Histoire de la litterature française au XVIIe siècle

Transcription

Histoire de la litterature française au XVIIe siècle
CHAPITRE IV
MOLIÈRE
Les troupes. L’Hôtel de Bourgogne
Pendant une brève période, aux environs de 1660, on put
croire que les troupes de comédiens allaient se multiplier. Celle
de Molière se fixait au Petit-Bourbon et les Italiens partageaient avec elle l’usage de cette salle magnifique. L.e 17 décembre 1660, la troupe de Dorimond, placée sous le patronage de
Mademoiselle, inaugura un nouveau théâtre, rue des QuatreVents, au faubourg Saint-Germain. Les Espagnols de Sébastien
du Prado, la même année, attiraient l’attention des gazetiers.
On signalait encore des danseurs hollandais à la foire SaintGermain, un théâtre de marionnettes, des représentations à
celle de Saint-Laurent.
Mais la troupe de Dorimond ne réussit pas à se maintenir
à Paris. Dès la clôture de la foire, elle reprit ses courses à
travers les provinces. Les Espagnols, en dépit de leurs danses
et de leurs castagnettes, déplurent au public. On trouva que
leurs femmes n’étaient pas belles, et qu’ils étaient e incapables
de trouver le goût des Français ». Les spectacles de la Foire
ne réussirent pas un moment à éclipser ceux des anciennes
troupes. Seuls les Italiens et les compagnons de Molière créérent
un établissement durable et entrèrent en compétition avec
l’Hôtel de Bourgogne et le Marais.
(1) On trouvera l’ensemble des fait6 qui concernent la vie des théâtres à
œtte epoque dans P. Mélèse, Le thédtre e t le public Ct Pa* sous Louis X I V ,
1934.
588
HISTOIRE CIE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE
Les Grands Comédiens étaient alors en pleine possession
de leur gloire. Ils avaient pour chef Floridor, et formaient une
équipe où l’on comptait Montfleury, Beauchasteau et Villiers,
1û Bellerose, la Barori et la Beauchasteau. Artistes chevronnés,
et de riche expérience. Floridor avait monté sur les planches
avant 1635. Montfleury avait commencé de jouer vers la même
date et Beauchasteau avait fait ses débuts plus t8t encore,
vers 1626. Quant à Villiers, il avait été, en 1624, l’associé de
Montdory et de Lenoir.
Trop d’expérienci: peut-être et plus de métier que de flamme.
La jeunesse manque, et sa grâce. La Bellerose est la meilleure
comédienne de Paris, mais elle est grosse comme une tour.
Montfleury a du tempérament, mais il est énorme, et l’on trouve
qu’il affecte trop de montrer sa science. Beauchasteau est un
exécrable comédien. Villiers ne vaut pas Jodelet. De Floridor
les gazetiers louent surtout le métier : Tallemant le trouve
médiocre, et lorsqu’il disparaît en 1671, Bussy-Rabutin déclare
sèchement qu’il était temps. Ces critiques contemporaines sont
le meilleur commentaire de l’Impromptu de Versailles.
Des morts successives vinrent disloquer la vieille équipe.
En 1665 Beauchasteac mourut, et en 1667 Montfleury. Floridor
quitta la scène en 1671 et mourut l’année suivante. Villiers
devait vivre longtemps encore, mais il cessa de jouer vers 1670.
M l l e Baron était morte en 1662. De nouvelles recrues comblèrent les vides. Ce fut d’abord, en 1660, Raymond Poisson, un
ancien chirurgien deqenu comédien ambulant, et qui rêvait
de se fixer à Paris. En 1662, Hauteroche, La Fleur et M ’ l e des
CEillets quittèrent le Marais pour entrer à l’Hôtel. En 1664,
Brécourt, venu du Palais-Royal, et la fille de Montfleury,
Françoise, qui prit le nom de D’Hennebault, son mari, se joignirent aux Grands (Comédiens. Ce fut le tour, en 1665, de
la Du Parc, venue du Palais-Royal. En 1670 la troupe accueillit,
venant du Marais, la Champmeslé et son mari (2).
(2) Raymond Poisson etait entré de bonne heure au aervice du duc de
Créqul. Il se consacra ensulte B la chirurgie. On le retrouve B Toulon, probablement comme acteur anibuiant. E n 1660, 8ur un ordre du Roi, il vint B
MOLIÈRE
589
Ainsi renouvelée, la troupe des Grands Comédiens modifia
profondément son allure. Lorsqu’iis virent que Molière attirait
la foule au Petit-Bourbon, Villiers, Poisson et le fils de Montfleury fournirent l’Hôtel d’un répertoire de petites comédies et
de farces. Dès 1660, l’Apothicaire dévalisé, les Ramoneurs,
iViarGzge de rien essayèrent de rivaliser avec le Nédecin volant
et Sganarelle. < On vit tout à coup, écrit Gabriel Guéret, ces
comédiens graves devenir bouffons, et leurs poètes héroïques se
jeter dans le goguenard. >> Au cours de la querelle de 1‘Ecole
des Femmes, Robinet s’indigna de voir l‘unique et incomparable
troupe royale obligée de renoncer à la tragédie pour représenter
des bagatelles et des farces, Secrétaires de Saint Innocent,
Miracles du mépris, Intrigzce des carrosses, Colin-iMaillard et
autre fatras.
Plutôt que Villiers et que le jeune Montfleury, ce fut
Raymond Poisson qui entreprit de lutter contre Molière à armes
semblables. Peut-Etre rapportait-il de ses tournées de province,
comme Molière, cette tradition farcesque que Paris avait perdue.
En face de Sganarelle, il dressa le personnage de Crispin.
Paris et entra A l’Hôtel. Le 30 avril 1660, il acheta pour sa femme la place de
la Bellerose. moyennant mille livres de pension annuelle. I1 en eut sept
enfants. Voir sur lui une bonne notice de Fournel. - Noé1 le Breton. dit
Hauteroche, est né probablement vers 1630, e t de bonne famille. ïi entra a u
Marais en 1650. En 1662 on le retrouve à l’Hôtel. I1 avalt la parole aisée. et
pour cette raison f u t après Floridor l’orateur de la troupe. Fort maigre et
décharné, II avait pourtant la taille avantageuse. Au surplus, de l’étude, de
l’esprit et de la probité. - François Juvenon, dit La Fleur, était né vers 1623,
fils d’un maitre-queux. I1 f u t d’abord a u Marals. puis à l’Hôtel. il ne Joua
que des rôles secondaires Jusqu’a la mort de Montfleury. mais déjA son jeu,
dans Commode e t dans Stilicon, avait attiré I’attentlon sur lul. 11 eut I’honneur de créer lea rôles de Burrhus et de Mlthridate. La duchesse d‘orlbans
le cite aux côtés de Baron et de la Champmeslé, parml le8 meilleurs artistes
du temps. - Alix Faviot. née en 1621. avait épousé Nicolas de Vin, sleur des
CZillets. qui jouait au Mans e n 1633. Elle en eut deux enfanta. Elle était probablement veuve lorsqu’elle entra dans la troupe de 1’Hotel en 1662. Eue
mourut le 25 octobre 1670. ,Mule de Sévigné la jugeait très lnférieure A la
Champmeslé. Elle n’en passait pas moins pour < une des premières actrices
d u monde n. On vantait le don qu’elle avalt de charmer. C’est elle qui a
cré4 les roles d‘Axiane, d’Hermione et d’Agrippine. - Françoise Montfleury,
baptisee le 3 novembre 1642. avalt épousé un employb de l’lmpdt à Bordeaux,
le fileur d’aennebault. Elle créa les rdlea de Junfe, Atalide e t rirlcie.