , Iohanni s Hymmonidis e t Gauderici Veliterni, Leonis Ostiensis excerpta ex Clementinis recognitionibu s a Tyranni o Rufin o translati , Mila n 1968 (Testi e document i per lo studi o
delFAntichita); cf. le compte-rendu d e P. DEVOS, dans: AnalBoll 91 (1973 ) p. 456-457.
49 BHL 1851 ab. Sur la version de Léon d'Ostie cf. ORLANDI , Iohannis Hymmonidis (voir n. 48) et Leonard
BOYLE (O. P.), Dominica n Lectionaries and Leo of Ostia's Translatio S. Clementis , dans: Archivum Fratrum Praedicatorum 28 (1958) p. 362-394.
50 Cf. l a lettre d'Anastase à Gauderic, éd. PERELS/LAEHR (voi r n. 47) p. 436; sur la Translatio cf. égalemen t
les indications sur Cyrille et Méthode BHL 2072,2073 (et Suppl.). Sur la translation des reliques de Clément à Casauria (e n 872) cf. Herber t ZIELINSKI , ZU de n Gründungsurkunde n Kaiser Ludwigs II. für
das Kloster Casauria , dans: Fälschungen im Mittelalter, Teil IV: Diplomatische Fälschungen (II), Hannover 1988 (MGH Schriften , 33 , IV), p. 67-96, 84-86; ID., Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolingern 751-918 (926), Band 3: Die Regesten des Regnum Italiae und der burgundischen Regna. Teil 1 :
Die Karolinger im Regnum Italiae 840-887 (888), München 199 2 (J. F. Böhmer, Regesta Imperii I, 3,1)
n. 349; aux sources citées chez Zielinski il faudrait aujouter le Lihellus Querulus de miseriis ecclesiae Pennensis, éd . Adolf HOFMEISTER , Hannove r 193 4 (MGH Script . 30,2), p. 1462-1467, p. 1462 (écrit ver s
1080); cf. bientô t Klau s HERBER S (Regest a Imperii I, 4,3).
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographique s
97
Je laisse les détails aux spécialistes, mais je retiens que nous découvron s dan s cett e
partie du dossier de Clément un certain arrière-plan politico-ecclésiastique, un certain
climat romain de la papauté en lutte avec Byzance et d'autres pouvoirs ; c'était là aussi, apparemment, l'une des motivations de la réécriture de cette Vie papale, qui dans sa
forme du Liber Pontificalis fu t sûrement ressentie comme trop sommaire .
4. Cette tendance ressort encore de façon plus évidente si l'on prend en considération l'exemple de Grégoire le Grand. La Vie de ce pape dans le Liber n'a droit qu'à une
quinzaine de lignes, qui en outre ne s'inscrivent guère dans le discours hagiographique.
Grégoire en effet y figure comm e auteur de certaines homélies et livres, comme orga nisateur de la mission en Angleterre, comme innovateur liturgiqu e et comme bienfai teur de s églises romaines. Suivent en plus, très brièvement , le nom, la mort, les ordinations etc. 51. La Vie de Grégoire, écrite par le même Jean Immonide (ou Jean Diacre)
sur commande du pape Jean VIII au IX e siècle, est bien différente. L'auteu r prétendai t
être beaucou p plu s préci s e t complet qu e les Vies brève s d u Liber Pontificalis , plu s
complet auss i que le moine de Whitby ou Paul Diacre, qui déjà avaient contribué à la
réécriture du dossier de Grégoire .
Le prologue de Jean Diacre est bien clair et il expose les causae scribendi de cette réécriture. Ce sont d'abord de s besoins liturgiques. A l'occasion de s vigiles de la fête de
saint Grégoire, le 11 mars 873, le pape Jean VIII se rendait compte , après une lectur e
sur Paulin de Noie, que ce grand pape manquait encore à Rome d'une Vie exhaustive,
tandis qu'il en existait chez les Saxons et chez les Lombards 52 . L'auteur fait là allusion
aux Vies du moine de Whitby53 et de Paul Diacre54, qui selon la lettre de dédicace s'avéraient trop courtes pour être reprises en l'état55. Le pape Jean aurait donc prescrit à Jean
Diacre de bien vouloir utiliser les matériaux des archives romaines; ici le texte fait sûrement allusio n au x volumes d u Registre de Grégoire, que l'auteur utilis a probable ment comm e bas e pou r l a rédaction de s passages composé s à la demande d u pap e
Adrien Ier56. Jean Immonide soulignai t en outre qu'il ne voulait pas adopter une pro-
51 LP, éd . DUCHESN E (voi r n. 1) I p. 312.
52 Cf. le texte de la lettre de dédicace à Jean VIII: Nuper ad vigilias beau Gregorii, Romani pontifias, Anglorum gentis apostoli, lectione de Paulino civitatis Nolanae praesule consuetudinaliter personante, visus es a
venerabilibus episcopis t divino quodam instinctu commotus, requirere cur tantus pontifex, qui multorum
sanctorum Vitas texuerat, gestis propriis in propria duntaxat Ecclesia caruisset; praesertim cum et apud
Saxones, et apud Langobardorum sibi prorsus infensissimam gentem, gestis propriis ubique polieret;...
MIGNE PL 75, col. 61. Sur la Vie cf. l'étude de Helmut GOLL , Die Vita Gregorii des Johannes Diaconus.
Studien zum Fortleben Gregors des Großen und zu der historischen Bedeutung der päpstlichen Kanzle i
im 9. Jahrhundert, Diss . Freiburg 1940 ; Claudio LEONARDI , L a »Vita Gregorii« d i Giovanni Diacono ,
dans: Roma e Petà carolingia, Roma 1976 , p. 381-393; ID., L'agiografia roman a nel secolo IX, dans: Hagiographie. Cultures et sociétés, Paris 1981, p. 471-490; BERSCHIN, Biographie (voir n. 37) III, p. 372-387.
53 BHL 3637, Anonyme de Whitby: The Earliest Life of Gregory the Great, éd. Bertram COLGRAVE, Lau rence 1968, p. 72-139 (texte et traduction).
54 BHL 3639, Paulus Diaconus, Vita B. Gregorii : Die Gregorbiographie des Paulus Diakonus in ihrer ur sprünglichen Gestalt, nach italienischen Handschriften, éd. Hartmann GRISAR, dans: Zs. für katholisch e
Theologie 1 1 (1887) p. 158 et 173, texte p. 162-173.
55 Cumque venerabiles episcopi bas ab utrisque gentibus haberi quidem y sed compendiosissime, responderent.... MIGN E P L 75 , col. 61.
56 Uindicatio n aux excerptae dans la Vita Gregorii IV 71, MIGNE P L 75, col. 223: Ex quorum multitudine
primi Hadrianipapae temporibus quaedam epistolae décrétâtes per singulas indictiones excerptae sunt et
Bayerische
Staatsbibliothek
München
98
Klaus Herber s
gression chronologique, mai s un e compositio n thématique , ave c adjonctio n d e mi racles57.
Cette nouvelle vita d e Jean 58 se basait donc sur la correspondance de Grégoire, et la
réécriture s e fondait su r un dossie r de sources complètemen t différen t de s Vies antérieures, au sein desquelles la version du Liber Pontificalis n'es t même pas mentionnée.
Le texte en plus, par son ampleur, offre de s aspects qui semblent déjà relever de Findividualisation: voil à pourquo i l a descriptio n physiqu e d u protagonist e a p u servi r
d'exemple à Pascal Ladner pour démontrer ce qu'il appelle »Ikonismus«, un terme par
lequel il entend l a consignation d e certains trait s extérieurs, qui sont rassemblés dan s
une sorte de »lettre de signalement« (Steckbrief)59.
Mais il y a également un but plus général: mettre en relief à travers Grégoire la tradition romaine classique 60. Jean Diacre souligne l'unité de la tradition romaine dans le
spirituel e t le séculier. Dans c e contexte i l est révélateur qu e l'auteur lou e surtou t le s
qualités d e Grégoir e comm e bo n romain , d e formatio n classique , e t i l n e racont e
qu'avec réserves la prière de Grégoire pour l a rédemption d e Trajan, qu e le moine d e
Whitby avai t décrite longuement dan s sa version de la Vie de Grégoire 61. Pourtant, la
Vie de Jean Immonide relève aussi du discours hagiographique: l'aspect romain ecclésiologique et celui de la sainteté ne s'excluent pas , comme l'a bie n mis en relief Clau dio Leonardi62. Due à l'initiative du pape Jean VIII, l'œuvre de Jean Immonide était en
somme l'expression d e la conception d'u n pap e moine e t d'un »passeur « entr e la Rome antique et la Rome chrétienne du IX e siècle. C'était un aspect que n'offraient n i le
Liber Pontificalis n i les Vies antérieures de Grégoire 63, et par conséquent l'un des buts
principaux de cette réécriture du IX e siècle. Dans cette perspective l'œuvre de Jean ten-
in duobus voluminibus, sicut modo cernitur^ congregatae. Cf. sur la discussion de Putilisation des sources
du registre et des archives G o i x, Vita Gregorii (voir n, 52) p. 15-35 (surtout discutant Pitz); cf. l'état de
la question chez Ernst PITZ, Papstreskripte im frühen Mittelalter . Diplomatische und rechtsgeschicht liche Studien zum Brief-Corpus Gregor s des Großen, Sigmaringen 198 9 (Beiträge zur Geschicht e un d
Quellenkunde des Mittelalters, 14), surtout p. 33-36.
57 Cf. Praefatio: .. . exceptis Ulis miraculis quae nostris temporibus facta multis adhuc superstitibus, vivis
vocibus celebrantur> ... MIGN E P L 75 , col. 62.
58 J e ne peux pas présenter ici en détail ce qui est édité en plus de 200 colonnes (MIGNE PL 75, col. 61-242)
sur d'autres aspect s de la Vie; cf. HERBERS, Personenbeschreibungen (voir n. 33).
59 Cf. Gerhart B. LADNER, Die Papstbildnisse des Altertums und des Mittelalters, Bd. I: Bis zum Ende des
Investiturstreits, Rom 194 1 (Monument i di Antichità Cristiana, 2. Ser. 4), p . 70-71 ; cf. Walter BERSCHIN ,
Personenbeschreibung i n der Biographie des frühen Mittelalters , dans: Historiographie im frühen Mit telalter, sous la dir. de Anton SCHARER , Geor g SCHEIBELREITER , Münche n 199 4 (VerÖffentl. de s Insti tuts für Österreich . Geschichtsforschung , 32) , p. 186-193 et HERBERS , Personenbeschreibunge n (voir
n. 33) .
60 Walte r Berschin compare la qualité littéraire de Pceuvre de Jean Diacre à celle de la Vie de Charlemagn e
par Eginhard: BERSCHIN, Biographie (voir n. 37) III, p. 387.
61 Cf. Anonym e d e Whitby: éd . COLGRAVE , (voi r n. 53) p. 90; Jean Diacre, éd. MIGN E P L 75 (voir n. 52)
col. 104-106.
62 WATTENBACH , LEVISON, LÖWE (voir n. 48) IV, p. 468. Claudio LEONARDI , Pienezz a ecclesial e e santità
nella Vita Gregorii, dans: Renovatio 12 (1977) p. 51-66.
63 II est intéressant qu e cette tendance commenc e à une époqu e o ù Pancie n L P se termine pratiquemen t
avec la Vie d'Adrien. Peut-êtr e l e besoin d'une Vie comme cell e de Jean Immonid e correspondait-ell e
plus aux besoins du temps et de Jean VIII. Mme Dorothée Arnold prépare une thèse de doctorat à Erlangen sur Jean VIII.
Le Liber PontificaHs comm e source de réécritures hagiographique s
99
tait aussi de cacher les lacunes des Vies antérieures. Il cherchait e n revanche à renfor cer la position de la papauté de son temps en évoquant par un acte de mémoire l'image d'un pap e modèle, Grégoire Ier. Cette perspective apparaî t nettemen t à la fin d e la
Vie: l e pape Nicolas Ier (858-867) apparaît ave c Grégoire le Grand dan s une vision o ù
il blâme l'auteur d'écrir e su r des mort s qu'i l n' a jamai s vus 64. Il semble que Jean Im monide, par le moyen de cette vision, demande pardon au lecteur de décrire la Vie romaine à tant d e distance . En mêm e temp s i l souligne pa r cett e vision, qu i rapproch e
l'auteur d'u n pap e de son époque , que Grégoir e représent e auss i la papauté contem poraine. Finalement ce s chapitres rendent presque explicite l'idée que le présent es t le
point à partir duquel se constitue l'unité d u passé 65.
D'autre part, comme on l'a dit, la réécriture modifiait l a structure du texte: Jean Immonide dépeignai t so n protagoniste e n ordonnant so n texte d'une façon thématique ,
dégagée de toute chronologie: c'est la régula pastoralis d e Grégoire mêm e qui lui sert
de disposition*3. Ainsi sa réécriture ne consistait pas seulement à se fonder su r un maté riel nouveau et à utiliser les lettres du saint, mais à se régler sur sa pensée même en imitant la disposition e t la structure de la régula pastoralis*"7'.
Les Vies de Clément et de Grégoire ne sont pas des phénomènes isolés . La deuxième moitié d u IX e siècl e compte parm i le s époque s fructueuse s d e l a production - et
peut-être aussi de la réécriture - hagiographique à Rome e t à Naples, une productio n
littéraire qu i ne concernai t pa s seulemen t le s papes, mais auss i le s saints grecs 68. O n
s'appropriait l'héritag e grec et la tradition de Byzance, en les traduisant et en les adaptant à la réalité italienne contemporaine .
Ces deux derniers exemples - les Vie s de Clément et de Grégoire - suivent en ce sens
les causae scribendi habituelle s d e l a réécriture hagiographique , due s surtou t ic i à ce
64 Vita IV, 100, MIGNE PL , 75, col. 241-242.
65 Cf. su r ces conceptions par exemple: Johannnes FRIED , Gens und regnum. Wahrnehmungs- und Deu tungskategorien politischen Wandels im früheren Mittelalter . Bemerkungen zu r doppelten Theoriebil dung de s Historikers , dans: Sozialer Wande l i m Mittelalter , sous l a dir. d e Jürgen MIETHKE , Klau s
SCHREINER, Sigmaringen 1994 , p. 73-104; Johannes FRIED , The Veil of Memory. Anthropological Pro blems when considerin g the Past, Londo n 199 8 (German Historica l Institut e London . Th e 199 7 Annual Lecture); Bernd SCHNEIDMÜLLER , Constructin g th e Pas t b y Means of th e Présent. Historiographical Foundation s o f Médiéval Institutions , Dynasties , Peoples an d Communities , dans: Médiéva l
Concepts of the Past. Ritual, Memory, Historiography, sous la dir. d e Patrick J. GEARY, Johannes FRIED ,
Gerd ALTHOF F et Eckhardt FUCHS , New York 2002 (Publications of the German Historical Institute) ,
et les autres contributions de ce volume.
66 Cf. la lettre de dédicace MIGNE P L 75, col. 61-62: ...et secundum distrihutionem ejusdem doctoris, qua
librum Regulaepatoralis quadripartita ratione distinxerat ... L'édition de la Regula: Grégoire le Grand.
Règle pastorale. Introd., notes et index par Bruno JUDIC, 2 vol., Paris 1992 (Sources chrétiennes , 382),
p. 381-382. Un de s problèmes concern e le quatrième livr e de la régula pastoralis qu i n'offre pa s beau coup plus que le prologue de Grégoire, cf. II, p. 534-541.
67 Grégoire reprend auss i beaucoup d e passages de la Regula, cf. quelque s exemple s chez HERBERS, Per sonenbeschreibungen (voir n. 33) et l'analyse d e GOLL , Vita Gregorii (voi r n. 52) p. 39-54.
68 LEONARDI, Uagiografi a roman a (voi r n . 52); ID., Pienezza (voi r n. 62); Girolamo ARNALDI , Giovann i
Immonide e la cultura a Roma al tempo di Giovanni VIII, dans: Bullet, stor. ital. 68 (1956) p. 33-89. Cf.
aussi le s différentes lettre s d e dédicac e dan s M G H Epistola e VII, p. 395-442 et l'articl e d e Gerhar d
LAEHR, Die Briefe und Prologe des Bibliothekars Anastasius, dans: Neues Archiv 47 (1928) p. 416-468,
qui discute aussi les études d'Arthur LAPÔTRE , Etudes sur la papauté au IX e siècle, Torino 1978 (Recueil
d'études d e Lapôtre); sur Anastase cf. la bibliographie citée chez HERBERS, Leo (voir n. 3) p. 215 n. 91.
100
Klaus Herber s
nouveau climat à Rome* que je ne peux pas présenter en détail. Il est presque inutile de
souligner qu e les différences entr e les notices respective s d u Liber Pontificali s e t les
Vies réécrites au IXe siècle ne sont pas considérables du seul point de vue quantitatif :
dans une perspective plu s générale , la réécriture romain e d e certaines Vies des papes
prouve auss i à quel point le s anciennes Vie s du Liber étaien t considérée s comm e insuffisantes pou r témoigner de la nouvelle position et de l'importance grandissant e des
papes et de la papauté dan s la culture romaine 69: en ce sens ces réécritures présenten t
une dimension qu'o n peut qualifier d'idéologique .
IV. R E M P L O I O U R É É C R I T U R E D E L ' E N S E M B L E D U L I B E R
PONTIFICALIS
Si au milieu d u IX e siècle certaines de s Vies papales paraissaient insuffisante s e t à réécrire, il nous reste à savoir si la totalité, ou tout au moins une partie, du Liber Ponti ficalis s'est prêtée à la réécriture, et dans quelle mesure le discours hagiographique s'imposait dans ce contexte.
La question est délicate, car le Liber a servi maintes fois d'exemple, a été utilisé, mis
à jour, continué e t réécrit jusqu'au XVe siècle. Le Liber Pontificali s »primitif« , com posé au VI e siècle, est probablement déj à le fruit d'un e réécriture 70. Mais ces différent s
essais de réécriture ressortissaient peu au discours hagiographique, bien que beaucoup
de pape s de s premiers siècle s fussen t considéré s comm e de s saints 71. E n outre , les
contextes de diffusion d u Liber Pontificalis se diversifièrent d e plus en plus, et avec eux
les fonctions d u texte.
a) Martyrologes du IXe siècle
Si l'on considère les réécritures hagiographiques no n plus des Vies prises comme unités textuelles individuelles, mais du Liber Pontificalis envisagé , sinon comme un tout,
au moins dans ses grandes parties, les exemples se réduisent72. Nous nous limiterons à
69 Ceci est peut-être moins vrai pour les »Vies« du VIII e et IX e siècle. Quelques auteurs veulent attribuer ,
sans preuves suffisantes, l a Vie d*Adrien II à Jean Immonide: cf. entre autres, ARNALDI, Giovann i Im-
monide (voir n. 68) p. 49; WATTENBACH, LEVISON, LÖWE (voir n. 48) IV, p. 461 n. 307; Walter BERSCHIN,
Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter 2. Merowingische Biographie : Italien, Spanie n
und di e Inseln im frühen Mittelalter , Stuttgar t 198 8 (Quellen und Untersuchungen zu r lat. Philologi e
des Mittelalters, 9), p. 138 et surtout III (voir n. 37) p. 372 note 88.
70 Cf. plus haut p. 89-90.
71 Cf. Bernhard SCHIMMELPFENNIG , Heilig e Päpst e - päpstlich e Kanonisationspolitik , dans: Politik und
Heiligenverehrung im Hochmittelalter, sous la dir. de Jürgen PETERSOHN , Sigmaringe n 199 4 (Vorträge
und Forschungen, 43), p. 73-100, p. 91-94 et 96-97 sur le culte des premiers papes à partir du XII e siècle.
72 Je ne n'aborderai pas le champ très intéressant des études qui traitent du contexte dans la tradition ma nuscrite, cf. à titre d'exempl e le s études d e Helmut REIMITZ , Ein karolingisches Geschichtsbuch aus
Saint-Amand. Der Codex Vindobonensis palat . 473, dans: Text - Schrif t - Codex: Quellenkundliche
Arbeiten aus dem Institut für Österreich.Geschichtsforschung, sous la dir. de Christoph EGGER et Hartwig WEIGL, Wien , München 2000 (MIÖG Ergänzungsband , 35) , p. 34-90, sur la composition du manuscrit cf. la table p. 77; cf. également le s études à paraître de Meta Niederkorn-Bruck, Wien .
Le Libe r Pontificali s c o m m e sourc e d e réécriture s hagiographique s
101
deux cas, qui prêtent à discussion. D'abord l e martyrologe d'Ado n d e Vienne. Adon,
connu pou r ses contact s ave c le s papes 73, deven u archevêqu e d e Vienn e à partir d e
859/6074, composa son martyrologe dans une première version vers 855 ou un peu plus
tard75. L a nouveauté d e son œuvre 76 consistait, entr e autres, dans l e fait qu'i l cré a u n
martyrologe sans lacunes. C'est pourquoi il avait besoin d'un nouveau matériau. Abstraction faite de la Bible, il utilisa surtout Eusèbe/Rufin, Grégoir e de Tours, Bède et le
Liber Pontificalis77. Et aujourd'hui encor e on discute pour savoir si Adon composa en
partie lui-même 78 ce venerabile perantiquum martyrologium qu'i l prétendait l a source essentielle de son martyrologe, source qui aurait été, selon lui, envoyée de Rome à
Ravenne, où il l'aurait copiée : Huic operi, ut dies martyrum verissime notarentur, qui
confusi in kalendis satis inveniri soient, adiuvit venerabile et perantiquum martyrologium ab Urbe Roma Aquileiam cuidam sancto episcopo apontifice Romano directum,
et mihipostmodum a quodam religioso fratre aliquot diebus praestitum. Quod ego diHgenti cura transcriptum positus apud Ravennam, in capite huius operisponendumputavi79. O r u n voyage d'Adon à Ravenne reste très incertain, et l'invention d e ce voyage pourrait s'explique r pa r le désir d'Adon d e donner plus d'autorité au x parties mo dernes de son martyrologue. Ce perantiquum martyrologium falsifi é serai t donc, dans
la terminologie de Genette80, un hypotexte qui servit de base pour l'hypertexte d'Adon .
Dans ce cas, l'auteur de s deux textes serait identique! Dans l'hypertexte, des saints romains l'emportèrent su r les vieux saints francs, anglo-saxon s o u espagnols. Compar é
au martyrolog e d e Floru s d e Lyon , Ado n ajoutai t 130 notices; quasiment deu x tier s
concernaient des saints romains 81, pour lesquels à peu près 20 notices sont prises dans
le Liber Pontificalis 82.
73 Cf. déj à Wilhelm K R E M E R S , A d o v o n Vienne . Sein Lebe n u n d seine Schriften, Diss. B o nn 1911; cf. éga lement le s notice s biographique s dan s l'éditio n d u martyrologe : Jacque s D U B O I S , Genevièv e R E N A U D
(éd.), L e M a r t y r o l o ge d ' A d o n . Se s deux familles , se s trois recensions . Texte e t commentaire , Pari s 1984
(Sources d'histoir e médiévale , 19), s u r t o u t p . X V - X V I I I .
74 D U B O I S , R E N A U D , M a r t y r o l o g e (voi r n . 73) p . XV.
75 Jacques D U B O I S , Les martyrologes d u M o y en âg e latin, T u r n h o ut 1978 (Typologie de s sources au M o y e n
âge occidental , 26), p . 42 et D U B O I S , R E N A U D , M a r t y r o l o g e (voi r n . 73) p . X X .
76 E n résum é che z D U B O I S , Martyrologes (voi r n. 75) p . 4 2 - 4 3 . D U B O I S , R E N A U D , M a r t y r o l o ge (voi r n. 73)
p. X X I sv. ave c de s résultat s qu i s ' a p p u y e n t su r H e n r i Q U E N T I N , Le s martyrologe s historique s d u
M o y e n Age . E t u d e su r l a formation d u M a r t y r o l o g e R o m a i n , Pari s 1908.
^ Le s résultat s d e Q U E N T I N , M a r t y r o l o g e s historique s (voi r n . 76) dans l e graphiqu e che z Jacque s D UBOIS, L e martyrolog e d ' U s u a r d , Bruxelle s 1965 (Subsidia Hagiographica , 40), p . 6 1 - 6 3 . A d o n utilisai t
plus q u e d'autre s martyrologe s c o n t e m p o r a i n s l e L P ; il reste à préciser quel s étaien t le s manuscrit s qu i
étaient à sa disposition .
78 Cf. D U B O I S , R E N A U D , M a r t y r o l o g e (voi r n . 73) p . XXIV, qui s e basen t su r le s résultat s d e D o m Q u e n tin. Cf . maintenan t su r le s relation s entr e martyrologe s e t calendrier s A r n o B O R S T , D i e karolingische
Kalenderreform, H a n n o v e r 199 8 (Schrifte n de r M G H , 46) , sur A d o n p . 64 e t 358 .
79 Cf. l'éditio n d e D U B O I S , R E N A U D , M a r t y r o l o g e (voi r n . 73) p . XXV. Sur le s raisons d e l'inventio n d e ce t
hypotexte, cf . H E R B E R S , L e o (voir n . 3) p . 217 et 391. - Sur A d o n c o m m e faussair e d e diplôme s cf . ré c e m m e n t Beate S C H I L L I N G , G u i d o v o n Vienn e - Paps t Calix t IL, H a n n o v e r 199 8 (Schrifte n de r M G H ,
45), p . 275ss. I l serai t intéressan t r e p r e n d r e le s différent s aspect s littéraire s d ' A d o n d u p o i n t d e vu e de s
faux, d e l a fiction, d u remplo i e t d e l a réécriture .
80 G é r a r d G E N E T T E , Palimpsestes . L a littératur e a u secon d degré , Pari s 1982, p . 13, cf. l'Avant-propos d e
ce volume, p . 11.
Si O n p e u t déduir e ce s chiffre s e n évaluan t le s listes che z Q U E N T I N , Martyrologe s historique s (voi r n . 76)
p . 409-464, spéc. p . 458-464. Cf. su r le s conséquence s s i o n tien t e n considératio n le s translation s des
102
Klaus Herber s
Voilà les faits. Peut-on qualifier la démarche d'Adon d e réécriture? Quentin et Dubois parlen t d e »sources « et , en effet, l'utilisatio n qu'i l fait d u Libe r relèv e plutôt d e
l'emprunt ou du remploi que de la réécriture stricto sensu. Mais le Martyrologe d'Ado n
englobe les saints papes dans un ensembl e d e saints romains qu i sont disposé s d'un e
façon complètement différente: l e Liber Pontificalis, qui procède par ordre chronolo gique, y es t restructuré selo n le cours e t les fêtes d e Tannée 83. Le changement princi pal porte sur le contexte84, mais nous chercherions e n vain chez lui une volonté de réécrire le Liber lui-même ou un ensemble de Vies rassemblées dans ce livre: c'est leperantiquum martyrologium, qu i est la base de sa réécriture85. Chez Adon , c'est surtou t
la nouvelle structure qui importe; en plus, pour certaines notices, il a puisé comme Raban Mau r e t d'autres 86 - mais, pour s a part, d'un e faço n trè s exhaustiv e - dans l'en semble d u Libe r Pontificalis . C e procéd é s'imposai t peut-êtr e surtou t dan s l e ca s
d'Adon, ca r l a régio n o ù i l compos a so n martyrolog e fu t alor s marqué e à bie n de s
égards par des influences romaines et papales, comme des recherches récentes l'ont mis
en relief87. Surtout le culte des reliques romaines prenait de l'ampleur e t accompagnait
une orientation politique de plus en plus tournée vers la papauté, attestée, par exemple,
par le comte Gérard de Vienne. Adon, lui, a contribué à cette orientation dans plusieurs
domaines: à coté de son martyrologe, il suffira d e souligner se s remaniements d e certaines chartes papales 88.
h) Une perspective hagiographique chez Flodoard de Reims
L'exemple d e Flodoar d d e Reim s ( | 966) me paraî t plu s significatif . L e chanoin e d e
l'église de Reims joua un rôle important dans la tradition carolingienne du X e siècle, et
son œuvre littérair e a plusieurs foi s mérit é l'attentio n de s érudits 89. Quelques un s d e
saints romains dans le nord de s Alpes à la même époque, cf. HERBERS, Leo (voir n. 3) p. 393-403 et ID.,
Rom im Frankenreich (voir n. 37) esp. p. 160-164.
82 Cf. QUENTIN , Martyrologe s historique s (voi r n . 76) p. 625-627; DUBOIS, Martyrologe d'Usuar d (voi r
n. 77) p. 64; ID., Martyrologe d'Ado n (voi r n . 73) p. 21. Très souvent l e martyrologe cit e seulement l e
temps du pontificat, selo n le LP, cf. DUBOIS , Martyrologe d'Usuard, p . 61-63.
83 Néanmoins, les martyrologes changent également parfois le texte de leurs sources, comme on peut Pobserver par exemple un peu plus tard chez Notker de Saint-Gall et sa notice sur Saint-Jacques, cf. K. H E R BERS, Frühe Spuren des Jakobuskultes i m alemannische n Rau m (9.-11 . Jahrhundert) - Vo n Nordspa nien zum Bodensee, dans: Der Jakobuskult in Süddeutschland, sous la dir. de Klaus HERBER S e t Dieter
R. BAUER, Tübingen 199 5 (Jakobus-Studien, 7) , p. 3-27, p. 13-18.
84 Cf. su r ces procédés les différents article s du volume: Hagiographie im Kontext, Wirkungsweisen un d
Möglichkeiten historischer Auswertung, sous la direction de Dieter R. BAUER et Klaus HERBERS, Stuttgart 2000 (Beiträge zur Hagiographie) et le résumé du propos dans Pintroduction de: Hagiographie im
Kontext - Konzeptio n un d Zielvorstellung , dans: ibid. p. IX-XXVIII. Cf. auss i su r le s conception s
d'échanges e t les questions d e terminologie Pete r BURKE, Kulturelle r Austausch , Frankfurt a. M. 2000
(Erbschaft unsere r Zeit 8; Edition Suhrkamp 2170), p. 9-40.
85 Cf. note s 79 et 80.
86 Joh n M . MCCULLOH , Da s Martyrologium Hraban s al s Zeugnis seine r geistige n Arbeit, dans: Hrabanus Maurus (voir n. 1) p. 154-164.
87 Cf. HERBERS, Leo (voir n. 3) surtout p. 398-399.
88 Cf. SCHILLING, Guido (voir n. 79) p. 275-319. Il serait intéressant de poursuivre cette piste de recherche
en tenant compte en même temps de la chronique d'Adon, éd . Georg Heinrich PERTZ, M GH Script . 2,
Hannover 1829 , p. 315-323.
89 Cf. surtout l'analyse de Michel SOT, Un historien et son église au Xe siècle: Flodoard de Reims, Paris 1993.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographiques
103
ses écrits hagiographiques son t perdus. Flodoard es t connu aujourd'hui surtou t com me auteur des Annales (entr e 919 et 966) 90 et de YHistoria Remensis ecclesiae 91. Mais à
son époque, Flodoard était réputé comme savant, par exemple à Lobbes ou à Trêves92,
pour une autre oeuvre qui doit attirer notre attention dans le contexte de cet atelier: Les
triomphes du Christ^. Cett e œuvre , classée aussi par certain s chercheur s comm e un e
des plus grandes oeuvres poétiques du X e siècle94, est composée de 19939 vers structu rés en trois parties traitant l'histoire depui s les temps apostolique s jusqu'au X e siècle:
les triomphe s d u Chris t e t d e ses saint s e n Palestin e (troi s livres) , le s triomphe s d u
Christ à Antioche (deux livres), et les triomphes du Christ en Italie (quatorze livres).
Les triomphes d u Chris t son t remporté s surtou t pa r se s saints 95: c'est l a perspectiv e
adoptée pa r Flodoar d pou r l a Palestine e t pour Antioche . Triomphes de s saints , qu i
sont aussi renforcés pa r les évêques, à Antioche e t à Rome, les deux sedes de l'apôtr e
Pierre, car ces évêques sont très souvent égalemen t considérés comm e des saints eux mêmes. La partie italienne est la plus exhaustive. Unproemium me t en parallèle la Rome des consuls et des empereurs avec celle des saints et des papes. Les temps aposto liques, Pierre et Paul à Rome et leurs successeurs, les empereurs romain s e t les persécutions de s chrétien s son t l e suje t de s deu x premier s livres , qu i s'arrêten t ave c
Constantin en 312. Les livres III—VIII sont d'une structure similaire. L'Italie, c'est Rome, ave c ses papes et ses saints, surtout les papes martyrs décrits d'une façon plus étendue96. Le IX e livre est dédié à des saints que Flodoard ne pouvait pas situer chronolo giquement, e t qu'il énumèr e selo n le s lieux de leur sépulture . Mais ce livre es t également dédié au pape Silvestre, dont il reprend le s actes selon la version B97.
Ce sont surtout les livres X-XII qui méritent notre attention. Flodoard a puisé ici à
fond dans le Liber Pontificalis, qu'il réécrit en l'utilisant comme sa source quasi unique.
Dans le sens où l'entend Gérar d Genette , on pourrait mêm e parler d'hypotexte e t de
hypertexte, c'es t à dire qu e l e texte d e Flodoard »s e greffe « su r l e Liber Pontificali s
»d'une manière qui n'est pas celle du commentaire« 98. En ce qui concerne la forme lit téraire, Flodoard utilise le vers, mais du point de vue du contenu l'idée dominante es t
que l'histoire papale fait entièrement partie des triomphes du Christ et qu'elle s'inscri t
dans une histoire des saints à Rome et en Italie. Le XII e livre finit avec le pape Leon VII
(936-939), contemporain de Flodoard que ce dernier avait connu pendant son voyage
à Rome99. Après la fin de la version du Liber Pontificalis qu'i l avait à sa disposition, la
90 Les Annales d e Flodoard, publiée s d'aprè s le s manuscrits, ave c une introductio n e t des note s par Ph .
LAUER, Paris 1905 (Collection de textes pour servi r à l'étude e t à renseignement d e l'histoire, 39).
91 Historia Remensis ecclesiae, éd. Martina STRATMANN, MGH Script , 36, Hannover 1998 .
92 SOT, Historien (voir n. 89) p. 78-79.
93 MÏGNE P L 135, col. 491-886. Edition partielle de Philippe LAUER (Coll. de textes pour servir à l'étude
et à l'enseignement d e l'histoire, 39), Paris 1905, p. 176-180.
94 Cf. P[eter ] Christian] JACOBSEN, Flodoard v . Reims, dans: Lexikon des Mittelalters 4,1989, col. 550.
95 Peter Christian JACOBSEN, Flodoard von Reims. Sein Leben und seine Dichtung »De triumphis Christi«, Leiden , Köln 197 8 (Mittellat. Studien und Text e 10) , p. 89.
96 En principe dépassant les notices du LP. Cf. su r les sources JACOBSEN, Flodoard (voi r n. 95) p. 233-274.
97 JACOBSEN, Flodoard (voi r n. 95) p. 259 avec les indications précises.
98 GENETTE, Palimpsestes (voir n. 80) p. 13, cf. l'Avant-propos d e ce volume, p. 11.
99 Cf. sur le voyage de Flodoard à Rome Harald ZIMMERMANN, Papstregesten 911-1024, Wien, Köln, Graz
1969,2e éd. 1998 (J. F. Böhmer, Regesta Imperii II, 5) n. 12 6 avec la blibliographie.
104
Klaus Herber s
réécriture de Flodoard devient une composition originale: il utilise la correspondanc e
de Foulques de Reims et le texte des épitaphes papales qu'il a vues pendant son voyage
à Rome. Les notices concernent surtout les relations papales avec Reims, aspects repris
par Flodoard , sou s un e autr e forme , dan s so n Historia Remensis ecclesiae. Les deu x
derniers livres (XIII-XIV) sont un appendice consacré aux autres saints d'Italie.
Comme chanoin e d e l'églis e Saint-Pierr e d e Reims , Flodoar d sui t le s trace s d e
l'apôtre Pierre, ce qui explique l'orientation géographique de son oeuvre: Palestine, Antioche et Italie, c'est-à-dire tout spécialement Rome100. Si pendant les premier s siècles les
papes alternent avec les autre s saints, les pape s martyrs, c'est-à-dire Alexandre (livre III),
Calixte et Urbain (livr e IV), Etienne (livr e V) et Marcel (livre VIII) retiennent surtou t
son attention. A partir de Silvestre, Rome et ses papes deviennent le sujet unique, et les
autres saints ne sont qu'ajoutés dan s les derniers livres. En somme, on dispose avec les
Triomphes d'une conception chronologique et géographique en même temps, qu'on est
tenté d'appele r hagiochronologi e e t hagiogéographie 101. Deni s Muzerell e a prétend u
qu'on trouv e dan s le s parties réécrivan t l e Liber Pontificali s surtou t l a »parti e histo rique«, que Flodoard aurai t juxtaposée à la »partie hagiographique« 102. Cett e opposi tion nous paraît trop forte, parce que sa focalisation su r Rome mène notre auteur no n
seulement à utiliser et remployer des éléments du Liber, mais aussi à réécrire ce rassemblement des Vies des papes dans une perspective qui n'est pas uniquement historiogra phique, mais en même temps hagiographique. Les papes sont intégrés aux autres saints.
La position de Flodoard à Reims le conduit en outre à donner une orientation spé ciale à sa réécriture, qu'o n peu t qualifie r d e »perspectiv e papale « d e la Gaule, et sur tout de Reims. Au IX e siècle, Hincmar s'était contenté de demander un exemplaire du
Liber Pontificalis 103; Flodoard v a plus loin: il mentionne expressémen t l e pape Calix te Ier, dont des reliques furent transférée s à Reims sous l'évêque Foulques 104. Déjà dans
les premiers livre s (I—II), les disciples envoyé s e n Gaul e par Pierr e e t par ses successeurs retiennen t l'attentio n d e Flodoard : Trophime , Savinien , Potentien , Fronto n e t
Georges, ainsi que Paul, Martial, Sixte (qui est appelé noster)105. Plus tard apparaissen t
les disciples que Clément y avai t envoyés: Denis (qu e Flodoard n e confond pa s ave c
PAréopagite), Sixte, Memmie, Eutrope106 . La Gaule en général et Reims en particulier
100 Sur les trois sedes (Antioche, Alexandrie et Rome) de l'apôtre Pierr e selon ce qu'il est convenu d'appe ler Decretum Gelasianu m (JK 700), éd. Ernst von DOBSCHÜTZ , Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis, Leipzig 1912 (Texte und Unters, zur Geschichte der altchristl. Lit. 3, Reihe 8,4), p. 32-33. Cf. sur le ainsi nommé Decretum Gelasianum Walter ULLMANN, Gelasius I. (492-496).
Das Papsttum an der Wende der Spätantike zum Mittelalter, Stuttgart 198 1 (Päpste und Papsttum , 18) ,
p.256-259.
101 Par ex. SOT, Historien (voir n. 89) p. 100.
102 Thèse inédite, citée par SOT , Historien (voi r n. 89) p. 99.
103 Cf. plu s haut p. 87.
104 Surtout mentionné dans l'Historia Rem . eccl. IV 1 et 8, éd. STRATMANN (voi r n. 91) p. 371 et 399; H E R BERS, Regesten (voir n. 31 ) n. 19. Sur le dossier de la translation de Calixte cf. LORENZ, Calixt (voir n. 40).
105 Les triomphes en Italie 19, MIGNE P L 135, col. 609-614; cf. JACOBSEN, Flodoard (voir n. 95) p. 245-246,
SOT, Historien (voir n. 90) p. 89; sur ces saint s cf. Anke KRÜGER, Südfranzösische Lokalheilig e zwischen
Kirche, Dynastie und Stadt vom 5 . bi s zum 16 . Jahrhundert, Stuttgart 2002 (Beiträge zur Hagiographie,
2), surtout p. 27-50.
106 Cf. les triomphes en Italie II14, MIGNE PL 135, col. 628, cf. JACOBSEN, Flodoard (voir n. 95) p. 247; SOT,
Historien (voi r n. 90) p. 90.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographiques
105
font don c l'objet d'u n intérê t spécifique , qu i se poursuit dan s les livres X-XII, à travers Hormisdas (514-523) et ses rapports avec Saint-Remi (il aurait même fait de saint
Rémi son vicaire en Gaule). Flodoard n'oubli e pas la rencontre à Reims d'Etienne IV
(816-817) avec Louis le Pieux, ni la mission danoise de Pascal Ier (817-824), confiée à
l'archevêque Ebbon , n i enfin , à propos d e Nicola s Ier (858-867) , ses rapport s ave c
Hincmar de Reims. La perspective est évidente, les informations d u Liber Pontificali s
sont réécrites en ce sens, bien que la structure des Vies papales soit respectée et qu'elle serve d'ailleurs partiellement comme modèle pour les gesta episcoporum qu'est YHistoria Remensis ecclesiae de Flodoard 107.
Pour les livres X-XII, Flodoard se basait sur le Liber Pontificalis 108, dont deux copies se trouvaient dan s les archives de Reims 109. Les études de Peter Christia n Jacobsen et de Michel Sot nous ont montré que Flodoard utilisait très probablement surtou t
la version B du Liber 110, mais pas exclusivement 111. Même si dans ses Triomphes Flo doard ne mentionne pas directement sa volonté de réécrire un hypotexte, on peut pourtant constater que cette oeuvre restructure consciemment les Vies du Liber. En ce sens,
il serait légitime de classifier l'œuvr e d e Flodoard comm e une réécriture e n partie ha giographique d u Libe r Pontificalis , qu i n e transpose pa s uniquement l e style d e so n
modèle en créant une œuvre épique, mais également les sens et intentions du Liber en
plaçant les papes dans une série de saints illustrant les triomphes d u Christ et en mettant bien en relief leurs rapports avec la Gaule.
c) Antres continuations et réécritures
D'autres auteur s qui ont utilisé ou réécrit le Liber Pontificalis semblen t plutôt se placer hors du discours hagiographique. Je renvoie seulement à titre d'exemple à quelques
noms comme celui du Pseudo-Liudprand 112 , écrivan t ou plutôt réécrivant le Liber au
XIe siècle , mais dans une perspective nettement juridique, en laissant de côté les autres
informations. I l en est de même pour le s diverses œuvre s e n relation ave c la querell e
des investitures , qu i n e permetten t qu e raremen t d e parle r d'u n discour s hagiogra phique. On penser a aussi à la continuation d e Pierre Guillerme au XII e siècle, ou au x
diverses chroniques des papes empereurs, par exemple celle de Martin Polonus (f 1278)
avec son cataloguspontificum Romanorum et son catalogus imperatorum Romanorum,
qui puisent égalemen t dans le Liber Pontificalis 113. Pierr e Bohier au XIV e siècle le réécrivait e n le glosant pour rappele r Charle s V (1364-1380) à ses obligations vis-à-vi s
107 SOT, Gesta (voir n. 10) p. 35 et Pintroduction à l'édition de PHistoria Remensis ecclesiae par STRATMAN N
(voir n. 91) p. 3-4.
108 On n e sai t pas s i Flodoard avai t emport é u n exemplair e lors d e son voyag e à Rome e n 936; cf. su r l e
voyage de Flodoard à Rome ZIMMERMANN, Papstregeste n 911-102 4 (voir n. 99) n. 126.
109 JACOBSEN, Flodoard (voi r n. 95) p. 223.
HO Ibid. p. 222-232.
111 SOT, Historien (voi r n. 90) p. 95-96.
112 MÏGNE P L 129, cf. les publications de JASPER, Papstgeschichte, et ID., Décréta (voir n. 31).
113 Voir pour ce s continuations le s orientations d e BRACKMANN , L P (voi r n . 9) p. 391-396; BERTOLINI, I l
»Liber Pontificalis « (voi r n. 9); FUHRMANN, Papstgeschichtsschreibun g (voir n. 9) p. 142s.; et les indications chez HERBERS, Leo (voir n. 3) p. 16-17.
106
Klaus Herber s
de la papauté114. De tous ces essais, qu'il faudrait analyse r plus en détail, pratiquement
aucun ne présente une perspective, ou plutôt un discours, hagiographique .
V. B I L A N
La réécriture du Liber Pontificalis au x IX e et X e siècles se présente pour le moins sous
un doubl e aspect : réécritur e d e Vie s individuelles , qu i relèv e largemen t d u discour s
hagiographique; réécriture de parties entières du recueil, dont la dimension es t plutôt
historiographique, voire institutionnelle .
1) La réécritur e de s Vie s papale s individuelle s sui t - grosso mod o - les usage s d u
remploi e t de la réécriture d'autres texte s comme des Vies hagiographiques115. Ceci se
note déjà dans quelques passages de certaines Vies qui - comme dans le cas de Serge II
- réutilisaient des formules de s Vies antérieures. La concentration des reliques et de la
mémoire hagiographique à Rome y favorisait surtou t au IX e siècle, dans une situatio n
de politique ecclésiastique précise, la réécriture de certaines Vies de papes. Ici, la perspective e t le discours historiographico-ecclésiastique s d e ces réécritures apparaissen t
forts: à travers certains papes-clés, la conception d'une institution qui se veut en continuité ave c le monde romai n e t partiellement e n opposition à Byzance - comme dan s
la Vita Gregorii - reste sous-jacente. Mêm e si ces oeuvres ne mentionnent pa s les esquisses du Liber dans lesquelles elles puisent, on peut déduire d'une comparaison avec
ces modèles qu e la structure e t le contenu d e ceux-ci avaient fini par deveni r insuffi sants au regard d'une rénovation littéraire et culturelle. Voilà pourquoi la Vie de Grégoire dépasse les esquisses du Liber Pontificalis: elle omet la succession des papes et la
perspective chronologique, le pape Grégoire est utilisé à titre personnel, pour donne r
une orientation à la papauté du IX e siècle. La forme adéquate à la réalisation d'une telle
intention fut une Vie qui s'inspirait plu s que les esquisses du Libe r du discours hagiographique, bien que l'orientation classiqu e de la biographie antique n'y manqu e pas.
2) La réécritur e d e l'ensembl e o u de s partie s d u Libe r Pontificali s nou s a conduit à
examiner les textes d'Adon et de Flodoard. Leurs oeuvres laissent entrevoir des conceptions nouvelles : un e attentio n particulièr e au x pape s e t saint s romains , don t bo n
nombre de notices sont reprises d'un hypotext e fabriqué pa r Adon lui même dans u n
ensemble hagiographique de son martyrologe historique per circulum annù Che z Flodoard, c'est une grande conception d'une hagiogéographie qui va de pair avec une hagiochronologie: l'histoire des »triomphes« du Christ durant plus de neuf siècles se réalise à travers les saints et les successeurs de Pierre. Chez Flodoard, le Liber Pontifica lis est intégré dans un dossier de textes hagiographiques surtou t narratifs ; chez Ado n
et d'autres, il est transposé dans le mode liturgique, et dans cette transposition l'orien tation chronologique et géographique domine. Surtout chez Flodoard la réécriture est
nettement destinée à un milieu gaulois.
114 Cf. l'éditio n d e P&EROVSK Ï (voir n. 5).
115 Cf. plu s haut p. 93-100.
Le Liber Pontificalis comm e source de réécritures hagiographique s
107
Mais comment expliquer que les réécritures du Liber Pontificalis soient concentrées
en certains lieux? C'est apparemment que la situation ecclésiastique et l'orientation ro maine d e Vienn e e t d e Reim s favorisaien t un e réécritur e qu i remployai t un e docu mentation papale en la transformant. Cett e prédilection et cette connaissance de la documentation romaine s'observe d'ailleurs aussi dans d'autres documents viennois et rémois116.
3) Questions e n suspens:
a) S i la réécritur e hagiographiqu e nou s renseign e plu s su r l'hagiograph e qu e su r l e
saint117, c'est également le cas pour le s différents essai s de réécriture de s Vies papales.
De multiple s problème s peuven t accompagne r cett e form e d e réécriture : la questio n
de la sainteté des papes, le problème d'u n ensembl e d e textes qui a u début fu t rédig é
surtout dans une perspective ecclésiastique, juridique, liturgique et historiographique,
et assez peu hagiographique. D'où aussi la conséquence suivante: dans le cas des papes,
souvent la réécriture ne se limite pas à une dimension hagiographique: les limites entre
l'historiographie et l'hagiographie restent très vagues et floues118, et certains textes peuvent relever des deux types de discours simultanément. Si l'on pense à toutes les autres
formes d e continuation, d e remploi e t de réécriture du Libe r Pontificalis , l a questio n
se pose des rapports entre la réécriture hagiographique d'une part, et les autres forme s
de réécritur e d'autr e part , qu'elle s soien t juridiques , historiographiques , ecclésiolo giques. Et dan s quell e mesur e l a traduction d'u n text e peut-elle êtr e qualifié e d e ré écriture?
b) Les réécritures d'Ado n e t Flodoard visaient toutes deux à intégrer une bonne par tie du Liber Pontificalis dan s un nouveau contexte et une nouvelle structure. Peut-être
faudrait-il discute r aussi , comme cel a a été esquiss é ici , la relation entr e réécriture e t
contexte, conception qu'on a récemment approfondi e grâc e aux études d'»Hagiogra phie im Kontext« 119.
c) On pourrai t égalemen t discuter l a définition d e la réécriture à travers les exemple s
qui ont ét é proposés: y a-t-il plusieurs définition s et , en particulier, un élargissemen t
possible d e la notion au x formes non-dites , voire involontaires , d'inter- o u d'hyper textualité?
En tou t cas , si la lutte d e Rom e contr e Byzanc e favorisai t l a réécriture hagiogra phique de certaines Vies papales à Rome au IX e siècle, des personnes comme Raban ou
Hincmar, qui avaient demandé de s exemplaires d u Libe r Pontificalis à Rome, avaient
préparé le terrain pour une réécriture de ce texte-clé dans un nouveau contexte au nord
des Alpes.
116 Cf. note s 79, 88 et 92.
117 Entre autres: VAN UYTFANGHE , Remploi (voir n. 7) p. 360.
118 Cf. su r le rapport entr e historiographie e t hagiographie plus haut n. 18.
119 Hagiographie im Kontext (voir n. 84).
M O N I Q U E GOULLE T
Vers une typologie des réécritures hagiographiques, à partir
de quelques exemple s du Nord-Est d e la France
Avec une édition synoptique des deux Vies de saint Èvre de Toul
Si Ton veut progresser dan s l'analyse littérair e e t historique de s réécritures hagiogra phiques, il paraît nécessaire d'en dresser une typologie, afin de pouvoir examiner ultérieurement s i certains »favoris« émergen t e n des époques e t lieux déterminés. L'assis e
théorique de la typologie que je propose ici à titre d'expérimentation es t l'ouvrage d e
Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré (Paris 1982), et la matière vive les recherches qu e j'ai menées et que je mène encore pour »Source s Hagiogra phiques d e l a Gaule« su r le s diocèses d e Toul, Metz, e t accessoiremen t Verdun 1, ca r
dans ce dernier diocèse la littérature hagiographique démarre si tard (au XI e siècle) que
les textes n'on t guèr e le temps d'êtr e réécrits . La grill e d'analyse proposé e a été sou mise à discussion dans le cadre de notre atelier, et elle est apparue suffisamment valid e
- au moins comme étape heuristique - pour que je tente ensuite de la tester sur un corpus de textes plus vaste 2.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, deux précautions s'imposent, qui ne sont pas seulement oratoires. Une typologie est une classification: ell e suppose donc une terminologie taxinomique. Moyennant ce t inconvénient ell e a le mérite de fournir dan s l'im médiat u n cadr e commod e d e pensé e e t d'expression , e t d e permettr e d e traite r le s
textes hagiographiques médiévaux comme des textes littéraires parmi d'autres. Deuxièmement un e typologi e n' a aucun e valeur e n soi, et elle demande à être interprétée e t
historicisée. Elle devrait déboucher su r une géographie et une histoire des réécritures,
peut-être sur un repérage de pratiques communes à une région ou à une époque, mais
aussi conduir e à une étud e de s rapport s entr e fonctio n e t form e littéraires . Cel a n e
pourra évidemment qu'êtr e esquissé ici, comme ouverture à des travaux à venir.
Mon expos é adoptera l e plan suivant: après une présentation liminair e d e la typologie adoptée, j'examinerai d'abord le s aspects purement quantitatif s de s transforma tions (I), puis leur s aspect s formel s no n quantitatif s (II), et enfi n leu r dimensio n sé mantique o u conceptuell e (III). Il va sans dire que le plus souven t une réécriture me t
en oeuvre simultanément ce s trois catégories.
1
2
Voir Monique GOULLET , Le s saints du diocèse de Toul, dans: Martin HEINZELMANT N (éd.) , L'hagiographie du haut Moyen Age en Gaule du Nord. Manuscrits, textes et centres de production, Sigmaringen
2000 (Beihefte de r Francia 52), p. 11-89 [désormais: L'hagiographie d u hau t Moyen Age] . Les travau x
sur Metz et Verdun sont en cours.
Voir M. GOULLET , Ecriture et réécriture hagiographiques, à paraître chez Brepols.
110
Monique Goulle t
I N T R O D U C T I O N : T Y P O L O G I E DE S R É É C R I T U R E S
HAGIOGRAPHIQUES
Par réécritur e o n enten d l a rédaction d'un e nouvell e versio n (hypertexte ) d'u n text e
préexistant (hypotexte) , obtenue par de s modifications appelée s formelles s i elles af fectent l e signifiant (e t elles sont alor s d'ordre quantitatif , structure l ou linguistique) ,
sémantiques ou conceptuelles si elles affectent l e signifié3. Le terme réécriture désign e
d'abord l'action de réécrire, puis, par métonymie, la nouvelle version obtenue. On parlera d e réécritur e hagiographiqu e s i cett e nouvell e versio n es t d e natur e hagiogra phique, indépendamment de la nature de Phypotexte (qui peut appartenir, par exemple,
au genre des gesta episcoporum) .
On s'interroger a peut-êtr e su r l e bien-fondé d u choi x d'un e typologi e primitive ment destiné e à classer des réécritures d e textes écrits e n français moderne . La raison
en est que les artes médiévaux ne proposent aucune réflexion théoriqu e sur cette question: les traités rhétoriques du XII e et du XIII e siècle, dont le plus connu es t la Poetria
nova d e Geoffroi d e Vinsauf, fournissent de s listes de procédés rhétoriques visant à allonger o u abrége r un texte 4; ils ne dépassent don c pas le stade de la pratique, et ne se
situent pas sur le plan de la critique littéraire, qui doit être le nôtre. En revanche le livre
de Gérar d Genette , s'il n e s'intéresse n i à la littérature médiéval e ni à l'hagiographie ,
offre néanmoin s une grille d'analyse asse z vaste pour aborder tous les types de textes:
il nous servira donc de guide dans cette première tentative de mise en ordre.
1. Aspects quantitatifs des transformations
5
Dans Palimpsestes, Gérard Genett e distingue trois types de réduction, auxquels il fait
correspondre trois types d'augmentation .
a) réduction: excision, concision, condensatio n
L'excision consist e à supprimer d e l'hypotexte u n blo c entier de texte (dans ce cas o n
parlera d'amputation) , o u d e court s passage s dispersés , qu i peuven t s e réduir e à d e
simples groupes de mots (on parlera alors d'élagage); l'excision consist e donc à réduire le nombre de s parties de l'hypotexte e n en conservant l'ordr e e t le vocabulaire. L a
réduction par concision, en revanche, conserve toutes les parties de l'hypotexte, don t
elle respecte l'ordre e t qu'elle réduit une à une en en modifiant plu s ou moins le vocabulaire. La réduction pa r condensation, enfin , modifi e égalemen t le vocabulaire dan s
des proportions variables, mais en réorganisant la matière dans un ordre différent, aprè s
3
4
5
Ce n'est qu e pour l a clarté d e mon expos é qu e je distingue ic i le »fond« (l e signifié) e t la »forme « (l e
signifiant); e n réalité on ne peut changer l'un san s modifier l'autr e par voie de conséquence.
La question des rapports entr e réécriture et enseignement scolair e de la rhétorique es t traitée plus lon guement dans un essai rédigé dans le cadre d'une Habilitation à diriger des recherches (voir supra, n. 2).
Pour n e pas surcharger l'annotatio n infrapaginale , j e n'ai pas renvoyé, pour chaqu e typ e d e transfor mation, aux pages précises de l'ouvrage de G. Genette où ils sont développés. La consultation de la table
détaillée, à la fin du livre de G. Genette, permet de les retrouver facilement .
Vers une typologie des réécritures hagiographiques
111
une synthèse mentale préalable; c'est là le type le plus élaboré de réduction, puisqu'i l
passe par une recomposition d u texte 6.
b) augmentation: extension, expansion, amplificatio n
Uextension (inverse de l'excision) est une augmentation par additions massives ou dispersées. Les hagiologues désignent souvent ces additions par le mot »interpolations« ,
et parlent alors de »Vie interpolée«: le terme est connoté péjorativement e t suggère que
c'est par erreu r o u par fraud e qu e le remanieur a introduit dan s l'hypertexte de s éléments étrangers à la tradition primitive. Quant à la contamination, c'est une opératio n
d'extension particulière, lors de laquelle on fusionne deu x textes pour en écrire un nouveau, tout comme le poète latin Térence contaminait deux pièces grecques pour en faire une latine.
L'expansion (invers e d e la concision) es t une sort e d e »dilatatio n stylistique« , qu i
consiste à gonfler o u enfle r l e texte e n le paraphrasant. Gérar d Genett e fai t observe r
qu'extension et expansion se rencontrent rarement à l'état pur, mais qu'elles sont le plus
souvent associée s a u sei n d e l a troisième forme , l'amplification . Celle-c i s e présent e
alors comme l'inverse de la condensation, l'hypotexte d'une amplification faisan t sou vent figure d e résumé ou de condensé. Pour qu e le parallèle entre les techniques d'al longement e t d'abréviation soi t exact, il ne faudrait parle r d'amplification qu e dans le
cas o ù l a matièr e a été repensé e e t réorganisée : ell e serai t ains i l'enver s parfai t d e l a
condensation; en réalité dans le langage courant le mot »amplification « désign e indifféremment tou t type d'augmentation, c e qui coïncide avec la pratique la plus commu ne de réécriture hagiographique, qui mêle extension e t expansion .
techniques de réduction: technique
excision extensio
(soustraction d e parties de texte) (ajou
concision expansio
(réduction de chacune des parties du (dilatatio
texte, dont la totalité est conservée) de
condensation amplificatio
(synthèse de l'ensemble d u texte) extensio
s d'augmentation :
n
t d e parties de texte)
n
n stylistique de chacun e
s parties du texte )
n
n + expansion
avec ou sans recompositio n
c) la substitution, qu i enchaîn e suppressio n e t addition , es t une techniqu e mixte : o n
supprime une partie du texte, que l'on remplac e par une autre .
2. Aspects formels non quantitatifs des transformations
On peut modifier l a forme d'u n text e par traduction d'un e langue à l'autre, par transposition de prose en vers (versification) o u de vers en prose (prosification), par modi fication du mètre (transmétrisation) ou du style (transtylisation). La transmodalisation
6
Pour le Moyen Age, un bon exemple de condensation est donné par le Documentum de Geoffroi de Vinsauf, qui propose de reformuler en deux vers seulement tout le conte de l'Enfant de neige (Doc, II, 42).
112
Monique Goulle t
est une modification d u mode de représentation: on transpose, par exemple, un text e
du mode narratif dan s le mode dramatique (dramatisation) o u inversement (narrativi sation); à l'intérieur d'u n mêm e mod e o n peut agi r sur les »focalisations« o u »point s
de vue narratifs« 7, su r les instances ou voix narratives 8, etc. ...
3. Aspects sémantiques ou conceptuels des transformations
Le premier typ e de transformation affectan t nettemen t l e sens d'un text e est la transformation thématique . Celle-ci peut se faire par transformation diégétiqu e (c'est-à-di re par modificatio n d e l'univers o ù s e déroule l'histoire , que les narratologues appel lent »diégèse« ) o u pa r transformatio n pragmatiqu e (modificatio n de s événement s e t
des conduites constitutives de l'action) .
Le lecteur aura certainement remarqu é que cette catégorie es t peu opératoir e lors qu'on l'appliqu e au x textes hagiographiques : le s transformations qu i viennent d'êtr e
évoquées sont observables avant tout dans les fictions littéraires , ce qu'un texte hagiographique n'es t pas tout à fait. U n hagiograph e es t assez peu libr e de modifier l'uni vers de son récit et ses personnages, qui s'inscrivent la plupart du temps dans un contexte historique précis , ou tout a u moins prétendent l e faire. En hagiographie l a tension
entre histoire et littérature, ou, si l'on préfère, entre réalité et fiction, est beaucoup plus
forte qu e dan s l e corpus adopt é pa r Gérar d Genette . Ce s réserve s faites , o n observ e
néanmoins asse z fréquemment, dan s les textes hagiographiques, des modifications af fectant l'univer s d u récit : micro-réactualisations destinée s à adapter l'hypertext e au x
conditions historique s nouvelles, à le réorienter vers une finalité différent e d e celle de
l'hypotexte; transformations d e type historiographique, le plus souvent des extensions
destinées à ancrer plus nettement le récit dans son contexte ou parfois à le falsifier; ex purgations.
Le secon d typ e d e transformatio n sémantiqu e dégag é pa r Gérar d Genett e fonc tionne à l'inverse de celui qui vient d'être évoqué: il ne modifie nullement l'univers d u
récit, ni son action, et opère par transformation de s motivations de s personnages, autrement dit par une transmotivation qui fonctionne généralemen t par un double mou vement de démotivation (annulation des motivations des personnages dans l'hypotex te) e t d e remotivatio n (créatio n d e nouvelle s motivation s dan s l'hypertexte) . I l fau t
noter l à auss i qu e c e mod e d e transformatio n es t extrêmemen t pe u représent é e n
hagiographie, où les motivations des personnages principaux (les saints et leurs adversaires) ne peuvent pas être modifiées. Dans l'univers globalement manichéen des textes
hagiographiques, les motivations du saint sont toujours le s mêmes, et les péripéties de
7
8
Le terme de »focalisation« o u »point de vue« désigne le regard par lequel est médiatisé un récit. On par le de focalisation intern e si le récit passe par le regard d'un o u plusieurs de ses personnages, de focalisation zéro si le narrateur es t »omniscient« e t en sait plus que tous ses personnages réunis, et de focalisa tion extern e si le regard porté sur les personnages e t les choses leur reste toujours extérieur .
L'expression défini t l e statut du narrateur par rapport a u niveau narratif (selo n que le narrateur es t luimême inclus ou no n dan s une première narration , i l est dit intra- o u extradiégétique ) e t à sa relation à
Fhistoire (selo n qu'i l es t lui-mêm e personnag e o u no n d e l'histoir e i l es t di t homo - o u hétérodiégé tique).
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
113
l'action n e sont que des étapes vers une sainteté programmée avan t le commencemen t
des temps. Le saint en tant que tel ne jouissant d'aucune liberté, les auteurs ne peuvent
pas varier ses motivations; aussi la transmotivation, quand ell e existe, est-elle réservée
aux actions ou aux personnages secondaires .
La dernière catégorie de transformation sémantiqu e o u conceptuelle , la transvalorisation, est une modification d e la valeur affectée a u rôle ou à l'image d'un personna ge, qui peut se trouver revaloris é ou dévalorisé dans l'hypertexte. Un ca s classique de
revalorisation en hagiographie est la transformation d'u n confesseur e n martyr, ou encore la transformation d'u n personnage secondaire de l'hypotexte en personnage principal d e l'hypertexte ; c e dernie r exempl e es t fréquen t lorsqu'o n réécri t un e Passio n
consacrée à un saint particulier à partir d'une Passio n collective.
Une dernièr e remarque . Gérar d Genett e class e parm i le s modification s d e typ e
quantitatif le s transformations métadiégétiques , c'est-à-dire celle s qui n'affectent pa s
le contenu du récit mais le discours que l'hagiographe porte sur lui. Il est vrai que cette catégorie d'additions , extrêmemen t fréquent e e n hagiographie, e n particulier dan s
les Vies de type homilétique, a pour effet d'allonger l'hypotexte . Mais elle engendre du
même coup parfois une réorientation conceptuelle forte, plus forte peut-être que dans
les textes purement littéraires, comme on le verra dans les exemples développés un peu
plus loin.
Malgré le s quelque s réserve s qu i viennen t d'êtr e formulée s à l'égar d d e l a grill e
d'analyse fourni e pa r Palimpsestes , tentons à présent d e mettre s a validité général e à
l'épreuve de notre corpus de textes hagiographiques lorrains .
I. A S P E C T S Q U A N T I T A T I F S D E S T R A N S F O R M A T I O N S
1. Augmentation:
a) deux exemples d'extensio n
- La légende du dragon dans la première Vie de Clément évêque de Metz (BH L 1859)
Ce qu'on appell e la première Vie de Clément, évangélisateur d e la ville de Metz, est la
première notice du Liber de episcopis Mettensibus de Paul Diacre, augmentée d'un appendice qui développe la légende du dragon qu'à Met z o n appelle le Graouilly. Selo n
la dernière phrase de Paul Diacre, en effet, Clémen t s'installa dans un amphithéâtre romain, qui fu t dè s lors définitivemen t débarrass é de s serpents qu i y pullulaient. L'ha giographe qui , a u X e siècle , amplifi e l a notic e d e Pau l Diacre 9, transform e c e »net toyage« e n un domptag e effectu é pa r Clément , qu i ligot e pui s chass e l e dragon, qu i
n'est encor e qu e l e plus gran d de s serpent s (serpens ou anguis). Aprè s cett e victoir e
prend place un éloge du saint, de ses constructions et de ses miracles. Cette vita prima,
9
Paul Diacre a écrit l e Liber de episcopis Mettensibus entr e 782 et 786. D'après Karl STRECKER , MGH,
Poetae latini V, p. 109, la datation de BHL 1859 se déduit de ce que le texte est attaché à une translation .
Il y en eut deux durant les IXe -X e s., et il s'agit vraisemblablement d e la 2e, entre 972 et 984.
114
Monique Goulle t
ou version »étendue« de la notice de Paul Diacre, se trouve sous le titre de Vie de saint
Clément dans le manuscrit Paris, BNF lat. 5294, et dans un manuscrit perdu d e SaintArnoul, édité par Calmet 10. Produite dans l'abbaye Saint-Clément de Metz, après une
tentative manqué e d e l'évêque Thierr y (mor t e n 984) pour transfére r le s reliques d u
saint dan s l a cathédrale Saint-Etienne , cett e première Vie a pour bu t d'enracine r fer mement à Saint-Clément le culte du saint patron, et sa rédaction apparaît comme un e
réappropriation symboliqu e de ses reliques par les moines, ce que Jean-Charles Picar d
a appelé un »recour s aux origines« 11. Mireille Chazan a bien montré que le remanieur
avait utilisé surtout l a Vie de saint Marcel par Fortunat 12 .
A côt é de cette extension unique, localisée à la fin d e Phypotexte, la Vie de Chro degang offre u n exemple d'extensions massives , réparties dans l'ensemble d u modèle .
- La Vie de Chrodegang évêqu e de Metz (BHL 1781)
Pour passer de la courte notice de Paul Diacre, qui couvre à peine une demi-page, aux
31 chapitres de la Vie, le remanieur anonyme a repris littéralement cett e notice, en déplaçant certains de ses éléments. Ensuite il l'a entrelardée d'emprunts à des auteurs divers e t de très long s passages d e sa composition. L a conservatio n de s quelques rare s
emprunts littéraux, dont le total ne dépasse pas cent mots, semble avoir une dimension
emblématique. En effet, de la notice de Paul Diacre (415 mots) l'hagiographe de Chrodegang fait un texte de 12700 mots, soit un accroissement de 1 à 30, sans apporter au cune information nouvelle . Il accomplit donc un effort d e créativité considérable, et le
remploi des quelques mots du modèle, pour lesquels il aurait pu aisément trouver de s
équivalents, n'est pas une facilité mais une sorte de marque d'origine e t d'authenticité ,
doublée d'un hommage au prédécesseur. La réécriture s'authentifie pa r absorption, assimilation et dépassement de Phypotexte: selon la jolie formule d e François Dolbeau ,
dans les réécritures »l a chenille devient papillon 13«.
b) deux exemples d'amplificatio n
Notre corpu s n e nous offre aucu n exemple d'expansion pure , c'est-à-dire d'un e dila tation stylistique d e Phypotexte pratiquée à l'exclusion d e tout autr e moyen d'allon gement. Gérard Genett e notai t d'ailleurs lui-mêm e la rareté de l'emploi isol é de cette
pratique e n littérature française 14. E n revanch e la pratique d'augmentation l a plus ré10 Histoire d e la Lorraine, 1.1, Preuves, c. 51-60. On trouv e dans MIGN E P L 95 la notice de Paul Diacr e
aux c. 699-700, et la Vie amplifiée au x c. 710-714.
11 Jean-Charles PICARD , Le recours aux origines. Les Vies de saint Clément, premier évêque de Metz, composées autour de Tan Mil, dans: Religion et culture autour de Tan Mil, Royaume capétie n e t Lotharin gie, Etude s réunies par Dominique IOGNA-PRA T e t J.-Ch. PICARD , Paris 1990, p. 292-299.
12 Mireille CHAZAN, Le dragon dans la légende de saint Clément, premier évêque de Metz, dans: Jean-Marie PRIVAT (éd.), Dans l a gueul e d u dragon . Histoir e - Ethnologie- Littérature , Sarreguemine s 2000,
p. 17-35.
13 Le Breviloquium de omnibus sanctis, dans: AnalBoll 106 (1988) p. 51.
14 Pour facilite r l a compréhension des terme s techniques , o n trouver a ic i un exempl e d'expansio n pure ,
emprunté à la réécriture par Pierre sous-diacre de Naples (BHL 1541d-e , Xe s.) de la Passion anonym e
de sain t Canio n (BH L 1541d , non datée) : BHL 1541b : »Anno quide m secund o cum Diocletianus e t
Maximianus imperium optinuissent persecutionem adversu s Dei ecclesiam commoverunt e t observanda per provincias suas praecepta destinaverunt , quibu s talia edocebant...«; BHL 1541d-e : »Anno igitur ab incarnatione domini Iesu Christi fere ducentesimo nonagesimo, Diocletianus et Maximianus ro-
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
115
pandue e n hagiographie es t l'association d e l'extension (ajout s massifs ) e t de l'expan sion (dilatation), dans la démarche qu'on a qualifiée d'amplification. Nou s étudieron s
cette association à travers deux exemples.
- La Vie d'Evre d e Toul (BHL 616)
Il existe deux Vies de saint Evre de Toul (Aper), toute s deux anonymes e t toutes deu x
destinées à être lues en public dans le cadre de célébrations liturgiques. La démonstra tion a été faite de l'antériorité d e la vita brevior (BHL 617), conservée dans un manuscrit de la fin du VIII e siècle, sur la prolixior (BH L 616), dont le plus ancien manuscri t
date d u Xe15. L'hagiographe d e BH L 616 a repri s l a version brève , qu i constitu e l e
noyau d e l'hypertexte , autou r duque l viennen t s'agglomére r de s passage s rédigé s à
nouveaux frai s (extension ) o u paraphrasan t l'hypotext e (expansion) . Quelque s pas sages ont été déplacés, ce qui traduit une volonté de réorganisation de la matière: il s'agit
bien d'une amplification strict o sensu .
Nous donnon s ic i un exempl e d'expansion o u dilatatio n stylistique , e n renvoyan t
pour le reste à l'édition synoptiqu e de s deux vitae fournie e n annexe 16.
BHL 617 (vita Apri antiquior) BH
L 616 (vita Apri posterior)
Beatissimi igitur Apri Tullensis urbis episcopi bodie
sollemnitas veneranda recolitur. su
Beatissimi viri et ante omne saeculum praeordinati ,
o vero tempore nobis manifestât! ac destinatipowtificis Apri hodierna di e sollemnitas veneranda recolitur, in qu a de terr a assumptus , caelo s petii t e t
tamquam miles emeritus post longa huius vitae certamina caeleste capitolium a Christo coronandus intravit.
2. Réduction
a) excision
De la même Vita Apri prolixior, le légendier Châlons-en-Champagne, BM 57 contient,
aux fol . 33-36, une versio n réduit e pa r excision , immédiatemen t suivi e d e miracul a
(BHL 618), écrits par le même moine toulois anonyme, eux aussi réduits par excisio n
massive de chapitres entiers. Cette réécriture, purement quantitative, a été opérée pour
des raisons éditoriales, à l'occasion d e la rédaction de ce légendier.
mani regni gubernacula accipientes, secundo imperii sui anno magnas persecutiones contr a Christi ecclesiam commovere coeperunt , atque per universas provincias tali a edicta pestiferis apicibu s destinar e
curaverunt« (éd . A. VUOLO, Tradizione letteraria e sviluppo cultuale. Il dossier agiografic o d i Canion e
di Atell a [secc . X-XV], Naple s 1995, spécialement p . 65-80 pour l a version d e Pierr e sous-diacre , e t
p. 84-98 pour la Passion anonyme BHL 1541b) . L'expansion réside dans la dilatation de Pexpression de
la date, et dans celle de praecepta destinaverunt, qu i devient edicta pestiferis apicibus destinare curaverunU
15 La démonstration a été faite par Pierre-Emmanuel Va n OVERBECKE, dan s le cadre d'un mémoir e de licence dirigé par Guy Philippart à la faculté de Namur (Le s Vies de saint Evre de Toul, dactylographié).
On trouver a le s références bibliographique s e t le point sur la question dan s GOULLET , L'hagiographi e
du haut Moyen Age (cit. n. 1) p. 27-42.
16 Infra, p. 134-144.
116
Monique Goulle t
b) excision ou concision ?
- La Vie d'Hidulfe BH L 3946
Ce qu'on appelle malencontreusement la vita secunda s. Hildulfi est une réduction opérée à une époqu e qu e je crois tardive 17, à partir d e la vita prima 18. Elle suit l'ordre d e
l'hypotexte, et mis à part quelques équivalent s synonymique s e n conserve le vocabulaire. On hésit e entre excision et concision: les segments de texte conservés étant net tement inférieur s a u text e supprim é (enviro n le s troi s quarts) , l e term e d'excisio n
convient mal ; inversement l a conservation littéral e d e nombreuses portion s d u text e
rend le terme de concision impropre. Du point de vue du contenu il s'agit d'une concision, l'hagiographe ayan t mentalemen t resserr é s a matière pour n'e n garde r qu e l'es sentiel, mais au lieu de la reformuler e n termes personnels i l a simplement élimin é les
mots inutiles de Phypotexte, en opérant un élagage drastique.
Vita Hildulfi prima (BHL 3945)
Vita Hildulfi »secunda « (BH L 3946)
Cumque ho c omnipotenti s divinitat i diu agere placuisset, ut conservis suis suo in tempore tritici mensuram erogaret, ad laborem praesentis vitae futuru m
pastorem populis Hidulfum nomine iussit prodire. Hildulfu
s
2. Qui clar o Nerviorum génèr e ortus , inter scola res alas sacrae miliciae alitus est, et mox futurus chri - clar o génère ortus,
stianorum defenso r a c doctor , studii s litteraru m
traditus, divin a grati a coopérante , i n brev i effica - a
iuventute litterarum studiis traditus,
cissime clarui t atqu e und e multi pe r abrupta viti - i n brevi efficacissime claruit ,
orum defluunt e t in caeno superbiae devolvuntur, videlicet s i de mundi scienti a quippia m attigerint , in de ist e adhu c bona e indoli s pue r omnibu s
excellentior factus in diesproficiebat, integer ab his de
die in diem in virtuteproficiens, e t integer ab his
vitiis quibus mvenilis aetas implicatur. vitiis
, quibus talis aetas solet implicari, persistens.
- La Vie de Goéri c
La même technique a été adoptée par l'abréviateur d e la Vie de l'évêque de Metz Goé ric, qui travaill e à partir d e BH L 3606-3607 (vita prolixior) 19'. Pratiquement tou s le s
mots d e la vita brevior son t dan s la vita prolixior, mai s de façon trè s clairsemée, tou t
se passant comme si un abréviateur avait sélectionné au fil de l'hypotexte l a matière et
les mots qu'il voulait retenir. Le terme d'excision es t là encore peu approprié: les parties supprimées étan t d e loin plus importantes qu e les parties conservées , on peut lu i
préférer celu i de »tamisage«, qui équivaut à une concision conceptuelle doublée d'un e
excision formelle .
17 Le plus ancien témoin subsistan t es t le légendier Utrecht, U.B. 391, XVe s., qui a donné lieu à composition d e texte s originaux , presque tou s de s abréviations . Voi r Johan Pete r GUMBERT, Di e Utrechte r
Kartäuser und ihre Bücher im frühen fünfzehnte n Jahrhundert , Leide n 1974 , spéc. p. 72-90.
18 L a dépendance de la vita secunda par rapport à la vita prima s e déduit - outre certains facteurs lexicau x
- du fait que pour les deux auteurs les événements se placent sous Pépin le Bref, alors que l'hagiograph e
de la vita tertia le s avance jusqu'au règn e de Pépin de Herstal.
19 Cette abréviation figure ell e aussi dans Utrecht, U. B. 391.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
117
Ces deux exemples illustrent un e technique d'abréviation servile fort répandu e e n
hagiographie: la concision de la pensée ne passe pas par une innovation lexicale , Phagiographe se contentant d'opérer de s coupes franches dan s son hypotexte .
c) Dans l e corpus d e texte s lorrain s j e n'ai d'ailleur s pa s pu trouve r d'exempl e d e
condensation a u sens strict 20: c'est une démarche plus élaborée qui passe par une syn thèse préalable des idées et un renouvellement du vocabulaire. Il n'est d'ailleurs pas exclu que les reprises lexicale s qui caractérisent tou s le s textes qu e nous avon s analysé s
ici ne soient pas une simple facilité: elles permettent égalemen t d'inscrire l'hypotext e
au cœur même de l'hypertexte, et de faire fonctionner le s liens intertextuels pour opé rer une conservation »e n creux« du modèle .
Il faut enfin accorder une attention spéciale aux opérations de réduction engendrée s
par l'introduction d'u n text e dans un lectionnair e hagiographique . La rédaction d'u n
texte à nouveaux frais es t relativement rare en la circonstance, et on se contente géné ralement de sélectionner telle ou telle partie de l'hypotexte. Ce type de sélection ne passe d'ailleurs pas obligatoirement par une nouvelle copie, et les mentions marginales du
type lectio prima, secunda, etc . ... suffisent à indiquer quelle s parties d u texte o n de vait lire selon l'occasion liturgique .
3. Substitution: les deux versions de la »vita tertia« s. Hildulfi (BHL
3947-3948)
Il y a deux versions de la vita s. Hidulfi BHL 3947-3948 (malencontreusement dite tertia, mais en réalité réécriture directe, par extension massive, de la vita prima BHL 3945).
Ces versions diffèrent pa r le contexte codicologique et éditorial dans lequel elles s'inscrivent. BHL 3947 désigne la version contenue dans les manuscrits Paris, BNF lat. 9738
(XII e s., originaire d'Echternach) e t Bruxelles, BR 7503-18 (XIVe s., originaire de Paderborn); elle est suivie directement par un Libellus de successoribus et de miraculis s.
Hildulfi (BHL 3949, en français souven t Chronique de Moyenmoutier), annoncé dans
ces manuscrits par deux phrases, l'une au chap. 34 de la vita21, l'autre juste avant Pexplicit22.
L'autre version , suivi e no n pa s d u Libellus , mai s d u sermo n inédi t BH L 3948 b
»contra depravatos saeculi mores« 23, est contenue dans deux manuscrits originaires de
Moyenmoutier: Wien, Österreichische Nationalbibl. 575 (XIe s.) e t Nancy, BM 1277
20 II est difficile d e donner ce nom à Tepitome de la Vie de saint Airy (Agericus) de Verdun, BHL 144d , qui
figure dans le manuscrit Verdun, BM 8, car Pabréviateur a manifestement cherch é à faire une simple table
chronologique des principaux événements .
21 »Restant sane quamplurima Deo dignissimi patris nostri Hildulfi successorumque eius acta meritis illius
condita, quae pro fastidio lectori s intéri m differend a e t ali i opusculo iudicavimu s deleganda « (AASS ,
lui. III, 3 e éd. p. 225).
22 »Si quis vero Hbrum miraculorum supe r hae c transcurrere studuerit , evidentissimi s agnoscer e indicüs
poterit, quantu s hi c beatus pater noste r Hildulphu s extiterit , qualesqu e viros , dictante spirit u sancto ,
sanctae ecclesia e educaverit . Explicit vit a sancti Hildulf i Treviroru m archiepiscopi . Incipit libe r mira culorum eiusdem« .
23 Inc. »Hinc ia m superioribus intentioni s nostra e partibus. Des. praesidenti a c sustinenti cunct a et mo venti sine sui motione. Ipsi laus ... Amen«. Ce sermon porte le n° 3949b dans le premier supplément de
la BHL (Subsidi a hagiographica 12 [1911], p. 158); Henri FRO S l'a judicieusement renumérot é dan s l e
Nouveau supplément , p. 429).
118
Monique Goulle t
(XIe s.)-127 8 (XIII e s.) 24, ains i qu e dan s un e copi e tardive , Roma, Bib. Aless . 227
(XVIe s.) . Dans le s deux manuscrit s d e Moyenmoutier , qu i son t apparemmen t deu x
témoins de la même famille, après la vita prima s. Hildulfi (BH L 3945) figurent la »vita
tertia« et le sermon BHL 3948b, considéré comme partie intégrante de la vita, puisqu'il
se termine par la mention: explicit vita s. Hildulfi archiepiscopi .
Des deux ensembles vita + sermo et vita + libellus lequel est antérieur? A-t-o n ex cisé le sermon, pui s ajout é l e libellus pou r produir e le s versions BH L 3947 et BH L
3949, en introduisant dans la vita quelques additions ponctuelles pour la lier plus étroitement au libellus? Ou a u contraire a-t-on excis é ces chevilles de la version 3948, pour
ajouter l e sermon? L a première hypothès e a la faveur d e John Howe 25 , pour de s rai sons convaincantes, d'ordre codicologiqu e e t littéraire: les attaques violemment anti simoniaques contenues à la fois dans le sermo et la vita, ainsi que Tincipit même du sermo 26 , laissent à penser que le bloc vita + sermo a été écrit par un même auteur .
Mais on a montré par ailleurs que la vita tertia et le libellus avaient eux aussi le même auteur, qui les a rédigés à quelque temps d'intervalle, comme l'établit la phrase déjà citée (»quae pro fastidio lectori s intérim differenda et alii opusculo iudicavimus deleganda«), au moment de la restauration de Moyenmoutier par Brunon d e Toul27 vers
1030/31 d'après la Vita s. Leonis IX du pseudo-Wibert28 . C'est don c tout le bloc BH L
3947-3948 qui est l'œuvre d'un même hagiographe, lequel a d'abord conç u l'ensembl e
anti-simoniaque vit a + sermo, pui s l'ensembl e narrati f vit a + libellus, moyennan t
quelques retouches légères dans les phrases de transition .
24 Nancy, BM 1277 contient la vita prima, e t Nancy, BM 1278 la vita tertia, découpé e en leçons, et interrompue à la fin d u chap. 13 par la formule liturgiqu e »T u igitur«.
25 John HOWE , Gree k Influenc e o n th e Eleventh-centur y Wester n Reviva l o f Hermitism , Universit y o f
California, Los Angeles 1979 (dactylographié), p. 280-282.
26 »Hinc iam superioribus intentioni s nostrae partibus non sicut factorum dignita s exposcit, sed ut aridi tas ingenioli permittit ...«.
27 Voir Julien THÉRY, Le libellus des successeurs de saint Hidulfe. Mémoire de maîtrise de l'Université Pa ris I, sous la direction de Michel Parisse, Paris 1994 (dactylographié), repris par GOULLET , L'hagiogra phie du haut Moyen Age (cit. n. 1), p. 77-81.
28 Voir M. PARISSE, La Vie du pape Léon IX, Paris 1997, p. 46. La réforme n' y es t pas datée, mais Pévénement est immédiatement suiv i (dans la même phrase) de la mise en place de Widric (ou Werry) à SaintEvre; on sai t que cette dernière eu t lieu e n 1031 (Neithard BULST, Untersuchungen z u de n Klosterre formen Wilhelm s vo n Dijon [962-1031], Bon n 1973 , p. 90-102 [Parise r Historisch e Studien , 11] ,
p. 90-102) .
Vers une typologie des réécritures hagiographiques
119
IL ASPECT S FORMEL S N O N QUANTITATIF S DE S
TRANSFORMATIONS
Les deux cas les plus fréquents e n hagiographie son t la transposition d e prose en vers
(versification) e t la réécriture »e n meilleur style« (cas particulier de transtylisation).
1. Versification
François Dolbeau ayant développé ici même l'exemple d'une réécriture métrique de la
Vie de saint Ouen, je ne dirai que quelques mots de ce type de réécriture. Il s'agit d'une
Vie métrique tardive de saint Mansuy, BHL 5213, qui démarque la Vita Mansueti pa r
Adson (BH L 5209). N'est modifié , gross o modo, que ce qui permet d e faire entre r le
récit dan s l e cadre rigide de l'hexamètre rimé ; c'est une paraphras e hérité e d e la pratique scolaire de la conversio ou de Palteratio. L'auteur va jusqu'à reprendre à son modèle de nombreuses liaison s logiques quand il le peut, et tout so n lexique pour autan t
qu'il entre dans le cadre de l'hexamètre: il s'agit donc d'un simple »habillage métrique«,
dans lequel le remanieur ne se montre pas sans qualités; ses 323 hexamètres dactylique s
sont dans l'ensemble convenables et conformes à une conception purement rhétoriqu e
de la poésie. On s e contentera ic i de renvoye r à l'analyse qu i e n a déjà ét é faite 29, e n
soulignant ce que ce type de transposition suppos e d'habileté dan s la substitution sy nonymique.
Ce cas est, sur le plan de l'inventio, totalement à l'opposé de la Vie métrique de Clément de Metz par Carus (BHL 1860f) , dont il sera question plus loin: ce dernier ne reprend quasiment pas un seul mot de son hypotexte et compose une oeuvre entièrement
originale tant sur le plan des idées que sur celui de la forme (vocabulaire , structure d u
texte, etc....).
2. Transtylisation
Rien n'est plus difficile à définir e t à analyser qu'un style, et d'un certai n point de vue
il faudrait considére r qu e tout changement d'auteu r entraîn e un changemen t de style.
Ce n'est pourtant pas au sens de »manière d'écrire personnelle« que les auteurs de l'Antiquité et du Moyen Age entendent le terme, mais dans son sens rhétorique de »niveau
d'écriture«: ils distinguent ains i les styles noble ou élevé , médiocre ou moyen, simpl e
ou bas . La réécriture »e n meilleur style « constitue l e motif peut-êtr e l e plus répand u
du discours des remanieurs. Ce type de transtylisation, qui a motivé la plupart des campagnes d e réécritur e carolingiennes , continu e d'êtr e invoqué , d e façon l a plupart d u
temps totalemen t factice , duran t tou t l e hau t Moye n Age . O n peu t alor s parle r d e
»transtylisation annoncée«, l'hagiographe proclamant sans tenir ses promesses qu'il va
améliorer le style de son modèle.
29 Voir M. GOULLET , Les Vies de saint Mansuy (Mansuetus), premie r évêqu e de Toul. Aperçu d u dossie r
et édition critique des textes inédits, dans: AnalBoll 116 (1998) p. 57-105, ici p. 75-93.
120
Monique Goulle t
Sur le plan des données narratives, par exemple, il n'y a quasiment aucune différen ce entre le s deux versions d e la Vie de sainte Glossinde , dont l a plus ancienn e (BH L
3562), anonyme, est légèrement postérieure à 882, et la plus récente (BHL 3563), unanimement attribué e à Jean de Saint-Arnoul, dat e de 963 environ. Cett e dernièr e am plifie la vita prima, en reprenant certains passages de façon littérale, en en paraphrasant
d'autres, et en ajoutant des morceaux nouveaux, de nature essentiellement parénétique.
Les additions n'altèrent ni les données du récit ni la portée de l'œuvre. Pourquoi alor s
une réécriture? L a réponse est donnée explicitement par le prologue qui fait la transition entre la vita secunda et le récit de translation qu i suit: le style du modèl e est tro p
»simple« (simplici stylo):
»Nous n e somme s don c pa s tou t à fait certai n d'apporte r quelqu e chos e par cett e réécriture , e t
nous n'abordon s pas un e matièr e vierge, puisque nou s marchon s su r le s traces d'u n autre . Mais
puisque cett e histoir e d e l a bienheureus e vierge , sou s la form e qu e l e pass é a transmis e à l a
mémoire a u hasard , d e manièr e improvisée , n e pouvai t pa r so n styl e simpl e conveni r qu'a u
vulgaire, considérant , ave c l'aid e d u Christ , qu e beaucou p d'érudit s distingué s n e manquaien t
pas d'être pris de nausée à une lecture manquant autant de sel, nous n'avons pas jugé inconvenan t
de nous employe r à faire le s délices de ces derniers. Par conséquent, dan s notre première partie ,
d'une part , comme le montrent à mon sen s les chapitres précédents, nous avon s transcrit fidèle ment l e text e authentiqu e de s Geste s d e l a sainte , e t dan s c e qu i v a suivre , d'autr e part , nou s
viserons a u mêm e respect , sou s l a conduite d u Chris t notr e Seigneu r e t grâc e au x mérites d e s a
divine épouse, et nous suivrons les mêmes traces dans l'ordre d e notre narration« 30 .
A lire cette préface, on se demande si l'hypotexte don t parle le remanieur es t bien celui que nous avon s conservé, dont l e lexique est souvent l e même que le sien, fait qu i
justifie d'ailleur s l'expressio n pa r laquell e i l désigne so n travail: »interpretatione fid a
transposuimus«. Sur le plan rhétorique l a différence l a plus notable est un glissemen t
net du plan de la narration à celui de la persuasion: il semble que dans l'esprit d e l'ha giographe le style noble s'obtienne par l'insertion d e passages encomiastiques e t parénétiques. En outre il reproche explicitement à son modèle son manque de précision historique, et se réjouit qu' à l a différence d e la vita le récit d e translation fass e u n effor t
de datation. Encore celui-ci lui semble-t-il tout relatif, puisque, dit-il, l'auteur d e l'hypotexte place les événements sou s le règne de Childéric san s préciser du quantième il
s'agit, ce qui, à ses yeux, suscite un certai n nombre d e problèmes qu e je ne puis développer ici. Il conclut en ces termes:
»Quoi qu'i l e n soit, nous laisson s à chacun l a liberté d'apprécier, ce s imprécisions n'entaman t e n
aucun cas l'importance d e ce que nous allons dire, et avec l'aide du Seigneur nous allons tâcher de
poursuivre en racontant, avec le zèle de la dévotion autant que du devoir, les miracles qui manifestèrent la puissance de la bienheureuse vierge, les guérisons de diverses maladies opérés pour la gloire
de son tombeau« 31.
30 »Non autem certius nos aliquid allaturos hac scripti novitate fatemur: neque enim intactam ordimur rem,
cum alienis tantum vestigiis innitamur; se d quoniam histori a ill a beatae virginis simplici, ut fort e anti quitas derepente mandavi t memoriae , stylo compacta, vulgo solum erat accomoda, considérante s iam ,
Christo propitio, plures disciplinarum studiis eminentes, lectionem insulsioris scripturae non sine quadam nause a fastidire , eoru m delicii s nostra m opera m no n incongruu m estimavimu s deservire . Fide m
ergo gestorum et in priori parte, ut scripta praefata monstrabant , interpretatione fida, ut puto, usque ad
obitum beatae virginis transposuimus, et nunc sequentibus deinceps pari nihilominus puritate, Christo
domino nostr o praevio , meritisque ipsiu s sponsa e divina e faventibus, narrand i ordin e eade m vestigi a
persequamur«. Vita Glodesindis, chap . 16 et 18, AASS OSB II, p. 1087-1090.
31 Ibid .
Vers une typologie des réécritures hagiographiques
121
La discussion préalable a donc été jugée suffisante, e t le remanieur n e donnera pa s
plus de précisions historiques que son modèle. On touch e là une question récurrent e
dans les textes hagiographiques: la distorsion - tout au moins ressentie comme telle par
un lecteu r actue l - entre les déclarations d'intentio n de s hagiographes e t la réalité d e
leur pratique. Ce hiatus demand e e n tout ca s qu'on revoi e un certai n nombr e d e notions de l'esthétique e t de la pragmatique médiolatine. En outre la dualité du texte hagiographique, qui relève à la fois de la littérature et de la liturgie, apparaît ici nettement:
l'écriture hagiographique a valeur performative, en ce sens qu'écrire une nouvelle version c'es t ravive r l e culte . L a topiqu e d e l'exord e demand e qu'o n justifi e l'act e d e
réécriture: quand celui-ci émane d'un objectif qu'on pourrait - un peu hardiment peutêtre - qualifier de »publicitaire«, la démarche la plus simple est d'affirmer l'insuffisan ce de la version précédente e t l'expression d'u n dési r personnel d'émulation : peu im porte alors le fossé qui se creuse entre ce désir et son actualisation. Pour l'hagiographe ,
le plus importan t n'es t peut-êtr e pa s c e qu'il écrit , mai s l e fait mêm e d e l'écrire , pa r
lequel i l opèr e l a rénovatio n d u cult e de s saints : n'oublion s pa s qu e renovare, trè s
souvent employ é dan s les prologues d e textes hagiographique s d e type homilétique ,
comme le français »renouveler « signifie à la fois »reproduire à l'identique« et »remettre
à neuf«.
III. ASPECTS S É M A N T I Q U E S O U C O N C E P T U E L S DE S
TRANSFORMATIONS
1. Transformations diégétiques (affectant l'univers du récit)
a) forgeries généalogique s
Le terme de »forgerie« o u de »falsification« n' a ici aucune connotation moral e ni même seulemen t péjorative : i l est l'équivalent d u »faux « e n diplomatique. Pou r l'histo rien actuel , de s réécriture s d e c e typ e son t hautemen t instructives , e t source s d e
connaissances sur les représentations et les mentalités des époques qui les ont conçues.
- Saint Arnoul e t les généalogies carolingienne s
Dans sa vita prima, mérovingienne , le septième évêque de Metz n'a pas de généalogie:
la seul e mentio n d e so n origin e es t qu'i l es t iss u d e la nobless e franque . Ave c Pau l
Diacre et le Liber de episcopis Mettensibns 32 i l devient l'ancêtr e de s Carolingien s pa r
son fils Anségisel, qui épousa Begga, fille de Pépin l'Ancien. L e nom d'Anségise[l] es t
rattaché par Paul Diacre à celui du père d'Enée, Anchise , ce qui installe durablemen t
la légende de l'origine troyenn e de s Francs, reprise par exempl e a u chap. 6 de la vita
tertia d'Hidulf e e t a u chap . 5 de l a deuxième Vi e de sain t Arnoul . Metz , capital e d e
l'Austrasie, vise donc plus haut que Remiremont, e t se veut la dépositrice d'un hérita ge non plus local mais universel. C'est auss i à Paul Diacre que remonte la légende d u
choix proposé par Arnoul à ses deux fils d e renoncer à leur part d'héritag e e n faveu r
32 Liber de episcopis Mettensibus, MGH, Script. II, p. 264 (VIIIe siècle).
122
Monique Goulle t
des pauvres: Cloud, qui aurait refusé, devint néanmoins plus tard évêque de Metz, tandis qu'Anségisel accepta, et reçut en récompense le regnum Francorum. D e Paul Diacre
naquirent des généalogies (BHL 695-701) exactes historiquement pour la période basse, mai s légendaires en amont. Leur contenu s e répercute dans la Vita Arnulfi secundo,
(BHL 693), rédigée par un anonyme 33 qui écrit peut-être au X e siècle. Il ajoute des détails complémentaire s san s valeu r historique , pa r exempl e l e lie u d e naissanc e d e
Pévêque (Lay-Saint-Christophe) , li é à la translation de s reliques d e Cloud dan s cett e
abbaye en 950 34, et il développe encore la généalogie pippinide 35.
A la fin du X e siècle, Thagiographe de la Vie de Chrodegang évêque de Metz retien t
la généalogi e de s descendant s d'Arnoul , e n lu i ajoutan t u n élémen t supplémentaire :
comme o n T a di t plu s haut , i l fai t d e Landrade, mère d e Chrodegang , un e fill e d e
Charles Martel, donc une sœur de Pépin, qui aurait épousé le noble Sigirammus. Cet te forgerie généalogique vient doubler la légende de l'apostolicité d u diocèse, pour garantir au siège de Metz les deux critères absolus que sont l'ancienneté e t la noblesse 36.
- Remiremont e t la deuxième Vie d'Adelph e
La vita prima Adelphii (BH L 73), mérovingienne, es t totalement étiqu e et se limite à
un obitus: sentant venir sa mort, Adelphe, troisième abb é de Remiremont aprè s Am é
et Romaric, se livre à une confession publiqu e et demande à se rendre à Luxeuil pou r
la réitérer devan t le s moines. Il est accueill i par l'abb é Ingofredu s e t confié au x bon s
soins d'Emmon . I l séjourne l à quelque temp s e t meurt, aprè s avoi r ressent i un e vio lente douleur a u bras. Son corps es t transféré solennellemen t à Habendum, futu r Re miremont, par Garichramnus, son successeur, bientôt rejoint par l'abbesse Tetta et ses
soeurs; il est dépos é e t veillé d'abor d dan s l'églis e Saint-Pierre , pui s ensevel i comm e
Amé à Sainte-Marie. Le leitmotiv d u réci t d e ses miracles post mortem est que sa dépouille chante de s hymnes. Le commanditaire d e l'oeuvre es t l'abbesse Tetta , dont l e
nom apparaî t à la fin d u texte, et l'auteur es t un moin e d e Remiremont, qu i se donne
pour contemporain de s événements.
La Vita secunda (BH L 74) n'est plus attestée que par un seu l témoin manuscrit d u
XVe siècle, originaire de Remiremont37. Le remanieur reprend, en les paraphrasant plus
33 On a attribué ce texte à »Umno« à la suite d'une mélecture d'un mo t d u prologue: »Exhortatione plu rimorum commonitus , immo De i grati a praeventu s ...«; les Bollandîste s on t rectifi é Terreu r dan s l a
BHL. Quant à Immo, c'est certes un nom répandu , en particulier en milieu messin où un abbé nomm é
Immo dirigea Gorze au XI e siècle, mais étant donné la structure de la phrase, il s'agit bien plutôt ici d'un
adverbe (»Encouragé par de nombreuses exhortations, mieux encore, prévenu par la grâce de Dieu ...«).
34 Chap. 2: »Natus es t autem beatu s Arnulphus Aquitanic o pâtre, Sueva matre in Castro Laycensi, in comitatu Calvomontensi , imperatori s Mauriti i temporibus , qu i primu s d e génèr e Grsecoru m imperavi t
Romanis«.
35 Chap. 9: »Hic Anchisu s patri s consult u filia m principi s Germania? secunda? Pipini, Beggam nomine ,
duxit in matrimonium, sanetse videlicet Gertrudis sororem, quam in virginitate sanctus Foillanus enutrivit. Ex hujus Pipin î sorore, Waldrada nomine, natus est Gualchisus, qui sanctum genuit Wandregisilu m
Christi confessorem. E x Begga igitur genui t Anchisus Pippinum , av i nomen habentem« . On retrouv e
cette généalogie dans la deuxième Vie du roi Sigebert par Sigebert de Gembloux (2 e moitié du XI e s.).
36 G. H . PERTZ , MGH, Script . X, p. 552, signale que cette forgerie s e retrouve dan s une chart e fausse d e
donation de Chrodegang à Gorze. Chrodegang étant en 737 le référendaire de Charles Martel, lui-même
dit invertis en 717, il ne peut être son petit-fils (PERTZ , ibid.).
37 Paris, BNF Nouv. acq. lat. 2289, f. 165v-168v .
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
123
ou moins adroitement, des éléments de son modèle, mais il opère surtout une forgeri e
généalogique, en prêtant troi s filles à Romaric. Voulant conserve r ses biens au Chris t
en leur interdisant le mariage, il les destine à la vie monastique. Or Tun e d'entre elles ,
Asselberge, désobéit e t épous e u n nobl e Sicambre , Bithilinus , san s recevoi r s a par t
d'héritage. Lorsque naît sa fille Tetta, elle l'envoie à son père Romaric retiré à Remiremont avec Amé, espérant qu'il donnera à sa petite-fille la part d'héritage qu'elle n'a pas
reçue. Or Romari c garde Tetta, la fait baptiser, l'intègre dan s la communauté de s moniales, et elle devient plus tard abbesse sous le nom de Gébétrude. Entre temps, Asselberge a eu un second enfant, un fils, qu'elle envoie à Romaric, avec l'espoir que ce dernier fera d e son petit-fils l'héritie r d e ses biens; Romaric fait baptise r l'enfant , qu i reçoit l e nom d'Adelphe , e t i l en confie l'éducatio n à saint Arnoul . Bithilinu s assur e à
Remiremont l'héritage qu'il possède en Provence, possession plus tard ravagée par les
Sarrasins. A l a mort d'Ame , e t avant d e mourir lui-même , Romaric institu e Adelph e
abbé du monastère, qu'il gouverne conjointement ave c sa soeur Gébétrude. Les biens
de Romaric reviennent don c entièrement à l'abbaye, qui à sa mort abrit e tous ses enfants e t petits-enfants .
La noblesse des premiers abbé s et abbesses es t instituée par ce tour d e passe-pass e
généalogique, et la fondation romarimontain e devient une »affaire d e famille« comm e
de nombreux monastères mérovingiens. Il est bien évident que ces ajouts n'on t aucu n
fondement historique : le lien qu'ils établissent entre Adelphe et les fondateurs d e Remiremont es t d'invention tardive , et le nom du troisième abbé est absent de toutes les
sources no n hagiographiques concernan t l a région. Quan d o n considèr e qu e ce texte
est vraisemblablement contemporai n d e la deuxième Vie de Romaric, analysée un peu
plus haut, on voit aussi l'orchestration d'un e campagn e de réécriture destinée à légitimer les revendications d'indépendance de l'établissement vis-à-vis de l'évêque de Toul.
Les deux textes sont d'ailleurs complétés par une Translation contemporaine contenu e
dans un manuscri t liturgiqu e originair e d e Remiremont 38; celle-c i reprend l a forgeri e
généalogique, e t l a complète pa r un e paraphras e d e fau x diplomatique s forgé s vrai semblablement sous le pape Léon IX39, ancien évêque de Toul en qui l'abbaye fémini ne de Remiremont avai t trouvé un interlocuteur privilégié. A la demande de l'abbess e
Oda, le pape fit procéder à une sanctification de s trois premiers abbés romarimontain s
et de l'abbesse Gébétrude ; une translation eu t lieu en 1049.
b) renforcement d u contexte historiqu e
Un phénomène récurren t des réécritures de la fin du X e et du XI e siècle est le souci de
précision historique. Les »hors-d'œuvre« historiographique s on t pour obje t d'ancre r
dans le temps historique des saints dont l'existence fait problème, ou, pour les autres,
de les situer autrement dan s l'histoire; au x X 7 XP siècle s la chose a fini par produir e
38 Paris, BN F lat . 2288, fol. 172-176 (XVe s.) ; voi r GOULLET , Le s saint s d u diocès e d e Tou l (cit . n . 1)
p. 66-69.
39 La première leçon raconte comment Romaric obtient pour Remiremont un privilège d'immunité qui le
met sous l'autorité directe du pape, lui réserve le choix de l'abbesse, soustrait cette dernière à la juridiction des évêques et la rend responsable devant le pape seul; la suivante affirme qu e le pape Jean a accordé aux fondateurs Am é et Romaric un privilège gloriosis etiam augustis consentientibus: Remiremon t se
veut, dès sa fondation, une abbaye royale exempte .
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Monique Goulle t
une sort e d e mode , a u sei n d e laquell e le s digression s historiques , plu s o u moin s
longues, n'engendren t plu s parfoi s qu'u n effe t d'érudition , voir e d'ornementation ;
d'autres, au contraire, sont des falsifications. Change r l'origine d'un saint, l'époque o u
le lieu de son action est parfois u n moye n d'en récupére r le culte.
- La deuxième Vie de Romaric
La réécriture de la Vita Romand (XIe s.) reprend les éléments biographiques e t historiques de l'hypotexte mérovingien, mais avec une architecture d'ensemble et des visées
différentes; l'hagiograph e affirm e d'ailleur s dan s le premier chapitr e qu'il n e sera pas
question d e répéter c e qui a déjà ét é dit ailleurs de la formation, d e la piété et des miracles du saint . La vita secunda ajout e u n véritable préambule historiographique , an noncé dans le prologue comme une explication de l'origine de la vocation monastiqu e
de Romaric; ce prélude est organisé autour des luttes qui opposèrent Thierry et Theudebert. L'hagiographe stigmatis e violemment Thierry , le mauvais roi. Il fait l'élog e d e
Clothaire II, le roi-justicier annonc é par le prophète. Au centr e de ces événements s e
trouve Colomban , don t l'hagiograph e rappell e l'arrivée e n Gaule, suivie de la fonda tion de Luxeuil. L'avènement de Clothaire II est d'ailleurs rattach é à une prophétie de
Colomban (Colombanus... Clotarium vero trium regnorum monarchiapotiturum spiritu sancto illustratus praedixit), don t l e souvenir plane ainsi sur l'ensemble d e la vita
et donc sur l'histoire de la fondation d e Remiremont. On voit encore comment le saint
irlandais fut contrain t d e fuir Luxeui l à la suite de ses démêlés ave c Brunehaut, com ment il établit Eustase comme abbé, et comment ce dernier évangélisa Bavarois et Hongrois avant d'envoyer Am é prêcher e n Austrasie. Tout le passage organise assez habilement des retours en arrière, on passe sans cesse du temps de Colomban à celui de Romaric, ce qui appell e l e lecteur à tirer le s leçon s d e l'histoire : Romari c e t Colomba n
furent tou s deux victimes des abus de Brunehaut e t Thierry, et tous deux ils eurent le
pouvoir miraculeux d'obtenir l e châtiment de leurs persécuteurs; tous deux furent de s
fondateurs, e t Colomban es t présenté comme le moteur de la vie monastique en Gau le: e n rapprochant d e lui Romaric, le texte garantit la noblesse et le prestige de Remiremont. Le récit ménage aussi avec une grande habileté le passage de l'historiographi e
générale de la période mérovingienn e à la vie familiale e t individuelle d e Romaric. La
maigre Vi e mérovingienne , e t ave c ell e l e prestige d e l'abbay e d e Remiremont , son t
revalorisés.
2. Transformations pragmatiques (affectant les événements)
a) des réécritures e n cascade: les Vies de saint Clément de Metz 40
Nous avons procédé jusqu'ici par type de réécriture, ce qui ne permet pas toujours d e
bien sentir la logique historique ni la polysémie des modifications opérées . Nous nou s
proposons donc de suivre au sein d'un dossier complet, celui de saint Clément de Metz,
des modifications pragmatique s qu i laissent filtrer le s enjeux idéologique s de s réécritures.
40 Ce dossier compliqué a déjà été traité par Baudouin De GAIFFIER , Notes sur le culte des saints Clément
de Metz et Caddroë, dans: AnalBoll 85 (1967) p. 21-43; PICARD, Le recours aux origines ... (cit. n. 11)
p. 292-299; CHAZAN, Le dragon dans la légende (cit. n. 12) p. 17-35.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
125
La première mentio n d e Clémen t avai t ét é faite pa r Pau l Diacre , dans l e Liber de
episcopis Mettensibus, qu i asseoi t définitivement l e topos d e l'apostolicité d u diocès e
de Metz41. Le corps du saint ne fut retrouv é qu'au IX e siècle, sous l'épiscopat d e Drogon, dans un lieu que nous n e connaissons pas, et il fut transport é a u Sablon, un fau bourg d e Metz, dan s l'églis e Saint-Féli x qu i prendra alor s l e nom d e Saint-Clément .
On eu t tôt fai t d'e n attribue r l a construction à son patron éponym e lui-même , et o n
crédita égalemen t Clémen t d e l a fondatio n d e l'églis e Saint-Pierre-aux-Arènes ,
construite dans l'ancien amphithéâtre où la tradition rapportait que le saint avait résidé et tué un »dragon« .
Lorsqu'après l'instauratio n officiell e d u cult e d e Clémen t l'évêqu e Adalbéro n Ier
(929-962) décide d'établir une communauté monastique à Saint-Felix-Saint-Clément ,
qui fait partie du patrimoine épiscopal, il fait appel à un moine d'origine insulaire, Caddroë, et à quelques-uns de s frères qu'i l dirigeai t alor s comme abb é de Waulsort (Bel gique). Le but d'Adalbéron es t de relancer un sanctuaire resté très modeste jusque-là .
Son successeur, Thierry Ier, nomma à la tête du monastère un chanoine de la cathédrale, un certain Vindricus, comptant pouvoir ainsi récupérer facilement l e corps de saint
Clément pou r s a cathédrale. I l dut pourtan t plie r devan t l a résistance de s moines , e t
cette tentative d'appropriation de s reliques de Clément eu t pour effe t d e lier définiti vement les origines du premier évêque de Metz au sanctuaire qui les conservait. En ef fet, alors que Paul Diacre ne mentionne pas d'autre lie u de séjour qu e l'amphithéâtre ,
et qu'il ne situe pas la sépulture de Clément, deux textes hagiographiques (BH L 1859
et 1860f.), rédigés à Saint-Clément à la suite de la tentative de Thierry Ier, vont, par u n
»recours au x origines«, définitivement rattache r l e monastère à son saint patron. Le s
deux hagiographes poursuivent la même stratégie: ils ancrent le culte de saint Clémen t
dans l'ancienne églis e Saint-Félix e n faisant d u sain t son fondateur; il s l'ancrent dan s
le temps, en faisant du saint également le fondateur d u siège épiscopal. Les deux vitae
témoignent d'une opposition topographique entre la cathédrale (le centre) et Saint-Félix-Saint-Clément (le s faubourgs), e t d'une oppositio n institutionnell e entr e l'évêqu e
et les moines.
La Vie en prose BHL 1859
La Vie de Clément e n prose BHL 1859 a fait l'objet d'un e analys e un peu plus haut, à
propos d e l'aspect quantitati f de s transformations. Rappelon s qu e cette vita prima e n
prose es t une première amplificatio n d e la notice d e Paul Diacre, pour laquell e le remanieur remploie la Vie de saint Marcel par Fortunat 42 . La réécriture, outre un recen trage géo-monastique très important - obtenu e n particulier par l'ajout d'un e liste des
constructions et des miracles du saint -, présente une transformation encor e timide du
récit de Paul Diacre: grâce à l'épisode du domptage de l'animal, la place est prête pou r
que puisse se développer la légende du dragon, qu'à Metz on appelle le Graouilly, promise à un bel avenir dans le folklore local .
41 MGH, Script. II, p. 261-262.
42 BHL 5248, chap. 10 (éd. B. KRUSCH, MGH, Auct. antiq. IV, 2, p. 53-54).
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Monique Goulle t
La Vie métrique BHL 1860f
Dans le s dernières année s du X e siècle, ou dan s les premières année s d u XI e , une Vie
métrique de Clément a été composée par le moine de Saint-Clément Carus. Loin d'êtr e
un ca s de simple transposition formell e comm e beaucou p d e mises e n vers de natur e
scolaire, cette version offre d e subtiles variations métriques: hexamètre, hymne et poésie rythmique s e succèdent. Du poin t d e vue quantitatif, Caru s amplifie de s épisode s
relatés rapidement dan s la vita prima, comm e l a conversion d e la population e t l'administration d u baptême , e t insèr e de s thème s nouveau x d e natur e métadiégétiques ,
c'est-à-dire extérieur s a u réci t e t l e commentant : c'es t l e cas , pa r exemple , d'un e
exhortation d e l'hagiographe à la vénération de s saints fondateurs. Mai s il y a eu sur tout transmodalisation, e n l'occurrence passage d'un mod e narratif à un mode discur sif o u oratoire : alors qu e dan s l'hypotext e l e discours direc t d e Clémen t es t entière ment subordonn é à la narration, don t i l n'est qu'u n épisode , dans l e poème l a narra tion hagiographique a pour seul e finalité d e soutenir l e discours direct , qui constitu e
lui-même une narration biblique , secondaire d u poin t d e vue structurel, mais principale du point d e vue sémantique. Par ce rééquilibrage entr e récit e t discours, l'hagio graphe parvien t à croiser le s deu x itinéraire s messianique s d u Chris t e t d e Clément .
Sans changer profondément d e sens, le discours hagiographiqu e chang e d e niveau e t
acquiert des traits de l'épopée biblique , qui, à côté des personnages, fait aussi parler le
poète.
Cette réécriture bouleverse donc la thématique de l'hypotexte. Le poète - peut-être
un Irlandais - est très cultivé: il emprunte aux poètes Virgile, Sédulius, Juvencus, Arator, Prudence, Ambroise, et Fortunat, et aux Pères de l'Eglise. Sur ses 1068 hexamètres,
seuls les 84 premiers son t consacrés à la légende du dragon. On voi t ensuite Clémen t
convertir e t baptiser l a population, e t la quasi totalité d u poème rapport e s a prédication en un long discours direct. Ce discours de prédication retrac e l'histoire bibliqu e
depuis la Genèse - où réapparaît fort opportunément le thème du serpent -jusqu'à l'ar rivée de Clément en Gaule. Tout se passe en effet comm e si l'hagiographe avai t fait une
lecture typologique de la légende, Clément triomphateur du serpent apparaissant comme un second Rédempteur. Plutôt qu'une Vie de Clément, le poème se présente com me une histoire du salut: au lieu d'être centr é sur la biographie du saint, le poème em brasse l'histoire universelle .
La Vie en prose BHL 1860
La légende du dragon , contenue à l'état embryonnair e dan s la première réécriture , se
développera encore plus d'un siècl e après dans la version BHL 1860, rédigée à la suite
de l'élévation solennelle des reliques de Clément en 1090, à partir de la vita prima. Pou r
amplifier l e récit du domptage du dragon, le remanieur procède à la fois par extensio n
et par paraphrase de son modèle; l'extension - résumée entre crochets dans le tableau
ci-dessous - consiste e n une descriptio n d u monstre e t en un passage métadiégétiqu e
(exclamatio e t comparaison biblique) 43:
43 Les équivalents synonymiques son t soulignés et les remplois littéraux sont en gras.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
127
Vita s. Clementis prima, c. 5 (texte intégral )
Vita s. Clementis secunda, c. 17
Vir autem dei , sicut refer t antiquitas , stolam quam
sanctissimo gerebat i n collo statim deposuit , maxi mumque eorum, ea cuncto spectante populo, alliga-
Sacerdos dei , stola quam in su o gestabat coll o ac cepta, serpenti s cervic i man u propri a innodavit se que ut sua cum multitudine sequeretur potenti ver bo imperavit .
atque usque ad fluvium Saliae , qui iuxta decurrit ,
vinctum, manibu s adduxi t propriis , eumqu e ib i
solvens dixit: »I n nomine sanctissime e t individu e
trinitatis, quam ex beatissim i magistr i me i Pétr i
apostolorum principi s predication e verum deum
agnovi, precipi o tibi ut null i hominu m ac _ bestiarum nocens hoc flumen ociu s cum omni cohérente tibi pestifera multitudin e pertranseas, atque eas
partes adeas , quo nullus habitationis humane usu s
haberi valeat.«
[- addition métadiégétique d'un e dizaine de lignes:
Quanta illic admiratio fuerit... !
Ecce pro certo Ysaianum illud vaticinium historialiter complebatur ...
- description du dragon ]
Hune, inquam, pontif ex gloriosus propriis manibus
ad Salia e fluvium usqu e perduxit, qu i prop e am phitheatrum decurrit , eumque solvens tal i adiura tione usus est in illum: »In nomin e domini nostr i
Ihesu Christi, quem ex beatissimi magistri mei Pétri apostolorum principis predicatione verum deum agnovi, draco pestifer, precipio tibi ut cum venifera multitudin e tibi cohérente fluvium velociu s
istum pertranseas , nulli hominum amod o sjeu . bestiarum noceâS, locum ab omni humanâ conversatione semotum subeas. «
Cette versio n cristallis e e n outre autou r d'ell e toute un e séri e d'autres thème s légen daires. Une forgeri e généalogiqu e donn e à Clément u n surcroî t d e lustre : il devien t
l'oncle du pape homonyme. Le remanieur plagie deux légendes passe-partout: celle du
bâton d e sain t Pierre , qu i aurai t permi s à Clémen t d e ressuscite r Materne , l e futu r
évêque de Cologne e t de Trêves, légende que l'hagiographe a dû trouve r dan s la Vita
Eucharii, Valerii et Materni; cell e de la protection miraculeuse reçue dans l'oratoire d u
saint par un cerf poursuivi par la meute du »prince « de Metz, récit dont le modèle est
la fondation d e Saint-Denis rapportée dans les Gesta Dagoberti régis; enfin le saint fait
étape à Gorze avant de s'installer à Metz.
Le remanieur es t en effet u n moin e d e Gorze, qui travaille à la demande d'Acelin ,
abbé à la fois de Gorze et de Saint-Clément selo n un usage du X e siècle. Le recentrage
géographique qu'i l opère, en faisant d e Gorze une étap e sur la route du sain t évangélisateur de Metz, est à la gloire de son abbaye. En même temps le texte se dégage de la
polémique local e dans laquell e avai t ét é rédigée la vita prima (le s fondations d e Clé ment et le lieu de sa sépulture), et le saint prend de l'envergure e n entrant dans l'un de s
cycles hagiographiques le s plus célèbres: celui du bâton d e saint Pierre 44. La »déloca lisation« s'accompagne d'un e revalorisation .
Les versions postérieures
Une fois l e succès de la légende assuré, celle-ci a engendré d'autres versions, dans lesquelles n'entre plus aucun élément nouveau. Ces versions se sont contaminées les unes
les autres, comme le montre le tableau, et elles ont également donné lieu à des résumés.
44 Beaucoup de diocèses candidats à l'apostolicité revendiquen t l a possession du bâton de saint Pierre: en
Lotharingie, Trêves, Cologne, Liège, Metz, et tardivement Toul (voir Thomas BAUER, Lotharingien als
historischer Raum, Raumbildung und Raumbewußtsein im Mittelalter, Cologne 1997); ailleurs on peut
citer Limoges, avec la légende de saint Martial.
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Monique Goulle t
BHL
Vitae s. Clementis
1859
1860f
1860
vacat
vacat
1860d
Vital, fin Xe s.
Vita metrica, par Carus , ca 1000
Vita2,finXI e -déb.XII e s.
Vita 3 (Paris, BNF lat . 13765 et 17007)
Vita 4 (Berlin, Phill. 1839)
Vita abbreviata (Charleville, BM 213),
XIII e s. ?
Vita abbreviata (Bruxelles, BR 8953-54
(Légendier de Saint-Sauveur d'Utrecht ,
XVe s.)
vacat
Types de réécritures
(aspects quantitatifs )
amplification d e Vita 1
amplification d e Vita 1
amplification d e Vita 1
amplification (= Vita 2 + Vita 3)
réduction de Vita 2
réduction de Vita 2 (?)
b) Un exempl e d'expurgation: l e dossier d'Airy, évêqu e de Verdun
Vers 1037, Etienne, abbé de Saint-Airy de Verdun, écrit lui-même ou fait écrire une Vie
de saint Airy (BH L 143). L'hagiographe es t devant un cas très favorable: l'évêque Ai ry, ou Agericus, qu i appartien t à la grande aristocratie , es t fort bie n document é dan s
Grégoire d e Tours, qu i rapport e qu'i l fu t l e parrain d e Childeber t I L I I dispose pa r
ailleurs de la notice des Gesta episcoporum Virdunensium rédigé s au début du X e siècle
par Berthaire , qui y a joint le poème qu e Fortunat a rédigé durant so n séjou r dan s le
Verdunois entr e 565 et 569; ce poème me t l'accen t su r l a science théologique, le s ta lents d e prédicateur e t les fondations d e l'évêque. Cel a étant , l'hagiographe réalis e la
prouesse d'écrir e un e Vie totalement dénué e d'élément s historiques , entièrement pa rénétique et édifiante .
En réalité ce que nous jugeons être une déperdition d'informations es t une édulcoration, une expurgation, tout à fait compréhensible dan s un texte qui relève de la laudatio: Grégoire rapporte en effet qu'Airy avait échoué à guérir une pythonisse, qui était
alors passée dans le camp de Frédégonde45: cet échec est omis par Berthaire comme par
l'auteur d e la Vie. Par ailleur s l'épisode d u du c Gontra n Boson , opposant farouch e à
Brunehaut, pour leque l Airy put obteni r un sursis à son exécution mais non sa grâce,
est omis par Berthaire, ou falsifié a u point qu'on ne le reconnaît pas: on lit simplement
que le saint a sauvé un noble anonyme, condamné à mort par le roi; quant à la Vie, elle ne parle pas du tout d'un tel miracle. L'hagiographe préfère négliger ces échecs pour
reprendre en l'amplifiant l e miracle de la multiplication du vin, qui suit immédiatement
l'histoire de Gontran Boson dans l'hypotexte. D'après Berthaire, les deux miracles ont
pour effe t de s donations d e terres, énumérées e n détail grâc e à des sources diploma tiques: l'hagiographe, quant à lui, résume le tout par la formule vineas etpossessiones 46.
Ce texte a été ensuite résumé (BHL 144) dans le légendier Paris, BNF lat. 5278, du XIII e
siècle, dont l a particularité es t d e contenir quantit é d'extraits , d e résumés e t de frag ments. Cet exempl e montr e clairemen t qu e les hagiographes n e compilent pa s aveu glément, mais qu'ils sélectionnent, et, si besoin est, qu'ils expurgent leurs sources. S'il
était avéré qu e Sigeber t d e Gemblou x connaissai t l a notice défavorabl e qu'Alper t d e
Metz a consacrée à l'évêque Thierry Ier, on aurait un autre exemple d'expurgation, ca r
sa Vita Tbeoderici (BH L 8055) n'en contient aucun écho .
45 »Fuit tune temporis mulier, quae spiritum phitonis habens multum praestabat dominis divinando questum [Act., 16,16 ] ...« , Hist. VII, 44, éd. B. KRUSCH, MGH, SRM I- 2 1, p. 364-365.
46 BHL 143, c. 14.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
129
3. Transvalorisation
Ce qui va être étudié ici figure a u cœur des motivations de la réécriture: écrire un texte nouvea u qui , san s efface r l'ancien , l e transvalorise, tou t particulièremen t e n réac tualisant le modèle de sainteté qu'il véhicule.
- La »vita tertia« Hildulfi
L'auteur de la »troisième« Vie d'Hidulfe a augmenté son hypotexte (BHL 3945) essentiellement par des extensions massives, qui sont de nature avant tout historiographiqu e
et parénétique. Mais il a usé aussi de »micro-réactualisations« qui , en exacerbant et en
actualisant le modèle de l'évêque-ermite dépeint dans l'hypotexte, tracent le portrait de
l'évêque grégorien idéal et expriment une critique acerbe des mœurs ecclésiastiques du
milieu du XI e siècle. Derrière les additions et les corrections de type historiographiqu e
se fait jour par ailleurs un discours métadiégétique dont la teneur est nettement idéologique. Rappelons qu e la vita tertia fu t vraisemblablemen t réécrit e en 1030/31, dans le
contexte de la restauration de Moyenmoutier par l'évêque de Toul Brunon, connu pour
ses idées anti-simoniaques 47. Dans le diocèse de Toul la réforme, souven t qualifié e d e
pré-grégorienne et attestée dans la Vita Leonis /Xpar l e pseudo-Wibert, commence par
une reprise en main musclée de Moyenmoutier par Guillaume de Volpiano48.
Les pratiques simoniaque s son t stigmatisée s dan s bo n nombr e d e ce que j'appelle
les »micro-réactualisations « d e l a Vita tertia Hildulfi: distributio n inconsidéré e de s
charges49; vénalité du ministère ecclésiastique 50; rapacité des prélats et des clercs51. Cela suffit à rendre les extensions parénétiques moin s verbeuses qu'i l n' y paraî t a u premier abord: réparties tout au long du texte, ces attaques s'élèvent contre le dérèglement
de certains abbés, et prônent une revalorisation du modèle monastique. Un siècle après
la première réform e d e Moyenmoutier , un e second e restauratio n requier t un e réac tualisation e t une revalorisation d u modèle symbolique d u fondateur .
- La deuxième Vie d'Èvr e
Ce dossier a été étudié plus haut d'un point de vue purement quantitatif . Une compa raison minutieuse des deux Vitae s. Apri fait apparaître aussi de légères différences entr e
les univers des deux textes.
Au X e siècle, époque de la rédaction d e la Vie longue de saint Èvre, on voit se dessiner l'idéal de l'»évêque-moine«52, c'est-à-dire d'un prélat dont la vie proposée au lec47 Voir l'action d e son conseiller en la matière, Humbert d e Moyenmoutier, à qui on a évidemment voul u
attribuer la rédaction de la vita tertia, comm e de beaucoup d'autre s textes .
48 Voir PARISSE, La Vie du pape Léon IX (voir n. 28) p. 47 et 51.
49 Chap. 4: »Non denique per illud tempus tarn indifferenter distribuebantur ordine s ecclesiastici ...«.
50 Chap. 8: »Quod s i nunc homines perpendere vellent , dum liberi e t quieti vivere possunt, regime n ec clesiasticum ... nequaquam tampromptepecunii s mercatumirent« .
51 Chap. 12: »licet in pontif icatu positus nil possidere voluit, quicquid tarnen illud erat quod occasione seu
praetextu regimini s habere vel praesumpsisse sib i videbatur relinquen s ...«; chap. 26: »Quis quaeso religiosorum hac nostra tempestate non ambiat negociis saecli res suas augeri, adventantium concursibu s
extolli?«
52 J'emprunte cett e expression à M. PARISSE, Princes laïques et / ou moines, les évêques du Xe siècle, dans:
Il secolo di ferro: mito e realtà de l secolo X. (Settimane di studio de l Centro italian o d i studi sull'alt o
130
Monique Goulle t
teur se devait d'avoir des caractères monastiques. Saint Èvre (censé avoir vécu au VI e s.)
fait parti e d e ces premières génération s d'évêque s qui , à l'instar d e saint Martin, leu r
modèle à tous, étaient des solitaires de vocation, mais ont cédé par devoir au plébiscite du clergé et du peuple. De façon délibéré e ou non, les hagiographes cristallisent su r
ceux dont il s racontent l a vie des aspirations d e leur époque. Il est néanmoins diffici le, dan s ce cas-ci, de faire la part des traits archaïques repris de la vita brevior (pou r laquelle o n n e peut donne r qu'u n terminus ante quem: la fin d u VIII e s.), e t de s trait s
ajoutés lor s d e l a réécriture, ca r l'idéa l d u X e est e n partie u n retou r au x valeurs an ciennes, en particulier à la vie ascétique et monastique .
Ainsi le premier détail de la vita prolixior qu i ne figure pas dans la brevior es t la mention de la noblesse du saint, non accompagné e d e renseignement généalogiqu e précis.
L'origine »noble « de s évêque s es t un e donné e répandu e dan s le s Vies de s prélats d e
l'Antiquité tardiv e e t d e l'époqu e mérovingienne , e t ell e correspond généralemen t à
une réalité sociale de l'époque. Mais que signifie-t-elle lorsqu'ell e est une addition tar dive? Certainemen t u n lie u commu n expriman t u n idéa l à la fois épiscopa l e t hagio graphique53, dont il est très difficile d e tirer quoi que ce soit.
Alors que la vita prolixior exprim e l'ascétisme du saint par la phrase: »Abstinentia e
propositum rigore m infatigabilite r conservabat , numqua m ali a hor a cibu m sumen s
quam antea consueverat«, la vita brevior, à cet endroit du réci t où se développe le topos »martinien« de la fidélité du nouveau prélat à son humilité ancienne, comporte des
termes légèrement différents: »Abstinentiae propositum rigorem infatigabiliter conser vabat, nec delicatiores sumebat dapes quam ante consueverat«: il y a eu un glissemen t
de l a moindre qualit é de s met s à la régularité de s heure s d e repas; doit-on n e voir l à
qu'un quas i équivalent d u modèle , ou penser que , si pour l'auteu r d e la vita prolixior
la frugalité d'Ëvr e va de soi, il franchit un e étape supplémentaire en ajoutant cett e discrète analogie avec la règle monastique ?
Dans le même ordre d'idées, un passage de la Vie longue: »sollicita cura intendens,
ut haereticorum vel quorumlibet pravorum malesuasa deciperet astutia« élargit la portée de l'action d u saint à un combat contr e les »hérétiques e t les dépravés«. Il est bien
difficile d e savoir ce que désigne exactement ici le mot hereticus: dans l'Antiquité il vise des hérésies comm e l'arianisme , for t représent é e n Gaule à cette époque; mais de puis Grégoir e l e Grand l e mot heresis est souvent associ é à l'adjectif simoniaca pou r
désigner la simonie, si bien que pour un lecteur du X e siècle, hereticus seu l a vraisemblablement aussi cette connotation. L'addition de la Vie longu e réactualise ainsi ce portrait d'évêque, en en faisant u n gardie n vigilant de toutes les formes d'orthodoxie .
D'autres détail s encore concourent à décrire Èvre comme un évêqu e qui »fait car rière« dan s l e strict respec t de s règles ecclésiastique s d u X e siècle: son électio n s e fai t
concordi sacerdotum et civium voluntate selo n les deu x versions, tandis que seule la version longue comport e cett e précision supplémentaire : et communi omnium acclama-
medioevo, 38), Spolète 1991, p. 449-516, ici p. 481. Voir auss i John NIGHTINGALE , Bisho p Gérar d o f
Toul (963-994) and Attitudes to Episcopal Office, dans : Timothy REUTE R (éd.), Warriors and Church men in the High Middle Ages. Essays presented t o Karl Leyser, Londres 1992, p. 41-62.
53 PARÏSSE (voir n. 52) p. 461 : »C'est un lieu commun et une donnée inattaquable que de mentionner l'ori gine noble des évêques de cette époque, de tous les évêques«.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
131
tione, addition de l'acclamation qui parachève un processus d'élection canonique. Autrement dit, dans la seconde version le portrait d u saint a des connotations plu s »mo dernes«, qui rendent plus explicite sa portée exemplaire. C'est un miroir tendu aux fu turs prélats, qui pourraient êtr e tentés de tomber dan s des travers auss i répandus qu e
la brigue et la simonie. C'est à elles d'ailleurs qu e pense l'hagiographe dan s so n com mentaire de la résignation d'Èvre à exercer l'épiscopat: »scien s pro certo, sicut nullu m
ad sacerdotium electu m oporter e pertinaciter refugere , it a neminem ad hoc se debere
importune ingerere«. Entre l'ambition e t l'intérêt d'un e part, et la dérobade de l'autre,
le devoir consiste à assumer la cure épiscopale en tant que pasteur des brebis du Christ ;
une phrase de la version longue définit ainsi l'évêque: »... eum in Christi corpore, quae
est ecclesia, velut membrorum praecipuu m universitas fidelium honorât , amplectitur ,
veneratur«. Le miracle de la libération des prisonniers, par ailleurs, est présenté com me un exemplum invitan t à respecter les serviteurs de Dieu en général et les évêques en
particulier54, ce qui recentre le texte autour d'un e »illustratio n e t défense« d e la fonction épiscopale et le dépoussière considérablement .
CONCLUSION
La BHL fai t apparaîtr e que la plupart de s Vies des saints ont été réécrites une ou plu sieurs fois. Une datatio n plu s fin e de s textes pourrait fair e apparaîtr e de s pics d e ré écriture, mais il est éviden t qu e l'on réécri t surtou t e n période d e réforme o u d e restauration, ou pour de s raisons cultuelles (translation , invention, etc. ...) comme on le
fera plus tard à l'occasion d'un e canonisation . C e sont de s événements bie n concret s
qui déclenchent e n général la rédaction d'un e réécriture 55, mêm e s i parfois - ou sou vent? - celle-ci ne permet pas de le deviner, parce que l'argument stylistiqu e est mis en
avant par le remanieur comm e un voile pudique, un cliché, une justification facile , o u
comme une métonymie. Nous n'avons d'ailleurs parlé ici que de réécritures de textes:
il serait bon également de réfléchir au x réécritures de légendiers, afin de déterminer les
politiques éditoriale s de s établissements. Réécrire ou faire réécrire un texte hagiogra phique es t toujour s u n gest e significatif , qu i demand e à êtr e éclair é pa r l'étud e d u
contexte historique .
54 »Nos profecto, nos in tam districta hominis animadversione monemur ne servis Dei, praecipueque quos
apostolicae auctoritatis privilegium exornat ... «.
55 De ce point de vue il serait intéressant de mettre en parallèle les campagnes de réécriture hagiographiqu e
et diplomatique.
Monique Goulle t
Les réécritures en Lorraine durant le haut Moyen Age
Textes
Saints
BHL Titre
Aper (Èvre )
év. de Toul
VI e s.
617
616
, date, auteur
VI e -VIII e s .
Xe s.
Types de transformation
Formel Sémantiqu
amplification
e
réactualisation du modèl e
épiscopal
Goericus/Abbo 3606- Vita,XI e -XII e s.
(Goéric/Abbon) 3607
év. de Metz
concision/excision
Vita,>XIII e s.?
f 642/643
epitom«; (Saint-Sauveur d'Utrecht? )
Hildulfus
(Hidulfe) abb .
Moyenmoutier
Mansuetus
(Mansuy)
1er év. de Toul
(IVe s.?)
Glodesindis
(Glossinde)
abb. à Metz
ca. 610
3945
Vita prima, X e s.
3947
Vita »tertia«, XI e s.
3946
Vita abbreviata >XIII e s.? concision/excisio n
(Saint-Sauveur d'Utrecht )
5209
Vita, Xe s., par Adso n
52115212
Vita brevior (= Gesta ep. réécritur e d'anciens
Tull.), déb. XII e s. gest
a episcoporu m
connus au Xe s.
5213
Vita metrica, XII e s. ?
amplification
5214
paraphrase, versifi cation
Vita abbreviata en prose concisio n
rimée, >XIII e s.?
(Saint-Sauveur d'Utrecht )
3562
Vita et Translatio, fin IX e s.
3563
Vita et Translatio, fin X e ,
par Jean de Saint-Arnou l
Romaricus
7322
(Romane)
abb. Remiremon t 7323
ca. 650
Vita 1, mérovingienne
73
Adelphius
(Adelphe)
abb. Remiremon t 74
c.660
Vita 1, mérovingienne
Vita 2, c. 1050
Vita2,cal050(?)
amplification
amplification ajout
amplification
- ajouts historiographique s
- actualisation (polémiqu e
anti-simoniaque)
- discussion historiographique
- persuasion
s historiographique s
forgerie généalogiqu e
(intérêts monastiques )
133
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
Arnulfus
(Arnoul)
év. de Metz
ca. 640
689692
694
Vita 1, mérovingienne
Notice de Paul Diacre
IX e s.
condensation e t
extension de Vita 1
693
Vita 2, anonyme, Xe s.
paraphrase de Vita 1,
et interpolations généalogie
Adelphus
(Adelphe)
év. de Metz
IV e -V e s.?
76
Vita, IX e s.?
75v
Vita par Werinharius,
antérieure à BHL 76?
Clemens
(Clément)
1er év. de Metz
I er -III e s.?
1859
1860f
Vital, fin Xe s.
Vita metrica, par Carus ,
ca 1000
1860
vacat
vacat
1860d
vacat
Agericus (Airy )
év. de Verdun
t588
vacat
143 et
143a
144
144d
s
extension de Vita 1, recentrage su r
l'histoire du salu t
versification
transmodalisation
Vita2,finXI e -déb.XII e s. amplification d e
- recentrage sur le domptage
Vital
du dragon, généalogie, ancrage
Vita 3 (Paris, BNF 13765 amplification d e
monastique loca l
et 17007)
Vital
Vita 4 (Berlin, Phill. 1839) amplification
(=Vita2+Vita3)
réduction de Vita 2
Vita abbreviata (Charle e
ville,BM213),XIII s.?
Vita abbreviata (Bruxelles , réduction de Vita 2
BR 8953-54,
(?)
(Saint-Sauveur d'Utrecht )
- Berthaire, gesta ep.
Virdun.
- Vita prolixior, XI e s.,
par Pabbé Etienne?
- Vita brevior, XIII e s. ?
(Paris, BNF lat. 5278)
- epitome < XIII e s.
(Verdun, BM 8)
Chrodegangus
(Chrodegang)
év. de Metz
t766
vacat
Notice de Paul Diacre
(IXe s.)
1781
Vita, fin Xe s.?
Theodericus
(Thierry Ier)
év. de Metz
t984
vacat
[de episcopis Mettensibus ,
par Alpert, déb. XI e s.]
8055
Vita, XI e s., par Sigeber t
de Gemblou x
- amplification d e
Berthaire
- concision d e
BHL 143
- condensation d e
BHL 143
expurgation
amplification ave c ajouts historiographique s
très forte expansio nL
stylistique
aucun emprun t
direct à Alpert
expurgation?
134
Monique Goullet
É D I T I O N SYNOPTIQU E DE S DEU X VIE S D E SAIN T ÈVR E
DE TOU L
Les deux Vies de saint Evre de Toul
BHL 617 (vita brevior). Le texte a été établi d'après le s deux manuscrits le s plus an ciens: R= Sankt-Gallen , Stiftsbibl . 548, fol. 117-127, ex-VIIIe s, e t S = Sankt-Gallen ,
Stiftsbibl. 566, fol. 41-49, IX e s. Le témoin Bruxelles, BR 9636-9637, fol. 222, ex-X e /XI e
s., qui ne permet pas d'améliorer l e texte, a été écarté.
BHL 616 (vita prolixior). Le manuscrit de base, A= Paris, BNF lat. 5308, fol. 42v-44v,
XII e s . (mêm e famill e qu e Paris , BN F lat . 5278, fol. 207r-209v ; BN F lat . 5353,
fol. 37v-39v ; BN F lat . 17006, fol. 34v-36r ; BN F lat . 16733, fol. 21r-22r , don t le s
variantes, infimes , n'on t pa s ét é reportée s ici) , a été collationn é ave c B= Paris , BN F
lat. 9740 et E= Nancy, BM 1258, fol. 37-44, XII e s. [Voir les variantes et les sources en
fin de texte.]
^1 thème développé plus bas dans l'hypertext e
|Ç thèm e développé plus haut dans l'hypotext e
\E> l'hypertext e amplifi e l'hypotext e
O l'hypertext
e abrèg e l'hypotext e
romains: identité de l'hypotexte e t de l'hypertext e
souligné: différences grammaticale s entr e hypotexte et hypertext e
italiques: hypotexte e t hypertexte différent s su r le plan formel mai s équivalents sur le
plan thématiqu e
italiques avec soulignement: développemen t d'un e idé e absente de l'hypotexte .
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
BHL617(antiquior)
135
BHL 616 (posterior)
^J Scripturus vita m sanct i a c beatissimi Apri ,
habitatorem eiu s invoco spiritum sanctum , u t
qui ill i virtute s patrand i largitu s es t gratiam ,
mihi quoque a d easde m narranda s sufficien tem eloqui i tribua t venustatem , n e sancta e
conversationis eiu s optat a cogniti o audito rum, u t adsolet , animi s inpolit a verboru m
iunctura vilescat .
10
Beatissimi igitur Apr i Tullensis urbis episcopi hodie sollemnita s veneranda recolitur .
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35
40
45
Quae quotien s revolutus . annoru m circulu s
innovatur, totien s christiani s populi s annua e
exultationis devoti o cumulatur , e t sanctoru m
gaudiorum port a posteri s aperitur , cum pro pra patroni festivita s instauratur . Gregi s
quippe animo s pastori s triumphu s attoli t e t
discipulorum cord a laetifica t venerati o im pensa magistro.
\E> Beatissimi viri et ante omne saeculum
praeordinati. suo vero tempore nobis manifestati ac destinati pontifias Apr i hodierna
die sollemnitas veneranda recolitur . in qua de
terra assumptus. caelos petiit et tamquam
miles emeritus post longa buius vitae certamina caeleste Capitolium a Christo coronandus intravit.
Haec quotien s revoluti s annoru m circuH s in novatur, totien s christiani s populi s annua e
exultationis devoti o cumulatu r e t sanctoru m
gaudiorum quaedam quasi port a posteri s
aperitur, cum propra patroni festivitas instau ratur. Gregi s quipp e animo s pastori s trium phus attollit , e t discipuloru m cord a laetifica t
veneratio impensa magistro .
Huius igitur talis ac tanti egregii viri Dei
vitam et miracula K S c r i p t u r u s, habitato rem eiu s invoc o spiritu m sanctum , u t qu i ill i
virtutes patrand i largitu s es t gratiam , mihi
quoque a d easde m narranda s sufficiente m
eloquii tribua t venustatem . ÏE>£ t quidem ad
hoc me imparem minusque idoneum recognosco, verum eius suffragiis, cuius mérita
ad utilitatem praesentium praesidiumque
futurorum publicare gestio y spero mihi divinam gratiam affuturam, auditurus cum propheta Dominum dicentem mihi: »Ego ante te
ibo, et potentes terrae
humiliabo, portas
aereas conteram et vectes ferreos confringam,
et aperiam tibi thesauros absconditos et arcana secretorum«. Tune enim securus narrationem aggrediar, si praecurrente divina
gratta et terrae potentes hoc est terrenorum
sensuum vitia humiliante ac ardua quaeque
et difficilia complanante, thesauros sapientiae ac scientiae et arcana mysteriorum caelestium penetrare valuero. His ergo breviter
praelibatisy ad narrationis seriem, adiuvante
DominOy accedamus.
136
50
55
Monique Goulle t
Denique beatu s Aper in pago Senonico villa
Tranquillo praesenti s vita e sumpsi t exor dium, christiani s parentibu s editu s mo x et
ipsefactus est christianus.
Qualis autem in pueritia vel adolescentia
institutionis fuerit, maturae procul
dubio
aetatisprofectus ostendit.
60
Sectabatur praetera ultra vires etiam misericordiae opéra, ut, quantum posset, indigentibus subveniret. Ubi vero facultate sublata
subveniendi deferebatur, quod solum poterat,
misericordiae tous visceribus egentium inopiae compatiebatur. Nam saepe aut a scholis
aut ab ecclesia revertens, si forte nudum
quempiam pauperem conspexisset, se tunica
exuens, illum pater sanctus induebat, sicque
domum revertebatur nudus, iustitiae potius
ac misericordiae indumento circumdatus.
Iam autem adolescentiae annos cum rerum
suarum potestatem habere coepisset, tantam
^1 circ a pauperes curam habebat, ut in eorum
alimenta cunct a qua e possedera t erogare t
Nimirum beau lob verbis sanctus iste uti poterat, quibus ait: »Ab infantia crevit mecum
miseratio, et de utero matris meae egressa
est mecum«. His et talibus scilicet sanctae
conversationis studiis omnes in admirationem sui amoremque converterat.
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Igitur beatu s Aper in suburbio Augustae Tricorum, vico qui Tranquillu s dicitur, praesen tis vita e sumpsi t exordium , nobilibus et,
quod est excellentes, christiani s parentibu s
editus, \E>et a puero caelestis tyrocinii rudimenta suscipiens, Christiane religionis venerator ac praecipuus semper exstitit cultor,
adeo ut qualis in iuvenali aetate futurus esset, adhuc in tenera indole praemonstraret.
Neque enim, ut illa fert aetas, puerili lascivia
relaxabatur, sed totus circa ecclesias et loca
sancta semper intentus, perfectissimos quosque studebat ardentius imitari, quo mox futurus pontifex catholicae fidei dogmata per illos
et bonorum operum exempla combiberet.
Erat namque venerandu s aspectu , miti s allô quoi, vult u serenus . E t u t genitalis caespitis
vocabulum raorum suoru m sinceritat e mons traret, exper s feritat e cognomini s tranquill a
cunctis extitera t lenitat e placabilis . Praecipuam praeterea K circa pauperes cura m
sanctus pue r habebat , u t i n eoru m aliment a
cuncta quae possederat erogaret .
Erat enim venerandu s aspectu , mitis alloquio,
vultu serenus , et ut genitalis caespitis vocabu lum moru m sinceritat e monstraret , exper s fe ritate cognominis, tranquilla cuncti s existeba t
lenitate placabilis.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
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Moris etia m erat illi sanctos quosqu e pro studio imitationi s adir é propriasqu e singuloru m
virtutes in vitae propriae ornament a vertebat .
Huius continentiam , illiu s sectabatu r iocun ditatem, istiu s lenitatem , illiu s vigilias , alte rius legendi aemulabatur industriam . Istu m
ieiunantem, illu m i n sacc o e t ciner e quies centem mirabatur . Uniu s patientiam , alteriu s
mansuetudinem praedicabat . Omniu m quo que vicaria m erga se retinens caritate m atqu e
universis virtutu m generibu s irrogatus , a d
sedem pristina m remeabat . Ibiqu e secu m
universa retractans , omnium i n s e bona velut
apis prudentissima nitebatu r exprimere .
Moris etia m erat illi sancto s quosqu e prae
studio imitationi s adiré , propriasque singulo rum virtute s i n vita e propria e ornament a
vertebat. Huiu s continentiam , illiu s sectaba tur iocunditatem , istiu s lenitatem , illiu s vigi lias, alteriu s legendi aemulabatur industriam .
Istum ieiunantem , illu m i n sacc o e t ciner e
quiescentem mirabatur . Uniu s patientiam ,
alterius mansuetudine m praedicabat . Om nium quoqu e circa se vicaria m retinen s cari tatem atqu e universi s virtutu m generibu s ir ngatus, ad sede m pristina m remeabat . Ibiqu e
secum omni a retractans , omniu m i n s e bona
velut apis prudentissima nitebatu r exprimere .
[1. 98 illius... lenitatem om. RS)
Ante omnia provida semet circumspectione
semper agebat, sollicita cura intendens, ut
haereticorum vel quorumlibet pravorum
malesuasa deciperetur astutia. Memor semper evangelici praecepti,
cum simplicitate
columbae astutiam serpentis satagebat habere, et velut undique oculatum animal, sic
bona desiderabiliter providebat, ut
mala
sollerter caveret.
Cumque hi s e t alii s virtutu m generibus fam a
sancti Apr i long e latequ e crebesceret , a d
pontificium Leuchoru m civitatis concordi sa cerdotum ve l civiu m voluntat e no n minu s
raptus quam electus adducitur .
Cumque hi s e t alii s virtutum insignibus fam a
sancti Apri longe lateque crebresceret, ad pontificium Leuchoru m civitatis concordi sacer dotum e t civium voluntate et communi omnium acclamatione no n minus raptus quam electus adducitur .
Et licet obluctando resultaret , \Z>sciens pro
certOy sicut nullum ad sacerdotium electum
oportere pertinaciter refugere, ita neminem
ad hoc se debere importune ingerere, vicit
tarnen pium devotae plebis desiderium, atque
inexplebili cunctorum gaudio pontificali
sublimatur cathedra. Erat enim lucerna veri
luminis accensa gratia atque ideo super candelabrum dignissime constituenda, ut omnibus in domo Dei, quae est ecclesia, constituas, verbo simul et exemplo veritatis lumen
infunderet.
Iam ver o sumpt o episcopat u quale m s e
quantumque praestiterit , nostra e no n es t fa cultatis evolvere . Ide m namqu e constantis sime perseverabat qu i priu s fuerat . Eade m i n
corde eiu s humilitas , eade m e t i n vestit u vi litas erat. Ahstinentiae propositum rigorem
infatigabiliter conservabat, numquam alia
hora cibum sumens, quam antea consueverat .
Et licet resultaret, protinus consecratur.
125
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Iam ver o sumpt o episcopat u quale m s e
quantumque praestiterit , nostra e no n es t fa cultatis evolvere . Ide m namqu e constantis sime perseveraba t qu i priu s fuerat . Eade m i n
corde humilitas , eade m e t i n vestit u vilita s
erat Nec delicatiores sumebat dapes quam
ante consueverat.
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Monique Goulle t
Atque ita plenus auctoritati s e t gratîae imple bat episcopii dignitatem, ut no n tarnen pristinae propositu m religioni s amitteret . Quin
potius tantu m augebantu r lucr a virtutis ,
quantum erat sublimior dignita s sacerdotis .
Omnibus nemp e omni a factu s est , secundu m
apostolum, ut omne s lucri faceret. Qui s eni m
umquam a d ipsum mestu s accessi t e t conso latus no n rediit ? Omniu m ill e passiones sua s
credebat e t gaudentiu m prosperitate m pro priam reputabat .
Atque it a plenu s auctoritat e e t grati a imple bat episcopi i dignitatem , u t tarnen religionis
pristinae no n amittere t propositum , quin potius tantu m augebantu r lucr a virtutis , quan tum erat sublimior dignita s sacerdotis . Om nibus nemp e secundu m apostolu m omni a
factus, ut omne s lucri faceret. Qui s eni m um quam a d eum moestu s accessi t e t consolatu s
non redüt? Omnium ill e passione s sua s cre debat e t gaudentiu m prosperitate m propria m
reputabat.
Cumque in omnibus Christi mandatis fervente
semper spiritu
anhelaret,
consuetudinem fecerat, ut omnis circumquaque regiones vel urbes verbum sanctae exhortationis
annuntians perlustraret.
Verbi vero doctrinam cotidie immo omni hora cunctis annuncians , nullum tempus a salutari doarina vel praedicatione vacuum
esse sinebat, omnes secum ad coelestem patriam trahere gaudens. \E>Semper in eius ore
Christus eraty semper aeternae vitae monita
resonabant. Fidelis namque ac prudens dispensator in magni patrisfamilias domo constitutus erat, ut conservis suis in tempore
mensuram tritici erogaret. Gemino itaque
modo subiectis consulens, verbo videlicet
praedicationis et exemplo bonae operationis
informanSy pro salute et augmento gregis sibi commissi cura pervigili sollicitus erat.
Huiuscemodi virtutum exercitiis
sanctus
Domini sacerdos vitam suam
decorare et
pontificalem gratiam adimplere studebat.
propter quod eum dignissime in Christi corpore, quae est ecclesia. velut membrorum
praecipuum universitas fidelium honorât,
amplectitur. veneratur. Sed forte sunt aliquL
qui cum Iudaeis signa requirentes. haec
sanctitatis testimonia minus sibi sufficere
putant. miracula pro maximo suscipientes.
nullumque magnum esse arbitrantes nisi eum
quem signorum ostentatio declaravit. Uli vero. qui non solum cum turbis Dominum parabolice loquentem foris audiunt. sed etiam
cum domesticis eius apostolis secretiore ipsius doctrina perfruuntur. satis
evidenter
agnoscunt signis et prodigiis ea quae in famulum Domini descripsimus esse majora, quia
numquam istapossuntfacere. nisi boni, cum illaplerumque soleant ostendere et mali. Verum
ne taies fortasse parvi pendere aut negligere
videamur. addamus aliquid de his. quae per
famulum suum divina virtus mirabiliter
operari dignata est. Familiäre erat beatissimo
Apro. ut omnes circumquaque regiones vel
urbes. verbum sanctae exhortationis adnuntians. Perlustraret.
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
Et si qua idolorum vel superstitionis ethnica e
vestigia comp eriret. destruere satagebat.
Sicubi etiam ydoloru m phana ve l ethnica e
superstitionis monumenta superesse comper isset» continuo fervore Spiritus illuc accedebat et destructa diaboli officina animas a
creaturae Servitute liberans, creatori proprio
reformabat.
Quodam itaqu e tempore dum talia gereret, ad
Cavillonensium urbe m beatissimus dei famulus divin o nut u pervenit . Ub i tun e fort e
pro commisso facinor e trè s reos repperi t
vinctos a c detentos in carcere. Pro quorum
absolutione solit a pietat e permotu s çucurri t
ad iudicemT qu i per id tempori s erat nomine
Adrianum eiusque pedibus solo prostratus
reis indulgentiam praecabatur.
Quodam itaqu e tempore, dum talia ageret, ad
Cavillonensium urbe m divi nitatis nut u per venit. Ub i tun e fort e pro commisso facinor e
très vincto s e t carceralibus tenebris traditos
reperit. Quorum necessitate comperta, solit a
pietate permotus , a d Adrianum , qu i per id
temporis in praefata urbe iudicis officium
exhibebat, festinu s accurrit . \E>Nec dedignatus est magnus Domini antistes eius pedibus prosterni et reis indulgentiam atque
absolutionem suppliciter deprecari.
Qui crudelitati s ingenita e stimuli s e t tumor e
inflatus superbiae , viru m De i des piciens
maiora acrioraqu e torment a carcer e trusis s e
illaturum promisit.
Qui crudelitati s ingenita e stimuli s e t tumor e
superbiae inflatus , vir i De i verba des pexit.
nee solum quod petebat concedere noluit, verum maiora atqu e acrior a torment a carcer e
miseris se illaturum minatus est.
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Sed in haec ilico divinae miserationis non
tardavit auxilium. Nam universa dampnatorum vincula et carceris claustra velut putrescentia fil a disrupta sun t nulloqu e prohibent e
soluti concito curs u secum vincula portantes
ad locu m ub i vir Dei iacebat absque ulla tre~
pidatione concurrunt. Tune pariter ab omnibus qui ad hoc spectaculum aderant gratia e
multipliées Domino referuntur .
Iudex etiam Me nequissimus iustam subito,
priusquam Dei servus surgeret, perpessus est
ultionem. Nimiis namque vexatu r doloribu s
in terra m elisu s nec veniam meruit nee habere salutem.
Sanctus autem Domini se ita repulsum aspiciens, ad notum recurrit auxilium, et quod ab
homine non poterat impetrare, ab omnipotentissima expetit majestate.
Mox divinitas affuit, claustra omnia carceris
repente dissiliunt, vincula quihus nexi tenehantur tamquam fila , odore ignis accepto,
summa celeritate rumpuntur. Procedunt,
nullo prohibente , cursuque perpeti a d locu m
ubi vir Domini orabat perveniunt, tenentes
manihus nexus quihus antea tenehantur. Fit
populi magnum stupentis spectaculum: gra tiae multipliée s Deo referuntur , beau Apri
mérita in commune ab omnibus praedicantur.
Iudex quoque insanissimus, qui prius virum
Dei preeantem audire noluerat, dignam pro
sua superbia e vestigio expertus est ultionem .
Acerrimo enim daemone correptus, et i n ter ram elisus , ac nimiis doloribu s vexatus ,
priusquam sanctus ab oratione consurgeret,
spiritum violenter amisit, nec salute m corporis, nec veniam sceleris consecutus est.
Nos profecto, nos in tarn districta hominis
animadversione monemur. ne servis Dei
praeçipueque quos apostolicae auctoritatis
Privilegium
exornat, temerario
ausu
contemptum ingérer epraesumamus, sub oculis
cémentes. auia
talium
injurias
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Monique Goulle t
confestim cornes ultio subsequetur. His etenim a Domino dictum est: »qui vos audit, me
audit, qui vos spernit. me spernit«.
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His ita peractis beatus Aper a d propri a re means vidi t eminu s iuvene m spirit u immun do correptum, e cuiu s or e e t naribu s instar
fornacis flamm a sulphure a prorumpebat .
Cumque virum Dei procu l ^spexisset, saevir e
et frendere e t obvio s quosqu e laniar e denti bus cepit . Tun c univers o popul o i n fuga m
verso a d beatu m antistem praepeti curs u
vexatus advenit .
Ille ver o intrepidu s vexilloqu e sancta e cruci s
armatus se furent i obiecit , elevataqu e ob viam dextera , star e statim iussit obsesso . Se d
cum spuma flammea sanct i viri vultus asper geret hiantique or e morsum minaretur, stati m
opposita manu , cum e i per os sancta e cruci s
vexillo signatum minime licere t exire , poeni s
et cruciatibu s coactu s exceder e congru o sui s
meritis exit u immundu s Spiritus, foeda relin quens vestigia, fluxu ventri s egestus est .
[1.269 egestus: egressus RS]
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Sunt plura praeterea miraculorum insignia
quae succinctae compendio brevitatis omitto,
ne sermo prolixior sacris missarum misteriis
vel devotorum obsequiis onerosus existât.
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Post haec vir heatissimus extra muro s urbi s
Leuchorum ecclesiam aedificare exorsus,
antequam adperfectum consurgeret fabrica,
Huic tarn ingenti miraculo aliud non minus
darum consequenter additum est.
Cum enim vir Dei a loco in quo haec gesta
sunt ad propri a remearet , vidi t eminu s iuve nem spirit u immund o pervasum, e x cuius or e
et naribus , quod est dictu mirabile, velut ex
fornaçê, flamm a sulphure a prorumpebat . Is
cum procul cowspexisset , saevir e miser e t
fremere zc obvio s quosqu e laniar e dentibu s
coepit. Tunc universo populo i n fugam verso ,
ad beatu m praesulem rapido curs u energuminus advenit .
Ille ver o intrepidu s vexilloqu e sancta e cruci s
munitus sese furent i obieci t elevataqu e ob viam dextra , star e praecepit obses sum. Se d
cum spuma ignea sanct i vir i vultu s asperge ret hiantiqu e or e morsu m minaretur , stati m
opposita manu , cum e i pe r os sancta e cruci s
vexillo munitum minim e licere t exire , poenis
et cruciatibu s coactu s exceder e congru o sui s
meritis exit u immundu s spiritus , foeda relin quens vestigia, fluxu ventri s egestus est.
Tua sunt haec. Christe. opéra, tua miracula.
qui vere mirabilis et in sanctis tuis quos ita
dignaris glorificare. ut eos de hoste humani
generis mirabiliter facias triumphare. Aliquando laetabatur diabolus se hominem de
paradyso eiecisse. nunc mirabili commercio
imperio hominis ab obsessis corporibus exire
compellitur. Et qui se superbia tumidus in
caelum conscensurum et super ardua suum
solium exaltaturum gloriabatur. nunc confusus atque deiectus. humilium servorum Dei
vestigiis substernitur.
Haec breviter de innumeris, quae per sanctum Aprum suum divina gratia operari dignata est miracula collegisse sufficiat. Verum nemo umquam sani capitis dubitaverit
eumpluribus aliis signis effulsisse.
Instante autem iam tempore, quo electum
suum Dominus post vitae huius excursa stadia remunerare decreverat, coepit idem
sanctus Dei quandam extr a muro s urbi s cui
gloriose praesidebat aedificar e basilicam,
\E>quo ibi fidelium plèbe conveniente quotidiana ecclesiae accrescerent lucra, et assidua diabolo fièrent detrimenta. Sed cum iam
aliquantulum eam in altitudinem aedificando
sublimasset, priusquam extremam manum
operi imponeret, \E> coepit Deifamulus aemula corporis infirmitate stimulari.
Qua per
Vers une typologie des réécritures hagiographique s
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viri Dei anima corporeis
est.
nexibus absoluta
Tune universoru m commun i consili o in eo r
dem loç_o quem struere coepera t venerabil e
corpus traditur sepulturae.
Quo illuc cum magna totius popul i frequenti a
perlato, tant a mir i odori s fragranti a ibidem
est aspersa, ut omniu m floru m gênera crede rentur esse delata.
[1. 316 fragrantia: flagranti a RS]
Cumque sancta membra tumulo conderentur ,
caelum a pluribu s visum est aperir j e t dua e
columnae nubi s a d sancti exequia s visa e sunt
descendisse et ab ore sanct i antistitis niv e
candidior a d caelu m columb a vis a es t evolare, qua e sancti viri simplicitati s e t inno centiae meritum creditur comprobasse .
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Postquam vero débita sepultura e offici a sunt
peracta, inchoatu m illiu s templ i aedificiu m
cum summ a totius popul i festinatione peractum est . Quo d in nomin e sancti Apr i placui t
141
dies singulos ingravescente, felicem ad
Christum quem vivens toto corde dilexerat,
praestolabatur ascensum. Omnes igitur, quos
Christo adquisierat, universamque ecclesiam
commendans Domino, eique gratias agens,
quem semper habuerat protectorem in prosperis, immaculatum spiritum conditori refudit, 1E>sicque relinquens terrena, caelestis
patriae adeptus estpraemia.
Extemplo civitas certatim universa convenir
omnis sexus, omnis conditio dignis lamentationibus afficiebatur, quia talem ac tantum
amittebat pastorem. Factis igitur ex more ecclesiastico officiis, universoru m commun i
consilio ad eumdem locumj « quo basilicam
aedificare coepera t venerabil e corpu s eius
tumulandum defertur. Nec divina defuere miracula. quae sancti viri mérita post mortem
quoque testarentur .
Cum enim, ut dictum est, adpraefatum locum
sub magn a popul i frequenti a sancti gleba
ferretur, tantu s odp_r mirae suavitatis omnium
se naribus gratanter infudit, u t cunctorum
florum gratiam ommumque aromatum fra grantiam superare crederetur . Merito namque post mortem a Christo taliter honorabatur qui, dum viveret, bonus odor Christi
semper esse studuerat.
Cum vero beata membr a tumul o conderen tur, fertu r caelu m a pluribu s conspicientibu s
apertum fuisse , e t dua e columna e nubi s a d
eius exequia s visa e sunt descendisse atque a b
ore pontifias sanct i columb a niv e candidio r
ad caelu m vis a es t subvolasse, qua e nimirum
simplicitatis e t innocentia e eius meritum cre ditur comprobass e
IE> Magnum profecto misterium magnumque
sacramentum, quod ad declarandamfamulisui
gratiam Dominus antiqua dignatus est replicare miracula. Columnam enim nubis ad eius
sepulturam ostendit ut evidentissimo pateret
mysterio tune
Israel ab Aegypti huius
aerumpnis ad beatam repromissionis terram,
caelestem videlicet patriam festinare. Columbam vero ex ore eius procedere iussit, ut
illum pacis et sanetimoniae seetatorem fuisse
constaret, ac iueundum Spiritus sancti templum, qui supra Dominum baptizatum in columba apparuit.
Peracta igitur sancti viri officio sissime se pultura, inchoatu m illiu s templ i aedifitiu m
summa populi devotione completu m est .
Quod^we ex nomine sancti Apri placuit dedi -
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dedicari, ub i cotidiani s virtutu m miraculi s
intégra fide petentibus sancti confessons mé rita coruscare non cessant .
cari, ub i cotidiani s virtutu m miraculi s eius
mérita coruscare non cessant .
Saepe namque egri veniunt et sanantur, mutorum linguae in usum loquendi laxantur, leprosi mundantur, ah ohsessis corporibus
immundi Spiritus effugantur, caecis restituier visus et surdis auditus et diversis vinculorum generibus vincti solvuntur.
<E\Praestantur ibi infirmis sanitatum bénéficia plurima, omnibus cum fide accedentibus
optata Christo largiente dignatur conferre
levamina.
Quapropter me quoque peccatorum nexibus
alligatum ipso intercedente credo esse solvendum, quia, etsi ipse non ita vivo ut meo
exemplo alios ad melioris vitae studia valeam invitare, dedi tarnen operam ne omnino
lateret qui vitae exemplo esset a cunctis imitandus. Concordet ergo mea cum totius populi communis oratio, ut, cum in futuro examine bonus pastor oves ab hedis suprema
sorte dividet, sancti Apri suffragio in dextera
parte mereamur adsisci.
Quapropter venerandi huius patris sedulo
suffragia imploremus, ad eius auxilium securi confugiamus. Habemus nimirum eumdem
strenuum apud Deum intercessorem,
quem
specialem meruimus habere pastorem. Ut
tarnen hoc, quod dicimus, adipisci meramur,
satagamus sanctitatis illius, quantum possumus, vestigia sequi.
Sanctus enim iste. cujus solemnitatem debitis
frequentamus offitiis. contempsit mundum.
quo solum posset diligere Christum. Contra
insidias antiqui hostis clipeum tenuit indefense providae circumspectionis. et civitatis
suae portas, quinque videlicet s ui corporis
sensus. omni custodia muniit, ne callido insidiatori in aliquo pateret ingressus. Versutus
namque adversarius mille nocendi artibus
praeditus applicat se formis. permiscet sonis.
ingerit odoribus. infundit sapo ribus. sicque
per introitum delectationis ingrediens. incestat animae sanctitatem. Hinc propheta ingemescit dicens: »Intravit mors per fenestras
nostras. ingressa est domos nostras«. Libri
regum hystoria indicaU
quem Misoboset
(sic). Saulis régis filius. exitum hahuerit. Qui
idcirco latronum pugionibus latus feriendum
parebuit, quia hostaria domus. purgans triticum, obdormivit. Nam si pervigilem hostiarium non somnolentam
habere studuisset
hostiariam. nequaquam insidiantium actibus
patuisset. Virili ergo custodia circumvallatus
est animus, armis inimici resistit. Hinc Salomon ammonet d icens: »Omni custodia
serya cor tuum, quoniam ex ipso vitq procedit«.
Hoc sanctus iste. cuius festivae celebramus
obitum SQlempnitatjs, vigilantissjme semper
implere cm avjt, noUsque impkn dum otfe ndit qui in spirituali agone scutum fidei infatiçabiliter tenuiu totusque vitae eius excursus
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iugis fuit cum principe mundi conflictus. Et
quia fideliter vincere. pugnante in se et pro
se Domino, studuit. idcirco manna candidum
accipere et columna in templo Dei fieri meruit. iamque laureatus Christo assista, et de
sacrario divinitatis exposât nobis supernae
bénéficia pietatis. praestante Domino et Deo
praesentissimo ac sacratissimo. qui nunquam
non fuit, nunquam non erit. nunquam alter
fuit, nunquam alter erit. qui difficile invenitur. ubi sit. difficilius. ubi non sit. cum quo
non omnes esse possumus. sine quo nullus
essepotest.
Egit autem confessor sanctissimus episco- Discessit
autem a corpore idem pater et vepatum annis circiter XV, et die XVII kal. nerandus
pastor noster e t migravi t a d Domioctobrium de bac luce migravit a d Christum,
num septim o decimo kalendaru m octobrium ,
Domino nostro Ihesu Christo, cui
cui es t hono r e t glori a cum pâtre e t spirit u régnante
sancto per omnia saecul a saeculorum . Amen . es t gloria , honor e t potestas cum pâtre e t spiN o . sep. dedicati o basilica e sanct i Apri . ex - rit u sancto in saecula saeculorum. Amen ,
plicit vita sancti Apri episcopi .
Variantes de BHL 616
11 praeordinati: ac praeelecti add. E 13 terra: terris E 29 est om. E 50 tricorum ...
editus: trechorum urbi s cristiani s parentibus editu s vico qui tranquillus dicitu r prae sentis vitae sumpsit exordium B 56 in om. E 60 perfectissimos quosque : perfectissimis quibusque E 61 ardentius imitari: artius inhaerere E 75 annos: ingressus add. E
99 legendi om. AB 11 0 semper om. B sollicit a cura intendens om. B ut : ne BE 122
obluctando: omni conamine E 123 sacerdotium: sacerdotii culmen E 125 se debere:
debere se B importun e om. B 127-128 pontificali sublimatu r cathedra: p. c. s. B 131
quae: id B 134 praestiterit: cunctis praestiterit B 137 vilitas: uni tas B fol. 222 vilitas
5 fol. 144 56 13 8 propositum om. B 139 infatigabiliter: inflexibilite r B 142 auctoritate et gratia: auctoritatis et gratiae B 144 non amitteret propositum: p. non a. £ 14 5
tantum: in eo B 159 era t om. E 188-189 verum ne taies fortasse: v. f. n e t. B 191 sic
ubi: sic ubi E 192 supersitionis monumenta om. E 213 carcere om. E 233 prius: primus ABE 255 cu m om. B cum procul conspexisset: virum dei conspexit E 266 munitum: signatum E 269 egestus: egressus E 287 post... excursa: p. h. v. e. B 301 adquisierat: -sierit E 303 in prosperis om. B 306 adeptus: indeptus B 307 omnis: omnisque B 312 venerabile om. 329-330 quae ... meritum: quae meritu m s , et i. e. B
332 magnum: mirum B 345 sancti apri: sancti antistitis apri B 359 ad eius: et ad eius
B 392 circumvallatus: -vallandus E armis : virilibus armis E 393 resistit: et iaculis resistendum E 399-400 festivae ... solempnitatis: f. sol . c. ob. £ 41 1 alter: aliter E.
56 Le texte (sans le prologue) commenc e au folio 222 et se poursuit a u folio 144, avec un léger chevauchement. Le folio 222, dont l'écriture est fort différente d e celles du reste du manuscrit, semble avoir été refait pour êtr e placé avant 144, mais finalement le s feuillets on t été classés dans le désordre.
144
Monique Goullet
Sources:
1.1 Hier. V. Hilar., prol ; 37-41 Is. 45,2-3; 80-82 lob, 31,18; 97-107 Evagr., V! Anton.,
c. 3; 133-136 Sulp. Sev., V Mart., 10,1; 142-144 ibid., 10,21481 Cor. 9,19-22; 149-151
cf. V: Martini, ep . 2,13; 160-163 Luc. 12,42; 247 Luc. 10,16; 254-256 V. Martini,, 17,
5; 350-355 (BHL 617) Greg.-M; DiaL, IV, 6; 365 Matth. 25, 33; 383-384 1er . 9, 21;
385-392 cf. II Sam. 4-5; 394-396 Prov. 4,23.
JOSEPH-CLAUDE P O U L I N
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
(VIIP-XIP siècles)
Au momen t o ù le traitement d e la Province d e Bretagne approch e d e son terme dan s
le cadre du projet d e recherche sur les Sources hagiographiques d e la Gaule avant l'a n
mil (SHG) 1 , il est possible de reprendre su r des bases mieux assurées l'étude d e ce cas
régional sous l'angle des réécritures hagiographiques. Ce genre d'analyse récapitulati ve d'ensemble a déjà été effectué dan s le passé, par l'abbé François Duine a u début d u
XX e siècle 2, puis par Bernar d Merdrigna c depuis le s années 1980 3. Pourtant, l a question mérite d'être réexaminée dans une perspective e n partie différente d e la leur, à la
lumière de s travaux d u proje t SHG . Ce s différences son t d e deux ordre s principale ment. D'un e part , l a critique documentair e serré e e t le retour systématiqu e au x ma nuscrits ont conduit à proposer des révisions souvent importantes dans la datation des
oeuvres, l a reconnaissanc e de s intention s d e leur s auteurs , l'identificatio n d e leur s
sources, leur classement relatif et la nature de leurs rapports réciproques. D'autre part ,
la problématique de l'enquête s'est sensiblement modifiée depuis un siècle. Sans se laisser enfermer dan s le cadre d'interprétation politico-religieu x imposé par Arthur de La
Borderie ( f 1901), F. Duine ( f 1924) a utilement invest i beaucoup d'énergi e e t de sa -
1
2
3
Exposé programmatique de l'entreprise par ses promoteurs: François DOLBEAU, Martin HEINZELMAN N
et J.-C. POULIN, Les sources hagiographiques narratives composées en Gaule avant l'an mil (SHG). Inventaire, exame n critique , datation , dans : Francia 15 (1987) p. 701-714. En attendan t l'ouvrag e d'en semble qui couvrira toute l'hagiographi e ancienn e relative aux saints bretons , les parties déjà publiée s
par nos soins peuvent être retracées à partir de la bibliographie relais parue dans: L'hagiographie du haut
moyen âge en Gaule du Nord: manuscrits, textes et centres de production (dir. M. HEINZELMANN), Stuttgart 2001, p. 193-197 (Beihefte de r Francia, 52).
F. DUINE, Mément o de s sources hagiographiques d e l'histoire d e Bretagne [V e-fin XII e s.], dans: Bull,
et mémoires de la Société archéol. du département d'Ille-et-Vilaine 46 (1918) p. 243-457 (avec un index);
et à part, Rennes 1918, 215p.; ID., Inventaire liturgiqu e d e l'hagiographie bretonne , dans: Bull, et mémoires ... Ille-et-Vilaine 49 (1922) p. I-IX e t 1-292 (avec un index) et à part, Paris 1922, IX~290p. (La
Bretagne et les pays celtiques, 2e série, 16); ID., Catalogue des sources hagiographique s pou r l'histoir e
de la Bretagne jusqu'à la fin du XII e siècle, Paris 1922,63 p. Sur cet auteur important pour les études hagiographiques bretonnes, cf. dernièrement Pierre RICHE, Les cahiers de l'abbé Duine (1870-1924), dans:
Homo religiosus: autour de Jean Delumeau, Paris 1997, p. 243-250.
B. MERDRIGNAC, Recherches sur l'hagiographie armoricain e du VI e au XVe siècle. L Les saints bretons,
témoins de Dieu ou témoins des hommes?, et II. Les hagiographes et leurs publics en Bretagne au moyen
âge, [St-Malo ] 1985 et 1986, [V]-218 + 232p. (Dossiers d u Centr e régiona l archéol . d'Alet, n os H e t I)
(désormais: Recherches I et II). ID., Les Vies de saints bretons durant le haut moyen âge. La culture, les
croyances e n Bretagne (VII e -XII e siècle) , Rennes 1993, 149 p. (De mémoire d'homme : l'histoire ) (dé sormais: Saints bretons). Bilan historiographique récen t par ID., Les sources hagiographique s d u hau t
moyen âge: l'exemple de la Bretagne, dans: Revue d'histoire d e l'Église de France 86 (2000) p. 437-446.
146
Joseph-Claude Pouli n
voir-faire dan s le repérage des emprunts formels à la littérature latine classique ou pa tristique 4 et dans l'étude d u rappor t à la liturgie. Plus récemment, B. Merdrignac s'est
attaché particulièrement à la détection de s traits celtiques traditionnel s dan s la civilisation bretonne du haut moyen âge, notamment par une étude des survivances folklo riques. Pour notr e part, nous avons choisi d'en fair e u n peu moins sur l'histoire d e la
Bretagne (san s l'oublier tou t à fait), et un peu plus sur l'histoire d e l'hagiographie el le-même5. De là découlent un certain nombre de propositions et d'interprétations, parfois différente s d e celles de nos prédécesseurs, mais dont il faut espére r qu'elles pour ront néanmoins contribuer à la poursuite d'une conversatio n savant e fructueuse .
Qu'est-ce qu'u n remaniemen t o u une réécriture pour le s besoins d u présen t exer cice et comment e n concevoir l'étude ? Un e simpl e modification d e détail ou un acci dent matériel de transmission n e suffisent pa s à désigner un remaniement; il faut plu tôt un changement significati f d e forme, ou de contenu, ou les deux à la fois. À parti r
de quand un e modification sera-t-ell e reconnue comm e suffisammen t significativ e e t
différente d u modèle de départ pour déclencher l'identification d'un e opératio n de réécriture digne de ce nom6 ? Le jugement du chercheur doit s'exercer à chaque pas, l'insignifiant d'hie r pouvan t deveni r tou t à coup charg é d e sen s sou s l'effe t d'u n ques tionnement réorienté 7. Les cas les plus simples de réécriture sont fournis par les reprises
délibérées d'un text e premier, une œuvre-source ave c laquelle une comparaison asse z
détaillée es t encore possible malgr é le s aléa s d'une conservatio n incomplèt e o u indi recte8. En tou t cas , il faut savoi r reconnaîtr e l'infléchissemen t d'u n proje t d'auteu r 4
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8
Cet effort a été poursuivi à notre époque principalement par François KERLOUÉGAN, Les citations d'au teurs latin s profane s dan s le s Vies d e saint s breton s carolingiennes , dans : Études celtique s 18 (1981 )
p. 181-195; ID., Les citation s d'auteur s latin s chrétien s dan s le s Vies de saints breton s carolingiennes ,
dans: Études celtiques 19 (1982) p. 215-257. Neil WRIGHT, Some Further Vergilian Borrowings in Breton Hagiograph y o f th e Carolingia n Period , dans : Études celtique s 20 (1983) p. 161-175 (désormais:
Vergilian Borrowings) et ID., Knowledge of Christian Latin Poets and Historians in Early Médiéval Brittany, dans: Études celtiques 23 (1986) p. 163-185; réimpr. dans History and Literature in Late Antiquity and the Early Médiéval West. Studies in Intertextuality, Aldershot 1995, n os IX et X (Collected Stu dies Séries, 495).
Pour compare r deu x modes d'approche différents : B . MERDRIGNAC, L a place et le rôle des saints dan s
les migrations bretonnes , dans: La Bretagne des origines (colloque d e Redon - 1995 ) (dir. J. KERHER VÉ), Rennes 1997, p. 37-49. J.-C. POULIN , Recherch e e t identification de s sources d e la littérature ha giographique d u hau t moye n âge . L'exemple breton , dans : Revue d'histoir e d e l'Églis e d e Franc e 71
(1985) p.119-129.
Le jour viendra où il faudra pousse r l'enquête pour savoir dans quelle mesure les retouches des compilateurs et copistes de légendiers constituent de véritables réécritures; cela suppose un travail énorme sur
les manuscrits, ca r les éditions imprimée s n e peuvent y pourvoir . Cf . Rosalind C. LOVE , Thre e Elev enth-Century Anglo-Latin Saints* Lives. Vita s. Birini, Vita et miracula s. Kenelmi an d Vita s. Rumwoldi,
Oxford 1996, p. XXIX (Oxford Médiéva l Texts). Des versions inédites ont été signalées pour s . Josse et
s. Malo par Henry FROS , Inédits non recensés dans la BHL, dans: AnalBoll 102 (1984) p. 195 et 358.
Ainsi, l'introduction o u le remaniement d'un style biblique, au sens où l'entend David R. HOWLETT (The
Celtic Latin Tradition of Biblical Style, Dublin 1995, X-400p.), peut servir de point d'appui pour clarifier les rapports d'un texte-sourc e avec une réécriture.
Conservation incomplète: de la première Vie de s. Lunaire ne subsiste qu'un quaternion. Conservation indirecte: la Vitaprimigenia s. Samsonis n'a pas survécu de façon autonome, mais elle est encore connaissable
partiellement grâce à sa table des chapitres, qu'on a continué de copier en tête de son premier remaniement
jusque vers l'an mil; c'est du moins la thèse que nous avons essayé de démontrer dans: La »Vie ancienne«
de saint Samson de Dol comme réécriture (BHL 7478-7479), dans: AnalBoll 119 (2001) p. 261-312.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
147
mais pas forcément pa r un autre écrivain -, dans la mesure où ce changement es t perceptible dan s l'œuvr e qu i e n résulte. C'es t dir e qu e nou s écarteron s le s cas de varia tions mineures liées à la dynamique normale des méthodes médiévales d'édition e t des
transcriptions répétées . Le total des réécritures recensée s dan s l'Annexe A est certainement inférieu r à la réalité, car nous n'avons pas cherché à répertorier tou s les abrégés anciens (encore mal connus), souvent préparés pou r de s besoins liturgiques, telle
la reformulation abrégé e d e l a Vita II a 5 . Samsonis e n hui t leçon s dan s l e manuscri t
d'Avranches, BM 168, fol. 68 v-71 (XIII e siècle).
Même en tenant compt e d e cette réserve, une telle définition apparemmen t simpl e
ne couvr e pa s encor e toute s le s situation s observable s dan s l'ancienn e hagiographi e
bretonne. Restent les cas de textes qui se sont transformés progressivement, par étapes
presque insensibles parfois, sans qu'il soit possible de fixer u n e dat e - et encore moins
d'identifier u n auteu r - pour cerner le contexte d'une opératio n de réécriture. Pour tant, la réalité d'un remaniement finit par s'imposer, puisqu'un écart indéniable se laisse mesurer par rapport au modèle initial. C'est ains i que saint Melaine de Rennes a reçu une première biographi e ( à Rennes?) dan s la première moiti é d u IX e siècl e (BH L
5887-5888); cette Vita primitive a ensuite donné naissance à une double descendance :
un premie r ramea u bie n individualisé , mêm e s'i l n'es t databl e qu e d e faço n trè s ap proximative (BHL 5891, entre le milieu du IX e et le milieu du XI e siècle), et un secon d
rameau dans la même fourchette chronologique (BHL 5889-5890) élaboré en plusieurs
étapes par des mains sans doute variées (don t a u moins un moin e rennais). Quelque s
étapes d e cette transformatio n progressiv e son t représentée s pa r un e demi-douzain e
de copies manuscrites; cumulativement, les retouches, reformulations e t allongements
ont pour effe t d'accentue r peti t à petit le s traits monastique s d u sain t évêque . Un te l
»état particulier«, pour reprendr e une expression de Guy Philippart 9, entre imparfai tement dans la notion de reprise délibérée d'un texte-source ; il est pourtant mainten u
ici dans le corpus de s source s assemblées , comme un e de s formes possible s d e la réécriture en hagiographie.
Le lecteur trouvera en Annexe A un répertoire analytique et critique des sources retenues pour l a présente étud e et des noms qu i leur sont attribués ; il a parfois fall u e n
créer de nouveaux, pour distinguer des réécritures qui n'avaient pas encore pris place
dans la discussion savante. Un saint est retenu quand son dossier a bénéficié d'au moin s
une réécriture antérieure au XIII e siècle, à partir d'un texte-source lui-même antérieu r
à l'an mil ; d'où l'absenc e d e saints comme Gildas, Goeznou, Guénaël , Hervé o u Tut gual. Notre enquêt e s'arrête pratiquement a u XII e siècle et laisse de côté les réfection s
plus tardives, souvent des abrégés à la tradition mal débrouillée. Le prolongement d'u n
recueil de miracles par additio n d e prodiges récent s constitu e un e forme d'actualisa tion qui ne relève pas d'une opératio n d e réécriture telle qu'elle es t envisagée ici; ainsi, de s miracles de s. Magloire (BHL 5143), venus compléter vers 900 ceux qui avaient
déjà été compilés peu après 850 (BHL 5141) 10. Nous avon s également laissé de côté la
9
G. PHILIPPART , L e manuscrit hagiographiqu e lati n comm e gisement documentaire. Un parcour s dan s
les »Analecta Bollandiana« de 1960 à 1989, dans: Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes
(dir. M. HEINZELMANN), Sigmaringen 1992 , p. 33 (Beihefte de r Francia, 24).
10 Mais une véritable réécriture de recueils de miracles demeure possible et se rencontre ailleurs; pour e n
rester à l'hagiographie e n prose, signalons par exemple une première série de miracles de saint Huber t
148
Joseph-Claude Pouli n
question de s micro-interpolations (retouche s brèves et isolées); un travai l délicat reste à faire dan s c e domaine, car on a parfois tro p us é de l'argument d e l'interpolatio n
devant des passages difficiles à expliquer. Il en existe pourtant de certaines, observables
matériellement ou détectables par l'analyse historique; citons pour mémoire les Gesta
sanctorum Rotonensium (BH L 1945), du IX e siècle, ornés en II10 d'une interpolatio n
interlinéaire de la fin du XI e siècle 11 et peut-être aussi d'un développemen t inspiré par
la réforme grégorienne 12. Enfin, nous nous sommes efforcé d'écarte r de s documents à
l'allure particulière qu i peuvent créer l'illusion d'êtr e de s réécritures médiévales, mais
n'en son t pas , quand leur s caractéristique s résulten t d'u n acciden t matérie l d e trans mission13, ou d'une initiativ e éditoriale moderne 14 .
Quelques caractéristiques d'ensemble d u corpus ainsi constitué méritent d'être dé gagées (cf. Annexe B). Tou s les saints bretons retenus sont des hommes; il n'y a pas de
saintes femme s dan s l'hagiographi e bretonn e ancienn e - les sainte s Ninnoc a e t Os manna viendront plus tard. Le premier et le dernier nom de la liste (Conwoion et Guénolé) sont des abbés; le deuxième nom d e la liste (Josse) est un prêtre-ermite; les sept
autres sont des évêques, ou des abbés-évêques à la mode bretonne (sauf Melaine), c'està-dire passablemen t itinérants , sans cadre territorial bie n délimité. Tous le s saints d u
corpus son t d'origine bretonne , sauf l e gallo-romain Melain e et peut-être Conwoio n
(malgré so n nom) , à qui s a première Vi e attribue un e origin e sénatorial e (ex génère
senatorio, I I ) . Toutes le s Vies considérées ic i ont e n commun d'êtr e décalée s de plu sieurs siècles par rapport à l'existence terrestr e des personnages visés, à l'exception d e
Conwoion, dont la carrière fut mis e par écrit une première fois par un contemporain ,
témoin direct - une exception tout à fait atypique 15. Enfin l'étud e de cette productio n
hagiographique es t handicapée pa r u n défau t asse z généra l d'édition s critique s satis faisantes. Nous devon s encore travailler, pour une bonne part, sur la vague des publications d e la fin d u XIX e e t du débu t d u XX e siècle ; il arrive mêm e qu e de s édition s
11
12
13
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15
compilée vers 850 (BHL 3996), puis réécrite et allongée vers 1100 (BHL 3997). Cf. su r ce dossier Alain
DIERKENS, Guérisons e t hagiographie a u haut moyen âge : le cas de saint Hubert, dans: Maladie et maladies dan s le s texte s latin s antique s e t médiévau x (colloqu e d e Bruxelle s 1995) (dir . C. DEROUX) ,
Bruxelles 1998, p. 406-421 (Latomus, 242).
J.-C. POULIN , L e dossie r hagiographiqu e d e sain t Conwoion . À propo s d'un e éditio n récente , dans :
Francia 18 (1991) p. 142-143 (désormais: S. Conwoion. Édition récente).
Hubert GUILLOTE L propose de dater cette addition du premier quar t du XII e siècle: Genèse de Ylndiculus de episcopomm depositione, dans : Mondes de l'Ouest e t villes du monde. Regards sur les sociétés
médiévales. Mélange s e n l'honneu r d'Andr é Chédevill e (dir. C. LAUREN T et aliï), Renne s 1998,
p. 134-135; ID. , Le manuscrit , dans : Cartulaire d e l'abbay e Saint-Sauveu r d e Redo n (prés . J. CARPY) ,
Rennes 1998, p. 20.
Le récit fragmentaire d e la Vita I a s. Lenoverii tien t au fait qu' a survécu un quaternio n uniqu e de cette
œuvre, et non qu'un remanieur en aurait sélectionné ou reformulé une matière correspondant au x seuls
chapitres 7 à 11 de la Vita II a s. Leonorii
Les extraits de la Vie ancienne de s. Samson publiés par Dom Hyacinthe MORIC E (Mémoire s pour ser vir d e preuves à l'histoire ecclésiastiqu e e t civile de Bretagne, Paris 1742 [réimpr. Farnborough 1968],
tome I, col. 194-196) furent sélectionné s par ce dernier en raison de leur intérêt pour l'histoire du prin ce breton Judual. La Vita compendiosa s. Winwaloei (BH L 8964) n'est qu'un e adaptation réduit e de la
grande Vi e d e s . Guénol é pa r Gurdisten , envoyé e au x Bollandiste s pa r l e jésuit e d'origin e rennais e
Jacques Bernard ( f 1652).
POULIN, S. Conwoion. Édition récente, p. 157.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
149
plus récentes ne soient pas entièrement satisfaisantes 16. En pratique, dans la discussion
qui suit et dans les exemples invoqués, trois dossiers seront privilégiés, les plus riche s
et les plus élaborés: Malo, Samson et Guénolé .
Le choix d e concentrer l e regard su r le s réécritures impos e d'emblé e de s limites à
l'étude; au terme de l'opération, nou s n'aurons pa s une vue d'ensemble d e l'ancienn e
hagiographie bretonne , mais seulement d e certains trait s d e son visage, tels qu'ils se ront révélés par le phénomène des remaniements: un verre grossissant à certains égards,
mais déformant aussi . Par rapport à l'histoire bretonne , comment le s réécritures rela tives aux anciens saints de Bretagne peuvent-elles servir à documenter les heurs et malheurs de l'histoire bretonne entre le VIII e et le XII e siècle? À documenter la renaissance
des lettres à l'époque carolingienn e dans la région? Par rapport à l'histoire de l'hagiographie latine, existe-t-il un e manièr e bretonn e d e réfection hagiographique ? E t plu s
généralement, un modèl e dominan t d e remaniement hagiographiqu e pendan t l e haut
moyen âge?
Pour répondr e à de telles questions, il faut associe r l'étude d e la forme e t du fond ,
désenclaver l'histoire littéraire en rétablissant ses rapports avec le contexte d'interven tion des remanieurs. Autrement dit, mener de front un e histoire interne et une histoire extern e d e l'hagiographi e bretonne . Un e histoir e interne , c'est-à-dir e essaye r d e
comprendre comment fonctionnent e t évoluent les modèles littéraires et spirituels; une
histoire extern e aussi, pour saisir ce que les hagiographes - spécialement ic i les remanieurs - nous disent de leur temps en termes hagiographiques 17.
Afin de remplir un tel programme, nous avons adopté une démarche en trois temps.
D'abord, quelle s son t le s intentions de s remanieur s e n tant qu e remanieurs , quel es t
leur projet, avoué ou non? Ensuite, quels moyens adoptent-ils pour s'acquitter d e leur
tâche, quels sont les procédés et ressources mobilisés pour la réalisation de leur travail?
Enfin, quel résultat est atteint au terme de ces opérations, quelle situation nouvelle est
créée par leurs entreprises, individuellement (dossie r par dossier), mais aussi collectivement (globalement considérées)? Au terme de ce parcours, nous aurons devant nous
un peu plu s qu'un e simpl e étud e d e cas régional, mais auss i un observatoir e efficac e
pour un e meilleur e connaissanc e d u fonctionnemen t d u discour s hagiographiqu e e n
général.
16 Cf. par exemple les réactions à des éditions de la fin du XX e siècle pour s. Malo: F. DOLBEAU, dans: AnalBoll 101 (1983) p. 194-196 et ID., Les sources d'un sermo n e n l'honneur d e saint Malo, dans: AnalBoll
101 (1983) p. 417-419. Pour s. Conwoion: POULIN, S . Conwoion. Édition récente, p. 139-159; ID., Les
dossiers des saints Melaine, Conwoion et Mervé [SHGIII], dans: Manuscrits hagiographiques et travail
des hagiographe s (dir. M. HEINZELMANN) , Sigmaringen 1992 , p. 149-157 (Beiheft e de r Francia, 24)
(désormais: Melaine, Conwoion et Mervé). Pour s. Samson: J.-C. POULIN, La Vie ancienne de saint Samson de Dol. À propos d'un e éditio n récente, dans: Francia 25/1 (1998) p. 251-258 (désormais: S. Samson. Édition récente); ID., Liber iste vocatur Vita Sansonis. Un légendier factice du XII e siècle constitué
de livrets hagiographiques , dans: AnalBoll 117 (1999) p. 133-150. Pour s . Lunaire: J.-C. POULIN , Le s
dossiers des saints Lunair e e t Paul Aurélien [SH G IX], dans: L'hagiographie d u hau t moye n âg e (voir
n. 1) p. 197-214 (désormais: Lunaire et Paul Aurélien).
17 Un exemple récent d'une telle approche: Stéphanie CouÉ, Hagiographie im Kontext. Schreibanlaß un d
Funktion vo n Bischofsvite n au s dem 11 . und vo m Anfan g de s 12 . Jahrhunderts, Berli n 1997 , XI-204
p. (Arbeite n zu r Frühmittelalterforschung , 24) ; ouvrage commodémen t présent é par Monique GOUL LET, dans: Francia 25/1 (1998 ) p. 338-340. Ou encore, de ce dernier auteur: Adson hagiographe, dans: Les
moines du Der, 673-1790 (colloque de Joinville/Montier-en-Der) (dir . P. CORBET) , Langres 2000, p. 128.
150
Joseph-Claude Poulin
I. LES I N T E N T I O N S D E S R E M A N I E U R S
Au chapitr e de s occasions , motivations e t objectifs particulier s d e mise e n réécritur e
de l'ancienne hagiographi e bretonne , le comportement de s remanieurs paraî t a u premier abord assez semblable à celui des auteurs de recensions primitives18. Dans l'ordr e
spirituel: rendre à Dieu e t aux saints l'honneur qu i leur est dû; se concilier les faveur s
d'un intercesseu r efficac e a u ciel; inciter, par les exemples des saints, à faire le bien et à
éviter le mal; satisfaire au x besoins de la liturgie et des célébrations anniversaires. Cer taines motivations d'ordre temporel sont également très voisines: consolider les droits
sur un patrimoine, en localisant soigneusement les interventions d'un saint, tant de son
vivant qu'après s a mort; encourage r le s donateurs à la générosité enver s un sain t - et
ses représentants - en multipliant le s exemples de générosités dignes d'être imitées.
Mais par delà ces intentions générales, les remanieurs poursuivent-ils des projets qui
leur sont propres e n tant que remanieurs? Les opérations de réécriture se déclenchent
souvent pour répondr e à une commande pressante d e la part d'une autorité ou d'un e
communauté, monastique ou épiscopale, à laquelle l'œuvre est dédicacée dans un prologue ou une lettre de présentation 19:
- Joss e par Isembar d d e Fleury, à l'adresse d e la communauté d e St-Josse-sur-Mer e t
son abbé Herbold; un prologue additionne l inédi t dédicace l'œuvre à un évêqu e Go defridus20. Florent de St-Josse a plus tard condensé les deux Vies en prose à l'intention
des moines de St-Josse-sur-Mer (prol.) .
- Lunaire: le compilateur d e la Vita IV a a maladroitement conserv é de sa source (un e
Vita IIIa perdue ) une allusion à un dignitaire (chap. 13: pietati vestrae ac beatitudiné)
qui a peut-être passé commande o u reçu l'hommage d e la troisième recension .
- Malo: le diacre Bili adresse sa lettre de dédicace à l'évêque Ratvili d'Alet. L'auteur d u
récit de translation d e Saintonge vers la Bretagne a cédé aux requêtes d e ses confrère s
moines (BH L 5124, chap. 1). Sigebert d e Gemblou x a obéi au x ordre s d e so n abb é
Thietmar (ep. auct),
- Samson: l'anonyme doloi s qui a remanié la Vita primigenia l'offr e à l'évêque Tiger nomalus - de Dol probablement (prol . 1 et 2; I I 1 et 2). Le poète qu i a mis en vers la
Vita II a travaillai t sou s le s ordres d e l'évêque Lo[u]vena n - sans doute d e Dol (frag ment II, vers 8 et fragment III, vers 62).
18 F. KERLOUÉGAN , La littérature latine religieuse et profane, dans: Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. I. Héritage celtique et captation française. De s origines à la fin des États (dir. L. FLEURIOT et A.P. SÉGALEN) , Paris, Genève 1987, p. 88. L'étude d'un ca s régional permet toutefois d e développer et préciser la typologie de s réécritures proposé e pa r Sofi a BOESC H GAJANO , L'agiografia , dans : Morfologi a
sociali e culturali in Europa fra Tarda Antichità e Alto Medioevo, Spolète 1998, tome II, p. 806-807 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'Alto Medioevo, 45).
19 Survol de cette question dans Phagiographie du haut moyen âge par Friedrich PRINZ, Kirchen und Klöster als literarische Auftraggeber, dans: Committenti e produzione artistico-letterari a nell'Alt o Medio evo occidentale, Spolète 1992, p. 759-788 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sulFAlto Medioevo, 39).
20 L a proposition de John HOWE, Th e Date of th e Vitajudoä b y Abbo t Florentiu s (BH L 4511) , dans:
AnalBoll 10 1 (1983) p. 26 n 6, d'y reconnaîtr e Gauzelinus, abbé de Fleury e t évêque de Bourges à partir de 1012, paraît bien fragile .
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
151
- Guénolé: Gurdisten a peut-être offer t s a Vita longior à un dignitaire , identifié dan s
une pièce liminaire maintenant perdue, mais évoqué dans le corps du texte : beatitudo
vestra (114 et 118). Il pourrait s'agir de l'abbé Aelam de Landévennec, à qui le moine
Clément a dédié son hymne alphabétique 21.
Les préfaces o u lettres de dédicace annoncent habituellement l e travail de réécriture par des verbes d'action asse z conventionnels :
-Josse par Florent: compendiose scribere (prol) pou r une réécriture qui n'est pas for cément un travail d'abréviation d'un e version antérieure .
- Malo par Bili: emendare22 e t recapitulare (ep. ded., cat de virt etproL), ca r le diacre
d'Alet s'afflig e d'abor d d e l'état corromp u d'un e recensio n antérieure , viciée par de s
transcriptions négligées ; iniungere aliqua (ep. ded.) annonc e l'intention d'ajoute r à ce
qui a déjà été écrit sur Malo. Au livre II, entièrement ajout é d e sa main, il est question
de congrégare et constringere (II1).
- Malo par Sigebert : corrigerez renovare (ep. auct) doiven t s'entendr e a u sen s stylis tique; le remanieur s e propose e n effet d e remettre d e l'ordre dan s un text e confus e t
de corriger les fautes, tout e n se défendant d e rien ajouter d e nouveau .
- Paul Aurélien par Vital: abbreviare (chap . 2), tout e n polissant ad unguem u n styl e
détestable.
- Samson: pauca de multis colligere ( Vita I a, prol . 4, I I 1 et II14) afin d e réduire un e
œuvre primitive apparemment plus prolixe; en contrepartie, le remanieur ajoute un second livr e {augmentum dare, Vita I ay I I 2); opus retexere (II 11), au sen s de remettr e
sur le métier une recension antérieure. Pour l e poète qui a mis en vers la Vita II a S. , il
s'agissait d e Samsonis modulari gesta (fragmen t I, vers 22) et d e paucaque de multis
perstringere (fragmen t I, vers 31) 23. Pour s a part, Baudr i d e Do l a repris l a Vita II a
S. pour l a corriger (prol. : ad codicem antiquum corrigendum) e t en tisser un nouvea u
récit (novam historiam contexui).
- Guénolé: V. longior de Gurdisten: colligere, elucidare (dans la conclusion du premier
livre), intimare (e n II 3), à partir d e l'ensembl e de s tradition s disponibles , orale s e t
écrites. Homelia d e Gurdisten: rescribere (BHL 8959, prol.), à l'intention d e ceux qui
n'ont pas le temps ou les moyens de se plonger dans la recension longue. Sermunculus
(BHL 8962, chap. 1): excerpere quelques éléments de la tradition longue pour e n tirer
un sermon .
Une autre circonstance est bien représentée dans notre corpus pour avoir stimulé le
zèle des remanieurs, même si elle est connaissable plus indirectement: produire un texte d'accompagnement o u de validation à l'occasion d'u n déplacemen t d e reliques:
21 Vers 9-10 des Pentametri versns précédant la section alphabétique proprement dite; cf. Denis BRILLET ,
La Vie de saint Guénol é envoyé e à Jean d' Arezzo (BH L 8960), Paris 2000, p. 42 (mémoire d e D.E. A.,
Université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis); nous remercions l'auteur d e nous avoir communiqu é
son travail.
22 Puisque Bili connaissait VHomelia in natale s. Vedasti d'Alcuin, i l en connaissait peut-être aussi la Vita, remaniée par le même auteur (BHL 8506). Alcuin a pu l'inspirer, dans sa lettre à l'abbé Rado: emendare studui (MGH SR M III 414) = emendare studuimus (Bili , Cat. virt.).
23 Le verbe perstringere n'impliqu e pas nécessairement une notion de raccourcissement; il se retrouve dans
la préface d u remanieur d e la Vita anonyma longior s. Machnti, qu i allonge son modèle .
152
Joseph-Claude Pouli n
-Josse par Isembard: on a fait appel à un professionnel d e Fleury pour remonter la Vie
du sain t après la restauration d u monastèr e de St-Josse-sur-Mer e n 977 et ajouter un e
inventio d e ses reliques. En contrepoint, la Vita metrica vient appuyer des prétentions
anglaises à posséder concurremment le s reliques de Josse (cf. Annex e F).
- Malo: Bili a ajouté un récit de translation à la Vie qu'il développe, afin d'authentifie r
les relique s possédée s pa r l'églis e épiscopal e d'Ale t (soi t l a tête e t l a main droit e d u
saint). Puis les reliques apportée s à Paris par la communauté monastiqu e e n fuite eu rent à leur tour besoin d'être validées par un nouveau récit; mais en contradiction avec
la translatio d e Bili, on prétend cett e fois déteni r le corps entier de Malo.
- Guénolé: Gurdisten a fabriqué un e pièce montée (Vita + Homelia), san s doute pou r
accompagner un don de reliques à l'évêque Jean d'Arezzo dan s les années 870.
Parfois aussi , des visées plus particulières on t serv i à justifier o u inspire r l a réécriture d'un text e hagiographique :
- reprendre en sous-œuvre un travail d'écriture hagiographique laissé inachevé par un
confrère décéd é prématurément; ains i Gurdiste n pren d l a relève d u moin e Clémen t
pour chanter les louanges du saint fondateur d e Landévennec (V ^ longiors. Winwaloeiy
19).
- actualiser une oeuvre antérieure, c'est-à-dire ajouter le récit de prodiges récents, comme le fit le premier remanieur de la Vie de s. Samson: de cotidianis acpraesentibus eiusdem virtutibus (Vita I a, II2). La Vie ancienne de Samson porte usque hodie a u sens de
»jusqu'à l'époqu e d u rédacteur« dans tous les cas (151 et 52; II3,11 et 13) sous la plume du remanieur dolois, mais pas chez Hénoc. Dans le même esprit, Bili s'est fixé comme tâche (entre autres choses) de compléter les miracles antérieurs de s. Malo par ceux
de so n temps , du IX e siècl e donc: de illisque nostro in tempore contingerunt (V Machuti, II14), dont il peut témoigner personnellement à l'occasion (ep. ded. e t II18) 24 .
- fournir u n texte adapté à la prédication et à la prière de l'office monastique ; c'est ainsi que Gurdisten a réduit sa Vita longior e n une Homélie sur s. Guénolé à l'intention ,
dit-il en prologue, de ceux qui ne peuvent ou ne désirent pas se plonger dans la recension complète. Ou encor e dans la Vita s. Maglorii o u dans le second livre de la Vita I a
s. Samsonis, d e longs passages prennent l'allur e d e sermons.
Mais par delà ces occasion s liées à la logique interne du genre hagiographique, il existe aussi des motivations plus spécifiques, liées aux réalités historiques particulières d u
monde breton. À plusieurs reprises en effet, nous pouvons reconnaître un contexte polémique autour d e l'opération d e réécriture, même s'il ne s'exprime pa s en termes ex près à chaque fois. Deux cas de figure principau x se présentent.
D'un côté, certains hagiographes éprouvent - ou prétendent éprouver - un véritable
choc culture l e n lisant de s Vies d e saint s bretons : la forme d e ces oeuvres le s rebute .
D'où l a réécriture.
24 Mais à la lumière de la présente enquête , il s'en fau t d e beaucoup pour qu e la multiplication de s miracula in vita s'impos e comme un trait dominant de l'hagiographie post-carolingienne, comme le voudrai t
R.I. MOORE, Between Sanctit y an d Superstition : Saint s an d thei r Miracle s i n th e Ag e o f Revolution,
dans: The Works o f Jacques L e Gof f an d th e Challeng e o f Médiéva l Histor y (dir. M. RUBIN), Wood bridge 1997 , p. 61-63; il est vrai que cette étude s'appuie su r un »flims y an d impressionistic sampling «
(p. 56; et encore p. 64).
Les réécritures dans Phagiographie bretonn e
153
Tantôt sur un mode mineur, tout en douceur: quand l'anonyme longior de Malo entreprend d e remanier l a brevior, i l n'explique pa s pourquoi, mai s nous apprenon s a u
détour d'une phras e (chap. 20) qu'il se pique d'écrire elegantius. Effectivement , i l délaie, il brode; pourquoi utilise r un adjectif qualificati f quan d o n peut e n mettre deux ?
Pourquoi énoncer les choses simplement quand on peut les paraphraser? Simple exercice de style? Voire ... De mêm e quand Baudr i de Dol reprend l a Vita II a s. Samsonis
pour y apporte r de s amendement s qu'i l jug e nécessaires , i l s e content e d e corrige r
quelques fautes et d'ajouter quelque s gloses 25. D'autres fois, le ton est plus agressif. Le
mauvais style, la syntaxe défectueuse, la confusion de s idées, le désordre de la composition, tout cela appelle une réécriture radicale, car le sujet mérite mieux. Ainsi chez Sigebert de Gembloux pour s. Malo et chez Vital de Fleury pour s. Paul Aurélien. Pou r
eux, il s'agit carrément d'un e opératio n d e »débretonnisation« d e l'hagiographie bre tonne; dès leurs préfaces, ils annoncent leur programme de travail. La célèbre garrulitas britannica, perçu e comme un bavardage inutile, en fait les frais26; mais aussi l'onomastique bretonne , qu i blesse les oreilles étrangères . Sans le claironner, l e remanieu r
de la Vita s. Conwoionis sabr e lui aussi dans l'anthroponymi e bretonne ; le fait d'êtr e
moine de Redon et son choix de se concentrer sur les aspects plus directement biogra phiques du saint n'ont pas suffi à le convaincre de maintenir les noms des compagnons
de route de Conwoion. Ou encore, un des réducteurs de la grande Vie de Guénolé s'est
employé à supprimer l'onomastiqu e tro p visiblement bretonne (BH L 8961).
Un débu t d'espri t critiqu e intervient parfois. Sigeber t éme t de s réserves expresse s
(chap. 6) sur l'à-propos de s aventures d e s. Malo e n compagnie d e Brendan; il prend
sur lui de supprimer les épisodes qu'il juge les plus extravagants: le géant qui remorque
le bateau de Brendan en haute mer (Vita anon. brevior M., chap . 11), le loup qui rem place l'âne qu'il a dévoré comme bête de somme (ibid., chap. 24)27. Encore à propos de
s. Malo, Jean de la Grille élimine deux miracles de résurrection e t autres inaccessibilia
qui sortent par trop de l'ordinaire à son goût, pour se concentrer sur les éléments plus
sérieusement documentés (BH L 5120, chap. 6)28.
Au terme de cet inventaire, l'impression pourrait naître d'un mouvemen t de réécritures né de simples querelles de lettrés, ou de préjugés anti-bretons ... Mais d'un autr e
côté, des conflits institutionnel s affleurent auss i dans de tels remaniements, même s'ils
ne sont pas proclamés comm e tel s en ouverture; deux dossiers son t exemplaire s à cet
égard, ceux de Samson et de Malo.
25 Robert FAWTIER , L a Vi e d e sain t Samson . Essa i d e critiqu e hagiographique , Pari s 1912, p. 17 (Coll.
BÉHÉ, 197) (désormais: Vie de s. Samson).
26 Pourtant, la garrulitas de s Bretons est évoquée sans connotation désobligeante dans les Miracula s. Maglorii (BHL 5140, chap. 20). Autres témoignages passés en revue par Pierre RICHE, Les Bretons victimes
des lieux communs dan s le haut moyen âge , dans: Bretagne e t pays celtiques . Langues, histoire, civilisation. Mélange s offert s à l a mémoir e d e Léo n Fleurio t (dir. G. L e MEN N e t J.-Y . L e MOING) , St Brieuc/Rennes 1992, p. 111-115; réimpr. dans: De Charlemagne à saint Bernard. Culture et religion, Or léans 1995, p. 193-197 (Varia, 21).
27 Bili (Vita longior s. Machuti^ I 44) se contente d'une âness e domestiquée et se débarrasse du loup .
28 Pour d'autre s exemple s de vigilance critique des remanieur s hagiographe s à cette époque, cf. Thoma s
HEAD, Fideli famae adscribendum iudicantes: Fou r Monk s i n Searc h o f a Hagiographica l Method ,
980-1125, dans: The Médiéva l Monaster y (dir. A. MACLEISH) , St . Cloud (Minn. ) 1988, p. 83-89 (Médiéval Studies at Minnesota, 2).
154
Joseph-Claude Pouli n
Dans les parties ajoutées à la Vita primigenia s. Samsonis par le premier remanieur ,
l'auteur s'en prend aux mauvais prêtres (sacerdotibuspravis, 160) jaloux et calomnieux
des pouvoirs thaumaturgiques du saint. P. Flobert y voit une attaque contre les évêques
gallo-francs d e Tours au VIe siècle29; mais il pourrait aussi s'agir de tensions internes à
Dol à l'époque carolingienne, entre les moines (le remanieur est du nombre) et le clergé séculier. Ailleurs dans ses additions, le remanieur invective ceux qui refusent d e célébrer comm e i l se doit le s anniversaires d u sain t e t s e contentent d'u n hommag e d u
bout des lèvres (II4), d'une dévotion hypocrite (II6). Déjà dans la préface qu'il a ajoutée en tête de la Vie primitive (en remplacement d'u n prologue origine l perdu?), le remanieur sent venir l'opposition à une œuvre qui ne fera pas l'unanimité. Que certain s
de ses confrères moine s y trouvent à redire, dans une matière qui relève de leur com pétence, passe encore; mais il s'indigne à l'avance des reproches qu i pourront lu i êtr e
adressés par des incompétents - quo d est sepius - ces quibusdam aliis qu'il n'identifi e
pas autrement , mai s qu'i l qualifi e d e présomptueux e t illogiques {Vita I a S. , prol. 3).
L'ensemble d e ces prises de position va au-delà de s protestations routinière s su r l'incapacité d'un auteu r à s'acquitter d e sa tâche e t renvoient, à notre avis , à un context e
polémique local. Un remaniement du milieu du IX e siècle (Vita II a S.) fait ensuite disparaître ce ton acrimonieux, mais introduit un e innovation d e taille: Samson est cette
fois proclamé archevêque de toute la Bretagne (II24) 30 et non seulement abbé-évêqu e
de Dol. C'est tou t l e contexte d e la querelle pluri-séculaire ave c Tours qu i se profile;
encore une fois, mais d'une autre façon, cette réécriture hagiographique est une oeuvre
de combat. Au XII e siècle, Baudri de Dol maintient bie n évidemmen t les prétentions
métropolitaines d e son siège, à l'occasion d e la réfection d e la Vie de son saint patron .
UEpitome d e Llandaff s'inscri t encor e dans un context e d e rivalité entr e deu x siège s
épiscopaux: la mise en réécriture de la Vita Ia s. Samsonis vise cette fois à mobiliser Samson au service des prétentions de Llandaff, face à la concurrence du siège de St-David.
Cet abrég é s'insère ic i dans un dossie r ambitieu x e t complexe - le Liber Landavensis
- qui veut faire remonte r a u VI e siècle la qualité archiépiscopale d u sièg e de Llandaf f
et sa supériorité sur St-David de Menevie31. Enfin, la Vita abbreviata d e Samson (BH L
7485) comporte des choix qui reflètent probablement la sensibilité d'un auteur non breton; c'est ainsi qu'au chap. 2 (= Vita II a 5. , 13), le librarius n'annonce plus à la mère du
saint que son fils à naître de Britannorum génère similis non fuit, nec est, nec esse poterit. Il est vrai qu'une telle allusion aux Bretons est ensuite maintenue au chap. 4 (= Vita IIa S. y I 5); mais Samson n'est plus mis à la tête de la province de Bretagne. Plus largement, la coupure principale effectuée pa r cet abréviateur vient de l'élimination qua si complète d e l a carrière insulair e d u sain t (tou t c e qui sui t s a naissance), dont i l n e
29 P. FLOBERT, La Vie ancienne de saint Samson de Dol, Paris 1997, p. 233 (IRHT, Sources d'histoire mé diévale) (désormais: Vie ancienne de Samson).
30 Termes repris bientô t aprè s par l a Vita s. Maglorii (BH L 5140), chap. 3. Sur le débat autou r de la querelle métropolitaine d e Dol, voir dernièrement Paula De FOUGEROLLE , Pope Gregor y VII, the Arch bishopric o f Dol an d the Normans, dans: Anglo-Norman Studie s 21 (1998) [1999] p. 47-66.
31 Christophe r N.L. BROOKE , Th e Archbishops of St David's, Llandaf f an d Caerleon-on-Usk , dans :
Studies in the Early British Churc h (dir . N . K . CHADWICK et aliï)> Cambridge 1958, p. 201-242; réimpr. amendée dans: The Church and the Welsh Border in the Central Middle Ages (dir. D.N. DUMVILL E
et C. N. L . BROOKE), Woodbridge 1986 , p. 16-49 (Studies in Celtic History, 8).
Les réécritures dans Phagiographie bretonn e
155
reste qu'un e consécratio n épiscopal e miraculeus e ajouté e i n extremi s (a u chap . 13,
sur 14) 32.
Ce genre de tension, nous le retrouvons aussi dans le dossier des Vies de s. Malo, en
mode de thèse et d'antithèse. Dans son remaniement de la Vie anonyme brève, le diacre
Bili d'Alet commenc e par transcrire presque mo t à mot les premiers chapitre s d e so n
modèle. Puis, arrivé au chap. 16, c'est-à-dire a u moment de l'ordination épiscopal e de
Malo au Pays de Galles, Bili change brusquement d e système et prend toute sa liberté
d'auteur-remanieur. I l remplace l'ordination épiscopal e insulaire par une simple ordination sacerdotale et renvoie plus loin dans son récit le moment d e l'ordination épis copale, reçue à Tours et non à Dol. C'est là que son travail d'emendatio pren d tout so n
sens. Et Bili aggrave encore son cas en remodelant l e portrait d e Malo d'une manièr e
moins monastique, plus épiscopale; l'entourage l e plus habituel du saint est maintenant
composé d u clerg é séculier e t non pas régulier 33. Bili imagine des tournées pastorale s
de l'évêque, où il va sermonner des moines indisciplinés (ad monasteria visenda causa
ammonitionis dissidentium, Bil i 114; cf. aussi 176). Pire, Bili élimine la mention du travail évangélisateur d e Samson de Dol contenu e dans so n modèle (Vita anonyma brevior M. y chap. 15). Les milieux monastiques d u diocès e d'Alet n'on t guèr e dû appré cier d'être ains i placés dans une position subordonné e par rapport à leur évêque; aussi, i l est assez tentant d e voir dan s la Vita anonyma longior Machuti un e répliqu e a u
manifeste de Bili. Le grand dossier monté chez l'évêque Ratvili d'Alet s e voit ainsi opposer une réaffirmation plu s insistante de la qualité épiscopale de Malo antérieurement
à son arrivé e sur le continent e t un renforcement d e ses traits monastiques par un re manieur qui feint d'ignorer le s idées contraires de Bili34. Il ne s'agissait manifestemen t
pas q u e d'un e réfectio n stylistique : elegantius ... L'opposition monastiqu e à la reconstitution historique de Bili se retrouve enfin dans le récit de la translation de s. Malo de Saintong e ver s l a Bretagne (BH L 5124); le récit d e translatio n élabor é pa r Bil i
(BHL 5116a , II 6ss) est plus que remanié, il est contredit e t remplacé par une relatio n
maladroite et inconciliable, en partie calquée sur le dossier ancien de s. Magloire35.
Au XII e siècle, Jean de la Grille a réduit so n texte-source principal (Vita anonyma
brevior M.), mai s ajout é deu x passage s originau x qu i trahissen t de s préoccupation s
bien contemporaines. Au chap . 12, il introduit un développemen t destin é à répondre
aux objections d e ceux qui critiquaient Malo d'avoir abandonn é so n diocèse insulair e
de Gummi-Castrum, pou r deveni r ensuit e évêqu e e n Petite-Bretagne; le propos sie d
bien à un prélat comme Jean, qui a déplacé son siège épiscopal de la péninsule d'Alet à
l'île de Saint-Malo en 1144. Dans la première moitié du chap. 16, notre remanieur s'attache ensuite à montrer l'autorité ancienne de l'évêque de Saint-Malo sur le monastère
fondé pa r le saint dans l'île d'Aaron; o r justement, Jean de la Grille es t entré dans u n
conflit prolongé avec Marmoutier au sujet de leurs droits respectifs sur l'établissemen t
32 Cette réduction d e la Vie de Samson présente aussi une incohérence qu'u n auteu r breto n n'aurai t san s
doute pas commise: in monasterio Doli {Vita II" S., II 26) devient a u chap . 14 de Yabbreviata: in monasterio Doli Penetali.
33 J.-C. POULIN, Les dossiers de s. Magloire et de s. Malo d'Alet [SHGII], dans: Francia 17/1 (1990)p. 177
(désormais: Magloire et Malo).
34 POULIN, Magloire et Malo, p. 180-181.
35 POULIN, Magloire et Malo, p. 182-183.
156
Joseph-Claude Pouli n
monastique fondé par s. Malo. Ce combat fut men é à Rome par des moyens diploma tiques, et dans l e diocèse par des moyens hagiographiques : les moines malouin s son t
présentés comm e docilemen t soumi s à l'autorité épiscopal e d e s. Malo, entouré pou r
la circonstanc e d'u n collèg e d e 70 chanoines. Jean d e l a Grill e fu t chanoin e d e St Augustin a u début d e sa carrière ecclésiastique ... 36 .
Deux autres dossiers, enfin, voient peut-être leur développement coloré par des tensions ou de s regards différenciés su r la place d'un sain t dans l'histoire. E n comparan t
la réécriture de la Vie de s. Conwoion à son texte-source, il est aisé de reconnaître u n
renversement de perspective envers l'histoire primitive de Redon et le rôle du saint fondateur. La première biographie, quasi contemporaine, fut écrite d'un point de vue breton; environ deu x siècle s plus tard , un remanieur , bie n qu'i l soi t probablement auss i
un Breton de Redon, réécrit toute cette histoire d'un point de vue bien plus favorabl e
aux Francs37. De même, la Vita II a s. Judoci e t sa Vita metrica composé e à Winchester
se font peut-êtr e écho , au moment o ù insulaires et continentaux prétendaient contra dictoirement déteni r le corps du saint à la fin du X e siècle.
Il ne faut donc pas se laisser endormir par le ronronnement d'un e captatio benevolentiae, ca r il y a souvent plus à connaître de s intentions de s remanieurs qu e ce qu'ils
en disen t spontanément . L e vrai projet d'un e réécritur e peu t êtr e littéraire , bie n en tendu, mai s auss i historique (comm e o n l'entendai t à l'époque), spiritue l o u institu tionnel. Nous n'irion s pas jusqu'à dir e que ce sont les situations d e crise qui font gé néralement naîtr e le s œuvres hagiographiques , comm e certain s l'on t proposé 38 ; mai s
nos remanieur s s e comportent asse z souven t comm e de s historiens engagé s (comm e
nous dirions aujourd'hui). À ce titre, ils requièrent une lecture très vigilante, attentive
aussi bien aux traditions littéraires qu'aux circonstances historiques particulières; le recours à des témoins manuscrit s négligé s par les éditeurs peut alor s apporter u n éclai rage original, comme le démontrent courammen t les publications d u projet SHG .
L'analyse de s méthode s d e travai l de s remanieur s aider a maintenan t à progresse r
dans la connaissance de la portée véritable de leur intervention. À défaut d'entrer dan s
la tête de ces écrivains, nous pouvons d u moins essaye r de lire par-dessus leu r épaul e
afin d e comprendre commen t ils s'y prennent pour s'acquitte r d e leur tâche.
36 H. GUILLOTEL , Le s évêques d'Ale t d u IX e a u milieu d u XII e siècle, dans: Annales de la Société d'his toire e t d'archéologie d e l'arrondissement d e Saint-Malo, (1979) [1980], p. 265-266. J.-C. POULIN , Johannes de Craticula, dans: LMA 5,1991, col. 565.
37 Caroline BRETT, The Monks o f Redon . Gesta sanctorum Rotonensium an d Vita Conuuoionis, Wood bridge 1989, p. 15-17 (Studies in Celtic History, 10); ID., Breton Latin Literature as Evidence for Lite rature in the Vernacular, A.D. 800-1300 , dans: Cambridge Médiéva l Celti c Studies 18 (1989) p. 21-22
(désormais: Breton Latin Literature) .
3 8 Ainsi Felice LIFSHITZ, The Norman Conquest of Pious Neustria. Historiographie Discourse and Saintly Relies , 684-1090, Toronto 1995, p. 14 (Studies and Texts, 122).
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
157
I L LE S M O Y E N S D E L A R É É C R I T U R E
Pour l'étud e de s moyens mi s en oeuvre par le s remanieurs, nous laisseron s d e côté la
question de s réécritures par transferts linguistiques . L'existence d e remaniements ha giographiques ancien s par traduction d u breton vers le latin est à notre avis assez im probable aux hautes époques, quoi qu'on ait prétendu pour s. Brieuc39, s. Tudual ou s.
Gurthiern 40 . Un cas de traduction du latin au vieil anglais à la fin du X e siècle est assuré pour s . Malo, à partir de la recension de Bili 41. Il y aura des passages du latin à l'ancien français, mais trop tardifs pour nos besoins: une Vie métrique de s. Josse, adaptée
de la Vita IIIa (BH L 4511) par Pierre de Beauvais au début du XIII e siècle42, une double
traduction de la Vie longue de s. Magloire par Geoffroi de s Nés, en prose puis en vers,
au début du XIV e siècle 43.
Contrairement au x apparences , le s hagiographe s n e s e perdent pa s tou t unimen t
dans les lieux communs de l'humilité convenue ou l'expression de leur insuffisance per sonnelle. Pour un Gurdisten qui redoute de ne pas chanter les louanges de s. Guénolé
aussi bien que son talentueux confrère Clément , trop tôt décédé (Vita longior W. y 19),
il se trouve des hagiographes assez convaincus de la qualité de leurs moyens et confiants
de faire mieu x que leurs prédécesseurs; ainsi Bili pour s . Malo (ep. auct. e t cat. virt.),
Sigebert et Vital pour s . Malo et s. Paul Aurélien, dans leurs préfaces respectives .
Du poin t d e vue de leurs méthodes générale s d e travail, les remanieurs s e répartissent en deux groupes: ceux qui développent une œuvre antérieure d'une part, ceux qui
réduisent leur modèle de l'autre. Deux bons exemples de la première manière sont four nis par le s dossiers d e s. Melaine e t de s. Samson. La Vita II a s. Melanii compren d l e
même nombre d e chapitres qu e la Vita I a, mai s elle les enrichit d e précisions narrati ves diverses sur le fond e t emprunte au dossier hagiographique d e s. Magloire pour sa
forme44. L a Vita interpolata fai t passe r so n modèl e d e 20 à 34 chapitres pa r une séri e
d'allongements progressif s difficile s à dater entr e le milieu d u IX e e t le milieu d u XI e
39 Henri WAQUET, Brieuc, dans: D H GE 10 (1938) col. 712; C. BRETT pense à un texte-source en latin médiocre, teinté de bretonnismes, plutôt qu'à une recension e n breton: Breton Latin Literature, p. 11.
40 Pour ce s deux derniers saints : Léon FLEURIOT , Le s origines d e la Bretagne. L'émigration, Paris , 1980,
p. 284 et 278.
41 David YERKES, The Old English Life of Machutus, Toronto 1984 (Toronto Old English Séries, 9). Étude des rapports entre les versions latine et anglo-saxonne de la Vie de s. Malo par E. Gordon WHATLEY ,
Lost in Translation: Omissio n o f Episode s i n som e Ol d Englis h Pros e Saints' Legends, dans : AngloSaxon England 26 (1997) p. 198-207. L. FLEURIOT, Traduction et bilinguisme dans le monde brittonique
médiéval, dans: Traduction e t traducteurs a u moyen âg e (colloque Paris - 1986 ) (dir. G. CONTAMINE) ,
Paris 1989, p. 218.
42 Nils-Ola f JÖNSSEN (éd.), Pierre de Beauvais. La Vie de saint Germer et la Vie d e saint Josse. Deux poèmes
du XIII e siècle, Lund 1997,207p. (Études romane s de Lund, 56). Aelfric ( f c . 1025) connaissait certai nement la Vie de s. Josse (probablement dans la recension d'Isembard d e Fleury), mais il ne Ta pas transposée e n vieil anglais, parce qu'i l n e considérai t pa s le saint comm e suffisammen t universel , selo n M .
LAPIDGE, Th e Saintl y Lif e i n Anglo-Saxon Literature , dans : The Cambridg e Companio n t o Ol d En glish Literature (dir. M. GODDE N e t M. LAPIDGE), Cambridge 1991, p. 256-258.
43 Geneviève HASENOHR, Geoffroi de s Nés, dans: Dictionnaire de s lettres françaises. L e moyen âg e (dir.
G. HASENOHR et M. ZINK), Paris 1992 (réimpr. 1994), p. 510.
44 POULIN, Melaine, Conwoion e t Mervé, p. 137ss.
158
Joseph-Claude Pouli n
siècle; les changements ains i introduits concernen t auss i bien la forme qu e le fond d u
récit. Pou r Samson , l e premier remanieu r a annoncé u n programm e e n deu x temps :
augmentum dare {Vita IaS.y II 2) - effectivement, i l a ajouté un livre II en 15 chapitres.
Opus retexere (II11): il a interpolé le livre I par addition d'une préface en quatre chapitres (remplaçant un prologue primitif?) et de 13 autres chapitres intercalés ici et là, sans
compter des interventions ponctuelles probables ailleurs dans le texte. Grâce à la conservation d e l a tabl e de s chapitre s d e l a version initial e (primigenia), nou s pouvon s
savoir assez précisément o ù le remanieur es t intervenu pour coudre ces pièces supplémentaires au tissu d'origine. L'écrivain a donc bien exécuté ce qu'il avait annoncé. Des
quatre épisodes narratifs nouveaux qu'il ajoute, trois se sont déroulés sur le continent,
et deux post mortem; léger rééquilibrage, donc, en faveur d u continent . L e deuxièm e
remanieur place l'œuvre dan s une perspective différente. I l s'est émancipé du mantea u
d'Arlequin cré é par son prédécesseur. Sa réécriture intégrale lui a donné l'occasion d e
restructurer complètemen t l e texte, e n adoptan t cett e foi s u n clivag e chronologico géographique: la carrière insulaire de Samson au livre I, son parcours continental et les
développements posthumes au livre IL Ce faisant, il comprime sensiblement la matière
insulaire45, mai s i l développ e considérablemen t l a partie continental e - 1 7 chapitres
entièrement nouveau x -, notamment e n relatio n ave c l a Normandi e (i l exist e un e
antenne monastiqu e bretonn e à Pental) e t plu s encor e e n relatio n ave c Pari s (l e ro i
Childebert et l'abbaye St-Germain-des-Prés) où Samson fait deux voyages au lieu d'un
seul46. Baudri de Dol a remplacé (?) le prologue par une préface de son cru; pour le reste,
il semble avoir maintenu asse z fidèlement l e texte de la Vita II a S. y sau f pour quelque s
retouches mineures en II13,15,17 et 21; il supprime des considérations pieuses, mais
ajoute un e finale propre e n II26, selon le relevé de l'édition Françoi s Plaine 47. Quan t
au compilateur de la Vita mixta, i l témoigne d'un beau tempérament de collectionneur
désireux de ne rien laisser s e perdre, en contenu e t en qualités stylistiques , de ce que
lui apportent les Vitae I a e t IIa altera S.; tou t en accordant sa préférence à la Vita I a (a u
livre I), il l'interpole d e tout c e qui lui a plu dan s la II*. Mis à part quelque s vocable s
inversés e t mots-liens ajoutés , i l respecte à la lettre ses textes-sources e t produit ains i
une œuvre exceptionnellement longue .
45 Les 61 chapitres du premier livre de la Vie ancienne sont réduits à 20, parfois fort longs, il est vrai. Il est
inexact de prétendre, comme FAWTIER , Vie de s. Samson, p. 16, que tous les éléments de la Vita I a S. s e
retrouvent dan s la secunda.
46 Le rééquilibrage de la biographie de Samson e n faveur d e la portion continental e de sa carrière a faussement condui t FAWTIER , Vie de s. Samson, p. 16 à croire à une origine pentalienne de cette réécriture;
J.-C. POULIN , L e dossier d e saint Samso n d e Dol [SH G I], dans: Francia 15 (1987) p. 729 (désormais:
Dossier d e s. Samson). Au v u de s emprunts certain s d e Gurmono c (Vita I a s. Pauli Aureliani) e t probables de Gurdisten (Vita longiors. Winwaloei) à cette Vita IIa S. , il n'est évidemment plus possible d'attribuer cette réécriture à Vital de St-Gildas au milieu du XI e siècle, comme Ta fai t F. LOT , Mélanges d'histoire bretonne (VI e -XI e siècle), Paris 1907, p. 239 n. 2; opposition précoce de son disciple FÄWTIER, Vie
de s. Samson, p. 16 n. 3, puis de Louis GOUGAUD , Le s relations de l'abbaye de Fleury-sur-Loire ave c la
Bretagne armoricaine et les îles britanniques (Xe et XI e siècles), dans: Mémoires de la Société d'histoir e
et d'archéologie d e Bretagne 4 (1923) p. 7-9.
47 F. PLAINE , Vita antiqua sancti Samsonis Dolensis episcopi, dans: AnalBoll 6 (1887) p. 77-150 (désormais:
Vita antîqua Samsonis).
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
159
Deux autre s cas de réécriture par développement , parm i les plus amples de tout l e
corpus, peuvent êtr e réunis , car ils procèdent d'u n mêm e esprit : pour s . Malo d'un e
part, s. Guénolé de l'autre. Les deux remanieurs concernés, Bili d'Alet et Gurdisten de
Landévennec respectivement , n e se sont pa s contentés d e réécrire une biographi e e n
l'allongeant énormément; ils ont profité de cette remise en chantier pour constituer un
dossier beaucoup plus ambitieux et polyvalent 48.
Pour s. Malo: à partir d'un texte-sourc e (V. anonyma brevior) d e 31 chapitres, Bili a
développé une oeuvre en deux livres; le premier livr e amplifie l a Vita I a M. e n 89 chapitres, le second livre ajoute 18 chapitres entièrement nouveaux. Cette réécriture est encore plus complexe qu'il y paraît par ces chiffres, car elle comporte en plus une lettre de
dédicace, un poème, deux hymnes et une homélie49. La V. anonyma longior (aussi en 31
chapitres) est restée beaucoup plus proche de son modèle brevior, tou t en délayant son
style par diverses paraphrases ou redondances; cette dilution ne s'étend jusqu'à compter
quelques phrases propres qu'aux chap. 15bis, 16,18,30 et 31. Bili, pour sa part, a recopié
servilement les cinq premiers chapitres de son modèle; le reste est totalement refondu ,
avec des précisions toponymiques et anthroponymiques beaucou p plus systématiques.
Où Bili est-il allé chercher tous ces détails, si longtemps après les faits? Il invoque en 125
le témoignage de Bretons du continent, de retour d'un voyage Outre-Manche. La nouveauté la plus remarquable sous sa plume est certes l'introduction d'u n réci t de translation partielle de s. Malo de Saintonge en Bretagne (II6-11). À une échelle plus modeste,
Sigebert de Gembloux s'est inspiré de l'exemple de Bili: à sa reformulation d e la Vie du
saint, il a joint des hymnes en l'honneur de Malo - malheureusement perdues 50.
Pour Guénolé : à partir d'un e Vita brevis perdue , Gurdiste n a développé énormé ment son modèle: une préface e n 31 vers + la Vie en deux livres prosimétriques (tota lisant 51 chapitres) + un troisième livre en vers (27 chapitres, qui récapitulent les deux
premiers livres, en un exercice tout à fait classique de conversio) + une homélie décou pée d'origine e n 12 lectures, ce qui correspond à un office d e schéma monastique. Mis
à part deux vers de Clément, cités expressément e n I 9, nous ne pouvons savoi r exac tement ce que Gurdisten a gardé de son texte-source 51.
Dans ce s deux dernier s dossiers , l'opération d e réécriture débouch e don c su r un e
production complexe, de formes variées, destinées aussi bien à la lecture privée ou publique qu'à la prédication, à la prière chorale et au chant. À la fin du IX e siècle en Bretagne, l'activité hagiographiqu e attein t manifestemen t u n degr é de maturité asse z remarquable; de tels remaniements en sont l'expression éclatante et rappellent les termes
de la commande d e Louis l e Pieux auprè s d'Hildui n e n faveur d e saint Denis 52 . Un e
48 J.-C. POULIN, L e dossier de saint Guénolé de Landévennec [SH G V], dans: Francia 23/1 (1996) p. 191
(désormais: S. Guénolé).
49 POULIN, Magloire et Malo, p. 161.
50 Arte autem musîca antiphonas et responsoria de sanctis Maclovo et Gmberto melificavi. [...] Vitassanctorum Maclovi et Theodardi urbaniori stylo melioravi: Sigeber t de Gembloux, Libellus de vins illustribus, chap . 172 (éd. Robert WITTE, Catalogus Sigeberti Gemblacensis monachi de viris ülustribus. Kri tische Ausgabe, Berne/Francfort 1974, p. 104 [Lateinische Sprache und Literatur des MAs, 1]); chap . 171
dans Ted. MIGNE P L 160,587 .
51 Cf. pourtan t POULIN, S. Guénolé, p. 184.
52 BHL 2172; POULIN, S . Guénolé, p. 191.
160
Joseph-Claude Pouli n
forme littérair e comm e Y opus geminum> en plein esso r su r l e continent dan s l e cadre
de la renaissance des lettres, est connue et pratiquée jusque dans l'extrême oues t de la
péninsule armoricaine .
Symétriquement, le s auteurs d e réécritures pa r réductio n on t eu x aussi manié un e
grande variété de procédés:
- par coupure s mécanique s d e grandes section s (couper-coller!), sans chercher à rien
changer ni ajouter a u reste53. C'est ainsi que Gurdisten a tiré des extraits de sa Vita Iongior de Guénolé, qu'il a juxtaposés à son Homélie, pour établi r une nouvelle versio n
abrégée, dite Vita et homelia y à l'intention d e so n am i l'évêque Jean d'Arezzo ; i l n' y
ajoute rie n de neuf, si ce n'est une lettre de présentation54. À partir de la grande Vie de
Gurdisten, un e autr e version brèv e fut établi e à une date difficile à préciser entr e 913
et 1200; on l'a alor s délestée machinalement d e tous le s passages versifiés, sermon s e t
exhortations morales non biographiques dont Gurdisten avait orné sa grande œuvre 55 .
Moins adroitement , u n moin e d e St-Deni s a tronçonné a u débu t d u XIII e siècl e un e
Vita IIIa deperdita s. Leonorii e n accordant la priorité aux passages où le saint entre en
relation avec des princes ou des rois (surtout Childebert); c'est qu'il est en train de rassembler des matériaux (probablemen t transcrit s littéralement ) destiné s à documenter
une histoire des rois de France. D'où l e titre qu'il a donné au résultat de sa manoeuvre:
De re Childeberto^ d e première main . Au bénéfic e d e s. Samson, un remanieu r ange vin travaillan t dan s un e perspectiv e liturgiqu e (d'o ù l e nom »liturgica« adopt é ici ) a
tronçonné la Vita II a S . de manière à effectuer un e autre sorte de débretonnisation d u
texte-source. En 12 chapitres seulement au lieu de 46, mais en maintenant les titres originaux des chapitres conservés, il s'est en effet débarrassé de tout ce qui concernait tro p
directement à son point d e vue l e monde breton : éducatio n pa r Eltutus , theomacba,
voyage en Irlande, navigation vers le continent, mentions de Dol, affaire d u prince Judual. Un traitemen t analogu e de la Vita II a s. Samsonis, san s doute à partir d'un inter médiaire commun, - un abrégé perdu de la Vita II a - a été effectué pa r les copistes des
Vitae mutilata e t abbreviata S. (cf. Annex e D) . Il arrive ains i que d e tels abrégés pa r
coupures machinale s finissen t pa r n'être qu e des copies partielles du texte-source; un
53 Les recalibrages effectués pa r de tels procédés font d u résultat un témoin utilisable pour la préparation
d'éditions critique s des textes-sources; un bon exemple de cette situation est fourni par le manuscrit d e
Copenhague porteur d e la Vita mixta s. Samsonis, néglig é par les éditeurs des Vitae I a e t II4 Samsonis.
Il faut égalemen t prendr e e n compt e le s oeuvres anciennemen t copiée s d e faço n désordonnée , qu e c e
soit intentionnellement (la Vita Ia s. Pauli Aureliani dan s le ms. d'Orléans , BM 261) ou accidentellemen t
(la Vita s. Columbani BH L 1898 dans un ms . rémois du IXe s.: Jean LECLERCQ , Un recuei l d'hagiogra phie colombanienne, dans: AnalBoll 73 [1955] p. 195, qui renvoie par erreur à BHL 1896).
54 Parmi les éléments à retenir de ses textes-sources, Gurdisten a choisi de maintenir la transcription, partiellement figurée, d'u n diplôm e de Louis le Pieux adressé à l'abbé Matmonoc de Landévennec e n 818
- bien qu'il n'y soit aucunement questio n d e Guénolé. Il devait être assez fier d e montrer à son correspondant italien , un habitu é de la cour d e Charles le Chauve, que le monastère de Landévennec possé dait dans ses archives un diplôme impérial original .
55 C'est c e qui a longtemps fai t croir e à l'antériorité d e cett e brevior (BH L 8956d) , les critique s s'étan t
convaincus de ce qu'une réécriture »normale« devait se faire dans le sens d'un allongement; pour la correction de cette perspective en l'espèce, cf. POULIN , S . Guénolé, p. 201-203. Cette brevior ajout e e n son
chap. 24 une interpolatio n relativ e à s. Ethbin, d'origin e incertaine , imprimée à tort dan s l'éditio n d e
référence d e la Vita longior W e n II22 (POULIN, S . Guénolé, p. 203).
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
161
autre exemple de ce procédé est fourni par la Vita brevior s . Maglorii, obtenu e par suppression du prologue originel et trois larges amputations pratiquées dans la Vita et les
Miracula56, san s autre but apparen t qu e d'aboutir à un texte d'une longueu r plus ma niable que l'état primitif .
- par émondage stylistique: éliminer les redondances et pléonasmes, diminuer la place
du discours en style direct pour simplifier la narration, c'est le parti adopté par le premier remanieur d e la Vie de s. Lunaire (BHL 4880).
- par réécritur e complèt e plus synthétique : ainsi la version d u XI e siècl e de la Vita s.
ConwoioniSy les réductions de la Vie de s. Malo par Sigebert de Gembloux57 et par Jean
de la Grille, celle de s. Paul Aurélien par Vital de Fleury, celle de Samson à Llandaff o u
des abrégés en forme de sermons pour s. Guénolé (BHL 8961 et 8962/63). Les auteurs
de ces réfections on t parfois e u recours à la prose rimée, creusant ainsi un écart qualitatif ave c leur modèle . Mais c e type d e remaniement , plu s exigean t pour so n auteur ,
n'est pas forcément l e plus fréquent; ainsi , pour la douzaine de réécritures répertoriée s
de la Vie de s. Samson, trois seulemen t son t d e véritables reformulations d'ensemble :
la Vita brevissima, l a Vita metrica e t l'Épitomé d e Llandaff .
- par versification: l a Vie métrique de Josse est d'une longueu r équivalent e à son texte-source. Le livre III de la vie longue de Guénolé par Gurdiste n récapitule e t abrège
fortement deu x longs exposé s prosimétriques (le s livres I et II de cet opus geminum).
Une conservation trop fragmentaire empêch e de savoir exactement ce qui s'est passé à
l'occasion de la mise en vers des Vies de s. Melaine et de s. Samson. Toutes ces oeuvres
hagiographiques versifiée s on t cependan t e n commun d'êtr e de s »rifacimenti d e vies
en prose préexistantes«, conformément a u diagnostic porté par Jean-Yves Tilliette pour
la période des IX e -XI e siècles 58.
Il arrive aussi qu'un remanieur combine plusieurs de ces procédés; ainsi la Vita abbreviata s . Samsonis (BH L 7485) est obtenue par coupure s massive s dan s la Vita II a
S. (on passe de 46 chapitres en deux livres à 14 chapitres en un livre unique), mais aussi par des déplacements de paragraphes et une légère reformulation - changements qu i
ne sont pas tous innocents, comme nous l'avons vu (cf. supra p. 154sv.). Ou encore , la
Vita abbreviata s. Macbuti, qu i élague complètement la partie insulaire de la vie du saint
et coupe les innombrables manifestations thaumaturgique s ajoutées par Bili; elle maintient cependant (en la changeant de place) l'ordination épiscopal e à Tours. Le reste est
réécrit de façon plus condensée .
Enfin, une méthode que nous pourrions qualifier d e minimaliste a conduit certain s
remanieurs à réorganiser les éléments constitutifs de s oeuvres qu'ils retravaillent, san s
56 POULIN, Magloire et Malo, p. 187.
57 Sa reformulation s'accompagn e d'u n déplacemen t d e paragraphes: Sigebert utilise comme prologue l e
chapitre 22 de so n texte-source . Analys e e t remis e e n context e dan s l'œuvr e d e Sigeber t pa r Mireill e
CHAZAN, L'Empire et l'histoire universelle. De Sigebert de Gembloux à Jean de Saint-Victor (XIP-XIV e
siècle), Paris 1999, p. 71-72 (Études d'histoire médiévale , 3).
58 Jean-Yves TILLIETTE, Le s modèles de sainteté du IX e au XI e siècle, d'après le témoignage des récits hagiographiques e n vers métriques, dans: Santi e demoni nell'Alto Medioevo (secoli V-XI), Spolète 1989,
tome I, p. 385 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'Alto Medioevo, 36) (désormais: Modèles de sainteté).
162
Joseph-Claude Pouli n
chercher à modifier d e façon notabl e leu r longueu r o u leu r formulation 59. Baudr i d e
Dol annonc e dan s so n prologu e propr e (remplaçan t un e préfac e primitiv e perdue? )
qu'il a choisi de redistribuer à leur place tout a u long du text e les titres des chapitre s
qu'il a trouvés énumérés en tête, afin de faciliter la lecture de la deuxième Vie de s. Sam son60. Le même saint a encore vu sa biographie retravaillée par un auteur qui a combiné littéralement s a Vita I a (san s le prologue) et sa Vita II a altera (sans la table des chapitres du premier livre), d'où l e nom de Vita mixta adopt é ici; accaparé par cette opération de remontage, cet écrivain s'est contenté d'interventions mineure s sur les textes
d'origine: interversions d e mots, quelques brèves formules d e liaison ou de raccordement.
La répartitio n chronologiqu e e t géographiqu e de s réécriture s dan s l'ancienn e ha giographie bretonne révèle un trait singulier, observable dans les Annexes B et C: une
césure es t fortemen t marqué e à hauteur de s année s 920, c'est-à-dire a u momen t d e
l'exode de s communautés religieuse s bretonnes ave c leurs reliques, devant l'intensifi cation des attaques normandes e n Bretagne 61. Avant 920, les réécritures se pratiquent
toutes e n Bretagne, par voi e d'allongement de s textes. Après cett e date, les remaniements relatifs aux saints bretons sont exécutés essentiellement hors de Bretagne, la plupart d u temps par des non Bretons, et de toute façon par voie d'abrègement .
Parmi les procédés rédactionnels employés par les remanieurs, il faut encore compter diverses pratiques d'intertextualité , asse z prévisibles en hagiographie médiévale; il
reste à les caractériser pour notre corpus tiré de l'hagiographie bretonne 62 . Comme ce
sont surtout les développeurs de textes qui ont eu recours aux emprunts, paraphrases,
imitations o u échos de sources externes, nous en trouvons de s témoignages essentiel lement dans les réécritures composées en Bretagne avant 920; du moins ces œuvres ontelles bénéficié d e vérifications beaucou p plus poussées que les remaniements plus tar difs. Le bilan dont nous pouvons maintenant faire état est principalement tributaire des
enquêtes méthodiques poussées par F. Duine, F. Kerlouégan et N. Wright63; nous avons
59 II faut maintenant se reporter à l'étude d'Armelle L e HUËROU, L a réécriture d'un text e hagiographiqu e
au XII e siècle: la Vita sancti Samsonis, de Baudri de Bourgueil, dans: Annales de Bretagne 108, n° 2 (2001 )
p. 7-30.
60 Miraculorum autem singulorum relationem per capitula distinximus competentia, ut ad dignoscendum
lectori, quod maluerit, faciliorem praebuerimus
viam (prol . de Baudri); c'est le langage de s »nou veaux instruments d e travail« qu i se répand à partir d u XII e siècle: Mary A. et Richard H . ROUSE , L a
naissance des index, dans: Le livre conquérant. Du moyen âge au milieu du XVII e siècle, Paris 1982, p. 78
(réimpr. Paris 1989, p. 98) (Histoire de l'édition française, 1).
61 Les saints bretons étaient toutefois connus hors de la péninsule armoricaine bien avant ce moment, comme l'attestent d e nombreux témoignages autres que l'hagiographie narrative , examinés par B. MERDRI GNAC, Bretons e t Irlandais e n France d u Nord , VI e -VIII e siècles , dans: Ireland an d Norther n France ,
A.D. 600-85 0 (dir. J.-M. PICARD) , Dublin 1991, p. 119-142 et J.-C. POULIN , Le s relations entre la Bretagne carolingienne et le reste du continent d'après les sources hagiographiques, dans: Voix d'Ouest e n
Europe, souffles d'Europ e en Ouest (colloque d'Angers, 1992) (dir. G. CESBRON), Angers 1993, p. 65-81
et 773-774.
62 L'étude des réécritures avoisine ici celle des remplois, examinée récemment par Marc VAN UYTFANGHE ,
Le remploi dans l'hagiographie: une »loi du genre« qui étouffe l'originalité? , dans: Ideologie e pratiche
del reimpiego nell'Alto Medioevo, Spolète 1999, tome I, p. 359-411 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'Alto Medioevo, 46).
63 Cf. leur s travaux cités aux notes 2 et 4.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
163
proposé à ces récapitulations d'ensembl e quelque s correctifs e t compléments dan s les
articles relatif s à la Province d e Bretagn e paru s dan s l e cadre d u proje t SH G depui s
198764.
Par delà les Écritures Saintes, le premier cercle des lectures de nos hagiographes remanieurs est assurément meublé par l'hagiographie elle-même . D'abord, que doiventils à Phagiographie du monde celtique insulaire? Possèdent-ils une familiarité particu lière ave c c e mond e qu i leu r es t culturellemen t proche ? D e toute s le s proposition s
d'emprunts qu i ont été faites par les éditeurs et commentateurs, nous ne retenons qu e
la présence de la Vita s. Brigidae d e Cogitosus (BH L 1457) dans la grande Vie de Guénolé par Gurdisten ; bie n peu d e chose e n définitive 65. Le s remanieurs s e sont plutô t
appuyés sur l'hagiographie bretonn e elle-même, ainsi que le révèle l'Annexe E .
Dans so n Avertissement à l'édition d e la Vie de s. Samson par R. Fawtier e n 1912,
Ferdinand Lo t croyait pouvoir annoncer (page I) la parution d'une séri e de mémoires
démontrant l'influence d e la Vita Samsonis sur l'hagiographie bretonne du IX e au XIII e
siècle; cett e démonstratio n n e fu t pa s entièremen t établi e sou s so n patronage , mai s
l'étude de s réécritures ancienne s a maintenant permis d e vérifier l a pertinence de so n
hypothèse. L a Vie de Samso n occup e assurémen t un e position d e chef d e file; là on t
puisé, directement o u indirectement , bo n nombr e de s anciens hagiographe s bretons .
Par ordre d'intensité croissant e du processus d'emprunt :
- le début d e la Vie longue d e Magloire reprend e t enrichi t la fin d e la Vita II a d e s .
Samson;
- Gurdisten a construit s a grande Vie de Guénolé sur un parallèle insistant avec la Vie
de s. Samson 66;
- Gurmonoc a suivi cet exemple de façon plus apparente, comme l'illustrent deux douzaines de points de contact tout au long de sa Vie de s. Paul Aurélien 67;
- la situation l a plus extrêm e es t représenté e pa r l a Vie d e s . Lunaire : une douzain e
d'emprunts direct s au dossier samsonien, parfois de s alinéas entiers transférés e n bloc,
comme l'a bien vu B. Merdrignac68.
Les dossiers de Conwoion, Josse, Malo (à une Translation près) et Turiau sont restés à l'écart d e ce réseau de filiation .
Dans trois cas, une situation originale est créée par le fait que des remanieurs se sont
appuyés à la fois su r l a Vita I a e t la Vita II a Samsonis; ont-ils utilisé pour c e faire un e
Vie hybride de saint Samson, comme il en existe une version dans le manuscrit de Copenhague, Thott 133 (in-folio), dit e Vita mixta S. dans l e répertoire d e l'Annexe A ?
Nous pouvons seulemen t affirmer qu e cette dernière recension ne fut pas leur source.
64 Les sources d'inspiration énumérée s ci-aprè s constituent u n bila n minimum; nous laissons de côté les
occurrences de contact qui nous paraissent trop marginalemen t possibles, même quand nous en avon s
fait état dans nos récapitulations personnelles, pour ne conserver ici que les cas les plus assurés.
65 II ne s'ensuit aucunement que les hagiographes bretons ont méconnu le patrimoine chrétien celtique insulaire o u qu'il s on t chois i de s'en détourner ; l'analys e d e leur rapport historiqu e avec de telles tradi tions doit être conduite par des moyens qui dépassent l'étude de s seules réécritures hagiographiques .
66 POULIN, S . Guénolé, p. 187-188.
67 POULIN, Lunair e et Paul Aurélien, p. 226-227 et 245-248.
68 B. MERDRIGNA C et André CARRÉ, La Vie latin e de saint Lunaire. Textes, traduction, commentaires, Landévennec 1991, p. 39-43 (Britannia monastica); POULIN, Lunair e et Paul Aurélien, p. 204 et 212.
164
Joseph-Claude Pouli n
En effet, un emprunt certain de la Vita Leonorii (BH L 5880, chap. 4: confirmarent militent jusqu'à domum remeavit) correspon d à un passage de la Vita IIa S. y 1 7 que le manuscrit de Copenhague n' a pas conservé, privilégiant ic i son équivalent (différent ) d e
la Vita I a S. y 1 13. De son côté, la Vita Pauli Aureliani d e Gurmonoc emprunt e à plusieurs reprises au livre II de la Vita I a S. , largement absent de la Vita mixta d e Copen hague.
Pour autant, nous ne pouvons pas vraiment parler de cycle hagiographique breton ;
le temps a peut-être manqu é pour qu'i l prenne forme avan t la cassure du début du X e
siècle. Notons tout au plus quelques signes avant-coureurs de soudure et de raccordement des dossiers les uns aux autres, sous l'égide d e s. Samson:
- les Vies de Samso n metten t e n scène s a famille, mai s san s nomme r d e cousin autr e
qu'Hénoc 69 ;
- peu aprè s 850, un moin e de Léhon présente Magloire comme un cousi n de Samso n
(Vita s. Maglorii, chap . 1);
-vers le même moment, les Vies anonymes de Malo (mais pas Bili!) commencent à donner ce saint comme cousin de s. Samson, conjointement ave c s. Magloire ( V^ anonyma
brevior, chap . 2 et 15; V anonyma longior, chap . 1 et 15bis) ; ces prétentions seron t
maintenues a u XII e siècle par Jean de la Grille (BHL 5120);
- en 884 enfin, Gurmono c recrut e l e prince Judual d e Domnonée comm e cousi n d e
Samson (V Pauli AureL, chap . 63).
Un autr e repère cyclique se laisse entrevoir dans le passage obligé d'une éducatio n
des saints bretons d'origine insulaire auprès de l'abbé Eltutus 70 , au Pays de Galles; cette étape est bien implantée dans les Vies de Samson et se poursuit che z Magloire, Paul
Aurélien et Lunaire, en attendant des prolongements plu s tardifs (Cadoc , Gildas, David). Mal o se singularise par son éducation chez saint Brendan .
De son côté, s. Guénolé finira par jouer un rôle de chef de file, en s'annexant s . Idunet (Ethbinus) , interpolé dan s un exemplair e du XI e siècle de sa grande Vie par Gur disten71, puis so n discipl e e t successeur s . Guénaël qu i recevr a une Vie propre (BH L
8817) à une date difficile à préciser, mais relativement tardive à notre avis 72.
Toutefois, pour prendre l a mesure exacte de l'influence samsonienn e su r le langage de l'hagiographie bretonne , il faut prendre gard e aux deux points suivants. La Vita
69 Pierre FLOBERT , Vie ancienne de Samson, p. 222 n. 1. PLAINE, Vita antiqua Samsonis , p. 118 n. 1 va un
peu vite en désignant Magloire comme cousin de Samson à partir de la mention: Recepto itaque consobrino suo, iam inprimordio huius voluminispraefato dan s la Vita II a s. Samsonis; c'est que le remanieur,
démarrant son livre II, est resté très proche de son modèle ( Vita I a S., 152), où ce consobrinus est Hénoc.
Le nom de Magloire apparaît en glose marginale de la Vita IaS.,ï2 dan s le manuscrit de Metz (FAWTIER ,
Vie de s. Samson, p. 100).
70 Gilbert H . DOBLE , Sain t Iltut, dans: Lives of the Welsh Saints (dir. D. S. EVANS), Cardiff 1971 (réimpr.
1984), p. 91-92; d'abord par u à Cardiff 1944 dans la Welsh Saints Séries, 5. C. BRETT, (art.) Illtud, dans:
D H G E 25,1995, col. 848-849. John HENNIG , (art. ) Caldey Island, LMA 2,1983, col. 1394.
71 BHL 8957, II22; POULIN, S. Guénolé, p. 180.
72 Contra, son éditeur récent la fait remonter a u IX e siècle: Fanch MORVANNOU , Sain t Guénaël. Études et
documents, Brest/Landévennec 1997, p. 37 (Britannia monastica, 4 / Cahiers d e Bretagne occidentale ,
16); approbation de cette datation haute par Claude STERCKX dans sa recension de Scriptorium 52 (1998),
Bull, codicologique, n° 577.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
165
II* s. Samsonis fut utilisée comme aide à la rédaction plus souvent que sa source; la Vite I a n' a ét é employée à coup sû r qu e par Gurmono c pou r Pau l Aurélien (i l connaissait peut-être aussi la Vita metrica S.), pour l a première Vie de Lunaire et la Vita mixte de Samson (qui puisent néanmoins le plus souvent dans la Vita IIa) e t pour PÉpito mé de LlandafF 3. D'autr e part , emprunte r a u dossier d e Samson , c'est une affair e d e
famille: les hagiographes bretons ou gallois sont presque les seuls à s'y reporter . Quan d
des remanieurs non Bretons prennent la plume pour (ré-)écrir e sur des saints bretons,
ils ne senten t généralemen t pa s l e besoin d e s'appuye r ains i su r l a littérature samso nienne. Il reste que la propension des écrivains bretons à s'emprunter le s uns aux autres
et à s'appuyer su r l e dossier d e Samso n manifest e un e form e d e cohésio n intern e d e
l'hagiographie bretonn e la plus ancienne et constitue une spécificité régionale .
Au second rang des réservoirs de bonnes formules, loin derrière, vient le dossier de
s. Magloire; ses formulation s on t manifestemen t beaucou p pl u au x rédacteur s d e l a
deuxième Vie de s. Melaine74 et plus encore de la Translation de s. Malo75. Dans ce dernier cas, la servilité de la dépendance ne laisse pas d'inquiéter su r l'historicité d e l'événement lui-même .
Par comparaison, le s emprunts de s remanieurs à l'hagiographie continental e autr e
que bretonn e son t beaucou p plu s discrets , malgr é leu r nombr e e t leu r variété 76. L e
meilleur connaisseur de l'hagiographie continentale est assurément Bili d'Alet; pour sa
réécriture de la Vie de s. Malo, il a emprunté à une dizaine de Vies différentes, mai s pas
à la Vie de s. Samson, contrairement à ce que nous avons déjà prétendu, après d'autres 77.
La présence d'emprunts exprè s à la Vie de s. Martin par Sulpic e Sévère n'est pas tou jours facil e à diagnostique r étan t donn é l a forc e d e rayonnemen t généra l d e cett e
oeuvre et le relais assuré par la Vita primigenia s. Samsonis, déjà fortement marqué e par
ce modèle, tant pour s a phraséologie qu e pour so n organisation narrative 78. Certain s
textes hagiographiques continentau x on t mieu x pénétré qu e d'autres le s milieux bre tons du haut moyen âge; à telle enseigne que trois d'entre eu x furent cité s de façon in dépendante pa r a u moin s deu x remanieur s bretons : la Vie de s . Hilarion pa r Jérôm e
(Malo par Bili; Samson II), la Vie de s. Pair par Fortunat (Mal o par Bili; Samson II) et
les Actes de s. Silvestre (Malo par Bili; la Vie longu e de Guénolé par Gurdisten). La Vie
73 Les versions brevissima y II a e t Epitome d e Llandaff son t les seules à dépendre exclusivement de la Vita
IaS.
74 POULIN, Melaine, Conwoion e t Mervé, p. 138-140.
75 BHL 5124; POULIN, Magloire et Malo, p. 183.
76 Adalbert D e VOGU É a retiré sa suggestion d'u n emprun t à la Passion de s. Cécile dans la Vie ancienn e
de s. Samson (121 et II12), pour la remplacer par un emprunt à YHistoria monachorum traduit e par Rufin d'Aquilée ( t 411): La prière perpétuelle dan s YHistoria monachorum, l a Passion de sainte Cécile et
la Vie de saint Samson, dans: Studia monastica 41 (1999 ) p. 7-9.
77
POULIN , Magloire et Malo, p. 174-175; Julia M. H. SMITH , Oral and Written: Saints, Miracles, and Re lies in Brittany, c. 850-1250, dans: Spéculum 65 (1990) p. 333-334 a déjà remarqu é qu e Bili est au dia pason de l'hagiographie mérovingienn e e t carolingienne, plutôt que celtique.
78 POULIN, Hagiographi e e t politique . L a première Vi e de sain t Samso n d e Dol , dans : Francia 5 (1977)
p. 20-26; ID., Dossier de s. Samson, p. 722-723; B. MERDRIGNAC, La première Vie de saint Samson: étude chronologique , dans : Studia monastic a 30 (1988) p. 285-289 (désormais: Étude chronologique) ; P.
FLOBERT, Vie ancienne de Samson, p. 96-97.
166
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de saint Benoît de Nursie a aussi inspiré des remanieurs, tantôt dan s sa rédaction pa r
Grégoire l e Grand (che z Gurdisten) , tantôt dan s s a rédaction pa r Pau l Diacr e (Sam son II).
Le remanieur le plus habile à puiser dans ses lectures d'auteurs chrétien s pour sou tenir so n styl e es t assurémen t Gurdisten , qu i mobilis e de s extrait s d'un e vingtain e
d'auteurs différent s pou r s a grand e Vi e d e Guénolé , don t deu x écrivain s insulaires :
Aldhelm (f 709) et Gildas (VIe s.) . Pe u inspir é pa r se s confrère s hagiographes , i l
s'avère fér u d e patristique. Il en est fier d'ailleurs , ca r il prend soi n d e l'annoncer dè s
l'ouverture pa r un e énumératio n (no n exhaustive ) d e se s source s d'inspiration . I l
n'est suiv i qu e d'asse z loi n su r cett e voie par l a Vita I a s. Samsonis, ave c une dizain e
d'auteurs, e t Bil i ave c quatr e auteur s chrétien s différents . Ce s troi s œuvre s on t e n
commun à ce chapitre de connaître Grégoir e l e Grand e t de puiser dans la littératur e
homilétique. L a Vita metrica s. Judoci, composé e à Winchester, me t à contributio n
cinq poète s chrétien s différents . I l est excessi f d e prétendre qu e l a Règle bénédictin e
n'a pa s laiss é d e trac e visibl e dan s l'hagiographi e bretonn e carolingienne 79; ell e es t
manifestement présent e dan s l a Vita II a s. Samsonis I 8 et II 1, ainsi que dans l a Vita
longior s. Winwaloei 120, I I 1 et 6.
Quant aux auteurs profanes, le bilan est plus mince encore; Guénolé est le seul à en
profiter, par la plume de Gurdisten: les Distiques de Caton, Martianus Capell a et Virgile. À part cela, nous rencontrons Virgile et Lucain dans la seconde Vie de Conwoion,
mais c'est l e XI e siècle. La Vie métrique d e s. Josse est mieux servie (Horace , Virgile,
Ovide, Lucain, Martianus Capella) , mais c'est à Winchester 80.
Un te l relevé ne rend pas vraiment justice à l'ensemble d e l'hagiographie bretonn e
du haut moyen âge, puisqu'il ne s'agit ici que de remaniements. Notons tout de même
que l'horizon intellectue l de s remanieurs - les plus prolixes e n tout ca s - est domin é
par l'hagiographi e continental e e t la patristique. Pour autant , il s manifestent un e ré ceptivité effective à des auteurs contemporains, c'est-à-dire de l'époque carolingienne :
Alcuin (f 804), Smaragde (f 825) 81, Raban Maur (f 856) sont connus et utilisés en Bretagne. Il faut peut-être y ajouter de s œuvres plus anciennes qui ont connu un regain de
faveur à la même époque , comme d e De vita contemplativa d e Julien Pomère ( f pe u
après 500) qui a fourni a u premier remanieur d e la Vie de s. Samson une citation nou vellement reconnu e par so n dernier éditeur 82. Remarquons un e illustration précoce à
Landévennec de la pratique de Yopus geminum, don t la faveur a été lancée de façon décisive sur le continent à partir de l'époque carolingienne; même dans un monastère d u
bout du monde (dép. Finistère), on connaît l'actualité de la vie des lettres et on sait en
tenir compte 83 .
79 Ainsi chez J.-C. CASSARD, Les Bretons de Nominoé, Brasparts 1990, p. 184.
80 La connaissanc e d'Horac e es t typiqu e d e l a littératur e latin e produit e à Wincheste r à l'époqu e d e
l'évêque Aethelwol d (963-984), selon M . LAPIDGE , Tenth-Centur y Anglo-Lati n Vers e Hagiography ,
dans: Mittellateinisches Jahrbuch 24-25 (1989-1990) p. 256. M. LAPIDGE, A Metrical Vita S. Judoci fro m
Tenth-Century Winchester, dans: Journal of Médiéval Latin 10 (2000) p. 300 (commentaires des vers 65
et 103).
81 Louis HOLTZ , Smaragdus. Liber in partibus Donati, Turnhout 1986, p. LXII (CCCM , 68).
82 FLOBERT, Vie ancienne de Samson, p. 98 et 245; cf. aussi POULIN, S . Samson. Édition récente, p. 258.
83 L'accueil des traditions littéraires carolingiennes dans la plupart des Vies anciennes de saints bretons avait
déjà été noté par F. KERLOUÉGAN , Le s Vies de saints bretons les plus anciennes dans leurs rapports avec
Les réécritures dans l'hagiographie bretonne
III.
167
LES RÉSULTAT S D E L A R É É C R I T U R E
A quoi ressemblait matériellement le résultat du travail des remanieurs? Ils le désignent
par des diminutifs comm e libriunculus {Vita Ia Sam$onis y tit. libri I et II1), epistoliuncula (Vita I a Samsonis, II6), opusculum (Vita I a Samsonis, II2,4 et 6), sermunculus (Vita Winwaloei BH L 8962, chap. 1) et surtout libellus 84. Simple manifestation convenu e
d'humilité, o u vocable à valeur codicologique? Plusieur s de s plus anciens manuscrit s
conservés de nos remaniements (et parfois le seul) sont techniquement des libelli, c'est à-dire des livrets de facture modeste, plies en deux pour les grands; d'abord destiné s à
circuler isolément, ils furent sauvé s de la perte par une reliure avec un manuscrit plu s
vaste, composite 85. E n c e qu i concern e l a présent e recherche , le s témoin s encor e
conservés sou s cette forme son t signalé s pa r u n soulign é dan s l'Annex e B ; il a dû e n
exister d'autres . L a plu s ancienn e copi e d e l a premièr e Vi e d e s . Pau l Aurélien ,
aujourd'hui relié e dans u n recuei l factice (Orléans , BM 261), possède de s caractéris tiques de format e t de mise en page attendues des livrets hagiographiques; le montage
Vita et homelia qu e Gurdiste n a fabriqué pou r Jean d'Arezz o a dû accompagne r le s
reliques d e s. Guénolé sou s form e d e livret , avan t d e se voir copi é à la suite dan s u n
grand passionnair e d u XI e siècle , l e plu s ancie n manuscri t conn u présentemen t
(Firenze, BNC, Fondo Nazional e II.L412) . Nous savon s enfin qu'u n libellus de vita
s, Maglorii fut offer t e n 1148 à l'abbaye de Léhon par le comte Henri de Tréguier; il est
cependant impossible de départager en l'occurrence la Vie longue de la brève86.
Le propre d u petit mond e de s réécritures hagiographique s bretonne s pou r l e haut
moyen âge n'est évidemment pas de nous éclairer sur le contraste entre les époques mérovingienne e t carolingienne; sa périodisation spécifiqu e s'organis e plutô t autou r d u
rnouvement d'exod e d u débu t d u X e siècle, au moment d u paroxysme de s agression s
normandes e n Bretagn e (cf . Annex e C) . L e clivag e fondamenta l es t marqu é pa r u n
avant e t un aprè s le s années 920; d'où l a nécessité qu i s'es t imposé e d e déborde r au delà de l'an mil pour bien saisir ce mouvement typique de l'ancienne hagiographie bretonne, quoi qu'en ai t le cadre chronologique initial du projet d e recherche SHG .
S'il es t vrai que l'opération d e réécriture hagiographique fu t u n moteu r importan t
de la production hagiographique de l'époque carolingienne, le cas breton confirme cer tainement cette appréciation pour le IX e siècle. Mais il s'en faut de beaucoup pour qu e
les îles britanniques, dans: Insular Latin Studies. Papers on Lati n Texts and Manuscripts o f the British
Isles: 550-1066 (dir. M. HERREN), Toronto 1981, p. 206 (Papers in Médiéval Studies, 1). P. RICH E est cependant tent é d e voi r dan s l e maniérisme d e certain s hagiographe s breton s Pindic e d'un e cultur e li vresque mal digérée: Les hagiographes breton s et la renaissance carolingienne, dans: Bull, philologique
et historique (jusqu' à 1610) du Comit é de s travaux historique s e t scientifiques (1966) tome II, p. 654;
réimpr. dans: Instruction e t vie religieuse dans le haut moyen âge, Londres 1981, n° XVIII.
84 Vita longior s. Machuti pa r Bili, ep. ded, i n fine; versus primus, ver s 2; versus secundus, vers 1 et 5. Vita
anon. longior s. Machuti, chap . 16.
85 Le cas de la Vita I a s. Judoci es t cependant un peu particulier: l'exemplaire le plus ancien fut copi é au XI e
siècle sur un cahier spécial, à elle seule consacré. Mais il n'était peut-être pas destiné à circuler isolément;
il a pu être relié rapidement à un légendier préexistant, pour le compléter conformément au x besoins de
ses lecteurs du moment (Rouen , BM 1384, fol. 1-6).
86 POULIN, Magloire et Malo, p. 188.
168
Joseph-Claude Pouli n
la pratique intensiv e d u remaniemen t soi t une spécialit é réservé e à l'époque carolin gienne; pour le s vieux saints bretons - ainsi que l'illustre l'Annex e C -, il s'en fai t en core plus aux Xe -XIP siècles .
Pour l'hagiographie bretonne, cette situation a cependant besoin d'être caractérisée
de deux façons . Premièrement , pa r rappor t à la longueur de s oeuvres . Au IX e siècle ,
quand de s hagiographes (bretons ) réécriven t une œuvre-source, c'est pour l'allonger ,
parfois considérablement , au profit d'u n public breton; aux Xe -XII e siècles, quand u n
hagiographe (no n breton ) remani e u n texte , c'es t habituellemen t pou r l e réduire e n
longueur, parfois considérablement , à l'intention d'u n publi c élargi 87. D'une certain e
façon, l a chronologi e de s réécriture s bretonne s es t e n mêm e temp s un e géographie .
Avant 920, les réécritures sont composées sur le lieu de culte principal; après cette date, l e remaniemen t de s tradition s hagiographique s s'effectu e ailleurs , sau f pou r
Conwoion, Josse par Florent d e Saint-Josse, Malo par Jean de la Grille, Melaine et la
Vie de Samso n pa r Baudr i d e Dol . Exceptionnellement , i l arrive qu e de s remanieur s
sabrent ave c quelqu e mauvais e humeu r dan s le s tradition s bretonnes ; ains i Vita l d e
Fleury ou Sigeber t de Gembloux. Mais dans l'ensemble, la réécriture abrégé e ne peut
s'expliquer seulemen t pa r un manqu e d'intérê t o u par une appréciatio n moindr e de s
mérites des saints bretons. Cette tendance à l'abrègement s'inscrit plutôt dans un mouvement plus général, qui verra l'intégration de s Vies de saints - bretons o u pas - dans
les grands légendiers systématiques normalisés, en attendant une nouvelle étape de raccourcissement pour alimenter les bréviaires. Et encore, ce phénomène d'ordre généra l
n'explique pa s tout; il ne s'applique pa s aux réaménagements progressif s d e la Vie de
Melaine, ni au tronçonnage de la Vita IV a s. Leonorii, n i aux créations de l'homilétiqu e
hagiographique.
Deuxièmement, la limitation imposée ici par l'étude des réécritures cache peut-être
une partie d'un mouvemen t qu i a animé considérablement l e paysage hagiographiqu e
breton du XI e siècle élargi: le processus de reconstitution des communautés religieuse s
bretonnes à partir de la fin du X e et surtout au XI e siècle. Nous l'entrevoyons sans doute ici par l a seconde Vie de Conwoion , l a Vita II a e t Yinterpolata d e Melaine, la Vita
brevior 5. Winwaloei, l a Vita II a s. Judoci... Ce mouvement paraîtrait sans doute plus
accentué encore s'il fallait lu i ajouter l a production hagiographiqu e bretonn e lié e à la
restauration monastique et épiscopale, hors remaniement. La résonance littéraire de la
Vie de Samson serait-elle aussi forte s i l'analyse étai t poussée jusque là?
Les vagues de réécriture hagiographique témoignent encore d'un autr e mouvemen t
important d e l'histoire culturell e bretonne. Pour l e second versant du IX e siècle, premier temps fort de s remaniements hagiographiques , le grand problème d'actualité es t
celui des prétentions métropolitaine s d e Dol 88 . Certains remanieur s y font écho ; non
pas en revendiquant un statut particulier d'évêques-moines itinérants, comme une particularité celtique à opposer à une politique de normalisation franque, mais au contraire en jouant le jeu d'un discours institutionnel et hagiographique conforme aux normes
87 B. MERDRIGNAC a aussi remarqué c e changement d e public, mais à partir d e Pétude du traitemen t de s
motifs folkloriques : Recherches II, p. 193.
88 P. FLOBERT, Le »Schisme breton«: un psychodrame?, dans: Bull, de la Société nationale des Antiquaires
de France (1994) p. 52-59.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
169
romano-franques, c'est-à-dire autour d'un siège métropolitain placé à la tête de la Bretagne, ave c l'appu i virtue l d u ro i parisie n Childebert , autou r d e Do l e t no n pa s d e
Tours. Le remanieur dolois de la Vie ancienn e de s. Samson passe sous silence tout rapport avec Tours; la Vita II a Samsonis, II24 affiche ouvertemen t les prétentions de Dol
en décernant à Samson le titre d'archevêque d e toute la Bretagne. La Vie de s. Magloire et les Vies anonymes ancienne s de s. Malo appartiennent au même parti. Mais il n'y
a pas unanimité: Bili d'Alet mobilise s. Malo contre cette volonté d'autonomie régio nale au profit d e Dol quan d i l présente so n sain t patron comm e un suffragan t docil e
de Tours. Par ailleurs, nous n'avons pas reconnu d'intention polémique hostile à la cause doloise dans les dossiers de s. Conwoion89 , ni de s. Lunaire90. L'horizon intellectue l
des remanieur s breton s es t principalemen t tourn é ver s l e mond e continenta l plutô t
qu'insulaire. Quelque s emprunt s à Gildas (par le s écrivain s d e Landévenne c seule ment), à la Vita s. Brigidae (encor e à Landévennec) sont bien modestes à côté de la masse des emprunts , contact s e t influences fourni s pa r l a littérature chrétienn e d'origin e
gauloise ou méditerranéenne. Le processus d'acculturation des élites monastiques bretonnes paraît bien avancé; en tout cas mesuré à l'aune des réécritures hagiographique s
les plus anciennes.
C'est sans doute pourquoi il ne faut pas chercher dans la première hagiographie bretonne e t ses développements remanié s une volonté d'écrir e le s origines bretonne s e n
tant que telles. La majorité de s saints traités ici est d'origine continental e e t non insu laire; le souverain de référence avec lequel traitent les saints bretons est franc: c'est Childebert (sou s de s déguisement s divers : Gilebertus, Hildebertus , Philibertu s ...) 9 1 . L a
seule exception se rencontre chez Melaine, un Gallo-Romain qu i fait affaire avec Clovis92. À partir du X e siècle, les vieux saints bretons sont pris en charge, le plus souven t
hors de Bretagne, par des remanieurs no n breton s souven t nommémen t connus ; leur
transformation e n saints de l'Église universelle pour un public non breton s'en trouv e
accélérée. Ces saints perdent ains i - s'ils l'ont déj à eu e - la vocation à être des figure s
89 POULIN, Melaine, Conwoion e t Mervé, p. 153.
90 POULIN, Lunair e et Paul Aurélien, p. 206-207.
91 L'entrée de Childebert dan s l'hagiographie bretonn e ancienne dès la Vita primigenia s. Samsonis, I 53 a
pu être inspirée par Fortunat, Vita s. Paterni, chap. 14. Selon Fortunat, le champ d'action de s. Pair s'étendait jusqu'à la civitas de Rennes (Redones Britanniae): V. Paterni, 33 (et aussi 49). Mise en parallèle détaillée des Vies de Samson e t de Pair par B. MERDRIGNAC, Étude chronologique, p. 285-289. Scepticisme sur la réalité des contacts entr e Samson et Childebert I: David N. DUMVILLE , O n th e Dating of th e
Early Breto n Law Codes, dans : Études celtique s 21 (1984 ) p. 212 (réimpr. dans : Britons an d Anglo Saxons in the Early Middle Ages, Londres 1993, n° XI). Il en faudrait davantag e pour prêter à Childebert un rôle de commanditaire de l'immigration bretonne au VI e siècle, comme le fait Jean-Jacques M O N NIER, L'immigration bretonne en Armorique, dans: Toute l'histoire de Bretagne. Des origines à la fin du
XX e siècle (coord. J.-J. MONNIE R e t J.-C. CASSARD) , Morlaix 1997, p. 100. Plus optimiste su r la possibilité de retrouver dans l'hagiographie bretonn e carolingienne »une défense et illustration du passé breton«, J.-C. CASSARD , Les Bretons de Nominoé, Brasparts 1990, p. 183-184, approuvé par B. MERDRI GNAC, Quelques interrogations su r les références au x origines antiques dans les Vitae de saints breton s
du haut moyen âge, dans: La mémoire de l'Antiquité dans l'Antiquité tardive et le haut Moyen Âge (dir.
M. SOT et P. BAZIN) , Nanterre 2000, p. 132 (Cahier du Centre de recherches sur l'Antiquité tardive et le
haut Moyen Âge, 8).
92 Jean-Christophe CASSARD , Clovis,... connais pas ! Un absent de marque dans l'historiographie bretonn e
médiévale, dans: Médiévales 37 (1999) p. 141-142.
170
Joseph-Claude Pouli n
emblématiques d'un e ethni e particulière. Les histoires littéraire s d u moye n âg e désignent couramment l'époqu e carolingienn e comm e un âg e d'or de s réécritures hagio graphiques; il se pourrait bie n que le XI e siècle mérite le même honneur .
Car c'est à un véritable éclatement d e la notion d'hagiographi e bretonn e que nou s
assistons. Melaine es t le seul évêque à voir son hagiographie reste r centrée exclusive ment su r s a ville épiscopale; Conwoion, l e seul moine à voir son souvenir retravaill é
uniquement dan s so n monastèr e propre . »Archevêque « d e Dol, Magloire a reçu un e
première biographie au monastère de Léhon; sa Vita brevior a peut-être été découpée
ailleurs. Pour le reste, c'est-à-dire pour l'essentiel, les centres de développement de l'hagiographie bretonne par voie de réécriture se situent hors de Bretagne: en région parisienne pour Magloire et Malo, dans la région de Montreuil (Josse) et son prolongement
en Grande-Bretagne {Vita metrica d e Josse, traduction en vieil anglais pour Malo, Vita brevior d e Guénolé, Épitomé de Llandaff pou r Samson ) et surtout e n pays de Loire (Malo abbreviata, Samso n abbreviatay Samso n liturgica)y notamment à Fleury-surLoire (Lunaire, Josse à deux reprises, Paul Aurélien). C'est don c un peu l'histoir e d e
l'intégration d e la Petite Bretagne à l'Europe, jusqu'en Grande-Bretagne 93, qui s'écri t
par le jeu de ces remaniements hagiographique s anciens .
Enfin, le s entreprises d e réécriture hagiographiqu e n e sont pas nécessairement fer mées sur elles-mêmes; elles sont parfois conçue s comm e une étap e dans un processu s
continu. Certain s remanieurs appellen t en effet leur s lecteurs à reprendre, corriger o u
compléter leu r travail. Pour certains , cette invite fait san s doute partie des accessoire s
conventionnels: ainsi chez Isembard, qui incite son dédicataire à corriger sa Vie de s. Josse, ou che z l'auteu r d e l a Vita interpolata s. Melanii (BH L 5890, prol.). Mai s pou r
d'autres, la perspective de réécriture de la réécriture paraît plus concrète. Bili invite ses
lecteurs à ajouter de s chapitres supplémentaires; dans son esprit, ce pourraient êtr e des
récits de miracles récents de s. Malo {ut alii recentiores documenta inveniant, cat . virt.).
Lui-même, e n tan t qu e remanieur , étai t déj à soucieu x d'enregistre r de s témoignage s
usque hodie (110,12, 84 et 88; II11 et 18). Gurdisten donne ses instructions à qui voudrait rescribere sa grande Vie de Guénolé; le mieux serait alors, à son avis, de faire la part
des choses entre sa recension et ses sources , sans sacrifier complètement l'une aux autres:
Quae quamvi s nostr o deflorea t auct a labore ,
Hanc quicumqu e veli t veteru m rescriber e chartis ,
Aut prohiber e tarnen aut visu s no n aliquand o
Rädere compertam moneo ; se d condit a servans ,
Et nostru m relegat , se d hae c no n neglegat , atqu e
Inter utramqu e via m médiu s incesso r utrimque ,
Quaeque sibi placita an vetera novaque eligat 94.
93 L'impact du rayonnement de l'hagiographie bretonne sur Phymnologie insulaire est encore mal connu;
cf. Inge B. MILFULL, The Hymn s o f the Anglo-Saxo n Church . A Study and Editio n o f th e »Durha m
Hymnal«, Cambridge 1996, p. 26s. (Cambridge Studies in Anglo-Saxon England, 17).
94 Vita longior s . Winwaloei, préf . métr. , vers 5-11; le passage sed condita servans constitu e u n éch o d e
YÉclogue 3.43 (et 47), selon N. WRIGHT, Vergilian Borrowings, p. 172. Conformément à son mimétisme
habituel, Gurmonoc tient le même langage dans la Vita Pauli Aurel., préf . 2.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
171
En pratique, Gurdisten s'est donné la réplique à lui-même en préparant deux auto-remaniements de sa réécriture initiale.
CONCLUSION
À partir de l'exemple breton, quelques réflexions peuvent être dégagées, qui renvoient
à un paysage plus vaste, dans le cadre d'une histoir e générale de l'hagiographie latine .
La pratiqu e de s hagiographe s e t remanieur s breton s d u IX e siècl e a confirm é l a
nécessité d'un élargissemen t du cadre biographique traditionnel pour les études hagiographiques; le discours hagiographique, c'est bien plus que les biographies propremen t
dites. Les hagiographes du haut moyen âge comprenaient leur métier de façon plus large
et nous ne devons pas créer des frontières là où ils n'en mettaient pas. Tou t ce systèm e de
signes hagiographiques (e t non hagiographiques ) entremêlé s constitu e à nos yeu x u n
monde étrange r qu e nou s essayon s d e décode r à grand renfor t d'érudition . Mai s le s
publics médiévaux latinistes y entraient de plain-pied; il ne faut donc pas juger de l'effe t
de ces œuvres sur les publics d'époque seulement par l'effet qu'elle s ont sur nous.
C'est pourquo i l a notion élargi e de dossier hagiographique paraît plus satisfaisan te, ca r ell e perme t d e mieu x accueilli r le s forme s diverse s d e l'expressio n hagiogra phique, comme l'ont montr é au mieux les cas de Josse, Malo ou Guénolé. D'un mêm e
élan, des remanieurs ont enchaîné vita, versus, hymnus, obitus, miracula, translation homelia, laudatio comme autant de moyens parallèles et complémentaires d e rendre justice à leur sujet. Et derrière cette diversité de formes s e profile une diversité de publics
et d e contexte s d'usage : lectur e privée , offices liturgiques , énonciatio n publiqu e (legentibus et audientibus: Vita Ia s. Samsonis, prol. 3 et II1), chant... Le rôle des forme s
dialoguées95 et la vocation parénétique96 de l'hagiographie paraissent notamment sousestimés; en plus de s dossier s o ù de s sermon s apparaissen t comm e tel s (Josse, Malo,
Guénolé Homelia), i l faut compte r le s œuvres o ù des homélies se dissimulent dan s le
corps des narrations (Vi e longue de Magloire, Malo par Bili, Samson I et II 97 , Guénolé longior). Avec ses exhortations morales entrecoupées d'épisodes narratifs, le livre second de la Vie ancienn e de s. Samson ressemble plus à une laudatio qu'à une vita à proprement parler 98. Ce s traits gagneraient e n visibilité si les éditions disponibles étaien t
meilleures à notre goû t d'aujourd'hui , ca r bien de s pièces - tables de s chapitres , ex hortations morales , exposés autres que strictement narratif s - sont tombées, victimes
d'éditeurs tro p pressés, ou trop laïcs.
95 Chez Lunaire , cf. POULIN , Lunair e et Paul Aurélien, p. 207; voir aussi la Vita II a s. Samsonis.
96 Pour Samson, voir les remarques de FLOBERT, Vie ancienne de Samson, p. 87-88.
97 L'auteur d e la Vita II a Samsonis supprim e les sections parénétiques d u livr e II de son modèle, mais les
remplace par d'autres, plus abondantes encore, où il finit par perdre le saint de vue (par exemple en II4).
98 Sur la notion de laudatio en rapport ave c l'hagiographie d u haut moyen âge, cf. Monique GOULLET , L a
laudatio sanctorum dan s l e haut moye n âge , entre vita e t éloge, dans: Le discours d'élog e entr e Anti quité et Moyen Âge (dir. L. MARY et M. SOT), Paris 2001, p. 141-152.
172
Joseph-Claude Pouli n
La question d u rapport qu'entretiennen t le s différentes recension s d'une oeuvr e se
pose à chaque instant dans les études hagiographiques, pas seulement pour les Bretons .
Comment fonctionne la relation qui u n i t- ou oppose - les différent s état s d'une oeuvre,
états parfois trè s rapprochés dans le temps ou dans l'espace? À cette question, le développement d e l'ancienne hagiographi e bretonn e apport e de s réponses nuancées . Plusieurs réécritures peuvent voir le jour dans un court laps de temps, occasionnellemen t
sur les lieux mêmes de la composition primitive; leur rédaction paraît liée à des besoins
précis, à des publics variés, parfois à des situations conflictuelles. Les exemples les plus
développés de ces rédactions en cascade sont fournis ici par les dossiers de Malo, Guénolé et Samson". Mais il s'en fau t d e beaucoup pou r qu'u n remaniemen t chass e sim plement l'autre; rien n'est joué à l'avance, aucune règle ne s'impose à priori. D'abord ,
les remaniements n e sont pas nécessairement de s réécritures les uns des autres; à côté
d'une successio n linéaire comme dans le cas de Samson (l a Vita I a dériv e de la primigenia; la Vita II a découl e de la Vita I a; la Vita metrica dépen d de la Vita 11% nous ren controns d e façon plus habituelle des développements parallèles à partir d'un e sourc e
commune (cf . Annexe D); la palme en cette matière est détenue par la Vita II a s. Samsonis, qui a reçu a u moins cin q réécriture s indépendantes . Ensuite i l arrive qu'u n re maniement éclips e presqu e complètemen t s a source : pour Pau l Aurélien , Vita l (un e
quinzaine d e manuscrit s conservés ) remplac e pratiquemen t l a versio n originell e d e
Gurmonoc (deux manuscrits seulement). Inversement, il arrive aussi qu'une réécritu re tomb e à plat e t n'arriv e pa s à déloge r so n ancêtre : aucu n témoi n médiéva l n'es t
conservé pour l a Vita s. Conwoionis d u XI e siècle, alors que nous e n connaissons un e
demi-douzaine pour so n modèle du IX e siècle; il est vrai que ces Gesta ont en leur fa veur d'être auss i une histoire des débuts du monastère de Redon.
Comme prévu, la critique des sources formelles repérable s dans les œuvres des remanieurs - un autre point fort d e la démarche de SHG - s'est révélée être un outi l de
première importance pour identifier le s rapports entre les états successifs de s textes et
préciser leu r hiérarchisation . Le s réécriture s de s emprunt s avéré s d'u n texte-sourc e
fournissent à l'occasion des indices particulièrement efficaces 100. En outre, l'étude d'u n
99 Bien d'autres occurrences semblables se rencontrent dans Phagiographie du haut moyen âge; ains i la succession des remaniements d e la Vita s. Geraldi à Cluny a u X e s. Cf. Anne-Mari e BULTOT-VERLEYSEN ,
Le dossier d e saint Gérau d d'Aurillac , [SH G IV], dans: Francia 22/1 (1995 ) p, 173-206. Michel LAU WERS, Récits hagiographiques, pouvoir et institutions dans l'Occident médiéval. Note bibliographique ,
dans: Revue d'histoire ecclésiastiqu e 95 (2000) p. 80-81.
100 Par exempl e une citation d e Grégoire le Grand, altérée dans un sermo n de Pseudo-Bède qu' a utilisé le
remanieur d e la Vie ancienne de s. Samson, II 5: POULIN, Dossie r d e s. Samson, p. 721-722. Plusieurs
exemples au passage de la Vita I a à la Vita II a s. Leonorii: POULIN , Lunaire et Paul Aurélien, p. 213-214.
Pour u n autr e exempl e d'utilisatio n d'un e sourc e tierc e afi n d e guide r l e classemen t d e deu x rédac tions liées et de répondre à la question lancinante: Vie longue abrégée ou Vie brève allongée?, cf. M. LA PIDGE et Michael WINTERBOTTOM , Wulfstan o f Winchester. The Lif e o f St. Aethelwold, Oxford 1991,
p. CXLVI-CL V (Oxford Médiéva l Texts). Arthur G. RIGG, The Long or the Short of it? Amplificatio n
or Abbreviation?, dans: Journal of Médiéval Latin 10 (2000) p. 46-73. Autres exemples éloquents four nis par F. DOLBEAU , Le dossier de saint Canion d'Atella. À propos d'un livre récent, dans: AnalBoll 114
(1996) p. 109-123 et ID., L'expertise d'u n text e hagiographique: la Vie de saint Ursme r pa r Rathie r d e
Vérone (BHL 8417), dans: Litterae hagiologicae. Bull. d'Hagiologia, Atelier belge d'études sur la sainteté
(Turnhout)3(1997)p.5-6.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
173
remaniement en rapport ave c son modèle aide souvent à mieux comprendre les particularités de forme e t de portée du point de départ de la tradition. C'es t c e qui nous a
permis, par exemple, d'apprécier l a position original e de Bili en tant que descendant
de la Vita anonyma brevior s. Machuti, e t non pas comme sa source101. Ou de classer
la Vita brevior s . Winwaloei comm e un descendant tardif e t non pas la source de Gurdisten102. Ou plus récemment de distinguer la Vita mutilata s. Lenoveri d e sa première réécriture 103.
Et surtout, il faut prendr e gard e à ne pas se laisser tromper par le seul nombre des
manuscrits survivant s au moment d'évalue r l'impac t relati f d'un e oeuvr e primitive et
de ses remaniements. Des situations bien contrastées à cet égard sont illustrées par les
dossiers de Malo et de Samson. Pour Malo , un seul manuscrit es t conservé de la première Vie (anonyma brevior): un libellus. Ce témoin paraît aujourd'hui bie n isolé dans
la tradition manuscrit e médiévale ; pourtant, cett e Vita I a a fait l'obje t d e trois réécri tures indépendantes (cf. Annexe F): au IX e siècle (Yanonyma longior\ a u XI e siècle (Sigebert de Gembloux) et au XII e siècle (Jean de la Grille). Pour Samson , une vingtain e
de manuscrits sont connus pour la Vita Ia (dont deux libellï); de la Vita II a> survit une
quinzaine d e manuscrits. L e rapport numériqu e paraî t don c relativemen t équilibré ;
pourtant, les hagiographes bretons qui ont puisé chez Samson des éléments formels ou
des mises en scène narratives se sont inspirés plus souvent de la Vita II a qu e de la Vita
Ia ... Encore que les deux recensions, I a et IIa, semblen t avoi r ét é présentes simulta nément dans les bibliothèques de Landévennec au IX e siècle et de Fleury au Xe, et accessibles aux compilateurs des Vitae mixta e t liturgica du même saint, de même qu'aux
premiers biographes de s. Lunaire et s. Paul Aurélien. Un succès ancien n'est pas la même chose qu'u n succè s tardif o u un regain d'intérê t aprè s une éclipse; dans le cas de
Samson, les alternances de faveur o u défaveur de s prétentions métropolitaines de Dol
ont pu jouer un rôle dans l'attrait d e l'une ou l'autre version ancienne de sa Vie104. La
faible circulation manuscrite des Vies de saints en vers n'est pas une surprise, car elle a
déjà été constatée plus généralement pour les X e et XI e siècles105. Non seulemen t faut il donc pousser le plus loin possible l'enquête su r la tradition manuscrite, d'autant qu e
nous en sommes parfois à un exemplaire près, mais il faut encore critiquer la statistique
qui en sort, ce à quoi s'emploie auss i SHG 106 .
Un de s traits bien observable s dan s les dossiers breton s de réécriture présentés ici
est la dérive monastiqu e qu i s'opère insensiblemen t dan s l a présentation de s saints
101 Contra: B. MERDRIGNAC, recensio n d e J.-C. POULIN , Magloire et Malo, dans: Annales de Bretagne 98
(1991) p. 340. Mais voir aussi B. MERDRIGNAC, Henoc, les philosophi e t Pental: remarques sur la Vita I a
Samsonis, dans: Bretagne et Pays celtiques. Mélanges offerts à la mémoire de Léon Fleuriot (1923-1987)
(dir. G. Le MENN e t J.-Y. Le MOING), Rennes/St-Brieuc 1992, p. 178-179 n. 77.
102 Contra: Hubert L e BOURDELLÈS, Vie de st Josse, avec commentaires historiques et spirituels, dans: Studi medievali 34 (1993) p. 906 n. 119; et à part sou s le même titre, Spolète 1996, p. 46 n. 119 (Estratti degli »Studi medievali«, 14).
103 POULIN, Lunaire et Paul Aurélien, p. 213-214.
104 FLOBERT, Vie ancienne de Samson, p. 50 n. 77.
105 TILUETTE, Modèle s de sainteté, p. 388.
106 POULIN, Le projet de recherche sur les Sources hagiographiques de la Gaule antérieures à l'an mil (SHG),
dans: Scriptorium 50 (1996) p. 196-197.
174
Joseph-Claude Pouli n
évêques. Au fi l des remaniements, le portrait de s évêques es t tiré de plus e n plus vers
l'état monastique; le fait que les écrivains soient presque tous des moines y est sans doute pour quelqu e chose 107. C'est le cas pour s. Melaine et pour s. Malo notamment. Bili a essayé de réagir contre ce dérapage; il a j o u t e à la description des activités pastorales de Malo que le saint évêque de la cité d'Alet (pas l'abbé d u monastèr e d'Alet!) a
fondé d e nombreux monastères e t a supervisé leur fonctionnement d e façon critique .
Voilà qui a dû e n chiffonner plu s d'u n dan s les milieux monastique s d'Ale t (e t peut être d'ailleurs aussi) en cette fin de IX e siècle; Bili fut aussitôt contré par l'anonyme longior, qui surenchérit su r les traits monastiques d e Malo. Et Sigeber t de Gembloux e n
rajoutera à la fin du XI e siècle. Est-ce qu'un tel infléchissement monastique se remarque
aussi ailleurs?
Par le jeu incessant des réécritures, les oeuvres hagiographiques s'entrelacent, s e font
écho, reprennent inlassablement les mêmes thèmes, presque dans les mêmes mots, d'où
un risque bien réel de voir des emprunts formels o u des dépendances littéraires là où il
n'y en a pas. La solidarité naturelle des hagiographes et de leurs œuvres peut prendre des
visages fort variés; pour le cas breton qui nous intéresse ici, l'Annexe D dévoile bien les
liens qui unissent les uns et les autres, à travers une référence samsonienne dominante .
Nous y voyons de bonnes illustrations de »la prémisse élémentaire de la communication
et de la culture: chaque texte nouveau se présente comme la transformation d'u n modèle
antérieur auquel il est lié par un dialogue serré« 108. À la limite, toute l'hagiographie es t
une vaste réécriture; variations infinie s autou r d'u n mêm e thème , concert à plusieurs
voix sur un leitmotiv commun: la gloire de Dieu par ses saints. Mais en même temps, ce
système de signes codifiés ser t de caisse de résonance du monde des hagiographes et de
leur actualité. Derrière une stabilité apparente, il y a place pour le changement.
La multiplicité des remaniements de l'histoire d'un sain t donné illustre à la fois un e
bonne connaissance des rédactions premières et une liberté d'esprit e t d'initiative che z
les écrivains hagiographe s qu'o n n'aurai t peut-êtr e pas osé imaginer auss i larges, sans
les témoignages tiré s a u clai r par l'étud e qu i précède. L e phénomène es t évidemmen t
observable plu s facilemen t che z le s saint s le s plus richemen t dotés , comm e Mal o o u
Guénolé; mais ici encore, la démonstration es t particulièrement éclatant e chez s. Samson, surtout s i nous sortons de s sentiers balisés (obstrués?) par les éditions imprimée s
existantes. C'est par une telle approche qu'on arriver a à mieux rendre à l'hagiographie
sa vie propre, à condition de ne pas se laisser arrêter par le formalisme apparent du genre.
Ce survo l d e l a questio n de s réécriture s dan s l'ancienn e hagiographi e bretonn e
ouvre enfi n l a porte à d'autres étude s à partir d e cette catégorie d e documents histo riques; le temps est révolu où les remaniements rebutaient les chercheurs, comme sousproduits frelatés. Même les remaniements par réduction mécanique, qui n'ajoutent ap -
107 Le seul remanieur qui appartienne à coup sûr au clergé épiscopal est le diacre Bili d'Alet. Le diacre Hénoc, compagnon de Samson, paraît vivre en milieu monastique. Baudri de Bourgueil fit une carrière monastique avant de devenir archevêque de Dol. Mais un moine hagiographe breton peut aussi écrire pour
un évêque : Gurdisten établi t sa Vita et homelia $. Winwaloei pou r l'évêqu e Jean d'Arezzo, Gurmono c
offre s a Vita Pauli Aureliani à Hinworet, évêqu e présumé de St-Pol-de-Léon .
108 Gian Biagio CONTE, Sur les épaules des géants. Progrès et perspectives des études latines, dans: Diogène 185 (janv.-mars 1999) p. 35.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
175
paremment rien, ni sur le fond ni sur la forme, peuvent être porteurs de sens. Les choix
des remanieurs, tant par ce qu'ils ajouten t o u modifien t qu e par ce qu'ils retranchen t
ou maintiennent, nous disent quelque chose sur les saint s en tant que personnalités historiques ou monuments spirituels et sur l'hagiographie dans sa fonction et ses rapports
avec ses publics. Face aux visages multiples de la réécriture, l'opposition traditionnel le entre sources orale s instables et peu fiables d'un e part , sources écrites stabilisées e t
crédibles de l'autre, paraît bien inadaptée. L'écrit es t lui aussi bien vivant, instrumen t
souple au service de besoins multiples et de causes fluctuantes .
ANNEXES
A: Répertoire des réécritures des anciennes Vies de saints bretons (VIII e -XII e siècles )
B: Distributio n géographiqu e des réécritures dans Pancienne hagiographie bretonn e
C: Répartition chronologique des réécritures dans l'ancienne hagiographi e bretonn e
D: Généalogi e des réécritures de la Vie de saint Samson de Dol (VIII e -XII e siècles)
E: Dépendances textuelles et influences samsonienne s dans les réécritures de l'ancienn e
hagiographie bretonn e
F: Relation s de dépendance textuelle dans les dossiers anciens des saints Josse et Malo.
Présentation des annexes
L'Annexe A récapitule , selon l'ordre alphabétiqu e d u no m lati n des saints, le dossie r
de chacun des personnages retenus, à partir d'une rédaction primitive antérieure à l'an
mil, suivie d e ses réécritures successive s jusqu'au XII e siècle . Ne son t don c retenue s
dans ce répertoire ni une oeuvre hagiographique composée avant l'an mil pour laquel le nous ne possédons pa s de réécriture antérieur e a u XIII e siècle 109, ni les œuvres ha giographiques composée s o u remaniées au x Xe -XII e siècle s pour lesquelle s l'existen ce d'une recensio n antérieur e à l'an mi l n'est pa s suffisamment assuré e à nos yeux 110.
Pour chaqu e dossier, une piste bibliographique perme t d e retracer l'éta t d e la discussion et la bibliographie spécial e afférente .
Les coordonnées d e base ainsi énumérées serven t d e fondement à l'Annexe B , qui
classe les œuvres suivant un agencement géographique, et à l'Annexe C qui les ordonne chronologiquement. Enfin , le s Annexes D, E et F les hiérarchisent e n fonction d e
leurs liens de dépendance, soit entre les pièces d'un dossie r donné, soit entre les saints
eux-mêmes; dans les tableaux de ces trois dernières annexes, la distance qui sépare les
textes ne reflète pas leur écart chronologique réel .
Cette entreprise correspond à un programme de travail que Gaston Paris réclamait
de ses vœux il y a plus d'un siècl e déjà, dans sa recension d'une étud e de Joseph Lot h
s
^r l'histoir e de s migrations bretonnes : »Il faudrait soumettr e toute s ce s pieuses bio -
109 Par exemple s. Meroveus: POULIN, Melaine, Conwoion e t Mervé, p. 158-160.
110 Les dates de rédaction des Vies bretonnes retenues par MERDRIGNAC, Saints bretons, p. 12 nous paraissent bie n souvent tro p anciennes , comme à Clare STANCLIFF E dans s a recension d u mêm e livre : Cam brian Médiéval Celtic Studies 31 (1996) p. 76.
176
Joseph-Claude Pouli n
graphies à un examen général et comparatif, voir par où, par qui, par quels documents,
dans quelles vues chacune d'elles a été écrite; rechercher les rapports qui existent entr e
elles et désigner celles qui ont ét é copiées sur d'autres; distinguer autan t que possibl e
le travail des auteurs primitifs e t celui des remanieurs, etc.« 111. Le jour approch e ains i
où i l sera possible d e classer l a production hagiographiqu e bretonn e ancienn e autre ment que par la simple énumération alphabétique dont doivent encore se contenter les
catalogueurs modernes 112.
111 J. LOTH, L'émigration bétonne en Armorique du Ve au VII e siècle de notre ère, Renne s 1883, XXII-260p.
(réimpr. Genève 1980); compte rendu par G . PARI S dans: Romania 13 (1884) p. 437-438.
112 Louis H . GRAY, Brythonic Christianity , dans : Review of Religio n 7 (1942-1943 ) p.9-15, e t 9
(1944-1945) p. 42; Michael LAPIDGE e t Richar d SHARPE , A Bibliograph y o f Celtic-Lati n Literature ,
400-1200, Dublin 1985, p. 248 (Royal Irish Academy, Dictionary of Médiéval Latin from Celtic Sources,
Ancillary Publications, 1).
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
177
ANNEXE A
Répertoire des réécritures de s anciennes Vies de saints bretons (VIII e -XIP siècles )
CONWOION
BHL 1945
Gesta sanctorum Rotonensium y Conwoionis et aliorum
Histoire des débuts d u monastèr e d e Redon, fondé dan s les années 830, mettant par ticulièrement e n vedette son fondateur Conwoion ; rédaction par un moin e de Redon
contemporain e t témoin direct, entre 868 et 876.
BHL 1946
Vita s. Conwoionis
Réécriture condensé e d u texte précédent, par un moin e de Redon qu i travaillait dan s
la première moitié du XI e siècle selon son dernier éditeur 1, mais peut-être un peu plus
tard dans ce siècle2.
Biblio. relais : J.-C. POULIN , Le s dossier s de s saint s Melaine , Conwoio n e t Merv é
[SHG III], dans: Manuscrit s hagiographique s e t travai l de s hagiographe s (dir. M.
HEINZELMANN), Sigmaringen 1992 , p. 149-157 (Beihefte de r Francia, 24) (désormais:
Melaine, Conwoion e t Mervé).
JUDOCUS
BHL 4504
Vita I a s. Judoci
Biographie établi e essentiellemen t à partir d e traditions orale s e n circulation dan s l e
nord d e l a France ; l e dernie r éditeu r tien t l'auteu r pou r u n moin e breto n qu i tra vaillait à (ou pour) St-Josse-sur-Mer , prè s d e Montreuil entr e 913 et 931 3. L e témoi n
manuscrit l e plus ancie n fu t copi é a u XI e siècl e su r u n cahie r spécia l (u n libellus}),
puis reli é presqu e aussitô t e n têt e d'u n passionnair e préexistan t (Rouen , B M 1384,
fol. 1-6).
* Carolin e BRETT , The Monk s o f Redon. Gesta sanctorum Rotonensium an d Vita Conuuoionis, Wood bridge 1989, p. 18 (Studies in Celtic History, 10).
2 POULIN, Le dossier hagiographique de saint Conwoion de Redon. À propos d'une édition récente, dans:
Francia 18/1 (1991) p. 153.
3 Hubert L e BOURDELLÈS, Vie de st Josse, avec commentaire historique et spirituel, dans: Studi medievali 34 (1993) p. 879-880; et à part, sous le même titre, Spolète 1996 (Estratti degli »Studi medievali«, 14).
178
Joseph-Claude Pouli n
BHL 4512
Sophica theologia in sancti Judoci conf. Vita
Mise en vers abrégée de la Vie précédente; cette Vita metrica tut composé e à Winchester à la fin du X e siècle4. Elle est conservée par un manuscrit unique copié au XI e siècle,
un libellas hagiographique reli é au XVIII e siècle à la fin d'u n manuscri t composite d e
London, BL Royal 8.B.XIV, fol 137-144 v.
BHL 4505-4510
Vita II a, inventio et miracula s. Judoci
Réécriture (encor e presque entièremen t inédite ) de la Vita I a, pa r Isembard d e Fleur y
peu aprè s 1012; addition d'un e inventio et translatio (survenue s à la fin d u X e siècle),
d'un sermo e t de récits d e miracles. L'exemplaire (mutilé ) l e plus ancie n es t conserv é
dans le recueil factice d e London, BL Royal 8.B.XIV, fol. 118—129v; un libellus hagiographique, d'après Davi d N. Dumville 5.
BHL vaca t Translatio
deperdita s. Judoci
D'après Orderi c Vital , Guillaum e d e Merleaut , moin e à Saint-Évroul t a u troisièm e
quart d u XI e siècle , aurait rédig é l e récit d'un e translatio n (douteuse , e n fait) de s re liques de s. Josse du château de Gomerfontaine à Parnes (dioc. de Rouen) survenue peu
après 1050. Cf. l e texte suivant .
BHL vacat Vita
compendiosa s. Judoci
Reformulation trè s abrégée et en prose rimée du dossier du saint à partir de la Vie primitive, conjugué e à la rédaction d'Isembar d e t a u réci t d e translatio n Guillaum e d e
Merleaut. Cette version condensée fut incorporé e a u début du XII e siècle dans l'His toire ecclésiastiqu e d'Orderi c Vital 6; ce dossier étai t destiné à fournir u n arrière-pla n
historique à l'établissement à Parnes d'un prieuré de Saint-Évroult et à justifier l a possession de reliques de s. Judoc dans la nouvelle fondation .
BHL 4511
Vita III a s. Judoci
a
a
Réécriture par Florent de Saint-Josse, à partir des Vitae I et II a u début du XIII e siècle
et non pas au début du XI e siècle, comme on l'a longtemps pensé 7.
Biblio. relais: Roger AUBERT , Josse (saint), dans: Dict. d'histoire e t de géographie ec clésiastiques, t. 28, fasc. 163,2001, col. 179-181.
4 Michae l LAPIDGE, A Metrical Vita S. Judoci fro m Tenth-Centur y Winchester , dans: Journal o f Médiéval Latin 10 (2000) p. 255-306.
5 D. N. DUMVILLE, Liturgical Books from Lat e Anglo-Saxon England: A Review of some Historical Problems, dans: Liturgy an d Ecclesiastica l Histor y o f Lat e Anglo-Saxo n England: Four Studies , Wood bridge 1992, p. 110 (Studies in Anglo-Saxon History , 5) (désormais: Liturgical Books).
6 Vers la fin du livre III, pages 156-168 (pages paires seulement) de l'édition d e Marjorie CHIBNALL , Th e
Ecclesiastical History of Orderic Vital. Books III and IV, Oxford 1969, tome II (Oxford Médiéva l Texts).
Voir auss i p . XV et XXIX, ainsi qu e 1'Appendix II: The Life and Legend of St . Judoc (St . Josse),
p. 366-367. Sur la méthode d'abbreviatio utilisé e par Orderi c Vital , ailleurs e n hagiographie, cf . W . F.
BOLTON, The Latin Revisions of Felix's »Vita sancti Guthlaci«, dans: Med. Studies 21 (1959) p. 38-40.
7 Cf. John HOWE, The Date ofthe Vitajudoäby Abbot Florentius (BHL 4511), dans: AnalBoll 101 (1983 )
p. 25-31.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
179
LEONORIUS
BHL vacat Vita
I a mutilata s. Lenoverii
vie rédigée ou apportée à Fleury-sur-Loire par un écrivain breton de la fin du X e siècle;
le texte est conservé partiellement (chap . 7 à 11) par une épave de ce qui a pu être un
libellus hagiographique de la fin du Xe siècle (soit un quaternion dans le manuscrit composite d'Orléans, BM 343). C'est suffisan t pou r permettre l'analys e de la méthode de
travail du remanieur de la Vita II a.
BHL 4880
Vita II a s . Leonorii
a
e
Réécriture légèrement condensé e de la Vita I , effectué e a u XI siècle, peut-être pou r
le prieuré de Beaumont-sur-Oise (dioc . de Beauvais). Nous n'avons pas retenu les hypothèses de dépendance formelle d e cette Vie par rapport au x biographies de s. Malo
et de s. Tudual, telles que proposées par Robert Fawtier 8.
BHL vacat Vita
III a deperdita s. Leonorii
a
Réécriture perdue, probablement u n abrégé de la Vita II ; son existence se déduit de
l'observation d e la Vita IV a. Ell e était connue en région parisienne au début du XIII e
siècle.
BHL 4881
Vita IV a s . Leonorii
a
Condensé (par découpage mécanique ?) de la Vita III deperdita, pa r un moine de StDenis au XIII e siècle.
Biblio. relais: J.-C. POULIN , Le s dossiers des saints Lunaire et Paul Aurélien (Provin ce de Bretagne) [SH G IX], dans: L'hagiographie d u haut moye n âge (voir texte, n. 1)
p. 197-214 (désormais: Lunaire et Paul Aurélien).
MACHUTUS
BHL 5117
Vita anonyma brevior s. Machuti
Contrairement à l'opinion établi e depuis un siècle au moins, nous plaçons en tête des
recensions conservées cett e Vie composée par un moine de St-Malo vers le milieu du
IXe siècle; elle est contenue dan s une copie unique du début d u XI e siècle, un libellus
hagiographique reli é à l a fi n d u manuscri t composit e d e Paris , BN F lat . 12404,
fol. 239-246 v. Dernière éditio n dans le mémoire de maîtrise de Jean-Philippe Gury 9 .
R. FAWTIER , L a Vie de saint Samson. Essai de critique hagiographique, Paris 1912, p. 68 (Coll. BÉHÉ,
197) (désormais: Vie de Samson).
J.-P. GURY , Vie de saint Malo, évêque et confesseur (Édition , traduction, commentaires de la version du
ms. lat . 12404 de la B.N.). Brest 1994,117p.; nous remercions Pauteur de nous avoir communiqué son
travail.
180
Joseph-Claude Pouli n
BHL 5116a et b Vita
s. Machuti auct. Bili
Réécriture trè s amplifié e d e l a Vie précédente, dan s l e cadre d e l'établissemen t d'u n
vaste dossier à la fois biographiqu e e t para-liturgique e n l'honneur d e s. Malo, par l e
diacre Bil i d'Alet ver s 870 10. Le plus ancie n témoi n (partiel ) serai t u n libellus hagio graphique d e l a fin d u X e siècle , d'après D . Dumville 11: London, BL Roya l 13.A.X ,
fol. 63-103.
BHL 5118a et b Vita
anonyma longior s. Machuti
Réécriture légèrement amplifiée de la Vita anonyma brevior. L e rédacteur semble ignorer Bili, à moins de voir une trace d'influence dan s le titre didascalus attribué à Brendan par l'Anonyme longior, chap. 5 {didascalus chez Bili, Hymnusprimus, stroph e 8),
là où l'Anonyme brevior, chap . 5 se contente de pedagogus. L'auteu r es t un moin e d e
St-Malo qui travaillait à la fin du IX e ou a u début d u X e siècle.
Traduction en Old English de la Vie de s. Malo
Mise en vernaculaire de la biographie de Bili, à Winchester vers l'an mil 12. L'exemplaire unique a été mutilé par u n incendi e e n 1731: London, BL, Cotton Oth o A. VIII +
Cotton Oth o B. X (premier quart du XI e siècle).
BHL 5124
Translatio s. Machuti
Nouveau réci t de translation des reliques de s. Malo de Saintonge vers la Bretagne, incompatible avec la relation qu'en a donnée Bili (BHL 5116); d'un point de vue formel ,
cette oeuvre se place dans le dépendance du dossie r ancien de s. Magloire de Dol. Elle
a pu êtr e composée par un moine qui travaillait à Paris au X e siècle, après 920. Le manuscrit unique es t un libellus hagiographique de s environs de l'an mil, relié à la fin d u
ms. Paris , BNF lat. 12404, fol. 247-250 v.
BHL 5119
Vita s. Maclovii auct. Sigeberto
Réécriture très abrégée de la Vita anonyma brevior M., par Sigebert de Gembloux entre
1071 et 1092.
10 Bernard MERDRIGNA C fai t encor e de Bili la source de Vanonyma brevior, pou r des raisons qui ne nous
paraissent pa s suffisantes: L a »désacralisation« d u mythe celtiqu e de la navigation vers l'autre monde :
l'apport d u dossie r hagiographique d e saint Malo, dans: Ollodagos. Actes de la Société belge d'étude s
celtiques (Bruxelles) , 5 (1993), p. 20-25. André-Yves BOURGES , Passage du diacr e Bili à Lanmeur: un e
source possibl e d e l a Vita d e sain t Malo , dans : Bull , d e l a Sociét é archéol . d u Finistèr e 123 (1994 )
p. 457-464 ignore notre étude de 1990 décrite à la fin de cette notice.
11 D. DUMVILLE, Liturgica l Books, p. 110.
12 D. G. SCRAGG , The Corpus o f Anonymous Live s and thei r Manuscript Context , dans: Holy Me n an d
Holy Women . Ol d Englis h Pros e Saints ' Live s an d thei r Contexts (dir . P. SZARMACH), Alban y (NY )
1996, p. 221.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
181
BHL 5120
Vita s. Maclovii
Abrégé de la Vita anonyma brevior M. y par Jean de la Grille, évêque d'Alet/St-Malo ,
vers 1143-1146; le remanieur a également utilisé à partir du chap. 18 la grande Vie par
Bili (I 86)13.
BHL 5121
Vita abbreviata s. Macbuti
Reformulation trè s abrégée de la grande Vie de Malo par Bili, mais en gardant souven t
des passages à l'identique; cette version a existé dans un manuscrit perdu de Marmou tier, partiellement édit é au XVIII e siècle par Dom Morice14. La suppression de la partie insulaire de la carrière du saint et de la plupart de ses miracles conviendrait à un travail d'origine ligérienne , établi à une date impossible à préciser.
Biblio. relais: J.-C. POULIN , Le s dossier s d e s . Magloire de Do l e t d e s . Malo d'Ale t
[SHGII], dans: Francia 17/1 (1990) p. 160-185.
MAGLORIUS
BHL 5139 + 5140/5144
Vita longior s. Maglorii
Version longue initiale, incomplètement publiée sous cette forme, par un moine de Léhon
(dép. Côtes-d'Armor) peu après 850. Accessoirement, le début (en partie inédit) de cette
Vie développe le récit de la fin de la vie de s. Samson, dans le sillage de la Vita IIa s. Samsonis.
BHL 5140/5144
Vita brevior s . Maglorii
Recension abrégée de la précédente, en un lieu indéterminé, entre le milieu du IX e s. et
le XII e s., date de son manuscrit le plus ancien: Paris, BNF lat . 11951, fol. 135-140.
Biblio. relais: J.-C. POULIN , Le s dossier s d e s . Magloire de Dol e t d e s. Malo d'Ale t
[SHG II], dans: Francia 17/1 (1990) p. 185-209.
MELANIUS
BHL 5887/5888
Vita I a s. Melanii
e
Rédaction par un clerc de Rennes (?) dans la première moiti é du IX siècle.
13
Ferdinan d LOT , Mélanges d'histoire bretonn e (VI e -XI e siècle), Paris 1907, p. 106-110. Contra, F. DuiNE, Mémento des sources hagiographiques d e l'histoire de Bretagne, dans: Bull, et mémoires de la Soc.
archéol. du département dllle-et-Vilaine 46 (1918) p. 295-296 et 355, qui est tenté d'y reconnaîtr e plu tôt la main de Baudri de Dol.
14 Hyacinthe MORICE , Mémoire s pou r servi r d e preuves à l'histoire ecclésiastiqu e e t civil e de Bretagne ,
Paris 1742 (réimpr. Farnborough 1968), tome I, col. 191-193 (désormais: Preuves).
182
Joseph-Claude Pouli n
BHL 5891
Vita II a s . Melanii
a
Réécriture allongée de la Vita I , pa r un moine qui travaillait en Bretagne, entre le milieu du IX e et le milieu du XI e siècle, peut-être dè s les années 850, en tout ca s en s'ap puyant sur le dossier ancien de s. Magloire.
BHL 5889-5890
Vita interpolata s . Melanii
Aboutissement d e plusieurs opérations successive s de réécriture e t d'interpolation d e
la Vita I a, auxquelle s a contribué au moins un moine breton de St-Melaine de Rennes,
entre la seconde moitié du IX e siècle et le milieu du XI e siècle. Cette réfection enrichi e
de la Vie de Melaine est indépendante d e la Vita II a (fon d e t forme).
BHL 5890 d Vita
metrica s. Melanii
Délayage e n vers (partiellemen t conservé ) d e la Vita interpolata (BH L 5890), par u n
moine d e St-Melain e d e Renne s entr e l e milie u d u XI e e t l e premier quar t d u XII e
siècle.
Biblio. relais: J.-C. POULIN , Melaine, Conwoion e t Mervé, p. 127-149.
PAULUS AURELIANUS
BHL 6585
Vita I a s. Pauli Aureliani
Œuvre composé e par le prêtre-moine Gurmono c d e Landévennec e t achevée en 884.
Nous rejeton s le s prétentions d e Gurmonoc à composer u n remaniement, à cause de
sa méthode générale de travail, et en particulier de sa servilité à copier ou imiter la phraséologie d e son maîtr e Pabb é Gurdiste n d e Landévennec , un vra i remanieur pou r s a
part (cf . s . Winwaloeus).
BHL 6587
Translatio s. Pauli Aureliani
Rédaction par le moine Aimoin de Fleury entre 1004 et 1010 environ, peut-être avan t
1008, en s'appuyant su r une Vie du saint, probablement l a Vita I a.
BHL 6586
Vita II a s. Pauli Aureliani
a
Réécriture abrégée de la Vita I , par un moine Vital de Fleury, du temps de l'abbé Gauz lin (1005-1030); ce Vital nous paraît êtr e le plus ancie n d e deux hagiographes homo nymes à Fleury au XI e siècle.
Biblio. relais: J.-C. POULIN , Lunaire et Paul Aurélien, p. 215-248.
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
183
SAMSON
BHL vacat Vita
primigenia s. Samsonis
Rédaction (perdue) par le diacre Hénoc à Dol vers le milieu du VIII e siècle, à l'aide de
sources orales et écrites (11 : in aliis eiusdem sancti Samsonis emendatioribus gestis atque
ibidem propinquioribus); so n auteu r l' a ramené e ave c lui en Grande-Bretagne , o ù l' a
trouvée le remanieur de la Vita I al5.
BHL 7478-7479
Vita I a s. Samsonis (»Vi e ancienne«)
Réécriture augmenté e d e l a Vita primigenia, pa r u n cler c d e Do l trè s âgé , dan s l a
seconde moitié du VIII e ou au début du IX e siècle; malgré sa qualité de remaniement ,
son appellation traditionnell e d e Vita I a es t maintenue pour l a clarté de la discussion.
Les deux manuscrits le s plus anciens sont des libelli hagiographiques de s environs d e
l'an mil : Metz, B M 195 (perdu e n 1944) et Paris , Mazarine 1708. Nous n'avon s pa s
retenu comme remaniement distinct la version portée par les manuscrits qui ont rédui t
ce texte à son seu l livre I, à partir d u XII e siècl e (ains i le ms. de Namur, Fond s d e la
Ville, 53)16.
BHL vacat Vita
brevissima s, Samsonis
Reformulation trè s condensée du début de la Vita IaS.y prenan t appui sur les chapitres
suivants du livre 1:1, 2, 4, 5-7,11,10,13 et 15. Cet état du texte, découpé de première
main en trois leçons, est connu par un manuscri t provenant peut-être d e Fécamp, u n
recueil de Vies de saints très abrégées: Rouen, BM 1388, fol. 79 v -80, du XI e siècle.
BHL 7481, 7483
Vita II a s. Samsonis
a
Réécriture enrichie de la Vita I , pa r un Bénédictin de Dol vers 850.
BHL vacat Vita
II a altera s. Samsonis
a
e
La Vita II S. fut remaniée au XII siècle au plus tard, date de sa copie dans un légendier
de La Couture (Le Mans, BM 227, fol. 57-76v). Outre quelques retouches de détail, cette réfection se distingue principalement de sa source par la reformulation plus développée d'un miracle de résurrection effectué par s. Samson pendant un voyage de Paris vers
la Bretagne, en compagnie du prince Judual (II14). Cette différence entr e les deux états
de la Vita IIa S . a attiré l'attention d'un copiste du XVII e siècle; il a pris la peine de transcrire séparément ce récit allongé, à la suite d'une copie soignée de la Vita II a 5. , à partir
du manuscri t d e L a Couture , dan s l e recueil d e Paris , BNF fr s 22321 (Blancs-Manteaux, 38), page 849 (avec un signalement déjà ajouté en marge de la page 839). C'est cet
état particulier de la Vita IIa S. qu' a utilisé le compilateur de la Vita mixta S,
15 Une démonstratio n d e l'existenc e d e cett e recensio n perdu e e t de no s moyen s d e l a connaître a paru
séparément sous le titre: La »Vie ancienne« de saint Samson de Dol comme réécriture (BHL 7478-7479),
dans: AnalBoll 119 (2001) p. 261-312.
16 Les passages d e cette Vie (I 53 à 57 et I 59, à partir d e la troisième phrase) publiés par Dom MORICE,
Preuves 1194-196 sont de simples extraits de la Vie ancienne, choisis pour leur intérêt envers le prince
breton Judual, et non pas un remaniemen t médiéval .
184
Joseph-Claude Pouli n
BHL 7480, 7482, 7484
Vita metrica s . Samsonis
a
Mise en vers (partiellement conservée) de la Vita II y par un clerc de Dol de la seconde
moitié du IX e siècle, avant 920 au plus tard .
BHL vaca t Vita
mutilata s. Samsonis
Remaniement éditoria l d'un abrég é perdu de la Vita II a S. Il est conservé dans une entité codicologique mutilé e qui ne possède plus que ses deux premiers quaternion s d e
la seconde moitié du IX e siècle17; par son format e t sa mise en page, ce témoin pourrai t
avoir été un libellus indépendant , avan t d'être relié au XVII e siècle dans le recueil factice où il se trouve maintenant: Vaticano (Città del), BAV , Reg. Lat. 479, fol. 9-24v. L'auteur de cette réécriture possédait un texte-source où les chapitres étaient numérotés; il
en a conservé, dans l'ordre: 11 à 5; II 3, 8, 11 et 13; 114; II 26; II 5 à 7, 9,12, 1 0 et 15
jusqu'âfilium te salva/ls. Cett e séquence présente assez de points communs avec la Vita abbreviata S. pour révéler l'existence d'un ancêtr e commun entre elles et la Vita II a
S.; ce t ancêtre possédait plusieurs traits communs avec la Vita liturgica S. (cf. ci-après).
BHL 7485
Vita abbreviata s. Samsonis
Remaniement éditoria l d'u n abrég é perdu d e la Vita II a S., peut-être effectu é e n pays
de Loire par un auteur non Breton. Son premier éditeur, Jean Du Bois, prétend l'avoi r
tirée è membranis antiquissimis Floriacensibus 19; c'est aussi dans ces manuscrits que Du
Bois a trouvé un exemplaire de la Vie anonyme longue de s. Malo (BHL 5118). Cette
œuvre es t du XI e siècle au plus tard, date de quatre de ses manuscrits parisiens. Là où
Du Bois n'a vu qu'une transcription incomplète, in qua mihi videntur quaedam déesse20, nous reconnaisson s un e réécriture dign e d e ce nom. Le s chapitres d e la Vita II a
S. s'enchaînent comm e suit: 11 à 5; II 3, 8, 5, 6, 7, 9,12,10,11,13; 114; II26. L'intermédiaire perdu lui est commun avec la Vita mutilata. Encor e plus abrégé, mais très voisin dans ses choix, un autr e état particulier présent dan s un manuscri t d u XIII e siècl e
provenant d e St-Maur-des-Fossés: Paris, BNF lat. 11552, fol. 190M93 V .
BHL vacat Vita
liturgica s. Samsonis
Copie partielle de la Vita IIa S., en vue de fournir des lectures à l'office. Ce t état du texte est connu par plusieurs manuscrits d u XI e siècle, issus du milieu angevin . Une ver sion brève en est donnée par un lectionnaire-homéliaire copi é pour St-Nicola s d'An gers: Angers, BM 121, fol. 229-232 21. Le remanieur a transcrit à la suite le début d e la
17 André WILMART , Codices Reginenses latini. IL Codices 251-500, Vatican 1945, p. 652 (désormais: Reginenses latini).
18 Une version très voisine, avec quelques chapitres numérotés de la même façon, s e trouve dans un frag ment détach é d'u n légendie r hagiographiqu e d e Fleury-sur-Loire: Roma , Bibl. Vallicellian a G 98,
fol. 13 v -15 v (XIIIe s.); cf. Elisabeth PELLEGRIN, Nouveaux fragments d u actionnaire hagiographique de
Fleury. Paris, Bibl. nat. lat. 12606, dans: Scriptorium 39 (1985) p. 270; réimpr. dans ID., Bibliothèques
retrouvées ... Recueil d'études publiées de 1938 à 1985, Paris 1988, p. 280.
19 Jean Du Bois , Floriacensis vêtus bibliotheca, Lyon 1605, p. 464.
20 Ibid. , p. 484, suivi par FAWTIER, Vie de Samson, p. 3 n. 3.
21 Jean VEZIN , Le s Scriptoria d'Anger s a u XI e siècle, Paris 1974, p. 76-77 (Coll. BÉHÉ, 322) (désormais:
Scriptoria d'Angers) .
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
185
Vita IIaS.:lla 4, puis I 7, ce qui lui fournit une matière suffisante pou r les huit leçons
désirées, bien que le saint ne soit alors parvenu qu'à l'étape de son diaconat au Pays de
Galles; en guise d'explicit, i l greffe quatr e lignes tirées de la Vita I a S. (113ex).
Cette Vita liturgica S. se retrouve presque à l'identique - sans le chap. 17, mais avec
le prélèvement su r la Vita I a S. - dans un autre manuscrit d u XI e siècle copié à St-Aubin mais provenant de St-Nicolas d'Angers: Paris, BNF lat. 12600, fol. 129-141 v22. Cependant, le découpage en huit leçons fut ic i ajouté aprè s coup et le remaniement d e la
Vita IIa 5 . se poursuit plus avant, avec la transcription des chapitres 114, II 8-10,12 et
26. La portion d u texte visée par le découpage e n leçons est la même que dans le manuscrit d'Angers, BM 121.
Un ai r de parenté relie cette Vie dite liturgica à l'abrégé perdu de la Vita II a S. don t
nous connaissons diver s descendants par ailleurs (mutilata e t abbreviata).
BHL 7486
Vita s. Samsonis
Réécriture (à peine retouchée) de la Vita II a, pa r Baudri de Dol (1107-1130). Des ad ditions de Baudri sont publiées et des coupures signalées dans l'annotation de l'édition
de la Vita II a pa r Dom Plaine23.
BHL vacat Epitome
Vitae s. Samsonis
Réécriture abrégé e de la Vita I a (e t non pa s de hprimigenia, qu i ne semble pas avoi r
circulé au Pays de Galles), par un clerc de l'église de Llandaff (Glamorganshire ) au début du XII e siècle, entre 1119 et 113424. Rédaction L de l'édition Fawtier 25. Édition diplomatique d'u n manuscri t d u XII e siècle par J. Gwenogury n EVAN S et John RHYS 26 ;
aujourd'hui Aberystwyth , National Library of Wales, Ms. 17110E.
BHL vacat Vita
mixta s. Samsonis
Contrairement à ce qu e nous avons affirmé récemment 27, il a existé une version hybride
de la Vie de Samson, assez ancienn e pour êtr e mentionné e ici . Elle est construite pa r
22 VEZIN, Scriptoria d'Angers, p. 109. Une version apparemment asse z voisine se lit dans un manuscrit da té de 1006 x 1047, provenant de St-Aubin d'Angers: Vaticano (Città del), BAV, Reg. lat. 465, d'après V E ZIN, Scriptoria d'Angers , p. 78; cf. auss i WILMART, Reginense s latini , p. 619-621. Le succès de ce texte
en Anjo u a déjà ét é remarqu é pa r F . DUINE, L a Vie de sain t Samson . À propo s d'u n ouvrag e récen t
[FAWTIER 1912], dans: Annales de Bretagne 28 (1912-1913) p. 334-335, n. 3.
23 François PLAINE, Vita antiqua sancti Samsonis Dolensis episcopi, dans: AnalBolI 6(1887) p. 77-150. Une
nouvelle édition est annoncée, par Armelle Le HUËROU: B . MERDRIGNAC , Une course en char dans l'hagiographie bretonne? Saint Samson contre la Theomacba, dans : Studies in Irish Hagiography. Saints and
Scholars (dir. J. CARE Y et alii), Dubli n 2001, p. 149-150, n. 55.
24 John R . DAVIES , Liber Landavensis: It s Date an d th e ïdentity o f it s Editor, dans: Cambrian Médiéva l
Celtic Studies 35 (1998) p. 11. Daniel Huws suggère plutôt le milieu du XII e s., pour des raisons d'ordr e
paléographique: The Making of Liber Landavensis, dans : National Library of Wales Journal 25 (1987)
p. 145.
25 FAWTIER, Vie de Samson, p. 18-21 ; Pierre FLOBERT, La Vie ancienne de saint Samson de Dol. Texte édité,
traduit et commenté, Paris 1997, p. 4-42 (IRHT, Sources d'histoire médiévale) (désormais: Vie ancienne).
26 J. G. EVANS et J. RHYS, The Text of Llan Dâv reproduced from th e Gwysaney Manuscript, Oxford 1893
(réimpr. Aberystwyth 1979), p. 6-24; Marginalia, p. 335; Palaeographical notes, p. 345-346 (Séries of Old
WelshTexts,4).
27
POULIN , Lunair e et Paul Aurélien, p. 204.
186
Joseph-Claude Pouli n
amalgame de la Vita I a e t de la Vita II a altera S.; cet état de la tradition es t représent é
uniquement par le manuscrit de Kobenhavn, Kongelige Bibliotek, Thott in-folio 133,
pages 311-362 ( = fol. 156 v-182v), XIII e siècle . Il contient aussi , sur grattag e à la page
341 (= fol. 171 v), intercalés entre les deux livres de la Vie, les deux premiers vers du frag ment n° 2 de la Vita metrica S, (BHL 7482). Ce témoin semble apparenté à la troisième famille de s manuscrits d e la Vita I a S., d'après l e classement d u dernie r éditeu r d e
la Vie ancienne 28.
Ce sont les livres I de chacune des recensions-sources (BH L 7478 + 7481) qui fon t
l'objet d'un amalgame méthodique et littéral; le compilateur y manifeste une légère préférence pou r l a formulation l a plus ancienne . Dans l e seconde moiti é d e ce remaniement, le livre II de la Vita II a S . (BHL 7483) prend presqu e tout e la place, à peu prè s
mot à mot, ce qui a longtemps fait croire que nous avions affaire à un banal exemplaire de cette réécriture. Cette version mixte ne comporte pas de chapitres numérotés; le
récit est toutefois scand é par des initiales colorées dont la distribution correspon d gé néralement a u découpage d e la Vita II a S. Entre les deux livres, le manuscrit donn e la
table du livre II de la Vita II a s. S. Ce qui pourrait passer pour des traits originaux par
rapport à la Vita II a s. S. (ainsi en 115; II 2ex; II14) s'explique simplemen t par une dépendance médiatisée par la Vita II a altera s. S.
Le légendier/>er circulum anni qu i porte ce texte semble originer de la région entr e
Seine e t Loire , peut-être d e Normandie; l e copiste (sino n l'auteur ) étai t peu familie r
avec la Bretagne, car il transforme dominationem totius Domnoniae {Vita II a S. y II17)
en dominationem totius dominice. Cett e Vie mixte de Samson a dû être fabriquée entr e
le X e et le XIII e siècle 29.
Biblio. relais: J.-C. POULIN, Le dossier de saint Samson de Dol [SHG I], dans: Francia
15 (1987) p. 715-731; ID., La Vie ancienne de saint Samson de Dol. À propos d'une édition récente, dans: Francia 25/1 (1998) p. 251-258; ID., Liber iste vocatur Vita Sansonis. Un légendier factice du XII e siècle constitué de livrets hagiographiques, dans: AnalBoll 117 (1999) p. 133-150; ID., La »Vie ancienne« de saint Samson de Dol comme réécriture (BHL 7478-7479), dans: AnalBoll 119 (2001) p. 261-312.
TURIAVUS
BHL vacat Vita
deperdita s. Turiavi
Recension perdue, dont l'existence s e déduit par la présence de deux dérivés indépen dants; cette biographie primitive aurait pu être composée à Dol vers la fin du IX e siècle
(?) au plus tôt .
28
FLOBERT, Vie ancienne , p. 131.
29 Baudouin d e GAIFFIER , L e passionnaire d u collèg e de Clermont conserv é à Copenhague, dans : Scriptorium 5 (1951 ) p. 20; réimpr. dan s Étude s critique s d'hagiographi e e t d'iconologie , Bruxelle s 1967,
p. 394-395 (Subsidia hagiographica, 43).
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
187
BHL 8341
Vita I a s. Turiavi
Dérivé de la Vita deperdita^ peut-être établie dans la région parisienne après l'exode de
Xe siècle (post 920); elle y étai t connue a u XI e siècle au plus tard, date de son manus crit le plus ancien (Paris, BNF lat. 15437, fol. 30-3l v ).
BHL 8342 d Vita
II a s. Turiavi
Réécriture, sans doute hors de Bretagne, de la Vita deperdita; elle était connue en Auvergne au XIII e siècle, date et localisation d e son manuscrit le plus ancien (Clermont ,
BMl49,fol.66 v -69 v ).
Biblio. relais: François DUINE , Saints de la Domnonée. Notes critiques , Rennes 1912,
p. 61-63 (Saints de Domnonée, 9).
WINWALOEUS
BHL vacat
Hymnus alphabeticus s. Winwaloei
Hymne à teneur biographique composée par le moine Clément de Landévennec entr e
857 et c. 870.
BHL vacat Vita
brevis deperdita s. Winwaloei
Biographie probablement composée à Landévennec pendant le troisième quart du IX e
siècle, supplantée ensuit e par l'œuvre d e Gurdisten; il ne s'impose pa s absolument d e
l'attribuer a u moine Clément .
BHL 8957-8958
Vita longior s. Winwaloei
Composition d u moine (puis abbé) Gurdisten d e Landévennec entr e 860 et 884, probablement après 868, peut-être aux environs de 874, d'après l'Hymn e alphabétiqu e de
Clément e t une Vie brève perdue qu i pourrait êtr e l'œuvre précédente . L'absenc e d u
texte-source perdu d e Gurdisten n'empêche toutefois pa s complètement l'étud e d e sa
Vita longior en tant que réécriture; comme son texte principal est très long (environ 90
Pages imprimées dans les AnalBoll), les caractéristiques le s plus frappantes d e sa version longior peuvent lui être attribuées plutôt qu'à son modèle perdu. En outre, Gur disten a composé trois versions différentes d e la Vie de Guénolé, ce qui en fait un vrai
remanieur professionnel. L a Vita compendiosa BH L 8964 n'est pas une réécriture médiévale, mais une copie partielle de la Vita longior par le jésuite Jacques Bernard (n é à
Rennes, mort à Mons e n 1652), adaptée à partir d e l'exemplaire d u cartulaire de Lan dévennec30.
30 Alfred RAMÉ , Rapport su r le Cartulaire de Landevenec, dans: Bull, du CTHS . Section d'histoire, d'ar chéol. et de philol. (1882) p. 426-428; à part, sous le même titre, Paris 1883.
188
Joseph-Claude Pouli n
BHL 8959
Homelia die natali s. Winwaloei
Réécriture condensé e sou s forme homilétiqu e d e la Vita longior y par Gurdisten , dan s
la foulée d e cette œuvre principale, mais avant le texte suivant .
BHL 8960
Vita et homelia s. Winwaloei
Remaniement abrégé par combinaison de Y Homelia intégral e et d'extraits littéraux de
la Vita longioTy pa r Gurdiste n ver s 870 ou pe u après , à l'intentio n d e Pévêqu e Jea n
d'Arezzo. Éditio n récente dans le mémoire de D.E.A. de Denis Brillet 31.
BHL 8956 d Vita
brevior s. Winwaloei
Réécriture pa r réductio n mécaniqu e d e l a Vita longior, effectué e dan s l e nor d d e l a
France ou en Angleterre entre 913 et 1200. Cet abrégé se distingue toutefois par l'addition d'un épisode original relatif à s. Ethbinus, dont l'origine est encore mal éclaircie32.
BHL 8962
Sermunculus de Vita s. Winwaloei
Remaniement abrégé sous forme homilétique de la Vita longior, peut-être par un Breton réfugi é à Montreuil, entr e 920 et le XII e siècle au plus tar d (dat e de ses deux ma nuscrits conservés: Douai, BM 842 et 865).
BHL 8963
Vita interpolata s. Winwaloei
Réécriture du Sermunculus (chap . 1-14) par addition d'un épisod e relatif à s. Ethbinus
emprunté à la Vita brevior W. 33, puis d'une fi n original e qui envoie Ethbinus e t Gué nolé en Irlande (éd. Cat. Paris. III133); ce montage se trouve dans le nord d e la France, a u XII e siècle au plus tard, date de son témoin manuscrit: Paris, BNF lat. 12604 (provenant de Corbie).
BHL 8961
Vita abbreviata s. Winwaloei
Remaniement condensé de la Vita longior, probablement dan s le nord de la France, au
XII e siècle au plus tard, date de son manuscrit le plus ancien: Douai, BM 840.
Biblio. relais: J.-C. P O U U N , L e dossie r d e sain t Guénol é d e Landévenne c [SH G V],
dans: Francia 23/1 (1996 ) p. 167-205; H. L e BOURDELLÈS , Le s Bretons à Montreuilsur-Mer ver s 920. Leur créatio n culturelle , dans : Bulletin d e l a Société national e de s
Antiquaires d e France (1995) [1997] p. 47-48.
31 D. BRILLET , La Vie de saint Guénol é envoyée à Jean d'Arezzo (BH L 8960), Paris 2000,128p. (mémoi re de D.E.A., Université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis); nous remercions l'auteur d e nous avoi r
communiqué so n travail.
32 POULIN, Le dossier de saint Guénolé de Landévennec, dans: Francia 23/1 (1996) p. 202.
33 Le passage en question peut se lire dans les AnalBoll 7 (1888) p. 234-236, seconde moitié du chapitre II22.
MELAINE
MELANIUS ( t c . 530)
E
MAGLOIRE
O
E
CONWOION
n françai s
MAGLORIUS (VIe s. )
MACHUTUS (VIe s. ) MAL
LEONORIUS (VIe s. ) LUNAIR
JUDOCUS ( t c . 654) JOSS
CONWOION ( f 868)
Noms de s saints
en latin e
4512. metrica* Winchester
exX^-s.
4505-4510. Isembard d e Fleur y
peu après 1012
vacat, translatio deperdita, XI e s.
vacat, Orderic Vital, inXIIe s.
4511, Florent de St-Josse, inXIII e
4880, Beaumont-sur-Oise, XI e s.
vacat, V II Ia deperdita, XII e s. ?
4881, moine de St-Denis, XIII e s.
5124. translatio, Paris , après 920
Old English , Winchester, c. 1000
5119, Vzta, Sigebert d e
Gembloux, 1071-1092
5121, Vita abbrev., Marmoutie r
5116ab. diacre Bili d'Alet. c.87Q
5118ab, V anonyma longior,
moine de St-Malo, c. 900
5120, Vita, év . Jean de la Grille,
c. 1143
5140/5144, Vita brevior, entr e
milieu IX e et XII e s.
5891, Vita II*, med IX/med XI e s.
5889-5890, V. interpolata, ibid.
5890d, metrica, Rennes , c. 1100
vacat. V. mutilata, moin e breto n
à Fleury. X£ s. après 930
5117,VC anonyma brevior.
moine de St-Malo. med. IX e s.
5139 + 5140/5144, Vita longior,
moine de Léhon, peu après 850
5887/5888, Vita I a, Renne s (?),
première moitié IX e s.
1946, moine de Redon, XI e s.
4504. Vita IK St-Josse-sur-Mer .
moine breton (?). c. 925
1945, moine de Redon, 868/876
Vies primitives
Réécritures e n Bretagne
Réécritures hors Bretagn e
n° d e B H L , a u t e u r , l i e u e t d a t e de r é d a c t i o n
Distribution géographique des réécritures dans l'ancienne hagiographie bretonn e
ANNEXE B
TURIAU
GuÉNOLE
TURIAVUS (VIe s. )
WlNWALOEUS
8956d, Vita brevior, nor d de la
France ou Angleterre, 913/1200
8962, Sermunc, Montreuil , X e s.?
8963 et 8961, abrégés du nord
de la France, XII e s. au plus tar d
vacat, Hymnus alphab., Clémen t
de Landévennec, 857/c. 870
vacat, Vita brevis deperdita,
Landévennec, 3 e quart IX e s.
8957-8958, V longior, Gurdiste n
de Landévennec, c. 870
8959, Homelia, Gurdisten , c. 870
8960, Vita et homelia, Gurdiste n
c. 870
8341,
Vital*,Paris,Xes.
8342d, Vita II a, Clermont , XI e s.?
7480,2,4, metrica, Dol , c. 900
7486, Vita, év . Baudri de Dol,
1107-1130
7481,3, Vitalin Dol, c . 850
7478-79. Vita /". P ol VIIF/DP s.
vacat, Vita deperdita, Do l (?),
exIX e s.?
vacat, Vita primigenia, diacr e
Hénoc, à Dol, VIII e s.
En souligné: le manuscrit le plus ancien (parfois l e seul conservé) est un libellus hagiographique .
(VIe s. )
SAMSON
vacat, V brevissima, X e -XI e s.
vacat, V IIa altera, X e -XI e s.
vacat, Vita mutilata, IX e2 s.
7485, Vita abbreviata, vallé e de
la Loire?, Xe -inXI e s.
vacat, V liturgica, Angers, XI e s.
vacat, Epitome, Llandaff , c. 1130
vacat, Vita mixta, X e -XIII e s.
6587, transi, Aimoin , 1004/1010
6586, Vital de Fleury, 1005/1030
s hors Bretagn e
Vies primitives Réécriture
s en Bretagne Réécriture
n° d e B H L , a u t e u r , l i e u e t d a t e d e r é d a c t i o n
PAUL AURÉLIEN 6585, Vita I a, Gurmonoc moin e
de Landévennec, 884
n français
SAMSON ( f aprè s 562)
(VIe s. )
PAULUS AURELIANUS
Noms des saints
en latin e
o
O
o
mutilata
Beaumont deperdita
[ secunda e
e
i
t interpolata
v
o
]
r
hymnus, brevis
Gurdisten
deperdita ?
k.
Clermont ?
metrica
[ s e r m u n c u l u s]
[
Paris
Gurmonoc Aimoin
, Vital
11& altera
liturgica m
primigenia, prima, secunda, metrica
mutilata abbreviata brevissima
prima
br
XII e s.
St-Deni
]
BHL 8961.8963
Baudri, Llandaff
]
n de la Grille
metrica Isembar d Guillaum e Orderi c Floren
XI e s.
XI e s.
transi. Ol d English. Sigebert. abbreviata Jea
/* c. 925
Xe s.
t
s
XIII e s.
* = saints d'origin e insulaire . En souligné: réécritures effectuée s hor s d e Bretagne. À partir d u deuxième quar t d u X e siècle, les réécritures son t presque toute s
effectuées hor s de Bretagne (cf. supra p. 162 et 168).
WlNWALOEUS
TURIAVUS
*SAMSON
*PAULUS AURELIANUS
MELANIUS
[
longior
*MAGLORIUS
868/876
IX e s.
brevior, Bili , longior
VIII e s.
*MACHUTUS
*LEONORIUS
JUDOCUS
CONWOION
Noms des saints
Répartition chronologique des réécritures dans l'ancienne hagiographie bretonn e
ANNEXE C
sO
•s
«0.
o
crc
192
Joseph-Claude Poulin
ANNEXE D
Généalogie des réécritures de la Vie de saint Samson de Dol
(VIIP-XIP siècles )
Vita primigenia S.
diacre Hénoc
Vita brevissima S.
BHL vacat
Vita P S .
remanieur dolois
BHL 7478-7479
I
Vita IP S.
BHL 7481, 7483
Epitome S.
Llandaff
Vita liturgica S
BHL vacat
Vita mixta S.
BHL vacat
Vita IIa altera S.
BHL vacat
Vita metrica S.
BHL 7480, 2, 4
[ abrégé perdu ]s
Vita mutilata S.
BHL vacat
Vita abbreviata S.
BHL 7485
Vita S.
Baudri de Dol
BHL 7486
En italiques: oeuvres connues par un manuscrit unique .
193
Les réécritures dans l'hagiographie bretonn e
ANNEXE E
Dépendances textuelle s et influences samsonienne s dans les réécritures de
l'ancienne hagiographie bretonn e
Les quatre premières Vies de s. Samson seulement prennent place ici, car elles suffisen t
a montrer l e rayonnement forme l d u dossie r samsonien ; une présentation plu s com plète des réécritures de la Vie de Samson se trouve à l'Annexe D. Échappent à ce réseau
de dépendance les dossiers des saints Josse et Malo (cf. Annexe F), Conwoion et Turiau.
Vita primigenia SAMSONIS
diacre Hénoc
- Vita Ia SAMSONI S
Hymnus alphab. WINWALOEI
Clément de Landévennec
-VitabrevisW.
deperdita
Vita Ia LENOVER I
mutilata
V. abbreviata W.
Vita IIa LEONORI I
Beaumont
Vita brevior W.
Vita IIP LEONORI I
deperdita
V. interpolata W. Vit a + Homelia W.
Gurdisten
Vita IVa LEONORI I
St-Denis
Vita Ia PAULI AURELIANK
Gurmonoc de Landévennec
Vita longior MAGLORI I
MiracuIaMAGLORII
Translatio MAGLORII
Transi. MACHUTI
Transi. PAULI A.
Aimoin de Fleury
/Vita I a M E L A N I I - ^
Vita IIa MELANII /Vit
a interpolat a MELANI I
Vita metrica MELANI I
Vita IIa PAULI A.
Vital l'Ancien
194
Joseph-Claude Pouli n
ANNEXE F
Relations de dépendance textuelle dans les dossiers anciens des saints
Josse et Malo
A - Dossier de saint Josse:
Vita P Judoc i
BHL 4504
Vita I P Judoc i
Isembard d e Fleur y
BHL 4505-4510
Vita I IP Judoc i
Florent d e St-Josse
BHL 4511
Vita metrica Judoci
BHL 4512
Translatio deperdita Judoci
Guillaume d e Merleau t
Vita compendiosa Judoc i
Orderic Vital
B - Dossier de saint Malo:
Vitajinonyma brevio r Machut i
' BHL 5117
Vita Machut i
Bilid'Alet,BHL5116ab
Vita anonyma longio r Machut i
BHL5118ab
Old Englis h
Winchester
Vita Maclovii
Sigebert de Gemblou x
BHL 5119
Vita Maclovii
Jean de la Grille
BHL 5120
Vita abbreviata Machut i
BHL 5121
La Translatio s. Machuti BH L 5124 ne fait pas directement partie du réseau de dépendances formelles de s autres textes relatifs à s. Malo; elle est plutôt placée dans le sillage littéraire du dossier ancien de s. Magloire de Dol (cf . Annexe E).
A N N E - M A R I E HELVÉTIU S
Réécriture hagiographique et réforme monastique:
les premières Vitae de saint Humbert de Maroilles
(Xe-XIe siècles)
Avec l'édition d e la Vita Humberti prima
Les premiers siècle s de l'abbay e d e Maroilles, fondée a u VII e siècle dan s l e pagus d e
Hainaut et l'ancien diocèse de Cambrai, sont assez bien connus grâce à la relative abondance d e source s conservée s e t au x travau x qu i leu r on t ét é consacrés, en particulie r
Par Jean-Marie Duvosquel 1 . Ayant eu l'occasion de reprendre le dossier dans mon ou vrage su r le s origine s d u Hainaut 2 , j'avai s constaté qu e le s source s hagiographique s
consacrées à son saint patron Humber t méritaien t une nouvelle étud e - qui dépassai t
alors le cadre de mon sujet. En particulier, il m'était apparu que la Vita Humberti consi dérée jusqu'ici comme la première (BHL 4036) et datée du début du XI e siècle, constituait en réalité l'hypertexte d'une version antérieure, en grande partie inédite, que l'o n
jugeait postérieur e (BH L 4037-4038). Or, le s circonstance s historique s d e cett e ré ecriture sont celle s d'une réforme monastiqu e orchestré e à l'abbaye d e Maroilles pa r
l'évêque d e Cambra i Gérar d Ier dans le s année s 1020-1030. Une réform e difficile ,
d'ailleurs, puisque l'évêque fut oblig é d'expulser les chanoines qui vivaient à Maroilles
pour les remplacer par des moines bénédictins. La rédaction des deux textes en question s'inscrit ainsi dans le cadre de problèmes complexe s de politique épiscopale camhrésienne e t de concurrence entr e communautés religieuses , que seule une étude systématique de toute la production diplomatique, narrative et hagiographique du diocèse permettrait d'élucider .
Le présent article doit beaucoup à Jean-Marie Duvosquel, que je remercie chaleureusement. Outre so n
mémoire d e licence resté inédit (L'abbay e de Maroilles e n Hainaut d e l'époque mérovingienn e a u XI e
siècle, Université Libr e d e Bruxelles 1968; compte rend u dan s G . DESPY , Le s mémoires d e licenc e e n
histoire médiéval e à l'Université Libr e d e Bruxelles, 1966-1970, dans: Contributions à l'histoire éco nomique e t social e 6 [1970-1971] p. 181-184), voir J.-M. DUVOSQUEL , L a charte de donation d e sain t
Humbert pour l'abbaye de Maroilles en Hainaut (18 mars 674), dans: Bulletin de la Commission Roya le d'Histoire 136 (1970) p. 143-177; ID., Le domaine de l'abbaye de Maroilles à l'époque carolingienne ,
dans: Contribution s à l'histoire économiqu e e t social e 6 (1970-1971 ) p. 5-24; ID. , La »yita « d e sain t
Humbert, premie r abb é d e Maroilles (premièr e moiti é d u XI e siècle) , dans: Le Moyen Âg e 78 (1972)
p. 41-53; ID., L'abbaye de Maroilles en Hainaut e t la politique de sécularisation des Carolingiens, dans:
Anciens Pays et Assemblées d'États 56 (1972) p. 1-12; ID. , La cession de l'abbaye d e Maroilles en Hai naut par Charles le Simple à l'Église de Cambrai (920), dans: Valenciennes et les anciens Pays-Bas. Mélanges offerts à Paul Lefrancq , Valencienne s 1976, p. 175-180 ( = Mémoires d u cercl e archéologique e t
historique de Valenciennes 9); ID., Humbert (saint) , dans: Dictionnaire d'histoire e t de géographie ec clésiastiques 25 (1995) col. 355-356. Par ailleurs , je remercie vivement Moniqu e Goullet , qu i m' a fai t
part de judicieuses suggestions .
A.-M. HELVÉTIUS , Abbayes, évêques et laïques. Une politique d u pouvoir e n Hainaut a u Moyen Âge ,
Bruxelles 1994, surtout p. 326-330 (Crédit Communal , Collection Histoire in-8° 92).
196
Anne-Marie Helvétiu s
Plus modestement, le présent article a surtout pour but d'attirer l'attention des chercheurs sur le type de problématique posé par ces deux récits hagiographiques. Je commencerai donc par présenter l e dossier dan s son contexte - et l'on m e pardonnera d e
reprendre ic i certains aspect s déjà abordé s dan s mon ouvrage . Je procéderai ensuit e à
une analyse plus approfondie de s deux récits hagiographiques, en présentant les diffé rents élément s permettant d e les situer dans leur chronologie relativ e et absolue, afi n
de mieux cerner les procédés de la réécriture, tant sur la forme que sur le fond. J'insisterai particulièrement sur les enjeux historiques de cette réécriture - tout en étant bien
consciente du fai t qu e les aspects philologiques mériteraien t une étud e plus détaillée .
L'intérêt d e la première Vita justifie e n outre d'en fournir un e édition complète en annexe, d'après l a seule copie connue.
LE D O S S I E R H A G I O G R A P H I Q U E D E S A I N T H U M B E R T
La Bibliotheca Hagiographica Latina identifi e pou r sain t Humber t cin q document s
numérotés d e 4036 à 40403. L'ensemble d u dossie r a notamment ét é étudi é par Léo n
van der Essen4, dont les conclusions ont été unanimement retenues jusqu'à présent: selon lui, la première Vie est bien celle qui a été considérée comme telle et éditée par Go defroid Hensche n dan s le s Acta Sanctorum (BH L 4036)5, malgré le s doutes émi s pa r
Oswald Holder-Egger 6 . Ce texte, qu'il appelle »version A« et dont il situe la rédaction
dans l a premièr e moiti é d u XI e siècle , aurai t ensuit e ét é »amplifié « au x XIP-XII F
siècles par une »version B« sans grand intérêt (BH L 4037-4038) 7 dont seuls quelque s
extraits avaien t ét é publiés pa r Hensche n dan s le s notes d e son édition , d'aprè s deu x
manuscrits conservé s alor s à Hautmon t e t à Saint-Ghislai n e t aujourd'hu i perdus 8 .
3
4
5
6
7
8
Bibliotheca Hagiographica Latin a (BHL), Bruxelles 1898-1899 (reprint 1992), p. 601-602.
L. VA N DER ESSEN , Étude critiqu e e t littéraire su r le s Vitae des saints mérovingien s d e l'ancienne Bel gique, Louvain, Paris 1907, p. 291-296.
Ed. G. HENSCHEN , AASS Mart. III, Paris, Rome 1865, p. 559-565. Il s'agit de la meilleure édition com plète d u texte ; ell e fu t repris e pa r J . GHESQUIÈRE , Acta Sanctorum Belgi i select a 4, Bruxelles 1787,
p. 146-161, qui en omet cependant les § 5 à 7. Elle est connue par au moins cinq manuscrits des XI e -XIIP
siècles conservés à Valenciennes et à Cambrai (liste dans DUVOSQUEL, La »vita« [cit. n. 1] p. 49-50). Elle
fut égalemen t copié e par JACQUES D E GUIS E dan s se s Annales Hannoniae , éd . (complète ) D E FORTIA ,
VII, Paris 1829, p. 300-372.
O. HOLDER-EGGER, M G H Script . XV/2, Hanovre 1888, p. 796-799, qui en publie de courts extraits assortis d'u n bre f commentaire : so n idé e selo n laquell e l a Vita BH L 4039 publiée pa r Jean MABILLO N
(AASS OSBII, p. 802-806) serait plus ancienne a été réfutée pa r van der Essen avec de bons arguments.
Le double numéro attribué à cette version par la BHL s'explique par le fait que l'un des manuscrits utilisés par Hensche n n e contenait, semble-t-il, qu e la fin d u texte , à partir d e la dernière phrase d u § 10
(Inc.: Multa sunt equidem huius sanctissimi confessons Humberti opéra ...; cf. éditio n e n annexe), qu i
fut numéroté e 4038. Mais cette coupure ne fait pas sens si l'on considèr e l'homogénéité d e l'ensemble.
Sur les avatars subis par les manuscrits d'Hautmont, voi r par exemple D. MISONNE , Une nouvelle for me des Annales d'Hautmont, dans: Revue Bénédictine 94 (1984) p. 229-244, surtout p. 229 et n. 4. Quant
à l'éta t d u scriptoriu m d e Saint-Ghislain , voi r C . PIÉRARD , De s manuscrit s d e Saint-Ghislai n à l a
Bibliothèque publique de Mons, dans: Scriptorium 19 (1965) p. 281-286.
Réécriture hagiographique et réforme monastiqu e
197
Quant au x numéros BH L 4039 et 4040, ils correspondent à deux résumés manifeste ment postérieurs 9.
Plus récemment, Jean-Marie Duvosquel s e livra à une étud e de la dite »version A«
afin d'en préciser la datation et le contexte de rédaction10. Ce texte, assez long, se compose de deux partie s distinctes : la première form e l a biographie propremen t dit e de
saint Humbert (§ 1-17) et la deuxième constitue une histoire de l'abbaye de Maroilles
depuis la mort du premier abbé jusqu'au débu t du XI e siècle (§ 18-24). Cette dernièr e
surtout retint son attention; grâce aux informations qu'ell e contient et qui peuvent être
Partiellement recoupées par d'autres sources , il parvint à dater l'ensemble, de manière
convaincante, des années 1030-1035 et à l'attribuer à un moine de Maroilles peu aprè s
la réform e monastiqu e d e l'abbaye 11. Enfin , dan s l a dernière not e d e son article, il
signala sa découverte, aux Archives Départementales du Nord à Lille, d'une copie moderne de la »version B« (BHL 4037-4038). Mais comme cette vita n e comprenait »qu e
la substance de s 18 premiers chapitre s d e la vita d u XI e siècle« e t qu'elle remontait ,
selon van der Essen, au XII e o u au XIII e siècle , il n'avait alor s aucun e raiso n d e s'y
attarder12.
À vrai dire, cette découverte est tout à fait exceptionnelle: d'abord parc e qu'il s'agit
de la seule copie connue s i l'on excepte les courts extrait s publiés par Henschen, ensuite parce qu'il n'es t pa s courant d e trouver un texte hagiographique conserv é dan s
u
n dépô t d'archives , recopi é au beau milie u d'un cartulaire du XVIII e siècle! Il s'agit
d un cartulaire de l'abbaye de Maroilles, en cinq volumes, dont le dernier contient »151
feuillets authentiqué s par le notaire Balligand en 1765« et regroupe des »titres de 920
a 1674« 13. En réalité, des titres de nature très diverse ont été recopiés dan s ce volume
sans suivr e aucu n classemen t logique : l a vita s e trouv e inséré e pa r hasar d au x
iol. 59 r -69 r , parmi des documents en français intitulés par exemple »Rentes rachettées«
(fol. l r_49v^ »plusieur s requeste s tendantes à ce que Messieurs les abbés de Maroilles
voulussent permettr e l a clousture d e plusieurs partie s de terres« (fol . 50r-58v), »Sen tence touchant le bois Blondeau« (69 v-70v) ou encore »Punitio n de Philippe de Caudeville pour avoir joué aux dés le jour de l'Ascension 1400« (fol. 76), etc. On peut donc
supposer qu e l'exemplaire ayan t serv i au copiste d e 1765 se présentait sou s la forme
u un simple cahier conservé parmi d'autres archives .
La vita s e compose d'un prologue suivi de 16 chapitres non numérotés mais distingués par la mise en relief de leur premier mot. Elle est nettement plus courte que la version publiée (BH L 4036) et très différente tan t par le style que par le contenu. Le copiste semble avoir ajouté deu x commentaires de son cru - à moins qu'ils aient déjà figuré sur son modèle: dans le titre, avant Yincipit du prologue, il émet un jugement de
9
Pou r BHL 4039, voir l'édition d e Mabillon citée supra n. 6. BHL 4040: éd. L. SURIUS, De probatis sanctorum historiis , VII, 1581, p. 693-695.
10 DUVOSQUEL, La »vita« (cit. n. 1).
1
1 L'essentiel de la démonstration s'appui e sur le fait que l'auteur fournit de s détails précis sur les circonstances de cette réforme, et qu'il évoque par ailleurs la construction, en 1025, de l'église Saint-André-du Cateau par Gérard Ier - j'y reviendrai.
12
13
DUVOSQUEL , La »vita« (cit. n. 1) p. 53, n. 51.
Archive s départementale s d u Nord (ADN) , 11 H 39 à 11 H 43. Cf. M. BRUCHET, Archive s départe mentales du Nord: répertoire numérique: série H, Lille 1928, p. 228-229.
198
Anne-Marie Helvétiu s
valeur positif su r les qualités littéraires d u texte 14; puis, après le prologue, dans Vincipit d e la vita proprement dite, il signale qu'il en a vu des exemplaires semblables à Hautmont e t à Saint-Ghislain 15. I l a donc d û connaîtr e le s deux manuscrit s ayan t serv i d e
sources à Henschen, mais recopie quant à lui un autre témoin, propre à Maroilles et inconnu du bollandiste 16.
LE C O N T E N U D E S D E U X P R E M I È R E S VITAE D
SAINT HUMBER T
E
Quant à la structure générale du récit, il est évident que les deux Vies sont étroitemen t
liées entre elles. On e n jugera par ce bref résumé du contenu commun aux deux textes:
Humbert es t né sous le règne de Childéric, de parents franc s qu i décident d e
le vouer à Dieu dan s un monastère à Laon; il y reçoit la tonsure e t accède à la
prêtrise. Il est originaire de Macerias 17. Un jour, il décide de visiter les possessions d e se s parents, où i l se rend ave c la bénédiction d e Pévêqu e e t l'accor d
des frères. I l y rencontre le s saints Amand e t Nicaise, en route pour Rome , et
les accompagne . E n chemin , u n our s dévor e un e d e leur s bête s d e somme :
Humbert ordonn e à Tours de porter leurs affaires. L e pape, averti divinemen t
de leu r arrivée , leu r ordonn e d e relâche r Tour s avan t d'entre r dan s Rome .
Après avoir visité les lieux saints, ils rentrent chez eux. Mais Humbert souhait e
repartir à Rome : Aman d refus e d e l'accompagne r e t se s serviteur s accusen t
Humbert d e vanité. Arrivé a u tombea u d e sain t Pierre , un ang e lu i imprim e
un sign e d e croi x lumineu x su r l a tête . I l offr e so n patrimoin e a u pap e qu i
refuse: mieu x vau t rentre r e n Gaul e e t y construire un e églis e dédiée à sainte
Marie et aux apôtres Pierre et Paul, dont il reçoit des reliques. À son retour, il
se rend chez Amand qu i voit son signe de croix miraculeux et lui demande d e
pardonner les insultes de ses serviteurs. À Maricolas18, il commence par fonde r
un monastère de moines puis opte pour une communauté de trente chanoines.
Un jour, pendant qu'il défriche, u n cerf poursuivi par des chasseurs se réfugi e
sous so n manteau ; u n chasseu r lu i donn e l e domain e d e Liniacas 19. Pui s i l
reçoit la visite de sainte Aldegonde, soudain prise d'une soif terrible: Humbert
fait jaillir une source. Sentant venir sa mort, il confie l a communauté à quatre
parents. Il envoie un messager demander un linceu l à Aldegonde mai s celle-ci
14 Vita Sancti Humberti elegantissime scripta^ ADN, 11 H 43, fol. 59r.
15 Incipit vita sanctissimi Humberti confessons Christi patris nostri, plane similes vidi in Gislenopolitano et
Altimontensi coenobiis, ADN, 11 H 43, fol. 60 r.
16 Ce que confirment le s variantes minimes relevées dans les quelques extraits édités par Henschen (cf. an nexe).
17 Mézières-sur-Oise (Aisne) , arr. Saint-Quentin, c . Moy-de-PAisne.
18 Maroilles (Nord), arr. Avesnes-sur-Helpe, c. Landrecies.
19 Linières, hameau de Prisches (Nord), arr. Avesnes-sur-Helpe, c. Landrecies.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
199
devance so n souhait . I l meurt l e 25 mars a u milieu d'un e foul e e t es t enterr é
par ses disciples; des miracles se produisent. Après le décès des quatre parents,
le lie u rest e san s recteu r pendan t longtemps . Sou s Charlemagne , l e prêtr e
Rodin devien t abb é e t procède à la translation d u corp s d'Humbert , 153 ans
après s a mort: l e corps, incorruptible, es t transfér é dan s un e parti e neuv e d e
l'église.
Dans la version inédite, ce contenu es t précédé d'un prologue et suivi d'un épilogu e à
caractère homilétiqu e à propos de s miracles ; ils son t absent s dan s l a version éditée .
Toutes deux sont divisées e n deux parties: la première s e termine à la mort d u saint 20;
la deuxième est consacrée aux événements postérieurs. Cependant, dans la version éditée, cette deuxième partie es t beaucoup plu s longu e ca r aprè s l'épisod e d e la transla tion de s reliques , so n auteu r poursui t l'histoir e d e Maroille s e n si x long s chapitre s
consacrés aux événements des Xe -XI e siècles 21. Les deux textes présentent par ailleur s
chacun un caractère bien homogène, tant par leur structure que par leur style, et il ny
a
aucun e raison de supposer qu'ils puissent résulter d'une rédactio n composite .
Comme je l'ai dit brièvement ailleurs 22, je crois la version court e BH L 4037-4038
(que j'appellerai désormais VH 1 ) antérieur e à BHL 4036 (VH 2 ). Avant d'expose r le s
arguments permettant de démontrer cette antériorité, il convient tout d'abord d e rappeler - en un rapid e survo l - ce que nous apprennen t le s autres source s conservée s à
Propos de l'histoire d e l'abbaye 23.
LE C O N T E X T E H I S T O R I Q U E
Les circonstances d e la fondation d e Maroilles nou s son t connue s pa r un e chart e d e
donation émise par Humbert lui-mêm e le 18 mars 674, dont Jean-Marie Duvosquel a
démontré l a véracité 24. Humber t o u plutô t Chonebertu s s e présent e comm e l'abb é
d'un monasterium o u d'une basilica dédiée à sainte Marie et aux saints Pierre et Paul,
fondée no n par lui mais par un illustre Robert, probablement mair e du palais de Clovis ip5# p a r c e t a c t C ) y do n n e à s a communaut é le domaine de Mézières-sur-Oise, qu'i l
a acheté à sa grand-mère Audeliana .
On retrouv e ensuit e l'abbay e d e Maroilles dan s un e charte d e Pépin l e Bref daté e
du 17 août 750, qui fait éta t d'un confli t opposan t l'abb é Hormungu s d e Maroilles à
20 Elle couvre les § 2 à 13 de la version inédit e (cf . éditio n e n annexe) e t les § 1 à 17 de l a version éditée .
Dans les deux textes, cette partie se conclut par une doxologie .
21 Version inédite: § 14 à 17 (épilogue). Version éditée: § 18 à 24.
22 HELVÉTIUS, Abbayes (cit. n. 2) p. 326-330.
23 On me permettra de ne pas entrer ici dans les détails, puisque ces sources ont déjà été étudiées par J.-M.
Duvosquel e t par moi-même .
24 DUVOSQUEL, L a charte (cit. n. 1), avec édition p. 172-177.
25 Voir aussi HELVÉTIUS, Abbayes (cit. n. 2) p. 106-107. Humbert est qualifié d'abbé de façon explicite dans
une partie seulement des copies, mais il évoque à un autre endroit ipsi monachi vel successores nostri, ce
qui ne laisse guère de doutes sur sa qualité. Quant à Robert, son nom est suivi de l'adverbe quondam: i l
était donc décédé au moment de la donation d'Humbert .
200
Anne-Marie Helvétiu s
Fulrad de Saint-Denis26. On apprend à cette occasion que l'abbaye est restée durant un
certain temps sous l'influence d e la famille du fondateur Robert , liée aux Pippinides 27.
Pour l e IX e siècle , trois charte s conservée s attesten t qu e Maroille s es t une abbay e
royale et qu'une partie de ses possessions ont été concédées en bénéfice, notamment à
un médecin nommé Aussard; on connaît ainsi le nom de deux autres personnages qu i
semblent avoi r été abbés, Rodinus puis Hyroido, avant de voir Charle s le Chauve at tribuer Yabbatia à son fidèle Enguerrand 28 . L e dernier acte, daté de 870, atteste l'existence d'une mens e conventuelle destinée à l'entretien d e trente chanoines; en outre, il
fournit l a première mention sûre d'un cult e rendu à saint Humbert 29 .
Enfin, les X e et XI e siècles nous livrent davantage d'informations à travers une série
de sources tant narratives qu e diplomatiques, parmi lesquelle s un dossie r d e faux qu i
révèlent de lourdes tensions opposant les chanoines à leur évêque diocésain. Sans pouvoir les énumérer toute s ici 30, il suffit d e rappeler qu'entr e le milieu d u X e et le début
du XI e siècle, les évêques de Cambrai entreprirent des démarches pour s'approprier l e
monastère d e Maroilles , suscitan t d e vives réaction s dan s l a communaut é de s cha noines. L'affaire s e termina au plus tard en 1033, date à laquelle Conrad II confirma l a
transformation d e l'abbaye d e Maroilles e n monastèr e régulie r par l e célèbre évêqu e
réformateur Gérar d Ier, après l'expulsion de s chanoines 31.
L'épiscopat d e Gérar d Ier (1012-1051) 32 représent e don c u n momen t cl é pou r l a
chronologie d e nos Vitae; or cett e époqu e vit auss i la rédaction d e deux importante s
sources cambrésiennes . Ver s 1015 tout d'abord , l a Vita sancti Autberti rédigé e à la
26 Voir la récente édition de I. HEIDRICH, Die Urkunden de r Arnulfinger, n°2 1 sur http://www-igh.histsem.uni-bonn.de (1999 ; dernière mise à jour 5 mars 2001).
27 Pour le s détails de ce conflit e t l'identification d e Robert, on verra J. SEMMLER , Episcop i potestas und
karolingische Klosterpolitik, dans: Mönchtum, Episkopa t un d Ade l zu r Gründungszei t de s Kloster s
Reichenau, Sigmaringe n 1974 , p. 305-395, aux p. 345-346 e t n. 280 (Vorträge und Forschunge n 20 ) et
surtout ID., Zu r pippinidisch-karolingische n Sukzessionskris e (714-723) , dans: Deutsches Archi v fü r
Erforschung de s Mittelalters 33 (1977) p. 1-36, aux p. 15-16,22,24 e t 31. Cart e des possessions contestées dans DUVOSQUEL, Le domaine (cit. n. 1). En dernier lieu: HELVÉTIUS, Abbayes (cit. n. 2) p. 115-118.
28 Acte de Lothaire Ier, 7 mai 852, éd. T. SCHIEFFER, MGH, DD. Karol. III, Berlin, Zurich 1966, p. 270-271
(n° 118). Acte de Lothaire II, 29 avril 858, éd. Ibid. p. 394-395 (n° 8). Acte de Charles le Chauve, 4 février 870, éd. G. TESSIER, A. GIRY et al., Recueil des actes de Charles II le Chauve, Paris 1943-1955, t. 2,
p. 238-240 (n° 334). Commentaire e t bibliographie dans HELVÉTIUS , Abbayes (cit . n. 2) p. 172-178.
29 L'acte évoque le monastère d e Maroilles ubi praetiosus Chunibertus confessor Christi corpore quiesciu
C'est à peu près à la même époque que fut rédig é à Maubeuge le faux »testamen t de sainte Aldegonde«,
qui porte lui aussi une allusion à saint Humbert (éd . J. DARIS, Vie de sainte Aldegonde; charte de dota tion d e Pabbaye d e Maubeuge; revenus d e ses terres, dans: Analectes pour servi r à l'histoire ecclésias tique de la Belgique 2 [1865] p. 36-47, aux p. 42-44; cf. HELVÉTIUS , Abbayes [cit . n. 2] p. 161-168).
30 Cf. HELVÉTIUS , Abbayes (cit . n. 2) p. 268-277.
31 Acte de Conrad II, 1033, éd. H. BRESSLAU, M GH D D IV: Conradi II, Hanovre, Leipzig 1909, p. 269-270
(n° 201): Abbatiam quoque sancti Humberti in Maricolis, quam idem episcopus expulsis inde inreligiosis canonicis inpriorem monachorum ordinem reformavit, precipimus dein inlibatam perseveratum iri.
32 Sur Gérard I er de Florennes, voir la bonne synthèse (avec bibliographie) de E. VAN MINGROOT , Gérar d
Ier, dans: D H GE 20,1984, col. 742-751, Sur ses liens avec Richard d e Saint-Vanne, voir aussi H. DAU PHIN, L e bienheureux Richar d d e Saint-Vanne d e Verdun ( f 1046), Louvain, Pari s 1946, p. 184-188 et
192-199. Sur sa famille et son action à Florennes, voir A. DIERKENS, Abbayes et chapitres entre Sambre
et Meuse (VII e -XI e siècles) . Contribution à l'histoire religieus e de s campagnes d u Hau t Moye n Âge ,
Sigmaringen 1985 , p. 260-279 (Beihefte de r Francia 14).
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
201
demande de Gérard par son ami Fulbert de Chartres, qui met en scène toute une série
de saints du diocèse; malheureusement, notre saint Humbert n'y a droit qu'à une mention laconique: l'auteur énumère les personnages présents lors de la dédicace de l'église d e Maubeuge , parm i lesquel s Humberto beatae memoriae episcopo 33. C e titr e
d'évêque attribué à Humbert est plutôt étrange et incite à penser que Fulbert ne connaît
aucune Vita du saint 34. Vers 1024-1025 ensuite, Gérard Ier fit rédige r les Gesta episcoporum Cameracensium 35 don t l'auteur se montre beaucoup plus disert sur Maroilles et
son saint patron: d'abord , i l fournit un e copi e d e la donation d e 674 dans laquell e le
n
° m d u propriétaire laïc, Robert, a été remplacé par celui d'Humbert afi n d'attribuer à
ce dernier tout le mérite de la fondation36; ensuite , après avoir affirmé qu e l'évêque d e
Cambrai possède l'abbaye depui s le début du X e siècle 37, il consacre quelques lignes à
l'histoire de saint Humbert, pour lesquelles il se fonde clairement sur une version de la
Vita - sans fournir d'élément s s e rapportant à l'une plutôt qu'à l'autre 38. En revanche,
bien que son propos vis e partout à mettre Gérar d e n valeur, il ne dit pas un mo t de la
r
éforme d e Maroilles, ce qui porte à penser qu'elle n'a pas encore eu lieu 39.
L'action d e Gérar d à Maroilles es t cependant attesté e par plusieurs autre s source s
qui, toutes , la mettent en relation avec la fondation d e la nouvelle abbaye de Saint-André-du-Cateau 40 , don t l'églis e fu t consacré e e n 1025, car le s deux furen t dirigée s pa r
u
n seul et même abbé, Eilbert, le propre frère de Gérard41. L'acte de Conrad II en 1033,
33 Fulbert d e Chartres , Vita sancti Autberti (BH L 861), éd. J . GHESQUIÈRE , AAS S Belgi i select a III,
Bruxelles 1785, p. 538-564, au § 18 p. 552.
34 Pour ce passage, Fulbert se fonde manifestement su r le faux »testament de sainte Aldegonde« (cit. n. 29)
qui, cependant , n'attribu e à Humbert qu e l e titre d'abbas. VA N DER ESSEN , Étude (cit . n. 4) p. 292, se
trompe e n affirmant qu e la version inédite de la Vie d'Humbert lu i attribue le titre d'episcopus: tout a u
plus y trouve-t-on celu i d'antistes, appliqu é indifféremment au x prêtres e t aux évêques à cette époqu e
(cf.infran.121).
35 Éd. L. BETHMANN, M GH Script . VII, Hanovre 1846, p. 393-489. Voir E. VAN MINGROOT, Kritisch onderzoek omtren t de datering van de Gesta episcoporum Cameracensium , dans : Revue Belge de Philologie et d'Histoire 53 (1975) p. 47-132.
36 Gesta episcoporum Cameracensium, I, 27, éd. cit . n. 35, p. 412-413. Sur c e point, cf . DUVOSQUEL , L a
charte (cit. n. 1), p. 150-151.
37 L'auteur fourni t d'abor d l a première copi e connue d'un act e faux de 920 attribuant l'abbay e à l'évêque
et expliqu e ensuit e qu e l'empereu r Otto n l a lui confirm a d e façon définitiv e e n 948: Gesta, I, 68-72,
p. 425—427. Ces informations son t douteuses .
38 Ibid. , II, 32, p. 462: Sanctus quoque vir Dei Huntbertus, sanctitate conspicuus et non modiceprediatus,
expatria Laudunense decedens, in villa Mareclias locum suae conversationis elegit; ibique de rebus propriis etpraediis monasterium in veneratione sanctae Dei genitricis et sanctorum apostolorum Pétri et Pauli apostolica auctoritate construxit. Illucque fratribus ad deserviendum statutis, ipse etiam Domino serviensy virtutum signis et doctrinae vitaeque meritis satis clarus emicuit, ibique laborem huius vitae
consummans, sepultus inpace quiescit ... Bien que la charte de 674 ait pu lui fournir l a plupart de ces informations, l'allusio n apostolica auctoritate suppos e qu'i l ai t pris connaissanc e d e l'épisode romai n d e
la Vita; en outre, il classe les informations selo n l'ordre adopté par la Vita et non par la charte. Voir dans
le même sens DUVOSQUEL, L a »vita« (cit. n. 1) p. 49.
39 DUVOSQUEL, L a »vita« (cit. n. 1) n'arrive pas tout à fait à la même conclusion, mais lorsqu'il écrivi t cet
article, la datation de s Gesta n'avai t pa s encor e ét é revue par E . VA N MINGROOT , Kritisch onderzoek
(cit. n. 35): on les datait alors des environs de 1044 -soit bie n après la restauration de Maroilles.
^0 Le Cateau (Nord), arr. Cambrai, ch. 1. c.
4
* Voi r la Vita Popponis Stabulensis (BH L 6898), § 7, éd. W. WATTENBACH, M G H Script. XI, Hanovre 1854,
p. 290-316, à la p. 298 (pour Maroilles) ; la Continuatio dit e (improprement ) Andreana des Gesta epi-
202
Anne-Marie Helvétiu s
qui n'évoque qu e secondairement l a réforme d e l'abbaye d e Maroilles, est avant tou t
une confirmation d e la fondation e t de la dotation d e cette nouvelle abbaye de Saint André par Gérard. À partir de cette époque, il ne sera plus jamais question de chanoines
à Maroilles.
LE C O N T E X T E D E R É D A C T I O N D E S D E U X VITAE
Si l'on compare à présent nos deux Vitae à la lueur du contexte historique, il est aisé de
démontrer l'antériorit é d e la VH1 . Son auteur est manifestement u n chanoine, non u n
moine comm e celu i de la VH2 . I l nous l e prouve notammen t dan s l a manière don t i l
raconte la fondation d e Maroilles par Humbert. Comparon s le s deux versions 42:
VH 1 VH
2
Post haec denique, accepta licentia a Cameracensis Contemplatus
itaque aptum sacris aedificiis locum
urbis pontifice, construxit monasteriolum in sui juris
secus alveum Sambrae, quem priores ruricolae Maloco qui vocatur Maricolas, in quo etiam duodecim ricolas
dixere, impetrata a Cameracensis sedis episposuit viros sub habitu monachali. Videns autempo- copo
licentia, Oratorium construxit, in quo juxta rerstea quia monacborum congregatio ibidem juxta traum stipendiariam facultatem viros sub habitu momitem regulae sancti Benedicti non valeret esse, re~ nasticae conversationis constitua, qui per aliquod
licto illo loco, extruxit per amplius et nobilis aliud
temporis spatium ibi deservisse feruntur. Sednostris
coenobium, quo d adhuc incolume superest. Cui lo- quibusdam
incertum, qua incumbente difficultate,
co proposuit et ordinavit clericos utriusque condi- an
loci sterilitate, an circummanentium inquietuditionis atque gradus triginta, qui juxta canonicam ne,
locus ille aliquo tempore absque cultus monastici
sanctionem inibi degentes, Régi superno perpetuum observantia
vacabat. Verum illo relicto haud procul
solverent famulatum tota cordis devotione. extruxit
coenobium, quo d ad nostra usque tempora superfuit, in quo clericos utriusque conditionis et
gradus triginta constitutif.
D'après l a VH1 , Humbert aurai t donc d'abord établ i à Maroilles une communauté d e
12 moines bénédictins, avant de changer d'avis e t d'opter pou r un chapitre de 30 chanoines qui existe encore au moment de la rédaction et existera toujours, selon l'auteur .
Le second, en revanche, est embarrassé, d'une part par le nombre restreint de moines,
qu'il omet purement et simplement, d'autre part et surtout par l'abandon de cette première communauté, qu'il déplore manifestement. Quan t a u chapitre, il a subsisté jusqu'à so n époque , mais c e n'est plu s l e cas au momen t d e la rédaction. Dan s l e paragraphe suivant , le premier biograph e ne tarit pas d'éloges su r le mode de vie des cha noines:
Ab illo ergo tempore, Christi servitus ibidem coepit augendo florere, nomen
sanctae religionis exinde diffundi longe lateque; laudabatur ab omnibus
scoporum Cameracensium, éd . BETHMANN (cit . n. 35), p. 525 (pour Maroilles); le Chronicon Sancti Andreae Castri Cameracensis 1,13, éd. ibid. p. 529 (pour Saint-André) .
42 Tous les passages de la VH2 seront cités d'après l'édition HOLDER-EGGE R (cit . n. 6) quand ils y figurent ,
sinon d'après cell e des AASS (cit. n. 5).
43 V H ^ V H ^ l l .
Réécriture hagiographique et réforme monastique
203
circumcirca manentibus illius congregationis sanctitas, quia generatio rectorum
benedicetur. Nunc quoque, Domino amminiculante ac fidelissimo illius milite
beato Humberto exorante, divinum obsequium nocturnale et diurnum minime
ab est sancto loco nec deerit unquam* A.
Cependant, l e ton apologétiqu e qu'i l utilise suggère que les chanoines son t déj à sou mis à certaines critiques . Portent-elle s su r l'absenc e d'u n rector pour le s diriger? E n
tout cas, l'auteur ne juge pas anormale une telle situation, que les chanoines ont connue
après la mort des quatre parents d'Humbert :
His autem ab bac luce subtractis, ac caelorum, ut credimus, phalangis invectis,
mansit abbatia Maricolensis absque rectore multis annis, praeter ejusdem loci
fratres mirae sanctitatis, quorum aucthoritate religio permansit in loco semper
Deo amabilis* 5.
L'admirable sainteté des chanoines leur permet donc de se passer d'abbé. Tel n'est certes
pas l'avis du second auteur , qui se lance dans une violente diatribe à ce sujet :
Multo denique tempore abbatia tanto rerumfacultatibus est imminuta, quanto
secularis potestatis nutibus mancipata. Nam et hi, qui ecclesiastici cultus officiis
praeesse videbantur, negotiis secularibus tanto liberius inhaerebant, quanto
nullo rectoris fraeno coercebantur. Porro si quid pro sui absolutione viri religiosi ad communem famulantium usum contulerant, hi in usus proprios retorquentesy subditorum indigentiam non adeo curabant: quae autem ad solennem
templi ornatum servabantur, vilis mercaturae impendiis distrahebant (...)
Verum res ecclesiae, quae male ab externis tenebantur, et aut violentis invasionibus aut infaustis, ut diximus, clericorum conventionibus fuerant alienatae,
nondum usque ad tempus Gerardi episcopi dirimipotuerunt^.
Les chanoines son t ici accablés de tous les maux, ce qui permet à l'auteur d'explique r
ensuite les circonstances d e la réforme d e l'évêque Gérard , qu i trouva le lieu dans u n
état lamentable:
... locum(...)reperitdeformiborrenternspecie,semirutaaedificia, omniadissipatay ut hinc hostilem exercitum transisse putares. Tantae igitur desolationis
caussam (sic) percunctatus, cum didicisset maxime ex insolentia clericorum tantam rerum ruinam obortam, et ipse inversos eorum mores, tum privatis tum
publias correptionibus increpitans, nequaquam ab errorepravae consuetudinis
posset revocare; desperata correptione, ejecit illos a loco, substituens pro his ordinem monachorum ...47.
Il est inutile de s'attarder ici sur l'argumentaire développé par l'auteur, qui s'inscrit évidemment dans le cadre de la polémique classique opposant les moines et les chanoines
44 V H 1 ^ .
45 VH l $14.
46 VH 2 §19.
47 Ibid .
204
Ahne-Marie Helvétius
à cette époque 48. La VH 2 fut don c rédigée, comme l e montra Jean-Marie Duvosquel ,
dans le contexte de la réforme, vers 1030-103549. Quant à la VH1 , elle vit le jour dan s
la période o ù Maroilles fut occupé e par des chanoines, soit entre le IX e et le début d u
XI e siècle 50.
C O M P A R A I S O N S T Y L I S T I Q U E DE S D E U X VITAE
Les quelques extraits cités plus haut permettent déj à de constater que leurs styles respectifs sont extrêmement différents . S i le remanieur s'inspire largement de son modèle et reprend parfois littéralemen t certains membres de phrase, il y apporte néanmoin s
systématiquement des modifications d e son cru; par exemple, dans les lamentations des
frères à la mort de leur père spirituel:
VH 1 VH
2
Tu enim er as nostra contra omnes adversitates proTu eras contra insidiantem adversarium tutaprotectectioy tu lorica, tu clipaeus et fortitudo, urbs inex- tio,
tu lorica, tu clypeus etfortitudoi tu murus inœstipugnabilis contra omnes hujus mundi incursus fluc- mabilis
et arcus semper extensus 51.
tivagos existebas.
Les deux hagiographe s fon t asse z largemen t usag e d e l a prose rimée , mais l e secon d
modifie e n général les tournures d e son modèle. Par exemple dans l'épisode d e Tours
obéissant:
VH 1 VH
2
Cui haec dicens imposuit onera, quae tulerat cabal- Vocata
citius accedit, membra componit, onus patilus antea. enter
suscipit 52.
48 Voir par exempl e la synthèse d e C . DEREINE , Chanoines , dans : D H GE 13, 1953, col. 353-405. Sur le
contexte plus général des réformes, il existe une abondante littérature et notamment tous les travaux de
Josef Semmler ; pour u n point d e départ, voir R. KOTTJ E e t H . MAURER (dir.) , Monastische Reforme n
im 9. und 10 . Jahrhundert, Sigmaringen 1989 (Vorträge und Forschungen, 38), à compléter par J. SEMM LER, Le monachisme occidental du VIII e au Xe siècle. Formation et réformation, dans: A.DIERKENS, D .
MISONNE e t J.-M. SANSTERRE (dir.), Le monachisme à Byzance et en Occident du VIII e au Xe siècle. Aspects internes et relations avec la société, Maredsous 1993, p. 68-89 (Revue Bénédictine, 103).
49
DUVOSQUEL, L a »vita « (cit. n . 1) p. 53.
50 Rappelons que les trente chanoines sont formellement attesté s par Pacte de 870 conservé en original (cit.
n. 28) et que, par ailleurs, la Vita: a été rédigée un certain temps après la translation des reliques par Ro dinus, qu'elle rapporte à l'époque d e Charlemagne (§ 16).
51
VH}$12;VH*$17.
52 V H ^ S j V H ^ .
205
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
ou encore, dans ces paroles adressées par Humbert à Amand - ou à Amand e t Nicaise - , où le second auteu r corrig e le premier e n évitant la répétition maladroit e du ter me celeriter:
VH 1 VH
2
Si tubes, patery pergam celeriter; et quodfamulus ve- Nolite y fratres, turbari; ego ipse reddo factum celerister
er agit segniter, adimplere curabo celeriter. ter
quodfamulus vester agit negligenter 53.
Le vocabulaire du premier auteur est assez recherché: comme bien d'autres auteurs du
X e siècle, il apprécie les mots rares, comme summarius (bêt e de somme), sonipes (cheval), lipsana (reliques) oupalpo (aveugle) 54, et les adjectifs composés , comme seminex,
fluctivagus, lucifluus, mellifluus, deificus, etc 55. Le second auteu r repren d certain s d e
ces mots rares, mais évite les adjectifs composés 56.
De manière générale, nos deux hagiographes paraissent donc aussi savants l'un qu e
l'autre. Mais sur le plan de la syntaxe, ils s'opposent radicalement . La langue de la VH1
est en effet asse z particulière et ne manquera pas de frapper le s lecteurs francophones :
la tournure des phrases y est typiquement française, si bien qu'une lecture à voix haute rend le texte globalement compréhensible à un auditeur non latinophone57 . On peu t
donc émettre l'hypothèse que la VH1 s'adressait plutôt à des auditeurs, au contraire de
l'hypertexte VH 2 , qui, rédigé dans un styl e plus littéraire, était destiné à des lecteurs.
Qu'on e n juge:
VH 1 VH
2
her autem Ulis agentibus et Romae appropinquanti- Itaque
piae dispensatioms gratia y sanctis viris Robusy intimavit angélus Dominipapae urbisper visio- mam
appropinquantibuSy summum ejusdem sedis
nem dicens: (...). Angelica igitur visione admonitus, episcopum
Dominus per angelum monuit y dicens:
papa venerandusfecit utfueratjussus y dirigens lega(...). Quid pluraf Auditapontifias baud aspernantum obviam sanctis. Veniens itaque nuntiuspapae ad
da jussione, sancti viri exonérant familiäre subselli58
viros sanctos y qui adhuc cum urso positi erant in iti- um
y... .
nere, dixit Ulis quod eifuerat imperatum cum humiUtate. At Uli obedientes dominipapae jussis y dimiserunt ursum y...
53
VH^SÎVHPJS.
54 Summarius (VH 1 § 5), dérivé de sagmarius, notammen t utilis é par Venance Fortunat e t Isidore, cf. J. F.
NIERMEYER, Media e Latinitatî s lexico n minus , Leiden 1976 , rééd. 2001, p. 930. Sonipes (VH 1 § 5),
notamment che z Virgile, cf. F. GAFFIOT, Dictionnaire latin-français, nouvell e éd. par P . FLOBER T (dir.),
Paris 2000, p. 1478. Lipsana (VH 1 § 13), cf. NIERMEYER , p . 615. Palpo (VH 1 § 17, où l'auteu r l'utilis e
pour les besoins d'une rime), cf. Novum glossarium mediae latinitatis, fasc. P-Panis, Copenhagu e 1985,
col. 158-59 (sens attesté chez Erchanbert l e Grammairien notamment) .
55 Seminex (VH 1 § 5), attesté notamment chez Virgile et Ovide, fluctivagus (VH 1 § 12) chez Stace, lucifluus
(VH 1 § 12) chez Juvencus, mellifluus (VH 1 § 13) chez Boèce et deificus (VH 1 § 13) chez Cyprien: cf. GAF FIOT, passim.
56 Sommarius e t sonipes (VH2 § 5), mais pas lipsana m palpo - mais l'auteur a omis le passage de VH1 su r
le succès du culte d'Humbert à l'époque des chanoines, qui ne sert pas sa cause. Il ne reprend aucun des
adjectifs composé s de la VH1 , mais utilise lucifer (VH 2 § 17) pour lucifluus.
57 Je ne risquerai pas plus de commentaire su r le sujet, qu i dépasse mes compétences. Éléments et bibliographie dans M . BANNIARD , Viva voce. Communicatio n écrit e e t communication oral e d u IVe au IXe
siècle en Occident latin, Paris 1992, p. 519-533; voir aussi le tout récent ouvrage collectif d e M. GOUL -
206
Anne-Marie Helvétiu s
ou encore, dans ce bref passage relatif à la translation du corps d'Humbert :
VH 1 VH
2
... transtulerunt in aliam absidam multo majorem et
... transtulerunt in ecclesiam, quampraedictus abbas
pulchriorem priori, quam praefatus abbas Rodinus ampliatis
aedificiis dilataverat 59.
jusserat edificari.
Et lorsqu e son modèl e adopt e un to n homilétique, l'auteu r d e la VH2 modèr e se s ef fets:
VH 1 VH
2
Intueamur itaque hoc miraculum, et scrutemur dili- In
gentius cui asscribendum est taie signum. specialiter
praesentis exhibitione miraculi, cui illud adscribi
debeat superfluum est quaerere 60.
À la simplicité du premier biographe, le second auteur oppose Fexplication logique et
bien construite; de même, les termes e t tournures tro p »français « son t remplacés pa r
des équivalents plus classiques. Par exemple dans le passage consacré à l'étymologie du
toponyme Macerias , lieu de naissance du saint :
VH 1 VH
Nomen quoque loci in quo hic venerandus lucem
istius vitae sumpsit non parum praeconii confert;
nuncupatur enim Macerias: ad hoc ergo ponitur circa vineas maceria ne possit ingredi bestiola vineae
nocitura; et sanctus Humbertusprotexit vineam, hoc
estplebem sibi commissam, de illa maligna fera quae
rugiens circuit quaerens quem devoret. Domini,
2
Locus autem, quo vir venerandus natalem prodiit in
lucem,
ipso suo nomine quoddam mysticum sonat, si
nascentis
vitam diligentius considères: dicitur enim
Maceries.
Porro vineae maceriis clauduntur, ne insidienturferae
frugibus nociturae. Quod quidem verius
beato Humberto congruere dixerim, qui vineam
id est, Ecclesiam fidelium, ab incursu hostis
muniit, qui ut leo rugiens semperquem devoret quaerit6\
Il insère souvent de s explications à caractère moral, là où l e premier biograph e s'abs tient de commentaire, comme à propos des parents d'Humbert :
VH 1 VH
ut erant christianissimi rebusque mundi ditissimi ut
58
59
60
61
62
2
erant christianissimi, et rebus mundi (quod a pierisque beatitudini datur) ditissimP 2
LET et M. PARISSE (dir.), Les historiens e t le latin médiéval. Colloque tenu à la Sorbonne les 9,10 et 11
septembre 1999, Paris 2001 (Histoire ancienne et médiévale, 63).
VHl%kYR2%7.
1
VH $17;VH2$18.
VH^SjVH^.
VH 1 § 3; VH 2 § 2. Remarquer pa r exempl e possit ingredi / insidientur, protexit. ..de / muniit... ab, etc.
Autre exemple révélateur: campum / agrum e n VH1 § 9, VH 2 § 12.
§2;VH2§1.
207
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
ou, dans le sens du discours réformateur, à propos d'Humber t à Laon:
VH 1
Quadam vero die quum infra monasterium beatus
Humbertus resideret ...
VH 2
... dum quadam die (ut eifamiliaris erat consuetudo) in monasterio resideret ...63
En outre, l'auteur amplifie systématiquement les passages étonnants ou merveilleux de
son modèle , dan s un e recherch e manifest e d'effet s d e style . Ains i dan s l'épisod e d e
Tours, voici les paroles adressées à la bête par Humbert e t les commentaires de nos auteurs ensuite:
VH 1
»Quia tu nostrum, immo istorum justorum, quod
nobis Dens in solatium itineris dederat necasti jumentum, oportet ut quod nobis obsequium hactenus
impendit, volens nolensque expleas et sarcinolas nostras, Domino imperante, quousque veniamus Romam ante nos déferas.« Cui baec dicens imposuit
onera, quae tulerat cabailus antea.
VH 2
»Quia tu nostrum, imo istorum fratrum nostrorum,
quod nobis in solatium itineris dederat necasti jumentum, oportet ut quod illud nobis hue usque impendit obsequium, vicaria solutione suppléas, et sarcinulas nostras toto peregrinationis nostrae itinere
obedienter feras.« Videres horribilem belluam ad
verba hominis mansuescere; et, quae feritate sui ceteris bestioiis imo hominïbus fuerat infesta, jam ceu
familiäre mancipium stat obedire parata. Vocata citius accedit, membra componit, onus patienter suscipit: cum procedentibus ipsa procedit, cum stantibus
ipsa quoque subsista. ..64, etc .
Il en va de même à propos d u cer f réfugié sou s le manteau d u saint : le second auteu r
ajoute alor s un lon g passage littéraire su r la bête terrorisée , les chiens hésitants e t les
chasseurs aux bras soudain paralysés, incapables de lancer leurs javelots 65.
En revanche, il n'hésite pas à abréger certains passages jugés trop lourds , au profi t
d'une concision plus efficace. Ainsi lorsque Humbert subit les calomnies des serviteurs
d'Amand avan t son second voyage à Rome:
VH 1
Ipse autem foelix, vituperationis superflua verba
parvipendens, rediit ad suum monasterium, pacatissimum contra hujus mundi temptationis diabolicae
molimina custodiens animum. Talium namque derogatione gestiebat antiquus hostis retrahere sanctum virum a bona actione. Sed eum Sahatore confortante, nequivit obsistere sancto illius desiderio nec
asperitas viae nec iniquorum cavillationes. Denique
quae erant in itinere oportuna instruens sanctus
Humbertus, rursumque iter horrendum inchoans,
tandem aliquando cum suis intravit Italiam, pervenitque urbem nobilissimam Romam.
63 V H l $ 3 ; V H 2 $ 3 .
64 V H ' S S j V H ^ S .
65 V H ^ V W J t t .
66 V H ^ V H ^ S .
VH 2
At virum patientissimum a proposito non convitia
pravorum, non asperitas viarum absterrerepoterant.
Paratis igitur iis, quae in via erant necessaria, iter
assumpsit et Alpibus superatis et transmissa Italia,
venerandum beau Pétri oratorium subiit^.
208
Anne-Marie Helvétiu s
Il supprime égalemen t le s énumérations d e vertus tro p stéréotypée s d u premie r bio graphe67 et apporte ici ou là des modifications d e détail 68.
Pour mieu x comprendre le s raisons de ces différences, i l est nécessaire d'examine r
de plus prè s le s caractère s propre s à la VH 1 afi n d e cerne r plu s précisémen t le s cir constances de sa rédaction e t les enjeux d e sa réécriture.
L ' O R I G I N A L I T É D E L A P R E M I È R E VITA
Le prologue et l'épilogue
La première caractéristiqu e d e la VH 1 résid e dan s l a présence d'u n prologu e e t d'u n
épilogue, tous deux absents de la VH2 . Le prologue de la VH1 vise classiquement à replacer Humbert dans le cadre de l'histoire de l'humanité en remontant à la Genèse pour
en arriver à l'époque du roi »Hilericus«, c'est-à-dire Childéric II, le roi cité dans la charte de donation d'Humbert. L'auteu r situe sous son règne l'existence de saints célèbres:
Amand, Ursmer e t Humbert. I l ne se fonde san s doute ici sur aucune source particu lière, car ces deux saint s son t simplemen t le s plus vénéré s à son époque 69, étan t res pectivement le s patron s de s deu x abbaye s le s plu s influente s d e l a région : Elnon e
(Saint-Amand-les-Eaux) e t Lobbes. Il annonce qu'il va raconter la vie d'Humbert se lon des sources orales 70 et termine son prologue par une banale captatio benivolentiae
du lecteur 71.
67 Par exempl e dan s VH 1 § 11 : Hic nempe Dei sacerdos in omnibus suis actibus extitit monasteriorum
constructor, captivorum redemptor, viduarum acpupillorum adjutor, hospitum bilans susceptor, discordantium pacificator, infirmorum visitator, etc . Ce passage ne figure pas dans la VH2 .
68 Par exemple quand il qualifie par erreur le père d'Humbert d e saint: là où VH1 porte Genitor hujus sancti Ebrardus, l'auteu r d e VH 2 rectifi e distraitemen t Genitor quidem ejus beatus Evrardus. Plu s loin , il
supprime l'allusion à l'origine troyenn e de s Francs: VH1 § 2, à propos de s parents d'Humbert: magna
de gente Hectorea traxerunt originem claram, qui devient simplement dans VH2 : claram de stirpe Francorum originem duxere. L e même paragraphe se termine par une série de vertus ( Vere namque erat castitatis amator, etc. ) absentes de VH2 . Enfin , VH2 met partout en valeur l'orthodoxie et le sacerdoce: l'auteur insiste sur le fait qu'Humbert à Laon était »reclus« dan s un monastère et qu'il y apprit les liberalibus catholicis disciplinis, i l remplac e angelorum coronam pa r regia et sacerdotali corona, o u encor e
ministeriis ecclesiasticis decoratur pa r ecclesiasticis sanctionibus decenter informatur, etc .
69 Tous deux ont été honorés par plusieurs Vitae depuis le VIII e siècle. Si Amand a en effet conn u le règne
de Childéric II, il n'en va pas de même d'Ursmer, don t l'activité abbatiale se situe plus tard, sous Pépi n
IL Sur Amand, voir surtout E . DE MOREAU, Sain t Amand, apôtre de la Belgique et du Nord d e la France, Louvai n 1927 et ID., Saint Amand, le principal évangélisateur de la Belgique, Bruxelles 1942. Sur Ursmer, voir DIERKENS, Abbaye s (cit. n. 32), p. 95-105.
70 VH 1 § hprout relatu fidelium didicimus. I l pourrait s'agi r d'une formul e tout e faite , mai s dans le cas
contraire, on peut penser que l'auteur n e disposait d'aucun e Vita antérieure .
71 Ubi obnixe poscimus lectorem ne exhorreat veritatem materiae propter vitia } si invenerit, quae grammatici barbarismos et solecismos vocant. C e genre de formule es t classique depuis la Vie de saint Martin
de Tours et il ne faut pas prendre au pied de la lettre l'adresse au »lecteur« qui n'exclut pas que l'œuvr e
ait pu êtr e rédigée pour une lecture publique. Dans l'hagiographie d e la région, on trouve par exempl e
une formule très semblable dans la Vie de sainte Waudru écrite vers 900 que notre auteur a pu connaître :
Precamur etiam prudentem lectorem, nepenitus banc nostram abhorreat dictationem propter vitiorum
foeditatem, quam artigrafi vocant barbarismos ac solecismos. Vita sanctae Waldetrudis prima, Prol .
(BHL 8776), éd. J. DARIS, La vie de sainte Waudru, patronne de la ville de Mons, d'après un manuscri t
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
209
Quant à l'épilogue (§ 17), il fait suit e au récit de la translation des reliques par l'ab bé Rodinus: l'auteur y explique d'abord qu e le corps saint a été replacé dans une nou velle abside de l'église, où il rend la santé à toutes sortes de malades. Son discours prend
ensuite la forme d'un e intéressant e homélie, illustrée de citations bibliques e t d'inter ventions e n style direct, visant à expliquer le processus de s miracles. Ce passage nous
dévoile l'une des raisons de la rédaction du texte: le saint fait l'objet de critiques, sa sainteté est mise en cause parce que le nombre de miracles qui se sont produits par son intercession es t trop limité 72. Pour fair e tair e les médisants, l'hagiographe v a maladroi tement mêle r deux arguments contradictoires : d'abord, contrairemen t à ce que pens e
IzfatuaplebS) l'auteur des miracles est Dieu et non le saint. Par conséquent, la théorie
paulinienne d e la division des grâces démontre qu e s i tel saint fait moin s d e miracle s
que son voisin, il n'en est pas moins saint pour autant. Mais ensuite, s'emportant contr e
ses détracteurs73, l'auteur assur e que beaucoup de miracles se sont produits en cachette et qu'il faut en tenir compte dans le calcul: somme toute, c'est quand même la quantité des miracles, y compris ceu x qui se produisent encor e aujourd'hui, qu i »prouve «
la sainteté74! Le caractère homilétique de ce passage, associé aux remarques émises plus
haut, renforce l'impressio n qu e l'auteu r étai t un prêtre e t que l a Vita étai t destiné e à
être lue à un public de fidèles75, sans doute le jour de la fête du saint 76.
72
73
74
75
76
du Xle siècle, dans: Analectes pour servi r à l'histoire ecclésiastiqu e de la Belgique 4 (1867) p. 218-231,
à la p. 219. Sur ce texte, voir en dernier lieu F. DE VRIENDT , L e dossier hagiographique d e sainte Waudru, abbesse de Mons (IX e -XIII e siècles), dans: Mémoires et publications de la société des sciences, des
arts e t des lettre s d u Hainau t 98 (1996) p. 1-37 et ID., La tradition manuscrit e d e la Vita Waldetrudis
(BHL 8776-8777). Les mécanisme s d e propagatio n d'u n réci t hagiographiqu e régiona l (IX e -XV e
siècles), dans: AnalBoll 117 (1999) p. 319-368.
L'auteur n e raconte en effet qu e quatre miracles dont aucu n ne relève de la thaumaturgie. Voir à ce sujet G. BARONE, Une hagiographie san s miracles. Observations e n marge de quelques vies du Xe siècle,
dans: Les fonctions de s saints dans le monde occidental (IIIe—XIIIe siècle), Rome 1991, p. 435-446 (Collection de l'École Française de Rome, 149). On peut comparer son attitude avec celle d'Hucbald d e SaintAmand: cf . J. M. H. SMITH , The Hagiograph y o f Hucbal d o f Saint-Amand , dans : Studi Medievali 35
(1994) p. 517-542 (p. 523-524).
Sileat ergo lingua peccatomm, rubigine faedata, loqui diutius de tam gloriosissimo sacerdote... ( § 17).
Sur ces aspects théoriques de la justification de s miracles, parmi une très abondante bibliographie, voir
notamment S . BOESC H GAJANO , USO e abuso del miracolo nella cultura altomedioevale, dans: Les fonctions des saints (cit. n. 72\ p . 109-122 et M. VAN UYTFANGHE, Pertinence et statut du miracle dans l'ha giographie mérovingienne (600-750), dans: D. AIGLE (dir.), Miracle et Karâma. Hagiographies médié vales comparées, Turnhout 2000, p. 67-144 (notamment p. 79 sur la continuité des mirabilia che z Jonas
de Bobbio, également invoquée par notre auteur).
Malgré le passage du prologue cit é n. 71, l'auteur fai t allusio n plus loi n à l'audition: Mir acutum siquidem eodem in loco dignum memoria accidit, quod occultandum haud arbitror: est enim visu delectabile et auditu mirabile (§ 9). Sur le public de l'hagiographie, voir le s remarques d e K. HEENE , Merovin gian an d Carolingia n Hagiography . Continuit y o r Chang e i n Publi c an d Aims? , dans: AnalBoll 107
(1989) p. 415-428 et de W. VA N ÉGMOND, The Audience of Early Médiéval Hagiographical Texts: Some
Questions Revisited , dans: M. MOSTER T (dir.), New Approache s t o Médiéval Communication , Turn hout 1999, p. 41-67; par ailleurs, on notera que les hagiographies à vocation homilétique se multiplient
aux Xe -XI e siècles.
Au § 14, l'auteur fait le rapprochement entre le dies natalis d'Humbert e t l'Annonciation. Selon la charte de 674, l'église fondée par Radobert était dédiée à Marie mère de Dieu et l'on peut supposer que le 25
mars était déjà la principale fête célébrée à Maroilles avant la mort d'Humbert ...
210
Anne-Marie Helvétiu s
Cet épilogu e illustr e l a raiso n principal e d e l a rédactio n d e l a VH 1 : l a saintet é
d'Humbert es t mise en cause, il faut don c la démontrer. Pour c e faire, l'auteur a choisi de mettr e e n scène quatre miracle s relativemen t spectaculaire s qu i s e seraient pro duits par les mérites d'Humbert d e son vivant. En outre, ces miracles prennent une valeur incontestable par la qualité des témoins qui y assistent. Dans la VH1 , ils articulent
toute la trame du récit , ce qui n'est pas le cas dans la réécriture qui poursuit manifes tement d'autres buts : ils méritent donc une analyse détaillée.
Les miracles
a. Le miracle de Tours et l'apparition d u signe de croix
Deux points communs relient les deux premiers miracles: ils se produisent dans le cadre
de voyages à Rome et leur principal témoin est saint Amand d'Elnone. Le premier occupe trois paragraphes (4 à 6): alors qu'Humbert s'occupai t de s possessions de ses parents77, il aurait rencontré les saints Amand e t Nicaise, en partance pour Rome. À ma
connaissance, aucune autre source n'associe ces trois personnages, mais il est certain ,
d'une part, qu'Amand étai t allé à Rome78 et, d'autre part, que Nicaise bénéficiait d'u n
culte particulier à l'abbaye d'Elnone 79 : cel a suffit pou r explique r l a mise e n scène d e
notre auteur . En outre, même si Amand, selo n sa Vita, se rendit à Rome ave c un seu l
compagnon80, l e thème d u sain t voyageant ave c deux disciple s était devenu classiqu e
depuis Denys, Rustique et Éleuthère: on le trouve en particulier dans deux Vitae rédigées en Hainaut, celle s de Ghislain e t de Landelin 81. Surtout, l'ensemble d e l'épisode ,
associant l e voyage à Rome e t le miracle d e Tours, s'inspire directemen t d e la Vie de
saint Maximin de Trêves82.
77 Le texte ne précise pas le nom du lieu où se trouve alors Humbert: est-c e dans la région de Laon, où se
trouvaient effectivemen t se s possessions, ou déjà à Maroilles? C'est e n tout cas à Maroilles qu'il se rendra au retour. Cette ambiguïté s'explique par le fait que l'auteur veut éluder le rôle du fondateur laï c de
Maroilles et donc sous-entendre qu e le lieu du monastèr e appartenait auss i à Humbert.
78 Vita Amandi, § 6 (BHL 332), éd. B. KRUSCH , MGH, SRM V, Hanovre, Leipzig 1910, p. 428-449 (p. 434).
Sur cette Vita qui est en réalité la deuxième, voir A. VERHULST et G. DECLERCQ , L'actio n e t le souvenir
de saint Aman d e n Europe centrale . À propos d e la découverte d'un e Vita Amandi antiqua, dans : M.
VAN UYTFANGH E e t R. DEMEULENAER E (dir.), Aevum inter utrumque. Mélanges offerts à Gabriel Sanders, Steenbrugge, La Haye 1991, p. 503-526.
79 Tout c e que Ton sait du marty r Nicaise , évêque de Reims du Ve siècle, provient d e FLODOARD, Historia Ecclesiae Remensis, 1,6-7, éd. M. STRATMANN, M GH Script . XXXVI, Hanovre 1998, p. 72-78, mais
notre auteu r n e connaissait sûremen t pa s ce texte car il situe Nicaise à l'époque d e saint Amand e t e n
fait l'un de ses disciples, vivant avec lui à Elnone, et ignore manifestement s a qualité d'évêque de Reims.
Cependant, un saint Nicaise bénéficiait auss i depuis fort longtemp s d'u n cult e à Tournai, siège du dio cèse dont faisait partie Elnone (cf. E. DE MOREAU, Histoire de l'Église en Belgique, Bruxelles 1945 2,1.1,
p. 286 et II, p. 63,120 et 308). À Elnone même, il était l'un des saints principaux en association avec saint
Amand (cf . H . PLATELLE , Nicasio , dans: BiblSS 9, Rome 1967, col. 853-857); c'est don c d'Elnone qu e
provient la mention de notre auteur .
80 Vita Amandi, § 6, éd. cit. n. 78, p. 434:... Adsumptoque secum uno tantummodo comité ,..
81 Ghislain avec Lambert et Bellère dans Vita Gisleniprima, § 3 (BHL 3552), éd. J. GHESQUIÈRE, AASS Belgii selecta 4, Bruxelles 1787, p. 375-384 (p. 376). Landelin avec Adelin et Domitien dans Vita Landelini
prima, § 5 (BHL 4696), éd. W. LEVISON, MGH, SRM VI, Hanovre, Leipzig 1913, p. 433-444 (p. 441). Sur
ces deux Vies, voir en dernier lieu HELVÉTIUS, Abbayes (cit. n. 2), p. 93-98 et 325-330 (avec bibliographie).
82 Vita Maximini (BH L 5822), § 3, éd. G. HENSCHEN , AAS S Maii VII, Paris, Rome 1866, p. 19-25, à la
p. 21: Maximin part à Rome avec Martin d e Tours; en chemin , un our s dévor e l'âne qu i portait leur s
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
211
Plus que la réalité des faits - dont o n peut légitimement doute r -, c'est l e symbol e
qui compte ici: Amand, qui fut e n correspondance ave c le pape Martin Ier dans l'affai re d u monothélisme , représentai t alor s l e champion d e l'orthodoxi e trinitaire 83. Or ,
notre auteu r insist e à plusieurs reprise s su r le fait qu e so n héro s es t reconnu comm e
saint par Amand lui-même, ce qui semble représenter à ses yeux la meilleure preuve de
son orthodoxie. Manifestement, Aman d apport e une caution à la sainteté d'Humbert .
Au départ , lorsqu'il lu i demande d e l'accompagner à Rome ave c Nicaise, il le met a u
défi d'accepter d e représenter ainsi le symbole de la Trinité84. Si le miracle de l'ours s e
produit en chemin, c'est uniquement afin de prouver aux deux compagnons qu'Hum bert est bien un saint et qu'il est leur égal; jusqu'alors, ils en doutaient mais désormais,
ils le vénèrent car la charité est mère de toutes les vertus85. À Rome même, l'accueil que
leur réserve le pape renforce encore cette preuve de sainteté. Lorsqu'ensuite, Humber t
se heurte au refus d'Amand d e l'accompagner pour un deuxième voyage, les serviteurs
de l'abbé d'Elnon e s e répandent e n médisances contre lui; heureusement, à Rome, un
signe de croix apparaît divinement su r son front - signe qu'il s'empresse d'alle r mon trer à Elnon e pou r mettr e fi n au x critique s e t gagne r l a bénédictio n d'Amand . C e
deuxième miracle (§ 7-8), qui se produisit devant l'autel de saint Pierre, offre ains i à la
sainteté d'Humbert l a caution du premier des apôtres, validée par Amand. On noter a
que ces autorités sont supérieures à celle de l'évêque de Cambrai: ce n'est pas par hasard
qu'aussitôt aprè s dan s l e réci t -e t dan s l e mêm e paragraphe- , Humber t reçoi t d e
l'évêque d e Cambrai l'autorisation d e fonder u n monastère 86.
Ces deux miracles ne sont pas traités de la même manière dans la réécriture: une série de détails font apparaître une grande différence d e propos. Tout d'abord, le premier
a u t e u r m o n t r e u n g r a n d a t t a c h e m e n t à l a vill e d e R o m e , à te l p o i n t q u e l ' o n p e u t p e n ser q u ' i l s' y étai t r e n d u u n jour
87
; l e deuxième , a u contraire , n ' y attach e aucun e im -
bagages. L'anima l obéissan t le s accompagn e ensuit e jusqu' à Rome . L'épisod e es t repri s pa r Lou p d e
Ferneres dans la Vita secunda (BHL 5824), § 7, éd. B. KRUSCH , MGH, SRMIII, Hanovre 1896, p. 71-82,
à la p. 77. Je remercie Monique Goulle t de m'avoir communiqu é cett e information .
83 Particulièrement depuis le milieu du IX e siècle, lorsque l'écolâtre Milon de Saint-Amand avai t réécrit en
vers la Vie d'Amand (BH L 333) et lui avait adjoint un e Suppletio (BH L 339) comportant une copie de la
lettre envoyée à Amand par le pape Martin (éd. B. KRUSCH, cit. n. 78, p. 450-456). À ce sujet, voir aussi
A.DIERKENS, Saint Amand et la fondation de l'abbaye de Nivelles, dans: M. ROUCHE (dir.), Saint Géry et
la christianisation dans le nord de la Gaule, Ve -IX e siècles, Lille 1986, p. 433-444 (Revue du Nord 69).
84 VH 1 , § 4: Forsitan nobiscum auspice Christo tibi esset proficuum. Jucundum etenim erit iter si, terni
ennteSy sanctae trinitatis auxilium nobis affuerit quodcumque perrexerimus. L'auteur complèt e ensuit e
le tableau des trois saints voyageant ensemble par deux citations des Psaumes.
85 VH 1 , § 5: ut et justi socii non haesitarent de sui comparis benignitate, ac laetius pergerent Dei viam co~
mitante omnium virtutum matre cbaritate cum ipsis. 6. Sancti igitur Amandus et Nicasius nimio amore
postmodum coluerunt venerabilem Humbertum, pro certo scientes in eo plenitudinem fore totius sanctitatis. L e passage paulinien sur la charité mère de toutes vertus a dû sembler trop »canonial « pour êtr e
repris dans l'hypertexte .
86 On peut lire ici en filigrane une critique de la papauté: le premier miracle, cautionné par le pape, n'avait
pas suffi à convaincre complètement Aman d de la sainteté d'Humbert; i l fallut cell e de saint Pierre luimême. Finalement, l'ordre donn é à Humbert par l e pape de fonder u n monastèr e e n Hainaut n'es t accepté par l'évêque de Cambrai qu'une fois renforc é pa r l'autorité d'Aman d e t de Pierre.
87 II insiste sur la difficulté d u voyage (§ 4: prolixi et asperi itineris incommoditate e t 7: iter horrendum), n e
tarit pas d'éloges su r la ville éternelle (§ 6: prostraverunt se in sancti Pétri pulcherrimo pavimento; § 7:
... revisere illam auream Romam cum eo (...) urbem nobilissimam Romam\ mai s ne semble pas porter
les Romains dans son cœur (§ 6:jactantiae Vitium apud Romanos vagos ne incurrant).
212
Anne-Marie Helvétiu s
portance88. Ensuite, le premier auteur fait preuve à l'égard d'Amand et de Nicaise d'un e
certaine animosité et d'un espri t de concurrence complètement absent s dans la réécriture 89 . La soumission dont fait preuve Humbert à l'égard d'Aman d - qui est évêque est systématiquement atténué e dans la VH2 où les deux saints sont sur un pied d'éga lité90, ce qui n'est pa s étonnant s i l'on song e que l'abbé d e Maroilles es t à ce momen t
Eilbert de Florennes, lui-même frère d e l'évêque .
En fin d e compte, le deuxième biograph e attache beaucoup plu s d'importance à la
signification moral e d e ce s deu x miracles , su r laquell e i l s'éten d longuement : à so n
époque, ces histoires sont déjà bien connues des fidèles mais leur interprétation fait apparemment l'objet d e discussions auxquelles il souhaite mettre un terme 91. Le premier
biographe, au contraire, ne cherche pas à expliquer le sens profond d e ces miracles: il
se contente de mettre e n scène ces histoires e n les enrobant d'u n context e susceptibl e
d'asseoir solidemen t la sainteté de son héros.
b. L e miracle du cerf
Après avoi r consacré quelque s ligne s à la fondation d e Maroilles, l'auteur d e la VH 1
traite e n un bre f paragraph e (§ 9) l'épisode d u cer f qu i se réfugie sou s le manteau d u
saint lors d'un e chasse . Ce topos classique sert habituellement, dan s l'hagiographie, à
illustrer le droit d'asile e t à justifier l a dotation d u nouveau monastèr e par le chasseur
ébahi92. Dan s l a VH 1 , l e chasseu r n'es t pa s u n roi , mai s u n paren t d u sain t nomm é
Odramnus qui lui donne le domaine de Linières. Il se pourrait bien que l'auteur ait disposé d'une sourc e écrite commémorant cett e donation93 . L'intention d u biographe est
à nouvea u d e prouver l a saintet é d'Humbert , cett e foi s au x yeu x d'u n puissan t laïc ,
comme le révèlent les paroles adressées au saint par celui-ci: Modo apparet luce clarius,
88 II omet les passages en question e t remplace souvent les allusions concrètes au nom de Rome par l'idé e
générale de peregrinatio.
89 La VH 1 comport e notammen t a u § 4 une bell e allusio n a u droit d e gît e qu'Amand e t Nicaise avaien t
l'habitude d'exerce r (ut pro more sibi utatissimo) e t qu'ils réclament a u pauvre Humbert qui , bien qu e
dénué de tout, le leur accorde dans la mesure de ses moyens ... À cela s'ajoutent le s doutes qu'ils émet tent quant à sa sainteté (§ 5-6). Ces passages sont nettement édulcoré s dans la VH 2 .
90 Les allusions aux ordres donnés par Amand et à l'obéissance d'Humbert (VH 1 § 4 et 5) sont partout supprimées dan s l a VH 2 ; même l a bénédiction humblemen t demandé e pa r Humber t à Amand (VH 1 § 8)
devient ic i une bénédictio n mutuell e (§11): c'est a u contrair e Aman d qu i supplie humblement Hum bert de pardonner à ses serviteurs (§ 10).
91 VH 2 § 5-6 (sur l'obéissance de l'ours et sur les dangers de la vaine gloire), § 8 et 10 (sur le lien entre croix
et Eucharistie e t sur le fait qu e ce signe n'est pas visible pour tous) : ces explications sont absente s de la
VH 1 . Plus loin, au § 23, l'auteur raconte qu'une femme de Cambrai mettait en doute le miracle de l'ours,
qu'elle connaissait pour l'avoir entend u raconter .
92 Exemples dans A.-M. HELVÉTIUS , Le saint et la sacralisation d e l'espace e n Gaule du Nor d d'aprè s le s
sources hagiographiques (VII e -XI e siècle), dans: M. KAPLAN (dir.) , Le sacré et son inscription dans l'espace à Byzance e t en Occident. Étude s comparées , Paris 2001, p. 137-161, aux p. 148-149 et 154 (Byzantina Sorbonensia, 18).
93 Un vir illuster nommé Audramnus est attesté en 686, avant de devenir cornespalatii de Clovis III en 693 :
H. EBLING , Prosopographi e der Amtsträge r des Merowingerreiches , vo n Chlotha r II. (613) bis Kar l
Martell (741), Munich 1974, p. 68 (n°LV). L'indice d'un lie n familial es t aussi fourni pa r la ressemblan ce entre l e nom d'Audramnu s e t celu i d'Audeliana port é pa r la tante d'Humber t d'aprè s l a charte d e
donation de 674.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
213
quia summi Régis es alumnus ,.. 94 . Odramnu s es t alors comparé à saint Eustache 95 et
donné e n exemple au x autres laïcs , invités eu x aussi à reconnaître l a sainteté d'Hum bert et à lui faire des donations pour mérite r la rémunération céleste .
Ce miracl e es t relat é d e faço n trè s différent e dan s l a VH 2 : l'auteur consacr e deu x
longs paragraphes (12-13) à s'étendre sur les sentiments éprouvés par le cerf, les chiens,
les chasseurs. Surtout, outre quelques modifications d e détail96, le nom d'Odramnus a
disparu: c'est un chasseur anonyme qui concède ici à Humbert l e domaine de Linières
et le saint s'empress e d e l'attribuer, pa r charte , à l'usage de s frères 97. Tout e allusio n à
Eustache a disparu. O n peu t en déduire que lors de la restauration d u patrimoine en treprise pa r Gérar d Ier a u débu t d u XI e siècle , l e domain e e n questio n fi t l'obje t d e
contestations de la part de laïcs qui, peut-être, se réclamaient de la famille d'Humber t
et d'Odramnus o u simplemen t d'u n droi t à Yabbatia: i l valait mieu x tair e le nom d u
donateur, et a fortiori évite r de le comparer à un saint ! Enfin, l'auteu r s e livre une foi s
de plus à une explicatio n moral e d u miracle : les hommes doué s d e raison s e permet tent de mépriser la vertu d'Humber t alor s que des bêtes la vénèrent; si Humbert sau ve les animaux de la mort, il se peut qu'il puisse sauver les hommes, etc.
c L e miracle de la source
Après avoi r convainc u l'évêqu e Aman d e t le laïc Odramnus d e sa sainteté, Humber t
avait encor e besoi n d e l'approbatio n d'un e saint e femme , Aldegonde , patronn e d e
Maubeuge don t l e cult e étai t trè s réputé 98 . L'auteu r d e l a VH 1 racont e a u § 10
qu'Humbert fi t jailli r à Maroille s un e sourc e miraculeus e pou r étanche r l a soi f d e
cette saint e lor s d'un e visit e qu'ell e lu i avai t rendue . L e résulta t d e c e miracl e fu t
double, car il bénéficia no n seulement à Aldegonde mais aussi à Humbert e t à tous les
habitants d e Maroilles : c'es t pourquo i l a saintet é d'Humber t es t loué e »encor e
aujourd'hui«, di t l'auteur 99. Mai s Aldegond e es t égalemen t louabl e ca r c'es t s a soi f
qui fourni t l'occasio n d e c e miracle : les deu x saint s son t uni s dan s l a vertu 100. Leu r
union ser a confirmée pa r la suite lorsque, peu avan t s a mort, Humber t recevr a le linceul cous u pa r le s main s virginale s d'Aldegond e avan t mêm e d e l'avoi r demandé ,
leurs messagers se rencontrant à mi-chemin: ces deux miracles mettent e n évidence la
94 VtV%9.
95 VH 1 § 9: Comparemus hunefelicem venatorem sancto Eustacio venatori: sanctus enim vero martir Eustaciusper cervum meruit Salvatoris cognitionem, et hic venator per cervum adeptus est ejusdem Sahatoris caelestem remunerationem.
96 La cappa devient un pallium, le s chasseurs sont atteints de paralysie, etc.
97 VH 2 § 13:... Liniacas ... quam Vir Dei> privilegii inscriptione signatam et testamento roboratam, stipendiariam in ususfratrum delegavit.
98 Cf. A.-M . HELVETIUS , Le culte de sainte Aldegonde, dans: C. DURY (dir.), De sainte Aldegonde à sainte Marie. 550 ans de service au jour d'Huy , Hu y 1995, p. 21-39 (avec bibliographie). Le nom d'Hum bert avait déjà été mis en relation avec celui d'Aldegonde à la fin du IX e siècle (cf. supr a n. 29). L'épisode de la visite d'Aldegond e à Humbert sembl e êtr e une inventio n d e notre auteur , car il ne figure pa s
dans les anciennes versions de la Vie d'Aldegonde. Il sera repris vers 1035-1040, d'après la VH2 , dans la
Vita Aldegundis quinta (BH L 247): cf. HELVETIUS , Abbayes (cit. n. 2) p. 340-342.
99 VH 1 § 10: Idcirco hodieque praedicatnr sanctitas sacerdotis ...
100 À ce propos, l'auteur rappell e que c'est le Christ qui »fait« les miracles: il est donc vain de se demander
si c'est tel saint plutôt que tel autre. Ce passage révèle à nouveau un clima t de concurrence .
214
Anne-Marie Helvétiu s
vertu purificatric e d e l a sainte 101. Pour ce s passages, l a réécriture n e modifi e rie n a u
fond mai s fournit à nouveau de s explications supplémentaires 102.
La mort du saint
Avant d e mourir , Humber t confi e d'abor d l e monastère à ses quatre parents . L a ré écriture présente dan s les dialogues quelque s variante s significative s d u context e de s
réformes: Humber t n e s'adress e plu s à ses charissimos clientes mais à sesfilii 103; i l ne
leur promet plus la vie éternelle mais seulement son intercession104; quant à eux, ils s'engagent non pas à »gouverner« le monastère mais à veiller sur lui: l'abbatia t laïc s'est mué
en haute avouerie 105.
Ensuite, Humbert convoqu e a u monastère une foule d e prêtres, de moniales e t de
laïcs pour assiste r à sa mort. L'auteur nou s livre alors la longue plainte des brebis déplorant l a perte de leur pasteur, reproduite presque mo t à mot dan s la seconde Vie 106.
Après le récit de l'enterrement, l'auteu r insiste sur le caractère incorrompu du corps et
précise que des miracles se produisent non seulement à l'endroit o ù repose »tout« so n
corps, mais partout o ù s a mémoire es t vénérée et où des reliques son t conservées 107 une précision somm e toute assez banale 108 - avant de conclure par Pénumération de s
miracles de tout genre qui se produisent à Maroilles109. Le second auteur, en revanche,
expédie en une phrase le lieu de l'enterrement e t sa date, évoquant de façon allusiv e les
»bienfaits divins « qui s'y produisent . Apparemment, il ne souhaitait pas s'étendre su r
le culte dont avai t pu jouir Humbert avan t la restauration monastique .
101 L'épisode de la source est introduit par cette demande d'Aldegonde: Vellem, Pater, lustrare locum istum.
Le choix du term e lustrare est un jeu de mot renvoyan t à la purification d u lie u par la sainte et/ou pa r
la source; sur ce thème, HELVÉTIUS , L e saint (cit. n. 92), p. 147-148. L'épisode du linceu l (VH 1 § 12) se
retrouve notammen t dan s l a Vita Geretrudis prima (BH L 3490), § 7, éd. B. KRUSCH, MGH , SR M II,
Hanovre 1888, p. 453-464 (p. 462).
102 VH 2 § 14; remarquons l'efficacité d e la formule finale : Sitit virgo, justus orat, fons oritur, ut hauriat SH~
perventura posteritas.
103VH1§11;VH2§15.
104 Ibid.: ...et vitam perennem a Domino recipietis /... si me vestri memorem atque propitium apud summum Judicem esse vultis.
105 Ibid.:... ita gubernabimus toto nisu omnia quae nobis tibiplacuit regenda committere /Nos vero ab bis,
quaenobiscurandacommittis, nulla perturbatiopoteritavertere
(...) constanter tuissubserviamus edictis. Su r c e passag e d e l'abbatia t à l'avouerie , voi r pou r l e Hainau t HELVÉTIUS , Abbaye s (cit . n . 2)
p. 298-303.
107 VH 1 § 13: Et non solum illo in loco, quo toto quiescit corpore, istafiunt signa, sed et ubicumque illius colitur memoria ejusque habentur lipsane, talia patrantur miracula ..,
108 On l a trouve par exemple déjà vers 875 sous la plume de Heiric d'Auxerre, Miracula sancti Germant I,
VI, § 69 (BHL 3462), éd. AASS Jul. VII, Paris, Rome 1868, p. 266-294 (p. 280).
109 VH 1 §17:... reposuerunt sanctum corpus omni auro topazioque praetiosius, qui velut vivus medelam sanitatis praestat aegrotantibus, visum restaurât palponibus, surdis reddit audditum auribus, etc .
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
215
La translation des reliques
Après avoir vanté les mérites de la communauté canoniale, l'auteur termine son oeuvre
par trois paragraphes (15 à 17) consacrés à l'abbé Rodinus et à la translation des reliques
d'Humbert. I l situe cette translatio n 153 ans après l a mort d u saint , un nombr e tro p
nettement biblique pour être considéré comme historiquement fondé 110; du reste, nous
ignorons l'anné e d e la mort d'Humbert . E n revanche , i l dispose vraisemblablemen t
d'une sourc e écrite pour situe r l'abbatiat d e Rodinus sou s Charlemagne: un Rodinu s
avait en effet ét é abbé de Maroilles au début du IX e siècle 111. On peut donc considére r
comme vraisemblables l'agrandissemen t d e l'église e t la translation à cette époque.
Aux dires du premier biographe, Rodin obtint facilement l'abbatia t de Maroilles en
allant l e demander, ave c l'accor d de s frères , à Charlemagne. Cett e facilit é déplaî t a u
deuxième auteur: pour lui, Rodi n refusa d'abord par humilité et n'accepta que contraint
et forcé; l'auteur complèt e le récit par une diatribe contre le lucre et la vaine gloire 112.
La VH1 se sert clairement du modèle de Rodin comme illustration de ce que doit êtr e
un bon pasteur, un abbé idéal. Pour le reste, les circonstances de la translation et la découverte du corps intact entouré d'herbes fraîches son t repris fidèlement dan s la VH2 ,
non sans amplifications poétiques .
LES S O U R C E S D E L A V H 1 E T S A P O S T É R I T É
A part les quelques chartes et autres documents relatifs à Maroilles dont il a pu dispo ser, notre auteu r n e s e fonde manifestemen t pa s su r un e Vita antérieur e d'Humber t
mais produit un e œuvr e originale . Outre le s réminiscences d e l'histoire d'Amand , l e
prologue peut-être emprunt é partiellement à la Vie de sainte Waudru e t l'épisode tir é
de la Vie de saint Maximin113, ses principales sources d'inspiration son t apparemmen t
trois autres Vies de saints diffusée s dan s la région: la Vita Bavonis écrit e à Gand ver s
825, la Vita Landelini produite à l'abbaye d e Crespin a u début du X e siècle et surtou t
la Vita Gisleniprima, rédigé e à l'abbaye d e Saint-Ghislain peu après 930 sous l'abba tiat de Gérard de Brogne114. Sans que l'on puisse déceler de nette relation littéraire entre
ces textes, on y retrouve un style et des expressions communes, et surtout une théma tique très similaire.
Le plan général de la Vita Gisleni est très proche de celui de la VH1 ; les thèmes communs sont le voyage à Rome et la vision merveilleuse auprès du tombeau de saint Pier-
110 VH 1 § 16; cf. le s 153 poissons de la pêche miraculeuse, Jn 21,11. Par ce nombre élevé , Pauteur cherch e
seulement à amplifier l e caractère exceptionne l d e la découverte d u corp s incorrompu ; ceci contrairement à ce que j'avais moi-même cru pouvoir calcule r dans HELVÉTIUS , Abbayes (cit. n. 2) p. 115.
111 II est cité comme décédé depuis un certai n temps dans une charte de 852 (cf. supr a n. 28),
lUVH^lSiVH^lS.
113 Cf. supr a n. 71 et 82.
1H Vita Bavonis prima (BH L 1049), éd. B. KRUSCH, MGH, SRMIV, 1902, p. 528-545; voir notamment M .
VAN UYTFANGHE , Bavo, dans: Nationaal Biographisch Woordenboek 10 (1983) col. 18-21 (avec bibl.).
Pour les deux autres, cf. supra n. 81.
216
Anne-Marie Helvétiu s
re115, l a visite à Amand 116, le s deu x disciples 117, Tour s obéissan t a u saint 118, l'anima l
chassé se réfugiant sou s le manteau du saint 119, la visite de ou à Aldegonde120 ainsi que
quelques expressions 121. La Vie de Ghislain se termine à la mort du saint, mais un épilogue consacré à un abbé du temps de Charlemagne et à une translation de reliques lui
fut adjoin t quelque s année s plus tard 122. Il est clair que cette Vie a influencé notr e au teur e t non l e contraire: l'épisode d e l'ours, surtout , ser t à expliquer l'ancie n no m d e
Saint-Ghislain, Ursidongus, alors que le choix de cet animal n'a aucun e portée parti culière dans la VH 1 . Ce t élémen t permet d e resserrer l a fourchette chronologiqu e d e
la datation: la VH1 fut rédigée après 930, terminus post quem de la Vita Gisleni, et avant
1024-1025, date d e rédaction de s Gesta episcoporum Cameracensium; probablemen t
vers 950 compte tenu des tensions qui les opposent à leur évêque 123.
La Vita Landelini a pu inspirer notre auteur d'autant plu s facilement qu e le sort de
l'abbaye d e Crespi n étai t li é à celui d e Maroilles a u milie u d u X e siècle 124. Cette Vi e
contient aussi les voyages à Rome, les deux disciples, le saint qui ôte son manteau pou r
défricher125, mai s surtout l'épisode de la source miraculeuse126 et le discours plaintif des
frères déploran t l a mort de leur pasteur 127, absents de la Vie de Ghislain .
Quant à la Vita Bavonis, notr e auteu r a pu auss i y puiser quelques idées et expressions128, mais surtout l'épisod e d u sign e de croix miraculeux 129 e t le thème d u linceu l
115 Vita Gisleniprima, § 3, éd. cit. n. 81, p. 376.
116 Ibid. Il s'agit ici d'une simpl e visite de courtoisie lors de laquelle ils discutèrent de bis quae Dei sunt.
117 Supra n. 81.
118 Ghislain poursuit une ourse qui s'est emparée de son panier: il la suit jusqu'à sa tannière, où il décide de
s'installer e t ordonne à l'ourse d e quitter l'endroit pou r toujour s (§ 5, éd. cit. n. 81, p. 377). Sur ce thème commun de l'animal obéissant , voir aussi HELVÉTIUS , L e saint (cit. n. 92) p. 146.
119 II s'agit de l'ourse e n question (§ 4, p. 377).
120 Au § 14, p. 382, Aldegonde envoi e un messager à Ghislain lui demandant d e venir la visiter.
121 Par exemple, le saint qualifié d'antistes (§ 3); autres points communs : aurum et topazium / auro topazioque; mellifluam / mellifluis; hortatu benigno / benigno bortatu; l a citation de Mt 25,40, etc.
122 Sur cet additamentum, voi r encore HELVÉTIUS, Abbaye s (cit . n. 2) p. 226-227.
123 Peut-être sou s l'épiscopat d e Fulbert, e n réponse à l'acte fau x dat é d e 920 produit pa r c e dernier ver s
950 (cf. HELVÉTIUS , Abbayes [cit . n. 2] p. 272). Toutes les sources du début du XI e siècle situent en effe t
en 948 l'acquisition d e Maroilles par l'évêque, et la VH1 pourrait êtr e une réaction des chanoines face à
cette nouvelle dépendance qui leur est imposée (voir notamment l'épisode où Humbert offr e so n patrimoine a u pape) . En tou t cas , vu l'importanc e de s modification s apportée s pa r l a réécriture, il sembl e
qu'un certai n temps se soit écoulé entre les deux rédactions.
124 Comme en témoigne un acte faux daté de 920 rédigé dans l'entourage de l'évêque de Cambrai vers 950;
analyse dans HELVÉTIUS , Abbaye s (cit. n. 2) p. 260-263 et 268-271.
125 Vita Landelini, § 6, éd. cit. n. 81, p. 442: le terme, cappa, est le même que dans la VH1 (VH 2 : pallium), c e
qui constitue une nouvelle preuve de l'antériorité d e la VH1 par rapport à la VH 2 .
126 Vita Landelini, § 7, éd. cit. n. 81, p. 443: au début du passage en question, Landelin, omnia drcumquaque
lustrans loca, s'aperçoit qu'i l manque une source - comparer avec le passage cité supra n. 101.
127 Ibid. §8, p. 443.
128 Par exemple le passage sur la tonsure dans Vita Bavonis, § 4, éd. cit. n. 114, p. 537: comam capitis sui absddere depraecatus est (...). Dimisit comam capitis, et invenit coronam gloriae, cf . VH 1 § 2:poposdt sibi
absddi comam, sed promeruit angelorum suscipere coronam. Auss i loricam fidei / tu lorica; les blas phèmes contre le saint (Vita Bavonis § 7; VH 1 § 7); la citation de I P 5, 8 (§ 7; VH 1 § 3); l'éloge de la Trinité (§ 12; VH 1 § 4), etc.
129 Vita Bavonis, § 13, éd. cit., p. 543-544: quadam die super se vexillum sanctae cruds de caelo descendisse
vidit...
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
217
envoyé par une vierge130. Comme on peut donc le constater, ces Vies regroupent à elles
trois la quasi totalité de la thématique présente dans la VH 1 .
Il faut ajouter à ces Vies régionales la légende de saint Eustache, explicitement men tionnée par notre auteur (§ 9) 13i qui s'en inspire toutefois trè s librement: dans cette légende, un cer f crucifèr e apparaî t a u chasseu r Eustache , entraînan t s a conversion 132.
Dans la VH1 , le chasseur Odramnu s es t comparé à Eustache, mais ce n'est pas le cerf
qui est crucifère, c'est Humbert lui-même; et cependant ce n'est pas Odramnus qui voit
le signe de croix d'Humbert, c'es t Amand ...
On n e peut s'empêcher d'établi r ic i un rapprochement entr e Humbert e t saint Hu bert d'Andage , qu i va devenir beaucoup plu s célèbre qu'Humbert, grâc e à la récupération de la légende du cerf crucifère d'Eustache , e t connaîtra le succès comme patro n
des chasseurs et guérisseur de la rage; or, ces caractéristiques d u culte de saint Huber t
ne sont vraiment attestées que vers 1100 et semblent s'être mises en place progressivement vers les Xe -XI e siècles133. Humbert, dont le nom ressemble à celui d'Hubert com me à celui de Cunibert d e Cologne 134, est vénéré dan s une régio n propice à la chasse
dès le X e siècle 135; en outre, la taille pratiquée à Saint-Hubert su r le front de s enragé s
rappelle l e signe d e croi x su r l a tête d'Humbert ; enfin , Humber t ser a auss i invoqu é
contre l a rage 136 ... Même s i leurs jour s d e fête n e semblen t pa s coïncider 137, o n peu t
émettre l'hypothèse d'une concurrence entre les deux saints: si la VH 1 a été rédigée vers
la seconde moiti é d u X e siècle, elle a pu donne r quelque s idée s au x moines d e Saint Hubert.
130 Ibid. § 14, p. 545: d'abord, peu avant sa mort, Bavon envoie un messager chercher Tun de ses amis, prêtre
à Torhout, e t ils reviennent miraculeusemen t vite; ensuite, il apparaît e n vision à Gertrude d e Nivelle s
pour lu i demander des vêtements funéraires. Ce s deux épisodes ont été fondus e n un seu l dans la VH 1 .
131 Rappelons que la réécriture ne contient pas cette mention d'Eustache .
132 Sur le problème de s multiples versions grecque s e t latines d e cette légende, voir H . DELEHAYE , L a légende de saint Eustache, dans: Bulletin de la classe des lettres de l'Académie Royale de Belgique, 1919,
p. 175-210. Cf. auss i I. DANIELE, Eustachio, dans: BiblSS 5,1964, col. 281-289^
133 Voir en dernier lie u A. DIERKENS , Guérison s e t hagiographie a u haut Moye n Âge : le cas de saint Hu bert, dans: C. DEROUX (dir.), Maladie et maladies dans les textes latins antiques et médiévaux, Bruxelles
1998, p. 406-421 (Latomus 242).
134 Cunibert, évêqu e de Cologne, apparaît très tôt dans les litanies sous le nom de Qbunibertus episcopus.
Une confusio n est-ell e à l'origin e d u titr e épiscopa l attribu é à Humber t dan s l a Vita Autbertit Pa r
ailleurs, la légende de Cunibert raconte qu'il reçut miraculeusement, non pas un signe de croix, mais une
colombe sur la tête ... Mais la première vie perdue n'était sans doute pas antérieure au X e siècle. Sur Cunibert, voir surtout M. COENS , Les vies de saint Cunibert d e Cologne e t la tradition manuscrite , dans:
AnalBoll 47 (1929), p. 338-367.
135 Par un acte du 23 avril 995, Otton III concède à l'évêque d e Cambrai leforestum, soi t le droit d e chasse, su r toute la région de Maroilles (éd . T. SICKEL, MGH DD II, 2, Hanovre 1893, p. 576-577, n°164).
Cf. HELVETIUS , Abbayes (cit. n. 2) p. 273-275.
136 Voir à ce sujet M . COENS, L'étole de saint Forannan, abbé de Waulsort, et la rage. Un ca s de concurren ce déloyale?, dans: Études d'histoire e t d'archéologie namuroises dédiées à Ferdinand Courtoy , Namu r
1952, p. 263, et C. A. DUPONT, AU X origines de deux aspects particuliers du culte de saint Hubert: Hu bert guérisseur de la rage et patron des chasseurs, dans: A. DIERKENS et J.-M. DUVOSQUEL (dir.), Le culte de saint Huber t a u pays de Liège, Bruxelles 1990, p. 19-30 (Saint-Hubert e n Ardenne. Art-Histoi re-Folklore, 1).
137 Le dies natalis d'Hubert étai t fêté le 30 mai, l'élévation de 743 le 3 novembre (cf. la fête d'Eustache le 1er
ou l e 2 novembre) e t l a translatio n d e 825 le 30 septembre: cf . DIERKENS , Guérison s (cit . n . 133),
p. 411-414. Humbert: dies natalis l e 25 mars, translation le 6 septembre.
218
Anne-Marie Helvétiu s
Il me reste à évoquer ici une source qui mentionne Humbert e n relation avec saint
Amand: il s'agit de la Vita d e saint Jonat d e Marchiennes, attribuée jusqu'à présent à
Hucbald d e Saint-Amand 138. A u § 4, l'auteur énumèr e le s disciples d'Amand , parm i
lesquels figure en troisième position - après Bavon et Gertrude - beatus Humbertus 139,
ce qui sous-entendrait l'existenc e d'un cult e important rendu à Humbert dè s les environs d e 900. Je pense cependan t qu e l'attributio n à Hucbald es t erroné e e t qu e cett e
oeuvre n'est pa s antérieur e à l'an mil . En effet , parm i le s disciples d'Aman d son t en suite mentionné s André , Florbert, Jean e t Jonat comm e abbés , puis Londoaldus archypresbyter e t le diacre Mauronte. Les quatre premiers, comme le dernier, pouvaient
être connu s à l'époqu e d'Hucbald 140 ; Parchiprêtr e Londoaldus , e n revanche , n'es t
autre que Landoald de Wintershoven dont le culte n'est pas attesté avant la translation
de ses reliques à Gand en 980 et la Vita rédigée à cette occasion par Hériger de Lobbes
- qui le qualifie effectivemen t d'archipresbyter 141. Par ailleurs, la Vita Ionati es t suivie
du réci t d e Ylnventio d e ses reliques attribu é a u mêm e auteur 142, qu i situ e l a décou verte du corps saint sous l'abbatiat d'une Judith143 : ce texte ne peut être d'Hucbald ca r
il es t manifestemen t postérieu r à la réform e monastiqu e d e Marchienne s pe u avan t
1024-1025144. L'auteu r d e l a Vita Ionati a donc conn u l'un e de s deu x Vie s d e sain t
Humbert.
138 Voir en dernier lieu SMITH , The Hagiography (cit . n. 72).
139 Vita sancti Ionati (BH L 4447), éd. partim J. GHESQUIÈRE , AAS S Belgii selecta 5, p. 152-153 et partim
Catalogus codicu m hagiographicoru m latinoru m Bibliotheca e Regia e Bruxellensis II, Bruxelles 1889,
p. 273-275 (où figure le § 4).
140 André fu t abb é d e Barisis puis d e Saint-Aman d (cf . H . PLATELLE , L e tempore l d e l'abbaye d e Saint Amand des origines à 1340, Paris 1962, p. 44), Florbert et Jean furent abbé s de Gand (cf. G . DECLERCQ ,
Traditievorming en tekstmanipulatie in Vlaanderen in de tiende eeuw. Het Liber Traditionum Antiquu s
van de Gentse Sint-Pietersabdij, Bruxelles 1998, p. 149), Jonat passe pour le fondateur d e Marchiennes
(cf. I. PAGANI, Ionas-Ionatus: a proposito délia biografia d i Giona di Bobbio, dans: Studi Medievali 29
[1988] p. 45-85, surtout p . 58-69) et Mauronte es t le fils d e Rictrude abondammen t cit é dans d'autre s
œuvres d'Hucbald (cf . F . DOLBEAU, L e dossier hagiographique d e S. Amé, vénéré à Douai. Nouvelle s
recherches sur Hucbald d e Saint-Amand, dans: AnalBoll 97 [1979] p. 89-110).
141 Hériger de Lobbes, Vita Landoaldi, § 3 (BHL 4700), éd. G. HENSCHEN, AASS Man. III, 1865, p. 35-47
(p. 37); cf. e n dernie r lie u J.-L. KÜPPER, Les voie s d e l a créatio n hagiographique . Lettr e d'envo i pa r
Févêque Notger de Liège de la Vita sancti Landoaldi, dans : O. GUYOTJEANNIN et E. POULLE (dir.), Autour de Gerbert d'Aurillac, le pape de Tan mil. Album de documents commentés, Paris 1996, p. 300-305
(avec bibl.).
142 Inventio corporis sancti Ionati (BH L 4448), éd. J. GHESQUIÈRE , AAS S Belgii selecta 5, p. 153-156.
143 Ibid. § 5, col. 902:... confessus abbatissae Judith quae rectrix erat coenobii... On croyai t cett e Judith
carolingienne, mais, comme Ta judicieusement remarqué K. UGÉ, Politics of Narrative Production: Monastic Historiography in Flanders (Ninth-Eleventh Century) , diss. Boston College 2000, p. 181 et 185,
une abbesse Judith es t mentionnée dan s une charte de Lothaire pour Marchienne s e n 975 (éd. L. H A L PHEN et al, Recueil des actes de Lothaire e t de Louis V, rois de France, Paris 1908, p. 93-94). Je remer cie chaleureusement Karin e Ugé de m'avoir communiqué sa thèse inédite.
144 Cette réforme es t attestée en 1024-1025 par les Gesta episcoporum Cameracensium y II , 26, éd. cit. n. 35,
p. 461: selon l'auteur, ell e fut orchestré e nuper pa r Gérard I er , qui procéda à l'expulsion de s moniales et
à leur remplacement pa r de s moines. Or l'auteu r d e Ylnventio éprouv e l e besoin de préciser à propos
de Judith au § 3: tuncenim locus per sanctimoniales regebatur, c e qui prouve que de son temps, ce n'était
plus le cas.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
219
CONCLUSION
Les deu x Vie s d e sain t Humber t représenten t deu x conception s radicalemen t diffé rentes de la communauté religieuse idéale. La VH1 émane de chanoines, clercs chargés
de l a cura animarum e t revêtu s d'un e auctoritas (§ 14 ) qui leu r confèr e l e statu t d e
»justes« (§ 10) . Ils peuven t don c trè s bie n s e passer d e recteur ; il s respecten t certe s
l'évêque mai s ne se privent pas de lui faire connaîtr e leur conception d u pasteur idéa l
à travers l e modèle d e Rodin (§ 15) . Par ailleurs , le pape - et non l e roi - peut éven tuellement servir de recours contre l'évêque (§ 6-7). Leur coenobium es t ouvert à tous,
y compris au x femmes, au x laïcs (§ 12). Les laïcs sont d'ailleur s bie n considérés: lorsqu'ils son t méritants , il s peuvent accéde r a u royaum e de s cieu x (§ 14 ) car celui-ci s e
gagne par le s oeuvres (§ 10). Les chanoines s e considèrent comm e de s pauvres (§ 13)
refusant le s vains honneurs du siècle (§ 17), mais ils gèrent leurs biens propres et ne résident pas constamment a u monastère (§ 3); ils considèrent l a charité comme la mèr e
des vertus (§ 5) - d'ailleurs, ils s'occupent essentiellemen t d e soigner les malades 145 et
d'enterrer le s défunts selo n leurs rites propres 146 . Dans l'ensemble, o n peut suppose r
que ce mode de vie n'avait pas changé depuis les origines d e leur communauté, à une
époque où ils ne s'appelaient pas encore »chanoines«. Au moment de la réforme de Gérard Ier, leur lutte fut cell e du maintien des traditions face à la nouveauté.
Tous ce s aspects son t a u moin s édulcorés , voire complètemen t supprimé s dan s l a
réécriture des années 1030-1035. Celle-ci émane de moines réformateurs, soucieu x de
recomposer un patrimoine commun suffisant pou r leur permettre de renoncer à la propriété individuelle: aussitôt installés à Maroilles, ils organiseront un voyage en Flandre
avec leurs relique s afi n d e récupére r l'un e d e leur s possession s passé e au x main s d u
comte d e Flandre e t de susciter d e nouvelles donation s (§ 21)147. Avant tout , i l s'agit
d'établir un e barrière infranchissabl e entr e eu x et les laïcs 148, pécheurs pa r définitio n
(§ 13 et 15). Ils préfèrent s e soumettre à leur recteu r qu' à l'évêqu e (§ 19) , portent l e
sacerdoce a u pinacl e (§ 2 ) et s e montren t e n toute s chose s d e parfait s zélateur s d e
l'orthodoxie. Mai s l a réécriture, qu i présente u n caractèr e trè s travaill é afi n d e servi r
au mieux leurs intérêts, s'attache finalement bie n plus à des détails ponctuels qu'à l'aspect global de la construction hagiographique: en ce sens, elle a perdu la spontanéité et
la sincérité de l'hypotexte .
145 Rappelons à cet égard que dès le IX e siècle, ils avaient octroyé un bénéfice à un médecin (actes de 852 et
858 cités supr a n.28) . Au § 17, l'auteur précis e qu e mêm e mort , Humber t soign e encor e le s malade s
»comme s'il étai t vivant«.
146 Voir Pallusio n a u fait d'enterre r le s morts comm e Tobie (§11) mais auss i le rituel funéraire ave c procession à la mort d'Humbert (§ 13).
147 Sur les voyages de reliques, voir notamment N. HERRMANN-MASCARD , Le s reliques des saints. Formation coutumièr e d'u n droit , Paris 1975, p. 228-231 et 296-312, R. KAISER , Quête s itinérante s ave c des
reliques pour finance r l a construction de s église s (XI e -XII e siècles) , dans: Le Moyen Âge , 101 (1995),
p. 205-225 et E. BOZÖKY, Voyages d e reliques e t démonstration d u pouvoi r au x temps féodaux , dans :
Voyages et voyageurs a u Moyen Âge. XXVI e Congrès d e la Société des historiens médiéviste s de l'en seignement supérieur, Paris 1996, p. 267-280.
148 Même au cours du voyage des reliques, une femme malad e éprouve bien des difficultés à les approche r
(S 22).
220
Anne-Marie Helvétiu s
ANNEXE
Édition de la >Vita Humberti prima <
L'édition ici présentée est fondée sur le texte du cartulaire de Maroilles du XVIII e siècle
(A). Comm e G. Henschen en a publié des extraits dans les Acta Sanctorum d'aprè s deux
autres manuscrits perdus, ces extraits (B) sont indiqués entre crochets et leurs variantes
sont notée s dan s l'appara t critique ; certaine s d'entr e elle s résulten t manifestemen t
d'un éta t postérieur de la tradition. Les titres entre parenthèses son t ceux figurant su r
le manuscrit, sans doute de la main du copiste du XVIII e siècle. J'ai moi-même numé roté les paragraphes, en respectant les césures présentes dans le manuscrit, sauf pour le
§ 13 où l a césure d u copiste , introduite a u sein d'un dialogue , résulte manifestemen t
d'une erreu r de distraction .
L'apparat es t délibérément rédui t a u minimum: j'y ai inséré le s citations biblique s
(indiquées en italiques dans le texte) et les quelques corrections présentes dans le manuscrit lui-même (en notes: a. c. = ante correctionem), o u proposées d'après l e sens ou
d'après B.
(Vita
Sancti Humberti elegantissime scripta
Incipit super sanctissimi confessons
Humberti vita praefatio)
1. [Omnium plasmator rerum, Deus cunct a sapienter ordinans , primum in superiori bus angeloru m sib i multitudinem creand o subegit] ; ac postmodum, sicu t libe r gene saeos pandit , creati s i n inferioribu s caelo , terra, mare , e t aer e e t qua e i n ei s decrevi t
fieri, ad ultimum fecit hominem a d imaginem et similitudinem sua m masculumque ac
feminam creavi t eos , quos etia m posuit i n paradiso terreno. Tune ille qui olim dictu s
fuerat Lucifer , ob suam superbia m ejectu s d e superis , omni astutia coepi t armar i i n
illum nostrum parentem , ne valeret a d celi scandere beatitudinem, ex qua ille ceciderat per suam iniquitatem ; quo d itaqu e mai e coepit , a d effectu m - pro h dolo r - perduxit, unde divina dignatio commota, datis hominibus e t serpenti in quo diabolus es t
locutus, propriis sententii s ejecit eo s de paradiso. Haud immemo r aute m creator sua e
imaginis quam expresserat in homine, misit, sicut evangelium dicit 1, cultores in sua m
vineam diversi s modi s variisque temporibus : cultores eni m fuerunt patriarchae , pro phetae, et omnes sanct i qui ante Christ i secundum carne m adventu m dign e e t fideli ter De o servientes , caeteri s ve l verb o praedicationi s au t exempl o bon i operi s prae buerunt via m salutis , s i vellent obsequ i eoru m monitis . Tune deniqu e cernens 2 piu s
creator omn e humanum genu s perlabi in perpetuam dampnationem , misit hui c mundo filium suum factum ex mutiere, factum sub lege Jesum Christum Dominu m Nostrum ut eos, qui sub lege erant e t qu i legem non habuerant , revocare t a d caelestia 3.
1
2
3
Cf. Le 20, 9-16.
cervens A.
Gai 4 y 4-5.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
221
Idem sequidem 4 De i filius, patratis pro quibus venerat datisqu e praeceptis discipuli s
suis, videntibus multi s rediit ad patre m quem non deserui t quu m hu e venit ne c no s
reliquit quum 5 redii t hinc 6. Itaqu e apostolic a tub a diffunditu r per mundum lat e patentem donec a d ejus fines usqu e pervenit: hic igitur divinu s clamor tande m aliquan do penetravit Galliarum sinus, et assidua fidelium Christi praedicatione comitantibu s
signis, a d ver i De i fide m tot a convers a es t Galliaru m gens . [Hileric i aute m glorios i
Francorum régi s tempore floruerunt mult i sanct i vir i sanctitat e insignes , e quibu s
sanctus pontifex enitui t Amandus, egregius antistes Uresmarus a c beatus Humbertu s
mirae sanctitatis vir de cujus acribus , Deo 7 opitulante , prou t relat u fideliu m didici mus, aliqu a pander e cupimu s fratru m charitati . Ub i obnix e poscimu s lectore m n e
exhorreat veritatem materiae propter vitia , si invenerit, quae grammatici barbarismo s
et solecismos vocant].
(Explicit praefatio
Incipit vita sanctissimi Humberti confessons Christi patris nostri, plane similes vidi in
Gislenopolitano et Altimontensi coenobijs)
2. [Sanctus igitu r Domin i confesso r Humbertu s glorios i Francoru m régi s Hileric i
emicuit temporibus, ac velut splendida Stella inter illius evi 8 apparuit christicolas. Genitor hujus sanct i Ebrardus, genitrixque ejus Popita, magna de gente Hectorea traxe nint origine m claram]. Qui siquidem 9, ut erant christianissimi rebusque mundi ditissimi, infantulum suu m sacri baptismatis fecerunt fonte renasci eumque régi aeterno decreverunt mancipari. Ab ipsis itaque annis infantilibus coepi t puer sanctus meditari de
caelestibus, abrenuntiare pompis secularibus, totumque s e ceu agnum divinis exhibe re conspectibus. Cémentes aute m innocentis pueri parentes prolem suam superna toto corde quaerere, mundi gloriam fugere, nihil de instantis vitae actibus ambire, consilio cum suis habito, [duxerunt illum ad urbem Lugdunum ] ibique sanctae tradiderun t
congregationi educandum . I n conspect u suoru m parentu m quide m poposci t sib i capitis abscidi comam, sed promeruit angelorum suscipere coronam. Peractis denique parentes omnibu s pro quibus ierant , alacres redierun t a d sua, infante relict o i n fratru m
consortio, ubi etiam divinis litteris affatim instruitur , sacris moribus adornatur, ministeriis ecclesiasticis decoratur, et ad gradum usque sacerdotalem, summo pontifice epi scopo10 annuente, provectus est. In quo gradu tantae humilitatis exemplo sese exhibuit
cunctis, ut omnes illum ex charitatis affectu diligerent . Dissimilis ergo hic sanctus an tistes Humbertus extiti t cunctis e a tempestate hominibus , quia inera t e i vera charita s
praecordialiter adhaesa, ita ut Deum ex toto diligerit corde ac proximum sicut seipsum.
Non hune prospéra noverant erigere, nec adversa valebant deflectere: vere namque erat
4 sic A.
5 quantum A a. c.
6 huic A a. c
7
Deo5]eoA
8 evi B] qui A.
9 siquidem claram A a. c.
10 Christ o A u.c.
222
Anne-Marie Helvétiu s
castitatis amator, hospitalitatis imitator , mirae obedientiae custos , medicibilis frugali tatis cultor, omniumque virtutum nectare plenus flagrabat hi c sanctus sacerdos Hom bertus.
3. His 11 igitur sacri s acribus pollens vir caelebs apu d urbe m praelibata m Lugdunum ,
multi fratrum ejus exempli animat i viver e beatiu s elegerunt . Ha c itaqu e taliqu e usus
philosophia vir beatus pênes urbano s caelicolasqu e viros , resonuit nome n sanctitati s
ejus passim per Galliarum regiones. Nomen quoque loci in quo hic venerandus lucem
istius vitae sumpsit non parum praeconii confert 12; nuncupatur eni m Macerias: ad hoc
ergo13 ponitur circa vineas maceria ne possit ingredi bestiola vineae nocitura; et sanctus Humbertus protexi t vineam , hoc est plebem sib i commissam, de illa maligna fera
quae rugiens circuit quaerens quem devoretu. [Fertu r etiam justus Humbertus extitis se corpore procerus, vultu decorus , facie venusta , eloqui o suavis , patiens i n adversis,
mansuetus i n prosperis, et omnibus pateba t aequalis . Divites quipp e hun e s e prospiciebant ditiorem , paupere s a c s i patre m vénérante s excolebant] . Quada m ver o di e
quum infr a monasteriu m beatu s Humbertu s resideret , coepit anim o volvere qualite r
providerentur possessiones quae a genitoribus erant relictae. Unde diu multumque deliberans, tande m salubr i repert o consilio , statui t esse dignu m requirer e suoru m pa rentum possessiones .
4. Accepta ergo episcopali benedictione fratrumque benign a permissione, egressus urbem veni t a d quemda m sua e ditioni s locum . Cumqu e stare t i n prat o hu e illucqu e
conspiceret, ades t sanctu s Amandu s episcopu s i n comitatu su o habens quemda m re verendissimum virum nomine Nicasium, iter quod ducit Romam carpentes. Hi itaqu e
sancti viri videntes santum 15 Humbertum , quu m intellexissen t illiu s loci fore dominum, rogaverunt illum humiliter, ut pro more sibi usitatissimo, eorum lassitudinem cibo refocillaret atque potu, quod vir Dei, quo nihil erat dapsilius, implevit quantocius .
Sancto itaque finito convivio 16 et himno dicto atque suo refectori grati a reddita, sanctus infit praesul Amandus Humberto: »O frater dilectissime , utinam nobiscum aggredi cupere s viam , quam nos ob Dei amore m habemu s inchoatam ! Forsita n nobiscu m
auspice Christo tib i esset profieuum. Jucundum etenim erit iter si, terni euntes, sanctae trinitatis auxilium nobis affuerit quocumqu e perrexerimus 17.« His namque auditis,
venerabilis confessor Humbertus, verba jubentis ilico sequutus, dictisque obtemperan s
salubribus, relictis omnibus, sanetos Dei e vestigio alacri gressu est sequutus, cumque18
sub trinitatis forma sua m peterent viam. Post multa Deo digna cantica, haec etiam hilares19 psallebant: »Ecce quam bonum et quam joeundu m habitare fratres in unum 20 «.
11 Nos A a. c,
12 confer t correxi conferi A
13 erg o ergo sicA.
14 1P5,8.
15 sicA.
16 comuni o A a. c.
17 preperimu s A a. c.
18 cumque correxi eumque A
19 hillares A a. c.
20 Ps 132,1.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
223
Erat vere eis cor unum et anima una 11 qui a in fide, sp e et charitate uni vero Deo tot a
mente adhaeserant. Psalmista etiam taies beatificat dicens: »Beau immaculati in via, qui
ambulant in lege Domini11«. Terentes autem iter quod coeperant , accidi t quada m di e
ut fatigati prolix i et asperi itineris incommoditate cuperent , una residentes, alimentis
jejuna corpora recreare quo possent postea alacrius iter coeptum capere cum Dei pietate.
5. Interea sancti s viris epulantibus , oritu r ei s maestitia ingens : nam ecc e subito ursu s
immanissimus e silva prosiliens, unum23 ex eorum summariis24 invasit; quem in terram
prosternens suffocavit. Ho c vero actum est ignorantibus sanctis viris. Cupientibus denique sanctis viris alacriter ut coeperant viam resumere itineris, quum non equus presens adesset qui eorum feren s sarcina s vectitaret, jussit sanctus Amandus un i e famu lis, ut eundem equum adduceret. Qui haud morose perveniens ubi ab urso occisus jacebat, videns cadaver sonipedi s dentibu s corrod i bestiae ferocis, vociferans e t ejulan s
tremensque fugam iniit. Tum beatus vir Humbertus sanctissim o dixi t Amando : »S i
iubes, pater, pergam celeriter ; e t quod famulu s veste r agi t segniter, adimpler e curab o
celeriter«. His ergo dictis, currens perrexit post famulum, e t invenit illum ex caballo ac
si seminecem ursum pariter saturum. Quem divina animatus virtute atque obedienti a
comitante, cum magna tenuit fortitudine, eique dixit humilitatis spiritu, non jactantiae
fastu: »Qui a tu nostrum, immo istorum justorum quo d nobi s Deus in solatium itine ris dederat, necast i jumentum, oportet ut quo d nobi s obsequiu m hactenu s impendit ,
volens nolensque explea s e t sarcinolas nostras , Domino imperante , quousqu e venia mus Romam ante nos déferas.« Cu i haec dicens imposuit onera , quae tulerat caballu s
antea. Intueamur itaque hoc miraculum, et scrutemur diligentius cui asscribendum es t
taie signum . Nimiru m sanctoru m Amand i e t Nicasi i justiti a erat jam saecul o nota ,
Humberti aute m sanctita s erat paucis cognita . Idcirc o autem , u t remur , divin a dementia pe r hujus horribili s belua e mansuetudine m hominibu s pander e volui t sanct i
Humberti equitatem , u t e t justi soci i non haesitaren t d e sui comparis benignitate , a c
laetius pergerent Dei viam comitante omnium virtutum matr e charitate 25 cum ipsis.
6. Sancti igitur Amandus et Nicasius nimio amore postmodum coluerunt venerabile m
Humbertum, pro certo sciente s i n eo plenitudinem for e totiu s sanctitatis . Iter aute m
Ulis agentibus et Romae appropinquantibus, intimavit angélus Domini papae urbis per
visionem dicens : »Venient hue ex Galliarum partibus magn i meriti homines e t mult o
digni honore, quorum in obviam mitte, eisque mandans praecipe, ut anima l quod se cum habent insolito more onustatum han c civitatem non introducant, satisqu e eis sit,
quod tant o itiner e illis ut domesticu s parui t animal , et jactantiae vitium apu d Romanos vagos ne incurrant, redir e ursum sua s ad latebras concédant.« Angelic a igitur visione admonitus, papa venerandus fecit ut fuerat jussus, dirigens legatum obviam sanc-
21 Act 4,32.
22 Ps 118,1.
23 unum correxi u n u s A
24 sumariis A a. c.
25 Cf. 1 Cor 13,13.
224
Anne-Marie Helvétiu s
tis. Veniens itaque nuntius papae ad viros sanctos, qui adhuc cum urso positi erant in
itinere, dixit illis quod ei fuerat imperatu m cum humilitate. At illi obedientes domin i
papae jussis, dimiserunt ursum, qui illis illuc usque, Deo jubente, praebuit familiäre of ficium. Jam jamque praefati omnipotentis Dei amici contingentes sancta loca, prostraverunt se in sancti Pétri pulcherrimo pavimento, ubi, protelato orationum suarum voto e t impetrato pro qu o ierant De i sanctorumqu e solati o e t accepta pontificali bene dictione, cum omni alacritate urbe sunt egressi Roma. Sicque viri beati alacres Deu m
benedicentes, prospero curs u patriam remeantes, reversi sunt domum: sanctus itaqu e
pontifex Amandus cum beato Nicasio Elnone m usque accessit , et sacerdos Humber tus se Maricolis26 invexit.
7. Tempore quoque modico elapso, iterum beatus antistes Humbertus sancto accensus
desiderio, cupiens proficisci Romam , venerandum expetiit Amandum, sciscitans ab eo
si regredi placuisset Italiam simulque revisere illam auream Romam cum eo. Sanctissimo denique Amando id tune denegante, coeperunt famul i ipsiu s sanctum virum sepefatum Humbertu m blasphémante s vituperare , irridere, dicentes no n illu m causa reli gionis, se d jactantia e ta m ardua m itineri s via m seme l cum multo labor e trita m vell e
repedare. Ips e aute m foelix , vituperationi s superflu a verb a parvipendens , redii t a d
suum27 monasterium , pacatissimum 28 contr a huju s mund i temptationi s diabolica e
molimina custodien s animum . Taliu m namqu e derogation e gestieba t antiquu s hosti s
retrahere sanctu m viru m a bona actione . Sed eu m Salvator e confortante , nequivi t
obsistere sancto illius desiderio nec asperitas viae nec iniquorum cavillationes. Denique
quae eran t i n itinere oportuna instruen s sanctu s Humbertus , rursumqu e ite r horren dum inchoans, tandem aliquando cum suis intravit Italiam, pervenitque urbem nobilissimam Romam. Prostratus autem ante principis apostolorum Pétri altare, devotissima
orationi incubuit : e t ecce apparuit e i angélus Domini, atqu e i n vertice illius expressi t
signum cruci s dominicae , e t stati m evanui t ab oculis intuentis . Quodqu e venerabil e
signum poste a a multis es t visum cupientibu s videre , et in eadem provincia, atqu e i n
propria regione. Petiit itaque idem beatus vir urbis papam, ut patrimonia, qua in Galliis
habebat, se tradente in sanctorum Dei opus qui inibi erant congregati reciperet. Quod quod ipse minime consensit, dicens melius fore consilium, quo, acceptis Dei genitrici s
sanctorumque apostoloru m Pétr i e t Pauli pignoribus, redire t a d propria , a c d e sui s
facultatibus ecclesia m Dei construeret, in qua etiam supradictorum pignora sanctoru m
poneret, eisque quod apud Romam disponebat agere, in patria sua, Domino annuente ,
dare non tricaret. Quae omnia, ita domum rediens, implere devotissime studuit .
8. Cumque redisset sanctus Humbertus secundo a Roma, atque illi quo morabatur beatissimus Amandus loco jam vicinus29 esset, apparuit illi angélus Domini oranti dixitque
ei: »Veniet a d te hodie famulu s meu s quem nosti Humbertus : in cujus capiti s vertice
aspice, et videbis signum crucis dominicae, cujus omnino indicio scies evidenter, quia
26
27
28
29
Maricolas A a. c.
suam^l a. c.
pacatissimam A a. c.
vicinus correxi vicîmus A
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
225
adiit Romam e t a Roma regreditur sanu s e t incolumis, et quia episcop i gratia m sanc tique ibi promeruit solariu m Pétri apostoli.« Pervenient e aute m beato antistite Hum berto a d sancti Amandi coenobium, oratione permissa, corruens a d genua ejus, venerabilis saepedictus episcopus rogavit ut indulgentiam suis daret famulis misericordite r
pro blasphemia i n eo collata mendaciter. Quibu s ill e mox, ut erat clemens, clementer
induisit, [e t ut sanctus pontifex Amandu s benediction e episcopal i ipsum muniret hu militer postulavit, et quod fideliter poposcit , amabiliter impetravit. Christi igitur mu nere undiqu e munitus , a c pii patris benediction e animatus , pervenit a d propria ] pro
turbatis procu l omniu m inimicoru m fraudibus . Post haec denique, accept a licenti a a
Cameracensis urbi s pontifice, construxi t monasteriolu m in sui juris loco qui vocatu r
Maricolas, in quo etiam [duodeci m posuit viros su b habit u monachali . Videns aute m
postea quia monachorum congregati o ibide m juxta tramitem regulae sancti Benedict i
non valere t esse, relicto illo 30] loco, extruxit per amplius e t nobilis aliud coenobium,
quod adhu c incolum e superest . Cu i loc o proposui t e t ordinavi t clerico s utriusqu e
conditionis atque gradus triginta, qui juxta canonicam sanctionem inibi degentes, Régi superno perpetuum solveren t famulatum tot a cordis devotione .
9. Ab illo ergo tempore, Christi servitus ibidem coepit augend o florere, nomen sanc tae religioni s exind e diffund i long e lateque ; laudabatur ab omnibus circumcirc a ma nentibus illiu s congregationi s sanctitas , qui a generati o rectoru m benedicetur . Nunc
quoque, Domino amminiculant e a c fidelissimo illiu s milite beato Humberto exoran te, divinum obsequium nocturnale et diurnum minime abest sancto loco nec deerit unquam. Miraculum siquide m eode m in loco dignu m memoria accidit, quo d occultan dum haud arbitror: est enim visu delectabile et auditu mirabile. Quadam ergo die quum
extirparet saepedictus sanctus Humbertus campum illi coenobio contiguum a spinis et
vepribus, ut aptus esset seminum frugibus, auditu r procul quidam venator tubis perstrepentibus adventasse , qu i erat sancti vir i consanguineu s nomine Odramnus, inse quens cervu m cum canibus. Cervu s autem , quu m fuga e praesidiu m penitu s reperir e
quivisset nullum , contigit cappa m sanct i viri Humberti jacere seorsum, ad quam agilis bestia agiliter currens, caput subter eam abdens, totumque corpus occultavit suum ,
cupiens latere sequentem. Dissimulans itaque , vidensque tantum laude dignum mira culum, praedictus venator obstupuit, et hilariter sancto confessori dixit: »Modo apparet luce clarius, quia summi Régis es alumnus, cujus sanctitate agrestis cervus effectu s
est mansuetus. Nunc enim, quoniam Dei es amicus, quicquid volueris libentissime tribuam tibi ex meis facultatibus.« Rogant e autem sancto31, dedit jamfatus Odramnu s illi
quamdam juri s sui villam qua e vocatur Liniacas . Comparemus hun e felice m venato rem sancto Eustacio venatori: sanctus eni m vero martir Eustaciu s per cervum merui t
Salvatoris cognitionem, e t hic venator per cervum adeptus es t ejusdem Salvatori s caelestem remunerationem. Ips e namque mundi Salvator dicturus est justis in die judicii:
»Quamdiu fecistis uni e x minimis meis , mihifecisti$ n«.
30 B porte ensuite la variante suivante: haud procul extruxit coenobium, quod ad nostra usque tempora superfuit, in quo clericos utriusque conditionis et gradus triginta constitua.
31 sancto Odramnus A a. c.
32 Mt 25, 40.
226
Anne-Marie Helvétiu s
10. Quadam identidem die, ad eundem praesulem egregiu m Humbertum profect a es t
venerabilis virg o Aldegundis, spirituali s cib i cupiens ab eo refici alimoniis ; et saluta tione amicali sese simul honorantes, requieverunt parumper in sellis. Surgentes autem
post multa sanctaque colloquia, ait beato hospiti suo Christi virguncula: »Vellem, pater, lustrare locum istum, et scire qualiter aptu s sit religioni justorum«. Cumque per gentes jam dictum hinc inde explorarent locellum , sanctissim a Aldegundi s virgo hu jusmodi intuli t verba : »Sk i ingenti affligor , sanctissim e pastor«. At ill e parumper in quit: »Sustine , e t veniemu s a d fluviu m qui 33 juxt a fluit , e x quo sufficienter poteri s
bibere«. »Nequaquam, ai t illa, tam morose potero expectare, quia nimiam skis gravedinem patior.« Sanctus vero conf essor Humbertus, virginis almae compatiens necessitudini, in eodem statim loco incubuit orationi, supplicans tot o corde superno Régi ut
sufficientem aqua e potum sua e ministraret virgini . Quid beatus ab oratione surgens ,
abimo terrae scaturire limpha valida coepit, ex qua suam sitim sancta mox repressit virgo, et usque hodie praestat aqua e abundantiam circummanent i populo. Unde utriqu e
gratias reddentes communiter omniu m creatori Domino, benedixerunt e i qui tam velociter exaudivit eos, et omnes in se sperantes34 non spernit, sed fovet, nutrit ac protegk. Ast35 virg o siti s sanct a immanitat e caruk , antiste s aute m inclitu s a Domino sib i
suisque posteris aqua e fluenta affati m impetravit . Felix namque huju s extiti t virgini s
illa sitis, per quam superna dementia procuravit populis abundantiam potionis. Idcirco hodieque praedicatur sanctitas sacerdotis, laudatur sanctae virginis illa visitatio, pro
futura generationibu s posteris. In hac namque visitatione fortuitu patrata , duo patuerunt signa: sitim suam virgo sedavk, Christi 36 praeco sibi suisque copiam potus abun danter administravit. Sed quis hoc fecit miraculum nimirum Christus 37 , qui ait suis fidelibus: »Sine me nihil potestis facere 38«, e t alib i inquit: »Quodcumque petieritis Patrem in nomine meo fie t vobis 39«. [Mult a sunt equidem hujus sanctissim i sacerdotis 40
Humberti opera, quae in Domino constant esse patrata, quae nobis quidem ignota, sed
Christo 41 cujus ope ab eo sunt gesta credimus nota, qui cunctis reddet secundum opera sua 42].
11. [Hic nempe Dei sacerdos in omnibus suis acribus extitit43 monasteriorum constructor, captivorum redemptor, viduarum ac pupillorum adjutor, hospitu m hilaris susceptor, discordantium pacificator, infirmoru m visitator , defunctorum juxt a sancti Tobiae
exemplum tumulator 44 , e t quas i alter Jo b oculus erat caeco et pes claudo* 5, meren 33
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quia A a. c.
Cf. Ps 33,23.
Est A u.c.
episcopi A a. c.
episcopus A a. c.
Jnl5,5.
Jn 15,16.
confessons B.
episcopo^ltf. c .
Cf. Apoc 22,12.
efficax extiti t B.
Cf. Tbl, 20;2, 4-8.
Job 29,15.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
227
tiumque consolator. Cognoscens igitur suae resolutionis imminere dies46, beatus antistes Humbertus misi t legatos a d suos quatuor consanguineos ] honorabile s viros , accersiens a d se illos, et hiis verbis affatu s es t dicens: »Gratias refero omnipotent i Deo ,
quod vos superstites relinquo. Vos enim scitis quanta mihi possessio accidit de parentum meoru m parte , quamqu e hu e usque , De o auxiliante , custodiv i absqu e ulliu s
contradictione. Mod o aute m imminer e scien s resolutioni s mea e diem , obsecr o vos ,
charissimos clientes meos, ut hoc monasterium quod construxi, cum omnibus ad illud
pertinentibus, tarn prediis qua m mancipiis, in vestra protection e suscipiatis , et ea de
malignorum persuasion e eripiatis , e t i n present i vit a exind e rerum 47 mundanaru m
emolumentum capietis, et vitam perennem a Domino recipietis«. Responderunt itaqu e
parentes sanct o antistit i dicentes : »Quodcumque nobis , pie pater, praecepisti, anim o
adimplebimus gratati , atque sicut nostra, ita gubernabimus tot o nisu omnia quae no bis tibi placuit regenda committere. Tua etiam tuitioni nos ipsos committimus, et sub
tuarum precum ope solamen aeternum cupimus habere, quia in te credimus supernu m
Regem regnare, qui vivit et régnât Deus per secula.« His namque dicti s et accepta su i
parentis benedictione, alacres redierunt a d sua.
12. Jamjamque appropinquant e sancti agonistae Humberti fine beato, direxit suum legatum almae virgini Aldegundi, humili prece illi mandans, quo vestes exequiarum mitteret sibi , quibus exanimat a legerentu r su i membra corpusculi , qui a sib i diem proxi mum sciebat adesse obitus sui. Cum itaque nuntius ejusdem viri sancti medium iter explicuisset, veni t eide m legat o obvia m sancta e virgini s gerulus , congru a feren s
linteamina ad mortua sancti viri ossa tegenda. Angelica, ut remur, visione admonita virgo quo, egrediente a sancti corpore beatissima anima, non deessent sanctis artubus vestium tegmina , virginei s manibu s contexta . Igitu r i n sanct i confessori s extrem a hora ,
tanta subito occurrit circummanentium48 sacerdotum, sanctimonialium atque laicorum
utriusque conditioni s turba , u t vi x cap i posset per totius monasteri i habitacula . Re pletur itaque omnis coenobii locus lachrimosis vocibus, fit magnus concurrentium tu multus, atque inter diversarum vocu m strepitus , audiebatur hujusmod i clamo r timo ris ac letitiae plenus: »Pater benigne, cur nos 49 deseris? Quare tibi obedientes aufugis ?
Quibus predonibus t e ut patrem charissimum diligentes 50 tradis? Pater amabilis, charos filios olim, cur modo, ceu odiens, luporum morsibus exponis? Invadent enim gregem tuu m dilectum , quem hic adunast i Rég i aeterno militaturum, lup i rapaces , lup i
graves, et dispergentur passi m tu i gregi s oves . Ne, quaesumus , pie pastor, no s relin quas, salva sacris precibus oves tua praedicatione acquisitas. Tu enim eras nostra contra
omnes adversitate s protectio , t u lorica , t u clipaeu s e t fortitudo , urb s inexpugnabili s
contra omne s huju s mund i incursu s fluctivago s existebas . Ne ergo nostra loquacita s
nimia tibi inférât fastidium, tibi no tum est nostrum negotium magis quam nobis: in tua
Providentia relinquimus nos ipsos; sicut consuevisti vivens, ita abiens nostris utilitati-
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50
diem B.
rerum reru m A a. c.
circummanentium correxi circummantiu m A.
non A a. c.
diligentes correxi diligenter A
228
Anne-Marie Helvétiu s
bus per omnia consule. Ecce nunc, pastor optime, properas a d caelorum gaudia 51, defer nobi s ab omnipotentis dementia saltem criminum veniam. Cum itaque velut so l
resplendueris ante Régis aeterni lucifluum thronum , reminiscere , precamur tot o cor de, tuorum pauperu m i n tua semper misericordia sperantium 52«.
13. Igitur inter hujusmodi voce s flebiles a c sacerdotum psallentium laudes, santa53 illa
anima carn e solut a a d aetherea s transvolavi t sedes , ubi fruitu r angeloru m societate ,
apostolorum confessione , martiru m purpure a claritate , confessoru m infularu m pul chritudine, virginum nectare a utitur dulcedine , omniumque parite r caelestiu m virtu tum gloriatur aeternitate. Sanctissimum quoque corpus beati Humberti omni auro argentoque splendidius , discipuli honorabiliter , dignisqu e sancta e Aldegundis vestibu s
obvolventes et aromatibus mellifluis condientes, attulerunt illud in oratorium quod ipse construxerat, cum himnis, turibuli s a c lignis, ibique humaverun t i n magn a gloria ,
ubi, Rege superno annuente, eodemque beato confessore supplicante, praestantur deifica bénéficia. [Caecita s ibi recipit visum, surditas auditum, taciturnitas eloquium, omnis infirmitas sanitatem , et quicquid ibidem cum fide vera petitur, absque ambiguitat e
obtinetur. Et non solu m illo in loco, quo toto quiescit corpore, ista fiunt signa , sed et
ubicumque illiu s colitur memoria ejusque habentu r lipsane 54, talia patrantur miracu la], per illius opem qui vivit et régnât cum Pâtre et Spiritu Sancto Jesu Christi Domin i
Nostri per omnia seculorum secula. Amen.
14. [Cum aetern a lu x nuntiatur pe r archangelum De i genitrici , iste sanctus, deseren s
lachrymarum vallem55, evectus est ad sideream56 lucem, quae in utero virginis assumens
humanam carnem, pe r suam passionem perpetuam mundo contulit salutem . Ut evi dentius agnoscatu r quo d loquimur , no n obii t hic sanctus qui a vivit cum Christo , sed
abiit ad angelorum curiam octavo Kalendas aprilis, quum celebratur in seculo Dei genitricis annuntiatio], Post sanctissimi sacerdotis Humberti ex hac luce discessum, Maricolensis coenobii constructoris, proximi ejus parentes rexerunt eundem sanctum locum cum suis omnibus appenditiis per multa annorum curricula, nec fuit quisquam qui
res praefati loc i invadere voluisset, ne c rex, nec ullus cornes , neque potesta s alia , sed
extiterunt omni a quieta . His aute m ab hac luce subtractis, ac caelorum, u t credimus ,
phalangis invectis, mansit abbati a Maricolensis absqu e rectore multi s annis , praeter57
ejusdem loci fratres mira e sanctitatis , quoru m aucthoritat e religio permansit i n loc o
semper Deo amabilis .
15. Ea vero tempestate accessit ad jam dictum monasterium quida m venerabilis sacer dos nomine Rodinus orandi gratia, cui multum complacuit idem locus, quia erat multum delectabili s boni s hominibus , e t angelici s divinisqu e acribus multipliciter aptus .
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gaudiorom A a. c.
sperantium correxi sperantes A
sic À.
lipsana B.
Ci.Ps83,7.
aetheream B.
propter A a. c.
Réécriture hagiographique e t réforme monastiqu e
229
Cum consensu aute m ib i degentium eorumqu e benign o hortatu , surgen s idem venerabilis abbas Rodinus properavit a d regem magnum Karolum, petens sibi largiri praelibatam abbatiolam regendi, illam restruendique causa, quae jam vetustate erat casura.
Quibus inclitus rex auditis libenter annuit praecibus postulantis, [quia erat génère nobilis, justitia exact a e t studio vere charitatis 58 laudabilis, omnique gravitat e amabilis],
Remeans itaque sacerdos venerabilis a d praefatum monasterium, cum omni alacritate
illum et reverentia susceperun t fratres , laudante s Deu m e t benedicentes, quod ei s talem tantumque dementem pastorem contulisset, qui eos verbo praedicationis largite r
instrueret, e t alimento totius refectionis sufficiente r aleret .
16. Hic ergo sacerdos justus, ab angelo in somnis admonitus, ut sanctum Humbertu m
removeret a tumulo quo fuerat ante multos tumulatos annos, indixit suis jejunium tri duanum, quo taliter purificati, dign i efficerentur tai e negotium et inchoare ac perficere. Tertio siquidem jejuniorum die , antistes Dei accitis presentibus vicinisque confra tribus, multa etiam laicorum plèbe, narravit eis quod ei per angelum fuerat i n visu d e
sancti corporis motione intimatum. Auditis autem fratres suae vocationis causis alacres
aiant illi: »Omne quod tibi praeceptum est , incuntanter adimple , quia dignum est Dei
jussis oboedire«. Tune induentes s e sacerdotalibus indumentis , coeperun t angelicu m
agere praeceptum. Et appropinquantes beato tumulo atque cum magna reverentia discooperto, repererunt sanctissimi sacerdotis ita illaesum et incorruptum corpus, ac si eo
momento animam exalasset, quod ibi ante centum quinquaginta très annos repositu m
fuerat. Odo r etia m immanis infusus es t naribus omnium qui aderant, et flagrantia su per cuncta aromata suavior, herbae quoque, quae ob sancti reverentiam in sepulcro sunt
positae, ex toto virides sunt invente, ad laudem et gloriam majestatis aeternae .
17. Suscipientes autem cum magno tremore illud beatissimi confessons Humbert i im maculatum corpus , transtulerun t in aliam absida m mult o majorem et pulchriore m
priori, quam praefatus abba s Rodinu s jussera t edificari , [i n e a utiqu e reposuerun t
sanctum corpu s omni auro topazioque praetiosius , qui velut vivus medelam sanitati s
praestat aegrotantibus, visum restaurât palponibus59, surdis reddit audditum60 auribus,
odorem tribuit obstrusis naribus, loquelam perditam mutis réparât hominibus, medeturque cuncti s debilitatibus 61]. Nemo itaque, ancipiti corde , aestimet sanctoru m vir tute solummodo ista fieri posse taliaque signa absque concessione divina. Ipse enim Dei
filius suis perfectioribus ai t fidelibus: »Sine me nihilpotestis facere 62«. Cum inquit: »Nihil potestis facer e sin e me« , profecto liquet , qui a omn e quo d faciun t sancti , faciun t
utique voluntate atque virtute Dei. Etenim omnes electi, quamvis esse queant aequales
meritis, non tarnen aequales ostenduntur quotidianis miraculis. Spiritus equidem Sanctus dividit fidelibus singulis prout vult. Cur autem haec paucis libavimus, breviter pandemus. Solet enim fatua plebs inter se quaerere, dicens: »Quare ille sanctus fréquente r
58
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caritatis B.
caecisB.
sic A auditumÄ
infirmitatibus B.
Jn 15,5-ci. supra
§10.
230
Anne-Marie Helvétiu s
non operatur virtutes, cum noster quotidie et incessanter multa fecit signa 63? Certe noster est gloriosior apud Deum, per quem tanta ac talia patrantur prodigia.« Hui c nem pe haesitation i respondi t apostolu s Paulus: »Divisiones gratiarum sunt, idem autem
Spiritus^. Alii quidem per Spiritum datur sermo sapientiae, alii autem sermo scientiaey
secundum eundem Spiritum. Alterifides, in eodem Spiritu. Aliigratia sanitatum, in uno
Spiritu, alii operatio virtutum e5, i n eodem Spiritu«, et caetera hujusmodi d e division e
gratiarum. Mult a siquide m narrantu r d e sanctissimo confessor e Humbert o virtutu m
signa, quae cunctis palam not a sunt; sed plura sunt, quas66 tantum De o test e latenter
operatus est : latentia quidem illius bona vehementer sun t amplectenda, ejus vero ma nifesta signa multipliciter praedicanda a c sine ulla oblivione retinenda. Sileat ergo lingua peccatorum, rubigine faedata, loqui diutius de tarn gloriosissimo sacerdote, cujus
sanctitas veneratu r i n caelest i aeternalite r beatitudine . Multiplicibu s eni m indicii s i n
hac valle lachrymarum pieta s supern a dignit a es t pandere, quantum apu d s e est glo riosius, quum illum facie ad faciem sempe r cernit in sua aeternitate, quum fulget sicu t
sol in regno patris sui . Per signa quoque, quae, annuente aeterno Judice, fiunt ad hu jus sancti tumbam, perpendere valemus quanta in caelis utitur gloria . Terraenus nem pe honor inutilis est et vanus, caelestis utilis et perpetuus. Floccipendamus67 toto mentis nisu istius aevi vanos honores, ut egit Humbertus egregius vates, et erimus regni caelorum haeredes , haeredes quidem Dei, cohaeredes aute m Christi in secula seculoru m
cum pâtre et Spiritu Sancto viventis et regnantis. Amen.
63 quotidie A a. c.
64 1 Cor 12,4.
65 1 Cor 12, 8-10.
66 quae A.
67 floccipemdamus A.
FRANÇOIS DOLBEA U
Prose, rythme e t mètre:
réécritures dan s le dossier de saint Oue n
Saint Oue n (e n latin Audoenus), évêqu e d e Rouen d e 641 à 684, ami et biographe d e
saint Éloi , est assez conn u pou r qu'i l soi t inutile d e le présenter longuement 1. Avan t
d'être ordonné évêqu e en même temps qu'Éloi , il avait exerc é la fonction d e chance lier sous Dagobert Ier et fondé l e monastère d e Rebais 2. Au Moye n Âge , son dies natalis était fêté d'ordinaire l e 24 août, parfois l e 25, et sa translation le 5 ou le 4 mai. Le
culte de saint Oue n s e répandit asse z loin e t durablement ver s le Nord, ver s l'Est et ,
par suite de l'expansion normande , jusqu'en Itali e du Sud 3: dans les dernières année s
du XVe s., la Vita Audoeni mérovingienn e était encore recopiée à Blaubeuren, près de
Stuttgart4.
Le dossier hagiographique d e saint Ouen es t abondant e t complexe. Il est répertorié dans la Bibliotheca Hagiographica Latina e t son Supplementum sou s les numéro s
750-762, avec de nombreuses intercalations alphanumériques. Les pièces de beaucoup
les plus répandues sont les deux premières Vies en prose, la Vita A (BHL 750) remontant à la génération qui suivit la mort du saint (c'est-à-dire au début du VIII e s.) et surtout l a Vita B (BHL 751a ) du commencement d u IX e s. La troisième Vie en prose o u
Vita C (BHL 753), elle aussi composée au IX e s., n'est attestée que dans six manuscrits5,
et les autres textes ont connu une diffusion encor e plus confidentielle. La plupart semblent des productions commanditées de Normandie, voire de la ville même de Rouen,
où le culte du saint évêque était commun à la cathédrale et au monastère bénédictin de
Saint-Ouen: un facteur d'unité , mais parfois auss i de discorde, comme en 1073, quand
des moines de Saint-Ouen perturbèrent gravemen t la commémoration d u saint qui se
1
Les données majeures d e sa vie ont été relatées par Joseph-Claude POULIN , dans: Lexikon des Mittelalters 1,1980, col. 1196-1197, et illustrées par Pierre RICHE, dans: Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, 4, Paris 1988, p. 223-230. La biographie la plus détaillée reste celle d'Elphège VACANDARD , Vie
de saint Ouen, évêque de Rouen (641-684). Étude d'histoire mérovingienne , Paris 1902.
2 Sa carrière a fait l'objet , à notre génération , d e deux interprétations historiques : Paul FOURACRE , Th e
work o f Audoenus o f Rouen and Eligius of Noyon i n extending episcopal influence fro m th e town t o
the country in seventh-century Neustria, dans: The Churc h i n Town an d Countryside , Oxford 1979,
p. 77-91 (Studies in Church History, 16); Geor g SCHEIBELREITER, Audoin von Rouen. Ein Versuch über
den Charakte r de s 7 . Jahrhunderts, dans: La Neustrie. Les Pays au nord d e la Loire de 650 à 850, Sigmaringen 1989,1 , p. 195-216 (Beihefte de r Francia, 16).
3 Une copie de la Vie BHL 753 se lit dans Napoli, BN, XV AA 13, fol. 165-178 v, XII e s., qui appartenai t
jadis à un monastère napolitain: cf. AnalBoll 30 (1911) p. 210.
4 Fulda , Hessische LandesbibL, Aa 96, fol. 187-189v; voir en dernier lieu AnalBoll 112 (1994) p. 385-386.
5 Cf. MGH , SRM 5, p. 551; 7 , p. 847.
232
François Dolbea u
déroulait à la cathédrale6. Un centre secondaire de production fut l e Kent, où l'abbay e
de Chris t Churc h à Cantorbéry prétendai t posséde r l e corps d e Pévêqu e d e Rouen :
Eadmer, le biographe d'Anselme, composa ainsi un double récit d'invention e t de miracles (BHL 758), qui revendique haut et fort l a présence thaumaturgique d u saint 7.
Le dossier d e saint Ouen , don t plusieur s élément s resten t inédits , a fait l'obje t d e
diverses tentatives de classements. Les miracles, analysés par Jean-Claude Richard dans
une thèse excellente de l'École de s Chartes, resteront e n dehors d e mon propos 8 . Les
Vies ont été étudiées successivement par le Chanoine Elphège Vacandard9, Wilhelm Levison10, et en dernier lieu par Felice Lifshitz11. Ces historiens se sont concentrés sur les
pièces les plus anciennes: la Vie mérovingienne A, les deux Vies carolingiennes B et C,
accessoirement u n poème acrostich e d'Ansbert, l e successeur d u sain t su r le siège de
Rouen12. L'exposé d'aujourd'hui traitera , pour l'essentiel, de trois pièces plus tardives,
inédites e n partie o u en totalité: un poème rythmiqu e (BH L 754d) , une Vie métriqu e
(BHL 754), un sermon panégyrique e n prose rimée (BHL 754b) .
Au sujet de s réécritures, le dossier de saint Ouen constitue un excellent observatoi re. E t cela pour deux raisons principales.
La première est que la plupart de s textes en cause ont été rassemblés, dès le Moyen
Âge, dan s u n seu l e t même manuscri t d e 311 feuillets: le Livre Noi r d e Saint-Ouen ,
c'est-à-dire Rouen , Bibliothèqu e municipal e Y 41 (1406). Ce recueil , qui n'est peut être pas entièrement homogène sur le plan codicologique, a été rassemblé de façon ré fléchie e t unitaire ; i l étai t destin é à fourni r au x moine s l'histoir e ecclésiastiqu e d e
Rouen (Acta archiepiscoporum Rotomagensium) e t les dossiers complets des saints majeurs dont l'abbaye possédait des reliques: l'évangélisateur Nigaise, les évêques du lieu
Romain et Ouen, les confesseurs Nicola s et Vulgan, la martyre Agnès et la vierge Scareberge13. L'ensemble relati f à Ouen, e n dépit d e quelques lacune s matérielles , est d e
beaucoup l e plu s copieux : i l couvr e actuellemen t le s feuillet s 83 v -86 v , 91-169 et
6
»Hoc ann o inuaserun t monach i S . Audoeni Ioanne m Rhotomagense m archiepiscopu m missa m cele brantem in festiuitate eiusdem sancti cum armata manu uirorum... «, cité par Felice LIFSHITZ (voir n. 11)
p. 202 n. 66.
7 »Quis post talia miraculorum signa... in ecclesia domini Saluatoris quae in Cantuaria totius Anglie metropoli sit a est , negare audea t corpu s ess e sancti Audoeni?« , éd . André WILMART , dans : AnalBoll 51
(1933) p. 291.
8 Les »miracula« composés en Normandie aux XI e et XII e siècles, dans: École Nationale des Chartes. Positions des thèses 1975, Paris 1975, p. 183-189.
9 VACANDARD (voi r n . 1); ID., Principaux écrit s su r S . Ouen d u VII e a u XVII e siècle, dans: AnalBoll 20
(1901) p. 165-176.
10 Wilhel m LEVISON, Vita Audoini episcopi Rotomagensisy MGH , SR M 5, p. 536-553 (en introductio n à
l'édition critiqu e de BHL 750).
11 Felice LIFSHITZ, The Norman Conques t of Pious Neustria. Historiographie Discourse and Saintly Relies, 684-1090, Toronto 1995 (Studies and Texts, 122).
12
Éd. VACANDAR D (voi r n . 1) p. 360; LEVISON, MGH , SR M 5, p. 542.
13 Pour l a parti e hagiographique , analys e détaillé e d'Alber t PONCELET , dans : AnalBol l 23 (1904 )
p. 220-224. Au sujet de s Gesta des évêques de Rouen, un débat est en cours entre Felice LIFSHITZ, The
Acta archiepiscoporum Rotomagensium: A Monastery or Cathedral Product?, dans: AnalBoll 108 (1990)
p. 337-347; et Louis VIOLETTE, Le problème de l'attribution d'u n text e rouennais du XI e siècle: les Acta archiepiscoporum Rothomagensium, ibid. 11 5 (1997) p. 113-129; mais son enje u (antériorit é o u no n
du Livr e Noir d e Saint-Ouen su r le Livre d'Ivoire d e la Cathédrale) es t extérieur à mon propos.
Prose, rythme et mètre
233
180-25014. Outre les Vies carolingiennes B et C, y figurent le s trois réécritures sur lesquelles est centré mon exposé , deux récits de translation e t deux recueils de miracles:
c'est-à-dire la quasi-totalité du dossier continental, à l'exception notable des textes précarolingiens, Vie A et poème d'Ansbert, que leur archaïsme linguistique avait dû fair e
tenir pour caducs. La datation exacte du manuscrit de Rouen reste un sujet d e discussion. On l'attribuait jadis au début du XII e siècle. Puis Geneviève Nortier a proposé la
fin du XI e s., pour teni r compte au fol. 23 v d'un anathèm e contr e d'éventuel s voleur s
lancé par l'abbé de Saint-Ouen, Nicolas (qui mourut e n 1092) 15. Enfin, Felice Lifshit z
a signalé que le texte copié aux fol. 47-49 (BHL 7319) qualifiait c e même abbé Nico las >d'excellent e mémoire s d'o ù s a propositio n d e date r l e recuei l de s année s
1090-109316. En réalité , l'argumentation d e Nortie r e t Lifshit z es t fragile , ca r Pana thème du fol. 23 v, copi é en module plus petit entre une passion et un hymne en l'hon neur de saint Nigaise, occupe un emplacement inhabituel et pourrait résulte r de la reproduction routinière d'un livret ayant servi de modèle, comme le pensait déjà Omont .
Il est donc sage de retenir 1092 comme terminus post quem et 1110 (année de la mor t
de Guillaum e Bonne-Âme , l e dernie r évêqu e mentionn é dan s le s Acte s de s arche vêques) comme terminus ante quem.
La seconde raison est que le dossier de saint Ouen, à lui seul, permet d'illustrer le s
choix principaux d e style e t presque tou s le s modules d e réécritures. L'ensemble de s
trois Vitae e n prose simpl e AB C fu t enrich i d e composition s e n prose rimé e (BH L
754b), e n ver s rythmique s imitan t le s ancien s octonaire s e t septénaire s trochaïque s
(BHL 754d) , e t e n hexamètre s dactylique s qu i son t le s ver s épique s pa r excellenc e
(BHL 754). Du poin t de vue de la longueur, on est aussi confronté à une remarquabl e
diversité de cas de figures. La Vie B respecte en général le rythme de la Vie A: l'allon gement globa l du texte y découle surtou t d e l'addition sporadiqu e d'épisodes . En revanche, la Vie C, qui connaît les deux textes précédents, correspond à une amplifica tion massive du récit , reposant avan t tout su r une conceptio n boursouflé e d u style e t
secondairement su r l'adjonction d e quatre miracles. Dans le manuscrit d e Rouen, ces
deux pièces sont acéphales, sans doute parce qu'un lecteur indélicat a enlevé les feuillets
qui contenaient les initiales ornées des prologues et des premiers chapitres. Mais cette
lacune légère n'obscurcit pa s vraiment l e rapport entr e les Vies: B occupe les feuillet s
91-109, soit 37 pages; C, les feuillets 124-169v et 180™, soit 94 pages. Les miracles ad ditionnels d e C furen t introduit s dan s certain s manuscrit s d e B (mai s no n celu i d e
14 Les numéros 170-179 ont ét é sautés accidentellemen t pa r le responsable d e la foliotation; le s feuillet s
87-90 v sont occupé s pa r u n Sermo n su r le s relique s conservée s à Saint-Oue n ( = M I G N E P L 162,
col. 1166-1170), dont un e bonne parti e traite auss i de saint Ouen . E n dehors d e ce dernier, le Sermon
fait aussi état de Nigaise, Romain, Vulgan, Agnès et Scareberge. Notons e n passant que son attributio n
à un moine Jean de Saint-Ouen es t fantaisiste e t remonte, en dernière analyse, à une interprétation fau tive du prologue de la Vie en prose de saint Nicolas (pa r le moine Jean, diacre de Naples vers la fin d u
IX e s.).
15 Geneviève NORTIER, Le s bibliothèques médiévales des abbayes bénédictines de Normandie, Caen 1966,
p. 185-186; voir aussi la notice de François AVRIL, dans: Manuscrits normands XI e -XII e siècles, Rouen
1975, p. 46-47; Michael GULLICK, The Scribe of the Carilef Bible, dans: Médiéval Book Production, Los
Altos 1990, p. 61-83 (distinction d e 7 ou 8 mains e t attribution de s initiales à Hugo pictor); VIOLETT E
(voirn. 13) p. 116.
16 LIFSHITZ (voir n. 13) p. 337.
234
François Dolbea u
Rouen) et sont relatés par tous les auteurs ultérieurs. Malgré cela, le poème rythmiqu e
(= R), qui porte e n rubrique l e nom de Compendium (résumé) , remplit seulemen t les
feuillets 223-229, c'est-à-dire 13 pages: son auteur s'est donc livré à une réduction drastique, tout en conservant la plupart des anecdotes. Le sermon en prose rimée (= S) tient
en 20 pages (fol. 109-118V), parce qu'il élimine nombre d'épisodes, notamment la section post mortem. Quant a u poème en hexamètres (= H), il suit pas à pas son hypotexte, la Vie B, dont i l respecte gross o modo la longueur; H couvr e les feuillets 230-250,
soit 41 pages, contre 37 pour B. Mais ces derniers chiffres doiven t être légèrement cor rigés: le nombre de pages de B était primitivement d e 41 et non de 37, car une foliota tion ancienne révèle que deux feuillets on t disparu a u début d u texte 17; d'autre par t le
coefficient d e remplissage par feuillet d'une œuvre en prose est plus élevé que celui d'un
texte copié vers à vers, si bien qu'au total le nombre de mots de H doi t être légèrement
inférieur à celui de B; en raison des nécessités de la rime et de la prosodie, chaque épisode narrati f es t un pe u plu s développ é dan s H , mai s l e poète a nettement rédui t le s
sections parénétiques, d'où l a situation finale d e quasi-équilibre.
Ces calculs restent approximatifs, puisqu'ils n e tiennent pas compte de s variations
d'écriture, mais ils suffisent à dégager les tendances générales des relations entre les remaniements e t leur s modèles : amplificatio n massiv e (C) , réductio n drastiqu e pa r
condensation (R ) ou sélectio n d'épisode s (S) , recherche d e stabilité (H) . Les logiciel s
de traitements d e textes, avec leur fonction d e compter les mots, permettent de s comparaisons plus fines, qui désormais devraient être au départ de toute comparaison entre
hyper- et hypotexte. Si je me suis abstenu d'y recourir, c'est que sur mon ordinateur je
ne possède pas l'enregistrement d e BC, mais seulement celui de RSH.
Ces observation s préliminaire s suggèren t déj à quelque s remarque s d e portée plu s
générale. Les remaniements hagiographiques , au x yeu x d e l a critique moderne , son t
d'ordinaire interprété s e n termes d e remplacement o u d e substitution. U n text e jugé
vieilli ou défectueux pou r l e fond o u l a forme es t écarté en faveur d'un e versio n plu s
moderne. Cette réalité, qui existe assurément, est ici illustrée par l'absence, dans un recueil du début du XII e s., des deux seuls ouvrages précarolingiens. Mais elle ne doit pas
faire oublie r la notion, tout auss i primordiale, de complémentarité. A l'intérieur d'u n
établissement donné, il y avait beaucoup d'occasions de lectures, privées ou publiques,
des gestes du sain t patron. L a collection su r Oue n réuni e à Saint-Ouen d e Rouen es t
très abondante, mais renferme-t-elle de s textes qui étaient obsolètes o u faisaient vrai ment doubl e emploi ? Le s rubriques médiévale s metten t d'abor d e n valeur l a distinction fondamentale entr e les fêtes de déposition (24 août) et de translation (5 mai), puis
laissent entrevoir des fonctions différentes : le s textes narratifs sont appelés tantôt Vita
ou Miracula, tantô t Sermo recitandus o u Lectiones in commemoratione; te l miracl e
(BHL 762) est réservé pour une lecture ad collationem, c'est-à-dir e l e soir avant com piles, La répartition de s lectures ne se laisse plus décoder entièrement , mais supposai t
un nombre élevé de textes hagiographiques, qui n'étaient pas vraiment en situation de
concurrence.
D'autre part , s i tous ce s textes on t p u êtr e regroupé s à Saint-Ouen dan s l e mêm e
manuscrit, c'est probablement qu'ils n'avaient pas été produits de façon aveugle et dans
17 Les folios actuel s 90 et 91 portaient antérieuremen t le s numéros 85 et 88.
Prose, rythme e t mètre
235
l'ignorance le s uns de s autres. Leur collection, selon toute apparence , représente un e
série de commandes effectuée s pa r les abbés de Saint-Ouen auprè s de moines de l'abbaye ou de lettrés extérieurs, chaque génératio n ayan t à cœur d'enrichi r l e dossier d u
saint patron. A la lecture du manuscrit de Rouen, la seule figure de commanditaire qu i
apparaisse clairement es t celle de Pabbé Nicolas, fils d u du c Richard III de Norman die, qu i gouvern a Saint-Oue n entr e 1036/37 et 1092. C'est à lui que furen t dédié s l e
poème en hexamètres (H) et l'un des deux recueils de Miracles (BHL 760 par Fulbert).
Les textes les plus récents, comme on le verra bientôt, présentent un degré croissant de
contamination entr e les sources, ce qui confirme qu'aucun e de s pièces antérieures n e
sortait totalement d e l'usage.
Avant de présenter les réécritures RHS plus en détail, je suis forcé d'évoquer la relation existant entre B et C, qui en sont les modèles. Le Père Charles De Smedt avait cru
jadis que B et C dépendaient indépendamment d'une Vie X perdue, remontant au tout
début de l'époque carolingienne 18. Levison, à qui l'on doit une excellente édition de la
Vie A mérovingienne, s'est prononcé en faveur d'une autre solution19: C serait globalement une paraphrase de B, faisant u n usage sporadique de A et enrichie de quatre miracles d u sain t ( C 47-53), dont troi s étaien t survenus , ante ou post mortem, dans l e
diocèse de Coutances. L'origine de ces miracles reste obscure, le remanieur ayant pu les
connaître par tradition orale ou par l'intermédiaire d'un manuscrit interpolé de B, ana logue à Saint-Omer, Bibl. mun. 715, t. III 20 . En s'appuyant su r des arguments de type
historique, Felice Lifshitz es t revenue à la théorie antérieure d'une Vie perdue, dont B
et C seraien t issue s d e manièr e indépendante ; ell e a de plus avanc é l e nom d'Alcui n
comme auteu r d e cette Vie X qui servirait de prototype au x deux recensions carolin giennes21. Après avoi r rel u le s texte s e n cause , je reviens sciemmen t à la position d e
Levison et je m'abstiens donc de discuter du rôle d'Alcuin dan s la rédaction d'un pro totype que je crois fantôme. L a critique d'attribution suppos e le recours conjoint à la
critique externe et interne: si Felice Lifshitz estim e qu'Alcuin est l'auteur du long prologue de BHL 753, elle doit étayer ses affirmations pa r des comparaisons stylistiques ,
avant d'espérer emporte r l'adhésion d e philologues. Ce qui ressort seulement du prologue en question est que C est issu d'une commande effectuée auprè s d'un lettré extérieur à Saint-Ouen, qui jusque-là ignorait la geste de l'évêque de Rouen. Ce lettré avait
été chargé de rénover une Vie antérieure et d'en éclaircir les obscurités dues à une brièveté excessive. Afin d e ne pas créer un monstre d e type onocentaure, il choisit finale ment de laisser intacte Yantiqua historia e t de réécrire un texte sur nouveaux frais. E n
finale, i l demande à son commanditair e un e sort e à y »imprimatur«, qu i peut-êtr e n e
relève pas uniquement de la topique22 . Bizarrement, il parle toujours d e son modèle au
singulier, alors qu'il devai t disposer à la fois d e A et de B, comme l'a prouvé Levison .
L'auteur de C est capable de rectifier une grossière erreur d'AB dans la présentation de
18 Dans: AnalBoll 5 (1886) p. 67-69, en préface à l'édition critiqu e d e BHL 753, par E . P. SAUVAGE, ibid.
p. 69-146.
19 C f . M G H , S R M 5 , p . 5 5 1 .
20 Signalé par LEVISON , ibid. p. 550.
21 LIFSHITZ (voir n. 11 ) p. 87-94.
22 »Appensionis itaque uestrae comprobationi nostr i labor opusculi committitur , ut s i legentum publici s
debeat conspectibus offerri , sententi a uestra décernât«, dans: AnalBoll 5 (1886) p. 78.
236
François Dolbea u
l'hérésie monothélit e (§ 13) . Son travail es t antérieur à 850, car il fut exploit é dan s la
Vita Leutfredi (BH L 4899), datable d e cett e époque 23. C du t obteni r l'approbatio n
requise d u commanditaire , ca r c'es t l a source majeure , trè s loin devan t A , de l'offic e
propre de saint Ouen que transmettent plusieurs bréviaires et antiphonaires normand s
des XIII e et XIV e siècles24. En revanche, c'est B qui fut retenu, vers la fin du XI e s., pour
être inséré dans le Livre d'Ivoire de la Cathédrale de Rouen 25.
Les textes inédits RHS, dont l e recueil de Saint-Ouen es t l'unique témoin , appar tiennent à une périod e plu s tardive . Il s on t e n commu n d'utilise r B comm e modèl e
principal et de relater les quatre miracles ajoutés pa r C . Tout s e passe donc comme si
se mettait en place une forme vulgate et autorisée de la légende, à laquelle devaient s'attacher le? remanieurs.
Sur le plan littéraire, le texte le plus intéressant es t R, intitulé Compendium uite beau
Audoeni ritmice compositum (Rouen Y 41, fol. 223-229 = BHL 754d) . Il consiste e n
145 strophes de trois vers rythmiques, de type 8p + 7pp. Cela veut dire que chaque vers
est composé de deux parties nettement marquées en finale: la première de huit syllabes
se termine pa r u n mo t paroxyton , l a seconde d e sep t pa r u n mo t proparoxyton . D e
plus, les trois vers d'une mêm e strophe sont d'ordinaire rime s entre eux, au minimu m
assonances (dans 12 cas sur 145) 26. Aucune strophe n'est écartelé e entre deux phrases:
c'est don c le bloc de trois vers qui représente l'unit é sémantiqu e e t syntaxique - plus
rarement un group e de deux strophes. La ponctuation d u manuscrit es t rythmique e t
non grammaticale: chaque vers est délimité par un point et chaque strophe débute par
une majuscule 27. D e place en place, une initiale de plus grand modul e signale les articulations principales du récit .
23 Cf. MGH , SRM 7, p. 3-4. L'argumentation d e Levison mériterait d'être vérifiée de près, car le style du
texte semblerait, de prime abord, correspondre à une époque plus tardive. La datation au IX e s. a été acceptée par Nancy GAUTHIER , Quelque s hypothèses sur la rédaction des vies des saints évêques de Normandie, dans: »Memoriam sanctoru m vénérantes« . Miscellanea i n onor e d i Mons. Victor Saxer , Citt à
del Vaticano 1992 (Studi di antichità cristiana, 48), p. 449-468, spéc. p. 451. En revanche, un travai l récent repousse la rédaction d e C au XI e s., mais sans apporter d e justification: cf . Pierre BOUET , Biblio graphie: Sources relative s au x saints normands , dans : Les Saint s dan s l a Normandie médiévale , Cae n
2000, p. 305-323, spéc. p. 317.
24 Éd. VACANDARD (voi r n. 1) p. 366-373. Dans le cadre de sa thèse, Olivier Diard a préparé une nouvell e
édition de cet office, fondée sur six témoins, édition qu'il a bien voulu me communiquer: il est juste que
je lui manifeste ic i ma gratitude.
25 Rouen, Bibl. mun. Y 27 (1405), p. 92-128: cf. AnalBoll 23 (1904) p. 219.
26 Pour les rimes comme pour l e nombre des syllabes, une seule strophe fait exception , la 83 e , qui reproduit tel quel le verset 5 du Psaume 149, utilisé dans la liturgie du commun des martyrs ou de la dédicace d'une église : »Cum orando uir beatus herens caeli ducibus / inchoaret: Exultabunt sancti in gloria, I
responsum est: Letabuntur in cubilibus suis«. Le même verset est reproduit dans la Vie métriqu e de saint
Ouen, v. 865-868 (BHL 754 = H), où il fait également une entorse à la structure régulière des hexamètres:
»Hune memoran s uersum , sanctoru m laudibu s aptum , / Exultabunt sancti in gloria, I uox sib i diuin a
respondit laude sonora, / Letabuntur in cubilibus suis«.
27 Une strophe correspond e n moyenne à un peu plus de deux lignes dans le manuscrit rouennais. Le copiste a cherché à remplir sa page au maximum, d'abord (au fol. 223) en commençant une strophe en cours
de ligne, puis (dès le bas du fol. 223) en revenant à la ligne en début d e strophe e t en remplissant systé matiquement les espaces restés vides par les derniers mots des strophes suivantes, d'où u n système trè s
complexe de signes de renvois, fondés su r des lettres grecques .
Prose, rythme et mètre
237
Ce dernier procédé concerne directement notre propos, car il dérive de la capitulation d e B . Pour étudie r correctemen t la technique d'u n remanieur , i l convient d'en quêter au préalable sur les divisions médiévales de son modèle principal, qui ne coïn cident pas toujours ave c les paragraphes de s éditions modernes. Les grandes initiale s
de R, si l'on s e fie aux alinéas de B dans l'édition des Acta Sanctorum, son t peu intelligibles; en revanche, elles prennent tout leur sens, si on les compare aux divisions de B
marquées dans la copie de Rouen. La concordance entre les deux systèmes se fait de la
manière suivante 28:
RI
R3
R6
R8
Rll
R15
—
R18
R25
R28
R32
R42
R48
R52
R60
R63
= prologue origina l
= BI(1 )
= B II (2-3 début)
= BIII-IIII (milie u de 3^1)
= B V (milieu de 4-6)
= B VI (7-8 début)
= B VII (milieu de 8-9)
= B VIII (10-11)
= B VIIII (12)
= B X - X II (13-17)
= B XIII-XVI (18-24)
= B XVIII (28-29)
= B XVIIII (30)
= B XVII (25-27)
= 1 er miracle absent de B
= 2 d miracle absent de B
R71
R76
R79
R85
R90
R94
R96
R101
R114
R116
—
R130
R133
R137
R143
= 3 e miracle absent de B
= 4e miracle absent de B
- B XX (31-32)
= B XXI-XXII (33-34)
= B XXIII (35)
= B XXIIII (36 début)
= B XXV (milieu de 36)
= B XXVI (37)
= B XXVII (38-39)
= B XXVIII (milieu de 40)
= B XXVIIII (41-42)
=—
= B XXX (peu après 43)
= B XXXI (44-45)
= Épilogue origina l
En dehors des strophes de prologue (1-2) et d'épilogue (143-145), la trame du récit suit
la structur e d e B , enrichi e de s quatr e miracle s traditionnels . L'auteu r s'efforc e d e
condenser la teneur d e son modèle, ce qui l'amène parfoi s à regrouper deu x chapitre s
sous une même initiale de grand modul e (par exemple B III et B IV), ou encore à sauter un chapitre entier (par exemple B VII). La plupart des strophes conservent quelques
mots extrait s d e B , employés dan s la même fonction (e t imprimé s ci-dessou s e n ita liques grasses) ou sous une autre forme (ici en italiques simples). Ainsi les strophes 3-4:
»Cum Francorum regni sceptra regere t Lotharius,
Armis potens, gloriosus Chilperici filius,
Tribus lustris iam expletis, Suessonis partibus,
Summo pâtre disponente qui creauit omnia ,
Authario genitore , matre uer o Aiga>
Oriuntur trè s puelli trinitatis gratia« (R , fol. 223 )29.
28 Dans la colonne de gauche, on mentionne avec leur numéro d'ordre les strophes de R débutant par une
initiale de grand module; dans celle de droite, figure la capitulation de B en chiffres romains , telle qu'elle se lit dans le manuscrit de Rouen, suivie en chiffres arabe s des numéros de paragraphe des Bollandistes.
29 B 1 : »Temporibus Lotharii gloriosi principis, filii Helperici régis, circiter annum uicesimum tenente illo
sceptra regni Francorum Suessionic o oppido quinque milliariis distante ab ipsa ciuitate, in loco nuncu -
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Cependant, certain s détail s d u text e et les quatre miracles de s strophes 60-78 supposent le recours à un o u à des modèles différents , ca r ils font défau t dan s B, aussi bie n
dans l a version édité e par le s Bollandistes qu e dan s cell e du manuscri t d e Rouen. L a
plupart de ces passages coïncident ave c la teneur de C. Ainsi les strophes 60-61:
» Aliquando dum Marculfi corpus transfert incliti ,
Caput sancti secu m tolli tractât loco pigneris,
Vnde sceda caelo scripta mitthur pontifici.
Haec scriptum continebat, de i nutu édita ,
Vndecunque sibi sumat corporis reliquias,
Caput tarne n preciosum nusquam inde moueat« (R , fol. 225v)30.
D'autres élément s se retrouvent seulement dans S, l'ouvrage en prose rimée dont il sera question plus loin. C'est pa r exemple le cas de la strophe 7:
» Vbi simu l attigerunt littéral e biuium,
Statim dextri calli s ramum tenent pbitagoreum
Atque leuum omittente s caelo ferunt animum « (R , fol. 223)31.
Mais je reviendrai plus tard sur ce problème, car il est difficile d e décider dans quel sens
l'emprunt a été effectué . Enfin , i l existe quelque s coïncidence s lexicale s ave c l'offic e
propre de saint Ouen, qu'on dat e actuellement de la seconde moitié du XI e s.:
»Inde pagum transiebat, per quam (sic) manat Sequana ,
Vbi membra dum quieti dedisset senilia,
Vt Iohannes a d sécréta uigilat caelestia« (R , fol. 225).
L'allusion à Jean l'évangélist e réuni t e t isole de s autre s pièces C , R e t l'office 32, mai s
l'adjectif senilia est absent de C e t se lit uniquement dan s les deux derniers textes .
Le manuscrit d e Rouen a laissé R dans l'anonymat. L e prologue soulign e le caractère rythmique du travail, reflet terrestre de la musique angélique et des chœurs célestes
des saints; en épilogue, l'auteur rappelle que chanter les louanges des saints sans suivre
leur exemple est inutile. Son vocabulaire s'inspire asse z nettement du registre musical:
pato Sanctiaco, orti sunt uenerabiles uiri ex uno uidelicet semine nobiles generati, gratiaque dei illuminati, Ado, Dado e t Rado. Nati sunt autem pâtre Authario, matre Aiga«.
30 C 47: »Quodam autem tempore dum diocesim circuiret suam ..., rogatus est a Bernuino... ut beati Marculfi corpu s transferret. Qu i petitionibus eiu s satisfaciens, relîquias sancti transtulit et digna cum ueneratione i n loc o praeparat o constituit . Huiu s aute m pro laboris muner e sanctaequ e deuotioni s ardore ,
beatus pontifex reliquia s a praefato abbat e de sancto corpore postulauit . Quod cum ille benignissim e
concessisset, uenerabilis praesu l capu t sanct i pro reliquiis cogitaba t auferre . Cu i tali a meditanti sche dula diuinitus inscripta in palma eius subito est reperta, cuius scriptura continebat ne caput sancti Marculfi ab eius corpore separaret, sed aliunde reliquias sibi sumeret undecumque de corpore uellet ipsius«.
31 S, fol. 11OM11 : »Vbi uero secundae aetatis lineam intrauit et biuium Phitagore (sic) ramum attigit, dextrum incunctanter arripiens, leuum prorsus deseruit et ad caelestia totis nisibus anhelare coepit«. Le thème est en soi banal: cf. Hubert SILVESTRE, Pour le dossier de l'Y pythagoricien. Nouveaux témoignages,
dans: Le Moyen Âge 84 (1978) p. 201-209, avec abondante bibliographie , mais il est, à ma connaissan ce, absent des autres textes relatifs à saint Ouen .
32 Cf. Office : »Quoda m in loco, dum uir sanctus sopori membra dedisse t senilia, instar lohannis, sécréta
contemplatur celestia« . Voir infra la discussion, où sont reproduit s les textes de C 44 et de S.
Prose, rythme et mètre
239
musica, cantat modulatim cantica, concentibus, modulando, d e sorte qu'on peut se demander si la rédaction de R, en vers rythmiques, n'a pas été associée à celle de l'offic e
propre de saint Ouen. A titre d'hypothèse, o n pourrait don c rapprocher R d'une no tice de chronique normande, citée jadis par Vacandard 33:
Diuinus Ysembertus, huius loci {seil sanetae Catharinae de Monte), primus abbas et rector...; quia in liberalibus diseiplinis nullisuo tempore inferior habebatur, cum iam esset adhuc apud sanetum Audoenum, ab abbate Henrico etfratribus obnixe rogatus historiam beati Audoeni dulei modulamine composuit et
beati Nicolai needum apud nos auditam cantando propalauit; unde plures assenerant ab eo éditant fuisse, sed humilitatis causa idprofiteri noluisse.
»Le divin Isembert , premier abb é et responsable d e cette maison... ; comm e à
son époque pour le s arts libéraux celui-ci n'était inférieu r à personne, quand i l
résidait encore à Saint-Ouen, à la prière instante de l'abbé Henr i et ses frères, il
composa une historia du bienheureux Oue n à la douce cadence; d'autre part, il
répandit l'usage , e n l a chantant , d'un e historia d u bienheureu x Nicola s jus qu'alors inconnu e che z nous , d'où l'opinio n largemen t partagé e qu'i l e n étai t
l'auteur, mai s qu'il refusa d e l'admettre pa r humilité« .
Isembert, qu'Orderi c Vita l mentionne ave c éloge, devint abb é d e la Trinité-au-Mon t
vers 1031/33. Quelques année s auparavant , alor s qu'i l étai t moin e d e Saint-Ouen , i l
avait composé une »historiam beati Audoeni dulci modulamine«. Le sens du terme historia, duran t l e Moyen Âg e central , es t notoirement ambigu : i l désigne tantô t l a Vie
d'un saint (comme dans le prologue de C: historia antiqua), tantô t son office liturgiqu e
(c'est-à-dire l'ensembl e de s antienne s e t répon s tir é d'u n modèl e hagiographique) 34.
Vacandard - et il se peut qu'il ait eu raison - a compris ici le terme dans la seconde acception: Isembert aurai t composé , dit-il, »le texte et le chant de l'office d e S. Ouen e t
de S . Nicolas«. Cette interprétation sembl e un peu réductrice, car le chroniqueur mé diéval n'a pas situé les deux ouvrages exactement sur le même plan: pour Yhistoria Audoeni, du e à une commande locale , la paternité d'Isember t es t sûre; pour cell e de Ni colas, l'attributio n à Isember t n e fu t qu'un e déductio n erronné e d e so n entourage .
D'autre part , les actions verbales: composuit dulci modulamine, cantando propalauit,
sont bien différenciées. Rie n n'empêche, à mon sens, d'entendre ic i Yhistoria Audoeni
selon la première acception du terme historia e t de l'identifier ave c R: le poème ryth mique serait alors antérieur à 1031/33, le moment où Isembert quitta Saint-Ouen pou r
devenir abbé. Mais cette possibilité doi t êtr e maintenue fermement dan s le champ d e
l'hypothèse, car la solution d e Vacandard peut sembler plus économique .
La Vie métrique H compt e 1128 hexamètres (Roue n Y 41, fol. 230-250 = BHL 754),
dont cen t enviro n furen t imprimé s e n 1663 dans l a Neustria pia d'Arthu r d u Mons -
33 Dans: VACANDARD, Principaux écrit s (voir n. 9) p. 167, n. 6 (d'après Chron. triplex, Rouen , Bibl. mun.
Y124). Voir aussi Charles W. JONES, The Norman Cuit of Sts. Catherin e and Nicholas, dans: Hommages
à André Boutemy, Bruxelles 1976, p. 216-230.
34 Cf. Ritv a JONSSON, Historia. Études sur la genèse des offices versifiés , Stockholm 1968, p. 9-17.
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tier35. H nou s place d'emblée su r un terrain plus sûr, car son adresse initiale comport e
les noms de l'auteur e t du commanditaire :
»Patri sincero, tranquilla pace sereno,
Patri preclaro, uirtutum flore beato ,
Abbati sancto, Theodericus Nichola o
Commissi curam gregis, ut dat uirga figura m
Qua trahis imbelles, procul expellendo rebelles .
En quae mandasti ...«.
»A toi, son Père au cœur sincère, serein dans la tranquillité de la paix, à toi, son
Père illustre, comblé de la parure de s vertus, à toi, saint abbé Nicolas, Thierr y
(recommande) le souci du troupeau à toi confié, selon l'image que donne la houlette par laquelle tu conduis les pacifiques e t chasses au loin les rebelles. Voici ce
que tu m'as demandé ...«
Nicolas es t l'abbé qu i dirige a Saint-Oue n d e 1036/37 à 1092. Thierry n e sembl e pa s
connu d'ailleurs . Les auteurs de l'Histoire littérair e de la France l'ont considér é com me un moine de l'abbaye36, mais j'hésite à les suivre. La topique des prologues est toujours malaisée à décoder. Thierry déclare avoir obéi aux >ordres< de l'abbé et des frères,
ce qui, au premier abord, paraît appuyer l'opinion traditionnelle :
»Nam prius insulsam uolui perferre repulsa m ...
Quam tua uel fratrum no n irem iussa peractum«.
Mais le poète confesse ensuite avoir peiné à rédiger l'ouvrage, parce qu'il était: »Pluribus internus quae mundi concitat actus«, une formulation a u moins curieuse de la part
d'un bénédictin . L e souhait su r lequel s'achèv e l a salutation initial e (commissi curam
gregis) paraît également bizarre dans la bouche d'un moin e s'adressant à son abbé. Et
l'on n'es t guèr e habitué à lire à cet endroit une formulation comm e procul expellendo
rebelles. L'auteur ferait-il ici allusion à l'incident évoqué plus haut qui survint en 1073?
Cela n'es t pa s exclu , mai s l e critique modern e es t e n dange r permanen t d e surinter préter ses sources. Thierry emploie quantité de chevilles, et les deux hémistiches: tranquilla pace sereno, et procul expellendo rebelles., sont répétés - ce qui en atténue la portée - aux vers 956 et 240, où ils sont l'un appliqué , l'autre prêté au saint lui-même.
Le poète est peu loquace sur sa technique de mise en vers. Il aurait, selon ses dires,
abrégé ici et là son modèle et substitué au x mots propres, sans doute pour raiso n prosodique, des uerba inepta (c'est-à-dir e inadéquats) :
»Vnde tuum incommune bonum summissiu s or o
Vt quae transcripsi uel sub breuitate notaui ,
Cum maiora mea non ausi t adiré camena,
35 La majeure partie de la sélection faite par Du Monstier (v . 1-32,684-712,625-660) a été reproduite dans
MIGNE P L 150, col. 1189-1192; seuls, six vers relatifs à saint Saens (Neustria piay p . 335 = v. 847-852)
doivent toujours êtr e consultés dans l'imprimé d e 1663. Du Monstier avait prévu de publier le texte intégral de H dan s un volume de pièces justificatives, intitul é Neustria sancta, qui resta finalement inédi t
(= Paris, BNF, lat. 10051; la copie complète de BHL 754 s'y li t aux feuillets 234-238 v).
36 T. 8,364 (notice reprise dans MIGNE PL 150, col. 1187-1190).
Prose, rythme et mètre
241
Te defendente teneantu r teque iubent e
Auctorizentur, seruentur e t attitulentur ...
Quare perproprie no n seruan s singula quaeque ,
Sublatis propriis, sum uerbis usus ineptis ...«.
Notons e n passant que le commanditaire es t prié de donner une sorte de caractère of ficiel au nouveau texte (auctorizentur) y mais, ici comme dans la préface d e C, il est difficile de séparer ce qui appartient à la topique d'humilit é e t la réalité qui prendra plu s
tard la forme d e l'imprimatur.
Le récit d e Thierry es t modelé, pour l'essentiel , su r l a Vie carolingienne B , à l'exception des vers 684-824, qui relatent les quatre miracles introduits par C. Le changement majeu r es t la multiplication de s passages e n discours direct . La versification es t
maladroite, et l'auteur peine à trouver des dactyles, qui sont, d'après mes sondages, très
minoritaires, y compris a u premier pied, ce qui est pour l e moins inhabituel . Tout a u
long du texte, les hexamètres dont l'initiale est de module supérieur coïncident soit avec
les débuts de chapitres d e B, selon le manuscrit d e Rouen, soit avec ceux des miracle s
additionnels. Un peu partout, l e poète es t parvenu à conserver certains verba propria
de l'hypotexte, mai s ce phénomène es t spécialement ne t e n tête de chacune de s divi sions du récit: tout se passe comme si les unités rédactionnelles avaient été les chapitres
du modèle en prose. Dans le tableau suivant, sont reproduits tous les vers de H à grande initiale (les emprunts lexicau x y son t imprimés e n italiques grasse s o u simples , selon qu'ils son t littéraux o u modifié s e n fonction d u context e syntaxique) . Entre cro chets carrés, j'ai signalé les quelques vers à initiale ordinaire qu i correspondent pour tant à un nouveau chapitr e de B.
BI
BII
Bill
BIIII
BV
B—
[BVI
BVII
BVIII
B—
B—
B VIIII
BX
BXI
BXII
BXIII
B XIIII
B—
[BXV
[BXVI
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
=
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
95
133
185
202
219
252
254
275
309
354
365
374
403
427
446
498
525
537
551
556
Temporibus régis Francorum sceptra regenti s
Contigit hin c autem quo d tempore uenit eode m
Namprimogenitus Ado cu i contulit ortu s
Proximus hui c primo comitatur in ordine Rado
Hos sace r Audoenus cognomin e Dado uocatu s
Post Audoenum sib i fecit apocrisiarium
Huius era t socius, uir nobilis atque uenustus/ Eligius ...]
Denique pos t paucos reuoluti temporis anno s
Interea moritu r rex ille sacer Dagobertus
His uir apostolicus lectis stetit exstupefactu s
At rex preclarus his motus e t exagitatu s
Cumque paratur iter iussum régis properante r
Hinc precibus régis multoque precamin e plebi s
Post haec Romanus mortal i carne solutus
Nec mor a contemptis cuncti s edibusque subacti s
At dum Franciscas rediens inuiseret hora s
Post haec Rotomagum properan s aduerter e gressu m
Ast post diuales sacer Audoenus honore s
Castigans corpus , fragiles e t corporis artus]
Aecclesias ornans structuris atqu e reformans ]
242
François Dolbea u
BXVII =
B XVIII =
B XVIIII =
Mir. 1 (C) =
Mir. 2 (C) =
Mir. 3 (C) =
Mir. 4 (C) =
BXX =
B XXI =
BXXII =
B XXIII =
BXXIIII =
BXXV =
B—
[B XXVI =
B XXVII =
B XXVIII =
B XXVIIII =
B XXX =
B XXXI =
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
H
563
Inter uirtutum miraculapretereundum
625 Cum
uero senio mult o confectus e t aeuo
661
Rursus dum uillam peragraret Rotomagensem
684
Contigit hinc autem quo d e t idem tempore quodam
713
Interea uillam dum perlustraret eandem / aspexit lapidem
780
Vt lapis hic tantus datus est ad presulis usus
802 Pos
t aliud tempus soliti s uirtutibus usus
825 Post
sacrae tanta <iocm>we sacra fluenta
881 Cum
que suae sese fini diocesis adess e
900
Adsedem tande m dum uenit pontificale m
922 Tempore
tune illo regnabat iure benigno/ rex Theodericus
953
Interea magni commota \he duelli/inter Francorum
969
Omnibus his actis popw/zs quoque pacificati s
986 Nun
c noster calamus u t postulat edere tempus
992
Anno ia m sexto decimo pi e Theoderico]
1031 Interea magno completur regia luctu/ omnis concutitur
1062 Obuia post uenit sibi quam Normannia misit / omnis turba
1071 Qua m rex Francorum Lotharius ordin e primus
1081 Post haec antistes post ipsum in sede superstes
1096 Ipsa uer o die qu a contigit esse leuatum
Les rares différences entr e B et H pourraien t s'expliquer par des anomalies, propres au
manuscrit d e Rouen, dans la capitulation de s deux textes. Parfois d u reste , comme e n
VI et XXVI, le décalage est seulement de quelques vers. Les termes imprimés ici en italiques proviennent d e B pour le s chapitres en romains e t de C pour les miracles additionnels, mais la situation globale est plus complexe, car, sur le plan lexical, une légère
influence d e C se relève tout au long du poème 37. Thierry, même si sa préférence allai t
à B, devait avoir sur sa table de travail les deux Vies carolingiennes. Les rapprochements
entre H e t C semblen t tro p fréquents pou r êtr e expliqués comme une série de coïncidences, dues à l'emploi commu n d'un e mêm e technique de paraphrase.
Sur le siège de Rouen, saint Ouen eut comme prédécesseur immédiat saint Romain.
Or un e Vie en hexamètres d e Romain (BH L 7310) évoque en finale une Vie métrique
de saint Ouen :
»Sed quia magnifici patet huius uita patroni (se Audoeni )
Alterius studio prosa metroque polito ,
Hic breuiter textum concludam fine libellum« 38.
L'auteur faisait-il allusio n à l'ouvrage d e Thierry ou à un autre texte qui serait aujour d'hui égaré? Levison datait BHL 7310 d'une époqu e antérieure à 950, car il croyait cet
ouvrage cité en tant qu e »uita m ueterana m heroic o carmin é editam « dan s une Vie en
37 Par exemple aux vers 514-518, les mots desuper, ungues, nec diuelli trouvent un équivalent en C 24, mais
non e n B 18.
38 MIGNE P L 138, col. 184CD .
Prose, rythme e t mètre
243
prose de Romain, datant de l'épiscopat d'Hugue s II de Rouen (942-989). Cela l'obli geait donc à refuser tou t rapprochement ave c H, dédié à un abbé actif entre 1036/37 et
1092. Ce fut pourquoi il interpréta le terme métro cit é plus haut comme un renvoi soit
à R soi t à un poème égaré . En fait , l'identificatio n avec R es t à exclure, car les lettrés
médiévaux n'ont guère coutume de confondre metrum e t rythmus. D'autr e part, il suffit de lire BHL 7310 pour constater que l'hypothèse d'un e Vita metrica Audoeni per due est inutile. La Vita Romani BH L 7310 ne peut être la uita ueterana mentionné e au
X e s.; ce poème, dont l e seul manuscrit conn u es t le Livre Noir d e Saint-Ouen, c'est à-dire précisément le légendier où s'est conservé H, est nécessairement un ouvrage du
XI e s. , qui es t apparenté à deux pièces métrique s d u mêm e recueil : la Passion d e Ni gaise (BHL 6083) et la Vie de Nicolas (BH L 6127d). Ces trois poèmes, dont les hexamètres sont très généralement léonins ou rimes deux à deux, possèdent en commun u n
certain nombre de vers39, et il serait absurde de les dater en bloc d'avant 950. Selon toute apparence, ils représentent u n bo n échantillo n d e la production normand e de s an nées 1040-1090, durant l e mécénat d e l'abbé Nicolas . En définitive , i l existe bien u n
dossier où un poème métrique s'es t égaré, mais il s'agit de celui de Romain e t non d e
Ouen. D'ailleurs, ce qui est dit de Ouen dans les derniers vers de la Vita Romani sup pose un éta t déjà développ é d e son culte 40 et fait éch o au sermon S dont i l va maintenant être question 41.
Ce dernier texte (BHL 754b) a été jusqu'ici négligé par la critique. Dans sa description des manuscrits hagiographique s d e Rouen, Albert Poncele t l'avai t caractéris é e n
quelques lignes , qui étaien t d e natur e à en détourne r le s lecteurs 42. Mais s i l'on veu t
comprendre l a formation d'u n dossier , il est dommageable d'en écarte r d'emblée tell e
ou telle pièce. Dans le Livre Noir de Saint-Ouen, l'ouvrage est intitulé »Sermo in beati Audoen i festiuitat e recitandu s d e uit a e t miraculi s eius « (fol . 109—118v); il y fai t
39 Les renvois sont faits par commodit é au x feuillets d u manuscri t d e Rouen; Vita Romani (fol . 56): »Ad
ritus Aaron typico cultu decoratur /... Namque uirum poderis contexti linea uestis / assidue proprii macerantem corporis artus./ ... Hinc rationali decoratur iudiciali...«; Vita Nicolai (fol. 310): »Hinc Aaron
... / uestibus ornatur, tipico cultu decoratur; / athletae testis poderis fit linea uestis, /... abstemius castus macerabat corporis artus./... Hinc rationali redimkus pontificali...«. - Passio Nigasii (fol . 24™): »Pro
fescenninis cael i cantantibu s hymnis/.. . Cessi t u t Ausonia e Petr o facundi a linguae«; Vita Nicolai
(fol. 318 vet 325 v): »Pro fescenninis cael i resonantibus himnis/.. . Cedat ut Ausoniae Petro facundia lin guae«, etc.
40 Rouen Y 41, fol. 61 (BHL 7310): »Huius (se. Audoeni ) et extremos perlustrat fama Britannos«. Selon la
tradition même de Cantorbéry, le corps du saint serait arrivé sur place entre 944 et 959. Mais le vers doit
plutôt fair e allusion à un voyage qui porta, après 1066, des reliques de l'évêque d e Rouen jusqu'à Col chester et Lincoln .
41 Rouen Y 41, fol. 61 (BHL 7310): »Huic Audoenu s successi t pontificatu, / non minu s insignis , sol ar dens, fulgur e t iris, / Thus redolen s cedru s nu x mirtus oliu a cypressus.« O n comparer a la phrase sui vante d e S (BHL 754b) , au fol . 113 v: »Tune eni m i n aecclesi a cedru s e t spin a myrtu s e t oliu a mystic e
pullulabant«. Quan t à l'étrange comparaiso n entr e Oue n e t u n arc-en-cie l (iris), elle est expliqué e e n
BHL 755d , au fol. 123: »Hic enim uelut iris inter nebulas gloria e refulsit... Arcu s enim utrumque dé signât iudicium ... Qui post aquarum examinationem signum foederis manet inter deum et plebem. Beatus denique Audoenus ad reconciliationem plebis quasi signum foederis suo in tempore enituit...«.
42 »Propius accedit narratio ad Vitam BHL. 753, et vix quicquam in toto libello traditur, quod i n illa Vita
non legebatur . Su b initio tarnen libelli refertu r adulescentulu m Audoenu m miru m i n modum, nemp e
baculo rupem percutiendo, matri suae aquam suppeditasse«, AnalBoll 23 (1904) p. 222.
244
François Dolbea u
couple avec un texte beaucoup plus court, rubrique »Serm o recitandus in translation e
sancti Audoeni« (fol . 121—123v= BHL 755d) . Les deux pièces, que j'appellerai désormais S et S', sont inédites, en dehors de quelques fragments repri s dans la Neustria pia
de Du Monstier .
La consultation d u manuscrit d e Rouen procure une surprise. S en effet y précèd e
immédiatement u n récit non rubrique (fol . 119™ = BHL 755b) , publié par Vacandar d
en 1901 d'après cet unique témoin43. Celui-ci commence par les mots: »Opère pretium
duximus illudpreclare uirtutis signum huic nostro operi inserere ...«, »Nous estimon s
qu'il vau t l a peine d'insére r dan s notr e ouvrag e cett e manifestatio n d e vert u remar quable ...«.N i Poncele t n i Vacandard n'on t compri s qu'u n te l incipit devai t êtr e en tendu a u sens propre: en effet, u n signe dans la marge supérieure du fol. 119 renvoie à
un signe équivalent inséré à la ligne 9 du fol. 116v, c'est-à-dire à l'intérieur d e S. De cela, on conclura d'abord qu e BHL 755 b n'est pas autonome, mais un simple addendu m
à S, ensuite que la confection d e l'ensemble BH L 754 b + 755b est contemporaine d e
celle du Livr e Noir d e Saint-Ouen, dan s la mesure o ù u n repenti r d e l'auteur y cor respond à un ajout sur le plan codicologique. Cela amène enfin à considérer S d'un œi l
nouveau, car BHL 755b est la seule attestation écrite d'une légende illustrée par un basrelief, sur un portail de la cathédrale d e Rouen 44. Les iconographes auraien t don c in térêt, à l'avenir, à ne pas négliger l e rôle de S dans l a sélection d'épisode s fait e par le s
sculpteurs de cycles de la Vie de saint Ouen .
S et S' ont été destinés à la lecture publique e n assemblée liturgique (sermones recitandi). C'es t pourquo i il s ont ét é écrits, sans doute par un seu l et même auteur , dan s
une langue sonore, faite d'ample s période s qu i se terminent e n général sur un coupl e
de membres rimes . De l a légende d u saint , S relate beaucou p d'anecdotes , mai s sou s
une form e condensée , à titre d e rappel plutôt qu e par souc i d e capter l'attentio n de s
auditeurs. Chaque récit y devient l'occasion soit d'une leçon morale à la première personne du pluriel, soit d'une exclamatio n élogieuse du type: »O felix istorum benedic tio ...«, »O meritum insign e pastoris ...«, etc.
Ce type de sermon panégyrique, très répandu dan s les légendiers latins, est un élément constituti f d e nombreux dossier s hagiographiques: il ne sera pas inutile de rappeler ic i qu'Alcuin, charg é d e composer le s lectures pou r l a fête d e saint Willibrord ,
s'acquitta d e sa tâche en rédigeant une Vie en prose, un poème e n hexamètres e t aussi
une Homilia de natali. Le s Bollandistes, dans leurs catalogues spécialisés e t la Bibliotheca Hagiograpbica Latina, excluaien t à l'origine le s homélies o u sermon s pou r le s
saints; grâce à Albert Poncelet, ils se sont montrés ensuit e plus accueillants, mais sans
pouvoir répare r tout à fait le s conséquences d u rejet antérieur .
L'auteur d e S, d'après l a teneur de s sections narratives, s'inspire d e B de façon pri vilégiée. L'emploi ci-dessous des italiques souligne la reprise d'expressions tirée s de la
Vita secunda §23.
43 Dans: AnalBoll 20 (1901) p. 175-176.
44 Cf. Louis e PILLION, Deux >vies< d'évêques sculptées à la cathédrale de Rouen, dans: Gazette des BeauxArts, 3 e période, 30 (1903) p. 441-454; 31 (1904) p. 149-157; EAD., Les portails latéraux de la cathédrale de Rouen. Étude historique et iconographique sur un ensemble de bas-reliefs de la fin du XIII e siècle,
Paris 1907, p. 122-134 (»Vie de Saint Ouen«) .
Prose, rythme et mètre
245
»Denique iugi s parsimoniae rigorem uigiliarumqu e continuu m labore m orapaïlida demonstrabant. Maxïllae lacrimis humectae contriti cordis e t humiliati uictima m
preferebant. Circuli ferrei lactea colla premebant, uentrem et brachia ferrum aeque
constringebat Talia miles Christi Stigmata passionum in corpore suo circumferendo
currens ad brauium, longum duxit martyrium« (S , fol. 112 v).
Mais le prédicateur anonyme dispose aussi de C, auquel il emprunte à la fois une série de termes (comme ici la tournure biblique »contriti cordis et humiliati« [P s 50,19],
là où B disait »contritionem cordis«), et les quatre miracles additionnels. L'extrait sui vant dépend ains i très étroitement d e C § 47:
»Vttpagum Constantinum transien s pontifex sanctus , ad beati Marculfi monasterium diuertity ubi ab eiusdem loci pâtre nomine Hernuino rogatus eiusdem sancti glebam in locum sib i preparatum decente r transposuit . Cumqu e e x deuotione pretios i
confessons caput sib i uellet auf erre, scedula diuinitus scripta in eiuspalma subito est
reperta, preceptu m continen s dominicu m ne caput a corpore separarety sed aliunde
ubicumque uellet de eius corpore reliquias sibi assurneret« (fol. 114 v—115).
Les anecdotes et données biographiques du sermon sont empruntées au x chapitres
suivants de BC: B 1,2; miracle original (calqué sur celui de Moïse au rocher de l'Ho reb); B 4, 8-9,5,14,15-16,18,23,24,25-26, 30,36 ; C 47,48, 50, 52; B 31-32; signe de
renvoi marquant l'insertio n d e BHL 755b ; B 28; longue parénèse finale .
Les deux Vies carolingiennes n e suffisent pa s cependant à rendre compt e d e la teneur d u texte . S est égalemen t e n contac t sporadiqu e ave c A, ave c R e t ave c l'offic e
propre du saint. À titre d'exemple, je reproduis la section correspondant à B 36 ou C 63,
suivie de sa leçon morale.
»Interea antiqui hostis liuore qui semper inuidet caritati nostrae, orta inter Franco rum principes discordia, ipse filius pacis inter dissidentes pacis foedera cupien s refor mare, huiusmodi grati a urbem Colonia m adiit , et martyrum monument a perlustran s
sanctorum pignera secum asportauit. In quo itinere obuium habuit quendam mutum ,
ab annis undecim linguae officio destitutum. Qu i sanct i uiri benedictione soluti s lin guae retinaculis, in gratiaru m uerb a prorupit , e t quanti fore t merit i pontife x sanctu s
cunctis qu i aderan t euidente r innotuit . Ne c immerit o prec o ueritatis , tub a caelestis ,
diuini fulmen eloqui i et Organum Spiritus sancti mutis loquelam reddidit, qui uerbo assidue predicationis populos excitabat in laudem creatoris. Eius itaque meritis saluatoris nostri grati a paraclyti rore nostra a uiciis corda emundet , et séraphin calculo labia
purificet, u t caelestia meditari et diuinae iubilationis preconia dign e ualeamus modu lari«(S,fol. 114^).
Dans ce chapitre, plusieurs détails ne dérivent ni de B ni de C: »filius pacis« remonte
à A 13; »tuba« figure e n R strophe 94, et »gratiarum uerba« dan s l'antienne de l'offic e
relatant cette guérison. De même, à l'intérieur de s extraits cités précédemment, »iugi s
parsimoniae« pouvai t êtr e rapproché d e R str. 37, et »preceptum (continens ) domini cum« de l'un des répons de l'office. E n raison de la date respective des textes, l'influence
de A est certaine, mais dans quel sens faut-il concevoi r l a relation entr e S, R e t l'offi ce?
La réponse est difficile, car il n'existe guère de critère pour orienter une relation fon dée sur des segments textuels aussi courts. Mon impression es t que S - qui est, rappelons-le, contemporain d e la copie d u Livr e Noi r - est le plus récen t de s trois textes .
246
François Dolbea u
Voici la strophe 56 de R, dont les modèles sont C 39 45 et le chapitre 20 du dernier livre
des Rois:
»Instar régis Ezechiae qui, dum mori timuit ,
Ad orandum mox conuersus salutem obtinuit ,
Cui ter quinos post lamenta deus annos addidit« (R , fol. 225).
Selon IV Rois 20, 6, Ézéchias malade obtint quinz e année s de vie supplémentaire: ter
quinos (troi s fois cinq) est un substitut fréquent e n poésie de quindecim o u quindenos,
substitut qu'o n es t un peu étonn é de retrouver dans un texte en prose comme S:
»Sic quondam Ezechiae régi ad mortem decubanti et diuinam cum lacrimis
grätiam imploranti omnipoten s deu s no n solu m pristinam salute m reddi dit, sed ter quinos insuper annos ad uitam concessit« (S , fol. 113 v—114).
La conclusion la plus probable est que R a ici exercé une influence direct e sur S46.
Une conclusion analogu e ressort aussi d'une confrontatio n entr e C, R, S et l'offic e
propre, à propos d'un autr e épisode:
- C 44: »Quadam di e ... cumque paululu m membr a sanct o sopor i dedisse t a c mens,
speciebus exut a corporeis, spiritalibus secreti s intentionis oculu m inseruisset , caeles tia panduntur, et , instar Iohannis, angelis declarantibus mysterioru m sécrét a contem platur«.
- Office: »Quoda m in loco, dum uir sanctus sopori membra dedisset senilia, instar Iohannis sécréta contemplatur celéstia« .
- R str . 48: »(Inde pagum transiebat , per qua m manat Sequana, ) / Vbi membr a dum
quieti dedisset senilia / Vt Iohannes ad sécréta uigilat caelestia«.
- S fol. 114: »Quodam in loco, dum uir Dei labore confectus itineri s menbra dedisse t
sopori, caelestium secretorum archan a contemplatur« .
A partir d u seul adjectif senilia, il est impossible d e préciser la relation entr e l'offi ce et R. En revanche , la séquence C-office- S es t probable: le prédicateur, e n conden sant l'anecdote , fut , semble-t-il , influencé pa r l e texte de l'office qu i chantai t dan s s a
mémoire.
La langue et les images de S, comme du sermon-jumeau S' , sont recherchées et rappellent le style de la Vita Romani (BH L 7310). Le Livre Noir de Saint Ouen renferm e
un nombre inhabituel de textes métriques e t de pièces non attestées ailleurs 47. Dans la
45 ».. . in morem Ezechia e régi s per caelestem uisionem uita e illius (sc. Waningi) uiginti ann i sunt superadditi«, AnalBoll 5 (1886) p. 116.
46 Presque certaine est Pinfluence d e R sur S': les strophes 131-132 (fol. 228 v) »Hic electus (se. Ansbertus)
sancti uiri (se. Audoeni) congru e uicarius, / eius uitam imitar i satagen s operibus , / Heliseus ut Helia e
successit uirtutibus. / Ille quidem d e magistri aquas scindens pallio; / hic languentes tanti patris sospi tat sudario...« son t la seule source possible de S', fol. 121 v: »Cuius sudario tanquam pro pignore dilectionis beatus Ansbertu s accepto , plurimos uaria egritudine detentos eiusde m sanct i uiri meritis sospi tauit. Sane in hoc Heliseo prophetarum eximi o uidetur equiperari , qui Heliae pallio sibi relicto Iorda nis fluenta diremit« .
47 II existe une second e copi e de S\ originair e ell e aussi de Saint-Ouen: Rouen , Bibl. mun. U 64 (1411),
fol. 197^-198v, XIII e s. En revanche, RHS sont des unica, tout comme BHL 7310, les Passions métriques
d*Agnès et Nigaise (BHL 164b et 6083), la Vie de Nicolas en hexamètres (BHL 6127d) , etc.
Prose, rythme e t mètre
247
mesure où ce s ouvrages présentent entr e eux des contacts textuels, l'hypothèse d'un e
production homogèn e dan s l e temps e t l'espace doi t prévaloir su r celle d'une collec tion hétérogèn e réuni e de partout. Je dois ici me commenter d e quelques rapproche ments48, car cette piste débouche e n fait su r un autre sujet :
S fol . 116: »... in cuiu s conspect u maiestati s Audoenu s rutilâ t uelu t gemm a car bunculi«; S'fol. 12 l v : »semper ante dei uultum uelut gemma carbunculi rutilât speciosus« (cf. Sir 32, 7). - S fol. 116v: »Cuius mallei tunsionibus decenter expolitus, caelestis
structurae coaptatur lapidibus«; S'fol. 123 v: »sapientia dei,... mallei illum tunsionibu s
politum, tamqua m ua s aur i solidu m composuit« . - S fol . 110: »In quoru m ort u
mellifluo caelestiu m ciuium chorus exultaui t in domino«; Vita Romani fol . 53 v: »Eius
mellifluum praeconan s angélu s ortum« . - S fol. Î12 v : »Tribulabatu r Agar, ne fast u
insolesceret et Saray rebellis sub manu dominae suae humiliari contemneret«; Vita Romani fol . 56: »Sub Sarai uirga ne forte superbia t Agar«. - S fol. 118™: »Hac (se ueste )
enim gloriosus pontifex specialite r indutus, bis tincto in se coco rutilante pro gemina
dei e t proxim i dilectione« ; Vita Romani fol . 57: »Addit bi s tinctu m supe r hi s lex
pristina cocum / Qui plane gemini pignus désignât amoris« (cf . E x 28, 5-6, etc.).
Le lien entre S et S' est tel que l'unité d'auteu r es t presque assurée ; les rapproche ments avec la Vita Romani imposen t au minimum de postuler un même milieu de production.
Avant d e conclure, je voudrais dir e un mo t encor e su r l e sens de ces divers rema niements. Le phénomène d e réécriture n e s'explique pa s uniquement pa r de s raison s
stylistiques, par l e souci compréhensibl e d e retouche r de s rédactions sentie s comm e
fautives o u archaïques . E n premie r lieu , l a légend e d e Oue n s'enrichi t d e nouvelle s
anecdotes, d e A à B, de B à C , d e C à S; mais inversement , ell e s e stylise aussi , pa r
exemple dans S ou l'office liturgique , en mettant l'accent sur tel ou tel épisode, une stylisation dont les modernes devraien t tenir compte dans leurs travaux d'iconographie .
Ensuite, le nombre de s citations et allusions bibliques a tendance à augmenter ave c le
temps: A par exempl e ne renferme qu e 3 citations explicites , tandis qu e B et C e n at testent respectivement 12 et 98. Le phénomène es t tout auss i net, si l'on relèv e les figures exemplaires auxquelles sont comparés les acteurs de la légende. A évoquait seu lement Élie; B développe longuement l a ressemblance avec Élie, et mentionne en passant l'apôtr e Pau l e t Antoin e d'Egypte ; C conserv e ce s données typologique s e t le s
multiplie, en évoquant aussi les trois Hébreux dans la fournaise, Job, Moïse, Esaü, Daniel, Heli, Saul, Samuel, David, Ézéchias, Jean l'évangéliste, etc. Les auteurs postérieurs
ont, sur ce point, une attitude contrastée: H élimin e ces références, y compris l e nom
d'Élie, et écarte plusieurs personnages secondaires, afin de laisser Ouen en permanence au centre du récit; R et SS' maintiennent l a relation centrale avec Élie et s'ingénien t
à faire de nouveaux rapprochements: Absalon, Rachel, Elisée pour R; Zacharie et Elisabeth, Rébecca, Marie (sœur de Marthe), le patriarche Joseph, Agar et Sarah, Salomon,
Josué, Zacchée pour SS'. Avec le temps, la figure du saint évêque est ainsi approfondi e
sous l'angle typologique. Par rapport au gonflement d u matériel biblique, les allusions
classiques introduites dan s C, R ou S sont trop rares pour être significatives .
48 Qui complètent ceu x qui ont ét é mentionnés plus haut à la note 39.
248
François Dolbea u
Que reteni r d e cette enquêt e centré e sur de s oeuvres inédites ? D'abord , l a valeur de s
divisions anciennes49 pour déterminer quel est, parmi divers modèles, celui qui a le statut d'hypotexte principal . Ensuite, la difficulté qu'o n éprouve à classer les pièces dans
une chronologie rigoureuse , qu'elle soit absolu e ou relative . Loin de se remplacer le s
unes le s autres, les légendes son t tenue s pour complémentaires ; à mesure qu e le dossier du sain t grossit, les relations textuelle s deviennen t s i complexes qu'i l es t malaisé,
voire impossible, de les élucider tout à fait. B dépend de A, C de BA, H e t R de BC, S
probablement d'ABCR , l'offic e propr e de saint Ouen au minimum d'AC, sans qu'o n
puisse définir ses liens secondaires ave c RS.
Un troisièm e résulta t d e l'enquêt e a consisté à sortir d e l'ombr e u n poèm e ryth mique et un sermon en prose rimée, deux choix stylistiques dont la mode a moins du ré que celle des hexamètres. L'un e t l'autre m e semblent d u XI e s., ce qui confirme l a
thèse de Nancy Gauthier sur le dynamisme et la créativité de cette période50. En général, on a d'ailleurs sous-estimé , dans les études hagiographiques, les panégyriques destinés à être récités en public pour la fête des saints, sermons dont S et S'fournissent ic i
des illustrations parfaites .
Enfin, un recueil thématique comme le Livre Noir de Saint-Ouen se révèle être d'un
intérêt prodigieux pour l'histoire littéraire: outre quelques Vies carolingiennes, ce manuscrit norman d réuni t plusieur s unica y qu i transmetten t l a productio n hagiogra phique de deux ou trois générations du XI e siècle. L'auteur d'une Vita Romani e n hexamètres (BH L 7310) fait allusio n a u poème d e Thierry su r sain t Oue n (BH L 754), et
son travail renferme de s vers ou expressions qui se retrouvent dans d'autres pièces du
recueil. Des textes anonymes peuvent êtr e ainsi rapprochés le s uns des autres et sortis
par là même de leur isolement. Pourquoi ce s œuvres n'ont-elles conn u aucun e diffu sion? O n pourrai t invoque r l'antagonism e entr e Saint-Ouen e t la cathédrale o u la rivalité entre les cultes de Romain et Ouen, deux facteurs dont Felice Lif shitz a souligné
et peut-être majoré l'importance . Mais il convient de noter qu'en dehors de Rouen, C
pouvait paraître trop prolixe et la production locale du XI e s. superflue, dans la mesure où deux Vies plus anciennes, A et B, circulaient déjà dans les légendiers.
ANNEXE
Traitement d'u n mêm e miracle par les >biographes< successifs d e saint Oue n
Les faits relatés restent identiques. H dépend massivement de B. Certaines innovations
lexicales de la Vita tertia (C): »apprehenso capite«, »daemonis saeuitiam«, »assignauit«,
sont passées dans la tradition ultérieure. Il est plus difficile d e déterminer qui est à l'origine de l'emploi d e fugare/effugare o u d e furibundus/furibunde (commun s à R, S et
l'office).
49 Ici en chapitres, mais ailleurs sans doute aussi en leçons liturgiques.
50 Cf. GAUTHIE R (voir n. 23) p. 449-468.
Prose, rythme et mètre
249
Vita prima (A = BHL 750)
14. Exinde ad Neustriam regrediens, pacis foedera confirmata , ciuitat e Verdunensiu m
aduenit. Ingressus ecclesiam, millier quaedam, spiritu inmundo habens, uexari eam f ortiter coepit; qui cursu rapido ad uirum de i petere conata est. Sicque ipse pontifex ma nu strinxi t capit e e t uiolenter eieci t daemone m e t sanam parentibus reddidit . Exind e
peruenit ad palatium, prospéra cuncta ut gesserat indicauit atque unita régna, unita pax
populis sacerdo s uerus promeruit . Sicqu e inter utrasque partes pax unita aliquantu m
temporis fuit .
Vita secunda (B = BHL 751a )
XXV (36 fin). Exinde populis discordia prius disiunctis e t pacis foedere sociatis , inde
regrediens ad Neustriam, ciuitate m Virdunensium aduenit . Cumque ingrederetur ec clesiam ipsius ciuitatis, ecce mulier quaedam spiritu m immundum habens , uexari mirabiliter coepit , frendensqu e dentibus , uiru m de i rapid o curs u inuader e nitebatur .
Sanctus Audoenus man u capu t strinxit , e t ilico daemonem eiecit , sanamque parenti bus reddidit . Exind e a d palatium ueniens, prospéra d e pace cuncta, ut gesserat , indi cauit.
Vita tertia (C = BHL 753)
(64) Exinde composita pace, cuius ob causam uenerat, ad Neustriam regrediens , ciuitatem Veredunensium aduenit . Cumqu e ecclesia m intraret , mulie r daemon e possess a
uexari miserabiliter coepit, ac, dentibus frendens, arrept o cursu, in dei famulum uelu t
impetum factur a ferebatur . Liuori s siquidem feile succensus diabolus seruu m Christi
aduenisse dolebat, a quo depulsionis sua e poenam pertimescebat; atque superbiae ua nitate iactatus, terroris simulacra fingebat, quibus sancto presuli timoris anxietatem iniicere se posse praesumebat. Sed inflata tumoris iactantia diuinae uirtutis potentiam unde putauit propulsare , inde prostrata persensit . Apprehenso deniqu e capit e mulieris ,
episcopus daemonis saeuitia m coercuit, e t in uirtute Spiritus eum proturbans, sana m
atque incolumem a b hostis insectation e femina m parentibu s assignauit ; ut tali pontifex facto psalmistae comprobaret oraculum pronuntiantis: Verumtamen deus confringet capita inimicorum suorum, uerticem capilliperambulantium in delictis suis (Ps 67,
22). Congruo nemp e propulsationi s ordine , caput , quo d sublat o uertic e superbu s
erexerat hostis , sanct a presuli s man u corripitur ; e t si c daemon eiicitur , ut und e s e i n
altum subrexera t ind e humiliatu m uideret , e t ind e prostratu s i n im a decidere t und e
sublatus ad alta tumendo contenderat. His igitur Christi miles inuictus uirtutum praesidiis comitatus, ad palatium reuertitur, et de impetrata pacis unitate, de concordiae statuto foedere, regem, principes, populum, certos efficiens, laetiti a non parua serenat .
Office propr e de saint Oue n
R. Dilectus domini quandam demoniacam in se furibunde ruente m pie sustinuit atqu e
sanam parentibus assignauit .
V. Apprehenso namque capite mulieris, effugauit seuitia m demonis (atque sanam .,.).
250
François Dolbeau
Vita rythmica ( R = BHL 754 d)
96
Inde sacer gallicana cum redit ad moenia ,
Mulieris furibundae demoni s insani a
Caput stringit, hostem fugat, sens u redit intégra (fol. 227).
Vita en hexamètres ( H = BHL 754)
Omnibus hi s actis, populis quoque pacificatis ,
970 Necno n communi s reparato foedere pacis ,
Mox rediens urbem peruenit Veredunensem .
Cuius dum sacri penetraret limin a templi,
En sibi festinans occurri t femina quaedam ,
Dentibus infrendens e t eum comprendere nitens ,
975 Vel rabido morsu, uel solo pectoris ictu
Gressibus artandu m prosternere debilitatum .
Sic miser angebat, sic illam daemon agebat ,
Sic sic possessa, sic nequam demone pressa ,
Sese nescibat, nec quicquam sensus habebat .
980 Tune sacer Audoenus manibu s stringen s caput eius,
Multum stridentem miseramque maie lacerante m
Ac discerpentem dict o ocius expulit hostem ,
Assignans ualidam sanamque parentibus illam .
Post haec regalis transcendit a d atria sedis,
985 Prospéra de pace referens s e cuncta patrasse (fol. 247™).
Sermo de uita et miraculis eius (se. Audoeni ) ( S = BHL 754 b)
In Veredunens i urbe , ub i sace r egregiu s aecelesiam intrauit, quaeda m mulier a b immundo spirit u uehemente r corrept a i n eum furibund e irruit . Cuiu s capit e apprehen so, uir dei signum salutis impressit et ab ea funesti demoni s seuitiam effugauit. Apos tolica enim gratia redimitus, diuinis parendo sanctionibus, demonicis imperabat spiritibus. Cuius nos pia oratio sacris excubiis peruigiles reddat, ne aduersarius noster, qui
tanquam le o rugien s circui t queren s quem deuoret (cf . I Pt 5, 8) , alicuius iactur a
ignauiae et torporis inexplebilem gula m expleat clandestinae malignitatis (fol . 114 v).
PATRICK H E N R I E T
Un hagiographe au travail: Raoul et la réécriture du dossier
hagiographique de Zoïle de Carrion (années 1130)
Avec une première édition des deux prologues de Raoul
Le jeune martyr Zoïle est attesté dès le IVe siècle. Prudence le cite en effet dans son Peristephanon comm e une des grands gloires de l'Église de Cordoue1 . Cependant, les textes
rapportant s a passion étant auss i tardifs - pas avant la deuxième moitié du VII e siècle
dans le meilleur de s cas - que vagues, on ne sait à peu près rie n de lui. Au IX e siècle,
l'évêque d e Pampelune demand e de s reliques d e Zoïle a u célèbre écrivai n mozarab e
Euloge2. So n culte es t attesté pe u après dan s le s martyrologes d e Florus, Ado n e t
Usuard, puis dans le calendrier dit de Cordoue (961)3.
Les travaux d'écriture relatif s à Zoïle se sont articulés autour de deux translations .
La première nou s renvoi e à l'époque wisigothique . Réalisé e à Cordoue pa r l'évêque
Agapit, elle tient d'avantage, en réalité, de Vinventio. L a seconde a lieu dans les années
1060. Un miles chrétien de la famille des Béni Gomez profite alor s de ses bonnes rela tions avec le roi musulman de Cordoue, au service duquel il s'est battu, pour opérer la
translation des restes de Zoïle depuis l'ancienne capitale du califat vers Carrion. Entre
Burgos et Leon, sur le chemin de saint Jacques, Carrion est l'un des principaux point s
d'ancrage d u lignage des Béni Gomez 4 . Il y existe alors, déjà, une église familiale dédiée à saint Jean-Baptiste 5.
Après l a translation de s années 1060, le deuxième événemen t fondamenta l pou r
l'église de Carrion est sa »clunification«. En 1076, la comtesse Thérèse, mère du Ferrandus responsable de la translation, offre e n effet ce monastère familial à Cluny6 . Cette décision montr e clairemen t qu e la grande aristocrati e proche de la royauté enten d
1
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4
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6
Peristephanon IV, v. 19-20.
Euloge de Cordoue, Ep . III, 5, Juan G I L (éd.), Corpus Scriptoru m Muzarabicorum , II, Madrid 1973,
p. 99 (Manuales y anejos de Emerita, 28).
Jacques DUBOIS , Le martyrologe d'Usuard . Text e et commentaire, Bruxelles 1965, p. 95 et 256 (Subsidia Hagiographica, 40). Usuard connaî t le texte du Passionnaire (BHL nov. suppl. 9024d). Reinhart RA. DOZY, L e calendrier de Cordoue. Nouvelle édition par Charles PELLAT , Leyde 1961 (Médiéval Ibe rian Peninsula. Texts and Studies, 1), p. 102 (27 juin, martyre) et 162 (4 novembre, translation).
Sur l'histoire de Carrion, cf. Maria Luisa PALACIO SANCHEZ-IZQUIERDO , Sa n Zoil de Carrion, Palencia
1990, et Julio A. PÉREZ CELADA , El monasterio de Carrion. Formacion, estructura y decurso histörico
de un senorio castellano-leoné s (siglo s XI al XVI), Burgos 1997. Sur la fameuse famill e âes Béni Gomez, Ramön MENÉNDEZ PIDAL , La Espana del Cid, Madrid 1929,1, p. 189-190; Margarita TORRES SEVILLA-QUINONES D E LEON Linajes nobiliario s en Leon y Castilla (siglos IX-XIII), Junta de Castilla y
Leon 1999 , p. 236-274 et 341-357.
Les rares documents antérieur s à 1076 parlent d'un monastère dédi é à Saint-Jean Baptiste : PÉREZ C E LADA (voir n. 4).
PÉREZ CELAD A (voi r n. 4) n° 7, p. 16-18.
252
Patrick Henrie t
également, de même que les rois depuis Ferdinand Ier (1037-1065) au moins, s'associer
à Cluny pour e n retirer divers bénéfices spirituels 7. San Zoilo est ensuite favorisé par
le pouvoir royal , Alphonse VI (1065-1109) accordant sans doute au monastère, à une
date que nous ignorons , un fuero (ensembl e de privilèges et de règlements) pour son
bourg 8 . Au XII e siècle, l'établissement d e Saint-Zoïle de Carrion est avec Sainte-Ma rie d e Näjera Tune des deux pièce s maîtresse s d u dispositif clunisie n e n Espagne. Il
fournit à YEcclesia cluniacensis son camérier pour la péninsule9.
Le thème de cette étude est l'écriture e t la réécriture, dans les années 1130, du dossier hagiographiqu e d e Zoïle. Rappelons quelque s élément s d u contexte général , indispensables pour comprendr e ce qui va suivre:
- La »bénédictinisation« des établissements monastiques péninsulaires, tardive en Castille et Leon, a été réalisée pour l'essentie l a u XI e siècle. Cluny a joué un rôle impor tant dans ce processus10.
- La rénovation de l'église hispanique s'est effectuée grâc e à la présence de nombreux
clercs - et prélats - venus du nord de s Pyrénées, en particulier du quart sud-oues t de
la France 11.
- Le passage de la liturgie hispanique - souvent appelée wisigothique ou mozarabe - à
la liturgie romaine a été entériné, pour PAragon à partir de 1071, pour la Castille et le
Leon en 1080, non sans difficultés dan s ce dernier cas 12.
- La vieille écriture dite wisigothique a été remplacée par la minuscule Caroline à la même époque, mais progressivement. Nombreu x son t les exemples de sa survie en plein
XII e siècle 13.
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13
Sur les rapports entre Cluny et l'aristocratie laïque de la péninsule occidentale à cette époque, Peter SEGL,
Königtum und Klosterreform i n Spanien. Untersuchungen übe r die Cluniacenserklöster i n KastilienLeön vom Beginn des 11 . bis zur Mitte des 12 . Jahrhunderts, Kallmünz 1974 , p. 127-147 (130-138 pour
San Zoilo).
Le document a disparu, mais il y est fait allusion dans une confirmation d'Alphons e VII datée de 1142:
PÉREZ CELAD A (voi r n . 4) n° 33, p. 56-57.
Charles Julian BISHKO, E l Abad Rodulf o d e Cluny y e l prior Humberto d e Carrion, >camerario< de
Espana: très cartas inéditas de hacia 1174, dans: Anuario de Estudios Médiévales 1 (1964) p. 197-216.
Antonio LINAJ E CONDE , LO S orîgenes del monacato benedictino en la peninsula ibérica II, Leon 1973,
p. 863-997 (Fuentes y Estudios de Historia Leonesa, 10).
Marcelin DEFOURNEAUX , Le s Français en Espagne aux XI e et XII e siècles, Paris 1949; Bernard F . REIL LY, Santiago and Saint-Denis: the French Présence in Eleventh-Century Spain , dans: The Catholic Historical Review 54 (1968) p. 467-483.
Juan Francisc o RIVER A RECIO , Gregori o VII y la liturgia mozarabe, dans: Revista espanola de teologîa
2 (1942) p. 3-33; Antonio UBIETO ARTETA, La introduccion del rito romano en Aragon y Navarra, dans:
Hispania Sacra 1 (1948) p. 229-324; Juan Francisco RIVER A RECIO , L a supresiôn del rito mozarabe y la
introduccion del romano, dans: Ricardo GARciA-ViixosLADA (éd.), Historia de la Iglesia en Espana II/l,
Madrid 1982, p. 275-285.
La décision d'un changement d'écriture autoritaire , imposée à Leon en 1090, n'est pas attestée avant les
années 1230: Lucas de Tuy, Chronicon mundi , Andreas SCHOT T (éd.), Hispaniae illustratae IV, Francfort 1608, p. 101; Rodrigo JIMÉNEZ D e RADA, D e rebus Hispaniae, Juan FERNÂNDE Z VALVERDE (éd.),
Turnhout 1987, VI, 29, p. 214 (CCCM 72). Cf. Pierre DAVID , Le concile de Leon a-t-il aboli l'écritur e
wisigothique?, dans: ID., Études historiques sur la Galice et le Portugal du VI e au XII e siècle, Lisbonne,
Paris 1947, p. 431-439. Sur la survie de l'écriture wisigothiqu e a u XII e siècle et le caractère graduel du
changement, cf . Zacarîa s GARCI A VILLADA, Paleografia espanola , I, Madrid 1923, p. 87-93; Antonio
FLORIANO CUMBRENO , Curso gênerai de paleografia y diplomâtica espanolas, Oviedo 1946, p. 429-430;
Barbara SHAILOR , The Scriptorium of San Sahagun (sic). A Period of Transition, dans Bernard F . REIL -
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion 2 5
3
I. LE D O S S I E R D E Z O Ï L E D E C O R D O U E : ÉTA T D E S
CONNAISSANCES
Le dossier hagiographique de Zoïle de Cordoue se compose de cinq pièces dans la Bi~
bliotheca Hagiographica Latina (9022-9025 et 9024d) 14:
- BHL 9022: Passio. Ce texte a été publié par Enrique Flörez, qui affirmait copie r deux
manuscrits tolédans 15. Baudouin d e Gaiffie r T a qualifié d e »productio n artificiell e e t
sans valeur«16. Les rares chercheurs à le citer ne le datent pas17.
- BHL 9023: même texte que le précédent, mais un peu plus long et avec des variantes.
La seule édition est celle de Tamayo Salazar 18. A la différence d e BHL 9022, cette version comprend un récit de l'invention et de la translation des restes de Zoïle à Cordoue,
au VI e -VII e siècle. La propension d e Tamayo à la falsification es t bien connue, à juste
titre. C'est san s doute cette réputation qu i a poussé l'auteur d e la notice BHL à préciser que la Passio BHL 9023 était interpolata et aucta ab ipso, ut videtur, editore. Bau douin d e Gaiffie r a cependant montr é qu e Tamay o avai t seulemen t mi s bou t à bou t
BHL 9022 et un résumé de Vinventio pa r Lucius Marineus Siculus 19. Ce dernier avai t
lu une version de Vinventio voisin e de BHL 9024d .
- BHL 9024: Passio, inventio, translatio et miracula, pa r un certai n Rodrigue . Flörez
est là encore le premier éditeur 20. Il s'agit en réalité d'un résum é des différentes pièce s
LY (éd.), Santiago, Saint Denis and Sain t Peter, New York 1985, p. 41-61; Maria Isabel OSTOLAZA ELI ZONDO, La transiciön de la escritura visigotica a la Carolina en los monasterios del reino de Leon, dans:
Actas del VIII Coloquio de l Comité Internaciona l d e paleografîa latina , Madrid 1990, p. 149-163.
14 BHL, 2 vols., Bruxelles 1898-1901. Henricus FRO S (éd.), Novum Supplementum, Bruxelles 1986 (Subsidia Hagiographica, 70).
15 Enriqu e FLÖREZ , Espana Sagrad a (= ES) 10, Madrid 1753, p. 491-493. Les deu x manuscrit s tolédans :
ibid. p. 307. J'ai pu identifier ce s deux manuscrits, qui s'arrêtent tou s deux, comme le texte de l'ES, à in
paradiso Dei mei. 1) Tolède, Archivo d e l a catedral , ms . 48.11 (olim 30.21), XIII e ~XIV e s., Zoïl e au x
fol. 104 v-105v (six leçons). Ce manuscrit es t le modèle des lectionnaires de Poffice tolédan s du XIV e au
XVI e siècle, dont le ms. 48.1, que cite Flörez, est un exemple. 2) Tolède, Archivo de la catedral, ms. 48.1
(olim 36.2), XVe s. Zoïle aux folios 21 v -23, foliotation modern e (si x leçons également) . José JANINI e t
Ramön GONZÀLVEZ (co n la colaboraciön de Anscari MUNDO), Catâlogo de los manuscritos d e la catedral de Toledo, Tolède 1977, n° 178, p. 188, donnent pou r le s leçons de Zoïle les folios 170-171v, mais
je lis, dans la foliotation ancienne , 165v-167. Cf. aussi , pour l e ms. 48.11, ibid., n° 186, p. 192-194.
16 Baudouin D E GAIFFIER , L'inventio et translatio d e saint Zoïl e de Cordoue , dans : AnalBoll 56 (1938 )
p. 361. Dans la lignée de Flörez, les différents auteur s qui se sont occupé s de ce texte ne l'ont attribu é à
personne. Non répertori é dans Manuel Cecili o DfAZ Y DfAZ, Index Scriptorum Latinoru m Medi i Aevi Hispanorum, Madri d 1959.
17 Cf. cependan t Manue l Cecili o DIA Z Y DfAZ, Très notas sobr e cultur a latin a médiéva l e n la région pa lentina, dans: Actas del I congreso de Historia de Palencia. IV: Edad media latina y humanismo renacen tista en Palencia. Lengua y literatura. Historia de America, Palencia 1987, p. 9-28, ici p. 24-25, qui suggère à juste titre que Raoul pourrait êtr e l'auteur d e tout le dossier.
18 Juan TAMAY O SALAZAR , Anamnesi s siv e commemoratio omniu m sanctoru m hispanorum , 6 volumes,
Lyon 1651-1659, ici III p. 639-41.
19 De rebus Hispaniae memorabilibus, dans: Andreas SCHOTT (éd.), Hispaniae illustratae I, Francfort 1603,
p. 337. D E GAIFFIER (voi r n. 16) p. 362.
20 ES 10, p. 494-496.
254
Patrick Henrie t
du dossie r d e Zoïle , effectué a u XIII e siècl e par l e dominicain Rodrigu e d e Cerrato ,
pour son légendier abrégé 21.
- BHL 9025: Miracula22. L'auteur en est un certain Raoul, donné comme moine de Carrion depuis Fierez, qui écrirait en 1136 23.
- BHL 9024 d: aux quatres pièces répertoriées il y a un siècle, il faut ajoute r cell e qu'a
découverte e t publiée Baudoui n d e Gaiffie r e n 1938 24. Il s'agit d'un réci t d e Vinventio/translatiOy réalisée par l'évêque d e Cordoue Agapi t à la fin d u VI e ou a u début d u
VII e siècle. Il aurait été rédigé entre le milieu du VII e et le début du IX e siècle 25. Cette
pièce nous a été transmise sous la forme d'un ajout au Passionnaire hispanique de SaintPierre de Cardena (British Museum, ms. Add. 25.600, second quart du X e siècle) 26.
Tel quel, ce dossier permettrait tout juste d'étudier une entreprise de réécriture hagiographique, phénomène pa r ailleur s asse z rare e n péninsule ibérique . Nous avon s troi s
textes, émanan t d'époque s e t d e milieu x bie n différents : l e mond e wisigothiqu e o u
mozarabe pour la translation celui du monachisme clunisien hispanique pour la Passio et
les miracula^ enfin celui de la pastorale mendiante pour le résumé de Rodrigue de Cerrato.
Or l a consultation d'u n manuscri t d e l a Bibliothèque national e d e Madri d qu e n'on t
connu ni Tamayo, ni Flörez, ni Baudouin de Gaiffier, permet d'étoffer trè s substantiellement le dossier et de justifier sa présentation dans le cadre d'un recueil collectif consacr é
aux réécritures en hagiographie. L'étape ultérieure sera logiquement celle de l'édition.
I L L E M A N U S C R I T 11556 D E L A B I B L I O T H È Q U E
NATIONALE D E MADRI D
Ce manuscrit du XII e siècle a été décrit successivement par Loewe et Hartel, Janini et
Serrano, Dîa z y Dïaz 27. S a reliur e es t donné e comm e d'origin e pa r Janini , mai s l e
manque de logique dans la succession de certains cahiers (fin du dossier de Zoïle et début de celui de Nicolas) éveille la suspicion28: la reliure n'a sans doute pas immédiate 21 Sur Rodrigue d e Cerrato, José VIVES , Las vitas sanctorum de l Cerratense, dans: Analecta Sacr a Tarraconensia 21 (1948) p. 157-176, et Antoine DONDAINE , Le s éditions d u vitas sanctorum d e Rodéric d e
Cerrato, dans: Studia Anselmiana 63 (1974) p. 225-253.
22 ES 10, p. 496-507.
23 ES 10, p. 314; BHL 9025 (Miracula auctore Roduldo monachi Carrionensi); DÏA Z Y DfAZ (voi r n. 16)
n° 908, p. 206 (Rodulfus monachus Carrionensis).
24 D E GAIFFIE R (voir n. 16). Ce texte se retrouve dans l'édition d'Ângel FÀBREG A GRAU, Pasionario hispânico, 2 tomes, Madrid, Barcelone 1963-1965, d'après laquell e je le citerai, et dans celle de Pilar RIESC O
CHUECA, Pasionario hispânico, Séville 1995, p. 245-249.
25 Uauteur n'est pas un témoin oculaire de la translation. Agapit est vraisemblablement cet évêque de Cordoue attesté aux conciles de Tolède I (589) et Séville (590). Notre réci t est connu d'Usuard , qu i vient à
Cordoue e n 858 et l'utilise dans la rédaction de son martyrologe. Ces éléments permettent à DE GAIF FIER (voir n. 16) p. 369, de conclure à une rédaction entr e le milieu du VII e et le début du IX e siècle.
26 Description e t édition d e ce manuscrit dans FABREGA GRA U (voi r n. 24) p. 25-33.
27 G. LOEW E et W. HARTEL , Bibliotheca Patrum Latinoru m Hispanensis , Vienne 1886 (repr. Hildesheim,
New-York 1973), p. 307-309; José JANINI e t José SERRAN O (co n la colaboraciön de Anscari M . M U N DO), Manuscrîtos liturgico s d e la Biblioteca Nacional , Madrid 1969, n° 114-117, p. 148-151; DfAZ Y
DfAZ (voir note 17) p. 23-24.
28 Cf.infra,p.271.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
255
ment suiv i l a copie . L e manuscri t 11556 de Madri d s e compos e d e plusieur s pièce s
renvoyant à un établissement »moderne«, ayant en conséquence accueilli des textes représentatifs soi t d u mond e intellectue l clunisien , soi t de s tendances réformatrice s d e
type grégorien . O n trouv e ainsi , dan s l'ordre , l a Regula pastoralis d e Grégoir e l e
Grand, précédée de la lettre de Licinien de Carthagène à Grégoire (fol. 1-2 V), une liste
des Duodecim abusiones quibus hic mundus miserabiliter agitur (fol . 69) et un poèm e
sur l a créatio n d u mond e (fol . 69), les troi s livre s de s Collations d'Odo n d e Clun y
(fol. 69 v-92v), le Prognosticon futuri saeculi de Julien de Tolède (fol. 92 v-130), la lettre
de Grégoire VII à l'évêque Hermann de Metz (incomplète: fol. 130 v-132)29. Vient ensuite le dossier hagiographique de saint Zoïle de Carrion, suivi de quelques miracles de
saint Nicolas (fol. 149~Î52 V)30. Le dossier consacré à Zoïle montre l'origine du manuscrit, confirmée d e surcroît par ce que l'on sait de sa provenance: il fut e n effet conserv é
à San Zoilo jusqu'en 1810. En 1824, il passa à l'église de Santa Maria del Camino de Carrion, avant d'être finalement acqui s par la Bibliothèque nationale de Madrid en 1874 31.
Notre code x a été partiellement décri t par José Janini et José Serrano dans leur catalogue de s manuscrits liturgique s d e la Bibliothèque national e d e Madrid. O n y ap prend qu e le manuscrit 11556 n'est pas celui qu'a utilisé Florez pour son édition de la
passion e t de s miracles , e t auss i qu'i l s e caractéris e pa r l a présenc e d'u n prologu e
inédit32. Cependant, un examen rapide suffit à révéler que Janini et Serrano sont restés
très en-deçà de la vérité. En effet, c e n'est pas seulement le prologue de la Passio qui est
resté inédit, mais toute une partie du text e écrit par Raoul. Sur les 30 folios consacré s
à Zoïle, environ 14 livrent de s texte s inconnus . S i l'on écart e le s miracles, le rappor t
passe de 13 à 16 ... Il convient don c de dresser la liste des pièces découvertes e t de les
ajouter à celles qui ont déjà été recensées dans la BHL. C'est alors seulement, une foi s
le corpus reconstitué , que nous pourrons vraiment prendre e n compte l e phénomène
de réécriture. Les textes relatifs à Zoïle se présentent de la façon suivante (dans l'ordr e
du manuscrit 11556):
1) Trois miracles de Zoïle (fol. 132-133). Éd. Flörez, n° 5-7, p. 498-500.
2) Prologue à la Passio sancti Zoili (fol . 135-136). Inc.: Dominis etfratribus karrionensis cenobii frater Rodulfus ... Expl. : His dictis, cetera prosequamur. Inédi t (= 1er prologue)33.
3) Passio sancti Zoili (fol . 136-140). Inc.: Sanctus igitur Zoilus ... Expl. : Prestante domino nostro Ihesu Christo qui vivit. Explicit passio beau Zoili. Éd . Flörez, p. 491-493,
jusqu'au fol. 137 v (inparadiso Dei mei).
29 Le Traité des 12 abus du siècle (Clavis Patrum Latinorum 1106) est une œuvre irlandaise qui circule en
Espagne dès le VII e siècle, sous le nom de Cyprien de Carthage ou d'Augustin. Le s vers sur la création
du monde qui le suivent ici ont été édités par LOEWE-HARTEL, Bibliotheca Patrum (voir note 27) p. 308.
Cf. DIA Z Y DfAZ (voi r n . 17) p. 23-24. Jocelyn N . HILLGARTH , E l Prognosticum futuri saeculi de San
Julian de Toledo, dans: Analecta Sacra Tarraconensia 30 (1958) p. 5-57, ne cite pas notre manuscrit .
30 Les feuillets 151 v - l 52 sont vierges.
31 Cf. la page de garde, en papier, au début du volume (verso). José JANINI et José SERRANO (voir n. 27) p. 149.
32 JANINI, SERRAN O (voi r n. 27) p. 148 (»El prölogo de Rodolfo n o lo edito Flörez«),
33 Retranscription e n annexe.
256
Patrick Henrie t
La suite (fol. 137 v-140) es t inédite et donne d e la translation d'Agapi t un e versio n
plus longue que celle du Passionnaire hispanique (BH L 9024 d).
4) Translatio atque miracula (fol . 140—148v). Cet ensemble doit lui-même être décomposé en plusieurs sous-unités :
4a) Prologu e à l a translatio n d u XI e siècle , qu e j'appellera i »second e translation «
(fol. 140-141). Inc.: Quodtua vir venerabilis fréquenter dilectio iubet... Expl. : compendioso discutiamus oraculo. Inédit (= 2e prologue)34 .
4b) Fol. 141—142v: Deuxième translation, effectuée pa r le miles Ferrand d e Cordoue à
Carrion (1065?). Inc: Quidam miles Ferrandus nomine. Expl. : incessanter fiunt divina
miracula, praestante Deo. Inédit .
4c) Miracles de Zoïle et hymnes e n son honneur (fol . 143-148 v). Inc.: De gascone qui
sanitatem recepit a sancto Zoylo. Éd . Fierez, p. 496-507, jusqu'au fol. 148. Celui-ci, occupé par deu x hymne s inédites , est suivi d'un miracl e égalemen t inconn u (fol . 148 v),
en mauvais état de conservation (encr e e n partie effacée) . Inc. : Preciosus martir igitur
Zoilus ... Expl.: postulanti de endese quidempanis
de intus ...
Trois de s miracle s édité s par Flore z précèden t l a Passio et la translatio. Le s autre s
suivent cette dernière. Cette anomalie mérite une explication. Il faut donc , avant tou te étude, commencer pa r un e analys e codicologiqu e a u moin s sommaire . O n pourr a
alors, et alors seulement , émettr e quelque s hypothèse s quan t à l'homogénéité d u re cueil de miracles: un ou plusieurs auteurs ?
Dans l a partie consacrée à Zoïle (fol. 132-148 v), le manuscrit es t constitué de deux
quaternions e t d'un ternion .
- Premier quaternion (fol. 129-134)35. Il est composé de la fin du Pronosticon futuri saeculi de Julien de Tolède (fol. 129-130). Ce cahier a ensuite été complété, vraisemblablement sans plan préétabli, par diverses pièces: la lettre de Grégoire VII à Hermann de Metz
(fol. 130 v-132), qu i es t inachevée , le s troi s miracle s d e Zoïl e déj à mentionné s
(fol. 132v-l33), un texte intitulé Sententie depenitentia Salomonis (fol. 133v-l34). Le folio
134, coupé à la hauteur du premier tiers, est resté vierge au verso. Enfin les deux feuillets
suivants ont été découpés. Les trois miracles de Zoïle n'appartiennent donc pas au même
ensemble codicologique que le reste de l'œuvre d e Raoul. Il est difficile d e savoir, pour
l'instant, s'il s sont bie n de lui. Ils ont cependan t ét é intégrés à la collection par Flörez,
qui s'étai t fait envoye r un e retranscriptio n de s miracle s depui s Carrion36. L'édition d e
VEspana Sagrada ne donne aucun indice permettant ne serait-ce que de poser la question
de l'attribution, ce qui explique que celle-ci n'ait jamais été soulevée. Nous reviendron s
sur ce point pour suggérer que ces trois miracles sont antérieurs à l'œuvre de Raoul37.
- Second quaternion (fol . 135-142 v). Il commence par le prologue à la Passion et comprend celle-ci , la première translation (par l'évêque Agapit), un prologue à la Translatio atque miracula, enfi n la seconde translation (années 1060). Ce cahier se termine par
34
35
36
37
Retranscription e n annexe.
Deux feuillets on t été découpés, mais la foliotation es t postérieure à la mutilation.
ES 10 p. 307.
Cf. infra, p . 269-270.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
257
l'annonce de s miracles à suivre (fol. 142 v)38. On a donc là un ensemble homogène, qui
dit tout c e qu'il faut savoi r sur Zoïle à l'exception d e ses miracles post mortem.
- Le ternion suivant (fol. 143—148v) est tout aussi homogène, puisqu'il est consacré aux
miracles d e Zoïle, à l'exception d u foli o 148, qui donn e deu x hymnes. Celles-c i son t
cependant, d'une certain e façon, enserrées dans la suite narrative des miracles 39. Il faut
pourtant noter une rupture à partir du folio 147 v: après la quatrième ligne, qui est la fin
d'un réci t commenc é a u verso, on a en effe t de s textes plu s courts , d'une écritur e e t
d'une présentatio n moins soignées que les précédents. Il semble également y avoir eu
des ratés. Ainsi l e début d'u n miracl e relati f à un juif incrédul e es t interrompu aprè s
deux lignes qui se répètent40. Vient ensuite un autre miracle, cette fois-ci complet , qu i
occupe la fin du folio. Cependant, la première phrase est répétée après le texte41. Rien
dans l e styl e o u l e fond n'indiqu e cependan t qu'o n n'ai t pa s affair e l à à un text e d e
Raoul. D e mêm e pou r le s deux hymne s qu i suivent , écrite s pa r deu x main s dissem blables, et dont l a deuxième me t en valeur les miracles célébré s dan s les folios précé dents. A la fin de cette dernière pièce (folio 148), un colophon montr e bien qu'à Carrion, on considérait cet ensemble comme un tout. Ces deux lignes nous donnent le nom
du scribe ou du commanditair e d e cette entreprise hagiographique :
Petrus apostolicam mereatur habere coronam,
Huncpropter librum studioso pollice scriptum.
Est exclu , e n revanche, le folio 148 v, qui marqu e l a fin d u ternio n e t contient u n mi racle inachevé sur lequel nous reviendrons .
L'ensemble es t donc indéniablement plus complexe que ne le laisse supposer l'édi tion de Florez. Les questions que soulève un examen même rapide du manuscrit peu vent cependant être résolues au moins en partie par la lecture des deux prologues inédits
de Raoul. Et c'est cett e lecture qui permet d'envisage r l e travail de celui-ci comme u n
travail de réécriture.
38 Exceptio veto beau martiris Zoili IIII kalendarum octobris officiosisime recolenda est, per quem incessanterfiunt divina miraculaprestante ... Le dernier mot es t effacé mai s la place disponible autan t qu e
le contexte suggèrent Deo.
39 Les hymnes sont intercalées entre deux versions d'un même miracle. Celui-ci rapporte le châtiment d'u n
boulanger travaillan t lor s de la fête d u saint . Le récit se termine par la mention d e l'hymne à Zoïle qu i
suit la messe, puis par un Te Deum laudamus. Cf . infra, p . 271.
40 Fuit quidam iudeus Apella et incredulus qui cepit blasphemare solito sibi more beatum Zoylum et miracula ipsius. Nam cbristianis beatum (espac e blanc) vir quidam iudeus Apella ... (fol. 147 v).
41 Quoddam magnificum miraculum in sancti Zoilifestivitate quondam contingit ... Hypothèse: on avait
prévu un récit sur un juif incrédule, vraisemblablement u n condensé de celui, antérieur à Raoul, qui se
trouve au fol. 133. Il devait sans doute être suivi du récit du boulanger (quoddam magnificum miraculum ...), dont l e début avai t déjà été inscrit. Puis, pour une raison ou une autre, on a abandonné l e miracle du juif e t on a inséré à la place celui du boulanger , d'une dimensio n comparable .
258
Patrick Henrie t
III. R A O U L , O U L A V O L O N T É D E R É É C R I T U R E :
LES D E U X P R O L O G U E S
Ces deux prologues, encore inexploités à ce jour, livrent un gran d nombr e d e renseignements su r le projet d e Raoul et sur les textes dont i l disposa pour le mener à bien.
Nous prendrons ces informations dan s l'ordre, en ne nous étendant véritablement que
sur celles qui ont un rapport ave c la question d e la réécriture.
Commençons pa r l'auteur. Dans le premier prologue, celui-ci nous dit se nommer
Rodulfus, u n no m qui , dans l'Espagne d u XII e siècle, renvoie à peu près immanqua blement a u monde ultra-pyrénéen. C e Raoul es t moine, mais pas à Carrion 42 . Il écrit
à la demande du prieur, Pierre, attesté pour la première fois e n 1136 mais déjà rempla cé en 1140 43. Après moult protestations d e modestie affectée, Raou l précise que pou r
composer son œuvre, il va »expliquer« brièvemen t et simplement ce qu'un auteur an térieur, laudabilis scriptor, avai t compos é su r u n mod e difficil e e t dissemblable 44.
FuynntVodiosaprolixitaSy Raou l travaille pour la communis utilitas45. Il n'utilisera donc
pas de mots rares, nous prévient-il, et ne se perdra pas dans les digressions 46.
Le second prologue apport e d'autres précisions. Il permet tout d'abor d d e vérifie r
que la Passio, la translation et les miracles sont l'œuvre du même auteur: en effet, aprè s
avoir rappelé ses liens d'amitié ave c le commanditaire47, l'auteur, qui , cette fois-ci, n e
se nomme pas, revient sur la première étap e de son travail. Il avait trouvé l a Passio de
Zoïle dans des volumes fort anciens, aussi mal écrits que mal conservés48. Ce n'est donc
pas la seule vétusté des manuscrits qu i est ici incriminée, procédé classique, mais aussi l'incurie de s scriptores. Scripten le terme peut désigner, selon les textes, l'auteur o u
42 Ainsi qu'il apparaît clairement à la lecture du premier prologue. La Passio est dédiée Dominis etfratribus karrionensis cenobii (fol. 135). L'auteur s'adress e au x moines de Carrion à la première personne d u
pluriel: Preciosi tesauri sancti videlicet Zoili apud vos tenetis reliquias (ibid.). Il sait que Pierre es t leur
prieur: vir venerahilis Petrus qui apud vos primatum tenet (ibid.). L'auteur est cependant moine (frater
Rodulfus qualiscunque monachus, fol . 135), mais il déclare dans le second prologue être fort absorbé par
des tâches séculières: quia curis secularihus impeditus sum nee tibi satisfacere, inde quia me tua karitas
vincit, necex totopossum recusare (fol. 140).
43 Precor igitur vestre devotionis auxilium ut quod singuli rogastis et maxime vir venerahilis Petrus qui apud
vos primatum tenet (...) (fol. 135). Pierre n'est attesté que par un seul document, daté du 3 janvier 1136:
PÉREZ CELAD A (voir n. 4) n° 30, p. 51. Le dernier prieur attesté avant lui est Etienne (19 novembre 1129):
ibid. n° 27, p. 48. Le suivant, Bernard, apparaît le 18 octobre 1140: ibid n° 32, p. 55. Une note aujourd hui illisible datait le manuscrit de 1136, ce qui cadre parfaitement .
44 Quod quidam alius dissimili stilo difficili narravit, nos simplici et hrevi oratione Deo iuvente temtabimus explicare> quatenus simplex tractatus levem intellectum admittat. Non quod laudabili scriptori aliquid derogemus, sed ut vestre sanctitati et auctoritati qui hoc nobis inponitis t plurimum prerogemus
(fol. 135 v).
45 Cum sanctorum gesta ob hoc litteris mandentur utposterisproficiant 3 omniumque legentium devotio reddatur acutior, summopere precavendum est scriptori ut in quantum potest nullius excédât capacitatem y
quod est communis utilitas (ibid) .
46 Ergo nec inauditis sermonibus studeamus, nec diversis dictionihus lectionem extendamus (fol . 135 v).
47 Quod tua vir venerahilis fréquenter dilectio iuhet immo sub quadam dileaionis figura acrius cogit et
compellity ut sancti Zoilipassione descripta ... (fol. 140).
48 Huius martyris de quo loquimur in quibusdam antiquis voluminibus reperi passionem, tarnen non solum vetustate, sed etiam scriptorum neglegentia corruptam ... (fol. 140 v).
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
259
le scribe 49. Ici, le contexte invit e à comprendre »scribes« . Après u n exame n attentif ,
Raoul a en effet p u prendre connaissance du contenu de s »anciens volumes«. Mettant
bout à bout ces fragments d'information , i l a ainsi reconstruit la Passio de Zoïle y compris lorsqu e l e text e étai t illisible 50. Ce s indication s constituen t peut-êtr e un e sort e
d'écho a u premier prologue, lequel précisait déjà que la Passio avait été rédigée par un
premier auteur, mais dans un style (et une écriture?) particulièrement difficiles 51. Nou s
avons donc affaire à un mêm e auteur, le moine Raoul , qui va maintenant traite r d e la
translation e t des miracles de Zoïle. Ceux-ci avaient déjà été consignés ritmice, pa r u n
hagiographe qualifié de sapiens52. Un peu plus loin, Raoul mentionne à nouveau l'existence de miracula antérieurs , sans qu'il soi t alors possible de savoir s'il fait encor e allusion à l'œuvre d e ce sapiens: »Il existe certains miracle s écrits avec une grande prolixité, qu'il convient de réécrire plus simplement e t plus brièvement« 53. Le ton est cependant moins laudatif que pour l'hagiographe sapiens et aucune allusion n'est faite au
style, ce qui pourrait indique r un autre auteur .
Ces deux prologues n e permettent pa s de répondre à toutes les questions, mais ils
nous fournissent tou t d e même des indications précieuses. Résumons. L'auteur es t un
moine d'origine »française« , proch e du prieur de Carrion, lequel était vraisemblablement français lui-même . Il a été fait appel à lui pour reprendre et réécrire le dossier de
saint Zoïle sous tous ses aspects, soit depuis le martyre à Cordoue jusqu'aux miracle s
à Carrion, en passant par Yelevatio cordouan e d e l'époque wisigothiqu e e t la translatio du XI e siècle. A l'heure de se mettre au travail, Raoul n'était pas démuni. A Carrion
- voire ailleurs , car nou s n e savon s e n fait n i o ù i l résidait n i o ù i l écrivai t -, il a pu
consulter une Passio ancienne ainsi qu'un ou deux recueils de miracles, nécessairement
récents puisque postérieurs à la translation de s années 1060. Ses sources étaien t pou r
l'essentiel écrites, même si les conversations avec les moines de Carrion, gardiens de la
tradition locale , ont pu lu i fournir de s compléments d'information . Ainsi , dans le second miracle du recueil, qui traite d'une série d'épisodes miraculeux survenus pendant
la translation, Raoul signale que cette histoire a été souvent racontée par des membres
de l'expédition54. Mais cette précision ne doit pas être prise au pied de la lettre. La translation avait eu lieu dans les années 1060 et il est difficile d'imagine r qu e des membre s
de l'expéditio n vivaien t encor e dan s le s année s 1130. La transmissio n d u réci t peu t
certes s'être opérée oralement jusqu'à Raoul, mais il est aussi possible, voire probable,
que celui-ci a repris cette précision dans l'un d e textes auxquels il fait allusion .
49 Y compris à Pintérieur d'un e mêm e œuvre . Ainsi dans Orderi c Vital, Historia Ecclesiastica, X, 11, éd.
Marjorie CHIBNALL , T. 5, Oxford, 1975, p. 262 (le scriptor comme scribe), et ibid., VI, 1, T. III, Oxford,
1972, p. 214 (le scriptor comme auteur). Je remercie Monique Goulle t pour m'avoir fourni ce t exemple.
Dans les deux prologues d e Raoul, scriptor peut tantôt désigner Fauteur (summopere precavendum est
scriptori, ut in quantum potest, nullius excédât capacitatem, quod est communis utilitas, fol . 135 v; atque
miracula primi scriptoris stilum sectando, fol. 140), tantôt le scribe (voir n. 48).
50 Quod legi nonpotuit, unde tarnen loqueretur paulatim colligendo ex parte totum didicimus (fol . 141).
51 Quod quidam alius dissimili stilo atque difficili narravit (fol . 135v).
52 Miracula vero que quidam sapiens ritmice scripsit... (fol. 141).
53 Sunt quedam miracula de Dei servoprolixius scripta y queplanius atque brevius oportet rescribi (fol. 141).
54 Hoc contigisse sepius experientes retulerunt, E S 10, p. 497. Cet épisod e rapport e comment , duran t l e
voyage entre Cordoue et Carrion, au petit matin, les portes des villes s'ouvraient miraculeusement pou r
les membres de l'expédition rapportan t le s reliques.
260
Patrick Henrie t
Il reste à savoir si les textes mentionnés par notre hagiographe peuvent êtr e identifiés. Dans le cas des miracles, le corpus réuni est globalement identique à celui qu'a édité Florez. Le manuscrit 11 556 en ajoute cependant un (fol 148 v), inachevé, et il en donne par ailleur s trois autre s dan s un ordr e trè s différent d e celui qu'avait adopt é l e savant père augustin. Il faut don c se demander si nous n'avons pas là les restes d'une o u
de plusieur s campagne s d'écritur e antérieures . Nou s reprendron s cett e questio n a u
moment d'examine r l a réécriture de s miracles par Raoul . Dans l e cas de la Passio, les
choses semblent plus simples. En 1938, en effet, Baudouin de Gaiffier a édité u n cour t
texte rapportant la passion puis Yinventio d e Zoïle d e Cordoue 55 . Cett e oeuvr e n'es t
conservée que dans un seul manuscrit, un Passionnaire hispanique d u X e siècle originaire d e Saint-Pierr e d e Cardena 56. Celui-c i comport e diverse s pièce s uniques , don t
celle-ci, dans une partie supplémentée qui a sans doute été copiée dans la première moitié d u XI e siècle . La confrontatio n entr e cett e œuvre , justement qualifié e à'inventio
dans le manuscrit, et le texte de Raoul, va nous montrer que l'antique Passio, si diffici le à déchiffrer, don t parle ce dernier, n'est autr e que Yinventio édité e par Baudouin d e
Gaiffier.
IV. L E C T U R E D I F F I C I L E E T S C R I B E N É G L I G E N T ?
T O P I Q U E E T R É A L I T É D A N S L A R É É C R I T U R E D E L A PASSIO
Si l'on en croit Raoul, le texte qu'il avait sous les yeux ne put être déchiffré pa r ses soins
qu'au prix de grandes difficultés. A force d'acharnement, i l put néammoins apprendr e
l'essentiel d e ce qu'il avai t besoin de savoir pour écrir e la Passio de Zoïle 57. Quel cré dit faut-il accorder à ce discours, qui semble à première vue relever du simple lieu commun? Nombreux sont en effet le s prologues dans lesquels les auteurs expliquent com ment ils ont sauvé d'une imminente destruction des textes oubliés, conservés dans des
manuscrits déj à largement détruits 58. Faisons pourtant l'effort , pendan t quelques instants, de prendre au sérieux les précisions de Raoul. Si notre hagiographe était de passage en péninsule ibérique, ou bie n s'i l y étai t arrivé depuis peu a u moment o ù i l du t
reprendre l e dossier d e Zoïle - sa mauvaise connaissanc e d e l'histoire hispaniqu e ré cente va indéniablement dans ce sens59 -, il est en effet possible que son discours ne relève pas de la seule topique des prologues.
55 D E GAIFFIER (voir n. 16).
56 Voir n. 26.
57 Voir n. 50.
58 Thème étudi é par Françoi s Dolbea u lor s d e so n séminair e d e l'Écol e Pratiqu e de s Hautes Études , a u
cours de diverses séances des années 1996-1998 auxquelles j'ai eu le privilège d'assister .
59 Dans le récit de la translatio, l'auteur parle du roi Alphonse VI (1065-1109), qui était mort quelques décennies plus tôt après avoir régné une quarantaine d'année, en ces termes: quemdam regni gubernacula
suscepturum Ildefonsum nomine (fol. 141 v). On peut suspecter ici une confusion ave c Alphonse le Batailleur (1104-1134). Notre auteur est sans doute ce même Raoul qui écrivit une Vita Ledesmi a u début d u
XII e siècle (cf. p. 265), mais rien n'indique qu'il soit resté en péninsule entre la rédaction des deux textes.
La réécriture du dossier hagiographiqu e de Zoïle de Carrion
261
La Passio utilisée pa r Raou l n e pouvait guèr e êtr e écrit e qu'e n caractère s wisigo thiques, lesquels restèrent en usage dans la péninsule jusqu'à la fin du XI e siècle, voire
au-delà dan s certaine s régions . Pou r u n cler c ven u d'Outre-Pyrénées , cett e graphi e
pouvait êtr e asse z déroutante . Néammoins, pour bie n de s clerc s hispanique s qu i vivaient alors que ce système d'écriture avait été abandonné depuis longtemps, l'obstacle
était facilement surmontable . On n'e n donnera que deux exemples, tous deux liés à la
tradition du Passionnaire. On sait ainsi, grâce à une note marginale à la Passio de Pelage (Xe siècle), qu'un passionnaire du XIII e siècle aujourd'hui conserv é à Tolède fut copié sur u n code x d e Carden a dat é d u X e siècle 60. Dans u n autr e Passionnaire , rédig é
dans la seconde moitié du XI e siècle en écriture wisigothique, certains passages effacé s
par l'usure ont été réécrits au XIII e siècle en caractères »internationaux« 61. Mais Raoul?
Il n'aurait déchiffr é qu e difficilement so n Passionnaire et n'aurait pas pu lire, semblet-il, certaines séquences. Pour savoi r si ces précisions son t proches de la réalité ou représentent au contraire une exagération, sur le sens de laquelle il faudrait alor s s'interroger, il suffit d e comparer l a première Passio (en fait inventio) d e Zoïle e t le récit d u
manuscrit 11 556.
On trouver a donc dans le tableau qui suit non pas les deux textes dans leur intégralité, mais les passages où Raoul reproduit un ou plusieurs mots pris dans la Passio primitive. Je donne d'abor d u n résum é de s événements, lequel ne prend e n compte qu e
les faits mentionné s par les deux auteurs.
Passio et inventio d e Zoïle (résumé )
Issu d'une nobl e famille e t chrétien depuis Penfance, le jeune Zoïle est arrêté. Devant so n refus d e sacrifie r
aux dieux, le juge le condamne à mort. Zoïle est ensuite vilement inhumé avec les étrangers, dans la nécropole de Cordoue. L'emplacement d u corps saint est par la suite oublié, en particulier à l'époque d e la domination arienne . Sous le roi Sisebut , cependant , l'Espagn e redevien t catholique 62. Agapit, d'origine wisigo thique, devient évêque . Une nuit, il apprend e n songe où repose la dépouille de Zoïle. Il convoque alor s le
clergé et le peuple, se rend en leur compagnie au lieu indiqué et creuse lui-même le sol, jusqu'à l'apparitio n
du corps . Se jugeant indign e de le toucher, Agapit s e contente d e le baiser. I l en perd subitemen t plusieur s
dents, qu'il fait placer à côté des reliques. Zoïle lui apparaît la nuit suivante et le rassure: Dieu lui a pardonné tous ses péchés. Le corps du jeune martyr est inhumé le lendemain, dans une basilique qui avait jadis été
construite en l'honneur d e saint Felix. L'évêque fait ultérieurement agrandi r celle-ci et y fonde un monastère d'une centain e de moines.
60 Passionnaire tolédan d u XIII e siècle: ms. 44.11 de la Catedral de Tolède. La note à la Passion de Pelage
se trouve fol. 167*. Manuscrit de Cardena sur lequel a été effectuée l a copie: Escorial b-I-4. Cf. José JANINI, Manuscritos liturgicos de la Catedral de Toledo, Tolède 1977, n° 174, p. 184.
61 Madrid, Real Academia de la Historia, ms. 39. Description de ce manuscrit composite: Rosa GUERREIRO,
Un vrai ou faux Passionnaire dans le manuscrit 39 de la Real Academia de la Historia de Madrid?, dans:
Revue Mabillon n.s . 1 [= t. 62] (1990) p. 37-56, et Elisa Ruiz GARCIA , Rea l Academi a d e l a Historia .
Catalogo de la secciön de codices, Madrid 1997, p. 257-264. La réécriture (au sens matériel) en caractères »français « d e certains passages antérieur s a u changement d'écritur e e t en partie effacé s sembl e fré quente, au XIII e siècle, à San Millan de la Cogolla: cf. Manue l Cecili o DfAZ Y DIAZ, Libro s y libreria s
en la Rioja altomedieval, Logrono 1991, p. 172-173.
62 L'auteur d e Velevatio sembl e confondr e le s rois Sisebut (612-621) et Reccared (586-601), responsable
de la conversion des wisigoths au catholicisme et de la convocation du troisième concile de Tolède (589).
262
Patrick Henrie t
Dépendance d e Raoul (BHL 9022) envers
Ylnventio beatissimi Zoili (BH L 9024d )
Passionnaire hispanique Passio
sancti Zoili (Raoul )
(éd. FABREGA GRAU , I, p. 379-381) (Ms
. BNE 11 556, fol. 136-140)
Igitur beatissimus , et preclarus sanctissimus marty r
Zoilus Cordobensis civitatis, benenatissimorum e t
clarissimorum viroru m indolis , dum in adulescent i
etate(...)
Sanctus igitur Zoilus Cordube civitatis ex preclaris
parentibus originem ducens, cum iam i n primev e
flore iuventuti s gloriosiu s educaretur (...)
(...) et in cimiterio civitatis cum peregrinorum cor poribus viliter es t sepultus
In eiusdem predicte civitatis peregrinorum cimiterio,
ut perfidoru m magi s magisqu e notaretu r iniquitas ,
sanctissimi gleba corporis vilissime humat a iacuit .
(...) tempore christiani et ortodoxi Sisebuti régis, pax
Eclesie catholice in cunctam Spaniam es t adreddita et
synodicis conventiculis cunctis populis esset instructus(...)
Tempore autem ortodoxi christiani Sisebuti régis to~
dus Hispanie pacis ecclesiastice iura reformata sunt
(...) quidam vir nobilis ex visegothorum propagine ,
clarus génère, Agapius nomine, ex laicali gradu vitam
appetitus es t monastica m atque pe r gradus eclesia sticos ad summum sacerdotium es t preelectus.
Quidam vir ex wisegothorum génère Agapius nomine féliciter natu s est . Primum laicus , dehinc nactu s
religionis iniciament a d e virtute i n virtutem ascen dens, ut videret Deum deorum in Syon ecclesiastici s
sumtis ordinibu s ad summi sacerdocii gradum pro vectus est .
(...) sanctissimum corpus in quo loco quiesceret (...)
Insinuans quo in loco quiesceret (...)
(...) adqu e cum omni vulgo ad ostensum sibi locum
sine mora perrexit (...)
Cum omni sequentium se multitudine ita, certus divina revelatione ad locum tesami pervenit.
(...) pe r semetipsum, rastrum manu arripiens, effodire cepi t quousqu e a d beatissimu m martyri s cor pus, sicut a paganis fuerat absconditum , Deo inspi rante, pervenit.
His dicti s ips e rastrum baiulans temta t conamin e
toto diu inmotam effodere terram , donec bonas quaerens margarita s preciosum tesauru m i n agro repe rit.
Quo invento, timo r illustravi t cunctos . (...) beatissimum martyris corpusculum osculis demulciret, atque indignum s e existimans, ut manibus sui s tanti viri tangeret reliquias (...)
Quo invento quam laetus, quam alacer effectus est ,
plus animadverti quam dici potest. Ut corpus devote quaesitum a terra levatum conspexit, se indignum
tam beata s reliquias proprii s attrectar e manibus re putans, osculari cepit (...).
Peracto e t consummat o inventionis obsequio , sequenti nocte se ei per visum ostendens, kam eum af fatus est , dicens: Cur me sepiu s oscular e voluisti ,
iam ob ea, que a me tibi intercedi poposcebas, Do mino lesu Christo impetrare non distulit? Sed nunc
certus esto quia pro cuius amor e t e e i caru m exhi buisti, e t seculu m cum pompis eiu s abrenuntiasti ,
cuncta dimiss a es t tibi congeries delicti. Et vigilan s
quietem, corpu s beatissim i martyri s Zoil i a d han c
basilicam parvolam , qu e in nomine sancti Felicis
martyris antiquitus fuera t fabrefacta, adlatu m est ,
digne atque honorifice es t sepultum.
In béat e invencionis gaudi o tot o expens o di e nocte
sequenti cum beatus Agapius post vigilias et orationes ut humana poscit natura debile corpus admodi cum quieti dedisset (...) »Quia me frater, inquit, karissime, ante qua m vidisses ta m caritativ e dilexisti ,
diligens videre optasti, optans devote quaesisti, quaerens invenisti , invenien s innumer a pietati s oscul a
praestitisti, certus esto quo d pro cuius amor e he c
exibere voluist i illiu s mecu m i n societat e t e frui turum cognoscas in celis, et adhuc in terris posito tibi omnia condonar i peccata«. Evigilans vero vir venerabilis (...) De loc o eode m ub i a paganis indign e
(-)
Nam sinodicis agregatis concionibus (...)
La réécriture d u dossie r hagiographiqu e d e Zoï'le d e Carrion 2 6
3
fuerat repositu m beatissimu m corpus , a d hasilicam
in honore beatiFelicis martiris antiquitus fahre factam, cum tocius popul i obsequi o cler i quoqu e psal lentis tripudio , a sancto Agapi o translatu m es t et honorifice cum cereis e t aromatibus sepultum.
(...) cenobium centum monachorum, ve l patrum, i n Ib i centum monachos e t und e vitae Stipendiu m hahoc loco (...) constitua (...), ut gloria m tant i marty - beren
t largiflu e constitua, qu i assidu e De o (...).
ris crescente i n secula etern a veneretur .
Ces exemples sont assez nombreux e t assez probants pour qu'i l soit permis de relativiser fortement l'avertissemen t préliminair e de Raoul. Que celui-ci ait eu du mal à déchiffer le s caractère s wisigothique s es t possible , mais , seul o u ave c l'aid e d e moine s
rompus à ce type d'écriture, il a parfaitement l u le texte de son prédécesseur et l'a abondamment utilisé, tant du point de vue du fond qu e de celui de la forme63. Il prétend cependant qu e certain s passage s étaien t illisible s e t qu'i l du t alor s s e contente r d e re constituer »c e dont i l était question« . Pourquoi avoi r minimis é un e dépendanc e qui ,
dans le cas des miracles, est respectueusement soulignée ? On peut y voir deux raisons.
La première serait, comme nous l'avons déj à suggéré, l'utilisation d e cette topique e n
vertu de laquelle un auteur retrouve un vieux manuscrit quasiment illisible, qui lui permet in extremis d e conserver, pour la postérité, le souvenir d'un sain t dont la geste serait irrémédiablemen t effacé e san s so n intervention . Nou s penson s que , sans devoi r
être totalement rejetée, cette explication reste insuffisante. Raoul ne mentionne pas seulement le mauvais éta t de conservation d u manuscri t utilisé , il est également fort cri tique enver s le s scribes, trop négligent s pou r écrir e correctement 64. Mai s c e mécon tentement teint é de condescendance n e vaut que pour l a Passio, en aucun ca s pour l e
ou les récits de miracles ayant nourri sa propre collection. Or ces miracles perdus, postérieurs à la translation (milie u des années 1060), étaient très certainement postérieur s
aussi à la »clunification« (1076), qui vit l'arrivée à Carrion de moines »français« , for més dans des scriptoria du nord des Pyrénées. La Passio que Raoul avait sous les yeux
était donc écrite en caractères wisigothiques, mais les miracles étaient certainement e n
minuscule Caroline . Derrière le mépris affich é pou r l a »négligence de s scribes«, il y a
donc san s doute, implicitement, l'affichag e d e ce qui étai t ressent i comm e un e supé riorité culturelle: le clerc venu d e la Gallia dépréciai t un systèm e d'écriture margina l
et en cours de disparition. Ce sentiment était évidemment renforcé par le passage de la
liturgie hispanique à la liturgie romaine, entériné seulement un demi-siècle plus tôt. A
cette même époque, les clercs de la péninsule faisaient disparaîtr e les témoins manus crits du rite wisigothique, désormais inutiles . Le manuscrit 11556, dans lequel nous a
63 Je ne me rallie donc pas, sur ce point, a u jugement contrair e d u professeur Manue l Cecili o DfA Z Y DfAZ ,
Très Codices (voir n . 17) p. 25 (»No aparece , e n efecto, e l menor recuerd o d e un texto ta n importante pa ra e l culto d e Zoilo com o la llamada Inventio«). C e qu i n e m'empêch e évidemmen t pa s d e reconnaîtr e
une insolvable dett e envers l'auteu r de l'Index Scriptorum Latinoru m Medi i Aev i Hispanorum e t de tan t
d'autres travaux, dett e qu e je partage ave c tous ceu x qui s'occupent, de près o u de loin, de littérature la tine hispaniqu e médiévale .
64 Passionem (,..)sed etiam scriptorum neglegentia corruptam (fol . 140 v). Il peut d'ailleur s y avoi r simul tanément topiqu e e t reflet d e la réalité: topique pou r l e manuscrit ancien , réalit é plus o u moins exagéré e
pour l'écritur e difficile à déchiffrer .
264
Patrick Henrie t
été conservé le dossier de saint Zoïle, est exemplaire est à cet égard puisqu'il s'agit pour
l'essentiel d'u n palimpseste , conservan t le s trace s d e plusieur s Codices liturgiques
condamnés à la damnatio mémorise 65.
Raoul étai t don c trè s certainemen t u n moin e français , convainc u qu e l'Églis e his panique avai t e u raiso n d e s'aligne r su r le s usages d e Rome e t du mond e ultra-pyré néen. Il est alors tentant d'imaginer qu'i l pourrait êtr e ce même Raoul qui, sans doute
entre 1102 et 1104, rédigea une Vita d'Aleaume d e Burgos (f 1097) 66. Moine originai re de la Chaise-Dieu, Aleaume avait été un proche conseiller de la reine Constance, une
»française« ayan t épous é le roi Alphonse VI (f 1109) 67. La possible identité entr e ce t
hagiographe e t notr e Raoul , thuriférair e d e Zoïle , a déjà ét é avancé e à plusieurs re prises, mais elle n'a pas fait l'unanimité 68. O r c e problème en apparence secondaire ne
peut nous laisser indifférent, ca r la Vita Ledesmi offr e précisémen t un bon exemple de
ce »complexe d e supériorité« de s clercs français vis-à-vi s de leurs homologues hispa niques. Rodulfus y retranscri t e n effe t l a lettr e pa r laquell e Constanc e demand e à
Aleaume d e veni r l a rejoindre . N'ayan t pa s ét é conserv é pa r ailleurs , c e text e a d e
bonnes chance s d'êtr e apocryph e e t doi t e n tou t ca s êtr e l u ave c la plus grand e cir conspection. Mais il représente a u moins le point d e vue de l'hagiographe: o r celui-c i
affiche u n incontestabl e mépri s pou r l e mond e hispanique , a u sei n duque l l a rein e
Constance se présente comme une exilée in angulo terrae car »la doctrine apostoliqu e
y parvient à peine«69. Les arguments contre une identification des deux Raouls ne manquent pas. Il s peuvent être stylistiques, mais aussi porter sur le contenu des textes. L'auteur de la Translatio Zoili, en effet, ne semble pas connaître le roi Alphonse VI, qui avait
pourtant régn é plus d e quarante an s sur la Castille e t le Leon70. Or l e premier Raou l
écrivait san s dout e d u vivan t d e c e souverain . Un e bonn e trentain e d'année s sépar e
d'autre part les deux textes. Cependant, tous ces arguments s'écroulent à la lecture du
Prologus in passione sancti Zoili. Celui-c i reprend e n effet trè s fidèlement, no n toute fois sans l'adapter lorsqu e le besoin s'en fait sentir, le prologue de la Vita de Robert d e
la Chaise-Dieu ( f 1067) écrite par Marbode de Rennes (f 1123). Or auss i bien Lesmes
65 Description d u palimpseste et des pièces qui peuvent être identifiées dan s José JANINI, LO S fragmento s
visigoticos d e Sa n Zoil o d e Carrion, dans: Liturgic a 3 (1966) , ou ID . et Jos é SERRAN O (voi r n . 27)
n°115-116, p. 149-150.
66 ES 27, p. 841-866. Pour la datation, cf. Vitalino VALCARCEL, La Vita Adelelmi de l monje Rodulfo, dans:
San Lesmes en su tiempo, Burgos 1997, p. 107-124, ici p. 115-116.
67 Bernard F. REIIXY, The Kingdom of Leön-Castilla under King Alfonso VI (1065-1109), Princeton 1988,
p. 107-112,146-147,240-241.
68 Pour Pidentité : Manuel Cecili o DfAZ Y DfAZ, Rodolfo, dans : Diccionario d e Historia Ecclesâstic a d e
Espafia, Madrid 1973, IÏ,I p. 2100; J. GIL , La biografîa, dans: La cultura del românico. Siglos XI al XIII.
Letras. Religiosidad. Artes. Ciencia y vida, Madrid 1995 (Historia de Espafia Menéndez Pidal, XI), p. 55
(»Un monje Uamado también Rodolfo, quizà el mismo cantor de las virtudes de Lesmes«). Contra: VALCARCEL (voir n. 66) p. 114.
69 Lettre de la reine Constance: ES 27, p. 857-858. Ce texte a aussi été éditée à part: Fidel FITA , El concilio nacional de Burgos e n 1080, dans: Boletin de la Real Academia de la Historia 49 (1906) p. 375-378.
Ad nos autem Pyrenœis montibus interjectis quasi ceteris afidelibus longius remotos y et in angulo terrae
positos, apostolica vix unquam doctrinaperveniat, E S 27, p. 858.
70 Voir n. 59.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
265
de Burgos que son biographe, Raoul, étaient originaires d e la Chaise-Dieu71. L e texte
de la Vita Roberti n' a guèr e circulé hors d e l'espace »français « e t on n'en connaî t au cune autre mention à cette époque e n péninsule ibérique . Il y a donc là un indice très
fort d e l'appartenance d u secon d Raou l à la Chaise-Dieu. Imagine r qu e deu x hagio graphes nommés Raou l et originaires d u mêm e monastère aien t opéré dan s la péninsule en une trentain e d'année s n'es t pas totalement impossibl e mai s nous sembl e trè s
peu vraisemblable. C'est don c sans doute un même homme qui a rédigé la Vita Ledesmi a u débu t d u XII e siècle , puis refond u l e dossier hagiographiqu e d e Zoile dan s le s
années 1130. Cette petite découverte conforte l'orientatio n »anti-hispanique « d u prologue d e l a Translatio atque miracula sancti Zoili, puisqu e celle-c i s e retrouvait déj à
clairement dans la Vita Ledesmi. Dan s les milieux de clercs »francos«, le mépris ou, tout
au moins, la condescendance pou r l a situation d u christianism e ibériqu e avan t l'arri vée des réformateurs septentrionaux , étai t bien réelle.
C'est san s doute dans ce contexte qu'i l faut comprendr e l a critique par le »secon d
Raoul« d u travai l d'u n scrib e qu i écrivai t nécessairemen t ave c de s caractère s hispa niques auxquel s i l n'était pa s habitué . Et derrièr e Raoul , c'est san s dout e l a commu nauté de Carrion, communauté clunisienn e depuis 1076, qui exprimait le désir de disposer de textes facilement lisibles, rapportant toute l'histoire de Zoïle, et non seulement
les miracles. Il n'est pa s interdit d e penser qu e c'est encor e cette volonté qu i affleur e
sous la formule, certe s anodine , du colopho n (fol . 148): Petrus apostolicam mereatur
habere coronam / Huncpropter librum studioso pollice scriptum. Ce Pierre n'est cer tainement pas le scribe - on peut d'ailleurs identifier plusieurs mains dans le dossier -,
mais bien le prieur commanditaire e t ami de Raoul72. Tout en revendiquant la responsabilité d'auteur intellectuel, il met peut-être l'accent, lui aussi, sur la réécriture au sens
matériel du terme: le »livre« a été écrit studioso pollice, d'un e mai n studieuse. Il est lisible. Si l'on admet cet arrière-plan de rénovation du passé hispanique, bien attesté par
ailleurs, on comprend alor s un peu mieux pourquoi i l était difficile à Raoul de reconnaître pleinemen t s a dett e enver s l a premièr e Passio. L'auteu r d e celle-c i étai t pa r
ailleurs anonyme, et assumer une quelconque dépendance n'aurait apporté aucune espèce d'autorit é o u d e prestig e à Raoul. E t pourtant , s a dett e enver s l e Passionnair e
hispanique est peut-être plus grande encore que la confrontation de s deux textes ne le
laisse entrevoir .
La comparaison synoptiqu e à laquelle nous nous sommes livré ne pouvait e n effe t
porter que sur les séquences présentes dans les deux oeuvres, BHL 9024d et ms. 11556.
Or cett e nécessité exclut presque entièremen t l a Passio telle que Raoul la rapporte, le
premier hagiographe ayan t expédi é celle-ci en quelques lignes pour s e concentrer su r
Yinventio. Un e question s e pose alors: d'où Raoul , qui décrit longuement l'interroga toire de Zoïle par un crudelis iudex, a-t-il tiré ses informations ? Existait-il un autre récit
71 Marbode d e Rennes, Vita beau Roberti, éd . Antonella DEGL'INNOCENTI , Florenc e 1995, p. 2-4. Sur ce
texte (BHL 7261) cf. auss i EAD. , L'opér a agiografic a d u Marbodo di Rennes, Spolète 1990, p. 183-197.
Sur Raoul biographe d'Aleaume: VALCARCE L (voir n. 66) p. 113-114. J'avais dan s un premier temps, et
donc lors des ateliers parisiens, tenus dans les locaux de l'Institut Historiqu e Allemand, qui sont à l'origine de cette publication, rejeté l'identité des deux Raouls. Les relations du prologue de la Passio sancti Zoili avec celui de la Vita Roberti, découverte s ultérieurement, m'obligen t à changer d'avis.
72 JANINI, SERRAN O (voi r n. 27) p. 148, caractérisent ce Pierre comme le scribe.
266
Patrick Henrie t
de la Passio Zoili, aujourd'hu i disparu ? La chose nous semble assez peu probable, car
aucun de s manuscrit s d u Passionnair e parvenu s jusqu' à nou s n'e n conserv e l a trace.
Cette hypothèse ne peut pourtant pas être totalement exclue. Mais il est aussi fort possible que par le terme Passio, Raoul ne désigne que le texte retrouvé par Baudouin d e
Gaiffier e n 1938, texte qui, pa r son intégration au Passionnaire, côtoyait d'authentique s
récits de martyre. Le doute subsist e donc. Notre moin e hagiographe a pu accomplir ,
pour cett e partie d e la »Passio«, un travai l d'écriture o u d e réécriture. Mais un poin t
semble, en tout cas , probable: sa dette envers le Passionnaire hispanique, qu'il ten d à
minorer, reste sans doute valable pour la Passion proprement dite. En effet, s'il a réécrit
un texte disparu, nous n'avons aucune raison de penser qu'il s'est d'avantage affranchi
de celui-ci que pour le récit de Yinventio. Mais , dira-t-on, s'il a bâti de toutes pièces le
récit dialogué que nous transmet le manuscrit de Madrid? Il lui restait alors la possibilité d e prendr e de s mot s e t de s situation s dan s d'autre s passions , don t certaine s s e
trouvaient peut-être dans le même manuscrit que celui qui contenait le court dossier de
Zoile. En matière d'hagiographie martyriale , cependant, ses références e t son lexiqu e
provenaient peut-être d'oeuvres circulan t a u nord de s Pyrénées. Les passions proprement hispanique s avaien t d'ailleurs , pou r certaine s d'entr e elle s e n tou t cas , trouv é
place dans des manuscrits francs fortement influencé s par le monde ibérique, ainsi que
l'a bien montré Rosa Guerreiro 73 . On ne peut donc exclure l'utilisation d'un manuscri t
mixte, »franco-hispanique« 74. L a présenc e d e Codices de c e typ e e n péninsul e rest e
cependant, pou r l e premie r tier s d u XII e siècle , trè s hypothétique . L e plu s ancie n
témoin d e Passionnair e véritablemen t hispaniqu e écri t e n caractère s »français « n e
remonte qu'au XIII e siècle75. Or s'il est bien, comme nous le supposons, le créateur du
récit de la Passio, Raoul devait nécessairement avoir quelques passions sous les yeux. Il
semble donc raisonnable de l'imaginer, avec ou sans l'aide de moines locaux, feuilletant
le Passionnaire hispaniqu e pou r y prendr e de s tournure s e t de s situations 76. I l n'es t
d'ailleurs pa s difficil e d e releve r dan s la Passio Zoili d e Raou l certaine s expression s
renvoyant directemen t à de s texte s qui , a u v u d u conten u de s recueil s hispanique s
conservés, étaient certainement présents dans le manuscrit mis à sa disposition par les
moines de Carrion 77 . Tributaire o u no n d'une Passio antérieure, Raoul a bien écrit e n
73 Ros a GUERREIRO, Le rayonnement d e l'hagiographie hispanique en Gaule pendant le haut Moyen Âge:
circulation e t diffusio n de s Passions hispaniques, dans : Jacques FONTAIN E e t Christin e PELLISTRAND I
(éds.), L'Europe héritière de FEspagne wisigothique, Madrid 1992, p. 137-157 (Collection de la Casa de
Veiâzquez, 35), avec p. 157 une liste de vingt-quatre manuscrit s originaire s de la Gaule.
74 Soit composé au nord des Pyrénées, en caractères »français«, mais intégrant plusieurs passions hispaniques.
75 Archives de la cathédrale de Tolède, ms. 44.11 (voir n. 60).
76 II ne fait guèr e de dout e qu e le s moines hispanique s »clunisiens « savaien t lire P écriture hispanique , y
compris lorsqu'ils venaient de France. Bernard de Sédirac, abbé de Sahagun puis archevêque de Tolède,
confirme diver s acte s royau x écrit s e n caractère s wisigothiques : FLORIAN O CUMBREN O (voi r n . 13)
p. 430. Le Libro Becerro (cartulaire ) de Sahagun, écrit e n minuscule wisigothique, date de 1110. Or c e
monastère avait été »normalisé« selo n les usages de Cluny à la fin des années 1070.
77 Ainsi des expressions ligati stipibus (fol. 136 v), présente dans les passions de Sébastien et compagons o u
de Fructueux , Augur e e t Euloge, FÄBREG A GRAU (voi r n . 24) II, p. 174 et 185; ludibria et verbera
(fol. 137), présente dans la Passion de Léocadie, FÄBREGA GRAU (voir n. 24) II, p. 66; nescio quem Christum (fol. 136 v), présente ibid., II, p. 66-67 (nescio cui Christo) etc.
La réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrion
267
s'immergeant dan s l a thématique e t le vocabulaire d u Passionnair e hispanique . Mai s
ceci vaut seulemen t pou r l a Passio. Pour le s miracles post mortem de Zoïle, il change
résolument d e style , abandonn e le s tournure s précieuse s e t recherch e désormai s l a
brièveté.
V. LA R É É C R I T U R E D E S M I R A C L E S O U L E C H O I X D U
SERMO HUMILIS
Si l'on sui t l'édition d e Florez, la structure d u recuei l de miracles semble fort simple .
Nous avon s une suite de 21 récits, généralement for t courts , qui oscillent, dan s la typographie de YEspana Sagrada, entr e 8 et 38 lignes. La lecture du prologue de Raou l
montre cependant que là encore, il s'est agi d'un travai l de réécriture. Il convient don c
de lire attentivement c e texte, de comprendre le s motivations d u remaniement , enfi n
d'essayer d e savoir à quel type de texte notre hagiographe s'est trouvé confronté .
Raoul fai t allusio n à plusieurs reprise s à de s récit s d e miracle s préexistan t à so n
propre travail. Dans le premier prologue, il est trop vague pour qu e l'on puisse savoir
avec certitude à quel texte il fait allusion: ce qu'un auteur a écrit dans un style dissemblable et difficile, Raoul tentera de l'expliquer brièvement et simplement78. Cette mention peut s'applique r auss i bien à la Passio et à la première translatio qu'au x miracles ,
dont Raoul sait déjà qu'il va être amené à les réécrire79. Le second prologue es t en revanche beaucoup plus précis. L'auteur nous apprend en effet qu'i l va ajouter à sa »première oeuvre« une translation, dont il est bien difficile d e savoir s'il en existait déjà une
première version, ainsi que des miracles: (...)priori operi translacionem adnectam atque
miracula primi scriptoris stilum sectando so .. . Tout le problème est ici de savoir si primi scriptoris doit êtr e rapporté uniquemen t à miracula, o u bie n à translacionem (...)
atque miracula. Nou s avon s déjà vu que Raoul, dans le récit de la translation, présentait comme des contemporains des membres de l'expédition qui étaient forcément dé cédés dan s les années 1130 81. Il semble donc raisonnabl e d'imagine r un e dépendanc e
de sa part enver s une translatio antérieure , écrite par un moine qui aurait, quant à lui,
bel et bien parlé avec des témoins oculaires . Cette conjectur e pren d forc e à la lecture
d'un réci t de miracle survenu duran t l a translation, mais intégré par Raoul au x miracula> celui-ci précisant sicut scriptum est. La réécriture porte donc très certainement sur
l'ensemble du second dossier, translation et miracles. Le premier récit de la translation
aurait été écrit entre le milieu des années 1060 et la fin du XI e siècle, à partir des récits
de milites ayan t fait l e voyage de Cordoue à Carrion.
Pour ce qui est des miracles, l'hypothèse d'u n recuei l très ancien, soit antérieur à la
translation et à la dotation du monastère, doit être résolument écartée. Non seulemen t
les recueils hagiographiques ibériques n'en portent pas trace, mais surtout les vingt-et78 Voir n. 51.
79 (... ) sancti videlicet Zoili, cuius martyrium vel miracula si ut vos cogitis cudere tentamus (fol . 135).
80 Fol. 140.
81 Voir n. 54.
268
Patrick Henrie t
un récit s d e Raoul s e déroulent autou r d u monastèr e d e Carrion et mettent e n avan t
des pèlerins de diverses origines , dont certain s s e rendent à Compostelle. Il s sont in imaginables sans la présence des reliques de Zoïle. Ce premier recueil de miracles avait
sans doute été composé par un moine clunisien venu de France, en tout cas par un clerc
utilisant la minuscule Caroline. En effet, alors qu'il critique l'état matériel de la première
Passio et la négligence de son scribe, l'auteur ren d en revanche hommage à son prédécesseur sans faire allusion au moindre obstacle matériel. Des miracles avaient été composés, nous dit Raoul, par quidam sapiens. Ils étaient écrits ritmice e t vont être réécrits
humili sermone, mai s dans un espri t de grande fidélité a u modèle 82.
Mais c e premier recuei l était-i l le seul? Le second prologue es t sur c e point moin s
clair. Après avoir découvert l'existence de Phagiographe sapiens, nous apprenons pou r
terminer qu'il existait (aussi?) quaedam miracula prolixius scripta qu'il convient de réécrire, rescribi, dit Raoul assumant ici pleinement son travail de réécriture83. Si tous ces
miracles étaient rapporté s singulis verbis, c'es t tou t u n volume qu'i l faudrait compo ser84. Ainsi le travail du remanieur n'est-il pas seulement de simplification, ave c le passage d u »rythme « a u sermo humilis, mai s auss i d'abréviation . Ce s diverse s informa tions, irremplaçable s a u momen t d'examine r le s miracles , laissent comm e o n l e voi t
subsister quelques zones d'ombre. Les moines de Carrion n'avaient-ils à leur disposition qu'u n text e en prose »rythmique« ? Existait-i l encor e des brouillons mi s à profit
par l'hagiographe sapiens^ Et surtout, les quaedam miracula prolixius scripta auxquels
il est fait allusion doivent-ils être attribués à ce dernier? La formule utilisée, Sunt quaedam miracula, qu i fait presque immédiatement suit e à l'allusion au x Miracula »ryth miques«, semble bien indiquer que Raoul a pu choisir dans une matière abondante, qui
ne se limitait sans doute pas à un seul recueil. D'autres élément s vont d'ailleurs dans le
même sens.
L'examen d u manuscri t 11 556 de Madri d perme t e n effet , croyons-nous , d e re composer a u moins partiellement l e puzzle d u dossie r d e Zoïle. Nous avon s déj à v u
que la Passio y était précédée de trois miracles isolés, appartenant à un autre cahier, mais
ultérieurement intégré s au recueil tel que l'a édité Flörez en leur attribuant le s numéros 5,6 et 7. Or ces trois récits présentent certaines différences formelle s ave c ceux qui
suivent l a seconde translation . Deu x d'entr e eu x sont, par rappor t a u rest e d e la collection, plus longs. Le n° 5 de Flörez est d'assez loi n le plus prolixe. Le n° 7 arrive en
seconde position, à égalité avec le premier miracl e de l'après-translation. L e n° 6, enfin, es t dans la moyenne. Plus important, ce s trois textes montren t un e accumulatio n
de rimes, principales et secondaires, qui permettent de les définir comm e prose rimée.
82 Miracula vero que quidam sapiens ritmice scripsit, nos humili sermone Deo iuvente replicare îemptabimus} ita ut verbum ex verho trahendo aprimorum titulorum sentenciis non discordemus (fol . 141).
83 Voir n. 53. Raoul se situe dans la logique de la première partie de la définition d u terme »réécriture«, telle qu'elle est proposée pa r Monique Goulle t e t Martin Heinzelman n dan s Pintroduction à ce volume:
»rédaction d'une nouvelle version (hypertexte) d'u n text e préexistant (bypotexte), obtenu e par des modifications formelles qui affectent l e signifiant (modifications quantitative , structurelles, linguistiques)«.
Mais sa réécriture correspond aussi , comme on va le voir, à la deuxième partie de cette définition: »mo difications sémantiques , qui affectent l e signifié«.
84 (... ) maxime cum tanta sint y ut si singula singulis verhis recitarentur, volumen maximum extenderent
(fol. 141).
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
269
Ainsi, le début du miracle n° 5, relatif à un artisan refusant d'honore r Zoïle , peut-il être
grossièrement décompos é comm e suit (éd. Florez, p. 498-499):
1. Ulis in partibus /
ubi venerabile sacri ipsius corporis pignus /
quiescit translatum, /
célèbre indictum fuerat solemniu m /
eiusdem sub honore colendum /
communi indigenorum veneratione plebium .
2. Ceteris ergo solemnitatis praedictae cultui devote obsequentîbus, /
atque ex more ab opère servili solicite caventibus, /
faber quidam incudum aggressus officina m
coepit temere fabrili insistendo operi, / celebrem diei inquietare quietem, /
porro vicinea in qua id agebatur, /
indigna patiebatur, /
quia reverentiae decus, quod a cunctis pariter sancto martyri exiberi jubebatur, /
ab illo duntaxat fabro, quasi nihili penderetur .
3. Unde cum redargueretur, /
quare sancti Zoyli solemnia rite colère dedignaretur, /
ut quia vel saltim non vereretur, /
ne forte sanctu s ei martyr ob id indignaretur, /
sibique ab illo juste talio ultionis rependeretur, /
tune ille redarguentes se, nec sine sancti injuria, talite r illud esse spernebatur .
Ces rime s e t ce s homophonies, qu i semblen t ic i systématiques, n e s e retrouvent pa s
dans les miracles des folios 143-147^. Il semble donc légitime de formuler l'hypothè se suivante: ces trois miracles déclassés ne sont sans doute pas l'œuvre de Raoul, comme o n es t amené à le croire e n lisant l'éditio n d e Flôrez, mai s bie n d e c e quidam sapiens qu i écrivait ritmice S5. I l existe d'ailleurs une autre raison pour retirer ces miracles
au remanieur et pour leur assigner une origine plus ancienne. Leur titre est en effet ru brique en rouge par le scribe du XII e siècle. Or ce n'est pas le cas des miracles de Raoul,
seulement introduit s pa r desaliud o u aliud miraculum> le titre ayan t ét é rajouté ulté rieurement, a u XIV e ou a u XVe siècle, à l'encre brune 86 . Selon toute probabilité, l'auteur des trois miracles avait donné un titre à ses récits, mais Raoul n'avait pas pris cette peine.
Deux questions s e posent alors . Pourquoi trouve-t-o n ce s récits à cette place dan s
le manuscrit? Pourquo i Raou l n e le s a-t-i l pas réécrits ? Commençon s pa r l e secon d
problème. Il n'est e n réalité pas si sûr que ces miracles aient été soustraits à l'effort d e
réécriture. Le premier miracle suivant la translation marque en effet l e début d'un ter nion87. I l est accompagné , à droite d e la première ligne , par l a mention aliud. On n e
voit donc pas comment c e récit pourrait constitue r le début du recueil de Raoul. Seule explication possible: il existait un cahier intermédiaire rapportant d'autres miracles ,
85 Raoul parle de prose »rythmique« , ce qui semble renvoyer à un systèm e quantitatif d e cursus. Pascale
Bourgain, oralement lors du colloque, puis Monique Goullet, après celui-ci, m'ont cependant confirm é
que le terme pouvait très bien désigner une prose rimée fondée su r les consonances.
86 Peut-être au XIV e siècle d'après l'écriture. On a parfois effacé le aliud rouge pour mettre le titre à la place
(fol. Î43 v par exemple) .
87 Fol. 143.
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mais il a été perdu. Il est donc fort possible que les trois récits de l'hagiographe sapiens
aient figuré, réécrits par Raoul, dans ce cahier disparu. Mais pourquoi les avoir copiés,
dans leur version primitive, à cet emplacement du manuscrit, soit en amont du dossier?
Revenons un instant sur l'organisation d u codex. Le quaternion auque l appartiennen t
ces trois pièces est d'abord occup é par la fin du Prognosticon futuri saeculi de Julien de
Tolède. On a ensuite utilis é le s feuillets restants , sans plan préétabli, pour conserve r
des oeuvres courtes. Il est ainsi difficile d e comprendre pourquoi la lettre de Grégoir e
VII à Hermann de Metz es t brusquement interrompu e e n bas du foli o 130, lequel se
poursuit au verso par les trois miracles de Zoïle, les Sententie de penitentia Salomonis
et peut-être d'autre s texte s encore , la mutilation d u cahier étant un autr e mystère. La
présence de s trois miracle s de Zoïle permet cependan t d e suggérer qu'a u momen t d e
relier le manuscrit, voire même avant, le cahier transcrivant les premiers récits réécrits
par Raoul était introuvable. Si ces miracles jouissaient au monastère d'une certaine notoriété, il a sans doute semblé bon alors de les récupérer dans l'œuvre de l'hagiograph e
sapiens et de les glisser dans un espac e disponible 88.
Dans l'optique d'une réflexion sur les réécritures en hagiographie, cette situation est
regrettable. On n e peut e n effet mettr e côt e à côte les trois miracle s de l'hagiograph e
sapiens, reliquat d'une oeuvre sans doute bien plus ambitieuse, et leur vraisemblable reprise dans les années 1130. Le travail de comparaison entr e le ou les dossiers primitif s
et le recueil de Raoul n'est cependant pas totalement impossible. Pour cela, il nous faut
maintenant examiner la fin du dernier des trois cahiers transmettant le dossier de Zoïle. Le dernie r miracl e édit é par Flörez s'achève a u ba s d u foli o 147 v. Celui-ci es t ca ractérisé par u n changemen t d e main e t d'encre. L e folio suivant , dernie r d u ternion ,
est occupé au recto par deux hymnes, écrites par deux mains différentes, puis , au verso, par un miracl e sans rubrique e t inachevé 89. La suite devait logiquement s e trouver
sur le premier feuillet d'u n cahie r qui n'a pas été relié à la suite et a aujourd'hui dispa ru90. O r c e dernier miracl e n'a pa s été édité par Flörez, qui ne connaissait pas le manuscrit 11556. Il est question dan s c e récit d'u n boulange r d u bour g d e Carrion, travaillant lors de la fête du saint. La fin de l'histoire manque , mais tel qu'il a été conservé, le texte montre que le miracle survenait au moment où le boulanger, qui avait toutes
les difficultés à pétrir sa pâte, s'apprêtait à retirer le pain du four. La lacune du manus crit n'empêch e pourtan t pa s d e reconstitue r l a fi n d e l'histoire . L e foli o précéden t
contient e n effet l e dernier miracle édité par Florez. Or celui-c i rapporte, mais sur u n
mode nettement plus bref, la même histoire. De la même façon, un homme cuit du pain
alors qu e les habitants d u bour g fêtent l e saint. Lorsqu'i l veu t retire r d u fou r l e produit de son travail, il en trouve une partie réduite en cendre et l'autre, sous l'apparen ce d'une croût e appétissante, pareille à des excréments. Désireux de faire pénitence, le
88 Autre possibilité: Raoul n'aurait pas réécrit ces trois miracles, mais les moines de Carrion auraient tou t
de même voulu le s conserver. Cett e hypothèse m e semble en réalité peu probable, car : 1) La vraisem blable disparition d u cahie r qui aurai t dû figurer entr e les folios 142 et 143 ne permet pas de formule r
des hypothèses quan t au x textes délaissés par Raoul, en admettant qu'i l y e n ait eu. 2) Le fait qu e To n
ait tenu à Carrion à copier ce$ trois miracle s montr e qu e Ton y tenait . Dans ce s conditions, pourquo i
Raoul les aurait-il éliminés ?
89 Fol. 148.
90 Le feuillet 149 et les suivants sont occupés par les miracles de saint Nicolas, mais le début manque .
La réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrion
271
coupable, accompagné d'une foule d'hommes et de femmes, gagne l'église de saint Zoïle où les moines son t en train de chanter l'hymn e marquan t l a fin d e la messe 91. Tous
entonnent alor s le Te Deum laudamus a u son des cloches 92. Cette histoire es t assurément la même que celle qui figure un peu plus loin, au dernier feuillet d u cahier. Il reste à savoir d'où provien t cette version inédite.
Raoul n'en es t sans doute pas l'auteur. L e colophon marquan t l a fin d e son œuvr e
se trouve e n effet à la fin de s hymnes e n l'honneur d e Zoïle, soit juste avant. L e mi racle du boulanger dans sa version longue semble donc exclu du corpus des textes composés par Raoul. Mais a-t-il été réécrit d'après celui-ci , pour amplifie r u n réci t initia lement bref , o u lu i est-i l a u contrair e antérieur ? Tou t port e ver s cett e dernièr e solu tion. La versionprolixior devai t en effet avoir une dimension considérable: ce que nous
en conservons correspond à peu près au premier tiers du récit de Raoul93. Et pourtant,
tel quel, ce texte mutilé est déjà le plus long de tous les miracles du recueil 94. Raoul a
par ailleur s gomm é l e nom d u boulange r e t de sa femme, ains i que la description de s
difficultés pou r pétrir la pâte, description qui, chez l'hagiographe anonyme , s'accom pagnait d'u n certai n nombr e d e terme s technique s asse z rares 95. Il sembl e don c qu e
nous nou s trouvion s l à en présence d e l'un d e ces miracles particulièremen t prolixe s
mentionnés dans le second prologue 96 . Le fragment conserv é ne révèle aucun effort d e
style particulier e t ne peut par conséquent êtr e rangé au côté des trois miracles placés
en amont de la Passio. Voilà qui confirme qu' à côté de la prose rimée de l'hagiograph e
sapiens, il existait auss i un certai n nombr e d e textes, remarquables pa r leu r longueu r
plus que par leur style . Si l'un d'entr e eu x a été recopié après l'œuvr e d e Raoul, c'es t
sans doute à la fois car le verso du dernier folio restait libre, et parce que d'un point de
vue thématique, i l montrait bie n l a nécessité d e respecter l a fête d e Zoïle. Il es t mal heureusement impossibl e d e savoir s i le cahier perdu qui , nécessairement, devai t dé buter par la fin de ce récit, comportait également d'autres miracles. Nous ne savons pas
davantage quel s étaien t le s rapports entr e cet hagiographe »prolixe « e t l'hagiograph e
sapiens, en particulier e n termes de réécriture.
On le voit, les Miracula sancti Zoili méritent de ne pas être lus seulement dans l'édition de Flörez. Malgré la persistance d'un certain nombre de points obscurs, il est maintenant possible de tirer quelques conclusion s d e ce qui précède, toujours sou s l'angl e
de la réécriture. En reprenan t e t en aménageant le s miracles d e Zoïle, Raoul mettait à
la disposition d e la communauté carrionais e un corpu s facilemen t utilisable . Rédigé s
en sermo humais, se s récits pouvaient être lus, entendus et compris rapidement par tous
91 ES 10, p. 507 (himnum dicebant, quod solitum est dicipost missam).
92 Cceperunt ex intimis prœcordiis, signa puisantes» Te Deum laudamus decantare y ibid. Le feuillet suivan t
est occupé par les deux hymnes en l'honneur d e Zoïle, ce qui n'est peut-être pas une coïncidence .
93 A peu près jusqu'à la cinquième ligne (cum eosdem horis competentibus aspiceret, ES 10, p. 507).
94 3 1 lignes conservées, de même que pour le miracle Defabro (E S 10, p. 498-499). Celui-ci, comme on Ta
vu, n'est sans doute pas de Raoul.
95 En particulier: 1) Le verbe brégare (o u breiare), qui signifie pétrir la masse. Le terme se trouve dans les
coutumes de Bernard de Cluny (années 1080) et semble plutôt français, ce qui confirmerait l'origin e ultrapyrénéenne d e l'hagiographe »prolixe« . 2) Endes, instrument d e cuisine à trois pieds. Peut-être, ici,
le pétrin? 3) Clibanus, sort e de four mobil e en forme d e cloche. Le mot est souvent utilisé pour un fou r
ordinaire et c'est l e sens qu'il doit avoir ici. Tous ces termes ont disparu dan s le récit de Raoul.
96 Voir n. 53.
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les moines. Ce n'était sans doute pas le cas des textes antérieurs, trop longs ou trop bien
écrits. Mais ce souci de lisibilité n'était peut-être pa s dénué d'arrières-pensées . I l im porte ic i de dire quelques mot s d u context e socia l de toute cett e entreprise hagiogra phique. Lors des deux premières décennies du XII e siècle, les relations entre les moines
du monastèr e de Carrion et les habitants du bour g avaient ét é particulièrement heur tées. Le s »bourgeois « avaien t souten u l e ro i d'Aragon , Alphons e l e Batailleu r
(1104-1134), contre son épouse Urraca (1109-1126), proche quant à elle de Cluny. En
révolte ouverte contre Saint-Zoïle, ils avaient tenté d'affirmer leu r indépendance fac e
au pouvoir monastiqu e seigneurial 97. Le même phénomène es t attesté simultanémen t
dans d'autres établissements, en particulier, à une quarantaine de kilomètres, autour de
la grande abbaye de Sahagun98. C'est peut-être ainsi qu'il faut interpréter, dans nos miracles, les nombreux récit s d e châtiment d'habitant s d u bourg 99 . Cependant , lorsqu e
Raoul écrivait, le calme était revenu e t les relations sociales n'étaient pas aussi tumultueuses qu'à l'époque d'Alphonse le Batailleur et d'Urraca, une vingtaine d'années plus
tôt. C'es t san s doute l a raison pour laquelle , lorsqu'il abord e l a question de s opposi tions au culte de Zoïle, Raoul semble plus discret que son ou ses devanciers. La com paraison entr e les deux état s du miracl e du boulange r es t à cet égard significative . L a
version prolixior débutai t par une attaque contre la scélératesse des habitants d e Carrion, qui s'étaient, pou r certains d'entre eu x en tout cas, détournés d'u n sain t jusquelà convenablement honoré 100 . Or chez Raoul, il n'est question que d'un cas individuel,
celui du boulanger , qui travaille alors que tous le s autres Carrionenses populi respec tent la fête de Zoïle101. Schéma difficilement admissible ... Le même Raoul nous montre
ensuite l e coupabl e repentan t gagne r l e sépulcr e d u sain t accompagn é d e »quelque s
hommes e t d'une multitud e de femmes«102. Comment interpréte r cett e disproportio n
entre les sexes, si ce n'est par le refus d'un e partie de la population masculine de rendre
trop ostensiblemen t hommag e à un sain t qu i étai t certainemen t considér é comm e l e
97 Carrio n avait même servi de résidence à Alphonse le Batailleur. Cf. Antonio UBIETO ARTETA (éd.), Crönicas anönimas de Sahagun , Saragosse 1987, 26, p. 47, 31, p. 57, 74, p. 115 (Textos médiévales , 75). E.
FALQUE (éd.), Historia Compostellana, Turnhout 1988,1,73, p. 113-114; I, 84, p. 135-136 (CCCM 70).
Les événements décrits ont lieu en 1111-1112 et 1116.
98 Source principale: UBIETO ARTET A (voir n. 97), en particulier 74, p. 115 (en 1116, Carrion sert de refu ge à des bourgeois d e Sahagun). Études modernes : Carlos ESTEP A DIEZ , Sobr e las revueltas burguesa s
en el siglo XII en e l reino d e Leon, dans: Archivos Leonese s 27 (1974) p. 291-307; Reyna PASTO R D E
TOGNERI, las primeras rebeliones burguesas en Castilla y Leon (siglo XII). Anâlisis histôrico-social d e
una coyuntura, dans: ConfHctos sociale s y estancamiento econömico en la Espafia médiéval, Barcelone
1980, p. 13-101; H. Salvador MARTÎNEZ, La rebeliôn de los burgos. Crisis de estado y coyuntura social,
Madrid 1992.
99 ES 10, n° 3, 5, 7 (miracle antijudaïque), 14,17, 21, p. 497-499, 500, 504, 505, 507.
100 Preciosus martir igitur Zoylus atque gloriosus diu multumque enormitate scelerum Carrionem inabitantium off émus, acper hoc sue illustrissime gratie virtutem, qua in miraculis agendis actenus ineffabiliter claruisse dinoscitur, ab eis utcumque amovens, nee tarnen omnino a servis (?), sed aliquantisper quales ergua (sic) se vellent esse volens revelare, id est utrum honore dignum iudicarent (eumï) agendo miracuû sicut habuerant faciendo ea, (tandem}) taie miraculum facere voluit divinitus, quod non est
reticendum (fol . 148 v). Certains mots sont largement effacés .
101 Cum Carrionenses populi hujus sanctissimi martyris solemnitatem firmiter colerent, quidam panes coquendos infornace dicitur misisse, ES 10, p. 507.
102 Cum aliquis viris et numeroso agmine mulierum pervenit adsancti Zoyli tumbam, ibid .
La réécriture du dossie r hagiographique de Zoïle de Carrion
273
symbole d e la domination seigneuriale 103? Mai s i l n'était certainemen t pa s dan s l'in tention de Raoul de suggérer ce que nous croyons pouvoir lir e entre les lignes. Sur ce
point comme sur les autres, il dépendait d'un text e antérieur. Il importait de mettre en
valeur ce qui valait pour toute s le s époques, à savoir la virtus d e Zoïle et sa capacité à
souder autou r d e lu i l a communaut é de s burgenses e t de s moines . E t i l convenai t
inversement d'élimine r c e qui n'était plus d'actualité. Pourquoi insiste r sur l'hostilit é
au saint d'une grande partie des habitants du bourg alors que les révoltes appartenaien t
au passé? De même, à quoi bon rappeler le nom des principaux protagonistes de l'histoire? Le premier hagiographe , auteur d e la version prolixior, précisai t que le boulanger se nommait Pierre et son épouse Marie104. A la génération suivante, Raoul ne mentionne plus aucun nom. Plusieurs raison s peuvent êtr e avancées: tout d'abor d l'indif férence de l'hagiographe, qui n'était pas de Carrion et n'avait pas connu les personnes
en question. Ensuite, le passage du temps, Pierre et Marie étant peut-être déjà devenus
étrangers au x auditeur s e t au x lecteurs . Mais à l'inverse, o n peu t auss i imagine r qu e
Pierre e t Marie, ou à défaut leur s enfants , vivaien t encore . S i le climat étai t à la paix
sociale, il n'était peut-être plus nécessaire de désigner des coupables105. En tout état de
cause, la réécriture allait dans le sens de l'élimination de s circonstances le s plus particulières.
VI. R É É C R I T U R E E T A B R É V I A T I O N : R O D R I G U E D E
CERRATO
Après Raoul , les moines de Carrion disposaient d'u n dossie r complet, qui allait de la
Passio aux miracles post mortem en passant par les deux translations. Il n'y a donc pas
lieu de s'étonner que l'effort d'écritur e hagiographique, intense jusqu'aux années 1130,
cesse alors presque complètement. Il est cependant au moins une autre source, qui permet d e comprendre commen t l e dossier fu t encor e une foi s travaill é a u Moye n Âge ,
103 On sait que de la même façon, à Sahagun, les dépendants du monastère pouvaient s'en prendre aux »possessions des martyrs« tou t en se constituant e n confrérie e t en prêtant serment sur la croix et l'Évangile: cf . Pascual MARTÏNEZ SOPENA , La Tierra de Campos occidental. Poblamiento, poder y communida d
del siglo X al XIII, Valladolid 1985, p. 552-556. Les bourgeois révolté s se constituent e n hermandad.
Le fait qu e les clercs les présentent comm e de s pilleurs d'églises n e signifie évidemmen t pa s qu'ils on t
renoncé à tout cult e ... Cf. auss i UBIETO ARTET A (voir n. 97) p. 36-37.
104 Quidam homo Petrus nomine cuius uxor Maria dicebatur (fol . 148 v).
105 On trouv e d'autre s ca s dans lesquel s une réécritur e tai t de s noms qu i ont ét é donnés dans l a première
version. Ainsi dans les miracles de Virgile de Salzburg, écrits à la fin du XII e siècle, un quidam diaconus
et noster canonicus Otto nomine (ms . Mayence, Stadtbibliothek, I 553, fol. 173) devient, dans une se conde version du recuei l supplémentée d'une dizaine de miracles, iuvenis quidam diaconus et ecciesiae
eiusdem canonicus: W. WATTENBACH (éd.), MGH Script . 11, Hanovre 1854, p. 88. Exemple tir é d' Annegret WENZ-HAUBFLEISCH, Mir acutapost mortem. Studie n zum Quellenwert hochmittelalterlicher Mirakelsammlungen vornehmlic h de s ostfränkisch-deutsche n Reiches , Siegbur g 1998 , p. 90 (Siegburge r
Studien, 26), qui le met en perspective p. 85-94 et suggère que le nom du diacre a été tu »par discrétion«
(p. 91). On pourrai t san s doute multiplier les exemples, mais je ne connais pas d'étude spécifiqu e por tant sur r»oubli« de s noms propres dans les réécritures.
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mais dans une perspective qui , désormais, n'était plu s celle des seuls moines d e Carrion. Au XIII e siècle, Zoïle a en effet ét é intégré par Rodrigue de Cerrato à son légendier abrégé. Rodrigue, dominicain de Ségovie, termine son oeuvre en 1276 106. Il reprend
dans so n réci t le s différentes étape s d e la carrière du jeune marty r d e Cordoue : Passion, Invention par Agapit, translation du XI e siècle, miracles à Carrion. Du poin t d e
vue de la réécriture, deux questions s e posent:
1) Rodrigue a-t-il puisé toutes ses informations dan s le texte de Raoul, ou a-t-il également utilisé le Passionnaire hispanique ?
2) Au moment de donner une vulgate abrégée du long dossier de Zoïle, quels éléments
a-t-il privilégiés, et pourquoi?
L'hypothèse d'une utilisation par ce dominicain du XIII e siècle du Passionnaire hispanique ne vaut évidemment que pour le texte transmis par celui-ci, soit la Passion et
l'Invention d e l'évêque Agapit . Or ell e s'avère parfaitement fondée , c e qui est une relative surprise. En effet, dan s la mesure où il résume la seconde translation e t certain s
miracles, Rodrigue a nécessairement sou s les yeux le texte de Raoul. Il choisit néam moins d'utiliser auss i le premier témoi n de la Passio. Le tableau qu i suit met en vis-àvis des textes tirés du Passionnaire, de Raoul et de Rodrigue. Il permet d e bien mesu rer la dette de ce dernier enver s le texte wisigothique o u mozarabe . On t ét é indiqué s
en caractères gras les passages qui montrent comment celui-ci a constamment pris dans
le Passionnaire des mots et des expressions éliminés par Raoul. Les passages souligné s
font l'obje t d'u n commentair e particulier .
Rodrigue du Cerrato ,
lecteur du Passionnaire hispanique et de Raoul
Passionnaire Passio
du XIIe (Raoul) Rodrigu
Igitur beatissimus , e t preclaru s
sanctissimus marty r Zoilu s Cor dobensis civitatis, benenatissimorum e t clarissimoru m vi rorum indolis , dum in adules centietate(...)
Sanctus igitur Zoilus Cordube civitatis ex preclaris parentibusoriginem ducens> cum iam in primeve flore iuventutis gloriosius educaretur...
(...) subito a pagani s adreptus ,
ad pretorium quendam îudicis est
presentatus atqu e a d cultura m
demonum ut rediret, diu est exortatus. Qui , dum pe r multa die rum spati a ta m sermonibu s
quam verberibus esset flagellatus...
De superstitione christianitatis
apud crudelem iudicem accusatus,
hinc sibi primitus maluit présenta^ credens si illum torqueret
cuius insignia nobilitatis latere
non poterants facilius ad sacrificia
minora inclinaret.
e de Cerrato
In Spania, civitate Corduba, passio sanct i Zoyl i martyris , e t ali orum XVIII.to. Zoylus autem e x
parentibus clarissimîs Corduba e
genitus ab infantia christianus ,
cum Christum adhu c adolescens
publice confiteretur,
subito a pagani s tentu s judic i
praesentatur. Qui cum per multos dies sermonibus et muneri bus. u t idol a coleret, esset admonitus, christianu m s e ess e confi tens, capite plexus est ...
106 II s'agit de la deuxième recension (159 chapitres): DONDAINE (voi r n. 21). Les vies de saints hispanique s
sont réunies par VIVE S (voir n. 21).
La réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrion
275
(...) et i n cimiteri o civitatis cu m
peregrinorum corporibu s vilite r
est sepultus
(...) ne a christianis ut invenire tur eiu s beatissim i martyri s cor pus ...
In eiusdem predicte civitatis peregrinorum cimiterio, ut perfidorum magis magisque notaretur
iniquitas, sanctissimi gleba corporis vilissime humata iacuit.
Sed ne ibidem etiam a fidelibus
populis venerabili frequentaretur
obsequio, in ignoto loco ...
et i n cimiteri o praefata e urbi s
cum paganorum corporibu s a
gentilibus est sepultus, ne a christianis aliquand o cognitu s tolle retur.
(...) tempore christiani et ortodoxi Sisebut i régis , pa x Eclesi e ca tholice i n cuncta m Spania m es t
adreddita...
Tempore autem ortodoxi cristiani
Sisebuti régis totius Hispaniepacis
ecclesiastice iura reformata sunt
Pace aute m Ecclesia e reddit a
temporibus Sisibuti régis catholici quidam
(...) quidam vir nobiîis e x Visegotorum propagine, clarus génère, Agapius nomine, ex laicali gradu vita m appetitu s es t monasti cam
atque pe
r
gradus
ecclesiasticos a d summu m sacer dotium es t preelectus.
Quidam vir ex wisegothorum génère Agapius nomine féliciter na~
tus est, Primum laicus, dehinc (...)
sumtis ordinibus ad summi sacerdocii gradum provectus est.
vir nobilis, e x gothoru m génèr e
clarus, nomine Agapitus, factu s
est monachus , e t pos t i n episco patum es t assumptus .
(...) du m corpus fessum , ieiuniî s
maceratum, lecticul o esset, cilicio e t vili Stramine opertum, per
quietem noctis, dum sopor artus
inrepserat, membr a a labor e
quiescerent fatigata (...)
Qui seculu pompis omnibus abrenuntians corpus suum omnifatigabat abstinentia, vigilis, ieiuniis et orationibus studens, se immolare Deo cottidie non cessabat,
assiduis oracionibus intendebat,
queque sua in pauperes expendebat, nudos vestiebat, infirmos visitabat, mortuos sepeliebat. His et
huius modi placens operibus domino, licet adhuc mortalem traheret carnem eius tota conversacio
cum apotolo in coelis erat. (...).
Quadam nocte dum diutinis orationibus assiduisque supplicationibus fatigatus menbra debilia sopori reddidisset
Hic dum corpus suu m jejunii s
maceratum, in cilicio et vili Stramine noctis silentio reclinaret ,
(...) sanctissimum corpu s in qu o
loco quiesceret, ill o nomine uteretur atque pro cuius amore animam suam poneret ...
Quo in loco quiesceret, vel quo
vocitaretur vocabulo ...
ostensum est ei quo loco praedicti martyris jaceret, et quo nomine
vocaretur, atqu e pro cujus amore esset plexus.
(...) ad ostensum sibi locum sine
mora perrexit (...), per semetipsum, rastrum man u arripiens , ef fodire cepi t quousqu e a d beatis simum martyris corpus (...), Deo
inspirante, pervenit. Quo invento, timpr illustrayit cunçtps .
...ad locum tesauri pervenit (...)
His dictis ipse rastrum baiulans
temtat conamine toto diu immotam effodere terram, donec bonas
quaerens margaritas preciosum
tesaurum in agro reperit.
Quo invento quam laetus, quam
alacer...
Qui man e fact o indicavit , quo d
viderat, et cum omnibus christia nis sin e mor a a d ostensu m sib i
locum perrexit: manu propria ef fodere coepit , quousqu e a d
sanctum corpu s pervenit : quo
invento omne s sunt repleti gau -
dio.
276
Patrick Henrie t
Et ill e Dei servus , vel illiu s tem poris antestis , cum pre amori s
magnitudine sepiu s beatissimu m
martyris corpusculum osculis demulciret, adque indignum se extimans, ut manibus suis tanti viri tangeret reliquias, subito, dum
crebrius oscularet , carui t pri orum precisoru m dentiu m ad iutorium; quo s u t ab oris officio
diminutos ess e prospexit, in ips o
sarcofago, ubi beatissimi martyris
corpus humatu m est , proiecit.
Se indignum tam beatas reliquias
propriis attrectare manibus reputans, osculari cepit quem de sarcofago propter reverentiam trahere
non audebat. (...)partem dentium ac si martir Zoilus quicquam
sibi de corpore viri sociare veïlet,
statim ami$it y quos avulsos ab ore
idempontifex cum reliquiis in vase reliquit.
Episcopus ergo praefatu s cu m
corpus sanct i Zoyl i oscularetu r
crebrius, indignu m se existi mans ut manibus illud tangeret,
primos dentés amisit .
Peracto e t consummat o inven tionis obsequio , sequent i noct e
se ei per visum ostendens, ita eum
affatus es t dicens: >Cur me sepius
osculare voluisti, cum iam ob ea,
que a a me tibi intercedi poposcebas, Domino Ies u Crist o impe trare non distulit ? Se d nunc certus est o quia, pro cuius amore t e
ei caru m exhibuisti , e t seculu m
cum pompis ei s abrenuntiasti ,
cuncta dimiss a es t tibi congeries
delictk E t vigilans quietem , cor pus beatissim i martyri s Zoil i a d
hanc basilicam parvolam, que in
nomine sancti Felicis martyris antiquitus fuera t fabrefacta , adla tum est , dign e adqu e honorific e
est sepultum .
Agapius post vigilias et orationes
ut humana posât natura debile
corpus admodicum quieti dédisset, iterum beatus Zoilus apparuit
ei quasi pro devotis grattas referens obsequiis, » Quia me frater,
inquit, karissime, ante quam vidisses tam caritative dilexisti, diligens videre optasti, optans devote
quaesisti, quaerens invenisti, inveniens innumera pietatis oscula
praestitisti, certus esto quod pro
cuius amore hec exibere voluisti
illius mecum in societate te fruiturum cognoscas in celis, et adhuc
in terris posito tibi omnia condonari peccata«. (...) beatissimum
corpus, ad basilicam in honore
beati Felicis martiris antiquitus
fabre factam, cum tocius populi
obsequio cleri quoque psallentis
tripudio, a sancto Agapio translatum est et honorifice cum cereis
et aromatibus sepultum ...
Peractoque inventioni s officio
nocte sequent i beatu s Zoylus e i
apparuit dicens: Cur me saepius
osculando verberasti? E t nunc
iam pro eis quae a me poposceras
impetravî a domino Jesu Chri sto, et ia m certu s est o quo d di missa sunt tib i peccata. Evigilan s
igitur corpus beati Zoyli ad basilicam parvulam, quae in nomin e
sancti Felici s fundat a fuerat ,
transtulit, e t honorifice sepelivit :
Les emprunts directs de Rodrigue au Passionnaire sont nombreux. Ils confirment qu e
ce que nous avons déjà constaté, à savoir que celui-ci était toujours l u dans l'Espagn e
des XIIe -XIII e siècles. On aimerai t savoir, mais il n'est pas possible de trancher, si Rodrigue avai t à sa disposition u n manuscri t e n caractère s wisigothique s o u un e copi e
ultérieure. Notons tout de même que le seul manuscrit connu copiant en caractères »internationaux« un Passionnaire wisigothique, celui de Tolède, ne comprend pas la Passio Zoili107. Il semble donc au moins plausible de conjecturer que Rodrigue eut entre les
mains un manuscrit en caractères wisigothiques. Pourquoi ce choix, alors qu'il disposait du texte de Raoul et que celui-ci lui offrait toute s les informations nécessaires ? Il ne
peut guère y avoir, me semble-t-il, qu'une seule réponse. Auteur d'un légendier abrégé,
107 Voir notes 60 et 75.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
277
Rodrigue devait rédiger un texte court et clair108. Or malgré ses promesses, dans la partie de son oeuvre consacrée au martyre et à Yinventio d e Zoïle, Raoul avait brodé sur le
canevas originel pour produire un texte en définitive asse z verbeux, souvent cinq à six
fois plu s lon g qu e celu i d u Passionnaire . E n revenant , autan t qu e fair e s e pouvait, à
celui-ci, Rodrigue s'épargnait don c une partie du travail de sélection et d'abréviation .
Il est cependant a u moins un ca s où Rodrigue choisit la version intermédiaire, soi t
Raoul. L a raison e n es t sans dout e qu e l a leçon d u Passionnaire , inattendue, s'écart e
trop d e la vulgate hagiographique. L'auteu r d e la première Passio signale en effet qu e
lors de Yinventio réalisé e par l'évêque Agapit, la découverte du corps provoqua la peur
chez tous les assistants: timor illustravit cunctos 109. Cette peur devant le sacré, sans doute analysable en termes anthropologiques, est assez rarement de mise dans les récits hagiographiques. Raoul n e l'accepte pa s e t remplace cett e formule pa r un quam laetus,
quam alacer110... Rodrigue choisit d'aller dan s le même sens et note, conventionnel lement serait-o n tent é d e dire : Omnes sunt repleti gaudio 111. Mêm e remarqu e pou r
l'épisode suivant , lu i aussi assez curieux, qui dénote peut-être un e origin e populaire .
Lors de Yinventio d u corps, Agapit se juge indigne de toucher les reliques de ses mains
et choisit de les embrasser passionnément. Le Passionnaire précise qu'à la suite de cette démonstration d'amour, il perd ses dents de devant et les jette dans le sarcophage112.
Raoul reprend cet épisode, mais il atténue leproiecit par un reliquit 113. Rodrigue , quant
à lui, se contente d e noter qu e le prélat perd se s dents, mais il ne fait allusio n à aucun
dépôt114.
Je relève encore au moins deux autres passages où Rodrigue, tout e n s'inspirant d u
premier hagiographe, s'en écarte significativement. Résumant les pressions exercées sur
Zoïle par ses persécuteurs afin d e lui faire abjurer l e christianisme, l'anonyme écrivai t
tarn sermonibus quam verberibus115, expressio n que ne reprend pas Raoul. Rodrigue,
lui, rest e proche d e l a première Passio, mais il écrit sermonibus et muneribus116. Le s
coups de fouet on t fait place à des cadeaux. Mauvaise lecture du manuscrit? Certaine 108 Ainsi qu'il l e dit d'ailleurs dan s le prologue d e son légendier, éd . DONDAINE (voi r n. 21) p. 251. Sur ce
prologue, caractéristique des légendiers abrégés à usage des prédicateurs et largement inspiré de Jean de
Mailly, cf. François DOLBEAU, Les prologues de légendiers latins, dans: Les prologues médiévaux, Turnhout 2000, p. 345-393, ici p. 368-370 (FIDEM. Textes et études du Moyen Âge, 15).
109 FÀBREGA GRA U (voi r n . 24) II, p. 381.
110 Quo invento quam laetus, quam alacer effectus est, plus animadverti quam dicipolest (fol. 139).
111 ES 10, p. 494. Version »mixte« chez Lucius Marinaeus Siculus, qui donne gaudio magno sunt repleti omnes, pui s enchaîne, avec quelques variantes mineures, sur le texte du Passionnaire hispaniqu e (miracle s
des dents).
112 In ipso sarcofago, ubi beatissimi martyris corpus humatum est, proiecit: FABREG A GRA U (voi r n . 24) II,
p. 381.
113 Quos avulsos ab ore idempontifex cum reliquiis in vase reliquit (139 v). Le sarcophage semble ici avoir
fait place à un récipient (reliquaire?) .
114 Episcopus ergo praefatus cum corpus sancti Zoyli oscularetur crebrius, indignum se existimans ut manibus illud tangeret, primos dentés amisit, E S 10, p. 494. Rodrigue semble assez opposé aux débordements
affectifs d'Agapit . Dan s le discours que tient, la nuit qui suit Yinventio, l e saint à Pévêque, on trouve la
question suivante : Cur me saepius osculando verberastii O r l e terme verberare n e caractéris e Factio n
d'Agapit n i dans le texte du Passionnaire ni dans celui de Raoul.
115 FÀBREGA GRA U (voi r n. 24) II, p. 380.
116 Qui cum per mukös dies sermonibus et muneribus, ut idola coleret, esset admonitus, christianum se esse
confitens, capite plexus est, ES 10, p. 494.
278
Patrick Henrie t
ment pas, car lorsque le Passionnaire précise un peu plus loin que Zoïle a étéflagellatus, Rodrigu e écrit admonitus. E n revanche, l'autre écart notable vis-à-vis du Passion naire tient san s doute plus d e l'étourderie qu e du choix délibéré. La nuit suivant Yinventio avai t ét é décrit e pa r l'Anonym e comm e l a première aprè s Yinventionis obsequium117. Mai s pour Rodrigue, elle est désormais celle de F»office d e Yinventio«, alor s
qu'il ne peut évidemment pas encore exister d'office liturgiqu e commémorant des événements survenus quelques heures plus tôt 118.
Après Yinventio e t la construction d'un e nouvell e basiliqu e par Agapit, le récit n e
peut plu s suivre , par l a force de s choses , que Raou l Rodrigu e élagu e don c u n text e
assez touffu , pou r rapporte r brièvemen t l a translatio n d u milie u de s année s 1060,
puis quatr e miracles 119. I l n' y a pas lie u d e s'étendr e ic i su r l e contenu d e ce s texte ,
peu original. Notons tout de même, peut-être, une tendance à bien marquer l'opposi tion entre chrétiens et non-chrétiens, laquelle pouvait paraître trop peu tranchée dan s
les textes antérieurs. Rodrigue ne peut cependant alle r trop loin. Fidèle à Raoul, il ne
tait pas les circonstances dan s lesquelles le miles Ferrandus, après s'être bien battu a u
service du roi musulman d e Cordoue, acquiert les reliques du saint en récompense d e
ses services 120. Dan s l e réci t d u voyag e d e Cordou e à Carrion, Raoul mentionnai t
deux dangers: le premier, fort obscu r pour nous , était la volonté d'un »certai n roi Alphonse« d'arrête r le s chrétiens e t de s'emparer de s reliques 121. Le second étai t l'atti tude hostil e de s musulman s e t de s juif s habitan t le s terre s parcourues , attitud e qu i
obligeait l a petit e troup e à dormi r dan s de s ville s bie n fermée s don t le s porte s
s'ouvraient miraculeusemen t a u petit matin 122. Rodrigue a soigneusement élimin é les
manoeuvres d u »ro i Alphonse«, allusion, il est vrai, qu'il ne comprenait peut-être pas
plus qu e nous . I l a en revanch e mi s e n valeur l a »peu r de s sarrasins« , le s juifs ayan t
disparu123. Cette inflexion d u texte de Raoul vers la bipolarisation ne serait sans dou te pas significativ e s i l'on n e relevait, a u débu t d u texte , un autr e changemen t qu i va
peut-être dan s le même sens. L'Anonyme e t Raoul rappelaient qu'aprè s so n supplice ,
Zoïle avait été vilement inhumé dans le cimetière des étrangers, le cimiterium peregrinorum. Rodrigu e remplace peregrinorum pa r paganorum, marquan t bie n son mépri s
des persécuteur s pa r u n a gentilibus 124. Il y a vraisemblablement che z notr e hagio 117 Peracto et consummato inventionis obsequio, sequentinocte ..., FÄBREG A GRAU (voi r n. 24) II, p. 381.
118 Peracto inventionis officio, nocte sequenti beatus Zoylus ei apparuit, E S 10, p. 494.
119 Soit les miracles 1, 4, 3 et 16 de l'édition d e Raoul par Florez. La dépendance d e Rodrigue enver s so n
prédécesseur du XII e siècle est ici totale. Ainsi le début du premier miracle (Fuit quidam pauper in Vasconia ita contractus quodvictui necessaria nonpoterat quaerere y nisi reptando, E S 10, p. 495) est-il, à quelques inversions de mots près, l'exacte reproduction d e Raoul (Fuit quidam pauper in Vasconia ita contractus quod victui necessaria, nisi reptando, quaerere non poterat).
120 Quidam miles, Fernandus nomine, ad regem Cordubae, causa militandiperrexit..., ES 10, p. 495.
121 Nam quemdam regni gubernacula suscepturum Ildefonsum nomine, ut devastaret sepersequi non nescientes, desperabant etenim salutem si eius dominio manciparentur (fol . 141v).
122 ES 10,2, p. 497.
123 Cum igiturpropter metum sarracenorum ..., ES 10, p. 495.
124 Et in cimiterio prœfatœ urbis cumpaganorum corporibus a gentilibus est sepultus, ibid. p. 494. Le passage du cimetièr e des étrangers à celui des païens, soit d'un espac e fondé su r l'origine géographiqu e à un
espace d'exclusion religieuse, doit sans doute être lu avec, en arrière-plan, la lente constitution d'un espace cimétérial ecclésial , sacré car consacré. Cf. Miche l LAUWERS , Le cimetière dans le Moyen Âg e latin .
Lieu sacré, saint et religieux, dans: Annales. Histoire, Sciences Sociales (1999) p. 1047-1072.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion 2 7
9
graphe dominicain la volonté de souligner, chaque fois que cela est possible, l'opposi tion entre les chrétiens et les autres.
VII. R É É C R I T U R E S T A R D I V E S ?
Le travai l d e réécritur e d u dossie r d e Zoïl e sembl e s e terminer , e n tou t ca s pou r l e
Moyen Âge , avec Rodrigue. Il n'est pourtan t pa s impossibl e qu e de s pièces plus tar dives nous manquent . J'y fera i brièvemen t allusion , mais sans tirer de conclusion dé finitive, afi n d e rappele r qu e l a réinterprétatio n de s événement s e t l a réécritur e de s
textes n e cessent qu' à parti r d u momen t o ù le s enjeux disparaissent . I l existe à la Bibliothèque National e d e France un manuscri t d u XVII e siècle qui renferme u n volu mineux corpu s d e documents , classé s pa r monastère s e t rédigé s pa r le s bénédictin s
d'Espagne en vue de la publication des Annales ordinis sancti Benedicti d e Mabillon 125.
Dans le dossier consacré à Carrion, il est question d u dossie r hagiographique d e Zoï le, justemen t attribu é à Raoul mai s imprudemment plac é sous le patronage d e Pierr e
le Vénérable126. Or l a translation d u XI e siècle y es t présentée sou s un éclairag e radi calement différen t d u text e d e Raoul . Ell e a désormai s lie u sou s l e ro i Ordon o II
(914-924). Surtout elle n'est plus le fait d'un aristocrate combattant au service des musulmans, mais d'un group e de moines, dirigés par un abbé Théodemir et fuyant l e joug
musulman127. Une liste partielle des noms des fuyards, présentée comme extraite d'u n
»ancien calendrier«, est donnée à l'appui. Pour le détail de la translation, l'auteur ren voie au texte de Raoul, conservé dans un »ancie n parchemin de nos archives« 128. Il est
bien difficile d e savoir à quoi il est fait allusio n ... On sai t tout de même qu'il existai t
à Carrion un Liber miscellaneus, élabor é en plusieurs étapes à partir de la fin du XIII e
siècle, qui comportait à la fois un martyrologe (l'»ancien calendrier«?) et des récits »historiques« relatif s a u monastère 129. C e code x a aujourd'hu i disparu 130. Peut-êtr e s a
125 Paris, BNF, ms. Espagnol 321.
126 Confusion qu i vient assurément de l'homonymie ave c Pierre, prieur de Carrion au moment de la composition d u texte par Raoul.
127 Los monges que vivian en el monasterio de San Zoil de Cordova fueron desterrados por el rey Abderramen, en tiempo del rey don Ordono segundo, y se vinieron a acoger al reyno de Leon, como hallaron los
de Sahagun, porque como dice el monge Rodulfo, que escrivio el martirio de san Zoil, la invention de su
cuerpo yfundacion del monasterio dedicado a su nombre por San Agapio en Cordoba, y la traslacion de
Cordova a este monasterio, de orden de San Pedro Vénérable, y a instancias de este (al) monasterio de
Carrion, por los anos de 1120 en su libro de pergamino en nuestro archivo, hablando de Tbeodemiro y
sus companeros dice: >Post haec ad quamdampervenerunt ad instar tuguri< ... (fol. 389. Suit un cour t
texte identique, à quelques variantes près, à celui de Raoul, Madrid, BNE, ms. 11556, fol. 142 v).
128 Aunque nopodemos senalar elanofijo de lafundazion de este monasterio, pero es mucho mas antigua que
la senala el Maestro Yepes, porque en el calendario muy antiguo se haze menzion de los monges que vinieron
huyendo de Cordova, las palabrasson estas: >Patres antiqui Tbeodemirus abbas. Rodericus; Antimius; Avitis; Dictinius; Athanaricus (...). Praedicta nomina et alla quos legi nonpossunt coadunata in pergamino
antiquissimo iam corroso inventa fuerunt absque tarnen alia claritate quia multa deficiunt< (fol. 389).
129 Description dan s PALACI O SÄNCHEZ-IZQUIERDO (voir n. 4) p. 301-308.
130 Ce codex avait été retrouvé en 1982 dans la bibliothèque du monastère. Il fut alor s déposé aux archives
historiques provinciales (Palencia) , mais il avait déjà dispar u lor s du transfert d e celles-ci vers un nou -
280
Patrick Henrie t
consultation permettrait-elle d e jeter quelque éclairage sur cette version bien particulière de la translation de Zoïle et sur l'époque et le contexte de son apparition, sans doute antérieurs a u XVII e siècle 131. Il reste e n tout ca s un fait : à une époqu e donnée , qu i
est peut-être l a fin du Moyen Âge , l'histoire »réelle « d e la translation de s reliques d e
Zoïle ne satisfaisait san s plus les moines de Carrion. Effectuée pa r un grand laïque issu d u fameu x lignag e de s Bén i Gomez , ell e étai t peut-être , d e surcroît , entaché e d u
soupçon de collaboration avec un pouvoir musulman. La réécriture, abusivement présentée comm e originell e e t attribué e à Raoul, permettai t d'un e par t d e présenter le s
chrétiens comm e persécutés e t non plus favorisés pa r le s musulmans, d'autre par t d e
remplacer les laïques par des moines 132 ...
*
Le dossier de Zoïle de Carrion offre un exemple de réécriture hagiographique très complet: Passio, inventioy translation miracles, tout a été réécrit dans les années 1130. La lecture attentiv e de s prologues d e la Passio, puis de s miracles, nous a montré qu e Raou l
ne se contentait pas de reprendre l'auteur anonym e des VIIe -IX e siècle, jadis édité par
Baudouin de Gaiffier, mai s qu'il avait à sa disposition tout un dossier hagiographique .
Si notre reconstitutio n es t exacte , entre l e milieu de s année s 1060 et les années 1130,
deux hagiographes avaient déjà consigné la translation depuis Cordoue et les miracles
à Carrion. Il appartenaient sans doute au monastère, clunisien depuis 1076, qui conservait les précieuses reliques . Leur pratique d'écritur e étai t familière à Raoul, lui-mêm e
moine d'origine française. Mais les choses étaient un peu différentes ave c l'auteur ano nyme d e la Passio y wisigothique o u mozarabe . S i Raoul lu i rendait brièvemen t hom mage, il critiquait en même temps l'état de conservation du manuscrit et surtout la négligence d'un scrib e qui, compte tenu de s dates, avait nécessairement utilisé l'écritur e
dite wisigothique. L a réécriture portai t don c su r le texte, mais aussi , peut-être, sur le
vel édifice. Cf. José Luis SENRA GABRIE L Y GALAN, La portada occidental recientemente descubierta en
el monasterio San Zoilo de Carrion de los Condes, dans: Archivo Espanol de Arte 265 (1994) p. 56-72,
ici n. 8, p. 61. Il m'est agréabl e de remercier ic i José Luis Senra, qui m'a confirm é l a disparition (provi soire?) de ce manuscrit.
131 Ces traditions, et en particulier l'existence d'un abbé Théodemir, ne sont d'ailleurs peut-être pas dénuées
de tout fondement . A u XVI e siècle, le grand érudi t Ambrosio d e Morales, vit à Carrion un manuscri t
en caractères wisigothiques retranscrivant des textes conciliaires, écrit à partir du 19 janvier 948 pour un
abbé Théodemir: Viage de Ambrosio de Morales por orden del rey D. Phelipe II (...), Enrique FLÖRE Z
(éd.), Madri d 1765, p. 33. Cf. SENR A GABRIE L Y GALA N (voi r n . 130) p. 56, n. 3. Nous proposon s
d'identifier c e manuscrit conciliaire à celui, aujourd'hui disparu , qui fut produit en 1240, lors du procès
opposant l'archevêque d e Tolède et celui de Tarragonne à propos du diocèse de Valence. Ce codex (monasterii Sancti Zoyli de Carrione) étai t scriptus de littera toletana, et videbatur nobis valde antiqus et
magne auctoritatis: Vicent e CASTEL L MAIQUE S (éd.) , Proceso sobr e la ordenaciön de la Iglesia valentina. 1238-1246, II, Valence 1996, p. 258, 377.
132 On n e peut par ailleurs exclure que cette réécriture de l'histoire ancienn e de Carrion soit le fruit d'un e
mauvaise lecture des textes par l'auteur de la notice du ms. Esp 321. En effet, l e texte donné en note 120
montre d'un e par t l'existenc e d'un e traditio n relativ e au x origine s d u monastère , d'autr e par t l a con naissance du dossie r hagiographiqu e compos é par Raoul. Toute la réécriture consiste finalement à lier
ces deux traditions, le tour étan t joué à partir du momen t o ù l'abbé Théodemir e t ses compagnons de viennent les sujets de la phrase Post haecad quamdam pervenerunt ad instar tuguri (voi r n. 127), en lieu
et place de Ferrand e t de ses milites^ qui vivent plus d'un siècl e plus tard.
La réécriture du dossier hagiographique d e Zoïle de Carrion
281
support matériel. A l'arrière-plan d e cette entreprise hagiographique, il n'est en conséquence pas interdit de voir un certain mépris pour l a culture hispanique traditionnel le. Celle-ci était alors profondément renouvelé e par de s clercs »français « don t Raou l
et les moines de Carrion étaient, précisément, de très bons représentants. Mais n'exa gérons pas l'importance d e ce »choc de cultures«. La réécriture étai t intimement liée ,
avant tout e t comme partout ailleurs , à la question du public et à celle de la finalité d u
texte.
Raoul justifie so n travail par des critères d'efficacité: i l s'agit d'être simpl e et com préhensible. I l illustr e ainsi , au moin s su r l e plan de s principes, une catégori e d e ré écriture bien particulière: non pas celle qui doit orner un texte ancien, présenté ou perçu comme trop fruste, ce qui était une pratique courante depuis l'époque carolingien ne, mai s bie n l'inverse . Notr e hagiograph e annonc e donc , d'un e certain e façon , l a
réécriture de ces abréviateurs de légendiers, nombreux à partir du XIII e siècle, qui eurent pour premier souc i de fournir de s textes brefs, simples et utilisables pour l a prédication. Rodrigue de Cerrato nous en a d'ailleurs fourni, pour le dossier de Zoïle, un
exemple d e choix . L'analogi e s'arrêt e cependan t là . Raou l écri t pou r u n publi c d e
moines e t ne travaille pas pour l a pastorale. La facilité d e la lecture e t la bonne com préhension d u text e son t visée s dan s un e perspectiv e d'abor d intra-monastique . I l
convient par ailleurs de noter que, comme c'est bien souvent le cas, l'écriture e t le discours d u remanieu r n e s'accordent pa s toujours. E n effet , malgr é des déclarations d e
principe très claires, Raoul n'abrège en rien les anciens textes, Passio et inventio. I l les
amplifie au contraire, dans un style assez verbeux qui, contrairement au modèle, ne s'en
tient jamais aux seuls faits. En revanche, il réduit bel et bien les miracles. Pourquoi cette différence d e traitement? On peut invoquer la lassitude ou le manque de temps. Celui-ci expliquerait commodément l'état d'inachèvement dan s lequel l'auteur, qui se dit
impliqué dans des tâches séculières, a laissé la fin d u dossier . Mais il est aussi possible
d'avancer d'autres explications . La Passio et Vinventio, dan s leur version réécrite, proposaient aux frères un bel exercice de lecture et de piété, sans véritable arrière-plan polémique. Le texte assez sec du Passionnaire pouvait à cet égard laisser les lecteurs et les
auditeurs sur leur faim, d'où l'amplificatio n d e fait accompli e par Raoul. Mais les miracles, qui se déroulaient hic et nunc et non plus dans un »avant « païen largement my thique, s e devaien t semble-t-i l d'êtr e court s e t percutants . I l importai t d e le s fair e
connaître à tous les moines, bien sûr, mais peut-être aussi , indirectement, au x laïques
vivant dans la proximité du monastère. Affirmer l a puissance de Zoïle, c'était rappele r
ses droits seigneuriaux, et donc ceux des moines qui gardaient son corps. Ici, plus qu e
les raffinements littéraire s à usage interne, c'était peut-êtr e l a force d e persuasion d e
textes clair s e t presqu e documentaire s qu i comptait . Hypothèse , san s doute , qu'i l
conviendrait de mieux étayer, voire de nuancer. Mais elle a au moins, je l'espère, le mérite de rappeler pour terminer que l'écriture e t la réécriture hagiographiques son t aussi des faits d e société.
282
Patrick Henrie t
ANNEXE:
LES DEU X PROLOGUE S D E RAOU L
1. Prologue de la Passio
Madrid, Biblioteca Nacional, ms. 11556. XII e siècle. Fol. 135-136.
Incipit prologus in passione sancti Zoili.
Dominis e t fratribu s karrionensi s cenobii , frate r Rodulfu s qualiscumqu e monachu s
quicquid utriusque vite expetibilius feliciusque cognoscitur .
Opus mihi a vobis iniunctum, quia vires superat non modo vitare, verum omnino denegare me a m e consciencia conpellit , se d dilectioni s vestr e vinculo quas i quibusda m
loris astrictus , vestrum preterir e mandatu m mich i nefa s reputo , u t quo d accuraciu s
supplere non sufficio , salti m quibusda m conaminibus , quo d ecia m no n possum , m e
velle demonstrem. Preciosi tesauri sancti videlicet Zoili apud vos tenetis reliquias, qui
quanto preciosior, tanto elegantior i glorificandu s ingenio , cuius martyrium ve l miracula, si ut vos cogitis cudere temtamus, iuxta sensus nostri brevitatem potius attenua re formidamus. Preco r igitu r vestre devocioni s auxilium , ut quo d singul i rogastis , et
maxime vir venerabilis Petrus, qui apud vos primatum tenet, vestris precibus comple re iuvetis, quia non in nostra scientia comfidimus, sed in eo qui potens est non solu m
balbucientibus, verum etiam bruti s animalibus , prestar e facundiam . Quo d quida m
alius dissimili stilo atque133 difficili narravit, nos simplici et brevi oratione, Deo iuvente,
temtabimus explicare , quatenus simple x tractatus levem intellectum admittat 134. No n
quod laudabil i scriptor i aliqui d derogemus , sed ut vestr e sanctitat i e t auctoritati, qu i
hoc nobis inponitis, plurimum prerogemus. Cum sanctorum gesta ob hoc litteris mandentur u t posteri s proficiant , omniumqu e legentiu m devoti o reddatu r acucior , sum mopere precavendum es t scriptori, ut in quantum potest, nullius excédât capacitatem ,
quod es t communis utilitas. Alioquin opu s Universum merito curtabitur, s i quos gra tia rerum a d audiendum invitât , fastidiose difficulta s pagin e reddit expertes , vel quo s
simplex oratio sepius admittit, odiosa prolixitas languidos facit. Ergo nec inauditis sermonibus studeamus , ne c diversi s dictionibu s lectione m extendamus . Nostr e eteni m
orationis paupertas , rerum habundantia s evacuar e non potest, cum potius reru m ha bundantia inerudite lingue paupertatem dictandam speramus, in tanto matherie génère, cuiu s dignitas se tuetur s i etiam omne velamen auferatur . Lectori s e t auditoris be nivolentiam pariter et attentionem postulamus, quia tanto nobis hoc opus divinum plus
proderit, quanto pluribus placuerit. Si quid tarnen inurbane scriptum lectitaverint, parcant adolescentie , parcan t ignorantie , parcan t prorsu s devotioni , ne c minu s ob hoc
martyrem sanctu m extollant, quia non in dialecticis vel rethoricis inflationibus, se d in
desecate mentis vera patientia virtus Spiritus sancti cognoscitur. His dictis, cetera prosequamur. Explicit prologus.
133 L'espace entre stilo et difficili a été gratté. On peut y lire atque, mai s entre les lignes. Il manque un mot .
134 Depuis cette phrase jusqu'à omne velamen auferatur y Raou l suit plus ou moins littéralement l e prologue de la Vita beau Roberti abbatis (BH L 7261), éd. A. DEGLINNOCENTI (voi r n. 71) p. 2-4.
La réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrion 2 8
3
2. Prologue de la Translatio et miracula.
Madrid, Biblioteca Nacional, ms. 11556. XII e siècle. Fol. 140-141.
Incipiunt translati o atque miracula .
Quod tu a vir venerabilis fréquenter dilecti o iubet, immo sub quadam dilectionis figu ra acriu s cogi t e t compellit, u t sanct i Zoil i passione descripta , utina m ta m efficacite r
quam libenter priori operi translacionem adnectam, atque miracula primi scriptoris stilum sectando, hinc quia curis secularibus impeditus sum nee tibi satis facere, inde quia
me tua karitas vincit, nec ex toto possum recusare . Honorât parvitate m mea m tue iniunctio dilectionis, sed honerat nimium assumcio magni laboris. Gratulor etenim quod
apud te tanti habitus sum , ut operi s me i quicquam reciper e digneris. Credo quo d di lectio quam erga me habes te conmonuit, ut ad hoc opus me invitares. Nam si ego displicuissem, labor meus nullatenus tibi placuisset. Non sum tarnen tam ineptus, ut si boni quid egero, hoc mei s viribus reputandum iudicem , e t no n ill i pocius a quo bon a
cuncta procedunt, nec tam expers fidei, ut in pus et honestis laboribus adesse non credam divinum auxilium. Scio denique quod quicquid errat i fuerit michi , quicquid ver o
recti superne grati e reputabitur. Igitu r non qualiter se d qualia dicta sunt lector fideli s
attencius querat, quia sepe facundus orator et vera vili sermone, et falsa dictiori honesto
regens velamin e componit . M e aute m quem nec ornâ t scientia , ne c dita t facundia ,
quisque pruden s excusar e débet . Quo d s i quidnam dixer o lucidum, divine maiestat i
gratias référât, no n michi , que non solum hominem se d et omnia que sunt sua creavit
sapiencia, cuius spiritu fidèles instructi verbum bonum eructuan t sicu t noscitur, quo d
spiritus ubi vult spirat. Sepe etenim vase fictili regius apparatus e t aureo poculo letale
venenum propinatur . Huius martyris d e quo loquimur i n quibusda m antiqui s volu minibus reper i passionem, tarne n non solu m vetustate , se d etia m scriptoru m negle gentia corruptam, quo d legi non potuit, unde tarnen loqueretur, paulatim colligendo ,
ex parte totum didicimus . Miracula vero que quidam sapiens ritmice scripsit, nos hu mili sermon e De o iuvent e replicar e temtabimus , it a ut verbu m e x verbo trahendo , a
primorum tituloru m sentencii s no n discordemus . Preco r t e venerand e pater , sanc tosque fratres tibi celitus commissos, ut mich i orationis auxilium impendere non cessetis, quia nimirum verbo devot i oratoris sustentatu r manu s pii operatoris. Sunt quedam miracula de Dei servo prolixius scripta, que planius atque brevius oportet rescribi, maxime cum tanta sint ut si singula singulis verbis recitarentur, volumen maximu m
extenderent. Ergo qualiter sanctus Zoilus translatus est, vel qualia per eum translatu m
miracula dominus operatus est et fréquenter operatur , compendioso discuciamus ora culo.
INDEX DE S SAINTS CITÉ S
L'orthographe des noms es t généralement cell e de la BHL; la qualité de s saints n'est précisée qu'e n ca s d'ho monymie. De s auteurs vénéré s égalemen t comm e saint s ne sont pas systématiquement relevés . - Les astéris ques indiquen t le s pages o ù le s références son t citée s uniquemen t dan s le s notes .
ADALHARDUS p. 7*
ADELELMUS (ELESMUS , LEDESMUS ) p . 260*, 264 ,
CLEMENS ep. Mettensi s p . 113-114, 119 , 124-128 ,
133
CLEMENS mart. p. 40*, 41*, 90 , 96-97, 9 9
ADELPHIUSp. 122,132
ADELPHUS p. 133
COLUMBANUS p. 80-84,124,160*
265
AGERicusp. 117*, 128,13 3
AGNES p. 232,246*
AGRICOLA p. 40*
ALDEGUNDIS p . 198-199, 200* , 213-214 , 216 ,
227-230
ALEXANDER mart. p. 104
AMANDUS p. 198,208,210-212,215-218,222-226
AMANTES DUO (Iniuriosus, Scholastica ) p . 54-59,69,
70
AMARANDUS p. 40*
AMATUS Habendensis p . 13,122-124
AMATUS Senonensis p. 218*
ANASTASIUS I papa p. 95
ANDREAS apost. p . 23,39,42*, 69 *
ANTONIUS erem. p. 84
APERp. 115,130,132,134-144
ARNULFUS p . 121-122
ARTEMIUS p. 94*
ASTERIUS p. 94*
AUDOENUS p. 7*, 20,119,233-250
AUGURUS (mart . cum FRUCTUOSO e t EULOGIO )
p. 266*
AUTBERTUS p. 200, 217*
BARTHOLOMAEUS apost. p . 39,40*
BAVO p. 215-218
BENEDICTUS Casinensi s p. 166, 225
BENIGNUS p. 39*, 40*
BRENDANUS p. 153,164,180
BRIGIDAP-163,169
BRiocusp. 157
CADDROE p. 125
CADOCUSp. 164
CAECILIAp. 165*
CALLISTUS p. 90,95,104
CANiop.114*
CASSIANUS mart. p . 48-49
CELEDONIUS p. 48-49
CELSUS p. 39*, 40*
CHLODOVALDUS p. 122
CHRODEGANGUS p. 114,122,133
CHRYSANTHUS p. 40*, 41*
CIRIACA vidua p. 94*
CIRIACUS p. 94*
CONSTANTINUS cum Cyrillo e t Methodo p . 96*
CONWOION p . 87*, 148 , 149* , 153 , 156 , 161 , 166 ,
168-170,177,189,191,193
CRESCENTIANUS p. 94*
CuNIBERTUSp.217
CYRIACUS p . 94*
CYRILLUS et METHODIUS p. 96
DAGOBERTUS p. 127
DAVID p. 164
DIONYSIUS ep. mart. p . 9,104,159,210
DOMITIANUS ep . Traiectensis p. 210*
DORMIENTES, SEPTE M p. 40*, 41,59-68, 70
ELESMUS voir ADELELMU S
ELEUTHERIUS (cum Dionysio e t Rustico) p . 210
ELIGIUSP.18*,20,231,241
ELTUTUS (ILTUTUS ) p. 160,164
EMETHERIUS p. 48,49
ETHBINUS (IDUNETUS ) p. 160*, 164*, 188
ETHELWOLDUS p. 11 *
EUCHARIUS p. 127
EucENiusp.40*,41*
EULALIA p. 49
EULOGIUS p. 266*
EUSEBIUS ep. Vercell. p. 38*
EUSTACHIUS p. 213,217,225
EUSTASIUS p. 124
EUTROPIUS p. 40*, 104
FABIANUS p. 94*
FELIX mart. p . 261-262
FELIX mart. Gerund . p . 49
FELIX Nolanus p. 40*, 42
FERREOLUS p. 40*
FERRUCIUS p. 40*
FORANNANUS p. 217*
FRONTOp. 104
FRUCTUOSUS p. 266*
GENESIUS mart. Arelat . p . 42*
GENESIUS mart. Beorrit . p . 40*, 41*
GENOVEFAp. 9 , 1 0
GEORGIUS p. 104
GERALDUSp. 172*
GERMANUS Autissiod. p. 214*
286
Index des saints cité s
GERTRUDIS Nivial. p. 214,218
GERVASIUS p. 39*, 40*, 41*
GILDAS p. 147,164
GISLENUS p. 210,215-216
GLODESINDIS p. 120,132
GoERicusp. 116,132
GOEZNOVEUS p . 147
GORGONIUS p. 14*
GREGORIUS I papa p. 95,97-100,106
GREGORIUS II papa p. 93
GuiBERTUSp. 159*
GURTHIERNUS p . 157
HADALINUS (ADELINUS ) p. 210*
MACHUTUS (MACLOVIUS , M A L O ) p . 146*, 149 ,
151-158, 161 , 163, 164-175, 179-181 , 184 , 189,
191,193-194
MAGLORIUS p . 147, 152 , 154* , 157-159 , 161 ,
164-165,169-170,173*, 181,189,191,193,19 4
MALCHUS p. 11*
MANSUETUSp. 119,132
MARCELLINUS papa p. 87-88,95
MARCELLUS papa p. 104
MARCELLUS Parisiensi s p. 125
MARCULFUS p . 238,245
MARIA (Dei genitrix) p. 38,92*, 198-199,209* , 224 ,
228
HADRIANUS papa p. 97,98*
MARTIALISp. 1 0 4 , 1 2 7 *
MARTINUS p . 8, 14* , 16 , 18* , 20* , 23-37 , 38 , 41,
HELISAEUS p. 24*
HERVEUS p. 147
HILARION p . 84,165
HILARIUS ep . Arelat. p. 42*
HILARIUS ep . Pict. p. 24*, 38*, 78
MATERNUSp. 127
MAURONTUSp. 218
MAURUS p. 94*
HiLDULFUSp. 116-118,121,129,132
HONORATUS ep . Arelat. p. 42*
HORMISDAS p . 90,105
HUBERTUS p. 148*, 217
HUMBERTUS p . 7*, 195, 217-230
42, 46 , 52*, 69, 77-79 , 84 , 94, 130 , 165, 208*,
210*
MAXIMINUS ep. Trevirensis p . 210,215
MAXIMUS ep . Nolanus p. 43
MELANIUS p. 147,148,149*, 157,161,165,168-170 ,
174,181-182,189,190,191,193
MEMMIUSp. 104
MEROVEUSp. 149*
IACOBUS apost. p. 39,41 * , 102*
IDUNETUS voir: ETHBINU S
INIURIOSUS voir: AMANTE S
INNOCENTIUS I papa p. 95
IOHANNES apOSt. p. 19
IOHANNES bapt . p. 38
IOHANNES ep . mart. p. 40*, 49*
NICASIUS ep. Remensis p . 198,210-212, 223-22 5
IOHANNES evangel. p. 39, 74,238,24 7
NICOLAUS conf. p. 232,243,246*
NICOLAUS I papa p. 99,105
NICOLAUS puer e t soc. p. 255,270*
IONATUSp. 218
IRENAEUS p. 39
IUDOCUS (Josse) p. 146*, 148 , 150 , 152 , 156 , 157 ,
NICRANDUS p . 94*
NIGASIUS (NICASIUS ) m. p. 232,233,243,246*
NlNNOCAp. 148
IULIANA p. 94*
OSMANNAp. 148
OsWALDUSp.il*
161, 166 , 167*, 168-170, 177-178 , 189 , 191, 193 ,
194
IULIANUS p. 16, 24, 26*, 38,40*
LANDELINUS p. 210,215-216
LANDOALDUSp.218
LARGUS p. 94*
LAURENTIUS p. 46,47,49*
LEDESMUS voir ADELELMU S
LEO IV p. 92-93
L E O VII p. 103
LEO IX p. 118,123,129
LEOCADIA p . 266*
LEONORIUS (LENOVERIUS ) p . 148*, 149* , 150 , 161,
164,169,170,173,179,189,191,193
LEUTFREDUS p. 236
LUCIA p. 92*
LUGDUNENES MARTYRE S p. 41*
NAZARIUS p. 39*, 40*
NEMMIA p. 94*
NICETIUS p. 23, 70, 71
PASCHALIS I papa p. 92-94,105
PATERNUSp. 165, 169*
PATROCLUS erem . p. 16*
PATROCLUS mart . p. 39*, 40*
PAULINA p. 94*
PAULUS apost. p. 39,104,198,224
PAULUS erem. p. 48*, 84
PAULUS AURELIANUS p . 151, 153 , 157 , 160* , 161 ,
164-165,167,170,173,182,190,191,193
PELAGIUS p. 261
PETRUS apost. 30, 32, 39, 87 , 90, 92, 104 , 127 , 198,
211,215-216,224-225
PETRUS Venerabilis p. 279
POLLIO p . 94*
POLYCARPUS p. 19,20*, 40*
Index des saints cité s
Poppop.201*
PORTIANUS p. 23
POTENTIANUS p . 104
PRAXEDIS p. 94
PROTASIUS p. 39*, 40*, 41*
QUIRILLA p . 94*
QUIRINUS p. 94*
287
SOTER p. 94*
STEPHANUS p. 39, 94*, 104
TEODORUS p . 94*
TEOPISTES p. 94*
THEODARDUS p. 159*
THEODERICUS p. 128,133
THOMAS apost. p. 39,40*
TROPHIMUSp. 104
TURIAVUS p. 163,186-187,190-191
REMIGIUS p. 10,105
RICHARIUS p. 9, 71-85
RlCTRUDISp.218*
TuTGUALUsp. 147,157,17 9
ROBERTUS Casae Dei p. 265, 282*
ROMANUS ep. Rotomagensis p . 232,241-242,24 7
ROMARICUS p. 120-124,132
ROTONENSES SANCTI p. 148
SABINIANUSp. 104
SAMSON p . 146*, 147 , 148* , 149 , 151-155 , 158 ,
160-175,183-186,190-193
SATURNZNUS p. 39
SCARIBERGA p. 232
URBANUS I p. 90, 95,104
URSMARUSp.208,221
VALERIUS p. 127
VECTIUS EPAGATHU S p. 39*
VEDASTUS p. 9, 71-73, 80-83,151*
VINCENTIUS mart. Agen. p. 40
VINCENTIUS mart. Calag . p. 49
VIRGILIUS ep. Salisburgensis p . 273*
VITALIS p. 40*
S C H O L A S T I C A , voir: A M A N T E S
VULFRAMNUS p. 8*
VULGANIUS p. 232
SEBASTENI MARTYRE S p. 41*
SEBASTIANUS cum sociis p. 95*, 266*
SERGIUS II papa p. S7y 93-9 4
SIGEBERTUS rex p. 122*
SILVERIUS p. 90
SILVESTER p. 93,94*, 103-104,16 5
SISIANUS p. 94*
SIXTUS p. 104
SMARAGDUS p. 94*
SOPHIA p. 94*
WALDEDRUDIS p . 208*, 215
WANDREGISILUS p . 7, 8
WENAILUSp. 147,16 5
WlLLIBRORDUS p. 9, 82
WINWALOEUS p . 149, 151-153 , 157 , 159-161 ,
163-173,174*, 187-188,190-191,19 3
ZOILUS p. 7*, 253-283
INDEX DE S MANUSCRITS CITÉ S
Les astérisques indiquen t le s pages où les références son t citée s uniquement dan s les notes.
ABERYSTWYTH National Library of Wales
17110E,p. 185
CHARLEVILLE-MÉZIÈRES B M
ANGERS B M
CLERMONT B M
121, p. 184-185
AVRANCHES BM
168, p. 147
BERLIN Staatsbibl .
Phill. 1839, p. 128,133
BRUXELLES Bibl. Royal e
7503-18, p. 117
8953-54, p.128,133
9636-37, p. 134
CHÂLONS-SUR-MARNE B M
56,p.l3*;57,p.ll5
213, p. 128,133
149, p. 187
DOUAI B M
840, p. 188; 842, p. 188
865, p. 188
ESCORIAL Real Bibl .
b-I-4,p.261*
FIRENZE Bibl. Nazionale Central e
Fondo Nazional e II.I.412 , p. 167
FULDA Hessische Landesbibl.
Aa 96, p. 231*
288
Index des manuscrits cité s
Haumont
perdu, p. 196,198
K.0BENHAVN Kongelige Bibl.
Thott in-foli o 133, p. 160*, 164,186
LE MAN S B M
227, p. 183
LILLE Archive s départ, du Nord
11H39-43 (cartulaire de Maroilles), p. 197-:
LONDON Britis h Librar y
Add. 25600, p. 254
Cotton Oth o A.VIII , p. 180
CottonOthoB.X,p.l80
Royal8.B.XIV,p.l78
Royall3.A.X,p.l80
MADRID, Bibliotec a Nacional
11556, p. 254-283
- Real Academia de la Historia
39, p. 261*
Marmoutier
perdu, p. 181
MAINZ Stadtbibl
1553, p. 273*
METZ B M
195, p. 164*, 183
NAMUR Bibl. Communal e
Fonds de la Ville 53, p. 183
NANCY B M
1258, p.134-143
1277,p.ll7,118*
1278, p. 118*
N A P O L I BN
XV AA 13, p. 231*
ORLÉANS B M
261, p. 160*, 167
343, p.179
PARIS Bibl. Mazarine
1708, p. 164*, 183
- BNF
esp. 321, p. 279*, 280*
frs 22321, p. 183
lat.2288,p.l23*
lat. 5278, p. 128,134
lat.5294,p. 114
lat. 5308, p. 134-143
lat. 5353, p. 13*, 134
lat. 9738, p. 117
lat. 9740, p. 134-143
lat. 10051, p. 240*
lat. 11552, p. 184
lat, 11951, p. 181
lat. 12404, p. 179,180
lat. 12600, p. 185
lat. 12604, p. 188
lat. 13765, p. 128,133
lat. 15437, p. 187
lat. 16733, p. 13*, 134
lat. 17006, p. 13*, 134
lat. 17007, p. 128,133
n.a. lat. 2289, p. 122*
ROMA Bibl. Aless.
227, p. 118
- Bibl. Vallicelliana
G 98, p. 184*
ROUEN B M
1384, p. 167*, 17 7
1388, p.183
U 64 (1411), p. 246*
Y 27 (1405) [Livre d'Ivoire de la cathédrale],
p. 232*, 236
Y 41 (1406 ) [Livre Noir de Saint-Ouen], p. 232,
236,239, 243-248
Saint-Arnoul
perdu, p. 114
Saint-Ghislain
perdu, p. 196,198
SAINT-OMER B M
715, p. 235
Saint-Wandrille
perdu, p. 4*
SANKT-GALLEN Stifts-Archi v
548, p. 134-143
566, p.134-143
TOLEDO Archivo y Bibl. Capitula r
44.11, p. 261*, 266*
48.1, p. 251*
48.11, p. 251*
UTRECHT, Bibl. der Rijksuniversiteit
391, p.116*
VATTICANO (CITT À DEL ) BA V
Reg. Lat. 465, p. 185*
Reg. Lat. 479, p. 184
VERDUN B M
8, p. 117*
WIEN Österreich . Nationalbibl.
563, p.14*
575, p. 117

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